Lettre d'information - no 122 octobre novembre décembre 2018

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LA RÉDACTION - NOUS ÉCRIRE

Sommaire

ÉDITORIAL

Un centenaire musical…

ARTICLES DU MOIS

Le chant choral. Isabelle Tourtet

Les Jeux Vocaux de Guy Reibel. Isabelle Tourtet

Graphical scores distributed and synchronized by WIFI. Jonathan Bell

PORTRAITS

William DOUGHERTY Un portrait par Jan Nieuwenhuis (traduction Jonathan Bell)

Matthias KRÜGER Un portrait par Jan Nieuwenhuis (traduction Jonathan Bell)

Sebastian HILLI Un portrait par Jan Nieuwenhuis (traduction Alexandre Craman)

Raphaël LANGUILLAT Un portrait par Jan Nieuwenhuis (traduction Jonathan Bell)

Emmanuel DESPAX, pianiste

ANALYSES

World Timbres Mixture : un nouveau son pour la musique par Ivanka Stoïanova

Sounds Concealing Other Sounds: Alvin Lucier’s Gentle Fire.

La troisième Sonate pour piano de Radulescu : You Will Endure Forever (I). Allesandro Milla

SPECTACLES

Festival d'Aix : Ariadne, Didon et Orfeo.

CONCERTS

Festival Darmstadt : [TRIGGER ME] Julia Mihály, voix et électronique

Festival Darmstadt : Found Footage Ensemble Nikel / Clara Iannotta / Simon Løffler

Festival Darmstadt : Quatuor Arditti

Éric PÉNICAUD, Olivier PELMOINE, Sara CHENAL

CONGRÈS

Festival Darmstadt : Workshops IRCAM

L'ÉDITION MUSICALE

FORMATION MUSICALE  -
David LAMPEL : Les instruments et l’orchestre. La musique instrumentale à travers les siècles.
hantal BOULAY – Dominique MILLET : A tempo.
CHANT  -
Guy SACRE :Deux poèmes de Jean Pellerin.
Guy SACRE :Trois Épigrammes d’Henri de Régnier.
Guy SACRE :Deux poèmes français de Rilke.
MUSIQUE CHORAL  -
Bertrand PLÉ : Victimae paschali laudes.
GUITARE  -
Antonio de SANTA-CRUZ : Diferentes obras para vihuela ordinaria - Différentes œuvres pour guitare.
Jean-Pierre GRAU :Les chemins de la virtuosité - Reaching Toward Virtuosity
CLAVECIN  -
COUPERIN : Pièces de clavecin Second livre (1717) avec 8 Préludes et 1 Allemande de L’Art de toucher le clavecin (1716-1717)
ORGUE  -
BACH : Orgelwerke, Band 9, Orgelchoräle der Neumeister-Sammlung.
Alexandre GLAZUNOV : Œuvres complètes pour orgue.
PIANO  -
Jean-Michel TROTOUX : Une journée
BRAHMS : Zwei Rhapsodien op. 79 für Klavier
Hans-Günter HEUMANN : Piano playground – Spielplatz Klavier – 30 pièces ludiques pour piano à jouer en cours ou en concert.
Arletta ELSAYARY : Argentina
Arletta ELSAYARY : Yvette la chouette
Hans-Günter HEUMANN : Best of piano classics 2.
Anne-Virginie MARCHIOL : Gouttes à gouttes
Célino BRATTI : Piano en balade
Scott JOPLIN : Ragtime
Gorka CUESTA : Le voyage du retour

FLÛTE TRAVERSIÈRE  -
Michel PELLEGRINO : Musiques traditionnelles des Alpes (France – Italie – Suisse)
Patrice BERNARD : Divertissement « alla française »
Gilles MARTIN : Une flute à Paris
HAUTBOIS  -
Claude-Henry JOUBERT : Concerto « Les Dragons »
CLARINETTE  -
Michel PELLEGRINO : Musiques traditionnelles des Alpes (France – Italie – Suisse)
Michel CHEBROU/Robert SCHUMANN : Romance n° 2 de Robert Schumann
Jacky THEROND : Largo du concerto BWV 1056
SAXOPHONE  -
Patrice BERNARD : Blue Polka
Fabrice LUCATO : Créolia
TROMPETTE  -
Paul ROUGNON (1846-1934) : 4ème solo de concert
Gérard LENOIR : En deux temps, trois mouvements !
TROMBONNE  -
Alexandre CARLIN : Charlie’s Blues
Max MÉREAUX : La bonne aventure
OPÉRA  -
Jean-Philippe RAMEAU : Les Indes galantes.
MUSIQUE DE CHAMBRE  -
Alexandre OUZOUNOFF : Cinq bagatelles

LIVRES & REVUES

Alain JOLY : BACH, maître spirituel.

Luis Lopez RUIZ : Guide du Flamenco.

Bernadette LESPINARD : Les passions du chœur. La musique chorale et ses pratiques en France 1800-1950.

Will METZ : La Théorie musicale pour les autodidactes.

Pauline GIRARD : Léo Delibes. Itinéraire d’un musicien des Bouffes-parisiens.

Tempo flûte.

Daniel MOULINET : Chanter en Église.

Charles GOUNOD : Le Tribut de Zamora

Nature et musique française de Debussy à nos jours

Régis Boulier Le violon : 500 d’histoire

CDs & DVDs

Johann Sebastian BACH : Intégrale de l’Œuvre d’Orgue, vol. 5, Concertos, Fantaisies et Fugues – Pièces diverses.

UNKNOWN ARIAS. Aria Ensemble. Daniel Propper.

Trio Torrello : UNE FLÛTE ENCHANTÉE.

OTTOCENTO.

ITALIAN SERENADES.

De la Suisse Centrale à Genève. Von der Innerschweiz nach Genf.

Picasso et la musique. The Musical World of Picasso.

Marek JASINSKI, Jaromir GAJEWSKI : Works for piano and saxophone.

From Baroque to PIAZZOLLA.

Great Steppe Melodies.

JAPON. Teruhisa FUKUDA, maître de shakuhachi. Offrande musicale.

GOUNOD/SARASATE : Violonissimo.

Perry SCHACK : Virtuoso.

CONCERTI NAPOLETANI per Mandolino.

POULENC-COCTEAU : La Voix humaine. - CHABRIER-MILHAUD : Une éducation manquée.

Ambroise THOMAS : Le Songe d’une Nuit d’été.

Camille SAINT-SAËNS : Henry VIII.

Georges BIZET & Fromental HALÉVY : Noé.

Damien ARIBERT : Destinations.

Bronsart & Urspruch par Emmanuel Despax

LA VIE DE L'ÉDUCATION MUSICALE


ÉDITORIAL

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Un centenaire musical…

Bien sûr, le centenaire de ce mois de novembre, c’est bien celui du 11 novembre 1918, armistice de celle qu’on appelait la Grande Guerre et dont on assurait qu’elle serait la Der des Der… Mais il est un autre événement, survenu le lendemain (répétition générale publique) et le surlendemain (première officielle) qui devait marquer le début des « années folles » et le renouveau de l’opérette : la création de Phiphi, de Christiné et Albert Willemetz, au théâtre des Bouffes Parisiens. Nous ne reviendrons pas sur les circonstances de la commande et de la création de cette œuvre qui devait se jouer quasi sans interruption pendant quinze ans, et qui donna naissance à une série d’autres œuvres de la même veine. Dès 1921, ce sera Dédé, toujours par le duo Henri Christiné – Albert Willemetz. Puis, cette fois avec Maurice Yvain, nous aurons Ta bouche (1922), Là-haut (1923), toutes opérettes dont les refrains sont connus encore aujourd’hui. De Dédé, citons notamment « Dans la vie, faut pas s’en faire » D’autres commenteront cette renaissance de l’opérette française : pensons notamment à Benoit Duteurtre et à son livre L’opérette en France chez Fayard dont une nouvelle édition revue est parue en 2009. Nous voudrions simplement faire remarquer combien ces opérettes, au demeurant fort légères, plongent leurs racines dans la tradition la plus classique, au moins dans certaines parties de l’œuvre. Bien sûr, le texte de Phiphi est truffé de références antiques détournées avec délice, mais c’est à la musique qu’il faut aussi penser : et ceux qui voudront le vérifier pourront s’intéresser au final du deuxième acte de ces pochades en trois actes, mais dont le troisième est souvent le plus faible. Le final du deuxième acte, en revanche, est construit comme un véritable final d’opéra. Dans Phiphi, il s’agit de respecter les règles de la tragédie classique, et c’est le chœur antique, en l’occurrence les « petits modèles » qui racontent en temps réels au Pirée les ébats amoureux d’Ardimédon et de Madame Phidias dissimulés par une tenture, refaisant ainsi, en quelque sorte le récit de Théramène, mais en temps réel ! Malheureusement, ces finals ne sont pratiquement jamais donnés en entier, même dans l’excellente version de Ta bouche… par la compagnie « Les brigands », disponible en DVD. Osera-t-on une nouvelle reprise de Phiphi pour ce centième anniversaire ? Oui, certains ont osé… Souhaitons beaucoup de succès à ces différentes reprises.

Daniel Blackstone
© L'ÉDUCATION MUSICALE 2018

ARTICLES DU MOIS

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Le chant choral


Le chant choral est une pratique indissociable des formations d’excellence, si l’on songe par exemple, en Angleterre, aux choir boys de la tradition d’Oxford, ou encore, en Espagne, à la Escolania de Montserrat. Ces exemples ont peut-être contribué aux récentes décisions ministérielles relatives au « plan choral », selon lequel il y aurait en France, à l’horizon 2019, une chorale dans chaque collège, puis même dans chaque école et chaque lycée. La pratique chorale devient donc un enseignement qui collabore au socle commun de compétences de connaissances et de culture ; Isabelle Tourtet, chargée du domaine musique à la Délégation artistique et à l’action culturelle (DAAC) d’Aix Marseille, nous explique ici en quoi le chant choral contribue à l’épanouissement de l’élève, et à l’acquisition de savoirs fondamentaux.

Choral music is an inseparable practice from elite education. If we think of England, for example, then the Oxford tradition of choir boys comes to mind, or the Sapinor the Escolania de Montserra of Spain. These examples may have contributed to recent ministerial decisions relating to a “choral plan,” which proposes that every French middle-school and high-school have a choir by 2019. Thus, teaching choir has become a practice that brings together a common foundation of knowledge and cultural skills; Isabelle Tourtet, departmental counselor at artistic and cultural education explains to us how choral music contributes to student development and the acquisition of fundamental knowledge.

Domaine d’expression artistique exigeant, la chorale, par la pratique collective et individuelle qu’elle met en œuvre, contribue à la socialisation, la construction intellectuelle et sensible de l’enfant. Ces étapes sont essentielles et indispensables dans le processus d’acquisition des apprentissages fondamentaux. La chorale, comme les autres champs culturels, nécessite l’engagement, la motivation et l’investissement dont on sait qu’ils sont, chez l’élève, un moteur essential de l’apprentissage et un facteur d’accélération des appropriations.

A ​​demanding area for artistic expression, choral music contributes to the socialization and the intellectual and sensory development of children through its collective and individual practice. These factors are essential to the process of acquiring fundamental knowledge. Like other creative practices, choir requires commitment, motivation, and investment, which are essential for students to learn and accelerate intellectual development.

La pratique chorale contribue à la construction de l’enfant: socialisation
La pratique chorale contribue à la construction intellectuelle de l’enfant, elle collabore aux apprentissages fondamentaux et renforce les processus d’acquisitions. Elle est essentielle pour la formation de l’esprit.

Choral Practice contributes to the construsction of the child's social skills
Choral practice contributes to the intellectual development of children by bringing together fundamental skills for learning and reinforcing knowledge acquisition. It is essential for their cognitive development.

En diversifiant les approches, les méthodes et scénarios d’apprentissages, le travail choral accroît les chances de réussite. Il place l’élève dans des processus d’apprentissages autres que ceux mis en œuvre par les disciplines fondamentales, en faisant appel à des mécanismes qui lui sont propres (voix, corps, gestes, mouvements, jeux, affects, écoute, imaginaire…).

By diversifying learning approaches, methods, and scenarios, choral work increases the chances of developing learning skills. In comparison with the learning methodology of their core courses, choir engages students differently by using mechanisms that are specific to each student (voice, body, gestures, movements, games, affects, listening, imagination ...).

La pratique du chant participe à l’acquisition et la maîtrise de la langue (ou des langues). Elle contribue, par l’appropriation des mots chantés, à la découverte et l’enrichissement du vocabulaire. Elle complète et consolide l’acquisition de la lecture. La qualité d’écoute mise en jeu dans la pratique chorale conduit à développer la rigueur et la discipline de travail indispensable aux apprentissages. Elle encourage avec patience, la persévérance, elle nécessite la concentration et valorise le plaisir du travail bien fait qui dépasse l’expression spontanée. L’échange autour de la pratique chorale éveillera la capacité à communiquer, à argumenter, le sens critique, la capacité d’analyse et de conceptualisation.
La pratique chorale favorisera une distance critique de l’élève et développera sa réflexion qui l’aidera à dépasser la simple expression de ses goûts et dégoûts pour l’amener à poser des critères d’appréciation, lui apprendre à les formuler pour construire un véritable système de valeurs.

The practice of singing contributes to the acquisition and mastery of language (or languages). Through the appropriation of sung words, singing contributes to the discovery and enrichment of vocabulary. It completes and consolidates the acquisition of reading. The choral practice also brings into play the quality of listening, which, in turn, leads to rigor and discipline that are essential to learning. Choral practice encourages patience, perseverance, concentration, and values ​​the completion of a musical work pleasure of a job well done that exceeds the spontaneous expression. The exchanges between choir members will awaken the ability to communicate and discuss in critical terms the analysis and conceptualization of works practiced and performed. Choral practice will encourage students to become critical and develop reflections that will help them to go beyond mere expressions of likes and dislikes, making them inquire about their criteria for appreciation and to formulate the means to build a value system.

Parce que la musique est l’art du temps, éphémère et volatile par excellence, elle suscite la capacité à structurer le temps et à fixer des repères.
Elle sollicite, mobilise et développe les mémoires, visuelles ou auditives, qui, mises en jeu conjointement, se complètent et se renforcent.

Because music is the art of time, ephemeral and volatile, it evokes an ability to structure time and set benchmarks. It solicits, mobilizes and develops multisensory memories, which, when coinjoined, complement and reinforce each other.

Le chant choral contribue à la construction sensible de l’enfant
Il n’est pas inutile de rappeler un des enjeux fondamentaux de l’Éducation musicale : développer l’intelligence sensible de l’enfant, trop souvent négligée et sans laquelle les autres formes d’intelligence ne peuvent se développer.

Choral Practice contributes to the construction of the child's sensibility
It is worth noting that one of the fundamental challenges of musical education is to develop the sensory intelligence of children, which is often neglected and, without other forms of stimuli, will not develop.

La chorale peut aussi laisser un espace à la création musicale, au jeu vocal qui éveille l’imagination, le sens de la créativité et de l’inventivité. Elle rend la pensée fluide et mobile pour faire face à des situations inédites. À travers les actes de création, l’enfant cerne son identité, affirme sa personnalité ; cela lui donne une indépendance indispensable dans une société où les médias de masse influencent et uniformisent leurs comportements.

The choir can also provide a space for musical creation. For example, a vocal game might awaken a child’s imagination and the sense of creativity and inventiveness. Vocal games can make thinking fluid and mobile to deal with new situations. Through acts of creation, each child discerns her identity and affirms her personality; this gives them an indispensable independence in a society where the influence of mass media appears to standardize behavior.

La grande force du chant choral est de mettre en œuvre, à travers une activité fondée sur le simple fait de se retrouver et de chanter, tous ces processus qui favorisent l’équilibre et l’épanouissement de l’enfant, équilibre et épanouissement sans lesquels il ne saurait y avoir acquisition des savoirs fondamentaux.

The great strength of choral singing is to encourage, through an activity based on the simple act of meeting and singing, all these processes and promote balance in child development. A balance and fulfillment without which there can be no acquisition of basic knowledge.


Isabelle Tourtet, Traduit en anglais par Benjamin O'Brien
© L'ÉDUCATION MUSICALE 2018

Les Jeux Vocaux de Guy Reibel


Guy Reibel enseigna aux côtés de Pierre Schaeffer dans la classe de composition électroacoustique et de recherche musicale au Conservatoire de Paris. De 1977 à 1986, il est responsable de plusieurs programmes radiophoniques centrés sur les musiques contemporaines. Il crée l'Atelier des Chœurs de Radio France, petite formation semi-permanente pour la création et l'interprétation d'œuvres contemporaines. Dans cet entretien avec Isabelle Tourtet, il nous livre quelques clefs d’une pratique vocale dont il est l’inventeur, les jeux vocaux, une approche originale de l’improvisation vocale collective, qui connut un immense succès en France au tournant du siècle.

J’ai découvert le jeu vocal par hasard, par accident devrais-je dire, en 1966, au Groupe de recherches musicales (GRM) de Radio France auquel j’appartenais.
C’était un lieu exceptionnel, unique, au sein duquel toutes les expériences étaient possibles. Non seulement la création musicale électro-acoustique, dans le sillage de la musique concrète découverte par Pierre Schaeffer, mais aussi la production en studio de tous les phénomènes sonores imaginables que l’on pouvait susciter pour enregistrer des matériaux sonores que l’on transformait après coup en studio, afin de composer nos œuvres, réalisées sur bande magnétique et diffusées sous l’appellation de musique concrète, électroacoustique ou électronique (déjà) ! Créateurs de sons instrumentaux et vocaux. « Prendre la chance au piège », nous improvisions avec une totale liberté.
C’est Xenakis qui m’a demandé de lui fournir des séquences vocales (je commençais à me faire une petite réputation avec les chanteurs). Un groupe de chanteurs des chœurs de la Radio est venu au studio, nous avons expérimenté avec des textes, des sons chantés, criés, murmurés, tenus, vifs, ralentis, interventions individuelles, tout ce qui nous passait par la tête. Aux innocents les mains pleines : tout cela nous dépassait par la richesse de nos trouvailles, par le plaisir que prenaient les chanteurs, la liberté de chacun, quel bonheur ! J’ai continué à réunir des chanteurs, à explorer un peu dans toutes les directions.
Ainsi sont nées des œuvres comme Durboth, Rumeurs, la Suite pour Edgar Poe, avec Laurent Terzieff, des pièces écrites (et non électroacoustiques), comme l’Ode à Villon, Carnaval. La recherche allait de pair avec la création, menées au GRM et à la Radio, avec les émissions que j’ai lancées dans les années 70, comme Les Enfants d’Orphée, les Concerts lectures, L’Oreille en colimaçon, Éveil à la musique… Je n’étais pas tout seul, j’ai développé les émissions pédagogiques avec François Delalande, Monique Frappat, Geneviève Clément, en liaison avec l’éducation nationale, les Concerts lectures avec Jean-Claude Pennetier, Jean Loup Graton. Un travail en équipe.

Quelle est l’évolution, quelles sont les nouvelles pistes d’exploration entre la 1ère phase des jeux vocaux que vous présentiez dans les années 70 et cette nouvelle proposition ?
Au début, je me suis intéressé principalement à la matière et à la forme des sons : masse des sons (accords libres), profusions harmoniques hors du tempérament, caractère de la matière : coloration, granulation, évolutions dynamiques, une manière de sculpter le son, bien dans l’esprit de certaines musiques de l’époque, la redécouverte du son comme un objet et non plus comme une note de la partition. C’était la période des musiques électroacoustiques. La musique contemporaine de l’époque redécouvrait le son par tous les moyens, dans les recherches du studio et dans les combinatoires de l’écriture. Le jeu naissant contribuait à produire des sons, à enrichir nos répertoires sonores. C’était aussi une façon de chahuter le bel ordre établi à l’intérieur des chorales !
J’ai ressenti la nécessité de réactualiser la première version des Jeux vocaux (présentées dans le livre Jeux Musicaux, Jeux vocaux publiés en 1984 chez Salabert), conçue en harmonie avec les préoccupations des compositeurs des années 60-70, centrées sur la découverte de sons nouveaux, la manière de les entendre, de les décrire, de les écrire, de les organiser.
En effet, depuis les années 2000, la pensée musicale a évolué, on a assimilé toutes les trouvailles du demi-siècle écoulé (sonores, musicales, technologiques…) et le besoin de renouer le fil avec l’histoire s’est fait sentir, de retrouver et recréer les dimensions universelles de la musique (mélodie, rythme, relation avec toutes les musiques du monde), de « réconcilier » la création avec son histoire et le monde actuel. La thématique proposée dans le DVD est, d’une certaine façon, en reflet avec les musiques d’aujourd’hui, elle a été imaginée à partir de principes fondamentaux communs à toutes les musiques, et formulée dans un langage non technique, compréhensible par tous.

Comment situer cette nouvelle proposition de jeux vocaux dans la composition musicale d’aujourd’hui ?
Le jeu, c’est le point de départ de la création, le vivier des idées. Le jeu permet de découvrir l’inconnu, de créer la surprise, de renouveler la pensée musicale. Chez tous les créateurs, d’une manière ou d’une autre, l’aventure commence par le jeu créatif, l’exploration. C’est en expérimentant que naissent les idées, se font les choix. On chantonne dans sa tête, on pianote, on laisse la pensée vagabonder, jusqu’à l’étincelle de la trouvaille. Le jeu vocal, ainsi qu’il est proposé dans le DVD, est plus collectif qu’individuel. Il organise cette exploration d’une façon plus méthodique, en rapport avec des principes et des thèmes universels afin de faciliter et stimuler l’activité créatrice des participants. Il est destiné surtout à des groupes. Le créateur, celui qui compose des œuvres, est seul par définition, mais l’accès à la création commence de la même manière que lors du jeu collectif, même s’il est moins visible. Qui cherche une idée, qui essaie un motif entre en jeu, dans le jeu. Je faisais pratiquer le jeu vocal à mes étudiants en composition au Conservatoire. Une fois l’idée trouvée, ressentie, commence l’écriture.

Quels attitudes et regards face à ces enjeux avez-vous perçus des différents chanteurs, qu’ils soient jeunes enfants, adolescents, adultes amateurs ou professionnels ?
La réaction de divers participants, depuis le tout début (les années 60), a été déterminante dans cette aventure. Tout est toujours venu d’eux, il faut le rappeler. C’est la raison pour laquelle il m’a été si difficile de proposer un cheminement organisé, ouvert, surtout pas une méthode, mais un ensemble d’incitations adaptées au plus grand nombre. À la fois précises, mais toujours ouvertes à la création individuelle et collective.

Cette formulation si simple en apparence, lisible par des participants non techniciens de la musique ou du solfège a été très difficile à imaginer. Le livret fait 20 pages. Sa rédaction a été plus difficile que le bouquin précédent (l’homme musicien, 450 pages, Édisud), qui déjà m’avait donné beaucoup de travail. Pourquoi ? Parce qu’avec le jeu, on n’en finit jamais. Le même principe suscite d’un groupe à l’autre, d’un moment à l’autre un événement nouveau, inattendu. Impossible de prédire le résultat, d’enfermer l’activité dans un cadre fixé à l’avance.
C’est la boite de Pandore de la création qui s’ouvre à chaque fois, surtout quand ça marche, quand le jeu se met à vivre. J’ai essayé d’analyser ces mécanismes de la création dans l’ouvrage que je viens de citer, mécanisme que j’ai pu observer ma vie durant d’un extrême à l’autre de la population musicale, chez mes étudiants compositeurs au Conservatoire à Paris et chez des amateurs et des enfants, identiques d’un bout à l’autre de la chaîne. Ce sont à l’origine les mêmes mécanismes, ceux de l’homme musicien, que la création révèle, musique que chaque être possède en lui, souvent même à son insu, et que le jeu libère. Le jeu nous ramène à l’origine du phénomène musical. Il nous rappelle que la musique n’est pas à l’extérieur de l’homme, dans la partition, l’instrument ou la machine qui permet de la restituer, mais à l’intérieur de l’homme. Elle existe quand on l’écoute, quand on la fait, quand on la vit. Elle n’existe qu’à travers l’homme, créateur ou auditeur (les deux attitudes se rejoignent). La pratique du jeu créateur suscite des réactions profondes, provoque parfois des bouleversements, nécessite une remise en cause de nos savoirs, de nos certitudes. Elle nécessite une concentration intense, on en sort parfois épuisés (le meneur) mais heureux, c’est une expérience qui marque ceux qui la vivent.

Quels conseils prodigueriez-vous aux enseignants pour la mise en œuvre des jeux vocaux et l’utilisation du DVD ?
D’abord, se lancer. Ce n’est pas si facile, au début. Curieusement, les praticiens « savants » (professeurs d’éducation musicale) sont parfois plus intimidés que les enseignants du 1er degré qui n’ont pas, pour la plupart d’entre eux, de formation musicale. Ne pas construire la séance de jeu comme un cours habituel, avec un parcours fixé à l’avance.
Être précis en revanche sur les règles de jeu, et en préparer à l’avance une série, dont on choisira l’ordre au fur et à mesure du déroulement de la séance, en fonction du comportement du groupe. Ne pas se croire obligé d’enchaîner les jeux dans un ordre logique. Être disponible aux attentes du groupe, être modeste, accepter d’être dépassé par les événements. Être précis et exigeant sur la règle donnée au préalable, qui va créer une contrainte (musicale et sociale) et éviter les jeux sans règles, qui deviennent en général des gesticulations décevantes. La règle fixe un cadre, indispensable pour développer le jeu créatif.
Ne pas hésiter à varier les dispositifs : jeu avec un ou plusieurs meneurs, avec participation de membres du groupe, jeu en relais, jeu en dialogue… Pour commencer la séance, mise en train, mise en voix, le « chant sauvage » comme dans Cri-silence est une excellente formule, qui ne nécessite aucun commentaire, puisque le jeu naît du dialogue entre le meneur et le groupe. Le geste est indispensable pour tous, dans la plupart des enjeux. Les mouvements du corps, associés aux sons de la voix, sont d’une importance primordiale. L’idéal est de mettre en regard un (ou plusieurs) jeu(x) avec une œuvre, un chant, d’approcher l’un en fonction de l’autre. Même d’inventer des règles de jeu inspirées de musiques existantes. L’horizon est infini !
Un conseil pratique : s’enregistrer est très utile pour le groupe qui découvre avec un vif intérêt (et souvent avec surprise) à la réécoute l’image de sa réalisation que l’enregistrement permet de fixer, pour l’analyser et la comparer avec d’autres.
Il y a un domaine important qui n’est qu’effleuré et auquel je m’attaque en ce moment : c’est la création de chansons, de mélodies. Chanter-parler, la rencontre de la mélodie et de l’harmonie naturelle, avec tout ce qui peut l’accompagner, la valoriser, la rythmer. Immense territoire.

Quelle sont les idées fondamentales que vous souhaitez transmettre à partir de vos jeux vocaux ?
Certains s’étonnent de mon enthousiasme lorsque je parle des jeux, et mon attitude peut sembler manquer, à certains égards, de modestie. La raison en est simple : je ne fais pas du jeu une affaire personnelle, comme si je parlais d’une de mes œuvres. Le jeu créatif dépasse infiniment ma modeste personne, en particulier dans une réalisation comme le DVD. La création dans le jeu n’apparaît que grâce à l’apport des participants. Je ne suis, pour ma part, que « l’allumeur », celui qui déclenche le jeu. Les faiseurs de miracles, ce sont les participants, les animateurs. Et ce DVD n’est qu’un début. Plus on pratique le jeu vocal, plus on s’étonne de l’immensité du champ musical ouvert devant nous, richesse de ce que l’on peut inventer.
La rencontre avec Michel Lemeu a été un choc, une source d’inspiration pour la conception du DVD. La richesse de l’apport des enseignements du 1er degré m’a confirmé dans l’idée que l’authenticité et la force de l’acte créateur ne sont pas liées aux connaissances techniques. Ces jeux, je les sentais lorsque je me suis lancé dans l’aventure, mais il a fallu le regard de Béatrice Heyligers er son instinct infaillible pour les capter à l’instant initial, lorsqu’ils ont le plus de force et les rendre vivants, d’une manière aussi sensibles. Tout cela me dépasse, nous dépasse.
Le jeu vocal n’est pas un simple divertissement. Il est le point de départ et l’aboutissement de toute pratique musicale ouverte. Il permet d’aller au cœur de la musique, la musique que l’on reçoit, les œuvres et les courants innombrables au sein desquels nous sommes plongés, mais aussi d’exprimer notre propre musique, celle que nous portons en nous et que nous n’osons pas manifester par timidité, par manque de confiance. La musique reçoit et se donne.
Ce DVD, Le Jeu Vocal, n’est qu’un ensemble d’incitations : à chacun de s’en emparer et de les réinventer.

Deux livres en rapport avec les jeux :
Jeux Musicaux, jeux vocaux, Salabert (1984)
L’homme musicien, Édisud (2000)

« Depuis 2007, date de cet interview, a été créé en 2015 Le Centre Européen du Jeu Vocal, avec pour missions principales la formation, l’organisation de manifestations, la recherche et la création.

Quelques actions concrètes:

Au Conservatoire National Supérieur de Musique de Paris (CNSMDP):

- L’Atelier de composition de musique vocale ouvert aux étudiants du conservatoire, lancé en 2015
- L’Atelier public de jeu vocal hebdomadaire au CNSMDP qui débute à la rentrée 2018 le 4 octobre ouvert au public, aux formateurs (enseignants, chanteurs…) et aux migrants tous les jeudis soirs.
- Mise en oeuvre de la mission confiée par le Ministère de la Culture au Centre Européen du Jeu Vocal dont l’objet est le développement de la pratique chorale à l’école au moyen du jeu vocal . Il s’agit de former des formateurs en partenariat avec des organismes (CFMI, conservatoires, universités, associations…) concernés par ces actions. »

Quelques nouvelles publications aux Éditions Musicales Artchipel :

Dessine-moi la musique, DVD sur le jeu vocal :

http://www.artchipel.net/produit/dessine-moi-la-musique-guy-reibel/

Musaïchoeurs, vol. 1

http://www.artchipel.net/produit/musaichoeurs-2/*

Le volume 2 est en cours d’édition et sortira d’ici la fin de l’année

Le Piano Symétrique, vol. 1, 2 et 3

http://www.artchipel.net/produit/le-piano-symetrique-volumes-1-2-3/

Le volume 4 est en cours d’édition et sortira d’ici la fin de l’année”

Isabelle Tourtet
© L'ÉDUCATION MUSICALE 2018

Graphical scores distributed and synchronized by WIFI
Partitions graphiques distribuées et synchronisées par WIFI



@Decibel ScorePlayer

Network-synchronised scrolling scores on multiple tablet computers facilitate the reading of works featuring predominantly graphic notation in rehearsal and performance, and can be used in the creation of new works, as well as the interpretation of existing pieces

Les partitions d’aujourd’hui, synchonisées en réseau, et déroulant sur de multiples écrans, peuvent faciliter la lecture de notations graphiques, en concert comme en répétitions, pour la création de nouvelles oeuvres, comme pour l’interprétation de pièces existantes


@SmartVox

In the contemporary music world, composers and instrumentalists still mostly rely on the paper-score paradigm.

Dans la musique contemporaine, compositeurs et instrumentistes utilisent essentiellement des partitions papier traditionelles.

However, some composers/researchers today - such as Cat Hope, Lindsay Vickery, Georg Hajdu, Benjamin Matuszewski, Dominique Fober and Jonathan Bell - call this model into question, proposing another approach to time and synchronization that further expands the compositional palette: how is the performer informed, how does he/she perceive a score whose notation is animated (screen-score), when scrolling graphics replace traditional bars & beats notation?

Pourtant, certains compositeurs/chercheurs, comme Cat Hope, Lindsay Vickery, Georg Hajdu, Benjamin Matuszewski, Dominique Fober et Jonathan Bell, remettent ce modèle en question, en proposant une nouvelle approche du temps et de la synchronisation, étendant ainsi leurs perspectives compositionnelles: comment “informer” l’interprète, comment ce dernier perçoit-il comment perçoit-il une partition dont la notation est animée (screen-scores), lorsque le défilement graphique remplace la notation traditionnelle du rhythme et des mesures?

In music relying on duration or cues rather than a metric pulse, these new forms of representations can help performers synchronizing with a tape, evaluating the speed of a gesture, the length of a breath...

Dans les musiques reposant sur des durées, ou une rythmique instable, plutôt que sur une métrique régulière, ces nouvelles formes de représentations aident l’interprète à se synchroniser avec une bande électro-acoustique, à évaluer la vitesse d'un geste, la durée d'un souffle …

In languages based on just intonation and microtonal harmonies, multimedia scores can also convey sounds, thus helping each singer and instrumentalist of an ensemble tuning with an unprecedented accuracy.

Dans les langages utilisant des harmonies spectrales, des micro-intervales, (comme les quarts de tons), les partitions multimédias peuvent également transmettre des sons, aidant ainsi chaque chanteur ou instrumentiste d'un ensemble à s’accorder avec une grande précision.

But then, what changes in chamber music in the context of those Networked Music Performance (NMP), when scores are synchronized through WIFI, and displayed on each player’s laptop, tablet or phone.

Mais alors, que devient la musique de chambre dans le contexte de ces performances en réseau (NMP Networked Music Performances), lorsque les partitions sont synchronisées en WIFI et affichées sur des tablette ou le téléphone des interprètes?

Today’s technology makes these scenarios extremely affordable, and softwares like Decibel scorePlayer, INScore, Max Score and SmartVox, are currently investigating simple ways of making these available through the Babelscore network.

La technologie actuelle rend de tels scénarios peu coûteux, et des logiciels comme Decibel scorePlayer, INScore, Max Score et SmartVox étudient actuellement des moyens simples de les rendre disponibles via le réseau Babelscore.


Lien vers la publication originale babelscore

Babelscores

Jonathan Bell



Cinezik
lagrandeevasion.fr
Pedro Garcia-Velasquez
delibere.fr

PORTRAIT

Compositeur nominé pour le prix Gaudeamus 2018 :
Gaudeamus Award 2018 Nominee :

WILLIAM DOUGHERTY

Un portrait par Jan Nieuwenhuis (traduction Jonathan Bell)


Le compositeur américain William Dougherty (1988) écrit une musique qui demande différents niveaux d'écoute. Son travail consiste souvent en des «textures continues, évoluant lentement» qui encouragent l'auditeur à considérer ce qu'il appelle la «vie intérieure» du son. "La musique a le pouvoir d'ouvrir les esprits, d'encourager l'autoréflexion, de considérer les choses en dehors d'elles-même et de proposer de nouvelles expériences, de nouvelles manières d'écouter et de penser le monde."

The American composer William Dougherty (1988) writes music that asks for different levels of listening. His work often consists of “continuous, slowly evolving textures” that encourage the listener to consider what he calls the ‘inner life’ of sound. “Music has the power to open people’s minds, to encourage self-reflection, to consider things outside of themselves and to offer up new experiences, new ways of listening and thinking about the world.”


Dougherty a commencé tôt la musique: “Il y avait un piano quart de queue dans le salon de notre famille à Philadelphie.
C'était mon vaisseau spatial et me protégeait comme un château fort. J'ai commencé à jouer quand j'avais probablement deux ans, puis commencé les leçons à cinq ans.”
Beaucoup plus tard au lycée, Dougherty a été absorbé par ses cours d’analyse musicale, surtout en découvrant le poids des structures sous-jacentes en musique: “ce qui m’a toujours fasciné, c’est qu'il y a des «règles» en musique. J'ai entendu et ressenti ces émotions en écoutant de la musique, et soudainement il y avait une structure. C'était un si beau concept. Comme disait mon professeur d’analyse, si vous jouez un accord de septième diminuée, on dirait une dame sur les rails de chemin de fer, dans un film en noir et blanc, sur le point d'être écrasée par un train. C'est plein de tension et il y a une raison à cela acoustiquement. Ce sont ces structures sous-jacentes, dans la musique, dans les sons eux-mêmes, qui provoquent mes émotions. Ça provoque des sentiments. Ainsi, je pouvais recréer les choses qui m'ont ému. C’est ce qui m'a permis de continuer, jusqu’à aujourd’hui.”

Dougherty started playing music at an early age: “There was a baby grand in our family’s living room in Philadelphia.
It was my spaceship and would double as a fort. I started actually playing when I was probably two or so and I began taking lessons when I was five.”
Much later in high school Dougherty became consumed by his music theory classes, especially upon discovering the weight of music’s underlying structures: “What always fascinated me was that there are ‘rules’ to music. I’ve been hearing and feeling these emotions listening to music, and suddenly there was a structure. That was such a beautiful concept. If you play a fully diminished chord, my music theory teacher would say, it sounds like the lady on the tracks in a black and white movie about to be run over by a train. It’s full of tension and there’s a reason for that acoustically. The structure under the music and within the sounds themselves is moving my emotions. It’s making me feel. Suddenly I could create the things that moved me. That got me going and it still does.”

C'est un souvenir qui fait écho aux goûts de Dougherty: « Durant mes études supérieures, j'ai découvert les œuvres de Gérard Grisey, Horaţiu Rădulescu et Giacinto Scelsi. Cette musique m’a bouleversé quand je l'ai entendu pour la première fois. C'est plus sur la texture et la couleur. Je voulais sortir de la tradition qui exige de l'auditeur une éducation musicale vraiment complète pour comprendre ce qui se passe.
Vous n'avez pas besoin de savoir qu'une mélodie est inversée pour ressentir le poids du son. Je veux encourager une expérience sensuelle dans ma musique. »

This is a memory that resonates with Dougherty’s musical preferences: “during my graduate studies I discovered the works of Gérard Grisey, Horațiu Rădulescu and Giacinto Scelsi.
This music blew my mind when I first heard it. It’s more about texture and color. I wanted to get out of the tradition that demands of the listener a really comprehensive musical education to understand what’s going on.
You don’t need to know that a melody is inverted to feel the weight of the sound. I want to encourage a sensuous experience in my music.”

Il n’y a donc qu’un pas entre cette approche et celle de compositeurs américains comme Pauline Oliveros ou Alvin Lucier. Comme chez Dougherty, l’évolution procède de textures statiques évoluant lentement: « dans leur musique, vous devez écouter dans le son. Il s'agit d'un état d’esprit différent. Le changement se produit à un niveau microscopique. Vous devez écouter d'autres paramètres dans le son afin de trouver ce changement. Ces textures sont vraiment statiques et se déplacent de façon infime. Si vous le regardez d'une manière traditionnelle et que vous effectuez un zoom arrière, vous pouvez dire qu'il ne se passe rien dans cette pièce. C'est simplement un glissando pendant dix minutes. D’un point de vue superficiel c'est vrai. Mais les changements sont au niveau microscopique: les rythmes de battement qui se produisent lorsque certaines hauteurs passent sur d'autres hauteurs, ou les accords formés par différents sons joués en même temps. »

From there it is not a big step to American composers like Pauline Oliveros and Alvin Lucier. They share a similar musical space with Dougherty’s music, one full of slowly evolving static textures: “in their music you have to listen into the sound. It’s about a different mind space. The change is happening at a micro level. You need to listen to other parameters within the sound in order to find that change. These textures are really static and slowly moving. If you look at it in a traditional way and you zoom out, you could say that nothing happens in this piece. It’s literally a glissando up for ten minutes. On a surface that’s true. But the changes are on the micro level: the beating patterns that happen when certain pitches pass other pitches or combination tones created by different tones played at the same time.”

Dougherty joue avec cette écoute microscopique dans Three Formants (2014) pour cinq trombones et un grand espace de résonance. Pourtant, il prend également position sur l’écoute de la forme globale: «Parfois, je veux changer le niveau d'écoute, pour encourager aussi les gens à écouter la macrostructure. Si vous faites un changement rapide, je trouve que vous écoutez soudainement la plus grande forme de la pièce. Dans Three Formants, il y a ces petites sections de sons. Près de la fin, les trombones jouent presque deux minutes de sons multiphoniques, un son bourdonnant avec la qualité de deux tons, presque comme une guitare électrique. Là, vous allez de la macro à la micro-structure. "

Dougherty is playing with this microscopic listening in Three Formants (2014) for five trombones and a big resonant space. Yet, he gives a different take on the global form: “I sometimes want to change the level of listening, to encourage people to listen to the macrostructure as well. If you make a quick change I find that you are suddenly listening to the larger form of the piece. In Three Formants there are these small sections of sounds. Near the end the trombones play nearly two minutes of ear-splittingly loud split tones, a buzzing sound with the quality of two tones, almost like an electric guitar. There you go from macro to micro.”


The new normal (2016) montre un autre aspect de Dougherty. S'il ne se considère pas comme un compositeur politique, cette composition s'engage activement sur les questions sociales: “J'ai écrit cette pièce à l'été 2016. C'était un moment critique; Trump était en train de gagner, le Brexit venait de se produire, tous ces partis de droite à travers l'Europe se levaient à cause de l'afflux d'immigrants en provenance de Syrie. Philando Castille, ce jeune noir conduisant dans le Minnesota, s'est fait tirer dessus et a été abattu sur Facebook Live par un policier. J'ai pensé que je pourrais écrire une autre pièce offrant un monde différent, qui encourage les gens à écouter différemment, à réfléchir sur eux-mêmes, ou, pourrait-on dire, quelque chose de plus direct, qui soit plus concrètement engagé sur ces questions. Comment écrire encore une musique ésotérique quand de tels événements ont lieu? "

Cependant, il y a d’autres strates dans cette pièce. Dans son immédiateté politique the new normal est vraiment une composition de son temps. Pas seulement à cause du message qu'évoque Dougherty, mais surtout à cause du large spectre de références et de citations musicales qu'il utilise. Le monde sonore de Dougherty est traversé par la sérénité de la musique de la Renaissance jumelée à la musique violente de l'artiste de bruit japonais Merzbow, ou encore des échantillons de prisonniers noirs chantant Old Alabama tout en travaillant sur des voies ferrées. Dans un sens, la pièce peut être perçue comme un codex d'expériences d'écoutes du XXIe siècle: on passe ainsi facilement de l’une à l’autre de ces musiques très différentes sans porter de jugement. C’est donc peut-être l'une des lignes directrices de cette pièce: apprécier la différence, se l'approprier et l'accepter de la même manière.

The new normal (2016) shows a different side of Dougherty. While he doesn’t regard himself a political composer, this composition engages actively with social issues: “I wrote this piece in the summer of 2016. It was this building moment; Trump was winning, Brexit just happened, all these right-wing parties throughout Europe were rising because of the influx of immigrants from Syria. Philando Castille, this young black guy was driving in Minnesota, got pulled over and was shot on Facebook Live by a police officer. I thought, I could write another piece that offers a different world of sound that encourages people to listen differently and be self-reflective, or I could say something more direct that engaged more concretely with these issues. How am I supposed to write another piece of esoteric sound when this is going on?”


However, there are more layers to the piece. In its political directness the new normal is truly a composition of its time. Not only because of the message Dougherty evokes, above all because of the broad spectrum of references and musical quotes he uses. There’s the serenity of Renaissance music paired next to the violent music of the Japanese noise artist Merzbow, and samples of Black prisoners singing Old Alabama while working on railroad tracks that pass through Dougherty’s sound world. In a sense the piece can be perceived as a codex of the twenty-first century listening experience, where one switches as easily between all those very different kinds of music without judging them differently. Maybe that is that strongest statement of this piece: appreciating difference and treating and accepting it alike.


Jan Nieuwenhuis (traduction Jonathan Bell)
© L'ÉDUCATION MUSICALE 2018

Compositeur nominé pour le prix Gaudeamus 2018 :
Gaudeamus Award 2018 Nominee :

Matthias KRÜGER

Un portrait par Jan Nieuwenhuis (traduction Jonathan Bell)


«Nous avons besoin d'une musique érotique», déclare le compositeur allemand Matthias Krüger (1987).

“We need an erotics of music,” says the German composer Matthias Krüger (1987).

“Il y a ce genre de sensualité dans la musique. On a l'intuition de cela. C’est en fait un sentiment assez clair, mais c’est difficile à définir précisément. Une bonne musique vous donne la chair de poule, comme si elle vous touchait, une caresse. Dans un sens c'est un acte amoureux.”

“There’s this kind of sensuality in music. You have a hunch of it. It’s actually a pretty clear feeling, but you’re not able to put your finger on it. Good music offers you goose bumps, as if it touches you, a little caress. In a way it is an act of love.”

Quand il était jeune, Matthias Krüger jouait de la flûte à bec, du violon, du piano et de l'alto, mais il ne pensait pas à une carrière musicale:

When he was young, Matthias Krüger played the recorder, the violin, the piano and the viola, but he never thought about a musical career:

«J'étais vraiment accro au cinéma. J'avais ma propre vidéothèque et je faisais des courts métrages au lycée. J'ai aussi écrit un roman à l'âge de douze ans. Je ne l'ai jamais fini, parce que j'ai perdu tout intérêt pour l'histoire, mais j'ai toujours été intéressé par la création de choses, peu importe le support.

“I was really a movie addict. I had my own videotape archive and I made short movies in high school. I also wrote a novel when I was twelve. I never finished it, because I lost interest in the story, but I was always interested in creating things, no matter the medium.”

La musique était là comme fond d'écran. Je n'y faisais pas vraiment attention. Jusqu'à ce que je commence à composer de la musique pour mes propres films, je ne réalisais pas que je voulais faire de la musique.

Music was there as a background wallpaper. I didn’t really pay attention to it. Until I began composing music for my own movies, I didn’t realize that I wanted to make music.”

Krüger se souvient d'une performance de l'artiste Tino Sehgal au Martin-Gropius-Bau à Berlin, alors qu'il composait Wie ein Stück Fett (Redux) (2016). Cela a eu un impact profond sur sa conception des relations humaines lors d'une performance musicale: «J'ai vu son spectacle This Variation. La performance a commencé dans une pièce complètement sombre, il faisait noir. Je ne pouvais rien voir, mais je pouvais entendre des gens danser et chanter.

Krüger recalls a performance of artist Tino Sehgal in the Martin-Gropius-Bau in Berlin, while composing Wie ein Stück Fett (Redux) (2016). It made a profound impact on his conception of human relationships during a musical performance: “I saw his show This Variation. The performance started in a completely dark room, it was pitch black. I couldn’t see anything, but I could hear people dancing and singing.

À un moment donné, une vingtaine d’interprètes sortirent de la pièce dans l’immense atrium et ont commencé à ramper au le sol dans l’obscurité de la pièce, chantant un motif sonore minimaliste. J'étais assis sur un petit escalier et ils devaient passer près de moi. A un moment donné, le type est venu vers moi et je voulais le laisser passer, mais il m'a retenu.

At some point some twenty performers stormed out of the room into the huge atrium and started crawling over the floor back into the darkness of the room, singing a minimalist sound pattern. I was sitting on a little staircase and they had to pass by me. At some point this guy came crawling up to me and I wanted to get out of his way, but he held me back.

Il a mis sa tête sur mon genou et a continué à chanter ce motif mélodique simple mais étrange. Cela a duré environ deux minutes. Quand ce moment de calme fut terminé, il rampa dans la pièce. C'était une sorte d'acceptation de ce qui se passait là, de la réalité et des comportements. Les artistes vous offrent l'opportunité de la chair de poule; ça ressemble presque à une caresse ou à un cadeau. Je pense que cela a beaucoup à voir avec la sensualité ». Surtout le traitement de la voix par Krüger dans Wie ein Stück Fett (Redux) évoque cette sensualité dans sa musique, une voix qui chante, parle, crie, pleure et marmonne.

He put his head on my knee and kept singing this simple, yet weird melodic pattern. That lasted for two minutes or so. When this moment of stillness was over he crawled back in the room. There was a kind of acceptance in there, of reality and fellow human beings. The performers offer you the opportunity of goose bumps; it feels almost like a caress, or a gift. I think that has a lot to do with sensuality.” Especially Krüger’s treatment of the voice in Wie ein Stück Fett (Redux) evokes this sensuality in his music, a voice that sings, speaks, screams, cries and mutters.

De la même manière, Krüger veut mettre en scène l'humain dans sa musique. Dans LAL (First Draft) (2015), par exemple, il déclare explicitement que l'accordéoniste et le joueur de cornemuse turc n'ont pas besoin d'être formés professionnellement.

In a similar way Krüger wants to stage the human in his music. In LAL (First Draft) (2015) for example, he explicitly states that the accordionist and Turkish bagpipe player needn’t be professionally trained in their instruments

Pour lui, c’est une manière de montrer l’humain derrière le musicien: «la virtuosité de la virtuosité ne sert à rien. Un musicien hautement qualifié jouant parfaitement des gammes très difficiles ressemble plus à une machine. Si quelqu'un ne contrôle pas tout, il y a un véritable drame sur scène. Il ou elle lutte, essayant de donner un sens à quelque chose et apprivoiser les forces de la nature. Il y a un aspect à la fois de découverte et de jeu qui fait que l’être humain ré-apparaît sur scène. »

For him it is way to show the human behind the musician: “there’s no point to virtuosity for virtuosity. A highly trained musician playing very difficult scales perfectly is more like a machine. If someone doesn’t control everything, there’s real drama on stage. He or she is struggling, trying to make sense of something and taming the forces of nature. There’s an aspect of both discovery and playfulness that makes the human being reappear on stage.”

Ce côté ludique a également une autre dimension, plus humoristique, dans l’œuvre de Krüger: «Très souvent, je finis par utiliser des éléments de ma musique que j’ai trouvé en plaisantant lorsqu’on essayait avec un interprète. Je l'ai fait avec l'accordéon solo Die Menschen sind Engel und leben im Himmel (2017).

This playfulness also has another, more humoristic dimension in Krüger’s work: “Very often I end up using elements in my music that I came up with as a joke when trying things out with a performer. I did that with the solo accordion piece Die Menschen sind Engel und leben im Himmel (2017).

Je voulais que l'interprète tire la langue et la déplace très vite tout en jouant un trille à l’instrument. C’était vraiment idiot et je ne pensais pas l’utiliser. Mais ça a déclenché en moi une réaction si forte que je me suis dit, après tout, pourquoi ne pas l'utiliser pour de vrai? D'une certaine manière, ces blagues remplissent une fonction spécifique: elles créent un moment de complicité entre le musicien et le public, un clin d'œil, encore un peu de tendresse.

I wanted the performer to stick out his tongue and moving it back and forth really fast while playing a trill at the same time. That was really silly and I didn’t think I’d use it. But it triggered a very strong reaction in me, it felt right using it in the end, so why not use it for real? In a way, these jokes fulfil a specific function: they create a moment of complicity between the musician and the audience, a wink of the eye, a little caress.”


Jonathan Bell
© L'ÉDUCATION MUSICALE 2018

Compositeur nominé pour le prix Gaudeamus 2018 :
Gaudeamus Award 2018 Nominee :

Sebastian Hilli

Un portrait par Jan Nieuwenhuis (traduction Alexandre Craman)


Le compositeur finlandais Sebastian Hilli est toujours à la recherche de musique enchanteresse. «Je veux toujours me mettre au défi, ma pensée et ma musique. Prendre des risques peut être difficile, mais cela peut générer des imprévus, faire surgir des choses que l’on pensait impossibles. Cela peut mener à quelque chose de vraiment intéressant et de beau.

Finnish composer Sebastian Hilli is always in search of enchanting music. “I always want to challenge myself, my thinking and my music. Taking risks can be a struggle but it can generate something unexpected, something that you thought wasn’t doable at first. It can lead to something really interesting and beautiful.”

Hilli a commencé la musique dès son plus jeune âge. «J'ai d'abord joué du piano classique et mon intérêt pour la composition a commencé par l'improvisation. J'aime improviser vraiment librement, à partir de rien. Sans règles ni styles, Sans ces choses qui restraignaient le jeu du piano classique.

From an early age Hilli started making music. “I first played classical piano and my interest in composition started with improvisation. I like to improvise really free, mostly from scratch. Without rules or styles, things that were restricting the classical piano playing.

C'est ainsi que je me suis intéressé à créer quelque chose en musique. Au lycée, j'avais un professeur de musique qui m’a conseillé d’écrire mes improvisations. C'est à ce moment que j'ai commencé à composer.

That is how I became interested in creating something in music. In high school I had a music theory teacher and she said that I should write down my improvisations. That’s when I started composing.”

Cela semble être un début paradoxal lors de l’écoute de la composition de Hilli. Sa musique est bien conçue, très précisément structurée et notée en détail. Comme l'indique son site Web, il se caractérise par des textures tissées complexes, des sonorités nuancées [et] des processus à longue échelle.

It seems a paradoxical start when listening to Hilli’s compositional output. His music is well crafted, very precisely structured and notated in detail. It is, as his website states, “characterized by complex woven textures and nuanced sonorities [and] long-span processes.”

Son concerto pour guitare et ensemble de chambre Confluence / divergence (2013-2015) est un bon exemple en ce sens. Il lui a fallu deux ans pour l’écrire, car il «travaillait avec des combinaisons complexes d'entités sonores et de techniques instrumentales qui exigeaient une étude et une exploration plus poussées des méthodes de notation raffinées».

His concerto for guitar and chamber ensemble Confluence/divergence (2013–2015) is a good example of these characteristics. It took two years to write, because he “worked with complex combinations of sound entities and instrumental techniques that demanded further studying and exploring of refined ways of notation.”

Il n’y a pas beaucoup de place pour l’improvisation des interprètes. Cependant, on peut encore perçevoir son intérêt pour l'improvisation dans sa musique. Plus particulièrement dans Paraphrase II (2016), (une série de trois pièces à ce jour), où il cite la musique du saxophoniste improvisateur de jazz John Coltrane. Dans la série Paraphrase, il utilise des pièces spécifiques d'autres compositeurs ou styles de musique qui font écho à son propre travail.

There’s not much room for performers to improvise. Yet, his interest in free improvisation can still be perceived in his music. Most notably in Paraphrase II (2016), from a series of three works to date, where he quotes the music of jazz saxophonist and improviser John Coltrane. In the Paraphrase series he uses specific pieces by other composers or styles of music that he reflects on in his own work.

La première Paraphrase (2015) utilise une chanson de Jean Sibelius basée sur le poème Verandan vid havet du poète suédois Viktor Rydberg. La troisième Paraphrase (2016) est basée sur le madrigal O dolorosa gioia de Carlo Gesualdo. Dans Paraphrase II, Hilli fait explicitement référence à la composition de John Coltrane, Giant Steps, ainsi qu’aux idées empruntées à la acid house. Mais ce n’est pas tout: en fait l’utilisation de musiques pré-éxistantes est une technique très utilisée dans ce cycle de pièces

The first Paraphrase (2015) makes use of a song by Jean Sibelius that is based on the poem Verandan vid havet by the Swedish Poet Viktor Rydberg. The third Paraphrase (2016) is based on Carlo Gesualdo’s madrigal O dolorosa gioia as a point of departure. In Paraphrase II Hilli makes explicit references to John Coltrane’s composition Giant Steps as well as ideas borrowed from the music genre acid house. But there’s more to it. In fact, using other music is an often-used technique in this set of pieces:

«C'est un moyen important de traiter les problèmes d'un style spécifique et de réfléchir à ma propre musique. Je commence par bien connaître le matériel. Les premières esquisses sont presque des transcriptions. Pas à pas, je me rapproche de mon propre style, mais une partie du matériel original reste. C'est une manière intéressante de découvrir différents éléments et de trouver quelque chose de nouveau. »

“It is an important way to deal with issues of a specific style and reflect on my own music. First I get to know the material really well. The first sketches are almost transcriptions. Step by step I get closer to my own style, but some of the original material remains. It is an interesting way to get to different elements and find something new.”

Pour Hilli, l'histoire de la musique est presque comme un coffre au trésor musical, dans lequel il puise des joyaux merveilleux. Il donne une nouvelle lecture du passé musical et, une fois terminée, elle apparaît comme étant sienne.

For Hilli, music history is almost like a musical treasure chest, from which he picks wonderful gems. He gives a new reading of the musical past and after he is finished it can only be described as his own.

En même temps, il s'inspire de sources extérieures au domaine strictement musical. Prenez le quatuor à cordes Hilli Elogio de la Sombra (2015), basé sur un cycle de poèmes de Jorge Luis Borges. «Il y a une sorte d'atmosphère onirique ou mystique dans ces poèmes, vraiment magnifiques. Je voulais transcrire cela de la même manière. J'ai donc utilisé le langage et la forme de ces poèmes et j'ai essayé d'entrer dans le texte en écrivant de la musique».

At the same time he is inspired by sources outside of the strictly musical domain. Take Hilli’s string quartet Elogio de la Sombra (2015), which is based on a cycle of poems by Jorge Luis Borges. “There is a kind of dreamlike or mystical atmosphere to these poems, really beautiful. I wanted to transcribe that in a similar way. So I used the language and the form of these poems and I tried to get into the text by writing music.”

Bien que sa musique soit très technique et virtuose, le résultat sonore n’est pas difficile en soi. C'est plutôt direct. Ou mieux, Hilli essaie de transmettre quelque chose de purement musical, quelque chose qui touche l'auditeur, sans être trop clair pour autant: «Quand j'ai commencé à composer, je m'intéressais surtout à la partie que je ne pouvais décrire. D'où vient cette musique, et ses idées? Ce sont des petites choses qui m'attirent en musique. Cela me fascine toujours, ces gestes musicaux qui créent une atmosphère avec un caractère mystique. »

While his music is very technical and virtuoso, the sounding result isn’t difficult per se. It is rather quite direct. Or better, Hilli tries to convey something purely musical, something that touches the listener, but isn’t quite clear: “When I started composing I was mostly interested in the part that I couldn’t describe. Where is this music coming from, and the ideas? These are little things that draw me towards music. That still fascinates me, those musical gestures that create an atmosphere with a character of mysticism.”


Alexandre Craman
© L'ÉDUCATION MUSICALE 2018

Compositeur nominé pour le prix Gaudeamus 2018 :
Gaudeamus Award 2018 Nominee :

Raphaël Languillat

Un portrait par Jan Nieuwenhuis (traduction Jonathan Bell)


Pour le compositeur et plasticien français Raphaël Languillat (1989), la frontière entre les deux domaines est ténue:
il mêle souvent sa musique avec des éléments visuels comme des éclairages, des projections live ou des vidéos. Une grande partie de sa musique est inspirée par la peinture.

For the French composer and visual artist Raphaël Languillat (1989) there is no difference between his works in these two domains.
In fact, he often combines his music with visual elements like lighting, live projections or video’s. A lot of his music is inspired by paintings.

Outre les raisons esthétiques, cet engagement reflète aussi une réflexion sur le rôle du compositeur d’aujourd’hui: «Dans vingt ans, le cliché des “ compositeurs classiques” n’existera plus, à cause de la complexité de notre vie.

Besides aesthetic reasons, it’s just as much a reflection on the present-day composer: “In twenty years the cliché of the ‘classical composers’ will no longer exist, because of the complexity of our life.

Les compositeurs doivent s’ouvrir à d'autres domaines que la musique pour repenser l'idée du concert. »

Composers need to become more flexible in other domains than music to reconsider the idea of a concert.”

Prenez l’œuvre Crucifixion (d’après Le Pérugin) (2015) de Languillat pour un ensemble de chambre. Il a écrit cette pièce après avoir vu la peinture de Pietro Perugino de la crucifixion du Christ de 1496.

Take Languillat’s work Crucifixion (d’après Le Pérugin) (2015) for a chamber ensemble. He wrote this composition after seeing Pietro Perugino’s painting of the crucifixion of Christ from 1496.

Bien que l'influence de la peinture soit assez évidente - comme le montrent le placement des musiciens sur scène en trois duos, comme dans le triptyque du Perugino - la composition elle-même est centrée sur des questions visuelles et esthétiques, explique Languillat:

While the influence of the painting is quite obvious—as can be seen by the placement of the musicians on stage in three duos like Perugino’s triptych—the composition itself focuses on visual and aesthetic questions, as Languillat explains:

«Comment représenter une telle souffrance dans une scène aussi paisible? Qu'est ce qu'un paysage en musique? Que peut signifier une fresque de la Renaissance au XXIe siècle?

“How can one represent such suffering in such a peaceful scene? What is a landscape in music? What can a Renaissance fresco mean to us in the twenty-first century?

Et comment puis-je réinterpréter le chef-d’œuvre du Perugino dans ma musique? » Ces questions peuplent la pensée de Languillat.

And how can I reinterpret Perugino’s masterpiece in my music?” These questions often inhabit Languillat’s mind.

C'est ainsi qu'il envisage un nouvel élément visuel pour la représentation de Crucifixion (d’après Le Pérugin) pendant Gaudeamus: «La peinture est vraiment calme, en particulier le paysage en arrière-plan.

Even so that he envisions a new visual element for the performance of Crucifixion (d’après Le Pérugin) during Gaudeamus: “The painting is really calm, especially the landscape in the background.

Les détails sont fabuleux: la matière du bois par exemple, le métal des clous ou la position des mains des gens. Je veux réaliser une nouvelle vidéo qui va mélanger la photographie et la vidéo au ralenti pour souligner le calme de la peinture et du paysage ombrien».

The details are fabulous: the material of the wood for example, the metal of the nails or the positions of the hands of the people. I want to realize a new video that will blur together photography and slow-motion video to underline the peacefulness of the painting and the Umbrian landscape.”

Alors que les arts visuels et la musique sont souvent considérés comme deux mondes différents, ils sont proches pour Languillat: «La composition est un mot très abstrait, mais une image ou un bâtiment est aussi une composition. C’est surtout une question de ligne, d’ombre et de lumière.

While visual art and music are often seen as two different things, they are for Languillat about one and the same thing: “Composition is a very abstract word, but an image or a building is also a composition. It’s mostly a question of line, of shadows and light.

En photographie, vous trouverez les mêmes questions. J'aime les deux formes d'art, car la musique et la photographie partagent les mêmes problèmes. Comment une série de photographies peut-elle être musicale et qu'est-ce que cela signifie? Quand il y a deux champs séparés, je veux trouver ce qu'ils ont en commun et les unifier.»

In photography you have all these questions too. I like both art forms, because both music and photography share the same issues. How can a series of photographs be musical and what does it mean? When there are two separate fields I want to find what they have in common and unify them.”

Une autre pièce exemplaire est La Flagellation du Christ (d’après Le Caravage) (2016) pour piano solo, basée sur le tableau du même titre datant de 1607 par Caravaggio. Le style est complètement différent de celui de Perugino, tout comme la musique de Languillat.

Another exemplary piece is La Flagellation du Christ (d’après Le Caravage) (2016) for solo piano, based on the painting of the same title from 1607 by Caravaggio. The style is completely different from Perugino’s painting and so is Languillat’s music.

C'est une séquence répétitive de notes rapides, presque le tourment du supplice lui-même. La paix contemplative de Crucifixion fait place à une atmosphère beaucoup plus sombre: «Caravaggio est pour moi une photographie en studio. C’est toujours très sombre.

It is a fast repetitious sequence of notes, almost a torment to perform in itself. The contemplative pace of Crucifixion makes place for a much darker atmosphere: “For me, Caravaggio is in-your-face studio photography. It’s always very dark.

Il y a beaucoup de nus, des corps vraiment athlétiques. Les scènes sont brutales. La lumière est dure. J'ai eu la chance de voir ce tableau à Milan. Il est très grand et remplit tout l'espace. Il penchait un peu vers l'avant, presque comme s'il tombait sur moi.

There are lots of nudes and really athletic people. The scenes are brutal. The light is harsh. I had the chance to see this painting in Milan. It’s very big and fills the whole space. It was tilting a bit forward, almost as if it was falling on top of me.

Étonnant : j'ai alors compris le poids de sa (la) peinture. »

Amazing, then I understood the weight of the painting.”

Languillat transfère l'obscurité du tableau et le clair-obscur typique (contraste accentué entre l'obscurité et la lumière pour suggérer le volume des sujets représentés) à l'éclairage ambiant de la performance.

Languillat transfers the darkness of the painting and the typical chiaroscuro—accentuated contrast between dark and light to suggest volume of the depicted subjects—to the ambient lighting of the performance.

La salle doit donc être aussi sombre que possible, avec une lumière sur le pianiste qui sera filmé en gros plan lors de la performance épuisante, pour visualiser la souffrance physique et psychologique de la flagellation elle-même.

The hall must be as dark as possible, with one light on the pianist who will be filmed close-up during the exhausting performance, to visualize the physical and psychological suffering of the flagellation itself.

Bien que ces peintures soient belles en elles-mêmes, il existe, pour Languillat, une couche plus profonde que la simple esthétique: «Je m'intéresse à ces peintures car elles remettent en question la perte de spiritualité dans notre société européenne d’aujourd’hui.

While these painting are beautiful in their own right, there is, for Languillat, a more profound layer beyond mere aesthetics: “I’m interested in these paintings because they question the loss of spirituality in our European society today.

La spiritualité concerne l'espace, la concentration et le silence. Pas le temps agité d’aujourd'hui, rempli d'accélération, de superficialité et de progrès. »

Spirituality has to do with space, focus and silence. Not with the agitated time we are living in now, filled with acceleration, superficiality and progress.”

Le silence et la contemplation que Languillat recherche dans ces peintures et qu'il transpose à sa propre musique, lui offrent une alternative pour notre société actuelle. :

The silence and contemplation that Languillat looks for in these paintings and that he transposes to his own music, offer him an alternative for our present-day society:

«Notre époque est très complexe, et abonde d'informations. Facebook, Instagram, Twitter et les journaux imposent un flux constant d'informations dont nous n'avons pas besoin.

“Our time is very complex, there’s too much information. Facebook, Instagram, Twitter and the newspaper, there’s a constant flow of information that we don’t need.

Nous devons nous concentrer davantage. Je veux unifier mes créations visuelles et ma musique, car je pense qu'il est possible de créer de nouveaux espaces psychiques, laissant place à la spiritualité, la contemplation et la beauté».

We need to concentrate more. I want to unify my visual art and music, because I think there is a possibility to create new psychological spaces, where there is room for spirituality, contemplation and beauty.”


https://gaudeamus.nl/en/pioniers/raphael-languillat/
Jonathan Bell
© L'ÉDUCATION MUSICALE 2018

Emmanuel Despax, pianiste



@ Luca Sage

‘Poetry fused with breathtaking technical perfection’ and ‘a master colourist with genius-like ability’ is how the brilliant French pianist Emmanuel Despax was described after his acclaimed recitals at the Louvre auditorium in Paris and Wigmore Hall in London. Despax is establishing himself as an artist whose interpretations bring a rare sincerity and imagination to the music. He performs internationally and is regularly broadcast on many radio stations including France Musique, BBC Radio 3, Classic FM and Medici TV.

"Le poète fuse avec une perfection technique à couper le souffle" et "un coloriste de génie", c'est ainsi que le brillant pianiste français Emmanuel Despax a été décrit après ses récitals acclamés à l'auditorium du Louvre à Paris et à Wigmore Hall à Londres. Despax s'affirme comme un artiste dont les interprétations apportent une sincérité et une imagination rares à la musique. Il se produit sur la scène internationale et est régulièrement diffusé sur de nombreuses stations de radio, dont France Musique, BBC Radio 3, Classic FM et Medici TV.

In his native France, Despax has appeared in prestigious venues such as Salle Gaveau, Salle Cortot and the Louvre Auditorium in Paris, and the Festival International des Nuits Pianistiques in Aix-en-Provence. He performs regularly across Europe and has given recitals at the Fazioli Concert Hall in Italy, the Gasteig Black Box in Munich and the Palais des Beaux-Arts in Belgium. UK highlights include recitals at Wigmore Hall, Cadogan Hall, the Royal Concert Hall in Nottingham, and the Chipping Campden and Petworth Festivals. A programme of three piano concertos, recorded live at Cadogan Hall, led Gramophone to praise Despax as ‘a formidable talent, fleet of finger, elegant of phrase and a true keyboard colourist’.

Dans sa France natale, Despax s’est révélé dans des salles prestigieuses telles que la salle Gaveau, la salle Cortot et l'auditorium du Louvre à Paris et le Festival international des Nuits Pianistiques à Aix-en-Provence. Il se produit régulièrement dans toute l'Europe et a donné des récitals au Fazioli Concert Hall en Italie, au Gasteig Black Box à Munich et au Palais des Beaux-Arts en Belgique. Parmi les moments forts du Royaume-Uni, citons les récitals au Wigmore Hall, au Cadogan Hall, au Royal Concert Hall de Nottingham et aux festivals Chipping Campden et Petworth. Un programme de trois concertos pour piano, enregistré en direct à Cadogan Hall, a amené Gramophone à faire l'éloge de Despax comme «un formidable talent, des doigts agiles, un phrasé élégant et une vraie coloriste au clavier».

Having studied in the UK at the Yehudi Menuhin School and the Royal College of Music with Ruth Nye, one of Claudio Arrau’s finest students, Despax draws inspiration from a long tradition of pure artistry and uncompromising commitment to the score. His passion lies in retaining and regaining the true role of a performer, as a faithful vessel for the composer’s message.

Après avoir étudié au Royaume-Uni à la Yehudi Menuhin School et au Royal College of Music avec Ruth Nye, une des meilleures étudiantes de Claudio Arrau, Despax s’inspire d’une longue tradition d’artisanat et d’engagement sans compromis pour la partition. Sa passion est de conserver et de retrouver le véritable rôle d’un interprète, en tant que support fidèle du message du compositeur.

Now based in London, Despax has performed with many UK orchestras including the City of Birmingham Symphony Orchestra, the Orpheus Sinfonia, and the BBC Scottish Symphony Orchestra.

Maintenant basé à Londres, Despax a joué avec de nombreux orchestres britanniques, dont l'Orchestre Symphonique de la Ville de Birmingham, l'Orpheus Sinfonia et le BBC Scottish Symphony Orchestra.


Lien vers le texte original (avec l’aimable autorisation d’Hyperion)
https://www.hyperion-records.co.uk/a.asp?a=A2897#

ANALYSES

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World Timbres Mixture : un nouveau son pour la musique1, par Ivanka Stoïanova

La technique de composition World timbres mixture inventée par le compositeur José Luis Campana en collaboration avec la compositrice Isabel Urrutia est une des orientations les plus récentes de la recherche compositionnelle actuelle qui vise la création d’un univers acoustique nouveau, différent de celui de la tradition occidentale récente avec ou sans outils électroniques. En 2017, Campana et Urrutia fondent à Paris le groupe de recherche appliquée à la composition musicale intitulé World Timbres Mixture / Mixture de timbres du monde, constitué de compositeurs et d’interprètes (Claude Delangle, saxophones, Jean Geoffroy, percussions, Pascal Contet, accordéon, Marie Ythier, violoncelle, etc.) qui, dans une nouvelle orientation esthétique, développent la fusion des timbres des instruments de l’orchestre classique et des timbres d’instruments provenant de différentes traditions populaires à travers le monde. Le but recherché c’est l’élaboration d’une nouvelle palette instrumentale qui nous amène vers un univers de possibilités sonores infinies.

La technique de la World Timbres Mixture de Campana et Urrutia est une nouvelle technique qui répond au besoin d’une rénovation radicale de la matière du son, en dépassant le spectralisme, tout en centrant la recherche compositionnelle autour du timbre. Pour en finir avec les sons chargés d’histoire et les techniques compositionnelles des instruments acoustiques de l’orchestre occidental, pour en finir avec les sonorités et les techniques spécifiques des instruments des traditions populaires introduisant inévitablement un effet exotique dans le contexte de la musique occidentale, pour en finir avec les techniques et technologies récentes, devenues vite académiques et répétitives (comme les nombreuses pièces, souvent avec transformation du son en temps réel, toutes similaires car générées par les mêmes programmes informatiques). La nouvelle technique de la  World Timbres Mixture traduit le désir d’inventer un nouvel univers sonore – inconnu, inouï, infini – tout en puisant dans la richesse des traditions populaires (les instruments avec leurs timbres spécifiques) et de la tradition classique. Aucun timbre n’est dénaturé ou modifié par des programmes informatiques de transformation et, en même temps, aucun de ces instruments, réinventés avec les moyens de l’informatique, n’est nécessairement identifiable dans son individualité propre à l’écoute. L’extension de l’ambitus de certains instruments populaires vers le grave et l’aigu, ainsi que les halos de résonances timbrales riches contribuent à créer l’impression d’espaces lointains, de dimensions oniriques, d’ouverture, d’infini sans modifier les qualités acoustiques des timbres instrumentaux. Le propos des compositeurs n’est pas l’opposition des altérités, comme toujours dans le passé, et la reconnaissance des timbres individuels, mais leur interaction, leur alliage, leur fusion, productrice de différent: « La mixture de timbres du monde ».

Les deux premières œuvres composées avec la nouvelle technique World timbres mixture sont Mixing up (2016-2017) de José Luis Campana et Etorkiz eta Izatez / Par origine et par nature (2017) d’Isabel Urrutia.

Mixing up (2016-2017) de José Luis Campana, commande du Ministère de la Culture français et de l’INA/GRM/Paris, pour sextuor à vent live (hautbois, clarinette, trompette, basson, cor et trombone) et ensemble de 29 instruments de différentes traditions populaires à travers le monde sur support audio - la première œuvre dans cette nouvelle orientation - fait suite à son vaste catalogue d’œuvres pour différentes formations instrumentales, vocales-instrumentales, électroniques et mixtes et de beaucoup de travail de recherche en studio électronique. Après une expérience conséquente en studio et une longue réflexion sur les limites du spectralisme et les possibilités des musiques assistées par ordinateur actuellement, Campana initie cette nouvelle phase dans sa recherche.

mixing up partition


Pour sa pièce Etorkiz eta izatez / Par origine et par nature (2017/18), Isabel Urrutia qui excelle aussi dans le maniement des timbres, choisit un trio live (txistu - instrument à vent basque2 - accordéon et percussions) et un ensemble de 27 instruments de traditions populaires sur support audio. L’œuvre est une commande du Gouvernement basque.

Etorkiz partition


Pour commencer, les compositeurs constituent une « banque de données », « banque de sons » ou « bibliothèque de sons » de 35 instruments extra-européens : les échantillons ont été pris d’internet, de CD’s et de banques de sons. Ce sont des échantillons de 2 secondes qui sont pratiquement « la carte de visite » de chaque instrument. Ces sons choisis ont été répétés plusieurs fois pour produire des séquences de 10 secondes, puis classés selon leurs registres du plus grave au plus aigu. Pour répondre aux projets précis des compositeurs dans leurs œuvres, 29 de ces instruments seront utilisés dans Mixing up et 27 dans Etorkiz eta izatez.

Les 29 instruments de différentes traditions populaires utilisés par Campana dans Mixing up sont des instruments à vent – aulos (Grèce ancienne), azteca (sifflet aztèque), bombarde (Bretagne), cornemuse (Empire romain, Asie occidentale, Ecosse), di (Chine), didgeridoo (Australie), diple (Serbie), duduk (Arménie), erke (Chili, Argentine, Pérou, Bolivie), flûte nasale (Polynésie, Afrique), gaïta (Angleterre, France, Espagne, Moyen Orient), kena (Pérou, Argentine, Bolivie), lambi (Antilles), launeddas (Sardaigne, Moyen Orient), ocarina (Amérique pré-hispanique), orlo (Renaissance), pungi (Inde), régal (Moyen âge, Europe), shakuhashi (Chine, Japon), shehnai (Inde, Pakistan), shô ( Chine, Japon), conque (Mexique), zampogne ( Sud de l’Italie) – et des instruments à cordes pincées ou frappées : cymbalum (Hongrie), harpe celte (Grande Bretagne, Irlande, Ecosse), jubus (pays arabes), n’goni (Sénégal, Mali), oud (pays arabes, Grèce, Arménie), vina (Inde).


Diple (Serbie)


Erke (Chili, Argentine, Pérou, Bolivie)


Launeddas (Sardaigne, Moyen Orient),

Dans sa pièce, I. Urrutia utilise 27 instruments virtuels provenant de la même banque de données. En conformité avec son projet, elle renonce au diple, au duduk et à la conque, par exemple, utilisés par Campana dans Mixing up.  Par contre, elle a besoin du txistu aussi dans son orchestre « virtuel » et amplifie l’utilisation du n’goni, du cymbalum et du jubus dont les timbres fusionnent mieux avec ses solistes, surtout avec le vibraphone. Les instruments à cordes frottées font objet de la recherche actuelle de Campana et Urrutia, liée aux projets de pièces pour violoncelle live et instruments de traditions populaires et pour quintette mixte live (flûte, saxophone, violon, violoncelle et piano) et instruments virtuels.

Tous les instruments populaires de diverses époques et de diverses régions à travers le monde ont été accordés avec des hauteurs tempérées mais, il faut prendre en compte le fait que chaque échantillon d’instrument de tradition orale peut avoir des différences de quelques commas avec un échantillon sonore tempéré (qui est, lui, accordé selon l’échelle par rapport au La = 440 Hz.). La décision de garder ces différences est prise pour pouvoir respecter les caractéristiques individuelles et le timbre spécifique des instruments populaires, ce qui permet par la suite des fusions timbrales et des alliages intéressants quand ils jouent en groupe ou avec des instruments de la tradition classique.

Les compositeurs établissent une sorte de cahier d’instrumentation  ou un fichier personnel avec tous les instruments du très grave au très aigu, classés par registres: avec le nom de chaque instrument de tradition orale avec leurs ambitus respectifs pour faciliter le travail d’orchestration par la suite et en attribuant aussi des couleurs différentes pour visualiser mieux sur l’écran les différents registres. Avec les séquences de 10 secondes, ils testent des accords ou des polyphonies, en utilisant uniquement des instruments de tradition orale ou en effectuant des mélanges avec des instruments classiques.

Dans cette palette sonore, les compositeurs choisissent les timbres des instruments populaires qu’il convient d’utiliser. A l’aide du logiciel Ableton live, ils travaillent l’enveloppe des sons - l’attaque, l’entretien, la résonance - mais aussi l’articulation, les legati, l’intensité, le phrasé, etc.

Les instruments de tradition orale sont enregistrés un par un, séparément, piste par piste, car il est, évidemment, impossible de réunir tous les instruments populaires aussi différents et autant d’instrumentistes extra-européens, qui, de toute façon ne sont pas en mesure de jouer une musique occidentale écrite.

Le pas suivant, c’est l’écriture de la partition d’orchestre en tenant compte des registres et des ambitus de tous les instruments, mais sans assigner, dans une première étape de travail, les timbres précis des instruments de tradition orale. Dans la partition, tous les instruments sont ordonnés par familles de registres, comme dans l’orchestration d’une œuvre classique du grave vers l’aigu.

Une fois la partition écrite, les compositeurs la confient au copiste: il la copie en Sibelius et envoie une version en MIDI à l’informaticien, afin de pouvoir assigner les timbres précis des instruments populaires à l’aide du logiciel.

C’est après que commence la véritable orchestration définitive par les compositeurs: ils peuvent maintenant attribuer les timbres voulus selon les registres et les spécificités timbrales des instruments joués live (c’est-à-dire du sextuor ou, respectivement, du trio) et des instruments de tradition orale. Il en résulte une partition plutôt classique – c’est-à-dire selon la convention d’aligner les instruments aigus du haut de la page en allant vers les instruments graves en bas de page. Avec la différence que les instruments classiques joués live et les instruments de tradition orale « virtuels » sont mélangés, selon leurs registres, dans la partition de Campana, tandis que les instruments du trio soliste sont placés au-dessus des instruments de tradition orale chez Urrutia. Ce qui correspond au propos de Campana chercher avant tout la fusion des timbres, tandis qu’Urrutia cherche aussi le traitement solistique des instruments du trio. Les compositeurs précisent leurs partitions en rajoutant les legati, les intensités, les modes de jeu, les vibrati, etc. Le mélange des timbres instrumentaux, la superposition de différentes intensités de jeu ou d’intensités variables, l’ajout de vibrati, etc. sont utilisés pour véritablement modeler la complexité des sons et, par conséquent, le timbre composite et le modifier à souhait.

Au moment de l’exécution en concert, les instruments joués live sont amplifiés et diffusés par les mêmes haut-parleurs que les instruments de tradition orale, ce qui assure une meilleure fusion des timbres.

Cette nouvelle musique acoustique n’utilise donc absolument pas de synthèse ni de transformation du son. Et pourtant, l’utilisation de l’ordinateur est très importante. Il est absolument nécessaire:
- pour élargir certaines tessitures d’instruments de tradition orale, mais sans les dénaturer ;
- pour reproduire (répéter) les échantillons naturels des timbres des instruments extra-européens et obtenir, à partir des échantillons de 2 secondes environ, des séquences de 10 secondes;
- pour distribuer par la suite les instruments selon leurs ambitus dans la version préalable de la partition;
- pour mixer les instruments populaires, mais sans les transformer;
- pour ajouter à la fin des halos, c’est-à-dire des résonnances lointaines pour colorer les silences.

Aucun instrument – ni de tradition populaire, ni de tradition occidentale – n’a été donc traité par des programmes d’ordinateur. Les compositeurs cherchent à rester au maximum dans le son naturel, non-déformé, non dénaturé3. La World Timbres Mixture est un travail au niveau du timbre, de la matière du son, du mixage de timbres, mais sans filtrage et sans transformation. Et en plus sans aucune reproduction de rythmes ou de mélodies provenant des folklores. Le but c’est une nouvelle sonorité naturelle acoustique pour cet orchestre mixte associant des instruments « virtuels » de tradition orale extra-européenne et des instruments de tradition écrite occidentale. Mais il ne s’agit absolument pas de « musique mixte », c’est-à-dire de musique qui fait coexister musique pour musiciens qui jouent en direct et son mixte (acoustique-concret-électronique) mixé et transformé en studio et préenregistré sur bande ou autre support (comme il y a eu tellement dans le passé)4.

Les pièces Mixing up de Campana et Etorkiz eta izatez d’Urrutia font nécessairement appel pour leur réalisation à l’informatique et ont obligatoirement besoin d’un appareillage pour leur diffusion en salle. Dans la musique en World Timbres Mixture, tous les instruments - les classiques et les extra-européens - sont naturels comme dans un orchestre classique: un orchestre constitué donc d’instruments classiques joués live et d’instruments traditionnels « virtuels », « reconstruits » pour des raisons pratiques et que l'on ne voit pas sur le podium. Les compositeurs inventent donc une nouvelle orchestration pour la musique de chambre et d’orchestre avec ses règles inédites toujours à redécouvrir.

Le mixage final et le mastering de Mixing up et de Etorkiz eta izatez ont été réalisés avec le logiciel Protools. Le mixage a été fait en 8 pistes, mais les œuvres peuvent aussi être diffusées en 4 ou 2 pistes.

Pour l’exécution en concert de Mixing up, le compositeur recommande une disposition en arc sur le podium des musiciens du sextuor avec les haut-parleurs derrière eux. Les musiciens jouent debout, leurs instruments doivent être amplifiés pour unifier la couleur et assurer l’équilibre avec le support audio des instruments de traditions populaires. Pour préparer l’exécution de la pièce, le chef de l’ensemble doit travailler avec casque émettant un enregistrement du support audio (oreille droite) et enregistrement « clicks » (I sec. = noire à MM 60) (oreille gauche). Pendant le concert, il est nécessaire de diriger avec un casque émettant seulement des clicks et un ordinateur devant le chef lui permettant de voir défiler sur l’écran les secondes, données aussi dans la partition, qui correspondent au support audio. En ce sens, l’expérience en concert est comparable à celles des musiques mixtes. Des instructions similaires sont valables aussi pour le trio soliste et les instruments de tradition orale dans la pièce d’Urrutia, le but étant toujours l’unification, la fusion et l’équilibre des timbres.

La nouvelle technique de composition relève d’une attitude essentiellement matérialiste: ce qui intéresse les compositeurs dans leurs voyages à travers le monde, ce sont les sonorités acoustiques spécifiques, non pas les mythes, les rites, les religions ou le fonctionnement social de la musique d’ailleurs qui ont nourri des générations d’occidentaux avides d’exotisme et à la recherche de différent. C’est la matière du son – l’essence-même de la musique et de l’art de composer – qui est à rénover, à réinventer, à rendre ouverte à tous les sons venus d’ailleurs.

Mais la réinvention du matériau sonore révolutionne nécessairement la façon de penser la musique car, suite à l’évolution des musiques électroacoustiques, elle bouscule et remet totalement en question la hiérarchie traditionnellement établie des paramètres définissant la musique occidentale: la hauteur, la durée, l’intensité, le timbre, énumérés dans cet ordre selon leur importance. Autrement dit, la mélodie et donc l’écriture polyphonique ou harmonique; les valeurs rythmiques et donc l’organisation métro-rythmique et tempi; les dynamiques et donc les évolutions de l’intensité des émissions sonores. Et à la fin le timbre, le dernier paramètre dans la hiérarchie occidentale qui n’avait pratiquement pas d’importance ou avait une importance formatrice négligeable dans l’art de composer. A la suite des musiques électroacoustiques et électroniques, la World Timbre Mixture renverse sciemment la situation. Ici, le timbre obtient le rôle formateur prépondérant et se soumet tous les autres paramètres avec leurs techniques compositionnels spécifiques: ils se mettent à fonctionner aux services du timbre, deviennent des composants flexibles et modifiables à comportement « rhizomatique » à l’intérieur du timbre mixte, ils sont comme absorbés en tant que parties intégrantes dans le mouvement de la matière du son. Car la forme musicale n’est plus un schéma formel extérieur et antérieur au travail avec le son. La forme de l’œuvre, c’est le fond, autrement dit la matière sonore dans son mouvement organisé. La métaphore qui vient spontanément à l’esprit est celle du ruisseau qui coule accueillant à son passage et dans sa course d’autres ruisseaux. Plus de récit, plus de narrativité musicale, plus de fonctions formelles universelles préalables et valables pour une multitude d’œuvres. Mais plus de gestion des relations d’inspiration structuraliste non plus, où chaque moment ou composante formelle est un centre indépendant et nécessairement relié par des calculs complexes à tous les autres5. La pensée formelle chez les compositeurs de la World Timbre Mixture est contraire à tout systémisme rigide: aucun système préalable d’organisation, aucunes centration ou maîtrise des relations internes dans leurs globalité (Ce qui n’exclue pas de similarités organisatrices à distance dans le temps, bien sûr, ou de gestes formels directionnels). La forme musicale c’est le processus-même d’agencement des éléments constitutifs, d’élaboration à plusieurs niveaux, de modelage continu de la matière du son – autrement dit de la matière timbrale mixte et malléable – qui constitue toujours une forme unique selon le projet compositionnel précis. (Suite et fin au prochain numéro).


1 Cf. CD World Timbre Mixture / Un nouveau son pour la musique de chambre et d’orchestre au XXI siècle, Isabel Urrutia / José Luis Campana. Groupe WTM/Paris, 2018. Le CD comporte les deux pièces composée d’après cette technique, Mixing up de Campana et Etorkiz eta izatez d’Urrutia, ainsi que Mandala (2009) pour percussion solo et sons électroniques d’Urrutia et Nalu Kamusi (2002) pour percussions et objets sonores et Asi… (2000) pour guitare solo et instruments de tradition orale transformés électroniquement de Campana.
2 Le txistu est un instrument à vent d’origine très ancienne (on a découvert des flûtes en os datant du paléolithique supérieur dans des grottes en Basse Navarre) ; sorte de flûte à bec à 3 trous que l’on joue de la main gauche, la droite étant utilisée - dans la pratique populaire - pour frapper un petit tambour à peau. La compositrice n’utilise pas l’instrument à percussion pour le txistu dans son œuvre.
3 C’était aussi l’optique principale de L. Berio, par exemple, mais ce n’est pas celle de H. Lachenmann.
4 Parmi les premières œuvres « mixtes » avec partition écrite, citons Laborintus II (1965) de Berio, par exemple, pour voix, instruments et bande magnétique (UE Wien13792).
5 Un peu dans la lignée de la Momenttechnik / Technique des moments de Stockhausen, par exemple. Cf. K. Stockhausen, « Momentform / Neue Zusammenhänge szwischen Aufführungsdauer, Werkdauer und Moment », in Texte zur elektronischen und instrumentalen Musik, vol. 1, DuMont Schauberg, Köln, 1963, p. 190.

José-Luis CAMPANA (1949)
Il étudie la composition à Buenos Aires entre 1968 et 1975 sous la direction de Jacobo Ficher.
Titulaire d'une bourse d'études du Gouvernement Français, il s'établit définitivement à Paris, complétant sa formation entre 1979 et 1985 auprès d'Ivo Malec pour la composition, de Betsy Jolas pour l'analyse et de Pierre Schaeffer et Guy Reibel pour les techniques électroacoustiques.
Entre 1986 et 1992 il enseigne l'analyse musicale au CNSMD de Paris.
Commandes, créations mondiales, masters-classes et séminaires de composition internationaux Musikinstitut Darmstadt (Cours de Darmstadt, Allemagne), Radio Baden Baden, Festival de Donaueschingen, Festival Présences Radio France, Festival Musica Strasbourg, Ircam et GRM de Paris, Nuova Consonanza di Roma, CNSMD de Paris et Lyon, Hochschule für Musik Franz Liszt de Weimar, Conservatoire du Mozarteum de Salzbourg, Rencontres Franco-Allemandes de Brême (Allemagne), Centro de Arte Contemporáneo de Séville, Université d'Orsay Paris XI, Teatro Colón (Buenos Aires) etc.

Edité par les Editions G. Billaudot, Henry Lemoine et BABELSCORES à Paris.

Site Web.
www. jlcampana.com

«World Timbres Mixture»
wtimbres@gmail.com

Isabel URRUTIA (1967)

Originaire du Pays Basque, (Espagne), Isabel Urrutia a travaillé la composition à Paris avec le compositeur José Luis Campana.
Elle dispense des conférences et master-classes dans différentes Universités et Conservatoires d ́Europe et Amérique: Espagne, Allemagne, France, Italie, Argentine, Chili, Mexique...
Ses œuvres ont été jouées au cours de différents concerts et festivals de musique d ́Europe, Amérique et Asie: Espagne, Allemagne, France, Italie, Argentine, Chili, Mexique, EEUU, Japon, Taiwan, Russie...
Elle a reçu plusieurs prix de composition tels que : le Prix de la Association Espagnole d ́Orchestres Symphoniques, A.E.O.S, le Premier Prix dans le Concours Internationale de Composition « Grazyna Bacewicz » de Lodz, Pologne...
Elle a obtenu des commandes de différentes institutions et ensembles: Fundación BBVA- Espagne, CDMC espagnol, Ensemble ARCEMA, Neopercusión... Certaines de ses œuvres ont été créées par des solistes internationaux tels que: André Cazalet (cor), Jean Geoffroy (percussion), Pierre Strauch et Eric Marie Couturier (violoncelle), Julien Guénebaut et Dimitri Vassilakis (piano)...et par des ensembles tels que: Quatuor Arditti, Neopercusión, Trio Arbós, Quatuor Arriaga, Ensemble Residencias, Ensemble ARCEMA/Paris...
Plus d’information : www.isabelurrutia.es

Ivanka Stoïanova
© L'ÉDUCATION MUSICALE 2018

Sounds Concealing Other Sounds: Alvin Lucier’s Gentle Fire

Alvin Lucier (1931) est un compositeur américain de musique expérimentale et d’installations sonores. Auteur du célèbre I am sitting in a room (1969), Lucier s’impose aujourd’hui comme pionier du rapport entre musique, phénomènes acoustique et perception auditive. Benjamin O’Brien nous livre ici une analyse de Gentle fire (1971, partition disponible au lien suivant https://iaem.at/kurse/winter-13-14/kgk/gentle-fire ), basée sur le glissement perceptif qui s’opère lors d’une transformation graduelle d’un son vers un autre.

Like many of Alvin Lucier’s works, the score for Gentle Fire (1971) is written in prose. It is composed of two lists with supplementary instructions. Each list contains about “120-odd images” (Lucier and Simon 1980, p. 119), where each “image” is a pair of rhyming words, such as “heating kilns” (Ibid, p. 111) and “cackling geese” (Ibid, p. 115).

Comme beaucoup d’œuvres d’Alvin Lucier, la partition de Gentle Fire (1971) est écrite en prose. Cette pièce est composé de deux listes avec des instructions complémentaires. Chaque liste contient «environ 120 images» (Lucier et Simon 1980, p. 119), où chaque «image» est une paire de mots qui riment, tels que «fours de chauffage» (Ibid, p. 111) et ”bernache de Hutchins (une variété d’oies)” (Ibid, p. 115).

In an interview entitled, “Transforming one sound event into another” (1968-1978), Lucier explained to Simon, “The first column has images that are supposed to be unpleasant, and those in the second are supposed to be pleasant, but I can’t decide whether some are pleasant or unpleasant, so I put them in both” (Ibid, p. 121).

Dans une interview intitulée «Transformer un son en un autre» (1968-1978), Lucier explique à Simon: «La première colonne contient des images supposées être désagréables et celles du second sont supposées être agréables, mais je ne peux pas décider si certains sont agréables ou désagréables, alors je les mets dans les deux catégories» (Ibid., p. 121).

Unable to “decide whether” a sound is “pleasant or unpleasant,” Lucier offers an explanation for his dual inclusion of some sound images, which can be interpreted as evidence of his awareness that listeners can perceive sounds differently.

Incapable de «décider si» un son est «agréable ou désagréable», Lucier explique sa double inclusion d'images sonores, mettant sa conscience que les auditeurs peuvent percevoir ces sons de manière différente.

Lucier turns this awareness on its head by composing a work that challenges listeners to identify when sound represents one source over another, thus minimizing the differences between sources and receivers.

Lucier exploite cette prise de conscience en composant une œuvre qui invite les auditeurs à identifier le moment où le son représente une source par rapport à une autre, minimisant ainsi les différences entre les sources et les récepteurs.

Looking at the score, we see that Gentle Fire encourages performers and listeners to explore their perception and interpretation of the sounds they hear. Each list is preceded by instructions for the performer to “Collect . . . examples of ambient sound events” (Ibid, p. 111) and “process these examples in such a way that they become transformed into what could be perceived as sound events of different origin” (Ibid, p. 114).

En regardant la partition, nous voyons que Gentle Fire encourage les interprètes et les auditeurs à explorer leur perception et leur interprétation des sons qu'ils entendent. Chaque liste est précédée d'instructions destinées à l'exécutant pour «collecter. . . des exemples d'événements sonores ambiants »(Ibid., p. 111) et « traiter ces exemples de manière à ce qu'ils puissent être perçus comme des événements sonores d'origine différentes »(Ibid., p. 114).

By actively collecting, transforming, and listening to sounds, the Gentle Fire performer gains multiple perspectives on the sounds that they hear and the forms into which they transform them. They become the work’s first listener. Lucier elaborates on the process and writes:

En collectant, en transformant et en écoutant activement les sons, les interprètes de Gentle Fire acquièrent de multiples perspectives sur les sons qu'ils entendent et les formes dans lesquelles ils les transforment. Ils deviennent les premiers auditeurs de l’œuvre. Lucier développe le processus et écrit:

    For example, snarling dogs become crunching snow, crashing planes become laughing girls and maneuvering tanks, ocean waves. Record these transformations . . .

“Par exemple, les chiens qui grognent deviennent de la neige qui craque, les avions qui s’écrasent deviennent des filles qui rient, les manoeuvrent des chars, des vagues de l’océan. Enregistrez ces transformations...

Taking care only that the process of change from each original sound event to its final state of transformation is slowly, gradually and clearly heard. (Ibid, p. 118)

En veillant seulement à ce que le processus de changement de chaque événement sonore original à son état final de transformation se fasse lentement, progressivement et clairement.” (Ibid, p. 118)

Instructing the performer to “slowly” and “gradually” transform the “unpleasant” sound image into a more “pleasant” image underscores the significance that time plays in a listener’s perception and interpretation of sound.

Indiquer à l’interprète de transformer «lentement» et «progressivement» l’image sonore «désagréable» en une image plus «agréable» souligne l’importance que joue le temps dans la perception et l’interprétation du son par l’auditeur.

Equally significant is how the performer “tak[es] care” in processing the sound images so that a transformation is “clearly heard.” We can see that the method by which the performer develops or chooses to transform one sound image into another can have a profound effect on the listening experience.

Tout aussi importante est la manière dont l'interprète «prend soin» de traiter les images sonores de manière à ce qu'une transformation soit «clairement entendue». Nous pouvons voir que la méthode par laquelle l'interprète développe ou choisit de transformer une image sonore en une autre peut avoir un effet profond sur l'expérience d'écoute.

With these points in mind, we may also see that the choice of sound materials for performance is equally critical. For example, many listeners would have difficulty imagining the sound of “crashing planes” and “laughing girls” as somewhat related. But if the performer collects sound images that, despite their origins, share characteristics, then it is possible that listeners may perceive the transformations presented.

En gardant ces points à l'esprit, nous pouvons également constater que le choix des matériaux sonores pour la performance est tout aussi critique. Par exemple, de nombreux auditeurs auraient du mal à imaginer que le son des «avions en panne» et des «filles qui rient» étaient quelque peu liés. Mais si l'interprète recueille des images sonores qui, malgré leurs origines, partagent des caractéristiques, il est alors possible que les auditeurs perçoivent les transformations présentées.

Lucier proposes that the selected sound images should be presented in close proximity to each other, with one of the two images created by processing the actual sound of the other. Of course a critical semantic problem emerges from this proposal, as there is a fundamental difference between a sound and its image.

Lucier propose que les images sonores sélectionnées soient présentées à proximité les unes des autres, l’une des deux images étant créée en traitant le son réel de l’autre. Bien entendu, un problème sémantique critique se dégage de cette proposition car il existe une différence fondamentale entre un son et son image.

Lucier asks the performer to transform a sound, which we assume means the performer presents the image of its origin, into the image of another sound—the sound of “crashing planes” processed to laugh like girls, for example. We see that in composing Gentle Fire, Lucier plays with these distinctions and asks listeners to do the same.

Lucier demande à l'interprète de transformer un son, ce qui suppose que l'interprète présente l'image de son origine, à l'image d'un autre son - le son de «avions s’écrasant» traité pour rire comme une fille par exemple. Nous constatons qu'en composant Gentle Fire, Lucier joue avec ces distinctions et demande aux auditeurs de faire de même.

Next, asking performers to construct transformations that are gradual and, hence, perceivable to listeners is a difficult task, one depending on both the quality of recordings and the craft of their processing.

Ensuite, demander aux interprètes de construire des transformations progressives et, par conséquent, perceptibles par auditeurs est une tâche difficile qui dépend à la fois de la qualité des enregistrements et de la manière dont ils sont traités.

Speaking to the intricacies of the work, Tom Erbe describes Gentle Fire “as a sort of virtuoso piece for sound design” (personal correspondence on September 24, 2014).

S'exprimant sur la complexité du travail, Tom Erbe décrit Gentle Fire «comme une sorte de pièce virtuose pour le design sonore» (correspondance personnelle du 24 septembre 2014).

This “virtuoso piece” challenges not only sound designers, but listeners as well, given the different ways it engages them with the constantly transforming sound.

Cette «pièce virtuose» défie non seulement les concepteurs de sons, mais aussi les auditeurs, étant donné les différentes manières dont ils les engage avec le son en constante évolution.

But how does a performer anticipate the (incalculable) number of ways in which a listener may hear and interpret sound and perform the work so that each listener perceives one sound image transforming into another?

Mais comment un interprète peut-il anticiper le nombre (incalculable) de façons dont un auditeur peut entendre et interpréter le son, et exécuter la pièce de sorte que chaque auditeur perçoive une image sonore se transformant en une autre?

Given two sound images, listeners may hear a sound as itself, as another sound, or as both itself and another sound – this last possibility emerging in a moment of either confusion or play, wherein they identify what they are hearing with both sources.

En admettant deux images sonores, les auditeurs peuvent entendre un son comme tel, comme un autre son, ou à la fois comme lui-même et l’autre. Cette dernière possibilité apparaît dans un moment de confusion ou de jeu, où ils identifient ce qu'ils entendent des deux sources.

With transformations at work and perception hanging in the balance, Gentle Fire plays with the ways in which listeners make these distinctions. Over the course of any one realization listeners are challenged by sound, as they become unable to distinguish and associate the sound that they hear with either of the two transformation-linked sound images.

Avec des transformations en cours et une perception en jeu, Gentle Fire joue avec les manières dont les auditeurs font ces distinctions. Au cours d'une performance, les auditeurs sont interpellés par le son, car ils deviennent incapables de distinguer et d'associer le son qu'ils entendent à l'une des deux images sonores liées à la transformation.

The form or trajectory of the work is based on the length of time it takes for one sound to transform into another. With this in mind, some listeners may question where they are in the piece depending on the sound or sequence of sounds they are hearing.

La forme ou la trajectoire de la pièce est basée sur la durée nécessaire à la transformation d’un son en un autre. Dans cette optique, certains auditeurs peuvent se demander où ils se trouvent dans la pièce en fonction du son ou de la séquence de sons qu'ils entendent.

As the input sound is transformed, listeners hear the characteristics of its associated image diminish over time, as those of the final sound image become more prominent.

Au fur et à mesure que le son d’entrée est transformé, les auditeurs entendent les caractéristiques de l'image associée diminuer avec le temps, à mesure que celles de l'image sonore finale deviennent plus importantes.

For attentive listeners, the question may arise: When do we stop hearing the characteristics of the input sound and start hearing those associated with the final sound image?

Pour les auditeurs attentifs, la question peut se poser: quand arrête-t-on d'entendre les caractéristiques du son entrant, quand commence-t-on à entendre celles associées à l'image sonore finale?

The question concerning when listeners perceive, interpret, and associate the sound they hear with either sound image can be analogized by a thaumatrope.

La question de savoir quand les auditeurs perçoivent, interprètent et associent le son qu'ils entendent avec l'une ou l'autre image sonore peut être assimilée à un thaumatrope.

A thaumatrope viewer sees a composite image as a result of her constant switching of focus—back-and-forth—between two separate images.

Un spectateur thaumatrope voit une image composite résultant de son changement constant de focalisation - de va-et-vient - entre deux images distinctes.

Although the thaumatrope viewer may see, for example, the image of a bird in a cage, she most likely knows that it is an optical illusion constructed from two separate images: one is a free bird, the other of an empty cage.

Bien que le spectateur thaumatrope puisse voir, par exemple, l'image d'un oiseau dans une cage, il sait probablement qu'il s'agit d'une illusion d'optique construite à partir de deux images distinctes: l'une est un oiseau libre, l'autre une cage vide.

Knowing that the composite image is composed of two separate images, the viewer may choose to focus on identifying either the bird image or the cage image. In other words, the persistence of the optical illusion challenges the viewer to separate and identify each individual image. In many ways, Gentle Fire invites listeners to similarly flicker between the two sound images.

Sachant que l'image composite est composée de deux images distinctes, le spectateur peut choisir d'identifier l'image de l'oiseau ou l'image de la cage. En d'autres termes, la persistance de l'illusion d’optique met le spectateur au défi de séparer et d'identifier chaque image individuelle. À bien des égards, Gentle Fire invite les auditeurs à basculer entre les deux images sonores.

Rather than hear a composite, hybrid sound, having characteristics associated with both sound images, listeners, by having to constantly change their focus and flicker back-and-forth between two sound images, search their listening to identify and associate each sound that they hear with one of the two sound images.

Plutôt que d'entendre un son hybride composite, ayant des caractéristiques associées à la fois aux images sonores, aux auditeurs, en changeant constamment de focalisation et de clignotements entre deux images sonores, recherchez leur écoute pour identifier et associer chaque son qu'ils entendent avec l'une des deux images sonores.

Confronted with the question of which sound image they are hearing, listeners become engaged with the features and conditions that allow them to identify sound. Importantly, we can say that by isolating the critical, identifying features of a sound, listeners discover how, in a sense, sounds potentially conceal each other through their shared characteristics.

Face à la question de savoir quelle image sonore ils entendent, les auditeurs se confrontent aux caractéristiques et aux conditions qui leur permettent d’identifier le son. Surtout, nous pouvons dire qu'en isolant les caractéristiques critiques d'un son, les auditeurs découvrent comment, dans un sens, les sons se cachent potentiellement à travers leurs caractéristiques communes.

This idea of a sound concealing another sound’s characteristics comes from Lucier’s comments to Simon in which he details how the transformational process can reveal one sound image within another:

Cette idée d’un son dissimulant les caractéristiques d’un autre provient des conversations entre Lucier et Simon, dans lesquels il détaille comment le processus de transformation peut révéler une image sonore dans une autre:

    . . . if you make an analogy between two things, you’re not only saying that one of them resembles the other, you’re saying that the identity of one is concealed in the other.

    “. . . si vous faites une analogie entre deux choses, vous ne dites pas seulement que l’une d’entre elles ressemble à l’autre, vous dites que l’identité de l’une est dissimulée dans l’autre.

It’s as if all things are the same, but have different outward appearances, and the transformation from one to another is an active process in which truth is determined, but you’re at different values along the way. (Ibid, p. 122)

C’est comme si toutes les choses étaient les mêmes, mais avaient des apparences différentes, et la transformation de l’une à l’autre est un processus actif dans lequel la vérité est déterminée, mais possède des valeurs différentes en cours de route.” (Ibid, p. 122)

What does Lucier mean by “the identity of one is concealed in the other”? We can say that the identification of the transformation discriminates what is shared, which in turn reveals what is different.

Que veut dire Lucier par «l'identité de l'un est dissimulée dans l'autre»? Nous pouvons dire que l'identification de la transformation discrimine ce qui est partagé, ce qui, en retour, révèle ce qui est différent.

That which is shared is that which allows for analogy and even equivalence, which conceals difference.

Ce qui est partagé est ce qui permet l'analogie et même l'équivalence, qui dissimule la différence.

To further unpack Lucier’s comments, let us imagine, at first, a Gentle Fire listener may perceive and associate the sound heard with one sound image. As the piece continues and the transformation begins, the listener’s perception may begin as well to include characteristics of another sound image in the changing sound. At some point, the listener may begin to flicker back-and-forth between characteristics of both images; as the experience persists, the listener may become unable to exclusively associate the sound with either of the two sound images.

Pour expliciter les commentaires de Lucier, imaginons d’abord que l’auditeur de Gentle Fire puisse percevoir et associer le son entendu avec une image sonore. Au fur et à mesure que la pièce continue et que la transformation commence, la perception de l’auditeur peut aussi commencer à inclure les caractéristiques d’une autre image sonore dans le son changeant. À un moment donné, l'auditeur peut commencer à clignoter entre les caractéristiques des deux images; à mesure que l'expérience persiste, l'auditeur peut devenir incapable d'associer le son à l'une des deux images sonores exclusivement.

Lacking a method to distinguish which features belong to each of the two sound images, the listener may subsequently decide that she does not know enough about the two imagined sounds, as she questions the features upon which she knows them.

En l'absence d'une méthode permettant de distinguer quelles entités appartiennent à chacune des deux images sonores, l'auditeur peut décider par la suite qu'il/elle n'en sait pas assez sur les deux sons imaginés, alors qu'elle remet en question les caractéristiques sur lesquelles elle les connaît.

Unable to definitively connect the sound heard with either image, the listener may resolve the matter arbitrarily, thus revealing the personal nature of the experience. By consciously making choices about her perceptions, she discovers how shared characteristics make sounds similar to each other, as they conceal what is distinctive about each. In the best of circumstances, the result of the perceptual challenge can have the effect of re-enchanting the listener with sound, as that which was concealed becomes revealed.

Incapable de connecter définitivement le son entendu avec l'une ou l'autre image, l'auditeur peut résoudre le problème de manière arbitraire, révélant ainsi la nature personnelle de l'expérience. En faisant consciemment des choix quant à ses perceptions, elle découvre comment les caractéristiques partagées rendent les sons similaires les uns aux autres, car ils dissimulent ce qui caractérise chacun. Dans le meilleur des cas, le résultat du défi perceptuel peut avoir pour effet de ré-enchanter l'auditeur avec le son, comme ce qui a été caché se révèle.

The result of the cognitive dissonance incurred from indiscriminate perceptions: How can distinct sounds share characteristics? Isn’t their difference what makes us classify them as distinct? No, it is not, because the basis upon which we think they are distinct is flawed, they having not been put to the ultimate test in which they are compared with that which they are most similar to. We may base this idea of a sound having the capacity to sound like another sound from our re-reading of Lucier’s comment that the “truth is determined, but you’re at different values along the way.” Lucier’s comment is about the masking effect of shared characteristics, which are amplified when presented as equivalent through interpolation. The task for composers seeking to challenge the perceptions of listeners is to engage them with these questions.

Cette expérience est le résultat de la dissonance cognitive engendrée par les perceptions aveugles: comment des sons distincts peuvent-ils partager des caractéristiques? N’est-ce pas leur différence qui nous fait les classer comme distincts? Non, ce n'est pas parce que les bases sur lesquelles nous pensons qu'elles sont distinctes sont imparfaites, elles n'ont pas été soumises au test ultime auquel elles sont comparées avec ce à quoi elles ressemblent le plus. Nous pouvons baser cette idée d'un son ayant la capacité de sonner comme un autre son de notre relecture du commentaire de Lucier selon lequel «la vérité est déterminée, mais vous êtes à des valeurs différentes». Le commentaire de Lucier concerne l'effet de masquage des caractéristiques partagées, qui sont amplifiées lorsqu'elles sont présentées comme équivalentes par interpolation. La tâche des compositeurs qui cherchent à défier les perceptions des auditeurs est de les engager avec ces questions.

In summary, the idea of transforming sounds, through sequencing and processing, so that listeners perceive and interpret them in such a way that they identify the characteristics of one sound as concealed in another sound is very much in line with the composer who creates musical translations. Lucier’s choice to slowly and gradually transform one sound image into another is a valuable example of how to challenge listeners. In order for a listener to willingly accept a challenge, she must be sufficiently prepared and made aware of the components of the challenge. This of course requires time.

References
Lucier, A. 1995. Reflections: Interviews, Scores, Writings. Köln: MusikTexte.
Lucier, A., and D. Simon. 1980. Chambers. Middletown: Wesleyan University Press.

En résumé, l'idée de transformer les sons, par séquençage et traitement, afin que les auditeurs les perçoivent et les interprètent de manière à identifier les caractéristiques d'un son caché dans un autre son, est tout à fait en accord avec le compositeur qui crée les traductions musicales. . Le choix de Lucier de transformer lentement et progressivement une image sonore en une autre est un exemple précieux de la manière de défier les auditeurs. Pour qu'un auditeur accepte volontairement un défi, il doit être suffisamment préparé et sensibilisé aux éléments du défi. Cela nécessite bien sûr du temps.

References
Lucier, A. 1995. Reflections: Interviews, Scores, Writings. Köln: MusikTexte.
Lucier, A., and D. Simon. 1980. Chambers. Middletown: Wesleyan University Press.

Example 1 / Exemple 1 :
Example 2 / Exemple 2 :


Benjamin O’Brien
© L'ÉDUCATION MUSICALE 2018

La troisième Sonate pour piano de Radulescu : You Will Endure Forever (I)


Alessandro Milia (Cagliari, 1981), compositeur et musicologue, est l’auteur du thèse intitulée Variations et variantes dans l'oralité et dans la création musicale expérimentale ; le langage musical de Franco Oppo, Horatiu Radulescu et Alessandro Milia. Il se concentre ici le plan formel général de la sonate, et présentera au prochain numéro une approche plus locale au moyen d’exemples musicaux

La forme globale

 

La troisième Sonate pour piano opus 86 de Horatiu Radulescu (Bucarest 1942-Paris 2008) intitulée You Will Endure Forever, a été écrite pendant une longue période entre 1992 et 1999. L'œuvre fait partie du cycle Lao-Tzu : “Tao Te ChingPiano Sonatas qui inclut six sonates 1. L’opus 86 présente un style hybride qui intègre au langage musical spectral de Radulescu des nouvelles idées qu'il, à cette époque, était en train de faire émerger dans son style. Il utilise des matériaux provenant de la tradition musicale orale ainsi que de la tradition musicale ancienne savante et il emprunte quelques principes de la forme musicale classique. L'ensemble de ces éléments est unifié par l'utilisation de la répétition obsessionnelle des éléments composant le texte musical et par un caractère mystique. La forme répétitive chez Radulescu semble associée à ses idées de la forme-processus de type spectral qui se transforme à travers des mutations microscopiques de la matière sonore, tandis que l'aspect mystique est généré par la référence au philosophe Lao-Tzu et concerne plutôt l'aspect de la perception psycho-acoustique de la Sonate dans sa globalité. La dichotomie entre un langage musical organisé de façon scientifique et un caractère mystique et spirituel est justement au centre de nos intérêts et de notre analyse musicale car c'est le symptôme d'un langage musical de synthèse. L'œuvre se compose de cinq mouvements :

      I If you Stay in the Center (Allegro, Drammatico)
      II And Embrace Death With Your Whole Heart (Largo)
      III Doïna (Giusto ma quasi rubato)
      IV Dance of the Eternal (Giusto)
      V You Will Endure Forever (Allegro ossessivo, Monumentale).

La structure globale de la pièce présente un schéma articulé autour du mouvement central, schéma dans lequel les cinq mouvements sont en relation étroite entre eux ou bien en contraste. Le premier mouvement est en relation avec le quatrième, le deuxième mouvement avec le cinquième tandis que le mouvement central est indépendant.
 

I ↔ IV
 III
II ↔V


Les mouvements I If you Stay in the Center et IV Dance of the Eternal, sont marqués par une poétique de la répétition. Ils se fondent sur des modèles « métro-rythmiques » ostinatos et sur une technique d'élaboration progressive et directionnelle correspondant à l'idée de forme-processus obtenue par « micro-variantes ». À l'inverse, les mouvements II And Embrace Death With Your Whole Heart et V You Will Endure Forever, sont caractérisés par une évolution très statique. La syntaxe musicale est conçue par « blocs » de musique – c'est-à-dire des énoncés unitaires – qui subissent très peu de variations dans le temps. Le matériau musical ne se développe pas de façon graduelle et directionnelle comme dans les parties I et IV. Radulescu recherche dans les mouvements II e V un autre type d'élaboration axé sur l'alternance d'unités sonores diverses et contrastantes, plutôt que sur l'élaboration unidirectionnelle d'un matériau. Le mouvement central, Doïna, est fondé sur un chant de tradition orale et il est en discontinuité stylistique avec tous les autres mouvements.
Ce type de structuration nous révèle que Radulescu organise son idée musicale à travers un schéma rationnel et hiérarchique. Il vise aussi à préfigurer l'équilibre ou le déséquilibre, la symétrie ou bien l'asymétrie entre les différentes parties de la forme, afin de contrôler le matériau global de l'œuvre et de créer des liens entre les éléments qui composent l'œuvre. Mettre en relation à distance les parties de la forme rappelle la tradition savante européenne. La connexion à distance des éléments dans la pièce a été fréquemment évitée par plusieurs courants musicaux au XXe siècle. Dans son langage spectral des années 1970 et 1980, Radulescu utilise de forme en « stase » (sans transformations) ou bien « développe » la matière musicale selon l'idée de processus, à savoir un parcours unitaire de transformation du son plutôt qu'une fragmentation en parties plus petites et en mouvements différents. L'organisation des Piano Sonatas de Radulescu selon des parties différentes en correspondance ou en opposition, révèle donc le réel objectif du compositeur, à savoir l'exploitation de stratégies inspirées par la rhétorique et par certains principes traditionnels de la forme musicale savante. Cette nouvelle approche ne l'empêche pas d’intégrer toutes ses découvertes artistiques exploitées au cours des décennies précédentes pendant son expérimentation à travers une esthétique spectrale radicale. La forme musicale est conçue comme stase, à savoir stagnation de matière spectrale, dans Lamento di Gesù (1973-1975) pour grand orchestre ou dans Lubiri (1980-1981) pour ensemble. Dans d'autres compositions, comme l'opus 33 Infinite to be Cannot be Infinite/Infinite Anti-be Could be Infinite (1976-1987) pour neuf quatuors à cordes, la variation d'énergie spectrale est plus directionnelle, comme si le compositeur s'inspirait de la croissance des organismes vivants et de l'évolution par mutations génétiques.

  « Les “archétypes” du langage musical de Radulescu [dans les Piano Sonatas] vont renouer même avec des œuvres anciennes du maître où ces éléments avaient été déjà présents sous une forme prémonitoire : Madrigal op.3 (1967) et Taaroa op.7 (1969) pour orchestre, et, respectivement, Omaggio a Domenico Scarlatti op.2 (1967) et la Première Sonate Cradle to Abysses op.5 (1968) pour piano » (Destarac 2003)2.
  Dans la troisième Sonate l'élaboration repose principalement sur des techniques de développement métrique. Il élabore de manière marginale la mélodie et de la polyphonie. En revanche, en développant et en variant des aspects métro-rythmiques, il concentre toute l'attention sur le mètre et aussi, de façon indirecte, sur les hauteurs utilisées, l'harmonie et les transitions d'un spectre à l'autre. La Sonate opus 86, comme d'autres pièces de la même époque, représente « une synthèse entre le nouveau langage spectral et le clavier tempéré, synthèse fondamentale opérée tout-au-long de la dernière décennie du XXe siècle » (ibid. : 2003). L'harmonie, ou « harmonie-timbre », est donc l'un des aspects les plus importants et qui ont le plus évolué de toute la production du compositeur.
La troisième Sonate s'oppose à d'autres Sonates de ce cycle caractérisées par des principes esthétiques différents : par exemple, dans la deuxème Sonate Being and Non-Being Create Each Other (1991) et dans la quatrième Sonate Like a Well ... Older Than God (1993), l'attention se déplace sur une fragmentation dans un sens plus traditionnel de la syntaxe musicale à travers l'alternance de matériaux-énoncés différents à l'intérieur de la même partie formelle. On pense par exemple à des « thèmes » en contraste entre eux. À l'inverse, dans la cinquième Sonate Settle Your Dust, This Is the Primal Identity (2003) et dans la sixième Sonate Return to the Source of Light (2007), émerge une élaboration de type polyphonique. Il utilise régulièrement la technique du canon en diffraction.

  Chaque mouvement de la troisième Sonate est caractérisé par une matière homogène. Les éléments en jeu sont répétés de façon obsessionnelle sans jamais produire de vraies ruptures. Radulescu cherche à créer une allure statique et un procédé de transformation du son qui se produit par des variantes lentes et microscopiques. Le compositeur a probablement pour but d'obtenir une expansion du temps réel car, en raison de la stabilité et de l'homogénéité de la matière, on a la perception d'un temps musical illimité, allongé à l'infini. La perte du sens de la temporalité permet à Radulescu de faire émerger le caractère mystique qu'il veut conférer à cette Sonate comme aussi à la totalité des œuvres du cycle. L'aspect mystique et spirituel concerne souvent des phases de perte de conscience de l'individu. Dans ce cas, le type de texture musicale répétitive et illusoire nous entraîne vers une perception altérée.
La poétique de Radulescu repose à la fois sur des principes et des attitudes typiquement scientifiques et mathématiques – notamment en ce qui concerne la genèse du langage musical spectral à travers la physique acoustique – et sur une approche bien plus intuitive, spirituelle, sublime et imaginative. Le texte qui suit est un exemple de la coexistence et de la coïncidence entre les aspects strictement scientifiques et d'autres poétiques. C'est sans doute Radulescu lui-même qui a écrit ce texte :

« Citons parmi ces “archétypes Radulescu” – non exhaustivement, les suivants : (1) colonnes de son α et β, “colonnes infinies Brancusi”, proto-modes à 2 intervalles uniques réitérés symétriquement (α − jusqu’à 12 sons [harm. 13-16 – 6-7 etc.], β − jusqu’à 8 sons [harm. 7-8 – 12-13 etc]. (2) Colonnes de son ρ, “oiseaux ‘maïastra’ Brancusi”, accords ou figures mélodiques issus de sommes et différences entre les harmoniques (ρ − ring-modulation ou modulation en anneaux des fonctions élémentaires, comme celle qui régit les nombres de Fibonacci !). Ces ‘arbres généalogiques de fréquences’ sont aussi appelés ‘fonctions auto-génératives’. (3) Hétérophonies diffractées δ – comme pour avoir la sensation que nous procurent les vitraux dans la rosace de la Cathédrale de Chartres, le déphasage temporel suggère la résonance naturelle grâce à des tempi différents simultanés d’une même mélodie, colind (Noël), par exemple » (ibid. 2003).

Comme nous pouvons le voir d'après ce texte, la technique compositionnelle – très poussée et spécifique – se mélange avec des idées et des visions qui concernent la perception intuitive psycho-acoustique du son et de la matière musicale, comme aussi des rappels du vécu du compositeur, par exemple les souvenirs de l'aspect de la résonance dans la Cathédrale de Chartres, ses vitraux et les chants de Roumanie comme les colinda.

Le titre du troisième mouvement de la Sonate, Doïna, annonce de façon explicite l'utilisation de formes empruntées à l'oralité. L'emploi d'hymnes archaïques comme les hymnes byzantins utilisés dans le premier mouvement témoigne de sa volonté de créer une esthétique qui rappelle la pureté du son dépouillé de sophistications structurelles. Ces hymnes ancestraux semblent sans temps comme des musiques millénaires ou éternelles. Ils sont exposés et élaborés de façon très élémentaire afin de laisser un sens primitif, infini et spirituel. Le titre de la Sonate, emprunté à l'ouvrage de Lao-Tzu, annonce cette esthétique : You Will Endure Forever. En décembre, nous aborderons l’analyse musicale du premier mouvement de la Sonate opus 86.

Références

BRIZZI Aldo, 1990 : Le Sorgenti inudibili del suono. La Musica spettrale di Horatiu Radulescu, Tesi di Laurea (Mémoire de Master), Università di Bologna.

CISTERNINO Nicola 2008 : « Da una Conversazione con Horatiu Radulescu (25 Giugno 1998) », in I Suoni, le Onde … Rivista della Fondazione Isabella Scelsi, n°21, deuxième semestre 2008, Roma, p. 8-9.

DESTARAC Sandra, 2003 : liner notes for the CD (pochette de CD) Horatiu Radulescu : Trois Sonates d’Après Lao Tzu Opus 82, 86 et 92 (1991-1999), Ortwin Stürmer piano, Menton, CPO CD.

GILMORE Bob, 1998 : liner notes for CD of The Quest (pochette de CD) : Concerto for Piano and Large Orchestra Opus 90 by Horatiu Radulescu.

GILMORE Bob, 2003 : «Wild Ocean», an interview with Horatiu Radulescu, first published in Contemporary Music Review 22 n°1-2, p. 105-122.

GILMORE Bob, 2006 : « Horatiu Radulescu discute avec Bob Gilmore », liner notes for the CD (pochette de CD) Intimate Rituals : Works for Viola, Vincent Royer viola, Gérard Caussé viola, Petra Junken and Horatiu Radulescu sound icons, production Sub Rosa, MFA Musique Française d'Aujourd'hui.

LAI Antonio, 2005 : « Le langage spectral de Horatiu Radulescu », in L’Education Musicale, Novembre/Décembre 2005 n°527-528, p. 50-56.

MILIA Alessandro, 2013 : « Spectralism and Traditional Oral Music in the Style of Horatiu Radulescu », Edinburgh, in Proceedings of the International Conference on Music Semiotics In memory of Raymond Monelle University of Edinburgh, 26-28 October 2012, UK, Published by IPMDS – International Project on Music and Dance Semiotics, p. 258-265.

RADULESCU Horatiu, 1975 : Sound Plasma : Music of the Future Sign, Munich, Edition Modern.

RADULESCU Horatiu, 2003 : « Brain and Sound Resonance: The World of Self-Generative Functions as a Basis of the Spectral Language of Music », in Annals of the New York Academy of Sciences, Vol. 999  ISBN 1-57331-452-8, December 2003, p. 322-363.

STOIANOVA Ivanka, 2000 : Manuel d’analyse musicale. Variations, sonate, formes cycliques, Paris, Minerve, Coll. « Musique ouverte ».

STOIANOVA Ivanka, 2004 : « Musiques Répétitives », in Entre détermination et aventure. Essais sur la musique de la deuxième moitié du XXesSiècle, Paris, L’Harmattan, Coll. « Esthétiques », p. 59-76.


1 La troisième Sonate a été commandée par le pianiste Ortwin Stürmer (comme aussi la deuxième Sonate opus 82 et la quatrième Sonate opus 92) avec le soutien du Ministère pour l’Art et les Sciences du Land Baden-Württemberg en Allemagne. La Sonate est un hommage à Roger Woodward (pianiste, né en 1942 en Australie). En 1999 a été créée par Ortwin Stürmer au Festival International de La Roque d’Anthéron (la partition de la première porte en exergue « pour Ortwin Stürmer, en toute amitié ») (Destarac 2003).

2 Sandra Destarac est probablement un pseudonyme, c'est vraisemblablement Radulescu l'auteur du texte. Nous avons consulté ces notes écrites pour la pochette du cd des Piano Sonatas opus 82, 86 et 92 directement sur internet et, pour cette raison, nous n'indiquons pas le numéro de page.

Alessandro Milla
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SPECTACLES

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Festival D'Aix: Ariadne, Didon et Orfeo.


Le festival d’Aix-en-Provence présente la Méditerranée comme berceau de l’opéra à l’occasion de son 70ême anniversaire. Des platanes, des marbres séculaires, des fontaines et des terrasses très animées devant de grands écrans de télévision entourent le rayon de sécurité, qui, pendant l’été du championnat mondial de football, sert d'écran acoustique à la place de l'Archevêché, pierre angulaire du festival d'Aix en Provence, fondée exactement ici, il y a 70 ans.

Ariadne en Aix(os), l'opéra matrioshka

Le labyrinthe qui nous mène à Ariadne zigzague à travers la vieille ville d'Aix en Provence. Ces rues nommées en deux langues, flanquées de terrasses et stratégiquement cousues avec des fontaines. Ainsi nous entrons dans la pierre millénaire, nous le faisons aussi dans le passé: la cathédrale, le baptistère et ce qui devait être le cardus romain. Et enfin, la place de l'Archevêché, transformée pour l'occasion en amphithéâtre. Un auditorium en plein air, à l'épicentre même du labyrinthe.

Le tandem Hofmannsthal-Strauss a fait fort en tentant de proposer cette jonglerie intellectuelle intitulée Ariadne à Naxos, opéra inaugural de la 70ème édition, sous la direction musicale de Marc Albrecht avec la mise en scène de Katie Mitchell. La scénographe britannique a peut être trop mis l’accent sur le texte, très dense, oubliant la musique et le ton burlesque contenus également dans l'opéra.

Le prologue, première partie de l’opéra, fonctionne de manière efficace. Le spectateur assiste en direct à la «genèse» depuis l'île de Naxos dans une salle à manger, avec un mobilier façon ikea. Dans un va-et-vient ininterrompu, tandis que le compositeur, le professeur et le chorégraphe discutent des changements à apporter à l'opéra (de l'intransigeance initiale du premier à la frivolité de ce dernier), en parfaite synchronie avec la musique et sans entraver l'action, la salle à manger est transformée en une île grecque, plage incluse. Le scénario réel est ainsi divisé en trois parties. Un tiers pour accueillir le personnel créatif, dans un parterre réduit, commentant sur l’action et deux tiers pour la mise en scène (l’opéra met en scène une répétition d’opéra). Au milieu, un rideau translucide, rappelant un rideau de douche de grandes dimensions.

La deuxième partie, au contraire, est un peu fastidieuse dans la mise en scène comme dans la musique. La scénographie qui avait bien fonctionné dans le prologue, finit par devenir un piège. Katie Mitchell, en dépit de son talent incontesté pour l’art dramatique, transforme la moitié des chanteurs en de simples spectateurs. Mais c’est aussi le livret qui rend difficile d’occuper une douzaine de chanteurs qui, pendant plus d’une heure et demi, n’ont rien d’autre à faire que voir et d’entendre.

Cette scission en deux de la scène diminue l'attention sur l'objectif de l'action. Heureusement, la soprano Lise Davidsen (Primadonna / Ariadne ) brille tout au long du deuxième acte. Avec une voix puissante, elle réussit à donner des intentions aux longs monologues de Hofmannsthal.

L'ange de feu de Prokofiev, l’érotisme de l’occultisme

Voici en quelque sorte aussi l'un des opéras les plus déconcertants du XXe siècle, une véritable rareté dans la production de Sergei Prokofiev.

Renata, l'héroïne de L’Ange de feu, commence par répudier et adorer alternativement son idole ou son démon, traduisant sur scène l'œuvre homonyme du poète symboliste Valeri Briussov. Il est presque impossible d'opter pour l'un ou l'autre.

Après presque trois heures de magie noire, on ne sait toujours pas si la ‘dérangée” Renata (Aušryné Stundyté) exalte ou maudit ce spectre, qui s'appelle Heinrich et qui, en plus d'exercer le rôle du séducteur irrésistible et plieur de volontés, prend forme dans les personnages de Faust et de l'inquisiteur (Krzysztof Bączik). Le protagoniste masculin, Ruprecht (Scott Hendricks), complète le trio avec son rôle banal de servile amoureux. C’est pourtant le seul personnage sain de ceux qui apparaissent sur scène ; la mise en scène, confiée au célèbre Mariusz Treliński, a conquis son audience.

Il s’agit de la deuxième production présentée à Aix 2018, une coproduction franco-polonaise, qui réunit une importante délégation du Teatr Wielk de Varsovie (chanteurs, choristes et figurants) dans l'imposant Grand Théâtre de Provence, dont l'acoustique est exceptionnelle pour les opéras grand format. Sous la direction du japonais Kazushi Ono, l'orchestre excelle tant dans l'interprétation de la partition complexe que dans sa parfaite synchronisation avec ce qui se passait sur scène.

Penser à l'Ange du Feu et rappeler le Maître et Marguerite de Bulgakov forme un tout. La culture slave, plus perméable à l’irrationnel et au mystère, si familière aux démons, a réinterprété le mythe faustien dans son aspect le plus ésotérique, donnant à Heinrich et à l'inquisiteur des identités parallèles, comme si l'un était le sosie de l'autre. On a reproché à Treliński de confondre Heinrich, Faust et l'Inquisiteur, mais ce stratège participe à la confusion que le metteur en scène transmet au spectateur avec brio.

L'Ange du Feu, surtout dans sa dernière partie, laisse le spectateur assommé devant un amoncellement de comportements paranoïaques, mêlant obscurantisme, bipolarité chronique, stupéfiants, médiums, l'irrévérence, péché, désir de rédemption, démence irréparable chez la protagoniste féminine - que le spectateur ressent déjà dès les premières mesures de l’opéra. Dans ce tourbillon du subconscient tout y passe, mais aussi l'ordre millimétrique.

La relative austérité de Kazushi Ono dans l’orchestre permet la précision et la concentration de ses gestes. Rien n’a échappé au chef impassible, qui parvient à transcender la partition dans toute sa complexité. La forme de l’opéra, consistant à rendre crédible ce trouble psychologique qui s’aggrave en crescendo, exige paradoxalement beaucoup en coulisse. Il semble que le maître japonais se soit plongé consciemment dans la partition de Prokofiev et, imperturbable, se comporte comme un démiurge sonore pour que toute la machinerie du délire fonctionne avec la précision et la rationalité requises.

Didon et Enée, ‘chant du cygne’ en Carthage

Même si ce n'était que pour écouter la plainte finale de la reine Dido devant sa Cathage assiégée (Remember me but forget my fate), il valait la peine d’attendre minuit au Théâtre de l'Archevêché. La mise en scène proposée par Vincent Huguet, en revanche, basée sur la traduction narrative du contexte punique à l’époque coloniale, n’était pas des plus évidentes, d’autant que l’opéra d’Henry Purcell est déjà fragmentaire et manifestement inachevé. En absence d'un récit spécifique dans le livret original, la chose la plus sensée eût été de se limiter au peu connu et de ne pas prendre trop de risques.

On ne peut nier que les murs de Carthage, omniprésents dans la scène, dégageaient un certain magnétisme évocateur. Sous la voûte céleste, astrale au début et guerrière à la fin - la mise en scène se déroule comme une nuit permanente, mais à mesure qu’on se plonge dans le fil narratif d’Huguet, on se perd.

L’opéra s’ouvre sur un monologue d’introduction récité par la chanteuse malienne Rokia Traoré. Le personnage de Didon est incarné vocalement par la chanteuse sud-africaine Kelebogile Pearl Besong. malgrès sa voix brillante, Besong allait en faiblissant au cours de l’opéra, dans la justesse notamment. L'Ensemble Pygmalion en revanche, nous livre magnifiquement la partition du compositeur anglais dans une interprétation d’époque. Dans la nuit teintée de fuchsia, Didon se lamente sur le balcon de sa Carthage traquée, le feu croisé à l'horizon. Assister à ce dernier vers languissant, de profondeur Shakespearienne, cet oxymoron à mode d’épitaphe (“Remember me but forget my fate", “Souviens-toi de moi mais oublie mon destin”), transforme la fin malheureuse en délice. Le jeune et talentueux chef tchèque Václav Luks guide avec une superbe maîtrise les voix de Pygmalion, jusqu'à fondre leur dernier murmure dans un silence profond.

Seven Stones de Ondřej Adámek, création mondiale

Ondřej Adámek, un autre jeune tchèque, ici dans son double rôle de chef et de compositeur, dirigeait la création de son premier opéra, Seven Stones. À partir de textes du poète islandais Sjón, Adámek nous propose ici, selon le sous-titre, un "opéra a capella pour quatre chanteurs solistes et un choeur à douze voix", traduit sur scène par Eric Oberdorff.

Structuré en sept scènes très autonomes, n’ayant comme fil conducteur que la présence minérale de la pierre, Adámek propose une expérience quelque peu dadaïste, parfois plus phonétique/euphonique que strictement musicale, mais non dénuée d'intérêt. Il explore le spectre de notre appareil phonatoire et des lignes vocales qui se chevauchent, se concentrant davantage sur l'aspect rythmique plus que sur le plan tonal (on retient relativement peu de mélodies claires dans l'heure et demie de l’œuvre, sauf peut-être lors de l’oratorio, avec quelques arpèges au clavecin et le chant unisson en sorte d’épilogue).

D’un point de vue expérimental, il soulève des questions intéressantes telles que la possibilité de découper des mots pour les transformer en onomatopées, jouant constamment sur la frontière musique/langage, sans craindre parfois quelques accents puérils. L’onomatopée, comme le babillage, devient l'embryon du mot et de sa décomposition ultérieure. Dans ce sens, les chuchotements sont constants, shshsh, tzktzktzk, RRRrrrr ... et multiples jeux et extravagances phonétiques, conduisant à des associations plus ou moins justifiées. Le travail est donc en premier lieu porté sur la diction exacte et non plus sur les notes. L’état aliéné du protagoniste laisse parfois perplexe, et la mise en scène ponctue les tableaux musicaux de façon parfois étrange. Les instruments à percussion ont ici une place de prédilection, et l’utilisation de l’archet de violon est détournée pour frotter à peu près tout sauf des instruments à cordes.

Seven Stones pourrait être réduite facilement d’un quart d'heure sans que cet opéra de chambre ne perde l’essence de sa valeur. Non exempt de scènes intéressantes, l’opéra termine néanmoins sur une scène de lapidation de la femme adultère, qui laisse une impression douloureuse (“A stone thrown in anger cannot return to the hand”, “Une pierre lancée en colère ne peut pas revenir dans la main”, sur le dernier passage). Le Théâtre du Jeu de Paume d’Aix fit un chaleureux accueil à ce laboratoire de phonétique minéralogique.

Fin du cycle et anticipation du Festival Aix Provence 2019 La 70ème anniversaire du Festival d’Aix présenta à plusieurs reprises ses adieux à Bernard Foccroulle, directeur du Festival d’Aix au cours de la dernière décennie. Il sera remplacé par Pierre Audi, qui, lors de la présentation du programme pour 2019, a esquissé un engagement audacieux envers l’opéra contemporain. Outre une adaptation scénique du Requiem de Mozart et Tosca, les quatre titres restants proposés pour l'été prochain ne sont pas exactement des concessions au grand public: “Ascension et chute de la ville de Mahagonny” (Kurt Weill), “Jakob Lenz” (Wolfgang Rihm) et deux créations “The Sleeping Thousand” (Adam Maor) et “Blank out” (Michael Van der Aa).

Joan Estrany
trad. Daniel Figols & Jonathan Bel
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CONCERTS

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Festival Darmstadt : [TRIGGER ME] Julia Mihály, voix et électronique


À Darmstadt pendant les deux semaines du festival, les concerts de musique d’avant-garde font salle comble. Le public est certes très ciblé, mais tout de même très important, jeune, international, et à l'affût de situations musicales inouïes.

Samedi 21 Juillet par exemple, la chanteuse Julia Mihály présentait une performance hors du commun, dans laquelle vidéo électronique plongent la soprano dans un univers futuriste. Si certains traits colorature rappellent de temps à autres Cathy Berberian, la saturation, les glitch, la chevelure rose fluo et la gestuelle désinvolte de Julia évoquent surtout la scène underground.

Plusieurs compositeurs ont contribué à l’élaboration de son spectacle. Parmi eux, Miika Hyytiäinen, danois, tourne en dérision le rôle du compositeur/musicologue cherchant à conceptualiser le dialogue compositeur/interprète, ce que la chanteuse écoute d’une oreille distraite dans la scénographie. Me du ça, la pièce de Huihui Cheng, met en scène une figure imaginaire de Méduse dont la voix transformée par l’électronique effraie, tout en prolongeant les possibilités de l’organe humain. Martin Schüttler enfin, propose un langage très singulier, conceptuel, critique, jouant avec des matériaux déqualifiés comme des samplers et des claviers MIDI, mettant ainsi en perspective la création d’aujourd’hui face aux outils et à l’expérience banalisée du home studio. Le ton sarcastique absurde qui frappe au premier abord révèle peu à peu qu’un langage est possible malgré la pauvre qualité parfaitement assumée des matériaux utilisés.

Le concert-performance de Julia Miháli n'est pas sans rappeler par certains aspects la compositrice Irlandaise Jennifer Walshe. Une grande poésie émane de son chant, de son jeu scénique, et des images d'éternelle adolescente qu'elle évoque.

Jonathan Bell
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Festival Darmstadt : Found Footage Ensemble Nikel / Clara Iannotta / Simon Løffler


L’ensemble Nikel interprétait samedi 20 Juillet 2018 à Darmstadt des créations de Clara Iannotta et Simon Løffler sur des images de Peter Tscherkassky. Fidèle aux esthétiques d’avant-garde de Darmstadt, ce concert met l’accent sur le multimédia: instruments, électronique, et vidéos sont traités comme trois lignes de conduites autonomes, écrites par trois artistes, en contrepoint.

L’ensemble Nickel fait preuve d’une virtuosité magistrale dans la mise en place, le choix des timbres, et leur équilibre. Leur interprétation témoigne d’une nouvelle façon de penser la musique instrumentale: fortement amplifiés, les musiciens jouent aussi bien sur leur propre instruments que sur diverses formes d’objets, comme le brillant pianiste Antoine Françoise, qui n’a pas joué de claviers cette soirée. La musique de Simon Løffler surtout, exige l’interprète un jeu particulier: les musiciens s’emparent d’un dispositif d’objets sonorisés, de robots, faits de baguettes et de crotales accordés sur une échelle diatonique, afin de repenser le geste instrumental humain. L’oeuvre surprend par la fraîcheur de son approche, mais malgré quelques surprises révélées avec parcimonie tout au long de la pièce, cette dernière perd une partie de sa magie sur la fin. L’œuvre de Clara Iannotta, de caractère plus sombre, est sur plusieurs points, radicalement moderne. Elle hérite de Lachenmann une écriture basée sur les timbres plus que sur les hauteurs, ce qui lui permet un mélange particulièrement réussi avec l’électronique. L’univers sonore de Iannotta se fondait également bien aux images qui évoquent une certaine violence.

Jonathan Bell
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Festival Darmstadt : Quatuor Arditti


Le quatuor Arditti, intimement lié à l’histoire de Darmstadt, y a donné les 21 et 22 juillet derniers trois concerts de créations. Le premier concert proposait le "Livre pour quatuor" (1948/48, 2017), une œuvre de jeunesse de Boulez qui a difficilement convaincu son audience. L’œuvre, inachevée, dure plus d’une heure après la reconstitution des six mouvements réalisée par Philippe Manoury et Jean-Louis Leleu (2017). Malheureusement l’interprétation quelque peu austère des Arditti - ou peut être la musique elle-même - nous rappelle que le langage sériel, qui prit tant d'importance à Darmstadt dans les années 50, a fait son temps. La seconde partie du concert présentait Evil Nigger (1979) de Julius Eastman, dont le minimalisme diatonique se transformait graduellement en textures plus dissonantes. Cette oeuvre, qui surprend incontestablement, reste profondément marquée par son contexte historique et social, celui d'un compositeur noir américain au destin tragique.

Le concert du 22 juillet, mieux reçu, s'ouvrait par un solo magistral de Lucas Fels: In Nomine after Christopher Tye, une création de Brian Ferneyhough, qui fut avec Helmut Lachenmann une des personnalités les plus importantes du Darmstädter Ferienkurse. Le concert s'achevait avec un quatuor d'Ashley Fure (1982): Anima (2017), qui utilisait les instruments augmentés de l'Ircam. Malgré quelques difficultés techniques, cette pièce proposait une piste intéressante d'hybridation entre électronique et instruments acoustiques.

Le quatuor Arditti fut longtemps un vecteur incontournable de la création contemporaine, mais le public exigeant de Darmstadt semble aujourd’hui questionner sa suprématie. Leur jeu extrêmement virtuose, aux sforzandi agressifs, a longtemps forgé le son et le caractère de la musique contemporaine, mais la jeune génération, irrévérencieuse, semble se tourner vers d'autres esthétiques, peut-être pour s'émanciper de l'illustre tradition liée au quatuor à cordes?

Jonathan Bell
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Éric PÉNICAUD, Olivier PELMOINE, Sara CHENAL

19 octobre 2018
21h30 Château de Rosières à Saint Seine sur Vingeanne (Côte d'Or)
« Mon Oncle »
16 rue d'Alger 44100 Nantes – France

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Vendredi 16 novembre 2018 Duo Cordes et âmes
20h30 Château de Rosières à Saint Seine sur Vingeanne (Côte d'Or)
"En toutes saisons" : Vivaldi, Pénicaud, Piazzola.

Dimanche 18 novembre 2018 Duo Cordes et âmes
Eglise de Thizy (Yonne)
"En toutes saisons": Vivaldi, Pénicaud, Piazzola.

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Voir Lettre d'information précédente

CONGRÈS

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Festival Darmstadt : Workshops IRCAM


L’Ircam était ‘officiellement’ à Darmstadt cette année, pour la première fois depuis 2002, et présentait ses technologies aux étudiants, sous forme d’ateliers. Demo Schwartz y expliquait CatArt, une application de synthèse concaténative par corpus. Thor Magnusson proposait un atelier de "live coding". Norbert Schnell, Fred Bevilacqua et Benjamin Matuszewski présentaient SoundWorks, un environnement consistant à transformer les téléphones portables des participants en instruments de musique, samplers et autres synthétiseurs granulaires.

Le projet de recherche ANR CoSiMa (Collaborative Situated Media), qui a permis le développement de SoundWorks, pose plusieurs questions importantes, sur la définition d’un instrument de musique en premier lieu, préfigurant ce que pourrait signifier, dans un futur proche, faire de la musique ensemble. L’un des atouts de ce dispositif est qu’il repose entièrement sur des technologies web. Les participants, connectés sur la même page html en WIFI, peuvent interagir musicalement, au moyen des multiples capteurs (audio, tactiles, gyroscopique, accélérométrique, géolocalisation...) que possèdent aujourd’hui la grande majorité de nos smartphones.

Dans la culture populaire, disons depuis Jimmy Hendrix, l’électricité, puis l’électronique, ont été conçues comme un moyen de transformer le son du musicien, afin d’en accroître ses possibilités, par le biais de l’interaction homme-machine. Mais, comme nous l'explique Norbert Schnell, l’enjeu de CoSiMa introduit ici un problème différent, plus spécifique à notre époque contemporaine: celui de l’interaction entre êtres humains médiatisée par l’outil technologique. Dans une telle performance collective (qu'on appelle « jam » en musiques improvisées), l’idée même de composition musicale nécessite d’être repensée: en effet, l'acte créateur relève ici essentiellement du design sonore, ou encore du game design, une situation dans laquelle l’artiste doit inventer un environnement sonore ainsi que les règles d’interactions sonores/gestuelles entre les participants.

Les résultats de l’équipe CoSiMa, comme par exemple ceux de SmartFaust du Grame, à Lyon, ou encore du MoPhO (Stanford Mobile Phone Orchestra), nous montrent que, si ces instruments sont encore loin de pouvoir remplacer un piano ou une guitare, ils exercent une véritable fascination chez les plus jeunes, une nouvelle compréhension du rapport son/geste, et donc une nouvelle écoute, dont le potentiel pédagogique reste à exploiter. Quelques exemples sont disponible en tapant l'adresse suivante dans le navigateur web d'un smartphone: https://apps.cosima.ircam.fr/

Jonathan Bell
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L’ÉDITION MUSICALE

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FORMATION MUSICALE

David LAMPEL : Les instruments et l’orchestre. La musique instrumentale à travers les siècles. Van de Velde : VV 411.

C’est un ouvrage de 450 pages que nous offre ce compositeur et pédagogue. On retiendra d’abord l’extrême richesse de l’ouvrage. Les huit sections qui le composent sont : 1 – Le Moyen-Age (x°-XIV° siècle), 2 – La Renaissance (XV°-XVI° siècles), 3- Le Baroque (1300-1750), 4 – Le Classicisme (1750-1820), 5 – Le Romantisme (1820-1900), 6 – Le XX° siècle, 7 – Les instruments de l’orchestre moderne, 8 – L’instrumentation et orchestration. Ces parties sont d’inégale importance. Tandis que la première ne comporte que six pages, la sixième en comporte 182. On peut regretter que l’ouvrage ne comporte ni table des matières ni table analytique. Même si c’est un gros travail, les moyens modernes permettent de réaliser ces tables sans grande difficulté. Mais à ces réserves près, l’ouvrage est d’une richesse étonnante, foisonnante. Il répond en tout cas parfaitement à l’objectif de l’auteur : « Ce livre a pour objet de retracer [l’évolution de la musique instrumentale occidentale] en dégageant les éléments essentiels qui la constituent. Il ne prétend en aucune façon constituer une étude exhaustive mais plutôt une entrée en matière pour permettre ensuite un approfondissement à ceux qui le souhaitent. » On insistera aussi sur le caractère pratique de cet ouvrage : chaque affirmation ou analyse est appuyée sur d’abondants exemples musicaux. Il n’y a pas de CD joint : il suffira d’entrer dans YouTube ou quelque autre site de musique pour y trouver toutes les illustrations sonores nécessaires. On est à la fois submergé par la richesse de l’ouvrage et cependant frustré par certaines absences. Mais tel qu’il est, cet ouvrage rendra d’immenses services tant aux amateurs éclairés qui souhaitent l’être davantage qu’aux professionnels qui souhaitent avoir sous la main l’essentiel de ce qui concerne leur art.
Daniel Blackstone

Chantal BOULAY – Dominique MILLET : A tempo. Cours complet de formation musicale. 3° cycle. Vol. 9 B : oral. Billaudot : G 9600 B.

Ce volume consacré à l’oral est le complément naturel de celui consacré à l’écrit dont nous avons rendu compte dans la lettre 109 de décembre 2016. On y trouve donc des chants, des commentaires d’écoute (questions) et des lectures rythmiques, le tout sur des œuvres de toutes époques. Un encart est consacré aux commentaires d’écoute (corrigés et partitions.) Nous avons déjà souligné toute la qualité et tout l’intérêt de ce cours très complet de Formation Musicale qui va donc du débutant au musicien accompli. Il s’agit d’un remarquable travail mené par des enseignantes passionnées et sans aucun doute passionnantes, si l’on en croit leurs ouvrages.
D.B.

CHANT

Guy SACRE : Deux poèmes de Jean Pellerin. Baryton et piano. Symétrie : ISMN 979-0-2318-0785-1

Dire que Guy Sacre n’appartient à aucune école est évident à l’écoute de ses œuvres profondément poétiques. C’est donc la rencontre de deux poètes qui s’offre ici. Jean Pellerin (1885-1921) qui crée avec Francis Carco, Christian Derème et quelques autres l’« école fantaisiste », trop oubliée aujourd’hui. Les poèmes mis en musique par Guy Sacre sont extraits du Bouquet inutile (1923). Le premier poème s’intitule Ce souffle qui chante. La musique du compositeur fait ressortir à la fois la délicatesse, la légèreté et la nostalgie du poème. Le deuxième s’intitule Quand mon fil se cassera. C’est une méditation sur la mort que le musicien accompagne avec beaucoup de discrétion et de poésie. Disons très simplement que tout cela est très beau et à découvrir absolument.
D.B.

Guy SACRE : Trois Épigrammes d’Henri de Régnier. Voix moyenne et piano. Symétrie : ISMN 979-0-2318-0787-5

Qui peut, mieux que le compositeur lui-même, présenter cette œuvre ? Voici ce qu’il écrit. 
« On m’eût dit, dans mes vingt ans, qu’un jour je mettrais Régnier en musique, je me serais récrié. Le poète des Médailles d’argile ou des Jeux rustiques et divins n’entrait pas dans mon vaniteux petit Parnasse portatif, dont les dieux majeurs se nommaient Mallarmé et Valéry. Curieusement, c’est à la musique que je dois de l’avoir ensuite fréquenté davantage : Le Jardin mouillé de Roussel, un des sommets de la mélodie française, m’a révélé du même coup un sommet de notre poésie. Je confesserai encore ceci : en découvrant les Épigrammes, en décidant de m’en servir, j’ai refoulé une ancienne méfiance, la crainte, en musique, de l’alexandrin, ce vers auquel peut souvent s’appliquer, hélas, un de ceux de Racine : « Sa croupe se recourbe en replis tortueux » … Mais non, j’ai trouvé des vers très purs, sans poids ni pose, auxquels j’espère avoir conservé leur souplesse émouvante, leur merveilleuse ductilité. » On ajoutera simplement que la musique du compositeur est effectivement la parfaite servante des poèmes extraits du Miroir des heures paru en 1914.
D.B.

Guy SACRE : Deux poèmes français de Rilke. Voix moyenne et piano. Symétrie : ISMN 979-0-2318-0786-8

Il est indispensable de citer ici ce qu’écrit Guy Sacre à propos de cette œuvre : « On ne sait pas toujours que Rilke, au soir de sa vie, a écrit quelques poèmes en français. Il en donne un motif admirable au milieu même de son recueil Vergers :

Peut-être que si j’ai osé t’écrire,
langue prêtée, c’était pour employer
ce nom rustique dont l’unique empire
me tourmentait depuis toujours : verger.

Qu’un seul mot, et des plus fragiles, puisse entraîner à tout un exercice, voilà qui doit continuer à nous émouvoir. N’est-ce pas aussi, parfois, par la grâce d’un seul poème, mystérieusement élu, qu’un compositeur se mue soudainement en interprète et tâche, à des mots pourtant définitifs, de donner un surcroît de saveur, sinon de sens ? D’autres, pour ce Rilke français, l’ont fait avant moi : Milhaud (les Quatrains valaisans), Durey, Barber, Hindemith. J’ignore à quoi, devant ces pages, ils voulaient répondre, mais je puis dire ce qui m’y a retenu : le tremblement, bien perceptible à qui approche son oreille, d’un langage en effet « prêté », et qui n’échappe pas (qui ne veut peut-être pas échapper) aux plis, aux creux, aux gaucheries étranges de l’étranger, non moins valables, entre les mains d’un tel artiste, que l’exactitude lisse et lustrée de l’indigène, – et souvent chargés, comme la fausse note en musique, d’une inexplicable et violente beauté. » La musique de Guy Sacre est profondément fidèle à la lettre et à l’esprit des poèmes, fluide et discrète, prenante mais toujours au service des textes. Pour reprendre une expression familière, ces trois recueils sont à écouter sans modération !
D.B.

MUSIQUE CHORALE

Bertrand PLÉ : Victimae paschali laudes. Pour 8 voix a capella SSSAATBaB. Collection « neuf degrés cinq ». Microsillons éditions 2017, 35, rue Rachais 69007 Lyon. www.microsilloneditions.fr

On ne peut pas ne pas être pris, emporté dans un voyage musical et spirituel intense en écoutant cette œuvre attachante. La préface de Nicole Corti décrit avec beaucoup de sensibilité tout l’intérêt de cette pièce qui met en œuvre toutes les techniques vocales. Précisons que l’œuvre est écrite pour 9 solistes et non pour un chœur. On pourra juger par soi-même de l’œuvre en l’écoutant dans deux exécutions, celle de la première audition le 30 avril 2015, au Temple Lanterne (Lyon) et celle enregistré le 25 novembre 2017 à la chapelle Saint Louis-Saint Bruno à Lyon (69001) pour le festival « les Rendez-vous de Musique ancienne de Lyon ». Les deux sont réalisées par l’ensemble vocal Alkymia dirigé par Mariana Delgadillo Espinoza. https://www.bertrandple.fr/audios-vid%C3%A9os/victimae-paschali-laudes/ On trouvera également sur ce site un texte de Bertrand Plé pour présenter son œuvre.
D.B.

GUITARE

Antonio de SANTA-CRUZ : Diferentes obras para vihuela ordinaria - Différentes œuvres pour guitare. Lemoine : 29355 H.L.

Voici un répertoire souvent délaissé et qui mérite largement de revoir le jour. Christina Azuma nous propose une transcription pour guitare classique de quelques thèmes espagnols, en partant du manuscrit d’Antonio Santa Cruz consacré exclusivement à la guitare baroque. C’est un travail remarquable qui va pouvoir permettre de remettre à l’ordre du jour ce répertoire et de le valoriser à bon escient sur instrument moderne.
Le travail de réflexion aboutissant à cette transcription est vraiment très clair et très limpide. La rythmique et le texte en général sont rendus très accessibles. Le sens de la musique, le phrasé et quelques indications d’ornementations et de vibrato permettent de rejoindre une certaine authenticité rendue possible grâce à ce travail d’expert ! Car la première barrière que rencontre les guitaristes de nos jours réside dans le manque d’indications émanant de la tablature italienne utilisée par le compositeur.
Il en résulte une musique parfaitement adaptée aux possibilités de la guitare classique. Ce répertoire conviendra parfaitement pour des élèves de 2ème cycle.
Lionel Fraschini

Jean-Pierre GRAU : Les chemins de la virtuosité - Reaching Toward Virtuosity Vol.3. Lemoine : 29306 H.L.

Voici un remarquable ouvrage de technique, le 3ème d’une série qui a déjà fait ses preuves. L’auteur, Jean-Pierre Grau apporte des propositions pour accroître sa technique. Le principal attrait de ce 3ème volume est qu’il est centré sur la main droite. L’auteur porte attention à la stabilité de la main en proposant des formules de gammes et d’arpèges incluant l’alternance du buté et du pincé. Cela incite à rechercher une stabilité de la main droite et à faire particulièrement attention à son placement, sa tonicité et sa détente, comme une main de fer dans un gant de velours. L’apport de ce travail réalisé avec la plus grande concentration, minutie et rigueur est qu’il permet d’obtenir un véritable contrôle du timbre et d’acquérir des mécanismes d’efficacité digitale optimale, par analogie comme on peut en avoir dans un mécanisme d’engrenages. Une fois que tout est bien réglé, l’énergie circule. Cette sensation à la fois de contrôle du son et d’efficacité d’exécution est largement favorisée par les différents et subtils exercices spécifiques proposés dans cet ouvrage. La dernière partie, centrée sur la main gauche, est consacrée au travail du barré, ce qui est rare et propose également des exercices de liaisons peu orthodoxes, parfaits pour acquérir une belle dextérité y compris avec des déplacements. Il s’agit donc d’une méthode de technique ordonnée avec des exercices et recommandations qui sortent de nos habitudes. Cet ouvrage est un outil idéal et novateur pour tout guitariste souhaitant parfaire ou se forger une solide technique.
Lionel Fraschini

CLAVECIN

COUPERIN : Pièces de clavecin Second livre (1717) avec 8 Préludes et 1 Allemande de L’Art de toucher le clavecin (1716-1717) Urtext. Edition Denis Herlin. Bärenreiter : BA 10845

Certes, cet Urtext propose un gros et beau travail d’édition, mais on pourra regretter et déplorer qu’une nouvelle parution d’un si grand auteur français ne soit pas de facture française… Citons en rappel l’édition précédente de Kenneth Gilbert, chez Heugel, collection le pupitre (1969), des quatre livres de Pièces de clavecin (à la présentation plus large, mais à la gravure moins fine).
Denis Herlin, dans la préface (traduite par Peter Bloom), retrace quelques faits historiques et rappelle la biographie de l’auteur. Il explique la genèse et les problèmes de gravure et de publication du deuxième livre et de l’Art de toucher le clavecin. Il s’attache ensuite à la structure de l’œuvre, aux indications de tempo, aux ornements et à l’instrument lui-même.
Le deuxième livre contient sept « Ordres » - du sixième au douzième - (dénomination spécifique à F. Couperin pour désigner une « Suite »), ensemble de soixante-deux pièces au titre évocateur, ironique, humoristique ou mystérieux. Nous pouvons apprécier dans cet Urtext basé sur la première édition (quinze tirages, le manuscrit ne nous étant pas parvenu, mais nous en connaissons cinquante-deux copies), la qualité et la précision, la méticulosité à la fois de Couperin et du graveur. En effet, le compositeur, innovant et très rigoureux dans sa graphie (ornements, doigtés, reprises, rythmiques inhabituelles, liaisons, crochets…) en raffinant et détaillant son écriture, a complexifié le travail du graveur, monsieur du Plessy. Il s’est attaché de plus à soigner la mise en page : seules trois pièces comportent une tourne, en raison de leur longueur. Pour ne pas surcharger la lecture, mais ce qui ne la rend peut-être pas plus aisée, deux extraits de fac-simile sont proposés pour appliquer les doigtés de Couperin (L’Ausoniène).
Notons que les chiffrages indicateurs de mesure « extraordinaires » (8/4, 8/3) sont conservés, par contre, seules les clés de sol et de fa sont utilisées (Couperin en emploie six).
Suite au second livre, paraît en appendice, l’explication des Agréments et des Signes, ce que l’on appelle communément « table d’ornements » et qui est propre à certains compositeurs. Les huit préludes et l’Allemande qui suivent constituent l’Art de toucher le clavecin (gravé par L. Hüe). Des commentaires critiques, (comparaison des quinze tirages) malheureusement seulement en anglais, closent ce bel ouvrage qui sera certainement une référence incontournable pour les clavecinistes et musiciens curieux.
Sophie Jouve-Ganvert

ORGUE

BACH : Orgelwerke, Band 9, Orgelchoräle der Neumeister-Sammlung. Urtext der Neuen Bach-Ausgabe. Edité par Christoph Wolff. Bärenreiter : BA 5269

Cette nouvelle publication est une mise à jour du volume 9, série IV, présentée en 2003 et basée sur la première édition de 1985. Peu de changement, si ce n’est un allongement et un enrichissement de la préface, un résumé des sources dans des « Notes sur l’édition », ainsi que quelques corrections apportées au texte musical (clés…). Une présentation des différents chorals non harmonisés ouvre le recueil. Viennent ensuite trente-six chorals d’orgue fugués de la collection dite Neumeister, du nom de l’organiste et professeur qui possédait une collection manuscrite de pièces d’orgue.
Les vingt-six œuvres de Bach présentes sont entremêlées d’œuvres de différents compositeurs (Pachebel, Zachow, Johann Christoph Bach…) et tiennent compte du calendrier liturgique.
Comme souvent dans la pratique générale de la musique d’orgue de cette époque, l’utilisation du pédalier est soumise à l’appréciation de l’organiste. Il n’y a pas de portée écrite spécifiquement pour cette partie. L’entrée du pédalier est tout de même marquée (par p. ou Ped.), lorsque son utilisation est nécessaire (cantus placé à la basse, facilité d’exécution…).
Nous apprécions la pagination qui présente chaque choral sans tourne.
Sophie Jouve-Ganvert

Alexandre GLAZUNOV : Œuvres complètes pour orgue. Bärenreiter Urtext : BA 11222.

Cette édition contient, en plus des trois pièces habituellement connues : Prélude et fugue en ré Majeur op. 93, Prélude et fugue en ré mineur op. 98 et la Fantaisie op. 110, le Prélude et fugue en ré mineur op. 62, pièce expressive pour piano dans une transcription pour orgue de B. L. Sabaneyev (1909) faite avec l’accord du compositeur. L’édition comporte une préface et de précieuses notes détaillées pour l’interprétation, notamment en ce qui concerne la question, toujours délicate, de la registration. Ces pièces sont manifestement écrites pour un instrument à 3 claviers – pédalier et possédant de solides mixtures et batteries d’anches. Glazounov a d’ailleurs sollicité les conseils de Marcel Dupré pour sa Fantaisie. Ce dernier en est d’ailleurs le dédicataire, et c’est encore lui qui en donnera la première audition. Terminons en disant que cette édition tout à fait remarquable a été faite par Alexander Fiseisky, l’un des plus grands organistes russes.
Daniel Blackstone

PIANO

Jean-Michel TROTOUX : Une journée pièce en trois mouvements pour piano Editions Pierre Lafitan P.L.3161

Cette courte pièce d’une durée de trois minutes s’adresse à de jeunes élèves de premier cycle. Trois parties la composent. I.  Le lever de soleil décrit l’aurore en rythme systématique enchaîné main gauche, main droite, Les premiers rayons apparaissent en homorythmie et Le soleil prend sa place dans le ciel dans une mélodie accompagnée. II. Le jour point par graduation. III. Le coucher de soleil d’une bonne journée ensoleillée débute sur un accompagnement en seconde, puis la température commence à baisser sur une batterie de main gauche enfin Le soleil retourne dans sa tanière en reprenant le premier thème.
Sophie Jouve-Ganvert

BRAHMS : Zwei Rhapsodien op. 79 für Klavier Edité par Christian Köhn. Urtext. Bärenreiter : BA 9614

Composées en 1879, et jouées par Brahms sous le titre de « Klavierstücke » ou « Caprices », sans avoir suscité l’enthousiasme de Clara Schumann à qui le compositeur les avait soumises. Brahms dédicaça les pièces à son amie Elisabeth von Herzogenberg qui lui conseilla d’en changer le titre pour la publication (Simrock, 1880) préférant le titre de Rhapsodies, bien que la forme des pièces (surtout la première) soit en contradiction avec la conception d’une rhapsodie. La première partie de la rhapsodie en si mineur est Agitato autant par la rythmique que par la mélodie hachée, le caractère les modulations rapides ; la seconde, en ré m, plus chantée et tendre est interrompue par un développement de l’Agitato jusqu’à un jeu de fusées de triples croches. Puis retour du premier thème. S’ensuit une douce mélodie accompagnée, inspirée du thème en ré m, molto dolce espressivo, en si Majeur, coincée entre des effets de notes pédales supérieure et inférieure. Une coda dans laquelle le thème est à la basse, conclut la dernière partie qui est semblable à la première. La seconde et célèbre rhapsodie en sol m, bien que conçue en « allegro de sonate », évolue davantage dans un esprit rhapsodique, de par sa brillance, sa fougue, son instabilité tonale, de par la richesse, la variété et la superposition des thèmes.   Si nous lisons attentivement les indications d’interprétation de Brahms (soufflets, nuances, indication de variation de tempo, de pédale), nous remarquerons les effets souvent outrés des interprétations que nous entendons. Notons la rareté des doigtés indiqués par Brahms. Les propositions de l’éditeur sont notées entre crochets ou en pointillés. Les commentaires critiques de cette belle édition ont été établis d’après la première édition (le manuscrit autographe est perdu) et deux copies : une copie de F. Hlavaczek, ami de Brahms et une copie personnelle du compositeur comportant des corrections.
Sophie Jouve-Ganvert

Hans-Günter HEUMANN : Piano playground – Spielplatz Klavier – 30 pièces ludiques pour piano à jouer en cours ou en concert. Volume 1. Très faciles à faciles. Schott : ED 22980.

En complément des méthodes, et en alternative aux recueils de classiques, les professeurs seront heureux de trouver ces pièces originales destinées aux deux premières années de piano. Les mérites de l’auteur ne sont plus à démontrer. Ces pièces mettront en place les structures fondamentales de l’harmonie et de la mélodie tout en étant pleines de charme et d’originalité, même les plus simples. Les formes musicales se trouvent également représentées, du menuet au blues et au rock en passant par la tarentelle, assurant une belle variété stylistique. Bref, malgré sa simplicité, ce recueil offre aux débutants un excellent répertoire qui sera agréable tant pour les élèves que pour leurs auditeurs.
Daniel Blackstone

Arletta ELSAYARY : Argentina pour piano. Préparatoire. Lafitan : P.L.3152.

Que voici une bien charmante pièce dont la marche harmonique de la première partie est bien proche du célèbre « Chez Laurette » de Michel Delpech, ce qui n’est pas une critique mais un compliment ! L’accompagnement détaché à la main gauche gomme un peu le caractère qui pourrait être nostalgique de cette première partie pour lui donner un air plus joyeux, un peu comme un salé-sucré. Tout ceci est en tout cas fort agréable et, comme à l’habitude, fort bien écrit. La deuxième partie, en Majeur, fait dominer le caractère joyeux de cette évocation de l’Argentine, tandis que les dix dernières mesures sont une variante, sur la même grille, de la mélodie du début. Le tout se termine un peu comme un tango argentin… C’est donc une œuvre originale et attachante qu’Arletta Elsayary nous propose.
D.B.

Arletta ELSAYARY : Yvette la chouette pour piano. Série « Nos amis les animaux ». 1er cycle. Lafitan : P.L.3153.

Cette jolie pièce se déroule en un do majeur, suggéré dans le début et solidement affirmé dans les dernières mesures. Cela donne une atmosphère un peu mystérieuse bien agréable. Comme une certaine mouette, cette chouette possède une humeur rieuse, bien affirmée par le rythme de la main gauche dès la première mesure. Ensuite, le thème passe agréablement d’une main à l’autre, ce qui permet de cultiver l’indépendance des mains et de faire ressortir l’importance de la mélodie énoncée dans les graves. Une petite présence chromatique dans l’accompagnement aux mesures 25 et 26 permettra de faire goûter à l’élève de nouvelles saveurs harmoniques. Sous une apparente simplicité et avec une grande économie de moyen cette pièce est pleine de ressources !
D.B.

Hans-Günter HEUMANN : Best of piano classics 2. 40 arrangements de chefs-d’œuvre classiques célèbres pour piano. Schott : ED 22975.

Après un premier volume dont nous avons rendu compte dans la lettre 72 de juillet 2013, Hans-Günter Heumann nous propose un deuxième volume de difficulté moyenne comportant quarante numéros. On ne trouvera dans ce volume aucune œuvre pour piano simplifiée mais uniquement des arrangements de pièces orchestrales ou de musique de chambre. On y trouve aussi quelques extraits de concertos pour piano et orchestre. Bref, le répertoire est extrêmement varié. Rappelons que des compositeurs tels que Liszt se sont prêtés à de telles transcriptions. Certains se demanderont quel intérêt elles peuvent encore offrir à l’heure des mp3 et de YouTube. C’est oublier qu’on ne connait vraiment une œuvre que lorsqu’on a « bricolé » dedans, et quel meilleur exercice que de comparer ces arrangements aux originaux ? La suite naturelle serait de faire soi-même, à l’oreille, ces transcriptions… Mais faut-il encore que le pianiste qui s’y essaie soit aussi musicien ! C’est en tout cas un excellent moyen pour affiner son oreille. Pour terminer, disons que ces transcriptions sont remarquablement fidèles aux originaux, mais cela ne nous étonnera pas d’un compositeur dont on connait depuis longtemps les talents d’arrangeur.
D.B.

Anne-Virginie MARCHIOL : Gouttes à gouttes gouttes pour piano. Elémentaire. Lafitan : P.L.3284.

Malgré son titre un peu ambigu, cette pièce n’évoque en rien l’hôpital ! Mais elle suggère en revanche un paysage contrasté mais avec les gouttelettes de pluie sur le cours d’eau qui nous est présenté au début. A propos de ce début, il est difficile en se chantant la pièce de ne pas évoquer la Berceuse op. 16 de Fauré… mais c’est plutôt un compliment ! C’est toute une histoire qui nous est contée : promenade au bord de l’eau, puis la pluie commence à tomber, la nature s’apaise et pour finir, la grenouille me regarde… et disparait dans l’eau. Bien sûr ce ne sont que des indications mais qui peuvent suggérer des images et une interprétation. Quoi qu’il en soit, l’ensemble est plein de charme et d’une écriture musicale convaincante.
D.B.

Célino BRATTI : Piano en balade pour piano. Lafitan, P.L.3327

Cette valse qu’on peut facilement imaginer dans les bals musette à l’accordéon, est d’un niveau de second cycle. Elle se réalise en une durée de 4 minutes 10 environ. On entend tout d’abord un bref « lento senza rigore » qui introduit la valse qui apparaît en do majeur avec des accords aux deux mains dans une nuance soutenue. Vient ensuite une Sérénade en do mineur plus mélancolique. Elle se fait tout d’abord entendre à la main gauche en croches. Puis le deuxième thème apparaît à la main droite, initialement chantant et plaintif à la fois, puis véloce, avec des envolées en doubles croches à la main droite. On retrouve finalement le thème du début mais de manière plus triomphante, pour retourner sur la Sérénade qui conclut cette œuvre.
Marie Fraschini

Scott JOPLIN : Ragtime Arrangements faciles par Jean Kleeb. Bärenreiter, BA 10644

Ce volume marque aussi bien le centenaire de la mort du roi du Ragtime, Scott Joplin (1868-1917), que son 150ème anniversaire. Il présente une sélection de ses pièces dans une forme simplifiée : par exemple des octaves rapides aux deux mains ont été enlevées ; des passages difficiles, des accords et des sauts aux deux mains ont été réduits et parfois légèrement altérés, mais sans sacrifier l’essence et l’esprit des originaux. Le nom ragtime (temps en lambeaux ou déchiqueté), vient de l’utilisation décalée que l’on donne à sa main droite en effectuant des syncopes à la mélodie par rapport aux notes basses jouées à la main gauche sur les temps forts. On trouve dans ce cahier les célèbres Maple Leaf Rag, the Strenous Life, Eugenia, ainsi qu’un unique mélange de Rag et de valse : Bethena. Joplin ne voulait pas que l’on joue ses pièces trop vite : « Ce n’est jamais bon de jouer du Rag vite », un conseil avisé pour ceux qui veulent sonder ce genre unique.
Marie Fraschini

Gorka CUESTA : Le voyage du retour pour piano. Delatour : DLT2799

Cette pièce assez difficile est l’œuvre d’un compositeur né à San Sebastián (Espagne) en 1969. En 1997, il est admis au Conservatoire National Supérieur de Musique de Lyon dans la classe d’écriture de Loïc Mallié où il obtient en 2002 le certificat d'études supérieures d’écriture avec la Mention Très Bien à l’unanimité avec félicitations du jury. La pièce est dédiée à Mélina Burlaud, pianiste et organiste. La première partie, intitulée « Deciso », entièrement à la double croche, se déroule dans un rythme haletant tout en étant lyrique. Elle enchaine au bout de 276 mesures sur un « Tranquillo » de dix meures de grands accords arpégés qui débouchent sur le retour du « Deciso » initial. Soudain survient un nouveau tranquillo de six mesures qui débouche sur un court « Leggiero » rapide qui s’achève par un bref accord « pianissimo ». C’est une pièce attachante et pleine de caractère.
Daniel Blackstone

FLÛTE TRAVERSIÈRE

Michel PELLEGRINO : Musiques traditionnelles des Alpes (France – Italie – Suisse) pour flûte ou violon réunies par Michel Pellegrino. Lemoine : 29367 H.L.

Disons tout de suite que ce recueil existe également pour clarinette, c’est-à-dire pour instruments en sib sous la référence 29366.
Ce ne sont pas moins de dix-huit pièces qui nous sont proposées, toutes fort intéressante. L’introduction présente des informations très judicieuses sur la provenance de ces pièces et sur les instruments sur lesquels elles étaient jouées. Nous avons ensuite un exposé des divers styles de danse présents dans le recueil. Chacune des dix-huit pièces est l’objet d’une présentation détaillée qui permettra de l’interpréter fidèlement. Chaque danse est donnée avec les accords d’accompagnement. On trouve en fin de volume des grilles d’accords d’accompagnement pour instruments en ut (accordéon, guitare, piano…) pour chacune des pièces. On voit tout l’intérêt et toute la souplesse d’utilisation de ce recueil. Par ailleurs, les différentes pièces sont remarquablement choisies et arrangées par l’auteur.
D.B.

Patrice BERNARD : Divertissement « alla française » pour flûte et piano. 3ème cycle. Sempre più : SP0268.

Il est bien réjouissant, ce Divertissement « alla française » ! Le titre lui-même avec son mélange d’italien et de français, illustre bien le caractère de l’œuvre, partagée entre le pastiche et le clin d’œil. Oscillant entre do et la bémol majeur, ce divertissement commence par un allegro où flûte et piano jouent leur jeu de la manière la plus classique. Un « plus lent » permettra ensuite aux deux instrumentistes de faire preuve de leur lyrisme tandis qu’un Presto – Tempo de gigue à 106 à la noire pointée clôt l’œuvre en fanfare. Le tout est donc bien joyeux, léger et plein de charme.
D.B.

Gilles MARTIN : Une flute à Paris pour flute et piano. Lafitan : P.L. 3127

Cette valse pour flûte et piano de forme A B A C nous plonge dans l’ambiance parisienne, charmante et joyeuse. On peut facilement imaginer dès le premier thème en do majeur une balade au centre du quartier du Sacré-Cœur de Paris. Le deuxième, en la mineur, d’abord en legato, puis en mélange legato, staccato, peut nous faire penser au manège situé en contrebas du quartier de Montmartre. On revient ensuite au premier thème pour terminer dans la même tonalité. L’accompagnement est fait en premier temps d’arpèges pendant que la flûte valse dans un mode legato. Il ponctue ensuite de basses et d’accords à la main droite. Cette œuvre d’une durée de 2 minutes 30 convient très bien pour un niveau milieu de 2ème cycle.
Marie Fraschini.

HAUTBOIS

Claude-Henry JOUBERT : Concerto « Les Dragons » pour hautbois avec accompagnement de piano. 4ème année, fin du 1er cycle. Lafitan : P.L. 3135.

Comme à l’accoutumée, ce n’est pas l’humour qui manque à cette œuvre, pas plus, bien sûr, que l’intérêt musical… et solfègique ! En effet, si la partition est écrite d’un bout à l’autre avec deux dièses à la clé, elle est bien loin de rester dans les tonalités que suppose cette armure (ou armature, au choix…). Chacun des quatre dragons possède sa tonalité ainsi que son caractère, sans compter les péripéties de l’histoire. Ce sera l’occasion de faire faire aux élèves un travail sur les tonalités qui sera d’autant plus utile qu’il sera fait « à l’oreille ». Sinon, ce seront des instrumentistes, mais pas des musiciens ! Dragon catalan, dragon « l’adoré » (la-do-ré) c’est à dire dragon chinois, dragon La Tarasque, dragon écossais, chacun est évoqué par des paysages musicaux caractéristiques. On ne s’étonnera pas, notamment, que le dragon écossais ait pour leitmotiv « Scotland the brave ». L’histoire se termine bien évidemment, et même, pourquoi pas, en ré Majeur. Bien sûr, on peut ignorer le texte qui ponctue la partition, mai ce serait vraiment dommage. De la simple lecture à la mise en scène en costumes, tout est permis ! Souhaitons beaucoup de plaisir aux interprètes !
Daniel Blackstone

CLARINETTE

Michel PELLEGRINO : Musiques traditionnelles des Alpes (France – Italie – Suisse pour flûte ou violon réunies par Michel Pellegrino. Lemoine : 29367 H.L.

Il s’agit du volume que nous avons présenté dans la rubrique « Flûte Traversière » mais dans la version pour instrument en sib. Nous vous invitons à vous y reporter.
D.B.

Michel CHEBROU/Robert SCHUMANN : Romance n° 2 de Robert SchumannArrangement pour clarinette et piano de Michel Chebrou. Fin de deuxième cycle. Lafitan : P.L. 3279.

Cet arrangement est tout à fait fidèle au texte original pour hautbois et piano. Ce sera une excellente occasion de faire connaître aux clarinettiste une œuvre tout à fait passionnante. Bien sûr, elle ne s’adresse pas à des débutants. Mais elle permettra aux deux interprètes de montrer leurs qualités aussi bien techniques que musicales. Il s’agit en fait d’une véritable pièce de musique de chambre où il faudra faire preuve non seulement de qualités individuelles mais surtout d’un sens profond de l’écoute mutuelle et de l’échange entre musiciens. Il sera tout à fait utile d’écouter la version originale pour hautbois et piano par exemple https://www.youtube.com/watch?v=d2bdn2RIsVY pour mieux se pénétrer de l’esprit de ce court chef-d’œuvre.
D.B.

Jacky THEROND : Largo du concerto BWV 1056 de Jean-Sébastien Bach. Arrangement pour clarinette et piano. Lafitan : P.L.3316.

Cette transcription du deuxième mouvement du concerto numéro cinq en fa mineur pour piano et cordes de J.S. Bach est particulièrement bien réussie. Le timbre doux de la clarinette en si bémol rend parfaitement le caractère mélancolique et lointain de cet air si célèbre. Pendant ce temps le piano joue la basse continue à la main gauche, ponctuée d’accords à la main droite, laissant imaginer les pizziccati des cordes. Cette pièce aborde particulièrement le phrasé et le timbre doux de la clarinette dans un rythme pas évident, comprenant plusieurs ornementations. La durée de cette œuvre est de deux minutes trente-cinq pour un niveau fin du 2e cycle.
Marie Fraschini

SAXOPHONE

Patrice BERNARD : Blue Polka pour saxophone alto et piano. 3ème cycle. Sempre più : SP0269.

Elle n’engendre pas la mélancolie, c’est le moins qu’on puisse dire, cette polka déjantée ! Si la structure est bien celle d’une polka, elle surprend immédiatement par son aspect « jazzy », ses modulations et sa grille peu conventionnelle, même si le rythme un peu canaille de la polka se trouve scrupuleusement respecté. C’est ce décalage qui fait toute l’originalité et tout l’intérêt de cette pièce. Les interprètes mais aussi les auditeurs devraient y prendre un grand plaisir.
Daniel Blackstone

Fabrice LUCATO : Créolia pour saxophone alto et piano. Débutant. Lafitan : P.L.3186.

Avec son petit air exotique, cette œuvre permettra au débutant d’utiliser les ressources encore limitées dont il dispose à l’instrument pour interpréter quelque chose d’original Si le rythme reste assez sage au saxophone, le piano donne la note « créole » annoncée par le titre. Le pianiste aura d’ailleurs à faire la preuve qu’il n’est pas seulement un « accompagnateur rythmique » : il a aussi une part originale dans le discours. Aux deux instrumentistes de nous faire sentir l’odeur des iles et le déhanchement des danseurs.
D.B.

TROMPETTE

Paul ROUGNON (1846-1934) : 4ème solo de concert pour Trompette chromatique de Ut et Piano (1913). Restitution : Jean-Louis Couturier. Martin Schmid Blechbläsernoten : SM50955. https://www.martin-schmid-blechblaesernoten.de/shop/

Il est toujours intéressant que soient rendues disponibles des œuvres publiées en leur temps par des éditeurs aujourd’hui disparus. Précisons tout de suite que la partition contient, en plus de la partition originale, la partie de trompette pour instrument en sib. On sera surpris par l’intérêt musical de cette pièce, bien loin des « pièces de genre » si fréquentes à cette époque. Le langage est chromatique et lyrique faisant une grande part à la virtuosité de l’interprète mais aussi lui permettant de mettre en valeur ses qualités de musicien : expressivité, sens du phrasé et du lyrisme. On ne peut donc que recommander aux trompettistes de bon niveau de découvrir Paul Rougnon et les autres d’œuvres de cet auteur disponibles chez le même éditeur.
D.B.

Gérard LENOIR : En deux temps, trois mouvements ! pour trompette ou cornet ou bugle et piano. Élémentaire. Lafitan : P.L.3218.

Effectivement, l’ensemble est spécialement entrainant. Piano et trompette dialoguent dans un rythme sautillant (et à deux temps) avec des accents qui font penser parfois à une marche militaire. Une deuxième partie, lento, mais toujours à deux temps permet au trompettiste de montrer l’élégance et la suavité de son jeu. Une cadence ad libitum sépare cette deuxième partie du troisième « mouvement », toujours à deux temps mais à 6/8, cette fois, qui a ainsi un caractère de sicilienne même si certains passages évoquent plutôt une danse alsacienne… L’ensemble est donc varié, entrainant et sympathique. Bien sûr, la partition contient les versions en ut et en sib.
D.B.

TROMBONNE

Alexandre CARLIN : Charlie’s Blues pour trombone et piano. Débutant. Lafitan : P.L.3299.

Si la partie de trombone est bien pour débutant, celle de piano s’adresse à un instrumentiste plus chevronné. Cette pièce est très agréable. Il s’agit bien d’un blues et la grille caractéristique est parfaitement respectée. Piano et trombone dialoguent comme il se doit, le piano assurant les arabesques et les transitions traditionnelles. Bien sûr, la notation est en valeurs égales. Aux instrumentistes de montrer leur sens du rythme blues. La meilleure façon de les mettre dans l’ambiance sera évidemment de leur faire écouter de bons enregistrements… On sait la difficulté d’écrire des pièces intéressantes pour les débutants : nul doute que celle-ci ne fasse très vite partie de leurs favorites.
D.B.

Max MÉREAUX : La bonne aventure pour trombone et piano. Préparatoire. Lafitan : P.L.3229.

Non, il ne s’agit pas de la reprise de la chanson enfantine La bonne aventure au gué ! Ce qui ne signifie pas que cette aventure ne soit pas bonne, bien au contraire. Les parties de trombone et de piano s’entrelacent avec bonheur Le thème s’orne au fur et à mesure, les rythmes se complexifient, bref l’aventure se complique peu à peu tout en restant bien joyeuse. Ce sera, pour les interprètes, un excellent exercice de musique de chambre, c’est-à-dire d’écoute mutuelle.
D.B.

OPÉRA

Jean-Philippe RAMEAU : Les Indes galantes. Ballet héroïque en un prologue et quatre entrées. Livret de Louis Fuzelier. Version de 1736. Versions de 1735, 1743, 1751 & 1761 (Compléments). Édition de Sylvie Buissou. Réduction clavier-chant de François Saint-Yves. Société Jean-Philippe Rameau – Distribution mondiale : Bärenreiter : BA 8860-90.

Il est inutile de préciser le sérieux, l’exhaustivité et l’intérêt de cette publication, faite avec le concours du Ministère de la Culture et de la Communication, du CNRS, de l’Institut de recherche en Musicologie, de la Fondation Francis et Mica Salabert et de Musica Gallica. L’ensemble est publié en français et en anglais pour les commentaires. Pour être scientifique, cette édition n’en est pas moins une édition de travail : la partition est parfaitement claire et utilisable telle quelle. On ne peut que se réjouir du remarquable travail effectué par Sylvie Bouissou sur l’ensemble des œuvres de Rameau, compositeur français dont on ne mesure pas encore assez l’importance. On ne peut que louer la réduction piano-chant de François Saint-Yves, remarquablement pianistique.
D.B.

MUSIQUE DE CHAMBRE

Alexandre OUZOUNOFF : Cinq bagatelles pour basson et contrebasse. Delatour : DLT2806.

Commandées par Thierry Barbé au travers de l’Association des Bassistes et Contrebassistes de France pour le Master de Contrebasse du CNSMD Paris, la première mondiale de ces pièces a été donnée le 4 juillet 2017 CNSM de Paris par Jeanne Bonnet, contrebasse, et Marie Boichard, basson, à qui l’œuvre est dédiée. L’auteur présente lui-même son œuvre en détail sur le site de l’éditeur http://www.editions-delatour.com/fr/basson-et-autre-instrument/4152-cinq-bagatelles-pour-basson-et-contrebasse-9790232115450.html Disons simplement que ces cinq bagatelles sont inspirées sous diverses formes par Beethoven, d’abord dans le titre mais surtout par des références aussi diverses qu’explicites. Le mariage des deux instruments est tout à fait réussi et ouvre de nouvelles voies au répertoire de la contrebasse.
D.B.

LIVRES & REVUES

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Alain JOLY : BACH, maître spirituel. Paris, Tallandier, Coll. Spiritualité, 2018, 206 p. -19 €.

Encadré par une Ouverture et un Épilogue, avec des compléments indispensables : Abréviations, Bibliographie et Discographie, Index (personnes, lieux, œuvres de Bach), cette nouvelle publication d’Alain Joly, pasteur, théologien, mélomane et spécialiste de J. S. Bach, s’appuie sur des sources vocales significatives (Cantates, Messes, Motets, Passions et Magnificat) et instrumentales : Préludes, Préludes et Fugues, Préludes de choral (Choralvorspiele) et Fantaisies pour orgue et des Suites, Sonates pour violon, violoncelle, clavecin et violon ainsi que des Ouvertures et L’Art de la Fugue. Leur examen attentif lui permet de dégager de nombreux constats : la musique de Bach construit l’être intérieur et l’invite à s’épancher et à méditer. « Bach, maître spirituel » contribue à la « récréation de l’esprit » (p. 121) ; il affecte à la musique une fonction l’apparentant simultanément à l’homme (coram hominibus) et à la louange devant Dieu (coram Deo) (p. 38). Il assume donc une fonction « quasi sacramentelle ».

Parmi les formes abordées, figurent les CHORALS préparant les fidèles à l’écoute, puis à la réception hymnologique de la prédication (p. 58). Bach, conscient de sa vocation de liturge, est à la fois « un serviteur et un médiateur ». Grâce à son enracinement luthérien, il réalise une synthèse des divers courants : Orthodoxie dominante (cf. August Pfeiffer, p. 69) et Piétisme (cf. Johann Arndt) qui sont compatibles. Les CANTATES sont associées aux textes bibliques du dimanche en cause, les récitatifs s’appuient sur le principe de la cantillation (p. 78), mettant le texte en valeur avec des ponctuations et des répétitions. Bach exploite le symbolisme dans l’attribution des VOIX : le soprano exprime la confiance ; l’alto, la souffrance ; le ténor, l’espérance ; la basse est affectée à la voix du Christ et les vocalises renforcent l’exaltation. Les INSTRUMENTS sont au service des paroles et de l’intention spirituelle : le hautbois d’amour assure un genre d’homélie sans parole. Le violon piccolo traduit la joie promise au ciel ; la trompette du Jugement dernier est aussi associée à la Résurrection. La fonction de soliste des instruments les rend participants à la prédication (p. 52). Le MAGNIFICAT destiné à l’office du soir est, selon Luther, lié aux hauts faits de Dieu que Bach « restitue en prédication, aux accents de la théologie de la grâce. » (p. 89).

Cette synthèse théologique et musicale s’impose. La lecture de ce livre mûrement réfléchi devrait être accompagnée de l’audition des œuvres retenues qui, selon l’auteur, révèlent le « meilleur de l’aspiration au divin et quelque chose que l’homme est en capacité de recevoir d’au-delà de lui-même » (p. 9). L’auteur dépasse les travaux notamment d’Albert Schweitzer et de Théodore Gérold et propose des œuvres judicieusement sélectionnées qu’il situe dans leurs divers contextes : Allemagne, Luthéranisme, Piétisme, situation familiale et professionnelle (Weimar, Coethen, Leipzig). S’éloignant de l’approche musicologique et analytique, Alain Joly démontre que « Bach fait œuvre de prédicateur consciemment inspiré ». Son Avant-propos est daté du 11 mars 2018, date du Dimanche de Laetare (Réjouissez-vous) ; ce sera aussi le cas des mélomanes et lecteurs qui se réjouiront de cette nouvelle contribution.
Édith Weber
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Luis Lopez RUIZ : Guide du Flamenco. 4e édition actualisée. Paris, L’HARMATTAN, 2018, 255 p. -26 €.

Traduite de l’espagnol par Anne Wetzstein-Lopez et préfacée par Jaime Lopez Krahe, cette quatrième édition actualisée fait le point sur le flamenco, genre typiquement espagnol. Les non initiés — après avoir consulté le « Petit lexique des termes spécifiques du flamenco » (p. 239-243) — bénéficieront d’un guide simple et d’accès facile, accompagné d’une bibliographie et d’une discographie sélectives, ainsi que de la liste d’artistes flamencologues par catégories : chanteurs, danseurs, guitaristes, pianistes.

Au fil des pages, les mélomanes découvriront de précieux renseignements sur l’origine hindoue du flamenco, forme envoûtante attirant les touristes et curieux, associée aux Gitans qui, dès le XIVe siècle, se sont exilés en Europe, puis installés en Andalousie avec leur musique expansive qui amusait les gens. Le canto flamenco sera alors influencé par le folklore andalou et le répertoire populaire. Il débouchera sur le canto jondo, de caractère solennel mais aussi intime. Il s’implantera à Séville, Cadix…

Au début du XXe siècle, les enregistrements donneront une impression sonore du canto flamenco qui trouve aussi sa place au théâtre (opera flamenca). Dès 1955, conférences, publications, concours se succèdent. Puis, les salles de spectacle (tablao) permettent de voir et d’entendre du flamenco. Les disques perpétuent sa mémoire, ainsi que les Festivals en Andalousie, grâce aux intervenants : chanteurs, danseurs, guitaristes forçant sur la virtuosité (bailaores). Certains titres se présentent comme une « protestation sociale » assez résignée. Les hauts-lieux se situent dans les villes : Cordoue, Séville, Jérez, puis Malaga, Grenade, Salamanque, Valladolid, Madrid, Barcelone… Instructif.
Édith Weber


Bernadette LESPINARD : Les passions du chœur. La musique chorale et ses pratiques en France 1800-1950. Paris, FAYARD, Coll. Les chemins de la musique, 2018, 679 p. -29 €.

À partir de solides sources d’Archives nationales, municipales…, Bernadette LESPINARD — Docteur en Musicologie, enseignant l’analyse et l’histoire de la musique au CNR de Grenoble — évoque la pratique chorale en France : un vrai tour de force s’agissant de la longue durée (trois demi-siècles) et de l’agencement d’une matière si vaste (653 p. ; Index, p. 657-670 ; Table des Matières, p. 671-679…). Cet ouvrage paraît à point nommé au moment où se dégage en France un intérêt renouvelé pour la pratique chorale.

L’idée directrice qui, comme la Collection, retrace « les chemins de la musique » est l’histoire événementielle, politique et sociologique se dégageant des œuvres chantées et des diverses institutions. L’action de certains chefs a aussi son importance selon les contextes ou circonstances et les enjeux idéologiques. L’étude porte sur les grands moments de l’histoire de France et sur le phénomène sociétal oscillant entre amateurisme et professionnalisme. La Révolution française a marqué un temps d’arrêt avec la suppression des Maîtrises religieuses ayant assumé le rôle d’un conservatoire. Des Sociétés chorales et des Fédérations musicales populaires leur ont succédé. La musique est alors pratiquée par et pour le peuple. Au XIXe siècle, se manifeste progressivement un renouveau de la musique d’église grâce aux écoles et à une nouvelle culture catholique. L’Abbaye de Solesmes et la Schola Cantorum (Paris, rue Saint-Jacques) encourageront le chant grégorien traditionnel. De 1871 à 1914, le chant s’inscrit dans une nouvelle culture populaire. Entre 1915 et 1950, les études musicales seront développées, de nouvelles chorales notamment universitaires seront lancées. B. Lespinard brosse également un tableau des concerts classiques organisés par les diverses Sociétés à Paris et en Province, du renouveau de la musique chorale symphonique, signale les lieux de concerts, allant de la place du village à la salle spécifique, et mentionne la vogue de la chanson folklorique. Sous l’angle : « Culture, loisir et idéologie », l’auteur rappelle les Orphéons et quelques « Apôtres » de la musique : Louis-Albert BOURGAULT-DUCOUDRAY, Albert DOYEN, Charles BORDES… sans oublier « Les Petits Chanteurs à la Croix de Bois » ainsi que César GEOFFRAY et son mouvement « À Cœur Joie ». L’information concerne aussi l’impact du chant en Alsace pendant les deux Annexions : 1870-1918 et 1940-1944. (Rappelons à cet égard l’accueil si chaleureux réservé à C. GEOFFRAY par les Scouts strasbourgeois, absolument ravis de pouvoir à nouveau chanter en français...). Telles sont les étapes aboutissant à « un nouveau paysage sonore ».

Un seul regret : l’absence d’une Chronologie (avec les dates essentielles) qui aurait orienté les lecteurs dans la longue durée avec, éventuellement, quelques illustrations. Voilà un bilan quasi exhaustif de l’évolution de la pratique chorale à partir de sources de première main et un défi relevé. Exemple à poursuivre au XXIe siècle : chanter en chœur à cœur joie et avec passion.
Édith Weber
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Will METZ : La Théorie musicale pour les autodidactes. PB 1385. 2018, 155 p. – 18, 80 €.

Généralement, les autodidactes ont soif d’apprendre et se montrent réceptifs à l’enseignement de la théorie musicale (solfège) qui n’avait pas toujours eu bonne presse. Le voilà réhabilité, bénéficiant d’une remarquable présentation typographique avec d’excellents tableaux synoptiques très instructifs. La consultation est facile et la progression logique. Will Metz va droit à l’essentiel, privilégie un style direct et accessible. Les objectifs sont fixés dès la Préface, le Plan général (p. 16) tient lieu de table des matières, sans renvoi aux pages.

L’auteur dégage 5 composantes de la musique : Notes (y compris la notation à la guitare et la notation anglo-saxonne) ; Rythme ; Mélodie ; Polyphonie ; Harmonie à l’appui de dessins et croquis très suggestifs, sans oublier les différentes modes. (Un regret : l’absence d’un Glossaire des principaux termes techniques). Will Metz est fidèle à son objectif — qui est aussi celui des autodidactes — : « comprendre ce qu’il faut de théorie musicale afin d’avoir une vision limpide de ce que l’on joue (ou écoute), pour pouvoir ensuite devenir un meilleur musicien » (p. 10). Ce digest, destiné autant aux élèves qu’aux enseignants et interprètes, peut aussi permettre une remise à jour avant un examen. Vademecum indispensable.
Édith Weber
© L'ÉDUCATION MUSICALE 2018


Pauline GIRARD : Léo Delibes. Itinéraire d’un musicien des Bouffes-parisiens. Paris, VRIN, Coll. MusicologieS, 2018, 393 p. — 38 €.

La carrière de l’auteur de Coppelia — entre la Révolution de 1848 et la Guerre de 1870 — sort de l’ordinaire. Né en 1836 à Saint-Germain du Val (Sarthe), il est mort à Paris en 1891. Son itinéraire artistique le mènera du Théâtre des Bouffes-parisiens au Conservatoire National, puis, en 1884, à l’Institut de France. De son vivant, il avait été quelque peu affublé d’une image dégradante baignant dans l’incompréhension.

Pauline Girard, spécialiste de l’histoire des spectacles, a été Conservateur en chef de la Bibliothèque Historique de Paris et a aussi travaillé à celle de l’Opéra. Ces deux expériences et sa solide formation de chartiste lui ont permis d’aborder avec sérieux et opiniâtreté un sujet aussi neuf que complexe et de rendre justice à Léo Delibes. Ce compositeur a pris ses distances vis à vis de Jacques Offenbach (1819-1880) et deviendra un révélateur de ballets original et un homme de théâtre soucieux de plaire au grand public. Ses œuvres marquées par une certaine complaisance et sentimentalité se distinguent par leur facture vocale souple et font preuve d’un bon sens de la chorégraphie.

Les lecteurs seront orientés par l’Annexe avec une iconographie significative (affiches, répertoire, costumes, place de l’Opéra Comique…) représentant une vivante mise en situation selon les contextes de l’époque. Les Généalogies sont très instructives. La Chronologie concerne sa formation (études au Conservatoire auprès d’Adolphe Adam), ses activités (choriste à la Madeleine, organiste, professeur au Conservatoire où il a formé de nombreux élèves : Maurice-Emmanuel, Jaques Dalcroze…), voyages, séjours. Le Catalogue des œuvres est très copieux et très minutieux.

À partir de sources de toute première main exploitées avec une méthodologie exemplaire, Pauline Girard a signé une remarquable défense et réhabilitation de Léo Delibes faisant aussi, grâce à la présentation typographique de haute qualité, honneur aux Éditions Vrin.
Édith Weber
© L'ÉDUCATION MUSICALE 2018


Tempo flûte. Revue de l’Association d’Histoire de la Flûte française, n°18, second semestre 2018, Saint-Clair-sur-Epte, 68 p. (18 €/an).

Cette excellente revue spécialisée, dirigée par Pascal Gresset, s’adresse non seulement aux flûtistes et facteurs, mais aussi aux historiens et mélomanes. Ils liront avec intérêt des témoignages pris sur le vif de Claire Soubeyran (1949-2018), facteur de flûtes traversières baroques ayant depuis 1979 produit plusieurs milliers d’instruments. Ils y trouveront des précisions sur le « style de facture », la restitution de parties manquantes, les profils et graphes des modèles ainsi que sur le choix du matériau (ébène, buis, olivier, éventuellement ivoire). Ils seront renseignés sur les secrets de fabrication ou de restauration.

Henri Gohin, spécialiste mondialement reconnu, exploite la flûte traversière historique (modèle baroque à une clé) et la flûte conique de Boehm. Il a largement contribué à la redécouverte de la flûte traversière du XVIIe siècle à nos jours.

André Jaunet (1911-1988), disciple de Philippe Gaubert et de Marcel Moyse, soliste de l’Orchestre du Conservatoire de Paris, membre de l’Orchestre de Winterthur, puis de celui de la Tonhalle de Zurich, bénéficie d’un hommage appuyé, entrecoupé de récits personnels.

Soucieux de varier leur répertoire, les instrumentistes retiendront les œuvres de Franz et Carl Doppler reflétant un curieux mélange de musique populaire hongroise, d’improvisation, d’éléments balkaniques et tziganes, de classicisme viennois et d’opéra italien. À noter leur imposant Catalogue. D’autres rubriques mentionnent entre autres le très grand virtuose Giulio Briccialdi (1818-1881) à l’occasion du bicentenaire de sa naissance. Un nouvel apport concernant les œuvres dédicacées à Theobald Böhm ou encore l’entretien avec Alain Louvier faisant état de ses compositions pour flûte. À ces diverses contributions s’ajoutent encore une chronique discographique et une sélection de partitions.

Cette Revue invite les musiciens — à l’instar de Claire Soubeyran, dès l’âge de 15 ans passionnée par la flûte lors de sa rencontre avec le facteur Claude Monin, pionnier de la copie de modèles anciens — à devenir facteurs et flûtistes. Motivation à suivre.
Édith Weber
© L'ÉDUCATION MUSICALE 2018


Daniel MOULINET : Chanter en Église. Le point théologique n° 65. Journées d’études des 15 et 16 juin 2017. Actes publiés sous la direction de Daniel Moulinet. Beauchesne : ISBN : 978-2-7010-2265-9.

Nous nous permettrons de rappeler d’abord que le Père Daniel Moulinet, prêtre du diocèse de Moulins, est un historien, titulaire en 1992 d’un doctorat conjoint en théologie (Institut Catholique de Paris) et en histoire (Université Paris IV-Sorbonne). Il travaille spécialement sur l'histoire religieuse de la France contemporaine, notamment le courant catholique intransigeant du XIXème siècle et le concile Vatican II. Il a publié récemment aux éditions Beauchesne : La liturgie catholique au XX° siècle. C’est en quelque sorte un aspect particulier de cette réflexion qui a fait l’objet des journées d’études dont nous avons ici les actes.

Après une introduction qui dresse un état des lieux qu’on pourrait résumer crument par le titre d’un grand journal italien au lendemain des élections italiennes de mars dernier, une première conférence de fond expose les données du problème. Le titre en est Enjeux théologiques et ecclésiaux du chant liturgique en France cinquante ans après Vatican II. Après s’être demandé « Pourquoi chanter aujourd’hui ? », l’auteur s’efforce, dans un propos un peu caricatural, de nous montrer que ce n’était pas mieux avant. Un peu caricatural parce qu’on ne peut réduire le répertoire d’avant 1945 aux seuls exemples qu’en donne l’auteur. C’est un peu comme si on réduisait tout le renouveau actuel aux chants de Raymond Fau…

Les réflexions sur « chant et ritualité » sont tout à fait centrales. Ce qui ressort de l’ensemble des contributions est qu’il n’y a pas unanimité même théologique sur le sujet. Mais les problèmes sont posés sans esprit polémique, et c’est beaucoup ! Suivent d’autres conférences faites par des acteurs ou des témoins de cette période pour le moins agitée. Celle d’Olivier Landron a le mérite, là encore, de dresser un portrait lucide et sans complaisance des différentes instances qui se sont occupées de la question. Il fait en particulier ressortir l’importance de certains acteurs comme le studio SM (Simone et Maurice Robreau) pour la diffusion, et pour la création de Didier Rimaud.

Une étude, par Daniel Moulinet, de la revue Eglise qui chante et de son évolution est particulièrement intéressante par l’analyse des difficultés de la revue devant l’évolution du style et le foisonnement des années 90. On sera particulièrement intéressé par la contribution de Jo Akepsimas, dont les compositions ont été abondamment utilisées dans les paroisses catholiques (mais pas seulement…). Quel que soit le jugement qu’on porte sur sa production, on ne pourra que se réjouir de sa lucidité notamment lorsqu’il écrit comment, touché par la Misa Criola d’Ariel Ramirez, il « cherche comment marier les chants liturgiques avec les musiques « du temps ». Et il ajoute : « Pendant cinq ans, j’ai poussé loin cette recherche d’inculturation, faisant appel au gratin des musiciens de jazz pour mes disques. Mais, progressivement, je me suis rendu compte que certes cette musique changeait le style des célébrations et rendait les célébrants moins guindés. Par contre, peu d’assemblées réussissaient à entrer dans le swing syncopé, et à chanter correctement ces musiques. Je faisais fausse route ! Je me faisais plaisir, mais je ne rendais pas service aux assemblées. » On ne peut hélas pas dire que ce constat lucide ait véritablement convaincu tous les actuels compositeurs de cantiques. Ne sommes-nous pas inondés encore aujourd’hui de ces chants soi-disant « pour les jeunes » mais qu’on fait chanter à toutes les assemblées, y compris du troisième et quatrième âge, chants auprès desquels le « Jésus revient » du film La vie est un long fleuve tranquille pourrait passer pour un chef-d’œuvre, et qui relèvent d’une pratique qu’on a stigmatisée chez les auteurs des cantiques du XVIII° ou du XIX° siècle consistant à reprendre des thèmes populaires profanes pour les habiller de paroles pieuses et sentimentales. Et que dire des partitions où sont notés scrupuleusement les rythmes syncopés avec force points et doubles-croches, ce qui est une méconnaissance radicale de l’écriture du Jazz… et ne donnera pas le sens du rythme à nos paroissiens !

La conférence du Père Laurent Jullien de Pommerol, à la fois théologien et musicien averti, mais aussi curé de terrain, puisqu’il est curé de l’ensemble paroissial La Croix Rousse à Lyon est particulièrement intéressante : elle retrace toute l’histoire du recueil Les deux tables et de tout le mouvement musical et liturgique qui l’a entouré. Il fait en particulier référence au livre central, « décisif », Le mystère Pascal du père Louis Bouyer, de l’oratoire, paru en 1945 puis révisé par l’auteur pour tenir compte de la réforme de la Semaine Sainte de Pie XII en 1951 (Vigile Pascale) et 1956 et fort heureusement réédité aux éditions du Cerf. N’oublions pas que le père Bouyer fut deux fois nommé par le pape à la Commission théologique internationale, en 1961 puis en 1974, et qu’il fut consultant au concile de Vatican II pour la liturgie, la Congrégation pour le Culte et le Secrétariat pour l'unité des chrétiens. Il y avait en germe, grâce à ces travaux, tout un possible renouveau du chant religieux comme du chant liturgique. Les divers acteurs de ce renouveau avaient en commun, malgré leur diversité, la conviction qu’il fallait réinterpréter la tradition en s’appuyant sur elle et non pas en rupture avec le passé. Malheureusement dans les années 60 -70, dans l’ivresse de la liberté retrouvée, beaucoup de prêtres auraient volontiers proclamé : « Du passé, faisons table rase ». Ainsi l’individualisme paroissial puis la concurrence sauvage entre certains acteurs et éditeurs et maintenant les productions exclusives de « communautés », qu’il s’agisse de la communauté de Jérusalem, du Chemin Neuf ou de l’Emmanuel, pour ne nommer que les plus connues et les plus prolifiques, nous laissent un paysage émietté.

On comprend alors qu’il soit nécessaire de faire une conférence intitulée « Comment favoriser la communion ecclésiale dans la diversité des pratiques ? ». C’est le directeur du Service National de la Pastorale Liturgique et Sacramentelle, le père Bruno Mary, qui traite avec beaucoup de prudence mais aussi de lucidité cette question aujourd’hui fondamentale. Il le fait à la fois en théologien et en pasteur. Nous lui saurons particulièrement gré d’avoir cité quelques lignes du texte d’une conférence de Joseph Samson, Maître de Chapelle de la Cathédrale de Dijon, au 3° congrès international de musique sacrée, en 1957, une semaine avant sa mort, conférence qui constitue en quelque sorte son testament spirituel. Joseph Samson y déclarait : « On lit, dans la vie du Père Lebbe, la petite histoire que voici : sœur Gamay, assistant aux cérémonies religieuses de son couvent, ne chantait jamais. Mais entre les offices, elle entrait à la chapelle, et on l'entendait chanter. Et si on lui demandait pourquoi elle chantait quand le monastère n'était pas là, elle répondait : « C'est pour faire rire le Bon Dieu » .

« Faire rire le Bon Dieu » : sommes-nous sûrs, chers Messieurs, d'avoir toujours poursuivi un idéal aussi relevé ? Pas besoin de se poser la question ni de s'inquiéter : Dieu est sourd ! Si Dieu n'était pas sourd, comment s'expliquerait-on, comment s'expliquerait-on que Lui, Dieu, puisse assister à une grand-messe chez nous chaque dimanche ? (Rires et applaudissements) ...

Si le chœur, quel qu'il soit, si le chœur n'introduit pas à l'office plus de vie spirituelle, que le chœur se taise.
Si le chant du chœur n'est pas pour les fidèles une nourriture, du pain... que le chœur sorte.
Si le chant des fidèles n'apporte pas à l'office plus de vie spirituelle, que les fidèles se taisent.
Tout chant dont la valeur expressive n'égale pas celle du silence est à proscrire.

L'Art, dans la célébration cultuelle n'est jamais nécessaire. Une messe dite dans une cabane en planches a autant d'efficacité rédemptrice que célébrée dans la cathédrale de Chartres. Mais si l'art intervient, ce ne peut être que pour introduire dans la cérémonie un principe de qualité par où s'exprime l'Amour. Point essentiel qu'on ne soulignera jamais assez : la qualité dans l'œuvre d'art est l'expression de la Caritas. »
Tout est dit… mais il faudrait citer ce texte extraordinaire tout entier ! On peut regretter que dans ces interventions, on n’ait pas fait assez remarquer que l’écoute et le silence, dans la célébration, sont aussi une activité et non pas, comme on l’entend souvent affirmer, un signe de passivité. Comme si l’activité se réduisait à la production. Comme si chanter un texte et une musique indigentes n’était pas une activité spirituellement dégradante… Soyons honnête, cela est dit au fil des interventions, mais avec beaucoup de retenue et souvent plus suggéré que dit. Seul, me semble-t-il, le Père Bruno Mary ose le dire avec vigueur : « L’assemblée peut participer par la seule audition d’une œuvre polyphonique par exemple. Il convient de favoriser une plus grande collaboration entre musiciens professionnels et assemblée. […] Cela pose la question de la compétence et de la beauté. Que de conflits à ce sujet ! »

La conférence d’Henri Dumas est consacrée à la manière dont religieuses et religieux se sont efforcés de vivre harmonieusement ce « passage », eux qui, par vocation, étaient concernés tout particulièrement par la réforme liturgique. C’est un prêtre musicien qui s’est chargé de cette conférence extrêmement instructive. Religieuses et religieux ont tout simplement essayé de converger avec sagesse et prudence. Qu’il nous soit permis de rapporter ici un souvenir personnel. Dans les années 70, faisant une retraite à la Grande Trappe de Soligny, j’avais remarqué que l’office, en grande partie grégorien, et donc en latin, comportait également des parties notables en chants français. Je demandai donc au père Trappiste qui était mon interlocuteur comment ils géraient ce changement. Il me répondit tout simplement que chaque fois qu’ils trouvaient un chant liturgique en français aussi beau que le chant grégorien qu’il était censé remplacer, ils l’adoptaient. Cela ne leur posait aucun problème, les changements étant décidés en communauté. Et il ajouta, en se tournant en direction de Solesmes : « Nous ne sommes pas un musée, nous… ». Cette conférence est un havre d’espoir dans un océan de ruines !

Une note d’optimisme est également fournie par les comptes-rendus d’ateliers qui montrent que les principaux acteurs refusent de baisser les bras et sont conscients de l’enjeu.

Un copieux article est consacré au père Marcel-Joseph Godard, « acteur du renouveau du chant liturgique après le concile Vatican II ». Avouons que ce fut pour nous une découverte… et l’illustration parfaite de ce qui ressort de tout ce livre : la mise sous le boisseau de travaux remarquables menés pendant de nombreuses années mais qui n’eurent pas l’heur de plaire aux instances censées diffuser en France les nouvelles productions musicales religieuses et liturgiques. On peut penser, en particulier, aux chants du père Lucien Deiss, pourtant soutenu par le cardinal Lustiger… Pour en revenir au père Marcel-Joseph Godard, on ne peut que s’étonner que ce remarquable répertoire, ces chants de qualité, soient quasiment inconnus ailleurs que dans le lyonnais. Nous ne pouvons que souhaiter que l’Association « Les amis du père Marcel-Joseph Godard » http://www.amismarcelgodard.fr/ contribue à la diffusion de son œuvre.

Ce long et très intéressant article fait partie de ceux qui nous laissent à penser que nous sommes peut-être en train de sortir du tunnel. Il est à noter que les prêtres intervenant dans ce colloque sont non seulement d’authentiques prêtres – personne n’en doute ! – mais aussi d’authentiques musiciens. On a souvent regretté le divorce qui s’est institué dans les années 60 entre les compositeurs et les pasteurs, en rejetant la faute sur les premiers, qui auraient été d’indécrottables passéistes. Disons que les torts furent très largement partagés et que la suffisance d’un certain clergé, suffisance qui n’avait d’égale que son incompétence, a creusé un fossé hautement dommageable. Certains musiciens-compositeurs ont essayé : nous pensons à Pierre Doury, Jean Langlais et quelques autres à commencer par Joseph Samson… On ne peut pas dire que leurs efforts aient été vraiment récompensés. Souhaitons que les temps soient de nouveau favorables pour résoudre ce problème typiquement français. Il suffit, pour s’en convaincre, d’aller écouter des messes d’autres pays sur YouTube. La tenue de ces journées d’études organisées par l’Institut pastoral d’études religieuses de Lyon et les Amis de Marcel Godard sont un signe très encourageant.

Souhaitons que tout cela soit fécond : ce volume est à la fois lucide, irénique et plein d’espoir. Lucide, car il ne cache rien des problèmes vécus depuis cinquante ans et hélas toujours présents. Irénique, car le constat se garde de toute polémique. Plein d’espoir car il montre qu’on peut maintenant se parler sans s’excommunier et aborder les questions de fond. Réflexion théologique et historique s’y mêlent indissolublement. Que tous ceux qui s’intéressent à la musique en général et à la musique religieuse en particulier le lisent et s’en inspirent, c’est tout ce que nous pouvons souhaiter !
Daniel Blackstone
© L'ÉDUCATION MUSICALE 2018


Charles GOUNOD : Le Tribut de Zamora

Quiconque évoque aujourd'hui le nom de Charles Gounod pense aussitôt à Mireille, à Faust, voire à Roméo et Juliette, trois ouvrages lyriques fameux qui tiennent encore la dragée haute à la domination de ses confrères italiens sur nos scènes internationales.

Le principal objet de ce livre consiste donc à extraire des limbes de l'oubli Le Tribut de Zamora, dernier opéra du compositeur, que beaucoup considèrent comme un sinistre pêché de vieillesse. De prime abord, le livre attire l'œil, suscite l'étonnement ; l'illustration surannée de sa couverture, en cartonnage rouge et or, ainsi que le grain ouaté du papier et son délicieux fumet lui confient une solide autorité, ce que corrobore l'excellent contenu.

Rédigé d'une plume élégante et limpide par Gérard Condé, le premier chapitre a le mérite de réconcilier son auteur avec cet opéra, qu'il considérait pourtant dans sa récente monographie sur Charles Gounod, comme un dernier opus faible et conventionnel. Son texte expose les circonstances de la création, les détails de sa commande, le choix des interprètes jusqu'au succès de l'œuvre, souvent cristallisé par le final héroïque des premiers et troisièmes actes, dont il est rappelé à juste titre son lien avec le patriotisme altier de la Troisième République.

L'article de Gunther Braam, musicologue allemand, spécialiste de Berlioz et de Wagner, débute par un exposé minutieux de la genèse du Tribut, citations d'articles de journaux et de lettres à l'appui. Chaque épisode de la création parisienne, le 1er avril 1881 y est précisément détaillé. L'on y suit avec passion la narration des différentes vétilles de la création, qui se conclut dans un rapport circonstancié des critiques musicales - en français et même en occitan ! - retraçant ce ton coruscant et cynique, cet appétit de la saillie et du bon mot si typiques de cette époque.

Les deux parties suivantes, écrites respectivement par Rémy Campos et Pierre Sérié, s'extraient du musical pour évoquer, le premier, la place de la mise en scène d'époque, avec l'importance de la déclamation, de la position toujours en avant-scène des chanteurs lors des airs et des éléments spectaculaires, et le second, de l'influence de l'Espagne picturale dans la création d'un opéra, qui réunit le tour de force de parler d'Espagne, de l'Orient, du haut Moyen-Age et... du nationalisme contemporain. Une même approche historisante, bien documentée, transparaît dans ces deux derniers chapitres, autant que dans les premiers, influence certaine du Palazzetto Bru Zane, célèbre centre de recherches privé sur la musique romantique française, situé à Venise.

Notons que l'ensemble de l'ouvrage est traduit en anglais dans les pages suivantes, ce qui assurera certainement une diffusion internationale large et méritée.

Quelques mots enfin sur l'enregistrement afférent, ces deux CD joliment placés dans des pochettes à l'envers de la couverture. On ne peut louer que l'excellence des voix, la puissance du chœur allemand et la précision de l'orchestre, cornaqué par le sémillant Hervé Niquet, l'un des meilleurs spécialistes de cette musique. Il n'y aurait donc rien à rajouter si l'éditeur avait eu la clairvoyance d'inscrire le numéro de la piste en face ce chaque analyse ; voilà une suggestion dont les futurs ouvrages de la collection pourraient bien tenir compte. Cela aurait encouragé l'auditeur appliqué à goûter encore davantage l'acuité des commentaires, sans avoir à chercher fébrilement sur son lecteur le minutage concerné, le livre en travers des genoux, les oreilles dans ses haut-parleurs.
Étienne Kippelen
© L'ÉDUCATION MUSICALE 2018


Nature et musique française de Debussy à nos jours

Le numéro 30 de la revue musicale Euterpe (juillet 2018) se consacre à un thème qui paraît déjà fort rebattu : « Nature et musique française de Debussy à nos jours ». Son mérite est précisément de nous apprendre tant de nouveaux détails sur le sujet. Stéphan Etcharry commence par nous éclairer, parfois nous illuminer, quant à la traduction musicale de la lumière dans cette musique, chez d’Indy, Debussy, Ravel, Dukas, bien sûr, mais aussi chez d’autres moins célèbres comme l’excellent Déodat de Séverac, voire l’inconnu (de nous) Gabriel Dupont. La conclusion est le plus intéressant de l’ensemble. On aurait même souhaité qu’elle ouvre une nouvelle partie. Cette recherche de lumière française serait une réaction au « clair de lune allemand », celui de Beethoven, puis probablement de Wagner, en tout cas celui du Kaiser, auquel la France est allergique après 1870. C’est alors aussi, peut-on ajouter, que notre flûte nationale s’envole loin des fanfares germaniques, que légèreté française, prônée par le dernier Nietzsche, s’émancipe des pesanteurs germaniques, accompagnée, donc, apprend-on, par les rayons du soleil.

Puis la compositrice Brigida Migliore quitte un peu notre thématique pour s’intéresser astucieusement et judicieusement à la « greffe comme instrument d’analyse », ce qui instinctivement nous semble prometteur, saillant, élégant. Elle lit Derrida qui déclare tout bonnement qu’ « écrire veut dire greffer ». Puis certains truculents greffons seront traqués dans La scala del cielo de l’étoile libanaise montante : Zad Moultaka. L’ésotérisme, voire l’occultisme excitant, pittoresque, amusant, dans certaines œuvres de ce dernier, culmine ici en la personne chatoyante du « démon Rerek ». Le renouveau de la pensée magique peut au moins, aux yeux des sceptiques, re-convoquer un riche folklore. On voyage finalement entre « porte-greffe et greffon », traditions occidentale et arabe, de façon certes attendue par notre postmodernité. Mais Moultaka, qui a déjà un sérieux métier, dépasse ces truismes de la mondialisation et du post-colonialisme culturel qui se développent tant depuis les années 2000.

L’adéquation « naturelle » entre eau et impressionnisme musical était connue, déjà bien résumée par Daniel Durney qui citait Reflets dans l’eau, La mer, Poissons d’or, les deux Ondine, Sirènes, Une barque sur l’océan, La cathédrale engloutie, Jeux d’eau1. Pierre-Albert Castanet retrouve cette tendance aquatique dans la musique de Murail, ce spectral qui en tant que tel, précisément, pousse l’orchestre impressionniste jusqu’à l’infini de ses harmoniques. Il cite alors, entre autres, de Murail, Couleurs de mer (1969), Estuaire (1971-2), Sillages (1985), La dynamique des fluides (1990-1), Le partage des eaux (1995-7), Bois flotté (1996), Le lac (2000-1), Vents et marées (2017). Celui qui, aujourd’hui, semble devenu le plus célèbre musicologue français, à sa façon rigoureuse qu’on connaît, prouve définitivement qu’un ruisseau relie Debussy aux spectraux. Il cite à sa façon large (largeur qui devrait devenir, pour les jeunes musicologues, un modèle libérateur) : de Pline l’Ancien à Bergson, de Marc-Aurèle à Ernst Kurth.

Merci à Etienne Kippelen, compositeur, professeur, et rédacteur en chef de la revue, d’avoir interrogé l’excellente Édith Canat de Chizy. Il nous a ainsi remémoré ses travaux d’électroacoustique, parmi tant d’œuvres instrumentales uniques, en bravant l’esprit aigu, tranchant, de la compositrice, qui répond souvent avec une amusante netteté, par exemple aux questions sur sa supposée et pourtant réelle harmonie : « le système harmonique ne me concerne pas ». Ou à d’autres questions : « oui mais tout cela est complètement inconscient » ou « non je n’aime pas parler de figuration. […] La musique va beaucoup plus loin que cela », mais se fendant tout de même d’un « absolument » et même d’un « ah oui bien sûr ! ». Nous suggérons à Etienne Kippelen, la prochaine fois qu’il doit interroger une académicienne, ou un académicien, de poser des questions auquel il ne saurait être répondu par l’affirmative ou la négative, en aucune façon, ce qui pourrait s’avérer plus commode.


1 « L’eau dans la musique impressionniste », in Revue Internationale de Musique Française, n°5, juin 1981, p. 43.

Jacques Amblard
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Régis Boulier Le violon : 500 d’histoire D2L – Arts & Music https://www.le-violon.fr/

Ce petit livre de 149 pages se lit très facilement. Il constitue un guide de poche indispensable à tous ceux qui veulent tout savoir sur l’univers du violon. En effet Régis Boulier expose de manière très condensée et précise les origines de l’instrument, les compositeurs qui ont écrit des œuvres importantes, les grands interprètes qui en ont fait un instrument phare, des indications de représentations remarquables du violon, sa fabrication (comprenant quelques dessins très ludiques), les luthiers et archetiers de renom, ainsi que des citations.
On y trouve également un dictionnaire du violoniste donnant des renseignements sur ce que l’on peut rencontrer comme indications sur une partition. Enfin Régis Boulier termine son livre par une sélection de disques, documentaires, livres, films et liens internet, donnant un éclaircissement global explicite sur l’instrument.
Marie Fraschini.
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CDs & DVDs

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Johann Sebastian BACH : Intégrale de l’Œuvre d’Orgue, vol. 5, Concertos, Fantaisies et Fugues – Pièces diverses. Marie-Ange Leurent, Éric Lebrun. MONTHABOR, CD 250034 (1 et 2). TT : 77’ 11 ; 74’ 50. 2018.

Pour les programmes de leur Intégrale J. S. Bach, les deux organistes tant appréciés des mélomanes : Marie-Ange Leurent et Éric Lebrun procèdent à une judicieuse sélection, originale et personnelle. Les deux disques du Vol. 5 mettent ainsi en valeur la verve italienne avec deux Concertos (BWV 593 et 974) respectivement d’après Antonio Vivaldi (1678-1741) et Benedetto Marcello (1686-1739) et diverses pièces dans le style italien.

Par ailleurs, ils ont retenu non pas des instruments baroques nord-allemands mais deux orgues français récents : le Grand Orgue Freytag-Tricoteaux de l’Église Saint Vaast à Béthune, instrument polyvalent (inauguré en 2001) à 3 claviers (positif de dos, principal, pectoral) et pédalier, avec entre autres trois 16’. L’Orgue Yves Fossaert (achevé en 2012), de l’Église Saint-Sévère à Bourron-Marlotte, comprend deux claviers (56 notes chacun) : principal et écho expressif, et pédalier (deux 8’ et trois 16’), de traction mécanique un tantinet romantique. Cet instrument se prête à des registrations subtiles et à des timbres recherchés (jeux en bois et en métal).

Les deux interprètes tirant le meilleur parti des sonorités transparentes, s’imposent — comme à l’accoutumée — par leur haute maîtrise technique et leur sens solide de la construction. Leur programme très varié porte sur tant de formes différentes allant de Préludes de Chorals luthériens aux Concertos, Fantaisies, pour un total de 23 œuvres. À noter tout particulièrement — outre la Pièce d’orgue en sol majeur (BWV 572) — le Pedal-Exercitium (BWV 598) et le Petit labyrinthe harmonique (BWV 591) rarement enregistrés.

Avec ces deux brillants organistes, rien n’est laissé au hasard. Ils se distinguent par l’intériorité et la profondeur de l’expression, le lyrisme, la virtuosité et la brillance. Ce Volume 5 projette sur Jean Sébastien Bach un éclairage à la fois italien, français et didactique.
Édith Weber
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UNKNOWN ARIAS. Aria Ensemble. GALLO, CD 1499. TT : 74’ 29. 2017.

Le Label GALLO fait redécouvrir 9 Airs (dont 6 en premier enregistrement mondial) de 3 compositeurs italiens du XIXe siècle, nés à l’extrême fin du XVIIIe siècle : Giachino ROSSINI (1792-1868), Saverio MERCADANTE (1795-1870), Gaetano DONIZETTI (1797-1848), avec le concours de l’Aria Ensemble : flûte, hautbois, clarinettes (instrument privilégié à cette époque et au sommet de sa facture), cor de basset, piano et voix (ténor, basse) au gré des œuvres et arrangements.

Cette réalisation inédite est particulièrement intéressante sous l’angle de l’exploitation de divers timbres instrumentaux et vocaux : autrement dit un vrai « pot-pourri » à l’instar de la première œuvre enregistrée. Le programme si varié propose des thèmes profanes : Variations, Cavatine (thème de L’Italienne à Alger), Thème et Variations et des pièces religieuses : Aria Domine Deus (basse), Jucundus homo (basse, extrait du Psaume Beatus Vir), Aurae de caelo leves (ténor) et Gratias agimus tibi (ténor). Les voix font état d’une certaine religiosité théâtrale typique du Bel Canto dans le style de l’opéra. L’accompagnement pianistique de Marina Degl’Innocenti est discret et léger ; Luigi Magistrelli, à la clarinette, s’impose par sa volubilité. Curiosités à découvrir.
Édith Weber

Trio Torrello : UNE FLÛTE ENCHANTÉE GALLO (www.vdegallo.com ). CD 1509. TT : 52’ 55. 2018.

Le Trio Torrello (mezzo-soprano, flûte et piano) propose un disque original — allant de Jean Sébastien BACH à George GERSWHIN et Édith PIAF, en passant par des compositeurs italiens, français et suisses du XIXe siècle.

Le sous-titre : « Une flûte enchantée » est justifié par 3 pièces : Une flûte invisible (Camille SAINT-SAËNS, 1835-1928), Viens, une flûte invisible soupire (Victor HUGO/André CAPLET, 1878-1925) et Une flûte enchantée (Maurice RAVEL, 1876-1938). Au total : 11 compositeurs, 11 œuvres, un univers cosmopolite. Avec des formations variées, les 3 interprètes, réalisent une belle « célébration de la mélodie », en parfaite connivence, car ils se connaissent depuis leurs études. À noter le dialogue : Viens, une flûte invisible d’André CAPLET. Valentina Londino (mezzo-soprano) interprète avec une incroyable aisance des mélodies allemandes de Volkmar ANDREAE (1879-1972), compositeur suisse ; françaises : Les Cadeaux (extraits des 3 Chants de Noël de Frank MARTIN (1890-1974) ou encore Allez, venez, Milord (Édith PIAF, 1915-1962) ; anglaises : Summertime de George GERSHWIN (1898-1937). Tommaso Maria Maggiolini, flûtiste milanais, interprète en solo : Bergère captive de Pierre Octave FERROUD (1900-1936), accompagné au piano Bechstein par Nicolas Mottini et la Fantaisie (op. 79) de Gabriel FAURÉ (1845-1924) dédiée au célèbre flûtiste Paul Taffanel.

Les amateurs de diversité, d’inattendu et de surprise seront enchantés par cette juxtaposition de styles dans la longue durée ; les autres réagiront selon leurs affinités.
Édith Weber
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OTTOCENTO. D. Ashkenazy (clarinette) — J.-P. Greub (guitare). GALLO CD 1520. 2018, TT : 59’ 21.

Jean Sébastien BACH, mort en 1750, n’a écrit aucune note pour clarinette. En revanche, les compositeurs, nés à partir de la seconde moitié du XVIIIe siècle, ont volontiers cultivé l’association clarinette-guitare, toutefois moins fréquente que le duo flûte et guitare.

Le programme comprend des arrangements de musiciens allemands, Christian Gottlieb SCHEIDLER (né à Aix-la-Chapelle en 1747, mort en 1829) ; Joseph Georg KÜFFNER, (guitariste né à Wurtzbourg en 1776, mort dans cette ville en 1856) ; Ernst KRÄHMER (né à Dresde en 1795, mort à Vienne en 1837) ; Johann Friedrich BURGMÜLLER (né à Ratisbonne en 1803, mort à Beaulieu-Marolles-en-Hurepoix en 1874), bien connu par sa méthode de piano, auxquels s’ajoute Johann Baptist WANHAL (né en Bohême en 1739, organiste et chef de chœur, mort à Vienne en 1813). Cette démonstration illustre 5 formes classiques : Sonate, Nocturne, Variations (Introduction et Variations) et Sérénade. Dimitri Ashkenazy atteste ainsi l’essor de la clarinette alors très appréciée dans les Salons et les Cafés avec la guitare facile à transporter ; en compagnie de Jean-Paul Greub (guitare), ils interprètent en parfaite connivence ce répertoire élaboré après de nombreuses recherches. À noter la sonorité chantante de la clarinette, par exemple dans l’Adagio cantabile du Nocturne II de Fr. BURGMÜLLER, une volubilité mélodique bien dosée associée à des ponctuations de la guitare dans la Sérénade en Do majeur (op. 44) de J. KÜFFNER et la virtuosité des deux instruments dans la Variation 8 (op. 32) d’Ernest KRÄHMER.

Cette réalisation discographique souligne le passage du baroque finissant vers le classicisme, puis le romantisme. Encore une initiative originale et instructive à l’actif du Label GALLO et de son infatigable directeur, Olivier Buttex.
Édith Weber

ITALIAN SERENADES. Magistrelli, Giuffredi. GALLO, CD 1525. TT : 64’ 28. 2018.

Très prisé au XIXe siècle, actuellement en vogue chez les éditeurs, le duo clarinette-guitare convient à merveille pour recréer l’atmosphère des Sérénades et Nocturnes. Luigi Magistrelli (clarinettes en Do, Si b et La, de facture allemande) et Bruno Giuffredi (guitare Fabio Zontini 2013) — avec occasionnellement le concours de Laura Magistrelli et Cristina Romano (clarinettes) dans le Nocturne pour 3 clarinettes — recréent, avec un bel esprit d’équipe, cette ambiance typiquement italienne. Ils permettent aussi de découvrir des compositeurs alors actifs en Italie, tels que Filippo GRAGANI (1768-1820), Raimondo CUBONI (1782-1842), Mauro GIULANI (1781-1829), Ferdinando CARULLI (1770-1841), Matteo BARBI (XIXe s.). Ils s’imposent par leur inventivité mélodique et rythmique, leur science de la variation, leur esthétique romantique faisant autant appel à l’intériorité et à l’expressivité qu’à la virtuosité technique. Ce programme est conçu par L. Magistrelli qui a souhaité regrouper des œuvres inconnues (dont certaines en premier enregistrement mondial) est un modèle du genre. Il leur a associé deux noms célèbres : Niccolo PAGANINI (1782-1849) et Gioachino ROSSINI (1792-1868) avec des arrangements (Sérénade, Tarentelle) du clarinettiste Adriano AMORE (1965). Cette Tarentelle pose un brillant point d’orgue sur cette défense et illustration du duo clarinette-guitare.
Édith Weber
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De la Suisse Centrale à Genève. Von der Innerschweiz nach Genf VDE GALLO, CD 1512. TT : 1 h 11’ 22. 2018.

Peter-Lukas Graf (flûte), Thomas Wicky (violon) et Carlos Gil-Gonzalo (piano) font revivre des œuvres de Joseph LAUBER (1864-1952) de Suisse alémanique et de Henri GAGNEBIN (1886-1977), de Suisse romande. Ce disque démontre l’impact de deux cultures, l’influence de hauts-lieux de la musique : Lucerne, Neuchâtel, Genève, mais aussi de Munich, Leipzig et Paris, sans oublier la réaction contre Arnold Schoenberg (1874-1951) dont le style compliqué « étouffe toute émotion ».

Joseph LAUBER, né fin décembre 1864 près de Lucerne, est mort à Genève en 1952. Il a fait ses études au Conservatoire de Zurich en chant, harmonie, composition, histoire de la musique, orgue, piano et direction, puis, après une formation complémentaire en orgue auprès de Joseph Rheinberger, à Munich. Il exerce ses activités d’organiste notamment au Temple français du Locle. En 1892, il se perfectionne au Conservatoire National de Paris auprès de Louis Diémer et de composition avec Jules Massenet. Installé à Zurich, il est professeur de virtuosité au piano avant d’être nommé chef d’orchestre du Grand Théâtre de Genève ; il enseigne aussi la composition.

Son Catalogue comprend 320 œuvres musicales solidement ancrées dans la tradition et en marge de la « nouvelle musique », comme il ressort de sa Sonate en ré mineur pour violon et piano (op. 4, n°1) datant de 1899 en 4 mouvements classiques : Allegro, Scherzo, Andante, Finale (Allegro) avec un dialogue serré entre les deux instruments, des rythmes subtils et une conclusion très animée et brillante. Ses Trois humoresques pour flûte (op. 52) s’imposant par leur concision et son Trio pour flûte, violon et piano, composé en 1936, de caractère lyrique, font preuve d’un langage harmonique personnel audacieux, y compris bitonal. Il est alors en pleine possession de ses moyens.

Henri GAGNEBIN, né à Liège en 1886, de parents suisses, mort à Genève en 1977, a étudié à Berlin et à Paris auprès de Louis Vierne (orgue) et de Vincent d’Indy (composition), puis à Genève. Après avoir enseigné l’histoire de la musique et l’orgue à Lausanne, il dirige le Conservatoire de Genève à partir de 1925. Tout en se rattachant au néoclassicisme et à l’impressionnisme, son Trio en Ré majeur pour flûte, violon et piano dépasse les limites de la tonalité et fait appel à de nouvelles couleurs sonores. Les trois interprètes — deux suisses et un espagnol — convient les mélomanes à un intéressant parcours « de la Suisse centrale à Genève », entre le XIXe et le XXe siècle, entre postromantisme et modernité.
Édith Weber
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Picasso et la musique. The Musical World of Picasso. JADE, Coffret 2 disques. CD 699 904-2. TT : 70’ 28 ; 73’ 51. 2018.

Le titre anglais correspond mieux aux objectifs du Label JADE. En effet, Pablo PICASSO (1881-1973) — sans être « musicien » au sens propre et pratique — a fréquenté de nombreux compositeurs et musiciens.

Ce coffret de 2 disques sort à point nommé, parallèlement à une dizaine d’Expositions (été 2018) organisées en France autour de PICASSO-PICABIA (Aix-en-Provence), de sa carrière artistique « si prolifique et la plus inventive du XXe siècle » selon Éric Bietri-Rivière (Le Figaro, 26. 06. 2018, p. 28). D’autres thèmes concernent : PICASSO-MÉDITERRANÉE, PICASSO ET SES ATELIERS (Évian). Son dernier fils, CLAUDE PICASSO, relève « un éparpillage des chefs-d’œuvre du Musée Picasso ». L’imposant univers pictural est complété par « le monde musical », compilation permettant de retrouver des interprètes très appréciés par Pablo PICASSO : la pianiste Alicia de Larrocha (ALBENIZ, GRANADOS), le guitariste Andres Segovia (I. ALBENIZ/F. TARREGA) ; les chanteurs Pierre Bernac (Fr. POULENC), Yves Montand, Juliette Greco et Jean Ferrat ; les chefs et orchestres célèbres : Ernest ANSERMET (Orchestre de la Suisse Romande), Pierre DERVAUX (Orchestre de Paris), Paul PARAY (Detroit Symphony Orchestra) et Charles MUNCH (Boston Symphony Orchestra).

Cette réalisation offre un éloquent écho musical des rencontres de PICASSO avec les compositeurs français Claude DEBUSSY, Érik SATIE, Maurice RAVEL, Francis POULENC, le franco-américain Edgar VARÈSE, les espagnols Enrique GRANADOS et Manuel De FALLA et, surtout, son contact avec les Ballets russes : Igor STRAVINSKY (dont Pulcinella créé à Paris en 1919) ou encore son intérêt pour le ballet Parade (1915-1917) d’Érik SATIE, d’après le livret de Jean COCTEAU. L’univers littéraire de P. PICASSO comprend en outre Guillaume APPOLINAIRE, Paul ÉLUARD et Jacques PRÉVERT. Le coffret totalise 28 titres significatifs. Il est accompagné d’excellents commentaires (problématique, effervescence artistique, présentation des œuvres et compositeurs) mettant les discophiles en situation et se termine par trois hommages : Blues for Picasso (Gil EVANS/Miles DAVIS), Picasso Colombe (Jean FERRAT) et Hommage à Picasso (Manitas DE PLATA).

Décidément, l’été 2018, avec tant d’Expositions et cette somptueuse réalisation discographique, illustre dignement une exceptionnelle destinée d’artiste faisant revivre son univers pictural et son environnement sonore : ouvrez vos yeux et vos oreilles !
Édith Weber
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Marek JASINSKI, Jaromir GAJEWSKI : Works for piano and saxophone. ACTE PRÉALABLE, APO 417. 2018. TT : 56’ 00.

Les enregistrements contemporains pour saxophone et piano se font moins rares. Voici une réalisation entièrement polonaise tant par les compositeurs et interprètes que par le Label ACTE PRÉALABLE. Elle est due à Urszula Szyryska (piano) et Julita Przybylska (saxophone).

Les œuvres des compositeurs Marek JASINSKI et Jaromir GAJEWSKI sont très prisés lors de concerts internationaux. Le premier, né en 1949 à Stargard Szczecinski, est mort en 2010 à Cluj (Roumanie). Après ses études de théorie, composition et direction à l’Académie de Musique de Poznan, il a suivi de nombreuses masterclasses organisées par l’UNESCO, puis a enseigné ces différentes matières. Ses compositions sont interprétées non seulement en Europe, mais encore en Argentine, Australie, Israël, au Canada et aux États-Unis. La première œuvre du CD, pour piano et saxophone, concerne Méditations (Medytacje) : insomnie sur la Hudson River, composées en 2009 (soit un an avant la mort de M. Jasinski). L’œuvre se réclame de la musique aléatoire offrant une grande variété dans les tempi du compositeur et des interprètes qui disposent donc d’une certaine liberté (ad libitum) ; les deux instrumentistes suivent les linéaments de cette page d’humeur sans retenue. La sonorité chantante du saxophone se fait rêveuse, évocatrice des grands espaces. Les pièces suivantes pour piano seul — par exemple la Sonatina pleine de charme — sont de facture plus classique. Urszula Szyryska s’impose par son toucher délicat et son jeu perlé mais aussi bien syncopé. Ce premier volet se termine par deux Danses (taniec) : la première, juive (zydowski), rêveuse, puis animée ; la seconde, hongroise (wedierski), pour 4 mains (avec Grzegorz Stec), pleine de verve.

Jaromir GAJEWSKI (né en 1961) a aussi été formé à l’Académie de Musique de Poznan en composition et en direction. Il a participé à de nombreux cours internationaux. De 2013 à 2016, il a dirigé l’Orchestre Symphonique de l’Académie des Arts de Szcecin et de nombreux autres ensembles. Il est directeur du Département de composition et de théorie musicale à cette Académie. Ses œuvres sont interprétées en Chine, France, Allemagne, Italie, Lettonie… Le Label ACTE PRÉALABLE a enregistré 6 Miniatures pour piano, La Montagne mystérieuse (Tajemnicza gora). Quelques Miniatures résultent d’une commande pour des Concours de piano de Poméranie. La 5e repose sur la mélodie populaire Umarl Maciek umarl (« Maciek est mort »). Enfin, la dernière, assez lugubre, s’inspire du thème d’un chant religieux. Le disque se termine par un Duo pour saxophone et piano faisant appel à une large palette expressive et à l’exploitation de nombreuses possibilités sonores des deux instruments. Julita Przybylska et Urszula Szyryska se distinguent par leur maîtrise technique et leur investissement hors norme.

Ces deux compositeurs et ces deux interprètes attestent, si besoin était, la vitalité de l’école polonaise actuelle.
Édith Weber
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From Baroque to PIAZZOLLA. GALLO, CD 1527. TT : 63’ 53. 2018.

Toujours à l’affût de titres accrocheurs, le label GALLO convie les amateurs de hautbois et de guitare à un long parcours chronologique allant de Georg Philipp TELEMANN (1681-1767) et Ernst Gottlieb Baron (1696-1760) jusqu’à Astor PIAZZOLLA (1921-1992) — en passant entre autres par Giovanni Battista PERGOLESI (1710-1736), Heitor VILLA-LOBOS (1887-1959), Jacques IBERT (1890-1962) — et à un vaste itinéraire géographique : Allemagne, Italie, France, Angleterre et Brésil.

Ce disque illustre les formes évoluant au fil des siècles : Partita (variations), Sonate, Sicilienne, Romance, Chansons populaires, Bachianas Brasileira, Aria, Cantilène, Consolation… : 26 plages au total, et plus d’une heure d’écoute, avec des résonances de musique baroque, romantique, classique, brésilienne, anglaise, italienne et contemporaine, émanant de 11 compositeurs : de quoi divertir les discophiles curieux.

Silvano Scanziani, hautboïste, compositeur et chef d’orchestre, a collaboré avec les plus grandes formations internationales. Domenico Lafasciano, guitariste, disciple notamment d’Alexandre Lagoya, se produit dans les cinq continents, participe aussi à des événements spéciaux et des célébrations. Il est également professeur de guitare. Ils détaillent minutieusement la Sicilienne et les 6 Airs bien enlevés de la Partita en Sol Majeur (TWV 41) de G. Ph. TELEMANN. Ils interprètent aussi la Sonate pour flûte et luth, d’Ernst Gottlieb BARON (1696-1760), en 3 mouvements contrastants : Allegro-Adagio-Presto, dans un arrangement pour hautbois et guitare fort agréable à entendre. Au programme, figure encore : Coucher de soleil vénitien (Tramonto veneziano), composition originale pour hautbois et guitare. À noter Six Chansons populaires de John W. DUARTE (1919-2004), musicien, guitariste, compositeur, professeur, écrivain anglais et même chimiste… Ces pièces descriptives et d’autres pages, comme l’Aria extraite de la Bachiana Brasileira n°5 du brésilien Heitor VILLA-LOBOS, Entr’Acte de Jacques IBERT et l’incontournable œuvre à succès : Café 1930, d’Astor PIAZZOLLA, retiendront également l’attention.

Grâce à tant d’atmosphères différentes, de couleurs locales typiques, de timbres si variés, ce programme — situé dans la longue durée (du XVIIIe au XXIe siècle) et dans un large espace (Europe, Amérique du Sud) — si accrocheur ne passera certes pas inaperçu.
Édith Weber
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Great Steppe Melodies. DIVOX, CDX-61502-6. 2016. TT : 48’ 59.

À l’instar du poème symphonique Les steppes de l’Asie centrale (1880) d’Alexandre Borodine (1833-1887), cet enregistrement est intitulé Mélodies des Grandes Steppes (la steppe désignant une vaste étendue d’herbe dépourvue d’arbres). Il met en valeur notamment deux instruments orientaux : dombura (ou dombra, luth rustique piriforme à manche long et à cordes pincées, à la manière de la guitare, pratiqué de la Turquie jusqu’en Chine) et kobuz (sorte de viole de gambe à 2 cordes).

Il s’agit de versions originales ou d’arrangements de mélodies célèbres au Kazakhstan, par exemple : Konur — du poète, chanteur et compositeur, Korkyt ATA (IXe siècle), figure historique ayant vécu dans les steppes et devenue patron des musiciens — interprétée en deux versions : l’une originale pour kobuz solo ; l’autre, arrangée pour 3 kobuz et quatuor à cordes avec le concours du Kazakh State String Quartet (Quatuor à cordes de l’État Kazakh). Ou encore : la mélodie Yerke Sylkym de Zheldibayv ABDIMOMYN (né en 1934) pour dombra. Au total : 7 compositeurs essentiellement du XIXe siècle, le plus récent étant né en 1972.

À écouter avec curiosité, ce disque retiendra, à plus d’un titre, l’attention des ethnomusicologues et des organologues. Dépaysement assuré.
Édith Weber

JAPON. Teruhisa FUKUDA, maître de shakuhachi. Offrande musicale. VDE-GALLO, CD 1501. TT : 70’46.

En collaboration avec les Archives internationales de Musique populaire (Musée d’ethnographie, Genève), le label VDE-GALLO propose un aperçu des possibilités du shakuhachi, genre de flûte vraisemblablement originaire de Chine, devenue un instrument traditionnel au Japon vers le VIIe-VIIIe siècle pour les musiques de la Cour impériale jusqu’à la fin du XIXe siècle. Comme le précise le remarquable texte d’accompagnement, ce disque, complété par des illustrations significatives, deux autres flûtes droites en bambou (à 5 trous) sont utilisées jusque vers 1600. Puis, une flûte plus longue shakuhachi devient l’instrument populaire joué par des moines errants dans le cadre de leurs méditations. Ces Komuso appartiennent à la secte Fuke cultivant la pensée zen. Leur instrument est surtout un outil (hoki) de pratique du zen, doté d’un potentiel acoustique et symbolique, son jeu nécessite une grande concentration.

Cette « Offrande » de sept pièces porte sur la contemplation de la lettre A visant à l’illumination ; sur le constat qu’une pièce spécifique est associée à chaque temple ; sur la « vacuité » (le ciel vide), pièce la plus ancienne du répertoire ; sur la « clochette » du moine, avec une fonction liturgique ; sur l’hommage à un défunt ; sur l’offertoire associé à la compassion et à l’humilité ; sur une cascade près d’un temple.

Au final, voici, pour les ethnologues, organologues et japonologues, une introduction aux coloris des shakuhachi et, pour les discophiles et auditeurs, décompression et dépaysement assurés.
Édith Weber
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GOUNOD/SARASATE : Violonissimo. Diego Tosi (violon). DISQUES FY & du SOLSTICE, SOCD 353. 2018. TT : 50’ 02.

Au départ : des Caprices sur des airs connus extraits de Mireille (1864), de Romeo et Juliette (1867), ainsi que de la Fantaisie sur Faust (drame lyrique, 1859), traités par le violoniste Pablo de SARASATE (1844-1908), puis re-traités, augmentés et orchestrés au XXe siècle par Daniel Tosi (né en 1953), agrégé, docteur du 3e cycle (Sorbonne), musicologue, compositeur et chef à la tête de l’Orchestre de chambre Méditerranée (ensemble de cordes) avec en soliste l’intrépide violoniste Diego Tosi. Ils rendent un hommage brillant à Charles GOUNOD (1818-1893) pour le bicentenaire de sa naissance.

Le tout est placé sous le signe de la variation et de la virtuosité, et Daniel Tosi précise qu’il a « tenté de créer un lien, une histoire, une sorte d’opéra de quinze ou vingt minutes ; le violoniste solo étant chargé de traduire le flot musical qui s’écoule à travers les différents chapitres, les piliers majestueux de l’œuvre » (p. 5). L’audacieux projet de ré-écriture baigne tour à tour dans le romantisme, l’ardeur, l’exaltation, le drame, mais aussi le raffinement et l’émotion à partir de trois Airs cités : Anges du Paradis (Mireille) ; Ah ! Lève-toi, soleil (Roméo) ; Demeure chaste et pure (Faust).

À l’arrivée : une brillante et fascinante expérience, un dépassement compositionnel, une interprétation hors pair, bref une entreprise à trois dimensions : GOUNOD-SARASATE-TOSI (père et fils). Violonissimo, bravissimo !
Édith Weber
© L'ÉDUCATION MUSICALE 2018

Perry SCHACK : Virtuoso. ACTE PRÉALABLE, AP0433. TT : 62’ 50. 2018.

Perry SCHACK, guitariste virtuose — célèbre par ses nombreuses prestations en soliste et accompagnateur, aux États-Unis, Canada, en Corée du Sud, Nouvelle Zélande, Australie, Grèce — a fait ses études à Munich et au Mozarteum à Salzbourg. Il rappelle que, âgé de 8 ans, il a entendu une œuvre de Mauro GIULIANI (1781-1829) interprétée par Andres Segovia, qui a motivé son engouement pour la guitare et le répertoire romantique.

Le programme dans l’ordre chronologique permet de découvrir Six Variations sur la chanson populaire I bin a Kohlbauernbub (Je suis un gars de mineur) exploitée par M. GIULIANI qui l’avait entendue lors de concerts en Autriche. Il y déploie tout son art de la variation et conjugue une mélodie allemande avec le tempérament italien et une forte dose de virtuosité instrumentale. Une vraie explosion de joie. Le volet central concerne Douze Bagatelles (op. 4) de Heinrich MARSCHNER (1795-1861), connu par ses opéras romantiques. Il s’agit de pièces brèves, variées et agréables à entendre. Le compositeur privilégie les mouvements assez rapides (Allegro) alternant avec des passages lents et expressifs (Andante con moto). À remarquer la 3e Bagatelle (Risoluto). Pour conclure au sommet de la bravoure et de l’endurance, P. Schack a retenu les Variations de bravoure (op. 28) de Jan Nepomucen BOBROWICZ (1805-1881) sur Oh ! cara memoria de Michele CARAFFA.

Ce compositeur polonais, surnommé « le Chopin de la guitare », quasi inconnu, bénéficie enfin d’un enregistrement et rentrera dans la mémoire collective grâce à l’intrépide Perry Schack (guitare Constantin Dumitriu à la sonorité parfois un tantinet métallique) qui ne recule devant aucune difficulté technique et interprétative pour communiquer son engouement contagieux.
Édith Weber
© L'ÉDUCATION MUSICALE 2018

CONCERTI NAPOLETANI per Mandolino Ensemble Artemandoline. Deutsche HARMONIA MUNDI. 19075841512. 2018. TT : 64’ 48.

L’Ensemble Artemandoline propose aux discophiles un voyage à Naples, vraie capitale musicale où, au XVIIIe siècle, la mandoline était très appréciée, notamment dans les Salons et Palaces et par des virtuoses nobles. L’instrument peut être pincé par les doigts, ce qui produit un son court, ou joué avec un plectre pour obtenir des sons plus longs (trémolo, grattage).

Les solistes sont Juan Carlos Munoz, Mari Fe Pavon et Alla Tolkacheva. Ils se produisent sur des mandolines baroques. Les 5 Concertos font appel, selon les cas, aux instruments suivants : violons, alto, théorbe, guitare baroque, violoncelle, contrebasse, clavecin. De structure ternaire classique (avec un mouvement lent central gracieux ou méditatif), ils sont signés : Giovanni PAISIELLO (1740-1816) — célèbre compositeur du Barbier de Séville —, ses contemporains napolitains Giuseppe GIULIANO, Domenico CAUDIOSO et Carlo CECERE (1706-1761).

À noter, outre le paysage sonore, le charme, la séduction, la riche ornementation, l’inventivité mélodique, l’usage de la sixte napolitaine (sic), l’alternance de rythmes binaires/ternaires. Musique de divertissement, pleine de grâce, agréable à entendre, faisant appel à l’expressivité comme à la virtuosité et, de surcroît, en premier enregistrement discographique mondial.
Édith Weber
© L'ÉDUCATION MUSICALE 2018

POULENC-COCTEAU : La Voix humaine. - CHABRIER-MILHAUD : Une éducation manquée. CASCAVELLE. DVD. VELD 7001. TT : 65’ ; 47’.

La Collection « L’opéra français » — à l’initiative de Pierre Jourdan, directeur du Théâtre Impérial de Compiègne — permet, dans d’excellentes conditions techniques, de visualiser et d’entendre une sélection d’Opéras avec décors, costumes, mise en scène et des solistes triés sur le volet comme, par exemple, Anne-Sophie Schmidt au téléphone dans La voix humaine — chef-d’œuvre de Francis POULENC (1899-1963) sur le livret de Jean COCTEAU (1889-1963) —, accompagnée par l’Orchestre Ostinato, sous la baguette précise de Jean-Luc Tingaud. Lors d’interminables conversations téléphoniques parlando/chantées, avec un rythme verbal haletant et une facture mélodique très disjointe, elle tient constamment en haleine l’auditoire, passe par toutes les nuances de la palette expressive et toutes les positions (assise, allongée, debout, recroquevillée…) exigées par la mise en scène pour ce long huis-clos intimiste. Vraie comédienne, elle fait preuve d’une grande volubilité et d’une virtuosité vocale à toute épreuve, favorisant l’intelligibilité du texte. L’ensemble bénéficie d’un décor sobre et efficace (la grosse ampoule éclairant la chambre est du meilleur effet).

Cet enregistrement comporte aussi Une éducation manquée d’Emmanuel CHABRIER (1841-1894) et Darius MILHAUD (1892-1974) d’après le livret d’Eugène Leterrier (1842-1884) et Albert Vanloo (1846-1920). L’opérette, œuvre légère en 1 acte et 9 scènes, a été créée à Paris le 1er mai 1879, au Cercle de l’Union Artistique (avec Chabrier au piano). En 1924, des récitatifs de Darius Milhaud ont remplacé les parties parlées. L’action se passe dans un salon. Les personnages sont le jeune Gontran de Boismassif (soprano travesti), son précepteur Pausanias (baryton) et Hélène de La Cerisaie (soprano), sortant du couvent ; ils se retrouvent pour leur nuit de noces. Peu au courant des usages, il s’informe auprès de son précepteur… Un orage éclate, rapprochant les jeunes mariés… À noter : un dialogue à bâtons rompus, d’une rare virtuosité vocale, entre Gontran et Pausanias. Franck Cassard, Mary Saint Palais et Philippe Fourcade, interprètes hors pair, bénéficient du remarquable concours de l’Ensemble Sinfonietta de Picardie que dirige habilement Michel Swierczewski.
Édith Weber
© L'ÉDUCATION MUSICALE 2018

Ambroise THOMAS : Le Songe d’une Nuit d’été. CASCAVELLE. VELD 7002. DVD. TT : 3h 17’.

Ambroise THOMAS, né à Metz en 1811, est mort à Paris en 1896. Dès 1828, il étudie le piano, l’harmonie et la composition au Conservatoire National. Membre de l’Institut, il assumera les fonctions de directeur du Conservatoire. Il a composé 3 Ballets, une vingtaine d’ouvrages lyriques. Tout en s’étant affranchi de l’influence italienne, son œuvre reste assez conformiste ; elle est empreinte d’un certain lyrisme et d’un charme un peu désuet. Essentiellement musicien de théâtre, il sait composer pour les voix. Toutefois, la musique de ce Premier Grand Prix de Rome manque quelque peu de personnalité.

Pour le Songe d’une nuit d’été, opéra en 3 actes, Ambroise THOMAS a retenu le poème de Joseph-Bernard Rosier et d’Adolphe de Leuven (et non la comédie de Shakespeare : Midsummer Night’s Dream, que Benjamin Britten (1913-1976) traitera ultérieurement). Dans cette œuvre très bien accueillie lors de sa création (le 20 avril 1850 à l’Opéra Comique), il cherche avant tout à plaire. Cette représentation fait appel à 8 solistes, aux dynamiques Chœurs du Théâtre Français de la Musique, à l’Orchestre Symphonique de la Radio et de la Télévision de Cracovie, tous placés sous la direction de Michel Swierczewski. Les décors très étudiés sont de Gilles Dubernet ; les costumes d’époque et hauts en couleurs, de la Royal Shakespeare Company. Les interventions chantées et parlées sont très compréhensibles. Le DVD s’achève avec des applaudissements très nourris.

Ce spectacle a été présenté le 7 mai 1994 pour l’inauguration du Tunnel sous la Manche. Réalisation internationale à voir et entendre par curiosité.
Édith Weber
© L'ÉDUCATION MUSICALE 2018

Camille SAINT-SAËNS : Henry VIII. CASCAVELLE. VELD 7004. DVD. TT : 3h 20’.

Cet opéra, créé à Paris en 1883, est édité en premier enregistrement mondial, avec le soutien d’Eurotunnel. Il repose sur le livret de Léonce Détroyat et Armand Sylvestre, d’après Shakespeare et Pedro Calderon de La Barca (La Comédie du Schisme en Angleterre). Henry VIII (1491-1547, 2e Tudor), ayant accédé au trône en 1509, est, par l’Acte de Suprématie (1534), devenu le chef unique de l’Église d’Angleterre. L’enregistrement remonte à 2003.

Parmi les intervenants, figurent 7 solistes vocaux, les Chœurs du Théâtre des Arts de Rouen, la Fanfare de Villers-Cotterêts et l’Orchestre Lyrique Français, dirigés par Alain Guignal. À noter la belle prestation de Dominique Khalfouni (danseuse étoile) et Jan Broeckx (danseur étoile) et la mise en scène très étudiée de Pierre Jourdan.

L’œuvre en 4 actes, assez proche de Giacomo Meyerbeer, représente un mélange d’histoire, d’amour et de cruauté. L’action se passe au Parc de Richmond, au Palais Royal de Londres, chez le Roi, dans les appartements de la Reine Ann, mais aussi au Synode. À remarquer, entre autres, le thème Maestoso d’origine anglicane, le Menuet, les décors somptueux, la scénographie d’Yves Samson, les costumes d’époque réalisés par Jean-Yves Legavre et les savants effets de lumières de Jean Khalman qui rehaussent l’intérêt de cet opéra.

À retenir par les enseignants d’histoire et de littérature anglaises dans une visée pédagogique intradisciplinaire.
Édith Weber
© L'ÉDUCATION MUSICALE 2018

Georges BIZET & Fromental HALÉVY : Noé. CASCAVELLE. DVD. VELD 7007. DVD. TT : 2 h 20’.

Georges BIZET, né à Paris en 1838, est mort à Bougival en 1875. Au Conservatoire National, il a été l’élève de Jacques-François-Fromental HALÉVY (1799-1862), compositeur, Prix de Rome et aussi écrivain. Il a composé des œuvres pour l’Opéra Comique et l’Opéra. Noé ou Le Déluge (Bizet et H. de Saint Georges), terminé par G. Bizet, reprend le récit biblique (Genèse, chapitres 6 à 9) concernant la réaction de Dieu à la méchanceté humaine, son châtiment par le déluge mais la sauvegarde d’un reste de chaque espèce vivante, dont Noé et les siens à l’abri dans l’arche.

Jacques-François-Fromental HALÉVY (1799-1862), compositeur de La Juive (créée à l’Opéra de Paris en 1835) et de chants religieux en hébreu et en latin, a été chef de chant au Théâtre Italien puis à l’Opéra. Il a traité le thème biblique de Noé, opéra en 3 actes, resté inachevé, puis complété par Bizet sous le titre Le Déluge, avec alternance de récits, chœurs, scènes, romances (solo), duos, trios, ballets.

Cette création mondiale en sa version française est réalisée par 8 solistes, l’ensemble vocal Cori spezzati (Olivier Obdebeeck), l’Orchestre Français Albéric Magnard, tous placés sous la direction attentive d’Emmanuel Calef. Elle a été enregistrée au Théâtre Impérial de Compiègne, lors des représentations des 17 et 18 octobre 2004. À remarquer l’orientalisme des décors, de la musique et des costumes, le caractère agreste des premières scènes ainsi que l’aspect patriarcal de Noé, le dévoiement des humains puis l’annonce de la grande inondation. L’éclairage diversifié soutient efficacement le déroulement de l’action. L’opéra s’achève sur l’évocation de l’arc-en-ciel, signe de la nouvelle alliance entre Dieu et les hommes et le lâcher de la colombe… Illustration d’envergure d’une page majeure de l’histoire biblique.
Édith Weber
© L'ÉDUCATION MUSICALE 2018

Damien ARIBERT : Destinations. Disque en autoproduction disponible sur le site du compositeur-interprète : https://www.damienaribert.com/francais/boutique/

Voici un très bel enregistrement dans lequel s’entremêlent lyrisme, contrastes, fraîcheur, le tout avec beaucoup de personnalité et d’implication. Une rondeur dans le son et une sincérité constante couronnent cet enregistrement. On ressent chez Damien Aribert l’influence des musiques improvisées d’horizons diverses, comme on peut le retrouver dans le rock, la funk, le blues, l’Espagne et l’Amérique du sud. Ce tour du monde des musique actuelles autour d’un programme original et poétique en laissera plus d’un nostalgique, figé : le temps s’est arrêté…
Rêve, tendresse et swing, voilà qui qualifie parfaitement cet album !
Lionel Fraschini
© L'ÉDUCATION MUSICALE 2018

Bronsart & Urspruch par Emmanuel Despax (Colin Anderson)

Berlin-born Hans August Alexander Bronsart von Schellendorf (1830-1913, from a Prussian military family, and 'once a force to be reckoned with') wrote his F sharp minor Piano Concerto in 1873.

Hans August Alexander Bronsart von Schellendorf (1830-1913), né à Berlin et originaire d'une famille de militaires prussiens, a écrit son Concerto pour piano en fa dièse mineur en 1873.

The listener is plunged straight in, the orchestra stormily introducing the pianist’s soon-to-arrive heroic entrance.

L'auditeur, dès les premières mesures, se trouve comme parachuté dans l'orchestre, pour annoncer la tempête l'entrée héroïque du pianiste qui arrivera bientôt.

This is strong stuff, music of energy, power and sweeping passion, tenderness and lyricism too. All very engaging, and the orchestra is no bystander.

C'est une musique forte, une musique d'énergie, de puissance et de passion, de tendresse et de lyrisme. Tout y attire l’attention, et l'orchestre n'est pas un spectateur.

There are some Lisztian aspects (the Hungarian greatly admired Bronsart as a fellow-virtuoso, and conducted him at Weimar), and Brahmsian ones to a certain degree, but the overall impression is that Bronsart was a composer with an eye for drama tempered by poeticism whose ink left the pen onto paper with active assurance, charismatically suggested by this lively, full-on and considered performance from Emmanuel Despax, attentively supported (Eugene Tzigane took Second in the 2008 Solti Competition).

Il existe certains aspects lisztiens (Liszt admirait beaucoup Bronsart en tant que compagnon virtuose et le dirigea à Weimar) et les Brahmsiens dans une certaine mesure, mais l'impression générale est que Bronsart était un compositeur attentif aux drames tempérés par la poésie, et dont l'encre a laissé le stylo sur le papier avec une assurance active, charismatiquement suggérée par cette performance vivante, et réfléchie d'Emmanuel Despax, appuyée avec attention par le chef d’orchestre (Eugene Tzigane a remporté la seconde place du concours Solti 2008).

The slow movement is rather lovely, a duskily coloured moonlit nocturne, and the Finale is fiery and devilish … until a ceremonial fanfare interrupts … but the pianist is undeterred by that, lots of notes and speed are maintained, twinkle-in-the-eye galumphing emerging.

Le mouvement lent est charmant, un nocturne au clair de lune et le finale est fougueux et diabolique… jusqu'à ce qu'une fanfare cérémonielle l'interrompe brusquement… mais le pianiste ne se laisse pas décourager, et fait scintillent dans l'oeil, par ses traits de virtuosité.

If the Adagio contains eddies of Elgar, then the tarantella last movement anticipates Wolf-Ferrari.

Si l'Adagio contient des tourbillons d'Elgar, le dernier mouvement de la tarentelle anticipe Wolf-Ferrari.

That’s thirty minutes of the disc accounted for. The remaining forty-five belong to Anton Urspruch (1850-1907, from Frankfurt), who also knew Liszt.

Cela représente trente minutes du disque. Les quarante-cinq autres sont consacrées à Anton Urspruch (1850-1907, de Francfort), qui connaissait également Liszt.

His Piano Concerto (1882) is an ambitious affair, the outer movements respectively twenty-four and thirteen minutes, the first mixing languor with quicksilver nimbleness—Despax as dexterous as required—in what might be described as a pastoral fantasy, it’s certainly tuneful, and the trill-laden cadenza is inventive.

Son Concerto pour piano (1882) est une affaire ambitieuse, dont les mouvements extérieurs sont respectivement vingt-quatre et treize minutes, le premier mélange de langueur et de vivacité de vif argent - Despax aussi habile que de besoin - dans ce que l'on pourrait décrire comme un fantasme pastoral, très mélodique, avec une cadence essentiellement constituée de trilles très inventive.

The relatively brief slow movement is dark and intimate, quite sad (one of the markings is mesto), whereas the Finale is dance-like, but if a composer is in doubt as to what to do next, the answer is write a fugue: five minutes in that’s just what Urspruch does. The animated closing bars are worth waiting for though.

Le mouvement lent, relativement bref, est sombre, intime, et triste (l’indication de caractère est mesto ), alors que le Finale très enjoué, ressemble à une danse; mais si un compositeur a des doutes sur ce qu'il doit faire ensuite, la réponse est d'écrire une fugue: cinq minutes, c'est exactement ce que fait Urspruch... Les dernière mesures de cadence valent tout de même la peine d'attendre.

As a curiosity, Urspruch’s effort is certainly worth a listen, Bronsart’s rather more so—and there are no complaints regarding performances, production and annotation.

Par curiosité, les efforts d’Urspruch méritent certainement d’être écoutés, mais plutôt ceux de Bronsart - et il n’y a pas de plaintes concernant les performances, la production et annotations.


Lien vers le texte original (avec l’aimable autorisation d’Hyperion) https://www.hyperion-records.co.uk/dc.asp?dc=D_CDA68229
(traduction Jonathan Bell)
© L'ÉDUCATION MUSICALE 2018

LA VIE DE L’ÉDUCATION MUSICALE



À paraître le 15 octobre 2018

LE LIVRET DU CANDIDAT AU BACCALAURÉAT de juin 2019


Avant-propos

Quel sera le contenu exact de l’enseignement de la musique au lycée à partir de 2019 ? Nous l’ignorons encore. Il faudra pourtant qu’il soit réformé ; car il semble bien que l’esprit et le contenu des épreuves se sclérosent d’année en année ! Témoins le manque de renouvellement de certains sujets (quatre ans pour le jazz oriental, trois pour l’affaire Tailleferre), et l’indigence du programme limitatif pour la session 2019 qui perd encore en quantité et en intérêt : deux nouveaux morceaux seulement, et tous deux associés au même mouvement – par essence lui-même limité : le minimalisme !

Charge aux professeurs de verdir cette siccité en l’irriguant de leur savoir et de leur passion ! Nous chercherons ici à les aider, et également à fournir à ceux qui n’ont pas d’enseignement musical dans leur établissement, les outils indispensables au bon déroulement de leur apprentissage. Ils trouveront des réponses à leurs interrogations théoriques, des pistes pour leurs recherches personnelles, et des précisions quant au déroulement des épreuves. Puisse ce petit livret les initier à la musicologie, et leur donner envie de poursuivre dans cette voie !

Bonne étude !
Philippe Morant

Version Numérique :


Les analyses musicales de L'Education Musicale

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