Lettre d’Information – n°84 – Septembre 2014



 

                               

À RESERVER SUR L'AGENDA

 

 

12 – 21 / 9

 

Journées romantiques sur une péniche

 

 

Paris n'a pas que sa Péniche Opéra : dans une autre, « La Péniche Anako », au bassin de la Villette, on joue de la musique de chambre tout au long de l'année. Un festival d'un esprit inédit en est le clou. Sa 10 ème édition proposera une étonnante variété de répertoires. Parmi les artistes invités, on remarquera la pianiste Akiko Ebi dans Bach, Schumann, Chopin (12/9) ; le duo de pianos Daniel Isoir et Michel Benhaiem dans un concert en deux parties, sur pianoforte d’abord dans Bach et Mozart, et sur piano moderne pour Stravinski (14/9). Chiara Skerath, accompagnée par David Selig, interprétera des lieder et mélodies de Schubert, Schumann, Debussy et Wolf (16/9). Valériane Dubois et Caroline Marty aborderont des œuvres pour violoncelle et piano de Janacek, Prokoviev, Glazounov, Sibelius et autres (19/9). Le trio formé par Santéril Khourdoian, violon, Pau Godina, violoncelle,  et David Selig, piano, jouera des trios de Beethoven et Dvořák (20/9). Le concert du 10 ème anniversaire, « Fête en musique », sera l'occasion d'une soirée surprise croisant jazz, tango, musique Klezmer, piano de 4 à 6 mains et chant avec François Le Roux et Ingrid Perruche (13/9).

 

Péniche Anako, les 12, 13, 16, 18, 19, 20/9, à 20H30, et les 14 et 21/9 à 18H30, face au 61, Quai de la Seine, 75019 Paris (métro Riquet).

Renseignements et réservations : Association Les concerts romantiques, 40 avenue du Maréchal Juin, 93260 Les Lilas ; par tel.: 01 48 97 35 78 ; en ligne : www.journées-romantiques.org ou concerts.romantiques@free.fr.

 

 

13 / 9 – 19 / 10

 

Le festival Baroque de Pontoise

 

 

Le festival baroque de Pontoise, dont les manifestations s'étendent à tout le département du Val-d'Oise, fêtera pour sa 29 ème édition, Jean-Philippe  Rameau. «  Les Rameaux Florissants » proposeront un certain nombre de portraits croisés du musicien, qui illustreront aussi bien sa musique de chambre, mise en perspective avec celle de ses contemporains, par Ophélie Gaillard et son ensemble Pulcinella, artistes en résidence (13/9), comme par l'ensemble Masques d'Olivier Fortin (11/10), que ses rares pièces de clavecin en concerts, données en intégralité par Chiara Banchini, violon, Marianne Muller, viole de gambe et Françoise Lengellé, clavecin (4/10), ou encore dans un arrangement à deux clavecins, par Mireille Podeur et Orlando Bass (20/9). Sa musique sacrée sera à l'honneur avec deux des grands Motets versaillais (19/10). Comme son répertoire lyrique, distingué par une exécution de Platée dans une adaptation pour le jeune public (26/9), ou des extraits d'opéras chantés ou dansés, dans un arrangement de Bertrand Cuiller dirigeant son orchestre des Musiciens du Paradis (5/10), ou encore lors d'un concert de la soprano Sabine Devieilhe qui chantera des extraits d'opéras d'Hippolyte et Aricie, Castor et Pollux, Zaïs, Dardanus, Zoroastre ou Les Paladins, avec l'ensemble Les Ambassadeurs d'Alexis Kossenko (18/10). On donnera aussi Le Neveu de Rameau de Diderot (10/10). Ophélie Gaillard fêtera aussi le tricentenaire de CPE Bach (28/9). Des actions de sensibilisation accompagneront les programmes, dans les écoles, les hôpitaux et les prisons. Il y aura aussi des programmes destinés au jeune public, dont une création autour du Petit Chaperon rouge (12/10).

 

Divers lieux dans 14 monuments du Val d'Oise.

Renseignements et réservations : Festival Baroque de Pontoise, 7, place du Petit Martroy, 95300 Pontoise ; par tel. 01 34 35 18 71 ; en ligne : www.festivalbaroque-pontoise.fr

 

 

22 / 09

 

Récital du pianiste Nicolas Stavy

 


DR

 

Interprète éclectique et découvreur, le pianiste Nicolas Stavy propose pour son concert donné dans le cadre de « Piano aux Jacobins » à Toulouse, un programme résolument hors des sentiers battus. En effet, le récital est bâti autour d'œuvres de compositrices françaises, souvent méconnues et parfois oubliées. Des pièces d'Hélène de Montgeroult (1764-1820) ouvriront le concert - Études 110 & 97; sonate N° 8 - , suivies d'œuvres de Marie Jaëll (1846-1925) et de Mel Bonis (1858-1937). Une transcription de Brahms de la Chaconne de Bach pour la main gauche, BWV 1004, clôturera la soirée. 

 

Auditorium Saint-Pierre des Cuisines, 12, place Saint-Pierre, 31000 Toulouse, le lundi 22 septembre 2014, à 20H.

Location : Piano aux Jacobins, 56, rue Gambetta, 31000 Toulouse ; par tel.: 0826 30 36 36 ; en ligne : billetterie@pianojacobins.com

 

 

2 – 12 / 10

 

Festival Toulouse les Orgues

 

 

La 19 ème édition du festival international Toulouse les Orgues sera articulée autour du thème « L'orgue dans la cité ». Il croisera les styles les plus divers, baroque, romantique, musique contemporaine. Car l'orgue n'appartient pas seulement aux églises, mais se joue aussi dans les salles de concert ou les cinémas. Le festival proposera une vaste excursion dans l'histoire et dans l'espace et donnera à vivre des expériences multiples : concerts (du midi ou du soir), ateliers, séances d'improvisations, rencontres,  orgue et cinéma par exemple, tables rondes, et bien sûr grands récitals.  De Bach aux compositeurs d'aujourd'hui, le public sera invité à traverser 600 ans d'histoire d'un instrument populaire. Mais aussi à travers le volet création. Les grands maîtres français et étrangers du clavier seront là, dont l'immense Jean Guillou. Divers ensembles de chambre ou symphonique, tel l'Orchestre national du Capitole et son chef Tugan Sokhiev, prêteront leur concours. Ce sont au total quelques 200 artistes, dans 29 lieux, dont neuf orgues classés, qui feront de Toulouse pendant dix jours la grande capitale de l'orgue, pour ce qu'on peut considérer comme le seul festival d'une telle envergure dans le monde.

 

Du 2 au 12 octobre 2014, divers lieux.

Renseignements et réservations : Association Toulouse les orgues, Église du Gesu, 22 bis rue des Fleurs, 310000 Toulouse ; par tel.:  05 61 33 76 87 ; en ligne : www.toulouse-les-orgues.org  ou infos@toulouse-les-orgues.org

 

 

13, 15, 17, 19, 21 / 10

 

Castor et Pollux au Théâtre des Champs-Elysées

 


Hervé Niquet / DR

 

Pour son premier spectacle scénique de la saison, le Théâtre des Champs-Elysées présente Castor et Pollux. Sur un livret du jeune auteur Pierre-Joseph Bernard, loué par Voltaire, Rameau célèbre le thème de l'amitié et du sacrifice par amour fraternel. Les influences maçonniques y sont à peine dissimulées, notamment à travers la thématique du triomphe de l'amitié et de la progression  mentale d'un des héros, Pollux, qui selon Sylvie Bouissou, fait d'abord preuve de « vertus morales », puis déploie des « vertus héroïques », et à l'heure du sacrifice, illustre ses « vertus humaines et divines ». Moins contrastée qu'Hippolyte et Aricie, l'œuvre se distingue par son homogénéité et son caractère élégiaque. Les caractères y sont particulièrement fouillés. Peu apprécié à sa création en 1737, l'opéra sera remanié substantiellement en 1754, en pleine Querelle des Bouffons, pour connaître, dès lors, le succès. C'est cette version qui sera donnée sous la direction d'Hervé Niquet, conduisant son Concert Spirituel, un spécialiste de l'univers ramiste. La mise en scène sera assurée par Christian Schiaretti. Un spectacle qui promet d'être passionnant, pour fêter dignement l'année Rameau à Paris.

 

Théâtre des Champs-Elysées, les 13, 15, 17, 21 octobre 2014 à 19 H 30 et les 19 / 10 à 17H

Location : 15, Avenue Montaigne, 75008 Paris ; par tel. : 01 49 52 50 50 ; en ligne : theatrechampselysees.fr

 

 

10 / 9 - 19 / 12

 

Fin de partie classique à Pleyel...

 


DR

 

Souvenir, souvenir ! La mythique salle Pleyel va bientôt fermer ses portes à la musique classique. Mise en service de ce qu'on espère être la flamboyante Philharmonie de Paris oblige ! Les mélomanes vont se défaire avec regret de ce lieu chargé d'histoire, idéalement situé au cœur de la capitale, même si son acoustique est loin d'atteindre l'idéal. Eu égard à l'ouverture en janvier prochain de la nouvelle salle de concert de la porte de Pantin, celle de la rue du Faubourg Saint-Honoré va connaître son dernier trimestre d'activité de septembre à décembre. Outre les concerts hebdomadaires de l'Orchestre de Paris, qui aligneront des chefs comme Paavo Järvi, Guennadi Roshdestvensky, David Zinman et même Riccardo Chailly, avec Martha Argerich (3 & 4/12), quelques phalanges étrangères prestigieuses s'y produiront en guise de bouquet final : Le Cleveland Orchestra et son directeur musical Franz Welser-Möst, dans deux programmes Brahms, les 20 & 21/9, puis le Chicago Symphony Orchestra et Riccardo Muti (les 25 & 26/10) et le Chamber Orchestra of Europe avec Bernard Haitink (24 & 25/11), là encore pour deux soirées Brahms. La programmation sera complétée par des récitals de chant : Matthias Goerne et Christoph Eschenbach pour une soirée Schumann (24/10) et Patricia Petibon (29/11), autour de la thématique de son nouveau disque « La belle excentrique ». Comme par des récitals de piano de Yuja Wang (7/10), Alexei Volodin (12/10), Nelson Freire (15/10) et Stephen Kovacevich (16/12). Enfin par des concerts de musique de chambre à haut potentiel de stars : Gautier Capuçon et Yuja Wang (11/10), Renaud Capuçon et Khatia Buniatishvili (13/10). Deux soirées célébreront encore la BO et la musique classique au cinéma, les 10/10 et 19/12. Embarras de richesses donc, qu'il ne faudrait pas manquer.

 

Renseignements et Location : Salle Pleyel, 252 rue du Faubourg Saint Honoré, 75008 Paris ; par tel.: 01 42 56 13 13 ; en ligne : www.sallepleyel.fr

 

Jean-Pierre Robert.

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L'ARTICLE DU MOIS

 

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Karlheinz Stockhausen : Une musique spatiale

   

Dans le contexte de la musique de l’après-guerre, Karlheinz Stockhausen (1928-2007) est parmi les premiers à redécouvrir pour la musique du XXè siècle le nouveau paramètre de la matière du son, le lieu de sa production et, par conséquent, l’espace musical : d’une part, l’espace musical inscrit, incorporé à l’œuvre écrite, et, d’autre part, l’espace mobile de la diffusion du son dans la salle du concert. Pour le premier, il agit en héritier de la grande tradition occidentale de la polyphonie, de Varèse et de l’École de Vienne ; pour le second, il est l’inventeur de nouvelles matières – électroniques et mixtes – et de nouvelles formes, modelables dans l’espace de la salle ou en pleine nature. Soulignons tout de suite que ces deux espaces font partie pour lui d’un même raisonnement compositionnel.

 

En fait, toute composition de Stockhausen témoigne pratiquement, toujours différemment, d’une préoccupation d’ordre architectonique et se définit comme composition spatiale. Concevoir le travail du compositeur en tant qu’architecture sonore et expérimentation spatiale et faire évoluer les auditeurs à l’intérieur d’une musique spatiale est une de ses préoccupations essentielles depuis les années cinquante. Son sens inné d’architectonique musicale a toujours trouvé des confirmations par des expériences dans différents domaines extramusicaux. Ainsi : « En 1968, quand j’ai visité le Mexique, je suis resté parfois durant des heures dans les ruines des temples aztèques et maya, uniquement pour avoir la sensation de l’espace et pour reconstruire mentalement tout le temple. Parce que, partout où je suis, moi, je remarque les dimensions, où sont les ouvertures, quelles sont les proportions des hauteurs et des arcades par rapport aux surfaces. […] C’est une sorte de sixième sens chez moi qui me fait toujours mesurer l’architecture, parce que je vois qu’un temple détient, dans toutes ses dimensions, un profond secret d’harmonie mathématiquement juste. Et la bonne musique est aussi comme ça.  » (1).

 


DR

 

Marqué, de toute évidence, par l’expérience auditive des avions dès sa plus tendre enfance, dans l’espace aérien d’une Allemagne en guerre ensuite, le jeune compositeur conçoit le son en tant que son en mouvement dans l’espace. « Une chose fabuleuse qui arrive dans ma vie, c’est que j’appartiens à une génération qui a pour la première fois à sa disposition des avions, qui a pour la première fois la chance de faire une expérience avec les planètes comme avec quelque chose de proche.» (2) 

 

Parallèlement à sa recherche de compositeur, Stockhausen théorise sur la problématique de l’espace dans la création musicale : Son article « Musik im Raum » (Musique dans l’espace) (3), paraît pour la première fois en 1959 dans la célèbre revue Die Reihe et se propose de faire la lumière sur la nécessité de la recherche spatiale dans le contexte d’une remise en question totale de la notion même de matériau musical. Une bonne partie des textes théoriques de Stockhausen réunis dans le 10e volume de ses Textes est consacrée à sa « musique astronique », c’est-à-dire à sa musique spatiale(4), domaine dans lequel il expérimentera jusqu’à la fin de sa vie.

 

Déjà dans une de ses premières œuvres, Kreuzspiel (1951), pour hautbois, clarinette basse, piano et trois percussionnistes, Stockhausen cherche à rendre présente et facilement perceptible la composition spatiale de la matière sonore. Il ne s’agit pas simplement d’écriture spécifique et d’amplification, mais de balance et de modelage de la matière sonore dans l’espace de la salle. L’emplacement des instruments et des musiciens sur scène à des distances précises, sur des podiums à hauteurs différentes, l’utilisation de microphones et de microphones de contact pour les instruments, puis la console de mixage et les haut-parleurs pour la projection sonore témoignent de l’importance de l’aspect proprement spatial de la composition.

 

L’inscription de la dimension spatiale à l’intérieur de la partition écrite implique pour lui, depuis les années cinquante et jusqu’à ses dernières œuvres, la multiplication et l’individualisation des couches superposées qui constituent la texture multiple de ses œuvres. Stockhausen réinvente l’espace musical à partir de la grande tradition polyphonique – de l’écriture mélodique linéaire multipliée –, en attribuant le rôle conducteur prépondérant non pas à la mélodie et donc au paramètre de la hauteur du son, comme c’est le cas chez les maîtres de la polyphonie ancienne, mais à la dimension temporelle, aux différentes possibilités de mesurer le temps et donc à la structuration de la durée. Ainsi, Zeitmasze /Mesures du temps,  )1955-56), pour 5 instruments – hautbois, flûte, cor anglais, clarinette et basson – est fondée sur une série de 5 types différents de mesure du temps : 12 tempi dans une échelle chromatique entre MM = 60 et MM = 120, le plus rapide possible, le plus lent possible, commencer dans un tempo très rapide et ralentir au presque 4 fois plus lent, et l’inverse, commencer par le tempo lent pour arriver au plus rapide possible(5). La structuration formelle évolue entre deux extrêmes : ou bien tous les musiciens doivent jouer de façon synchrone, ou bien ils jouent tous des couches temporelles individualisées et indépendantes. Entre les deux extrêmes, il y a, bien sûr, des degrés de dépendance mutuelle et de liberté individuelle qui définissent, précisément, le modelage de l’espace musical mobilisé de l’intérieur par les évolutions temporelles dans chaque partie instrumentale.

 

La polyphonie des couches temporelles individualisées est développée par la suite dans Gruppen (1955) pour 3 orchestres, dans la musique électronique Gesang der Jünglinge(1955), où le compositeur utilise aussi la directionnalité et le mouvement des sons dans l’espace de la salle, dans Carré (1959) pour 4 orchestres et 4 chœurs, et Momente (1962/64) pour soprano solo, 4 chœurs et 13 instrumentistes. La technique polyphonique des strates individualisées, formatrice d’espaces mouvants à l’intérieur de la matière composée, restera la technique principale de génération de complexités de texture et de projection spatiale dans le travail de Stockhausen jusqu’à la fin de sa vie. Elle sera développée dans le contexte de la Formelkomposition / Composition avec formule(s) et donc dans tout le cycle de sept opéras intitulé Licht / Lumière (1977-2003), Les Sept jours de la semaine, ainsi que dans son dernier cycle Klang / Sonorité (2004/07) qui renvoie au 24 heures de la journée.

 

         L’idée d’une diffusion spatiale lors du concert est présente chez Stockhausen aussi depuis les années cinquante. Déjà pour les premières exécutions de Zyklus (1959), pour un percussionniste, le compositeur prévoit la projection spatiale de tous les instruments : il utilise 4 microphones placés en carré autour des instruments et les diffuse à l’aide de régulateurs panoramiques par 4 x 2 haut-parleurs placés dans les quatre coins de la salle, comme pour Kontakte (1958-1960) pour sons électroniques, piano et percussions . Le but est de rapprocher l’expérience auditive du public de celle du percussionniste lors du jeu. Le son des haut-parleurs n’a pas autant de relief que celui qu’entend le percussionniste. Par contre, des sons très faibles, joués p - ppp et pratiquement inaudibles sans amplification, deviennent audibles grâce à la projection-interprétation qui peut parfaitement « doser » l’intensité en fonction de la prestation instrumentale concrète et de la spécificité acoustique de la salle.

 

         Gruppen(6) (1955/57) pour trois orchestres est, très probablement, le premier cas dans l’histoire de la musique occidentale d’une composition très complexe de musique orchestrale dans l’espace. Pour cette pièce pensée comme synthèse de musique orchestrale, musique de chambre et musique pour solistes, la superposition de couches temporelles individualisées, jouées avec différents tempi, rend indispensable la présence de trois chefs.

 


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Carré (1959) pour 4 orchestres et 4 chœurs (avec 4 chefs) (8) continue l’expérimentation dans le domaine de la musique spatiale en multipliant les sources et en complexifiant la matière sonore. Les 4 orchestres et les 4 chœurs engendrent un espace sonore carré, en partant des quatre points cardinaux, « aus den 4 Himmelsrichtungen », à partir des quatre directions du ciel, en traduction littérale(9). Les premières esquisses de cette œuvre sont nées en novembre-décembre 1958, lors d’une tournée de six semaines en Amérique, pendant laquelle le compositeur passe beaucoup de temps dans les avions et fait l’expérience, au-dessus des nuages, des temps les plus lents de changement et des espaces les plus vastes que l’on puisse imaginer. L’œuvre, d’une durée de 36 minutes, évoluant en flux continuel, demande une concentration considérable lors de l’écoute : la plupart des changements s’effectuent imperceptiblement à l’intérieur de la matière du son complexe et cherchent à transmettre cette évolution fascinante excessivement lente, cette perception du temps ralenti que l’on peut éprouver « suspendu » au-dessus des nuages.

 

L’orchestre de 80 musiciens dans Carré est divisé en 4 groupes homogènes qui comportent presque les mêmes instruments. À chaque groupe orchestral se joint un chœur mixte de 8, 12 ou 16 chanteurs. Les voix et les instruments forment une matière mixte unifiée. Le texte – une matière d’origine verbale constituée de bruits-sons ou de phonèmes hors signification – est composé par Stockhausen d’après une échelle de différences phoniques et selon des exigences d’ordre purement musical. Les 4 sources sonores mixtes (orchestres + chœurs) sont placées à distance l’une par rapport à l’autre contre les 4 murs de la salle (carrée ou rectangulaire). Les 4 chefs dirigent dos au mur, face aux interprètes qui entourent pratiquement le public : « L’emplacement des 4 orchestres et chœurs tout autour du public est inhabituel. On est tenté de regarder autour. Mais le mieux c’est de fermer les yeux par moments pour pouvoir écouter mieux(10). »

 

Si important dans le catalogue de Stockhausen, Momente (1961-65) (11) pour soprano, 4 chœurs et 13 instruments, est une composition multiple et variable, constituée de composantes formelles (des moments et des groupes de moments) indépendantes. Dans cette œuvre, le compositeur amplifie son travail de recherche à l’intérieur de la matière sonore en annulant toute opposition entre musique vocale et musique instrumentale, entre son et silence, entre son et bruit d’origine vocale ou instrumentale par l’intégration d’une multitude illimitée de modalités d’articulation. Chacun des 4 groupes comporte au moins 3 soprani, 3 alti, 3 ténors et 3 basses. Les instruments utilisés sont 4 trompettes, 4 trombones, 2 orgues électriques ou synthétiseurs et des percussions jouées par 3 musiciens. Les chanteurs disposent aussi d’instruments de percussion assez simples et insolites : des tubes en cartons, des baguettes en caoutchouc, des claves à hauteurs différentes, des boîtes de conserve, des grains de plomb, des tuyaux métalliques, etc. Les choristes participent aussi avec des bruits de pied, de main, de bouche ou de langue qui ponctuent le discours ou se fondent dans la matière sonore-bruiteuse en mouvement.

 

L’expérience de Stockhausen dans le domaine de la musique vocale-instrumentale en tant que « musique spatiale fonctionnelle » (12) est fortement influencée par l’expérience de sa musique électronique. Parmi les compositeurs de l’avant-garde des années 1950/60, il est le premier à se lancer avec une profonde conviction dans le domaine de la nouvelle musique électronique. Rappelons que Boulez qualifiera longtemps de « bricoleurs » les pères de la musique concrète et électro-acoustique en France et se tournera vers l’électronique seulement au cours des années 1970 avec la création de l’Ircam. Boulez, Berio, Ligeti, Pousseur et même Nono accorderont beaucoup moins d’importance à l’électronique dans leurs recherches compositionnelles et seront toujours fortement assistés par des collaborateurs spécialistes en technologie. Stockhausen semble être le seul de sa génération à avoir su mener de front, et à partir des années 1950 avec le succès que l’on connaît, la véritable conversion technologique du métier du compositeur.

 

Déjà dans sa pièce électronique Gesang der Jünglinge / Chant des adolescents (1955/56) (13), devenue jalon d’orientation dans l’histoire de la musique électronique, Stockhausen cherche à mettre en œuvre la directivité des sources sonores et le mouvement des sons dans l’espace pour élargir et enrichir la perception musicale. L’œuvre utilisant des fragments de la Bible, notamment du 3e livre de Daniel, est composée pour 5 groupes de haut-parleurs disposés de façon circulaire autour et au-dessus des auditeurs. L’emplacement des sources sonores, le lieu de production des sons et des groupes, le nombre de haut-parleurs en action simultanément, le degré de fixité ou de mobilité des sons, la rotation vers la droite ou vers la gauche sont des aspects essentiels de la composition électronique. Elle exige un nouveau type d’écoute : plus attentive, plus curieuse, plus apte à suivre les mouvements des sons et à s’orienter dans un espace de perception devenu multidimensionnel et mobile.

 

Gesang der Jünglinge est la première composition pour des groupes de  haut-parleurs distribués tout autour et au-dessus du public de telle façon que le son puisse être dirigé de partout vers les auditeurs, en s’éloignant ou en passant à côté d’eux. La position spatiale des sons qui n’avait joué pratiquement aucun rôle actif dans la musique antérieure s’y trouve revalorisée : elle est même devenue au moins aussi formatrice que les paramètres considérés traditionnellement comme prépondérants (la hauteur, la durée). Il s’agit, en réalité, du début historique de la « Raum-Musik », de la musique spatiale. Pour la première fois, l’emplacement de la source, la direction de l’émission sonore et les mouvements des sons dans l’espace sont composés en tant que nouvelle dimension de l’œuvre et, avec elle, de l’expérience auditive. Il s’agit d’une sextuple stéréophonie utilisant 6 haut-parleurs (ou groupes de haut-parleurs) (14), qui invente une nouvelle forme vivante de la composition et de l’écoute.

 


Stockhausen en 2004 / DR

 

En 1958/60, Stockhausen compose Kontakte, musique électronique avec piano et percussions(15), en 4 pistes, pour 4 groupes de haut-parleurs. Le compositeur prévoit 4 fois 2 haut-parleurs placés en cercle ou en carré dans les quatre coins de la salle. Il réalise les premières rotations du son autour du public, les « marées, les flots, les flux sonores » (Flutklänge) (16), les mouvements en spirales, confrontés aux sons fixes des instruments acoustiques. Les haut-parleurs sont situés de telle façon que l’on puisse percevoir au mieux toutes les rotations, les mouvements diagonaux, les alternances, les déluges sonores, les sons filant au-dessus des têtes de l’arrière vers l’avant ou d’un côté à l’autre. À chacun des 4 haut-parleurs situés dans les 4 coins de la salle est confiée une couche sonore. Les 4 haut-parleurs émettent la même musique, mais le son voyage d’un haut-parleur à l’autre en alternance. Soit les sons se déplacent vers la droite ou vers la gauche (tandis que, simultanément, un ou deux haut-parleurs émettent de façon fixe) ; soit des mouvements rotatoires en boucles (I – III – II – IV, I – III – II – IV, etc.) sont effectués ; ou bien le son provient d’abord d’un seul haut-parleur, au bout d’un certain temps, les deux autres interviennent, enfin le quatrième, ce qui créée l’effet « marée sonore » (Flutklang), l’envahissement progressif de l’espace par le son.

 

Déjà au cours des années 1950, Stockhausen se rend à l’évidence que, si l’on conçoit le lieu de production du son en tant que paramètre indépendant, 3 ou 4 sources sonores, comme dans Gruppen ou Carré, sont insuffisantes et que l’on doit chercher à élaborer la continuité de la diffusion en cercle(17). L’idée du mouvement continu de la matière sonore en cercle mène le compositeur vers la conception d’une salle sphérique dotée d’une multitude de haut-parleurs en plusieurs cercles : le rêve des années 1950/60 deviendra réalité lors de l’exposition universelle d’Osaka, au Japon, en 1970, dans le pavillon sphérique construit par l’architecte F. Bornemann d’après les suggestions de Stockhausen. Parallèlement aux nouvelles stratégies compositionnelles dans les œuvres ouvertes de l’époque et en relation avec elles, il cherchera à sortir de la salle de concert et des espaces toujours nouveaux pour des expériences en pleine nature et dans des lieux insolites.

 

Le parcours de Stockhausen dans les années 1960/70 avec sa Raummusik/ musique spatiale est jalonné par des œuvres clés dans l’histoire de la musique de la seconde moitié du xxe siècle. À partir de 1964, il compose plusieurs œuvres électroniques et mixtes avec une projection en multipiste par des haut-parleurs des sons électroniquement transformés (mehrkanalige Lautsprecherwiedergabe), et il élabore un nouveau type de pratique d’exécution en concert avec une projection spatiale du son (räumliche Klangsteuerung) : c’est le cas dans Mikrophonie I (1964), pour 6 musiciens, Mikrophonie II (1965), pour 12 chanteurs, orgue Hammond ou synthétiseur, 4 modulateurs en anneau et bande, dans la pièce électronique Telemusik (1966), dans Prozession (1967), pour 6 musiciens, Kurzwellen(1968), pour 6 musiciens, Stimmung (1968), pour 6 chanteurs, ainsi que dans les quinze Textkompositionen, compositions textuelles pour musique intuitive Aus den sieben Tagen / Des sept jours (1968).

 

Réalisée en 1966 au Studio de musique électronique de la radio japonaise NHK à Tokyo, la pièce électronique Telemusik inaugure une nouvelle phase importante dans l’exploration spatiale de Stockhausen : il s’agit, d’une part, d’une ouverture théoriquement illimitée aux temps antérieurs et aux espaces extérieurs à l’œuvre et, d’autre part, d’une projection spatiale avec les outils de la diffusion panoramique de l’époque. Telemusik est la première pièce importante de Stockhausen dans sa recherche d’une « musique universelle » (18). Suite à ses multiples voyages, surtout en Asie, le compositeur vit un changement profond de conscience : « Le monde devient un monde. […] C’est le début de l’universalisme. La force qui effectue l’intégration s’exprime par les outils techniques que nous utilisons(19). » Et il se propose de « faire encore un pas en avant », vers « une musique de toute la terre, de tous les pays et races » (20). C’est la raison pour laquelle on entend dans Telemusikdes références à la musique du Gagaku japonais, à la musique balinaise, à une fête villageoise espagnole, à la musique hongroise, aux chants Shipobo de l’Amazonie, à la cérémonie Omizutori à Nara (à laquelle Stockhausen participe, fasciné pendant trois jours et nuits), à la musique chinoise, à la musique de montagnards vietnamiens, aux offices des moines bouddhistes du temple Jakushiji, aux drames du Nô japonais, etc. Il ouvre la musique électronique de Telemusik à toutes les cultures fort différentes qui y participent, parfois simultanément, en s’influençant et en se transformant mutuellement. Tout en utilisant des références explicites à des traditions musicales historiquement et géographiquement éloignées, Stockhausen renonce à la technique citationnelle, typique de la première moitié du xxe siècle, au profit d’une véritable « intermodulation »(21) entre les « objets trouvés » et les sons électroniques produits en studio : il module et transforme le rythme d’un événement sonore avec la courbe dynamique d’un autre ; ou bien il module des accords électroniques par la courbe dynamique d’un chant de moines, puis soumet le résultat à une nouvelle modulation, par la ligne mélodique d’un chant Chipobo, par exemple, et ainsi de suite(22). Le propos n’est plus l’observation « de l’extérieur » d’un espace intertextuel jouant sur le contraste statique producteur de sens, comme c’est le cas dans la technique de la citation, mais l’exploration matérielle accueillante : l’expérience composée de donner et de recevoir, de communiquer en échangeant des qualités, au nom d’une unité supérieure des opposés, démontrée auditivement et proposée à l’exploration de l’auditeur.

 


Lors de la création de Sirius à Aix-en-Provence, 8/8/1977 / DR

 

Pour Stockhausen, il s’agit d’inventer et de produire de nouvelles relations entre ces matériaux disparates, étant donné que « les distances dans le temps sont artificielles et [que] tout existe simultanément dans notre conscience »(23). « Et si nous pensons cosmiquement, au-delà de la terre, alors, je crois que nous vivrons d’autres surprises de cet ordre, à savoir que des tranches de notre propre histoire existent simultanément ailleurs dans le cosmos(24). » Stockhausen conçoit déjà l’ouverture cosmique de ses projets compositionnels.

 

L’élaboration spatiale en relation avec l’idée d’une musique universelle, une musique du monde, est aussi très importante dans Hymnen (1966/69), musique électronique et concrète avec diffusion sur 4 canaux et avec 4 solistes. Cette version a été complétée en 1969 par Dritte Region / Troisième Région avec orchestre et diffusion sur 4 canaux(25). L’œuvre est constituée donc de quatre Régions d’une durée globale d’environ 113 minutes. Chaque Région comporte certains hymnes en tant que « centres » auxquels se réfèrent plusieurs autres hymnes nationaux avec leurs débuts facilement reconnaissables. La Première Région a deux centres : L’Internationale et La Marseillaise ; la Deuxième en comporte quatre : l’hymne de la République fédérale d’Allemagne, un groupe d’hymnes africains en alternance avec l’hymne de l’URSS et un centre « subjectif », moment original du travail en studio ; la Troisième Région (dédiée à John Cage) a trois centres : l’hymne de l’URSS, l’hymne des États-Unis et l’hymne espagnol. Enfin la Quatrième Région (dédiée à Luciano Berio) est centrée autour de deux hymnes : l’hymne suisse et un hymne « appartenant au royaume utopique Hymunion en Harmondie sous Pluramon »(26). Stockhausen rêve déjà de sa musique cosmique dont les lieux utopiques trouveront « confirmation » sur les pages du livre Urantia qui nourrira par la suite l’univers imaginaire du cycle des Sept jours de la semaine Licht(27).

 

À l’ouverture au monde correspond aussi l’ouverture de la pratique du concert : « Hymnen pour radio, télévision, opéra, ballet, disque, salle de concert, église, plein air… L’œuvre est composée de telle façon que l’on peut écrire différents scénarios ou libretti pour des films, des opéras ou des ballets avec cette musique(28). »

 


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Dans la lignée de Hymnen, où le compositeur intègre des hymnes nationaux à la musique électronique, et de Prozession, où les musiciens transforment en direct des fragments d’œuvres antérieures, Kurzwellen / Ondes courtes (1968) pour 6 musiciens(29) élargit l’espace musical en jeu aux événements sonores imprévisibles, produits par des récepteurs d’ondes courtes auxquels les musiciens réagissent immédiatement. L’espace musical flexible de Kurzwellen résulte de l’imitation, de la transformation, de la modulation et de l’intermodulation des événements sonores qui s’inscrivent dans une nouvelle pratique de « tradition orale » et de jeu intuitif. Et le compositeur formule déjà la possibilité d’ouverture à d’autres espaces : « Les temps et les espaces auxquels nous étions habitués en faisant de la musique jusqu’à présent sont suspendus et il se profile la possibilité de nous mettre en relation avec des couches de la conscience qui étaient fermées pour nous jusqu’à maintenant ou bien qui nous étaient accessibles uniquement aux moments très courts d’inspiration intuitive(30). »

 

La recherche spatiale de Stockhausen le mène aussi vers plusieurs projets architecturaux de salles, restés, malheureusement sans suite, et l’invention  d’outils spécifiques. Pour Sirius (1975/77), musique électronique avec trompette, soprano, clarinette basse et basse, il conçoit une table rotative, réalisation exceptionnelle du Studio de la WDR selon ses indications. Au milieu de la table ronde se trouve fixé un haut-parleur. Commandée à distance, la table tourne vers la gauche ou vers la droite, de la position de repos jusqu’à 12 tours par seconde. Les sons émis par le haut-parleur sont captés par 8 microphones qui entourent la table et sont enregistrés par un magnétophone 8 pistes. Ces 8 pistes sont projetées dans la salle par 8 haut-parleurs disposés en cercle autour du public. Les sons obtenus avec la table rotative ont été utilisés pour le début et la fin de Sirius où des sons impressionnants en spirale simulent l’arrivée et le décollage d’un engin intersidéral. La même idée sera présente, réalisée avec des moyens différents, dans le Helikopter-Streichquartett (1992/93), pour quatuor à cordes, 4 hélicoptères avec pilotes et 4 caméras), faisant partie de Mittwoch aus Licht / Mercredi de Lumière.

 

Pour ses performances dans l’auditorium sphérique à Osaka en 1970, Stockhausen imaginera des « moulins rotatifs ». Naturellement, il suit avec intérêt et utilise dans ses œuvres toutes les innovations technologiques dans le domaine. Inspiré par le QUEG (quardophonic effect generator) qu’il utilise pour la spatialisation dans Oktophonie (1990/91), la musique électronique de Dienstag aus Licht / Mardi de lumière, Stockhausen imagine lui-même et fait réaliser par le Studio d’art acoustique de Fribourg-en-Brisgau le système OKTEG (octophonic effect generator) pour la spatialisation à 8 pistes dans son œuvre la plus sophistiquée pour la spatialisation, la musique électronique Cosmic Pulses (2006/07), la 13e Heure de Klang. Les possibilités de spatialisation en sont pour Stockhausen à leurs débuts. Et il est convaincu que l’on construira de plus en plus d’appareils nécessaires à la projection du son. « Les sons seront projetés dans l’espace par un régisseur du son et même par chacun des interprètes. Dans ce domaine, il y aura de nouvelles découvertes pour rendre le son de chaque musicien mobile dans l’espace, pour que le son ne reste pas toujours à l’endroit où se trouve le musicien(31). »

 

Oktophonie (1990/91) – la musique électronique du deuxième acte de Dienstag aus Licht / Mardi de lumière comportant Invasion – Explosion avec Abschied / Adieu – témoigne d’une nouvelle étape dans la recherche spatiale de Stockhausen(32). « Oktophonie est le témoin de mon expérience cosmique des années 90-91 », précise le compositeur(33). Cette musique, composée en 8 pistes et projetée par 8 groupes de haut-parleurs, fait suite aux expériences sur 8 canaux dans la musique électronique de Sirius, dans Unsichtbare Chöre / Chœurs invisibles de Donnerstag, dans Chormusik mit Tonszenen / Musique pour chœurs avec Scènes sonores de Montag. Mais, contrairement à toutes ces œuvres où les 8 (ou bien 8 x 2) haut-parleurs sont disposés en cercle autour du public, Oktophonie nécessite une distribution des haut-parleurs en cube qui enveloppe pratiquement les auditeurs et rend encore plus audibles les mouvements simultanés des 8 couches.

 


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Helikopter-Streichquartett (1992/93)(34), intégré par la suite en tant que troisième scène à Mittwoch aus Licht / Mercredi de lumière, est la réalisation impressionnante d’un autre rêve de musique spatiale fonctionnelle qui supprime, en utilisant les technologies actuelles, les frontières entre l’espace de la salle et le plein air et, de ce fait, bouleverse complètement la pratique habituelle du concert. Suite à la commande d’une œuvre pour quatuor à cordes de la part du Festival de Salzbourg, Stockhausen fait un rêve : « Je vis et entendis les musiciens du Quatuor jouant en plein vol dans quatre hélicoptères. Je vis simultanément des gens au sol, assis dans la salle équipée de matériel audiovisuel, et d’autres à l’extérieur, debout sur une grande place. Devant eux, on avait érigé quatre tours de téléviseurs et de haut-parleurs : à gauche, à mi-gauche, à droite, à mi-droite. Dans chacune des quatre directions, on pouvait entendre et voir en gros plan l’un des quatre musiciens. Les musiciens exécutaient la plupart du temps des tremolos qui s’harmonisaient si bien avec les timbres et les rythmes des pales des rotors que les hélicoptères devenaient comme des instruments de musique(35). » Helikopter-Streichquartett est en fait la réalisation concrète du même rêve.

 

La performance des musiciens et des pilotes en hélicoptères prévoit la présence de deux publics : installé dans la salle, le premier entendra la version musicale optimale et suivra les hélicoptères et les musiciens sur des écrans ; le second, en plein air, observera en direct l’arrivée des musiciens, le vol des hélicoptères, leurs tours au-dessus de la ville et atterrissage, avant de prendre place à son tour dans la salle. Stockhausen parvient à réaliser la fusion de la musique acoustique du quatuor, théoriquement chargée d’histoire, mais rapprochée ici du bruit-son des hélicoptères, et de la musique concrète du vrombissement des moteurs. La retransmission à partir de chaque hélicoptère doit être réalisée de telle sorte que le bruit des rotors se mélange bien avec les sons produits par les musiciens, le son instrumental devant être légèrement plus audible. Pour cela, le compositeur se trouve obligé d’utiliser au moins 3 microphones par hélicoptère : un microphone de contact au niveau du chevalet de chaque instrument, un microphone devant la bouche du musicien pour les sons-bruits produits par celui-ci et un microphone placé à l’extérieur de l’appareil pour faciliter une retransmission claire des sons et des rythmes des pales du rotor (particulièrement variables lors du décollage et de l’atterrissage des appareils selon la vitesse). La performance spatiale unique de Helikopter-Streichquartett met en évidence, une fois de plus, l’imagination inépuisable de Stockhausen dans le domaine de la musique spatiale en mouvement qui invente une nouvelle matière musicale mixte. Simultanément, le rite sédentaire du concert-office fermé, issu des rituels à l’église, devient vol, mouvement et exploration : un voyage dans l’espace.

 

Cosmic Pulses / Pulsations cosmiques (2007)(36), 13e heure du cycle Klang, est certainement la pièce électronique la plus complexe en ce qui concerne la spatialisation de sa matière sonore. L’œuvre est constituée de 24 boucles mélodiques – 24 couches – dont chacune comporte un nombre différent de sons allant de 1 à 24. Les boucles tournent avec 24 tempi et dans 24 registres sur un ambitus global d’approximativement 8 octaves. Il s’agit d’une spatialisation polyphonique inédite : chaque séquence des 24 couches superposées a son mouvement spatial individualisé entre les 8 haut-parleurs. Pour cela, Stockhausen a composé 241 itinéraires spatiaux qui se superposent en mouvements continuels dans le lieu multiple, dense et vertigineux de cet univers sonore « cosmique ». L’idée lui est suggérée par l’univers de Saturne : « J’ai expérimenté pour la première fois la superposition de 24 couches, comme si j’avais à composer les rotations de 24 lunes ou de 24 planètes (la planète Saturne a, par exemple, 48 lunes)(37). » En ce qui concerne l’audibilité des cheminements spatiaux multiples, Stockhausen concède : « Je ne sais pas encore si l’on peut entendre tout. Cela dépend de l’expérience que l’on a d’écouter sur 8 canaux. En tout cas, l’expérience est extrêmement excitante(38). »

 


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La forme globale de Cosmic Pulses est fondée sur la densification progressive, puis sur la dégression continuelle des couches superposées. D’abord, elles se superposent progressivement en partant du grave et en évoluant vers l’aigu, du tempo le plus lent vers le tempo le plus rapide ; puis elles s’arrêtent l’une après l’autre dans l’ordre inverse. Des accélérations et des ralentissements autour du tempo défini, ainsi que des glissandi ascendants et descendants dans un ambitus restreint autour des mélodies précises, sont effectués à la main selon 10 modèles de mouvement donnés dans la partition et valables pour trois couches simultanément, ce qui rend la matière sonore plus flexible et plus vivante (39). Le nombre de changements dans chaque séquence est libre, mais la métrique et les mélodies des boucles sont variables grâce aux modèles des mouvements.

 

Fils de l’époque « astronique » et inventeur infatigable de l’espace cosmique sonore avec les moyens acoustiques et électroniques, Karlheinz Stockhausen a su proposer, avec ses œuvres, de nombreuses pistes pour la recherche spatiale en musique, à explorer et à développer par les générations futures.

 

Ivanka Stoianova.

 

 

(1) K. Stockhausen -  « Licht-Blicke », in Texte zur Musik 1977-1984, vol. 6, p. 192.

(2) « Eine neue Interpretationskunst », in Texte zur Musik 1984-1991, vol. 10, p. 146.

(3) « Musik und Raum », Die Reihe, no 5, 1959 ; in Texte zur elektronischen und instrumentalen Musik, vol. 1, p. 152-175 ; « Musique dans l’espace », Contrechamps, n9, 1988, p. 78-100.

(4) Cf. Texte zur Musik, Band 10, Stockhausen Verlag, Kürten, 1998, pp. 15-256.

(5) Cf. « Zeitmasze (1955/56) », in Texte zu eigenen Werken zur Kunst Anderer, vol. 2, p. 46-48.

(6) Kontakte (1958/60), pour sons électroniques no 12, et Kontakte (1958/60), pour sons électroniques, piano et percussions no 12 ½.

(7) Gruppen : création le 24 mars 1958 à Cologne par l’Orchestre symphonique de la Radio de Cologne sous la direction de K. Stockhausen, B. Maderna et P. Boulez.

(8) Carré : création le 28 octobre 1960 à Hambourg par le chœur et l’orchestre de la NDR, sous la direction d’A. Markowski, M. Gielen, K. Stockhausen et M. Kagel.

(9) Cf. K. Stockhausen - « Sternklang, Parkmusik für 5 Gruppen », in Texte zur Musik 1970-1977, vol. 4, p. 172.

(10) Ibid.

(11) Momente : création le 21 mai 1962 dans la grande salle de la WDR à Cologne, sous la direction de K. Stockhausen, chanteuse : M. Arroyo.

(12) Dans la « musique spatiale fonctionnelle » / « funktionnelle Raummusik », l’organisation spatiale a un rôle considérable dans la structuration formelle de l’œuvre.

(13) L’œuvre a été créée le 30 mai 1956 dans le grand auditorium de la Radio de Cologne.

(14) . « Aktuelles », in Texte zu eigenen Werken zur Kunst Anderer, vol. 2, p. 56.

(15) L’œuvre existe en deux versions : Kontakte (1958), no 12, pour sons électroniques, et Kontakte (1958), no 12 ½, pour sons élecrtroniques, piano et percussions.

(16) « Dans Kontakte, j’ai découvert la manière de réaliser des “marées sonores”. Des sons démarrent dans des haut-parleurs situés derrière le public ; juste après, les mêmes sons démarrent à nouveau à gauche et à droite ; et encore après, en face. Cela doit durer à peu près un tiers de seconde. Si le mouvement est continu (le même son sans arrêt décalé), il crée l’impression de projecteurs qui se déplacent. Le son est comme une vague qui vous submerge et qui roule de l’arrière vers l’avant », J. Cott, Conversations avec Stockhausen, Paris, J.-C. Lattès, 1979, p. 167.

(17) Cf. « Musik im Raum », in Texte zur elektronischen und instrumentalen Musik, vol. 1, p. 172-175.

(18) Interview über Telemusik », in Texte zur Musik 1963-1970, vol. 3, p. 80.

(19) Ibid., p. 83.

(20) « Telemusik (1966) », in Texte zur Musik 1963-1970, vol. 3, p. 75.

(21) « Telemusik (1966) », in Texte zur Musik 1963-1970, vol. 3, p. 76.

(22) La notion ancienne de modulation implique le passage d’une tonalité à une autre dans le système tonal. Chez Stockhausen, la notion d’intermodulation s’applique aux styles : aux passages d’un style à un autre, à leur interaction simultanée et leurs influences réciproques.

(23) « Interview über Telemusik », in Texte zur Musik 1963-1970, vol. 3, p. 80.

(24) Ibid., p. 81.

(25) Hymnen connaît trois versions : Hymnen (1966), musique électronique et concrète ; Hymnen (1966/67), musique électronique et concrète avec 4 solistes (jouée depuis 1967 des centaines de fois, actuellement retiré du catalogue), et Hymnen (Dritte Region) (1969), musique électronique avec orchestre.

(26) « Hymnen. Elektronische und konkrete Musik mit Solisten », in Texte zur Musik 1963-1970, vol. 3, p. 97.

(27) The Urantia Book, Chicago, Urantia Foundation, 1955.

(28) « Hymnen mit Solisten und Orchester », in Texte zur Musik 1984-1991, vol. 7, p. 97.

(29) Création en 1968 à Brême par A. Kontarsky (piano et KW), A. Alings et R.  Gehlhaar (tam-tam et KW), J. Fritsch (alto et KW), H. Bojé (électronium et KW) et K. Stockhausen (filtres et potentiomètres).

(30) « Kurzwellen (68) für sechs Spieler », in Texte zur Musik 1963-1970, vol. 3, p. 114.

(31) « Astronische Epoche », in Texte zur Musik 1984-1991, vol. 10, p. 25.

(32) Oktophonie a été réalisée en 1990/91 par Stockhausen et son fils Simon qui produisent d’abord les 8 couches sonores en utilisant leurs propres instruments et matériels, puis réalisent la pièce au Studio de musique électronique de la WDR

(33) « Oktophonie » (1990/91), in Texte zur Musik 1984-1991, vol. 8, p. 339.

(34) Helikopter-Streichquartett, pour quatuor à cordes, 4 hélicoptères, 4 caméras, 4 moniteurs télé, 4 x 3 microphones, 4 x 3 émetteurs de son), créé le 26 juin 1995 par le Quatuor Arditti à la Westergasfabriek d’Amsterdam, dans le cadre du Holland Festival.

(35) K. Stockhausen, Helikopter-Quartett / Arditti String Quartett, Arditti Quartett édition 35, Montaigne Auvidis, WDR, MO 782097, texte de la pochette du CD, p. 18.

(36) Création le 7 mai 2007 à l’auditorium Parco della Musica (salle Sinopoli) à Rome.

(37) « Cosmic Pulses, Elektronische Musik (2007) », texte de la pochette du CD 91, p. 5.

(38) Ibid., p. 5.

(39) Ce travail de réglage manuel a été confié à K. Pasveer. Les boucles ont été réalisées et synchronisées par A. P. Abellán. La pièce a été réalisée au Studio expérimental d’art acoustique à Fribourg-en-Brisgau.

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AU FESTIVAL D'AIX EN PROVENCE

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Le festival provençal se porte bien. Fort de sa désignation comme « meilleur festival d'Opéra » lors des International Opera Awards de 2014, il affichait cette année un programme peut-être pas aussi fourni que l'an passé, mais non moins enthousiasmant. Bernard Foccroulle, son habile directeur, peut être fier de cette réussite qui se conforte d'été en été. Le soin apporté aux distributions en est un des paramètres les plus enviables, mêlant artistes confirmés et talents plus que prometteurs. La présente édition n'aura pas trop été gâtée par la crise des intermittents du spectacle, seules les premières représentations des deux opéras donnés dans la cour du théâtre de l'Archevêché ayant eu à subir quelques turbulences. A propos de ce lieu mythique du festival, on en signale l'amélioration sensible de l'acoustique, qui affirme une présence sonore nettement plus tangible, même par temps venteux. On annonce pour 2015 une affiche fort alléchante avec de nouvelles productions de L'Enlèvement au sérail, dirigé par Jérémie Rohrer, d'Alcina, avec la prise de rôle de Patricia Petibon, d'un double bill réunissant Iolanta et Perséphone, qui verra le retour du metteur en scène  Peter Sellars, outre une création de Jonathan Dove, Le monstre du labyrinthe, dirigée par Sir Simon Rattle, enfin la reprise du Songe d'une nuit d'été de Ben Britten, dans la légendaire régie de Robert Carsen. 

 

George Friedrich HAENDEL : Ariodante. Dramma per musica en trois actes.Livret anonyme d'après Ginevra, principessa di Scozia d'Antonio Salvi écrit pour un opéra de Giacomo Antonio Perti, inspiré de l'Orlando Furioso de Ludovico Ariosto. Sarah Connolly, Patricia Petibon, Sandrine Piau, Sonia Prina, Luca Tittoto, David Portillo, Christopher Diffey. English Voices.Freiburger Barockorchester, dir. Andrea Marcon. Mise en scène : Richard Jones.

 


© Pascal Victor / ArtcomArt

 

Ariodante est sans doute l'un des opéras les plus achevés de Haendel. La trame est puisée, comme celles d'Alcina et d'Orlando, au Roland Furieux de l'Arioste. Créé en 1735, à Londres, dans le tout nouveau théâtre de Covent Garden, il valut au musicien un succès peu durable du fait des intrigues qui sévissaient alors entre troupes rivales, et malgré la présence d'interprètes prestigieux dont il s'était assuré le concours, comme le castrat Carestini dans le rôle titre et la soprano Anna Maria Strada del dans celui de Ginevra. Haendel s'y montre un dramaturge inspiré, n'hésitant pas à inclure des danses pour agrémenter une action serrée, déployée en une succession d'arias da capo magistraux, véritable festival vocal. Celle-ci, basée sur la mécanique de l'entrelacement, ou mélange d'histoire de divers personnages, est d'une remarquable logique qui voit chacun de ceux-ci, à l'exception du roi d'Écosse, être inséré dans une chaîne amoureuse : Lurcanio aime Dalinda qui aime Polinesso qui aime Ginevra qui aime Ariodante. C'est la manigance du fourbe Polinesso qui empêche le couple Ariodante-Ginevra de connaître le bonheur.  Après Hercule, puis l'oratorio Belshazzar, il y a quelques étés, le Festival d'Aix renoue avec le genre du grand drame du Saxon. Et s'assure un vrai succès. Il faut dire qu'on a apporté un soin particulier à la qualité de la distribution dont chaque élément frôle l'idéal. A commencer par l'Ariodante de Sarah Connolly, vrai métal de tragédienne haendélienne, dont les interventions sont marquées au coin de la sincérité. La douceur du timbre de mezzo semble comme effleurer le texte dans les grandes arias où l'émotion est à fleur de peau, de la douleur au désespoir, puis le retour à un bonheur inespéré. On admire un art suprême de ne pas forcer le trait  : un modèle de chant pour Haendel. L'intensité n'est pas moindre dans le rôle éprouvant de Ginevra, qui passe pour être le réel pivot de l'action. Patricia Petibon y campe une jeune femme amoureuse, que l'accusation d'adultère conduit à la folie et qui bien que disculpée tardivement, ne s'en remettra pas. Au finale, malgré le lieto fine, elle quittera la scène pour l'inconnu. Au fil d'arias on ne peut plus contrastées dans leur facture et les affects véhiculés, de l'insouciance à la véhémence, de l'abattement à la résolution farouche, dans une assomption totale avec le personnage, Petibon maîtrise souverainement une partie flattant toute l'étendue du registre, soulignée ici par la plénitude et l'absence de vibrato si caractéristiques de son chant. La contralto Sonia Prina portraiture un fascinant Polinesso, se jouant des stupéfiantes coloratures dans le grave, parfois enlevées pianissimo, une véritable pyrotechnie. La petite taille de l'interprète et son accoutrement en Tartuffe rendent encore plus crédibles le travestissement et la perfidie sans borne de l'individu, surtout lorsque sous l'habit noir transparait le blouson jean du mauvais garçon. Dans la suivante Dalinda, Sandrine Piau distille un chant immaculé et bien de la tendresse innocente, même si c'est par la crédulité de cette femme que le drame se noue. La basse Luca Tittoto, transfuge de l'Académie européenne de musique, campe un roi d'Écosse aux accents douloureux, partagé entre rigueur du devoir et sentiment  paternel. Le ténor habile David Portillo, Lurcanio, complète un sextuor enviable, digne d'une pochette de disque. Tous sont portés par la direction attentionnée d'Andrea Marcon, dont l'intensité croît au fil de la soirée et à mesure que la musique s'enfonce dans la désolation. Elle est mue par un vrai sens de la continuité, même s'il lui manque l'ultime étincelle du génie d'un William Christie ou d'un René Jacobs. La sonorité du Freiburger Barockorchester ne saurait être discutée et les solistes instrumentaux, tels les bassons, enluminent une partition qui se signale par une inventivité de tous les instants et une irrépressible puissance théâtrale.

 


© Pascal Victor / ArtcomArt

 

Celle-ci, la mise en scène de Richard Jones la saisit à la racine. Il transplante l'action chevaleresque dans un petit village écossais en bord de mer et au sein d'une communauté familiale, d'autant plus aisément manipulable par Polisseno que celui-ci a revêtu les habits d'un Pasteur prêchant la bonne parole. La Bible, brandie par des villageois, somme toute bien sectaires, mais aussi les couteaux acérés méticuleusement rangés au-dessus de la table de salle à manger, sont là pour rappeler l'intransigeance de la loi écossaise qui érige en crime l'adultère de la femme. Alors que la chronique indique que la création londonienne rivalisait d'une décoration somptueuse et multiple, on a fait choix, cette fois, d'un décor unique, mais dégageant habilement divers espaces : trois pièces que séparent d'invisibles murs, seulement matérialisés par des poignées de porte ; ce qui contracte l'action, parfois à la limite du claustrophobe, lors que la foule des villageois est entassée dans le réduit de la chambre de Ginevra et y évolue en des mouvements saccadés. Autre manifestation tangible d'une rigidité revendiquée. La direction d'acteurs est d'une redoutable précision pour brosser des caractères bien trempés et éminemment différenciés. L'allégement des récitatifs pratiqué par Haendel facilite une telle manière de voir. L'enchaînement des séquences, et même des trois actes, le cours du récit étant repris après chaque pause, exactement là où il s'était interrompu avant, accentue la pression dramatique. Les suites de danses qui concluent chaque acte, sont remplacées par une démonstration de marionnettes figurant la psyché de Ginevra : noces et descendance à la fin du premier, hallucinations de la princesse à l'issue du deuxième, sorte de ballet des songes, enfin semblant de retour à l'ordre au finale du troisième. En dernière analyse, le poème épique dégage une vraie théâtralité qui saisit à bras le corps des personnages on ne peut plus vivants, celui de Ginevra en particulier, que Richard Jones voit en perpétuel mouvement. Il devient un drame psychologique où est abolie la distinction entre récitatifs et arias. La tension jamais ne se relâche, malgré la longueur de l'opéra, et il s'en dégage souvent un sentiment oppressant.

 

 

Goacchino ROSSINI : Il Turco in Italia. Dramma buffo en deux actes. Livret de Felice Romani. Adrian Sampetrean, Olga Peretyatko, Alessandro Corbelli, Lawrence Brownlee, Pietro Spagnioli, Cecelia Hall, Juan Sancho. Ensemble vocal Aedes. Les Musiciens du Louvre Grenoble, dir. Marc Minkowski. Mise en scène : Christopher Alden.

 


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Le Turc en Italie (Milan, 1814) n'est pas un remake de L'italienne à Alger, créée un an plus tôt à Venise. Si la pièce est quelque peu tombée dans l'oubli, on doit à Maria Callas de l'avoir exhumée en 1950. Ses mérites sont grands, à commencer par son canevas plutôt bien ficelé : un poète, Prosdocimo, est en quête d'un sujet pour un drame bouffe. Il va manipuler des personnages tout droit sortis de la commedia dell' arte : un vieux mari bougon, Don Geronio, une coquette excentrique, Fiorilla, féministe avant l'heure, et les deux amants exotiques de la belle, le turc fat Selim et Don Narciso, le bellâtre emprunté. Autrement dit, une galerie de caractères finement ciselés, pour un dessin plus proche de la miniature sur ivoire que de la peinture à l'huile. Bien sûr, la trame n'est qu'imbroglios et quiproquos, mais la patte du librettiste Felice Romani, qui concrétisait sa première collaboration avec Rossini, et la verve relevée du musicien, font le reste. Il y a du Pirandello avant l'heure dans cette histoire, une mine insoupçonnée pour un metteur en scène ! Christopher Alden signe une régie oscillant judicieusement entre bouffe et tragique, plus au deuxième degré que franchement débridée. Et retient que si la figure du poète annonce celle du Directeur de théâtre de Six Personnages en quête d'auteur, elle rappelle tout autant celle de Don Alfonso du Così fan tutte de Mozart et sa philosophie cynique. Il insuffle la vie à des personnages a priori sans grand relief, pantins malgré eux, avec juste ce qu'il faut d'outrance onirique. La transposition nous mène dans les années 50, au sein de l'Italie insouciante des films de Fellini, de par ses accessoires banaux et des costumes endimanchés, évoluant entre nostalgie et nouveau réalisme, sans omettre l'incontournable vespa... Seuls un gigantesque mât de beaupré et sa figure de proue représentant la tête d'une femme rappellent que nous sommes en bord de mer. Car la pièce est jouée dans un vaste univers unique, qui s'il élude quelque peu l'intimité, permet d'habiles confrontations, souvent sous haute tension. Dans ce jeu de l'improvisation théâtrale, le poète Prosdocimo fait œuvre de metteur en scène d'opéra, et on le voit dès l'Ouverture en proie à moult hésitations devant la difficulté de mettre en forme son projet, puis tapoter fiévreusement quelque scenario sur sa petite machine à écrire. Il sera à la fois le moteur et le commentateur de l'action, le cas échéant pris à parti par certains de ses personnages. Ainsi en ira-t-il du trio avec Geronio et Narciso, ceux-ci le questionnant abruptement quant au rôle qui leur a été assigné. La touche douce amère se situe dans la conception du personnage de Narciso, muré dans une attitude frileuse de psycho-rigide, affublé d'un Parkinson curieux, qui le met en porte à faux avec le reste des protagonistes.

 


© Patrick Berger / ArtcomArt

 

L'exécution musicale est une régal. Marc Minkowski et ses Musiciens du Louvre Grenoble surfent sur la délicieuse légèreté de la musique et sa vitalité contagieuse, tout en gardant une vraie distinction. L'art du crescendo est finement jugé comme le jeu des violons sul ponticello. Les ensembles sont menés avec doigté dont le fameux quintette de l'acte II, qui voit Geronio confronté à une paire de Selim et à deux Fiorilla, un trait de non sens savamment cultivé par Rossini. La distribution, là encore très étudiée, répond au nec plus ultra des canons bel cantistes. Un trio de voix graves colore singulièrement cette exécution. Deux italiens d'abord y font florès, Alessandro Corbelli, Geronio, et Pietro Spagnoli, Prosdocimo, appartenant à la même lignée de ces basses rompues au style fleuri rossinien. Le vétéran Corbelli sublime la langue italienne comme personne et a encore bien des atouts à offrir, lui qui fut un sensationnel Don Alfonso à Salzbourg il y a quelques trois décades. Spagnoli en est le digne héritier, car lui aussi possède cette endurance irrésistible du vrai basso buffo. Mais la découverte restera le roumain Adrian Sampetrean : son Selim a de l'abattage, un rôle que Rossini a truffé d'ornementations généreuses. Mais il ne verse jamais dans la faconde facile. Ses postures avantageuses pour tenter d'apprivoiser la piquante napolitaine restent désopilantes. La joute cocasse entre ledit amant et le mari, duo de basses proprement irrésistible, est un moment savoureux. La Fiorilla d'Olga Peretyatko, une artiste découverte dans Lucio Silla, durant la semaine Mozart de Salzburg 2013, a elle aussi de l'aisance dans la vocalise et beaucoup d'esprit, que sert un physique de star. Le personnage appartient à cette race des héroïnes façonnée par le Cygne de Pesaro, à la fois cruelles et enjôleuses. Ce qui transparait dans le duo qui l'oppose à son bougon de mari, dont elle n'hésite pas à lui lancer à la face qu'il l'outrage, avant d'en appeler à sa pitié. « Femme capricieuse mais honnête » disent cependant les didascalies du texte, plus femme du monde que virago, elle retrouvera le chemin du foyer, et sans doute une certaine sécurité matérielle, effrayée de l'aventure en culture étrangère. Enfin, le ténor Lawrence Bownleee, n'était la posture pitoyable qui lui est imposée, à mille lieux de l'image d'Épinal de l'amoureux transi généralement assigné au ténor rossinien, n'en vocalise pas moins à la perfection. Le chœur bénéficie de la belle contribution de l'Ensemble vocal Aedes.

 

 

Franz SCHUBERT : Winterreise (Voyage d'hiver). Cycle de lieder pour voix et piano. Poèmes de Wilhelm Müller. Matthias Goerne, baryton, Markus Hinterhäuser, piano. Mise en scène et création visuelle : William Kentridge. Scénographie : Sabine Theunissen.

 


© Patrick Berger / ArtcomArt

 

L'idée de présenter scéniquement le Voyage d'hiver n'est pas nouvelle. Non que le cycle de Lieder de Schubert constitue en quoi que ce soit un opéra miniature. Mais l'architecture d'ensemble - deux séries de douze poèmes - sa vaste palette émotionnelle et son unité de climat, ancré dans une tristesse glacée, construisent un corpus singulier, un monologue de l'errance, où la solitude du voyageur apparaît terrifiante. Au fil des 24 lieder se découvrent des instants où le mot se fait image, qui appèlent sans doute et justifient l'illustration : la description d'un tilleul, le ruissellement des flots, le galop des chevaux... William Kentridge dont son sait l'appétence pour l'image (Une Flûte enchantée onirique, à Aix déjà, l'avait amplement démontré), a conçu un parcours visuel fait de projections vidéos. Celles-ci mêlent courtes animations, comme ce petit facteur dégingandé sur sa bicyclette pour le lied « Die Post », jolis croquis simplistes, tels ces bouquets d'arbres noirs, proches de quelque peinture de maître, ou au contraire stylisés, enfin subtils montages pour traduite l'agitation (La girouette). « Un trio entre musique, texte et image » dit-il. Chanteur et pianiste sont placés côte à côte comme s'il s'agissait d'un concert « normal ». Seulement, le podium est jonché de feuilles mortes, noires, et quelques collages de pages d'album sont apposés sur le mur du fond, qui voit se dérouler une foule d'images durant chaque mélodie. Il ne s'agit donc pas d'une mise en scène à proprement parler, mais de l'instauration d'un environnement visuel apte à enluminer chacun des Lieder. Il arrive que deux d'entre eux soient abordés dans un même continuum : ainsi de « Wasserflut » (Inondation) et de « Auf dem Flusse » (Sur le fleuve). Bien qu'il s'en défende, cette mise en perspective n'est pas sans incidence sur l'interprétation de Matthias Goerne. Est-ce la présence de ce contrepoint, mais son chant n'a jamais été aussi dramatiquement contrasté, dans le forte en particulier, jusqu'à la limite du cri. Le trait est comme noirci, souvent d'une béante désespérance, au bord de l'insoutenable (« Gefrone Tränen » - Larmes gelées ; « Rückblick » - Regard en arrière). Le chanteur parfois se détourne un instant du face à face avec l'auditoire pour jeter un regard sur une image mouvante. Au dernier lied, « Der Leiermann » (le Joueur de vielle), alors que défile une procession de silhouettes mornes, il sera comme transfiguré. Cette mise en situation fertilise l'imaginaire et ne nuit pas à la construction d'ensemble et à sa profonde cohérence. Quoique la magie du chant et la présence de Goerne captent tout autant l'attention : la force de l'image ne saurait distraire des inflexions mordorées du timbre, de cette gestuelle souple, qui habitent chaque recoin du texte et véhiculent les terreurs de la nuit comme la solitude impénétrable du héros. Markus Hinterhäuser connaît lui aussi son Schubert et déploie un pianisme buriné où pleins et déliés ressortent comme renforcés. Au final, cette dimension visuelle supplémentaire apporte-t-elle un plus aux questionnements qui sont au cœur de cette œuvre ? Une illustration directe, quoique au deuxième degré, ou une symbolisation indirecte ? La réponse reste éminemment subjective, chaque auditeur-spectateur réagissant à sa manière à la résonance de cette alchimie et aux associations qu'elle évoque, par delà l'impact dramatique ressortant déjà du texte littéraire et musical, et d'une interprétation aussi souverainement riche que celle du grand baryton allemand. L'auditoire, au demeurant dûment chapitré quant à la nécessité de rester discret, est en tout cas parfaitement subjugué par l'interprétation qui atteint au tréfonds de l'être, comme par un achèvement technique indiscutable, constituant une expérience inédite. A noter que ce spectacle sera repris au festival  l'an prochain.

 

Jean-Pierre Robert.

 

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LE FESTIVAL DE GLYNDEBOURNE

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Le célèbre festival anglais célébrait cette année ses 80 printemps tout comme les 20 ans de l'inauguration de son nouveau théâtre, et enfin la prise de fonction de son tout nouveau jeune directeur musical, Robin Tacciati. Un évènement plus sombre devait aussi marquer cette édition : la disparition, en mai dernier, de Sir George Christie, unique fils du fondateur du festival, John Christie, lequel demeura président de celui-ci de 1958 à 1999. La présente saison devait lui être dédiée. Glyndebourne, c'est avant tout une atmosphère à nulle autre semblable. Celle de son théâtre d'abord, d'une capacité moyenne (1200 sièges), à l'acoustique parfaite, autorisant un sentiment de réelle intimité. Celle de ses jardins ensuite, car cette belle demeure en pleine campagne du Sussex abrite un agencement agreste d'une beauté à couper le souffle par le sens des proportions, la douceur des arrangements floraux, la profusion des couleurs qui s'en dégage. Lorsque le temps est beau, le traditionnel pic nic sur la pelouse, avec les moutons en arrière plan, est en soi un spectacle. Glyndebourne, c'est aussi une certaine idée de la qualité musicale et dramaturgique, eu égard à un travail intense sur le long cours, chaque spectacle s'étalant sur plusieurs semaines, et à un vrai esprit de troupe, pour ne pas dire de famille. Les artistes aiment s'y produire et y revenir. Comme le dit le ténor autrichien Wolfgang Ablinger-Sperrhacke, « chaque fois que je retourne à Glyndebourne, c'est un peu  comme si je revenais à la maison ».

 

 

Wolfgang Amadé MOZART : La finta giardiniera. Dramma giocoso en trois actes. Livret sur une texte anonyme censé être de Giuseppe Petrosellini, d'après Goldoni. Wolfgang Ablinger-Sperrhacke, Christiane Karg, Rachel Frankel, Joèlle Harvey, Gyula Orendt, Nicole Heaston, Joel Prieto. Orchestra of the Age of Enlightenment, dir : Robin Tacciati. Mise en scène : Frederic Wake-Walker.

 


© Alastair Muir

 

Mozart a toujours été au cœur de la programmation de Glyndebourne. Mais on y donnait, pour la première fois, La finta giardiniera. Tout juste après Lucio Silla et avant Il Re pastore, le dramma giocoso de « La fausse jardinière », créé à Munich en 1775, joue déjà avec des ressorts qu'on retrouvera dans Le nozze di Figaro ou Così fan tutte, l'inversion de la hiérarchie sociale et la métamorphose d'un personnage, en l'occurrence la marquise Violante, qui d'aristocrate, se fait passer pour jardinière, sous le joli nom de Sandrina, à la Cour du Podesta, un amusant potentat local. Mais il y a du Goldoni là-dedans. Et sur le thème de « l'amour est dans l'air », ressassé lors de l'ensemble introductif qui suit immédiatement l'Ouverture, sept personnages vont expérimenter les affres de l'hymen, en se tournant les sens au point de se confronter à la folie. Le jardin d'amour les tourmente et quelque perversité s'instille dans les comportements, qui voit la servante Serpetta tenter de s'assurer les faveurs du patron, ou une femme du monde, Arminda, disputer à une autre le cœur du conte Belfiore, déjà passionnément amoureux de la marquise qu'il a pourtant tenté d'occire. C'est lorsque la folie les gagne pour de bon que le déclic se produit, paradoxalement. Tout peut alors rentrer dans l'ordre, les couples se former, ou se reformer, et l'opéra se conclure sur une triple union, tandis que le maître de céans restera seul à ronger son frein. Malgré l'imbroglio invraisemblable qu'est l'intrigue, que de fine musique dans cette pièce d'un jeune homme de 19 ans ! Mozart scrute l'âme humaine et ses sentiments, surtout lorsque contrariés, à travers une musique vive qui jamais ne faiblit. Si la palette orchestrale est encore restreinte, Mozart réussit le tour de force de varier ses couleurs instrumentales aux fins de caractériser ses personnages et les situations auxquelles ils sont confrontés. Les finales des premier et deuxième acte en sont un exemple topique, qui voient progresser des ensembles diversifiés en plusieurs parties et abordant des rythmes différents, extrêmement chantant et entraînant jusque dans la strette ultime, pour ce qui est du premier, fort travaillé dans son contrepoint, s'agissant du second, ménageant des strates successives en un vrai feu d'artifice de virtuosité.

 


© Alastair Muir

 

Si elle ne vise pas la profondeur de celle de Karl-Ernst et Ursel Herrmann à Bruxelles (cf. NL de 5/2011), la présente production installe un bel entrain et mise sur une gestuelle volontairement emphatique, avec poses avantageuses et jeux de mains précieux. Le jeune metteur en scène Frederic Wake-Walker ne s'encombre pas de préjugés : il taille et rogne dans le scenario pour assurer une certaine logique à une trame souvent au bord de l'abscons. Tel récitatif est abrégé ou tel air déplacé pour une meilleure fluidité dramatique. Il manie les divers registres du buffa, jusqu'au grotesque qui voit ainsi le Podesta courtiser la belle jardinière pantalon baissé... Il joue des couleurs des costumes et de la décoration XVIII ème d'un « Lustschloss » allemand, une sorte de « folie ». On assiste souvent à un empilement de gags dans la veine la plus british, ce qui n'est pas pour déplaire à l'auditoire plutôt bon public. Ainsi le décor va-t-il peu à peu se déconstruire, se disloquer, d'aucuns arrachant portes et pans de murs, lesquels finissent par s'en aller en lambeaux et s'effondrer tout de bon, pour laisser au finale du II ème acte une vision de cauchemar, un véritable « mess », fouillis indescriptible d'où les personnages émergent comme sonnés... Ce n'est qu'au denier acte qu'apparaît une vision agreste. « Nous sommes tous fous qui poursuivons les femmes », s'exclame alors l'un d'eux, Nardo, dans un air annonçant la rancœur vis à vis de la gent féminine de Figaro dans l'air « Tutto è disposto », ou la hargne de Guglielmo, dans Così fan tutte, devant l'inconstance des belles, « Donne mie, la fate a tanti ». Le labyrinthe des sentiments est malmené en diable, mais il y a indéniablement de l'entertainment à revendre et on passe sur quelque premier degré conduisant à façonner des marionnettes. Robin Tacciati tire de l'Orchestra of the Age of Enlightenment des effluves subtiles, ponctuées de pianissimos évanescents. Il joue de l'extrême raffinement de cet ensemble maniant les instruments anciens dans une grande tradition de rigueur. Le septuor de solistes s'en donne à cœur joie, les dames en particulier brillant d'un éclat certain. Christiane Karg, hier Aricie dans l'opéra de Rameau, incarne une marquise-jardinière gracieuse et d'une belle ampleur vocale. La Serpetta de Joèlle Harvey a de l'aplomb, un joli minois et vocalise à ravir. L'Arminda de Nicole Heaston est tout aussi grandiose jusque dans l'hyperbole, et Rachel Frenkel, dans le personnage travesti de Ramiro, offre un timbre de mezzo-soprano large et lumineux. Si le baryton Gyula Orendt, Nardo, sonne haut et fort, les deux ténors sont sans doute moins à l'aise, car le fringant Conte Belfiore de Joel Prieto manque d'épaisseur, et Wolfgang Ablinger-Sperrhacke, dans une incarnation bonhomme et agitée du Podesta, n'est pas aussi chez lui qu'avec ses rôles habituels de composition, telle la Sorcière de Hansel et Gretel, ici même il y a quelques saisons.

 

George Friedrich HAENDEL : Rinaldo. Opéra en trois actes. Livret de Giacomo Rossi sur un scenario de Aaron Hill, d'après la Gerusalemme liberata de Torquado Tasso. Iestyn Davies, Karina Gauvin, Tim Mead, Christina Landshammer, Antony Roth Costanzo, Neil Joubert, Joshua Hopkins, Charlotte Beament, James Laing, Anna Rajah, Rachel Taylor. Orchestra of the Age of Enligthtenment, dir. Ottavio Dantone. Mise en scène : Robert Carsen.

 


© Robert Workman

 

La tradition haendélienne est vivace au festival de Glyndebourne. On se souvient avec émotion de Rodelinda et de Giulio Cesare, sans parler de Theodora, qui offrirent des spectacles d'une rare perfection grâce à des mises en scène imaginatives et à la direction fervente de William Christie. La reprise de Rinaldo, dans la production de 2011, n'est peut-être pas du même braquet, mais confirme cet atavisme. Premier opéra écrit pour Londres, en 1711, Rinaldo n'est certes, pas de la même veine que seront Jules Cesar ou Alcina, offrant une trame moins dense. Et cette histoire contant le amours malheureux d'Armide, la reine de Damas, sur fond de la première croisade pour délivrer Jérusalem, est sans doute délicate à monter. Robert Carsen prévient : Qu'est-ce qu'une histoire où cohabitent l'étrange, le magique, voire l'absurde peut signifier pour le spectateur d'aujourd'hui ? Partant de l'idée que cet opéra possède une verve shakespearienne, avec un mélange de comédie et de tragédie, il le transpose dans une public school anglaise. Le héros est un élève bien rangé mais poursuivant une folle image, celle d'une jeune femme aimée dans une vie chevaleresque. Comme tout adolescent d'aujourd'hui, notre écolier alias Rinaldo, pourvu des attributs maison, veste bardée de son écusson, cravate rayée rouge et blanc achalandée, s'invente des histoires héroïques, se voit combattre des ennemis, se confronter à des monstres et courtiser des belles écouteuses. Ses paladins sont nul doute tout droit sortis de quelque saison de Harry Potter... Référence d'autant plus pertinente, lors de la présente représentation, que l'auditoire était uniquement composé de jeunes gens, dans le cadre d'une sympathique opération «  Exclusive < 30 », qui les voyait avoir déboursé pour l'achat de leur billet, toutes catégories confondues, la modique somme de 30 £ !  Belle opération pour attirer à Glynde un nouveau public. Autant dire que l'ambiance défiait la mélancolie, encore que parfaitement respectueuse de la suprême musique de Haendel. Tout commence donc, et dès l'Ouverture, dans une salle de classe barrée d'un immense tableau noir d'où vont surgir des personnages de fantaisie, glace sans tain permettant d'illustrer la trame. Va apparaître aussi la maitresse d'école, coiffée de son traditionnel chapeau à quatre pans, préfiguration de la méchante magicienne Armida. Les croisés et leurs adversaires se combattront sans merci, les premiers en vraies-fausses armures de contes de fées. On passera ensuite du préau grillagé de l'école (aux lieu et place d'« un lieu de délices ») à son dortoir sinistre bardé d'un alignement de rideaux (pour le « merveilleux jardin d'Armide »). On verra les compagnons de Rinaldo enfourcher leurs vélos, et celui-ci se retrouver même pédaler dans les airs lors d'une aria déjà périlleuse. Hilarité générale dans la salle, cela va sans dire... Et satisfaction non dissimulée un peu plus tard - après le « dinner interval » - lors de l'apparition du mage échevelé tout droit venu d'un autre épisode du feuilleton Harry Potter. Carsen restitue de cette manière les effets visuels tant recherchés par le musicien pour ravir son public londonien, par autant de clins d'œil qui s'ils ne sont pas en concordance directe avec le texte, portent au moins quelque extravagance de nature à tenir le spectateur en haleine. Le régisseur, qui n'est jamais à court d'idées, habille les affidées d'Armida en amazones à jupettes de cuir et le cheveu en désordre, les filles un brin délurées d'une école voisine sans doute, ravies d'en découdre avec leur mâles collègues... Ce sera le cas lors d'une bataille rangée dans le préau, au III ème acte, qui verra les croisés triompher de leurs ennemis sarrasins...

 


© Robert Workman

 

Si l'on est surpris, pour dire le moins, par le prisme de la mise en scène, parfois amusé par ses trouvailles, ou dubitatif sur le parti tiré de cette toile de fond soulignant l'« anglicité » de la pièce, on est complètement séduit par ce qu'en fait la distribution, et au premier chef le contre ténor Iestyn Davies. Sans doute l'un des meilleurs de sa génération au Royaume-Uni, celui-ci possède un large ambitus et un art consommé de délivrer la phrase haendélienne. Au fil d'arias magistrales, dont la fameuse plainte « Cara sposa » et son solo de hautbois, ou celle concluant le Ier acte, « Venti, turbini, prestate », d'une folle virtuosité, avec violon et basson obligés, ou encore l'air de bravoure du III, « Or la tromba », où la voix dialogue avec pas moins de quatre trompettes. Il est entouré de trois autres contre ténors, dont les timbres contrastent agréablement avec le sien, et offrant là encore des prestations de classe. Anthony Roth Costanzo, Eustazio, est doté d'un beau grave et d'une infinie douceur d'émission. Tim Mead, Goffredo, pas moins engagé, offre un timbre plus corsé. Et James Laing campe un magicien désopilant, dans la manière d'un Dominique Visse. Coté féminin, on est conquis par le beau soprano de Christina Landshamer, Almirena : l'aria des oiseaux, « Augelletti che cantate », avec son extraordinaire accompagnement de flûte traverso, restera un moment de pure grâce, tout comme la déploration « Lascia, ch'io pianga », une des plus suaves inspirations de Haendel, recyclée de « Lascia la spina » incluse dans l'oratorio Il trionfo del Tempo e del Disinganno(1707). Quant à Karina Gauvin, qui abordait sa première Armida, elle assume sans ciller les aspérités d'une partie requérant virtuosité et détermination, que renforce le côté virago exigé par la régie. Sa vaste aria avec accompagnement et longs solos intercalés de clavecin a grande allure. La basse Joshua Hopkins, Argante, fait montre d'un sûr abattage. La direction d'Ottavio Dantone, dont la verve ne faiblit jamais, est emplie de délicatesse, dans une approche chambriste que les sonorités diaprées de l'Orchestra of the Age of Enlightenment parent de mille saveurs. C'est le cas du continuo et des solos instrumentaux, flûte traverso, trompettes ou clavecin, offrant une lecture passionnante de cette musique qui affirme déjà le grand Haendel.

 

Jean-Pierre Robert.

 

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AU FESTIVAL DE BAYREUTH

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La 103 ème édition du célèbre festival allemand ne comportait pas de nouvelle mise en scène, pour éponger les coûts, nul doute exorbitants, du nouveau Ring inauguré en 2013. Tandis que le théâtre se refait une façade, de même qu'est rafraîchie la Villa Wahnfried, en ville, qui déjà dotée d'une nouvelle aile moderne, devrait offrir l'an prochain à la ville de Wagner un Musée digne du Maître. Le festival de Bayreuth demeure le lieu des plus audacieuses expériences en matière de mise en scène. Ce n'est pas nouveau, mais a atteint ces dernières années, depuis l'accession de Katherina Wagner et de Eva Wagner-Pasquier à la tête de l'institution, des sommets de hardiesse, accréditant largement l'idée de déconstruction des œuvres du maître de céans ; et sans doute celle de flatter un public en majorité germanique qui semble n'attendre que cela de la part de metteurs en scène allemands pour la plupart. Car sont convoqués un à un les enfants terribles de la scène berlinoise. Le Tannhäuser de Sebastian Baumgarten, transplanté dans le milieu du recyclage de biogaz, ou le Ring de l'iconoclaste Frank Castorf, décalé dans celui de la prospérité pétrolière, en sont actuellement les manifestations les plus tangibles. On verra qu'avec Hans Neuenfels (Lohengrin), et Jan Philipp Gloger (Der Fliegende Holländer) le résultat n'est pas moins dérangeant. L'auditoire chauffé à blanc, et tellement heureux d'avoir pu décocher quelque billet, crie son contentement, avec hurlements et trépignements de pieds, ou clame haut et fort sa réprobation, dans une forme d'hystérie collective dont on ne connaît pas d'exemple ailleurs. Pour Katherina Wagner, le festival est «  Ein Traum Fabrik » (une fabrique de rêve). A priori certes, mais pour quelle finalité ? On disserterait sans fin à ce propos sur la notion de Beau... L'intéressée restera seule maître à bord à partir de 2016, entourée de moult conseillers, dont le chef Christian Thielemann pour ce qui est du volet musical. Et on annonce déjà pour 2015 un nouveau Tristan und Isolde (régie de ladite et direction de celui-ci ), Parsifal en 2016 (régie de Jonathan Meese, célèbre pour ses provocations, et direction d'Andris Nelsons), et une nouvelle vision de Die Meistersinger von Nürnberg en 2017, dans une régie de Barrie Kosky, actuel directeur du Komische Oper de Berlin, et dirigés par Philippe Jordan qui fera son retour sur la Colline verte après son fameux Parsifal de 2012. Outre un fabuleux son orchestral, façonné par le dispositif semi couvert de l'« abîme mystique », le festival s'enorgueillit de son Chœur qui, sous la direction d'Eberhard Friedrich, a reçu la distinction suprême de meilleur chœur de l'année 2013 lors de la cérémonie des International Opera Awards, organisée à Londres au printemps dernier.

 

 

Richard Wagner : Lohengrin. Opéra romantique en trois actes. Livret du compositeur. Klaus Florian Vogt, Edith Haller, Thomas J. Mayer, Petra Lang, Wilhelm Schwinghammer, Samuel Youn, Stefan Heibach, Willem Van der Heyden, Rainer Zaun, Christian Tschelebiew. Der Festspielchor. Das Festspielorchester, dir. Andris Nelsons.  Mise en scène : Hans Neuenfels.

 


ACTE II © Bayreuther Festspiele / Enrico Nawrath

 

Pour sa quatrième reprise, la mise en scène de Lohengrin due à Hans Neuenfels porte toujours beau. On ne s'étonne plus guère de ses hardiesses conceptuelles et visuelles, qui font de cette histoire de jeu de la vérité une expérimentation des plus singulières transposée dans le monde animalier des rats et des souris. Une manière radicale, avec ces animaux suivistes, d'illustrer sans ménagement comment un peuple crédule est susceptible de réagir aux invraisemblances de l'histoire du preux Chevalier au cygne clamée par Elsa. Cet opéra est encore et surtout celui du drame de la solitude de l'être surhumain, incompris de tous, et dont la tentative de conquête de l'humain est vouée à l'échec. Le personnage de Lohengrin, qu'on voit dès le Prélude, tenter avec effort d'ouvrir quelque porte qui lui résiste, se retrouvera seul, à la fin de l'opéra, au milieu d'une vision de désolation, s'avançant lentement vers la salle, après que les dernières notes se soient tues. Effet théâtral osé mais fort. Certes, la vision est pessimiste, d'entrée de jeu : le cygne n'apparaît-il pas blotti dans un cercueil noir, faisant de l'arrivée de Lohengrin une vision plus inquiétante que festive. Ce cygne dont le quasi squelette va tournoyer dans les airs à la toute fin du I er acte, affolant le roi et son entourage, on en verra surgir du lit nuptial le cadavre, lors qu'Elsa aura posé la question interdite et fatale de l'identité de son héros. Neuenfels construit de saisissants contrastes entre ensembles et moments d'intimité. Il en va  par exemple, de la première rencontre entre Elsa et son sauveur, qui les isole du reste de l'assistance, alors que seule Ortrude reste sur le côté, comme en embuscade. La violente confrontation opposant, au début du II ème acte, celle-ci à Telramund, dans une étonnante vision de rêve brisé, une malle-poste renversée et son cheval affalé sur le flanc, laisse comme le choc de deux êtres mus par un désir destructeur. Elle puisera sa force dans la faiblesse de cet homme veule auquel, après un habile jeux de mains, elle arrache un baiser pour aviver sa détermination. Se rapprochant d'Elsa, Otrude l'accablera d'un feu roulant de propos déstabilisants, au point de rompre la belle assurance de la jeune femme, au fil d'un subtil jeu de vraies-fausses amabilités devant la sculpture d'un cygne en porcelaine blanche. La suite de l'acte introduit une once de couleurs (les robes et couvre-chefs en forme de corolles de fleurs dont sont revêtues les choristes féminines lors de la procession des noces) dans le bel ordonnancement de blanc et de noir, au centre de l'univers visuel de cette production, rehaussé par des éclairages d'une luminosité à couper le souffle, dus au français Frank Evin. L'achèvement technique laisse interdit. La scène du duo d'amour du III ème acte, dans l'écrin froid d'une immense pièce immaculée, est là encore, d'une rare beauté plastique que le jeu des deux protagonistes renchérit : elle se blottit contre lui, il l'étreint d'une tendresse infinie. Ici, comme ailleurs, la direction d'acteurs saisit l'essentiel et laisse passer le frisson par son acuité, tout comme il en est par ailleurs de l'agencement des chœurs. Et lorsque le pacte sera rompu, et qu'il aura frappé à mort Telramund, Lohengrin restera seul de longs instants, figé dans une indicible tristesse, avant que l'intermède introduisant la dernière scène livre un plateau entièrement vide, pour laisser à la symphonie la priorité. Tout bascule alors dans le plus sombre climat et le récit du Graal comme les adieux de Lohengrin emportent une désespérance presque insupportable.

 


ACTE III © Bayreuther Festspiele / Enrico Nawrath

 

Les vertus musicales de ce spectacle sont encore plus évidentes. A commencer par la direction du letton Andris Nelsons qui atteint son zénith, tirant le meilleur parti de la fosse et de sa disposition particulière. Dès le Prélude et ses longues tenues des cordes divisées, on comprend que quelque chose se passe et la longue montée en puissance qui l'orne est magistrale. Les crescendos sont puissants mais jamais tonitruants et l'incandescence savamment contenue, obtenue par un legato souverain. On est saisi par la constante fluidité du discours et les sonorités envoûtantes des bois et des cuivres, si complètement fondus dans l'abîme mystique. Nelsons maîtrise au plus haut point l'art des transitions et des changements de climats. Des traits essentiels ravissent, telle la péroraison du duo sulfureux entre Elsa et Ortrude à la fin de la scène 2 du II ème acte, ménagée très doux, ou cette transformation musicale d'une infinie mélancolie qui s'opère, à l'acte suivant, après la scène de la chambre. La représentation se distingue aussi par la prestation exceptionnelle des chœurs, dont la douceur des attaques est un modèle, comme l'est cette manière de conclure en apothéose un large crescendo. Encore que le plus révélateur reste la capacité à chanter piano, caressant la phrase. Les six solistes forment un ensemble d'une haute tenue. Le Lohengrin de Klaus Florian Vogt a désormais atteint au festival un statut d'icône. A juste titre, du fait d'un achèvement certain tant vocal qu'expressif. La voix s'est considérablement élargie, pour atteindre les contrées enviées de celles du vrai Heldentenor : d'un large ambitus, elle est capable de surnager sur un océan choral, mais sait aussi ménager des pianissimos évanescents. On est frappé par la simplicité qui se dégage de chacun des gestes de cet interprète, un jeu sans effet, misant sur une palette de nuances peut-être restreinte, mais toujours empreinte d'une extrême clarté dans l'expression. Une grande interprétation, justement acclamée. Edith Haller incarne une Elsa de stature aussi, de son soprano corsé et large, capable de tenir le challenge des passages délicats dans la force. Elle gagne résolument en intensité, admirable dans la résolution qui mène le personnage loin de la fadeur que lui assignent certaines productions. Une vision peu ordinaire, mais combien signifiante, restera son apparition toute de blanc vêtue transpercée de flèches tel un Saint Sébastien. Petra Lang a indéniablement l'abattage et surtout l'endurance pour assumer le rôle effrayant d'Ortrude et ses aigus phénoménaux. Une apparente réserve de puissance lui permet d'affronter les parties tendues du II éme acte, comme les imprécations inouïes de raucité de la fin du III ème. Le personnage distille une morgue certaine, même si çà et là à la limite d'une trop grande insistance. Le Telramund de Thomas J. Mayer, tout aussi buriné, apparaît tel un jouet entre les mains de cette femme dominatrice, tel le velléitaire Macbeth. Leurs échanges acerbes se résolvant en un sinistre serment de vengeance, resteront un sommet de théâtralité bien comprise. Wilhelm Schwinghammer, König Heinrich, dans une incarnation étonnante de roi fou à la Ionesco, fait montre d'une magistrale basse chantante, et le Héraut de Samuel Youn, lui aussi bien sonore, dépasse le statut de personnage secondaire.

 

 

Richard Wagner : Der Fliegende Holländer (Le Vaisseau Fantôme). Opéra romantique en trois actes. Livret du compositeur. Samuel Youn, Ricarda Merbeth, Kwangchul Youn, Tomislav Mužek, Christa Mayer, Benjamin Bruns. Daer Festspielchor. Das Festspielorchester, dir. Christian Thielemann. Mise en scène : Jan Philipp Gloger.

 


Acte I © Bayreuther Festspiele / Enrico Nawrath

 

La reprise du Vaisseau fantôme confirme les impressions mitigées laissées il y a deux ans par la régie de Jan Philipp Gloger (cf. NL de 9/2012). Elle a peu été retouchée depuis, si ce n'est que les traces de peinture rouge suintant sur la plateau au II ème acte ont été remplacées, avantageusement, par de la peinture noire... Les « deux marginaux à la recherche d'une autre vie », Le Hollandais et Senta, selon le manifeste du régisseur, demeurent des êtres très ordinaires et une distorsion s'installe entre ce qui est vu et ce qui proclamé par le texte et la musique. Point de navire étranger au premier acte : le Hollandais arrive de nulle part, mallette roulante à la main, emplie de billets de banque. La dramaturgie imposera le milieu omnipotent de l'argent, flattant l'avidité d'un homme comme Daland, un chef d'entreprise prêt à monnayer sa fille à l'inconnu qui lui apporte un supplément non négligeable de fortune. Elle s'infléchit même au II ème acte qui découvre, non pas la maison de Daland, mais son entreprise industrielle de fabrique de ventilateurs. Les dames sont ravalées au rang de petites mains affectées à l'emballage desdits objets et leurs allers et venues intempestives taxent dangereusement la cohésion du « chœur des fileuses ». Ce qui suit est sans âme : la rencontre du Hollandais et de Senta frôle l'anodin, lui mené par Daland qui lui fait visiter le petit monde de son atelier, elle réfugiée sur une pile de cartons, gardant jalousement contre son sein une ébauche de statuette de bois, en guise de portrait de l'homme inespéré. Le long et intense échange entre les deux reste volontairement dépourvu de tout suspense, alors que juchés l'un comme l'autre sur lesdits cartons, et que dégoulinent des murs quelques traces noires... La projection de leurs silhouettes en ombres chinoises, du fait de l'obscurcissement soudain du plateau, affecté simultanément d'un mouvement giratoire, n'apporte pas grand chose à une rencontre maintenue à distance tandis que Senta jure à l'étranger fidélité jusqu'à la mort. Le dernier acte s'enfonce dans une affligeante banalité, lors qu'on célèbre des réjouissances à l'usine de Daland. Le chœur des marins, s'agitant en tous sens sans rigueur aucune, en vient à perdre son impact, pourtant fort, et ce malgré la rhétorique appliquée et pesante adoptée par le chef. La confrontation entre les hommes du Hollandais et les forces endimanchées de Daland verse dans le prosaïque. Le drame de la rédemption, que véhicule l'opéra, est exfiltré, pour ne pas dire gommé : la scène finale va réunir de manière on ne peut plus conventionnelle les deux amants dans un double suicide, Senta rejoignant son héros sur l'omniprésent amoncellement de cartons, avant que le rideau, fermé un instant durant la péroraison orchestrale, ne se rouvre pour montrer ce qui est désormais une fabrique de jouets en bois : aux ventilateurs on a substitué de petits personnages enlacés ; conclusion d'un optimisme béat qui a peu à voir avec la vision rédemptrice que crie la musique. L'anecdote a des limites, tout comme la dérision. Dans cette conception, l'insipidité d'inspiration conjuguée à une prétention revendiquée tient souvent lieu de manifeste dramatique et on a l'impression d'être à côté de l'histoire, et non en phase avec elle.

 


Acte II © Bayreuther Festspiele / Enrico Nawrath

 

Sont-ce les avatars de la régie, la direction de Christian Thielemann est erratique, affectée de ralentissements accentués (deuxième thème de l'Ouverture, ballade de Senta, airs d'Erik), ou au contraire d'accélérations subites, sans qu'un impact dramatique s'en suive nécessairement. Ou encore offre une battue carrée, pondéreuse, comme durant le chœur du début du III ème acte, introduisant une impression de lourdeur germanique dans ce qu'elle a de plus académique. Certes, la sonorité d'ensemble est chatoyante et les solos des bois fort bien jugés, mais il n'est pas interdit d'attendre autre chose de ce chef, au demeurant adulé au rideau final. La distribution est de qualité, sans être mémorable pour Bayreuth. Elle est dominée par le Daland sonore mais nuancé de Kwangchul Youn : ce chanteur, découvert par Daniel Barenboim dans les années 90 à Berlin, mène depuis une carrière enviable de basse wagnérienne, abordant les grands rôles tels que Hunding, le Landgrave Hermann, König Marke, et surtout Gurnemanz dans Parsifal. A une indéniable présence fait écho une déclamation d'un formidable impact. Passée une Ballade assez banale, affectée par le tempo lent imposé par le chef, et la mise en scène qui la place alors en fond de scène, dans un positionnement inconfortable, situation peu propice à faire entendre distinctement les fins de phrases dans le grave du soprano, la Senta de Ricarda Merbeth possède des atouts sérieux : une ligne de chant assurée, un aigu dégagé, et même la conviction qui manque à son partenaire. Si le Erik de Tomislav Mužek est sans grand relief, en particulier lors de ses deux airs, tout comme est passable la Mary de Christa Mayer, le Pilote de Benjamin Bruns est un modèle de diction et d'aisance. Le Hollandais du coréen Samuel Youn est plus problématique. Le chanteur a peu progressé depuis sa prise de rôle en 2012 dans ce même théâtre, pour ce qui est de l'intériorité du personnage, qui ne dégage pas la grandeur devant inonder un rôle pourtant gratifiant. Il faut dire à sa décharge que le direction d'acteurs ne le guide qu'à minima. Le chant est valeureux, sans être pourvu de cette réserve de puissance qui doit assurer à l'interprétation son confort, notamment dans les aigus lancés en force dans le registre haut du baryton héroïque. De plus, la petite taille de l'interprète ne facilite pas les choses scéniquement, dans une régie qui ne cherche déjà qu'à rapetisser le personnage. On est loin des didascalies qui soulignent, par exemple, que dans son effrayant monologue d'entrée, le « héros doit apparaître comme un ange tombé qui n'ose plus croire à sa rédemption ». Restent les chœurs, indéniablement les triomphateurs de la soirée en termes de présence et d'impact vocal. Leur apparition en rangs serrés autour du pilote, à la fin du premier acte, restera un moment fort de la représentation, un de ceux qui marquent une représentation à Bayreuth.

 

 

« Lohengrin für Kinder ». Arrangement : Daniel Weber. Préparation musicale : Marko Zdralek. Norbert Ernst, Christiane Kohl, Jukka Rasilainen, Alexandra Petersamer, Raimund Nolte. Bayreuther Kinder – und Spatzenchor. Brandenburgisches Staatsorchester Frankfurt (Oder), dir. Boris Schäfer.Mise en scène : Maria-Magdalena Kwaschik.

 

 

Depuis quelques années déjà, le Festival de Bayreuth s'est doté d'un volet éducatif, fort d'un mécénat intelligent et divers. Avec « Für Kinder » (Pour les enfants), l'idée est de donner un des opéras du Maître, aux côtés des représentations officielles. Pour la septième fois, et après le Vaisseau fantôme, Tannhäuser, Le Ring, Les Maîtres chanteurs et Tristan et Isolde, on donnait cette saison Lohengrin. A guichets fermés, car les quelques 200 places de chacune des dix représentations prévues se sont arrachées, tout comme celles du festival ! Le public est formé de jeunes enfants, voire des touts petits, assis en tailleur auprès d'une scène installée dans une des salles de répétitions du Festival, alors que les adultes sont répartis sur quelques gradins spartiates derrière eux, les uns et les autres faisant face à un orchestre de 30 musiciens, répartis eux aussi en gradins derrière l'aire de jeu. Là où on pouvait craindre une assistance remuante, vu le très jeune âge des participants, le public se révéla d'un sagesse exemplaire au long de cette heure vingt d'une expérience rien moins que passionnante. Car le long « opéra romantique » est fort habilement contracté, moyennant quelques raccourcis parlés, peu nombreux au demeurant, livrant une version parfaitement plausible de l'histoire du Chevalier au cygne. Le premier acte est le plus développé pour expliciter les arcanes du drame, tandis que les deux suivants en relatent les péripéties essentielles. Mais les moments cruciaux sont bien là et on suit logiquement. Le chœur revient à une douzaine d'enfants, joli clin d'œil, lesquels feront aussi office de machinistes pour déplacer et assembler les éléments de décor et moduler ainsi l'espace en un tournemain. L'arrangement musical est habile et la formation réduite sonne avantageusement dans le hall à l'acoustique mate, par exemple lors de la brève scène de combat entre Lohengrin et Telramund. Le récit du Graal conduit à une résolution amusante de l'histoire : tandis que Lohengrin invoque en vain le « horcus porcus ! » de la sorcière des contes de Grimm, il suscite par magie l'apparition du jeune Godefroy, à la satisfaction de l'assistance rassurée.

 


© BF Medien GmbH / Jörg Schulze

 

La mise en scène est judicieuse et pas racoleuse, donnant une belle idée des divers personnages et de l'intrigue : une sorte de conte de fée vécue par une jeune fille, Elsa, qui l'a découvert dans le livre qu'elle tient à la main durant le premier acte, et que deux méchantes langues tentent de contrarier. On y trouve quelques traits judicieux, voire divertissants, telle l'arrivée de Lohengrin sur un side-car enluminé, sur lequel est juché un enfant en cygne blanc, ou la scène des noces bénies par le roi Henri, les deux impétrants apparaissant en ombres chinoises derrière un velum, la silhouette de Lohengrin avantageusement augmentée. L'interprétation s'avère fort satisfaisante par des artistes dont la plupart se produisent par ailleurs au festival. C'est le cas de Norbert Enrst, ici Lohengrin, là Loge dans Das Rheingold : un chevalier au cygne fort bien sonnant. Son Elsa, Christiane Kohl, est radieuse et son chant immaculé. Ils gagneront tous les suffrages de l'assistance, tout comme le couple des diaboliques, le Telramund de Jukka Rasilainen, un habitué de la Grünen Hugel, et l'Ortrude de Alexandra Petersamer, qu'on voit aussi dans le Ring de Castorf, timbre aisé de mezzo grave. Le roi Henrich de Raimund Nolte complète une distribution sans faille. L'orchestre s'avère subtilement conduit par Boris Schäfer. Immense succès de la part d'un public conquis. À juste titre ! On lui aura remis un fort joli programme illustré contenant un résumé de l'opéra, des photos de ses diverses productions récentes au festival, une bande dessinée, des mots croisés et un jeu de labyrinthe. Avant que ne paraisse à l'automne un DVD du spectacle, comme il en a été des autres volets de cette magnifique entreprise. Bravo !

 

Jean-Pierre Robert.

 

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    SPECTACLES ET CONCERTS

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Romantisme allemand et mysticisme russe orthodoxe

 


© Guy Vivien

 

Dans le cadre commémoratif du Bicentenaire de la naissance de l’architecte Eugène Viollet-le-Duc (1814-1879), le Chœur de chambre « Les Temperamens Variations » a été sollicité en 2014 par le Festival des Forêts (Compiègne) pour interpréter les Vier Gesänge(4 Chants) de Johannes Brahms pour chœur de femmes, harpe et deux cors. Son Chef et fondateur, Thibault Lam Quang a judicieusement complété cette première partie romantique avec le Nachtgesang im Walde (Chant du soir dans la forêt) de Franz Schubert pour chœur d’hommes et quatre cors et des Romances et Ballades pour chœur mixte a cappella op. 67 de Robert Schumann. À la demande du Festival des Forêts et pour l’ensemble Les Temperamens variations, Alain Kremski (*1940) a composé, en 2013, son œuvre : Que s’éveille mon extase pour chœur mixte a cappella et, en 2014 : Pax, Amor, Lux. Comme les auditeurs du Festival des Forêts (Compiègne, 2014), les fidèles admirateurs parisiens ont donc, lors du Concert du 2 juillet 2014 en l’Église luthérienne des Billettes, pu bénéficier de cette création et de ce programme si éclectique et varié. Le premier volet était consacré à la peinture d’atmosphère traduisant fidèlement l’âme romantique allemande, avec — au fil des œuvres — les mots clés typiques de cette sensibilité particulière : la nuit (Nacht) et la forêt (Wald), le son du cor (Hörnergetön), la tempête (Ungewitter) et l’atmosphère lugubre, mais aussi la Passion, le désir de l’amour (John Anderson), la Sehnsucht (nostalgie) associée aux larmes (Tränen) ; la nature si prisée par les romantiques, avec les champs (Feld), la forêt (Wald), la vallée (Tal), le jardin (Garten) et ses belles fleurs (Blumen) ou encore le chant du Fingal (Gesang aus Fingal) d’Ossian, et, bien entendu, « la petite rose de la lande » (Heidenröslein) que le méchant garçon cueillit et qu’elle piqua pour se défendre. Belle évocation musicale de l’âme romantique allemande. Le deuxième volet était consacré à l’évocation de la sensibilité orthodoxe et byzantine, mais aussi quelque peu bouddhiste et tibétaine, intense et contenue, un peu à la manière d’un rite incantatoire, quasi obsessionnel ; il a permis de découvrir les deux œuvres d’Alain Kremski dédiées au Chœur, tout d’abord : Que s’éveille mon extase/Mon fils, que viens-tu demander ?, commande de 2013, pour chœur mixte a cappella. Ce poème du Moine Gottschalk (805-869) est, en fait, le chant de l’exilé qui n’a pas échappé à son destin. Ensuite, Pax, Amor, Lux, commande de 2014 pour chœur mixte et piano, avec la participation discrète d’Alain Kremski (piano). Il s’agit d’une invocation à la Trinité « déité, éternelle unité » et au Dieu juste et saint, Theos et héros : « Toi saint, Toi lumière angélique, sauve-nous », d’après les paroles mystiques du Dit de la Nature d’Alain de l’Isle et du poème de Notker de Saint Gall (840-912), avec piano solo pour, selon le compositeur, « symboliser la solitude et la prière de l’homme cherchant sa place et sa signification face à l’immensité de l’univers », alors que « le chœur évoque le cosmos et la puissance de l’énergie divine ». Le piano assure, toujours selon Alain Kremski, « un rôle répétitif » ; « les voix de femmes interviennent en faisant entendre dans une litanie rythmée ces mots évocateurs qui s’enchaînent : pierre, montagne, rocher, fontaine, rivière, vie et comme une hymne à la nature, mémoire d’un monde menacé de disparition ». Ce procédé accumulatif est celui pratiqué par Walt Whitman (1819-1892) dans ses Leaves of Grass ; Terminologie et expressions rejoignent en effet celles utilisées dans la première partie consacrée aux Lieder. Belle évocation de l’âme russe orthodoxe et concert inoubliable.

 

Face à un programme hors du commun et inattendu, réservant de nombreuses difficultés d’interprétation, Thibault Lam Quang sait qu’il peut compter sur ses fidèles et dévoués chanteurs, sur leur forte motivation et leur sens de la discipline, également librement consentie par le quatuor de cors réunissant Nicolas Ramez, Benoît Collet, Jean Lucas et Guillaume Merlin, ainsi que par Aliénor Mancip (harpe), sans oublier le contrôle et la garantie d’Alain Kremski au piano. Ils se sont respectivement distingués sur le plan vocal par leur technique irréprochable soit dans les interventions du chœur, soit dans celles des voix d’hommes seuls ou des voix de femmes seules, ou de quelques pupitres ; par leur sonorité et paysage vocal, leur prononciation, leur diction précise, ainsi que leur accentuation adaptée à la langue allemande ou latine. Bref, ils s’imposèrent par leur cohésion et leur équilibre. Tous les interprètes se sont surpassés pour rendre sensibles les atmosphères et émotions si subtiles. Quant à Thibault Lam Quang, il a fait preuve d’un goût très sûr, de distinction, de sens de la mesure pour restituer chaque petite nuance expressive du texte. Grâce à son geste suggestif, souple, précis voire volontaire, il obtient ce qu’il veut de ses chanteurs. Les mélomanes attendront avec impatience la sortie discographique annoncée pour 2015, comportant les « créations » mondiales et françaises  par le Chœur de chambre Les Temperamens Variations.

 

Édith Weber.

 

 

Daphné au Capitole : une rareté straussienne

 

Richard STRAUSS: Daphné. Tragédie bucolique en un acte. Livret de Joseph Gregor. Claudia Barainsky, Roger Honeywell, Andreas Schager, Franz-Josef Selig, Anna Larsson, Patricio Sabaté, Paul Kaufmann, Thomas Stimmel, Thomas Dear, Marie-Bénédicte Souquet, Hélène Delalande. Chœur du Capitole. Orchestre national du Capitole, dir. Harmut Hænchen. Mise en scène : Patrick Kinmonth.

 


© Patrice Nin

 

Avant dernier des cinq opéras « grecs » de Richard Strauss, Daphné refonde l'opéra mythologique en puisant au baroque son environnement merveilleux et allégorique. Sans parler de la référence historique, puisque la Dafné de Jacopo Peri passe pour être l'acte fondateur du genre opératique, avant même l'Orfeo de Claudio Monteverdi. Créé en 1938 par Karl Böhm, à Dresde, cette tragédie bucolique connut une gestation difficile, illustrée par des échanges peu amènes entre le musicien et son librettiste, Joseph Gregor, substitué à Stephan Zweig, déclaré personna non grata en raison de ses attaches juives. Le compositeur d'Elektra, d'abord peu tenté par le sujet, le fera sien peu à peu eu égard à son potentiel plus philosophique que dramatique. Daphné est une œuvre bâtie sur le thème de la métamorphose : nymphe vivant parmi les bergers d'Arcadie, au contact des arbres dont elle aime caresser le feuillage, Daphné est insensible à l'amour humain, dédaignant les avances du berger Leukippos, mais ébranlée par l'assiduité d'Apollon, descendu sur terre en se faisant passer pour simple mortel. Le dieu blessera à mort son rival et confus de sa hardiesse, demandera à Zeus de transformer la jeune fille en laurier. La métaphore de l'arbre séduisit Strauss, car elle correspondait à ses propres aspirations du moment, créer l'œuvre d'art totale, dégagée des soucis matériels d'un monde en voie de disparition du fait de la montée du nazisme. Aussi sa musique est-elle sereine et lumineuse, dans la veine élégiaque d'Ariane à Naxos plus que dans celle flamboyante d'Elektra. Non que les climax n'y soient pas opulents, car la pâte sonore reste très impressionnante. L'opéra est très rarement donné eu égard à la difficulté de le distribuer. La nouvelle production proposée au Capitole est donc la bienvenue. La mise en scène de Patrick Kinmonth, auteur également des décors et des costumes, s'inspire du peintre Nicolas Poussin et singulièrement du tableau des « Bergers d'Arcadie ». Elle propose des ambiances à la fois bucoliques et naturalistes, les personnages évoluant pieds nus, vêtus de tuniques sommaires. Kinmonth ménage une régie non intrusive quand à la direction des personnages. Celui de l'héroïne, en particulier, est traité avec délicatesse. Les scènes d'ensemble, de la fête paysanne comme de la bacchanale dionysiaque, laissent une impression de foisonnement visuel. A l'ultime moment de la métamorphose, Daphné semble comme aspirée par la terre nourricière. Mais le dernier mot revient à l'orchestre qui dans une péroraison symphonique d'un lyrisme translucide, apporte une conclusion majestueuse.

 


© Patrice Nin

 

Le foisonnement, on le retrouve dans la direction de Harmut Haenchen, assurément le point fort de cette production. Grand habitué du répertoire allemand, le chef tire de l'Orchestre national du Capitole des effluves mirifiques. Et on mesure le formidable travail accompli par la formation sous la direction habituelle de Tugan Sokhiev. La transparence de texture est perceptible même à travers les vigoureux torrents orchestraux. L'équilibre entre les masses reste judicieux, telle la transition entre le sextuor à vents qui ouvre l'opéra, une trouvaille étonnante, et l'abondance des timbres qui suit, dont celui du cor des alpes pour créer une impression d'espace. La distribution est valeureuse. Dans le rôle titre, Claudia Barainsky fait montre d'une aisance étonnante pour s'approprier un rôle tendu comme savait en écrire Strauss, et qui tient à la fois de l'Impératrice de La femme sans ombre et d'Arabella, très exigeant quant à la longueur des phrases, comme à l'appel à des quintes aiguës soutenues et à des pianissimos flottés, dignes de la légèreté d'une Zerbinetta. Son beau timbre de soprano, justement pas trop corsé ni trop large, lui assure la flexibilité requise. Le rôle a été immortalisé par des cantatrices telles que Hilde Gueden, ou plus proche de nous, Lucia Popp. Strauss n'éprouvait pas de sympathie particulière pour la voix de ténor, qu'il confine souvent dans les contrées ardues de la tessiture. Ici, il en a créé deux, mais bien différenciées : le rôle de Leukippos, confié à une voix de type mozartien plutôt large, et celui d'Apollon à un calibre wagnérien sachant manier la souplesse. Aucun des deux chanteurs réunis à Toulouse ne parvient à donner du lustre à son interprétation, pêchant l'un et l'autre par surdimensionnement et manque de nuances. Le Leukippos de Roger Honeywell, quoique capable des beaux pianissimos, est vite contraint de passer en force dans les passages plus ardus, et l'Apollon d'Andreas Schager, bien que possédant un agréable timbre clair, se cantonne à une déclamation constamment mezzo forte, pour ne pas dire uniformément forte, et là aussi lancée en force. Si les deux prestations scéniques sont convaincantes, elles ne le doivent pas au seul chant. Les deux autres personnages, plus épisodiques, de Peneios et de Gaea, sont défendus avec brio par la basse noble Franz Josef Selig, hier imposant Sarastro à l'Opéra Bastille, et Anna Larsson, qui de son large timbre de mezzo contralto, confère du prestige à la mère de Daphné. Les rôles secondaires, pâtres et servantes, et les chœurs sont à la hauteur de cette présentation qui malgré ses quelques faiblesses, est à porter au crédit du Théâtre du Capitole en cette année anniversaire.

 

Jean-Pierre Robert.

 

Deux héros straussiens réunis en un même concert

 


© Chris Lee

 

Daniel Barenboim et son Orchestre de la Staatskapelle de Berlin retrouvaient le public parisien l'instant de deux concerts de fin de saison. Le premier entièrement consacré à Richard Strauss, en présentait deux œuvres emblématiques : Don Quichotte et Ein Heldenleben, immenses faire valoir pour l'orchestre. Don Quichotte op 35, variations sur un thème à caractère chevaleresque, est par sa faconde, comme le disait Antoine Goléa, une sorte d'opéra imaginaire, voire de film, tant les diverses séquences de cette histoire épique sont réellement visualisées. Le génie narrateur de Strauss s'y déploie naturellement, qui n'aura peut-être jamais été aussi à l'aise au fil de ces épisodes hauts en couleurs ne frisant jamais le réalisme musical, mais collant idéalement au sujet. Celui-ci, bien connu, Strauss se l'approprie et on admire l'unicité thématique de la pièce et la justesse du regard porté sur les deux personnages, le héros et son double, Don Quichotte et Sancho Pensa, un violoncelle et un alto. Il fallait oser cette association, qui fonctionne idéalement car les deux instruments se complètent comme sont eux-même complémentaires les deux figures. La présente interprétation était confiée à un jeune violoncelliste allemand, Claudius Popp, qui se trouve être l'un des trois « solo cellist » de l'orchestre. Et d'emblée une constatation s'impose : à la différence du soliste fonctionnant en guest star, un instrumentiste venant de l'orchestre lui-même permet une intégration du discours soliste sans doute plus singulière. D'autant que la vision de Claudius Popp fuit la virtuosité emphatique et privilégie une approche soft et d'une rare profondeur. L'altiste Felix Schwartz lui donne une réplique bien sonnante. Barenboim peaufine un authentique son straussien. Pareille inspiration devait parer Ein Heldenleben. Ce pendant à l'œuvre précédente, en termes de digression héroïque, scintille de mille ramages entre les mains du chef qui ménage une battue toute en souplesse et sait ne pas heurter le discours, comme aime à le faire un autre chef bien connu à Dresde. Ici, tout respire l'ampleur et la majesté sonore, les transitions surtout d'une infinie maîtrise, qui font qu'on passe du grand climax à l'infini pianissimo sans hiatus. Même les fameuses dissonances, quasi cacophoniques, de la scène de la bataille, dont le débit est boulé par le chef dans un élan irrésistible, apparaissent aisées, et délaissent  un caractère anecdotique souvent relevé ailleurs. De cette glorieuse interprétation se distinguent le solo du premier violon, d'une beauté plastique rare, et l'intervention émouvante du cor, une idée musicale de génie, préfigurant le long solo que Strauss placera dans la « musique du Clair de lune », prélude à la dernière scène de son ultime opéra Capriccio. Un concert mémorable.

 

Jean-Pierre Robert.

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L'EDITION MUSICALE

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MUSIQUE CHORALE

 

Louis-Charles GRÉNON : Petit Magnificat pour solistes, chœur à cinq voix et basse continue. Edition : Xavier Janot et Georges Escoffier. Symétrie : ISMN 979-0-2318-0423-2.

Louis-Charles Grénon est un compositeur attaché à la ville de Sainte et à sa cathédrale, qui vécut de 1734 à 1768. Le fonds de la cathédrale du Puy compte 82 œuvres, toutes manuscrites, de ce compositeur. Ce Petit Magnificat daté du 25 mars 1768 a donc été écrit pour la fête de l’Annonciation. Il s’agit d’un motet en sept parties typiquement « à la française » publié ici en utilisant les clés modernes. Il pourra être interprété en grand chœur ou ensemble vocal, la réalisation du continuo devant être faite en conséquence. L’œuvre est très intéressante. Souhaitons qu’elle puisse être montée rapidement.

 

 

ORGUE

 

Charles BALAYER : Turning Bach pour orgue Hammond B 3. Delatour : DLT2380.

Une pièce de jazz pour orgue Hammond : voilà une bien agréable surprise. La pièce de Bach exploitée est le célèbre « Choral du Veilleur », non pas le choral lui-même, mais le thème contrapunctique bien connu. C’est fait avec beaucoup de sobriété et de goût. Il y faudra certes une certaine maîtrise de l’instrument mais surtout un vrai sens du « swing », et ce sera sans doute le plus difficile ! On peut écouter la pièce sur le site de l’éditeur.

 

 

Jean-Christophe AURNAGUE : Fantaisie Médiévale  sur le cantique marial « Chez nous soyez Reine » du chanoine Huet pour grand orgue. Delatour : DLT2204.

Que voilà une œuvre bien réjouissante ! Si l’auteur fait référence à la cathédrale de Bayonne, qui comporte trois claviers, il sera possible de tricher un peu à condition de posséder un instrument riche en anches et en mixtures… L’auteur nous invite à retrouver une ambiance « peplum ». Mais on verrait aussi bien cette œuvre à Chartres ou à Notre Dame pour de grands rassemblements populaires. Le célèbre et inusable cantique passe d’une partie à l’autre, bien reconnaissable, enchâssé dans des fulgurances organistiques avec chamades plus ou moins obligées… Le langage est à la fois moderne et pleinement compréhensible même pour le pèlerin moyen. Bref, comme on dit, parait-il, aujourd’hui : « Rien que du bonheur ! ».

 

 

 

PIANO

 

Jean-Luc GILLET : Petits préludes pour piano. Moyen. Delatour : DLT2344.

Ces dix petits préludes ont vocation à préparer les jeunes interprètes à l’interprétation de la musique contemporaine. Loin de l’exercice scolaire, ils sont autant de petits tableaux illustrant ou évoquant les titres des pièces. Les indications pédagogiques sont précises et judicieuses et guident les élèves pour l’interprétation de ces pièces dont on peut écouter des extraits sur le site de l’éditeur.

 

 

 

Sylvain KUNTZMANN : Musiques de sous-bois. 5 pièces pour piano. De débutant à préparatoire (et au-dessus…). Delatour : DLT2214.

Pour être « pédagogiques », ces pièces n’en sont pas moins d’abord de la très agréable musique. Les titres évoquent certes chacun une petite scène, mais sont aussi métaphore d’une difficulté technique qu’on découvrira en les interprétant. L’ensemble est plein d’humour et de poésie.

 

 

 

Rose-Marie JOUGLA : Un violon pour une Ochidée. Version piano à 4 mains. Delatour : DLT2234.

Voir le compte-rendu de cette pièce sous la rubrique « Accordéon ».

 

 

 

Jean-François PAULÉAT : Jeux, Thèmes et Variations pour piano. Delatour : DLT2244.

Il s’agit plus d’une « fantaisie » qui comprendrait trois thèmes plus ou moins variés. Tout cela n’est pas sans analogie avec la musique de Yann Tiersen. L’auteur décrit fort bien son propos sur le site. Ce serait intéressant d’avoir aussi cette analyse dans la partition. Il se dégage de tout cela un charme certain mais un peu inquiétant, parfois. Pièce de difficulté moyenne, elle devrait beaucoup plaire aux jeunes interprètes.

 

 

 

Jean-François PAULÉAT : Mosaïque pour piano. Delatour : DLT2243.

Après une introduction « largo » faite de larges résonnances, un premier thème aux allures de sicilienne se déploie avant de déboucher, avec une suspension sur la dominante, sur un second thème syncopé. Puis les deux mélodies se mélangent et débouchent sur un rappel de l’introduction. « Le tout, nous dit l’auteur, constitue une mosaïque de mélodies », d’où le titre. L’ensemble ne manque pas d’intérêt ni de charme.

 

 

 

Guy SACRE : Neuf contes moraux pour piano – Soliloques. Sept pièces pour piano. – Petits exercices de la solitude. Cinq pièces pour piano. Symétrie : ISMN 979-0-2318-0751-6, ISMN 979-0-2318-0753-0, ISMN 979-0-2318-0752-3.

Si l’auteur a souhaité publier en même temps ces trois recueils dont la composition s’étale sur une dizaine d’année, c’est qu’il considère qu’ils lui paraissent « former une trilogie « morale » ». Pour pénétrer l’esprit de ces pièces il conviendra de lire – et de méditer – le texte par lequel l’auteur nous présente ses œuvres. Saint Bernard et Saint Ignace sont au rendez-vous pour nous introduire à ces pages qui sont comme une oasis de silence « au sein de nos vies dévorées par le bruit et le remuement. » Que dire d’autre, sinon tout simplement : c’est beau !

 

 

 

HARPE

 

Piotr MOSS : Valse sentimentale pour harpe. Supérieur. Fortin-Armiane : EFA 65.

Cette composition est fondée sur certaines lettres du nom de la dédicataire, la grande harpiste Elga Storck. Il y a, dans cette œuvre attachante et poétique un sentiment indéfinissable de nostalgie, comme si cette valse était un rêve lointain… L’auteur présente son œuvre avec beaucoup de sensibilité et donne vraiment envie de l’entendre autrement qu’en audition intérieure, même si, avec celle-ci, on est sûr de ne pas être déçu..

 

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ACCORDEON

 

Rose-Marie JOUGLA : Un violon pour une Orchidée. Version 2 accordéons. Assez facile. Delatour : DLT2387.

Cette très agréable pièce existe également pour 16 violons et altos, 16 violons (version originale) et piano à quatre mains. Tantôt romantique, tantôt rythmique, elle devrait beaucoup plaire aux jeunes interprètes. Quoi qu’il en soit, elle n’engendre pas la mélancolie !

 

 

 

FLÛTE A BEC

 

Jean-Christophe ROSAZ : Windway pour flûte à bec soprano. Difficile. Delatour : DLT2352.

« Que cette musique soit pour toi un souffle de paix ». Telle est la phrase mise en exergue par l’auteur pour sa dédicataire, Mieke van Weddingen, remarquable flûtiste trop tôt disparue. Une grande émotion se dégage de cette œuvre, une grande poésie, aussi. Les nombreuses indications d’interprétation données sur la partition ne remplaceront pas l’audition de l’œuvre sur le site de l’éditeur mais en permettront l’exécution.

 

 

 

Jean-François PAULÉAT : Kaotès pour flûte à bec soprano et piano. Assez difficile. Delatour : DLT2218.

Il s’agit, dans cette pièce d’une « rencontre » entre une flûte à bec et un piano, rencontre d’abord harmonieuse puis plus conflictuelle, ce qui se traduit par d’amusantes dissonances et un discours un peu heurté entre la flûte virevoltante et le sage piano pour revenir à la fin sur une entente cordiale, le tout sur une basse obstinée, basse qu’on pourra d’ailleurs utiliser pour des improvisations… Sous une apparente facilité du discours se cachent des difficultés techniques bien réelles mais nullement insurmontables. Il y faudra surtout une grande complicité entre les deux instrumentistes.

 

 

 

FLÛTE TRAVERSIERE

 

Jean-Jacques FLAMENT : Frimas d’hiver pour flûte ut et piano. Préparatoire. Lafitan : P.L.2695.

L’ensemble est construit sur un joli thème orné et brodé au fil des différentes parties : d’un ré mineur on passe au fa Majeur avec retour au mineur, cadence puis passage joyeux au ton homonyme (ré Majeur), pour un retour au calme au ton principal. Cette variété trouve son unité précisément dans ce thème unique qui passe de la flûte au piano, partenaire à part entière. C’est une pièce intéressante à tous les points de vue.

 

 

 

Gérard LENOIR : Matinée printanière pour flûte ut et piano. Elémentaire. Lafitan : P.L.2790.

Cette Matinée printanière est vraiment pleine d’entrain. Binaire, ternaire, rythmes syncopés : tout cela s’enchaine avec beaucoup de dynamisme, même si certains passages laissent place à un lyrisme de bon aloi. Si le flûtiste n’aura pas le temps de s’ennuyer, que dire du pianiste qui devra avoir largement dépassé le niveau élémentaire ! Mais les efforts seront récompensés.

 

 

 

Anne-Virginie MARCHIOL : Jardin secret pour flûte ut et piano. Elémentaire. Lafitan : P.L.2681.

Après un début « rêveur », nous voici « d’humeur joyeuse ». Ce jardin secret est en tout cas plein de charme et de délicatesse. On notera en particulier l’équilibre entre flûte et piano qui dialoguent quasiment à part égale. Les jeunes interprètes devraient pouvoir exprimer dans ce jardin toute leur sensibilité.

 

 

 

René POTRAT : Entracte pour flûte ut et piano. Préparatoire. Lafitan : P.L.2753.

Rien à voir ici avec le film de René Clair et la musique d’Éric Satie. Mais cet entracte, pour être beaucoup moins iconoclaste n’en est pas moins fort réjouissant. Flûtiste et pianiste dialoguent avec entrain jusqu’à un la mineur qui clôt la pièce sur une nuance plus feutrée.

 

 

 

André TELMAN : Le génie malicieux pour flûte ut et piano. Préparatoire. Lafitan : P.L.2720.

Il est bien malicieux, ce génie qui aime chromatismes et modulations tout en virevoltant constamment dans un rythme endiablé. S’il ne laisse aucun répit aux deux interprètes, c’est pour la bonne cause : le plaisir des auditeurs.

 

 

 

CLARINETTE

 

Michel CHEBROU : Miniature pour clarinette et piano. Débutant. Lafitan : P.L.2806.

Quelle charmante mélodie, à la fois tranquille et chantante ; de ces airs qui se retiennent facilement, simples mais pas simplets. La partie de piano est également abordable pour un élève de fin de premier cycle. Bref, pianiste et clarinettiste devraient éprouver beaucoup de plaisir dans cet agréable dialogue.

 

 

 

André TELMAN : Dans la forêt de Sherwood pour clarinette et piano. Débutant. Lafitan : P.L.2746.

Il sera facile de susciter l’imagination des interprètes pour que les différents aspects de cette œuvre s’associent à la légende de Robin des Bois… Si le niveau technique est bien « débutant », l’auteur n’hésite pas à moduler, à varier les atmosphères, bref à faire de la véritable et bonne musique.

 

 

 

Jean-Michel TROTOUX : C’était un rêve pour clarinette et piano. Débutant. Lafitan : P.L.2747.

« C’était un rêve, un joli rêve… » Il semble qu’il n’y ait ici nulle allusion au fameux duo de «La belle Hélène » ni à Lilian Harvey dans « Le congrès s’amuse ». Il y a simplement un rêve à la fois joli et un peu mélancolique aux harmonies délicates. Le jeune clarinettiste pourra donc y déployer musicalité et sens du phrasé, faire de la musique, tout simplement.

 

 

 

Claude-Henry JOUBERT : On a caché le vase de Soissons ! Une enquête  du commissaire Léonard pour clarinette (niveau fin du 1er cycle) avec accompagnement du professeur de clarinette. Lafitan : P.L.2797.

Non, ce n’est pas une version auvergnate de la fameuse histoire mais une aventure bien contemporaine même si l’histoire (avec un grand H) nous rattrape constamment. L’originalité de cette œuvre est de proposer deux improvisations ou plutôt deux compositions à intégrer dans le déroulement de l’enquète. Le compositeur précise : « Il semble important que tous les musiciens, amateurs, professionnels, étudiants et déjà les élèves puissent tenter d’écrire leur propre musique ». Il est heureux que le XXI° siècle redécouvre cette dimension essentielle que connaissait bien tous les musiciens depuis les origines jusqu’au XIX° siècle… même si l’exercice de l’improvisation et de la composition ne s’est jamais totalement perdu, fort heureusement, même dans les siècles intermédiaires ! Bref, l’auteur ne laisse pas l’élève (et le professeur) sans biscuit pour cet exercice. Bien au contraire il guide l’un et l’autre pas à pas dans ces chemins qui sont ceux du plaisir de la découverte d’une expression personnelle tellement enrichissante.

 

 

 

BASSON

 

Michel CHEBROU : Bassanello pour basson et piano. Préparatoire. Lafitan : P.L.2774.

Si elle est classique par l’harmonie, les marches harmoniques et autres procédés bien connus, cette pièce l’est moins par la succession à intervalles irréguliers de mesures à deux temps et à trois temps qui cassent en quelque sorte la carrure. On ne s’en plaindra nullement et cela donne à l’œuvre un petit côté dégingandé fort agréable.

 

 

 

TROMPETTE

 

Bruno CAMPORELLI : Dansons le rigaudon pour trompette ut ou sib ou bugle et piano. Premier cycle. Sempre più : SP0106.

Voici une bien joyeuse pièce qui invite effectivement à la danse. Une partie médiane, plus lente à trois temps permet au trompettiste de montrer son sens du phrasé et de la nuance. C’est en tout cas une œuvre bien agréable à entendre et à jouer.

 

 

 

Marco PÜTZ : Diversions pour trompette et piano. 3ème cycle. Sempre più : SP0101.

Cinq parties, pour cette petite suite : un prélude chantant et calme ouvre l’œuvre suivi d’un scherzo dynamique aux mesures changeantes. Nous continuons par une « Slow waltz » romantique à souhait, puis vient une « funny march », aussi rythmée que fantaisiste. Le tout se termine par un postlude où une mélodie berceuse se déroule au-dessus des arabesques du piano. Le tout ne manque ni de sel ni de charme !

 

 

 

TROMBONE

 

Pierre-Richard DESHAYS : Barricades pour trombone et piano. 2ème cycle. Sempre più : SP0093.

« Fieramente », telle est l’indication qui ouvre cette pièce pleine de panache qui se déploie de plus en plus vigoureusement pour arriver à un fortissimo paroxystique. Tout cela sonne et consonne avec une force roborative. Si après cela les interprètes ne se sentent pas pleins d’optimisme…

 

 

 

PERCUSSIONS

 

Aïko MIAMOTO : Fusions. Quatuor de percussions. Difficile. Dhalmann : FD0412.

Le titre de l’œuvre en constitue en quelque sorte le programme : faire que chacune des quatre parties, tout en gardant à certain moment un rôle soliste, fusionne comme si un instrumentiste virtuel transcendait l’ensemble dans une richesse qui dépasse l’addition des quatre parties.

 

 

 

Noël RIVET : Séga 1 & 2. Deux pièces pour marimba solo. Moyen. Dhalmann : FD0432.

Ces deux pièces sont inspirées des « ségas », musique traditionnelle de l’île Maurice. Les thèmes populaires qui les ont inspirées sont des chants qui expriment à la fois la joie d’avoir terminé le travail et la peine de ce travail interminable dans les champs de canne à sucre. C’est une musique prenante, à la fois rythmée et nostalgique.

 

 

 

Richard MULLER : Cigar Rag. Vibraphone solo. Difficile. Dhalmann : FD435.

Voici un Rag dans la meilleure tradition du rag et à fumer… sans modération ! Cette pièce respecte tous les canons du genre tout en étant pleinement originale. Elle n’est évidemment pas pour débutant !

 

 

 

MUSIQUE DE CHAMBRE

 

Jean-François PAULÉAT : Cuan Phort Láirgepour flûte, clarinette en sib et piano. Difficulté moyenne. Delatour : DLT2217.

De forme rondeau, cette pièce porte en elle toute la mélancolie parfois éclairée par un pâle rayon de soleil, du port irlandais qu’elle évoque. Invitation au voyage et au dépaysement, elle a beaucoup de charme et devrait séduire les jeunes interprètes qui devront faire preuve à la fois de fantaisie et d’un grand sens du phrasé.

 

 

 

Antoine TISNÉ : Sous le regard d’une étoile pour alto et violoncelle. Supérieur. Fortin-Armiane : EFA 062.

Cette pièce est composée de huit brèves séquences où les deux instruments ne dialoguent pas vraiment mais contribuent chacun au caractère lointain, mystérieux, étrange de l’atmosphère qui se dégage. Toutes les possibilités des instruments sont exploitées pour nous faire voyager au loin dans ce monde imaginaire et un peu inquiétant. L’œuvre date de 1992.

 

 

 

ORCHESTRE

 

 

BEETHOVEN : Concerto n° 3 en do mineur pour piano et orchestre op. 37. Urtext. Bärenreiter : Conducteur BA9023, Réduction pour deux pianos : BA9023-90, Commentaire critique : BA 9023-40.

Après les premier et deuxième concertos recensés précédemment, voici donc le troisième qui bénéficie des mêmes soins éditoriaux que les deux précédents. Le conducteur est particulièrement lisible et agréable, ainsi que la réduction pour deux pianos, réalisée par Martin Schelhaas qui a le mérite d’être, pour le piano accompagnateur, une version vraiment pianistique qui garde l’essentiel de la partition d’orchestre sans charger inutilement la transcription. Enfin, on appréciera vivement le fascicule consacré au  commentaire critique et rédigé par l’éditeur de l’ensemble : Jonathan Del Mar. Les fac-similés d’extraits du manuscrit et de deux éditions, ainsi que l’ensemble des commentaires, font de ce fascicule un instrument de travail irremplaçable pour pénétrer la genèse de cette œuvre qui marque une étape, importante de l’œuvre de Beethoven.

 

 

 

 

Claude DEBUSSY : La Mer. Trois esquisses symphoniques. Edité par Douglas Woodfull-Harris. Urtext. Bärenreiter : BA 7880.

L’intérêt de cette édition est d’intégrer de nouvelles sources aux sources déjà nombreuses prises en compte par les éditions précédentes. Nous nous garderons bien de résumer l’excellent travail de Douglas Woodfull-Harris qui, outre l’exposé de ce travail critique, nous fournit également dans sa copieuse préface l’histoire de la genèse de l’œuvre et de ses exécutions. Puisqu’il s’agit d’une œuvre française, on appréciera tout particulièrement le fait qu’en plus des versions allemandes et anglaises, cette préface nous soit également proposée en français.

 

 

Daniel Blackstone.

 

ORGUE

 

Julien BRET : Sonate parisienne pour orgue à 4 mains. LE CHANT DU MONDE (www.chantdumonde.com  ), 2013, OR4889, 25 p.

Julien Bret (*1974), élève de Louis Thiry et Susan Landal, est actuellement titulaire de l’Orgue de l’Église Saint-Ambroise à Paris. Compositeur et concertiste, il privilégie aussi les arrangements. Les œuvres pour orgue à 4 mains sont rares, pourtant elles représentent un excellent exercice pédagogique, voire « sportif ». Sa Sonate parisienne pour orgue à 4 mains est dédiée à Olivier  Vernet et Cédric Meckler. Cette musique, quelque peu hors du temps, un tantinet ringarde, proche de l’atmosphère du Paris de l’Entre-Deux-Guerres, donne l’impression de « déjà entendue ». À la manière de l’orgue de barbarie, elle se veut descriptive ; toutefois, elle s’adresse à des organistes de niveau technique moyen bien rompus à l’écoute de l’autre interprète. Divertissant.

 

 

PIANO

 

Dimitri CHOSTAKOVITCH : Concertino. Version pour piano à 4 mains par Dimitri Tchesnokov. Paris, LE CHANT DU MONDE (www.chantdumonde.com ), 2013, PN4883, 24 p.

Le Concertino op. 94, composé en 1953 par Dimitri Chostakovitch (1906-1975) pour deux pianos, a été adapté en 2013 pour piano à 4 mains par le pianiste et compositeur franco-ukrainien, Dimitri Tchesnokov (*1982). Après ses études de piano, de composition, d’orchestration, il a composé pour son instrument des œuvres aux titres descriptifs et selon les formes traditionnelles : Fantaisies, Préludes, Poèmes… Rompu aux techniques pianistiques et tout particulièrement à l’écriture pour 4 mains, il est à la recherche de l’équilibre entre les deux interprètes et propose une édition très précise en ce qui concerne les indications dynamiques, le jeu (piqué, marcato…) et l’utilisation de la pédale. Conçue en 3 mouvements de longueur inégale, cette œuvre se termine en virtuosité et dans la force ; elle exige une solide technique de la part des  deux pianistes.

 

 

Ivan JEVTIC : Six Préludes pour piano. Paris, LE CHANT DU MONDE (www.chantdumonde.com  ), 2014, PN4892, 18 p.

Ces 6 Préludes pour piano d’Ivan Jevtic (*1947), composés à Belgrade en 1971 et imprimés à Paris en 1981, sont des pièces brèves aux conclusions abruptes. L’Allegro con brio (I) nécessite un jeu lié entre les deux mains, de constantes oppositions de nuances et le sens de la dynamique ; l’Andante con anima (II)  fait encore appel aux indications dynamiques, au jeu martelé à la main gauche ; l’Allegro scherzando (III) sollicite le sens de la réplique entre les deux mains ; le Grave e sostenuto (IV) sous-entend une bonne maîtrise de la pédale ; le Vivo e ben ritmico (V), avec de nombreux accords plaqués, s’enchaîne directement au Presto (VI) où prédominent les groupes de 4 doubles-croches égales, le jeu alterné entre les deux mains. Bon exercice pédagogique, compte tenu de la technique pianistique très différenciée.

 

Édith Weber.

 

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LE COIN BIBLIOGRAPHIQUE

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Florence DOÉ DE MAINDREVILLE, Stéphan ETCHARRY (dir.) : La Grande Guerre en musique. Vie et création musicales en France pendant la Première Guerre mondiale. P. I. E. Peter Lang (www.peterlang.com ), Bruxelles, Collection « Études de musicologie » n°4, 2014, 381 p. –  €.

En cette année 2014, l’histoire et les manifestations de la Grande Guerre (1914-1918) ont suscité de nombreuses publications et rappels historiques. Florence Doé de Maindreville (Docteur en musicologie de l’Université Paris-Sorbonne et Agrégée de musique) et Stéphan Etcharry (lui aussi Docteur et Agrégé) ­— tous les deux maîtres de conférences à l’Université de Reims Champagne-Ardenne et rattachés au Centre d’Études et de Recherche en Histoire Culturelle (CERHIC, EA 2616) — se sont associés pour démontrer la « singularité des sensibilités musicales dans l’ensemble des cultures de guerre, de cette singularité française dans ces singularités musicales », selon l’expression d’Annette Becker (Institut universitaire de France) dans son Avant-Propos (p. 11). La journée d’études tenue en Sorbonne, le 15 mai 2010, dans le cadre de l’Équipe de recherche « Patrimoines et Langages musicaux », est à l’origine de la présente publication qui groupe une sélection de textes et d’articles éclairant sous divers angles d’attaque le rôle de la musique et de sa pratique durant ce long conflit si dévastateur. La première partie : la pratique musicale au front devant des publics variés, fait l’objet de la contribution du Docteur Luc Durosoir qui aborde la vie et l’œuvre de son père, Lucien Durosoir, violoniste ayant pu organiser de nombreux concerts, au front, pour toutes sortes de publics. Il en est de même de celle de David Mastin (Docteur en Histoire contemporaine, auteur d’une Thèse sur « Les écoles de musique en Grande Guerre ») mentionnant l’impact de la Guerre sur Louis Fourestier (1892-1976) qui, brancardier, a pu néanmoins poursuivre sa pratique musicale (violoncelliste et chef d’orchestre). La deuxième partie concerne les créations musicales durant la Grande Guerre. Plusieurs compositeurs sont présentés : André Caplet (1878-1925), par Georgie Durosoir ; Fernand Halphen (1872-1917), « musicien au service de la France », par Laure Schnapper. Les trois autres contributions portent sur Reynaldo Hahn (1874-1947) « compositeur en guerre : pour une poétique de l’apaisement », par Stéphan Etcharry ; Le Tambour d’Alfred Bruneau (1857-1934) : « entre musique de guerre et bataille artistique », par Jean-Christophe Branger ; enfin, Lionel Pons en vient à la problématique de ce numéro : « L’impact de la Grande Guerre sur la forme musicale : vers une nouvelle acception du temps dans la musique française ». Ces communications éclairent cette époque de conflit et les nouvelles conceptions artistiques qu’elle a suscitées. La troisième partie, située à l’arrière et non plus au front, illustre le patriotisme musical, par exemple avec l’étude de Michela Niccolai : Une infirmière d’opérette : Mimi Pinson et sa cocarde et celle de Rachel Moore : À ne pas ouvrir pendant la guerre : l’union sacrée  et la mobilisation de l’édition musicale, 1914-1918. Ce tableau des activités musicales de cette terrible période de l’histoire de France est brossé par Denis Humeau à propos de La vie musicale à Angers durant la Première Guerre mondiale.

 

Avec le recul du temps, ce volume offre un aperçu particulièrement éloquent de la sensibilité musicale spécifique décrivant la vie des « bons poilus », les activités courageuses des musiciens au front et « les « concerts » au front pendant la Grande Guerre : entre engagement dans le conflit et vie artistique en marge », évoqués au début de la publication par Sandrine Visse. L’intérêt de ce numéro est encore rehaussé par l’Annexe « Musiques au front : lieux, dates, œuvres, public. Document établi d’après les lettres de Lucien Durosoir à sa mère » (p. 65-73) et une mélodie inédite de Pierre Vellone. Ces approches multiples : historiques, sociologiques, esthétiques et analytiques, ces témoignages pris sur le vif et ces discussions esthétiques contribueront largement à la découverte et à une meilleure connaissance de cette période si troublée de l’histoire événementielle et culturelle de la France où la musique a joué le rôle de « catalyseur de tension ». À suivre.

 

Édith Weber.

 

Théâtralité de la musique et du concert des années 1980 à nos jours. Revue Musicorum (www.revuemusicorum.com ) n°15, Laurine QUETIN (dir.), Tours, Université François-Rabelais de Tours, 2014, 170 p. – 29 €.

Cette publication de la Revue Musicorum (dirigée par Laurine Quetin) gravite autour de la problématique de « la théâtralité de la musique savante ou populaire et/ou de la théâtralisation du concert, de musique aussi bien classique que contemporaine, jazz, rock ou pop » (musique religieuse exclue). Résultant de deux Journées d’études organisées par l’Institut de Recherche Pluridisciplinaire en Arts, Lettres et Langues à l’Université de Toulouse-Le Mirail, elle est placée sous la responsabilité éditoriale de Muriel Plana, Nathalie Vincent-Arnaud, Frédéric Sounac et Ludovic Florin (Université de Toulouse-Le Mirail). Le questionnement est du ressort de plusieurs disciplines : musicologie, littérature comparée, études théâtrales, sans oublier la scénographie, le dénominateur commun étant la qualité théâtrale de la musique, liée à la perception ou à la réception de la musique pendant quelque trois décennies. À l’appui d’exemples précis (auteurs et œuvres), treize auteurs se penchent sur le théâtre « phonique », « une scène au-delà de l’écran », la « mise en œuvre d’un théâtre des sons », le « double mouvement d’enveloppement-développement chez Björk ». La musicologie est plus particulièrement concernée par l’article « La musique médiévale en concert en France » ou encore « la théâtralité de la scène musicale féminine contemporaine », « la théâtralisation du corps du chanteur… ». Sont également évoqués le concert de rock et sa scénographie ; le concert populaire et son hybridation en tant qu’expérience musicale et, pour finir, le « Théâtre, roman, danse et musique pour une représentation spectaculaire dans Moulin rouge… ». Comme le précisent les responsables éditoriaux (Préface, p. 7) : « Dans leur diversité, dans leur complémentarité, et parce qu’elles s’appuient sur des œuvres précises, les études qui suivent valident certaines de nos hypothèses et répondent à quelques-unes de nos interrogations initiales » à partir de « la question problématique de la qualité théâtrale de la musique, à travers sa dramaticité éventuelle, sa spatialité ou encore sa corporéité et sa matérialité » : autant de prétextes à des réflexions ultérieures sur la perception et la réception de la musique par l’auditeur.

 

Édith Weber.

 

Serge Gut : Tristan et Isolde. L'amour, la mort et le nirvâna. 1 vol Fayard, 2014, 271 p. 17,- €

« Tristan est et reste pour moi un miracle ! Comment ai-je pu faire quelque chose de semblable, je le comprends de moins en moins ». Ainsi s'exprime Richard Wagner dans une lettre à Mathilde Wesendonck du 10 août 1860. Outre le formidable ego qu'il manifeste, de telles paroles révèlent l'absolue perfection dont est entouré Tristan und Isolde, et la fascination qu'exerce cette pièce sur son créateur. La séduction, voire le magnétisme,  produits sur ses auditeurs et analystes ne sont pas moindres. L'amour passion pour l'épouse de son hôte, qui dévorait alors le musicien nous aura valu une partition unique, sommet insurpassé. Serge Gut, grand analyste musical, qui dévoua sa vie, entre autres, à Liszt et à Wagner, devait avec le présent ouvrage livrer ses ultimes pensées sur le maître de Bayreuth, presque logiquement. Lui qui, déjà en 1983, avait confié à L'Éducation musicale une fascinante analyse de l'« Interprétation sémantique du thème de la chasse au second acte de Tristan et Isolde  » (cf. l'EM, n° 296). Le présent volume, d'une érudition rare, dévoile, à partir des données autobiographiques que Wagner a projetées sur l'œuvre, une vision aussi perspicace que concise des multiples aspects qu'elle révèle. L'amour et la mort d'abord, une passion qui se consume et ne peut se résoudre que dans l'infini de la mort. Celle-ci s'ouvre alors sur un monde merveilleux que l'auteur qualifie de Nirvâna – symbolisé par la mort d'amour. Serge Gut nous fournit des clés  essentielles pour comprendre les trois actes de l'opéra et ses différentes périodes ou séquences, « un découpage indispensable pour apporter un minimum de clarté à l'analyse ». Une multiplicité de regards convergents sont proposés au lecteur, dont on ne signalera ici que quelques éléments : l'organisation des tonalités d'abord, dont « l'utilisation d'une note isolée hissée au rang de symbole et de structure », une des trouvailles les plus étonnantes du compositeur. Le recours intensif aux pédales harmoniques, ensuite, qui «  servent de pôles de stabilité ». Le rôle des Leitmotive, bien sûr, mais aussi des « groupes thématiques fondamentaux », ou « thèmes se succédant et finissant par former un tout », comme celui alimentant le duo d'amour du II ème acte. Sans parler de l'art de la mélodie infinie, comme celui de la transition, porté ici à son summum. C'est qu'à la différence des autres drames du compositeur,  la primauté est ici dévolue à la musique sur le texte et l'action. Autre paramètre, souvent négligé : le processus d'évolution que subit le style musical de l'œuvre, dont la composition intervient au milieu du Ring, et qui s'est elle-même étendue sur une longue période, d'octobre 1857 à octobre 1859, cette dernière date alors que Wagner venait de « s'être intensément plongé dans la thématique de Parsifal le mois précédent ». Car il existe « un lien d'affinité » entre les deux œuvres, et pas seulement pour ce qui est de leurs sources celtiques communes. L'ouvrage est complété par une étude du traitement orchestral dans l'opéra, par Jean-Jacques Velly, maître de conférence HDR à l'Université de Paris Sorbonne, lequel a relu le manuscrit de Serge Gut. Un ouvrage majeur pour comprendre Tristan et Isolde.

 

 

Jean-Pierre Robert.

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CDs et DVDs

 

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« Dietrich FISCHER-DIESKAU sings Baroque Arias ». Enregistrements : 1952/1954. 1CD HÄNSSLER Classic SCM (www.haenssler-classic.com ) : CD 94.218. TT :  74’ 09.

Les Éditions Hänssler Classic permettent aux admirateurs du regretté Dietrich Fischer-Dieskau (1925-2012) de réentendre cette voix exceptionnelle, célèbre par ses nombreuses interprétations de Lieder et de musique religieuse. Ce disque regroupe des Airs baroques extraits de 6 Cantates écrits par 5 compositeurs : G. H. Stölzel, Fr. Tunder, D. Buxtehude, N. Bruhns et A. Krieger. Les mélomanes redécouvriront Gottfried Heinrich Stölzel, théologien, compositeur qui, installé à Gotha à partir de 1720 comme maître de chapelle, a été au service des Ducs Frédéric II et Frédéric III pour lesquels il devait fournir une Cantate chaque semaine. Sa Cantate Aus der Tiefe rufe ich, Herr, zu dir, paraphrase allemande du Psaume 130 (De profundis) est structurée en 5 parties faisant alterner airs et récitatifs. Le compositeur exploite largement la traduction musicale figuraliste des images et des idées du texte. La voix profonde et si expressive de Dietrich Fischer-Dieskau s’accomode parfaitement à la gravité du texte et lui confère toute l’émotion souhaitable. Franz Tunder  (1614-1667), organiste de la Marienkirche à Lubeck, fondateur des célèbres Abendmusiken (Musiques du soir) est représenté par son motet pour soliste : Da mihi, Domine (Seigneur, accorde-moi la sagesse) d’après le Livre apocryphe de la Sagesse ; il est nettement influencé par l’art du chant italien et accompagné par des instruments à cordes. Compte-tenu de la tessiture très grave, le remarquable chanteur a dû procéder à quelques octaviations. Son interprétation s’impose par la profondeur de l’expression.

Dietrich Buxtehude (1637-1707), successeur de Franz Tunder à la Marienkirche, appartient déjà au baroque tardif ; ses œuvres vocales ont servi de modèle à J. S. Bach. Dans sa Cantate Ich suchte des Nachts(d’après La Sagesse) pour Ténor et Basse, il introduit en plus des deux violons un hautbois pour imiter les veilleurs. L’œuvre, assez animée, bénéficie d’une interprétation équilibrée entre voix et instruments. Nicolaus Bruhns (1665-1697), organiste virtuose, compositeur et élève préféré de Dietrich Buxtehude, figure dans ce CD avec la Cantate de Pâques Erstanden ist der heilige Christ pour Ténor, Baryton, 2 violons et basse, mettant l’accent sur la certitude de la Résurrection du Christ, d’après un texte du XIVe siècle ; et avec le Psaume 130 en sa version latine : De profundis clamavi ad te (Ps. 130) pour Basse, 2 violons et basse continue, cantate chorale très développée, particulièrement impressionnante nécessitant une remarquable technique de souffle et une virtuosité vocale à toute épreuve ; elle se termine sur un Amen jubilatoire. Adam Krieger (1634-1666), élève de Samuel Scheidt, après avoir été actif à la Nikolaikirche à Leipzig, a été nommé organiste à la Cour de Dresde. Sa Cantate An den Wassern zu Babel sassen wirpour Alto, Ténor, Baryton, 2 deux violons et basse continue est fortement imprégnée par la dramatisation musicale des paroles. Ce programme éclectique signé par le regretté Dietrich Fischer-Dieskau ravira les discophiles les plus exigeants.

Édith Weber.

 

Gottfried Heinrich STÖLZEL : Quadri di Dresda e Bruxelles. Ensemble Epoca Barocca. 1CD CPO (Lübecker Str. 9-D49124 Georgsmarienhütte) : 777 764-2. TT : 51’ 09.

Gottfried Heinrich Stölzel (1690-1749) bénéficie depuis quelques années d’un regain d’intérêt, après être tombé dans l’oubli. Il était très apprécié de Johann Mattheson, mais son successeur, Georg Benda, maître de chapelle à la Cour de Gotha, considérait que seules quelques œuvres survivraient. D’abord étudiant en Théologie à Leipzig,  il occupa une large place dans la vie musicale leipzicoise, puis se rendit à Breslau et Halle ; à partir de 1713, en Italie où il put découvrir les œuvres d’Antonio Vivaldi et de Nicola Porpora entre autres ; il s’est ainsi familiarisé avec le style italien. Après avoir été actif à Prague, à partir de 1720, il s’est installé à Gotha où il a été au service des Ducs Frédéric II et Frédéric III. L’Ensemble Epoca Barocca, qui se produit sur des reconstitutions historiques d’instruments baroques, est composé d’Alessandro Piqué (hautbois), Thomas Müller (cor), Veit Scholz (basson), Verena Schoeneweg (violon) et Michael Beringer (clavecin). Il a enregistré (2012, Deutschlandradio), sous le Label CPO, huit Sonates pour 4 instruments (Quadri) de Dresde en 3 mouvements contrastés avec Adagio central, soit à la manière italienne (deux mouvements rapides entrecoupés d’un mouvement lent) ; ainsi que celle de Bruxelles. La musique de chambre était très cultivée à Gotha, mais les huit premières Sonates ont été interprétées à Dresde. Dans le texte de présentation Helga Heyder-Späth rappelle que, en 1752, dans son Traité (concernant le jeu de la flûte traversière), J. J. Quantz  précise clairement ce qu’on est en droit d’exiger d’un quatuor : « pureté des 4 voix, beau chant, brèves imitations, mélange approprié des sonorités des instruments concertants… ». Il insiste sur la solidité de la basse continue, et ajoute qu’« on ne doit pas pouvoir remarquer si telle ou telle voix a la préséance » : c’est aussi le cas de cette interprétation, avec jeu concertant des instruments. À noter la présence du cor qui n’était pas évidente dans la première moitié du XVIIIe siècle. Certaines de ces Sonates sont davantage pensées pour un trio classique avec ajout du cor en raison de ses sonorités spécifiques. Voici une belle défense et illustration de l’apport considérable de Gottfried Heinrich Stölzel à la musique de chambre, grâce à l’Ensemble Epoca Barocca qui confirme son grand succès rencontré tant du côté du public que de la critique, depuis 1994, lors de Festivals internationaux : il en sera de même au XXIe siècle pour les discophiles curieux.

 

 

Édith Weber.

 

Gottfried Heinrich STÖLZEL : Kammermusik. Ensemble NeoBarock. 1CD NEOBAROCK (www.neobarock.de) : Amb 96949. TT :  67’ 38.

Sous le titre Musique de chambre, l’Ensemble NeoBarock  — Volker Möller (violon), Maren Ries (violon, alto), Ariane Spiegel (Violoncelle), Fritz Siebert (Clavecin) —, se produisant sur des instruments anciens reconstitués, a enregistré une sélection de 6 Sonates, 2 Quadri ainsi que la Partia di Signore Steltzeln en sol mineur de Gottfried Heinrich Stölzel (1690-1749), présenté ci-dessus. La première (trio) — pour 2 violons et basse continue —, en do mineur et 4 mouvements : Adagio-Allegro-Adagio-Vivace (selon le plan de la sonate française), de facture baroque, mise sur l’expressivité (Adagio) et l’alternance des tempi (Vivace bien enlevé) ; celle en Sol Majeur — pour violon, alto, violoncelle et basse continue —, avec la même alternance de mouvements, se termine par une Giga, Allegro pleine d’élan et de verve. Elle est suivie de la Sonate « Enharmonique » — pour clavecin —, en 3 mouvements : Largo, Dolce entecoupés par une Fugue sur un incipit chromatique un peu plus énergique. La 4e, en Si b Majeur — pour deux violons et basse continue —, comprend un 3e mouvement Alla Siciliana nostalgique ; celle en Ré Majeur pour la même formation comprend une introduction Andante de caractère méditatif, suivie d’un bref Allegro, véritable marche en avant aboutissant à l’Adagio plus intériorisé et sa conclusion : Allegro, à couper le souffle ; celle en mi mineur pour la même formation ne comporte que 3 mouvements (vif-lent-vif), à la manière italienne. Le Quadro en mi mineur — pour 2 violons, violoncelle et basse continue —, en 4 mouvements, spécule sur l’alternance entre mouvements lents (Andante – à noter une pause dans le déroulement du discours, du meilleur effet —, Adagio) et un Allegro plus bref. Le Quadro en Sol Majeur, pour la même formation, « à l’italienne », comprend un Adagio plein de grâce et encadré par deux Allegro avec accélération du thème du premier mouvement dans le dernier. Le disque comporte encore, extrait du Klavierbüchlein für Wilhelm Friedemann Bach, avec le Menuet/Trio BWV 929 complété par J. S. Bach, la Partia di Signore Steltzelnen sol mineur, avec Ouverture, Air italien, Bourrée, Menuet/Trio et référence au Signore Steltzeln(Stöltzel). Grâce à l’Ensemble NeoBarock : voici un autre apport à une meilleure connaissance de l’œuvre de Gottfried Heinrich Stölzel.

 

Édith Weber.

 

Johann Friedrich REICHARDT : Gelebte Lieder. Reinaldo Dopp, ténor. Albrecht Hartmann, fortepiano. 1CD KLANGLOGO (www.klanglogo.de ) : KL 1510. TT :  40’ 03.

Reinaldo Dopp (Ténor) et Albrecht Hartmann (Fortepiano) ont sélectionné 22 Lieder de Johann Friedrich Reichardt (1752-1814), violoniste prodige, philosophe, critique et surtout compositeur de Lieder. Selon Goethe, il est « le premier qui, avec sérieux et constance », a traité ses textes lyriques. Ses mélodies oubliées, puis exhumées, retrouvent ainsi vie à l’occasion du bicentenaire de la mort du compositeur. Elles reposent sur des textes de Johann Wolfgang von Goethe (1749-1832), Johann Gottfried von Herder (1744-1803) et Friedrich Schiller (1759-1805)... Certains textes ont largement été exploités, entre autres, par Franz Schubert et Robert Schumann. Ces mélodies se situent à la charnière du classicisme et du romantisme, quelque peu dans le sillage de Felix Mendelssohn. Parmi les thèmes traditionnels, figurent l’amour : Ratlose Liebe, Liebesruhe, Das Bild der Liebe, Der Abschied (Goethe) ; les plaintes, soupirs et consolation : Des Mädchensklage (Schiller), Klage (Goethe), Des Einsamenklage(Herder), Trost in Tränen (Goethe) ; le lyrisme et la nature : Heidenröslein, Herbstgefühl et Meeresstille (Goethe). Le poème le plus impressionnant et si dramatique est certainement : Erlkönig (Goethe), comportant 8 strophes et se terminant tragiquement par la mort de l’enfant. Reinaldo Dopp et Albrecht Hartmann forment une équipe très soudée, en parfaite connivence pour les descriptions lyriques et surtout l’expression des atmosphères et des sentiments. Malgré la diversité des thèmes abordés, ils réussissent à conférer à chaque Lied son caractère spécifique. Cette Anthologie significative accorde à J. Fr. Reichardt la place qu’il mérite dans le répertoire de Lieder. Comme le rappelle l’auteur du livret à propos de Goethe : «  ce programme ne lui aurait certes pas déplu », ce qui sera aussi le cas au XXIe siècle pour les amateurs de Lieder.

 

 Édith Weber.

 

 

Johannes BRAHMS : Lieder. Mario Hacquard, baryton. Lorène de Ratuld, piano 1CD HYBRID’MUSIC (atelier@hybridmusic.com) : H1833. TT : 48’ 29.

Mario Hacquard (baryton) est aussi bien spécialiste du chant grégorien, des Oratorios de Monteverdi, Bach, Dvorak, entre autres, que des Lieder allemands et des Mélodies françaises ou de la musique vocale russe. Son répertoire s’étend du XVIe au XXIe siècle. Il se produit sur de nombreuses scènes internationales, est également acteur (cinéma, clips, télévision). Il collabore merveilleusement avec Lorène de Ratuld, pianiste spécialisée notamment dans l’accompagnement vocal. Le présent enregistrement, avec 20 Lieder de Johannes Brahms, est introduit par une berceuse Lullaby, clin d’œil d’une boîte à musique annonçant l’incontournable chant du soir Wiegenlied (berceuse), op. 49, n°4 (plage 21) qui posera un point d’orgue à la fois discret et mystérieux sur ces miniatures reflétant le déroulement de son existence, avec ses nombreuses réactions et situations psychologiques. L’amour y tient une large place, par exemple : Treue Liebe, op. 7 (pl.10), Der Gang zum Liebchen(Le chemin vers la bien-aimée), op. 48 (pl.15), Mädchenlied (Chant de la jeune fille), op. 107 (pl.11) ou encore Botschaft (Message), op.47 (pl.2). À noter le Vergebliches Ständchen (Sérénade vaine), op. 84 (pl.6), se présentant comme un dialogue entre « lui » et « elle », d’abord assez dramatique. L’autre Ständchen, op. 106 (pl.9) est de caractère plus lyrique et descriptif (lune, montagne, fontaine), puis évoque le silence et le chant de trois étudiants, avec flûte, violon et cythare, jusqu’au murmure : « Ne m’oubliez pas ». Il n’est pas possible de détailler les 20 Lieder parmi lesquels figurent également An den Mond(À la lune), Auf dem Kirchhofe(Le cimetière), Therese (pl. 4), lied interrogatif dont l’interprétation est encore rehaussée par la sonorité exceptionnelle du piano Steinway, Salamandre (pl.5), remarquable par son expression dramatique, entre autres. Lorène de Ratuld intervient, en soliste, avec la 2e Rhapsodie, op. 79 (pl.13), œuvre de la maturité, en trois mouvements : rapide-lent-rapide, dans laquelle elle fait preuve d’une technique éblouissante, d’un solide sens du rythme et de la dynamique. Par ailleurs, elle soutient le chanteur jusque dans les moindres détails. Quant à Mario Hacquard, il a le don de ressentir et d’assimiler toutes les nuances sémantiques et émotionnelles voulues par Brahms, et de s’investir pleinement dans ces partitions romantiques. À l’initiative du Label Hybrid’Music : voici un disque de référence pour les chanteurs et amateurs de Lieder.

 

Édith Weber.

 

« Musique et chants pour les funérailles ». 1CD JADE (www.jade-music.net ) : 699 682 -2. TT : 77’ 29.

À l’initiative des éditions JADE, voici encore un disque à thème fort réussi, car il propose des œuvres pour des funérailles présentées en fonction de l’ordre du service liturgique : entrée, parole, offertoire, communion, dernier adieu et sortie. Par ailleurs, il permet de retrouver la voix d’Elisabeth Schwarzkopf pour l’Ave Maria et la Litanei de Schubert, ainsi que Bist du bei mir ; des ensembles qui ont fait leurs preuves : Les Petits Chanteurs de Saint-Marc (The Lord is my shepherd (Ps. 23) de Franz Schubert ; le motet Veni, Domine de Felix Mendelssohn, Pie Jesude Gabriel Fauré) ; le Chœur de Garçons de Sofia (début du Stabat Mater de Pergolèse et Ave verum corpus de Mozart) et le Chœur de Garçons de Vilnius Azuoliukas (In Paradisumdu Requiem de Maurice Duruflé). Le CD s’ouvre aux sons des cloches de l’Abbaye San Domingo de Silos (Espagne), suivies des chants grégoriens Subvenite (l’un des chants les plus anciens de l’Office des défunts) et Lux aeterna interprétés par le Chœur de cette Abbaye. S’adressant à diverses sensibilités, il propose aussi des œuvres instrumentales méditatives convenant à la circonstance, telles que : l’Aria  de la Suite en Ré de J. S. Bach, avec Toscanini à la tête du NBC Symphony Orchestra ou encore le Choral du Veilleur (Wachet auf, ruft uns die Stimme) et Jesu, meine Freude (Jésus, que ma joie demeure) dans un arrangement pour trompette et orgue interprété par Bernard Soustrot et J. Dekyndt ; et, pour orgue seul : le Prélude et Fugue en Ut Majeur (BWV 545) à l’Orgue de l’Abbaye Royale de Hautecombe. Il s’agit donc d’une compilation discographique comportant des pages incontournables ; elle rendra de très grands services aux liturgistes, prêtres, chanteurs et instrumentistes dans l’élaboration d’un programme pour un office des défunts. L’utilité et l’intérêt de cette initiative discographique ne sont pas à démontrer.

 

 

Édith Weber.

 

Franz SCHUBERT : Winterreise (Le Voyage d'hiver) D 911. Cycle de Lieder d'après les poèmes de Wilhelm Müller. Jonas Kaufmann, ténor. Helmut Deutsch, piano. 1 CD Sony Classical : 88883795652. TT.: 70'14.

Les interprétations du Voyage d'hiver par une voix de ténor sont moins nombreuses que celles échéant au baryton : Peter Pears, accompagné par Benjamin Britten, dans les années 1960, Peter Schreier par Andras Schiff, plus près de nous. Le mouvement s'inverse cependant depuis quelques années : Ian Bostridge, Christoph Prégardien, Mark Padmore... C'est pourtant pour ce type de voix qu'a écrit Schubert. Qu'un ténor de calibre verdien, voire wagnérien, l'aborde, reste singulier cependant. Aussi la vision de Jonas Kaufmann était-elle attendue, surtout après sa fine version de La Belle Meunière, il y a quatre ans. L'illustre ténor munichois ne déçoit pas. Mieux, il se révèle totalement à l'aise dans cet univers poétique qui, il faut bien le reconnaître, n'est peut-être pas si éloigné de la scène. Dans la plénitude de son art vocal, il révèle un monde de nuances inouïes. Schubert avait déjà rencontré la poésie de Wilhelm Müller avec sa Schöne Müllerin et ses thèmes essentiels de l'errance et de la solitude. Mais dans ce nouveau cycle, le monologue du voyageur se fait plus désespéré encore, empli de terreurs et de cris d'une douleur à peine contenue. Même si on perçoit une vraie unité de climat, les ruptures de rythmes y abondent. Et il est certain qu'un timbre de ténor corsé tel que celui de Kaufmann, permet une variété de couleurs extrême. En homme de théâtre confirmé, celui-ci ménage des contrastes souvent saisissants, passant insensiblement du ton élégiaque au lâcher de voix à pleine puissance, comme dans ce dernier vers répété de « Der Lindenbaum » (Le tilleul), «  Là-bas tu trouverais le repos ! », abordé forte puis doux, ou à l'inverse, à l'ultime phrase de « Letzte Hoffnung » (Dernier espoir), de l'extrême douceur à la force primaire. Le discours se fait haletant (« Rückblick » / Regard en arrière), voire véhément (« Der stürmische Morgen » / Le matin orageux). Le timbre envoûtant est proche de l'hypnose (« Der Leiermann » / Le joueur de vielle), et atteint des profondeurs abyssales («  Das Wirtshaus » / L'auberge). Helmut Deutsch, qui n'en est pas à sa première rencontre avec ce cycle, distille la partie de piano avec une immense délicatesse, procurant un accompagnement lui aussi tout en dégradé, tour à tour clair, diapré, joliment dansé. La balance voix-piano est proche de l'idéal, dans une acoustique de concert.

 

 

Jean-Pierre Robert.

 

 

Giuseppe VERDI : Don Carlo. Opéra en cinq actes. Livret de Joseph Méry et Camille Du Locle, d'après la pièce de Friedrich Schiller « Don Karlos, Infant von Spanien ». Jonas Kaufmann, Anja Harteros, Thomas Hampson, Ekaterina Semenchuk, Matti Salminen, Eric Hafvarson, Robert Lloyd, Maria Celeng, Kiandra Howarth, Benjamin Bernheim. Konzertvereinigung Wiener Staatsopernchor, Wiener Philharmoniker, dir. Antonio Pappano. Mise en scène : Peter Stein. Salzburger Festspiele 2013. 2 DVDs Sony Classical : 88843005769. TT. : 3 H 57'.

Le premier intérêt de  cette nouvelle version DVD de Don Carlo réside dans sa complétude. Est en effet jouée la version italienne en cinq actes, introduite par celui dit « de Fontainebleau » ; ce qui permet de mieux saisir comment naît la passion qu'éprouve l'infant Carlo pour Elisabeth de Valois, avant que celle-ci ne soit désignée reine d'Espagne. Leur duo, qui précède la terrible nouvelle, est d'un intérêt singulier et apparaît comme le premier volet de cet autre échange déchirant, au dernier acte, scellant l'adieu des amants. Parmi les autres ajouts à la version habituellement donnée, on trouve, au début de la scène 2 de l'acte II, un développement qui, sur fond de bal masqué, introduit le travestissement de la princesse Eboli avec la mantille qu'Elisabeth lui remet, avec lequel elle tentera de déclarer sa flamme à Carlo. De même la scène de la prison, à l'acte IV, est-elle plus étoffée dans sa seconde partie, qui voit l'arrivée de Philippe II venu rendre son épée à son fils ; s'en suit une violente réplique de celui-ci. Enfin, le duo ultime entre les deux amants est lui aussi enrichi d'une première partie dans le ton héroïque. La deuxième vertu du DVD réside dans la qualité musicale enthousiasmante de l'interprétation. Antonio Pappano connaît son Verdi sur le bout des doigts et sa lecture cultive une vision intense, souvent haletante. L'alliage de la fougue du chef italien et du raffinement des Wiener Philharmoniker produit un résultat sonore enivrant à maints endroits. La distribution réunit le nec plus ultra du chant verdien actuel. Les deux héros, Carlo et Elisabeth, rayonnent de jeunesse et de sensibilité. Anja Harteros, assurément l'une des grandes sopranos verdiennes du moment, possède cette stamina qui rend son chant si palpitant, particulièrement lors de l'adieu à la suivante, la comtesse di Lerma, et lors du grand air du dernier acte, « Tu che la vanità ». Jonas Kaufmann, parce qu'au zénith de la carrière, n'éprouve pas de difficulté à affronter la tessiture tendue de Carlo, parsemée de quintes aiguës plus qu'inconfortables pour le commun des interprètes. Son art de caresser la phrase, de la ponctuer de pianissimos éthérés et de développer un legato de rêve, fait de cette interprétation une sorte de référence moderne. Et on admire cette silhouette juvénile qui peu à peu prend de l'assurance. Thomas Hampson, sur lequel le poids des ans ne semble pas avoir prise, campe un Posa grandiose et émouvant, un portrait d'une vraie grandeur. Il en va de même scéniquement du Philippe II de Matti Salminen, vieillard enveloppé dont l'apparente impassibilité et la démarche débonnaire dissimulent à peine la formidable autorité. La confrontation avec Posa et plus tard avec le Grand Inquisiteur font toucher du doigt l'essence de la tragédie. Et ce même si la voix n'offre pas le brillant naturel d'un timbre italien ou le grain mordoré des basses d'Europe centrale. Ekaterina Semenchuk, une des grandes voix du Théâtre Mariinki, est aussi à l'aise dans la chanson sarrasine que dans les interjections bravaches de l'aria « O don fatale », ornant le rôle hybride d'Eboli. 

 

Le troisième point fort réside dans la qualité de l'image. La direction d'acteurs très étudiée de Peter Stein révèle sa vraie acuité, plus encore qu'à la représentation. Ce qui, en live, pouvait sembler dilué sur l'immense plateau tout en longueur du Grosses Festspielhaus de Salzbourg, est ici scruté par une judicieuse prise de vues qui saisit quasiment le for intérieur des personnages. Si le filmage des scènes d'ensemble, de l'Autodafé en particulier, reste plus banal, c'est d'abord parce que Stein ne s'y défait pas d'un certain académisme. Il parle à cet égard de scènes gelées pour le drame. Mais Don Carlo n'est-il avant tout un drame de l'humain entre quelques figures tout droit sorties de l'Histoire. On est cloué par des images d'une beauté saisissante, telle ces deux visages inondés de bonheur de Carlo et d'Elisabeth lors de la scène de la fontaine. La magnificence des costumes d'époque contribue largement à cette impression de raffinement pictural, plus encore que la décoration volontairement épurée et jouant par trop les effets de symétrie, censée décrire les murs froids de l'Escorial. Une interprétation indispensable qui complète celle de la version française, Don Carlos, saisie dans la mise en scène de Luc Bondy, naguère au Châtelet.

 

Jean-Pierre Robert.

 

 

Giuseppe VERDI : Giovanna d'Arco. Drame lyrique en un prologue et trois actes. Livret de Temistocle Solera, d'après le drame « Die Jungfrau von Orleans » de Friedrich Schiller. Anna Netrebko, Plácido Domingo, Fencesco Meli, Johannes Kunz, Roberto Tagliavini. Philharmonia Chor Wien. Münchner Rundfunkorchester, dir. Paolo Carignani. 2 CDs Universal DG : 479 2712. TT. : 64'44+44'05. 

Dans ce septième opéra, Verdi et son librettiste ne s'embarrassent pas de vérité historique, même par rapport au drame de Schiller, « La Pucelle d'Orléans ». Non, cette Jeanne d'Arc taille audacieusement dans l'Histoire pour portraiturer trois personnages à grands traits, quoique vocalement intéressants. Le Roi Charles VII nourrit une passion pour la jeune bergère au destin héroïque, tandis que le père de celle-ci, Genaro, la voue aux gémonies avant de s'apercevoir de sa méprise, bien tardivement. Le substrat historique, on le trouve plutôt dans les vastes ensembles concertants qui confient au chœur un rôle finalement essentiel. Et assure à l''œuvre une tinta annonçant Macbeth. L'instrumentation originale qui lui est réservée contribue pour beaucoup à la couleur particulière de cet opéra comme son éclat guerrier. Mais bien sûr, Giovanna d'Arco est avant tout un opéra de chanteurs. La distribution réunie par l'intendant Alexander Pereira, pour ce concert du Festival de Salzbourg 2013, est prestigieuse. Anna Netrebko apporte au rôle titre un lustre certain. Alors qu'elle aborde depuis peu des Verdi plus lourds (Leonora du Trouvère récemment, Lady Macbeth actuellement), le large ambitus du rôle de Giovanna ne lui pose pas de problème. La quinte aiguë filée est enthousiasmante. Dès le cavatine d'entrée, on est séduit par un débit tendu, en même temps très orné, ce qu'on retrouvera dans le duo héroïque avec Carlo, lequel s'amplifie en un trio, étonnamment débuté a capella, lors que Genaro se joint à eux. Une certaine dureté dans le timbre confère quelque chose de farouche à la résolution de la jeune femme. Avec le rôle du père, Plácido Domingo ajoute un nouveau fleuron à sa galerie de barytons verdiens. Son timbre fondamental de ténor apporte ici un éclat particulier, qui trouve son épitomé dans l'air du II ème acte. Un modèle de chant verdien cantabile. Le duo réunissant père et fille, à l'acte III, qui préfigure les pages valeureuses des opéras ultérieurs, de Rigoletto en particulier, compte au nombre des trésors de cette interprétation. Francesco Meli, Carlo, favorise une approche héroïque, sans trop se soucier de nuances, qui lorsqu'elles sont là, semblent plus fabriquées que naturelles. Mais le voisinage de ses deux collègues aidant, la manière se décante peu à peu pour atteindre une belle sincérité au dernier acte. L'importance déjà relevée du chœur justifie la présence d'une formation du calibre du Phlharmonia Chor de Vienne. La direction de Paolo Carignani, chauffée à blanc, ne mégote pas sur les effets martiaux et les élans cravachés. Même si ne pratiquant pas le raffinement des Viennois, les musiciens de l'Orchestre de la Radio munichoise distillent un authentique son verdien, les vents en particulier, souvent sollicités. Un sens de l'événement parcourt cette exécution que les fans de grandes voix ne sauraient manquer.

 

 

Jean-Pierre Robert.

 

 

« Behind the lines ». Mélodies de Traill, Beethoven, Schubert, Schumann, Liszt, Wolf, Mahler, Rachmaninov, Ives, Eisler, Weill, Poulenc, Rhim. Anna Prokaska, soprano. Eric Schneider, piano. 1CD Universal DG : 479 2472. TT.: 76'04.

Voilà un disque enrichissant, et d'actualité en cette année de commémoration du souvenir de le Grande guerre. La cantatrice Anna Prohaska, qui avait déjà séduit par l'intelligence de la programmation de ses deux précédents récitals (« Sirène », « Enchanted forest »), a réuni, cette fois, des chants de soldats : « Vingt-six couleurs qui éclairent autant d'aspects de la vie de soldat », précise-t-elle. La sélection est judicieuse, opérée parmi les nombreuses pièces composées sur ce thème, depuis les musiciens du baroque jusqu'aux modernes, Eisler et Weill. Les rapprochements sont souvent imaginatifs. Ainsi de « Pressentiment du guerrier » de Schubert et de « Déclin » de Wolfgang Rhim, deux manières de dire le passage du rêve au cauchemar : une douceur apparente chez Schubert, qui peut laisser place à un débit haletant, et avec Rhim, l'expressionnisme des grands écarts sonnants. De même en est-il des « Deux grenadiers » de Schumann et du « Retour du sergent » de Poulenc : le drame angoissé chez l'un, une désinvolture presque grotesque chez l'autre. Le poids du drame côtoie aussi l'élégiaque, chez Rachmaninov ou chez Thomas Traill. Tous ces poèmes prennent une vie extraordinaire dans l'interprétation d'Anna Prohaska, d'une vraie justesse de ton et d'une déclamation impeccable quelle que soit la langue véhiculée, allemand, français, anglais ou russe. L'engagement de la chanteuse berlinoise est de tous les instants, comme sont fascinantes les moirures du soprano, tour à tour clair ou voilé, car elle adapte la couleur de la voix à chaque mélodie ou song avec un rare sens musical. Au fil de ce parcours on savourera cette mélodie de Liszt, sur un texte de Dumas, qui met dans la bouche de Jeanne d'Arc ces mots merveilleux «  Je vais monter au bucher, et pourtant j'ai sauvé la France », ou telle autre de Charles Ives « 1, 2, 3 », qui verse presque dans la satire. Elle conclut sur une note quelque peu désabusée avec « Chant funèbre pour deux vétérans », de Kurt Weill, empli d'un lyrisme chaud et d'une tristesse presque envoûtante. Un coup de chapeau au pianiste Eric Schneider qui affronte avec autant d'à propos des musiques aussi diverses.

 

 

Jean-Pierre Robert.

 

 

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MUSIQUE ET CINEMA

 

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CINE-CONCERTS

 

Du 4 au 6 septembre dans la Cour d’Honneur des Invalides à Paris, le metteur en scène Elie Chouraqui propose un ciné concert intitulé : « Claude Lelouch en musique ». Ce spectacle partira ensuite en tournée dans quelques villes de France (Lille, Metz, Lyon, Nantes, Bordeaux, Marseille, Toulouse).

 

 

Le 26 et 27 septembre, au Palais de Congrès à Paris, est projeté « Gladiator » de Ridley Scott sans la partition musicale. La musique de Hans Zimmer et de Lisa Gerrard sera interprétée en direct par l’Orchestre National d'Île de France accompagné d'un chœur.

 

 

Le 8 octobre au Trianon - 80 Boulevard de Rochechouart 75018 Paris -, le compositeur Clint Mansell se produit avec son groupe, composé du pianiste Carly Paradis et du Sonus Quartet. Un concert à ne pas manquer.

 


DR

 

MENAHEM GOLAN

 

 


DR

 

Producteur et réalisateur, Menahem Golan est mort le 8 août dernier à Jaffa, où il s'était retiré. En 1979, avec son cousin Yoram Globus ils fondent la firme Cannon qui fit de l’ombre aux grandes sociétés de productions telles que MGM, Universal, ou Warner. Ils ont produit une incroyable quantité de films. En 1987 plus de 20 films ! Outre les nombreuses séries B avec Chuck Norris, Jean-Claude Van Damme, Sylvester Stallone, Dolph Ludgren, Franco Nero, Charles Bronson…, on leur doit la vogue des Ninjas. Ils produisent aussi John Cassavetes (« Love Stream »), Jean-Luc Godard (« King Lear »), Andreï Kontchalowski (« Maria’s Lovers, Runaway Train »), J. Lee Thompson (« Alan Quatermain »), Robert Altman (« Fool For Love »), Barbet Schroeder (« Barfly »)… D’excellents compositeurs ont travaillé pour eux : Jerry Goldsmith, avec « Allan Quatermain », Alan Silvestri, pour « Delta Force », Jimmy Page et « Le Justicier de New York », Pino Donaggio avec « Over The Brooklyn Bridge », Henry Mancini pour « Life Force », Trevor Jones (« Runaway Train »), ou Georgio Moroder pour « Over the Top ».

 

Menahem Golan est venu à Cannes pour l'édition 2014 du Festival où était projeté le documentaire « Go Go Boys», d'Hila Medalia, qui retrace les grandes heures de la Cannon. Il sortira sur les écrans français le 22 octobre prochain. De nombreuses BO sont encore disponibles sur le net.

 

   
   

 

https://www.youtube.com/watch?v=voA2byi5b6A

 

https://www.youtube.com/watch?v=EsV7TuNMr5M

 

https://www.youtube.com/watch?v=06Uu4CRKj1o

 

Stéphane Loison.

 

 

JEAN-LUC GODARD et la musique de ses films

 

 


DR

 

Jean-Luc Godard vient de sortir «  Adieu au Langage »,  un film récompensé au dernier festival de Cannes avec un petit prix ; une récompense dont il n’a que faire. Un film de Godard ne laisse jamais indifférent. Ce qui nous intéresse ici, par rapport à ce réalisateur, c’est la manière dont il aborde les musiques dans ses films et s’il est possible de les écouter hors de leur contexte. Selon les époques, Godard a tenu des discours, comme il sait le faire, changeants, radicaux, paradoxaux. La musique de film ne veut rien dire pour lui. Ce qui existe c’est la bande sonore qui comprend les dialogues, les ambiances et la musique. Cette dernière peut être composée pour un film – c’est ce qu’il a fait à ses débuts - mais souvent elle est puisée dans la musique de répertoire – c’est ce qu’il a fait totalement par la suite. Dans son dernier film il a découpé la Septième Symphonie de Beethoven.

 

Pour ses premiers films, ceux des années soixante, il s’adressa à des compositeurs de musique de  film. Ils ont pour nom Solal, Delerue, Duhamel, Legrand, Misraki, Leroux, Arthuys. A ces musiques originales, il ajouta aussi des extraits d’œuvres classiques, principalement de Mozart et de Beethoven. 

 

Dans un entretien pour les Cahiers du Cinéma, dans « Jean-Luc Godard par Jean-Luc Godard » (1968), on lui pose la question sur l’utilisation de la musique de film originale. Il répond :

 

« Godard : Parce que je n’ai pas d’idées sur la musique ; J’ai toujours commandé à peu près la même musique à des musiciens différents. Ils ont tous composé une musique à peu près pareille, et je leur ai toujours demandé en gros ce qui s’appelle de la « musique de film ».

 

Les Cahiers : Si on l’écoutait sans voir le film… »

 

Godard : Elle ne vaudrait rien.

 

Les Cahiers : Pourtant vous avez travaillé avec un jeune musicien : Arthuys pour « Les Carabiniers »

 

Godard : C’était de la musique à l’envers, si l’on peut dire. J’ai dit à Arthuys : tâchons de faire la musique que pourrait imaginer Juross s’il  y avait des possibilités de musique dans la tête. C’est de la musique grossière, à l’envers, des cavernes. D’ailleurs, les trois quarts de mes films pourraient se passer de musique. J’en ai mis, mais s’il n’y en avait pas, le film ne serait pas différent. Dans « Alphaville », la musique semble être en contrepoint et même en contradiction avec l’image ; elle a un côté traditionnel, romance, que dément le monde d’Alpha60. C’est qu’elle est un des éléments du récit : elle évoque la vie, c’est la musique des mondes extérieurs, au lieu de les filmer, j’ai fait entendre leur musique. Ce sont des sons qui ont une valeur d’images. Je n’ai jamais utilisé la musique autrement. Elle joue le même rôle que le noir dans la peinture impressionniste.

 

Les Cahiers : Si la musique joue une rôle plus important, alors c’est le musicien qui doit faire le film ?

 

Godard : ….Je n’irai jamais demander à Stravinski de me faire de la musique d’accompagnement. Ce qu’il me faut, c’est du mauvais Stravinski, parce que si je prends du bon, tout ce que j’ai tourné ne sert plus à rien. C’est pour la même raison que je ne peux pas travailler avec un scénariste ; un musicien conçoit sa musique, et moi mon film avec mon monde de cinéma. L’un plus l’autre, je crois que c’est trop. La musique, pour moi, est un élément vivant, au même titre qu'une rue, que des autos. C’est une chose que je décris, une chose préexistante au film. »

 

La conception de Godard par rapport à la musique est qu’elle est un personnage entier. Il ira même jusqu’à ce que les musiciens soient directement filmés en train de la jouer comme dans « Prénom Carmen » avec le quatuor à cordes (l’Opus 132 de Beethoven) ou dans « Sauve qui peut la Vie »  avec la présence de tout un orchestre. Mais comme la plupart des réalisateurs, il est démuni face à une matière originale qu’il ne peut contrôler puisqu’elle est imaginée par un autre que lui. Il n’est pas le maître de cette substance artistique. On retrouve souvent ce complexe chez de nombreux metteurs en scène. Les compositeurs qui ont travaillé avec Godard parlent de cette incommunicabilité qu’ils ont ressentie face à lui. Est-ce pour cela qu’il utilise beaucoup de musique classique, qu’il coupe, découpe à sa guise ? Cette question ne lui a jamais été posée ?Godard aurait déclaré à Gabriel Yared, après sa collaboration sur « Sauve qui Peut La Vie », « Vous serez le dernier compositeur vivant à travailler sur mon film ». Il dit préférer les compositeurs morts. Avec ECM et pour « Nouvelle Vague » (1990) il emploie, entre autres compositeurs bien vivants à l’époque, Arvo Pärt, David Darling, Heinz Holliger, Werner Pirchner, Jean Schwartz, Paul Giger,… et par la suite il utilisera de nombreux compositeurs contemporains de la célèbre édition de Manfred Eicher (Kancheli, Kurtag, Bryars, Monpou…).

 

C’est à travers ses premiers films qu’il parle de ses goûts musicaux. Dans « A Bout de Souffle », Jean-Pierre Melville / Parvulesco, à la question : « Est-ce que vous aimez Brahms ? », il répond : Comme tout le monde pas du tout. - Et Chopin ?  - C’est dégueulasse ! »

 

Dans le « Le Petit Soldat » Anna Karina / Véronica propose des disques à Michel Subor / Bruno, le double de Godard, qui veut écouter de la musique. « Bach ce n’est plus l’heure, un Brandebourgeois à huit heures du matin c’est merveilleux …. Mozart, Beethoven, c’est trop tôt. Mozart c’est huit heures du soir, Beethoven, c’est de la musique profonde, c’est minuit…. ».

Dans « Pierrot le Fou », Ferdinand / Belmondo répond à Marianne / Karina que la musique passe après la littérature. Et un 45tours ne s’achète qu’après un achat de 50 livres !

Dans « Week End » dans la cour d’une ferme au cours d’une action culturelle au milieu d’ouvriers agricoles, avec un très long plan séquence à tour de vis multiple stupéfiant, qui dure plus de sept minutes, Godard filme Paul Gégaud, scénariste dandy, interprétant, la sonate « La Chasse » de Mozart sur un piano à queue tout en improvisant un texte incongru. Jean Yanne / Roland qui assiste à cette intervention, bâille à se décrocher la mâchoire.

Avant de connaître le catalogue de ECM, on ne peut pas dire que Godard sera très inventif dans ses choix musicaux du répertoire. Il emploie les « tubes » de ces musiciens : le Concerto pour clarinette de Mozart, la Passion selon Saint Mathieu de Bach ou les quatuors de Beethoven. Dans son dernier film « Adieu au langage », c’est la symphonie n°7 de Beethoven, archi utilisée au cinéma, qu’il triture, découpe, hache. C’est avec ce principe de transgression qu’il aime employer la musique. Tout n’est que découpage et assemblage de discontinuité. Ce qu’il fait avec la Septième, ou avec l’image, il n’ose pas le faire avec ses citations verbales. Pourquoi ?

 

Avant les années quatre-vingt, Godard a eu recours à des compositeurs de talent dont les musiques sont, pour certaines, devenues les plus connues du répertoire et qu’on aime écouter sur CD. En 1959, pour « À Bout de Souffle », Godard fait appel à un jeune futur grand pianiste de jazz, Martial Solal. C’est Jean-Pierre Melville qui l’a présenté au réalisateur : « C’était pour nous deux un premier vrai film. En projection de travail, je suis tombé sous le charme, et, en un sens, je suis resté plus réservé musicalement que lui dans la liberté du montage » (Martial Solal ; entretien réalisé par Francis Marmande, Le Monde 1er août 2002). La musique est enregistrée avec Roger Guérin et Pierre Gossez aux cuivres, Michel Hausser au vibraphone, Paul Rovère à la basse et Daniel Humair à la batterie. Après ce film Martial Solal a composé seulement pour quelques réalisateurs dont Melville, Cocteau, Becker, Molinaro, Carné et en 2000 pour le film « Les Acteurs » de Bertrand Blier. Sa rencontre avec Godard n’était qu’un accident et pourtant en écoutant une mesure de sa musique, on reconnaît celle de « A Bout de Souffle ». ( Entretien de Stéphane Lerouge du CD Martial Solal et Godard ). Pour « Les Mistons » François Truffaut avait pris comme compositeur Maurice Leroux, grand compositeur dodécaphoniste et chef d’orchestre reconnu. Leroux avait écrit la musique d’ « Amère Victoire » de Nicolas Ray et c’est pour cela que Godard a pris ce compositeur classique, en 1960, pour « Le Petit Soldat ».

 

En 1961, Michel Legrand, compositeur de la Nouvelle Vague, s’est essayé à la comédie musicale avec « Une Femme est Une Femme », quatre ans avant « Les Parapluies de Cherbourg » de Jacques Demy. Il fera plusieurs films pour Godard dont « Vivre sa Vie » et « Bande à Part ». « J’admirais l’homme Godard, son audace, sa manière de faire œuvre de révolution. Il cassait les règles pour en inventer de nouvelles…Le rêve de Demy, celui d’un cinéma en chansons et en couleurs, je l’ai d’abord caressé avec Godard dans une « Femme est Une Femme ». Mais curieusement, le film est devenu une comédie musicale à postériori. Devant le premier montage, je lui ai soufflé : « sans le savoir, tu as tourné un musical. Si tu es d’accord, je vais glisser de la musique partout, y compris sur, sous et entre les dialogues….Ce fut un boulot insensé, je me suis accroché à chaque millimètre de pellicule… » (Entretien de Legrand avec Stéphane Lerouge pour  la collection de CD Écoutez le Cinéma)

Pour «  Vivre sa vie » Godard a demandé à Michel Legrand d’écrire un thème et onze variations pour coïncider avec la structure de ce film élaborée en douze tableaux. En définitive, au mixage il n’a gardé que les huit premières mesures de la première variation et l’a répétée sur tout le récit ! Les musiques une fois enregistrées, Godard souvent fait des modifications, des manipulations, pour aboutir à des résultats qui ne correspondent plus du tout à ce qui avait été envisagé au départ avec le musicien. Il fait de la re-création.

 

«  Je trouve cette musique assez mauvaise, mais elle a eu du succès et je ne sais pas pourquoi. Enfin, elle est sympa…je la trouvais déjà mauvaise à l’époque. Disons que c’est la seule fois que j’ai eu l’idée d’audimat, on ne disait pas d’ailleurs audimat à l’époque, mais l’idée était que Delerue, qui fait la musique de Truffaut, peut être que cela aiderait le film vis à vis du public. Mais c’est la seule fois que j’ai eu une idée comme ça » (Les écrans sonores de Jean-Luc Godard réalisé par Thierry Jousse, Signature, France Culture, Harmonia Mundi, 2000)

Godard parle ainsi de la musique de « Le Mépris » (1963), écrite par Georges Delerue. Le thème de Camille a été plébiscité comme la plus belle musique de film ! Godard n’avait aucune idée au sujet de la musique à la sortie de sa projection avec Delerue. Ce dernier lui propose une musique très ample, romantique dans un esprit brahmsien et Godard lui a répondu « C’est tout à fait cela que je veux »…Voir plus haut ce qu’il pense de Brahms…

Le producteur italien, le célèbre Carlo Ponti, n’aimant pas la musique de Delerue, a fait réécrire la BO pour la version italienne « Il Disprezzo » par Piero Piccioni !

Antoine Duhamel pour « Pierrot le Fou » est peut-être la meilleure rencontre musicale qu’a faite Godard. Duhamel dit de lui « Godard a révolutionné ma vie de spectateur avec «  Une femme est Une femme », en 1961, mis en musique par Michel Legrand. Là j’ai reçu comme un électrochoc sa manière moderne et iconoclaste d’aborder la comédie musicale. Sans parler de cette technique ahurissante de fragmentation de la partition…Ma plus grande ambition c’était de travailler avec Godard. »

Grâce à Anna Karina il va rencontrer Godard pour lui composer une chanson. Mais à cause des paroles dues à Forlani, qui évoquaient la situation personnelle de Godard et de Karina, la chanson sera écrite par Bassiak-Rezvani, le couple du « Tourbillon de la Vie » de « Jules et Jim ». Godard lui donnera quand même à composer la musique du film. « Vous voyez Antoine il me faudrait deux ou trois thèmes dans le genre Schumann. Cela correspondait parfaitement à la dualité de Ferdinand / Pierrot et à la schizophrénie de Schumann. Godard s’il vous choisit, il n’a pas besoin de dire grand chose. Les images appellent d’elles-mêmes un certain type de musique. « Pierrot le Fou » m’a communiqué des impressions que j’ai immédiatement couchées sur mes portées….Pour le thème de Ferdinand, Godard l’a exactement employé sur la même séquence sans que nous nous soyons concertés au préalable... Voilà l’exemple d’une symbiose totale avec un minimum de dialogue. Avec « Pierrot le Fou », j’ai vécu de l’intérieur la modernité de Godard, sa vision global de l’écriture cinématographique…trois ans après, on s’est retrouvé sur « Week-End »…Jusqu’alors il y avait chez lui un plaisir de l’image, du donner à voir…dans l’utilisation de la couleur, de l’écran en cinémascope. Avec « Week-End » il a commencé à s’éloigner de cette jubilation-là, il est entré dans un cinéma tract, moins lié au plaisir immédiat du spectateur….Plus que jamais sa musique dans « Week-End » est une passionnante recomposition de ma partition. » (Entretien de Stéphane Lerouge du CD d’Antoine Duhamel et Godard)

En 1965, dans « Alphaville », il rend inaudible des séquences parlées en haussant le niveau sonore pour les recouvrir. Il en fera de même avec « Week End » et un monologue de Mireille Darc.

Godard a traité la musique comme aucun autre réalisateur ne l’a fait. Il a toujours cherché à trouver une syntaxe à cet élément, à ce discours, en cassant les codes, en expérimentant. La réussite n’est pas toujours au bout, osons le dire, mais il a essayé. La musique est aussi importante pour lui que l’image. N’a-t-il pas dit un jour que dans audiovisuel venait en premier audio… !

Pour se souvenir de ses musiques quand la vague était encore nouvelle, on peut trouver quelques albums chez Universal dans la collection de Stéphane Lerouge « Écoutez le Cinéma ». Un CD consacré à Martial Solal avec la musique d’ « A Bout de Souffle », un autre de Georges Delerue avec « Le Mépris» et d’autres compositions pour d’autres réalisateurs, un avec la musique de « Pierrot le Fou » et de « Week End » ainsi qu’un CD de Paul Misraki avec « d’Alphaville ». Il existe aussi un CD consacré aux musiques de Godard où l’on trouve des extraits des précédentes musiques et en plus les compositions de Michel Legrand, de Gabriel Yared et la fameuse chanson sur Mao pour « La Chinoise ».

Avec le CD « Nouvelle Vague », sorti chez ECM, on a tout l’audio de ce beau film. L’expérience est très intéressante. On s’aperçoit qu’on peut se passer du visuel. C’est un paradoxe quand on sait combien l’image est très importante chez Godard et combien il aime les films muets….

 

 

  

 

https://www.youtube.com/watch?v=hlZDIqWHKB4

 

Stéphane Loison.

 

 

BO en CDs

 

SECONDS. Réalisateur : John Frankenheimer. Compositeur Jerry  Goldsmith. 1CD Edition limitée La-La land records : LLLCD 1109

Un homme d'âge mur, déçu par son existence monotone, reçoit un jour un coup de téléphone d'un ami qu'il croyait mort. Celui-ci lui propose de refaire sa vie en simulant sa mort. Il finit par signer un contrat qui lui permet de changer de visage et de repartir de zéro mais tout a un prix et cette nouvelle existence n'ira pas sans poser quelques problèmes. Ce film de 1966, ressort sur les écrans dans une version restaurée et c’est tant mieux. Au départ le réalisateur pensait que Rock Hudson n’était pas l’acteur idéal pour ce genre de rôle tant il était associé aux comédies romantiques. A l’arrivée c’est une des meilleures prestations de Hudson. A l’époque, le film n’a pas eu le succès espéré, ce qui est dommage car c’est un excellent film. La SF, le thrilleur, même l’horreur sont mélangés adroitement. La mise en scène de Frankenheimer est énergique. Jerry Goldsmith avait déjà travaillé pour Frankenheimer sur « Seven Days In May ». La musique qu’il a composée pour « Seconds » est efficace, discrète, sombre surtout. Sur le générique de Saul Bass - un des plus célèbres graphistes de génériques et d’affiches (« Vertigo », « L’Homme au Bras d’Or », « Autopsie d’un Meurtre », « Psychose », « West Side Story »… ) - l’orchestration du thème annonce la couleur du film. Avec un orgue électrique, des cordes stridentes, Goldsmith crée quelques choses de liturgique dans ce climat glauque. L’orgue sera souvent présent au cours des morceaux. Le thème mélancolique du film sera interprété soit au piano, soit à la harpe avec une nappe de cordes d’une grande tristesse. Sur le CD, la BO est couplée avec une autre musique de Goldsmith : I.Q. de Fred Schespisi. Là on est dans le registre de la comédie. En prenant le thème de « A Vous dirais-je Maman » Goldsmith s’amuse à créer une ambiance drôle, sympathique, pour cette histoire d’amour entre Tim Robbins et Meg Ryan sous le regard bienveillant de Walter Matthau- Einstein. Ce disque montre l’éclectisme et l’immense talent de Jerry Goldsmith. Un collector.

 

https://www.youtube.com/watch?feature=player_embedded&v=DQhlCRpuX8Y

 

GAME OF THRONES (Saison 4). Compositeur : Ramin Djawadi. 1CD Sony Classical : n°88843081472.

Après « Iron Man », « Prison Break », « Le Choc des Titans », « Pacific Rim », Ramin Djawadi continue de composer pour des films ou des séries qui sont des énormes succès planétaires. Le générique de « Game of Thrones » est peut-être un des plus connus de toutes les BO qui existent. Des millions de gens l’écoutent et s’en délectent. On peut reconnaître quelques accents de ce thème dans les arrangements de « Pacific Rim ». Sony propose donc quelques extraits de la BO de la saison quatre. C’est une musique pour se souvenir de cette lutte acharnée que se livrent les sept familles pour être sur le Trône de fer et prendre le pouvoir aux Lannister. Chaque morceau porte un titre qu’il est difficile de citer car ce serait spolier cette saison aux spectateurs qui ne l’ont pas encore regardée. Ramin Djawadi sait écrire de la musique épique, lyrique, guerrière, tendre avec des teintes moyenâgeuses, fonctionnant parfaitement avec les aventures qui se déroulent dans les épisodes. Il est le compositeur de la musique depuis la première saison. La liste des morceaux du CD contient également une nouvelle version de "The Rains of Castamere", réalisée par le groupe islandais Sigur Rós. Cette belle musique est à écouter par ceux qui désirent être transportés dans ces univers fantastiques et mythologiques.

 

 

 

https://www.youtube.com/watch?feature=player_embedded&v=hd-RBTvLhI4

 

 

THE ZERO THEOREM. Réalisateur :Terry Gilliam. Compositeur. George Fenton. 1CD Milan Music / Universal : EAN 3299039953020.

Londres, dans un avenir proche. Les avancées technologiques ont placé le monde sous la surveillance d’une autorité invisible et toute puissante : Management. Qohen Leth, génie de l’informatique, vit en reclus dans une chapelle abandonnée où il attend désespérément l’appel téléphonique qui lui apportera les réponses à toutes les questions qu’il se pose. Management le fait travailler sur un projet secret visant à décrypter le but de l’Existence – ou son absence de finalité – une bonne fois pour toutes. La solitude de Qohen est interrompue par les visites des émissaires de Management : Bob, le fils prodigue de Management, et Bainsley, une jeune femme mystérieuse qui tente de le séduire. Malgré toute sa science, ce n’est que lorsqu’il aura éprouvé la force du sentiment amoureux et du désir que Qohen pourra enfin comprendre le sens de la vie... « The Zero Theorem » est le nouveau Terry Gilliam qui avait concocté des films inoubliables comme « Brazil », « L’Armées des Douze Singes », « Las Vegas Parano ». Avec son dernier opus on reste un peu sur sa faim. Il met en image inlassablement les mêmes thèmes, ce qui n’est pas en soi un problème, mais le tout manque d’imagination. Il y a quand même quelques scènes hallucinatoires, époustouflantes. C’est un film assez déconcertant, mais qui a le mérite de soulever de vraies questions de société, avec créativité et quelques audaces. Il est servi par des acteurs extraordinaires comme Christoph Waltz, Mélanie Thierry et l’incroyable Tilda Swinton. Pour la musique il retrouve George Fenton qui avait composé celle de « The Fisher King » en 1991.

 

George Fenton compose depuis les années 70. Il a travaillé avec de nombreux réalisateurs anglais dont Neil Jordan, Stephen Frears, Richard Attenborough et, depuis 1994, pour Ken Loach. C’est un compositeur caméléon qui s’adapte à toutes les situations. Il peut passer de la musique de « Gandhi » à la superbe BO de « Memphis Belle », ou à la très classique veine pour « Les Liaisons Dangereuses ». Comme le film est un mélange de gothique, de high-tech, de style des années 80, Fenton s’est inspiré de rythmes électro et de notation atonale. Sa musique rend bien le côté excentrique de Qohen Leth, campé par Christoph Waltz et l’imaginaire débridé de Terry Gilliam. Les scènes de la plage avec la très sexy Mélanie Thierry sont plus traditionnelles avec orchestre à cordes et guitare hawaïenne appuyant on ne peut plus sur le côté romance, sur fond de coucher de soleil – composition à prendre bien sûr au second degré. La performance de Tilda Swinton au début de « Shrink Rom Rap – Bob’s Crunch » est surprenante. Le CD rend parfaitement cette ambiance, électro, romantique, déjantée - « Destroying The Mainframe and the Release » - que distille ce film d’un des rares réalisateurs encore border-line.

 

 

http://www.youtube.com/watch?v=qakgt4A5Hkw

 

 

EARTH TO ECHO. Réalisateur : Dave Green. Compositeur : Joseph Trapanese. 1CD Sony Classical : n°88843066882.

Joseph Trapanese est un jeune compositeur qui est connu pour ses arrangements, sa direction d’orchestre. Il a travaillé pour Walt Disney – « Tron-Legacy » avec Daft Punk – et a composé quelques musiques originales en partenariat avec d’autres compositeurs comme pour des films tels que « Oblivion », film post apocalyptique où s’est perdu Tom Cruise, et pour la version américaine de ce film impressionnant de virtuosité qu’est «  The Raid ». Le film est une sorte de retour à des films comme « E.T » ou « Super 8 », ou des films pour adolescents dans l’esprit des « Goonies », ou « Explorers ». Sur le CD, on trouve beaucoup de chansons qui accompagnent le film. Seul le dernier morceau - une suite qui porte le nom du film - est une composition de Joseph Trapanese. Souvent on fait ainsi un mixage spécial pour le CD. On se demande à qui s’adresse ce disque ? Pour une suite sympathique de quelques minutes de la BO est-il vraiment intéressant d’écouter la variété qu’on nous propose ? L’écho nous répond : Non !

 

 

http://www.youtube.com/watch?v=jx4Y0vIuI5A

 

 

JAMAIS LE DIMANCHE. Réalisateur : Jules Dassin. Compositeur : Mános Hadjidákis. 1CD Milan Music/ Universal : n°399 581-2.

Oscar de la meilleure chanson « Les Enfants du Pirée », en 1961, prix d’interprétation pour Melina Mercouri à Cannes en 1960, « Jamais le Dimanche », avait mis le feu à la Croisette avec la musique composée par Mános Hadjidákis. Ce musicien composa de nombreuses musiques de film et des chansons populaires. On lui doit la musique du chef d’œuvre d’Elia Kazan « America America », de la comédie policière de Dassin « Topkapi », ou de ce film surréaliste « Sweet Movie » de Dusan Makavejev. La musique entraînante de « Jamais le Dimanche » est interprétée avec les instruments grecs qu’on retrouve dans la plupart des groupes folkloriques. C’est un vrai plaisir que de réécouter cet album réédité par Milan. En bonus, on trouve la BO pour un autre film de Jules Dassin, « Phaedra ». Elle est d’un autre compositeur grec très connu, Mikis Theodorákis. Écoutez la dernière plage du CD qui est la mort de…

 

 

 

https://www.youtube.com/watch?v=SJN_dHpAgwM

 

 

Stéphane Loison.

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Ce livre, que le compositeur souhaitait publier dans sa maison d’édition à Kürten, se propose de présenter les orientations principales de la recherche de Karlheinz Stockhausen (1928-2007) à travers ses œuvres, couvrant sa vie et ouvrant un accès direct à ses écrits. Divers domaines investis par le plus grand inventeur de musique de la seconde moitié du xxe siècle sont abordés : composition de soi à travers les matériaux nouveaux ; découvertes formelles et structures du temps ; musique spatiale ; métaphore lumineuse ; musique scénique ; l’hommage au féminin de l’opéra Montag aus Licht ; Wagner, Stockhausen et le Gesamtkunstwerk, œuvre d’art total. Les témoignages des femmes qui l’ont accompagné dressent un portrait vif et saisissant de l’homme, artiste génial qui aimait plus que tout la musique et la recherche compositionnelle au nom du progrès de l’être humain...(suite)

Analyses musicales

  XVIIIe siècle – Tome 1

 

L’imbroglio baroque de Gérard Denizeau

 

BACH

 

Cantate BWV 104 Actus tragicus   Gérard Denizeau

Toccata ré mineur                      Jean Maillard

Cantate BWV 4                          Isabelle Rouard

Passacaille et fugue                    Jean-Jacques Prévost

Passion saint Matthieu                Janine Delahaye

Phœbus et Pan                          Marianne Massin

Concerto 4 clavecins                  Jean-Marie Thil

La Grand Messe                         Philippe A. Autexier

Les Magnificat                           Jean Sichler

Variations Goldberg                    Laetitia Trouvé

Plan Offrande Musicale                Jacques Chailley

 

 

COUPERIN

 

Les barricades mystérieuses         Gérard Denizeau

Apothéose Corelli                        Francine Maillard

Apothéose de Lully                      Francine Maillard

 

 

HAENDEL

 

Dixit Dominus                             Sabine Bérard
Water Music                              Pierrette Mari

Israël en Egypte                         Alice Gabeaud

Ode à Sainte Cécile                     Jacques Michon

L’alleluia du Messie                      René Kopff

Musique feu d’artifice                  Jean-Marie Thill

 

 

Publié l'année même de son ouverture, cet ouvrage raconte avec beaucoup de précisions la conception et la construction du célèbre bâtiment.
Le texte est remis en pages et les gravures mises en valeur grâce aux nouvelles technologies d'impression.

Pour la première fois, le Tchèque Leoš Janácek (1854-1928), le Finlandais Jean Sibelius (1865-1957) et l'Anglais Ralph Vaughan Williams (1872-1958) sont mis en perspective dans le même ouvrage. En effet, ces trois compositeurs - chacun avec sa personnalité bien affirmée - ont tissé des liens avec les sources orales du chant entonné par le peuple. L'étude commune et conjointe de leurs itinéraires s'est avérée stimulante tant les répertoires mélodiques de leurs mondes sonores est d'une richesse émouvante. Les trois hommes ont vécu pratiquement à la même époque.
Ils ont été confrontés aux tragédies de leur temps et y ont répondu en s'engageant personnellement dans la recherche de trésors dont ils pressentaient la proche disparition. (suite).



Ce guide s’adresse aux musicologues, hymnologues, organistes, chefs de chœur, discophiles, mélomanes ainsi qu’aux théologiens et aux prédicateurs, soucieux de retourner aux sources des textes poétiques et des mélodies de chorals, si largement exploités par Jean-Sébastien Bach, afin de les situer dans leurs divers contextes historique, psychologique, religieux, sociologique et surtout théologique.
Il prend la suite de La Recherche hymnologique (Guides Musicologiques N°5), approche méthodologique de l’hymnologie se rattachant à la musicologie historique et à la théologie pratique dans une perspective pluridisciplinaire. Nul n’était mieux qualifié que James Lyon : sa vaste expérience lui a permis de réaliser cet ambitieux projet. Selon l’auteur : « Ce livre est un USUEL. Il n’a pas été conçu pour être lu d’un bout à l’autre, de façon systématique, mais pour être utilisé au gré des écoutes, des exécutions, des travaux exégétiques ou des cours d’histoire de la musique et d’hymnologie. » (suite)

Cet ouvrage regroupe pour la première fois les 43 chorals de Martin Luther accompagnés de leurs paraphrases françaises strophiques, vérifiées. Ces textes, enfin en accord avec les intentions de Luther, sont chantables sur les mélodies traditionnelles bien connues.
Aux hymnologues, musicologues, musiciens d'Eglise, chefs, chanteurs et organistes, ainsi qu'aux historiens de la musique, des mentalités, des sensibilités et des idées religieuses, il offrira, pour chaque choral ou cantique de Martin Luther, de solides commentaires et des renseignements précis sur les sources des textes et des mélodies : origine, poète, mélodiste, datation, ainsi que les emprunts, réemplois et créations au XVIè siècle... (suite)

Mozart aurait-il été heureux de disposer d'un Steinway de 2010 ? L'aurait-il préféré à ses pianofortes ? Et Chopin, entre un piano ro- mantique et un piano moderne, qu'aurait-il choisi ? Entre la puissance du piano d'aujourd'hui et les nuances perdues des pianos d'hier, où irait le cœur des uns et des autres ? Personne ne le saura jamais. Mais une chose est sûre : ni Mozart, ni les autres compositeurs du passé n'auraient composé leurs œuvres de la même façon si leur instrument avait été différent, s'il avait été celui d'aujourd'hui. Mais en quoi était-il si différent ? En quoi influence-t-il l'écriture du compositeur ? Le piano moderne standardisé, comporte-t-il les qualités de tous les pianos anciens ? Est-ce un bien ? Est-ce un mal ? Qui a raison, des tenants des uns et des tenants des autres ? Et est-ce que ces questions ont un sens ? Un voyage à travers les âges du piano, à travers ses qualités gagnées et perdues, à travers ses métamorphoses, voilà à quoi convie ce livre polémique conçu par un des fervents amoureux de cet instrument magique.

 

 
 

 

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PARUTION DU NUMÉRO

SPÉCIAL BAC 2015

 

 

PREVUE LE 15 SEPTEMBRE 2014

PRIX TTC : 19 euros

Contact : maite.poma@leducation-musicale.com

Tel : 01 53 10 08 18

Fax : 01 53 10 85 19

 

 

 

 

 

 

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