Lettre d'information

Lettre d'information - no 116 juillet 2017

La rédaction

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Sommaire

AGENDA

Les Spiriades, musique au bord de l'eau

Les Nuits de la Citadelle

Le Festival Debussy

Classique au Vert

Le Festival Bach en Combrailles

Les Rencontres musicales de Vézelay

Sinfonia en Périgord

Le Festival de Royaumont

ARTICLE DU MOIS

Le Cornette de Frank Martin : Lyrisme et épopée au travers d'une expérience humaine

ENTRETIEN

Portrait de Jean-Paul Gasparian

SPECTACLES

Un des plus beaux concerts de l’année clôture la saison à la Philharmonie de Paris

Reprise de La Bohème à l’Opéra de Rouen

Murray Perahia, les mains dans les étoiles

Au festival de Saint Michel en Thiérache

La Reine de Chypre (presque) redécouverte...

Phèdre, superbe, ardente et dépouillée

Un Timbre d'argent décidément onirique

Un spectacle totalement décomplexé : Viva la Mamma !

Ian Bostridge et Julius Drake au Musée d'Orsay

Les lauréats de la Fondation Royaumont à Orsay

LES PIANISSIMES au Café de la Danse

Bach et Berio inaugurent le Festival de Saint-Denis

Quand l'Ircam manifeste paisiblement à Pompidou

Le romantique et le contemporain se croisent sur un clavier

L’ÉDITION MUSICALE

CHANT  - ORGUE  - PIANO  - ACCORDEON  - VIOLON  - ALTO  - VIOLONCELLE  - FLÛTE  - CLARINETTE  - SAXOPHONE  - TROMBONE  - SAXHORN / EUPHONIUM / TUBA    - MUSIQUE DE CHAMBRE  

LIVRES & REVUES

Xavier  BISARO, Gisèle CLÉMENT, Fanch THORAVAL (dir.): La circulation de la musique et des musiciens d’église. France, XVIe-XVIIIe siècles.

Jean-Christophe BRANGER (éd.) : Jules MASSENET. Mes souvenirs et autres écrits

François JOLIAT, Angelika GÜSEWELL, Pascal TERRIEN : Les identités des professeurs de musique<

Éric CHAILLIER : La flûte enchantée, opéra merveilleux et multiple

Mélanie GUÉRIMAND, Muriel JOUBERT, Denis LE TOUZÉ (dir.) : Le duo violoncelle piano. Approches d’un genre.

Denise CLAISSE : Jacques Castérède, toute une vie en musique. Vie et œuvre du compositeur

Agnès de BRUNHOFF : Les coulisses de l’être déployé : de l’infini possible du corps allié à la pensée

René GERBER : Les exigences de l’art

Pierre-Henry FRANGNE, Hervé LACOMBE, Marianne MASSIN, Timothée PICARD (dir.) : La valeur de l’émotion musicale

Paul Greveillac : Cadence Secrète. La vie invisible d'Alfred Schnittke

CDs & DVDs

Filidh RUADH : A Trip to Glenfinnan

ZATAR. Terra aria

Otton Mieczyslaw ZUKOWSKI and his brothers : OPERA OMNIA RELIGIOSA 7 et 8

Samuel BARBER : The Lovers

Heinrich SCHWEIZER : Journey around the World

René de BOISDEFFRE : Works for flute and piano

WISSMER, WERNER, LESUR : Quatre Poèmes de Charles Cros

François COUPERIN : Leçons de Ténèbres – Messe pour orgue

« Les plus beaux chants de paix »

« BRAHMS & Friends, Vol. VI »

« Harmonie géorgienne »

« LUCTUS ZALOSC »

AMAZONIE, Contes sonores

Jean FROIDEVAUX : Le Tableau mystérieux de CHENG BO

Domenico SCARLATTI : Sonates (Volume 5)

Franz SCHUBERT : Schwanengesang. Klavierstücke D.946 n° 2

« À la russe ». RACHMANINOV. TCHAIKOVSKI. STRAVINSKY. BALAKIEV

Fernand de La TOMBELLE : Mélodies.

Marc MELLITS : Quatuors à cordes n° 3, 4, 5

Alessandro STRADELLA : Santa Pelagia.

« Stravaganza d'amore !» La naissance de l'opéra à la cour des Médicis

Joseph BODIN DE BOISMORTIER : Sonates et Trios

« Einsamkeit » Robert SCHUMANN

Gabriel FAURÉ : Mélodies

Serge PROKOFIEV : Sonates pour piano N° 2 , N° 6 & N° 8.

MUSIQUE & CINEMA

ENTRETIEN

Christophe Marejano : La musique de documentaire, c’est comme du papier peint !

CANNES SOUNDTRACK 2017

CDs MUSIQUE & CINEMA

IT COMES AT NIGHT  - VIRTUAL REVOLUTION  - LE BUREAU DES LEGENDES  - L’HOMME EN COLERE – UN PAPILLON SUR L’EPAULE  - LE HASARD ET LA VIOLENCE  - THE MUMMY  - WONDER WOMAN  - MY COUSIN RACHELE  - LE ROI ARTHUR  - THE CIRCLE  - SPIDER MAN HOMECOMING  - THE SUN ALSO RISES  -

LA VIE DE L'ÉDUCATION MUSICALE

AGENDA

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7 -14 juillet : Les Spiriades, musique au bord de l'eau


Le festival Les Spiriades, musique au bord de l’eau, fondé par Stéphane Spira dont le dernier CD a été publié en partenariat avec France Musique, se déroule la première quinzaine de juillet et fait jouer prioritairement de jeunes artistes, pianistes talentueux : Jan Hugo, le 7 (Liszt, Debussy, Alkan, Mendelssohn), Daniel Petrica Ciobanu, qui vient de remporter le 2ème Prix du Concours international Arthur Rubinstein, le 10 (Chopin, Medtner, Mousssorgsky), Célia Oneto-Bensaïd, le 12 (Haydn, Chopin, Schumann, Debussy, Dutilleux), et Alex Trolese, le 14 (Mozart, Chopin, Liszt, Debussy). Franz Schubert sera honoré en deux soirées : le 8 juillet, par un spectacle intitulé ''Notre vie avec Schubert'' où l'on entendra des Lieder, des pièces pour piano, interprétées par Stéphane Spira, et des textes lus par un comédien, puis le 9, lors d'un concert du Quatuor Arpeggione qui jouera le Quartettsatz et le quatuor « La Jeune fille et la mort ». Enfin, on s'embarquera pour une croisière fluviale, « Les chants du voyage », le 14 à 17H, durant laquelle Roberto de Brasov et ses amis interpréteront de la musique tzigane.

Église St Nicolas de La Frette-sur-Seine et Église St Martin d'Herblay, du 7 au 14 juillet.
Entrée gratuite, sauf les 8, 9 et 14(croisière) juillet.
Programme détaillé et Réservations : par tel.: 06 73 24 86 47 ;
en ligne : www.spiriades.com


19 juillet - 12 août : Les Nuits de la Citadelle


Théâtre de la Citadelle, Sisteron / DR L'un des festivals d'été les plus anciens de France, Les Nuits de la Citadelle de Sisteron, tire son originalité de son éclectisme, puisque né sous le signe du théâtre, il fait une large place à la musique, voire à la danse. Côté musique, on entendra un dialogue musical inédit entre Jean François Zygel et Hugues Leclère, intitulé «Bachmania », ou l'art d'improviser sur Bach (19/7, cloître Saint Dominique), puis l'Orchestre Symphonique Ose !, dirigé par Daniel Kawka, avec Alain Laloum qui jouera le Concerto pour piano de Schumann (29/7, Théâtre de la Citadelle), le Quatuor Modigliani dans le quatuor N° 12 ''américain'' de Dvořàk, celui de Debussy, et avec Till Fellner, le quintette avec piano de Brahms (2/8, St Dominique), l'Orchestre de Chambre de Genève sous la direction de Arie Van Beck dans un programme espagnol dont le concerto d'Aranjuez et la Fantaisie pour un Gentilhomme de Rodrigo joué par le guitariste Emmanuel Rossfelder (5/8, St Dominique), ou encore le Concerto Köln et la mezzo-soprano Vivica Genaux dans des airs d'opéras de Vivaldi (9/8, cathédrale).

La danse sera représentée par le Malandrain Ballet Biarritz, sur des chorégraphies de Thiérry Malandrain, inspirées de Nocturnes de Chopin, du Stabat Mater et de l'Estro Armonico de Vivaldi et de vieilles chansons françaises (22/7, Citadelle). Une soirée théâtre clôturera cette 62 ème édition avec « La Louve », une pièce de Damien Colas, inspirée par la passion pour les femmes de François d'Angoulême, futur François Ier (12/8, Citadelle).

Concerts & spectacles à 21H30.
Renseignements (www.nuitsdelacitadelle.fr) et réservations : Pavillon A.T.M., 1, Allée de Verdun, 04200 Sisteron ; par tel. : 04 92 61 06 00 ; Fax : 04 92 61 29 54 ; en ligne : contact@nuitsdelacitadelle.fr


27 – 30 juillet : Le Festival Debussy

Organisé par l'association Classique en Berry, le Festival Debussy, à Argenton-sur-Creuse, créé il y a 6 ans, est devenu au fil des ans l'un des grands rendez-vous de la région Centre-Val de Loire. Intitulée « Iberia »,l'édition 2017 se mettra donc à l'heure espagnole et fêtera cet attrait pour l'Espagne qu'ont eu les compositeurs des deux cotés de la chaîne des Pyrénées. Durant 4 jours, dans l'ancienne Halle, le festival accueillera les grands noms de la scène musicale : Natalie Dessay et Philippe Cassard, le celliste Xavier Phillips, Jean-François Heisser ou encore l'Orchestre régional de Cannes Provence-Alpes-Cote d'Azur sous la direction de Benjamin Levy, qui accompagnera le guitariste Thibaut Garcia.

Le festival Debussy, c'est aussi douze concerts gratuits sous forme de « tremplin » pour les jeunes talents et d'« interludes musicaux » chaque après midi (avec entre autres, le Trio Zadig ou la chanteuse Blandine Statkiewicz) dans les Jardins de la Grenouille, des causeries, des expositions et des balades. Et un repas champêtre organisé avant les concerts du soir, non sans rappeler l'ambiance estivale et impressionniste « du Déjeuner sur l'herbe ».

Renseignements et réservations : www.festivaldebussy.com Jean-Pierre Robert


5 août au 17 septembre : Classique au Vert

Comme chaque année, depuis 5 ans, les week end du mois d’août et du mois de septembre, au Parc Floral de Vincennes, la musique classique résonnera pour le plus grand plaisir d’un public populaire qui ne fréquente pas forcément les salles de concerts. Marianne Gaussiat et l’Agence Séquenza concoctent des programmes originaux et très accessibles, ce qui n’empêche pas d’entendre des compositeurs contemporains. Les orchestres et petites formations se succèderont et sont toujours de grandes qualités (Geneva Camerata, Quatuor Van Kuijk, Quatuor Hermès, Orchestre de Chambre de Paris, Orchestre de Chambre de Toulouse…). On retrouvera le jeune chef Marc Hajjar, habitué du Festival, avec un orchestre de jeunes musiciens, « Le Classique au Vert Orchestra ». Deux nouveautés pour cette 20 ème édition : l’accordéon est mis à l’honneur avec Félicien Brut ou Basha Slavinska, ainsi que deux « spectacles » avec conteur, pianiste, chanteuse. Les conteurs sont connus du public, deux personnalités de la télévision, Patrick Poivre d’Arvor, avec Jean-Philippe Collard, pour « La vie de Chopin », Alain Duault, et la mezzo Béatrice Uria Monzon, pour « La vie de Callas ». Concerts éclectiques, pour tous les goûts, dans un lieu magnifique, un des Festivals d'été sans prétention, pour faire aimer, découvrir, une musique si facilement abordable. Un vrai acte culturel si nécessaire !

Renseignements : https://classiqueauvert.paris.fr
Stéphane Loison


7 -12 août : Le Festival Bach en Combrailles

Le rendez-vous majeur de tous les passionnés du Cantor de Leipzig a lieu chaque été en Combrailles, à l'ouest du Puy-de-Dôme, entre Clermont-Ferrand et Aubusson, une aventure singulière pour célébrer Bach dans la France profonde de ses églises de village et singulièrement celle de Pontaumur. Cette nouvelle édition sera traversée par un « esprit français », autrement dit Bach et la France. Un hommage sera aussi rendu à cet autre géant que fut Telemann dont on fête cette année le 250 ème anniversaire de la naissance. L'espace de six jours, se succèderont des ensembles majeurs comme le Ricercar Consort de Philippe Pierlot pour un programme « Trauer-Ode » (7/8, 21H, Église de Pontaumur), L'Escadron Volant de la Reine, ensemble en résidence, autour de « regards croisés : Bach et Telemann, cantates et musiques instrumentales » ( 9/8, 21H, collégiale d'Herment), ou «  Bach et Charpentier », plus particulièrement le Te Deum de ce dernier (12/8, 21H, Église de Pontaumur), ou encore L'Armée des Romantiques sur le thème « Bach et les romantiques français », Gounod, Franck ou Saint-Saëns (11/8, 16 H, Église de Mérinchal). Une journée spéciale Jean-Luc Ho, artiste associé au festival, se déroulera le 10 août et en cinq séquences, avec conférence, audition d'orgue, récital de clavecin « Dresde 1717 », la commémoration imaginaire d'une « rencontre mystérieuse entre Bach et Marchand », des motets de Bach, Buxtehude, Charpentier et Telemann, interprétés par les ''Jean-Luc Ho & Friends'', enfin une nocturne, moment d'échanges entre le claveciniste et un facteur de clavecin. On entendra aussi l'Ensemble Les Timbres, viole de gambe, violon et clavecin, dans « Le choc des géants : Bach et Rameau » (8/8, 21H, Église de Montel de Gelat), et l'Orchestre d'Auvergne, dirigé par Guillaume Chilemme pour le concerto de violon de Mendelssohn, mis en regard avec des pièces de Telemann, Rameau et CPE. Bach (12/8, 16H, Théâtre de Châtel-Guyon).

Autres particularités de ce festival original, ses conférences de présentation (à 16H) du concert du soir, pas forcément dans la même lieu, mais aussi ses récitals d'orgue à 12H, ou encore ses nocturnes à 23H.

Renseignements (www.bachencombrailles.com) et réservations : Billetterie, Avenue Gordon Bennett, 63380 Pontaumur ; par tel : 04 73 79 91 10 ; en ligne :


24 au 27 août : Les Rencontres musicales de Vézelay

Parmi les artistes invités du millésime 2017 des Rencontres Musicales de Vezelay, on peut citer Damien Guillon et le Banquet Céleste qui interprèteront le Salve Regina de Pergolèse, le Nisi Dominus de Vivaldi et le Psaume 51 de Bach (25/8, 16H, collégiale St Lazare d'Avallon), ou l’Ensemble Aedes et les Petits chanteurs de Lyon qui donneront, entre autres ''Chants du soir'', une re-création des Vêpres à la Vierge de Philippe Hersant, crées à Notre Dame de Paris en 2014 (24/8, 21H, Basilique). L’Ensemble Arsys Bourgogne donnera Les Vêpres d’un confesseur de Mozart et deux psaumes de Mendelssohn, avec la soprano allemande Sibylla Rubens en soliste (26/8, 21H, Basilique). Mais aussi l'ensemble Mikrokosmos pour une ''Nuit dévoilée'' autour d'œuvres de Grieg, Poulenc et Monk (25/8, 21H, Basilique) ou encore Musica Nova pour célébrer « Martin Luther, 1517 », par des œuvres de Walter, Diedrich, Senfl, Desprez (26/8, 16H, Église Notre-Dame de Saint Père).
Tous concerts précédés de « mise en oreilles » par des musicologues et autres Petit-déjeuners en musique. En amont du festival se tiendront les Quotidiennes qui proposent chaque jour un peu de musique en deux programmes différents présentés par de jeunes ensembles professionnels en résidence à la Cité de la Voix pendant une semaine.

Renseignements (www.rencontresmusicalesdevezelay.com) et réservations : 4, rue de l'Hôpital, BP 4, 89450 Vézelay ; par tel.: 03 86 94 84 40 ; en ligne : billetterie@rencontresmusicalesdevezelay.com


26 août - 2 septembre : Sinfonia en Périgord

L'édition 2017 du festival Sinfonia en Périgord, désormais élargi à huit journées de concert, propose un programme aussi riche que diversifié. Ensemble en résidence, la Compagnie La Tempête offrira une soirée sur l'âge d'or de la polyphonie, sur les traces d'Erasme, de Desprez à Jannequin, de Taverner à Scelsi (30/8, 17H, Église de Sorges), mais aussi dans un programme - tout aussi spacialisé et chorégraphié - en hommage au 7 ème art, de Richard Strauss à Ligeti, d'Allegri à Prokofiev (1er/9, 21H, Église de la Cité, Périgueux). Aux confins du baroque et de la modernité, Les Folies Françoises croiseront des musiques de Vivaldi et de l'argentin Juan Marcos Antonio sur le thème des quatre saisons (29/8, 21H, même lieu). Bien sûr, la musique baroque sera au cœur des festivités avec des ensembles talentueux reconnus : Amarillis, de Telemann à Bach (27/8, 16H, Église de Coursac), l'ensemble Desmaret pour « Il pianto della madonna », avec la soprano Maïlys de Villoutreys, réunissant Barbara Strozzi, Luigi Rossi, Monteverdi, Kapsberger ou Caccini (28/8, 17H, Abbaye de la Chancelade), ou encore Les Surprises pour des « confidences sacrées » de musiciens français, Montéclair, Campra, Clérambault,... (30/8, 21H, Abbaye de Chancelade), Nevermind , un des plus brillants quatuors baroques, pour des pièces de Telemann, Bach, et Couperin (31/8, 17H, Église de Coulounieix-Chamiers), les Musiciens de Saint-Julien qui joueront des sonates pour flûte de Bach avec Daniel Lazarevitch (2/9, 15H, salons de la Préfecture, Périgueux).

Les jeunes talents seront comme toujours à l'honneur : le claveciniste Justin Taylor (récital le 27/8, 11H, Église de Razac sur l'Isle), l'ensemble Amorosa Caccia pour des musiques de la Renaissance (28/8, 15H, Église de Coursac), l'ensemble Il Caravaggio qui interprétera Lully, Francoeur, Rameau, Clérambault ou Campra (29/8, 15H, Église de Leguillac de l'Auche), la claveciniste Lillian Gordis qui jouera des sonates de Scarlatti (30/8, 15H, Église d'Antonne), Le Palais des Songes pour un programme intitulé « La Querelle du Mariage » ( 31/8, 15H, Église de la Chapelle-Gonaguet), la pianiste Amandine Habib (Ier/9, 15H, Église de Bassillac) ou encore le Comet Musicke Ensemble (2/9, 15H, Église de Champcevinel). Enfin deux grands concerts populaires ouvriront le festival (Le Messie de Haendel par l'ensemble Les Nouveaux Caractères et le chœur Accentus (26 août, à 21H, parc Gamenson Périgueux) et le clôtureront : une représentation de Don Quichotte chez la Duchesse, opéra ballet de Bodin de Boismortier, mis en scène par Shirley et Dino, avec entre autres protagonistes et chef d'orchestre Hervé Niquet, et Le Concert Spirituel, pour un délire garanti (2/9, 21H, théâtre L'Odyssée, Périgueux). v

Renseignements (www.clap-perigueux.com) et réservations ; CLAP, 11 place du Coderc, 24000 Périgueux ; par tel.: 05 53 08 69 81; en ligne : www.sinfonia-en-perigord.com


2 septembre – 8 octobre : Le Festival de Royaumont

© Yann Monel Dans cette période particulière qu'est la fin des festivals d'été et le début de saison, le Festival de Royaumont impose sa spécificité. Pas de thématique unique cette année mais le pari de la diversité et de l'éclectisme. Un souci de décloisonnement aussi, qui fait qu'on circule d'un genre à l'autre dans un esprit de découverte et de curiosité, toujours aux aguets. Répertoire et création, le programme des 35 concerts et spectacles est tout en contrastes. Il fait la part belle aux révélations de la jeune génération avec les lauréats de la Fondation qui côtoieront leurs aînés, pour beaucoup issus des mêmes rangs. L'espace de six weekend, l'abbaye de Royaumont résonnera des musiques les plus diverses, au fil de quelques mottos fédérateurs des divers programmes de cette édition .
Le programme « Voix et unité scénique » , les 23 et 24 septembre, alignera une constellation de chanteurs autour de Mallarmé, Baudelaire, Mörike, Appolinaire, de Vilmorin, pour des Lieder et mélodies de Hugo Wolf, Debussy et Poulenc ; ou un bouquet de Lieder de Berg, Pfitzner, Schubert. On entendra aussi, autour du thème «  Vienne éternelle, aube et crépuscule », des Lieder de Mahler, Berg et Richard Strauss, ou encore la Symphonie lyrique de Zemlinsky aux côtés de pages orchestrales de Mahler et Wagner, par le Secession Orchestra qui inaugurera sa résidence in loco, succédant à l'ensemble Pygmalion. A noter qu'aura lieu une exposition Zemlinsky en coproduction avec le Bibliothèque Mahler de Paris et l'IHESS. Le programme « claviers », le dernier né, où l'on insiste sur la formation, proposera les artistes en résidence dont le claveciniste Bertrand Cuiller qui de son instrument et à la direction jouera avec son ensemble Le Caravansérail les Concertos Brandebourgeois de Bach. « Un Après-midi chez le Baron van Swieten » réunira la violoniste Amandine Beyer et son ensemble Gli Incogniti et le pianiste Alexei Lubimov pour des œuvres de Haydn, CPE. Bach et François-Xavier Richter (30/9). Un focus sur les pianos historiques, le 1er octobre, sera l'occasion d'un concert « Paris-Londres : nouvelles capitales du piano ? », et d' œuvres de Clementi, Bomtempo, Dusek, de Mongeroult et Beethoven ; outre un programme « Chopin, le chant du violoncelle » par Fernando Caida Greco, cello et Edoardo Torbianelli, pianiste en résidence.
Le transculturel sera au centre du premier week end, les 2 et 3 septembre, avec des créations de Amir ElSaffar, artiste en résidence, de Jen Shyu et de Marc Namour. On entendra encore des «  Sonances et danses du Cameroun » par Magic Malik. Le week end suivant, « Éclats », proposera plusieurs prestations de l'ensemble Multilatérale : un concert-promenade ''Drame au jardin'', puis deux concerts de l'Académie Voix nouvelles, un programme autour de Rothko Chapel de Morton Feldman, avec aussi des pièces de Steven Stucky et de Steve Reich. Le Quatuor Tana jouera Bartòk, Alex Mincek, Yann Robin et Edwin Hiller. Le week end danse, les 16 & 17 septembre, durant les Journées du patrimoine, se jouera dans une « Abbaye en mouvement », à l'intérieur comme à l'extérieur, sur cinq propositions chorégraphiques originales réinventant la magie des lieux du monument. Enfin le dernier week end, les 7 & 8 octobre, offrira aussi bien une version de concert de La Morte d'Orfeo de Stefano Landi par les Talens Lyriques et Christophe Rousset, qu'un programme « Nuit et mystère », autour de pièces vocales de Tallis à Poulenc, de Luis de Victoria à Brahms, de Purcell à Taverner, par l'Ensemble Cosmos. Le lendemain, journée orgue avec l'Achéron ou Louis-Noël Bestion de Camboulas.

Renseignements (info@royaumont.com) et réservations: billetterie sur place, Abbaye de Royaumont, 95270 Asnières-sur-Oise ; par tel. : 01 30 35 58 00 ; en ligne : www.royaumont.com Jean-Pierre Robert


ARTICLE DU MOIS

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Le Cornette de Frank Martin : Lyrisme et épopée au travers d’une expérience humaine par Jean-Jacques Velly


Le Cornette – ou plus exactement Die Weise von Liebe und Tod des Cornets Christoph Rilke (Le Chant de l’amour et de la mort du cornette Christophe Rilke) – est une œuvre pour contralto et orchestre de chambre du compositeur suisse Frank Martin, d’après un poème en prose de Rainer Maria Rilke écrit en 1899, alors que le poète n’avait que 24 ans. Malgré le caractère particulier de ce texte poétique – qui fut l’un des premiers grands succès de Rilke lors de sa parution en 1912 aux Éditions Insel-Bücherei1 – ce texte narratif proche de l’épopée a très tôt inspiré, sous différentes formes, plusieurs compositeurs, bien avant la découverte et la mise en musique qu’en fit Frank Martin en 1942-1943. Ainsi, dès 1919, le compositeur danois Paul von Klenau écrivit sur le texte de Rilke une cantate pour baryton, chœur et orchestre (Die Weise von Liebe und Tod des Kornetts Christoph Rilke)2 tandis que Kurt Weill composait un poème symphonique aujourd’hui perdu, mais interprété à Berlin en mars 1919, et que Will Eisenmann en réalisait en 1931 une œuvre pour récitant, chœur et orchestre. Après la version de Frank Martin conçue au milieu de la Seconde Guerre mondiale, d’autres compositeurs utilisèrent à leur tour le texte de Rilke, notamment Viktor Ullmann en 1944 dans une double version pour récitant et orchestre ou piano3, Henri Sauguet en 1951 qui, sous le titre Le cornette, en fit une ballade pour basse et orchestre4, ou encore le compositeur allemand Siegfried Matthus qui écrivit en 1983-1984, sous son titre original, un opéra5 à partir du texte de Rilke. Bien que possédant une double culture, française et allemande, Frank Martin ne découvrit cependant ce texte que tardivement, grâce à sa femme Maria, qui le lui lut en 1942.

Frank Martin / DR Un compositeur à la double culture franco-germanique

Né en en 1890 à Genève, Frank Martin est assurément avec Arthur Honegger l’un des compositeurs suisses les plus importants du XXe siècle. Parallèlement à des études scientifiques à l’Université, il étudia la musique avant de se rendre pendant plusieurs mois, dans les années 1920, dans diverses villes d’Europe (notamment Paris), où il put s’ouvrir à la musique de son temps. Il fonda en 1926 la Société de musique de chambre de Genève et s’intéressa de près aux recherches rythmiques développées à cette époque par Émile Jaques-Dalcroze, enseignant pendant une dizaine d’années dans son institut, jusqu’en 1938. Il mena également une activité d’enseignant au conservatoire de Genève tout en prenant la direction du Technicum moderne de musique. À partir de 1946, Frank Martin s’établit à Naarden, près d’Amsterdam aux Pays-Bas, pays natal de sa troisième épouse, Maria6. Dans les années 1950, il enseigna plusieurs années à la Hochschule für Musik de Cologne, où il eut notamment pour élève Karlheinz Stockhausen. Frank Martin mourut en 1974 à Naarden, laissant une œuvre importante à la fois symphonique (Petite symphonie concertante), instrumentale (quatuor à cordes, plusieurs concertos pour piano, violon, violoncelle ou clavecin), vocale (cantate Le vin herbé) et chorale (Messe pour double chœur a cappella, les oratorios Et in terra pax et Golgotha…). Il est également l’auteur d’un Requiem et d’un opéra en 1955, Der Sturm, d'après La tempête de Shakespeare. Bien qu’appartenant à un milieu suisse francophone, fils d’un pasteur protestant, Frank Martin fut élevé dans une culture plutôt germanique en raison de la méfiance qu’entretenait sa famille envers la culture française : « Mes parents avaient, je ne sais pourquoi, une sorte de réticence vis-à-vis de la littérature française et s’étaient orientés vers l’Allemagne… De la sorte, la France n’a pas joué dans mon enfance un très grand rôle, si j’excepte la chanson française »7. Par la suite, la découverte de Ravel et de Debussy exerça sur lui une impression profonde dans les domaines harmonique et rythmique, mais aussi dans son approche de la prosodie. Ce n’est qu’en 1942 que Frank Martin prit connaissance du Cornette de Rilke dans sa version originale allemande grâce à son épouse qui connaissait presque par cœur le texte en prose du poète. En effet, Maria Martin, qui avait découvert ce texte lors de ses années d’études, en avait gardé une admiration particulière. Elle était alors en possession d’une version de l’édition originale de 1912, qu’elle conservait précieusement, et c’est sur ce petit livre en édition de poche Insel-Bücherei qu’elle lut le texte à son mari8. Celui-ci fut immédiatement marqué par la puissance expressive du texte poétique et sa grandeur épique, mais il resta quelques temps convaincu qu’il ne pourrait en aucun cas le mettre en musique, d’autant plus qu’il cherchait à l’époque à écrire un simple recueil de Lieder et non pas se lancer dans une œuvre dramatique de longue haleine.

La découverte du Cornette

Écrit par Rilke en une nuit en 1899 – après avoir trouvé chez son oncle Jaroslav des informations concernant Christoph Rilke, que le poète pensait par erreur être un de ses ancêtres – Le Chant de l’amour et de la mort du cornette Christoph Rilke retrace en quelques pages les derniers moments d’un cornette (jeune soldat noble portant à cheval l’étendard d’un régiment) lors d’une bataille de l’armée impériale autrichienne contre les Turcs en 1663. Composé de 27 textes brefs, le poème, divisé en trois parties, évoque tour à tour et avec une étonnante progression dramatique la vie militaire rude et sévère dans un bivouac, la découverte de l’amour auprès de la comtesse d’un château où la troupe avait pris ses quartiers, et la mort, au petit matin, lors d’une attaque surprise menée par les ennemis turcs. Âgé de 18 ans, Christoph Rilke von Languenau fait ainsi en quelques heures une expérience humaine intense dans le contexte dramatique fort d’une campagne militaire où la vie, l’amour et la mort sont étroitement liées. Ce texte, peut-être inspiré des Nouvelles de guerre de Detlev von Liliencron, n’est pas sans évoquer également les atmosphères lourdes et tragiques de certains poèmes à connotation militaire de Des Knaben Wunderhorn mis en musique par Gustav Mahler (Tamburg’sell ou Revelge).
Maria & Frank Martin / DR Les conditions de composition du Cornette par Frank Martin sont bien connues car elles ont été rapportées par le compositeur lui-même et par sa veuve Maria, en quelque sorte à l’origine du projet. Sortant de la composition de sa cantate Le Vin herbé (1938-1941), conçue d’après le texte de Joseph Bédier sur Tristan et Yseut, Frank Martin désirait écrire un cycle de mélodies, mais il avait le sentiment que ses prédécesseurs (Debussy, Ravel, Duparc…) avaient déjà utilisé tous les beaux textes de la poésie française. C’est alors que sa femme évoqua le poème en prose de Rilke et le lui lut. « Frank fut fasciné mais dit d’emblée que ce texte posait trop de problèmes, d’abord parce qu’il était trop long pour un cycle de Lieder – en fait ce n’était pas des poèmes mais une épopée composée de 25 petits épisodes – et ensuite parce que l’allemand n’étant pas sa langue maternelle, il craignait de ne pas réussir à restituer la déclamation naturelle de la langue parlée, avec toutes les finesses qui en font le charme, ce qui avait pour lui une importance énorme »9.
Le texte de Rilke commença cependant à agir sur Frank Martin, mais deux obstacles majeurs éveillaient en lui de prudentes réticences, celui de la langue originale et celui de l’organisation musicale de cette œuvre complète en soi. Le premier lui semblait nettement insurmontable car Le Cornette, texte peu connu du public français, était « quasi intraduisible » et souvent défiguré par les traductions10. Par ailleurs, l’allemand n’étant pas sa langue maternelle, Frank Martin ne se sentait pas préparé pour « retrouver dans la composition vocale, la forme et l’expression exactes du langage »11 qui sont à la base de son esthétique vocale. Ce premier problème fut résolu par une collaboration intense et précise avec sa femme Maria qui, bien que d’origine néerlandaise, possédait une maîtrise de l’allemand telle que cette langue semblait être pour elle une seconde langue maternelle. C’est ainsi que « nous avons bien souvent discuté et fixé ensemble l’importance, la durée et la hauteur relative des diverses syllabes de ce texte, comme aussi les nuances d’expression toujours fines, souvent complexes et fugitives qui font le charme de Rilke »12. Pour Maria Martin ce fut une intense période de collaboration où elle fut pleinement impliquée dans une sorte de complicité compositionnelle : « Je lui lisais et relisais chaque passage jusqu’à ce que la déclamation naturelle et poétique soit suffisamment ancrée en lui pour pouvoir la reproduire dans sa composition. Il me montrait tout ce qu’il faisait au fur et à mesure et nous apportions parfois encore des améliorations en cherchant ensemble »13.
Le second problème, celui de l’organisation musicale, provenait de la forme même du poème en prose de Rilke. Frank Martin considérait comme « une épopée » ce récit bref et soutenu où les tableaux s’enchaînent avec rapidité au travers de la narration des événements, ce qui soulevait plusieurs obstacles à sa mise en musique. Comment était-il possible de traiter ce long texte par rapport aux habitudes d’un cycle de mélodies ? Comment rendre les petits tableaux qui constituent de manière continue la trame de cette aventure militaire, amoureuse et initiatique ayant tout l’air d’une fresque poétique « tout en nuances, jusque dans la rudesse des peintures guerrières »14 ? Tout ceci était bien éloignée de « l’exposé lyrique de l’évolution d’un sentiment, ce qui semble la base littéraire nécessaire d’un cycle de Lieder »15. Délaissant son projet initial de cycle de Lieder, Frank Martin pensa que « le sujet semblait exclure l’usage du chœur »16, et il envisagea alors pour cette série de courtes sections en prose une déclamation destinée à la couleur sombre d’une voix de contralto accompagnée par un orchestre de chambre, voix qui tient à la fois le rôle de narrateur mais aussi d’acteur de l’action. En reprenant son idée première pour voix seule, Frank Martin assurait non seulement le maintien de l’unité musicale, mais il conservait aussi « à l’œuvre de Rilke le caractère d’un récit, d’une chanson de geste par un trouvère, en évitant le sentiment dramatique que provoque toujours le dialogue de plusieurs voix »17. Sa décision fut encouragée à ce moment par la rencontre d’Elisabeth Gehri, une jeune cantatrice à la voix d’alto souple et étendue, et par les encouragements de Paul Sacher, qui s’engagea à commander l’œuvre pour une création avec son ensemble de chambre18 à Bâle. C’est ainsi que Le Cornette fut finalement écrit en 1942-1943 pour voix de contralto et un petit orchestre composé de cordes enrichi de vents, piano, harpe et percussions.
Fresque guerrière conçue pendant la guerre, cette œuvre n’en est pourtant pas le reflet immédiat. Ayant été elle-même à l’origine et au cœur de la création de l’œuvre, Maria Martin affirmait que le choix du texte et son traitement musical n’étaient en aucun cas liés à la situation de l’Europe en guerre en 1942, et qu’il n’y avait aucune allusion à y rechercher, pas plus qu’une quelconque valorisation de la « mort héroïque » car le cornette meurt sans qu’il ait vraiment conscience de la situation dans laquelle il se trouve19.
Dans sa mise en musique du Cornette, Frank Martin n’a finalement retenu que 23 sections sur les 27 que compte le texte de Rilke, auxquelles il a ajouté des sous-titres afin de créer une trame explicite. Sur le plan musical, il traite ces sections à la manière d’images vivantes et expressives, procédant souvent par allusion plus que par narration, et en ayant recours à la diversité de son écriture stylistique, tonale, modale ou dodécaphonique. Pour renforcer le lien étroit existant entre le texte et la musique, et rester aussi fidèle que possible aux inflexions poétiques du texte original, Frank Martin a « cherché pour chaque tableau une forme musicale aussi adéquate que possible à sa forme littéraire. [Il a] cherché aussi à conserver le caractère propre à chaque fragment, qu’il soit simple récit, description, explosion lyrique ou approfondissement tout intérieur des sentiments »20. L’ensemble se caractérise par une juxtaposition des atmosphères, des oppositions de caractères, mais sans aucun esprit de construction cyclique. Tentant une synthèse entre le lied et la continuité dramatique, Frank Martin exploite toutes les ressources de son style pour créer d’étonnants contrastes entre les descriptions de courses à cheval, l’atmosphère lourde des bivouacs de soldats ou les heures passées à rêver. Avec un soin particulier, il suit toutes les nuances du poème pour créer des images alertes et colorées autour de la déclamation du texte, qui reste à tout moment souple et syllabique. À une seule reprise, la musique prend véritablement le pas sur le texte chanté lorsque les soldats se lancent dans une danse frénétique pendant la fête au château.
Diverses influences musicales sont notables, celles de Debussy, de Ravel, mais aussi de Schoenberg, aussi bien dans le chromatisme des lignes que dans l’emploi, à quelques reprises de traits dodécaphoniques, de tournures modales ou d’éléments de tonalité car, dans Le Cornette, Frank Martin juxtapose les styles d’écriture différents, et la variété de ces styles souligne et renforce la variété des images peintes par le compositeur. D’une certaine manière, dans cette œuvre de longue durée au souffle épique, le compositeur a cherché à éviter tout effet de monotonie au profit d’une constante recherche d’effets sonores et timbriques.

Poème de Rainer Maria Rilke aux Éditions Insel-Bücherei Synopsis

L’intrigue peut se scinder en trois parties d’égale longueur faisant se succéder certains événements de la vie militaire (1-10), la découverte de l’amour par le jeune homme (11-18) et son ultime combat le menant à la mort (19-23).
En 1663, le cornette Christoph Rilke von Languenau participe à la lutte contre les envahisseurs turcs en Hongrie. Chevauchant sans relâche, et recru de fatigue, il se lie avec un marquis français avec qui il partage les moments de repos dans l’atmosphère rude des bivouacs. Il repense à sa mère et aux vieilles chansons d’autrefois. Au moment de la séparation, le marquis donne à Languenau un pétale de rose censé le protéger comme un talisman. Puis le cornette apporte un message au général Spork, avant de rejoindre le campement. Là, il écrit une lettre à sa mère lui disant sa fierté d’être cornette, et il la place dans son habit à côté du pétale de rose.
(11-18) La guerre fait rage. Avec les troupes, Languenau est accueilli dans un château pour y prendre un peu de repos. Moment de détente salutaire qui lui permet finalement de retrouver quelques instants sa vie d’avant, lorsqu’il n’était pas soldat. Une grande fête permet d’oublier les affres de la guerre et de retrouver les joies terrestres. Dans la nuit, l’ivresse et le rêve, il s’éprend d’une comtesse avec qui il passe la nuit dans une tour isolée.
(19-23) Pendant la nuit, le château est attaqué par les Turcs et brûlé. Afin de sauver le drapeau et venir soutenir les troupes déjà éprouvées, il quitte précipitamment la chambre et se rend sur les lieux du combat. Resté seul au milieu des combattants ennemis, avec son drapeau en flamme, il tombe sous leurs coups. Plus tard, un message apporte sa dernière lettre à sa mère.

Du poème à la musique

Le début du Cornette est d’une incroyable efficacité dramatique, à l’opposé totale de l’Erlkönig de Schubert, qui partage la même idée de chevauchée haletante et sans fin dans un milieu hostile. Alors que Schubert avait consciencieusement marqué le mouvement de la chevauchée infernale par un martèlement rythmique soutenu, Frank Martin fait débuter le premier numéro (1/Chevaucher) à trois reprises par la voix grave de contralto qui s’élève lentement et progressivement pendant 13 longues mesures chantées a cappella à partir des tréfonds de la voix, au travers d’une ligne sinueuse presque entièrement dodécaphonique traduisant la lassitude, la fatigue et le côté déjà absurde de cette situation.



Ex. 1 : n°1 Reiten Cette atmosphère lourde et pesante est renforcée par l’ajout de couleurs instrumentales lugubres. Le retour de la voix solo pendant 9 mesures rend encore plus sensible l’idée de cette campagne militaire interminable, commencée il y a bien longtemps déjà. Les nombreux glissements chromatiques rappellent Schoenberg, que Frank Martin admirait particulièrement. Par contraste, la description du « petit marquis » français (2/Le petit marquis) est plus vive, lancée par des accents aux vents. Alternant les élans et la profondeur déclamatoire, Der kleine Marquis se caractérise aussi par une écriture tonale et, à la fin, par des changements de métrique à chaque mesure traduisant le trouble suscité par l’évocation de la mère. Dans une longue introduction aux cordes, la présence de la mère (3/Quelqu’un parle de sa mère) s’impose comme une obsession par le retour rassurant et incessant d’une phrase dodécaphonique à l’alto, qui fait office de solo tout au long du mouvement, parfois prolongé par un violoncelle. La douceur du souvenir est renforcée par une écriture aux cordes divisées, qui atteignent onze parties. La scène du bivouac (4/Bivouac), avec ses longues tenues aux instruments graves, souligne le caractère d’attente épuisée où se retrouvent les soldats. La voix chantée déclame son texte avec une impressionnante clarté. À la fin, tel un choral soutenu par les cuivres, un vieux chant triste et nostalgique est entonné avec solennité. Le côté martial et violent de l’armée (5/L’armée) contraste soudainement avec la douleur lancinante de la séparation d’avec le marquis. Mais la réalité de la guerre reprend le dessus lorsqu’un cor lance un appel au rassemblement. La chevauchée chaotique reprend sur un continuum chromatique aux cordes avec de violentes syncopes (6/Un jour dans le train d’armée). La brutalité de l’action trouve son écho dans une écriture âpre et débridée dont le point culminant est un passage purement instrumental chargé de dissonances et de martellements percussifs. Avec sa déclamation a cappella, la dernière phrase glisse vers le grave avec une dynamique en suspension.
La pièce suivante (7/Spork), celle de la confrontation de Languenau avec le comte Spork, se présente comme une déclamation quasi parlando placée sur des ostinatos rythmiques incantatoires. La voix articule clairement les bribes du dialogue, parfois sans accompagnement, tandis qu’un puissant crescendo mène à l’articulation finale, sobre mais prenante. Avec Der Schrei (8/Le cri), Frank Martin nous entraîne dans une nuit de Walpurgis théâtrale où des images irréelles et hallucinées sont traitées à la manière du Schoenberg d’Ewartung. La violence des images est rendue par la rudesse et l’âpreté d’une écriture instrumentale dominée par la division des cordes et une obsédante écrituredodécaphonique à laquelle participe également la voix chantée.


Ex. 2 : n° 8 Der Schrei Sur des tenues de cordes graves, Languenau écrit alors une dernière lettre à sa mère (9/La lettre), déclamée recto-tono, et dans laquelle, gravement, il exprime sa fierté d’être cornette. La musique s’éclaire lorsqu’il place la lettre dans son habit, près du pétale de rose donné par le marquis. L’anticipation d’une mort prochaine au combat se fait par la voix de contralto a cappella, à laquelle répond un postlude agité aux cordes.
Commencé par la reprise d’une course désespérée (avec ostinatos, trémolos et pizzicati) à travers des paysages désolés où règne la mort, le fragment suivant (10/Le château) s’achève dans les fanfares étincelantes qui accueillent les soldats au château. Dans ce bref épisode, Frank Martin réalise une musique à larges effets. Puis, la musique se relâche un peu dans la pièce suivante (11/Repos) pour laisser place à un repos mérité, avec les plaisirs retrouvés de la vie civile lorsque Languenau a déposé ses habits de soldat. Le crescendo final, qui s’enchaîne à la fête au château (12/La fête), prépare à l’atmosphère de ce moment de libération totale. Musique de fête brillante et chatoyante soutenue par les forts accents d’une valse à l’orchestration ravélienne. Valse dérisoire, cependant, avec ses effets, ses notes répétées, ses ruptures de rythmes, son registre suraigu et ses violentes explosions sonores. Cette danse longue de 110 mesures est l’unique plage d’envergure destinée à l’orchestre seul dans Le Cornette. Symboliquement, elle est placée au centre de l’œuvre, comme s’il y avait une césure musicale entre la vie militaire, lente, rude et répétitive, et son apothéose rapide dans l’urgence du combat final et de la mort. La fête bat cependant son plein et, loin des armes, tout porte au rêve et à la sensualité (13/Un seul s’étonne). Sinueuse, la mélodie chantée monte peu à peu vers une expression plus lyrique, partageant même une sorte de contrechant avec un violoncelle solo, tandis que l’accompagnement instrumental, fait d’ostinatos rythmiques sur des notes répétées aux cordes, laisse place à la sonorité des vents, et notamment à la trompette. Malgré tout cet éclat, Languenau est bien éveillé dans la nuit sombre et il ressent la honte de ne pas être à son poste, en armes. Les lignes instrumentales (cordes divisées, puis célesta) collent lourdement à la mélodie chromatique désincarnée, avant que les cuivres et timbales ne soulignent le désir intime de Languenau d’être à sa vraie place au combat ! L’orchestre s’efface lors de la rencontre avec la comtesse et pendant le dialogue qui s’ensuit (14/Es-tu la nuit ?). Le mystère de l’amour envahit alors Languenau et le désarme face à la conquête dont il est l’objet. Le célesta et les cordes divisées dans l’aigu traduisent cet envoutement dont les conséquences seront funestes (15/Oublierais-tu…). La scène d’amour, dans une chambre du donjon (16/Dans le donjon), est prétexte à une splendide progression musicale. Partie d’une déclamation hésitante soutenue par quelques tenues de vents puis de cordes, traduisant le trouble et le désarroi du jeune homme devant l’inconnue, l’accompagnement s’étoffe peu à peu et connaît une expansion lyrique évoquant certains traits de… Turandot !
La pièce suivante (17/Dans le vestibule) est le lieu du contraste entre la description du vestibule intérieur où sont éparpillés les habits et les attributs du cornette, et la nuit extérieure, noire et tempétueuse. Musicalement, la claire diction du texte sur fond de cordes graves se transforme en une péroraison hâtive et agitée. Dans la nuit sombre, l’angoisse monte (18/Une fenêtre ouverte ?), traduite par la déclamation vocale a cappella, puis par le soutien désincarné de quelques notes à la harpe solo.


Ex. 3 : n° 18 War ein Fenster offen  À l’aube, changement d’ambiance, le réveil est violent car tout est en feu (19/Serait-ce l’aube ?). La confusion qui s’installe au château est rendue par un orchestre vif et dynamique dont les traits accélérés et les notes répétées traduisent l’agitation soudaine. Avec une insistance renouvelée, on appelle à plusieurs reprises le cornette afin qu’il rejoigne son poste (20/Mais l’enseigne est absente). L’urgence se manifeste par l’alternance de la voix de contralto montant progressivement vers l’aigu et les roulements de tambour. Porteur de son drapeau en feu, le cornette part hâtivement au combat (21/Le drapeau). L’orchestre déploie des traits chromatiques traduisant l’errance du soldat ne sachant trop où aller. L’accélération de tempo et les notes répétées renforcent les effets orchestraux liés à l’urgence de la situation. Un roulement de tambour, puis d’effrayantes tenues de vents semblent suspendre le temps pendant lequel Languenau, seul au milieu de l’ennemi, croit revoir de rassurantes images. Un crescendo sonore et lumineux prend place pour marquer l’éclair scintillant des seize cimeterres qui s’abattent sur lui sous le rire des assaillants (22/La mort). Au printemps, un messager apporte une lettre – sa dernière lettre – à une vieille dame en pleurs (23/Au printemps suivant). Déclamation retenue, accompagnement atone… la musique s’éteint tristement. Suite à son travail compositionnel sur Le Cornette, Frank Martin s’est peu après, en 1943-1944, attelé à une nouvelle composition vocale bâtie également sur un texte allemand. Il s’agit des Sechs Monologe aus Jedermann (Six Monologues de Jedermann) d’après Hofmannsthal, dont une version avec orchestre date de 1949. C’est assurément l’une des œuvres les plus populaires de Frank Martin, régulièrement jouée au Festival de Salzbourg. Il ne fait pas de doute que l’expérience du Cornette a été décisive sur la réalisation des Six Monologues de Jedermann.


1Reiten3/4Lentoclarinette, basson, 2 harpes, piano, cordes
2Der kleine MarquisCAllegrettoflûte, hautbois, basson, 2 cors, trompette, harpe, piano, cordes
3Jemand erzält von seiner Mutter3/4Andante con motopiano, cordes
4WachtfeuercAdagioTutti (sauf percussions)
5Das Heer3/4Allegro vivaceTutti
6Ein Tag durch den Tross3/4Allegro moltoTutti
7Spork3/4Molto largoTutti (sauf hautbois)
8Der Schrei6/4Andante con motoTutti
9Der BriefCAndante tranquilloAltos, violoncelles, contrebasses
10Das SchlossCAndanteTutti
11RastCTranquilloTutti
12Das Fest2/4AllegroTutti
13Und einer steht…6/8Molto tranquilloFlûtes, basson, trombone, trompette, cor, piano, cordes
14Bist Du die Nacht?CAndante con motoCor, trompette, harpe, célesta, cordes, timbales
15Hast Du vergessen?CLentoCor anglais, cor, piano, célesta, cordes
16Die Turmstube3/4Con motoTutti
17Im VorsaalCAndanteCor anglais, clarinette, saxophone, basson, timbales, cordes
18War ein Fenster offen?3/4Agitatoharpe
19Ist das der Morgen?CAllegro moltotutti
20Aber die Fahne ist nicht dabei2/2Piu allegroClarinette, saxophone, basson, 2 cors, trompette, trombone, tambour, piano, cordes
21Die Fahne6/4Molto allegroTutti
22Der TodCLentoTutti
23Im nächsten Frühjahr3/4AndanteClarinette, basson, harpe, piano, timbales, cordes


1. 200 000 exemplaires vendus du vivant de Rilke, et plus d’un million en 2006, pour le centenaire de la version révisée que Rilke avait réalisée en 1906, avant son édition chez Insel-Bücherei en 1912.z
2. Klenau en dirigea la création à Vienne en 1924 au Wiener Konzerthausgesellschaft.
3. Il s’agit de la dernière œuvre de Viktor Ullmann, inachevée, composée au camp de concentration de Theresienstadt sous le titre Zwölf Stücke aus der Dichtung Rainer Maria Rilkes für Sprecher und Orchester (1944). Une version révisée et complétée a été réalisée en 1994 par Bernhard Wulff.
4. Création à Bruxelles le 5 décembre 1951 par Doda Conrad (basse) et le Grand Orchestre Symphonique de l'Institut national de radiodiffusion de Belgique dirigé par Franz André.
5. Die Weise von Liebe und Tod des Cornets Christoph Rilke, Ein Opernvision nach Rainer Maria Rilke (1983-1984). Texte du compositeur. Création : Semper Opera, Dresde, 1985.
6. Il s’agit de Maria Boeke, épousée en novembre 1940.
7. Frank Martin et Jean-Claude Piguet, Entretiens sur la musique, Neuchâtel, À la Baconnière, 1967, p. 108.
8. En 1995, lors de l’enregistrement du Cornette pour Philips Classics (442 535-2), Maria Martin présenta au Département éditorial ce petit livre qu’elle conservait précieusement depuis plus de soixante ans.
9. Maria Martin, Souvenirs de ma vie avec Frank Martin, Lausanne, L’Âge d’homme, 1990, p. 73. Il y a en fait vingt-sept épisodes dans le texte de Rilke.
10. À propos de … Commentaires de Frank Martin sur ses œuvres, publiés par Maria Martin, Neuchâtel, À la Baconnière, 1984, p. 49.
11. Ibid., p. 49.
12. Ibid., p. 50.
13. Maria Martin, Souvenirs de ma vie avec Frank Martin, p. 74.
14. À propos de … Commentaires de Frank Martin sur ses œuvres, p. 49.
15. Ibid., p. 49.
16. Ibid., p. 52.
17. Ibid., p. 52.
18. La création eut lieu à Bâle sous la direction de Paul Sacher le 9 février 1945 à la tête de l’Orchestre de chambre de Bâle. Élisabeth Gehri, atteinte d’une double tuberculose, fut finalement remplacée par Elsa Calveri.
19. Maria Martin, texte de présentation de l’enregistrement Frank Martin, Die Weise von Liebe und Tod des Cornets Christoph Rilke, Philips, n° 442 535-2, 1995, avec Jard van Nes et le Nieuw Sinfonietta Amsterdam, dirigé par Reinbert de Leeuw.
20. À propos de … Commentaires de Frank Martin sur ses œuvres, p. 50.

ENTRETIEN

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Portrait de Jean-Paul Gasparian

A vingt et un ans, une carrière prometteuse dans divers domaines… Portrait de famille :

© Jean-Baptiste Milot J’ai commencé le piano à six ans, comme la plupart de mes collègues. Certains commencent plus tôt, mais je pense que six ans est un âge raisonnable, si je puis dire. J’étais baigné dans la musique depuis mon plus jeune âge puisque mes deux parents sont pianistes. À cette époque, mon père, Gérard Gasparian, composait beaucoup, il était dans une période de création féconde (œuvres pour piano, flûte, violon, chant) et donnait bien sûr des concerts. Il enseignait un peu mais ça n’a jamais été sa passion principale, au contraire de ma mère, Branka Balevic-Gasparian, pianiste aussi mais qui a consacré l’essentiel de son activité à l’enseignement. C’est plutôt avec elle d’ailleurs que j’ai commencé au début un travail régulier, c’est elle qui m’a donné les toutes premières bases. Ensuite, pour dire les choses dans l’ordre, j’ai passé quelque temps au conservatoire du XVII° avec Véronique Briel, puis j’ai intégré la classe de Chantal Fraysse au CRR, peu après l’avoir rencontrée lors des premières Académies Musicales de Saint-Cast-le-Guildo. D’ailleurs, je profite de cette interview pour vous rendre hommage, puisque parallèlement à mes débuts en piano, il y a eu l’apprentissage des bases du solfège, notamment avec vous, et je pense que cela aussi a été déterminant. On me dit souvent que j’ai une excellente stabilité rythmique et un sens des structures assez fort…cela doit probablement venir d’une bonne formation initiale ! Puis il y a eu Olivier Gardon : j’ai terminé mon cycle au CRR chez lui et suis ensuite entré au CNSM à quatorze ans, dans la classe de Jacques Rouvier (et Prisca Benoît). Après son départ, je suis passé dans la classe de Michel Béroff chez qui j’ai obtenu mon diplôme de Master (en travaillant également avec Laurent Cabasso et Bertrand Chamayou qui étaient ses assistants). Depuis cette année j’ai intégré le troisième cycle, le Diplôme d’Artiste Interprète. C’est une formule assez souple puisqu’il n’y a pas vraiment de professeur fixe : chaque étudiant dispose d’un nombre d’heures de cours sur deux ans, qu’il peut utiliser à sa guise. Si l’on veut aller voir quinze professeurs différents, c’est possible ! En l’occurrence, je travaille essentiellement avec Michel Dalberto et avec Claire Désert.

Si je dois maintenant faire un retour un peu plus analytique sur ce parcours, on peut remarquer quand même qu’au moins trois de mes professeurs sont eux-mêmes des élèves de Pierre Sancan, en tout cas pour Olivier Gardon, Michel Béroff et Jacques Rouvier. Il y a manifestement une filiation qui vient de l’école française - si ce mot a encore une signification aujourd’hui. Mais parallèlement, en raison de cette formation dont je parlais au tout début avec ma mère, qui a étudié à l’Institut Gnessine de Moscou, et par les master-classes que j’ai pu suivre et que je suis toujours avec des professeurs russes tels que Tatiana Zelikman (qui a formé, entre autres, Daniil Trifonov et Elisso Virssaladze), je peux dire que mon apprentissage a en fait été marqué par un double héritage, russe et français à la fois. Cela m’a, je pense, beaucoup enrichi, en termes de répertoire, d’approche des différents styles, de posture physique, de sensibilité, de goût, et je pense que dans cette évolution, chaque professeur a apporté un éclairage singulier : Chantal Fraysse, par exemple, a joué un grand rôle dans mes débuts, c’était en quelque sorte mon premier professeur institutionnel ; ensuite, avec Olivier Gardon et Jacques Rouvier j’ai acquis, je pense, une lecture plus rigoureuse de la partition, un plus grand respect de chaque style. Jacques disait souvent qu’avant tout, il fallait maîtriser la « grammaire », c’est-à-dire avoir une certaine culture de l’interprétation, une certaine probité dans le rapport aux œuvres et à soi-même… Je pense que c’est vraiment là que j’ai passé une étape importante dans mon travail, que je me suis engagé dans quelque chose de réellement professionnel. Ce travail s’est bien entendu poursuivi avec Laurent Cabasso et Michel Béroff, qui m’a beaucoup fait avancer, par son incomparable expérience de concertiste, son sens aigu du phrasé, sa manière de toujours rechercher la fluidité, le souffle global contre la pesanteur et les appuis inutiles. Quant à Tatiana Zelikman, je perçois dans son enseignement un esprit musical assez proche de celui d’un Sofronitsky par exemple. Chaque cours avec elle a quelque chose de libérateur : comme un élargissement de ses propres possibilités, qui vous pousse à aller sans cesse plus loin dans la couleur, l’imagination, la fantaisie, l’usage parfois audacieux de la pédale, les contrastes dynamiques.

Pourquoi, parmi les nombreuses possibilités offertes, avoir choisi de préférence Claire Désert et Michel Dalberto pour ce troisième cycle ?

Je connais Michel Dalberto depuis plusieurs années et allais régulièrement lui jouer mes nouveaux programmes avant d'entrer officiellement dans sa classe. De même pour Claire Désert, avec qui j'ai par exemple validé plusieurs sessions de musique de chambre au CNSM lors de mes années de Licence et Master. J'avais donc pour eux, plus que pour d'autres disons, une affinité relativement ancienne. Je savais leurs grandes qualités et ce qu'ils pouvaient m'apporter.
Pour résumer : j'apprécie beaucoup chez Claire sa maîtrise de tous les styles et de toutes les époques, elle me livre des conseils précieux aussi bien dans Mozart ou Beethoven que dans Schumann, Debussy, Prokofiev... avec à chaque fois une très grande connaissance du texte et en même temps une capacité à montrer, pratiquement, de quelle manière le geste juste permet d'atteindre l'expression musicale recherchée. D'autre part, Claire a une grande rigueur pédagogique, et je suis heureux de travailler avec un professeur qui se soucie véritablement de l'évolution de son élève, et le soutient dans son activité professionnelle.
Quant à Michel Dalberto, c'est une très grande chance que de pouvoir côtoyer un artiste d'une telle envergure. J'apprends beaucoup, rien qu'en l'observant jouer et montrer tel ou tel passage. D'ailleurs, il ne s'agit pas vraiment, avec lui, d'un "cours" ou d'une "leçon" mais plutôt, si je puis dire, d'une "conversation musicale" au sens où il ne se place pas du tout dans la posture du professeur qui ordonne et contraint l'élève ignorant à suivre sa propre orientation musicale ; au contraire, il propose, suggère, démontre par son jeu même la pertinence de ses idées. Il dit souvent par exemple : « à votre place, je ferais ceci plutôt comme cela... », ce qui est, je trouve, très stimulant !
Enfin, le format du DAI fait que j'ai également pu prendre quelques cours avec d'autres professeurs, en l'occurrence avec Florent Boffard, notamment lorsque je jouais du Boulez (Incises) - répertoire pour lequel il n'a pas d'égal.

Je crois que parallèlement il y a eu des études brillantes de philosophie, notamment…

Pour la philosophie, c’est plus tardif. J’ai commencé à lire, c’est-à-dire à avoir une véritable passion pour la littérature, la poésie et, disons, la pensée de manière générale, quelque part entre la fin du collège et le début du lycée, et je me suis assez vite orienté vers la philosophie. Le premier choc, la première rencontre, a été l’œuvre de Nietzsche, dont j’ai absorbé en quelques mois les œuvres complètes. À partir de là, les lectures se sont enchaînées, des présocratiques aux philosophes français d’après-guerre (Sartre bien sûr, mais plus encore Foucault, Deleuze, Guattari, Derrida, Althusser, Barthes) en passant par les grands jalons de la philosophie allemande, Hegel, Heidegger... Quant à la formation académique, un moment important a été le Premier Prix de Philosophie au Concours Général, en 2013, à l’issue d’une année de Terminale au Lycée Racine où j’ai eu la chance de rencontrer un formidable professeur, Françoise Aït Hadi, d’inspiration lévinassienne et avec qui je continue d’échanger très régulièrement. Elle m’a beaucoup encouragé dans cette voie et après ce premier prix au Concours Général, j’ai voulu essayer de continuer d’une manière ou d’une autre, de ne pas abandonner cette passion, qui est certes secondaire ou parallèle, mais qui est quand même très importante dans ma vie. Donc cela a pris plusieurs formes : d’abord un mémoire que j’ai réalisé dans le cadre du Master au CNSM et qui était consacré aux thématiques de l’art et de la vérité dans l’œuvre d’Alain Badiou – mémoire que j’ai eu la chance de réaliser sous sa direction. Le dernier développement en date, c’est que j’ai été reçu en doctorat à Paris-VIII, à Saint-Denis, sous la direction d’Antonia Birnbaum.
Je continue à lire énormément et je pense d’ailleurs, de manière un peu plus générale, qu’il est très important pour un musicien de s’intéresser à d’autres choses qu’à son instrument.

Cela nourrit-il l’interprétation ?

C’est évident. Dans l’interprétation musicale, il y a une part de choix, de décision consciente, c’est indiscutable. Mais la manière dont un interprète s’approprie une œuvre, cela est orienté par sa vie même, ses expériences affectives, sa sensibilité, donc également ce par quoi se nourrit son esprit, les influences qu’il subit, ses découvertes, ses références artistiques. C’est toute la richesse d’une subjectivité qui se transmet, qui se reflète dans l’interprétation.
Je pense même qu’à un niveau d’organisation quotidienne, il est essentiel d’avoir toujours du temps pour faire autre chose, en commençant par une perception large des autres arts. Je suis par exemple un grand cinéphile, et regarde très souvent des films, que ce soit au cinéma, dans une cinémathèque, ou à la maison. La période que je connais le mieux c’est, disons, entre l’après-guerre et les années 80, avec une passion particulière pour la Nouvelle Vague (Godard avant tout !) et le cinéma italien (Antonioni, Visconti, Pasolini, Fellini), mais j’aime aussi le cinéma américain, Orson Welles, Hitchcock, Kubrick…Pour ce qui est de la peinture : étant donné que je vais très souvent, et ce depuis mon plus jeune âge, en Toscane (Florence, Pise), j’ai une connaissance assez fine de la Renaissance italienne et retourne toujours avec émotion admirer les Raphaël, Léonard, Caravage, Titien, Botticelli ou Lippi, aux Offices ainsi qu’au Palais Pitti. J’ai aussi un penchant affirmé pour la peinture moderne, que j’ai pu découvrir à Paris bien sûr, mais aussi à Londres ou à Moscou – Picasso, Braque, Klee, Kandinsky, De Staël, Malevitch...
La littérature et la poésie sont sans doute des passions plus fondamentales pour moi. À partir de la fin du collège, j’ai commencé par exemple à explorer avec fascination les poètes français de la fin du XIXème siècle, Baudelaire, Rimbaud, Lautréamont, Mallarmé mais aussi les grands romanciers, avec un amour particulier pour Stendhal et Dostoïevski. Là encore, c’est le XXème siècle qui m’a requis avec le plus d’ardeur, notamment là où l’écriture, pour reprendre une expression de la revue Tel Quel, devenait « expérience-limite » : Breton, Joyce, Céline, Artaud, Bataille, Genet, Blanchot… voilà les auteurs qui ont spécialement compté dans ma vie ces dernières années. Autre rencontre poétique marquante : Yves Bonnefoy, que j’avais eu la chance de voir et d’écouter lors d’un colloque au Collège de France, peu avant sa mort. Je n’oublierai jamais cette voix grave, douloureuse, magnétisante dans son effort même, comme si chaque énoncé était un accouchement du langage ; il avait consacré son intervention aux « pouvoirs de la parole chantée », c’était magnifique.
Bref pour en revenir à votre question, je pense que tout cela se ressent finalement dans le jeu du musicien et que le fait de se borner à un travail instrumental exclusif ne va pas sans un certain assèchement de l’esprit et du cœur. Je pense qu’il faut être ouvert sur autre chose que ce que l’on fait.

En ce qui concerne les goûts musicaux ?

Pendant mes premières années, mon père m’a fait découvrir beaucoup de choses parce qu’il avait une collection de disques (qu’il a toujours, d’ailleurs !) assez impressionnante à la maison, et il a donc pris l’initiative assez tôt de me faire découvrir le répertoire. Je garde un souvenir assez vif des opéras de Mozart en version filmée, par exemple Les Noces de Figaro par Jean-Pierre Ponnelle, Don Giovanni, La Flûte… Puis il y a eu une période de découverte plus personnelle où je me suis orienté vers Wagner, la musique allemande au tournant des XIX° et XX° siècle : j’ai écouté énormément Mahler, Bruckner, la seconde école de Vienne. Et puis aussi la musique de la génération de Darmstadt : Boulez, Stockhausen, Nono, Berio, Xenakis. Je pense que cela a été important aussi dans ma formation intellectuelle et musicale. Ensuite, pour ce qui concerne mes goûts de pianiste, ce qui est un petit peu différent, je dis souvent (et c’est assez banal) que je ne recherche pas pour l’instant de spécialisation dans le répertoire. Cela dit, même si j’essaye de jouer un répertoire le plus large possible, il y a malgré tout des compositeurs que je programme plus que d’autres… On peut citer Beethoven, Chopin, Schumann, probablement Debussy, Rachmaninov, pour donner quelques noms, et puis des compositeurs que j’ai joués un peu moins, mais pas forcément parce que j’entretiens un rapport plus distant avec eux… par exemple Schubert, Brahms, Ravel, alors que ce sont des compositeurs pour lesquels, évidemment, j’ai une immense admiration. Mais je vais me rattraper !

Je me souviens d’un concerto de Mendelssohn dont on n’a qu’un extrait sur YouTube…

Exactement ! C’était à la salle Gaveau et on m’avait demandé de l’apprendre spécialement pour l’occasion. C’est un beau souvenir… Je l’ai rejoué ensuite une fois avec l’orchestre de Caen sous la direction de Vahan Mardirossian.

On sentait qu’il se passait quelque chose…

C’est souvent comme ça : quand l’impulsion ne vient pas de vous, il faut que ce soit une commande. Vous avez l’obligation d’apprendre telle ou telle œuvre et puis vous vous rendez compte que finalement c’est quelque chose qui vous va très bien et vous l’intégrez vraiment à votre répertoire. En l’occurrence, ce concerto de Mendelssohn a une fraîcheur juvénile, une sorte d’évidence lumineuse et de virtuosité brillante, fluide, qu’il s’agissait de retrouver, sans alourdissement, sans emphase artificielle.

Manifestement, il y a eu des occasions avec Chopin aussi…

Oui. Chopin fait sans doute partie des compositeurs incontournables dans la formation de tout pianiste (au même titre que Bach et Beethoven par exemple), sans qui on ne peut pas développer réellement ses possibilités instrumentales et expressives. J’ai travaillé très tôt les Études bien sûr mais aussi les Ballades et les Scherzi, plus récemment j’ai appris les vingt-quatre Préludes. Le Concerto en mi mineur fait partie de mes tout premiers concertos. C’est vrai que Chopin est un compositeur qui m’accompagne et que j’ai presque tout le temps à mon répertoire. Peut-être parce que je sens que je peux trouver une sorte d’expression naturelle dans son discours musical. Jouer Chopin c’est être capable de déployer les sentiments les plus intimes, le lyrisme le plus émouvant tout en gardant une certaine retenue aristocratique, sans jamais noyer la noblesse de la ligne dans un marécage de mauvais goût et de vulgarité facile.

Je l’avais remarqué ! Cela a commencé avec le Festival de Nohant, non ?

Oui. C’était en 2014, j’y avais joué la Sonate funèbre, que je travaillais déjà dans la classe d’Olivier Gardon. Et c’est effectivement un concert qui a beaucoup compté puisque j’avais joué également l’opus 101 de Beethoven et la Deuxième sonate de Schumann, et que le Festival a publié un disque d’archives, à l’occasion de son cinquantième anniversaire où figure justement ma Sonate de Schumann en live, aux côtés du dernier concert d’Aldo Ciccolini.

Il y a aussi une question de tempérament…

Probablement ! Je me souviens de François-Frédéric Guy me disant, il y a quelques années, que j’avais vraiment quelque chose de spécial avec cette musique, qu’il fallait absolument que je la joue… Je consacrerai sans doute un disque, tôt ou tard, à Chopin, c’est sûr !

Et puis il va y avoir Bagatelle…

Oui ce sera un récital, le 25 juin, où il y aura une première partie Chopin avec les 3ème et 1ère Ballade, un ou deux nocturnes, et puis une deuxième partie russe avec la 2 ème sonate de Scriabine et la 2 ème sonate de Prokofiev. En fait je vais enregistrer cet été mon premier disque studio, pour le label Évidence, disque qui sera consacré à la musique russe, avec les 9 études op. 39 de Rachmaninov et les deux sonates que je viens de citer.

Il y a aussi la participation à différents festivals…

L’été sera dense, effectivement, puisqu’après le Festival Chopin, j’irai, sans tout citer, à Montpellier pour le Festival Radio-France, les 11 et 12 juillet, aux Nuits de la Citadelle de Sisteron, à la Roque d’Anthéron pour un récital le 8 août, puis à l’Août musical de Deauville, aux Piano folies du Touquet… De mi-juin à fin août, il y aura une quinzaine de concerts.

Et la musique de chambre ?

La musique de chambre a pris une place un peu plus importante dans mon travail depuis deux ans, depuis la fondation de mon trio qui s’appelle le Trio Cantor. Nous l’avons constitué avec deux amis du CNSM, le violoniste Shuichi Okada, que je connais depuis des années puisque nous étions dans la même classe au collège Octave Gréard puis au lycée Racine, et le violoncelliste Gauthier Broutin. Avec Shuichi nous sommes exactement de la même génération. C’est lui qui a eu l’idée de la fondation de ce trio. On avait déjà joué ensemble, lors des sessions de musique de chambre au CNSM, en duo notamment, et lui connaissait Gauthier, donc on a commencé à travailler tous les trois et on a décidé de se lancer dans cette aventure. Gaëlle Le Gallic nous a conviés à son émission « Génération Jeunes Interprètes » en janvier 2016, pour notre première prestation publique, avec le Trio de Chausson. Puis nous avons eu un prix au concours de la FNAPEC. L’autre moment important, c’était justement à la Roque d’Anthéron, l’année dernière, où nous étions « ensemble en résidence » à l’invitation de Claire Désert et du Trio Wanderer. C’était vraiment un travail intense sur deux semaines, qui nous a permis de beaucoup progresser, à tous points de vue. Ensuite nous avons intégré la Fondation Singer-Polignac à la rentrée 2016.
J’avais fait de la musique de chambre avant cela, mais de manière occasionnelle, jamais avec un groupe constitué. Le fait d’avoir un travail systématique et régulier, c’est tout à fait autre chose. Explorer le répertoire du trio (qui regorge de chefs-d’œuvre) avec des musiciens que l’on apprécie est un plaisir en soi, évidemment. Mais je remarque que cela me pousse ensuite, même dans mon travail personnel, ou lorsque je joue avec orchestre, à être bien plus attentif à un certain nombre de choses, à l’équilibre, à la synchronisation, non pas d’un point de vue mécanique mais la synchronisation sonore, harmonique, être vraiment à la recherche d’un son commun.
Le trio reste secondaire dans nos activités respectives mais on a envie, évidemment, de continuer, de poursuivre ce travail commun. De toute façon, il est impossible d’être un musicien véritablement complet sans faire de la musique de chambre, c’est l’évidence.

Le rapport au baroque...

Je vais avoir moins de choses à dire…

On a toute sa vie pour découvrir…

Vous me posiez tout à l’heure la question de mon répertoire. J’ai évidemment joué plusieurs pièces de Bach ou Scarlatti, depuis mon plus jeune âge. Mais je peux dire que ce n’est pas une période dans laquelle je me suis plongé, en tout cas, d’un point de vue instrumental, autant que dans la période classique, romantique… C’est vrai. J’ai assez peu joué Rameau, Couperin, mais quand j’entends au disque quelqu’un comme Cziffra qui jouait beaucoup Couperin, ou Sokolov, plus récemment, dans Rameau, je suis en admiration. Une telle clarté d’articulation, une telle fraîcheur de jeu ! Parmi mes collègues, Rémi Géniet a consacré son premier disque à Bach, un excellent disque. Peut-être Bach n’occupe-t-il pas une place assez importante dans mon répertoire, mais là aussi je vais probablement rééquilibrer, combler cette lacune ; d'ailleurs je vais bientôt jouer le Concerto en fa mineur de Bach avec l'Orchestre de chambre de Toulouse, en octobre, aux Musicales du Causse de Gramat puis l'année prochaine, en tournée, avec également dans le même programme le Concerto K.449 de Mozart. Cela m’est arrivé d’entendre en concert, par exemple à Salzbourg l’année dernière, de la musique symphonique classique interprétée par des orchestres baroques. Je n’ai jamais été vraiment convaincu. Il y a des avantages évidents en termes de clarté, de lisibilité analytique de la partition, d’énergie, de vigueur rythmique… mais j’ai quand même du mal notamment avec les tempi excessivement rapides dans certaines symphonies de Beethoven qui font que certaines pages prennent un tour un peu anecdotique au détriment de la profondeur et de l’intensité dramatique.
Cela dit, le fait d’avoir une connaissance de cette façon de faire, de cette manière d’envisager les œuvres, permet de ne pas sombrer dans ce contre quoi probablement le style baroque contemporain s’est révolté et qui était une sorte de dérive postromantique excessivement pesante, emphatique et sentimentaliste… C’est vrai, on entend parfois des sonates classiques jouées comme si c’était du Tchaïkovski, ce qui donne quelque chose de tout à fait absurde. Il faut tenir à mon avis une sorte de ligne médiane, ou oblique, entre ces deux tendances.

Sur quels pianos avez-vous l’habitude de jouer ? Quel est votre rapport aux différentes marques ?

J’ai la chance de pouvoir travailler sur un Steinway de concert à la maison, depuis de longues années. C’est donc un piano avec lequel je suis familier, puisque je le pratique au quotidien. Ce n’est pas pour rien que Steinway est la marque de référence dans la plupart des grandes salles à travers le monde et pour la plupart des pianistes : c’est l’instrument qui vous permet la plus grande palette de nuances, de couleurs et de sonorités, des plus douces aux plus puissantes, des plus lyriques aux plus percussives, vous avez la liberté d’embrasser tout le spectre des émotions et des atmosphères musicales. Avec en plus, bien entendu, une parfaite régularité et une mécanique sans faille.
Cela dit, il m’est arrivé d’avoir de très bonnes expériences aussi sur d’autres pianos, notamment le CFX de Yamaha ou le F278 de Fazioli, qui, en termes de projection sonore, de légèreté du toucher et de brillance de l’attaque, peuvent être intéressants.

Un penchant pour le jazz ?

Là encore je dois rendre hommage à mon père qui m’a fait découvrir le jazz assez tôt et qui, lui, avait une vraie passion pour Errol Garner, qu’il a toujours, d’ailleurs… J’ai beaucoup écouté et regardé Errol Garner en film, en DVD – expérience fascinante : c’est un pianiste de jazz très singulier qui avait un style tout à fait original et notamment, comme chacun sait, une indépendance rythmique des deux mains stupéfiante et un sens de l’improvisation et une virtuosité instrumentale uniques. Il est bien connu qu’Horowitz par exemple avait une immense admiration pour Art Tatum. D’ailleurs un certain nombre de pianistes de jazz ont une formation classique, et inversement certains pianistes classiques sont aussi capables de faire du jazz. Cela dit, pour faire du jazz, il faut avoir une formation spécifique et personne ne peut, comme ça, se mettre au piano et décider d’improviser. Moi je suis par exemple incapable de le faire, je l’avoue sans problème, mais je suis toujours très attentif et très impressionné quand j’entends ou que je regarde quelqu’un faire du jazz et je pense qu’on peut apprendre beaucoup, au niveau de la souplesse, de la liberté de jeu. Il y a quelque chose de l’ordre de la spontanéité, le fait de choisir telle direction, telle modulation plutôt que telle autre, parce que bien sûr le parcours d’interprétation est moins déterminé que celui d’un pianiste classique donc, d’une certaine manière, la liberté subjective, la décision de l’interprète ont un caractère plus décisif en jazz.

Et tenté par l’improvisation et la composition ?

Pas pour l’instant. Quelques petites expériences de transcriptions, mais c’était vraiment très anecdotique, de musique de film, par exemple. Juste pour m’amuser. Ça m’est par exemple arrivé de jouer en bis une transcription que j’avais faite du thème de Borsalino, le film avec Jean-Paul Belmondo et Alain Delon, musique de Claude Bolling… C’est plutôt pour mon plaisir, lorsqu’un thème me plait, j’essaie de le reproduire au piano, sans forcément le noter d’ailleurs. Sinon, je n’ai pas vraiment d’expérience de composition. Peut-être que ça viendra. Je vois Trifonov par exemple, qui est un petit peu plus âgé que moi, mais qui est quand même de la jeune génération, lui a déjà composé plusieurs œuvres pour piano. Je ne sais pas où il a trouvé le temps ! Il a récemment créé son propre concerto, que j’ai entendu, dans un style très postromantique mais je trouve ça assez admirable. Quelqu’un qui fait une carrière mondiale et qui trouve en plus le temps de composer et de défendre ses propres œuvres, chapeau.

Au XIX ème siècle, on a eu des grands pianistes compositeurs… Liszt, Chopin…

Au fil du XIX ème siècle il y a eu un processus de fragmentation et de spécialisation des activités, qui n’est évidemment pas spécifique à la musique. Mais il est vrai qu’à cette époque, il y avait une sorte de figure unitaire du musicien. Les grands noms que vous citez pouvaient être à la fois pianiste, transcripteur, compositeur, chef d’orchestre, intellectuel humaniste… Cette figure s’est peu à peu perdue au fil du temps, à mesure que progressait et s’étendait la spécialisation des tâches.

J’ai l’impression que d’une certaine manière, c’est ce que vous cherchez à éviter… Par goût, tout simplement, parce que vous ne vous voyez pas vivre en faisant uniquement du piano, du piano, du piano…

Vous savez, Marx disait que la société de l’avenir verrait l’avènement du « travailleur polymorphe », l’être humain ne serait alors plus rivé à un seul métier particulier mais pourrait au contraire explorer en même temps une multiplicité d’activités, selon la liberté de son désir. Je crois qu’il faut au moins essayer d’anticiper cela, dans la mesure du possible ! Liszt, c’est évidemment un exemple frappant de cette polymorphie.

Il va y avoir justement les Lisztomanias en octobre prochain…

Oui, à l’invitation de Jean-Yves Clément. Il m’a d’ailleurs demandé un programme uniquement composé d’œuvres de Liszt, Brahms et Ravel. Je me suis donc dit qu’il fallait relever le défi et que c’était l’occasion pour moi d’apprendre de nouvelles choses, que j’avais envie de jouer depuis longtemps. Donc le programme va être presque entièrement composé d’œuvres que je n’ai jamais jouées et que je vais apprendre pour l’occasion. Il y aura l’opus 116 de Brahms, les Valses nobles et sentimentales de Ravel et puis une ou deux rhapsodies de Liszt.
Concernant mes programmes, j’essaie toujours d’avoir des œuvres disons, emblématiques, qui peuvent m’accompagner pendant plusieurs mois, même plusieurs années, que je laisse et que je reprends à intervalles réguliers. C’est le cas, par exemple, des études de Rachmaninov que je vais enregistrer, puisque je les ai apprises la première année où je suis entré au CNSM. C’était Jacques Rouvier qui m’avait encouragé à m’y attaquer…
J’avais donc fait tout l’opus 39 il y a déjà six ou sept ans et il m’est ensuite arrivé fréquemment d’en rejouer des extraits pour différentes occasions, mais le fait d’avoir vécu avec un cycle comme celui-là pendant de longues années l’a fait mûrir considérablement, et j’ai l’impression d’arriver à un point où je suis capable de présenter cet opus 39 non seulement au public, mais à l’enregistrement, avec l’ambition d’en livrer une version singulière et convaincante.

Et comment s’envisage l’avenir ?

Le métier de musicien est un métier où il est assez difficile de se projeter, parce que les choses peuvent aller très vite dans un sens comme dans l’autre, et que le développement d’une carrière est déterminé par des facteurs très différents, parfois imprévisibles. La sortie du disque sera certainement un événement qui va accélérer le processus, d’autant que j’ai de plus en plus d’engagements d’année en année. J’ai envie évidemment de poursuivre dans cette direction. J’aimerais développer encore plus, notamment, les expériences avec orchestre. Je vais par exemple enregistrer, dans le cadre du DAI au CNSM, le Cinquième concerto de Beethoven en janvier prochain avec l’orchestre du Conservatoire. Je vais probablement terminer l’année prochaine mon cursus de troisième cycle au CNSM, mais je continuerai bien sûr à étudier, soit sous la forme de master-classes soit peut-être dans une autre école à l’étranger, car je suis à un âge où il y a encore énormément à apprendre !

Je crois qu’on apprend toute sa vie…

Il n’est pas question d’abandonner cela. Je pense qu’il faut mener parallèlement l’activité de concertiste, l’apprentissage, les études et puis pourquoi pas quelques concours encore. Et si je dois me projeter par rapport à la philosophie, j’espère d’abord que je réussirai à aboutir la thèse ; et pourquoi pas, si l’occasion se présente un jour, publier un livre. J’écris déjà des articles de temps en temps. Avec quelques amis, j’anime un séminaire qui a débuté à l’ENS, et qui est maintenant aux Beaux-Arts. C’est une activité régulière, hebdomadaire, il y a à la fois des séances internes, d’autoformation, et puis on invite des personnalités publiques d’horizons assez différents…donc j’entretiens la pratique de la pensée et de l’écriture.

Propos recueillis par Daniel Blackstone


On peut retrouver Jean-Paul Gasparian et ses concerts à venir sur son site :
http://www.jeanpaulgasparian.com/

SPECTACLES

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Un des plus beaux concerts de l’année clôture la saison à la Philharmonie de Paris

Bernard Haitink © Todd Rosemberg Pour un des derniers concerts symphoniques de la saison, la Philharmonie de Paris avait bien fait les choses en réunissant sur la même affiche, le London Symphony Orchestra, le plus fameux orchestre anglais du moment, dirigé par l’immense chef Bernard Haitink, reconnu comme un maitre incontesté de la direction d’orchestre, avec cerise sur le gâteau, la non moins célèbre pianiste japonaise Mitsuko Uchida en soliste. Un programme des plus classiques, associant le Concerto n° 3 pour piano et orchestre de Beethoven et la Symphonie n° 9 de Bruckner, pour ce concert d’exception qui combla les attentes d’un public venu nombreux dans la grande salle Pierre Boulez.
Plus encore que le Concerto n° 4, le Concerto n° 3 pour piano de Beethoven apparait, à l’évidence, comme une œuvre de transition, premier pas vers la maturité du maitre de Bonn, mais également sorte d’hommage rendu à Mozart et Haydn. Composé en 1803, il mêle avec un bonheur tout particulier le cantabile du piano à la sonorité puissante de l’orchestre, marquant en cela une évolution stylistique qui se confirmera dans le Quatrième concerto. Pour cette œuvre célèbre, la pianiste japonaise est dans son jardin, il suffit de rappeler ses enregistrements des sonates pour piano de Mozart ou l’intégrale des concertos pour piano de Beethoven avec Kurt Sanderling considérés, aujourd’hui encore, comme de véritables références discographiques. Une interprétation toute empreinte d’un élégant classicisme, juste, naturelle, sans effet de manche. L’Allegro initial permet au toucher très mozartien de Mitsuko Uchida de s’exprimer pleinement par un cantabile plein de grâce, précédant un second mouvement, Largo émouvant, poétique, très recueilli comme une prière magnifiée par un superbe accompagnement orchestral tout en couleurs et nuances sous la direction attentive de Bernard Haitink. Le Rondo final, plus engagé, ample et clair, laisse libre cours à la virtuosité de la pianiste exaltée par une complicité évidente avec l’orchestre.
A l’instar d’autres compositeurs comme Schubert, Beethoven ou encore Mahler, Anton Bruckner connut la « malédiction des neuvièmes symphonies » puisqu’il laissa sa dernière symphonie, la Neuvième, inachevée réduite à trois mouvements. Une œuvre monumentale, sorte de testament musical dédié à Dieu (Excusez du peu !) composée entre 1891 et 1896, véritable opéra sans paroles, tour à tour exaltée ou sereine, épique et lyrique, portée par la ferveur de la foi du compositeur. Une œuvre savante par ses changements répétés d’humeur dont Bernard Haitink donne d’emblée une vision claire, allégée, mêlant ampleur et délicatesse, parfaitement équilibrée, sachant valoriser tous les timbres d’une partition complexe. Si le premier mouvement, solennel et mystérieux, fait la part belle aux somptueuses cordes du LSO, ainsi qu’à la fanfare de cuivres parfaitement justes et ronds, avant de se terminer par un resplendissant crescendo particulièrement haletant, le second mouvement, Scherzo, développe un univers cauchemardesque et grimaçant scandé par les étonnants pizzicati des cordes, exemplaires de netteté dans les attaques, avec ou sans archets, tandis que l’Adagio final marque une longue ascension vers la lumière citant plusieurs thèmes des symphonies précédentes avant un retour vers le silence, terme de ce voyage initiatique et spirituel…
Une interprétation qui restera, n’en point douter, dans les mémoires ! Signature d’une phalange et d’un chef d’exception !

Patrice Imbuad

Reprise de La Bohème à l’Opéra de Rouen


Giacomo Puccini : La Bohème. Opéra en en quatre tableaux (1896). Livret de Luigi Illica et Giuseppe Giacosa d’après le roman de Henry Murger, Scènes de la vie de Bohème (1851). Anna Patalong, Alessandro Liberatore, William Berger, Olivia Doray, Mikhael Piccone, Yuri Kissin, Gilen Goicoechea, Nicolas Rigas. Chœur Accentus, Maitrise du Conservatoire de Rouen. Orchestre de l’Opéra de Rouen Normandie, dir. Leo Hussain. Mise en scène : Laurent Laffargue. Théâtre des Arts. 10 juin 2017

© Jean Pouget Pour cette dernière production d’une très belle saison 2016-2017 élaborée autour du thème du libertinage, l’Opéra de Rouen Normandie a choisi de donner La Bohème de Puccini dans une mise en scène déjà ancienne (2007) de Laurent Laffargue. Une production qui connut son heure de gloire, resituant l’action dans les années 60, peu avant les évènements de mai 1968… Une transposition judicieuse compte-tenu du contexte estudiantin dans lequel se déroule l’opéra de Puccini, mais encore eut-il fallu pousser un peu plus loin le propos et donner vie à cette intarissable soif de liberté, à cet inépuisable désir de changer le monde et la vie qui caractérisèrent cette courte période où tout semblait alors possible…Un contexte que semble avoir totalement négligé le metteur en scène. Une occasion manquée et un manque d’audace de Laurent Laffargue pour un résultat, somme toute, assez banal avec les quatre tableaux bien connus où la nouveauté se résume à des changements de costumes et de mobilier, ce qui est bien peu d’autant que la musique ne semble pas plus attrayante. Pour sa dernière prestation en tant que chef principal, Leo Hussain, qui quittera l’opéra de Rouen dans les jours prochains, ne parvient pas non plus à séduire. Sa direction lourde, peu nuancée, parfois confuse et sans lyrisme confine rapidement à l’ennui malgré l’indiscutable qualité de la phalange normande qui nous avait habitué à mieux lors des spectacles précédents. Heureusement la distribution vocale sauve un peu la mise. Anna Patalong dans le rôle de Mimi possède un beau timbre mais son vibrato important lasse rapidement, ses aigus sont parfois serrés et sa diction ne respecte pas scrupuleusement la prosodie puccinienne. Le Rodolfo d’Alessandro Liberatore est indiscutablement puissant, trop peut-être, ne descendant jamais au-dessous de mezzo forte. La Musetta d’Olivia Doray convainc immédiatement par le ramage comme par le plumage, son chant et son engagement scénique sont irréprochables. William Berger campe un Marcello très honorable tandis que le Colline de Yuri Kissin ne dégage aucune émotion dans son air célèbre du manteau. Bref, on l’aura compris, une reprise qui ne tint pas toutes ses promesses, sans grand défaut mais aussi sans grande émotion.
On attendra avec impatience la saison prochaine avec une fois encore un superbe programme à retrouver sur www.operaderouen.fr

P.I.

Murray Perahia, les mains dans les étoiles


Murray Perahia © Felix Broede/ DG Traditionnel passage à la Philharmonie de Paris, du pianiste Murray Perahia, pour un récital taillé sur mesure, sous l’égide de Piano ****, associant Bach, Schubert, Mozart et Beethoven. Autant de compositeurs fétiches que le pianiste américain chérit et défend depuis de longues années, tous réunis par leur science du contrepoint. Plus de trente ans d’intimité avec le Cantor et plusieurs enregistrements de référence dont le dernier concernant justement les Suites françaises, chez DG, confèrent aux interprétations de Perahia une légitimité et une justesse de ton hors du commun. La Suite française n° 6 en mi majeur BWV 817 de J. S Bach ouvre la soirée, dernière des six Suites françaises composées vers 1720 à Köthen, intégrées pour les cinq premières au Clavierbüchlein composé pour sa femme Anna Magdalena. La Suite n° 6, probablement plus tardive, s’en différencie quelque peu par son caractère plus virtuose, son contrepoint plus appuyé et son ornementation plus importante. Une sixième suite qui prend sous les doigts experts du pianiste américain un naturel, une clarté, une élégance et une fluidité confondantes sous tendues par une dynamique dansante et une assise rythmique parfaite. Complicité ancienne également avec Schubert, évidente à l’écoute des quatre Impromptus op. 142 composés en 1827, un an avant sa mort. Une lecture véritablement envoûtante où se succèdent le premier très intériorisé mêlant dans un habile amalgame ombre et lumière, le second paraissant plus grave et méditatif, tandis que le troisième développe le thème poétique de Rosamunde en de savantes et virtuoses variations avant de conclure sur le dernier, très engagé, extraverti au phrasé resplendissant et enivrant.
Après la pause, place à Mozart avec le Rondo K. 511 composé en 1787, dans une lecture sobre, poétique mais peut-être un peu froide. Seule restriction à un récital dont le grand moment restera indiscutablement une interprétation hallucinante de la Sonate n° 32 de Beethoven. Un opus 111 qui demeurera dans les mémoires par sa virtuosité exceptionnelle, par sa maitrise du contrepoint, aboutissement triomphal de la forme sonate dans laquelle Thomas Mann a vu comme un adieu. Adieu à la sonate peut-être mais quel adieu ! et quelle interprétation de Murray Perahia ce soir ! L’introduction dramatique et brutale suivie d’un immense crescendo dans le grave donnent immédiatement le ton, le piano orchestral rappelle la Neuvième symphonie, puis la tension s’apaise pour laisser sourdre toute la poésie et la magie de l’Arietta. Les variations qui suivent développées sur une dynamique dansante prennent une allure jazzy que le pianiste se plait à majorer avant de laisser place à une sorte de renaissance où le ciel s’entrouvre pour nous laisser entrevoir de façon fugace la vraie lumière et retourner au silence…Merci Monsieur Perahia pour cette interprétation d’anthologie. Merci de nous laisser sur cela, la tête dans les étoiles, refusant malgré l’insistance répétée du public de nous offrir un bis qui aurait, à l’évidence, paru bien déplacé après tant de beauté et d’émotion.
Patrice Imbaud

Au festival de Saint Michel en Thiérache

Près de la petite bourgade d'Hirson, en cœur de Thiérache, l'abbaye de Saint Michel possède un orgue historique exceptionnel, construit en 1714 par Jean Boizard, et miraculeusement conservé. Elle est aussi, depuis 1987, le cadre d'un festival baroque qui, en mai et juin, l'espace de cinq dimanches, ouvre le bal des manifestations estivales. Et joue dans la cour des grands. Estival aura été ce dimanche 28 mai, qui ouvrait les festivités, avec une chaude journée ensoleillée comme on en voudrait souvent ici. Les concerts ont lieu dans l'abbatiale qui a retrouvé ses couleurs claires d'antan, de sa belle pierre mordorée, et la belle luminosité de ses vitraux. L'on se retrouve dès avant le concert ou à l'entracte dans le vaste cloître où il fait bon déambuler ou prendre le temps de l'échange avec les musiciens. Une tradition de convivialité bien sympathique qui fait que ce coin un peu reculé n'est en aucun cas éloigné de la faveur du public, lequel répond largement présent.

Fuoco E Cenere © Jacques Bernard Le premier concert, en fin de matinée, était donné par l'ensemble Fuoco E Cenere que mène le gambiste américain Jay Bernfeld. Une plongée dans l'âge d'or de Venise puisque le programme associait des compositions de Claudio Monteverdi et d'un auteur moins connu, Fontei, pas moins intéressant. Autrement dit l'art du madrigal porté à son apogée dans la Sérénissime. Des pièces vocales de Monteverdi étaient ainsi au centre d'un joli éventail d'arias et de duos, interprétées par les deux sopranos Daphné Touchais et Julie Fioretti. Comme la délicieuse « Oh Rosetta », accompagnée par la flûte recorder de Patricia Lavail, ou encore « Dolci miei sospiri ». Chacune possède un timbre bien distinct, plus aigu et espiègle chez Fioretti, un brin plus grave pour Touchais. On le vérifie encore dans les pièces de Nicolò Fontei (v. 1600-1647), musicien qui mérite sa place au panthéon de l'art madrigalesque, auteur de trois livres de « Bizzarie poetiche poste in musica » , sur des textes de Giulio Strozzi, père de la célèbre Barbara Strozzi. Il y cultive le piquant (« Peste amorosa »/maladie d'amour), l'ironie (« La vecchia cantatrice », où la pauvre dame pleure ses bonnes années, sa jeunesse, au son nostalgique de la petite flûte, cette « belle jeunesse qui a fui, ne reviendra plus, ne revient jamais »), enfin le pouvoir de l'amour (« Scorre amor », magnifié par un amusant refrain des deux voix à l'unisson). Deux morceaux instrumentaux s'intercalaient au milieu des pièces vocales, la Sonata seconda de Dario Castello (v.1590-1630), au son là encore de la petite flûte, et les « Recercada IV, II et VII » de Diego Ortiz (1510-1570), le dernier comme endiablé avant de finir dans un souffle. On admire la prestation des quatre musiciens ici réunis : outre la viole de gambe de Jay Bernfeld et la petite flûte de Patricia Lavail, le théorbe de André Henrich et le clavecin de Clément Geoffroy.

Le second concert était consacré à l'exécution, en version concertante, de Tamerlano d'Antonio Vivaldi. Cette tragédie en musique en trois actes, sur un livret d'Agostino Piovene, a été créée en 1735, à Vérone, quelque onze ans après la version qu'en avait donné Haendel. C'est donc une œuvre tardive dans la production du Prete rosso, où se fait sentir l'influence napolitaine qui faisait alors fureur à l'opéra. C'est en réalité un pasticcio : l'auteur y mêle, selon une pratique fort répandue à l'époque, de la musique de ses propres compositions dont une bonne part recyclée d'autres pièces précédentes, et des musiques empruntées à d'autres musiciens contemporains. Et particulier appartenant à l'école napolitaine, comme Hasse, Giacomelli et Broschi. « On donne au public ce qu'il a envie d'entendre », remarque Thibault Noally, auteur de la présente édition musicale, lors d'une rencontre avec le public, organisée avant le concert par Jean-Michel Verneiges, directeur artistique du festival. Et d'indiquer encore que, curieusement - ou peut-être dans une logique délibérée -, Vivaldi a choisi de pourvoir de sa propre musique les personnages opprimés, Bajazet, sa fille Arteria et Idaspe, et de confier aux trois autres, les ''oppresseurs'', Tamerlano, Andronico et Irene, celle d'autres compositeurs. La trame de la pièce oppose en effet deux camps, celui du Tamerlan, guerrier mongol qui a fait prisonnier Bajazet, le sultan ottoman. Luttes de pouvoir, rivalités amoureuses, passions exacerbées, haine et poison forment les soubresauts d'une intrigue chaotique, mais où la tension dramatique affleure partout, comme dans bien des opéras tardifs de Vivaldi. C'est en tout cas le triomphe du chant extrêmement orné et d'un luxe d'acrobaties vocales : n'est-on pas à l'ère des castrats qui, pour voir mettre en valeur leurs moyens exceptionnels, se voyaient pourvus d'une ligne de chant faite de phrases très longues au souffle apparemment sans fin et de colorature plus qu'acrobatiques.



Solistes et ensemble Les Accents © Jacques Bernard Comme à Beaune, l'été dernier, Thibault Noally a réuni une équipe de jeunes chanteurs éblouissants qui se font un régal de cette vocalité spectaculaire et possèdent comme innée cette esthétique vocale si particulière dont le récitatif éminemment dramatique n'est pas la moindre difficulté, et l'aria da capo la fine fleur. Voix féminines essentiellement car seul Tamerlano est dévolu ici à un chanteur. Et pour tout l'éventail des tessitures de ces dames, de la contralto à la soprano. Ainsi de Delphine Galou, Tamerlano, voix puissante de mezzo contralto, dont l'aria «  Barbaro tradito »/Traitre barbare), pris dans un étourdissant vivace, montre un rare accomplissement, de Carol Garcia, Andronico, d'une sûreté à toute épreuve, et surtout de Anthea Pichanick, Asteria, un timbre de contralto d'une infinie douceur, capable des plus délicates vocalises (aria « La cervetta timida »/la petite biche toute timide). Pas moins hardie, la fière et résolue Irene, princesse de Trébizonde, de Blandine Staskiewicz dont l'aria «  Qual guerriero in campo armato », où « courroux et amour s'affrontent » dans d'affolantes acrobaties déchainant les vivats du public. La jeune Dilyara Idrisova, Idaspe, miel de timbre de soprano, tout aussi admirable, trouve son apogée dans « D'ira e furor armato »/Armé de colère et de fureur) avec cor obligé, en d'impressionnantes volutes. Florian Sempey, dans le rôle titre, dégage une belle autorité quoique un peu forcée dans les intonations, ce qui se ressent dans le chant qui par moments n'échappe pas à quelque dureté (aria ''di tempesta'' « Dov'é la figlia ? » qui se conclut par un aigu retentissant du baryton).

Tout aussi déterminante aura été la contribution de l'ensemble Les Accents, qui fort d'une petite vingtaine de musiciens, est conduit avec une rare maestria par Thibault Noally. Celui-ci le fait en sa position de premier violon, ce qui achève de donner à l'exécution une tonalité chambriste et lui ôte tout caractère extérieur, car rares sont les moments où il se départit de son instrument pour donner une inflexion ou marquer une cadence. Ses musiciens qu'unit une visible empathie, livrent une sonorité chaude, enveloppante dans l'acoustique flatteuse de l'abbatiale de Saint Michel, entourant le chant d'un galbe aristocrate. Tous apportent à cette généreuse musique une aura tour à tour palpitante dans sa vivacité ou d'un lyrisme épanoui. Les contrastes, si importants ici, sont mis en valeur avec autant de brillance non clinquante que de vraie profondeur dans la recherche des intonations et des couleurs. Une captivante exécution saluée par un public enthousiaste.
Jean-Pierre Robert

La Reine de Chypre (presque) redécouverte...


Fromental HALEVY : La Reine de Chypre. Grand opéra en cinq actes. Livret de Jules-Henri Vernoy de Saint-Georges. Véronique Gens, Sébastien Droy, Etienne Dupuis, Christophoros Stamboglis, Éric Huchet, Artavazd Sargsyan, Tomislav Lavoie. Chœur de la Radio flamande. Orchestre de chambre de Paris, dir. Hervé Niquet. Version de concert au Théâtre des Champs-Elysées.

Fromental Halévy par Étienne Carjat / DR Moins connu que La Juive, son opéra La Reine de Chypre passerait-il pour le chef d'œuvre de Fromental Halévy (1799-1862) ? Ce ''Grand opéra'' sur un sujet historique, créé à Paris en 1841, fit l'admiration de Berlioz dans la partition duquel il voyait « une foule d'idées saillantes » et « des beautés intimes et complexes ». Richard Wagner, lors de son premier voyage parisien, qui réalisera les arrangements de la partition chant et piano, n'est pas moins enthousiaste à l'égard de celui qui « a renoncé au style stéréotypé de l'opéra français moderne, sans dédaigner toutefois les qualités qui le caractérisent ». De fait, l'œuvre apparaît haute en couleurs de par ses ensembles grandioses (fin du Ier acte, finale du II ème et fin de l'opéra) mais se signale aussi par la simplicité des moyens utilisés pour façonner des pages intimistes faisant la part belle au chant cantabile. Ainsi de l'air d'entrée de Catarina, l'héroïne, s'enchainant directement avec la courte ouverture, ou du duo qui suit, au son de la harpe, d'« une gracieuse tendresse » (R. Wagner). Le ton est généralement sombre à l'aune de cette trame où le politique s'affronte à la sphère privée, l'orgueilleuse République de Venise à la charmante île de Chypre, deux lieux disparates où se noue une trame tragique retraçant le destin hors du commun de la vénitienne Catarina Cornaro qui deviendra reine de Chypre. On l'y voit partagée entre l'amour du chevalier français Gérard de Coucy et l'ukase qui lui est fait d'épouser l'exilé Jacques de Lusignan, roi de Chypre, pour raisons d'équilibre politique. Le tiraillement entre amour et devoir, un des grands moteurs de l'opéra romantique, lequel se colore ici d'une composante de foi chrétienne, est porté à son paroxysme au fil d'un canevas bien ficelé, quoique non exempt de rebondissements que la logique ne parvient pas toujours à expliquer.



DR La présente exécution en version de concert, sous les auspices du Centre de musique romantique française, pour l'ouverture du 5 ème Festival Palazzetto Bru Zane à Paris, se promettait d'être un événement. Il ne l'aura été que partiellement en raison de la déconvenue due à une erreur majeure de distribution. On sait Hervé Niquet infatigable chercheur et avocat de la redécouverte de pièces oubliées, comme ce fut le cas de Don Quichotte chez la Duchesse de Joseph Bodin de Boismortier. Il est ici l'incontestable cheville ouvrière d'une exécution brillante en termes d'influx dramatique et de recherche de contrastes. L'Orchestre de chambre de Paris brille de tous ses feux quels que soient les pupitres concernés, en particulier ceux des vents et des percussions. Le chef ne cherche pas à escamoter l'exubérance d'une partition fort cuivrée, mais un passage évocateur comme le début de l'acte II, figurant l'impalpable glissement des gondoles, possède un irrésistible attrait. Judicieuse idée d'avoir placé les chœurs, non pas en fond de plateau, mais de part et d'autre de l'orchestre, dames à gauche, messieurs à droite, car on ne perd rien de leurs interventions. Le Chœur de la Radio flamande connait son affaire pour ici bien différentier le caractère des vénitiens ou des chypriotes. Dans le rôle titre, Véronique Gens offre un portrait magistral. Distinction de la prosodie, élégance du chant, sûreté des envolées aigües, palpable émotion et fière résolution, tout ici respire une profonde empathie avec le langage musical raffiné d'Halévy. Étienne Dupuis, Lusignan, possède ce timbre de baryton héroïque qui fait mouche grâce à une excellente diction. Celui de ténor d'Éric Huchet, dans le rôle ingrat du manipulateur Mocénigo, n'est pas moins efficace. L'approche de la basse Christophoros Stamboglis, Andrea, père de Catarina, est plus conventionnelle et le débit sonore a tendance à détoner par rapport à ses collègues. Reste le cas du rôle de Gérard, confié « au pied levé », fut-il annoncé (au micro sans présence sur scène de l'auteur de l'annonce), à Sébastien Droy, suite aux retraits successifs de deux de ses collègues. Le ténor français, qui dût découvrir et assimiler la partition le matin même, ne pouvait que difficilement se fondre dans un ensemble qui avait répété sans lui. Mais plus problématique est l'évidente inadéquation de la voix par rapport aux exigences du rôle. Car celui de Gérard appartient à ces parties terriblement difficiles de ténor du grand opéra français du XIX ème appelant à la fois agilité et force, comme devait en avoir le créateur du rôle, le célèbre Duprez. Habitué à Mozart, Droy n'en a pas l'ambitus. Et est contraint de chanter mezza voce la plupart du temps (problème de méforme ou de trac ?). Dommage car la déclamation est belle, comme on le perçoit dans la prière du IV ème acte « Divine Providence », ou dans le duo avec Lusigan, « Triste, exilé sur la terre étrangère », morceau de courage chevaleresque, mais où la voix peine à se mesurer à celle si timbrée du baryton. Difficile de lui tenir rigueur dans ces circonstances - sauf peut-être d'avoir accepté de s'embarquer dans cette galère - puisqu'il aura sauvé le spectacle. On en voudrait plutôt aux organisateurs qui, confrontés à pareille difficulté, avaient le choix, cornélien : renoncer à jouer ou risquer une exécution insatisfaisante.
Jean-Pierre Robert

Phèdre, superbe, ardente et dépouillée


Jean-Baptiste LEMOYNE : Phèdre. Tragédie lyrique en trois actes. Livret de François-Benoit Hoffmann d’après la pièce éponyme de Racine. Adaptation pour quatre chanteurs et dix instrumentistes de Benoit Dratwicki. Judith Van Wanroij, Diana Axentii, Enguerrand de Hys, Thomas Dolié. Le Concert de la Loge, dir. Julien Chauvin. Mise en scène : Marc Paquien. Théâtre des Bouffes du Nord, Paris


Judith Van Wanroij © Gregory Forestier
Après La Reine de Chypre d’Halevy, malheureusement pénalisée par un casting vocal perturbé en toute dernière minute, et avant Le Timbre d’argent de Saint-Saëns, Phèdre de Jean-Baptiste Lemoyne (1751-1796) constituait le second volet de cette trilogie opératique proposée par le Centre de musique romantique française dans le cadre de son festival 2017 à Paris. Phèdre (1786), une rareté exhumée grâce aux recherches effectuées par la fondation du Palazzetto Bru Zane dont il convient de louer les efforts considérables entrepris au service de la musique française. Une tragédie lyrique correspondant à une résurgence de l’esthétique du Grand siècle en réaction à la « décadence » observée après la disparition de Rameau. Sorte de retour aux sources classiques, mêlant chant et déclamation, traduisant dans une certaine mesure l’ascendance progressive de la musique sur le verbe, musique aux accents frénétiques caractéristiques du premier Romantisme. Opéra du désir, de la passion et de la mort prochaine dont le livret resserré, la dramaturgie intense et la musique particulière de Lemoyne font tout l’intérêt. Même si cette version réduite où les chœurs notamment ont été supprimés ne correspond pas à ce qu’ont dû entendre les contemporains de Lemoyne, il faut bien avouer qu’elle n’est pas sans charme. Par la mise en scène dépouillée de Marc Paquien d’abord, les acteurs s’y déplacent avec pertinence occupant la totalité de l’espace restreint qu’ils partagent avec les musiciens placés dans des cases incrustées dans le plateau devenant les grands prêtres de cette marche inéluctable vers la mort, car c’est bien un drame qui se joue ici, les déambulations dans la pénombre d’Hippolyte un poignard à la main pendant l’ouverture en est la plus évidente preuve. Par la musique ensuite, faite d’une suite d’airs et de duos alternant chant et déclamation dans une succession très prenante, fluide et naturelle fidèle à la tradition gluckiste. Par l’engagement des musiciens du Concert de la Loge conduits de main de maître par Julien Chauvin enveloppant les chanteurs d’un écrin chargé de sens, véritable athanor où expressivité et urgence se mêlent pour suivre au plus près et renforcer la dramaturgie exacerbée de la tragédie. Par la qualité de la distribution vocale et l’engagement scénique des acteurs enfin avec, à tout seigneur tout honneur, une Phèdre ardente et passionnée incarnée par Judith Van Wanroij dont la voix s’adapte avec facilité à tous les registres de ce rôle particulièrement exigeant, souplesse de la ligne, absence de vibrato, diction parfaite, respect scrupuleux de la prosodie. Face à elle l’Oenome de Diana Axentii ne déçoit pas, son rôle essentiel dans le déroulement de l’intrigue est ici totalement assumé par une voix sans faille, comme par le jeu d’acteur irréprochable. Enguerrand de Hys campe un Hippolyte affirmé et émouvant dont le chant sait se montrer des plus convaincants avec de beaux aigus d’une souveraine noblesse. Le Thésée de Thomas Dolié impressionne et soulève l’enthousiasme après son grand air du dernier acte où l’ampleur superlative du chant, le dispute à la prouesse théâtrale. Bref, une très belle production où s’imbriquent harmonieusement musique et théâtre qui nous donne un avant-gout prometteur d’un opéra méconnu qu’on souhaiterait pouvoir entendre prochainement dans son intégralité. Patience et bravo ! Patrice Imbaud


Un Timbre d'argent décidément onirique


Camille SAINT-SAËNS : Le Timbre d'argent. Drame lyrique en quatre actes. Livret de Jules Barbier et Michel Carré. Edgaras Montvidas, Hélène Guilmette, Tassis Christoyannis, Yu Shao, Jodie Devos. Raphaëlle Delaunay. Chœur Accentus. Les Siècles, dir. François-Xavier Roth. Mise en scène : Guillaume Vincent. Opéra Comique.

Edgaras Montvidas, Raphaëlle Delaunay, Tassis Christoyannis © Pierre Grosbois Enfin, un coin enfoncé dans une croyance aussi tenace que fausse : Camille Saint-Saëns n'est pas, au théâtre, l'auteur que de Samson et Dalila ! Dès sa jeunesse - il a alors trente ans - ne s'est-il pas attelé à un ''opéra fantastique'', Le Timbre d'argent, après qu'il se soit vu refuser le Prix de Rome. Sur un livret que lui souffle Auber. Certes, l'œuvre va connaître un bien curieux destin puisque remaniée de nombreuses fois depuis sa création en 1877 à Paris jusqu'à sa reprise à la Monnaie de Bruxelles en 1914. Depuis lors, plus d'occasion de l'entendre, pas même au disque. Pas une raison pour laisser l'endormie plus longtemps encore ignorée. Car c'est bien là un exemple topique de l'opéra du XIX ème, qui multiplie sans vergogne styles et formes au risque de faire grincer des dents les puristes impénitents ! L'Opéra Comique, en collaboration avec le Palazzetto Bru Zane dans le cadre de son festival parisien annuel, vient de la monter. Le sujet a de quoi surprendre : l'histoire hoffmannienne d'un peintre, Conrad, amoureux de son modèle, une ballerine, Fiammetta, ce personnage principal qui ne chante pas... Une pièce dont le centre d'intérêt est un objet, une sonnette, de celles qui, dans les temps bourgeois, ornaient les comptoirs des hôtels. Ce ''timbre d'argent'' procure des monceaux d'or à qui l'actionne, mais provoque aussi la mort subite d'une personne proche... Un mauvais génie, Spiridion, lointain cousin de Méphisto, tire les ficelles de cette étrange affaire qui tient du pacte faustien. Mais, en fait, il ne se sera agi que d'un rêve cauchemardesque et notre peintre retrouvera le vrai sens de la vie et pourra épouser celle qui l'aime, Hélène. Pour ce sujet atypique Saint-Saëns a commis une œuvre qui l'est tout autant, pourvue d'une musique extrêmement mobile, qui s'orne de clins d'œil à bien de ses confrères. Selon la belle formule de François-Xavier Roth, c'est « une musique des goûts réunis ». L'orchestre en est le personnage principal dans sa fonction de narrateur. Il est fort coloré, à l'image de l'Ouverture qui débutée allègre, se teinte d'accents plus sombres, voire menaçants, pour terminer par là où tout avait commencé. Lyrique ou éclatante, théâtrale ou intime, la manière ne cesse d'étonner et charme par son constant renouvellement. Roth, qui visiblement aime cet idiome, tire de ses complices des Siècles des sonorités envoûtantes : fondu des cordes, magistrale courbe des bois, fièvre des percussions...



Edgaras Montvidas & Hélène Guilmette © Pierre Grosbois Pour sa première mise en scène d'opéra, Guillaume Vincent réussit ce tour de force de s'approprier une trame qui se réclame à la fois du spectaculaire et du fantastique, demande l'intime et l'espace, et ne fait pas mystère de flatter la convention. Il l'assume à fond, ne cherchant pas quelque prétexte à transposition ou autre relecture. Pour ce faire, il joue l'illustratif, imagine une scénographie très mobile, multiplie les changements à vue, manie avec dextérité la scène de genre, s'affranchit des contraintes, d'autant plus facilement que l'œuvre dépasse elle-même les codes du genre opératique : mélange de chant et de danse, surgissement d'un brin de magie, effets spéciaux. Il use aussi bien du rideau de scène que de la vidéo pour démultiplier l'espace : scène forestière, envahissement subaquatique – que Saint-Saëns introduit à l'opéra avant L'Or du Rhin ! Il créé le mouvement (un banquet tout en paillettes) et ose ce qui ailleurs serait proche du poncif : déploiement des chœurs côté public, ou cette constellation scintillante qui s'empare de toute la salle en un tournoiement enivrant, etc... Vincent veille à ce que la tension ne retombe jamais malgré quelques tunnels dans l'action. Le III ème acte restera à cet égard un moment d'anthologie. Ce n'est pas le bouillonnement d'un Thomas Jolly, mais cela y ressemble.
La distribution est parfaitement achalandée. Dans le rôle de Conrad, exemple du ténor romantique avec son lot d'héroïsme et d'intense lyrisme, Edgaras Montvidas offre un parcours sans faute, d'autant plus méritoire que tout est ici exigeant : endurance, crédibilité, passion réfrénée. Dans celui d'Hélène, la pauvre aimante délaissée pour une danseuse, Hélène Guilmette offre un chant immaculé et une présence sereine. Leur duo au III ème acte, remarquablement traité dans sa simplicité, est pur bonheur. La palme de l'abattage vocal revient à Tassis Christoyannis qui possède à la fois la verve du baryton héroïque et le naturel diabolique du protéiforme Spiridion, et sait ne pas tomber dans le piège de la facilité. On citera encore les personnages de Bénédict et de Rosa, contrepoints sympathiques d'une histoire sulfureuse, joliment campés par le ténor lyrique Yu Shao et la délicieuse soprano Jodie Devos. Le magnétisme émanant de la danseuse Raphaëlle Delaunay fait juste regretter que le rôle de l'énigmatique Fiammetta soit muet. Quant aux chœurs Accentus, ils n'ont rien à envier à un ensemble pratiquant habituellement le répertoire, si ce n'est un parfait naturel. Au final, une belle réussite, à la hauteur de la hardiesse du pari engagé.
Jean-Pierre Robert

Un spectacle totalement décomplexé : Viva la Mamma !


Gaetano DONIZETTI : : Viva la Mamma ! Dramma giocoso en un acte. Livret du compositeur & de Domenico Gilardoni. Laurent Naouri, Patricia Ciofi, Charles Rice, Clara Meloni, Enea Scala, Pietro Di Bianco, Enric Martinez-Castignani, Katherine Aitken, Piotr Micinski, Dominique Benforti. Orchestre et Choeurs de l'Opéra de Lyon, dir. Lorenzo Viotti. Mise en scène : Laurent Pelly. Opéra de Lyon.

© Stofleth Ce n'est pas si souvent qu'on rit de bon cœur à l'opéra. Pour réagir aux travers d'un genre qui plus que tout autre renferme tant de chausse-trappes, de passion en coulisses et son lot de drames. La parodie de l'opéra, on la percevait déjà, légèrement féroce, dans Le Directeur de théâtre de Mozart. On la trouvera encore, plus dramatisée, dans Ariane à Naxos de Richard Strauss. Mais avec Viva la Mamma ! (1831), Donizetti nous en offre peut-être la vraie quintessence burlesque. Une troupe s'essaie à mettre au point une répétition au cours de laquelle les égos se déchaînent, à commencer par celui de la prima donna, Daria, qui n'entend pas même se faire approcher par Luigia, la seconda donna. Qu'à cela ne tienne, la mère de cette dernière vient à la rescousse et propose ses services, au prix de quelques empoignades, alors surtout que le primo tenore et le contre ténor ont déserté, au grand dam du chef d'orchestre et de l'impresario. Le mari de la prima donna offrira lui aussi de remplacer le ténor. Tout semblerait aller bien, sinon pour le mieux... Mais, coup du sort, le directeur du théâtre annonce qu'il renonce à produire... Et tout le monde - pourtant enfin réuni dans l'adversité, au son d'une « Marche lugubre » - prend la poudre d'escampette !
Il n'en fallait pas moins pour fertiliser l'imagination de Laurent Pelly dont on connait les lectures décapantes. Pour son quatrième Donizetti, après La fille du régiment, L'Elisir d'amore et Don Pasquale, il s'attèle à ce dramma giosoco qui décortique les ressorts du théâtre lyrique, avec une pointe de mélancolie amusée. Ces stars du gosier sont somme toute attachantes dans leur démesure et leurs excentricités. Rien de tel pour débusquer chez elles des travers si humains que la jalousie, la vantardise, la vanité. Sa mise en scène se veut une sorte de flash back : la troupe est repliée dans un vieux théâtre de province italien transformé en parking. On y répétera bon an mal an avec des accessoires de fortune à même la dalle de ciment. Au moment où les choses vont prendre forme, la magie se produit : le théâtre retrouve ses ors d'antan et redevient l'écrin de la future représentation. D'un glorieux monde révolu à la splendeur retrouvée. Pelly type ses personnages avec malice mais aussi des clins d'œil amusés sur leur vantardise invétérée – pas un qui ne mâche ses mots pour dire son fait à l'autre - et leurs états d'âme touchants : ce ténor qui ayant fui la meute, revient incognito et va jusqu'à embrasser le sol de ce théâtre qui lui a sans soute tout donné. Surtout cette Mamma Agata qui veut assurer le show pour promouvoir son rejeton : une castafiore plus vraie que nature, d'autant plus que la partition confie le rôle à un travesti...une basse bien sonore. Dans une pièce qui fait la part belle aux ensembles, Pelly se calque avec brio sur le temps musical, « une musique qui provoque immédiatement du théâtre », dit-il. Mais sans jamais se départir du ton de la parodie amicale, plus amusée qu'amère. Car ces êtres de chair et de sang sont autre chose que de pantins. Reste que la charge peut être sans concession. Les avatars du bien faire, à deux doigts de l'improvisation, l'intarissable effervescence, résolument ravageuse, tout va être scruté au scalpel. Ainsi les échanges entre Mamm'Agata et la prima donna virent-ils au crêpage de chignon. Ceux entre la susdite et le ténor, autour du piano droit malmené en tous sens, chacun cherchant à y puiser sa légitimité, tourneront à un mémorable défouloir déchaînant le rire sans complexe dans la salle.


© Stofleth La distribution répond au quart de tour. Laurent Naouri offre du rôle titre une composition d'anthologie. On savait depuis son Falstaff à Glyndebourne que la veine comique lui était aussi familière que la passion tragique et dévorante d'un Golaud. Il est ici proprement impayable dans un modèle d'imitation millimétrée : inénarrable dans sa robe à fleurs à l'ancienne, sac à main noir vissé au poignet, sa perruque rousse bouclée et ses manières féminines plus vraies que vraies. Au service d'une incarnation grandiose de mère poule ou de mégère non apprivoisée. Il faut voir ces mimiques caricaturales, ces facéties gourmandes, ou entendre ces borborygmes vocaux qui oscillent entre le vrai faux falsetto aigu et basse profonde, et ce bagout qui n'a rien à envier à quelque Figaro rossinien. Quel abattage ! Quel bonheur ! Patricia Ciofi, elle aussi, se calque adroitement dans la manière débridée de Pelly et orne le chant de la prima donna de tous les effets les plus séduisants. Il en va de même des autres morceaux de mécano de cette troupe décidément peu ordinaire : Procopo, le mari bravache de la première soprano, Charles Rice lui apporte une dimension hyperbolique ; la jeune soprano Luigia, Clara Meloni en propose un chant justement accompli, à faire pâlir sa rivale. Enea Scala, le primo tenore, sait dispenser toute la fougue et la tension qui caractérisent cette gente très en vue. Et le maître de chapelle, Pietro Di Bianco, est à la hauteur de la tâche combien délicate, sinon impossible en pareille circonstance, de venir à bout des ardeurs chauffées à blanc et séparer les belligérants. La musique de Donizetti, qui à bien des égards se calque sur celle de Rossini - science des ensembles, accélérations soudaines, légèreté du débit -, Lorenzo Viotti la dirige comme de la crème fouettée. Le jeune chef, lauréat du concours des Jeunes Chefs d'orchestre de Salzbourg 2015, tire de l'Orchestre de l'Opéra de Lyon un bien sympathique babillage. Cela s'enivre volontiers dans le tourbillon des ensembles. Et on s'attarde aussi sur quelques moments plus lyriques, répits au délire ambiant, telle que la romance de Luigia, adossée à un solo de violoncelle ou à la fameuse ritournelle de Mamm'Agata, modèle de singerie de l'air d'opéra et de ses tics, où Laurent Naouri se montre d'une rare et ''hénaurme'' cocasserie. Encore une fois, l'Opéra de Lyon aura déniché une pépite, comme il n'y a pas si longtemps avec Le Roi Carotte d'Offenbach.
Jean-Pierre Robert

Ian Bostridge et Julius Drake au Musée d'Orsay

Ian Bostridge & Julius Drake / DR On ne présente plus ce couple qui a interprété sur de nombreuses scènes internationales ce programme Schubert - Britten. Ce soir là, Ian Bostridge n’a pas paru dans ses meilleurs jours pour interpréter la première partie du « Winterreise » D 911 de Schubert. Bien sûr, il a bien chanté. Il connaît tellement bien cette œuvre, c’est un de ses chevaux de bataille. Peut-être qu'à force de la chanter, le cœur n’y est plus. Mais peut-être est-ce le thème de la soirée qui abordait des œuvres crépusculaires, hantées par la mort, l’abandon, la solitude, sur le temps qui passe, qui ont mis Ian Bostridge dans cet état ? Avec Britten, en deuxième partie, le chanteur a été parfait. Il aime chanter ce compositeur qui a passé sa vie à écrire des mélodies. Dès l’âge de quatorze ans il a commencé à composer. Cette passion il l’a gardé toute sa vie. « Winter Words », op. 52, de 1953, sont des mélodies à partir de poèmes de Thomas Hardy. C’est un vrai plaisir de les entendre, et par un grand ténor. Comme les Sechs Hölderlin-Fragmente op. 61, composés en 1958.
Stéphane Loison

Les lauréats de la Fondation Royaumont à Orsay

Amélia Feuer, soprano, Eléonore Pancrazi, mezzo-soprano et Clément Debieuvre, ténor, étaient dans la master class de Ian Bostidge à la Fondation Royaumont qui est en partenariat avec l’Auditorium d'Orsay. Ce fut un régal d’entendre tour à tour, seul, ces jeunes chanteurs avec toute l’énergie de leur jeunesse. Ils avaient choisi, pour leur récital à l'auditorium d'Orsay, un programme Britten : « On this Island » op.11 (1937), « Fish in the unruffied lakes », de 1937, « Winter words » op.52 (1953), « Seven Sonnets of Michelangelo » op.22 (1940), « Tit for Tat » (1928-1968), « Cabaret song », de 1937 et «  Folksongs arrangement », de 1940. Ils étaient accompagnés par une parfaite pianiste, Madoka, qui s’est spécialisée dans l’accompagnement et qui a reçu des récompenses dans cette spécialité ! La relève est assurée !
Stéphane Loison

LES PIANISSIMES au Café de la Danse

©Eric Cheylan volubilis.net Pour le dernier concert de la saison, Olivier Bouley a choisi un jeune pianiste de jazz Jean-Baptiste Franc accompagné par son père au saxophone soprano (celui de Bechet), Gilles Chevaucherie à la contrebasse et le fils de Bechet à la batterie, Daniel Bechet. Outre un hommage à Sidney Bechet en interprétant des standards, des morceaux écrits par le fameux saxophoniste, Jean-Baptiste Franc a joué des arrangements jazzy de Chopin (La Valse des adieux), Grieg (La Danse d’Anita), Wagner (Ouverture de Tannhaüser)…C’est lorsqu’il jouait seul qu’il était le meilleur et qu’il nous a vraiment impressionné par sa technique puissante et véloce. Seul, il n’était pas sous la pression de son père, le saxophoniste, où au piano avec l’orchestre il faisait le service minimum. L’hommage à Bechet était un peu trop appuyé jusqu’à une imitation impersonnelle des accents du grand musicien. Jean-Baptiste Franc est un grand artiste. Il lui manque peut-être un peu plus de confiance en soi pour aller jusqu’au bout de ses idées pianistiques. Il en a le potentiel. (On peut l’écouter au bateau Daphné). La soirée était somme toute très agréable et on attend les prochaines surprises que nous réserve à la rentrée Olivier Bouley !
Stéphane Loison

Bach et Berio inaugurent le Festival de Saint-Denis

Teodor Currentzis © Festival de Saint-Denis / Ch. Fillieule Mardi 30 mai sonnait l'ouverture du Festival de Saint-Denis avec les œuvres de deux géants : les motets BWV 227, 225 et 229 de Jean-Sébastien Bach, et Coro de Luciano Berio. Cette somptueuse programmation se voulait à la hauteur de l'événement : la célébration des 50 ans d'un Festival aussi riche que prestigieux. La basilique offrait son beau volume au Mahler Chamber Orchestra et, spécialement venus de Perm, au MusicAeterna Chorus ainsi qu’à son chef et fondateur (en 2004) Teodor Currentzis.

Le motet BWV 227 – Jesu, meine Freude – fait alterner le texte d'un cantique de Johann Franck et des versets de l'Épître aux Romains. Cette dualité donne tout son dynamisme à cette pièce dans laquelle Bach affirme sa joie (Freude) de croyant, car si le texte prime, expression directe de la foi, ce sont les notes qui lui prêtent vie. Assurance du fidèle et beauté de voix qui semblent s'envoler librement. C'est allemand, joyeux, vigoureux et léger. L'émotion culmine au cinquième mouvement dans la fugue à cinq voix « Ihr aber seid nicht fleischlich, sondern geistlich », un vrai tourbillon aux mélismes défiant la rigueur métronomique. Le chœur MusicAeterna, énergiquement mené par le truculent Teodeor Currentzis, arrivait à conjuguer la précision des attaques, le fondu de l'ensemble et l'expressivité des inflexions vocales. L'allégresse déborde aussi dès le début du motet BWV 225 Singet dem Herrn ein neues Lied. Mais Bach lui-même ne nous ravit-il pas toujours par l’immarcescible jeunesse de son chant ?! « Singet » est ainsi martelé, le premier chœur prenant appui sur la première syllabe pour mieux s'envoler et inviter à l’effusion, pendant que vocalise le second chœur. Ce motet enlevé et très virtuose atteint le sommet de sa complexité dans le troisième mouvement, quand toutes les créatures sont invitées par le psalmiste à louer Dieu dans son immense gloire et que les deux chœurs entonnent la fugue à l'unisson. « Halleluja ! » Tonalité toute différente – sol mineur – dans le motet BWV 229, Komm, Jesu, komm, dont la prière insistante (« Viens, Jésus, viens ») monte pour éclater comme une bulle, tandis que le fidèle confesse en même temps sa lassitude d'être incarné : « mein Leid ist müde... » Toute la contradiction du rapport au sublime s'exprime ici, dans ce motet beaucoup plus intime que les précédents, où la fraternité et la proximité avec le fils de Dieu n'effacent pas le gouffre qui sépare les conditions terrestre et divine. Particulièrement émouvant est le deuxième mouvement, une aria où s'élance un chant simple entonné par la voix soliste d'une soprano reprise par le chœur. Là encore, vivant et nuancé, ne surjouant jamais les différences de tons exigées par le texte, MusicAeterna préservait le caractère luthérien de cette musique, son homogénéité et sa sobriété, un certain caractère sombre ou nordique aussi, ce qui le rapproche du RIAS-Kammerchor dirigé par René Jacobs dans sa très belle interprétation gravée chez Harmonia Mundi. Une musique bien comprise par Teodor Currentzis, grande silhouette noire et musculeuse, qui la vivait sous nos yeux, galvanisant ainsi son ensemble.

Heureux les auditeurs qui entendaient pour la première fois Coro (1974-1976) de Berio et comprenaient aux premières mesures qu'ils avaient affaire à un chef-d'œuvre ! C'est aussi le miracle de l'événement vécu en direct – ici dans l'espace d'une basilique –, qu'aucune retransmission ne surpassera jamais, tant s'en faut. Cela est d'autant plus vrai que Berio fait entrer son auditoire dans, comme on voudra, un atelier, un work in progress ou un chaudron. Il y a toujours dans la musique de ce génie la conjonction foisonnante des dimensions horizontale et verticale du palimpseste et de la stratification, plus cette espèce de rugosité du travail artisanal sur la musique. D'ailleurs, Coro, pour quarante voix et orchestre, se veut un manifeste tant politique que musical. D'une part, en effet, s'y mêlent les langues (anglais, espagnol, allemand, français, italien) et les cultures (sioux, navaho, péruvienne, polynésienne, persane, croate, vénitienne...) dans une inspiration toujours populaire basée sur des chants d'amour et de travail anonymes ou signés Pablo Neruda ; d'autre part, la distribution des rôles et le dispositif scénique font que le chœur et l'orchestre forment un ensemble intimement soudé à l'intérieur duquel chaque voix, chaque instrument se fait séparément entendre. Ce chœur (coro) démultiplié, c’est finalement la vie d'une cité, avec ses drames, interactions (ainsi, originalité de la pièce, chaque chanteur est-il associé à un instrumentiste), rebondissements, anecdotes, etc. Il s’agit donc d’une œuvre épique (on entend Residencia en la Tierra de Neruda) et narrative dans laquelle les musiciens ne sont plus de simples exécutants mais des individus à part entière. Aussi le spectacle des chanteurs et/ou des instrumentistes se levant un à un ou en groupe et jouant littéralement leur partie (joignant parfois le geste à la parole) était-il effectivement captivant et bouleversant. Cela devenait une gigantesque construction multiforme, aux résonances infinies, mêlant chansons isolées, polyphonies et hétérophonies, et se réinventant en se métamorphosant constamment. Mesdames et Messieurs du Mahler Chamber Orchestra et du MusicAeterna Chorus : chapeau bas ! Sans oublier Teodor Currentzis, clé de voûte d'une interprétation qui demande une entente parfaite de tous avec tous, une clarté et une justesse de propos suprêmes.
Le public chaleureux fut récompensé par une pièce très bien choisie pour l'occasion : Immortal Bach (1985) de Knut Nystedt (1915-2014), œuvre pour chœur a cappella dans laquelle s'entend un choral, chant funèbre qui donne lieu, sous la plume du Norvégien, à une sorte de déliquescence ou de désincarnation, mais heureuse, manifestation de la vie sublimée. Un moment de pure grâce auquel répondit l'épais silence de l'assistance attentive… avant le tonnerre des applaudissements et des « bravo ».
Patrick Jézéquel

Quand l'Ircam manifeste paisiblement à Pompidou

Morton Feldman / DR L'heure était au recueillement, le 3 juin dans la grande salle (comble) du Centre Pompidou, pour le concert intitulé « Rothko Chapel », qui réunissait trois œuvres très intérieures : Prologue de Gérard Grisey, The King of Denmark ainsi que The Rothko Chapel de Morton Feldman. Trois pièces secrètes qui exigent une grande concentration de la part de leurs interprètes, mais aussi une complète disponibilité de celle des auditeurs. L'événement prenait place dans le festival Manifeste, dont l'édition 2017 offrait à l'Ircam l'occasion de fêter ses 40 ans d'existence.
The King of Denmark pour percussion seule (1964) reste un titre mystérieux, puisque le musicien le donna après coup et avoue avoir oublié le lien qui l'unit à la composition. Il est plus important de retenir de son témoignage les circonstances qui ont donné naissance à cette œuvre. Tout artiste se laisse littéralement impressionner par les images et les bruits du milieu extérieur, en l'occurrence une plage, ses cris d'enfants, ses conversations sur les serviettes et ses transistors allumés. Tout un univers décousu de bruits éphémères, mais un monde quand même. Florent Jodelet s'est enfermé dans sa cage à percussions pour, à mains nues, faire naître petit à petit un territoire sonore fragile et voué à la disparition, une sorte d'instantané de sept minutes. Morceau percussif ? que nenni ! Pas de battement, de crépitation ni d'explosion, plutôt leur reflet. Ce roi du Danemark s'avance à pas de velours et de manière imprévisible : cloches, tambours, gong... sont plus caressés que frappés par le doigt ou la paume, voire frôlés, ne sonnant jamais comme habituellement, et, même si la pulsation et la reprise de noyaux rythmiques donnent une certaine structure à l'ensemble, il ne semble pas y avoir de véritable ligne directrice. L'auditeur est donc libre de son interprétation dans cette belle pièce ouverte. Prologue pour alto et résonateurs (1976) de Gérard Grisey est une œuvre singulière, en forme de question (elle inaugure d'ailleurs un cycle intitulé Espaces acoustiques), hypnotique, la cellule mélodique centrale étant répétée et déformée à l'infini (jusqu'au bruit), et très émouvante également – les qualités de l'alto, instrument singulier lui aussi, y sont pour beaucoup. Une œuvre touchante s'il en est, puisqu'il s'agit de biologie, donc de la vie la plus concrète. En effet, non seulement la figure mélodique, série d'harmoniques à partir d'un son fondamental, reproduit la respiration humaine (une suite de cinq notes qui commence par baisser puis monte jusqu'à l'avant-dernière note avant de redescendre : amplification progressive jusqu'au gonflement complet et relâche), mais aussi, elle alterne avec la répétition d’un même degré sur un rythme iambique (court-long), pareillement aux battements du cœur. Si questionnement il y a, il est fermé, dans la mesure où cette insistance obstinée de la vie qui se poursuit d’elle-même finit par retourner à son point de départ. Ce qu'on entend est une voix solitaire avec, en réponse, les faibles échos des instruments environnants, absolument passifs, véritables fantômes vibrant par sympathie. Geneviève Strosser, longue et très élégante silhouette, faisait corps avec son violon, le faisant tour à tour chanter et couiner, sans pathos ni effets parasitaires, conservant ainsi à cette pièce tout son mystère. Son jeu n'avait rien à envier à celui de son illustre aîné, Gérard Caussé, le dédicataire de Prologue.
Mark Rothko a réalisé quatorze toiles de grand format pour la chapelle bâtie en 1971 à Houston, Texas, par la Ménil Foundation. La même année, la même fondation commanda The Rothko Chapel pour soprano, contralto, double chœur et trois instruments (alto – Geneviève Strosser –, célesta – Othman Louati – et percussion – Florent Jodelet), qui fut jouée dans le sanctuaire en 1972. Comme la peinture pour laquelle elle a été faite, cette musique est immobile, abstraite et tout en vibrations. C'est une longue méditation de trente minutes, sans aucune parole (que des « ouhouh ») et qui ménage beaucoup de place au silence. Pas de religion désignée ni de message délivré. Pourtant, quelques épisodes de la vie personnelle de Feldman traversent sa création : premièrement, certains intervalles tout au long du morceau qui sont le souvenir de ceux entendus à la synagogue ; deuxièmement, la petite mélodie hébraïque finale à l'alto, écrite alors qu'il avait quinze ans (de par sa fraîcheur, sa tendresse, son caractère primesautier et sa simplicité, elle est bouleversante : c’est le chant de l’enfance) ; troisièmement, le fait qu'il a composé la mélodie de la soprano le jour du service funéraire de Stravinsky. Le compositeur distingue quatre mouvements : une ouverture déclamatoire, une partie plus abstraite pour chœur et cloches, un interlude pour soprano, alto et timbales, et une fin lyrique pour alto, vibraphone puis chœur. Une délicieuse sensation de flottement accompagne toute cette musique d'atmosphère, au volume constant, où les voix n'affirment rien, où les instruments ne s'affirment pas davantage. Geoffroy Jourdain dirigeait Les Cris de Paris, parfaits de légèreté, de nuance et de justesse.
Un très beau concert, dont il faut souligner l’intelligence de la programmation. Éric Daubesse était à la réalisation informatique musicale Ircam.
Patrick Jézéquel


Le romantique et le contemporain se croisent sur un clavier

David Robertson © Getty / Hiroyuki Ito Vous n’aimez pas la musique contemporaine ? Vous avez le sentiment qu’elle vous regarde de haut et qu’il faut être initié pour y entrer ? Le concert du 1er juin à la Maison de la Radio était donc pour vous, car, avec la simplicité propre aux grands maîtres, David Robertson captiva son public en présentant Notations de Pierre Boulez, la première œuvre au programme. Directeur de l’Ensemble intercontemporain de 1992 à 2000, le maestro connaissait très bien le compositeur, dont il a enregistré, entre autres, cette pièce, avec l’orchestre national de Lyon (en 2002, chez Naïve). À Paris, il dirigeait l’Orchestre National de France ainsi que Kirill Gerstein, Notations étant initialement une pièce pour piano écrite en 1945. Boulez a commencé par être un pianiste très talentueux, rappela Robertson, et ce n’est que bien plus tard, une fois le métier de chef bien en main, qu’il eut l’idée d’adapter ce matériau originel au grand orchestre, prenant son temps, puisque l’orchestration de cinq des Notations et sa révision s’étalent sur vingt-quatre années (1980-2004). Et c’est non sans raison ni effet sur l’auditoire que l’Américain souligna, ce soir-là, l’émotion que lui procurait le fait que cette œuvre avait traversé toute la carrière d’un musicien très inspiré déjà à vingt ans. Les artistes décortiquèrent mesure par mesure la Notation I  (dans la partition pour piano, chacune d’entre elles en comporte douze. Douze sons, douze mesures.) De fait était passionnante l’écoute successive du piano et de l’orchestre, lequel balance entre fidélité au modèle et prolifération « délirante » quand, subitement, il lève une tempête hugolienne. Dans cette fête du timbre, de l’imagination créatrice et de la construction pour ensemble, Robertson fit entrer le public dans l’atelier du musicien, attirant au passage son attention sur l’humanité d’un créateur qui travaillait non pas pour autant d’instruments d’un ensemble, mais pour autant d’instrumentistes. Bon pédagogue, ce chef est aussi un interprète attentif qui fit une lecture très claire de la partition, s’appuyant sur une phalange des plus sûres.
À côté de Boulez, son mentor, George Benjamin paraît un grand sensuel ! Il est vrai qu’il a étudié la composition auprès d’Olivier Messiaen et que le titre Dance Figures a plus de chair que Notations. Et pour cause, ces esquisses chorégraphiques furent composées en 2004 pour Anne Teresa de Keersmaeker : neuf sections bien différentes aux titres évocateurs – Spell (« charme »), Recit, In the Mirror, Interruptions, Song, Hammers (« marteaux »), Alone, Olicantus et Whirling (« tourbillon »). Une suite d’études pour grand orchestre qui sont autant d’interrogations sur l’écriture pour ballet. Il est donc tout à fait naturel que s’y entendent des références que Benjamin ne renie d’ailleurs pas : Ravel, Debussy et Stravisnky. On pouvait se demander, à l’écoute de cet opus, si la musique n’est pas essentiellement chant et danse, si elle ne doit pas toujours y retourner comme à une source vive. Le lyrisme de Benjamin, signe de l’importance qu’il accorde à la mélodie, est manifeste dès les premières mesures de la première séquence, pour cordes, desquelles se détachait Sarah Nemtanu, premier violon solo. D’ailleurs, globalement dans l’œuvre, des lignes se découpent sur fond d’ensemble, ménageant des effets de musique de chambre. Et l’effet d’amalgame est renforcé par des sonorités archaïsantes dans un environnement bien contemporain. Le moindre des compliments à adresser à l’Orchestre National de France est sa grande précision d’exécution. Même si les querelles idéologiques sont aujourd’hui dépassées, un programme juxtaposant des réalisations stylistiquement très différentes ne laisse pas d’étonner, surtout quand on accole à Boulez et Benjamin le nom du très romantique Sergueï Rachmaninov, dont était donnée la Rhapsodie sur un thème de Paganini. Après avoir fait varier Chopin et Corelli, Rachmaninov aurait tout aussi bien pu intituler cette pièce de 1934 Variations sur un thème de Paganini (mais Brahms l’avait déjà fait), car il s’agit bien de cela : vingt-quatre variations sur le très célèbre 24e Caprice pour violon. Caprice, rhapsodie, ou quand la fantaisie s’invite dans la structure… Le thème n’apparaît d’ailleurs qu’après une introduction et on entend çà et là le Dies Iræ. C’est plutôt l’esprit de jeu qui a suscité et anime cette œuvre très libre au mouvement unique. C’est un jeu et c’est un jet. La bonne humeur, voire l’humour, une impérieuse légèreté que rien ne saurait arrêter, une grande virtuosité aussi, ce morceau de bravoure semblait convenir à Kirill Gerstein, pianiste à la maîtrise technique ébouriffante, qui n’alourdit jamais son art en recherchant l’effet, conservant une conduite virile, toujours parfait dans ses attaques, ses inflexions, et qui, dans une autre vie, joua du jazz. Les volutes du violon de Sarah Nemtanu s’enroulaient parfaitement autour du piano concertant. Rien de vraiment profond ou grave, de la musique pure en somme…, bien que quelques rares variations moins inspirées ont un malheureux effet de scies. Quant à la 18e variation, la plus connue, coup de génie du thème renversé, c’est un petit bijou en soi, une miniature. Pur également, et entier, fut le plaisir du public, qui applaudit chaleureusement le soliste, le chef et l’orchestre.
Patrick Jézéquel

L’ÉDITION MUSICALE

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CHANT

Rose-Marie JOUGLA : Une larme pour voix de soprano et piano. Delatour : DLT2757.

« Cette mélodie aux harmonies modernes écrite pour voix soprano avec accompagnement piano, décrit le triste parcours d’une larme née de la peine ressentie lors de la perte d’un enfant. » Le texte, écrit dans une prose poétique rythmée est de Rose-Marie Jougla elle-même et dédié à son frère. L’ensemble est lent et méditatif. Il demande évidemment une belle technique vocale. L’accompagnement de piano suggère discrètement le cheminement de la larme tandis que la voix suit au plus près les inflexions du texte. Laissons de nouveau la parole à l’auteur : « L’interprétation des musiciens demande beaucoup d’expression et de sensibilité afin de pouvoir restituer une ambiance particulièrement difficile, souhaitée. » Que dire de plus devant une œuvre si personnelle, sinon qu’elle a la qualité habituelle des œuvres de l’auteur ?
Daniel Blackstone

ORGUE

Pierre-Richard DESHAYS : Minilude n° 1 pour orgue. Préparatoire. Lafitan : P.L.3114.

On ne peut que souhaiter le développement de nos classes d’orgue, même si elles ont souvent du mal à subsister. Cette pièce pourra y contribuer par son caractère pédagogique en même temps que musical. Le discours se déroule dans un contrepoint très lisible. Les enchainements harmoniques sont très classiques, mais permettront au jeune organiste de maîtriser la conduite des deux mains soutenues par une pédale en valeurs longues. La deuxième partie charge un peu plus la main gauche et contribuera à l’indépendance des doigts d’une même main. Il s’agit donc d’un petit prélude qui de déparera pas même dans un office.
D.B.

Daniel ROTH : Die Liebe… ein Feuer. La Pentecôte pour Grand Orgue. Organistes alsaciens. Volume 32. Delatour : DLT2746

Même si Daniel Toth est bien alsacien, il a fait, comme on le sait toute sa carrière à Paris, au Sacré-Cœur de Montmartre puis au prestigieux Cavaillé-Coll de Saint Sulpice tout en enseignant dans les plus grandes écoles françaises et étrangères. Le compositeur nous offre ici un poème symphonique sur le thème de la Pentecôte. Le lien des différentes parties est assuré par la mélodie grégorienne du Veni Sancte Spiritus, tandis que les épisodes s’enchainent, reprenant les Actes des Apötres : réunion au Cénacle, venue de l’Esprit sous forme de langues de feu, et une action de grâces où s’exprime la plénitude de l’instrument. Il est inutile de préciser que cette œuvre à la fois grandiose et méditative, ne peut se jouer que sur un grand instrument.
D.B.

Michel ESTELLET-BRUN : L’œuvre d’orgue volume 3 Pour orgue. Delatour : DLT2738.

On pourra aller écouter sur le site de l’éditeur ou sur YouTube l’ensemble des pièces de ce volume ainsi que celles des deux volumes précédents. Trois des quatre pièces présentes dans ce recueil sont écrites « In memoriam pour Patrick, Benoit et Stéphane, disparus trop tôt en pleine jeunesse ». La quatrième, « offertoire des défunts », est une « œuvre courte à programme évoquant successivement plainte, révolte, colère pour finalement s’achever sur un sentiment de paix et de confiance ». L’ensemble est conforme au style habituel de l’auteur. L’écriture peut être jugée romantique, mais est-ce un défaut ? C’est profondément beau, parfois un peu intemporel et pourtant très expressif. La collection dans laquelle l’œuvre de Michel Estellet-Brun est publiée est la collection « Organ Prestige » de Frédéric Denis qui veut enrichir le répertoire de l’orgue d’œuvres contemporaines accessibles techniquement et musicalement. On peut dire qu’avec les œuvres de ce compositeur, il y réussi pleinement.
Daniel Blackstone

Pierre-Richard DESHAYS : Ma première année d’orgue au clavier. Paris, LEMOINE  (www.henry-lemoine.com ), HL 29238, 2017, 70 p. – 22, 70 €.

Selon un usage bien ancré, l’apprentissage de l’orgue commence après une bonne initiation au clavier (piano), aux doigtés et au jeu polyphonique en principe indispensable avant d’aborder la technique du pédalier.
Ce manuel propose une approche directe du clavier : position des notes, doigtés pour chaque main... Les organistes en herbe apprécieront les exercices très ciblés et découvriront les secrets du « Roi des instruments » haut perché dans les Églises.
Grâce à la vaste expérience méthodologique de Pierre-Richard Deshayes qui, avec des remarques de bon sens et avec le regard vigilant d’un professeur, ils seront initiés aux éléments de solfège — lecture (clés de sol, de fa) et théorie — et progresseront rapidement. Les commentaires d’une très grande clarté sont associés à des formules à répéter. Comme dans d’autres méthodes (par exemple Alfred Cortot : Les principes rationnels de la technique pianistique, 1928), les élèves s’approprieront de courtes formules, se familiariseront, entre autres, avec les tenues… Ils auront plaisir à jouer immédiatement de petits morceaux (Clochettes de Noël…), puis à découvrir les changements de claviers (Grand Orgue/Récit), le déplacement des mains pendant les silences, les notes piquées, le jeu staccato. Au n°58, les apprentis organistes apprendront à réaliser des accords, puis découvriront les gammes (ascendantes), les altérations accidentelles ; à noter, au n°77, les tenues de 4 notes (deux à la main droite et deux longues à la main gauche, comme une pédale).
Les morceaux aux titres évocateurs permettent l’application des acquis par les exercices. Ensuite, apparaissent la mesure à 6/8, le mode mineur, le « décollage rythmique » (traits de doubles croches). À remarquer une pièce organistique : Solo de trompette dans lequel chaque main a sa propre sonorité grâce aux registrations. D’autres difficultés s’ajoutent : sauts, intervalles disjoints... Et, pour terminer, une Petite Anthologie, avec, entre autres, quelques résonances grégoriennes, récompensera l’élève studieux qui, avec enthousiasme, aura bénéficié d’une solide initiation aux 2 claviers de l’orgue : il est ainsi progressivement préparé à l’apprentissage du pédalier et à l’art de la registration qui feront de lui un organiste complet.
Édith Weber

PIANO

Colette MOUREY : Approche chromatique de l’Enseignement Pianistique. Delatour : Première année : DLT2743. Deuxième année : DLT2745. Troisième année : DLT2762.

s’agit pour le moins d’une approche tout à fait originale de l’enseignement du piano, même si elle plonge ses racines chez Chopin et Liszt… Composée entièrement de morceaux originaux, elle met en œuvre dès le premier numéro la variété rythmique et les nuances, c’est-à-dire tout simplement le sens musical de l’élève. La méthode s’adresse tant aux enfants qu’aux adultes. Le premier volume met en place la main en partant du pouce et de trois notes chromatiques, do, do# et ré. Très vite on explore l’ensemble du clavier. C’est à la fois ludique et physiologique. Le deuxième volume est – en partie ! – un hommage à la grand-mère de l’auteur, qui leur faisait jouer leurs exercices dans tous les tons. Ce qui lui venait en droite ligne d’une ancêtre élève de Chopin. On ne saura jamais assez dire combien la transposition est un exercice fondateur de la pensée musicale. Cette fois, il s’agit « d’une prise en mains véritablement chromatique du clavier, ce qui permet une tenue stable, aussi bien dans les présentations positionnelles qu’en déplacement. » par la pratique de la transposition ; ainsi le sentiment tonal se met fortement en place. Le troisième volume (mais cela commence dès le premier) épanouit l’éducation tonale, modale et atonale. Ajoutons que, dès le premier morceau, l’élève est familiarisé avec la notation américaine par lettre, tellement pratique à connaître et à pratiquer pour noter simplement l’harmonie… et indispensable pour qui veut aborder tous les styles de musique. Encore une nouvelle méthode de piano ? Mais celle-ci est vraiment originale et écrite par une pédagogue chevronnée. Même si on ne l’adopte pas, il faut au moins l’avoir parcourue et avoir pris conscience de ce qu’on peut en tirer pour son propre enseignement.

D.B.

Pascal JUGY : Chanson marinière pour piano. Elémentaire. Lafitan : P.L.3144.

Au fil de l’eau… Ce trois temps fait parfois penser au chaland qui passe. Ce n’est pas une critique ! Au contraire cette valse mélancolique aux allures, parfois, de valse musette est pleine d’un charme nostalgique accentué par la tonalité de lab Majeur et par une modulation lointaine avant de revenir à la tonalité principale. L’interprète devra savoir faire chanter la mélodie tout en respectant les petits contrepoints exprimés à la même main tandis que la main gauche maintient le tempo de valse. C’est donc une pièce qui offre un grand intérêt tant technique que musical.
D.B.

Wolfgang Amadeus MOZART: SONATE pour piano en la majeur KV 331 Wiener Urtext Edition, Schott/Universal Edition : UT 50418

Editée d’après les sources par Jochen Reutter. Doigtés de Heinz Scholz. Notes sur l’interprétation de Robert D. Levin.
A l’époque où Mozart a composé les sonates KV 330, KV 331 (avec son célèbre mouvement Alla Turca) et la sonate KV 332 ainsi que L’Enlèvement au sérail, on célébrait à Vienne le centenaire de la levée du Siège des Turcs de 1683. La préface révèle quelques erreurs d’édition transmises pendant plus de deux siècles et corrigées en partie grâce à la découverte en 2014, à Budapest, de quelques feuillets autographes de la sonate partiellement perdue. Retrouver les quatre pages encore manquantes permettrait peut-être de lever les derniers doutes (comme l’indication Allegretto du dernier mouvement Alla turca au lieu de Allegrino figurant dans l’édition originale).
Le paragraphe sur l’articulation (dans les Notes sur l’interprétation) aide à la bonne lecture des liaisons, utiles notamment dans la dynamique et comme effet de pédale. Chacun sait que Mozart ne mentionnait pas explicitement l’emploi de la pédale. Les quelques rappels suivants s’avèrent utiles.  L’attaque du trille par la note supérieure est toujours en vigueur, sauf dans des cas bien précis. L’appoggiature s’exécute soit avant, soit sur le temps, suivant sa « fonction ». Les exécutions modernes négligent souvent les reprises, pourtant chères aux compositeurs qui offraient ainsi à l’interprète l’occasion de varier son jeu, d’orner suivant son inspiration et son talent.
Notons quelques curiosités dans les doigtés, non justifiées, ni par le phrasé, (dans la troisième variation du premier mouvement ou dans le Rondo, par exemple) ni par l’ornementation.


Sophie Jouve-Ganvert

ACCORDEON

Fabrice TOUCHARD : Vranica 237. (Impressions en 3 mouvements ) pour accordéon. Supérieur. Lafitan : P.L.3174.

Nul doute que ce titre, qui fait référence à une partie d'un groupe montagneux du centre de la Bosnie-Herzégovine, dans les Alpes dinariques, soit important pour comprendre cette œuvre. Faute de détails, disons que ces impressions sont contrastées. Les paysages sonores se succèdent rapidement. Le premier mouvement commence par une Cadenza – Furioso e energico, se poursuit par quelques mesures Lagrimoso e rubato et se poursuit par un decido. Après cette introduction, c’est un allegro qui prend le relai, qui se termine par un « con fuoco » haletant. Le deuxième mouvement, andante, est lyrique et plus apaisé. Le troisième mouvement, après une cadence vigoureuse, se déroule dans un caractère « giocoso e animato ». L’ensemble demande une véritable virtuosité à l’instrument et une grande maîtrise de tous les effets qu’on peut en tirer. Les indications de l’auteur permettent de maîtriser l’ensemble. Ces impressions permettront à l’instrumentiste de faire montre autant de sa technique que de son sens musical. Daniel Blackstone

Manu MAUGAIN – Sébastien FARGE : Sur les rives du Colorado. . Pièce pour accordéon. Préparatoire. Lafitan : P.L.3243.

Nous voici en quelques notes transportés au pays des cowboys… Les rythmes et les mélodies recréent une atmosphère typique. L’ensemble est bon enfant et évoque un peu le cinéma muet et les vieux films du far West… Il ne manque que les indiens ! Il s’agit donc d’une pièce fort plaisante qui comporte cependant quelques difficultés bien naturelles pour ce niveau.

D.B.

VIOLON

Claude-Henry JOUBERT : Quatre fables pour violon avec accompagnement de piano : 3 – L’avocat et les Crevettes Troisième année. Lafitan : P.L.3164.

Nous retrouvons l’humour de l’auteur, mais aussi ses qualités de compositeur et de pédagogue. Le « bel avocat bavard » est doté d’un thème aussi plaisant que volubile. Les crevettes dansent joyeusement et après diverses péripéties, tout cela se termine par un mariage entre l’avocat et la reine des crevettes, mariage célébré par « Madame Cécile Mayonnaise, première adjointe au maire » sur un thème qui évoque une certaine « marche nuptiale » bien connue des organistes… Le tout est plein de fraîcheur (c’est de bon aloi pour l’ensemble des acteurs de ce conte !) On remarquera au passage que la cadence de six mesures peut être improvisée : le compositeur donne des indications pour le faire. Si le pianiste est essentiellement accompagnateur, il devra cependant déployer toutes ses qualités d’écoute pour, précisément, accompagner efficacement son compère violoniste dans toutes ses aventures.
D.B.

Rose-Marie JOUGLA : Sur l’eaupour violon et piano. Premier cycle. Delatour : DLT2756.

Que le simple ne soit pas forcément simpliste, une fois de plus cette très jolie pièce le démontre. Si l’éditeur nous parle d’« harmonies modernes », nous dirons plutôt harmonies fauréennes pleines de délicatesse. Cette promenade au fil de l’eau, dans un souple tempo à trois temps, évoque une sorte de rêverie douce pleine de lyrisme. Ce sera l’occasion pour l’interprète de soigner le son et l’expression. Mais cela n’est-il pas vrai de toute musique ? Comme à l’accoutumée, la compositrice mêle avec bonheur souci pédagogique et qualité musicale.
D.B.

George Philipp TELEMANN : 12 FANTASIEN für Violine solo, (TWV 40: 14-25) Wiener Urtext Edition, Schott/Universal Edition : UT 50415

Editées d’après les sources et munies de Notes sur l’interprétation par Bernhard Moosbauer. Edition trilingue.
Telemann a composé soixante-douze pièces pour instrument seul, sous le titre de Fantaisie, les unes pour clavecin, d’autres pour flûte traversière, d’autres pour viole de gambe et enfin pour violon, parues en 1735. Elles s’apparentent au Prélude, à la Toccata, au Capriccio, à la Boutade
Quelques-unes comportent des fugues (les six premières), d’autres sont des « galanteries » selon Telemann. Tout au long du recueil, on remarque une évolution de la forme sonata da chiesa (vif-lent-vif-lent) pour la première Fantaisie, à la forme tripartite de la huitième à la douzième. Aux mouvements fugués s’ajoutent des mouvements de danses, nommées (siciliana) ou non (gigues et courantes italiennes, gavotte, sarabande).
« Brèves, concises, avec leur caractère propre, elles [les Fantaisies] sont une mine inépuisable […] ; elles possèdent en outre une grande valeur artistique et didactique ».
Composées pour des amateurs, ces pièces malheureusement trop méconnues exigent un certain niveau technique, bien que les changements de position ne dépassent pas la quatrième position. On consultera à ce sujet, l’ouvrage de Merck De l’application pour jouer dans les aigus (1695). La sensibilité, les capacités, les connaissances, le choix des coups d’archet, du bon tempo et des ornements sont indispensables au bon rendu musical.
On lira avec beaucoup d’intérêt les précieuses Notes sur l’interprétation (renvoyant à des passages précis des pièces), dont le paragraphe sur les coups d’archet, sur l’adaptation des règles avec l’utilisation d’un archet moderne ; celui qui concerne la polyphonie soulève le problème de l’exécution des notes liées dans les dissonances. L’ornementation est abordée un peu rapidement, étant donné que le propos est essentiel pour l’interprétation. La technique de vibrato est aussi analysée.
« Ainsi, les Fantaisies posent-elles des exigences non négligeables non seulement sur le plan de la réalisation musicale, mais aussi dans le domaine de la technique violonistique ».
Sophie Jouve-Ganvert

Alexandre FLENGHI : Au royaume de la princesse Plic-Ploc pour violon et piano. Facile. Delatour : DLT2749.

Avec ce conte musical en neuf épisodes, l’auteur nous prouve que les débuts du violon ne sont pas forcément rébarbatifs ! Sans abandonner l’aspect pédagogique (les pièces sont classées en ordre progressif de difficulté), il déploie en effet toute une histoire illustrée par de petits tableaux ou de petits portraits. Différents animaux apparaissent au fil du récit et permettent de varier très efficacement les styles. L’ensemble devrait faire le bonheur et des professeurs de violons, et de leurs élèves… et aussi des auditeurs : tout cela peut être mis en scène par et pour une classe de violon dans une audition de fin d’année ou un concert d’élèves…
D.B.

ALTO

Claude-henry JOUBERT : Quatre Westerns : I – L’Attaque de la diligence pour alto avec accompagnement de piano. Première année. Sempre più : SP0246.

Cette série de quatre pièces s’adresse au quatre premières années d’instrument. Chacune peut être mise en scène, et surtout cela peut constituer un mini-spectacle pour une classe d’instrument. Mieux, on peut inviter les amis des autres classes, car six versions de ces westerns existent dans la même tonalité pour violon, violoncelle, flûte, hautbois et clarinette. Ce premier volet, s’il est à l’aune des capacités d’un instrumentiste de première année, n’en est pas moins aussi varié que plaisant. L’attaque de la diligence se fait à un rythme endiablé. Un récitant sera le bienvenu. Bref, cela montre – mais est-il besoin de le préciser – qu’avec un tout petit niveau d’instrument, on peut faire de la bonne musique…

II – Bison Jack. Deuxième année. SP0247.

Cette fois-ci, nous voici transportés dans un saloon pour une histoire aux multiples rebondissements. Le pauvre Bison Jack est accusé à tort par le méchant Benny Coyote, mais grâce à la belle Emma, tout finira bien et Bison Jack ne sera pas pendu. Les différentes scènes sont rendues avec beaucoup de vivacité. Ajoutons que l’accompagnement fait la part belle aux effets imitatifs et surtout aux grilles classiques du jazz, ce qui permettra si on le désire d’initier les élèves au blues et à la musique « country ».

III – Les Pirates de Grand River. Troisième année. SP 0248.

Dans cette nouvelle aventure, Emma convoie sur une rivière une caisse d’artifices. Les pirates attaquent. Bien sûr, Emma va sauver le navire ! Les difficultés augmentent. Comme toujours chez Claude-Henry Joubert, certaines réminiscences se font jour, à découvrir au gré des évènements. Même si le pianiste est dit « accompagnateur », ce n’est pas pour cela que son rôle est moins important ! Il devra être un complice attentif et efficace de l’altiste et sa partie, même si techniquement elle n’est pas très difficile, devra être jouée avec beaucoup de précision et d’à propos. Ce sera un excellent travail de musique de chambre. 

IV – La clémence de Sitting Bull. Fin de premier cycle. SP0249.

Voici le dernier volet de ces quatre westerns. Les indiens arrivent ! Et pas n’importe lequel : le célèbre Sitting Bull en personne. On pourra en profiter pour faire découvrir la véritable histoire des sioux. Emma s’est égarée et est prisonnière des sioux ! Mais Sitting Bull sera clément. L’œuvre s’ouvre sur un emprunt revendiqué à un certain « Loup-qui-avance » (Wolf gang)… Le reste s’inscrit toujours dans le style Western et suit fidèlement les péripéties de l’intrigue, permettant aux interprètes de montrer toutes leurs qualités rythmiques et lyriques. L’ensemble de ces quatre pièces devrait faire le bonheur de bien des auditions de fin d’années, de leurs auditeurs et de leurs interprètes !
D.B.

VIOLONCELLE

Rose-Marie JOUGLA : Duocordes. 15 duos pour violoncelle. Facile. Delatour : DLT2754.

Ces duos pour deux élèves partent des fondamentaux puisque les trois premiers sont entièrement écrits sur les cordes à vide. Puis premier, deuxième troisième et quatrième doigt entrent en suite en scène. Bien loin d’être des exercices, ces petits duos sont autant d’ambiances sonores expressives. S’ils ne comportent pas de nom, ils sont en revanche très caractérisés par leur tempo, leurs nuances… Il pourra être intéressant de rechercher avec les élèves un titre qui leur permettra de créer en eux un paysage musical propice à la richesse de l’interprétation. Une fois de plus, Rose-Marie Jougla nous prouve qu’on peut faire de l’excellente musique même avec les cordes à vide !
D.B.

Abdel Rahman EL BACHA : Nocturne pour violoncelle et piano. Assez facile. Delatour : DLT2740.

Y a-t-il vraiment dans cette douce méditation des influences de Gabriel Fauré et de Richard Strauss, comme le suggère l’éditeur ? Sans doute, mais il s’agit néanmoins d’une œuvre originale et qui possède son langage propre. Piano et violoncelle dialoguent dans un contrepoint plus ou moins affirmé, à la fois mélancolique et aérien. C’est une très belle pièce, techniquement peu difficile mais qui demande une grande maîtrise de l’instrument pour en exprimer tout le charme et toute la poésie. Ce nocturne existe également dans une version pour alto et piano DLT1709 qu’on peut écouter intégralement sur YouTube https://www.youtube.com/watch?v=YborN07ziZA
D.B.

Alexandre FLENGHI : L’étonnant bestiaire du professeur Kratapaire pour hautbois et piano. Assez difficile. Delatour : DLT2747.

Nous voici invités à partager les aventures ou les humeurs du Chat-lumeau, de l’Hippopocampe, du serpaon à sornettes et du canard laquais, sans oublier le récit de la mort du papy lion monarque… L’ensemble est plein d’un humour dévastateur puissamment illustré par une musique suggestive et parfois imitative. Les courts textes peuvent être lus par un récitant ou par le pianiste. Le hautboïste aurait plus de mal… L’ensemble est d’une grande fraicheur mais demandera aux interprètes une grande aisance technique non par la difficulté intrinsèque de la partition mais plutôt pour la mise en place. On trouve notamment de nombreux unissons qu’il faudra soigner particulièrement tant pour la mise en place que pour le timbre. Mais moyennant ce travail d’orfèvre, cette œuvre originale et devrait se montrer bien séduisante pour les auditeurs et bien amusante pour les interprètes.
D.B.

FLÛTE

George Philipp TELEMANN : SONATE pour flûte et basse continue, Tafelmusikik I, 5 (TWV 41 :h4) Wiener Urtext Edition, Schott/Universal Edition : UT 50416.

Editée d’après les sources par Jochen Reutter.  Notes sur l’interprétation, de Susanne Schrage.
Les quelques corrections utiles ont été établies d’après la comparaison entre les deux seules sources.
Dans ce genre d’édition (trilingue, comme de coutume chez Schott), ce n’est pas l’œuvre que nous découvrons, mais ce qui en est dit dans la préface et dans les « notes sur l’interprétation ».
La préface nous renseigne sur les « secrets de fabrication » de la Musique de Table, éditée en 1733, grâce à une souscription, (comme bien souvent à l’époque). Haendel fut d’ailleurs l’un des souscripteurs.
Les trois Productions qui constituent Tafelmusik contiennent trois ensembles de « base » entre lesquelles s’intercalent trois pièces, dont cette sonate, ce Solo. Par Solo, il faut entendre pièce pour un instrument accompagné d’une basse-continue (fondamento) selon la terminologie de Telemann). Le plan de cette sonate suit celui de la sonate d’église (Sonata da chiesa) en quatre mouvements alternativement lents et vifs : Cantabile, Allegro, Dolce, Allegro.
Les notes sur l’interprétation, si elles sont importantes et intéressantes, sont quelques fois confuses (et dans les textes en anglais et en allemand et de par les effets d’une traduction abrégée), voire incompréhensibles, par exemple : « Le 2e mouvement Allegro, avec sa forme ouverte sans signe de répétition, est un mouvement de reprise typique » (?). Certaines indications demandent à être lues avec prudence et questionnement. Ainsi, les « liaisons de secondes soupirantes à la basse » du premier mouvement ne sont-elles pas simplement l’indication de notes inégales ? Pourquoi ressentir de la « bizarrerie » ? Quant au dernier mouvement, même s’il est en ternaire, il ne peut s’assimiler qu’à une gigue italienne, car à trois temps. On peut lire plus loin : « Un moyen d’expression fondamental consiste à articuler les sauts, les répétitions de sons et les notes comportant un trait de staccato grâce à la syllabe ti, mais par contre les degrés grâce à la syllabe di » ? Pour une bonne compréhension, il faut consulter le texte de Quantz, auteur de l’Essai d’une méthode pour apprendre à jouer de la flûte traversière (Berlin, 1752) : « Pour les notes lentes & nourrissantes le coup de langue ne doit pas être rude & il faut employer le di, au lieu du ti ».
La question de l’ornementation pose aussi quelques problèmes (ainsi, dans l’avant-dernière mesure du premier mouvement, même si Telemann indique un coulé en « petites » noires, la question du rythme ne se pose pas : il faut les jouer rapidement, sur le temps ; dans la septième mesure du troisième mouvement, l’appoggiature « incriminée » n’est en fait que le « point d’appui » du trille suivant.
Nous ne saurions trop conseiller aux exécutants qui liront ces « notes sur l’interprétation » de se référer au traité ci-dessus nommé afin d’y trouver des éclaircissements, d’éviter les inexactitudes, de compléter leurs informations, et d’apprendre à connaître les « règles » (ou du moins leur existence) pour interpréter selon le « bon goût ».
Sophie Jouve-Ganvert

CLARINETTE

Max MÉREAUX :SOUVENIR, pour clarinette en sib et piano. Sempre più Editions : SP0272.

Cette très courte pièce (1’55 mn) écrite pour la fin du 1er cycle, ou le début du deuxième est facile, agréable à jouer et à accompagner.
Sophie Jouve-Ganvert

SAXOPHONE

Olivier DARTEVELLE : TROIS PORTRAITS FEMININS, pour saxophone et piano. Sempre più Editions : SP0226.

La première pièce, Lucile, au tempo maestoso, surprend par les larges harmonies dissonantes de son accompagnement. La deuxième pièce, Marinette, de forme ABA est plus agitée par sa rythmique et ses différents changements de tempo. La troisième, Melusina, offre une deuxième partie « jazzy » sur un accompagnement en contretemps. L’édition présente deux versions, l’une en sib et l’autre en mib.  Notons que la partie d’accompagnement (assez difficile) contient la partie de saxophone en sons rééls.
Sophie Jouve-Ganvert

TROMBONE

Pascal PROUST : Puzzle pour trombone et piano. Fin 2ème cycle. Sempre più : SP0276.

Cet assemblage d’ambiances diverses constitue cependant un ensemble tout à fait cohérent. L’œuvre s’ouvre sur quinze mesures « maestoso » de caractère solennel. Vient ensuite un « giocando » sautillant à souhait qui débouche sur un « Largo » très lyrique marqué par un accompagnement en accord sur chaque temps du piano pour aboutir à une introduction très lente de ce même piano qui mène à une cadence libre. Le tout se termine par un Allegro syncopé débouchant, più vivo, sur une cadence massive de fa Majeur. Tout cela est plein de variété et d’intérêt. Aux interprètes de savoir réaliser, avec les différentes pièces de ce puzzle, une image convaincante.
D.B.

SAXHORN/BASSE/EUPHONIUM/TUBA

Rémi MAUPETIT : Papillon de Nuit pour saxhorn basse / euphonium / tuba et piano. Elémentaire. Lafitan : P.L.3225.

Voici une œuvre qui possède beaucoup de charme. Cataloguée dans la « musique de chambre » chez l’éditeur, elle mérite bien ce qualificatif. Piano et saxhorn non seulement dialoguent, mais le fond dans un contrepoint tout à fait intéressant. Après une introduction de piano qui met en place un premier thème, les deux instruments s’entrelacent dans un discours un peu sombre qui correspond bien au titre. Le contraste est saisissant entre un thème rythmique qui évoque le vol saccadé du papillon et un thème plus lyrique. Une longue cadence papillonnante coupe l’œuvre qui s’achève par un retour au thème principal. Cette pièce attachante sera d’un grand profit pour les deux interprètes.
D.B.

Pascal PROUST : POISSON LUNE, pour saxhorn ou euphonium et piano. Sempre più Editions : SP0275.

Cette très courte pièce facile et agréable à jouer, comporte une petite cadence à improviser.
Deux présentations sont proposées pour instrument en Si bémol (une en clé de fa, une en clé de sol ) et une pour instrument en ut..
Sophie Jouve-Ganvert

MUSIQUE DE CHAMBRE

Abdel Rahman EL BACHA : Moment musical pour quatuor à cordes et piano. Assez facile. Delatour : DLT2742.

Ecrite en hommage à Schubert, cette pièce adopte consciemment son style et son langage. Cette œuvre assez courte dans un tempo andante espressivo déroule dans un 12/8 tranquille un harmonieux discours non exempt de réminiscences mélodiques. L’ensemble est remarquablement écrit et ne comporte pas vraiment de difficulté technique. Il peut constituer pour de jeunes musiciens une excellente initiation à la musique de chambre ainsi qu’une initiation très profitable à la musique de Schubert.
D.B.

Antonín Dvořák : Quatuor avec piano. en ré Majeur op. 23. Bärenreiter Urtext : BA9574.

’est à trente-quatre ans, alors qu’il commence véritablement sa carrière de compositeur que Dvořák écrit son Quatuor avec piano n° 1 en ré majeur, B. 53. Il est inutile d’en rappeler ici l’intérêt et la maturité. Cette nouvelle édition possède les qualités habituelles des Urtext de Bärenreiter : une graphie claire et faite pour l’exécution des œuvres, un texte établi selon les meilleures sources et un préface copieuse permettant de faire le point sur l’œuvre et les problèmes éditoriaux. La préface est ici signée de David R. Beveridge ainsi que les très importantes notes critiques en fin de volume.
Daniel Blackstone

LIVRES

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Xavier  BISARO, Gisèle CLÉMENT, Fanch THORAVAL (dir.): La circulation de la musique et des musiciens d’église. France, XVIe-XVIIIe siècles. Paris, Éditions Classiques GARNIER (www.classiques-garnier.com ), Coll. Musicologie (dirigée par Philippe VENDRIX), vol. 3, 2017, 395 p. — 48 €.

Le constat de « circulation » et de mobilité engendre une foultitude de renseignements d’une étonnante diversité. Ce livre, très bien présenté (avec quelques illustrations et exemples musicaux) est limité à la France. Selon leurs affinités, les lecteurs et spécialistes seront intéressés par les Actes du Colloque (Montpellier, 2013). Ils concernent des musiciens (Georges Martin, André Campra, Jean-Philippe Rameau, Henri Madin et Pierre Robert)  et des lieux (Avignon, Cambrai, Dôle, Lyon, Rouen, Toul, ainsi qu’Alsbach et Kaisersberg en Alsace, Cuzco en Amérique latine). Les métiers évoqués comprennent des compositeurs, maîtres de chapelle, maîtres des enfants, « vicariés », prêtres-musiciens, chantres et organistes, y compris leurs statuts respectifs (recrutement, exercice de la profession) et l’aspect économique (rémunération). À noter l’apport de récits personnels ou encore le clin d’œil sur les monastères féminins (Clarisses).

Les musicologues et hymnologues apprécieront les analyses d’œuvres, partitions, livres liturgiques (prosaires…) ; les formes : Motets à grand chœur (ceux de la Chapelle royale ont été entendus à la Cour de Dresde), Te Deum, Noëls… et — d’une manière générale — le retour aux sources. Les coordinateurs Xavier Bisaro (Université de Tours), Gisèle Clément (Université de Montpellier) et Fanch Thoraval (Université de Louvain-la-Neuve) ont judicieusement structuré ce livre en 4 parties bien délimitées : 1. Sources, 2. Répertoire, 3. Structures, 4. Études de cas. Ils démontrent les implications de la « distillation par circulation » selon l’expression de Bernard Dompnier. Découvertes inattendues à ne pas manquer.
Édith Weber

Jean-Christophe BRANGER (éd.) : Jules MASSENET. Mes souvenirs et autres écrits. Paris, VRIN (www.vrin.fr ), Coll. MusicologieS, 2017, 350 p. — 30 €.

Jules Massenet (1842-1912), célèbre par ses Opéras à succès, l’est moins par ses écrits et souvenirs. Né à Saint-Étienne, admis au Conservatoire de Paris à 11 ans, il y suit une formation très complète ; il y obtiendra de nombreux Prix ainsi que le Grand Prix de Rome (1863). En 1878, il sera professeur au Conservatoire. Jean-Christophe Branger, professeur à l’Université de Lorraine, spécialiste de la vie musicale française à la charnière entre le XIXe et le XXe siècle, regroupe des documents dispersés, parfois méconnus auxquels il joint de judicieuses annotations. Jules Massenet a dédié ses souvenirs (1848-1912) à ses petits-enfants ; peu après sa disparition, l’éditeur Pierre Lafitte les a publiés.

La première partie intitulée « Mes souvenirs » comporte XXI chapitres, et se présente comme une autobiographie depuis son admission au Conservatoire, puis évoque ses années de jeunesse, son séjour à la Villa Médicis, le retour à Paris, les débuts à l’Opéra avec un clin d’œil institutionnel sur le Conservatoire et l’Institut, ses collaborations et voyages (Milan, Londres, Bayreuth). Ce n’est qu’au Chapitre XVIII qu’il s’extériorise sur ses émotions. Ce parcours chronologique se situe dans les contextes historiques, sociologiques, mondains et artistiques du moment, ils sont enrobés d’une certaine nostalgie (« pensées posthumes »). Jean-Chrisophe Branger a réussi à prouver que Massenet en est bien l’auteur et qu’il en a supervisé la publication. Ce volume est doté de très nombreuses notes infrapaginales et de renvois aux sources précises.

La deuxième partie, moins descriptive que la première, révèle des impressions, par exemple sur l’état du Conservatoire en tant qu’institution, sur l’activité des compositeurs français, notamment dans le domaine de l’Opéra et la réception de leurs œuvres. Elle relate les souvenirs, les anecdotes, son attitude vis-à-vis de Verdi, son entourage : Ernest Reyer, Camille Saint-Saëns, André Bruneau... Le compositeur décrit son cadre de travail en face du Jardin du Luxembourg, précise le rôle de la Provence (Noël provençal, La mort de la cigale) et son estime pour les poésies de Musset, Prudhomme, Verlaine. L’accent est mis sur son conseil : « toujours aller de l’avant » (p. 248). Ses discours prononcés en 1892 lors des funérailles d’Édouard Lalo, puis d'Ernest Guiraud et Ambroise Thomas (1896) ou encore pour le Centenaire de Berlioz (1903), ainsi que le discours d’ouverture de l’Académie (1910) apportent de précieux renseignements. De plus, les Annexes établies avec minuties: Chronologie (1842-1912), Liste des principales œuvres par genre, Bibliographie faisant état de très nombreuses lettres, de sources primaires et secondaires et un copieux Index  seront très utiles.

Voici un « autre » Massenet : pas seulement le compositeur de Werther, Thaïs, Manon ou des Scènes alsaciennes, mais un homme de son temps dont la personnalité est révélée à travers ses idées, raisonnements et sa contribution à la vie artistique française.
Édith Weber

François JOLIAT, Angelika GÜSEWELL, Pascal TERRIEN : Les identités des professeurs de musique. Sampzon, DELATOUR FRANCE (www.editions-delatour.com), BDT 0128, 2017, 195 p. – 16 €.

Le professionnalisme est un terme « à la mode » dans de nombreux domaines. Comme le précise le titre, ce livre concerne globalement les professeurs de musique (au sens large). Cette étude collective porte sur trois pays : France, Belgique et Suisse. Elle reproduit les Actes du Colloque international (Paris, 15-16 décembre 2014), à l’initiative du CNSMDP, en collaboration avec l’Université de Marseille, la Haute École de Musique/Vaud Valais Fribourg (Suisse) et la Haute École Pédagogique des Cantons de Berne, Jura et Neuchâtel.

Onze auteurs se réclament d’une démarche pluridisciplinaire autour de l’internationalisation de la profession (selon les pays), du lien entre le « musicien-interprète » et le « musicien-enseignant ». Ils abordent, entre autres, la préparation au métier ; l’évaluation du professionnalisme ; la définition des identités professionnelles. Ils traitent des cas particuliers : instrumentistes professionnels se réorientant vers l’enseignement à l’école ; adultes reprenant leurs études en vue d’une nouvelle orientation ; développement du sens artistique et rôle de la vocation. Les auteurs appartiennent à plusieurs catégories : formateurs, musiciens-instrumentistes, professeurs de didactique de l’éducation musicale et de sciences de l’éducation, sciences sociales. Ce Colloque — avec une large présence internationale (Allemagne, Belgique, France, Luxembourg et Suisse) — était organisé autour de conférences, tables rondes, témoignages permettant une approche méthodologique selon les pays et leurs institutions, et de fructueux échanges.

Le lectorat ciblé concerne les professionnels de l’enseignement musical, directeurs d’établissements, formateurs, pédagogues, mais aussi les chercheurs et étudiants. Ils seront sensibles aux aspects sociologiques, historiques et critiques (première partie de ces Actes) ; à l’aspect psychologique et aux questions du praticien et de l’étudiant (deuxième partie) ; enfin au problème de la construction de l’identité et, éventuellement, de la réorientation. Ils seront impressionnés par la Bibliographie très conséquente (p. 171-195), si elle n’aborde pas directement les institutions et le contenu des examens et qualifications en vue de l’exercice des diverses professions musicales, elle a le double mérite d’associer « musiciens » et « professeurs de musique », de suggérer des stratégies de formation autour du dénominateur commun « les formes identitaires ».

Il y va de l’avenir du cursus de formation. Ce livre, publié sous la direction attentive de François Joliat, Angelika Güsewell et Pascal Terrien, rectifiera la confusion des idées mais aussi les limites du professionnalisme. Questionnement réflexif oblige.

Édith Weber

Éric CHAILLIER : La flûte enchantée, opéra merveilleux et multiple. Paris, FAYARD  (www.fayard-durable.fr ). 2017, 265 p. -  16 €.

Les multiples orientations de La Flûte enchantée de Mozart ont suscité de nombreux travaux et discussions, voire des polémiques sous divers angles. Par exemple, le regretté Jacques Chailley (1910-1999), dans La Flûte enchantée, opéra maçonnique (1968, 2002), a dégagé les intentions franc-maçonniques du livret et de sa traduction musicale. En 2017, son presque homonyme suisse, Éric Chaillier, professeur d’Histoire de la musique à l’Université populaire de Lausanne, a mis l’accent sur l’aspect ésotérique, après avoir établi la genèse du livret d’Emanuel Schikaneder. L’auteur propose plusieurs niveaux de perception, une nouvelle approche de cette œuvre si énigmatique depuis deux siècles de spéculations. Il en relève l’aspect populaire, féérique, procède à une initiation philosophique et se demande s’il s’agit d’une « farce », d’un conte, d’un rêve... Il insiste aussi sur la diversité stylistique et l’entité sémantique « musique-texte-action ». Pour Wilhelm Furtwängler, la Flûte enchantée est « le plus beau chant sacré de l’amour humain ». Quant à Éric Chaillier, il projette un autre regard sur « le merveilleux [qui] l’emporte sur le symbolisme, l’humain est plus important que l’aspect rituel ». Il réussit à dégager cet « hymne à la vie » et ce « testament spirituel de Mozart » ainsi que tous les stades de l’émotion humaine et le « pouvoir magique de la musique ».

Édith Weber

Mélanie GUÉRIMAND, Muriel JOUBERT, Denis LE TOUZÉ (dir.) : Le duo violoncelle piano. Approches d’un genre . Lyon, MICROSILLON Éditions (www.microsilloneditions.fr ), Coll. CIMCL, 2017, 263 p. — 27 €.

Préfacé par le violoncelliste Philippe Muller et réalisé sous la direction du Département Musique et Musicologie de l’Université Lumière Lyon II, cet ouvrage fait l’apologie des compositions pour violoncelle et piano. En raison de sa sonorité profonde, le premier s’est imposé en soliste de longue date, par exemple avec les redoutables Suites pour violoncelle seul de Jean Sébastien Bach. Dans son association avec le piano, le problème de la préséance ou non d’un instrument sur l’autre se pose. Ce livre — le premier sur ce sujet — propose une approche multiple sur les origines et l’évolution de ce genre ; il se présente comme une anthologie sous les divers aspects organologique, historique, esthétique, analytique ou encore sociologique.

Le CIMCL (Concours International de Musique de Chambre de Lyon) est soutenu par de nombreux mécènes : Université Lumière II, Opéra, Conservatoire, Orchestre National et Ville de Lyon, l’Association française du violoncelle, l’Atelier de lutherie Alexandre Snitkovski… ayant facilité la publication de ce livre structuré en deux grandes parties : « I. Regards sur le genre : de l’affirmation à la transgression » mettant l’accent sur Beethoven, Brahms et posant le problème : « Peut-on saturer sans sacrilège l’écriture du traditionnel duo violoncelle piano ? », sans oublier une sélection de propos émanant de pianistes et violoncellistes. « II. Pratiques sociétales du genre » : vers 1846, dans le paysage musical lyonnais du XVIIIe siècle, au Front de 1914, suivi d’un entretien en 2016 avec Emmanuelle Bertrand — violoncelliste française, directrice artistique du Festival de Violoncelle de Beauvais — et le pianiste Pascal Amoyel, Premier Prix du Concours des Jeunes Pianistes de Paris (dont le duo existe depuis plus de 15 ans). Le volume est précédé d’une Introduction par Mélanie Guérimand et Denis Le Touzé rappelant que les premiers violoncelles apparaissent vers 1550 en Italie, que l’instrument est introduit à l’orchestre d’opéra italien au début du XVIIe siècle, puis à l’orchestre de Vienne…, qu’au XVIIIe siècle, les méthodes se multiplient et qu’après les cinq Sonates de Beethoven, le genre connaîtra un grand succès avec Schubert, Mendelssohn, Chopin, Schumann, Lalo, Brahms, Liszt puis Saint-Saëns… jusqu’à Honegger et Poulenc.

La Conclusion appartient à Muriel Joubert qui évoque d’abord la rivalité du violoncelle avec la viole de gambe, signale qu'Élisabeth Cowling explique que « les réformes de Casals ont ouvert une nouvelle ère pour le violoncelle ». Ce n’est qu’à la fin du XIXe siècle que sera admis le fait que le piano soit associé au violoncelle et la co-directrice évoque les heures exceptionnelles rencontrées par le duo violoncelle et piano dans le contexte de la Grande Guerre. Elle conclut que « le genre du duo pour violoncelle et piano attend une redécouverte à une époque où les violoncellistes sont de plus en plus nombreux et où le piano est toujours autant plébiscité par les compositeurs, par exemple Karol Beffa ». L’Index très utile est suivi de la présentation des nombreux auteurs.

Voici une lacune comblée et un genre réhabilité qui ravira musicologues, violoncellistes et pianistes.

Édith Weber

Denise CLAISSE : Jacques Castérède, toute une vie en musique. Vie et œuvre du compositeur. Sampzon, Éditions DELATOUR FRANCE (www.editions-delatour.com ), 2017, réf. BDT0030, 346 p. — 20 €.

L’auteur, Docteur en Musicologie et Agrégée, a été professeur d’éducation musicale dans 3 Lycées internationaux au Québec, au Brésil et en France. Elle enseigne actuellement la musicologie à l’Université de Reims. En 1986, à la demande de Simone Musson, alors directrice de L’Éducation musicale, Denise Claisse a interviewé Jacques Castérède à l’occasion de ses 60 ans. Ce fut d’ailleurs leur première rencontre. Elle était tout à fait qualifiée pour le présenter, sous le générique : Toute une vie en musique. Né à Paris en 1926, il est mort à Dijon en 2014. Après ses études au CNSMDP où il a obtenu les Premiers Prix de Piano, Musique de chambre, Harmonie, Composition et Analyse musicale, le Premier Grand Prix de Rome lui a été décerné en 1960, ce qui lui a permis de résider quatre ans à la Villa Médicis. À son retour, il sera immédiatement nommé professeur de formation musicale au CNSMDP, puis il sera Conseiller aux études et enseignera l’analyse musicale et la composition aussi à l’École Normale de Musique de Paris. Il est professeur honoraire du CNSM. Il a même été invité à deux reprises au Conservatoire de Pékin et a assuré des master-classes de composition à l’Université de Sao Paolo.

Son collègue Claude Pascal le qualifie d’« homme de culture et de modestie, homme de foi, homme de générosité, ami sûr, musicien complet étranger à toute concession ». Il pose la question : « L’ami Jacques serait-il un solitaire ? Peut-être, mais nourri de ce qu’il y a de meilleur dans les musiques d’hier, d’aujourd’hui et d’ailleurs » et conclut : « C’est ainsi, tranquillement, sans emphase, que Castérède trace les contours de ce qui pourrait bien être l’une des musiques de demain ». Il s’agit de la première monographie consacrée à ce compositeur si représentatif de la musique française dans la seconde moitié du XXe siècle. L’œuvre de ce musicien très indépendant comporte 176 titres  créés par Radio-France ou lors de grands Festivals en France et à l’étranger. Cet ouvrage a le mérite de s’appuyer sur des sources écrites et orales de première main ainsi que sur l’imposant Catalogue de ses œuvres (p. 298-336). Il bénéficie d’une solide Bibliographie, d’une abondante Discographie — essentiellement sous le Label REM — et d’une Iconographie éloquente, notamment lors de classes de solfège et masterclasses ou encore de photographies en compagnie de musiciens célèbres, sans oublier la classe d’Analyse du CNSM (1990-1991).

Les lecteurs apprécieront la biographie détaillée, la genèse de sa vocation et, après le Prix de Rome, son entrée dans la vie active et sa carrière au CNSMP. La seconde partie concernant son œuvre est particulièrement riche ; elle évoque les sources d’inspiration de ce « compositeur de notre temps » : aussi bien l’ésotérisme et le sacré que la musique classique, sacrée, légère ou de jazz ainsi que la peinture et le cinéma. Son langage est abordé en détails selon les critères traditionnels : structure, mélodie, rythme, harmonie, orchestration. Ce livre très bien présenté et illustré révèle pour la première fois la vie et l’œuvre de ce « créateur d’une grande discrétion, musicien indépendant n’appartenant à aucun groupe esthétique, il s’est passionné pour toutes les implications de sont art, nous laissant une œuvre d’une perfection artisanale, très diversifiée dans son expression ».

Refusant la médiocrité ou la superficialité, Jacques Castérède, personnalité délicate, fine et simple, était très exigeant pour lui-même : un exemple à suivre, une « une valeur sûre et stable ».

Édith Weber

Agnès de BRUNHOFF : Les coulisses de l’être déployé : de l’infini possible du corps allié à la pensée. Sampzon, Éditions DELATOUR FRANCE (www.editions-delatour.com ), 2017, réf. BDT0122, 160 p. — 16 €.

Ce livre mûrement réfléchi concerne l’acquisition de la liberté scénique. Agnès de Brunhoff — à la fois auteur et compositeur, chanteuse et pianiste — est actuellement « professeur de Technique Alexander, et coach vocal, instrumental et scénique ». Son itinéraire est extraordinaire ; elle fait travailler les personnes et leur permet d’acquérir cette indispensable liberté scénique vocale et musicale ; elle leur permet ainsi de « se construire, en repensant leur corps comme un remarquable partenaire ».

La Technique Alexander relève de 5 principes : « l’inhibition, le contrôle primaire, les directions, la force des habitudes et la perception sensorielle non fiable » (p. 9). Bref, il s’agit essentiellement de la prise de « conscience globale de soi ». L’auteur a réalisé un « manifeste qui parle de l’urgence de repenser le corps comme un véritable partenaire de notre fonctionnement aussi bien dans les domaines musicaux et les métiers de la scène que dans la vie quotidienne en général ».

Au fil des pages, il y est question autant du sport, de la danse, que de la préparation des auditeurs… et surtout de l’« être déployé ». Cet ouvrage concerne les musiciens, comédiens, danseurs, autrement dit ceux qui pratiquent des « métiers de représentation ». Voici de nouveaux outils et une conception novatrice de la pédagogie indispensables dans les carrières artistiques : à expérimenter en en prenant le temps malgré la société « dévorante ».

Édith Weber

René GERBER : Les exigences de l’art. Drize (Suisse), Éditions Papillon (www.editionspapillon.ch ), 2003, 223 p. - 50,- CHF

René Gerber est né à Travers (Canton de Neuchâtel), le 29 juin 1908 et mort le 21 octobre 2006. À Paris, il a été l’élève de Paul Dukas, Nadia Boulanger et Robert Siohan. Après avoir enseigné au Collège Latin de Neuchâtel de 1940 à 1947, il a été directeur du Conservatoire de cette ville (1947-1951) et a fondé une Galerie d’art. Son Catalogue comporte 233 œuvres ; dans le sillage du néoclassicisme et de la « clarté française », il a composé des œuvres symphoniques, 15 Concertos de chambre, des pièces vocales et pour piano, une seule œuvre d’orgue. Il pratique à la fois tonalité, modalité et, occasionnellement, polytonalité.

Ce livre (accompagné de la liste d’errata et de remarques diverses) — aboutissement de quelque 60 ans d’expérience — comporte des réflexions authentiques, des jugements personnels ainsi que quelques vérités premières. En fait, il ne prend en considération que l’objet d’art sans tenir vraiment compte de son effet sur le récepteur. L’auteur s’interroge sur l’essence même de l’art qui est, selon lui, paradoxalement « indéfinissable dans son essence, sa source affective et imaginative et, en même temps, définissable dans sa réalisation, dans la chose faite. » Il pose la question : « qu’est-ce qui fait qu’une œuvre est un chef-d’œuvre ? ». Quatre conditions doivent être remplies : style, forme, individualité et densité. Il s’appuie sur des réflexions de musiciens : J. S. Bach, W. A. Mozart, R. Schumann, Cl. Debussy ; de peintres : G. Courbet, E. Delacroix, P. Cézanne, P. Picasso et d’auteurs : G. Flaubert, M. Proust… Il dénonce les modes passagères et les « fumisteries ». Ses réflexions font l’objet de 5 chapitres : 1. De la nature à l’œuvre d’art ; 2. Unicité des arts ; 3. Composition de l’œuvre d’art ; 4. L’art au XXe siècle ; 5. Propos d’artistes, auxquels s’ajoutent une Postface et la Conclusion ainsi qu’une abondante Bibliographie (p. 205-211, sur 2 colonnes) et un très utile Index des noms, sans oublier les illustrations appropriées (p. 97-112).

Selon le Docteur Jean-Jacques Perrenoud, Président de la Fondation René Gerber : « Les exigences de l’art représente l’aboutissement de soixante ans de réflexion consacrée à l’art. Certaines opinions pourront surprendre, voire choquer le lecteur, mais la pertinence du propos finira, j’en suis sûr, par emporter sa conviction » (Préface, p. 9). Commencé, repris et finalement publié, cet ouvrage « pas comme les autres » invitera à la réflexion approfondie.

Édith Weber

Pierre-Henry FRANGNE, Hervé LACOMBE, Marianne MASSIN, Timothée PICARD (dir.) : La valeur de l’émotion musicale. Rennes, Presses Universitaires de Rennes (www.pur-editions.fr ). Coll. « Aesthetica », 2017, 267 p. -  22€.

La recherche, qui s’est longuement méfiée de l’« émotion », commence à comprendre son importance et à élaborer les moyens intellectuels permettant de la définir. Cette publication est supervisée par des spécialistes se réclamant de plusieurs disciplines : philosophie, esthétique, musicologie, littérature et littérature comparée. Les investigations ne concernent que l’Occident et ne tiennent pas vraiment compte du dernier état de la question (d’ailleurs une bibliographie raisonnée fait défaut).

La quatrième de couverture, très abstraite, n’annonce pas de découverte majeure, elle se contente de donner le point de vue actuel. Toutefois, cette publication a le mérite de présenter l’émotion dans tous ses états : dans le jazz, la musique populaire, la musique contemporaine, à l’opéra, pour le compositeur ; et finalement, elle « dégage le pouvoir de la musique, avec ses enjeux conceptuels, culturels, artistiques et sociaux ; cependant il ne faut pas perdre de vue premièrement que l’œuvre existe quand elle réussit à créer une vraie émotion selon la théorie de « l’effet de vie » lancée il y a une vingtaine d’années par le professeur de Littérature comparée, Marc-Mathieu Münch, qu’il a largement expérimentée en musique, art, peinture et sculpture. En fait, le vrai problème se ramène à la beauté de l’œuvre.

Publié avec le soutien de l’EA 3552 (Université de Paris-Sorbonne) et de l’EA HCA (Université de Rennes II), le volume est organisé autour de 4 parties : 1. Approches conceptuelles et définitionnelles ; 2. Variations temporelles et culturelles ; 3. Pratiques et effets culturels ; 4. Territoires de l’émotion. La conclusion de Bernard Sève se présente comme une synthèse portant sur « l’orchestre des émotions ». Au final : appréhension historique et conceptuelle de la relation entre musique et émotion. Le débat reste ouvert autour de ce regard sur l’émotion esthétique et musicale.

Édith Weber

Paul Greveillac : Cadence Secrète. La vie invisible d'Alfred Schnittke, Récit. Nrf Gallimard, 2017, 176 p, 16,50 €

Avec Cadence secrète, Paul Greveillac n’a écrit ni une biographie ni un roman, mais un récit, la narration d’une histoire vraie sous titrée :“La vie invisible d’Alfred Schnittke“.
Invisible parce que toute sa vie, Schnittke a résisté. Il s’est battu contre l’ennemi bureaucratique, contre le régime qui voulait museler sa musique, exigeant qu’elle soit à l’image de ce réalisme et ce formalisme soviétiques qui furent catastrophiques pour l’art d’un pays tout entier. Le récit présente un avantage énorme, celui de fictionner la réalité sans jamais être faux.
Pour dérouler le fil de cette vie à double face, Paul Greveillac manie l’image comme un cinéaste, il écrit des scènes dont Schnittke est toujours le héros. Il en imagine aussi. Il met ainsi en miroir l’œuvre plus ou moins clandestine, l’état psychologique du compositeur, sa situation matérielle, les commandes, les vrais amis et les faux, les refus, et les humiliations dans un Moscou où le compositeur vit avec Irina sa femme, son fils, sa famille et ses amis.
Comme Chostakovitch qu’il appela parfois son maître, il est contraint de partager son œuvre : d’une part la musique sérieuse, la musique qui lui vient du cœur, une musique que les autorités de l’Union des compositeurs refusent de faire représenter à Moscou, de l’autre, la musique de films où il se réfugie comme dans une niche où il se sent plus libre, n’ayant pas à subir les foudres de l’Union des compositeurs : elle ne supervise pas la musique de films.
Se succèdent alors de belles scènes de rencontre avec les réalisateurs de films qui l’apprécient et lui commandent de plus en plus de musique et des scènes arides où les autorités ne cessent de l’humilier en l’obligeant à créer sa musique “sérieuse“ dans des salles de plus en plus éloignées de Moscou avec des orchestres parfois sommaires qu’il parvient malgré tout à remettre dans le droit chemin de son inspiration.
Entrée dans la vie, film d’Igor Talankine remporte le prix du jury à la Mostra de Venise et braque enfin les projecteurs sur le nom d’Alfred Schnittke qui se voit ainsi obligé d’accepter plus de musiques de films.
Dans l’intimité de son appartement, là où la censure ne pénètre pas, Schnittke improvise un soir, une œuvre sur son piano. Il a posé des vis sur les cordes qu’il triture habilement “comme si l’instrument était une harpe“. A son auditoire, sa femme Irina et ses amis Loubotski à la fois surpris et fascinés, il explique que c’est son premier morceau pour piano préparé. Un américain, John Cage, le fait lui aussi aux États-Unis. « Il faudra simplement que je complète avec une voix, ajoute le compositeur. » Loubostski lui dit simplement : « Ça me plaît. »
A trente trois ans, il découvre sa fameuse voix avec L’Harmonica de Verre. « Le mur qui séparait les deux mondes de ma musique vient de s’écrouler », s’exclame Schnittke . Période faste où il va pouvoir transcender son travail. Des pans entiers de sa musique “sérieuse“ se retrouvent dans ses musiques de films, comme ce Gloria qu’il insère dans une comédie : Les Aventures d’un Dentiste..
Mais la censure continue son travail de sape, l’Harmonica de verre est interdit. Terrible frustration que décrit parfaitement Paul Greveillac en enchaînant le récit réel ou fantasmé d’épisodes douloureux pour l’homme et intolérables pour l’œuvre. Avec sa Première symphonie, Schnittke veut frapper fort, il veut en“ faire une entreprise de démolition, il veut dynamiter sa prison“.

Le récit ne cesse de poser la question qui taraudera toute la vie de Schnittke : la musique est elle compatible avec la terreur ? Heureusement, les rêves que décrit superbement l’auteur du livre, l’entraînent dans un ailleurs où il découvrira l’Art et la Foi grâce à une visite à l’église Saint Florian, à la rencontre avec le père Nicolas et à la lecture du “Livre de Lamentation“ de Narek, homme de foi du X ème siècle, un arménien tourmenté par le monde.
Les chefs d’œuvre se succèdent, le Concerto Grosso n°1, les symphonies, le quintet-requiem à la mémoire de sa mère, les deux concertos pour violoncelles et orchestre, dont l’un avec Mstislav Rostropovitch…
De toutes ces œuvres Paul Greveillac s’enivre et nous enivre en les intégrant dans le contexte de leur création tantôt heureuse, tantôt malheureuse. Jusqu’aux trois attaques cérébrales qui plongent Schnittke dans un coma plus ou moins long d’où il se réveille chaque fois et replonge pour de courtes périodes dans la composition de ses dernières œuvres.

Un livre envoûtant sur ce musicien qui disait de lui : « Pour les classiques, je suis un futuriste, pour les futuristes je suis un réactionnaire », un livre qui nous inspire et nous pousse sans cesse à écouter ou réécouter Schnittke et sa musique hors du temps.

Jean François Robin

CDs & DVDs

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Filidh RUADH : A Trip to Glenfinnan 1CD VDE GALLO  (www.vdegallo-music.com): 2016. GALLO CD-1471. TT : 74’15.

Ce disque réalisé par le trio de musiciens Filidh Ruadh (« Le barde roux ») comprenant la franco-britannique Isabelle Watson (chant, bodrhan — tambour irlandais —, sifflet), Christiane Rupp (chant, professeur de harpe celtique) et Nikita Pfister (professeur de tympanon et d’accordéons diatoniques, bodrhan, chef et fondateur du Loch Léman Ceilidh Band — orchestre de bal helvético-écossais) ainsi que trois invités.

Le programme propose une sélection de ballades gaéliques et d’airs traditionnels d’hier et d’aujourd’hui. Il s’agit d’un hommage aux bardes et poètes écossais ayant, dans leurs ballades, traduit la « beauté sauvage et évoqué  l’histoire mouvementée et émouvante de leur pays ». L’enregistrement a été réalisé à Glenfinnan, village écossais au pied de la splendide montagne éponyme. Parmi les auteurs figurent Donald John MacDonald (1919-1986), Robert Burns (1759-1796) — le « Barde de l’Ayrshire » — ainsi que Neil Gow (1727-1807), violoniste et compositeur. Les thèmes évoqués au fil des 21 plages concernent, entre autres, une chanson de marin rentré sain et sauf après un voyage tempétueux à bord du Lurgainn, une chanson d’amour pleine de tendresse d’un poète souhaitant épouser Isabelle, mais aussi deux berceuses et surtout A trip to Glenfinnan, suite de 3 jigs (danse irlandaise), sans oublier un chant poignant : The Massacre of Glencoe (13 février 1792) sur les paroles de Jim MacLean datant de 1963. À noter The Posie de Robert Burns : « L’amour vient parfois remplacer la sagesse, et j’irai cueillir un bouquet pour ma chère May… j’entourerai le bouquet d’un ruban d’amour qui — tant que je vivrai — ne se dénouera jamais » ou Cauld Blows The Wind… et son célèbre Auld Lang Syne (1788) : « Ce n’est qu’un au revoir… », encore chanté de nos jours par les scouts, le soir, autour du feu de camp. Pour conclure, un bonus : Bonus Track qui n’est autre que l’histoire imaginaire de vaches suisses et écossaises reposant sur des airs traditionnels associés à des compositions contemporaines.

Le Label VDE GALLO convie ses fidèles discophiles à une belle excursion révélatrice de la mentalité écossaise à travers les siècles et d’un paysage vocal et instrumental authentique. Remarquable connivence culturelle entre montagnards écossais et suisses. Bon voyage musical !
Édith Weber

ZATAR. Terra aria. 1CD VDE GALLO (www.vdegallo-music.com): CD 1470. TT : 53’16 .

Ce disque reprend le titre de la pièce Terra aria de Giovanni Sollima, compositeur et violoncelliste italien né à Palerme en 1962. Après avoir été initié par son père au violoncelle et à la composition, il fréquente le Conservatoire de Palerme, poursuit ses études à la Musikhochschule de Stuttgart auprès de Milko Kelemen et au Mozarteum de Salzbourg. Il a subi l’influence du jazz, du rock et des traditions ethniques du bassin méditerranéen. Sa musique se réclame du minimalisme, il fait aussi appel aux mélodies modales et aux structures répétitives.

Au programme figurent, entre autres, sa brève Lamentatio (Intro), sa Lamentatio, plus développée, sa Mort de Didon (Dido’s Death), arrangée par Nicolas Lambert d’après Dido and Aeneas de Henry Purcell (1659-1695) sur le texte de Nahum Tate (1652-1715), chantée Soraya Berent selon la mode interprétative actuelle, soutenue par quelques instruments, vraiment aux antipodes de l’émotion suscitée par l’Opéra de Purcell dans cet Air particulièrement émouvant et si prenant. L’atmosphère de blues se dégage de la pièce la plus élaborée : Mapi blues de Joël Musy (né à Lausanne en 1968), musicien de jazz professionnel, auteur de La Charmeuse de serpent. Figurent en outre Pas à pas de Nicolas Lambert et une adaptation chantée de la Sérénade helléniste d’après Franz Schubert.

Réalisés avec le concours de Soraya Berent (chant), Francesco Bartoletti (violoncelle), Joël Musy (saxophone, serpent, tuba) et Nicolas Lambert (guitare), ces témoignages de musique inspirée s’ajoutent au catalogue du Label VDE GALLO qui, dans sa production, a le mérite de miser sur la diversité et l’originalité.
Édith Weber

Otton Mieczyslaw ZUKOWSKI and his brothers : OPERA OMNIA RELIGIOSA 7 et 8. . 2CDs ACTE PRÉALABLE (www.acteprealable.com ): AP0391. TT : 58’ 58 ; AP0392 : TT : 68’ 25 (2017).

Voici un rare exemple d’une fratrie (fils d’organiste) dont 4 sur 8 sont des compositeurs. L’aîné, Otton Mieczyslaw Zukowski (1867-1942), a fait ses études à Lwow et vraisemblablement à Vienne. À partir de 1888, il enseigne dans diverses institutions, puis sera inspecteur national des Écoles polonaises ; il est également compositeur et pianiste. Jan (1870-1911), Docteur en théologie, a été professeur au Département de Théologie de l’Université de Lwow ; Stanislaw (1881-1935) aussi professeur de théologie et, à deux reprises, Doyen de l’Université ; Aleksander (1879-1911), compositeur. Leurs œuvres religieuses comportent des Messes pour chœur mixte ou solistes avec orgue, un recueil de chants religieux, des œuvres chorales dont ces deux disques donnent un aperçu éloquent.

La musique religieuse d’Otton Mieczyslaw Zukowski et de ses frères est respectivement consacrée à Marie, Mère de Dieu tant vénérée en Pologne, à la Vierge bénie, à sa louange, ainsi qu’aux antiennes Ave Maria et Salve Regina et à la fête de l’Assomption (Vol. 7) ;  à la Mère du Perpétuel Secours, mais aussi aux Sacrements à l’honneur du Christ-Roi (vol. 8). Parmi les textes en latin, figurent Adoro te, devote, la Missa in Honorem immaculatae Conceptionis Beatae Mariae Virginis. Les paroles presque toutes en polonais seront difficilement accessibles aux mélomanes francophones, toutefois ils ne resteront pas insensibles aux timbres et au paysage vocal, à l’extrême justesse dans les passages a cappella et à l’enthousiasme si communicatif des solistes, des chœurs Music everywhere (vol. 7) et Mixed Choir Duc in altum (vol. 8) dirigés avec musicalité par Beata Snieg. Une exceptionnelle fratrie de compositeurs au service de la patrie et de la foi catholique si vivante en Pologne.

Édith Weber


Samuel BARBER : The Lovers, 1CD RONDEAU PRODUCTION (www.rondeau.de): ROP 6138. TT : 57’ 51.

Samuel Barber (1910-1981) et son contemporain Randall Thompson (1899-1984), son maître,  sont deux figures marquantes dans l’histoire de la musique américaine. Le premier, né en 1910 et mort à New York en 1981, n’est pas que le compositeur du célèbre Adagio pour cordes. Il a composé des pages vocales, des mélodies pour chant et piano, pour soprano et orchestre, ou pour chœur et orchestre. Son opus 43, The Lovers, est écrit pour baryton solo, chœur et orchestre. Il s’agit d’une œuvre de commande de la Banque Girard (de Philadelphie) qui souhaitait une transcription musicale des 20 Chansons d’amour et d’une chanson désespérée (Twenty Poems and a Song of Despair) de Pablo Neruda (1904-1972), poète, diplomate et homme politique chilien. Après le Prelude, l’œuvre concerne de nombreux sujets parmi lesquels : le corps d’une femme, une petite fille brune, une berceuse (Close Your Eyes), la profonde tristesse : « Tonight, I can write the saddest lines… », jusqu’à la conclusion : Cemetery of Kisses (Cimetière de baisers) évoquant la destinée et le départ. Il s’agit d’une musique descriptive enrobée de désirs, associant également des passages lyriques (chaleur de l’été, crépuscule perdu…). Composée en pleine dépression après la séparation d’avec son compagnon Gian Carlo Menotti (1944-2011), cette Symphonie avec chœur est une affaire de cœur teintée d’érotisme et lourde d’émotion. Randall Thompson (1899-1984), le maître de Samuel Barber, a mis en musique Seven Country songs d’après les poèmes rimés de Robert Frost (1874-1963), sur les thèmes : la prairie, les bois, un jardin dans un village, la forêt, une étoile… Autant d’allusions à la campagne dans cette œuvre datant de 1965 et intitulée Frostiana, spéculant sur une atmosphère chargée de passion.
Ce programme est interprété avec enthousiasme par les chanteurs du Jugendsinfonieorchester Leipzig, le Landesjugendchor de Saxe, formations de jeunes instrumentistes et chanteurs  intrépides aux sonorités d’une qualité rare, auxquels s’est joint le baryton Martin Hässler ; ils sont dirigés avec autorité par Ron-Dick Entleutner.
Édith Weber


Heinrich SCHWEIZER : Journey around the World. GALLO (www.vdegallo-music.com ; www.vdegallo.ch ).  2017: DVD1481 - CD1484. TT : 79’ 47.

Le Label GALLO invite ses fidèles admirateurs — par le biais de l’image et du son — à découvrir le compositeur suisse Heinrich Schweizer (né en 1943), diplômé du Conservatoire  et de la Haute École de Musique de Zurich, en tant que musicien d’orchestre et professeur de théorie musicale. Il est de surcroît un remarquable photographe attesté par son DVD qui convie les discophiles à un somptueux itinéraire photographique et sonore d’un demi-siècle à travers les cinq continents, donc « autour du monde » dans les pays où il a assisté à l’exécution publique de ses œuvres. Ses 700 photos, culturellement très diversifiées, concernent à la fois des paysages typiques, lieux magnifiques, portraits évocateurs, situations exceptionnelles. À noter la précision des prises de vue très présentes, le rendu des couleurs et des reliefs. Ce DVD est un hymne aux beautés de la terre.
Comme le rappelle Nick Rowland, « finalement, le but principal devrait être, selon les propres mots du compositeur, de créer, toujours si possible, un bon divertissement et de susciter la joie d’écouter, notamment en appréciant les cultures et sonorités extra-européennes ». Heinrich Schweizer et sa famille vivent alternativement en Suisse ou en Asie, mais, musicalement, il se sent très attiré par l’Autriche. D’ailleurs, sa Symphonie historique (1975) — avec une visée à la fois philosophique et pédagogique — honore des compositeurs y ayant passé une partie de leur vie à Vienne. Le professeur Kurt von Fischer affirme « que la Symphonie historique met en évidence une oreille hors du commun et une magnifique intuition pour les transitions musicales ». À noter les titres emblématiques : Symphonie Orient Occident pour orchestres symphoniques chinois et occidental ; Alpstein-Suite (bande sonore d’un film imaginaire sur cette région montagneuse de Suisse où il est né). L’œuvre expérimentale The New Sound nécessite 32 flûtes, dont les parties ont été jouées l’une après l’autre sur une bande multipiste, suivies par 25 cors d’harmonie, 25 bassons et contrebassons, 25 trompettes interprétés par des membres de l’Orchestre philharmonique de Vienne. Hadlaub-Esquisses Symphoniques (concernant le troubadour zurichois du XIVe siècle) a été créée par l’Orchestre de Winterthur (Suisse), sous la direction de son frère Daniel Schweizer : de quoi régaler les oreilles des mélomanes qui seront aussi subjugués par l’apport photographique original de ce DVD. Le CD présente des œuvres enregistrées par de nombreux orchestres symphoniques : Londres, Berne, Bangkok, Zurich, Vienne, New York, Paris, Singapour…
Ce Voyage autour du monde est accompagné par la musique de Heinrich Schweizer dans des  styles si divers tout en maintenant son identité personnelle et, parfois, par celle d’autres compositeurs, en lien avec les scènes photographiques. Il se veut un hommage, entre autres, à J. S. Bach, avec les scènes d’Allemagne ; à Antonio Vivaldi, avec celle d’Italie, ou encore à Claude Debussy avec les images de Paris… Un musicien-photographe hors du commun.
Édith Weber

René de BOISDEFFRE : Works for flute and piano. Robert Nalewajk, flûte, Joanna Lawrynowicz, piano. 1CD ACTE PRÉALABLE (www.acteprealable.com ) : AP0379. 2917. TT : 67’47.

Jan A. Jarnicki, l’entreprenant directeur artistique et producteur du Label polonais Acte Préalable, s’est donné pour objectif la promotion des compositeurs et interprètes de son pays et, à leur tour, ces artistes n’hésitent pas à faire connaître, en premier enregistrement mondial, des œuvres françaises peu connues. C’est le cas de cette nouvelle production consacrée à René de Boisdeffre (1838-1906), découvert en 2016 par J. Jarnicki qui a attiré l’attention sur sa Sonate pour violon et piano n°2 et des miniatures pour ces deux instruments (cf. LI, 108, nov. 2016). Ce second CD, appelé à un accueil aussi enthousiaste que le premier, reproduit des œuvres pour flûte et piano (occasionnellement flûte, piano et violon) dans la mouvance romantique.
René de Boisdeffre  est né à Vesoul en 1838 et mort à Vézelise (Lorraine) en 1906). Il a fréquente le Conservatoire de Paris, a été conseillé par Camille Saint-Saëns et faisait partie de la Société Nationale de Musique en 1871. Ses œuvres dénotent l’influence à la fois de Felix Mendelssohn et Charles Gounod. Il privilégie la musique de chambre dans l’esprit du XIXe siècle traduisant la mélancolie. Il cultive les formes traditionnelles. Sa Sonate pour piano et flûte (op. 50) est structurée en 4 mouvements classiques. L’atmosphère baigne dans le lyrisme et la nostalgie, il exploite le registre grave de la flûte alors à l’apogée de sa facture. La conclusion cède la place à l’expressivité. À retenir son Lento espressivo très prenant et à remarquer le langage harmonique plus recherché dans l’Allegro con brio. Dans sa Sérénade pour flûte avec accompagnement de piano (op. 59), la flûte est en vedette, le piano assume un rôle plus discret. La violoniste Dobroslawa Siudmak se joint aux deux autres instrumentistes dans la Sérénade op. 85 (plage 6), pleine de charme. Sa Berceuse « Doux sommeil », de caractère plus populaire, est en fait une miniature pour flûte et piano. Avec sa Sérénade champêtre « Au bord d’un ruisseau » (op. 52), le ton se fait plus lyrique. Sa Pastorale pour flûte avec accompagnement de piano (op. 90) est volubile et agreste. Ses Trois pièces pour flûte et piano (op. 31) — dédiées à son contemporain Paul Taffanel (1844-1908), fondateur de l’école française de flûte — portent la marque d’un certain archaïsme (retour à l’époque baroque). Enfin, avec Andalouse pour flûte et piano, une atmosphère espagnole s’affirme.
Ces 14 œuvres au total bénéficient de concours exceptionnels. Le flûtiste Robert Nalewajka, diplômé de l’Académie de musique Frédéric Chopin, soliste à l’Orchestre de l’Opéra National, utilise une flûte en or (18 carats) du facteur Pearl ; il est accompagné, au piano, par une des plus grandes pianistes polonaises, Joanna Lawrynowicz, également diplômée de l’Académie de musique Fr. Chopin et Lauréate de Concours internationaux. Excellent hommage polonais à un compositeur français tombé dans l’oubli. Tout à l’honneur d’Acte Préalable.
Édith Weber


WISSMER, WERNER, LESUR : Quatre Poèmes de Charles Cros. Brigitte Balleys, mezzo-soprano, Daniel Spiegelberg, piano. Quatuor Florestan. La Follia (Orchestre de chambre d’Alsace), dir. J.-J. Werner. 1CD MARCAL Classics. UVM DISTRIBUTION (www.uvmdistribution.com): MA 170 101. TT : 61’25.

Cet enregistrement live réalisé en l’Église Saint-Thomas à Strasbourg (24 novembre 2015) associe trois compositeurs et professeurs qui, dans la seconde moitié du XXe siècle, ont tant contribué au renom de la Schola Cantorum de Paris.
Pierre Wissmer (1915-1992), franco-suisse, est né à Genève où il fait ses études. À partir de 1935, il s’installe à Paris, il s’y perfectionne auprès de Roger Ducasse et en contrepoint avec Daniel Lesur à la Schola Cantorum dont il sera le directeur (1962-1963). Son maître, Daniel-Lesur (1908-2002) l’a précédé à ce poste (1957-1962). Élève de Charles Tournemire, il assume également des fonctions d’organiste à Paris. Il a fait partie, avec, entre autres André Jolivet et Olivier Messiaen, du Groupe « Jeune France », en réaction contre le dodécaphonisme et le néoclassicisme. Il a également été Inspecteur général de la Musique au Ministère des Affaires culturelles. Enfin, Jean-Jacques Werner (né à Strasbourg en 1935), chef et compositeur, élève de Fritz Münch au Conservatoire de Strasbourg, puis de Pierre Wissmer et Daniel-Lesur à la Schola, a été jusqu’à sa retraite directeur du Conservatoire de Fresnes et chef sollicité sur le plan international.
Les interprètes de ce programme bien français sont Brigitte Balleys (mezzo-soprano), Daniel Spiegelberg (piano), le Quatuor Florestan, La Follia (Orchestre de chambre d’Alsace) que dirige J.-J. Werner, avec la participation occasionnelle de Frédéric Werner (flûte) pour Vénitienne (Concertino Croisière pour flûte, piano, cordes, plage 8) de Pierre Wissmer, également représenté par Mouvements (cordes) — son 2e Quatuor à cordes. À noter la création de ses Quatre brefs Poèmes de Charles Cros (pour voix et cordes) orchestrés par J.-J. Werner : Conquérant-Tableau-Sonnet-Morale.
Daniel Spiegelberg, pianiste concertiste, Premier Prix de Virtuosité du Conservatoire de Genève où il sera professeur de lecture de partitions, de rayonnement international, interprète Trois Études pour piano (1962) de Daniel-Lesur : il s’impose par son toucher délicat, sa transparence, son sens de la construction.
Jean-Jacques Werner est représenté par Deux Poèmes de Paul Éluard (1895-1952) pour voix et piano : Pour vivre ici dans l’esthétique du lied et de la mélodie française, à la facture mélodique subtile, avec une partie de piano assez indépendante ; Vieille jeunesse chanté avec sensibilité et finesse par Brigitte Balleys. À remarquer : Diotima, œuvre transcrite sous le titre d’Élégie pour orchestre à cordes, s’inscrivant dans le souvenir de son maître et ami Pierre Wissmer.
Belle filiation amicale et esthétique dans l’esprit de la Schola Cantorum fondée en 1896 par Charles Bordes.
Édith Weber


François COUPERIN : Leçons de Ténèbres – Messe pour orgue (extraits).  Sandrine Carpentier, Clémence Lévy, sopranos. Pascal Vigneron, orgue. 1CD QUANTUM : QM7079. Diffusion (lo.worms@wanadoo.fr ). TT : 46’00 .

Au Grand Siècle, à la Cour de Louis XIV, les Leçons de Ténèbres marquent un moment important du temps liturgique de la Passion. François Couperin (1668-1733, dit Couperin le Grand) a composé neuf Leçons entre 1713 et 1717. Seules 3 ont été conservées et concernent le Mercredi de la Semaine Sainte.
La première Leçon reprend les Lamentations de Jérémie (dans l’Ancien Testament) : chapitre 1, versets 1 à 5, la lecture chantée est précédée de l’incipit : Ici commence la Lamentation du Prophète Jérémie. Chaque leçon, désignée par une lettre hébraïque, se termine par l’injonction à l’impératif : « Jérusalem, convertissez-vous au Seigneur notre Dieu ». Dans la première Leçon, Jérémie se lamente : la ville est abandonnée et détruite, les rues pleurent leur solitude et les ennemis sont devenus ses maîtres. La deuxième Leçon se poursuit au chapitre 1, versets 6 à 9. La fille de Sion a perdu toute sa beauté car Jérusalem a commis de grands péchés et son ennemi est insolent. La troisième Leçon (à 2 voix) repose sur les versets 10 à 14 et déplore que le peuple gémisse et cherche du pain. Puis le texte le plus poignant (souvent traité par les compositeurs, Tomas Luis de Victoria (v.1548-1611), en particulier) s’adresse, au verset 12, à tous ceux qui passent par le chemin (O vos omnes qui transitis per viam…) : « Voyez s’il est une douleur pareille à la mienne » et constate que « le Seigneur m’a [c’est-à-dire : Jérusalem] livrée à une puissance dont je ne pourrai me défendre ».
Il incombe donc à la voix soutenue à l’orgue de réagir au plus profond d’elle-même, à ces situations  dramatiques, à ces immenses regrets, à ces plaintes intenses et de faire revivre aux auditeurs dans ces Leçons si impressionnantes, après avoir été conditionnés par les vocalises évoquant les lettres de l’alphabet allant de Aleph à Nun, ces trois Leçons pour le Mercredi Saint aboutissent à l’ordre énergique : « Jérusalem, convertissez-vous au Seigneur notre Dieu ».
Une vraie réussite à l’actif de Sandrine Carpentier (soprano lyrique) et Clémence Lévy (soprano colorature) soutenues par Pascal Vigneron  à l’orgue de chœur de la Collégiale Saint-Gengoult ; ils s’investissent pleinement dans la restitution de cette partition si poignante. Avec ses 13 ou 15 bougies au milieu des ténèbres, le lieu est propice à l’atmosphère méditative et intériorisée et se prête à la virtuosité vocale.
Par ailleurs, aux Grandes Orgues restaurées de la Cathédrale de Toul, Pascal Vigneron interprète avec musicalité quelques extraits des Messes pour les couvents et pour les Paroisses de François Couperin. Vraie immersion dans l’atmosphère recueillie et débordant d’émotion de mise à la Cour de Louis XIV, pendant la Semaine Sainte.
Édith Weber

« Les plus beaux chants de paix ». Isabelle Fremeau, soprano, Marie-Ange Leurent, orgue. 1CD CHANTELOUP MUSIQUE (www.chanteloup-musique.org) : CMD 006. 2017. TT : 57’04.

Cette Anthologie est compilée par Éric Lebrun en 2017 pour le Label CHANTELOUP Musique. Elle est réalisée par Isabelle FREMAU (soprano) — Premier Prix de chant de la Ville de Paris, spécialiste de la mélodie française, fondatrice de l’Ensemble Passacaille et « chantre » professionnelle de Paris » — et Marie-Ange LEURENT à l’Orgue de la Cathédrale Notre-Dame de Créteil, accompagnatrice et soliste. Élève de Gaston Litaize, Premier Prix d’Orgue dans la classe de Michel Chapuis, est titulaire du Grand Orgue de Notre-Dame de Lorette à Paris ; elle enseigne notamment l’orgue et, à l’Université Paris-Sorbonne, l’écriture musicale.
Le programme de 23 pièces brèves est centré autour de 4 idées : Paix sur la terre (Et in terra pax), la paix, prière pour la paix et Agnus Dei. Le dénominateur commun est donc la paix (Pax en latin, Frieden en allemand et Peace en anglais, Paz en portugais, Shalom en hébreu).
Isabelle Fremau vit intensément les textes et s’impose par sa justesse et sa maîtrise de l’aigu. Elle est soutenue avec discrétion et musicalité par Marie-Ange Leurent avec laquelle elle forme une merveilleuse équipe. En soliste, à l’Orgue de la Cathédrale Notre-Dame de Créteil, en parfaite connaissance des styles, elle interprète : trois Et in terra pax (anonyme XVIe s., Fr. Couperin, F. J. Fétis), le Prélude de choral de J. S. Bach : Liebster Jesu, wir sind hier (BWV 731) et le Chant de paix  de Jean Langlais... Parmi d’autres compositeurs, figurent Hanedel, Vivaldi, Schubert, Mendelssohn, Joseph Rheinberger et, plus proche de nous : Éric Lebrun (né en 1967), dont le Da pacem (voix et orgue) est une brève mais intense prière. Ce répertoire si riche permet aussi d’entendre l’incontournable Pie Jesu extrait du Requiem de Gabriel Fauré (version avec orgue) et de découvrir : le Cantique de Saint François mis en musique par François-Xavier Kernin (né en 1995) : « Seigneur, fais de moi un instrument de ta paix ».
Au total, comme le souhaite Éric Lebrun, directeur artistique de cette remarquable Anthologie sur le thème de la paix à travers les siècles, voici « un moment de détente, de recueillement, de ressourcement, avec une musique qui reflète la beauté d’un univers qui aurait dépassé la violence des hommes pour l’éternité. »
Édith Weber

« BRAHMS & Friends, Vol. VI ». Rainer Schmidt, violon, Saiko Sasaki-Schmidt, piano. 1CD DIVOX ANTIQUA (www.divox.com ). Diffusion : Laurent WORMS (lo.worms@wanadoo.fr ): CDX29604. TT : 54’ 46.

Ce Volume 6 est réalisé par Rainer Schmidt (violon Guadagnini, 1779) et Saiko Sasaki-Schmidt (piano Steinway). Lui a fait ses études à Hanovre et à Cincinnati ; elle, à Tokyo, puis au Brésil et à Boston. Formés auprès des meilleurs maîtres, ils se produisent en duo et en solo.
Ils proposent un programme en trois parties avec la deuxième Sonate en La Majeur pour pianoforte et violon (op. 100) de Johannes Brahms (1833-1897), très largement diffusée depuis sa création en 1886 ; la Sonate n°2 en Si b Majeur pour piano et violon (1893) de son élève, Gustav Uwe Jenner (1865-1920), quelque peu influencé par J. Brahms ; enfin, 3 Fantaisies (Phantasiestücke) op. 43 (1848) de Carl Reinecke (1824-1910), compositeur prolifique qui connaît actuellement un regain d’intérêt. À remarquer une certaine parenté sémantique et mélodique entre ces trois Fantaisies baignant dans le romantisme, tout en étant en voie de le dépasser au profit de l’esthétique de la fin du XIXe siècle. On y sent, tour à tour, l’empreinte de F. Mendelssohn, dans l’Andante ; celle de Robert Schumann dans l’Allegro molto agitato, alors que la 3e : Jahrmarkt-Szene : Molto vivace est plus personnelle.
La Sonate n°2 en Si b Majeur pour piano et violon (1893) de Gustav Uwe Jenner (1865-1920) — disparu 10 ans après Carl Reinecke —, tout en étant l’élève de Brahms, s’en distancie. Les trois premiers mouvements contrastés : Allegro comodo ; Adagio-Allegretto-Adagio ; Allegretto grazioso sont assez conventionnels, mais le dernier Allegretto non troppo est logiquement structuré ; mais, en fait, la conclusion est abrupte.
Rainer Schmidt Saiko Sasaki-Schmidt, remarquable duo germano-nippon en parfaite connivence artistique, ont, tout à leur honneur, signé ce programme original  qui sera très apprécié par les « Amis » actuels de Brahms et de la musique de chambre : une valeur sure.
Édith Weber

« Harmonie géorgienne » Nana PERADZE. 1CD Collector 10e anniversaire, JADE (www.jade-music.net) : JADE 699 888-2. 2017. TT : 36’ 06 .

< Depuis un certain temps, les Éditions JADE soutiennent l’évolution de l’Ensemble Harmonie géorgienne et de son chef Nana Peradze. Née en Géorgie, pendant la difficile période communiste, elle a réussi à y créer  des chœurs dans les Églises et Monastères et à former des enfants et adolescents au chant choral et a été chef de chœur dans plusieurs Églises. En 1999, elle s’installe à Paris, étudie au CNSM puis y dirige le Chœur de la Cathédrale serbe. En 2006, elle crée l’ensemble bien connu Harmonie géorgienne groupant des amateurs et chanteurs professionnels géorgiens, russes et serbes. Ils donnent de nombreux concerts en France et à Belgrade, et enregistrent pour le Label JADE qui soutient aussi fidèlement l’itinéraire de Divna Ljubojevic et son Chœur Melodi.
Leur objectif consiste à faire connaître les chants liturgiques orthodoxes se réclamant de diverses traditions : byzantine, géorgienne, russe et slavonne. Cette compilation présente 17 pièces illustrant différentes formes liturgiques orthodoxes : tropaire (du grec troparion, signifiant « mode, ton »), à l’origine  courte prière chantée après chaque verset de Psaumes ou autres textes vétérotestamentaires ; kondakion, sorte de prédication solennelle de caractère récitatif après la lecture de l’Évangile ; antienne (du latin antiphona), simple acclamation ou invocation au commencement ou à la fin des Psaumes, sur une mélodie simple, brève ou syllabique ; trisagion (mot provenant de la triple répétition de l’adjectif « saint » (agios), sanctus) ici mis en musique par Michael Strokin (1832-1886) ; le Notre Père, prière de tous les Chrétiens, dans la version de Nana Peradze et, bien entendu, l’emblématique Hymne des chérubins, ainsi que quelques autres chants de louange.
Le texte du livret, rédigé par le Dr. Jean-Claude Larchet, a aussi le mérite de donner les traductions françaises des chants qui le nécessitent. Quant à Nana Perdaze, elle-même chanteuse, elle s’impose par sa direction précise et rigoureuse, par l’équilibre vocal et l’intériorité si typique de la musique liturgique orthodoxe. Grâce à ce collector, les Éditions JADE ont signé un bel hommage au chef et à son ensemble Harmonie géorgienne à l’occasion de son 10e anniversaire.
Édith Weber


« LUCTUS ZALOSC ». Romuald TWARDOWSKI, Marcin Tadeusz LUKASZEWSKI, Marian SAWA, Piotr TABAKIERNIK, Pawel LUKASZEWSKI. Dorota Calek, soprano, Marietta Kruzel-Sosnowska, orgue. 1CD ACTE PRÉALABLE (www.acteprealable.com) : AP0378. TT : 51’19.

Le mot latin luctus (en polonais zalosc) signifie douleur, chagrin et deuil et — par extension pour le présent disque et en fonction du programme — les réactions et la tristesse de Marie au pied de la croix lors de la crucifixion de Jésus, son attitude face à la mort ainsi que l’intense prière du Requiem. Deux interprètes polonaises Dorota Calek (soprano) et Marietta Kruzel-Sosnowska (orgue) mettent leur talent et leur sensibilité au service de cinq compositeurs polonais et d’une musique baignant dans l’intériorité.
Le livret propose aux mélomanes les textes latins et polonais (adaptation de Gertruda Miezszkovna et Gerard Kilroy). Ils évoquent, au fil des plages, une émouvante Oraison pour les vivants et les morts de Romuald Twardowski (né en 1930) ; une insistante prière Memorare, o piissima Virgo Maria d’après Saint Bernard de Clairvaux (début XIIe s.), suivie d’une autre prière (très exigeante sur le plan vocal) : Convertere me Domine ad te de Marcin Tadeuz Lukaszewski (né en 1972) ; l’impresionnant Psaume 130, plus développé : De profundis clamavi ad te, Domine — évoluant des profondeurs sur des longs accords tenus, se terminant par la Doxologie — mis en musique par Marian Sawa (1937-2005) et, enfin, contrastant avec la gravité du Psaume, la douce prière lumineuse développée d’abord dans l’aigu : Lux aeterna luceat eis, Domine (fragment du texte officiel du Requiem) de Piotr Tabakiernik (né en 1986), s’impose par ses accents presque surnaturels.
Ces 5 pièces sont suivies par le Luctus Mariae — qui a donné son titre à ce disque —, œuvre très développée de Pawel Lukaszewski (né en 1968). Il s’agit d’un genre d’oratorio de la Passion pour voix et orgue, qui suit le récit biblique et le déroulement de la Passion en 12 épisodes et se termine par Amen. Les faits et paroles sont bien connus, par exemple : Fils, voici ta mère ; Prends soin de ta mère, Jean ; La terre trembla, les gardes furent saisis de terreur ; Le soleil a perdu son éclat ; Désespéré, un homme enleva le corps ; Pilate ordonna que le corps de Jésus soit remis à sa mère ; Le Christ est gardé dans sa tombe par des soldats, le tombeau est vide ; Le Seigneur a vaincu la mort. AMEN. Chaque tableau et chaque réaction de Marie traduisent musicalement l’atmosphère tendue, toutefois de manière très contrastée et exigeant une haute virtuosité vocale et une justesse à toute épreuve (mélodie très disjointe). À noter l’extrême variation dans l’accompagnement à l’orgue.
Cette réalisation du Label polonais ACTE PRÉALABLE si prolifique et que dirige avec tant de discernement Jan A. Jarnicki, illustre les tendances actuelles de la musique religieuses en Pologne, la ferveur et la piété nationales. Elle permettra de promouvoir sa musique contemporaines et ses musiciens hors de ses frontières.
Édith Weber


AMAZONIE, Contes sonores. 1CD VDE GALLO (www.vdegallo.ch): 1480. 2016. TT : 71’ 36.

Ce disque a été diffusé lors de l’Exposition : Amazonie. Le Chamane et la pensée de la forêt (Musée d’Ethnographie de Genève, du 20.05.2016 au 8.01.2017). Comme le constatent Mathias Lévy et Bernd Brabec de Mon : « Le rapport qu’un individu entretient avec l’univers qui l’entoure et la manière d’organiser son expérience du monde sont liés à la perception qu’il s’en fait. Pour les populations amérindiennes d’Amazonie qui ont développé une acuité remarquable de leur environnement naturel, c’est avant tout par l’ouïe et dans le son que la mise en relation entre soi et le reste du monde s’établira… ».
Cette réalisation discographique démontre l’importance de la perception auditive. 24 haut-parleurs étaient répartis pendant l’exposition. Le montage groupe des sources enregistrées in situ : environnement, bruits, d’animaux et des hommes, musiques associées aux divers rituels… En fins connaisseurs, les deux ethnologues et anthropologues ont réalisé 13 pièces relatives aux activités quotidiennes : chasse, pêche, déforestation, mais aussi cérémonies initiatiques, guérisons, préparation à la guerre…
Les êtres humains, animaux, plantes et ancêtres réagiront à ces éléments sonores. Quant aux discophiles, ils pourront « contextualiser l’expérience auditive telle qu’elle est vécue par les populations amérindiennes de l’Amazonie », ce qui est facilité par un livret explicatif exemplaire (carte de géographie, commentaires des contes sur les thèmes : amour, pêche, cérémonies, initiation des noms, guerre, esprit des Blancs, également « parler avec les animaux, et devenir un authentique être humain ». Chaque conte bénéficie d’un résumé français de l’action. Les sources d’archives, des collections ainsi que des enregistrements sont précisées. Il est utile de lire les arguments en écoutant ces 13 Contes sonores.
Voici une remarquable collaboration entre les Archives internationales de Musique populaire et le Musée d’Ethnologie de Genève avec le Label VDE-GALLO. L’intérêt ethnographique et anthropologique rejoint en tous points l’intérêt musical et ethnomusicologique.
Édith Weber


Jean FROIDEVAUX : Le Tableau mystérieux de CHENG BO. Vincent Favrod, récitant, Daphnée Beguin, conteuse. Martine Reymond, clavecin, Hjalmar Berg, pianiste. 1CD VDE GALLO (www.vdegallo.ch): CD 1474. 2016. TT : 41’ 23.

Sur le plan auditif, ce conte chinois de Jean Froidevaux (né en 1933) — pianiste, vibraphoniste, organiste et arrangeur — pourrait être une gageure : comment associer piano et clavecin ? et pourtant, ils fusionnent à merveille dans cette histoire en 10 épisodes. Elle concerne un peintre chinois dont la main est paralysée à la suite d’un rêve où il aperçoit son âme sœur, Zhu-Ai ; il la cherche sans succès au marché, au Palais du Gouverneur, au Cabaret de la Lanterne rouge…, elle apparaît près de la source… S’ensuivent les noces, la mort de Zhu-Ai, le revirement de Cheng Bo…, les retrouvailles.
Sous cette trame narrative se greffe une atmosphère musicale bien « chinoise » : thème musical pentatonique (touches noires du piano, blanches du clavecin). Les épisodes narratifs sont encadrés en musique par une Ouverture festive introduite par un coup de gong chinois. Le récit évoque ensuite « Les retrouvailles », puis « La maison vide ». Après un léger coup de triangle qui « signale la disparition du couple dans des sphères invisibles…, le Yin et le Yang ont fusionné dans le Tao ».
Le langage musical (avec une thématique adéquate et, dans le livret, citations des thèmes de chaque partie) et même la couleur des illustrations suggèrent la Chine. Pour ce faire, le compositeur a prévu la participation d’un récitant Vincent Favrod, à la diction précise (et percussion) ; d’une conteuse à la voix très suggestive, Daphnée Beguin, passionnée de mythologie ; de Martine Reymond (clavecin) aux répliques précises — en fait organiste suisse, professeur d’orgue au Conservatoire de Montreux — et de Hjalmar Berg, pianiste finlando-suisse au toucher délicat, professeur au Conservatoire de Vevey. Ils jouent le jeu « à cœur joie ».
À remarquer, au fil du déroulement de l’action, les motifs festifs, dramatiques, passionnés, sautillants, mais aussi lourds, colériques, cédant la place au calme et à la sérénité comme un choral. Cette réalisation suisse dans les domaines littéraire, musical et graphique est un modèle d’imagination. Décidément, Olivier Buttex et son Label VDE-GALLO n’ont pas fini d’étonner les discophiles.
Édith Weber


Domenico SCARLATTI : Sonates (Volume 5). Pierre Hantaï, clavecin. 1 CD Mirare : MIR 326. TT : 78’23.

Après le succès unanimement reconnu de ses quatre premiers albums consacrés aux sonates de Domenico Scarlatti, Pierre Hantaï nous propose, aujourd’hui, le 5e opus discographique de ce libre parcours mené au travers des 555 sonates du compositeur italien, loin de tout projet d’intégrale. Seize sonates librement choisies constituent le programme de ce superbe CD. Tout a déjà été dit à propos des interprétations magistrales de Pierre Hantaï, maitre incontesté du clavecin : feu d’artifice sonore, virtuosité époustouflante, rigueur du jeu, puissance expressive, respect du texte où liberté, poésie, fougue et fluidité alternent et se mélangent dans un univers chaotique et organisé, domaine de tous les possibles, de toutes les audaces, réceptacle de toutes les influences (Celle de Rameau notamment). Plus qu’une fastidieuse analyse des différentes sonates présentées ici (K. 551, 474, 475, 252, 253, 547, 87, 28, 211, 401, 388, 277, 124, 157, 238, et 205), il suffit de se laisser porter par le flux envoûtant de cette musique qui vous soulève, vous enivre, vous transporte dans un univers où tout n’est que danse, exotisme et théâtralité. Un superbe album qui n’a rien à envier aux quatre précédents. Indispensable évidemment !
Patrice Imbaud


Franz SCHUBERT : Schwanengesang. Klavierstücke D. 946 n° 2. Stephan Genz, baryton. Michel Dalberto, piano. 1 CD Aparté : AP151. TT: 66’29.

Complices depuis de nombreuses années, le baryton allemand et le pianiste français se retrouvent encore une fois autour de Schubert, après leurs enregistrements des lieder de Wolf, Brahms et Schumann, pour ce superbe enregistrement du Schwanengesang (Chant du cygne) de Franz Schubert. Stephan Genz, spécialiste reconnu du Lied et Michel Dalberto, dernier pianiste vivant à avoir enregistré l’intégrale des œuvres pour piano de Schubert, font tout l’intérêt de cet album. Après le Winterreise, c’est aujourd’hui le Schwanengesang qui a les honneurs du disque. Un faux cycle, ensemble de quatorze Lieder mystérieux et variés réunis artificiellement par un éditeur après la mort du compositeur, caractérisé par leur hétérogénéité, parfois légers, hallucinés ou dramatiques, mettant à nu les différentes facettes de la personnalité complexe de Schubert, sur des textes de Rellstab, de Heine et de Seidl, tous réunis par une même «  poétisation » poignante apportée par la musique, tantôt mélancolique, lyrique, joyeuse ou encore théâtralisée du compositeur viennois. Quatorze Lieder comme autant d’illustrations de la fameuse « Sehnsucht », terme difficilement traduisible en français, qui constitue le cœur de Lied. La souplesse de la ligne de chant, l’engagement vocal, la perfection de la diction respectant au mieux la prosodie schubertienne, l’étendue de la tessiture, la beauté et la profondeur du timbre ainsi que la qualité magistrale de l’accompagnement pianistique, coloré, complice voire fraternel rendent compte du succès indiscutable auquel ce bel album peu prétendre. Cerise sur le gâteau, Michel Dalberto, en solo cette fois, nous offre une somptueuse lecture du Klavierstücke D. 946 n° 2, triptyque composé par Schubert en 1828, six mois avant sa mort et publié par Brahms en 1868, où la qualité pianistique le dispute à la poésie et au romantisme bouleversant du discours. Un très bel album dont il serait coupable de négliger l’écoute ! A ranger aux côtés des références du genre.
Patrice Imbaud


« À la russe ». RACHMANINOV. TCHAIKOVSKI. STRAVINSKY. BALAKIEV. Alexandre Kantorow, piano. 1 CD BIS-2150. TT: 76’29.

Le pianiste prodige Alexandre Kantorow reprend dans ce dernier album discographique l’ensemble du programme donné en récital l’an passé (2016) à l’auditorium de la Fondation Vuitton. Des œuvres de compositeurs russes qui permettent au jeune pianiste de 20 ans de faire montre de son pianisme ébouriffant. Un album qui met bien sûr en avant une virtuosité exceptionnelle mais également un jeu d’une extrême variété et d’une stupéfiante richesse en couleurs et nuances, digne des plus grands. La Sonate pour piano n°1 op. 28 de Rachmaninov ouvre l’album. Composée en 1907, elle est inspirée du Faust de Goethe et se construit autour de trois portraits, le premier mouvement de structure complexe rend compte des atermoiements de Faust, le second dresse le portrait de Marguerite, tendre et poétique, contrastant avec le troisième épique, effréné, diabolique répondant au personnage de Méphisto. L’Oiseau de feu de Stravinsky, dans la transcription de Guido Agosti, confirme des moyens exceptionnels, le piano s’y déploie dans tous ses états, de la confidence murmurée de la Berceuse aux ruissellements torrentiels et aux développements symphoniques du Final. Méditation et Passé lointain sont extraits des 18 pièces de l’opus 72, composé en 1893, année de la mort de Tchaïkovski. Plus romantiques, prenant volontiers le ton de la confidence douloureuse, elles sont jouées, ici, sans mièvrerie, mais peut-être leur manque-t-il une certaine patine, privilège de l’âge. Le Scherzo à la russe (1867) enjoué et fougueux témoigne, quant à lui, d’un authentique plaisir de jouer malgré des difficultés techniques reconnues tandis qu’Islamey de Balakiev conclut ce superbe album sur une invitation à la danse particulièrement virtuose. Magnifique album, splendide pianiste. Plus qu’une découverte, une confirmation ! Indispensable!
Patrice Imbaud

Fernand de La Tombelle. Mélodies. Tassis Christoyannis, baryton & Jeff Cohen, piano. 1 CD Aparté : AP 148. TT : 74’.

Une superbe découverte que cet album regroupant vingt trois mélodies (sur une centaine composées) de Fernand de La Tombelle (1854-1928), compositeur quelque peu oublié de nos jours dont l’œuvre vocale se trouve ici exhumée grâce aux recherches incessantes du centre de musique romantique française du Palazetto Bru Zane. Aujourd’hui inconnu même des amateurs férus de raretés, Fernand de La Tombelle fut pourtant un organiste virtuose, un pédagogue reconnu, fondateur de la Schola Cantorum et un compositeur raffiné. Raffinement dont ces mélodies, enregistrées en première mondiale, portent témoignage (du moins pour l’essentiel d’entre elles…). Des mélodies de salon, de prosodie relativement aisée, s’adressant aux amateurs éclairés et aux professionnels du chant, volontiers théâtrales, s’appuyant sur des textes de La Boétie, Beaumarchais, Lamartine, Gautier ou encore Hugo, ainsi que sur des œuvres de poètes moins connus qui eurent leur heure de gloire à la fin du XIXe siècle (Theuriet, Barbier, Brachet, Montverdun…). Un très beau corpus évoquant l’amour (romantisme oblige), le folklore populaire, la foi en Dieu, ou encore la Grande Guerre, dont Tassis Christoyannis et Jeff Cohen nous donnent un admirable aperçu par la perfection de la diction, par la facilité et la souplesse du chant, par l’expressivité de l’interprétation et par la complicité du piano, très éloquent. Une découverte audacieuse qui sort des sentiers battus, à ne pas manquer !
Patrice Imbaud


Marc MELLITS : Quatuors à cordes n° 3, 4, 5. Quatuor Debussy. 1 CD Evidence Classics : EVCD 033. TT : 55’.

Voici un disque qui constituera pour beaucoup une belle découverte. Découverte d’abord du compositeur Marc Mellits, né en 1966, comptant parmi les plus joués aux États-Unis. Miniaturiste par la taille de ses compositions, minimaliste et post minimaliste par son style mêlant musique répétitive et accents rock. Découverte aussi de sa musique si particulière et notamment de ses Quatuors n° 3, 4, 5 remarquablement interprétés, ici, par les membres du Quatuor Debussy (Christophe Collette et Marc Vieillefon aux violons, Vincent Deprecq à l’alto et Cédric Conchon au violoncelle). Un Quatuor qu’on ne présente plus tant sa musicalité et sa cohésion font aujourd’hui référence. Un disque qui commence par une histoire humaine, l’histoire d’une rencontre entre compositeur et exécutants datant de 2012 au festival « Cordes en ballade » en Ardèche. La suite donnée à cette rencontre et la complicité qui en découla n’étonneront personne tant le Quatuor Debussy représente, de toute évidence, l’interprète idéal par son éclectisme et par sa soif de nouvelles expériences. Un enregistrement, en première mondiale, effectué dans la crypte de Lagorce en 2016 comprenant le Quatuor n° 3 « Tapas » (2008), le Quatuor n° 4 « Prometheus » (2012) dont les Debussy sont dédicataires et le Quatuor n° 5 « Waniyetu » dont la création française a également été assurée en 2015 par les Debussy qui se sont faits les champions de cette musique très originale, étourdissante, enivrante, envoûtante, frénétique, planante alternant les plages épurées, diaphanes et les séquences très pulsées regardant vers le rock. Rude et répétitive, intemporelle, magique, inquiétante, mystérieuse, obstinée, extatique, virtuose et violente, autant de qualificatifs comme autant de facettes constitutives. Une musique immédiatement accessible, malgré ses difficultés techniques, qui parle au cœur avant de s’adresser à la raison, une musique portée par un pur hédonisme et empreinte d’un irrésistible charme. Une interprétation stupéfiante et une musique qui ne l’est pas moins. A découvrir absolument !
Patrice Imbaud


Alessandro STRADELLA : Santa Pelagia. Oratorio pour quatre voix et basse continue. Roberta Mamelli, Raffaele Pe, Luca Cervoni, Sergio Foresti. Ensemble Mare Nostrum, dir. Andrea De Carlo. 1CD Arcana (distribution Outhere Music) : A431. TT. : 50'22.

Ceci est le quatrième volume du « Stradella project », d'enregistrement des oratorios d'Alessandro Stradella (1639-1682), après entre autres, « Santa Edita » (cf. LI de juin 2016). « Santa Pelagia » est un oratorio en deux parties pour quatre voix et basse continue, composé aux alentours de 1677. Il appartient au genre du drame spirituel, basé sur l'allégorie de la vanité humaine, comme on en trouve dans plusieurs pièces de l'époque et jusque chez Haendel dans « Il trionfo del tempo e del disinganno ». Il conte l'histoire de Pélagie d'Antioche, figure de sainte très populaire dans l'Italie du Seicento : la femme prostituée qui se convertit et fut baptisée par Nonnus, l'évêque d'Édesse, puis après s'être rendue à Jérusalem, vécut en ermite dans une prison sur le Mont des Oliviers. L'auteur du livret est inconnu, mais pourrait être le prince romain Lelio Orsini, qui écrivit celui de « Santa Editta ». On y découvre la pécheresse tiraillée entre attirances du Monde et admonestations de la Religion. Autrement dit entre les forces du Bien et du Mal. Grâce à l'aide d'un personnage raisonnable, ici l'évêque Nonnus, elle trouvera le chemin du repentir. Les plaisirs recherchés par la femme, peu à peu gagnée par le doute, font place à la conversion et à la paix intérieure retrouvée. L'oratorio est centré sur le personnage titre qui affronte les trois autres, au fil de courtes arias précédées de récitatifs, outre de quelques aussi brefs duos et même d'un chœur à quatre (dit « des Mondains », ou ultime appel du plaisir à festoyer). On rencontre aussi le schéma récitatif-aria-récitatif, qui enchâsse l'air proprement dit dans un étonnant continuum dramatique. La présente exécution, captée au Festival Stradella de Nepi, vaut par la magistrale interprétation de Roberta Mamelli, voix de soprano céleste et expressive, et par l'engagement de la petite dizaine de musiciens de l'Ensemble Mare Nostrum que dirige avec doigté Andrea De Carlo.
Jean-Pierre Robert

« Stravaganza d'amore !» La naissance de l'opéra à la cour des Médicis (1589-1608). Musiques de Lorenzo Allegri, Antonio Brunelli, Giovanni Battista Buonamente, Giulio Caccini, Emilio de' Cavalieri, Girolamo Fantini, Marco da Gagliano, Cristofano Malvezzi, Luca Marenzio, Alessandro Orologio, Jacopo Peri, Alessandro Striggio. Ensemble Pygmalion, dir. Raphaël Pichon : 2CDs + 1 livre : HMM 902286.87. TT. 1H42'38.

Cet album richement documenté luxueusement présenté ambitionne de célébrer la naissance de l'opéra en focalisant sur ce qui a précédé la création de l'Orfeo de Monteverdi à Mantoue en 1607. Et ainsi retracer la tradition des ''intermedii'' au Seicento, ou divertissements insérés au milieu de pièces de théâtre et bénéficiant d'une présentation visuelle fastueuse. Musicalement, ils offraient un mélange de formes populaires comme la chanson, et savantes, tel que l'art du madrigal. Cette tradition a été instaurée dans les cours princières italiennes, en particulier celle de Florence durant la dynastie des Medicis, pour célébrer les grands événements dynastiques, mariages, naissances... Elle connaitra son apogée en 1589 à l'occasion du mariage de Ferdinand de Médicis avec Christine de Lorraine, nièce du Roi de France.
Pour ce faire, Raphaël Pichon a conçu une fresque imaginaire en quatre parties, constituée de quatre ''intermedii'' créés de toutes pièces à partir de musiques essentiellement vocales de divers compositeurs de l'époque, et selon un canevas dramaturgique enchâssant deux mini drames, « La fable d'Apollon » et « Les larmes d'Orphée », dans deux divertissements plus exubérants : « L'Empire de l'Amour » et « Le ballet des amants royaux ». Pichon, qui se défend de toute reconstitution servile, revendique le fruit de l'imagination créatrice. Qui l'a amené à puiser dans un matériau pléthorique et faire un choix drastique qu'il explicite dans l' ''argument commenté'' du livre accompagnant les disques. En fait, un choix éclairé si l'on en juge par la pertinence des transitions et les contrastes souvent saisissants d'une pièce à l'autre.

Le premier intermède, en guise d'Ouverture, est destiné à célébrer la puissance de l'Amour dans toutes ses manifestations, ici sur les musiques de Fantini, Malvezzi, Caccini, Marenzio, Brunelli et Striggio. Le deuxième intermède « La Fable d'Apollon », divisé en trois scènes, est bâti sur des musiques tirées de La Pellegrina de Malvezzi et de La Dafne de Da Gagliano. Où est contée la descente sur terre d'Apollon, ce qui donne lieu à festivités, puis l'épisode du combat d'Apollon avec le serpent, un monstre effrayant la foule des nymphes et des bergers, où Alessandro Orologio décrit la violence de l'affrontement par l'opposition entre instruments percutants. Enfin, les amours contrariés du dieu et de Daphné, celle-ci ayant été métamorphosée en laurier, et le beau lamento d'Apollon, sur des musiques tirées ici aussi de La Dafne d'Orologio. Au troisième intermède, « Les larmes d'Orphée », largement emprunté à deux drames de Caccini et de Peri portant le même titre de L'Euridice, on assiste aux noces, puis à la mort d'Orphée, à la scène des Enfers, introduite par une sinfonia d'Allegri précédant les exhortations de Pluton, enfin à l'apothéose d'Orphée. Le dernier intermède intitulé « Le ballet de amants royaux », entamé par un ''ballo'' de Buonamente, et où l'on revient à la musique de La Pellegrina de Malvezzi, mais aussi de Cavalieri, termine le parcours par moult réjouissances.

L'interprétation n'appelle que des éloges car Raphaël Pichon sait combien habiter ces musiques d'un geste toujours vivant : élasticité de la battue, favorisant une dynamique très large et contrastée, sens inné de la construction. Il sait compter sur l'engagement de son Ensemble Pygmalion, une phalange déjà rompue à pareil exercice : couleurs des instruments historiques, beauté du phrasé, souplesse de l'articulation, en un mot extrême plasticité du discours. Appartenant à la jeune génération de chanteurs qui a si bien assimilé une vocalité exigeante, souvent exubérante, à une ou plusieurs voix, et met en œuvre des vocalises souvent imitatives pour évoquer le sens de tel mot ou traduire l'impact des passions - les ''affetti -, les solistes se font un régal du style orné du madrigal ou du lamento, ou encore de la monodie adossée à la basse continue. On en détachera le milanais Renato Dolcini, beau timbre de baryton clair, tour à tour Apollon puis Orphée, d'une expression souvent bouleversante. Les chœurs de Pygmalion sont tout aussi somptueux. Capté dans la Chapelle royale du Château de Versailles, à l'automne 2016, pour les 10 ans de Pygmalion, l'enregistrement bénéficie d'une acoustique ample aux riches harmoniques et d'une spatialisation très étudiée, en particulier pour ce qui est des effets d'écho ou de la différentiation des ensembles à plusieurs voix. Au final, un projet musicologique enrichissant et une expérience sonore passionnante.
Jean-Pierre Robert

Joseph BODIN DE BOISMORTIER : Sonates et Trios. Le Petit Trianon. 1CD Ricercar (distribution Outher music ) : RIC 381. TT.: 69'20.

Le compositeur d'origine lorraine Joseph Bodin de Boismortier (1689-1755) laisse un corpus important, notamment dans le domaine de la musique de chambre, spécialement d'œuvres pour la flûte traversière, son instrument favori. Cultivant le genre de la sonate en trio, inspirée de la « sonata di chiesa » (sonate d'église) et tout un art de la conversation musicale galante, en cette période de la Régence où l'on recherchait la nouveauté tout en favorisant une manière aisée et le pur plaisir de l'oreille. Sa facilité - pour ne pas dire sa prolixité - lui causa l'inimitié de bien de ses collègues qui se plaisaient, de manière piquante, à relever son caractère ingénieux et sa propension à se mettre en avant dans la bonne société : le « parfait honnête homme en son siècle » disait-on. Il n'empêche, sa plume pour fertile qu'elle fut, donna de beaux fruits. Comme en témoigne le présent programme qui offre un florilège de sonates et de trios. Les sonates pour flûte, violon et continuo de l'opus 41 sont, pour deux de celles jouées ici (les sonates IV et II), en cinq mouvements, incluant des danses françaises, Sarabande et Menuet, ou une Gavotte pour ce qui est de la sonate II, clôturant de manière décidée une pièce qui avait débuté par un ''Grave'' expressif. Dans la sonate III, on remarque un « affectuoso », évoquant le tournoiement de la vielle. La sonate II de l'op. 37 se signale par le curieux alliage de la flûte et du basson. La sonate VI de l'op. 50, en quatre parties sur le schéma lent-vif-lent-vif, offre la mémorable mélodie des deux solistes, le violon et violoncelle. Sont intercalées des pièces de clavecin seul extraites des Suites de clavecin de 1736. Certaines sont proches de François Couperin (« La Caverneuse », « La Marguillère »), telle autre évoque l'écriture de Rameau (« La Décharnée »). Pour son premier disque, Le Petit Trianon, ensemble à géométrie variable, formé en 2012 autour de musiciens issus de la Haute École de Musique de Genève et de Paolo Corsi, professeur de clavecin, offre un bien sympathique travail.
Jean-Pierre Robert

« Einsamkeit » Robert SCHUMANN : Sechs Gedichte und Requiem op. 90, Myrthen op. 25 (extraits), Gesänge op. 89. Matthias Goerne, baryton, Markus Hinterhäuser, piano. 1CD Harmonia Mundi : HMM 902243. TT.: 51'13.

Voici un récital Schumann traité avant tout sur le mode de la confidence, au plus près de l'intime romantique. Matthias Goerne a réuni un bouquet de Lieder autour de deux cycles : les « Sechs Gedichte und Requiem » op. 90 et les « Gesänge » de l'opus 89. Desdits « Six Poèmes », écrits en 1850, sur des textes de Lenau, on perçoit d'emblée le caractère nocturne (« Meine Rose », Ensamkeit »), l'angoisse (« Der schwere Abend »/Triste soir), la romance tour à tour d'une apparemment insouciance et de la prédiction du temps qui passe (« Die Sennin »/La bergère). Partout observe-t-on une déclamation proche du chuchotement, tandis que la partie de piano n'est pas sans évoquer les « Nocturnes » de Chopin. Sans doute, pour des raisons de cohérence du propos, Goerne a-t-il choisi de ne pas donner le premier morceau, « Lied eines Schmiedes »/Chant du foregron, le seul à offrir un ton extraverti. Le « Requiem » qui suit ce cycle est une élégie, un chant d'adieu (au poète Lenau qu'on avait cru mort, et qui, par un cruel hasard, disparaitra le jour même de la création du cycle). Les Cinq « Chants » de l'opus 89, sur les textes d'un poète plutôt mineur, Wilfried von der Neun, et dédiés à la cantatrice Jenny Lind, forment un cycle intéressant à plus d'un titre : la déclamation vocale y suit, plus qu'ailleurs, le débit du parlé, et la partie de piano acquiert une résonance orchestrale. Goerne offre aussi trois Lieder sur des poèmes de Heine, tirés de « Myrthen » op. 25, de 1840, dont le célèbre « Die Lotosblume »/la Fleur de Lotus, et quelques pièces isolées comme : « Le solitaire » op. 83/3 (Eichendorff), « Der Himmel »/Le ciel op. 37/1 (Rückert), « Mein schöner Stern »/Ma belle étoile, du même poète, op. 101/4, sommet de poésie mélancolique, ou encore « Nachtlied » op. 96/1 (Goethe), contemporain des Scènes de Faust, dispensant une profondeur désespérée, sur un tempo extrêmement lent.
Au fil de ces pièces, Matthias Goerne observe un ton confident, usant d'une palette volontairement restreinte, souvent cantonné au registre piano, fuyant l'éclat au profit d'une intériorité vraie. Qui, à l'aune de son titre, tire sur la mélancolie de l'esseulé. Il retrouve le partenaire avec lequel il avait chanté, à Aix, Le Voyage d'hiver de Schubert, dans la mise en espace de William Kentridge, Markus Hinterhäuser. Celui qui est actuellement intendant du Festival de Salzbourg, partage avec lui le souci de la demi teinte et est le chantre d'une écriture pianistique qui dispense à satiété la délicate et abyssale modulation schumannienne.


Jean-Pierre Robert

Gabriel FAURÉ : Mélodies. Thibaut Lenaerts, ténor, Philippe Riga, piano. 1CD Muso : MU-017. TT.: 53'10.

Il est rare d'entendre des mélodies de Fauré interprétées par un ténor. Et par un ténor rompu à la musique baroque, peut-être plus encore. Le fait est que passé l'effet de surprise, ce disque invite à repenser la manière dont on conçoit la musique vocale de ce compositeur. Thibaut Lenaerts a conçu son programme en opérant dans l'immense corpus des mélodies de Fauré un choix original de pièces écrites entre 1861 et 1894, ce qui couvre la première partie de la longue période créatrice du musicien. Il mêle pièces connues et surtout pièces peu jouées. L'autre particularité est le choix de l'instrument d'accompagnement, un piano Erard de 1873, grand format, à la sonorité claire. On passera sur les mélodies comme « Au bord de l'eau », « Après un rêve », « Clair de lune », ou encore l'immanquable « Mandoline » et ses arabesques inouïes sur un piano sublime, exécutées avec tact. Plus intéressantes dans le présent contexte sont les pièces du jeune Fauré qui fait appel à des poètes installés comme Hugo, Gautier, mais aussi à des auteurs plus discutables comme Jean Richepin ou Armand Silvestre. Le talent du musicien sait en transformer les platitudes littéraires. Ainsi de « Le Papillon et la Fleur », op. 1 (1861), d'une légèreté inédite sous une telle plume. Mais « Tristesse d'Olympio » (1865) annonce « Tristesse » de 1873. « Le secret » op. 23/3 développe quelque hiératisme, au contraire des « Roses d'Ispahan » op. 39/4 où tout est sensualité sur un doux palpitement du piano. « Fleur jetée » op. 39/2 impose des trépidations au clavier et « Au cimetière » op. 51/2 offre des accents préfigurant le Requiem quoique la dernière strophe soit déclamatoire. « Prison » et « Soir », op. 83 annoncent une voie nouvelle, plus libérée en la forme.
Au fil de ces pièces, on admire le timbre éclatant, ensoleillé de Lenaert et son souci de diction expressive, qui n'est pas sans rappeler la manière d'un Jean-Paul Fouchécourt, et la belle quinte sonore - presque trop par instant (« Fleur jetée ») - et son contraste fait de suprêmes pianissimos ! Le piano de Philippe Riga est net, sans fioriture et la sonorité du Erard épouse volontiers celle de la voix de ténor. Deux pièces solos émaillent le récital : le 3 ème Nocturne op. 33, de 1883, et la 4 ème Barcarolle op. 44, de 1886, conçues l'une et l'autre en triptyque, qui se voient gratifiées ici d'un jeu vigoureux et très pédalé.
Jean-Pierre Robert

Serge PROKOFIEV : sonates pour piano N° 2 op. 14, N° 6, op. 82 & N° 8, op. 84. Alexander Melnikov, piano. 1CD Harmonia Mundi : HMC 902202. TT. 70'05.

Premier volet d'une intégrale à venir des sonates pour piano de Prokofiev, cet album propose les Deuxième, Sixième et Huitième sonates. Autrement dit un rapprochement entre l'audace de la première manière et la suprême maitrise de la maturité. La sonate N° 2 op. 14, de 1913, montre une apparente facilité d'inspiration comme à l'allegro introductif qui aligne pas moins de cinq thèmes, et affirme déjà une grande habileté dans leur savante combinaison qui frôle la dissonance. Le scherzo offre un rythme enjoué mais énergique et un piano percussif. Cœur de l'œuvre, l'andante, tout de lyrisme, au fil d'une longue mélodie mouvante, dispense des climats mystérieux, qu'on retrouvera plus tard dans bien d'autres compositions. Le vivace final est un vrai tourbillon, avec ruptures de rythmes, et ce couple accélération et phénomène d'amplification, typique chez Prokofiev. Alexander Melnikov est chez lui dans ce discours serré et fait sien tout ce qu'il y a d'inattendu ici.
Après une longue interruption, de 1923 à 1940, Prokofiev revient au piano solo avec sa Sixième sonate, op. 82, la première de la trilogie des « sonates de guerre », et contemporaine des grands ballets Cendrillon et Roméo et Juliette. Sviatoslav Richter, un de ses grands interprètes, dit avoir été fasciné par «  la remarquable clarté du style et la perfection structurelle de la musique ». L'impétuosité y domine. En quatre mouvements, elle débute un allegro moderato par une sorte de signal haletant qui se poursuit dans un climat d'affrontement : âpreté du discours, notamment dans des accords martelés, joués très fort, « con pugno », en coup de poing. L'allegretto évoque une marche trottinante ironique. Un « tempo di valzer lentissimo » marque un nouveau contraste très lyrique, qui n'est pas sans rappeler Roméo et Juliette. La partie médiane s'anime mais tout s'achève dans un silence. Le finale vivace est un tournoiement motorique, inaugurant le style de martèlement qui fleurira dans les deux sonates subséquentes, la Septième et la Huitième. Après un retour du thème du premier mouvement, comme un vieux souvenir, la cavalcade reprend de plus belle avec son lot percussif, jusqu'à un triple accord fracassant.
La sonate N° 8, op. 84 a été crée en 1944 à Moscou par Emil Gilels, et non par Richter qui en fera pourtant ensuite un de ses chevaux de bataille, y voyant « la plus riche de toutes les sonates de Prokofiev », en raison de sa «  vie intérieure complexe » et de « l'inexorable marche du temps ». Selon Prokofiev, «  son caractère sera avant tout lyrique ». Sans doute, à l'image de l'andante dolce initial, très chantant et apaisé ; mais en apparence, car de subits changements de tempo et d'atmosphère avec traits percussifs et obstinés vont rompre le bel ordonnancement, comme durant l'épisode évoquant une sorte de danse primitive et flattant la résonance grave du piano par un effet grotesque, et à la coda brillante, déferlement tempétueux. L'andante sognando médian (inspiré du menuet d'une musique de scène pour « Eugène Onéguine », non menée à terme), est lui aussi extrêmement chantant, presque suave dans ses modulations confiées au registre pianissimo. Le finale vivace renoue avec la manière motorique au long de plusieurs phases contrastées : ben marcato, ostinato, andantino et retour au premier thème. La palette est large avec chevauchements de rythmes, et tout finit dans quelque transe. Comme pour la précédente sonate, Alexander Melnikov possède la mesure de cette pièce immense, exigeante, pas seulement en termes de technique digitale, mais surtout de maitrise des idées qu'elle véhicule.
Jean-Pierre Robert


MUSIQUE & CINEMA

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ENTRETIEN

Christophe Marejano : La musique de documentaire, c’est comme du papier peint !

par Stéphane Loison

DR C’est au cours d’une projection d’un documentaire que j’ai découvert ce compositeur, la belle quarantaine, affable et drôle derrière sa barbichette. Un musicien qui n'écrit de la musique que pour des documentaires, cela interpelle ! D’où cet entretien au bord du canal de l’Ourcq à Paris.

Christophe, quelle est votre actualité ?
C’est un téléfilm pour F2 de Serge Meynard.

Est-ce votre première fiction ?
Oui, c’est la productrice qui venait aux projections de documentaires sur lesquels j’avais travaillés et qui avait repéré ce que je faisais, qui a organisé un petit casting. On était deux et j’ai été choisi. Le compositeur habituel du réalisateur n’était pas disponible.

Savez-vous ce qui a plu pour être choisi ?
J’avais envoyé un florilège de mon boulot que je pensais en rapport avec le film. Tout le monde savait que je n’étais pas expérimenté en fiction. L’autre compositeur en lice oui, mais il semble que le réalisateur ait préféré mon univers, ma sensibilité. Que je sois un compositeur de documentaire ne le gênait pas.

N’est-ce pas un peu frustrant de ne faire que du documentaire ? Il y a une vraie différence, non ?
Il y a d’énormes différences, cela n’a rien à voir. La musique de doc, c’est comme du papier peint !

Stravinsky avait dit que la musique de film ce n’était que du papier peint !
Je pense que c’était de l’humour. Il a écrit des musiques de ballets qui est un sous genre de la grande musique…des commandes pas loin de la musique de film.

Revenons aux différences
En terme de carrière on n’est pas condamné à avoir du succès. Il y a une sorte d’autonomie professionnelle. On est dans un contexte de commande, on peut faire carrière plus facilement.

Mais en terme de composition ?
Il y a une vision plus objective. Le piège c’est que la musique peut être seulement ornementale, décorative, c’est à dire qu'on se contente de confirmer ce que l’on voit à l’image. Il y a rarement de contrepoint comme au cinéma, un deuxième discours. Je me souviens d’un documentaire sur France Afrique, deux fois 90 minutes, où le réalisateur m’avait demandé une musique ironique parce qu’au départ il voulait que la musique fasse contrepoint aux propos des images. Il y avait de la profondeur dans la réalisation. Le producteur, en voyant le film, trouvait que la musique n’allait pas du tout, qu’on ne comprenait pas l’intention. Le réalisateur, Patrick Banque, un peu timide, a eu le malheur d’expliquer qu’il avait voulu amener un contrepoint, de l’ironie. Alors ce fameux producteur lui a dit que ce n’était que des conneries, que la musique de documentaire c’est un thème de générique et puis deux ou trois nappes et basta ! Je me suis fait rabrouer !

Et vous avez dû tout refaire...
Pas complétement. Ce fut une expérience douloureuse parce qu’ensuite et il ne voulut plus travailler avec moi. J’ai dû attendre plusieurs années pour retravailler avec ce réalisateur et ce producteur ! Je viens de finir un doc sur Roland Dumas, mais la monteuse et le réalisateur ont dû batailler pour que je fasse la musique.

Les producteurs ne supportent pas que les réalisateurs aient des intentions musicales ?
Pas forcément mais ils ont d’autres critères, par rapport à la vente, aux chaînes… Dans un documentaire il ne faut pas plaire à trente six mille personnes. Il faut plaire au réalisateur, éventuellement au monteur, au producteur. Avec la chaîne on n’a jamais un accès direct. Les visionnages, on n’y est jamais. Cependant tout le monde s’autocensure au départ pour plaire à la chaîne qui fait rarement des remarques sur la musique. Sur les 250 films que j’ai fait, j’ai dû me faire retoquer deux ou trois fois. Une fois, c’était avec Arte pour des conneries : à la limite tu représentes la version soi disant remaniée et ils la trouvent beaucoup mieux, alors que tu n’a pas changé une note !

Plus de 250 documentaires ?
Même plus parce qu’avec les séries de 26 fois 26 minutes, cela va assez vite !

Vous êtes un homme riche car vous êtes payé au passage aussi...
J’ai travaillé sur quatre longs-métrages à mes débuts et je n’ai rien touché !

Comment avez-vous commencé dans ce métier ?
J’étais l’assistant, vers 21, 22 ans, de Stéphane Meer, - « Pondichéry, dernier comptoir des Indes », « L'Ami du jardin », « Too Pure », ou « Tristan et Iseult » - fondateur du Studio Davout, qui travaillait beaucoup pour « Ushuaia ». Il faisait beaucoup de télé. Il y a eu une révolution dans les années 80 lorsque les producteurs pouvaient utiliser librement le répertoire de la SACEM, et du jour au lendemain cela n’a plus marché aussi bien pour lui. Alors il m’a embauché pour m’occuper du studio.

Vous sortiez d’où ?
De nulle part ! J’ai fait du piano classique sans passer par le conservatoire. En revanche je passais mes weekend dans mon garage, dès 13, 14 ans avec un quatre pistes, un des premiers séquenceurs, une boîte à rythme, et je passais mon temps à reproduire les musiques que j’entendais et les maquetter sur mon quatre pistes.

Quelle musique écoutiez-vous ?
La musique d’ado, la pop, la new wave des années 80, The Cure, Dépêche Mode, l’électro pop britannique, Yazoo, c’était assez décrié, c’était des prolos de la banlieue de Londres qui jouaient avec des synthés parce que c’était moins cher ! La grande éminence grise de cette époque c’était Vince Clarke avec son séquenceur et c’était une vraie révolution. Aujourd’hui c’est redevenu très mode. Dans la pop, le rock, il y a de l’électro partout.

S’il y a de plus en plus de la musique électronique dans la musique de film c’est que le coût est moindre !
Cela a commencé avec de Roubaix ! Il avait le ARP 2600, le Moog, un sound studio…

Et que vouliez-vous faire avec la musique ?
Quand j’étais gamin je reproduisais ce que j’entendais. A 15 ans c’était ma passion, mais j’étais hélas bon élève donc mes parents ne voulaient pas que je fasse ni le conservatoire, ni une carrière musicale. Ma mère était enseignante et mon père technicien, on habitait le sud ouest à côté de Pau dans le Béarn, mais mes parents n’étaient pas de la région. Je suis resté jusqu’à mon bac chez mes parents puis je suis parti en prépa HEC ce qui ne m’a pas plu du tout et j’ai intégré une école de commerce à Paris, puis j’ai laissé tomber. Clash avec ma famille... Livré à moi-même, j’ai présenté le concours de La Femis en son. Je n’avais pas une culture de cinéphile et avec un magnétoscope je me suis tapé une flopée de films de Tati, Kubrick, Fellini. Il n’y avait que le son qui m’intéressait…

Vous ne regardiez pas trop de films ?
Je ne regardais que les films de mon âge. La musique m’intéressait en tant que telle mais je ne faisais pas attention aux compositeurs. Comme j’étais bon élève et structuré par la prépa, je suis allé jusqu’au grand oral à La Fémis, face à Michel Chion ! Je me suis fait balayer. J’aurais pu me représenter mais j’ai trouvé une place d’assistant en envoyant mes cassettes, mon projet à La Femis, mon profil, et Stéphane m’a engagé. J’étais le petit jeune parfait, je bossais 12 heures par jour, je lisais les modes d’emploi du sampler jusqu’à quatre heures du matin! J’étais à fond dans le son, mon rêve ! J’ai donc travaillé avec Stéphane pendant 8 ans, de 22 à 30 ans. J’ai beaucoup travaillé avec lui, de l’animation, des longs métrages, des documentaires…J’ai appris l’orchestration, l’arrangement, le travail avec le sampler… On était dans les années 95-96, on récupérait sur des cassettes huit pistes, on essuyait les plâtres à l’époque. A la fin, tout ce qui était documentaire je m’en occupais tout seul. Il continuait quand même à les signer. Dans les années 2000, un de ses clients doc le trouvait trop cher. Je lui ai composé à moindre prix sa musique avec mon petit sampler chez moi !

Vous faisiez tout tout seul ?
Complétement, j’avais une formation d’ingénieur du son avec tout ce que j’avais appris au studio, de musicien mais sans connaître toute la théorie. Jusqu'à trente, trente deux ans, je joue du piano, de la guitare, je faisais de la basse dans les groupes de rock, je joue un peu de batterie, de flûte, de saxo.

Ce qui vous a permis de faire plus de 250 documentaires ! Avez-vous enchaîné tous ces films ?
Au départ, quand on se met à son compte, on commence avec une opportunité, un client. Après il y a un grand creux, puis ça remonte tout doucement et au bout de cinq ans on finit par avoir une clientèle. Le principe est que les gens travaillent avec toi s’ils ont déjà travaillé avec toi ! Pour gagner un nouveau client, c’est très compliqué, c’est par cooptation. Ma stratégie c’est d’aller à toutes les projections de tous les films que je fais. Souvent je gagne un ou deux clients et c’est comme cela que je vous ai rencontré ! J’ai un nouveau réalisateur tous les deux ou trois ans.

Et les producteurs ?
Eux ils se soucient d’efficacité, de budget. Les réalisateurs s’occupent en général d’autres choses. Si un producteur me place sur un film, j’ai souvent des problèmes avec le réalisateur. Parfois cela se passe bien, mais il arrive qu’ils l’ont mauvaise : ils sont frustrés de ne pas avoir placé leur musicien ! Dans l’autre sens jamais.

Les réalisateurs de documentaire savent ce qu’ils veulent. La musique les intéresse-t-ils ?
Classiquement un réalisateur est plus concerné par l’image que par le son. Un peu plus par la musique que par le son. Il y a des réalisateurs mélomanes mais les plus compliqués sont ceux qui sont des musiciens contrariés ! Il y en a qui sont très professionnels, qui te disent qu’ils ne s’intéressent pas à la musique, et qui vous font entièrement confiance. Là tout se passe très bien.

Dans toute cette centaine de documentaires, y en a-t-il un qui vous satisfait pleinement musicalement ?
Celui sur la France Afrique. J’ai eu une expérience amusante : j’avais décroché la musique, après un appel d’offre, d’un des génériques de Thalassa, il y a cinq, six ans. Il est resté une saison complète. Alors quand mon dentiste ou mon médecin me demandait quel docu j’avais fait, je leur citais le générique de Thalassa. Alors là je devenais un compositeur d’exception ! Après j’ai travaillé sur un doc sur la Légion étrangère, sur F5, et c’était émouvant parce que mon papa est pied-noir, et à Sidi Bel Abbès il y avait la légion étrangère et cela avait marqué toute son enfance. Il y avait des thèmes particuliers à faire sur la Légion étrangère. J’ai fait un morceau jazz au saxo parce que mon grand-père jouait du saxo. Là il y avait un sens très personnel. Quand mon père a entendu la musique du docu, je suis sûr qu’il a dû avoir quelques larmes…Le réalisateur s’appelle Ben Salama. Il a fait l’IDHEC. On travaille régulièrement ensemble. Il était au courant de mon histoire familiale.

Alors vous avez composé récemment la musique du documentaire sur Lino Ventura: Qui a eu l’idée du choix musical, le jazz en l’occurrence ?
La difficulté est que le jazz à la télé passe très mal ! Sur Arte pas de jazz ! Je ne suis pas sectaire, je peux écrire dans tous les styles…. A partir de mes trente ans j’ai rattrapé mon retard et j’ai fait toutes les formations théoriques, composition, harmonie, contrepoint, à la Schola Cantorum avec Alain Margoni. J’ai refait du piano classique avec une sorte de grand maître, Désiré N’Kaoua, spécialiste de Ravel, ensuite j’ai fait deux ans d’études à la Sorbonne, à trente six ans, musique et musicologie, pour avoir une vision globale de tous les styles de toute l’histoire de la musique… Pour revenir au jazz, la difficulté c’est qu’après le premier jet, la réalisatrice voulait incarner Ventura comme le type viril qui plaît aux femmes plus qu’une époque. Moi je m’étais dit que j’allais faire de la musique pseudo fin des années 50-60 fin des années 70. Mais les premiers thèmes étaient trop datés, typés, trop collés aux images, et il fallait incarner plus le personnage que l’époque. C’est dommage parce qu’on est devenu caricatural dans l’autre sens. Alors pour incarner Ventura, c’était contrebasse, ballet pour la sensualité et le côté viril. On était dans les codes du jazz, rythmes lents, piano Rhodes pour le côté mystère, les harmonies septième, neuvième, mais tout cela restait très light, il ne fallait pas faire du jazz virtuose. La réalisatrice a beaucoup aimé un thème et elle s’est accaparé ce thème et a voulu le mettre partout, j’aurais écrit un peu plus de diversité…l’univers était celui de une musique de film jazz utilisée dans les années soixante.

J’ai trouvé que votre travail dans ce documentaire avait des allures de musique de film effectivement
C’est cette valeur ajoutée que je cherche à apporter.

Faites-vous tous les instruments tout le temps ?
Pour le prochain documentaire je vais faire appel à des solistes. Mais les budgets ne le permettent pas ou très peu, et si c’est pour mettre une petite flûte, je peux le faire moi-même.

Quel est le budget musique pour un documentaire ?
Sur F5 c’est 2000 € !

Il faut en écrire beaucoup pour vivre !
En tant que compositeur on a une double rémunération : on est payé pour écrire une musique, c’est le producteur qui nous paye - ce sont ces fameux 2000 € - et ensuite, lorsque le documentaire passe à l’antenne, le diffuseur paye à la SACEM qui redistribue aux auteurs les droits d’auteur avec tout un barème assez complexe et mouvant. Et alors cela rémunère le travail de créateur, toutes ses années d’apprentissage, de culture, pour qu’il puisse écrire de la musique… Avec les deux on arrive à faire carrière, mais c’est de plus en plus difficile ! Notre métier est en train de disparaître parce que face aux éditeurs spécialisés de musique, on ne peut pas lutter. Pour le producteur cela lui coûte quatre fois moins ! Dans les années 80-90 on a reproché à ces musiques d’être un peu cheap. Aujourd’hui ils ont des catalogues de grande qualité, agencés par mots clés dans tous les styles. Il y a aussi une esthétique de documentaire qui a changé en ce sens qu’avant le réalisateur avait une culture cinéphile, et bien sûr il préférait une musique originale, avec un thème, des notes, qui déclinaient quelque chose. Il résonnait selon le modèle du long métrage. Aujourd’hui ce sont des journalistes qui n’ont pas de culture cinématographique : ils vont piocher dans leur iPhone ou dans leur iPod des musiques style Phoenix ou Daft Punk et c’est devenu du patchwork. C’est l’esthétique dominante. A Arte s’ils entendent un thème décliné, ils s’emmerdent et demandent de la musique plus variée. En tant que compositeur je suis obligé de trouver des solutions pour diversifier ma proposition musicale au sein d’un même film.

Le problème c’est qu’on appelle ''documentaire'' des reportages !
Le documentaire a glissé vers le magazine. Avant il y avait un propos, un point de vue. Aujourd’hui, on a des témoignages agencés, des mini-sujets articulés journalistiquement.

Et on revient au début de notre entretien : passer à la fiction est peut-être plus satisfaisant ?
Je me méfie de ces histoires de classifications de manière verticale. Je suis bouddhiste et je n’aime pas mettre des choses les unes au-dessus des autres…

On peut plus s’exprimer dans une fiction que dans un documentaire quand même ?
C’est plus complexe. Il y a plus de paramètres et c’est plus une collaboration avec le réalisateur. Car là il y a un réalisateur, il y a un point de vue, il y a une intention. Ce qui ne veut pas dire que le compositeur n’ait pas un rôle de créateur. Est-ce que c’est mieux, plus intéressant ? Je refuse de voir les choses ainsi. Ce que je trouve désagréable dans la fiction c’est qu’il faut faire carrière, avoir du succès. Je suis en ce moment au point - j’espère pas dans un temps trop reculé - où je pourrai avoir plus de temps et d’énergie à moi pour faire librement des choses…

Dans une deuxième vie alors…
J’ai beau être bouddhiste, j’ai du mal à adhérer à la métempsychose !

Et la musique Extrême orientale ça vous inspire ?
On est en plein dedans avec les musiques minimalistes très à la mode, j’aime. Ce sont des musiques qui résolvent tout : facilité d’écoute, intelligence, élévation. Je suis très séduit que cela soit à la mode en ce moment. J’en propose assez régulièrement. Il y a cinq ans il fallait faire des thèmes où cela sifflait ! Il y a dix ans fallait mettre de la guitare acoustique. En ce moment il faut faire des cellules en boucle avec des cordes ou des pianos…

La musique à l’image vieillit mal...
C’est clair, j’ai un gros stock de musiques et régulièrement je les réécoute. Il y a quelques musiques qui demeurent, plus en terme de qualité que de périodes. Le paramètre qui fait qu’une musique est de qualité c’est l’énergie qu’on a mise dedans. J’ai remarqué qu’à une époque, j’avais 25 ans, je revenais des États-Unis, et j’avais une musique à faire sur la fête de l’ours. Et bien ce thème de l’ours, je l’ai écrit tout de suite, fatigué, en arrivant. Et bien il est super, il y a une énergie, c’est ce qui fait qu’il est encore bien. Le reste est secondaire…Qui va dire que la musique de Bernard Herrmann a vieilli ! Pourtant elle est très identifiée en terme de style. Dans trente ans personne trouvera que Phil Glass a vieilli et c’est pourtant très clairement identifié en terme d’époque...

Alors gardez l’énergie !

CANNES SOUNDTRACK 2017

Cannes Soundtrack existe depuis 2010 et remet un « Coup de cœur » de la Meilleure Musique de Film Originale issue de la sélection officielle du Festival International du Film de Cannes !

En 2012, Mark Snow avec « Vous n’Avez Encore Rien Vu » d’Alain Resnais, en 2013 Josepf Van Wissem avec « Only Lovers Left Alive » de Jim Jarmusch, en 2014 Howard Shore avec « Maps To The Stars » de David Cronenberg, en 2015 Lim Giong avec « The Assassin » de Hou Hsiao-Hsien, et en 2016 Cliff Martinez avec « The Neon Demon » de Nicolas Winding Refn, ont reçu un « Coup de cœur » de la part d’un jury de journalistes spécialisés dans la critique de films.

De nombreuses Palmes d’Or ont des musiques aussi célèbres qu’elles, mais n’ont jamais été récompensées ! Une honte ! Les films sont peut-être oubliés, mais leurs musiques sont toujours jouées, ou sont à jamais dans toutes les oreilles : « Le Troisième Homme » et la cithare lancinante d’Anton Karas, Le hautbois de « Mission », musique de Morricone, « La Loi du Seigneur » avec un super thème de Tiomkin chanté par Pat Boone, « Orféo Négro » qui a fait découvrir la musique brésilienne et Carlos Jobin, « La Dolce Vita », « Le Guépard » et Nino Rota, Michel Legrand et « Les Parapluies de Cherbourg », ou « Le Messager », le chabadaba de Francis Lai pour « Un Homme et Une femme », « Blow Up » ou « MASH » avec le jazz de Hancock et de Mandel, « Taxi Driver » avec la musique envoûtante de Bernard Herrmann, « Paris Texas » et la musique de Ry Coder devenue un tube, « La Leçon de Piano » avec son célèbre concerto de Nyman, la découverte de Goran Bregovic avec « Underground », le succès des BO de « Pulp Fiction », « Sailor et Lula », d’ « Apocalypse Now  ». D’autres films présentés au Festival ont eu des musiques qui sont devenues très célèbres ! Cannes a dansé sur la musique de « Never on Sunday » de Hadjidakis (Mercouri, prix de la meilleure actrice en 1960). La Musique de « Mondo Cane » (1962) de Riz Ortolani a connu un succès international fulgurant, etc… Alors pourquoi les ignorer, ne pas les honorer dans ce Festival ?

Toutes les initiatives pour que la musique et ses auteurs soient récompensés dans ce festival au même titre que les scénarios sont les bienvenues. Au cours du lancement de la nouvelle édition de Cannes Soundtrack, Vincent Doerr, le fondateur de cette manifestation avait accepté un court entretien.

Il faut avoir un grain pour s’intéresser intensément comme vous le faites à la musique de film ?
Faut juste être simplement à l’écoute…

Pensez-vous que les spectateurs sont attentifs à la musique ?
S’ils l’écoutent trop, c’est qu’elle est réussie mais ce n’est pas bon pour le film. S’ils ne l’entendent pas, c’est qu’elle se marrie totalement bien.

Cela vous est déjà arrivé de ne pas entendre la musique, vous le fana !
Oui, il y a des musiques qui se mêlent cent pour cent avec le film. Il y a deux œuvres dans un film : celle du compositeur et celle du cinéaste. Quand c’est réussi il y a une symbiose, elle est complétement en harmonie avec le film. Vladimir Cosma a fait des musiques incroyables pour des films très nuls, et du coup on en garde par nostalgie ses compositions. Dans mon enfance, j’ai vu des navets que j’aime mais c’est la musique qui m’a ensorcelé.

Cosma est un de vos premiers souvenirs ?
Non il fait partie des films populaires que j’ai aimés gamin et pour lesquels aujourd’hui je ne pense qu’à leur musique. Ce sont des comédies qui ne font pas forcément partie de l’histoire du cinéma. Si on compare « Taxi Driver » avec Bernard Herrmann, et « La Chèvre » avec Vladimir Cosma, par exemple, la musique décalée, le saxo qui flotte avec ce personnage totalement lugubre de De Niro et la flûte de « La Chèvre », même si on fait le grand écart sur la qualité de ces films, la musique y tient un rôle majeur.

Alors d’où vous vient cette lubie de vouloir créer un prix pour la musique de film ?
Nuance, je n’ai pas créé de prix. Il n’existe pas de prix officiel pour la musique de film. J’ai fait des études de cinéma, je suis musicien, mais ce n’est pas mon métier principal. Je vais depuis 25 ans au Festival de Cannes. J'y suis allé la première fois en tant que rien du tout, j’ai vu des tonnes de réalisateurs, jeunes et géniaux. Et un jour, avec un regard assez naïf, je me suis dit : mais on ne fait rien pour la musique dans ce Festival ! Alors j’ai eu envie de faire quelque chose. J’ai une agence de communication qui travaille beaucoup avec la musique et beaucoup avec le cinéma, et je me suis dit qu’il fallait faire quelque chose de concret. L’UCMF a longtemps essayé de faire bouger les choses. On oublie qu’à la naissance du Festival, il y avait le prix de la SACEM pour la musique de film ! Mon idée est assez simple : c’était de trouver une solution de communication. C’est ce que je fais aujourd’hui : créer un moment entre ces deux industries, image et musique. Elles se connaissent mal en fait. C’est un petit monde artistique mais il n’y a pas de rapport direct. Cannes est un moment professionnel énorme et cette idée de récompense m’est venue assez vite : ne pas faire de concurrence mais être complémentaire. Et pourquoi pas faire intéresser le Festival et qu’il crée un vrai prix, cela serait une pierre de plus.

Voilà sept ans que vous faites cela. Comment réagit Thierry Frémaux ?
On se connaît, il sait ce que je fais. Il a une attitude très paradoxale. Je pense qu’il trouve qu’il y a un intérêt de faire cela, mais il voudrait que cela ne soit pas trop envahissant pour le Festival.

Il y a quand même d’autres manifestations qui marchent très bien et où le Festival va découvrir de prochains sélectionnés. Il n’y a pas que la sélection officielle du Festival qui séduit les amoureux du cinéma !
De toute façon pour faire un grand In il faut un grand Off ! Quand un événement arrive à faire naître d’autres événements, c’est que le Festival officiel est quelque chose d’énorme ! Moi, très modestement, avec Cannes Soundtrack c’est plus créer un coup de cœur qu’un prix. Ce qui est intéressant c’est que cela soit fait par des journalistes. On met en lumière des compositeurs et on est centré sur la compétition officielle. Le jury est composé de journalistes de cinéma qui sont accrédités. On est très ouvert : on va de Télérama jusqu’à des jeunes qui écrivent pour des blogs. On a une vingtaine de journalistes. Collégialement, à la fin, on a un coup de cœur qui met en lumière un compositeur.

Comment font-ils pour voter, c’est très compliqué de les mettre tous d’accord ?
C’est très simple, avec internet on met un tableau en ligne. Ils voient les films, ils mettent des étoiles et on les comptabilise.

Vous entamez votre septième année. Dès le départ vous avez mis en place cette manière de fonctionner...
Cela fait cinq ans qu’on a créé ce coup de cœur. On essaye de faire des rencontres avec les compositeurs. Il faut trouver de l’argent, c’est compliqué. Je le fais par passion, ce n’est pas mon métier principal, ça me plait, je suis content d’aller à Cannes pour quelque chose. Et les journalistes le font gracieusement.

Avez-vous vu une évolution en cinq ans ?
Cannes Soundtrack a pris de l’ampleur. Au début, on n'avait pas autant de journalistes. La victoire c’est qu’on est reconnu dans le milieu. Dans le festival off on existe. On sait qu’il y à la quinzaine, la semaine de la critique, la caméra d’or, le Queer Palm. Il y a maintenant Cannes Soundtrack !

Les sponsors vous suivent-ils ?
Pas encore. La semaine de la critique a 40 ans. On n'est pas pressé, l’essentiel c’est de faire en sorte que l’événement se déroule normalement. Si on avait plus d’argent, on ferait plus de choses. J’aimerais créer un vrai rendez-vous institutionnel entre la musique et le cinéma. Ce serait une vraie fierté. Les journalistes viennent sans problème. Ce qui serait intéressant c’est que tous les compositeurs en compétition puissent venir à Cannes, créer des plateformes de rencontre. C'est aussi d’avoir des aides pour les faire venir. Là il y aurait un vrai travail de mise en lumière.

Et d’avoir aussi les réalisateurs qui viennent parler de leur compositeur ?
Les réalisateurs sont tous très disponibles. Bien sûr, ils sont tellement absorbés pendant la compétition avec les 5000 journalistes qui veulent une interview. Avec plus de moyens les producteurs seraient plus attentifs.

Avez-vous toujours un lieu ?
On se débrouille toujours pour avoir un espace. On avait le marché du film qui nous accueillait, mais cela coûte de l’argent, même s’il nous faisait des remises…

Quel moyen financier faut-il pour une telle opération?
C’est très variable. Il y a eu des années maigres où avec 5 à 10.000 euros j’arrivais à faire l’évènement, et des années fortes où j’ai eu des budgets de 200.000 euros ! Au début on a eu la SACEM, mais elle attendait plus de choses. Elle n’est plus notre sponsor. Elle reviendra, on l’espère…

Vous avez une agence de communication, m’avez-vous dit. Pourriez-vous en dire un peu plus?
Oui, elle s’appelle Ciné Pub. Je l’ai créée il y a quinze ans. Elle travaille beaucoup avec des acteurs culturels. On fait beaucoup de promotions, notamment au cinéma.

Vous disiez être musicien…
Je joue de la guitare, du piano, je fais du chant, mais pas professionnellement. J’ai fait des études de cinéma à la Sorbonne mais j’étais à Aix en Provence. J’aimerais faire un Paris Soundtrack avec une compétition sur un an sur la musique de film avec différentes catégories : musique orchestrée, synchronisée, électronique, jeux vidéo… Il y a aujourd’hui de nombreux genres de musique pour l’image. C’est peut être un événement de geek mais je pense que cela a sa place au niveau international !

On espère que Monsieur Frémaux ne restera pas sourd encore longtemps !


Oneohatrix point Never / DR Le « Coup de Cœur » 2017 a été attribué à la musique composée par Oneohatrix point Never pour « Good Time » de Ben Safdie et Joshua Safdie.
Sous ce nom se cache Daniel Lopatin, un musicien « expérimental » installé à Brooklyn, de 35 ans, qui compose des albums depuis 2007. Il avait composé pour Sofia Coppola (« The Bling Ring ») et Ariel Kleiman (« Partisan »).

https://www.youtube.com/watch?v=6E6vijJdvw0
Stéphane Loison

CDs MUSIQUE & CINEMA

IT COMES AT NIGHT

Réalisation : Trey Edward Shults
Compositeur : Brian McOmber
Milan 3999262

Alors que le monde est en proie à une menace terrifiante, un homme vit reclus dans sa propriété totalement isolée avec sa femme et son fils. Quand une famille aux abois cherche refuge dans sa propre maison, le fragile équilibre qu'il a mis en place est soudain bouleversé. « It Comes at night » est un nightmare ! Un travelling avant dans un couloir vers une porte rouge et close avec la musique de McOmber met le public dans un état proche de la terreur ! Des images de ce style Shults dans ce premier film en sert continuellement. La BO simple est terriblement efficace. McOmber a trouvé la bonne formule pour accompagner des images somme toutes assez banales. Le talent de ces deux hommes fait que ce film est un petit chef-d’œuvre du genre. A voir et à écouter ! Âmes sensibles s’abstenir… mais comme tous on a très envie de savoir ce qu’il y a derrière la porte rouge !
https://www.youtube.com/watch?v=ysRhhraeiQk
Stéphane Loison

VIRTUAL REVOLUTION

Réalisateur : Guy-Roger Duvert
Compositeur : Guy-Roger Duvert
Disponible chez Music Box Records. Aussi en digital sur www.grduvert.com

PARIS. 2047. 75% de la population passe son temps connectée dans des mondes virtuels et ne se préoccupe plus de la réalité. Nash est un tueur à la solde des multinationales qui ont créé et développé plusieurs de ces mondes virtuels. Sa mission : traquer, identifier et éliminer des terroristes qui s’attaquent au système et menacent les intérêts économiques des firmes. Durant son enquête, Nash doit intervenir dans plusieurs mondes virtuels en incarnant différents personnages. Sa compréhension du monde s’en trouve bouleversée. Après Cassandra, un film court aux nombreux prix, voici un film d’un indépendant, un fondu de ce genre de film qui s’interroge sur l’utilisation des jeux vidéo. Et en plus d’écrire le scénario du film et de le réaliser, Duvert écrit la BO! C’est un compositeur qui a travaillé sur de nombreux Blockbusters, des documentaires, et des séries. On ne peut que soutenir ce genre de cinéma ! On retrouve avec cette musique toutes celles à la mode avec un fond électro acoustique ; on sent que ce musicien a une culture musicale (il a fait le conservatoire) : « Ultima Necat » a un petit air à la Phil Glass, d’autres morceaux sont teintés de Zimmer, d’autres plus personnels sont assez romantiques. Vu les moyens qu’a dû avoir, Guy-Roger Duvert, ses compos n’ont pu se faire que dans son studio. Music Box Records a pris la distribution. Voilà un cd qui se laisse écouter et c’est toujours agréable de découvrir un compositeur qui prend des risques. https://www.youtube.com/watch?v=Yjo_ZQDUoYo
Stéphane Loison

LE BUREAU DES LEGENDES

Réalisateur : Eric Rochant
Compositeur : Rob
Music Box Records MBR - 117

Produite et diffusée sur Canal Plus, la série d'espionnage nous plonge dans l’univers du renseignement français et réunit Mathieu Kassovitz, Jean-Pierre Darroussin, Sara Giraudeau, …. Au sein de la DGSE (Direction Générale de la Sécurité Extérieure), un département appelé le Bureau des Légendes (BDL) forme et pilote à distance les agents les plus importants des services de renseignements français : les clandestins. En immersion dans des pays hostiles, leur mission consiste à repérer les personnes susceptibles d'être recrutées comme sources de renseignements. Opérant "sous légende", c'est-à-dire sous une identité fabriquée de toutes pièces, ils vivent de longues années dans une duplicité permanente. Rob (Made in France, Planetarium, Seuls) signe ici une partition électronique au climat suspendu, inquiétant, haletant et parfois romantique pour l'impact émotionnel de la série. À l'occasion de la diffusion de la troisième saison, l'album réunit une sélection de 28 titres regroupant les musiques des trois saisons, dont trois titres inédits par rapport aux versions vinyle et digitale de l'album. Pour ceux qui aiment la musique électronique composée par ROB. L'Éducation Musicale l’avait interviewé lorsqu’il écrivait la première saison. https://www.youtube.com/watch?v=s0rTz2NY3RQ
Stéphane Loison

L’HOMME EN COLERE – UN PAPILLON SUR L’EPAULE

Réalisateur : Claude Pinoteau - Jacques Derayn
Compositeur : Claude Bolling
Music Box Records MBR - 115

En collaboration avec Claude Bolling et Gruppo Sugar, Music Box Records présente, en CD et dans des versions augmentées, les partitions de Claude Bolling pour les deux films interprétés par Lino Ventura : L’Homme en colère (1979) et Un papillon sur l’épaule (1978).
Le film de Claude Pinoteau, L’Homme en colère, s’attache au problème des clandestins qui choisissent d’entrer au Canada pour ensuite franchir la frontière vers les États-Unis. Tel est le cas de Julien, un jeune homme qui a rompu le lien familial avec son père à la suite du décès accidentel de sa mère. Lino Ventura interprète ce père qui part à la recherche de son fils pour le sauver de la menace d’un groupe de trafiquants de drogue. Le film est baigné d’une ambiance jazz et disco par le biais des bars et boîtes de nuit que Romain (Ventura) traverse au cours de son enquête. Cependant, pour le thème principal, Claude Bolling écrit un thème orchestral très romantique faisant référence à un souvenir musical de Julien enfant, jouant au piano à quatre mains avec sa mère.
Aux manettes d’Un papillon sur l’épaule, le vieux complice de Bolling, Jacques Deray, signe un film singulier dont l’atmosphère découle plus ou moins de La Piscine, réalisé une dizaine d’années plus tôt. Après une série de polars à succès et de comédies, Deray se rapproche de l’univers de Kafka, Buñuel et Hitchcock en contant l’histoire d’un homme dont la vie bascule dans l’irréel après avoir été le témoin d’un meurtre. Il se retrouve bloqué dans une situation qu’il ne comprend pas, téléguidé par des voix et des personnes qui le conduiront à sa mort. La musique de Claude Bolling intervient peu mais le thème principal du film se conjugue au mystère avec le dialogue désarticulé d’un saxophone et d'un piano.
Même si ces deux films sont de facture et de genre différents, Bolling y marque son empreinte avec une aisance apparente tout en passant continuellement d’un univers à l’autre, du jazz au cinéma avec, on le devine, une capacité de travail extraordinaire au service d’une inspiration toujours renouvelée.
Stéphane Loison

LE HASARD ET LA VIOLENCE

Réalisateur : Philippe Labro
Compositeurs : Michel Colombier
Music Box Records MBR - 114

Après L’Héritier (1973) et avant L’Alpagueur (1976), le compositeur Michel Colombier et le réalisateur Philippe Labro se réunissent à nouveau pour Le Hasard et la Violence (1974), et c’est cette bande originale plus secrète que Music Box Records est fier d’ajouter à son catalogue.
Malgré la présence d’une chanson interprétée par Drupi, cette partition est moins pop et beaucoup plus orchestrale que les deux autres B.O. du tandem. La musique du célèbre collaborateur de Serge Gainsbourg est à la fois glaciale et élégante, à l’image du générique début, où, à travers un thème puissant et une orchestration mêlant divers claviers (dont le Fender Rhodes cher à Colombier), des percussions, des cordes hivernales et des cuivres menaçants, le compositeur/arrangeur exhibe toute la puissance de son talent et semble transporté par l’ambiance presque métaphysique du film.
Stéphane Loison

THE MUMMY

Réalisateur : Alex Kurtzman
Compositeur : Brian Tyler
BLM-694

Bien qu’elle ait été consciencieusement enterrée dans un tombeau au fin fond d’un insondable désert, une princesse de l’ancienne Égypte, dont le destin lui a été injustement ravi, revient à la vie et va déverser sur notre monde des siècles de rancœurs accumulées et de terreur dépassant l’entendement humain. Des sables du Moyen Orient aux pavés de Londres en passant par les ténébreux labyrinthes d’antiques tombeaux dérobés, La Momie nous transporte dans un monde à la fois terrifiant et merveilleux, peuplé de monstres et de divinités, dépoussiérant au passage un mythe vieux comme le monde.
Tom Cruise nous en met plein les yeux avec des moyens pléthoriques, des scènes d’actions spectaculaires. Il se prend quand même très au sérieux. On est loin de la momie pleine d’humour de Sommer (1999) et surtout de la musique de Goldsmith. Ici Brian Tyler ne fait pas dans la dentelle et d’ailleurs il n’a jamais su en faire. Pour marteler les effets, c’est le roi. On peut reprendre une de ses musiques et la mettre sur un autre film, cela fonctionne. Avec lui on est jamais dans la subtilité, mais après tout dans ce genre de film, avec Cruise il ne faut pas couper les notes en quatre. Un CD en plus comme ceux de « Fast and Furious », « Expendables », « Destination Finale »….Avec Tyler ça cogne !
https://www.youtube.com/watch?v=MhFzfbCCUFw
Stéphane Loison

WONDER WOMAN

Réalisateur : Patty Jenkins
Compositeur : Rupert Gregson Williams
SONY-88985447072

Rupert Gregson-Williams est un compositeur de musiques de films né en Grande-Bretagne en 1966. Il est le petit frère de Harry Gregson-Williams, lui aussi compositeur. Il travaillait au studio Media Ventures comme son frère et cela s’entend, la patte de Zimmer est souvent présente – dans ses envolés lyriques et l’emploi des voix - , la musique est assez sombre en total décalage avec le film qui est très sympathique. Avant d'être Wonder Woman, elle s'appelait Diana, princesse des Amazones, entraînée pour être une guerrière impossible à conquérir. Elle est élevée sur une île isolée et paradisiaque, mais lorsqu'un pilote américain s'écrase sur leur rivage et annonce qu'un conflit à grande échelle fait rage dans le monde, Diana quitte son foyer, convaincue qu'elle doit arrêter cette menace. Ce film est abouti et souvent drôle. La musique sourde sert la mise en scène de Patty Jenkins qui combine avec aisance les scènes intimes et d’action. Un film à voir et une musique, un musicien, à découvrir bien qu’il ait composé de nombreuses musiques pour des films qui n’ont pas laissé de grand souvenir. A-t-il une vraie personnalité de musicien ? Sa musique pour « Tarzan » de David Yates n’était pas sans intérêt. Rupert Gregson Williams a remplacé James Horner, décédé, dans le film de Mel Gibson « Tu ne tueras point ».
https://www.youtube.com/watch?v=chC-nTLh6aA
Stéphane Loison

MY COUSIN RACHEL

Réalisateur : Roger Michell
Compositeur : Rael Jones
SONY-88985432092

La chanson Wicked Game de Chris Isaak devenue un tube grâce à « Sailor et Lula » de Linch est ici interprétée par Ursine Vulpine et résume assez bien le film. Ce célèbre roman de Daphné du Maurier est la deuxième version à l’écran. La première était avec Richard Burton et Olivia de Havilland. Angleterre, début du XIXème siècle. Philip, un jeune noble anglais, apprend la mort mystérieuse de son cousin en Italie, survenue peu après son mariage secret avec la jeune et jolie veuve Rachel. Il n’a qu’une idée en tête : découvrir les véritables raisons de sa mort afin de le venger par tous les moyens. Mais la visite inattendue de cette nouvelle cousine va tout bouleverser. Les histoires chez du Maurier se ressemblent toutes mais diffèrent dans le mode d’expression. Hitchcock avait adapté « Les Oiseaux » et « Rebecca ». Rael Jones a composé la musique ; on l’avait remarqué dans « La Suite Française » de Saul Dibb et dans les arrangements pour « Les Misérables », le film de Tom Hooper. Il aime les cordes, les envolés lyriques, on sent qu’il a une solide formation classique et qu’il est un musicien accompli. Pianiste de formation, il aime le mettre en avant et les quelques notes qu’il égraine souvent tout au long du film apportent du mystère à cette étrange affaire. Le film tient surtout sur Rachel Weisz et son comportement insolite. Rael Jones est dans son élément et sa musique aide souvent le film. Il y a une vraie conjonction entre image et son. Un beau Cd à écouter après avoir vu le film si l’on ne connait pas le roman…
https://www.youtube.com/watch?v=QLqjpQ1JszE&index=1&list=PLF0bEoBlLvoi0H2hzF3I8kMRCFjd4XPgh
Stéphane Loison

LE ROI ARTHUR

Réalisateur : Guy Richie
Compositeur : Daniel Pemberton
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Le jeune Arthur vit dans les faubourgs de Londinium avec sa bande et ses amis, Bâton mouillé et Fesse d'huître. Élevé depuis sa naissance dans un bordel par des prostituées, il ignore l'immense destin qui l'attend, jusqu'au jour où il s'empare d'Excalibur. Arthur doit alors faire des choix difficiles et rejoint la Résistance avec notamment une mystérieuse Mage. Il doit apprendre à maîtriser l'épée magique, surmonter ses démons et peurs intérieures afin d'unir le peuple breton pour vaincre son oncle, le tyrannique Vortigern. Le film est bien sûr à la sauce Richie, on y retrouve tous ses dadas de mise en scène et de construction scénaristique. Pour la musique il a fait appel à Daniel Pemberton. Ce compositeur a travaillé une fois pour Ridley Scott et composé pour Richie la musique très sympathique de « U.N.C.L.E ». Ici beaucoup d’énergie que l’on retrouve aussi dans le cd;
Stéphane Loison


THE CIRCLE

Réalisateur : James Ponsoldt
Compositeur : Danny Elfman
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Les États-Unis, dans un futur proche. Mae est engagée chez The Circle, le groupe de nouvelles technologies et de médias sociaux le plus puissant au monde. Pour elle, c'est une opportunité en or ! Tandis qu'elle prend de plus en plus de responsabilités, le fondateur de l'entreprise, Eamon Bailey, l'encourage à participer à une expérience révolutionnaire qui bouscule les limites de la vie privée, de l'éthique et des libertés individuelles. Désormais, les choix que fait Mae dans le cadre de cette expérience impactent l'avenir de ses amis, de ses proches et de l'humanité tout entière…Danny Elfman s’est mis à l’électro ! Il y a dans cette création beaucoup d’ironie. Difficile de retrouver la patte de ce grand compositeur. C’est une curiosité…
https://www.youtube.com/watch?v=2YFoHN8CN9s&list=PLkLimRXN6NKxpEILZFtxjBmrGRHg_Cbl1
Stéphane Loison

SPIDER MAN HOMECOMING

Réalisateur : John Watts
Compositeur : Michael Giacchino
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Après ses spectaculaires débuts dans « Captain Americ : Civil War », le jeune Peter Parker découvre peu à peu sa nouvelle identité, celle de Spider-Man, le super-héros lanceur de toile. Galvanisé par son expérience avec les Avengers, Peter rentre chez lui auprès de sa tante May, sous l’œil attentif de son nouveau mentor, Tony Stark. Il s’efforce de reprendre sa vie d’avant, mais au fond de lui, Peter rêve de se prouver qu’il est plus que le sympathique super héros du quartier. L’apparition d’un nouvel ennemi, le Vautour, va mettre en danger tout ce qui compte pour lui... Avec un programme d’une telle ampleur, Michael Giacchini réussit à tirer son épingle du jeux et ce compositeur émérite a toujours quelques ficelles entre ses mains pour balancer des musiques qui servent, o combien, l’histoire de ce pauvre Peter. L’ humour est toujours présent bien sûr et Giacchino est toujours aussi créatif ! Sonnez trompettes, Spiderman est de retour !
https://www.youtube.com/watch?v=I42Y1bl5uXs

Stéphane Loison

THE SUN ALSO RISES

Réalisateur : Jiang Wen
Compositeur : Joe Hisaishi
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Succession de contes surréalistes en quatre tableaux qui mêlent deux destins : celui du fils d'une femme étrange et celui d'un universitaire déchu. La folie y croise les rêves, l'amour les armes. Une invitation au voyage à travers le temps et la Chine, une symphonie de couleurs, de textures et de sons.
« The Sun Also Rises » (« Le soleil se lève aussi »), sorti en 2007, a été présenté en compétition officielle à la Mostra de Venise (nommé pour le Lion d’or), ainsi qu’au Festival International de Toronto.
Dix ans après la sortie du film, voici enfin à paraître cette somptueuse bande originale composée par le maître japonais connu pour ses compositions pour Miyazaki et Kitano. On retrouve ici tout le charme des thèmes des arrangements qui sont de vrais plaisirs à écouter et qui servent si bien le propos du film. Cette simplicité musicale est confondante. Quelques notes et l’on reconnaît le climat musical de ce grand compositeur. Un cd à déguster !
https://www.youtube.com/watch?v=SyCrB_WCCj8

Stéphane Loison


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LA VIE DE L’EDUCATION MUSICALE


Si vous souhaitez promouvoir votre activité, votre programme éditorial ou votre saison musicale dans L’éducation musicale, dans notre Lettre d’information ou sur notre site Internet, n’hésitez pas à me contacter au 01 53 10 08 18 pour connaître les tarifs publicitaires. maite.poma@leducation-musicale.com
Les projets d’articles sont à envoyer à redaction@leducation-musicale.com
Les livres et les CDs sont à envoyer à la rédaction de l’Education musicale : 7 cité du Cardinal Lemoine 75005 Paris



EN SOUSCRIPTION

MAURICE MARTENOT, LUTHIER DE L’ÉLECTRONIQUE

EN SOUSCRIPTION 44€ puis 59€ ensuite.
« Connaissez-vous beaucoup d'inventeurs d'instruments de musique ? Ceux dont l'histoire a retenu les noms se comptent sur les doigts d'une main. Jean- Christophe Denner a inventé la clarinette, Adolphe Sax le saxophone. Et puis ? On connaît des facteurs d'instruments, Stradivarius, par exemple. Mais il n'a pas inventé le violon. Alors qui ? Qui le piano ? Qui a inventé le tambour, la flûte, la harpe ? Autant demander qui étaient Adam et Ève ! »
En octobre 1980 mourait accidentellement, à Paris, Maurice Martenot, musicien, pédagogue, inventeur des ondes musicales. Trois mois plus tôt, l’auteur était allé l’interviewer à sa maison de campagne de Noirmoutier.
Ce livre relate l’histoire des ondes Martenot, instrument électronique de musique exceptionnel qui a séduit des personnalités aussi diverses que Mau- rice Ravel, Rabindranath Tagore ou Jacques Brel, et des compositeurs connus, tels Olivier Messiaen, Darius Milhaud, André Jolivet, Arthur Honegger, Edgar Varèse, Maurice Jarre, Akira Tamba – auxquels se sont ajoutés, depuis la première édition de ce livre, parmi bien d’autres, Jacques Hétu, Jonny Greenwood, ou encore Akira Nishimura. (suite)


EN PREPARATION

PEINDRE LA MUSIQUE

Toujours hypothétiques, les correspondances, analogies et interactions entre la peinture et la musique reposent sur un socle malaisé à définir. Rien de plus révélateur en ce sens que l’étude des problèmes posés aux peintres par la représentation d’une scène musicale, gageure supposant, en amont de l’œuvre, l’éventuelle fusion du visuel et du sonore. L’inscription de l’œuvre visuelle dans une durée étant intimement liée à l’identification de son contexte sonore, les variations de ce contexte en altèrent de facto la captation par le regard, l’effigie créant un climat musical qui, à son tour, la modèle. L’irruption de la musique au cœur de l’image forme ainsi le plus imprévisible des modèles sensibles, la force émotive de la vision dépendant avant tout des capacités synesthésiques du spectateur. Peindre la musique, c’est donc solliciter l’activité informatrice de l’esprit, en matière de style, d’histoire, d’esthétique, de sociologie, d’organologie... mais aussi chercher à provoquer le jeu des émotions par le choix d’un vocabulaire visuel favorisant cette fusion des deux expressions majeures du monde sensible.
Universitaire et écrivain, Gérard Denizeau a publié divers essais sur la transdisciplinarité artistique (Musique & arts visuels, Le visuel et le sonore, Le dialogue des arts, La Musique au temps des arts). Auteur de biographies musicales (Rossini, Wagner, Saint- Saëns) et artistiques (Lurçat, Corot, Monet, Van Gogh, Chagall), il s’est également attaché à une redéfinition du genre musical (Com- prendre et identifier les genres musicaux) et des articulations de l’histoire de l’art (Les grands courants artistiques). Collaborateur de l’Encyclopaedia Universalis, enseignant au département de musicologie de la Sorbonne et au Conservatoire à Rayonnement Régional de Paris, il a également produit plusieurs émissions pour France-Culture (Profils perdus, Une vie une œuvre...). Chez Beauchesne, on lui doit, en collaboration avec Daniel Blackstone un volume récent, Analyses musicales XVIIIe siècle.


Serge Gut - Les Principes fondamentaux de la musique occidentale

Disparu en mars 2014 à l’âge de 86 ans, Serge Gut compte au nombre des figures majeures de la musicologie française des dernières décennies. Spécialiste de Franz Liszt, auquel il consacra deux grands ouvrages et de nombreux articles, il fut également un analyste réputé. Après une première formation de compositeur, il avait commencé sa carrière musicologique, dans les années 1960-1970, par des publications traitant surtout de questions de langage musical – un domaine qui, bien que parfois négligé par les milieux universitaires, constitue le pont naturel entre composition et théorie. Au terme de cinquante années d’une activité brillante, qui le vit notamment présider aux destinées de l’Institut de musicologie de la Sorbonne, Serge Gut devait revenir dans ses dernières années à cette passion de jeunesse. Son expérience unique, aussi bien dans les domaines de la recherche que de l’enseignement supérieur ou de la publication scientifique, lui inspira le présent ouvrage, qu’il qualifiait lui-même de testament. Théorie et histoire y tiennent un passionnant dialogue.

Resté inédit au moment de la disparition de Serge Gut, le manuscrit des Principes fondamentaux de la musique occidentale a été préparé pour la publication par Vincent Arlettaz, disciple de Serge Gut, rédacteur en chef de la Revue Musicale de Suisse Romande et professeur dans le cadre des Hautes Écoles de Musique suisses.


VIENT DE PARAÎTRE

QUARANTE-TROIS CHANTS, Chants d’assemblée et de chœur

25.00 €.
« CHANTS Harmonisés à quatre voix pour orgue et chœur par Yves Kéler et Danielle Guerrier Kœgler
Textes originaux rassemblés, mis en français et commentés par Yves Kéler
Ouverture, par le pasteur David Brown et Guylène Dubois
Préface du pasteur Alain Joly
Avant-propos d’Édith Weber

Ce recueil regroupe, pour la première fois, les 43 paraphrases françaises de chorals de Martin Luther, strophiques, versifiées, rimées, très fidèles aux intentions du Réformateur (ce qui n’est pas le cas des quelques rares textes figurant dans d’autres recueils français), et chantables sur les mélodies traditionnelles bien connues.

Il se veut un volume fonctionnel pour le chant des fidèles, avec des harmonisations à 4 voix destinées aux organistes pour accompagner l’assemblée lors des cultes et des messes. Il s’adresse également aux prédicateurs soucieux de trouver un choral pour illustrer les thèmes abordés chaque dimanche, aux organistes pour accompagner l’assistance et aux chefs de chœur pour diriger le chœur paroissial. Pour quelques harmonisations écrites en fonction des possibilités de l’orgue et, dans quelques rares cas, difficilement chantables (tessiture trop élevée ou trop grave, intercalation du texte à plusieurs des parties), (suite)


Une Passion après AUSCHWITZ ? Autour de la Passion selon Marc de Michael Levinas

24.00 €.
Cet ouvrage paraît à l’occasion de la création à Lausanne, lors de la semaine sainte 2017, de La Passion selon Marc. Une passion après Auschwitz du compositeur Michaël Levinas. Cette création prend place dans le cadre du 500e anniversaire de la Réforme protestante. Elle entreprend de relire le récit chrétien de la passion de Jésus dans une perspective déterminée par la Shoah.

Ce projet s’inscrit dans une histoire complexe, celle de l’antijudaïsme chrétien, dont la Réforme ne fut pas indemne, mais aussi celle des interprétations, théologiques et musicales, de la passion de Jésus de Nazareth. Et il soulève des questions lourdes, mais incontournables. Peut-on mettre en rapport la crucifixion de Jésus – la passion chrétienne – et l’assassinat de six millions de juifs ? Ne risque-ton pas d’intégrer Auschwitz dans une perspective chrétienne, et du coup de priver la Shoah de sa radicale singularité ? De redoubler la violence faite aux victimes d’Auschwitz en lui donnant un sens qui en dépasserait le désastre, l’injustifiable, l’irrémédiable ? (suite)


Michaël Levinas : La Passion selon Marc. Une Passion après Auschwitz par Michèle Tosi


L'EDUCATION MUSICALE

STOCKHAUSEN JE SUIS LES SONS

Ce livre, que le compositeur souhaitait publier dans sa maison d’édition à Kürten, se propose de présenter les orientations principales de la recherche de Karlheinz Stockhausen (1928-2007) à travers ses œuvres, couvrant sa vie et ouvrant un accès direct à ses écrits. Divers domaines investis par le plus grand inventeur de musique de la seconde moitié du xxe siècle sont abordés : composition de soi à travers les matériaux nouveaux ; découvertes formelles et structures du temps ; musique spatiale ; métaphore lumineuse ; musique scénique ; l’hommage au féminin de l’opéra Montag aus Licht ; Wagner, Stockhausen et le Gesamtkunstwerk, œuvre d’art total. Les témoignages des femmes qui l’ont accompagné dressent un portrait vif et saisissant de l’homme, artiste génial qui aimait plus que tout la musique et la recherche compositionnelle au nom du progrès de l’être humain...(suite)

LES AVATARS DU PIANO

Mozart aurait-il été heureux de disposer d'un Steinway de 2010 ? L'aurait-il préféré à ses pianofortes ? Et Chopin, entre un piano ro- mantique et un piano moderne, qu'aurait-il choisi ? Entre la puissance du piano d'aujourd'hui et les nuances perdues des pianos d'hier, où irait le cœur des uns et des autres ? Personne ne le saura jamais. Mais une chose est sûre : ni Mozart, ni les autres compositeurs du passé n'auraient composé leurs œuvres de la même façon si leur instrument avait été différent, s'il avait été celui d'aujourd'hui. Mais en quoi était-il si différent ? En quoi influence-t-il l'écriture du compositeur ? Le piano moderne standardisé, comporte-t-il les qualités de tous les pianos anciens ? Est-ce un bien ? Est-ce un mal ? Qui a raison, des tenants des uns et des tenants des autres ? Et est-ce que ces questions ont un sens ? Un voyage à travers les âges du piano, à travers ses qualités gagnées et perdues, à travers ses métamorphoses, voilà à quoi convie ce livre polémique conçu par un des fervents amoureux de cet instrument magique.

CHARLES DICKENS, LA MUSIQUE ET LA VIE ARTISTIQUE A LONDRES A L'EPOQUE VICTORIENNE

Au travers du récit que James Lyon nous fait de l’existence de Dickens, il apparaît bien vite que l’écrivain se doublait d’un précieux défenseur des arts et de la musique. Rares sont pourtant ses écrits musicographiques ; c’est au travers des références musicales qui entrent dans ses livres que l’on constate la grande culture musicale de l’écrivain. Il se profilera d’ailleurs de plus en plus comme le défenseur d’une musique authentiquement anglaise, forte de cette tradition évoquée plus haut. Et s’il ne fallait qu’un seul témoignage enthousiaste pour décrire la grandeur musicale de l’Angleterre, il suffit de lire le témoignage de Berlioz (suite)


GUIDES MUSICOLOGIQUES

LA RECHERCHE HYMNOLOGIQUE

En plein essor à l'étranger, particulièrement en Allemagne, l'hymnologie n'a pourtant pas encore acquis ses titres de noblesse en France. Dans l'esprit de la collection « Guides musicologiques », cet ouvrage se veut une initiation méthodologique. Il comprend une approche de l'hymnologie se rattachant à la musicologie historique et à la théologie pratique, et résume l'historique de la discipline. Pratique et documentaire, il offre aussi de précieuses indications : un large panorama des institutions et centres de recherche, un glossaire conséquent ou les mots clés. et les entrées sont accompagnés de leur traduction en plusieurs langues, et une bibliographie très complète (431 titres) tenant compte du tout dernier état de la question. Outil de travail indispensable, ce livre s'adresse aussi bien aux musicologues, aux théologiens, traducteurs et chercheurs, qu'aux organistes, maîtres de chapelle, chanteurs, et bien entendu, aux hymnologues.

JOHANN SEBASTIAN BACH - CHORALS

Ce guide s’adresse aux musicologues, hymnologues, organistes, chefs de chœur, discophiles, mélomanes ainsi qu’aux théologiens et aux prédicateurs, soucieux de retourner aux sources des textes poétiques et des mélodies de chorals, si largement exploités par Jean-Sébastien Bach, afin de les situer dans leurs divers contextes historique, psychologique, religieux, sociologique et surtout théologique. Il prend la suite de La Recherche hymnologique (Guides Musicologiques N°5), approche méthodologique de l’hymnologie se rattachant à la musicologie historique et à la théologie pratique dans une perspective pluridisciplinaire. Nul n’était mieux qualifié que James Lyon : sa vaste expérience lui a permis de réaliser cet ambitieux projet. Selon l’auteur : « Ce livre est un USUEL. Il n’a pas été conçu pour être lu d’un bout à l’autre, de façon systématique, mais pour être utilisé au gré des écoutes, des exécutions, des travaux exégétiques ou des cours d’histoire de la musique et d’hymnologie. » (suite)

LES 43 CHANTS DE MARTIN LUTHER

Cet ouvrage regroupe pour la première fois les 43 chorals de Martin Luther accompagnés de leurs paraphrases françaises strophiques, vérifiées. Ces textes, enfin en accord avec les intentions de Luther, sont chantables sur les mélodies traditionnelles bien connues. Aux hymnologues, musicologues, musiciens d'Eglise, chefs, chanteurs et organistes, ainsi qu'aux historiens de la musique, des mentalités, des sensibilités et des idées religieuses, il offrira, pour chaque choral ou cantique de Martin Luther, de solides commentaires et des renseignements précis sur les sources des textes et des mélodies : origine, poète, mélodiste, datation, ainsi que les emprunts, réemplois et créations au XVIè siècle... (suite)


ANALYSES MUSICALES

L’imbroglio baroque de Gérard Denizeau

BACH
Cantate BWV 104 Actus tragicus : Gérard Denizeau - Toccata ré mineur : Jean Maillard - Cantate BWV 4: Isabelle Rouard - Passacaille et fugue : Jean-Jacques Prévost - Passion saint Matthieu : Janine Delahaye - Phœbus et Pan : Marianne Massin - Concerto 4 clavecins : Jean-Marie Thil - La Grand Messe : Philippe A. Autexier - Les Magnificat : Jean Sichler - Variations Goldberg : Laetitia Trouvé - Plan Offrande Musicale : Jacques Chailley

COUPERIN
Les barricades mystérieuses : Gérard Denizeau - Apothéose Corelli : Francine Maillard - Apothéose de Lully : Francine Maillard

HAENDEL
Dixit Dominus : Sabine Bérard - Water Music : Pierrette Mari - Israël en Egypte : Alice Gabeaud - Ode à Sainte Cécile : Jacques Michon - L’alleluia du Messie : René Kopff - Musique feu d’artifice : Jean-Marie Thill -


DIVERS

LE NOUVEL OPERA

Publié l'année même de son ouverture, cet ouvrage raconte avec beaucoup de précisions la conception et la construction du célèbre bâtiment. Le texte est remis en pages et les gravures mises en valeur grâce aux nouvelles technologies d'impression.

LEOS JANACEK, JEAN SIBELIUS, RALPH VAUGHN WILLIAMS - UN CHEMINEMENT COMMUN VERS LES SOURCES

Pour la première fois, le Tchèque Leoš Janácek (1854-1928), le Finlandais Jean Sibelius (1865-1957) et l'Anglais Ralph Vaughan Williams (1872-1958) sont mis en perspective dans le même ouvrage. En effet, ces trois compositeurs - chacun avec sa personnalité bien affirmée - ont tissé des liens avec les sources orales du chant entonné par le peuple. L'étude commune et conjointe de leurs itinéraires s'est avérée stimulante tant les répertoires mélodiques de leurs mondes sonores est d'une richesse émouvante. Les trois hommes ont vécu pratiquement à la même époque. Ils ont été confrontés aux tragédies de leur temps et y ont répondu en s'engageant personnellement dans la recherche de trésors dont ils pressentaient la proche disparition. (suite).

DAVID ET JONATHAN, HISTOIRE D'UN MYTHE

L’histoire de David et Jonathan est devenue aujourd’hui un véritable mythe revendiqué par bien des mouvements homosexuels qui croient y lire le récit d’une passion amoureuse entre deux hommes, alors même que la Bible condamne de manière explicite l’homosexualité comme une faute grave. Cette lecture s’est tellement imposée depuis quelques décennies que les ouvrages qui traitent de la question de l’homosexualité dans la Bible ne peuvent contourner le passage et l’analysent dans les moindres détails afin de découvrir si le texte parle ou non d’une amitié particulière entre le fils de Saül et le futur roi d’Israël, ancêtre de Jésus. Le texte est devenu le lieu de toutes les passions et révèle les interrogations profondes de la société sur la question homosexuelle. (suite)



INITIATION A L'HARMONIE

INITIATION À L’HARMONIE ET À L’INTERPRÉTATION À PARTIR DES POLONAISES DE CHOPIN.
VOLUME 1 Les Polonaises de jeunesse en sol mineur et sib majeur.
22.00 €

INITIATION À L’HARMONIE ET À L’INTERPRÉTATION À PARTIR DES POLONAISES DE CHOPIN.
VOLUME 2 Les Polonaises de jeunesse en lab majeur et sol# mineur
22.00 €


COLLECTION VOIR ET ENTENDRE

Jean-Marc Déhan et Jacques Grindel ont réalisé, dans les années 1980, collection « voir & entendre », qui s'adressait autant aux collèges et lycées qu'aux conservatoires et écoles de musique. Il nous est apparu que cet outil remarquable pouvait, avec quelques compléments, redevenir un outil pédagogique de tout premier plan. Le parti pris a été de réimprimer à l'identique les fascicules, enrichis d'un court dossier pédagogique. Pour chaque titre, des pistes d'utilisation s'ajoutent à celles déjà mises en lumière dans les partitions elles-mêmes.
Il est possible d'utiliser ces partitions :
- pour la lecture de notes
- pour la lecture de rythmes
- pour la dictée musicale ;
- pour le chant, en faisant chanter et mémoriser les principaux thèmes
- pour la formation de la pensée musicale : les thèmes mémorisés, transposés à l'oreille, donneront lieu, le cas échéant, à des autodictées ;
- pour l'analyse musicale et l'harmonie, avec les analyses fines de J.-M. Déhan et J. Grindel reportées sur la partition
- pour l'histoire de la musique grâce aux textes de présentation ;
- enfin, pour l'écoute raisonnée des œuvres en suivant simplement la partition, quitte à faire porter l'audition sur des éléments précédemment indiqués par le professeur qui pourra adapter ces exercices au niveau de ses élèves.
Mais ces partitions sont également destinées aux amateurs éclairés pour qui la lecture des clés d'ut dans les partitions d'orchestre habituelles, ainsi que le casse-tête des instruments transpositeurs sont souvent des obstacles insurmontables.
Souhaitons que cette réédition permette une meilleure connaissance par tous, jeunes et moins jeunes, futurs professionnels ou amateurs éclairés, de quelques œuvres fondamentales du répertoire.


W.A. Mozart. Symphonie n° 40 (K550)1. Allegro Molto – 3. Menuetto
9 €

A. Borodine. Dans les steppes de l’Asie centrale
9 €

H. Berlioz. Symphonie fantastique 5e mouvement
12 €

J.-S. Bach. Cantate BWV 140« Wachetauf, ruft uns die Stimme »
10,50 €


Les analyses musicales de L'Education Musicale

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