Lettre d’Information – n°103 Mai 2016

Lettre d'Avril 2016. Tirage : 61.221 exemplaires

 

L'AGENDA

Haut

19 / 5

 

L'Orchestre du Capitole rend hommage à Henri Dutilleux

 


DR

 

On fête bien sûr aussi à Toulouse le centenaire de la naissance d'Henri Dutilleux. En donnant, lors d'un concert hommage, son concerto de violoncelle Tout un Monde lointain, créé par Slava Rostropovitch en 1970 au Festival d'Aix-en-Provence. Le titre est emprunté à un vers du poème « La Chevelure » tiré des Fleurs du mal de Charles Baudelaire « tout un monde lointain, absent, presque défunt ». C'est à Gautier Capuçon qu'échoit l'honneur de le jouer ; un des plus beaux archets du moment. L'originalité du concert toulousain est de placer cette pièce emblématique de l'art du maitre français du XX ème siècle au milieu d'œuvres de trois autres ''grands'' de la musique de ce même siècle : Claude Debussy avec La Mer, Igor Stravinski dont on jouera la Deuxième suite de l'Oiseau de feu, et Olivier Messiaen et sa méditation symphonique Les Offrandes oubliées. Tugan Sokhiev dirigera l'Orchestre du Capitole. En fait, quatre « classiques » du XX ème siècle!

 

Halle aux grains, Toulouse, le 19 mai 1016, à 20H

Réservations : Billetterie, 1 Place Dupuy, 31000 Toulouse ; par tel : 05 61 63 13 ; en ligne : service.location@capitole.toulouse.fr

 

 

19 & 21 / 5

 

Lionel Bringuier dirige l'Orchestre de Lyon

 


DR

 

Délaissant pour deux soirs son Orchestre du Tonhalle de Zürich, Lionel Bringuier dirigera l'Orchestre de Lyon. Au programme Gustav Mahler et des œuvres de taille : les Kindertotenlieder et la Première Symphonie. Mahler a mis dans les « Chants pour les enfants morts » (1905), sur des poèmes de Friedrich Rückert, toute son âme. Ils sont poignants au point que leur auteur confessera : « Cela a été une douleur pour moi de les écrire et j'en éprouve aussi une pour le monde qui devra un jour les entendre, si triste est leur contenu ». Ils seront interprétés par le baryton Matthias Goerne, une des pointures dans le répertoire du Lied allemand. La I ère Symphonie (1899) inaugure chez le musicien autrichien un formidable corpus consacré à la musique d'orchestre et le premier volet des quatre symphonies puisant leur suc dans l'univers du Wunderhorn. Elle doit son titre de « Titan » au héros d'un roman du poète Jean Paul. Mais là n'est pas la seule référence littéraire d'une œuvre qui célèbre au long de pages émouvantes, l'ivresse de la nature et la destinée rustique de l'Homme : ETA. Hoffmann (« Fantaisie à la manière de Callot »), voire Balzac (« La Comédie humaine ») et même Dante (« De l'Enfer au Paradis ») y ont leur part. On attend beaucoup de la vision du jeune chef français. Assurément un des grands moments de la saison lyonnaise que la rencontre de ces deux talents !

  

Auditorium de Lyon, le 19 mai 2016 à 20H et le 21/5 à 18H.

Réservations : Billetterie 149, rue Garibaldi, 69003 Lyon ; par tel : 04 78 95 95 95 ; en ligne : www.auditorium-lyon.com

 

 

22 / 5

 

L'Espagne à l'honneur à l'Orangerie de Rochemontès

 


Magali Léger, Laure Urgin & Frédéric Denépoux / DR

 

Distrayant du temps précieux de ses succès à l'opéra et sur la scène internationale, la soprano Magali Léger crée dans le cadre idyllique de l'Orangerie de Rochemontès, et en partenariat avec l'Institut Cervantès de Toulouse, un spectacle très intime avec son amie de toujours la conteuse Laure Urgin et leur complice, le guitariste Frédéric Denépoux. Leurs voix, chantée, parlée, jouée, se mêleront pour célébrer Federico Garcia Lorca, le poète, l'homme engagé, mais aussi le compositeur. D'autres musiques s'inviteront à la fête, d'Enrique Granados, de Manuel de Falla et de leurs confrères sud-américains. Après le concert, les artistes partageront avec le public les produits de la Ferme aux Téoulets (sise à Merville) et le délicieux vin du Château Le Bouïs à Gruissan offert par Frédérique Olivié. Une femme à la tête d'un vignoble s'imposait pour l'avant-dernier concert de cette saison en "honneur aux dames " ! Et s'il fait beau on prolongera ces parfums de "Jardins d'Espagne" sur la pelouse du Domaine le long duquel la Garonne coule, depuis les Pyrénées…

 

Orangerie de Rochemontès, Route de Grenade, 31840 Seihl, le 22 mai 2016 à 16H30.

Réservations : par tel : 05 62 72 23 35 ; en ligne : https://concertarochemontes.festik.net

 

www.youtube.com/watch?v=q89ycQZyrZg

 

 

24 & 25 / 5

 

Le Requiem de Fauré à Notre-Dame de Paris

 

 

Dans le cadre du cycle de concerts de Musique Sacrée à Notre-Dame de Paris, le chef d'orchestre américain John Nelson dirigera la Maîtrise de Notre-Dame de Paris et l'Orchestre de chambre de Paris dans des œuvres réunissant le répertoire français avec Gabriel Fauré, et écossais avec James MacMillan. Au cœur du programme, on pourra entendre le Requiem que Gabriel Fauré écrivit en 1887 et qu'il complètera et remaniera ensuite jusqu'à la version pour grand orchestre donnée en première en 1900 lors de l'Exposition universelle de Paris. Ce Requiem a été composé sans intention religieuse particulière. Son auteur dira l'avoir écrit « juste pour le plaisir... ». S'il traite de la fin, c'est presque telle « une berceuse de la mort », a-t-on relevé. Car il s'en dégage une extrême sérénité, en particulier dans le « Pie Jesu », verset d'une sublime beauté. Reste que le recueillement qui traduit une aspiration intérieure, est peut-être l'expression d'une spiritualité profonde. L'œuvre sera entourée du Cantique de Jean Racine op. 11 de Fauré (1865) et du Credo de James McMillan. Ce compositeur et chef d'orchestre (*1959) a un catalogue éclectique dont des pièces chorales, un opéra (2007), une Passion (2008) et des œuvres dédiées au violoncelle. Le « credo » est tiré de la Mess pour chœur et orgue écrite en 2000.

 

Notre-Dame de Paris, les 24 & 25 mai 2016 à 20H

Réservations : par tel : 01 44 41 49 99. Toutes linformations sur ce lien.

 

 

25 / 5 - 1er / 6

 

Le Festival de l'Epau

 

 

Pour son édition 2016, le festival de l'Epau, sis à l'abbaye du même nom, dans la proche banlieue du Mans, a encore réuni une affiche prestigieuse. Les temps forts en seront : le concert de Jordi Savall et de son ensemble Le Concert des Nations dans un programme ''Terra nostra'', un hommage à la terre, associant Locke, Vivaldi, Rebel, Marais, Telemann et Rameau (25/5, 20H30, Abbaye) ; un programme au cours duquel Renaud Capuçon a convié ses jeunes collègues pour célébrer « le violon français », savoir le Quatuor Capuçon, outre Gérard Caussé et Yan Levionnois, pour jouer Beethoven et Tchaikovski (26/5, 20H30, Abbaye) ; lequel sera précédé d'une matinée consacrée à deux jeunes talents, la violoniste Alexandra Conunova et le pianiste Michail Lifits qui, eux, célébreront  ''le violon moldave'' (Brahms, Szymanowski, Prokofiev, Ravel ; 26/5, 12H30, Hôtel du département). JS. Bach sera à l'honneur, comme toujours au Mans : on donnera ainsi la Passion selon Saint Jean avec le chœur Aedes et l'ensemble Les Surprises dirigé par Mathieu Romano (27/5, 20H30, Abbaye), et trois des Suites pour violoncelle seul par le jeune celliste Aurélien Pascal (27/5, à 12H30, Hôtel du département). Une ''Nuit à l'Opéra'' réunira une brochette enviable dont les sopranos Inva Mula et Raquel Camarinha, le baryton Florian Sempey, et Raphael Merlin dirigeant l'orchestre Les Forces majeures, avec Alain Duault comme présentateur (Mozart, Gounod, Massenet, Bizet, Donizetti, Puccini...   (1er/6, 20H30, Abbaye). Une soirée de piano à deux, quatre mains, deux et quatre pianos, joués par Vanessa Wagner, Wilhem Latchoumia, Cédric Tiberghien, Marie Vermeulin, permettra d'entendre des pièces de Debussy, Ravel, Stravinsky et Varèse (31/5, 20H30, Abbaye).    

 

Outre les concerts du matin et les ''After' - ou concerts nocturnes à 22H30, prolongeant le ''plat principal''-, une innovation : les ''Before'' ou accueil et accompagnement au concert de 20H30 par des ensembles des établissements d'enseignement artistique de la Sarthe. Par ailleurs, les actions pédagogiques qui sont un axe majeur du festival, permettent aux élèves des établissements scolaires d'assister aux répétitions publiques et de rencontrer les artistes. Les masterclasses de la flûtiste Juliette Hurel en musique de chambre, d'Alexandra Conunova pour le violon et d'Ophélie Gaillard pour le violoncelle, sont ouvertes aux étudiants des conservatoires.

 

Du 25 mai au 1er Juin 2016  : Abbaye de l'Epau, rue de l'Estérel, 72100 Le Mans et Hôtel du département.

Réservations : Centre culturel de la Sarthe, 9 place Luigi Chinetti, 72100 Le Mans ; par tel.: 02 43 27  43 44 ; en ligne : www.epau.sarthe.com

 

 

26 – 30 / 5

 

Ravel et ses fééries enluminés par Les Siècles

 


Les Siècles & François-Xavier Roth / DR

 

Depuis la saison 15-16 et ce, pendant trois saisons, Les Siècles sous la direction de François-Xavier Roth se lancent dans le projet de jouer et d'enregistrer l'intégrale de la musique pour orchestre de Maurice Ravel sur instruments d'époque. Ils en proposent un panorama complet en le mettant en perspective avec les grands courants artistiques qui l'ont influencé mais également avec ses contemporains et héritiers. On débutera ce cycle avec Daphnis et Chloé, symphonie chorégraphique pour orchestre, aussi bien donnée dans sa version avec chœur que sans chœur. L'œuvre sera jouée aux côtés de Ma Mère l'Oye qui n'était à l'origine qu'une suite de pièces enfantines. Deux ballets parmi les plus chatoyants du musicien. Deux contes, deux odes à la joie communicative, à l'image de cet orchestre hors norme. Pour cette version interprétée sur des instruments fidèles à ceux qu'a connus Ravel, Les Siècles ont commandé à Grégoire Pont des illustrations live qui accompagneront le déroulement de Ma Mère l'Oye. Ce programme sera donné trois fois, respectivement, au Théâtre Impérial de Compiègne, à la Scène Nationale de Sénart et à la Philharmonie 1 de Paris.

 

Lors d'un deuxième concert à Paris, le 30 mai, Les Siècles donneront, outre Ma Mère L'Oye, des extraits de L'Enfant et les sortilèges, autre exemple de cet univers fantastique qui a toujours fasciné Ravel. L'illustrateur Grégoire Pont ajoutera sa part d'imagination à la féerie en livrant ses dessins en live sur cinq des pièces enchantées de cette œuvre.

 

Théâtre Impérial de Compiègne, le 26 mai 2016 à 20H45.

Scène Nationale de Sénart, le 27/5 à 20H30,

Philharmonie 1 de Paris, les 29/5 (16H30 ) & 30/5 (11H)

Réservations. Compiègne : Toutes les infos sur ce lien . Par tel: 03 44 40 17 10 Sénart : Toutes les infos sur ce lien ; par tél.: 01 60 34 53 60.

PP de paris : Toutes les infos sur ce lien  ; par tél.: 01 44 84 44 84 ;  et pour ce qui est du concert du 30/5 : Toutes les infos sur ce lien ; tarif scolaire, du CE2 à la 5 = 5,60 €.

 

 

8 – 16 / 7

 

Le Festival de Saintes

 

 

Sous la direction artistique de Stephan Maciejwski, la 44e édition du Festival de Saintes réunira environ 400 artistes qui donneront 38 concerts dans des lieux magiques comme l'Abbatiale et la Cathédrale Saint-Pierre de Saintes, l'Abbaye Royale de Saint-Jean d'Angély, des églises romanes alentours, La Maison Ak Meukow de Cognac qui sont autant de trésors patrimoniaux. Le festival donnera pour la première fois le King Arthur de Purcell, assuré par un ensemble en résidence à l'Abbaye aux Dames, Vox Luminis, sous la direction de Lionel Meunier. Véronique Gens revient dans un programme de mélodies françaises, accompagnée de Suzane Manoff. Placé également sous le signe des retrouvailles : l'ensemble Mala Punica avec un thème très actuel consacré à l'exil.

Au chapitre des œuvres abordées, on entendra les Vêpres de Monteverdi, confiées à La Tempête, jeune ensemble remarqué, sous la direction de Simon-Pierre Bestion. Au titre des jeunes interprètes, se produiront Jean-Luc Ho, Camille Thomas, l'Achéron ou l'Ensemble Masques. Cette édition met aussi à l'honneur les artistes en résidence : outre Vox Luminis, qui donnera, entre autres, le Magnificat de JS. Bach, Nevermind  fera découvrir deux compositeurs méconnus du XVIIIe siècle. Le JOA s'illustrera dans la Symphonie Fantastique de Berlioz et l'Orchestre des Champs-Élysées, sous la direction de Philippe Herreweghe, dans les Symphonies 5 et 7 de Beethoven.

Fort de son succès il y a deux ans avec Il Diluvio de Falvetti, la Cappella Mediterranea, sous la direction de Leonardo García Alarcón, enchantera les festivaliers dans un pasticcio d'airs de Cavalli. On peut encore citer des artistes tels que le claveciniste Jean Rondeau, Béatrice Martin, le Collegium Vocale Gent qui jouera avec le Cappriccio Stravagante, Les Cyclones, l'Ensemble Zerlina, le Quintette Fauve, Geoffroy Couteau avec le Quatuor Hermès, ou encore l'Ensemble Intercontemporain...

 


DR

Le Festival de Saintes ne serait pas ce qu'il est sans présenter des expériences musicales et rencontres insolites, créer des ponts entre les différentes disciplines artistiques et le public :  comme la possibilité de participer à un stage, à destination de jeunes de 9 à 20 ans, autour des Cantates de Bach pendant 5 jours, lequel sera encadré par 3 chefs de chœur, et se clôturera par deux concerts ; ou d'assister aux répétitions publiques se déroulant tout au long de la journée. Ou encore les soirées musicales dans la Cour de l'Abbaye qui sont autant d'after permettant de mêler un plus large public. Sans oublier les conférences quotidiennes de 45' animées par une musicologue afin de présenter certains programmes, les projections de cinéma, les visites, les animations…

Divers lieux, du 8 au 16  juillet 2016.

Renseignements et réservations : Abbaye aux dames, 11 Place de l'Abbaye, 17100 Saintes ; par tel : 05 46 97 48 30 ; en ligne : www.abbayeauxdames.org/festival-de-saintes

 

Jean-Pierre Robert.

 

***

PAROLES D'AUTEUR

Haut

Qu'en est-il du rapport de Beethoven avec la nature ?

 

 

« La nouveauté est dans l'esprit qui crée et non pas dans la nature qui est peinte. »

Eugène Delacroix, Vendredi 14 mai 1824

 

 

Que Beethoven ait eu un lien privilégié avec la nature, est une idée très répandue, proche du cliché : aux récits nombreux qui circulent s'ajoutent nombre de peintures, gravures, lithographies ou sculptures... pour l'attester. Et, qu'il s'agisse d'un « topos romantique », en grande partie postérieur à la mort de Beethoven le 26 mars 1827, il n'y a aucun doute. Pourtant, ce cliché n'est pas dénué d'intérêt, car il condense bien des spécificités de la genèse des œuvres de Beethoven ainsi que les difficultés et les modalités de la réception de sa musique.

 


Portrait de Ludwig van Beethoven par Willibrod Joseph Mähler

© Beethoven-Haus Bonn

 

Si le compositeur Maurizio Kagel dans son film Ludwig Van – Ein Bericht tourné en 1969, consacre une longue séquence à la vue d'un champ de betteraves, le terme « Beete » désignant cette culture, ne cherche-t-il pas à démonter l'image du « mythe-Beethoven » diffusé à la suite d'Anton Schindler par Romain Rolland qui dans sa petite biographie de Beethoven parue en 1903, et maintes fois rééditée, termine sur l'image d'un Beethoven lié à la nature : « Il semble que dans sa communion de tous les instants avec la nature, il ait fini par s'en assimiler les énergies profondes ». Grillparzer, qui admirait Beethoven avec une sorte de crainte, dit de lui : « Il alla jusqu'au point redoutable où l'art se fond avec les éléments sauvages et capricieux. » Schumann écrit de même de la Symphonie en ut mineur : « Si souvent qu'on l'entende, elle exerce sur nous une puissance invariable, comme ces phénomènes de la nature, qui, si fréquemment qu'ils se reproduisent, nous remplissent toujours de crainte et d'étonnement ». Et Schindler, son confident : « il s'empara de l'esprit de la nature ». — Cela est vrai : Beethoven est une force de la nature ; et c'est un spectacle d'une grandeur homérique, que ce combat d'une puissance élémentaire contre le reste de la nature.

 

« Toute sa vie est pareille à une journée d'orage. — Au commencement, un jeune matin limpide. A peine quelques souffles de langueur. Mais déjà, dans l'air immobile, une secrète menace, un lourd pressentiment. Brusquement, les grandes ombres passent, les grondements tragiques, les silences bourdonnants et redoutables, les coups de vent furieux de l'Héroïque et de l'Ut mineur. Cependant la pureté du jour n'en est pas encore atteinte. La joie reste la joie ; la tristesse garde toujours un espoir. Mais, après 1810, l'équilibre de l'âme se rompt. » etc.

 

Donc, selon Kagel, et contrairement à ce qui est admis sans réflexion depuis les premières biographies, la musique de Beethoven serait l'équivalent d'une vaste étendue, sans aucun lien, si ce n'est sémantique, temporel et spatial, avec la nature : elle ne serait qu'une articulation signifiante de temps et d'espace, combinaison savante des données constitutives de tout être humain, ces catégories psychologiques spatio-temporelles qui fondent l'humain.

 

 

Deux Lieder sur le thème de la nature

 

Pour dépasser l'aporie de cette réception contradictoire, et par-delà le style dithyrambique de Romain Rolland, quelles informations nous donne le catalogue des œuvres de Beethoven ? Catalogue révisé qui vient d'être publié par Henle en 2014, Ludwig van Beethoven, Thematisch-bibliographisches Werkverzeichnis.

 

De ce catalogue exhaustif émergent deux Lieder composés sur des poèmes qui s'inspirent d'images et de sons évoquant directement la nature : Maigesang édité en 1805 dans l'ensemble des huit Lieder de l'op. 52 (le n°4), mais composé plusieurs années avant sur un poème écrit par Goethe en 1771, Mailied ; et Der Wachtelschlag (Le cri de la caille) WoO 129, composé en 1803 sur une poésie populaire dans la version d'un Almanach édité pour l'année 1799. L'un comme l'autre de ces deux Lieder donnent forme musicale à la dynamique créatrice de la nature, soit à partir d'un rythme (celui du cri de la caille), soit à partir de l'image de l'explosion des bourgeons au printemps. Et l'un comme l'autre mettent en évidence le processus créateur de Beethoven qui part d'une incitation très simple : un rythme, un son entendus dans la nature ou suggérés par la langue poétique de Goethe en l'occurrence. 

 

Ces deux Lieder témoignent donc à la fois de la culture, de la « Bildung » de Beethoven et de son goût pour les jeux de mots ou les « jeux de notes » : si l'un atteste que Beethoven est sollicité par la poésie et l'univers poétique de Goethe fortement influencé par une vision spinoziste et le fameux « Deus sive natura », l'autre montre combien Beethoven se plaît à se laisser aller à toutes sortes d'associations verbales ou sémantiques, puisque dans le poème le cri de la caille qui incite à craindre Dieu, « fürchte Gott », rappelle à Beethoven le prénom du poète dont il vient de mettre en musique des poèmes à haute portée spirituelle... portant même sur la méditation de la mort, Vom Tode, Christian Fürchtegott Gellert, auteur des poèmes choisi pour les Gellert-Lieder op. 48 publiés en août 1803.

 

 

La Symphonie pastorale ou le grand malentendu

 

Ces deux poèmes qui mettent en scène des éléments de la nature (oiseaux, printemps, soleil, danses à l'air libre) mènent également à l'œuvre emblématique de l'amour de Beethoven pour la nature : la Symphonie pastorale, la sixième, op. 68 créée lors de l'énorme concert du 22 décembre 1808, donc en même temps que la Cinquième Symphonie op. 67, que le Quatrième Concerto pour piano op. 58 et que la Fantaisie pour piano, chœur et orchestre op .80. Une gravure colorisée de Franz Hegi (1774-1850) datant de 1838, « Beethoven am Bach », devenue elle aussi emblématique, montre un Beethoven, avec un air bonhomme et une attitude inspirée, assis dans la nature, sous un arbre et près d'un ruisseau, un carnet d'esquisses dans la main gauche et un crayon dans la main droite, et en arrière-fond, un paysage de collines avec château, village, moutons, bergère. Pourtant, tout ce qui entoure la genèse, la première exécution et l'édition de cette Symphonie pastorale prouve que Beethoven a voulu donner ses lettres de noblesse à la musique purement instrumentale : ce n'est pas une peinture de la nature, insiste-t-il sur l'annonce du concert « Pastoral Sinfonie Worin keine Malerey sondern Empfindungen ausgedrückt sind welche der Genuss des Landes im Menschen hervorbringt » (« Symphonie pastorale où il ne s'agit pas de peinture mais où est exprimé le bien-être de la campagne ressenti par l'être »), puis sur le programme du concert avant l'édition en 1809 :

 


« Beethoven am Bach » de Franz Heigi

© Beethoven-Haus Bonn

 

 

PASTORAL – SINFONIE

Oder Erinnerung an das Landleben (mehr Ausdruck der Empfindung als Malherey)

(Ou souvenirs de la vie à la campagne (plus expression de ce qui est ressenti que peinture))

 

Allegro, mà non molto.

Erwachen heiterer Empfindungen bey der Ankunft auf dem Lande.

(Eveil de sentiements de bien-être lors de l'arrivée à la campagne)

 

Andante con moto.

Scene am Bach. (Scène au bord du ruisseau)

 

Allegro.

Lustiges Zusammenseyn der Landleute. (Assemblée joyeuse de paysans)

 

Allegro.

Gewitter, Sturm. (Orage, tempête)

 

Allegretto.

Hirtengesang. Frohe und dankbare Gefühle nach dem Sturm.

(Chant de pâtres. Sentiments de joie et de reconnaissance après la tempête)

 

En fait, pour Beethoven il s'agit d'une sorte de manifeste destiné à affirmer que la symphonie peut et doit exprimer ce qui est ressenti quand on arrive à la campagne, le bien-être éprouvé par le celui qui respire à l'air libre. Le sens voulu par Beethoven a été compris par les premiers critiques qui en ont saisi l'enjeu situé au centre du débat esthétique d'alors : la fonction de la musique n'est pas de « peindre », mais d'exprimer. L'écrivain Friedrich Mosengeil (1773-1839) publia un article dans la Zeitung für die elegante Welt Jg. 10 (1810) qui soutient cette position, concluant sur une citation qui insiste sur le rôle de l'art qui élève l'homme jusqu'à la divinité : « Die Religion macht uns zu Gottes Kindern, aber die Kunst macht uns zu seinen Freunden. » (« La religion fait de nous des enfants de Dieu (nous infantilise), l'art fait de nous ses amis »). Et quelques années plus tard l'Allgemeine musikalische Zeitung XIV (du 19 février 1812) commentait un concert donné le 31 décembre 1811, à Munich, reconnaissant que cette œuvre à laquelle était donné le nom de symphonie, était une création tout à fait remarquable qui « élargissait les frontières de l'art musical », insistant sur le fait que la musique instrumentale se situe hors du champ de la représentation, mais que « la langue musicale utilisée » est loin d'être comprise par le plus grand nombre. Donc, avec la Symphonie pastorale il ne s'agit pas de description de la nature, mais d'écriture musicale, qui trouve sa plus haute expression dans le genre qu'est la symphonie. Les premiers critiques ont donc compris que dans le débat esthétique d'alors, Beethoven ne prenait pas la position de Daniel Steibelt (1765-1823) dont le troisième Concerto pour piano op. 35, publié à Paris en 1799, se terminait sur un Rondo désigné comme « orage » lié à une « pastorale » - ce Rondo transcrit pour piano seul eut un énorme succès et une grande postérité tout au long du XIXe siècle, son thème étant l'occasion de variations brillantes ; Beethoven ne prenait pas non plus la position illustrée par la « Grande Symphonie », intitulée « Le portrait musical de la Nature », de Justin Heinrich Knecht, œuvre publiée en 1785 à Spire par Heinrich Philipp Boβler, un des premiers éditeurs de Beethoven. Cette « Grande Symphonie » était déjà en cinq mouvements, et l'orage y tenait une place particulièrement importante. La page de titre (en français) indiquait l'argument :

 

« LE PORTRAIT MUSICAL / de la / NATURE / ou / GRANDE SIMPHONIE / à deux VIOLONS, ALTE & BASSE, avec deux Flûtes traversières, deux / hautbois, Fagotts, Cors, Trompettes & Timbales ad libitum.   La quelle / va exprimer par le moyen des sons :

 

1.            Une belle Contrée ou le Soleil luit, les doux Zéphyrs voltigent, les Ruisseaux traversent le vallon, les oiseaux gazouillent, un torrent tombe du haut en murmurant, le berger siffle, les moutons sautent et la bergère fait entendre sa douce voix.

2.            Le ciel commence à devenir soudain et sombre, tout le voisinage a de la peine de respirer, et s'effraye, les nuages noirs montent, les vents se mettent à faire du bruit, le tonnerre gronde de loin et l'orage approche à pas lents.

3.            L'orage accompagné des vents murmurans et des pluies battans gronde avec toute la force, les sommets des arbres font un murm [mugissent] et le torrent roule les eaux avec un bruit épouvantable.

4.            L'orage s'apaise peu à peu les nuages se dissipent et le ciel devient clair.

5.            La Nature transportée de la joie élève la voix vers le ciel et tend au créateur les plus vives grâces par des chants doux et agréables.

6.      Dédié /à / Monsieur l'Abbé Vogler / Premier Maître de Chapelle Électorale de Palatin-Bavar. / par / JUSTIN HENRI KNECHT / Publiée & se vend à SPIRE chés Bossler Conseiller. »

 

Contrairement à cette symphonie de Knecht, la Symphonie Pastorale de Beethoven est donc un manifeste esthétique qui s'inscrit dans un héritage musical, et prend position dans un débat esthétique : la composition exprime d'abord une expérience émotionnelle, et c'est cette expérience qui se trouve à l'origine de la dynamique créatrice. Ainsi, plus qu'un amour de la Nature, c'est une question de composition qui est au cœur de la Pastorale : alors que le but de la Cinquième Symphonie reposait sur la progression, le fait d'aller de l'avant, dans la Sixième, c'est l'abolition de cette exigence : le processus musical n'est plus tendu vers un but définitif à atteindre, mais il peut s'épanouir et faire comme la Nature, se développer, se reproduire à l'infini donnant l'impression de vivre l'éternité dans l'instant. La musique est un langage purement humain qui sert à exprimer ce que l'on ressent pour le faire ressentir aux autres : elle est là pour transmettre une expérience émotionnelle et non pour décrire des phénomènes naturels.

 

Si Beethoven a pris le risque de voir sa Symphonie pastorale interprétée comme une musique descriptive, c'est qu'il pouvait espérer que quelques "connaisseurs" y verraient une grande oeuvre symphonique capable de repousser les limites de l'art musical, étant bien évident pour eux que de toutes façons, il était impossible de représenter musicalement la nature : on ne pouvait faire que comme elle, c'est-à-dire créer.

 

Qu'il s'agisse d'un manifeste esthétique en faveur de la musique instrumentale créatrice d'un monde d'esprits libres, cette interprétation est attestée par la filiation de cette Symphonie avec la musique des Créatures de Prométhée op. 43, œuvre destinée à un ballet et composée en 1801, comprenant une Introduction et seize numéros : Beethoven en reprend « La Tempesta » moment très court et intense qui suit l'Introduction pour accompagner la rupture de Prométhée avec le monde divin tout-puissant, fuite qui lui permet de rejoindre les « créatures », qu'il vient de fabriquer, pour leur communiquer l'élan vital par une torche enflammée, puis pour leur permettre l'accès à l'émotion et aux sentiments grâce à la musique. Beethoven reprend également la musique de la "Pastorale" (n°10) qui accompagne la danse de Pan destinée à redonner vie à Prométhée poignardé par la muse de la tragédie. Ainsi, comme Prométhée défiant Zeus grâce à sa divine étincelle, Beethoven peuple le monde d'êtres à son image. Admirateur de Goethe, il connaissait son Ode écrite en 1774, explosion lyrique d'une très grande concentration expressive, dans laquelle le poète avait mis l'accent sur le défi de Prométhée à Zeus, sur son refus définitif de vivre soumis à sa puissance, prenant conscience que le pouvoir conféré aux dieux n'est que la manifestation de la faiblesse de ceux qui les honorent. Et c'est avec violence que Prométhée exprimait sa volonté de créer une humanité nouvelle composée d'hommes faits à son image:

 

"Me voici, façonnant des hommes,/ Selon ma propre image,/ Espèce qui me sera pareille,/ Pour souffrir et pleurer,/ Pour jouir de la vie et en tirer sa joie,/ Et ne t'accorder nul regard,/ Ainsi que moi! " (1)

 

 


Johann Peter Lyser : Beethoven composant la " scène du ruisseau"

© Beethoven-Haus Bonn

 

Or, malgré les mises en garde de Beethoven pour éviter tout malentendu, et malgré la filiation connue de cette Symphonie pastorale, son sens est vite détourné par la réception romantique, au point d'en faire la matrice du poème symphonique.... et de la symphonie à programme à la suite de la Symphonie fantastique de Berlioz créée en 1830, qui démarque délibérément les cinq mouvements de la Sixième... donnant également un titre à chacun des mouvements avant de publier un « programme » racontant l'histoire qui sous-tend la composition instrumentale….

 

 

Les racines d'un détournement

 

Le détournement de la Symphonie pastorale du côté de la musique descriptive trouve ses racines dans les premiers récits biographiques, car ils insistent sur l'amour de la nature de Beethoven qui trouvait son inspiration en se promenant dans la campagne : la preuve en est qu'il passait tous les étés dans des villages situés dans les environs de Vienne, Döbling, Heiligenstadt, Mödling, Baden… Les récits emblématiques de cet amour de Beethoven pour la nature proviennent des « Notices biographiques » publiées à Vienne en 1832 par le chevalier Ignaz von Seyfried à la suite de sa présentation des exercices d'écriture contrapuntique laissés par Beethoven ; ils proviennent également des Biographische Notizen publiées en 1838 à Coblence par Franz Wegeler et Ferdinand Ries, qui ont été des amis très proches de Beethoven. Ainsi Ries raconte (p.98) que quand il se rendait à la campagne où se trouvait Beethoven pour prendre une leçon de piano, Beethoven lui proposait d'abord une promenade qui durait 3 ou 4 heures, et c'est lors d'une de ces promenades qu'il se rendit compte de la surdité de Beethoven... Ries qui a rassemblé ses souvenirs entre 1828 et 1837 ne s'inspire-t-il pas du Testament d'Heiligenstadt, rédigé par Beethoven en 1802 et publié dans l'Allgemeine musikalische Zeitung dès octobre 1827 ? Beethoven y décrit sa détresse :

 

« Mais quelle humiliation, quand il y avait quelqu'un près de moi, et qu'il entendait au loin une flûte, et que je n'entendais rien, ou qu'il entendait le pâtre chanter et que je n'entendais toujours rien! De telles expériences me jetèrent bien près du désespoir : et peu s'en fallut que moi-même je ne misse fin à ma vie. — C'est l'Art, c'est lui seul, qui m'a retenu. Ah ! il me semblait impossible de quitter ce monde avant d'avoir accompli tout ce dont je me sentais chargé. »

 

Le récit de Ries se poursuit (p.99) par l'évocation d'une longue promenade au cours de laquelle ils se perdirent, mais surtout au cours de laquelle Beethoven ne cessa de murmurer et parfois de hurler pour lui-même, sans chanter vraiment de notes. A la question de Ries sur le sens de ces sons, Beethoven aurait répondu que le thème de l'allegro de sa dernière Sonate (op. 57) venait de lui venir à l'esprit (de lui tomber dessus). A peine rentré, il se mit au piano et oublia totalement qu'il devait donner une leçon...

 

Toujours lié à la Sonate op. 57, dite Appassionata vers 1838, un autre récit célèbre montre Beethoven affrontant les intempéries au cours de l'automne 1806 : furieux de l'attitude de son hôte envers lui, le prince Lichnowsky qui l'avait invité dans sa propriété de Silésie à Graz et qui voulait l'obliger à jouer devant des officiers français, Beethoven s'en alla sur un coup de tête. Une preuve matérielle atteste le mauvais temps : l'état de la partition autographe de l'op. 57 abîmée par la pluie.  Or, malgré cette difficulté qui s'ajoutait à l'écriture pratiquement illisible de Beethoven, la charmante et talentueuse pianiste française Marie Bigot réussit à déchiffrer la partition : Beethoven en fut si heureux que non seulement il lui fit cadeau de l'autographe (ce qui explique sa présence à la Bibliothèque nationale à Paris), mais qu'il lui proposa une promenade en calèche, sans son mari… au grand scandale de ce dernier qui exigea de sa femme qu'elle rompe avec Beethoven…

 

Ce goût pour les promenades et pour les obstacles naturels, en lien avec une relation d'amour, émane également d'un passage de la lettre désignée par sa destinataire inconnue « l'immortelle bien-aimée » et écrite en juillet 1812 de Teplitz (ville d'eau située en Bohême) : après l'avoir incitée sa bien-aimée à reprendre confiance en contemplant la nature, il lui dit que son voyage a été terrible, mais qu'il aime cela... « Ah ! mon Dieu, que ton regard s'étende à la belle nature et que ton âme y trouve la quiétude (…). Mon voyage a été épouvantable. Je ne suis arrivé qu'hier à quatre heures du matin. Par suite du manque de chevaux, la voiture postale a emprunté une autre route, mais quelle route affreuse ! A l'avant-dernière station, on m'avertit de ne pas voyager de nuit, on me suggéra de redouter une forêt, mais cela ne fit que m'exciter – et j'eus tort. La voiture à cause de ce terrible chemin devait se briser (…) ».

 

Une autre lettre témoigne, d'une tout autre manière, de l'importance de la nature pour Beethoven : il s'agit de la description devenue emblématique qui se trouve dans la lettre écrite en mai 1810 à Therese Malfatti, jeune fille 22 ans plus jeune que lui (née en 1792- elle meurt en 1851) qu'il courtisait et qu'il espérait pouvoir épouser : quelle chance avez-vous d'être déjà à la campagne, lui écrit-il ; je ne pourrais jouir de ce plaisir (Glückseeligkeit) que dans 8 jours, comme je serai alors heureux (froh) de pouvoir me promener dans les bosquets, les forêts, sous les arbres, dans les herbes, sur les rochers, car précise-t-il « kein Mensch kann das Land so lieben wie ich – geben doch Wälder Bäume Felsen den Widerhall, den der Mensch wünscht » (« personne ne peut aimer la campagne autant que moi, les forêts, arbres, rochers ne rendent-ils pas à l'homme l'écho de ce qu'il souhaite »). Cette affirmation très conjoncturelle n'était-elle pas d'abord une façon de plaire à Therese en insistant sur un aspect lénifiant de son caractère ? la référence à Werther est implicite… La suite de la lettre témoigne de ce désir de lui plaire, de prendre en compte les goûts de la jeune fille. Ainsi, juste après cette affirmation, et avant un programme de lecture (dont le Wilhelm Meister de Goethe et Shakespeare dans la traduction de Schlegel) Beethoven lui annonçait qu'il allait lui faire parvenir des compositions pour lesquelles elle n'aura pas à se plaindre des difficultés : certains biographes musicologues veulent y voir la partition de ce que les Français désignent sous le titre de La lettre à Élise (Für Elise, WoO 59) et qui est une reconstitution posthume effectuée par le musicologue Ludwig Nohl en 1867 à partir d'esquisses retrouvées dans les papiers de Beethoven... et dont, bien entendu puisqu'il n'a jamais existé, le manuscrit a disparu !

 

 

Promenades et stimulation créatrice

L'exemple de derniers Quatuors à cordes

 


''Das Helenental bei Wien mit der Festung Rauhenstein''

Peinture de N. Bittner

© Niederösterreichisches Landesmuseum St. Polten

 

Que se promener dans la nature en joyeuse compagnie soit à l'origine d'œuvres qui se caractérisent par la complexité de leur écriture est attesté par la composition des cinq derniers Quatuors à cordes, démarche créatrice qui culmine sur la Grande Fugue op.133 et sur le « Es muss sein » de l'op. 135. L'anecdote véridique, comme le prouvent la correspondance et les cahiers de conversation, se passe lors d'une promenade le 2 septembre 1825 dans l'Helenental, vallée « romantique » près de Baden, avec des amis musiciens amenés par ses amis viennois Tobias Haslinger et Karl Holz, dont Kuhlau (1786-1832) venu de Copenhague ; lors des échanges entre les promeneurs, il est question de l'anagramme musical composé par Kuhlau sur les lettres du nom de BACH (soit sib-la-do-si bécarre) publié dans l'Allgemeine musikalische Zeitung en 1819. Au cours de la soirée qui suit la promenade, tandis que le champagne coule à flots, Beethoven s'amuse à composer un canon humoristique : « Kühl nicht lau » sur le BACH, car le champagne doit être bu frais et non tiède... Jeu de mot qui associe le nom de Kuhlau à l' « Urmotiv » qu'est le BACH ainsi qu'à la chaleur de l'amitié bien arrosée. Juste après, cet « Urmotiv » - soit un intervalle entouré de deux demi-tons, motif qui offre des possibilités de tensions et de métamorphoses sans perdre son identité - est utilisé par Beethoven comme noyau originel pour composer ses derniers Quatuors à cordes en 1825 et 1826.

 

Pourtant, même si les derniers Quatuors, op. 127, 130 (et son Final devenu op. 133), 131, 132, 135 sont liés à cette joyeuse partie, ils sont avant tout démonstration des pouvoirs créateurs de l'esprit, comme l'affirme le « Muss es sein ? / Es muss sein » (cela doit être), motto inscrit en tête du dernier mouvement de ce qui sera le dernier Quatuor op. 135.

 

 

Alors, les titres de certaines Sonates ?

 

La Sonate au Clair de lune op. 27 n°2, la « Pastorale » op. 28, « la Tempête » op. 31 n°2, « La Caille » op. 31 n°3 ne prouvent-ils pas de manière plus simple, ce lien privilégié des œuvres de Beethoven avec la nature ? Et bien, non ! car les titres ne sont pas de Beethoven : ils sont du ressort de la réception. Ainsi, bien des œuvres de Beethoven, jugées trop difficiles à comprendre, ont reçu un « surnom » : la dénomination a pour but de les rendre abordables en les liant à une image le plus souvent empruntée à la nature - à l'exception de la Sonate op. 57 publiée sous le nom d'Appassionata par un éditeur de Hambourg en 1838 ou du Concerto pour piano op. 73 dit « l'Empereur » dès le milieu du XIXe siècle.

 

Si « La Caille » est l'exemple qui noue la Sonate avec le Lied, Le cri de la caille..., chacun des autres titres révèle une modalité de la réception via les éditeurs, les poètes ou les biographes. Ainsi la Sonate op. 28 a été éditée en 1805 par un éditeur anglais sous le titre de « pastorale » comme argument de vente et peut-être du fait des quintes à vide du Rondo final. La Sonate au Clair de lune publiée à Vienne en 1802 devenue emblématique des amours de Beethoven et de sa muse inspiratrice qui aurait alors été Giulietta Guicciardi, a une autre origine : ce titre est mentionné et discuté par Wilhelm von Lenz (1803-1883) dans son essai Beethoven et ses trois styles paru en 1852 à Saint-Pétersbourg ; il l'attribue au poète Rellstab qui « compare cette œuvre à une barque, visitant, par le clair de lune, les sites sauvages du lac des quatre cantons en Suisse. Le sobriquet de 'Mondscheinsonate', qui, il y a vingt ans, faisait crier au connaisseur en Allemagne, n'a pas d'autre origine. » Lenz conteste ce titre puisqu'il trouve que « Cet Adagio est bien plutôt un monde de morts, l'épitaphe de Napoléon en musique, Adagio sulla morte d'un eroe ! » (2). En fait cette attribution au poète Rellstab est fallacieuse : les méandres sont encore plus tortueux… tout en passant par le besoin d'images poétiques pour appréhender la nouveauté, la force de la musique de Beethoven et les effets qu'elle produit.

 


« Beethoven dans un paysage de tempête »

Gravure de Fritz Schwoerer

© Beethoven-Haus Bonn

 

Quant à « la Tempête », ce surnom de la Sonate op. 31 n°2 est bien postérieur à sa publication en 1803 : il ouvre sur l'influence de Schindler qui, par ce qu'il raconte dans la biographie qu'il a consacrée à Beethoven, a orienté la réception de sa musique en prétendant qu'il avait su interroger son héros, son « apôtre », sur « l'idée poétique » présente dans chacune de ses œuvres. Ainsi, Schindler raconte qu'à ses questions sur « l'idée poétique » des Sonates op. 31 n° 2 et op. 57, Beethoven aurait répondu : « Lisez la Tempête » ; ce qui est pure invention (qui a eu pourtant une sacrée postérité!) : pour assurer la véracité de ses interprétations, Schindler n'a pas hésité à falsifier les cahiers de conversations utilisés par Beethoven à partir de 1819, avant de les vendre à la bibliothèque royale de Prusse en 1846 !

 

 

La fonction de la musique

 

Certes Beethoven était grand lecteur, de poètes allemands mais également de Shakespeare comme d'Homère, de Tacite ou d'Euripide, et il faisait feu de tout bois pour créer un monde sonore encore inouï capable de révéler l'essence de la nature humaine comme la spécificité de la condition humaine. Dans cette perspective, le cadre poétique de la nature offert par certains poèmes lui permettait d'exprimer la fonction qu'il assignait à la musique : assurer le lien entre les êtres et leur ouvrir l'accès à leur vérité propre qui ne peut s'inscrire que dans le processus, certes douloureux et anxiogène, de la création.

 

Ainsi le Liederkreis, cycle de Lieder op .98, An die ferne Geliebte (A la Bien-aimée lointaine), composé en 1816, fait éprouver à tout auditeur la force de la musique. Ce cycle rassemble six poèmes d'Alois Jeitteles (1794-1858) qui présente le musicien-poète assis sur une colline et scrutant l'horizon « là où les montagnes émergent si bleues » ; le poète s'adresse aux « légers martinets » qui volent « dans les airs » au milieu des « nuages », au moment où « le mois de mai revient » et que « la prairie fleurit », pour inciter sa bien-aimée restée au loin d'accepter « à présent ces Lieder ». Le thème est donc celui de la séparation – la bien-aimée est au loin - : "Je" cherche à la retrouver au moyen des différents éléments de la nature (oiseaux, vents, rivières) – en vain  - si bien que la dernière solution est de lui envoyer ces poèmes pour qu'elle les chante, seule façon d'effacer le temps et l'espace qui le séparent d'elle. Un critique contemporain publia dans l'Allgemeine musikalische Zeitung (XIX, n°4 du 22 janvier 1817) un article très enthousiaste : l'auteur considérait ces Lieder, « charmante peinture de l'âme » (« ein liebliches Seelengemälde »), comme les plus beaux composés depuis longtemps, et soulignait la simplicité de la poésie ainsi que celle de la musique, allant parfaitement l'une avec l'autre.

 

Si la musique relie les cœurs et les esprits, elle peut également exprimer l'angoisse fondamentale de l'homme comme le prouve la cantate Meeres Stille und Glückliche Fahrt, op.112, œuvre pour chœur mixte et orchestre, composée sur deux poèmes de Goethe en 1814-1815, dédiée à Goethe et publiée à Vienne en mai 1822 par S.A. Steiner. Si Beethoven a choisi ces deux poèmes, c'est pour leur contraste qu'il traduit par le tempo et la métrique, et non par la tonalité : le premier poème Meeres Stille (Calme de la mer) est Poco sostenuto, à C/, en majeur ; le second, Glückliche Fahrt (Heureuse traversée) est Allegro vivace, à 6/8, en majeur. Que cette composition soit implicitement associée à la question de l'inspiration est suggéré par une remarque de Beethoven dans une lettre d'excuse à l'archiduc Rodolphe du 23 juillet 1815 : il avait oublié leur rendez-vous parce qu'une idée « pour le chœur lui était tombée dessus » et qu'il s'était appliqué à la transcrire. De fait, cette partition pour chœur et orchestre, construite autour de la notion de tension, de contraste, peut être entendue comme une métaphore du processus de la création, processus qui associe le vide angoissant et l'arrivée soudaine de l'inspiration.

 

Dans l'Allgemeine musikalische Zeitung (XXIV, n°41 du 9 octobre 1822), le rédacteur de la revue, Friedrich Rochlitz rendait compte de la partition publiée, avec beaucoup d'éloges, insistant sur les effets produits par la musique composée par Beethoven : l'auditeur retient son souffle lors de l'évocation du silence total, se sent accablé par l'immobilité, puis sourit de bien-être quand le chœur annonce l'arrivée de la brise marine… Rochlitz affirmait que le plaisir était assuré d'autant plus que l'œuvre d'une grande densité spirituelle n'était pas difficile et qu'elle était même possible à exécuter, à condition de respecter avec précision les changements et gradations d'intensité. Image de la solitude, de la distance ou de l'espace qui permet de respirer à l'air libre, la référence à des éléments de la nature sous-tend la mise en œuvre de la question de l'inspiration et de la création.

 

 

Le thème de « Beethoven et la nature » conduit donc au cœur du processus créateur de Beethoven et permet de prendre conscience de la fonction qu'il assigne à la musique : être le moyen d'expression purement humain qui transcende les données matérielles pour s'élever à la plus haute spiritualité, celle où se rencontre non pas dieu mais la vérité de l'être, ce moment de pure existence, cette joie de se trouver dans le réel impossible à dire autrement.

 

Ainsi, Beethoven n'a pas composé d'œuvre en lien direct avec la nature : il ne faut pas attendre de lui l'équivalent d'une « symphonie alpestre » ! Chez lui, il y a toujours la médiation de l'artiste créateur entre une source d'inspiration repérable, une incitation fortuite - le chant des oiseaux, le murmure du ruisseau ou le déchaînement d'un orage, tout autant qu'un rythme ou qu'un timbre instrumental – et l'œuvre achevée, résultat d'une longue élaboration, d'une lutte acharnée menée avec les composantes de l'écriture musicale dont il a hérité pour les dépasser, les métamorphoser, bien conscient de faire comme la nature : c'est-à-dire de créer.

 

Élisabeth Brisson.

 

 

 

Bibliographie

 

Elisabeth Brisson, Guide de la musique de Beethoven, Paris, Fayard, 2005

Beethoven, Paris, ellipses, 2016

Emmanuel Reibel, La nature et la musique, Paris, Fayard, 2016

Comment la musique est devenue « romantique », Paris, Fayard, 2013

 

Les premières biographies de Beethoven :

 

BREUNING Gerhard von, Aus dem Schwarzspanierhaus, Erinnerungen an Ludwig van Beethoven, Wien 1874 (Georg Olms Verlag, Hildesheim, Zürich, New York, 2003).

 

LENZ, Wihlelm von, Beethoven et ses trois styles, Saint-Pétersbourg, 1852

Beethoven. Eine Kunststudie, Cassel, 1855.

 

MARX, Adolph Bernhard, Ludwig van Beethoven Leben und Schaffen, 2 Bde., Berlin, Janke, 1859.

 

NOHL, Ludwig, Beethovens Leben, 3 Bde., Wien, Markgraf & Müller, 1864 ; Leipzig, Günther, 1867-1877.

 

SCHINDLER, Anton, Biographie von Ludwig van Beethoven, Münster, Aschendorff, 1ère édition 1840, 2ème édition augmentée 1845, 3ème édition largement augmentée, 1860 (cette dernière a été traduite en français par Albert Sowinski sous le titre Histoire de la vie et de l'œuvre de Beethoven, Paris, Garnier frères, 1865).

 

SCHLOSSER, Johann Aloys, Ludwig van Beethoven. Eine Biographie, desselben, verbunden mit Urtheilen über seine Werke. Heraugegeben zur Erwirkung eines Monuments für dessen Lehrer, Joseph Haydn, Prag, 1828.

 

SEYFRIED Ignaz Xavez Ritter von, Ludwig van Beethoven's Studien im Generalbasse, Contrapuncte und in der Compositionslehre,Wien ,1832, Verlag Haslinger.

 

WEGELER Franz Gerhard, RIES Ferdinand, Biographische Notizen über Ludwig van Beethoven, Coblenz, 1838 (Georg Olms Verlag, Hildesheim, Zürich, New York, 2000)

Traduction française de A.-F. Legentil, Notices biographiques sur L. van Beethoven, Dentu, Paris, 1862.

 

 

(1) : Goethe Poésies/Gedichte, Des origines au Voyage en Italie, traduites et préfacées par Roger Ayrault, Aubier/Collection bilingue, Paris, 1951, pp.246-247.
(2) : Cité in Ludwig van Beethoven, Thematisch-bibliographisches Werkverzeichnis, G.Henle Verlag, München, 2014, p.161.

 

***

REPÈRES PÉDAGOGIQUES

 

Haut

Les Concerts de Poche ont 10 ans :

la musique, service public

 

« Si vous n'allez pas à Schubert, Schubert viendra à vous »,

Gisèle Magnan, directrice artistique des Concerts de Poche

 

 

Les attentats de 2015 ont remis au cœur des débats sur la nation, le vivre-ensemble et l'identité, la prise en compte urgente des « territoires perdus de la République ». L'art et la culture ont un rôle éminent à jouer dans cette reconquête d'esprits égarés, de jeunes en dérive idéologique ou sociale, séduits par des croyances religieuses ou sectaires d'un autre temps.

 

 

Depuis les émeutes de 2005 où le problème avait été posé, sans vraiment qu'on décèle ici ou là une réelle volonté de le résoudre et de répondre aux questions soulevées par les « périphéries » à tous les sens du terme, la situation impose dix ans après des réponses efficaces et innovantes. Le « tout économique » ou le tout sécuritaire » ne sauraient à elles seules tenir lieu de réponse à ces questions essentielles. Le partage du beau, le désir pour tous d'art et de culture, le besoin d'harmonie et d'épanouissement concernent le ministère de la Culture et celui de l'Education nationale, au premier chef, mais aussi celui de la Ville, de la Jeunesse et des Sports, de l'Agriculture, de l'Agroalimentaire et de la Forêt, et également ceux de la Famille, de la Justice et de la Santé.

 

Les Concerts de Poche sont nés justement durant l'année des émeutes il y a dix ans et entrent en pleine lumière, au plus haut niveau de l'Etat, au moment où la question du lien social, de l'identité et du vivre-ensemble se fait toujours plus aiguë, pressante, urgente. Ils ont pour objectif de constituer un outil culturel de lien social itinérant, mobilisable aisément et avec des moyens raisonnables, selon une économie efficiente, avec mobilité et souplesse, au service des territoires et de leurs habitants, dans une relation directe entre artistes intervenants, pédagogues, à la rencontre de nouveaux publics dans les quartiers et les zones rurales de la France entière. Ils participent à l'éducation artistique et culturelle, à la réinsertion et à la cohésion sociales.

 

I. Un concert anniversaire à l'image de 10 années d'action et d'éducation artistiques et culturelles, des ateliers aux concerts : les clés du succès

 

On a tendance, en France, à se plaindre et dénigrer la force des acteurs artistiques et culturels sur le terrain, l'éducation artistique et culturelle qui ne serait jamais à la hauteur des attentes et des enjeux de la société. En réalité, au-delà des événements majeurs comme la formidable « Folle Journée de Nantes », en début de chaque année, et l'énergie d'un René Martin qui a su offrir l'excellence à un public plutôt jeune essentiellement éloigné des scènes de musique (classique, musique symphonique, musique de chambre, opéra, jazz et musique contemporaine), à l'instar des « Prom's » de Londres, des concerts en plein air du Philharmonique de Berlin, entre autres exemples, ou encore du « système Kodály » en Hongrie, ou bien du « Sistema » pour la transmission et la formation au Venezuela, d'autres initiatives passionnantes, efficaces, sur tout le territoire national sont menées discrètement, en profondeur, tout au long des saisons, et depuis des années. On pourrait dire qu'il y va de la santé publique et de la cohésion sociale. La demande de musique est immense. Les salles de spectacle sont pleines. Le succès résultant de l'initiative de la SNCF de placer des pianos dans les gares à disposition des pianistes (amateurs, confirmés, semi-professionnels ou professionnels) est révélateur de cette attente. Certains signes encourageants sont nombreux et tangibles aujourd'hui.

 

C'est le cas des Concerts de Poche qui fêtent en 2016 leurs 10 ans. Le concert du 8 février au 104 à Paris (pour une fois) était l'occasion de réunir parmi les meilleurs artistes de diverses générations, mêlés à des enfants (du XIXème arrondissement), des jeunes (de Seine-et-Marne) et des adultes (de l'Essonne), des familles (de Seine-et-Marne) n'ayant aucune pratique musicale, mais engagés, encadrés par des professionnels de haut niveau et de remarquables pédagogues : Michel Dalberto, Thomas Enhco, Philippe Cassard, Augustin Dumay, Henri Demarquette, Yann Dubost, Michel Moraguès, Pascal Moraguès, David Walter, Jonathan Fournel, Karine Deshayes, Alain Meunier, Caroline Casadesus, Gérard Caussé, Vassilena Serafimova, Svetlin Roussev ou encore le Quatuor Modigliani.

 

La recette du succès est due à plusieurs facteurs savamment mêlés par Gisèle Magnan, pianiste brillamment diplômée du CNSMDP, qui a non seulement la crédibilité et la  légitimité, mais aussi le savoir-faire, suite à une prise de conscience personnelle, une fine observation non seulement du rituel du concert classique, mais aussi de notre société. Pour mémoire, Gisèle Magnan a mené pendant trente ans une carrère de concertiste soliste qui l'a conduite sur les scènes françaises et internationales. Ses enregistrements sont remarqués et récompensés. Pianiste engagée, elle s'indigne du fossé qui se creuse entre la musique classique et le grand public. Pour rendre cet art accessible au plus grand nombre, elle crée les Concerts de Poche en 2002. L'association, qui a pour but d'emmener de grands artistes de la musique classique, du jazz et de l'opéra dans les campagnes et les quartiers, commence véritablement ses activités en 2005. Le principe est simple : pas de concert sans ateliers, pas d'ateliers sans concert. En 2007, Gisèle Magnan décide de se consacrer pleinement au développement des Concerts de Poche, et d'arrêter son métier de concertiste.

 

La préparation au concert

 

Elle permet non seulement de mieux connaître les instruments, le vocabulaire élémentaire et essentiel de la musique, d'appréhender les timbres, les tessitures, la voix, mais aussi et surtout les enjeux du travail du musicien, créateur et/ou interprète. L'association forme pour cela des musiciens et des comédiens, volontaires, à la création de contenus adaptés aux publics rencontrés. Ainsi de véritables mises en situation et des rencontres avec les artistes et les élèves des écoles de musique et de tout type de publics sont organisés par des personnels compétents, ainsi que des ateliers participatifs pour d'autres types de publics, totalement néophytes et éloignés de toute pratique musicale. Ces ateliers qui reposent sur la création et l'improvisation sont menés collectivement pour comprendre avec naturel la dramaturgie constitutive d'une composition musicale. On crée avec les participants des contes musicaux ou de mini-opéras. Les scénarios et des poèmes sont mis en musique autour du programme du concert. Des ateliers qui revêtent différentes durées (d'une semaine à un mois) sont montés pour approfondir le propos de la création et rentrer dans l'ambiance du concert. D'autres ateliers (écriture, chant choral, théâtre musical) sont organisés pendant plusieurs mois (de trois mois à un an) pour préparer la première partie du concert.

 


Concert anniversaire du 8 février 2016 / DR

 

L'encadrement par des professionnels

 

Les ateliers créatifs sont menés par les concertistes ou par un duo comédien-musicien dans les centres sociaux, les établissements scolaires, les maisons de retraite, les établissements de soin... Ils permettent aux participants d'être créateurs et de comprendre de l'intérieur, en profondeur, physiquement les concerts auxquels ils vont assister. Les ateliers de plusieurs mois donnent lieu à la réalisation d'une première partie de concert où les participants chantent, accompagnés par les concertistes (exemple du concert du 8 février dernier). Cette méthode participative transforme la relation à la musique pour des publics qui pour la plupart n'ont jamais accès au répertoire classique, jazz ou contemporain (zones rurales éloignées des centres de création et de diffusion comme des infrastructures culturelles, quartiers, personnes âgées, jeunes ou adultes en difficulté sociale, en situation de handicap, etc.). Il ne s'agit pas seulement de pédagogie mais bien d'une attitude créatrice et participative, de préparation d'une prestation en début de concert, en partenariat et en participation avec les concertistes programmés au cours de la soirée.


L'envie

 

Elle motive l'enfant, l'adolescent, l'adulte et les familles à se mobiliser pour mieux apprécier le concert, sans la lourdeur du rituel qui peut être intimidant ou parfois répulsif à cause de codes désuets et mystérieux pour le public éloigné, liés au concert du XIXème siècle. L'expérience permet de remarquer qu'un enfant immergé dans un concert vivant et de qualité aura plus de chance et d'envie de s'inscrire au conservatoire, à la chorale, à la fanfare ou à n'importe quelle autre pratique artistique, que ceux qui n'auront pas vécu cette expérience, et ceci le plus tôt possible. Le concert participatif libère l'étincelle ou le frisson qui procurera l'émotion musicale.

 

L'émotion

 

Elle libère, interpelle et rapproche l'individu et les personnes de la musique, de l'artiste et rapproche considérablement les personnes les unes des autres. L'émotion, d'une part, permet de prendre conscience de la beauté du geste musical, du son, d'une œuvre en particulier, d'autre part, contribue à l'épanouissement individuel et collectif, et ainsi de dépasser les a priori, les résignations et les idées reçues. Elle favorise l'imagination, la confiance en soi et en les autres, la créativité, la réflexion, la proximité avec les autres (artistes ou autres spectateurs). La durée limitée des concerts permet de concentrer l'émotion, de décupler le désir d'en écouter et d'en savoir plus la fois suivante.

 

Le partage et le brassage

 

Il permet de dialoguer et d'échanger autour de l'oeuvre, de l'interprète, de la condition du concert, de l'acoustique, de la proximité avec la musique et ce qui se joue sur un plateau de spectacle vivant. On observe à l'occasion des ateliers et des concerts une circulation unique des habitants d'un quartier à l'autre, d'une commune à l'autre. Les Concerts de Poche contribuent ainsi au brassage des populations et au « vivre ensemble » entre des personnes qui ne se seraient jamais rencontrées autrement. Les concerts se terminent par le dialogue autour de l'oeuvre et des concertistes, un « verre de l'amitié » et une séance de dédicace.

 

Le décloisonnement des publics

 

Contrairement au système - par ailleurs parfois bénéfique, gérable financièrement, efficace et utile dans de grandes salles - qui sépare le public des invitations à une répétition générale (parfois gratuite, ou à prix modéré) pour le non-public, et le public habituel des « vrais » concerts, payant des places plus chères, les Concerts de Poche font le choix de mêler tous les publics (âges, individuels, groupes, familles, catégories socio-professionnelles, novices ou avertis, connaisseurs ou béotiens...). Le prix modique des places qui ne dépasse jamais celui d'un ticket d'entrée au cinéma, est un atout majeur pour décloisonner et rapprocher les publics des concerts.

 


Michel Dalbeto et le Quatuor Modigliani lors du concert / DR

 

II. Un réseau national, modèle pour l'international

 

En dix ans, ce sont 200 000 spectateurs qui ont pu assister à 500 concerts et participer aux 5000 ateliers, selon la philosophie des Concerts de Poche (concerts et ateliers indissociables). La croissance est continue et exponentielle depuis dix ans, preuve de la demande croissante des publics, et partant des collectivités. En 2015, 37 000 spectateurs ont bénéficié de 1200 ateliers, et de 85 concerts partout en France, dans 240 villages et quartiers, avec 200, artistes invités grâce au travail de 18 salariés permanents et le soutien de 505 adhérents. Au total, 60 % des actions se déroulent dans des zones rurales isolées, 40 % sont organisées dans des quartiers urbains enclavés. Le tour de force des Concerts de Poche est que 90 % des spectateurs habitent à moins de 20 km du lieu du concert. A l'heure où les observateurs déplorent le relatif abandon des zones rurales au bénéfice des métropoles (Christophe Guilluy, La France périphérique, Flammarion, 2015), les Concerts de Poche relèvent le défi d'une action culturelle d'exigence et d'excellence au sein même des « déserts français », de la « diagonale du vide », des « zones blanches », en somme des « périphéries » françaises.

 

Ici, on ne sépare pas le « vrai » concert des pratiques de préparation en direction des amateurs de tous âges. On ne sépare pas les enfants, les jeunes et les adultes. Il n'y a pas le concert pour le « non-public », et le concert pour le public habituel. C'est toute la force des Concerts de Poche, qui ont lieu désormais dans toutes les régions de France métropolitaine : Ile-de-France, Normandie, Bretagne, Nord-Pas-de-Calais/Picardie, Grand Sud-Ouest (Aquitaine, Limousin, Poitou-Charentes), Grand-Est (Alsace Champagne-Ardenne Lorraine), Rhône-Alpes/Auvergne, Languedoc-Roussillon/Midi-Pyrénées, PACA, Bourgogne/Franche-Comté, Centre/Val-de-Loire. Seul le concert anniversaire du 8 février 2016 avait lieu à Paris.

 

Ce sont plutôt de petites et moyennes villes (pas seulement Reims, Lens, Roubaix ou Soissons), villages ou quartiers qui accueillent les concerts de l'association. Donnons quelques exemples pour la seule saison 2015-2016 (jusqu'à février 2016) : Saint-Ouen-en-Brie, Mandres-les-Roses, Marolles-en-Brie, Montereau-Fault-Yonne, Halennes-lez-Haubourdin, Châteauneuf-Grasse, Lens, Saint-Germain-lès-Arpajon,  Armentières, Saint-Sauveur-sur-Ecole, Mormant, Cliousclat, La Voulte-sur-Rhône, Wattrelos, Breuillet, Saint-André-lez-Lille, Oulchy-le-Château, Haubourdin, Saint-Maurice, Bétheny, Bray-sur-Seine, Brie-Comte-Robert, Laon, Saint-André-lez-Lille, Féricy, Marolles-en-Hurepoix, Ouzouër-sur-Trézée, Saint-Amand-les-Eaux, Blandy-les-Tours, Saulce-sur-Rhône, Bazancourt, Grillon, Saint-Restitut, Nandy, Joinville (Haute-Marne), La Madeleine (Nord), Ollainville-La Roche, Esquéhéries, Belmont-sur-Rance, Montargis, Lhuître, Wambrechies, Savigny-le-Temple, Verdun, Valence-en-Brie, Bar-sur-Aube, Bruyères-le-Châtel, Sixt-sur-Aff, Athis-Mons, Montardon, Pamfou, Barbizon, Coubert, Vesoul, Saint-Michel-sur-Orge, Vitry-le-François, Armentières, Dourdan, La Fère, Goeulzin, Rethel, Sains-du-Nord, Le Hommet d'Arthenay, Cuchery, Emmerin, Thiérache du Centre, Juvisy-sur-Orge...

 

Les noms des artistes accompagnant l'aventure des Concerts de Poche sont révélateurs, à eux seuls, de l'exigence proche de Vilar pour le théâtre (« L'élitisme pour tous ») et de la volonté d'offrir l'excellence (œuvres et interprètes, conditions du concert, mixité sociale des publics, mélange des générations) à tous les publics. Ainsi dans les programmes de 2015, on pouvait entendre, outre les artistes du concert du 8 février, Nathalie Dessay, Lise Berthaud, Adam Laloum, Nemanja Radulovic, Jean-François Zygel, le quintette Moraguès, le Quatuor de clarinettes les « Hanches hantées », Jérôme Pernoo, Jérôme Ducros, Romain Leleu, Thomas Leleu, Didier Lockwood, Philippe Berrod, David Grimal, Anne Gastinel, le Sirba Octet, et bien d'autres encore. On peut imaginer que le modèle des Concerts de Poche pourrait être exporté, via l'Institut français et l'Alliance Française, à l'international...

 

 

III. Une diversité de partenaires fidèles et militants dans la durée

 

Reconnaissance

 

En 2015 les Concerts de Poche ont été reconnus d'utilité publique et obtenu le label « La France s'engage » décerné par le Président de la République. Agréée entreprise solidaire, l'association des Concerts de Poche est soutenue par le ministère de l'Education nationale, le ministère de la Ville, de la Jeunesse et des Sports, le Commissariat général à l'égalité des territoires, le ministère de l'Agriculture, le Ministère de la Culture et de la Communication (plusieurs Directions des Affaires culturelles concernées), de nombreux conseils départementaux, et divers mécènes (Mécénat Musical Société Générale, Fondation Daniel et Nina Carasso, Fondation SNCF, Spedidam, Fondation France Télévisions, Engie, Fondation PSA Peugeot Citroën, Fondation MACIF, Fondation 29 Haussmann...). L'association travaille également avec l'association Cultures du Coeur favorisant la mixité des publics dans les salles (plus de 4000 invitations mises à disposition de personnes éloignées des salles de spectacle pour cause d'exclusion sociale). De nombreux bénévoles, souvent étudiants, soutiennent et suivent les initiatives des Concerts de Poche (ils étaient très nombreux le soir du 8 février) et complètent utilement et efficacement le travail de la vingtaine de salariés permanents de l'association.


Appartenance

 

Pour donner l'envie et l'émotion au public, Gisèle Magnan rappelle qu'il faut proposer « les plus grands artistes avec la plus belle musique » qui existe (entretien à France Inter le 15 février 2016). Naturellement, les partenaires publics comme privés sont conquis d'emblée par cette recette simple, qui recouvre aussi l'idée qu'il convient de convaincre les nouveaux publics dès le premier instant de la rencontre :  « plus les publics sont éloignés, plus il faut les prendre par la main dès les premières secondes » (entretien à France Inter le 15 février 2016). Le sentiment d'appartenance à la même volonté de proposer l'exigence et l'excellence à tous les publics mêlés fait partie d'une des clés des Concerts de Poche.

 

Confiance

 

C'est grâce à ces constantes d'exigence et de qualité que les Concerts de Poche conquièrent et fidélisent à la fois un public, les artistes et les partenaires. Le « concert de poche », pour résumer et conclure, c'est un petit format – une heure de musique -, une petite salle (sans décorum ni rituel du concert classique), un petit prix, afin que nul n'en soit exclu et que se dégage la plus grande émotion artistique, partagée sur scène comme en salle, un trésor pour tous que tout un chacun se doit de cultiver et protéger.

 

Jérôme Bloch*

 

 

 

*Jérôme Bloch est Agrégé de l'Université, Conseiller pour la musique au Ministère de la Culture et de la Communication

 

 

Pour en savoir plus et suivre l'actualité des Concerts de Poche :

www.concertsdepoche.fr

facebook : concertsdepoche

twitter : @ConcertsdePoche

 

                                          

Ils ont dit :

 

« C'est vraiment un grand privilège que d'avoir la possibilité d'écouter des artistes aussi talentueux, dans une ambiance « sans façon » et tout près de chez nous ». (Elisabeth, spectatrice du récital de Nathalie Dessay à Joinville (Haute-Marne), mars 2015)

 

« c'est la première fois de ma vie que je pleure pendant un concert, non pas de tristesse mais d'émotion, sans pouvoir l'expliquer ni en parler. Quel bonheur ! ». (Marc, spectateur du concert de Nemanja Radulovic à Châteauneuf-Grasse (Alpes Maritimes), avril 2015)

 

« Dans le quartier, la plupart des enfants ne connaissent pas le nom des instruments, ni même leur sonorité. Grâce aux ateliers, ils vont au concert avec leur famille. Et quelques-uns sont mêmes allés jusqu'à s'inscrire au conservatoire ! ». (Mustapha Sadallah, directeur du centre social l'Alma de Roubaix (Nord), septembre 2015)

 

« Les Concerts de Poche effectuent un travail formidable en amenant la musique dans les quartiers difficiles ou les villages. A mes yeux, ce travail en profondeur est la seule manière d'amener durablement de nouveaux publics à la musique classique ». (Jean-François Zygel, Le Parisien)

 

« Les Concerts de Poche , c'est l'initiative la plus importante de ces dernières années en matière musicale car elle est généreuse et efficace ». (Henri Demarquette, violoncelliste)

 

« Je n'avais jamais connu d'association de ce type et il me semble qu'elle vient combler une lacune importante. Le fait qu'un grand nombre d'auditeurs vivent cette expérience pour la première fois est très encourageant ». (Michel Dalberto, pianiste)

 

« Si un prix de démocratisation musicale existait en France, à coup sûr les Concerts de Poche seraient les mieux placés pour le remporter ». (ConcertClassic.com, 21 novembre 2014).

 

***

PROPOS PARTAGÉS

 

Haut

Bon anniversaire, maestro Inbal !

 

Cet entretien a été réalisé le 1er mars dernier, à côté de la Maison de la radio où Eliahu Inbal répétait la Symphonie N°9 de Bruckner avec le Philharmonique de Radio France.

 

 

La IX ème Symphonie de Bruckner que vous allez diriger à la Philharmonie de Paris dans le cadre de votre 80ème anniversaire, vous l'avez enregistrée récemment avec un orchestre japonais. Ces orchestres sont très appréciés aujourd'hui, mais en France on les connait très mal. Qu'en pensez-vous ?

Ils ne font pas assez de tournées ! Le disque dont vous parlez est surtout distribué au Japon, et le marketing pour l'étranger n'a pas été fait. Cet orchestre, The Tokyo Metropolitan Symphony Orchestra, avec lequel je travaille depuis 25 ans, j'ai pu le modeler, en faire quelque chose et aujourd'hui il est formidable ! Quelle discipline, quelle virtuosité, quelle musicalité, je suis toujours très satisfait quand je vais là-bas. Les orchestres dans l'Orient, je parle de Shanghai, Taipeh, Singapour, sont des orchestres très sérieux. Je ne savais pas lorsque je suis allé à Séoul - ils disent « Sol » comme do ré mi fa sol ! - que j'allais être étonné par la qualité musicale de leur orchestre. J'ai découvert ainsi de nombreux orchestres et je continue à en découvrir.

 


Cliché : Stéphane Loison

 

Depuis 30 ans on m'invite à Lille et je vais aller pour la première fois diriger l'Orchestre de Lille ! Je vais faire avec eux la 9ème de Mahler et je suis sûr que je serai satisfait. La génération de musiciens d'aujourd'hui est bien supérieure à celle d'il y a quarante, cinquante ans. Le niveau général a augmenté, surtout dans les cordes. Chaque dix ans il y a une poussée. Si on va à la Julliard à New York, par exemple, chaque dix ans ils sont meilleurs. Ce sont de grands virtuoses maintenant. Lorsque Joachim a joué le Concerto pour violon de Brahms, c'était injouable pour lui à l'époque. Le concerto de Tchaïkovski c'était pareil. Actuellement, presque tous les musiciens de l'orchestre sont capables de le jouer, et on trouve cette qualité un peu partout. Avant hier j'ai dirigé la 8ème  de Bruckner à La Fenice, un orchestre que j'ai dirigé pendant très longtemps, c'était une exécution exemplaire.

 

Pourtant on dit que les orchestres italiens ne sont pas à la hauteur des autres orchestres européens ?

Ceux que j'ai dirigé avaient toujours un très bon niveau. Vous savez, parfois on me dit, comment avez-vous trouvé cet orchestre ? Était-il bon ? Moi je l'ai dirigé, il était très bon avec moi ! Je l'ai fait jouer d'une manière de haut niveau. Je me fiche de ce que vous pensez de cet orchestre, avec moi il est merveilleux ! Le chef entre aussi en jeu ! Si l'orchestre n'a pas bien joué, il faut demander qui était le chef !

 

On raconte que le Berliner Philharmoniker pourrait jouer tout seul...

Peut-être que pour certains orchestres on peut dire cela. Mais vous savez : les orchestres anglais, ils font ce qu'ils veulent avec le chef : s'il est très bon, ils jouent très bien ; si le chef est comme-ci comme-ça, ils jouent comme-ci comme-ça ! Quelques orchestres allemands tiennent un peu plus le niveau ; ça dépend des caractères, des traditions…

 

On dit que les Français ne sont pas simples à diriger ?

Mais non, je n'ai pas cette impression! Cet orchestre Philharmonique de Radio France je le dirige depuis presque 35 ans, et très régulièrement. Je ne peux pas dire cela, j'étais très content aujourd'hui de la répétition.

 

Est-ce une histoire d'amour ?

Un chef a entre les mains comme une Ferrari pour la compétition, mais il faut savoir la conduire. C'est mon travail de faire sortir ce qu'il y a sous le capot, ce qu'il y a dans l'orchestre ; alors il me donne cela.

 

Vous souvenez-vous de votre première expérience au Japon ?

Il y a exactement 43 ans ! Je me souviens de cette date parce que mon fils avait juste un an. Mon premier orchestre était l'Orchestre symphonique Yomiuri du Japon, un des meilleurs. Les musiciens étaient très réservés, très appliqués et moi je faisais une symphonie de Mahler. Cela n'allait pas, je voulais avoir du feu ! Et bien ils m'ont donné cela, c'était la première fois de leur vie qu'ils jouaient avec passion ! La critique n'en revenait pas d'avoir entendu l'orchestre jouer ainsi à l'époque ! Le chef doit obtenir le meilleur de l'orchestre. Ce n'est pas intéressant un orchestre qui joue automatiquement l'œuvre ; je dois avoir un rapport très étroit avec lui.

 

Vous parlez de la Fenice, mais on ne vous connait pas comme un chef d'opéra. Vous n'avez pratiquement pas enregistré d'opéra ?

J'ai fait beaucoup, beaucoup d'opéras mais je suis avant tout un chef symphonique ; ça c'est la vérité. L'opéra je le fais à côté. Je n'ai jamais enregistré ; ce qui existe, c'est pirate. A la Fenice ils ont mis beaucoup d'opéras en circulation sans me demander la permission! Je ne vais pas leur faire de procès mais ce n'est pas correct. Don Carlo que j'ai dirigé à Vérone est sorti en pirate ! Je n'ai rien contre, je suis ravi que les gens puissent m'entendre, je m'en fiche de gagner quelque chose. Ce que je dis à propos de La Fenice, c'est que je n'ai pas écouté les résultats, et c'est dans le commerce.

 

Diriger de l'opéra c'est une bonne école pour un chef symphonique tel que vous ?

Bien sûr, l'opéra c'est une musique dramatique, théâtrale justement, qu'on ne trouve pas dans le symphonique. C'est important de connaître ce côté dramatique. Par contre le chef symphonique que je suis donne beaucoup de bonnes choses à l'opéra. Les chefs spécialistes d'opéra font des compromis avec les chanteurs : çà devient une direction un peu morceau par morceau. Tandis que lorsque je fais de l'opéra il y a une continuité, même si c'est un Rossini, un Verdi ou autres. J'apporte quelque chose que n'ont pas les spécialistes de l'opéra. J'adore diriger Wagner. Je l'ai dirigé récemment, parce que c'est l'opéra le plus symphonique. Je me sens bien dans Wagner.

 

On dit qu'il faut un grand chef pour diriger Wagner ?

On dit aussi le contraire, n'importe quel chef peut diriger Wagner. Je ne peux pas le vérifier mais on peut diriger plus lentement, plus rapidement ; avec un orchestre moyen Wagner sonne toujours bien !

 

A La Fenice avez-vous de grands souvenirs ?

Ah oui ! D'abord j'adore Venise. Vous savez les Italiens qui parfois ne sont pas disciplinés, un peu fantaisistes, ont une sensibilité spéciale. C'est normal, c'est un peuple très musical, très musicien. Et bien quand j'ai fait la 8ème symphonie de Mahler, il y avait mon orchestre de Francfort et les chœurs de Francfort, plus celui de La Fenice. Quand vous mettez deux orchestres ensemble c'est toujours un énorme problème. Qui va être le premier ? C'est comme si leur honneur était en jeu ! On a fait une chose très spéciale : les bois de La Fenice, je les ai mis en premier, les cuivres c'étaient ceux de Francfort, et les cordes qui sont sur deux rangs : et bien un jour c'étaient les italiens qui étaient à l'extérieur, et un autre jour celles de Francfort. Pour les contrebassistes qui ont plus de pause, qui peuvent écouter, ceux de Francfort m'ont dit que lorsque les italiens étaient à l'extérieur, il y avait des couleurs plus extraordinaires, des phrasés plus sensibles ; et moi je le crois. Alors dire que les orchestres italiens sont moyens c'est un peu superficiel. De nouveau, la question essentielle c'est de savoir qui est le chef et que fait-il avec cet orchestre ?

 

Vous aviez assez de place pour mettre tous ces musiciens et ces chœurs ?

Non, la Huitième de Mahler on l'a jouée dans la basilique San Giovanni e Paolo. Il y avait Yehudi Menuhin qui était là, et qui mettait ses oreilles d'une certaine façon pour ne pas entendre les réverbérations. Il inventait toujours des trucs, il avait trouvé quelque chose qu'on mettait sur la tête qui positionnait les oreilles pour n'entendre que ce qui venait de devant et pas de côté ou de derrière. Dans la Basilique on avait une réverbération de cinq à six secondes alors que dans une salle de concert c'est en général 2 secondes. A Francfort où j'ai été 16 ans chef titulaire et ai fait des tournées, des disques pendant 20 ans, mon ingénieur du son qui a fait des centaines d'enregistrements avec moi, m'a dit que son plus bel enregistrement était celui de la 8ème de Mahler dans la Basilique de Venise; ensuite il est parti à la retraite !

 

Et pourtant cette 8ème  ne doit pas être facile à enregistrer ?

Et pourtant il n'y avait que deux micros, une tête. Lorsqu'on écoute avec un casque, c'est comme si on était dans la salle ! C'est une manière d'enregistrer très simple : on enregistre comme nous l'entendons. J'aimerai qu'on sorte cet enregistrement.

 

Vous parlez d'enregistrement : vous avez fait beaucoup de vos enregistrements en direct. Il y a toujours une polémique autour de cette manière d'enregistrer, comparé à celle en studio où on retravaille beaucoup. Quel est votre sentiment à ce sujet ? Il y a des chefs qui ne peuvent plus entendre ce qu'ils ont enregistré il y a dix, quinze ans…

Cela ne change rien : que cela soit en direct ou en studio, c'est toujours ce que j'ai voulu faire à ce moment là ! En direct, c'est pratiquement parfait. Pour tous les cycles Mahler, Bruckner et autres, en règle générale on prend une prise en direct de concert et la générale aussi. A Francfort, on prenait, si on avait le temps, une autre prise en direct. Les corrections concernent souvent les bruits du public, lorsqu'on tousse : entendre toujours au même moment de l'écoute  quelque chose qui n'est pas de la musique, c'est insupportable ; c'est cela que l'on corrige. Le direct c'est beaucoup plus intéressant ! J'ai avec des orchestres anglais enregistré en studio : le cycle Chopin avec Claudio Arrau et le London Philharmonic, les symphonies de Dvořák, les concertos pour piano de Rachmaninov, le Triple concerto de Beethoven, le Sacre du printemps, Petrouchka, avec le Philharmonia. C'est faisable, mais personnellement je suis plus pour le direct parce qu'il y a une authenticité.

 

Vous avez aussi dirigé à Turin...

Je suis resté six ans à Turin. C'était d'abord l'orchestre de la RAI de Turin. Un an après ils ont refondu en un seul les quatre orchestres de la RAI. Ils ont éliminé bien des musiciens de ces orchestres, c'est à dire soit par retraite anticipée, soit en leur offrant de venir à Turin. Tout d'un coup je me suis retrouvé avec sept premières flûtes, six premiers cors (rires). J'ai dû faire un travail extraordinaire pour éliminer ceux qui étaient superflus, ceux qui n'étaient pas parfaits, et cet orchestre est devenu le meilleur orchestre symphonique d'Italie ! Je crois qu'il l'est toujours.

 

Pour enregistrer des concertos comment se faisait les choix du soliste ?

On me demandait toujours si j'avais une idée pour le soliste ! D'habitude ils essayaient d'obtenir le meilleur ! C'était pour moi pas très difficile d'accepter.

 

Vous avez quand même eu des solistes débutants ?

Oui de très jeunes, des très âgés aussi. Les jeunes c'est passionnant parce qu'ils sont plus malléables, ils sont plus ouverts, ils ont souvent un tempérament très fort. Ils exagèrent aussi ; comme jeune chef j'étais comme eux ! Je passais du jeune Berezovsky au doyen Arrau ! J'ai même joué, pas enregistré, avec Rubinstein en Israël. Il devait avoir plus de 80 ans, 85 ans peut-être. Il se sentait encore jeune. J'ai même joué avec Heifetz un an avant qu'il ne prenne sa retraite ! Je crois même qu'il était sorti de son cocon pour faire cette tournée avec l'Orchestre Philharmonique d'Israël, en 1967, et on a fait un concert au Hollywood Bowl. Il devait avoir 66 ans. Il m'a pris par la main et le premier violon m'a dit qu'il ne le reconnaissait pas car il était toujours très méchant et là il avait un geste sympathique. C'était très émouvant, j'avais à peine trente ans ! J'ai aussi eu à ses tous débuts Sergei Khatchatrian,

 

Est-ce que vous vous sentez une filiation par rapport à des chefs avec qui vous avez travaillé ou qui vous ont inspiré ?

Un très grand chef d'orchestre, Fritz Reiner, a dit qu'un chef d'orchestre doit avoir un modèle qu'il imite ! Je crois qu'il est allé trop loin. Mais avoir un modèle pour pouvoir aller dans sa direction, ou à partir de là se trouver une autre voie, cela est valable. Il y a de grands chefs que j'ai adorés : Bernstein, von Karajan ; par l'écoute, il y a Mitropoulos. Lorsque j'étais en Israël, encore étudiant, après mon service militaire que j'ai fait comme violon solo, pendant la journée, j'étais toujours aux répétitions de l'Orchestre Philharmonique d'Israël.  Il y avait une procession de chefs d'orchestre, plus extraordinaires les uns que les autres, et des solistes exceptionnels. Il y avait Markevitch, Fricsay, Kubelik, Kletzki, tout le temps il y avait des grands chefs. C'est dans l'orchestre que j'ai appris  à diriger : lorsque j'étais violon solo ou second violon à l'opéra, c'est là que j'ai appris, parce que c'est ce que je voulais faire, c'était mon futur métier . J'avais l'oreille et l'attitude d'un chef d'orchestre ; pourquoi ce que fait tel chef est bon ou mauvais. Et dans les répétitions j'apprenais beaucoup de ces grands chefs, c'était formidable !

 

Avez-vous formé des chefs ?

Non, je n'ai jamais donné de cours. Il y a beaucoup de chefs qui écoutent mes disques et qui me disent - ils sont très gentils dès fois - que les Mahler, les Bruckner ou autres, sont des références pour eux. Il y en a d'autres qui me disent que les Gurrelieder de Schoenberg que j'ai donnés sont pour eux une référence. Mais je ne donne pas de cours parce que moi-même je continue à apprendre…Peut-être qu'à 95 ans, je saurai comment ça marche et que je pourrai donner quelques conseils !

 

C'est Solti qui a dit un jour vouloir jouer la Cinquième de Beethoven telle qu'elle a été composée !

Mahler avait des problèmes avec cette symphonie. Et un jour il a réussi avec le New York Philhamonic et il a invité tout le monde au restaurant où il a déclaré : enfin j'ai pu jouer cette symphonie comme je l'ai voulu ! (rires)

 

J'avoue être un inconditionnel de Berlioz, ce qui n'est pas le goût des Français paraît-il et j'aime comment vous l'envisagez !

Berlioz est un très grand compositeur et en temps que chef symphonique j'ai une approche un peu différente de mes confrères. Il y a dans ses œuvres une continuité et non pas des morceaux et des morceaux. Ses oratorios sont une œuvre entière. Je le mets sur le même pied d'égalité que Beethoven. Beethoven a ouvert la musique pour l'univers, pour tout le monde. Avant c'était une musique merveilleuse, c'était pour une certaine clientèle. Beethoven, lui, a ouvert la musique à l'humanité ! Berlioz a fait la même chose mais d'une façon différente :  il a ouvert l'écriture de la musique. Après lui on pouvait utiliser toutes les couleurs, faire des combinaisons avec les instruments les plus extraordinaires ; jamais avant lui on avait osé faire cela ! Il a inventé les Leitmotiv ! Dans la IX ème Symphonie de Beethoven, il y en a aussi dans le dernier mouvement. Mais chez Berlioz c'est une innovation. Wagner était très inspiré par Berlioz ; et aussi, on l'oublie, Bruckner. Berlioz est un compositeur trop sous-estimé encore aujourd'hui.

 

Je vais vous poser une question qui peut-être vous gênera et à laquelle vous répondrez par « joker » : Pensez-vous que ce qu'a fait Barenboim en allant jouer du Wagner en Israël était un acte justifié ?

C'était une grande bêtise de la part de Barenboim ; et avant lui, la musique de Richard Strauss jouée par Heifetz, en 1953 dans un récital à Jérusalem. Tout le monde à l'époque avait essayé de le dissuader : il a joué la sonate pour violon, il était nerveux, il savait qu'il faisait quelque chose de très hasardeux. Après le récital, il y a eu quelqu'un qui avec un bâton de métal l'a attaqué à la main et la lui a presque cassée. Je trouve cela très très bête parce que les gens qui étaient dans les camps de concentration, un compositeur comme Wagner était le symbole du nazisme ; à tord ou à raison, c'était comme ça ! Il faut respecter cela. Cette génération est en train de disparaître, ils ne sont plus très nombreux. Plus tard ce ne sera pas un problème. Il n'y a jamais eu une interdiction de jouer ces compositeurs. On peut acheter des disques, des DVD, en Israël. Par l'insistance ces actes sont devenus politiques et les nouvelles générations ont pris le relais, et lorsque quelqu'un veut jouer cette musique ce sont les jeunes qui se manifestent. Leur bêtise a créé ce phénomène de rejet. Le monde de la musique ne peut pas exister sans Richard Strauss, Richard Wagner. Je trouve ce qu'ils ont fait très idiot, et c'était à mon avis pour se mettre en avant…c'était très bête !

 

Y'a-t-il une œuvre qui vous émeut toujours autant quand vous la dirigez ?

Vous allez être surpris : toujours toujours toute…la Neuvième Je vais vous donner un exemple : à Tokyo à la période de Noël, avant Noël et jusqu'à Noël, tous les orchestres jouent la Neuvième plusieurs fois, c'est un rituel. Un japonais qui se respecte doit écouter la Neuvième pendant la période de Noël pour se préparer pour le nouvel An. Et bien vous pouvez vous imaginer que je l'ai dirigée plusieurs fois dans cette période à Tokyo. Chaque fois j'avais l'impression que je n'avais jamais dirigé cette symphonie ! Je dois de nouveau comprendre ce que cette symphonie veut dire. Je l'ai dirigée il y a encore trois mois : vous ne pouvez pas vous imaginer les efforts spirituels que j'ai mis pour recréer cette partition, comme si je ne l'avais jamais entendue ! C'était ma meilleure direction ! Je vais vous dire une chose qui va vous étonner, je suis né pour être chef d'orchestre, je suis né pour jouer de la  musique, c'est ma vie et quand je dirige une œuvre il n'y a pas de routine, c'est toujours comme si je la joue pour la première fois, voilà la réponse.

 

Propos recueillis par Stéphane Loison.

***

FESTIVALS!

  Haut

Berlin-ci Berlin-là : les Festtage et l'Osterfestspiele

 


Le Schiller Theater de Berlin  / DR

 

La période pascale est prétexte à deux festivals d'importance en Allemagne : les Festtage Berlin qui se déroulent dans la capitale allemande sous la houlette de Daniel Barenboim, et l'Osterfestspiele qui a élu domicile à Baden-Baden, désormais entre les mains de Simon Rattle. Deux des plus grands chefs actuels,  deux orchestres de renom : les Berliner Philharmoniker et la Staatskapelle Berlin. Tandis que le premier orchestre déserte son port d'attache pour la cité du Bade Wurtenberg, le second reste fidèle aux rives de la Spree. Un troisième orchestre y était même annoncé, les Wiener Philharmoniker! Les Festtage, ces journées de fête berlinoises, ont été fondées en 1996 par Daniel Barenboim qui voulait alors un espace de prestige pour donner Le Ring de Wagner. Ce fut fait pendant les premières années. Puis on l'enrichit des divers autres opéras du maitre de Bayreuth, jusqu'à en donner l'intégrale une année. Car rien ne résiste au boulimique chef ; comme encore cette intégrale des symphonies de Mahler interprétées avec Pierre Boulez, une autre année ! Puis, on a redonné les mêmes pièces dans d'autres mises en scène, le Parsifal de Dmitri Tcherniakov appartenant à cette ''nouvelle génération''  et on a ouvert la programmation à d'autres compositeurs, comme Gluck cette année. Ce le sera encore en 2017 avec Richard Strauss et une nouvelle production de La Femme sans ombre, dirigée par Zubin Metha, le collègue et ami, dans une mise  en scène de Claus Guth. Les concerts sont aussi d'envergure aux Festtage, le maestro assoluto se réservant aussi bien la direction d'orchestre que le rôle de pianiste pour accompagner ses bons amis, comme le celliste Yo Yo Ma.

 


Le Festspielhaus de Baden-Baden / DR

 

A Baden-Baden, l'Orchestre Philharmonique de Berlin règne en maitre. Et ce n'est pas rien. Sans doute attendris par les charmes de cette sympathique ville d'eau au ramage délicieusement suranné, les musiciens semblent totalement détendus malgré la tension inhérente à une programmation chargée qui leur laisse le temps de se produire encore en formations de chambre dans des programmes dont la thématique est en relation avec l'opéra donné. C'était en l'occurrence Tristan et Isolde. Ce Festival de Pâques, fondé naguère à Salzburg par Herbert von Karajan, poursuit ici une carrière enviable avec sensiblement son schéma d'origine : un opéra, un concert choral et des soirées symphoniques, joués dans la magnifique salle du Festspielhaus accolée à l'ancienne gare de chemin de fer qui convoyait naguère curistes et autres grands de ce monde, dont Guillaume II. On jouait aussi cette année un opéra plus ''léger'' - en l'occurrence Il mondo della luna de Joseph Haydn - cette fois dans le Théâtre de la ville où Berlioz créa son Béatrice et Bénédict. L'atmosphère est bien autre qu'à Berlin, la Grand ville : ici respire une belle sérénité, centrée sur la musique, et plus particulièrement sur un orchestre phare. Le millésime 2017 verra monter Tosca, un choix curieux, dans la régie d'Andrea Breth, et proposer des concerts dirigés par Rattle, Metha et Petrenko.

 

 

Orphée et Eurydice en habits de deuil

 

Christoph Willibald GLUCK : Orfeo ed Euridice. Azione teatrale per musica en trois actes. Livret de Ranieri de' Calzabigi. Bejun Metha, Anna Prohaska, Nadine Sierra. Wolfgang Stiebritz. Staatopernchor. Staatskapelle Berlin, dir. Daniel Barenboim. Mise en scène : Jürgen Flimm. Schiller Theater Berlin.

 

 


Acte II ©Matthias Baus

 

La nouvelle production des Festtage 2016 était consacrée à Orphée et Eurydice de Gluck, « action théâtrale en musique », donnée dans sa version dite viennoise de 1762, et dirigée par le maitre des lieux Daniel Barenboim. Un choix a priori improbable. De fait, il remarque lui-même, dans une conférence de presse, que c'est là sa première ''excursion'' dans le pré Mozart (exception faite d'un enregistrement audio d' Il Matrimonio segreto de Cimarosa, naguère pour DG). « Gluck était un moderne à son époque », poursuit-il. « Que faire de cette musique avec les instruments d'aujourd'hui ? ». Il dit « avoir appris beaucoup de choses », notamment pour ce qui est de l'articulation, et ce au contact d'un de ses interprètes, le contre ténor Bejun Metha, familier du rôle titre. Le nœud gordien est moins « pas tant » que « combien », autrement dit instaurer un équilibre dans l'articulation. Comme aussi de faire en sorte que le récitatif accompagné ne soit pas pompeux mais bien plutôt adapté au style de conversation, ce qui au demeurant peut faciliter les choses pour le régisseur ! Il faut s'essayer à un ton purement narratif. Dans la mesure où il n'est pas question ici d'une lecture avec des instruments d'époque, puisque Barenboim dirige son orchestre de la Staatskapelle Berlin, le résultat ne peut que sonner tout sauf «  baroqueux ». On sait que la partition de Gluck a été révisée par Berlioz. Et cela se sent dans la manière dont Barenboim l'aborde. Les tempos sont sur le versant rapide et très articulés, et ce dès l'Ouverture qui développe une scansion bien marquée. La lecture s'avère lumineuse, ce qui contraste avec le climat de deuil dont est empreinte la régie. Car les musiciens de la Staatskapelle offrent des sonorités d'une extraordinaire clarté et d'une extrême finesse instrumentale, apportant un soutien décisif aux chanteurs. Malgré la robustesse de certains passages, ceux-ci en tirent un profit certain, précisément dans ce style de conversation souligné par le chef. Il faut dire qu'on a réuni un trio frôlant la perfection. Bejun Metha prête à Orfeo des accents d'une criante vérité. Timbre clair, légèrement acidulé, comme celui de Dominique Visse de la grande époque. Phrasé magistralement conduit, art de la déclamation, impact dramatique de tous les instants laissant à chaque phrase son poids à travers les inflexions vocales, incursions impressionnantes dans le grave, tout est ici conduit à l'aune d'une interprétation intensément pensée. Qui atteint son apogée dans l'aria « Que faro senza Euridice », venant comme en écho aux arias du Ier acte, où semble planer une indicible mélancolie. Une grande et belle incarnation. Qui rend sans doute vain le point de savoir quel est le meilleur parti pour distribuer le rôle : à un contre ténor ou à une mezzo soprano. Ce qui importe, souligne Barenboim, c'est la personnalité de l'interprète, la stamina. Il n'en reste pas moins que le confier à un homme procède d'une approche plus vraisemblable. Le beau soprano clair et ductile d'Anna Prohaska confère à Eurydice une aura que l'émotion pare de couleurs justement assombries, en particulier au moment des reproches exprimés par la femme devant le froideur de l'aimé. Nadine Sierra campe un Amour loin de la badinerie habituelle, le timbre de soprano teinté d'une once de mezzo apportant une épaisseur insoupçonnée à ses interventions, qui sont loin d'être banales. A noter qu'un personnage muet (Wolfgang Stiebritz) l'accompagne au long des deux actes extrêmes : celui de Jupiter, décidément omniprésent. Les chœurs sont valeureux. Et les solistes de l'orchestre, en particulier le flûtiste solo, dont la partie se voit enrichie en fin de spectacle. On a en effet ajouté après le chœur final scellant les retrouvailles, un extrait du ballet des « Ombres heureuses », tiré de la version française, laissant le spectateur sur une note certes élégiaque, mais bien sombre.

 

 


Orfeo, Euridice & Amore - Acte III ©Matthias Baus

 

Cet ultime trait signe une des caractéristiques de la mise en scène de Jürgen Flimm. L'indication sur le rideau de scène de mots « Das hoffnungslos offene Tor » (La porte ouverte sans espérance) indique déjà que drame il y a. On le sait, la trame trace le chemin de malheur du pauvre Orphée. Qui ne doit son bonheur retrouvé que grâce à l'intervention in extremis de Jupiter le réunissant à son Eurydice qu'il aura avant tuée à deux reprises. Reste que la régie nous installe dans la noirceur de la tragédie, sans rémission aucune. Nous y sommes installés dès l'Ouverture où, dans sa seconde partie, on voit Orfeo charrier un brancard blanc qui se révèlera n'être porteur que de la robe de mariée d'Eurydice devant son tombeau creusé à même le sol. Une litanie de femmes et d'hommes tous de noir vêtus et porteurs d'une rose blanche, déplorent la disparition de l'épouse de leur ami. Chacun jette sa rose dans le tombeau et Orphée se love dans la robe, tordu de douleur sur ledit brancard. On va l'enchainer sur celui-ci au tout début de la scène des enfers : basculant de face, il figure désormais une table de torture où le jeune homme subit les ordalies infernales. Une suite de pénitents noirs au couvre-chef pointu, tout droit sortis d'un tableau du Greco, s'agitent furieusement et déchirent Orfeo qui ensanglanté se lamente de pareil sort. Joli trait : c'est Eurydice qui va le délivrer de cette camisole de force. Jusque là tout est noir alentour. Survient la scène des Champs-Élysées et un décor multicolore : une construction abstraite due à l'architecte Franck Gehry – fort coûteuse semble-t-il, à en juger par l'appel à dons fait aux spectateurs. Sur cette structure se trémoussent des jeunes mariés en un ballet saccadé. On ressent pourtant une baisse d'impact dramatique même si Orfeo tente de s'y frayer un chemin grâce à son chant immaculé. Les retrouvailles entre les deux amants semblent bien sages pour avoir lieu dans une minuscule chambrette qui met le lit en exergue. Mais quelques traits de la direction d'acteurs les rehaussent. Tel cet échange entre eux, de part et d'autre de la cloison, ou les reproches d'Eurydice qui ne confinent pas à la scène de ménage attendue, ou encore la vraie douleur d'Orphée. Le regard qui tue est un baiser déposé tendrement sur le visage d'Eurydice, et le cri de désespoir « Qu'ai-je fait » traduit une incommensurable blessure au point pour Orphée de se frapper contre le mur. Le lieto fine, un beau ballet de femmes en blanc et de leurs maris aussi élégants, laisse place à une vision bien plus pessimiste : Orfeo congédie les invités pour rester seul, tandis que l'ombre d'Eurydice s'estompe peu à peu jusqu'à disparaître complétement. Tout redevient austère et la pénombre du début de l'opéra envahit le plateau. Une vision cohérente certes mais un peu manichéenne.

 

 

Mahler selon Daniel Barenboim et les Wiener Philharmoniker

 


©Thomas Bartilla

 

Pour le premier de ses concerts symphoniques, Daniel Barenboim avait convié les Wiener Philharmoniker. Pas moins. Pour un programme qu'ils avaient déjà peaufiné l'année dernière, notamment au Festival de Salzburg : la Neuvième Symphonie de Mahler, une pièce singulière qui semble payer sa dette envers le schéma usuel des quatre mouvements, en réalité les disloque dans leur arrangement puisque l'adagio vient à la fin, deux mouvements lents entourant deux séquences rapides. Entendre les Viennois à la Philharmonie de Berlin, où siège habituellement les Berliner Philharmoniker, cela a de quoi émoustiller les oreilles. Et on ne redira jamais assez combien l'acoustique est ici proche de l'idéal ; autre chose que dans notre Philharmonie parisienne où on serait avisé de tout tester à nouveau pour corriger quelques excès de réverbération. A Berlin, rien de tel : la présence sonore et c'est tout. Les Wiener donc, dans un répertoire qu'ils chérissent pour le sentir couler dans leurs veines. Et Daniel Barenboim face à une musique bien différente de son cher Bruckner, pour ne citer qu'un autre musicien autrichien. Le résultat est convaincant à défaut d'être totalement enthousiasmant. On remarque la disposition de l'orchestre : violons de part et d'autre du chef ; au second plan : cellos à gauche et altos à droite; et à l'arrière plan : timbales à gauche, cuivres au centre et harpes à droite. Cette Neuvième, Barenboim la prend à bras le corps. Après une introduction mesurée, le 1er mouvement, marqué andante comodo, devient vite fort dramatique : le 2ème thème de marche funèbre, introduit par les cors, contraste. Le développement au parcours tourmenté libère ses associations instrumentales rares (flûtes et cors par exemple) et l'extrême densité des divers évènements souvent très courts. La manière, qui se veut dramatique, révèle une modernité que Mahler ne cache pas, s'approchant même des limites de la tonalité. La coda sera sereine cependant. Les deux mouvements centraux, le chef les joue avec ardeur, c'est peu dire. Le deuxième, « Im tempo eines gemächlichen Ländler » (dans le tempo d'un Landler non précipité) est abordé à un rythme très soutenu. Barenboim lui refuse toute naïveté, le 2ème sujet s'avérant presque vindicatif. On ressent un écrasement des accents dans le développement, marqué « Etwas täppisch une sehr derb » (quelque chose de gauche et de grossier). Il se produit comme un glissement entre les phrases, créant une impression d'images distordues, de presque dissolution du matériau, car les silences sont réduits au maximum. On mesure alors combien cette partition marque une dissolution des formes symphoniques habituelles. La coda offrira un passionnant travail des bois, introduits par les quatre bassons. Le rondo « Burlesque » est tout aussi preste et là aussi les phrases s'emboitent et s'entrechoquent. On est au delà du grotesque, dans le méphistophélique. La péroraison est plus que prestissime : à tombeau ouvert. On l'a rarement entendue aussi rapide. Il faut des instrumentistes de la trempe de Viennois pour tenir pareille cadence frénétique On aura remarqué au passage l'alto du vétéran Heinrich Koll. Vient le long adagio et son cheminement vers  l'adieu comme dans Le Chant de la terre contemporain. Le « Sehr langsam » (très lentement), ne l'est pas tant, dans les premières pages du moins, chez Barenboim. La sonorité des Wiener est somptueuse, les cordes en particulier d'une formidable homogénéité, dans le grave notamment. La lecture se fait plus transparente qu'auparavant : délaissés les accents anguleux, la rythmique véhémente. On entre ici dans la sphère du sublime où tout s'affine par paliers. La coda est justement ralentie avec des pianissimos murmurés et ses phrases suspendues comme des adieux au monde. La salle retient son souffle avant d'ovationner l'orchestre et son chef.

 

 

Parsifal au plus près des intentions de Wagner

 

Richard WAGNER : Parsifal, Festival musical sacré en trois actes. Livret du compositeur. Andreas Schager, Waltraud Meier, René Pape, Wolfgang Koch, Tómas Tómasson, Matthias Hölle, Paul  O'Neill, Dominic Barberi, Sonia Grané, Natalia Skycka, Florian Hoffmann, Roman Payer, Julia Novikova, Adriane Queiroz, Anja Schlosser, Narine Yeghiyan. Staatsopernchor. Staatskapelle Berlin, dir. Daniel Barenboim. Mise en scène et décor : Dmitri Tcherniakov. Schiller Theater Berlin.

 


Acte I ©Ruth Walz

 

Il est à Berlin une tradition wagnérienne bien implantée. Deux de ses opéras y rivalisent de nouvelles productions. Au Staatsoper Unten den Linden, actuellement au Schiller Theater, Daniel Barenboim en est le maître absolu : déjà, entre autres, deux productions du Ring depuis qu'il en a pris les rênes il y a 22 ans, et deux de Parsifal. La nouvelle (2015) de l'ultime drame de Wagner vaut assurément le voyage. Son régisseur Dmitri Tcherniakov n'y va pas par quatre chemins et, comme l'observe amusé Jürgen Flimm, l'intendant de la maison, lors de la conférence de presse précitée : « On enfonce le chapeau de ces vieux qui '' rêvent'' leur Erlösung ». Le metteur en scène russe raconte une histoire, avec distance certes et même un certain amusement, mais combien vraie. A l'image de ce Parsifal, un jeune d'aujourd'hui qui sort d'on ne sait où, et sait cependant ce qu'il veut. Innocent de cette affaire de quête du Graal, mais pas de sa petite vie bien organisée jusqu'alors – ne range-t-il pas méthodiquement son imposant sac à dos qui ne le quitte pas – et qui, le moment venu, comprend que lui est assignée une mission qu'il lui faudra mener à bien coûte que coûte, sans emphase toutefois. Car il ne se départ pas d'un naturel désarmant (IIIème  acte, lors des échanges avec Kundry). Bien sûr, Tcherniakov titille la grandiloquence du mythe : ces chevaliers du Graal quelque peu fanatiques, prêts à en découdre pour préserver l'activité sainte et tombent dans les bras de ce jeune sauveur qu'on n'attendait plus. Dans un décor unique de salle à l'allure vaguement moyennageuse, Tcherniakov va inscrire les divers épisodes du drame de Wagner. Il réunit les affidés de Gurnemanz au Ier acte jusqu'à l'arrivée de Kundry surgissant avec un vaste sac de cuir, que ceux-ci s'empressent de lui chiper pour la faire enrager. L'échange avec Amfortas à propos du baume montre déjà ce lien essentiel qui va unir ces deux personnages, rarement si bien mis en lumière. Le récit de Gurnemanz se lira à travers le personnage de Kundry, c'est à dire de ses réactions, tandis que le patriarche explique à l'aide de diapositives projetées sur un petit écran les commémoratifs de l'histoire du Graal : on croise des vues de la production de la création de l'opéra à Bayreuth. Ses ouailles, blotties sur un banc, sont tout à tour interrogatives, voire incrédules. Gurnemanz ira jusqu'à briser sa baguette de maitre d'école. Kundry anticipe la venue de Parsifal par une excitation soudaine. Le surgissement de celui-ci est étonnant, aussitôt encerclé, fait prisonnier par les gens de Gurnemanz. Il est là tel un ovni, short, tee shirt, espadrilles, arbalète à la main. Un posture d'innocence sans fard qui n'est détournée par rien. La deuxième scène après la « musique de transformation » (qui montre les ablutions des chevaliers se préparant pour la cérémonie du Graal), s'enchaîne  : Titurel est là présent et se plonge lui-même dans son futur cercueil pour ordonner la cérémonie. Pour le rite du Graal, on dépouille Amfortas de ses vêtements jusqu'à ce qu'apparaisse la blessure ensanglantée dont le liquide est recueilli et mêlé à de l'eau pour que chacun s'abreuve. Le groupe s'agglutine en un maelström compact : belle image. Parsifal, tout ce temps là, est resté parmi eux, sans trop savoir que faire. Lors de l'ultime trait vocal, de l'alto solo, Kundry s'introduit dans la pièce et se saisit de la tunique d'Amfortas laissée à terre.

 

 


Acte II Ruth ©Ruth Walz

 

Le deuxième acte assène un coup. Le même décor, mais ripoliné de blanc, découvre une meute de jeunes filles et d'enfants s'affairant autour de Kingsor, petit vieillard maniaco-dépressif ; tout autre chose que le magicien démoniaque de bien des productions. Elles jouent entourant Kundry. Lors de la confrontation avec Klingsor, celle-ci se tord de douleur à la pensée de devoir accomplir le jeu de la fatale séduction et en même temps est avide de voir ce qu'on peut en faire. La scène des filles fleurs est au comble de l'excitation : la joyeuse assemblée de gamines saute de joie à l'idée de voir en chair et en os ce jeune inconnu. Il débarque et est aussitôt assailli par la nuée de ses admiratrices : on le touche apeuré, on entoure fébrilement cet éphèbe si attirant et lorsqu'on s'assoit enfin, on balance les jambes de plaisir. C'est d'une vérité à couper le souffle. Le mot « Parsifal » retentit alors, fendant la foule, inondant la musique ; ce moment crucial est ici magistralement rendu. Le duo sera un parangon d'intelligence textuelle. Lors de la stance de Kundry « Ich sah das Kind », ne voit-on pas en fond de scène l'enfant Parsifal auquel sa mère Herzeleide offre un jouet, puis vivant ses premiers émois aux côtés d'une fille en jean court, au grand dam de la maman qui brandit l'interdit ; le jeune homme s'enfuit alors et la pauvre femme en meurt sur le champ. Le baiser conduira Kundry et Parsifal hors du champ ; on voit pourquoi. Le changement d'atmosphère sera brutal : Parsifal éclate littéralement les mots « Amfortas. Die Wunde ». L'intensité vocale est à la hauteur de la vastitude de la mission. Les mots « Erlösung » sont pareillement lancés fortissimo. À la réplique de Kundry, tentative d'endiguer un cours inexorable désormais, il oppose une résolution obstinée, tournant en rond dans la pièce, se détachant d'elle pour se blottir à terre à ses pieds et s'envelopper dans son manteau : surtout ne pas fléchir. Il se défait de ses vêtements de boy scout pour enfiler pantalon et chemise, quelque chose de plus adéquat. Lorsqu'il se mesure à Klingsor et lui reprend la lance sacrée, il ne se produit pas d'écroulement de décor. Seule la vision d'une résolution assumée : qui m'aime me suive. Le III acte, qui retrouve l'idée décorative du Ier, sera dominé par le personnage de Kundry, qui bien que muet à l'exception des deux mots «  Dienen, dienen », est plus agissant que s'il était chanté continument. Ainsi prend-elle doucement la main du vieux Gurnemanz lorsque celui-ci lui demande « Le reconnais-tu? ». C'est elle que celui-ci regarde lorsqu'il entonne le « Heill dir », censé être adressé à Parsifal. Durant le colloque que les réunit tous trois, Kundry fixe intensément Parsifal. Elle posera doucement son visage sur les épaules de celui-ci après le baptême. On a rarement compris autant le sens des didascalies. Si le passage de l'Enchantement du Vendredi saint ne dégage pas d'aura particulière, ce que la musique compense, c'est qu'une grande mélancolie envahit alors le jeune homme. Car si le propos de Gurnemanz est de célébrer la nature, celui de Parsifal véhicule plutôt la douleur et la souffrance qui sont celles de Kundry. Avant de partir pour la cérémonie du Graal, Parsifal contemplera une dernière fois son jouet d'enfant, son innocence perdue. Durant la « Zwischenmusik », on voit Amfortas s'affairer sur le cercueil de Titurel dont il arrache les visses et libère le cadavre qui tombe à terre. Les deux camps des chevaliers s'affrontent jusqu'à en venir aux mains. Amfortas traine le cadavre de Titurel et jette en l'air l'urne contenant le Graal. Le retour de Parsifal porteur de la lance sacrée est privé de solennité, mais au milieu de la foule des chevaliers enfin réunis, Kundry et Amfortas se retrouvent face contre face, puis elle s'affaisse. Parsifal la prend dans ses bras et la portera hors champ. Ultime vision :  celle des chevaliers en proie à une sorte d'illumination, les mains tendues vers le ciel tandis que Gurnemanz reste impassible, peut-être pas dupe finalement. Parsifal n'est donc plus sur scène à ce moment final. Trait osé. Une lecture décapante, pas si excessive finalement, Qui va sans doute jusqu'au bout de l'idée, confrontant cette trame mythique au monde d'aujourd'hui et à ses contradictions.

 


Parsifal et Kundry Acte III ©Ruth Walz

 

Cette relecture ne serait pas sans une interprétation musicale de tout premier plan. Dire que l'orchestre de Barenboim est somptueux est presque un euphémisme tant la sonorité est intensément profonde, transparente même (Prélude du III ème acte). Qui sait donner du temps au temps (les longs silences de Prélude du Ier acte) mais aussi évoluer de plain pied dans la dramaturgie foisonnante du II ème acte, là où le temps ne s'étire plus car tout est ici dynamique. La patine de la Staatskapelle Berlin est de la plus belle étoffe quels que soient les départements concernés : cordes ductiles, bois éloquents (une fabuleuse clarinette basse), cuivres sûrs, ronds et jamais agressifs, mais aussi timbales qui peuvent s'avérer effrayantes. Les contrastes sont marqués. Le chef à son meilleur. Sa distribution est très étudiée comme celle des Meistersinger von Nürnberg en début de saison (cf. NL de 11/2015). Avec une découverte majeure : le jeune ténor Andreas Schager, d'un naturel renversant, d'une simplicité presque ingénue, maniant les nuances à la perfection : lyrisme ensoleillé, force sans réplique, phrasé sensuel (scène des Filles fleurs) ou autoritaire (après le baiser, martelant alors le forte pour asseoir ce qui est désormais la mission assignée du personnage). Un Parsifal comme on en rêvait. Le Gurnemanz de René Pape, grande basse wagnérienne s'il en est, offre une maitrise vocale et une présence scénique prodigieuses, offrant un personnage qui, s'il se refuse à la grandeur épique comme Hans Hotter, la compense par une autorité faisant de cet Évangéliste séculier plus qu'un passeur, un acteur à part entière de ce drame des frontières et des interdits. Wolfgang Koch campe un Amfortas de stature : voix puissante, abattage dans le grand lamento de l'acte III en particulier, force de l'expression dramatique dans ses rapports avec Kundry. Mais si cette reprise offre un plus par rapport à la Première de 2015, c'est dans la prestation de Waltraud Meier en Kundry qu'on le trouve. Ce rôle qu'elle porte depuis plus de quarante ans, et qu'elle chantait pour la dernière fois lors de ces Festtage 2016, atteint ici son apogée grâce à une mise en scène que en fait l'épine dorsale de la trame. De sa première apparition en coup de vent au Ier acte à ses regards si intenses au III ème, tout est ici à l'aune d'une interprétation sublimée. Pas un mot, pas un geste qui ne soit porteur de sens. Le II ème acte est un bonheur et même si quelques traits aigus sont difficultueux, l'ascension dramatique est là pour dépasser ce qui est dès lors vétille. L'émotion perle partout et ne laisse pas de marbre. Une immense incarnation, couronnement d'une carrière wagnérienne d'exception. Matthias Hölle, de son physique de géant et de son timbre de stentor, offre un Titurel de format, et Tómas Tómasson, lui aussi solide voix de basse, quoique pas si rugueuse que souvent, ôte à Klingsor tout vain pathos. Les Filles fleurs sont bien achalandées et bravo pour leur dégaine de jeunes filles en fleur. Quant aux Chœurs du Staatsoper Berlin, leur engagement et leur prestation vocale signent là encore une des félicités de ce spectacle décidément incomparable.

 

 

Les Berliner Philharmoniker jouent Chostakovitch

 


Janine Jansen & Simon Rattle ©Monika Rittershaus

 

Une semaine a passé : le premier de nos concerts berlinois en Bade Wurtenberg livrait un programme a priori disparate puisqu'appairant le Premier Concerto de violon op. 26 de Bruch et la Quatrième symphonie de Chostakovitch. Le concerto était joué de la plus aristocratique façon par la belle Janine Jansen. Max Bruch compose ce concerto en 1868 et le dédie à Joseph Joachim : son ample inspiration mélodique et ses difficultés techniques sont là pour mettre en valeur l'art du grand interprète. Et de ses successeurs ! Dire que le violon chante est un euphémisme tant la chose est naturelle. Ainsi en est-il du premier mouvement, un allegro moderato qui après une courte introduction orchestrale donne au soliste la vedette, qui la partagera avec les bois. Sir Simon Rattle et Janine Jansen misent sur une interprétation chambriste, ce qui ne va pas sans quelques joliesses de la part de la soliste (ralentissements extrêmes, pianissimos infinitésimaux). Mais les ritournelles et tutti orchestraux seront somptueux. L'adagio enchaîné apparaît comme un intermède élégiaque avant le finale. Les deux interprètes prennent ce dernier très lent jusqu'au stand still par endroit. Ce qui diffère de l'allegro marqué energico. Qui sera cependant très contrôlé. On admire, ici comme avant, la plastique du son de la violoniste qui ne cherche pas à s'appesantir sur un romantisme facile. Deux mondes séparent cette œuvre, qui jette les derniers feux du romantisme, de la Quatrième Symphonie de Chostakovitch, laquelle sonne la résistance et marque de la part de son auteur une volonté d'écriture résolument tragique. Cet opus 43, conçu dès 1935, devait connaître un étrange destin : la nouvelle symphonie devait être créée à Leningrad en 1936, mais elle sera retirée de l'affiche durant les répétitions, pas tant du fait d'un chef n'étant pas à la hauteur des exigences du compositeur, que parce que les autorités gouvernementales avaient discrètement fait savoir qu'elles s'opposaient à la création. Il faudra attendre 1961, à Moscou sous la direction de Kyrill Kondraschin, pour que la symphonie soit jouée dans son intégralité et connaisse le succès que l'on sait. C'est une des plus fascinantes de Chostakovitch, sa plus tragique assurément, sa plus énigmatique sans doute. Son gigantisme instrumental est incroyable : pas moins de six flûtes sont nécessaires. Un parcours éminemment contrasté dont chaque écoute laisse découvrir des facettes différentes. Avec Simon Rattle et ses Berliner on est d'emblée jeté dans un bain sonore impressionnant. Le long allegro qui étale une rare profusion thématique, déverse des lames de fond, atteint des climax formidables de puissance, son fugato sonnant tel un grondement, assène des sforzandos on ne peut plus soulignés, dont tout l'attirail des percussions relève la saveur. On n'en finit pas de s'émerveiller des combinaisons instrumentales hardies, violons et cors, violons et bassons. On connait l'anecdote : lors d'une visite au maitre russe, Otto Klemperer demandant à ce que les parties de flûtes soient revues à la baisse, se vit répondre, avec un sourire : « Ce que la plume a écrit, la hache même ne saurait le retrancher »!  Le destin frappe ici à travers une écriture formidablement ingénieuse des bois et des cordes. Le ''poco moderato'', autrement dit un scherzo, se pare d'une immense fugue, dont un vaste concertino des bois marque le territoire : les berlinois qui affichent tous leurs premiers couteaux (Pahud à la première flûte, Ottensamer à la clarinette, Meyer au hautbois, Dor au cor, etc.. – sont d'un ''echt'' prodigieux.  La pseudo marche fuit toute volonté de plaire. Et Rattle s'y emploie! Mais entendre un tel orchestre là dedans est en soi quelque chose de beau, même si le son ne doit pas apparaître comme tel. Le finale, qui défie les lois formelles habituelles, sera peut-être plus impressionnant encore : une marche funèbre d'un lugubre à frémir, un autre scherzo débouchant sur un développement qui mêle humour, ironie, grotesque en un cocktail détonnant, avec ses rythmes de valses, polkas et autre galops. Et une coda magistrale. On prête à Chostakovitch cette phrase «  cette œuvre est très inhabituelle dans sa forme et je dois dire, conduit à une ''manie du grandiose'' ». Effectivement dans la présente interprétation : tout le travail orchestral est hors norme, comme les tempos et le fini instrumental. Les ultimes phrases et la scansion motorique des contrebasses grondant doucement, ponctuées de percussions obsessionnelles, vous clouent à votre fauteuil.

 

 

Une « Neuvième » d'anthologie

 


©Monika Rittershaus

 

Le propos de cet autre concert des Berlinois dirigé par Sir Simon était la Neuvième Symphonie de Beethoven. Illustre conclusion du cycle des symphonies entamé l'année dernière et joué, entre autres, à Berlin et à Paris, dont on a rendu compte dans ces pages. Il a été décidé, pour le Festival de Pâques, de la faire précéder du Concerto K. 482 de Mozart. On se perd en conjecture sur le pourquoi de ce rapprochement si ce n'est que le compositeur Mozart y affirme « son courage, son émotivité, son espoir » (Jean et Brigitte Massin), et le compositeur Beethoven cette vision de liberté qu'il conquiert auprès de Schiller et de l'Ode à la joie. Mozart crée à Vienne le 23 décembre 1785 ce 22 ème concerto. Qui reprend la même coupe que le 9ème K 209 « Jeunehomme » et fait la part belle aux vents, aux clarinettes en particulier, hommage à l'ami Anton Stadler. Le dialogue du piano avec ces instruments confère à l'œuvre une aura toute particulière. Rattle dispose ses bois juste derrière le piano créant un extraordinaire effet de proximité. Le concerto est joué par Mitsuko Uchida de manière tout simplement miraculeuse. L'allegro introduit une délicate allure du piano, intime, attachante. Lors de la cadence, Uchida accentue le dramatisme sur les accords et le mouvement se conclut dans une douceur infinie. L'andante médian est d'une profondeur abyssale et l'on savoure tour à tour le premier concertino de tous les bois puis plus avant, le dialogue de la flûte et du basson en contrepoint du chant du piano. Le finale, qui s'ouvre sur un thème bien connu et répétitif, offre une joie moins franche qu'étouffée. Puis survient l'épisode central, andantino cantabile, d'une poignante gravité, une des ruptures les plus étonnantes qu'on connaisse chez Mozart. Là encore combien savoureux est le dialogue de la flûte et du basson, puis du violon et de l'alto solo. La manière de Mitsuko Uchida est d'une délicatesse extrême, ce qui n'empêche pas une belle vivacité du trait dans ces pages où se mêlent joie et gravité. Dans sa Neuvième Symphonie, op. 125, Beethoven s'écarte de tous les repères formels habituels, même chez lui, introduisant un mélange tout à fait nouveau de symphonie et de cantate. La symphonie ne débute-telle pas, non par un thème défini, mais par une vision de genèse, de quelque chaos originel. Ce thème qui reviendra plusieurs fois après et s'inscrira dans la cadence après le développement. La reprise marque le point névralgique du mouvement et la coda amène une marche funèbre. Cette idée de chaos influence en fait toute la symphonie. La manière de Simon Rattle se nourrit d'extrêmes contrastes, en matière de dynamique et de tempos. Comme ce ralentissement appuyé avant l'attaque de la coda. Le scherzo molto vivace offre un vif contraste et le passage du trio est soutenu, laissant admirer la formidable qualité instrumentale de la petite harmonie et la non moindre homogénéité des cordes. On sait que le mouvement lent a quelque chose à voir avec un choral religieux, où l'on perçoit comme la ponctuation de l'orgue dans le mouvement ascendant de la mélodie. Cet épisode, qui dans bien des interprétations semble se chercher, atteint ici un allant singulier. Le cantabile est pris lent, extrêmement habité par l'ensemble des cordes et le soutien des bois. On admire la grande transparence de ce poumon qui fait respirer l'œuvre avant sa brillante conclusion. Ce finale déploie pareil caractère de clarté. De refus d'emphase aussi. La vision de chaos est introduite comme un coup de poing. Plus tard, le thème qui annonce l'Ode à la joie, est pris pppp aux contrebasses et aux violoncelles, les premières – disposées à l'extrême gauche – libérant une formidable amplification dans leurs roulements sourds et puissants ; une des caractéristiques bien connue de cet orchestre. Là encore, le travail instrumental de cette formidable phalange laisse sans voix. La conclusion chorale fait apprécier le Chœur Philharmonique de Prague et un beau quatuor de solistes, la soprano Genia Kühmeier, la mezzo-soprano Sarah Connolly, le ténor Steve Davislim et la basse Florian Boesch. Une immense exécution !

 

Les Berliner en formation de chambre


La celliste Solène Kermarrec / DR

 

Une des originalités de l'Osterfestspiele réside dans ses concerts de musique de chambre cadencés chaque jour à 11H et à 14H dans divers lieux en ville. Le thème de chaque programme est choisi en relation avec l'opéra donné par ailleurs, donc à partir de Tristan und Isolde. L'un des concerts avait pour motto « Tristia », du nom de la pièce de Franz Liszt, tirée des Années de Pèlerinage - Suisse, et plus particulièrement la ''Vallée d'Obermann ». Dans une transcription pour violon, violoncelle et piano d'Eduard Lassen. Des accords très sourds du piano ouvrent le morceau, qui cèdent aussitôt la place au chant du violoncelle. La grande veine mélodique marque cette pièce lento assai et ses bouffées de lyrisme. La celliste bretonne du Berliner, Solène Kermarrec, s'y distingue par une chaude sonorité, amplifiée par l'acoustique très présente de la vieille salle du Conseil du Rathaus de Baden-Baden. La pianiste Martina Filjak aussi, qui jouera une sorte d'entracte avant l'œuvre suivante : un morceau de Liszt encore qui flatte le registre extrême aigu du clavier dans son début avant de s'envoler dans la grande manière démonstrative. Le morceau de résistance était le Premier Trio pour piano op. 63 de Robert Schumann (1847), sans doute le plus célébré des quatre opus consacrés à cette formation, laquelle faisait florès à l'époque – on songe aux deux Trios de Schubert, à celui Mendelssohn et à celui écrit par Clara, composé l'année précédente. Il débute par un mouvement passionné « Mit energie und Leidenschaft » (avec énergie et passion) : les trois instruments sont sollicités dont le violon de Aleksander Ivic. La partie centrale signale une très belle inspiration thématique «  une clairière sonore argentine avec les cordes sul ponticello  et le clavier una corda » (Brigitte François-Sappey). Le scherzo suivant, « Lebhaft, doch nicht zu rasch » (vif, mais pas trop rapide), déploie comme une succession de vagues. Le mouvement suivant, « lent avec un sentiment intime », livre un lyrisme à fleur de peau que les trois interprètent habitent de leur talent. Le finale enchainé, marqué « avec feu », est bien l'aboutissement d'un parcours hautement expressif qui fait se croiser les manières antagonistes de Florestan et d'Eusebius, pour voir triompher la première alors habitée d'une fougue presque frénétique, et faisant place à une coda des plus prestes. Une bien belle exécution.

 

 


Le flûtiste Egor Egorkin / DR

 

Le deuxième concert proposait l'expérience inédite d'être joué dans le noir le plus complet. Sous le thème « De profundis », huit des musiciens berlinois avaient imaginés, à l'aune de la nuit célébrée dans le II ème acte de Tristan, de jouer plusieurs pièces évocatrices d'une obscurité révélatrice de sensations, sinon paisibles, du moins inhabituelles. On fit donc éteindre les lumières de la Malersaal du Palace Dorint Hôtel, jadis fréquenté par les grands de ce monde, sous le nom de « Maison Messmer » où l'on dit que même Guillaume II fit halte. Le noir établi et le silence obtenu, émergea Syrinx pour flûte solo de Debussy, joué par Egor Egorkin, natif de St Petersbourg, qui a rejoint le Berliner Phil en 2013 : superbe d'intensité de par sa sonorité éthérée. La pièce était entrecoupée de traits de contrebasse (Martin Heinze) ferraillant dans l'extrême grave, sorte d'improvisation ou d'entracte entre les diverses séquences du Debussy. Curieux mélange! Venait ensuite Piano Phase de Steve Reich (*1936), composé en 1967 pour deux pianos, et joué ici par deux marimbas. C'est un exemple type de musique minimaliste utilisant le principe du « phasing » ou répétition de chaque mesure ad libitum avec variations imperceptibles sur le rythme, créant une impression de décalage. Une musique répétitive quelque peu enivrante, fonctionnant là aussi comme une improvisation, mais qui dans sa longueur en vient à distiller du poil à gratter plus que l'apaisement. Le concert se concluait par Fratres d'Arvo Part (*1935), créé en 1977, en hommage à Ben Britten. Des nombreuses versions de cette œuvre, on donnait celle pour quatuor à cordes et percussions, de 1989, augmentées ici d'une contrebasse. Elle appartient au style dit «  tintinnabuli » du compositeur letton, qui n'est pas si éloigné que cela du minimalisme. C'est une longue cantilène qui va s'élargissant à mesure que le son s'amplifie, au fil de neuf réitérations mélodiques successives. Les effluves des cordes sont entrecoupées de coups de gong secs. Une  expérience étonnante vécue dans un silence extrême du public, qui laissait une impression de plénitude, à défaut de bienfait consolateur. Reste que les huit berliner donnèrent le mieux : outre les deux cités : Marlen Ito et Philipp Bohnen, violons, Martin von der Nahmer, alto, Rachel Helleur, cello, Raphael Haeger et Simon Rössler, percussions.

 

 


Le Feininger Trio & Khatarina Thalbach ©Monika Rittershaus

 

Le troisième concert, donné dans la magnifique salle baroque (de 1850) de la Florentinersaal du Casino de Baden-Baden, était consacré à une autre expérience toute aussi inédite : un concert lecture autour du thème qu'on appellera « Amour, quand tu nous tiens! ». Il réunissait le Trio Feininger, fondé en 2005 et composé de Christoph Steuli, violon, David Riniker, cello, et adrian Oetiker, piano. Le nom de cet ensemble est celui du peintre, graphiste et membre fondateur du Bauhaus, Lyonel Feininger. Leur partenaire était l'actrice Katharina Thalbach, fille de Sabina Thalbach et du régisseur Benno Besson. Membre du Berliner Ensemble et de la Volksbühne, elle mène une carrière en vue à Berlin. De Tristan, on célébrait donc l'amour dans ses diverses manifestations, à travers deux compositeurs Schubert et Chopin, et une pléiade de poètes, de Shakespeare à Brecht en passant par des auteurs moins connus du public français. Le Triosatz D 897 de Schubert, « Notturno », ouvrait le programme, un adagio mélancolique aux cordes et souligné dans sa partie centrale par les arpèges du piano. Venaient ensuite des textes de Ingeborg Bachman (« Raconte moi Amour ce que je ne puis raconter »), de Rainer Maria Rilke (« L'amant », « le chant de l'amour ''O susses Lied''). Le Trio pour piano, violon et violoncelle op. 8 de Chopin prenait la suite (1828) : son allegro con fuoco, avec sa partie de piano extrêmement virtuose est vigoureux. Suivaient alors quatre interventions parlées, sur des textes de Else Lasker-Schüller, Gottfried Benn, dont « Encore une fois » - qui résonne en écho aux mêmes mots bouleversants d'Isolde « noch einmal » sur le corps sans vie de Tristan. On jouait alors le scherzo de la pièce de Chopin, très sage ici, dont se détache encore la partie de piano, et son adagio sostenuto qui avec ses grands accords-appels du piano introduisant la belle mélodie des deux cordes, offre une page d'une sereine poésie. Plusieurs textes encore dont cet « Abschied » (L'adieu) de Lasker-Schüller et des poèmes inspirés directement de Tristan et Isolde. Le finale allegretto du Chopin s'égrène tel un mini concerto de piano et sonne si bien qu'on s'interroge pourquoi le compositeur n'a pas persévéré dans la voix chambriste. Il ne devait pas terminer le concert. Celui-ci le sera par d'autres textes dont cet « Amant » de Brecht qui culmine sur ces mots « So scheint die Liebe » (ainsi l'amour brille-t-il). Certes ! Au long de cette belle heure et quart, on aura savouré la prestation immaculée des instrumentistes du Feininger Trio et la voix émue de Katharina Thalbach. Une originale expérience musico-littéraire, fort applaudie par le public, majoritairement germaniste on s'en doute.

 

 

Tristan un Isolde et son fabuleux orchestre

 

Richard WAGNER : Tristan und Isolde. Drame musical en trois actes. Livret du compositeur.  Eva-Maria Westbroek, Stuart Skelton, Sarah Connolly, Michael Nagy, Stephen Milling, Roman Sadnik, Thomas Ebenstein, Simon Stricker. Herren des Philharmonia Chors Wien. Berliner Philharmoniker, dir. Sir Simon Rattle. Mise en scène : Mariusz Trelinski. Festspielhaus Baden-Baden.

 


Acte I ©Monika Rittershaus

 

Pour son quatrième Festival de Pâques à Baden-Baden, Sir Simon avait donc programmé Tristan und Isolde. Une pièce qu'il affectionne pour l'avoir déjà dirigée à l'Opéra d'Amsterdam. On en a confié la régie cette fois au polonais Mariusz Trelinski. Bien que ce dernier impose dès le Prélude de l'acte I une projection sur le rideau de scène, c'est à l'orchestre que va d'emblée notre intérêt et qui captera notre attention tout au long de la soirée. Rarement aura-t-on entendu son aussi somptueux, phrasé aussi peaufiné, drame autant dessiné à travers les courbes de la musique même. Simon Rattle prend le début de ce prélude très lentement, imposant de longs silences, puis monte vite en puissance et pare son orchestre d'une rare incandescence. On comprend que les Berliner Philharmoniker seront au centre du propos, le personnage principal de cette épopée. Car Rattle fait un sort à chaque recoin de la partition. Ses instrumentistes géniaux enluminent plus d'une page mémorable, les clarinettes, les bassons, et bien sûr le cor anglais qui lors du fameux solo du III éme acte, transfigure cette mélopée emplie d'insondable tristesse. Les cuivres seront tout autant éloquents. Les contrastes sont soulignés, à l'aune des diverses facettes de ce drame intérieur. Le premier acte se déploie tel un immense crescendo, que les interventions soudaines et précipitées des matelots, rendent encore plus urgent. Si par endroit, la régie peut laisser froid, comme on va le voir, c'est l'orchestre qui parle alors à sa place et nous fait toucher du doigt la prégnance du drame qui se noue. Le deuxième acte est pris à une allure très soutenue au début et le répit ne viendra qu'avec la seconde partie du duo d'amour et durant le long monologue de Marke. Le troisième est entamé par un prélude dont les effluves sonnent profondément désespérées, le grave des contrebasses s'enroulant autour du chant des violoncelles, et cela a quelque chose d'envoûtant. Comme tout le travail d'orchestre. Rattle n'hésite pas à bouster le mouvement dans des pages clés comme l'attente d'Isolde au début de l'acte II, avec des cordes haletantes, ou son retour inespéré au III ème ; et à pousser la dynamique jusqu'à ses limites de force, ou au contraire à assagir l'orchestre dans d'impalpables pianissimos, créant des transitions d'une fulgurance inouïe. Il faudrait pouvoir analyser chaque passage, débusquer chaque inflexion, pour rendre justice à une telle interprétation.

 


 

La mise en scène de Mariusz Trelinski est ambitieuse. Là où un Dmitri Tcherniakov, comme dans son Parsifal à Berlin, unifie autant que possible la décoration, Trelinski en multiplie les éléments. Sa formation de cinéaste y est sans doute pour beaucoup. Il travaille avec le scénographe tchèque Boris Kudlicka. Pour créer des images explicitant le thème de l'amour entre Tristan et Isolde revisité à l'aune de ce que leur dramaturge qualifie d''anti-tragédie'' : un drame qui  ne parle pas de héros, mais d'hommes et de femmes ''normaux'', évoluant dans un univers d'aujourd'hui. La trame est ainsi conçue : sur un navire de guerre, le commandant de bord Tristan ramène Isolde en Cornouailles où elle doit épouser le Roi Marke. Le Ier acte se déroule dans les cabines et autres coursives du vaisseau dont on a perçu l'imposante stature s'inscrivant dans le cercle d'un zonar dès l'ouverture. Ce cercle qui figurera plus tard l'anneau d'amour puis de feu destructeur. La scène est divisée en plusieurs plans : au centre, la cabine d'Isolde, au dessus, le poste de pilotage, en bas le bureau fort spacieux de Tristan, où il recevra Isolde, à sa demande. Puisque c'est elle, ici, qui se rend chez lui et non l'inverse. On aura remarqué au passage combien ce chef de bord est soupçonneux et épie la dame. Ce séquencement qui passe par des allers et venues en coursives, capte l'œil alors que les visions se multiplient, les faits et gestes d'Isolde en particulier, filmés en direct, leurs images projetées sur les espaces restants. Ladite rencontre chez Tristan, qui ne sert à son hôte qu'un tabouret et se campe derrière son bureau, sûr de lui ou du moins afin de ne rien laisser transparaitre de ses émotions, ne délivre que peu d'émotion. Paradoxalement, la prise du philtre - dans un banal verre à Whisky - ne donne lieu à aucune emphase; la musique est là pour souligner l'importance de l'événement. En fait d'épée, Tristan brandit un pistolet qu'il demande à sa partenaire de lui braquer sur la tempe. Peu d'ébranlement après boire, car selon Trelinski la dimension ''humaine'', c'est à dire ''ordinaire'' doit l'emporter : les deux amants titubent et tombent dans les bras l'un de l'autre. On aura remarqué aussi combien l'environnement est noir. Le II ème acte produit pareille impression : le décor est la cabine de pilotage désertée de ses occupants, le navire étant désormais à quai. Le dialogue entre Isolde et Brangaene s'inscrit dans une vision de nuages tourmentés, puis le duo avec Tristan débute sur fond d'aurore boréale(« O sink Hernider »). Les appels de Brangaene le seront sur visions de nuages effarouchés, de paysages forestiers froids, voire de constellations cosmiques. Il nous faut ingérer beaucoup d'images. Ce qui ne va pas sans quelques baisses de tension. Par exemple, la survenance du roi Marke pour un flagrant délit médité par le vrai faux ami Melot entouré de ses sbires. Ce sont les seconds qui font tomber le boss. Marke, tout de blanc vêtu, ira jusqu'à dégrader son ''fidèle'' Tristan, lui arrachant l'épaulette droite, les autres achevant le travail en lui ôtant sauvagement tous ses attributs de chef. Il se blessera lui-même, repoussant le traitre Melot. Au III ème acte, Tristan git sur un lit médicalisé dans quelque cabine reculée du navire. Dans le coma, nous dit-on. Le délire du pauvre bougre est l'occasion d'évoquer des souvenirs heureux, son enfance, son accession dans la marine. Les « retrouvailles » - sur un fabuleux déferlement orchestral - démontre que l'essentiel n'est pas alors tant ce que l'on voit que ce qu'on entend. Les coups de théâtre finaux, toujours délicats à traduire en images, seront lisibles, certes, mais peu émus : Marke débouchant, un bouquet de fleurs blanches à la main, qu'il dépose sur le lit vide de Tristan - il sait donc que tout est déjà perdu - dont le corps a curieusement disparu. Kurwenal, blessé, sort du champ. Le lamento ultime d'Isolde est chanté aux côtés de Tristan, désormais assis, statufié dans ses habits de beau commandant galonné. On aura compris que la direction d'acteurs est ici tributaire de l'élément décoratif, pour ne pas dire qu'elle lui reste soumise. On est aux antipodes de la proximité dramaturgique tant palpable chez Tcheniakov, si on met en parallèle les deux Wagner présentés à Berlin et à Baden-Baden. La perspective d'une présentation du spectacle au Met de NewYork y est nul doute pour quelque chose. 

 


Les Berliner Philharmoniker au grand complet / DR

 

La distribution réunie forme une équipe sérieuse. Le Tristan de Stuart Skelton - une prise de rôle – offre une interprétation plus lyrique qu'héroïque, parée d'une élocution remarquable. N'était un physique ingrat, l'assomption du personnage est toujours intéressante et le personnage en ressort attachant. Moins mythique que souvent : un homme sur lequel pèse le poids des responsabilités, un peu désemparé, tel Siegfried, devant le mystère insondable de la femme. Celle-ci, Eva-Maria Westbroek, Isolde, en offre un portrait de stature : une voix à laquelle ne manque ni puissance ni passion, même si elle atteint ses limites dans les redoutables quintes aigües soutenues des stances du début du II ème acte. L'engagement, coutumier chez cette artiste, fait le reste. Les accès de véhémence au Ier acte – l'acte d'Isolde a-t-on dit – atteignent un une aura de grandeur sans pour autant, là aussi, viser la démesure ou la grandiloquence qui peuvent être associées à ce rôle ; ce que lui refuse la régie. Le duo d'amour restera un beau moment de bonheur vocal partagé. Sarah Connolly est une bouleversante Brangaene, la seule peut-être à assimiler avec autant de naturel la manière de Trelinski. On a plaisir à la voir aborder désormais ce répertoire – Fricka doit suivre cet été à Bayreuth. Il est certain que sa longue fréquentation des baroques, de Haendel en particulier, lui a appris la ductilité permettant d'apporter au chant wagnérien une fluidité et une transparence bienvenues. On aura que compliments à l'adresse de Michael Nagy en Kurwenal. Celui qui fut le Papageno de l'équipe de La Flûte enchantée de 2013 ici même, offre une voix de baryton grave idéalement placée, une diction impeccable et une émotion retenue mais profondément vraie. Stephen Milling prête à König Marke des accents sincères et une faconde vocale sûre. Si le long monologue du II ème acte n'atteint pas la dimension pathétique qui est la sienne, la faute en revient au metteur en scène qui ne le dirige pas assez intensément alors. Des autres protagonistes, on détachera le matelot de Thomas Ebenstein qui endosse également le rôle du berger. Ainsi se referme ce passionnant voyage côtoyant deux grands drames wagnériens magistralement traités, et quelques concerts non moins brillants. 

 

Jean-Pierre Robert.

 

      

 

***  

    L'ŒIL ÉCOUTE

Haut

 

La Juive à l'Opéra de Lyon

 

Jacques Fromental HALÉVY : La Juive. Opéra en cinq actes. Livret d'Eugène Scribe. Nikolai Schukoff, Rachel Harnisch, Sabrina Puértolas, Enea Scala, Roberto Scandiuzzi, Vincent Le Texier, Charles Rice, Paul-Henry Vila, Brian Bruce, Alain Sobienski, Dominique Beneforti, Charles Saillofest. Orchestre et Chœurs de l'Opéra de Lyon, dir. Daniel Rustioni. Mise en scène : Olivier Py. Opéra de Lyon.

 


Tableau de la Pâques juive ©Stofleth

 

Dans le cadre de son festival annuel « Pour l'humanité », l'Opéra de Lyon montait La Juive. Prototype du grand opéra à la française, l'œuvre de Jacques Fromental Halévy (1799-1862), en est un des joyaux, comme Les Huguenots de Meyerbeer. Il fut admiré par Richard Wagner qui en louait « le pathétique de la haute tragédie lyrique ». Son sujet est l'intolérance religieuse : un prince chrétien, Léopold, aime une jeune fille juive Rachel, naguère recueillie par l'orfèvre Eléazar, en réalité l'enfant qu'eut le cardinal Brogni avant d'embrasser les ordres, et ennemi juré de ce dernier. A la toute fin de l'opéra, Eléazar révèle à la face du prélat la vérité de l'existence de cette enfant, au moment où elle s'immole par amour et pour affirmer sa foi. Cette trame éminemment tragique croise des destins individuels et des grands effets spectaculaires, car les peuples des juifs et des chrétiens s'affrontent derrière ces solitudes. Celles de deux pères, préfigurant étrangement ce qui sera au cœur du Trouvère ou de Simon Boccanegra de Verdi. Le destin de Rachel c'est aussi, selon André Tubeuf, « la chasteté sacrificielle d'Elisabeth » du Tannhäuser du compositeur allemand. Cette œuvre dont Scribe a commis le livret, a été aussi taillée sur mesure pour des interprètes hors norme : le ténor Adolphe Nourrit, qui en écrira même un des airs célèbres (« Rachel, quand du Seigneur... »), et Cornélie Falcon, la première  Rachel, et qui donnera son nom à une tessiture particulière de soprano mâtiné de grave, le « soprano falcon ». Une intrigue quelque peu touffue conduira à une désaffection durable de l'œuvre peu après son succès fulgurant en 1834. C'est que la magnificence de la présentation masquait peut-être les vertus musicales de l'ouvrage.  La production de l'Opéra de Lyon a été confiée à Olivier Py.  Assurément l'homme de la situation car habile à manier ce discours mêlant grands déploiements de foules et destins singuliers. Comme il en fut de ses Huguenots à Bruxelles et à Strasbourg. Profondément attaché à l'aspect spirituel, Olivier Py se place dans une approche historique assez intemporelle, apte à tracer ce qui ressortit à « un racisme religieux » et non pas « génétique », précise-t-il. La question centrale est bien celle de l'intégration religieuse. Et cela Py le fait ressentir : l'opposition résolue entre Eléazar,le juif pénétré d'une foi militante, presque fanatique, et le cardinal Brogni, ici vêtu de blanc tel le Pape, pour affirmer encore cet absolu religieux qui le conduira jusqu'à prononcer la malédiction contre le peuple hébreu ; au milieu, Rachel, une femme déchirée entre sentiments paternels, amour pour un jeune homme qui s'avère être chrétien, affirmation de sa foi juive quelle refusera d'abjurer au seuil de la mort. Mais aussi Léopold, qui se fait passer pour juif sous le nom de Samuel pour conquérir Rachel, et trahit sa propre femme, la princesse Eudoxie, nourrissant pour lui un amour incandescent. Si par moment, en particulier lors des longs finales des actes I et III, la tension vient à se relâcher, c'est sans doute du coté de la musique qu'il faut le rechercher, et du moins dans la présente exécution orchestrale. Le dispositif scénique en entonnoir de Pierre-André Weitz propose une clé de lecture efficace : des éléments se déployant latéralement pour modifier les climats, un environnement livresque omniprésent (les saints livres de la loi), dont on détache tel ouvrage topique, et quelques degrés au premier plan étageant les personnages et leur assignant souvent un savant et significatif placement lors des duos (Rachel-Leopold, Rachel-Eudoxie) et des trios (Eléazar-Rachel-Leopold). Tout cela permet une fluidité certaine du débit dramatique. Et le camaïeux de noir et blanc sait laisser place à un trait de rouge carmin. Comme il en va de l'échange d'abord feutré puis musclé, entre les deux femmes se découvrant rivales. On admire l'art de recréer des tableaux évocateurs comme celui de la Pâques juive au début du l'acte II, le repas du Seder, d'une vérité étonnante et d'une grande beauté plastique, par les éclairages de Bertrand Killy. Là où comme le remarquait Wagner, en 1842, dans la Revue et Gazette musicale de Paris, « Halèvy a réussi à imprimer à sa partition le sceau de l'époque où l'action se passe ». On retrouve, certes, quelques tics chers au metteur en scène comme la dénonciation d'une intolérance primaire avec ces pancartes de manif syndicale affichant « Dehors les étrangers ». Py s'autorise même un effet que n'aurait pas renié Patrice Chéreau : un lâcher depuis les cintres d'espadrilles lestées de plomb, s'affalant sur le plateau, à la fin de l'air d'Eléazar. Saisissante image du destin errant du peuple de Moïse.

 


Leopold & Rachel ©Stofleth

 

La partition est difficultueuse au plan vocal, car les gabarits et caractéristiques des  chanteurs de la création n'existent plus. Et c'est bien là où le bât blesse : reprendre de telles œuvres conduit à des compromis. La distribution de l'Opéra de Lyon le fait sans trop de dommages. Le ténor Nikolai Schukoff, familier du Don José, mais aussi de parties wagnériennes telles qu'Erik ou Parsifal, offre dès l'abord une voix serrée et une manière plaquant les forte. La soirée s'avançant, la pression se libère et une diction impeccable lui permet plus que d'assurer un rôle écrasant tant sur le strict plan de l'émission que dans le domaine interprétatif. L'air « Rachel, quand du Seigneur » atteint une aura certaine. Il n'existe pratiquement pas aujourd'hui de chanteurs capables d'assumer le rôle et Neil Schicoff en reste le dernier grand tenant. Par contre, le jeune ténor italien Enea Scala triomphe à peu de choses près de la partie toute aussi délicate du secondo uomo, Léopold. C'est à une voix de ténor di grazia qu'est confié le rôle, mais aussi à une catégorie hybride car requérant une large puissance. Enea Scala se déjoue des crêtes suraiguës et possède une sûre réserve de puissance. L'articulation est impressionnante et l'engagement sans faute. Le Cardinal Brogni du vétéran Roberto Scandiuzzi, basse noble naguère de tous les grands Verdi, laisse apparaitre des signes de fatigue. Mais la stamina est encore là et la diction aussi. Chez les dames, Rachel Harnisch, qui a chanté sous la baguette de Claudio Abbado, campe une Rachel de fière allure, le timbre se mouvant sans encombre dans les territoires du soprano grave requis. Comme ses collègues, elle dispose d'une  diction impeccable. La romance « Il va venir » est un morceau de fine poésie, et l'interjection « Est-ce là ma rivale », lancée à l'endroit d'Eudoxie, sonne juste. De cette dernière, Sabina Puértolas se tire d'affaire avec brio : un rôle de soprano aigu, particulièrement exposé, comme il en va dans bien d'autres pièces du grand opéra français. Mais on eût aimé entendre ici Annick Massis, la spécialiste de ce type de rôle. Les autres sont bien tenus, dont le Ruggiero de Vincent Le Texier. Les chœurs aussi, fort sollicités. Sur la direction Daniele Rustioni, on est plus partagé : de superbes moments, les élégiaques surtout, et un art de bien souligner l'écriture des vents, une rythmique variée, n'empêchent pas une impression générale de sécheresse, à l'aune d'accords assénés sans résonance, secs comme rarement entendus, et fugitivement un sentiment de longueur. Les vastes ensembles concertants des finales des actes, le Ier et le IV ème en particulier, sonnent un peu crus, ne rendant pas à cette partition ses couleurs éclatantes, « l'intensité de la pensée, l'énergie concentrée » et le fait que son auteur « a évité tout effet trop heurté et qui pût choquer » (Richard Wagner, ibid.).  

 

Jean-Pierre Robert.  

 

Bruckner selon Sir Simon Rattle et le LSO

 


Le London Symphony Orchestra  / DR

 

Pour son premier concert à Paris avec le LSO, son futur orchestre, Sir Simon Rattle donnait la Huitième Symphonie de Bruckner. Avec en lever de rideau Couleurs de la Cité céleste de Messiaen. Cette pièce, créée en 1964 par Pierre Boulez à Donaueschingen, requiert un effectif singulier puisque, outre un piano soliste, il ne comprend que des vents, bois (trois clarinettes) et cuivres (deux cors, quatre trompettes et quatre trombones), xylophone, xylorimba, marinba, cloche tubes,  cencerros, et un brelan de percussions. Composée en 1963, elle se réfère à l'Apocalypse, à travers cinq citations : l'arc en ciel, les sept anges, l'étoile, l'éclat de la ville, les pierres précieuses. Messiaen de préciser « entre l'arc en ciel,... et les pierres précieuses, c'est une œuvre sons-couleurs, symboles de Dieu qui habite le Cité céleste » (in « Une poétique du merveilleux », entretiens avec Brigitte Massin). L'expression de la couleur est au centre de la pièce par des associations de timbres originales (cuivres et percussions, bois et xylophones par exemple). Ces courtes séquences sont autant les signes d'une glorification du Créateur et de la création, dont les oiseaux bien sûr sont des personnages essentiels, qui dit-il encore, « me sont indispensables ». L'exécution des musiciens londoniens est d'une acuité prodigieuse, Simon Rattle s'attachant à faire ressortir ce côté claquant des accords ou groupes de notes. Au point que certains paraissent transpercer l'atmosphère, presque agressifs, phénomène dû sans doute aussi à une acoustique très réverbérante qui renforce la stridence des xylophones notamment. La Huitième Symphonie est la plus gigantesque d'Anton Bruckner. Composée entre 1884 et 1887, elle sera révisée plusieurs fois car l'auteur, surpris par le refus de la diriger opposé par Hermann Levi, fut amené à en rependre plusieurs passages. Elle connaitra plusieurs éditions. Simon Rattle joue celle de Robert Hass, de 1939. On a dans l'oreille des interprétations mythiques de Jochum, de von Karajan, de Böhm, et plus près de nous de Haitink ou de Jansons. La vision de Rattle en diffère sur plusieurs points. Un souci de clarté, d'allégement pourrait-on dire, de la masse sonore, de cette pâte souvent en fusion, mais aussi de mise en exergue du lyrisme qui parcourt la symphonie, dans un ton presque chambriste par endroits. Une volonté de réduire les silences, ce qui créé une impression de masses ''flottantes'' plus que de blocs agissant les uns par rapport aux autres ou les uns contre les autres telles des plaques tectoniques. D'où l'impression que la superposition des thèmes tant pratiquée par le compositeur devient une évidence. On a le sentiment que le chef cherche à démythifier une partition dont on a souvent souligné, à tort, la grandiloquence et les redondances, alors que les méandres de la pensée sont autant d'efforts concourant à un dessein cohérent. Le caractère sombre de l'œuvre ressort d'emblée dès le premier mouvement, tragique. La rythmique implacable est presque aisée car Rattle, justement, agit non sur le tempo mais sur la dynamique ; et les écarts peuvent être faramineux, notamment pour des pianissimos impalpables. Dès ce premier morceau, la plasticité de l'orchestre crie son évidence à travers ses cordes, dont le chef place les 8 contrebasses sur une ligne au milieu et à l'arrière, pour en obtenir un étonnant effet d'enveloppement. Le scherzo, là encore, marque la différence avec bien des exécutions pesantes ; rien de tel ici : le premier thème, le fameux «  Deutscher Michel », cette figure populaire martelant le sol de ses sabots,  n'est pas tant prononcé que cela dans la masse orchestrale du moins, seules les timbales se voyant assigner le marquage exigé, de formidable façon. L'effet de cadence obstinée est asservi à une belle flexibilité. Le trio folâtre, empli des rêves, et le phénomène cité de superposition des thèmes, de glissement de l'un à l'autre, est ici pur bonheur. Durant l'immense adagio, on admire l'art de la transition, des contrastes entre les divers degrés dans l'extatique et le recueilli. L'orchestre resplendit, les cordes graves en particulier, lames de fond des altos et des violoncelles, sans parler des harpes ; trois exemplaires, ce qui est inédit chez Bruckner! Au finale, le thème d'entrée martial très cuivré s'élance fièrement et rapide, héroïque certes, pas prussien en tout cas. Les diverses séquences s'articulent selon cette manière glissante qui donne au discours sa vraie continuité et non un sentiment de morcellement. Cela évoque une tapisserie : mille détails sans perdre l'ensemble. Les grands climax clouent au fauteuil comme la coda, chef d'œuvre de contrepoint que le chef habite avec une dextérité magistrale et son orchestre d'une virtuosité inouïe. On reste sans voix devant pareille exécution qui augure le meilleur de la tenure du chef à la tête de  son orchestre anglais. Triomphe public, cela va sans dire.    

 

Jean-Pierre Robert.

 

 

Rigoletto ou la boîte de Pandore à l'Opéra Bastille

 

Giuseppe VERDI : Rigoletto. Opéra en trois actes. Livret de Francesco Maria Piave,  d'après Le Roi s'amuse de Victor Hugo. Michael Fabiano, Quinn Kelsey, Olga Peretyatko, Rafal Siwek, Vesselina Kasarova, Isabelle Druet, Mickail Kolelishvili, Michael Partyka, Christophe Berry, Tiago Matos, Andreas Soare, Adriana Gonzalez, Florent Mbia. Pascal Lifschutz. Orchestre et Chœurs de l'Opéra national de Paris, dir. Nicola Luisotti. Mise en scène : Claus Guth. Opéra Bastille.

 


Olga Peretyatko & Quinn Kelsey ©Monika Rittershaus/OnP

 

L'Opéra de Paris achève la présentation de la « Trilogie » verdienne par Rigoletto, en fait son premier volet (1851), avant Il Trovatore et La Traviata (1853), également affichés cette saison. En confiant la mise sen scène à l'allemand Claus Guth, on  s'assurait d'une relecture radicale de l'opéra le plus populaire de Verdi. Partant des deux clés que sont la malédiction - titre pensé à l'origine pour la pièce, avant que la censure vénitienne ne conduise Verdi à adopter le nom du principal protagoniste - et la relation père-fille, une des plus puissantes de la dramaturgie verdienne, Guth conçoit non pas une transposition, mais un schéma réimaginé : foin de maffia new yorkaise (Jonhatan Miller, à l'ENO) ou du monde du cirque (Robert Carsen, à Aix-en-Provence) : un Rigoletto vieillissant revit sa propre histoire. Un double du personnage titre, apparaissant dès le court prélude, déballe d'un vieux carton son habit de bouffon et la robe ensanglantée de sa fille Gilda. Cette boîte de pandore devient essentielle au point de constituer l'unique accessoire présent sur le plateau et de s'élargir à l'échelle de celui-ci pour fournir le cadre décoratif de l'action. Autant dire une visualisation des plus sobres, sorte de no man's land ravalant au rang d'anecdote tout environnement historique. Dans cet espace informel s'inscrivent les diverses scènes du Ier acte, partagées entre la cour du duc de Mantoue et les dialogues plus intimes entre les deux membres de cette famille de marginaux que sont Rigoletto et Gilda. Les scènes intermédiaires telle que la rencontre de Rigoletto et de Sparafucile, livreront une vision encore plus épurée : ici, un face à face acéré, du premier et de son clone ; belle idée puisque Rigoletto lui-même lâche « nous faisons la paire ». Le II ème acte élargit un peu le champ visuel à un vaste escalier pour montrer le sarcastique ballet des courtisans. Et le dernier le modifie pour laisser place à une pseudo scène de théâtre, celle des fantasmes érotiques du Duc ; en l'occurrence un défilé de dames de blanc emplumées, tout droit sorties d'un Crazy Horse. L'ultime tableau est au-delà de l'idée même de sacrifice. C'est que, pour Guth, le drame est exclusivement intérieur et n'a rien à faire avec une situation dans un lieu précis. Car cette idée de malédiction c'est en lui que Rigoletto la porte. Dès lors, la dimension de la relation père-fille prime sur la bluette du duc de Mantoue. Le marginal Triboulet de Hugo cède la place à une figure paternelle attachante dans sa volonté extrême de préserver sa fille. « Je ne suis pas ce que je suis », semble crier l'amuseur dont les bouffonneries ne font plus rire personne, ou rire jaune. A ses côtés le duc de Mantoue en devient plus insignifiant, perdant une aura de fin gosier forgée à travers les âges par les fans d'opéra. Un personnage dont Verdi remarquait qu'« il n'a rien à dire »! Un jeune inconstant, un vrai faux Don Juan. Gilda est autre chose qu'une figure innocente : une jeune fille aspirant à mener sa vie, interrogative de son statut vis à vis d'un père silencieux sur son passé, vraie amoureuse d'un homme qui la séduit par caprice plus que par passion. Dans cet univers peu amène, qui en tout cas ne veut surtout pas distraire par une parure brillante, le jeu d'acteurs est resserré, réinstallant les trois personnages dans leur quintessence et confinant ceux qui les entourent à des faire valoir pas toujours avantageux. Ainsi de Monterone, artisan de cette malédiction assénée à la figure de Rigoletto, en fait seulement accessoire de cette vengeance que le bouffon va lui-même mettre en marche ; des courtisans plus veules les uns que les autres. Le chœur d'hommes tous vêtus de noir tient exactement sa place de personnage à part entière. La scène de l'enlèvement, dans une rue imaginaire, est bien troussée, façon ballet mécanique. On passera alors sur quelques traits a priori provocateurs, comme les  dames du Crazy Horse se trémoussant de dos ou dansant en mesure, sous l'œil de la maitresse de revue Maddalena, smoking noir à paillettes, haut de forme assorti, censées représenter le monde dépravé dans lequel évolue le Duc. Reste que celui-ci en fait les frais, car leur manège réduit à néant son air illustrissime « La donna è mobile » comme il gâte le quatuor qui suit, un des plus beaux morceaux de la partition. Dommage. On croyait Pourtant Guth fin musicien.  

 


Olga Peretyatko ©Monika Rittershaus/OnP

 

Satisfaisant, le volet musical soulève quelques interrogations. A commencer par la prestation de Michael Fabiano, le Duc. Pour avoir entendu le ténor américain dans Poliuto de Donizetti à Glyndebourne et relevé une manière claironnante, on se posait la question d'un timbre peu séduisant, passant en force dans la quinte aiguë. Cela se confirme ici et la suavité d'un rôle pourtant gratifiant n'est pas toujours au rendez-vous, dans l'air qui ouvre l'acte II par exemple ; même si celui de « La plume vent » vient mieux. Où est la stamina italienne ? Certes, n'est pas Pavarotti qui veut, mais un peu plus de douceur eût été bienvenue. Le Rigoletto de Quinn Kelsey, une jeune natif d'Hawaï, déjà bardé de prix, est bien chanté et l'abattage enviable. Le personnage émeut, sans pathos : un homme en marge qui s'évade du carcan du bouffon de premier degré pour investir quasi complètement celui de père exclusif, castrateur presque, causant sa propre perte en même temps que celui de son enfant. Le timbre ''lisse'' manque de ce grain italien (Cappuccilli, Nucci) ou américain (Milnes, Hampson) qui fait la vraie différence, où la couleur est essentielle, celle du baryton Verdi. La Gilda d'Olga Peretyatko frôle l'idéal par le naturel, émouvante à force de simplicité, fleur d'innocence. Belle ascension d'une artiste qu'on a vu débuter en terres mozartiennes dans Lucio Silla, lors de la Mozartwoche de 2013, puis aborder Rossini, Fiorilla du Turc en Italie à Aix, l'année suivante. Le timbre de soprano spinto confère à son interprétation bien autre chose que la coquetterie des sopranos légers, et un poids dramatique pour ne pas dire tragique impressionnant. On n'oubliera pas de sitôt comme, lors du duo avec le père, elle refuse d'en assumer les idées vengeresses ; ou un « Caro nome » délivré avec élégance, bercé par un trait de mise en scène original : les ''toutes jeunes Gilda'' se blottissant, comme elle, contre le double de Rigoletto. Des autres rôles, la Maddalena de Vesselina Kasarova est irréprochable, casting de luxe, et le Sparafucile de Rafal Siwek bien sonore, justement menaçant, là encore sans emphase. Les autres le sont plus banalement. Mais les Chœurs maison qui se plient aux exigences de la régie, donnent une belle leçon.  Nicola Luisotti assure plus qu'il ne baigne la partition de Verdi d'une gloire inspirée. Les choses s'amendent en seconde partie et on savoure un beau prélude du II ème acte et un troisième de belle envergure. Familier de ce répertoire, le chef  ménage une pulsation souvent haletante, sans être tranchée, au prix d'accélérations intéressantes. Ainsi lors de l'air « Cortegiani, vil razza dannata », empli d'un feu dévorant aussi bien fosse que plateau. L'Orchestre de l'Opéra national de Paris brille de tous ses feux et dispense une vraie italianitá.

 

 

Jean-Pierre Robert.

 

 

Le Tonhalle de Zürich et Lionel Bringuier : du très beau travail

 


Ultime répétition avant le concert à la Philharmonie de Paris

©Tonhalle Zürich

 

Unique étape française d'une tournée qui le menait en Autriche et en Allemagne, de Wien à Frankfurt, l'Orchestre du Tonhalle de Zürich s'arrêtait à la Philharmonie de Paris pour un bien beau concert. Un programme alléchant : le Concerto pour piano de Grieg et la Huitième Symphonie de Dvořák. Edvard Grieg a écrit son concerto op. 16 en 1868, qui sera créé l'année suivante à Copenhague. C'est une de ses œuvres phares, au même titre que Peer Gynt, peut-être plus encore. Car voilà un des grands concertos romantiques, à la manière de Liszt ou encore de Schumann, auquel on l'associe volontiers au disque, en un couplage sans doute plus antagonique que complémentaire. Car la patte de Grieg est bien différente, mêlant lyrisme et fougue de façon très personnelle. Jean-Yves Thibaudet dont on salue la venue, si rare chez nous  - mais nul n'est prophète...-  le joue grand virtuose. Après le fameux arpège qui entame la partie soliste, la manière va vite s'avérer grandiose, lorgnant presque du côté de Rachmaninov en brillance du trait : accords plaqués secs et hyper rapides, forte hauts en couleurs. Heureusement, le répit qu'autorise le thème lyrique introduit par les violoncelles, apporte une grâce rafraichissante qui marque le talent de ce pianiste à la large palette. On se délecte du dialogue avec la petite harmonie et d'une cadence contrastée, rêveuse et conflictuelle comme une inspiration lisztienne. L'adagio est profondément élégiaque dépassant le pur aspect nocturne, car le piano de Thibaudet est cristallin et serein. Quant au finale, il sera on ne peut plus virtuose dans ses accords précipités vigoureux. La pulsation est celle, là encore, d'un Liszt plus que d'un Schumann, exacerbée par Thibaudet, dans l'écrin parfaitement en situation peaufiné par Lionel Bringuier et ses merveilleux musiciens. En bis, il donne la Consolation de Liszt, pour le plus grand plaisir de l'auditoire : une exécution frappée au coin du raffinement et d'une belle pensée. Moins honorée que la Symphonie « Du nouveau monde », la Huitième Symphonie op. 88 (1889) est à notre avis son égale tant son inspiration slave la distingue plus que toute autre. Et tant pis si on a ergoté sur son léger passéisme, à la suite de Bruno Walter qui  y voyait une œuvre de «  l'ancien monde », ou de musicologues affutés tels que le français Julien Tiersot qui la comparant à la Symphonie de Franck, la jugeait comme faisant «  songer à des musiques qui n'étaient déjà plus très jeunes en son temps », même s'il la reconnaît « franche, claire, d'allure bien allante ». Anton Dvořák dont on connait l'amour de la nature, l'a pourvue d'inspirations vraies, puisées dans sa chère Bohème, au fil d'un discours extrêmement travaillé, d'une riche diversité thématique, qui peut donner l'impression de morcellement, si mal exécutée. La vision de Lionel Bringuier est solide et cohérente. Le con brio initial s'approprie ce ton slave avec d'abord retenue, mais qui prend vite son essor par la différentiation des tempos et de la dynamique, passant du pianissimo délicat au forte resplendissant. L'adagio est allant, sans emphase, son début extrêmement mélodieux ; puis des différences de climats se font jour au fil de la diversité des épisodes, alternant moments contemplatifs presque mahlériens et fortissimos solennels, d'une ferme éloquence. Le travail orchestral est magistral et les musiciens répondent au quart de tour. L'allegro grazioso, pseudo scherzo, sonne clair, de son rythme de valse légèrement mélancolique. Ouvert par ses glorieuses fanfares, le finale va progresser au milieu d'une alternance d'épisodes lyriques frôlant le murmure et plus impétueux grâce à des accélérations fulgurantes. Le mouvement se fait de plus en plus rapide jusqu'à la grandiose péroraison. On aura admiré, entre autres, les pupitres de flûte et de clarinette, des cuivres bien sonnants et l'homogénéité des cordes, qui hissent cet orchestre au rang de grandes formations européennes. Maintenant entre de bonnes mains sous la houlette du jeune chef niçois dont le naturel, la battue simple et efficace sont un plaisir à voir. En bis, ils donneront, dans l'exacte coulée de la symphonie, deux Danses slaves du même Dvořák, l'une lyrique, musardant, l'autre martiale, au rythme presque boulé.

 

Jean-Pierre Robert.

 

La force intérieure de Mitsuko Uchida

 


DR

 

Le programme du récital de la pianiste Mitsuko Uchida au Théâtre des Champs  -Elysées était ambitieux mais d'une parfaite  cohérence : Berg, Schubert, Mozart, Schumann. Un univers viennois semble-t-il. Cette Vienne dont elle aime la richesse. La Sonate op. 1 d'Alban Berg (1907-1908) ouvrait la soirée. Enfin une démarche osée et assumée : Le public suit sans barguigner. D'un seul tenant, sa brièveté (une dizaine de minutes) n'empêche pas une composition d'un foisonnement étonnant : un thème principal revenant en boucle dans ses diverses transformations, des transitions subtiles, un art du développement d'une extrême rigueur dans un strict respect de la forme sonate. Dire que Mitsuko Uchida maitrise à la perfection ce langage qu'on croit ésotérique - mais pas tant qu'il en paraît, au point qu'on a pu dire que la sonate constituait «  la meilleurs introduction à la musique de Berg « (Theodor W. Adorno) -, est un euphémisme : l'exécution montre une empathie réelle. Les Quatre Impromptus D 899 de Schubert nous mènent bien sûr dans un monde différent, a priori plus avenant. De ces ultimes pièces livrées au piano par le musicien, Uchida donne une vision très personnelle : une dynamique extrême (Impromptu N°1 et ses fébriles traits, si vocaux ), une vitesse ébouriffante (N° 2 muni d'un rythme de mouvement perpétuel). Le monde du rêve qui caractérise la troisième pièce est traduit avec la plus délicate palette. La dernière, qu'elle enchaine, montre une virevoltante fluidité. Une lecture sans doute différente du classicisme d'un Alfred Brendel, pas moins intéressante par sa sincérité, sa simplicité et sa souveraine maitrise. Mitsuko Uchida débute la seconde partie du concert par le Rondo K. 511 de Mozart. Aussi sombre que le Quintette à cordes K.516 contemporain, cette pièce révèle une « confidence angoissée « J. & B. Massin). La date de sa composition révèle qu'en ce début de l'année 1787, Mozart traverse sur le plan personnel une période difficile ; ce qui se traduit, malgré la simplicité du chant du refrain, par une tonalité désolée, à l'image de cette note de La égrenée à la main gauche, si terriblement triste. L'exécution de la pianiste japonaise le montre d'évidence. Quelle introduction à la Sonate N° 1 de Schumann! Cet op. 11 est un monument et en même temps une œuvre intimiste ; là aussi largement dû à son contexte biographique : elle est écrite pour Clara qui la créera en 1837 peu après que les deux musiciens se soient fiancés en secret pour échapper aux foudres paternelles de Monsieur Wieck. La passion embrase la sonate, la démesure aussi, tels le premier mouvement Vivace impétueux et le finale, marqué ''un poco maestoso'', en réalité un torrent de lave requérant une fermeté de jeu inouïe. L'Aria, pourtant marquée ''senza passione ma espressivo'', coule selon Franz Liszt, un « chant d'une grande passion ». Uchida en livre la beauté spectrale. Du scherzo allegrissimo, comme des mouvements extrêmes, elle donnera une exécution de haute voltige, emportée dans les passages tourmentés que contrastent des passages intensément lyriques. L'exécution force l'admiration et on est confondu devant une telle énergie et un sens des proportions irréprochable. Après le tumulte des dernières mesures, alors qu'on peut la croire exténuée, elle donne en bis une pièce de Mozart d'une intimité et d'une douceur merveilleuses, et une pièce de Berg que son extrême laconisme (elle ne dépasse pas les deux minutes), en fait un clin d'œil plus aimant que malicieux en direction du public.

 

Jean-Pierre Robert.

 

 

Les Ebène au sommet

 


Le Quatuor Ebène & Gautier Capuçon / DR

 

Évènement au Théâtre des Champs-Elysées : le Quatuor Ebène avait invité le celliste Gautier Capuçon pour jouer le Quintette à deux violoncelles de Schubert. Ils donnaient en entrée de jeu des pièces de Haydn et de Debussy. Le quatuor op. 20 N°2 Hob. III.32 de Joseph Haydn appartient à une série de six publiés à Paris en 1764. Ce deuxième en ut majeur, les Ebène l'exécutent avec une rare finesse. On remarque en particulier le rôle dévolu au violoncelle qui ouvre le moderato initial, pare l'adagio d'un superbe chant lyrique et s'associe au second violon et à l'alto pour débuter, au menuet, une riche conversation, soudain libérée par rapport au mouvement précédent. L'allegro conclusif, en forme de fugue à quatre sujets, virevolte comme immatériel dans l'approche épurée et favorisant le panissimo des archets des Ebène, jusqu'à la jolie explosion finale. On aura remarqué l'extrême ténuité de la manière, comme une confidence. Cette ténuité caractérise leur interprétation du Quatuor à cordes en sol mineur op. 10 de Debussy. Paré d'un raffinement et d'un souci d'allègement qui va bien plus loin que leur disque, lançant il y a quelques années leur formidable ascension (EMI, désormais Warner classics). Ce quatuor (1893) emblématique, comme celui de Ravel, de la grande école du quatuor français du tournant du siècle, on le sait dense, lumineux, coloré, à l'aune de cette recherche de timbres que poursuivait son auteur, impressionné par les peintres de l'époque. Par le mouvement symboliste aussi, dont il admirait les initiateurs tel Mallarmé et sa volonté de suggérer l'indicible. De ce quatuor, on se ne lasse pas de découvrir les riches harmonies, les combinaisons instrumentales osées, la rythmique curieuse, la gravité du propos comme dans l'andantino ''doucement expressif '' ». Les Ebène poussent très loin le souci d'interprétation, jusqu'à l'extrême parfois : ce mouvement lent, par exemple, ralenti au maximum ; ce que l'on retrouve dans le début ''très modéré'' du dernier mouvement. La dynamique est resserrée dans le registre médian et les forte sont comptés. L'exécution est techniquement irréprochable. Au second mouvement ''assez vif et bien rythmé'', on remarque la belle sonorité du nouvel altiste Adrien Boisseau. Les accents emportés du développement du quatrième '' très mouvementé et avec passion '' sont là, enfin bien sonores. Que questionner : la sincérité finalement conquise ou la spontanéité par trop sollicitée ?  En tout cas ils ont le mérite de faire réfléchir. Leur vision du Quintette à cordes à deux violoncelles de Schubert est immaculée. L'adjonction de Gautier Capuçon apporte un surcroit d'adrénaline et c'est peu de dire que la greffe prend. Cette immense partition, contemporaine de la Symphonie en Ut, dite « La Grande » et qui appartient à la dernière manière du compositeur, a une allure quasi symphonique, ce qu'autorise la présence d'un second violoncelle ; à la différence de Mozart qui dans ses compositions pour quintette à cordes ajoute un deuxième alto. Cette combinaison instrumentale rappelle celle utilisée par Boccherini, mais aussi et peut-être surtout celle que privilégie Georges Onslow dans ses quintettes. Le rôle du deuxième cello est déterminant, qui joue tantôt à l'unisson du premier, tantôt de manière indépendante, en contrepoint de celui-ci. La perfection instrumentale des cinq protagonistes comme leur complet investissement de la pensée schubertienne sont enthousiasmants. Et les « divines longueurs » s'estompent, lors des reprises des thèmes de l'allegro initial par exemple. L'adagio, une des pages sublimes de la musique de chambre, tutoie ici les cimes : en un tempo retenu, combien habité, ou lors des climats du second thème d'une folle alacrité. Le scherzo est svelte et son trio dévide des vagues qui vont en s'amenuisant, comme s'éteignant. Du grand art ! Au finale, on se régale de crescendos magistralement montés. On aura remarqué au passage la beauté du cello de Gautier Capuçon, la finesse du premier violon de Pierre Colombet et la sonorité chaude du second, Gabriel Le Magadure, et de l'altiste. Une exécution peut-être un brin cérébrale. Une vision volontairement non ''romantique''. Ce n'est plus dans l'air du temps chez les musiciens de la jeune génération. Mais l'émotion nait-elle nécessairement d'une exécution expansive, voire charnelle ? Elle peut aussi bien légitimement trouver sa source dans autre chose : la pureté apollinienne d'un discours épuré. 

 


Ce concert marquait la parution du CD du Quintette chez Warner, enregistré en studio, en octobre 2015. On y retrouve les mêmes caractéristiques. « L'improbable symétrie » fait son office « sous l'œil de l'altiste-juge de touche », relèvent les Ebène!  Le développement thématique du 1er mouvement reste passionnant par un tempo allant et cela chante sans affectation, en toute simplicité au fil des diverses métamorphoses du thème principal. L'adagio est peut-être un brin plus allant que lors du concert : tempo et dynamique. Le pianissimo de la fin du thème avec ses légers pizzicatos du 1er violon est d'une ténuité remarquable. La soudaineté du passage intermezzo qui en fait « une errance épouvantée » (Brigitte François-Sappey), est d'une folle alacrité, ponctuée de ces deux notes des cellos dont Verdi se souviendra dans quelque air de son Don Carlo. La transition est d'une sérénité presque effrayante ouvrant sur la péroraison tressée par le violon I, d'une extraordinaire expressivité. Le scherzo est décidé, affolé, d'une belle fébrilité, la deuxième partie du thème bien sentie opposant les deux blocs des cordes aiguës et des cordes graves sous l'arbitrage de l'alto. Le trio contraste comme une vallée de larmes et les deux cellos y sont pour beaucoup. L'allegretto final déroule sa riche thématique, les crescendos  magistralement conduits avec une touche forte supplémentaire sur la fin de la phrase. Les accélérations comme les courtes décélérations ou les transitions sont aussi frappantes qu'au concert. Le CD est complété fort habilement par cinq Lieder arrangés par Raphaël Merlin, celliste des Ebène, pour accompagnement de quatuor à cordes et contrebasse (Laurène Durantel). Fière idée qui rappelle opportunément combien le chant irrigue toute la production de Schubert et même son quintette à cordes! On sait que lors des Schubertiades, cette forme joyeuse de Hausmusik, on aimait chanter pas seulement sur l'accompagnement du piano. Il est dès lors logique de penser ces pièces pour un environnement instrumental plus large. On a choisi trois Lieder de 1877 : « Der Tod und das Mädchen » (La jeune fille et la mort), d'un ton sombre à désespérer, « Der Jüngling und der Tod » (le jeune homme et la mort) ou la mort libératrice, et «  Atys », sur un poème de Mayhofer. Puis « Die Götter Griechenlands » (Les Dieux de la Grèce), de 1879, sur un texte de Schiller, et enfin, belle conclusion, « Der liebliche Stern » (L'étoile adoré) et son délicat balancement. L'empathie du baryton Matthias Goerne pour ces Lieder de Schubert est bien connue : « L'homme qui chante comme on marche sur l'eau », soulignent les Ebène ! Belle image et fin compliment pour une interprétation très pensée. Un fort beau disque.

 

Jean-Pierre Robert.

 

 

Interprétation spectaculaire des Gurre-Lieder de Schoenberg

 

Arnold SCHÖNBERG : Gurre-Lieder. Texte de Robert Franz Arnold d'après Jens Peter Jacobsen. Andreas Schager, Irène Theorin, Sarah Connolly, Jochen Schmeckenbecher, Andreas Conrad. Franz Mazura. Chœurs de l'Opéra national de Paris et Chœurs Philharmoniques de Prague. Orchestre de l'Opéra national de Paris, dir. Philippe Jordan.

 


Philippe Jordan ©Jean-François Leclercq/OnP

 

En miroir à son Moïse et Aaron en début de saison, Philippe Jordan programmait les Gurre-Lieder d'Arnold Schönberg. Avec son orchestre de l'Opéra national de Paris, et à la Philharmonie de Paris pour l'occasion. Les Gurre-Lieder, leur auteur s'y attèle dès 1900, peu après La Nuit transfigurée, sans savoir alors exactement le sort que connaitra le projet, et y travaille une dizaine d'années. La partition sera prête en 1911 et l'œuvre créée deux ans après à Vienne sous la direction de son collègue Franz Schreker. Un monument hybride, atypique : enchainement de Lieder avec orchestre entrecoupés de chœurs, cantate, oratorio, proche à certains égards de la légende dramatique comme la conçoit Berlioz pour sa Damnation de Faust ? Tout cela à la fois sans doute. Et une orchestration inouïe requérant un orchestre pléthorique : des bois en nombre incroyable (quatre flûtes, quatre petites flûtes, sept clarinettes, cinq bassons), des cuivres par 7 (trompettes, trombones, sans compter un brelan de tubas), des percussions en masse. Et bien sûr des cordes innombrables, dont 12 contrebasses! Autant dire un format symphonique rarement atteint, pour jeter les derniers feux du romantisme allemand (Première et Deuxième parties) et se projeter dans l'avenir, la dernière partie de l'ouvrage annonçant Mahler et ce qui va suivre dans la propre production de Schönberg. Et aussi sept solistes, un chœur d'hommes et un chœur mixte. Cette fresque post romantique, qui semble lui rester fidèle, prend déjà ses distances par rapport au système tonal, et la sophistication de l'écriture jette des ponts vers l'avenir. L'auteur de dire «  les Gurre-Lieder sont la clé de tout mon développement. Ils expliquent pourquoi tout ce que j'ai écrit après devait être écrit ».

 

Philippe Jordan aborde ce maelström avec humilité : souci de clarté, d'évitement de l'écrasement d'une masse par une autre, des solistes en particulier vis à vis de l'orchestre lors des climax fortissimos, ce qui n'est pas toujours  acquis ; volonté de rendre transparent autant que faire se peut un appareil orchestral pour le moins chargé ; art de détailler les trouvailles instrumentales tel le prélude orchestral au monologue du récitant (III ème Partie) avec ses stridences, vraie signature d'un surréalisme en musique. Recherche aussi de continuité dans ce qui a priori peut confiner à une succession de pièces autonomes, voire disparates, pour décrire l'histoire des amours contrariés du roi Waldemar du Danemark et de la belle Tove, au château de Gurre. Ou le thème de l'amour impossible hérité de Tristan und Isolde ; mais aussi celui de l'errance, en droite ligne du Vaisseau Fantôme, car le roi sera contraint à la solitude éternelle pour avoir blasphémé contre les dieux. La maitrise de Jordan est impressionnante et la palette orchestrale grandiose grâce à la sûreté du traitement instrumental : on mesure l'empathie entre orchestre et chef, et la qualité du travail accompli ensemble, déjà remarqué dans les productions opératiques précédentes, Moses und Aron ou Die Meistersinger von Nürnberg plus récemment. C'est à ce type d'événement symphonique qu'on mesure la somme d'efforts nécessaires pour parvenir à un tel niveau et l'étiage atteint désormais par une phalange qui passe déjà pour une des meilleures. Les chœurs de l'ONP enrichis de ceux de Prague font du tout aussi bon travail, du moins pour ce qu'on peut en juger car d'où on était placé, au parterre, on ne les percevait qu'à travers une bouillie sonore ; encore un défaut de l'acoustique de cette prestigieuse salle. Côté solistes, on avait aligné un ensemble digne d'une pochette de disque. Le ténor Andreas Schager, merveilleux et si émouvant Parsifal de Barenboim à Berlin, se déjoue des pièges du rôle écrasant de Waldemar : quintes aiguës harassantes délivrées avec vaillance, nuances, engagement qui fait plaisir à voir. Décidément cet artiste est à suivre et on apprend avec joie son casting en 2017 dans le Parsifal de Bayreuth et la reprise de celui de Berlin. En attendant quelque rôle à l'Opéra de Paris ? A ses côtés, Irène Theorin est une somptueuse Tove, nantie d'aigus fulgurants parant la partie de Tove, digne de la Brünnhilde wagnérienne, le baryton-basse Jochen Schmeckenbecher un Bauer de poids, comme Andreas Conrad un Klaus-Narr aux accents sifflants, empruntés au Mime du Ring. La partie du récitant était confiée à Franz Mazura, un vétéran certes, pas un inconnu à l'Opéra de Paris : n'était-il pas le Dr. Schön lors de la création à Garnier de la version en trois actes de Lulu sous la direction de Boulez en 1979 ! Un des moments forts de la soirée restera le Lied « Stimme der Waldtaube » (La voix d'un ramier) qui en quelque sorte commente l'action à la fin de la Première partie : Sarah Connolly a saisi l'auditoire par un chant d'une beauté poignante, conférant une force intérieure peu commune à ce monologue qui culmine sur cette phrase « j'ai volé loin, loin vers le deuil et la mort! », couronnée d'un aigu prodigieux de la voix de mezzo-soprano. Là encore une superbe artiste, hier Brangaene de Tristan und Isolde à Baden-Baden.

 

Jean-Pierre Robert.

 

 

Riccardo Muti à l'Orchestre National  : Un grand moment !

 


DR

 

A l'occasion de son traditionnel concert à la tête du « National », le célèbre maestro italien faisait son retour à Paris, après une interruption de quelques mois pour raison de santé. Un concert qui associait dans son programme, comme souvent chez Riccardo Muti, une œuvre célébrissime du répertoire, le Concerto pour piano de Schumann et une œuvre moins connue, en tous cas rarement donnée, la fantaisie symphonique Aus Italien de Richard Strauss. Un concert en famille, le pianiste soliste, David Fray, n'étant pas moins que le gendre du maestro. On ne s'attardera pas sur le Concerto pour piano et orchestre de Robert Schumann, créé en 1845 à Dresde, à partir de la Phantasie pour piano de 1841. Une œuvre particulière, sorte de poème musical où plane l'ombre de Clara, toute imprégnée de romantisme, de lyrisme où la mélodie coule avec une abondance spontanée, comptant parmi les compositions les plus emblématiques du génie schumannien. L'interprétation de David Fray, n'enthousiasma pas le nombreux public avec un premier mouvement manquant de legato dans le phrasé, un deuxième au tempo trop lent et un finale plus enlevé qui restera, peut-être, comme le mouvement le plus réussi. Une vision globalement assez plate manquant de chair, un toucher souvent sec et aride avec une impossibilité à faire vivre le son dans les passages les plus lents malgré une gestique maniérée. Les encouragements attentifs du maestro, s'appliquant à suivre difficilement et sans conviction le soliste, et le bel accompagnement du « National » ne changeant, hélas, rien à l'affaire ! Puisque triomphe, il y eut, celui-ci fut indiscutablement, à mettre sur le compte de la magnifique interprétation qui nous fut donnée de l'œuvre de Richard Strauss. Aus Italien, composée en 1886, est une œuvre de jeunesse, du « Strauss avant Strauss », une composition qui marque le tournant qui conduira le compositeur vers la musique à programme. Écrite à la suite d'un séjour en Italie, Aus Italien se présente comme un voyage en quatre étapes nous conduisant successivement dans la campagne du Latium, dans les ruines de Rome, sur la plage de Sorrente, et dans la ville de Naples. En dépit de quelques faiblesses reconnues de la partition, Riccardo Muti, par son immense science de la direction parvint à nous passionner de bout en bout menant le « National » sur des sommets, tous pupitres confondus….Ampleur sonore du premier mouvement, dynamique et clarté du deuxième, couleurs orchestrale et timbres du troisième, jubilation du quatrième où l'orchestre et le chef s'amusent sur la célèbre mélodie napolitaine « Funiculi, Funicula », composée en 1880 par Luigi Denza pour l'inauguration du funiculaire de Naples. Un beau moment de musique !

 

Patrice Imbaud.

                                                                                                                            

                                                                                                                          

Une Huitième symphonie de Bruckner d'une lumineuse clarté, mais…

 


Jukka-Pekka Saraste © Felix Broede

 

Anton Bruckner (1824-1896) est décidément à la fête par les temps qui courent sur les scènes parisiennes. Après la magnifique Neuvième Symphonie donnée tout récemment par Eliahu Inbal à la tête du Philharmonique de Radio France à la Philharmonie de Paris, c'était  au tour de la monumentale Huitième d'occuper, cette fois,  la salle de l'avenue Montaigne, dirigée par le chef finlandais Jukka Pekka Saraste, remplaçant Yannick Nézet-Seguin à la tête de l'Orchestre Philharmonique de Rotterdam. Un chef bien connu et souvent apprécié, actuellement chef principal de la WDR de Cologne, qui n'en est pas à sa première incursion en terres brucknériennes avec, reconnaissons le, des bonheurs parfois mitigés…Au programme ce soir cette monumentale et très attendue Huitième Symphonie d'Anton Bruckner. Une œuvre plusieurs fois remise sur le métier, plusieurs fois remaniée,  fruit de plusieurs années de travail intense (1887-1890) dont le propos est à la fois ambitieux dans  le projet, puisque cette symphonie ne se propose pas moins que de révéler une vérité divine, comme dans sa réalisation, du fait de la complexité de l'orchestration et de l'architecture, ainsi que  du volume colossal de l'effectif orchestral… Autant dire que chacune de ses exécutions sur scène est vécue comme une véritable gageure par les musiciens et le public. Jukka Pekka Saraste nous impressionna de bout en bout par son sens de l'architecture, organisant parfaitement tous les plans sonores sans négliger le moindre détail de cette orchestration foisonnante, de telle sorte que cette œuvre, pourtant complexe pouvant paraitre parfois confuse, nous apparut constamment d'une lumineuse clarté. En revanche c'est sans doute dans la narration que le bât blessa un peu du fait d'un manque, également constant, de tension et de ferveur dans le discours. Un premier mouvement Allegro moderato limpide, souple, équilibré et dynamique, un second, Scherzo, progressant un peu rapidement nous permettant toutefois d'apprécier le travail sur les timbres et la belle sonorité des cordes graves, un Adagio d'une belle ampleur comme une espérance à la verticalité et un Finale, hélas, un peu plat où la cohésion de l'orchestre sembla parfois se perdre…Une exécution qui ne restera peut-être pas dans les mémoires, mais de belle tenue, à laquelle manquait, indéniablement, ce petit supplément d'âme qui fait les grandes interprétations brucknériennes. Dommage !

 

Patrice Imbaud.

                                                                                                                          

Un Werther triomphal

 

Jules MASSENET : Werther.  Drame lyrique en quatre actes. Livret d'Edouard Blau, Paul Milliet et Georges Hartmann, d'après  Les Souffrances du jeune Werther de Goethe. Juan Diego Florez, Joyce DiDonato, John Chest, Luc Bertin-Hugault, Valentina Nafornita. Maîtrise de Radio France. Orchestre National de France, dir. Jacques Lacombe. Version de concert au Théâtre  des Champs-Elysées.

 


Juan Diego Florez / DR

 

Encore un concert très attendu que cette version de concert du Werther de Massenet qui voyait pour cette représentation avenue Montaigne pas moins de deux prises de rôles, celle du ténor péruvien Juan Diego Florez dans le rôle titre et celle de la soprano américaine Joyce DiDonato dans celui de Charlotte. Une première expérience vocale qui devrait se concrétiser en version scénique à Bologne en décembre prochain pour lui, à Londres en juin prochain pour elle. Affaire à suivre…Pour l'heure, concentrons nous surtout sur cette représentation mémorable s'il en est. Juan Diego Florez fait partie de ces ténors rossiniens et belcantistes prudents cherchant à ménager leur voix, aussi ce nouveau rôle fût-il envisagé de façon patiente et raisonnée, après un long travail de préparation. Si le niveau vocal superlatif du ténor péruvien ne souffre aucun reproche, on est en droit de se demander si son Werther est le meilleur du genre, son timbre étant peut-être un peu trop lumineux quand on l'aurait préféré plus sombre. La facilité vocale ne fait, également, aucun doute de bout en bout, de même que la diction parfaite, mais la composante théâtrale du rôle reste un peu trop monolithique pour que ce Werther ne parvienne à nous émouvoir vraiment, les vers d'Ossian restant d'une froide beauté très apollinienne. Concernant Joyce Di Donato en Charlotte, les louanges resteront plus limitées tant la voix semble par instant forcée, à la limite du cri et la diction  plus qu'approximative. En revanche la Sophie de Valentina Nafornita fut impressionnante de présence vocale bien qu'un peu maniérée, le Bailli de Luc Bertin-Hugault constamment convaincant, alors que l'Albert de John Crest resta sur la réserve et peina à finir ses phrases. Mais finalement le grand vainqueur de cette admirable soirée restera, à n'en pas douter, l'Orchestre National de France, magique du début à la fin (violon solo de Luc Héry, harpe d'Emilie Gastaud, violoncelle de Jean-Luc Bourré, clarinette de Jessica Bessac, flûte de Philippe Pierlot pour n'en citer que quelques uns…) conduit par la baguette précise et intelligente de Jacques Lacombe, au service à la fois des chanteurs et de la dramaturgie. Une très belle soirée conclue par un long triomphe…mérité !

 

Patrice Imbaud.

                                                                                                                        

 

Vision mémorable de la Cinquième Symphonie de Mahler

 


DR

 

Le chef letton Mariss Jansons véhicule autour de sa personne, depuis plusieurs années déjà, un charisme, une notoriété, une science de la direction que peu de gens lui contestent. Aussi chacun de ses passages à Paris, à la tête de son orchestre de la Radio bavaroise, est-il un événement musical attendu. Né en Lettonie, à Riga, en 1943, il est le garant, dans une alchimie étonnante, des héritages de l'école russe (Mravinsky) et germanique (Karajan). Chef principal de l'Orchestre Symphonique de la Radio Bavaroise depuis 2003, cette collaboration ancienne explique aisément la complicité et l'empathie évidentes existant entre ce chef d'exception et sa non moins exceptionnelle phalange allemande. Un programme uniquement symphonique placé sous le sigle du héros associant l'Ouverture de Coriolan de Beethoven, revisitée par Mahler et la Symphonie n° 5 de Gustav Mahler. Un concert mémorable tant l'interprétation qui nous fut donnée de ces deux œuvres nous parut inoubliable…Coriolan, composé en 1807, est la première ouverture symphonique indépendante de l'histoire de la musique. Œuvre puissamment expressive, elle retrace le destin tragique du général romain, dont Mariss Jansons donna une interprétation très engagée, guerrière, héroïque, contrastée, alternant tension et détente, dans un phrasé très narratif à grand renfort de forte de cordes et de complaintes de vents. Une vision enthousiasmante de cette ouverture de Beethoven, d'une lumineuse clarté. Ce qui se confirmera dans l'interprétation de la Symphonie n° 5 de Mahler. Cette symphonie est la première des trois symphonies instrumentales médianes du compositeur, qui marquent une nouvelle étape dans la construction mahlérienne : pas de voix, pas de programme explicite, lien moins évident avec le Lied. Plus abstraites et énigmatiques quant à leur interprétation, elles n'en restent pas moins sous-tendues par la même quête : « une tentative de réorganiser le monde à partir du moi individuel » (Richard Specht). Une œuvre sous-tendue de bout en bout par une ambivalence voulue et assumée. Composée (1902) dans le climat d'amour de son mariage récent avec Alma, mais aussi dans la douleur et l'angoisse faisant suite à une hémorragie intestinale grave, la Cinquième Symphonie est dominée par un sentiment d'ambigüité, d'autant que parfois les forces créatrices semblent submerger le compositeur lui-même : « C'est une œuvre maudite, personne ne la comprend ». Elle est constituée de trois parties et cinq mouvements. La première partie comprend les deux premiers mouvements, marche funèbre et allegro, qui se terminent dans un sentiment d'angoisse  malgré une vaine tentative optimiste représentée par un  hymne triomphal des cuivres. Vient ensuite le scherzo qui représente, à lui seul, la deuxième partie, explosion de joie sans transition avec le mouvement précédent, menée sur un rythme de danse où  l'inquiétude n'est pas totalement absente…Enfin la troisième partie avec l'Adagietto, intermezzo, Lied sans paroles où l'heure est au recueillement. Puis le rondo final, victoire définitive des forces de vie et de création ; mais là encore cette victoire n'est pas dénuée d'ambigüité et d'interrogation : « Ciel, quelle figure fera le public devant ce chaos qui engendre toujours un monde prêt, au dernier moment, à  retourner au néant ? ».

 

Mariss Jansons, à n'en pas douter, connait son Mahler sur le bout des doigts : dès l'appel inaugural de la trompette, lors de la marche funèbre, l'ambiance est à la désolation pesante et palpable, étroitement mêlée, dans des transitions et des enchainements sublimes, à une douceur infinie parfois dansante ou burlesque. L'allegro fait la part belle aux cordes graves, avec un exceptionnel pupitre de contrebasses vrombissantes, marque de fabrique des orchestres allemands. Jansons y conduit sa phalange avec précision dans une tourmente tourbillonnante, veillant aux équilibres, faisant ressortir toute la richesse de l'orchestration, dans un climat  tout imprégné d'attente. Le scherzo est quant à lui dominé par les vents (cors somptueux) burlesque et grinçant, typiquement mahlérien, conduisant une impossible danse. Puis survient  l'Adagietto, dans un dialogue entre cordes et harpe, rendu célèbre par Visconti dans le film Mort à Venise (1971). Hasard surprenant, le réalisateur Luchino Visconti est mort le 17 mars 1976, quarante ans, jour pour jour, avant cet inoubliable concert ! Comment ne pas se souvenir alors, de cet abandon, cette délivrance de Gustav von Aschenbach (Gustav Mahler) sur la plage du Lido…Puis comme un éveil de la Nature consolatrice, le Rondo final se fait triomphant et dansant tout animé d'un sentiment d'urgence jusqu'à l'accord conclusif, laissant le public sous le charme pendant de longues minutes. Un concert exceptionnel qui restera assurément dans les mémoires !

 

Patrice Imbaud.

                                                                                                                          

 

Sol Gabetta, Mikko Franck  et le Philhar enflamment la Philharmonie de Paris

 


Sol Gabetta / DR

 

Parfait, tout simplement parfait…Voilà comment pourrait se résumer ce magnifique concert donné par Mikko Franck dirigeant le « Philhar » avec la violoncelliste Sol Gabetta en soliste. Un programme particulièrement alléchant puisque associant une pièce de musique française, chère au chef finlandais, le Prélude à l'après midi d'un faune de Claude Debussy, puis le Concerto pour violoncelle et orchestre n° 2 de Dimitri Chostakovitch avec Sol Gabetta en soliste, violoncelliste de réputation internationale et, enfin, la Symphonie n° 5 de Jean Sibelius dont Mikko Franck est un ardent défenseur. Un concert qui s'afficha dès les premières notes comme un moment d'exception. En effet dès l'entame du Prélude par la suave flûte de Magali Mosnier, Mikko Franck, comme il le fait quelque fois, descendit de son pupitre pour diriger les musiciens au cœur même de l'orchestre, une proximité, une complicité très émouvantes où le chef se fait musique dirigeant avec ferveur ce commentaire libre sur un poème de Mallarmé baignant dans une sensibilité rêveuse, tout à fait révélatrice de la syntaxe, de la rhétorique et de l'orchestration du grand « Claude de France ». Occasion rêvée de mettre en avant la splendeur de la petite harmonie (Magali Mosnier, Olivier Doise, Nicolas Baldeyrou) des harpes et du violon solo d'Amaury Coeytaux. Le Concerto pour violoncelle n° 2 de Chostakovitch interprété magistralement par Sol Gabetta dont c'était la première apparition à la Philharmonie de Paris, laissa la salle sans voix devant pareille vision totalement engagée, juste dans la note comme dans le ton. Un Chostakovitch comme on l'aime, ambigu, rugueux, sombre, ironique et lyrique. Quand on sait que la violoncelliste argentine reçut en 2013 le titre d'instrumentiste de l'année pour son enregistrement du Concerto n° 1 avec le Philharmonique de Munich et Lorin Maazel, on ne s'étonnera pas de cette connivence, de cette affinité palpable qu'elle entretient avec le compositeur russe. Si le premier Concerto datant de 1959 peut paraitre, à première vue, plus violent, le second, dernière œuvre concertante de Chostakovitch, composée en 1966, à l'âge de 60 ans, s'apparente plus à une complainte douce amère plus intériorisée mais non moins ambiguë faisant alterner des épisodes de sombre méditation et des épisodes dansants, voire sautillants au caractère burlesque et dérisoire. Une formidable interprétation, suivie d'un « bis » particulièrement émouvant, Le Chant des Oiseaux de Pablo Casals soutenu par l'ensemble du pupitre des violoncelles conduit par Daniel Raclot. Un moment rare de communion et d'égrégore qui enthousiasma la salle ! En deuxième partie, la Symphonie n° 5 de Sibelius, datant de 1919, toute en nuances et transitions subtiles, animée de l'appel des grands espaces, conduite, là encore, par Mikko Franck debout au milieu de l'orchestre avant que le superbe Finale ne voit l'espace s'ouvrir vers une lumière irradiante ponctuée d'accords comme une sorte de relâchement convulsif après la gloire. Là encore le « Philhar » donna son meilleur, tous pupitres confondus, pour notre pus grand bonheur. Merci  à tous pour cette formidable soirée !

 

Patrice Imbaud.

 

 

Un bien curieux Bruckner par Simon Rattle et l'Orchestra of the Age of Enlightenment

 


Sir Simon Rattle © Johann Sebastian Hanel

 

 

Sir Simon Rattle endossait à l'occasion de ce concert au Théâtre des Champs-Elysées, sa seconde casquette…Après le très récent concert donné avec le LSO à la Philharmonie de Paris, c'était cette fois à la tête de l'Orchestre de l'Age des Lumières que le chef britannique reprenait du service dans un programme de nouveau centré sur Anton Bruckner avec la Symphonie n° 6.. Deux concerts autour du même compositeur mais deux mondes dissemblables bien que peut-être complémentaires, celui des instruments modernes et celui des instruments d'époque, deux sonorités et deux approches bien distinctes et une expérience qui, malheureusement, ne tourna pas en faveur de l'Orchestre de l'Age des Lumières. Le programme comprenait d'abord en L'Ouverture tragique de Brahms et le Scherzo de la Symphonie n° 1 de Hans Rott. Trois œuvres quasiment contemporaines, composées en 1880 à Vienne, comme un instantané permettant d'apprécier les importantes différences existant dans la production musicale viennoise de cette époque où s'affrontaient les tendances classiques défendues par Brahms et celles plus modernes dont Wagner, Mahler, Bruckner et Rott étaient les champions. L'Ouverture tragique de Brahms dont on ne connait pas bien la genèse et dont il serait bien illusoire d'esquisser un quelconque programme est une œuvre de musique pure aux tendances nordiques très marquées par sa fougue, sa rudesse, son énergie et son mystère. Simon Rattle nous en livra une mouture de belle tenue usant d'un phrasé paradoxalement assez rond et souple, d'une dynamique pleine d'allant assurant une parfaite continuité dans la progression du son. Le Scherzo de la Symphonie n° 1 de Hans Rott confirma les influences mahlériennes très marquées du jeune compositeur, élève de Bruckner, condisciple de Mahler avec qui il habita pendant ses études avant de disparaitre prématurément à vingt cinq ans  dans un asile psychiatrique. Cette œuvre peu connue, véritable découverte pour la plupart des auditeurs, fut composée à l'âge de vingt ans et fait montre déjà d'une étonnante maturité compositionnelle par sa complexité de structure et d'orchestration et son  foisonnement de thèmes rappelant la Symphonie « Titan » de Gustav Mahler. Mais c'est finalement dans la Symphonie n° 6 de Bruckner, en deuxième partie de concert, que les choses se gâtèrent, l'orchestre avouant progressivement ses faiblesses et Rattle son impossibilité de synthèse devant cette œuvre d'envergure. Une œuvre composée dans l'euphorie faisant suite au succès de la Symphonie n° 4, dans la joie spiritualisée d'un remerciement à Dieu, une composition qui ne sera jamais retouchée, très spontanée dans son jaillissement dont Simon Rattle essaya de donner une vision plutôt chambriste aboutissant en définitive à un Bruckner décharné, quasiment squelettique, se perdant dans les détails, sans véritable vision globale…Un Bruckner sans substance, sans tension, sans ferveur et sans grand intérêt, se réduisant toutefois à quelques beaux moments isolés quand on était en droit d'espérer un peu mieux d'un tel chef. Mais à l'impossible nul n'est tenu car, c'était non seulement l'inspiration qui manquait ce soir, mais également l'outil. L'Orchestra  of the Age of Enlightenment n'étant probablement pas le médium idéal dans l'interprétation des symphonies brucknériennes. A l'exception des pupitres de cordes et notamment des cordes graves avec de splendides contrebasses disposées à la viennoise, alignées de face au fond de la scène pour une projection enveloppante, force est de remarquer la faiblesse des pupitres de vents, petite harmonie et cuivres, amputant de façon rédhibitoire toute interprétation brucknérienne. Un  premier mouvement Maestoso chaotique, un second Adagio sauvé par la beauté des cordes donnant une belle ampleur sonore, un troisième Scherzo sans allant ni cohésion et un Finale assez terne, ce qui finalement est assez peu, avouons le ! Une prestation qu'on oubliera assez vite confirmant nos doutes sur la valeur de cet orchestre, en tous cas dans ce répertoire.

 

Patrice Imbaud.

 

                                                                                                                                                                                                                                               

Une fête pour l'ouïe avec le Chamber Orchestra of Europe

 

 

L'écoute du Chamber Orchestra of Europe (COE) est toujours un bonheur pour l'ouïe, tant la qualité des instrumentistes de chaque pupitre est exceptionnelle. La présence d'un soliste comme François Leleux, pour assurer avec brio et une musicalité éblouissante la redoutable partie soliste du Concerto pour hautbois de Richard Strauss ne pouvait qu'ajouter au plaisir de l'écoute. Mais l'intérêt du concert résidait aussi en la présence sur le podium de Sir Antonio Pappano. Ses passages à Paris se font rares et on le connaît surtout pour ses prestations dans la fosse d'opéra. On sait qu'il est le directeur musical du Royal Opera House Covent Garden et que sa production discographique est particulièrement fournie dans le domaine lyrique. Mais c'est oublier qu'il est aussi directeur musical de l'Orchestre de l'Académie Sainte-Cécile à Rome. On pressent son style d'interprétation dès son entrée en scène: franc, énergique ! En effet après un bref salut au public, à peine face à l'orchestre il engage fermement son interprétation. Herbert von Karajan agissait souvent ainsi. S'élèvent franchement les premières notes de la symphonie n°25 de Mozart, œuvre d'un jeune homme de 17 ans (comme le sera la symphonie en ut de Bizet donnée un peu plus tard). Antonio Pappano en propose une interprétation tournée vers le futur – on peut y percevoir un certain dramatisme pré-romantique propre au mouvement Sturm und Drang - et sa parenté avec la n°40, de même tonalité, apparaît évidente, du moins quant à l'énergie qui s'en dégage. Le chef tire de l'orchestre des sonorités claires, mais subtiles aussi, en particulier dans l'andante où hautbois et bassons sont mis en valeur. On retrouvera cette même franchise non dénuée de grâce dans la symphonie en ut que Bizet a composée alors qu'il avait aussi 17 ans. Le destin de cette œuvre est étrange. Composée en 1855, elle n'est créée qu'en 1935 sous la baguette de Félix Weingartner à Bâle après que la partition eût été retrouvée dans un carton par Reynaldo Hahn. Si l'œuvre en tant que telle semble avoir été mise volontairement de côté par Bizet, celui-ci en reprend des thèmes dans des œuvres qui ont suivi : on peut citer Les Pêcheurs de perles, L'Arlésienne, Don Procopio. Bien qu'ayant des similitudes avec la Symphonie de son maître Charles Gounod, on doit souligner la modernité de l'œuvre, qui transparaît en particulier dans le premier mouvement dont la rythmique saccadée est nettement soulignée par le chef. Mais c'est l'ensemble qui séduit grâce aux couleurs que savent si bien donner les merveilleux instrumentistes du Chamber Orchestra of Europe.

 


Sir Antonio Pappano © David Rose

 

Si ces deux juvéniles symphonies du programme s'ouvraient vers le futur, les deux autres œuvres  regardaient plutôt vers le passé. La Pavane de Gabriel Fauré ne serait-ce que par son titre se présente bien comme un retour au passé. Mais il faut entendre cette brève partition comme un hommage et non comme une volonté de rejeter toute modernité. Après tout, Ravel, qu'on ne peut soupçonner avoir eu un tempérament passéiste, composa bien une Pavane pour une infante défunte alors qu'il était encore élève de Fauré. Par ailleurs, la dédicataire de la Pavane de Fauré, la Comtesse Greffuhle (1860-1952), était très engagée dans la vie artistique de son époque : la magnifique exposition du musée Galliera Les robes trésors de la comtesse Greffulhe qui se terminait deux jours avant le concert, soulignait la modernité de la comtesse dans ses choix esthétiques non seulement à propos de ses robes éblouissantes , mais aussi à propos de ses relations avec le  monde artistique – ainsi y eut-il des rencontres avec Marcel Proust qui n'hésita pas à s'inspirer de ses attitudes pour donner vie à son personnage de la Duchesse de Guermantes ainsi qu'à celui d'Odette de Crécy ; elle contribua par ailleurs à la diffusion en France de Tristan et Isolde de Wagner ainsi que des Ballets Russes. Pour revenir à la Pavane, la Comtesse demanda même à Fauré d'ajouter un chœur sur un texte de son cousin Robert de Montesquiou-Fezensac. Mais Antonio Pappano nous gratifia de la seule version orchestrale ; ce fut un enchantement tant les instrumentistes et leur chef surent rendre la douceur et la mélancolie du propos. Quant à l'autre œuvre tournée aussi vers le passé et que nous avons brièvement évoquée plus haut, à savoir le Concerto pour hautbois de Richard Strauss, écoutons la sans a priori ; ce fut une fête pour l'oreille, fête que François Leleux nous fit partager au milieu d'un orchestre dont Pappano développa la musicalité sans pareille. Richard Strauss n'avait plus rien à prouver à 81 ans ; il pouvait se permettre d'offrir à la postérité une œuvre virtuose, sans aspérité, sereine. François Leleux en guise de bis entendit rendre hommage aux victimes des attentats du matin à Bruxelles : il donna avec une émotion profonde, ressentie par tout le public ainsi que les musiciens de l'orchestre, un extrait (Adagio) de l'Oratorio de Pâques BWV 249 de Jean Sébastien Bach. Au final un concert de belle tenue, à la fois varié et cohérent, donnant l'occasion de mieux apprécier un aspect moins connu du talent de Sir Antonio Pappano.

 

 

Gilles Ribardière.

 

 

Joli marathon : les trois sonates pour piano de Johannes Brahms

 


François-Frédéric Guy ©Jean-Baptiste Millot pour Qobuz.com

 

« Aimez vous Brahms ? » interrogeait Françoise Sagan il y a soixante ans dans un roman demeuré célèbre où les concerts "classiques" étaient encore l'apanage d'une bourgeoisie éclairée. Oui, nous aimons toujours Brahms, même si la musique de ses trois sonates reste d'une approche sinon difficile du moins exigeante. Il fallait toute la puissance et la maestria d'un pianiste comme François Frédéric Guy pour restituer la fougue de cette musique parfois déconcertante par la multiplicité de ses ruptures et la subtilité de certaines de ses mélodies ou plutôt de ses esquisses de lieder. Ces sonates - œuvres d'extrême jeunesse, Brahms n'avait pas vingt ans lorsqu'il les a écrites - n'existent que si on sait les empoigner autant que les caresser et c'est là tout le talent de François Frédéric Guy, musicien amoureux des jardins et des étoiles. De ces sonates, Schumann disait qu'elles étaient "des symphonies voilées". Dès le début du premier opus, écrit pour conquérir Schumann, le pianiste se laisse aller à une liberté aux envolées débridées superbement maîtrisées. Dans la deuxième sonate, écrite avant la première et moins inspirée, Brahms reprend le thème de l'andante dans  le scherzo, occasion pour François-Frédéric Guy de montrer l'ampleur de sa palette entre passion et lyrisme. Mais c'est dans la Troisième sonate, la plus longue, la plus achevée et la plus grandiose, que la comparaison avec l'orchestre atteint son paroxysme. Pour François Frédéric Guy, Brahms est un orchestrateur du piano et au gré des cinq mouvements, il le justifie en balayant le clavier d'arpèges fulgurants, de salves d'accords où s'entendent quelques dissonances annonciatrices d'une  musique à venir et d'envolées à la fois lyriques et virtuoses comme s'il jouait sur son piano de tous les registres et toutes les couleurs d'un orchestre au complet, avant ce fameux andante calqué sur un poème de Sternau - on frôle ici le fameux Clair de lune de Beethoven ! - que le pianiste interprète avec un phrasé élégiaque qui fait oublier  la vigueur du premier mouvement et  exalte la ferveur du final, véritable marche funèbre qui s'élève vers la lumière. François Frédéric Guy déclarait dans une interview : « Je désire jouer toute la musique de Brahms ». Il a bien raison, nous serons toujours ravis de l'entendre et impatients d'écouter son enregistrement des sonates prévu chez Évidence.

 

Jean François Robin.

 

 

Amel Brahim-Djelloul et les musiciens de la Garde républicaine

 


©Ashraf Kessaissia

 

Voilà un concert aussi osé qu'exceptionnel ! Sous le titre « Désirs de l'Orient », au Musée d'Orsay, la soprano Amel Brahim-Djelloul a donné un récital dont le prétexte était l'orientalisme. La plupart des œuvres choisies sont rarement interprétées comme celles de Caplet (« Écoute mon coeur ») ou de Stravinsky (« Trois Poésies de la lyrique japonaise »). Et celle de Jacques Pillois (1877-1935) Cinq Haï-Kaïs, écrite en 1926, est pratiquement inconnue. Amel Brahim-Djelloul avec conviction et une diction parfaite a su faire passer cette musique comme la naïveté, le kitch, de certains textes. La sincérité est incroyable et la maîtrise vocale impressionnante. Dans les Six Mélodies Persanes op. 26 de Camille Saint-Saëns (1870), extraites du recueil « Les nuits persanes », elle s'est montrée très émouvante. Les « Sept Haï-Kaïs » de Maurice Delage pour voix et petit ensemble de chambre, ont été composés en 1924 et créés l'année suivante par Jane Bathori sous la direction Darius Milhaud. Leur nostalgie, leur dramaturgie vocale étaient bien présentes même si, comme le titre l'indique, les pièces étaient courtes. On aimerait réentendre ces œuvres. Mais elles sont très peu enregistrées. Dommage ! En un mot un récital surprenant et intelligent, une belle initiative de la part de Sandra Bernhard et de Luc Bouniol-Laffont, organisateurs des concerts au Musée d'Orsay.

 

Stéphane Loison.

 

Le festival Satie se conclut avec des fortunes diverses

 


Pascal Roger /  DR

 

Pascal Rogé est un grand spécialiste de Satie, il en a enregistré une belle intégrale. Pascal Rogé est un bon pianiste et il a bien joué les œuvres de Satie à Orsay. Le problème avec ce musicien c'est qu'il ne veut pas que le public le dérange : ça le gêne de se lever, de remercier le public de l'intérêt qu'il peut lui porter. Il commence par une Gnossienne, puis enchaîne une autre, puis Trois valses, puis des Pensées, puis des Croquis, puis des Pièces froides, puis des Vieux sequins, et termine par des Embryons desséchés, d'une traite, sans un arrêt ; juste à peine le temps de tapoter sur sa partition électronique. Une auditrice pensait qu'il agissait ainsi car il fallait que le concert se termine tôt ! Une autre faisait remarquer qu'elle adorait les « Gnossiennes » mais que l'interprète ne lui laissait pas le temps de les apprécier. Oui, Pascal Rogé semble avoir un mépris profond du public ; il joue pour soi de manière égoïste. Je ne l'invente pas, il me l'a dit à la sortie du récital ! Alors écoutez ses disques : les plages de silence entre les morceaux sont plus longues et vous aurez le temps d'apprécier ou non ce qu'il joue ; et n'allez plus l'écouter en concert. Si demain ses salles se vident, peut-être appréciera-t-il qu'un public vienne l'écouter et l'applaudir. De bons pianistes et de généreux il y en a pléthore aujourd'hui. Il ne se passe pas un jour en France et principalement à Paris où on peut en écouter d'excellents qui sont ravis lorsque leur salle est pleine et que le public s'enthousiasme ! Monsieur Pascal Rogé n'est peut-être pas indispensable à la scène pianistique...

 

Stéphane Loison.

 

 

Mémoires d'un Amnésique, petit opéra comique sans lyrics...

 


DR

 

Agathe Mélinand a adapté des opéras, mis en scène des spectacles musicaux, a beaucoup travaillé avec Laurent Pelly. Cette fois, avec deux pianistes et quatre comédiens, elle a écrit et réalisé, donc inventé un spectacle, « Mémoire d'un Amnésique », en prenant des textes de Satie et certaines musiques qu'elle a illustrés. Tout est de Satie assure-t-on. Une initiative intéressante mais qui ne tient pas la route par l'aspect répétitif de la mise en place et un manque certain d'imagination et d'humour. Les textes choisis dignes de Ionesco, d'Allais, de Vian, étaient hurlés par les comédiens. Pourquoi ? Dommage, car c'était une bien belle idée mais qui n'est restée qu'au stade de l'idée... 

 

Concerts à venir à 12H30 au mois de mai, à Orsay :

 

Mardi 10, Ensemble Musicatreize, Pierre Charial, Roland hayrabedian

Mardi 17, Quatuor Küchl de Vienne

Mardi 24, Jonathan McGovern, James Baillieu

Mardi 31, Sarah Brandon Rosie Aldridge Christopher Glynn

 

Pour plus de renseignements : auditorium@musee-orsay.fr

 

Stéphane Loison.

 

 

Concert final de la saison 1 du Centre de Musique de chambre de Paris

 

 


SpiriTango ©Arnaud Roberti

 

C'est dans la bonne humeur, la liesse, que s'est terminée, le 26 mars dernier, la ''saison 1'' des concerts du Centre de Musique de Chambre de Paris : en l'occurrence avec des tangos d'Astor Piazzolla et de Frédéric Devresse. L'énergie du SpiriTango était bien sûr au rendez-vous et celle de Jérôme Pernoo pas en reste. Un artiste comme lui qui allie le talent, la générosité, le plaisir de faire de la musique et de l'offrir au public, est inestimable. Le SpiriTango (Fanny Azzuro, piano, Fanny Gallois, violon, Thomas Chedal, accordéon et Benoît Levesque, contrebasse) a un projet artistique qui colle vraiment avec ce qu'a fait Pernoo tout au long de la saison. Lorsqu'on assiste à leur concert on ne peut qu'avoir le sourire aux lèvres tant ils communiquent leur joie de jouer. Ils se regardent, se sourient, ils aiment être ensemble. Il ne faut pas oublier aussi le Freshly Composed, la séquence de présentation d'une œuvre en gestation de jeunes compositeurs. Ici c'est Nicola Della Guerra qui a composé un trio pour piano et cordes, interprété par lui-même au piano, avec Jean Bezdüz au violon et Boris Benazdia au violoncelle ; une bien jolie composition qu'on peut aider à voire terminer en allant sur Kisskissbankbank ! Vivement la seconde saison !

 

Le deuxième CD du SpiriTango «  Tchin Tchin » est sorti chez Paraty (distribution harmonia mundi) : Paraty 914130

 


Stéphane Loison.

 

Célia Oneto Bensaid aux Pianissimes

 


DR

 

Olivier Bouley avait donné carte blanche aux spectateurs – pour lui le public est vital – et ceux-ci avaient le choix entre trois jeunes interprètes pour ce concert. C'est Célia Oneto Bensaïd qui a été choisie. Un bon choix car cette jeune femme a de l'énergie, une solide technique, a eu de bons professeurs, a gagné quelques prix internationaux et a déjà une jolie carrière depuis ses débuts en janvier 2015. Son programme qui avait pour centre d'intérêt la musique baroque, débutait par  Haendel ; puis venaient Brahms s'inspirant de Haendel, et  Ravel rendant hommage à Couperin. Le choix était joli et appelait un beau concert en perspective. Si la Suite n°5 en mi majeur de Haendel avait de l'allant, son Brahms, savoir les Variations et fugue en si bémol sur un thème de Haendel op. 24 manquait un brin de romantisme, très froid, très bruyant par un usage excessif de la pédale. Et Le Tombeau Couperin en mi mineur de Ravel manquait de couleurs. Voilà le type même de jeune artiste qui a, comme beaucoup de pianistes de sa génération, une technicité impressionnante (elle nous l'a prouvé dans son bis consacré à  une Étude de Liszt) mais qui manque de ce petit sens de l'émotion qui fait la différence. Elle analyse les notes, les partitions, froidement. Peut-être est-ce l'époque qui rend ainsi ces jeunes artistes ? La couleur, c'est ce que devrait leur enseigner leur professeur. Pour l'instant, il y a beaucoup trop de vert chez cette artiste. Elle est jeune, elle a du talent, elle a le temps de colorer son espace musical.

 

Prochain concert des Pianissimes : le 16 mai au Café de la Danse avec Kotaro Fukuma et le danseur Mathieu Ganio sur une chorégraphie de Bruno Bouché.

 

Stéphane Loison.

 

Le Trio Astoria fait tanguer Piazzola

 


DR

 

Le trio Astoria aura prouvé, s'il en était besoin, que la vérité de la musique, c'est le concert ! Ce qui est plus vrai encore pour un art à la fois savant et populaire, celui en l'occurrence d'Astor Piazzola. Quant à la salle Colonne – dont le nom sonne agréablement et rime avec celui du Cuarteto Cedrón, autre grande référence de la musique argentine du xxe siècle –, elle est sans aucun doute l'endroit idéal pour les musiciens désireux d'avoir le meilleur rapport de proximité avec leur public… et inversement ! Au programme donc, les compositions de Piazzola (1921-1992), plus particulièrement celles de son quintette, le fameux Quinteto Tango Nuevo, qui, à partir des années 1960, fit connaître au monde entier le genre tango nuevo, réinterprétation du tango traditionnel, et dont le morceau intitulé « Libertango » sera le porte-drapeau dans les années 1970 et jusqu'à nos jours. Le silence et la concentration se fixent en quelque sorte sur le spectacle monochrome des tenues de concert noires, du piano noir et de l'accordéon noir. « Adiós Nonino » commence par une longue introduction au piano, magistralement joué par Brigitte Coissard, diplômée de l'École normale de musique de Paris en classes de piano et de musique de chambre. Une grande phrase chantée sur toute la longueur du clavier et dont les emportements font penser aux improvisations des jazzmen. Après le concert, nous apprendrons que toutes les notes de cette entrée en matière sont écrites. Le piano symbolise la stature de compositeur classique que revendiquait Piazzola, élève à Paris dans les années 1950 de Nadia Boulanger. Le programme de la soirée comprend d'ailleurs Las Cuatro Estaciones Porteñas, Les Quatre Saisons de Buenos Aires, qui seront jouées dans le désordre tout au long du récital (« Verano Porteño », « Primavera Porteña »…) et qui, malgré leur lyrisme et leur énergie évidents, sont d'une expression beaucoup plus introvertie, plus concentrée que celle de Vivaldi. À la fin de son solo, la pianiste est rejointe par l'accordéon et le violon, qui incarnent peut-être davantage l'esprit du tango, en expriment la plénitude et en ont en tout cas la sonorité, surtout, bien entendu, l'accordéon, cousin du bandonéon, l'organe de Piazzola.

 

Ce gros bestiau de plus de 15 kilos est vraiment l'instrument roi de ce trio. Il a trouvé son maître en la personne de Frédéric Brut, la trentaine conquérante, vainqueur de trois prix internationaux et, comme ses deux acolytes, professeur au conservatoire départemental de musique, de danse et d'art dramatique de Châteauroux. Pendu aux épaules de l'artiste, qui le brasse énergiquement, il est coup sur coup, selon qu'il joue la mélodie, qu'il marque le rythme ou qu'il serve de soutien harmonique, malmené, secoué, pressé, grand ouvert, caressé. C'est là vraiment, dans cette lutte amoureuse, que se joue le tango, avant tout musique marche scandée, essentiellement âpre mais imprévisible, obstinément martelée puis soudainement lyrique et douce, et qui, magnifiée dans les partitions de Piazzola, possède une dimension tragique. La violence à peine contenue de cette musique atteint son paroxysme dans le morceau « Milonga del Angel », qui fait vraiment entendre la mise à mort d'un ange. On en sort presque fourbus… Empoigné, le public attentif se voit remercié par les accents parigots de « La Valse à Margaux » de Richard Galliano, émule de Piazzola et père du « New Musette », style qui est aussi le titre d'un album sorti en 1991. Le violon est la vedette ébouriffante de cet air plus léger.

 

Tout au long de la soirée, accordéon et violon auront dialogué et formé un couple. Le violon, c'est la voix féminine du trio. Il est joué par Nina Skopek, jeune diplômée du Conservatoire national supérieur de musique de Lyon, chambriste et violoniste titulaire de l'orchestre symphonique de Limoges. Le jeu du violon lui aussi manifeste l'origine plébéienne du tango, toutes les techniques étant mises en œuvre pour en sortir les sonorités les plus variées, et l'on a pu apprécier la maîtrise de la musicienne, qui successivement attaquait ses notes au talon et sul ponticello, laissait rebondir l'archet en ricochets, passait de l'autre côté du chevalet pour faire entendre un vrai « crincrin » propre à scier les tympans, striait la musique du trio de glissandi sur des harmoniques, tapotait des doigts la table, démarrait staccato puis relâchait l'ensemble en longues notes tenues qui allaient se perdre decrescendo dans le silence…Un vrai spectacle ! Tout est d'ailleurs dit en assez peu de notes dans cette musique de danse répétitive, qui n'est pas sans rappeler, par sa structure, l'alternance en mouvements lassan (lent) et friska (rapide, turbulent, jubilatoire) de la musique d'Europe centrale, balancement qui est un principe dramatique, passionnel du dialogue et l'expression de l'existence elle-même, laquelle est d'un jour à l'autre rêveuse et convulsive, ennuyeuse et riche d'événements. La rhapsodie de la vie ! Brahms et Liszt retiendront la leçon des tsiganes de Hongrie. Du coup, les interprètes le sont au sens premier du terme, n'alignant pas leurs notes, mais exprimant des intentions, des émotions, comme les personnages de théâtre, qui s'unissent puis brusquement s'opposent. Le naturel et la dignité auront donc tangué devant nous ce soir-là, la dignité d'une musique alternativement incantatoire, emportée voire enragée, nostalgique et lascive, le naturel de musiciens accomplis et très complices, dont les timbres se mariaient admirablement.

 

« Soledad del Escualo », « Solitude du requin », tel est le titre du premier CD du trio (Lude & Interlude, Dom Int 001), dont la pochette montre en une très élégante photo noir et blanc nos trois personnages penchés au-dessus… d'un bocal à poisson rouge (la seule couleur de l'image). Clin d'œil humoristique, car Piazzola n'était certes pas un poisson rouge, mais bien le requin qui a su prendre le large… et dont le trio Astoria a su suivre le sillage !

 


Patrick Jezequel.

***

L'ÉDITION MUSICALE

Haut

CHANT CHORAL

 

Françoise PASSAQUET : Le mouvement orphéonique français. Cahier répertoire n°11 – octobre 2015. Centre de Documentation pour l'Art Choral de Liaisons Arts Bourgogne http://www.le-lab.info/cdac/

Nous avons déjà fait allusion à ce remarquable travail de Françoise Passaquet dans notre Infolettre de mars dernier. Nous y revenons plus longuement ce mois-ci car il présente un double intérêt. D'abord un intérêt historique. On oublie trop souvent que le mouvement orphéonique a d'abord été un mouvement choral et qu'il est le lointain inspirateur des chorales populaires du début du XX° siècle puis de l'envie de chanter en cœur qui devait donner naissance, grâce à des hommes comme César Geoffray et Raphaël Passaquet au mouvement A cœur joie. Il est donc passionnant de se replonger dans cette histoire du chant choral populaire et du mouvement orphéonique. Le deuxième intérêt, et pas des moindres, est que Françoise Passaquet complète son travail par un catalogue d'œuvre allant du répertoire des orphéons à aujourd'hui pour chœur d'homme, chœur d'enfants, chœurs mixtes. On aura donc tout intérêt si on est à la recherche de répertoire à prendre contact avec le Centre d'Art Polyphonique de Bourgogne et sa très riche bibliothèque pour pouvoir se procurer les œuvres proposées car toutes ne sont pas facilement disponibles. Nous souhaitons donc bonne pêche à tous les chefs de chœur ou professeurs de formation musicale.

 

 

 

Davide PERRONE : Beata  pour chœur mixte SATB a cappella. Moyen. Delatour : DLT2641.

Composée sur un texte de l'hymnaire de Nevers (1239) mais qui remonte au VIII° ou IX° siècle, cette pièce est une louange à la Jérusalem céleste et a été utilisé pour la dédicace des églises. Le grégorien est présent comme source d'une polyphonie extrêmement claire alternant unissons et octaves, et dissonances de neuvième. Il s'agit d'une très belle méditation sur le mystère de l'Église.

 

 

 

Félix MENDELSSOHN-BARTHOLDY : Der 98. Psalm. « Singet dem Herrn ein neues Lied ». MWV A 23 op. posth. 91. Pour solistes SATB, double chœur mixte et orchestre. Edité par John Michael Cooper. Urtext. Bärenreiter : conducteur BA 9076 – chant et piano : BA 9076-90.

Ecrite en quelques semaines et interprétée pour la première fois le premier janvier 1844, cette œuvre monumentale méritait bien une édition critique. C'est chose faite. On trouvera dans le conducteur une préface détaillée retraçant l'histoire de l'œuvre et de ses variantes et éditions. Comme toujours, l'ensemble es particulièrement lisible et non moins fait pour l'étude que pour l'exécution.

 

 

PIANO

 

Bärenreiter Piano Kaleidoscope.  Album de piano. Bärenreiter : BA10900.

Ce florilège de vingt-deux pièces allant de Bach à Debussy, de difficulté moyenne, constitue une anthologie destinée à faire découvrir les éditions Urtext Bärenreiter et à « mettre en appétit » les futurs acheteurs. Disons surtout que, pour un prix modique, on trouve rassemblés les « incontournables » de quinze auteurs qu'un jeune pianiste ne peut ignorer. Nul doute qu'il pourra être utile, soit comme cahier de travail, soit comme cahier de déchiffrage pour permettre à chacun de se constituer la base d'une véritable culture musicale.

 

 

 

Arletta ELSAYARY : Valse-Fantaisie  pour piano. Préparatoire. Lafitan : P.L.2977.

Cette charmante pièce permettra tout un travail sur les tonalités voisines, les modulations, et cela d'une manière fort agréable et comme sans y penser. Au professeur, ensuite (et surtout pas avant !), d'en extraire la substantifique moelle. Quant à l'élève, qu'il y prenne d'abord beaucoup de plaisir !

 

 

 

Maurice JOURNEAU : Impressions très fugitives  pour piano. Moyen. Fortin-Armiane : EFA 102.

Ces six « impressions » sont effectivement de très courtes pièces, extrêmement variées, qui constituent comme autant de petits paysages extérieurs ou intérieurs au gré de l'interprète. L'œuvre de ce compositeur mort plus que centenaire en 1999 mérite d'être connue. Dans un style proche de Ravel, certes, mais tout à fait personnel, il nous livre ici des petits tableaux qui, malgré leur brièveté, ou peut-être à cause d'elle, sont d'une grande densité.

 

 

Sergueï RACHMANONOV : Valse et romance.  Transcription de Jean-François Pailler pour piano à quatre mains. Moyen. Delatour : DLT2624.

Ces deux pièces originellement pour piano à six mains ont été écrites par un Rachmaninov de dix-huit ans dans un style proche de celui de son maître Tchaïkovski. La transcription pour piano à quatre mains ne trahit pas du tout ces deux charmantes pièces qui seront ainsi abordables par davantage de pianistes même si on ne saurait trop encouragé la pratique du piano à six mains, qui constitue aussi une excellente initiation à la musique de chambre. On trouvera sur le site de l'éditeur et sur YouTube la transcription https://www.youtube.com/watch?v=x224U51JprQ  et sur YouTube la version originale pour piano à six mains. https://www.youtube.com/watch?v=Vo7MikGlb8w

 

 

 

Bernard COL : Au tableau.  Six pièces scolaires pour piano. Assez facile. Delatour : DLT2659.

Ces courtes pièces humoristiques sur le thème de l'école sont pleines de vie et écrites dans un langage dans la lignée de Satie ou Poulenc. Il y a plein de vivacité et de couleur dans ces tableautins qui ont beaucoup de charme. De « En rang par deux » à « Enfin la récré », nous retrouvons des instants de la vie du jeune élève qui devraient ne pas avoir de mal à évoquer des images dans la vie des jeunes interprètes.

 

 

 

Bruno ROSSIGNOL : Suite Colombat  pour piano à quatre mains. Moyen. Delatour : DLT2640.

Le hameau de Colombat est situé dans le Périgord, sur la commune de Saint Etienne de Puycorbier. L'auteur en évoque à travers cinq petits tableaux le côté paysan, poétique et forestier ainsi que l'ambiance familière (Ulysse est un chat !) de chants occitans revisités. La cinquième pièce, en particulier, est un chant traditionnel occitan avec des variations. L'ensemble est très agréable et pittoresque. Ce sera un très bon moment musical pour les duettistes.

 

 

 

David PERRONE : Switch on Elise  pour piano. Facile. Delatour : DLT2643.

Facile, cette relecture de la célèbre « Lettre » ? Voire. Certes les harmonies et les structures sont respectées, mais tout est dans le style ! Et le style, on l'a ou on ne l'a pas. Il ne suffira pas de respecter scrupuleusement les quart de soupirs et les syncopes pour que le style jazzy de la pièce sente l'authentique. Quoi qu'il en soit, ce joyeux détournement est vraiment très réjouissant et pourrait redonner le sourire à toutes les Elises du monde et à quelques autres…

 

 

Frédéric CHOPIN : Valse posthume en la mineur (ou mazurka)  réécrite par Abdel Rahman El Bacha. Assez facile. Delatour : DLT 2686.

S'appuyant sur le fait que Chopin avait demandé qu'on détruise ces œuvres posthumes comportant souvent de sérieuses imperfections, le pianiste et compositeur Abdel Rahman El Bacha a eu envie d'imaginer ce que ces pièces auraient pu être si Chopin les avait révisées à l'époque de sa maturité. C'est ce qu'il a réalisé pour cette valse qui prend ainsi un tout autre aspect que l'auteurs juge bien plus conforme à l'esprit de Chopin : si l'on avait écouté ses dernières volontés, cette valse n'aurait jamais dû être exécutée. Pourquoi pas ? La réécriture a été ralisée avec tout le goût et la délicatesse dont est capable ce fin musicien.

 

 

 

ORGUE

 

Valéry AUBERTIN : Troisième Sonate extraire du Deuxième livre d'orgue. Chanteloup-musique : CMP 031.

Il n'est pas possible de résumer ici la très intéressante présentation que l'auteur fait de son œuvre au début de la partition. On connait les qualités de coloriste de Valéry Aubertin. Cette Troisième sonate pourrait être dite « à tiroirs » car elle contient en elle plusieurs sonates. L'auteur précise la manière dont on peut jouer l'œuvre soit intégralement soit en en prenant certains mouvements dans un ordre bien défini. Il faudra, bien sûr, disposer de trois claviers et de timbres adéquats. De plus, une des pièces ne peut être jouée que sur un instrument à registration mécanique : il faut en effet qu'un des jeux soit à moitié ouvert, faisant parler les tuyaux à un diapason plus bas que le reste de l'instrument. On sent combien l'auteur est sensible aux timbres et aux couleurs, ce qui fait la richesse de son écriture.

 

 

 

Frédéric LEDROIT : Prélude. Opus 57a. La Passion du Christ selon Saint-Jean pour orgue. Delatour : DLT2653.

Il est bien difficile de rendre compte en quelques lignes d'une œuvre aussi dense et spirituelle. Fort heureusement, une interprétation de l'œuvre par son auteur se trouve sur le site de l'éditeur (et sur YouTube) https://www.youtube.com/watch?v=oFCGambvraw Il sera d'autant plus important d'aller l'entendre que l'œuvre a été conçue pour le nouvel orgue de la cathédrale d'Angoulême, qui possède des possibilités de registration tout à fait spécifique. Ainsi, et selon la volonté de l'auteur, chaque organiste pourra adapter le texte aux possibilités de son propre instrument. Ajoutons que l'explication – commentaire  de l'auteur dans la partition est particulièrement intéressante et devra être méditée avant toute interprétation de cette œuvre.

 

 

 

HÄNDEL : Orgelwerke.  Bärenreiter : BA 11226.

Ce volume regroupe toutes les œuvres de Haendel dont on est certain qu'elles ont été écrites pour l'orgue. C'est à la fois une édition de travail et une édition critique. Les organistes envieront la composition des instruments de la Cathédrale Saint Paul de Londres et de la cathédrale de Salisbury, détaillée dans ce volume. Une sérieuse introduction permet de situer les œuvres pour une meilleure interprétation. La clarté de l'édition n'est évidemment plus à souligner…

 

 

 

HARPE

 

Davide PERRONE : Improvisation  pour harpe. Difficile. Delatour : DLT2642.

Construite en trois parties, cette pièce commence et se termine par de larges arpèges soutenant une mélodie lyrique dans un tempo rubato qui entretien l'atmosphère d'improvisation. La partie centrale, qui porte l'indication de « rythmé » fait précisément appel à des rythmes hispanisants et latino-américains. C'est une belle pièce pleine de vie et de fraicheur.

 

 

 

GUITARE

 

Patrice JANIA : Marche des quatre doigts.  Pièce pour guitare. Préparatoire. Lafitan : P.L.3009.

Si cette pièce s'apparente de prime à bord à une étude, elle n'a rien de rébarbatif, au contraire ! Le jeune guitariste pourra certainement prendre plaisir à cette succession d'intervalles qu'il n'est pas interdit d'entendre comme un grand choral. Ce pourra être, pour le professeur l'occasion de faire développer à l'élève une oreille polyphonique : cette apparente suite de note apparaîtra alors dans sa construction cachée et se laissera mémoriser sans difficulté. C'est donc une pièce intéressante par beaucoup d'aspects.

 

 

 

ACCORDEON

 

Fabrice TOUCHARD : Romance saintongeaise.  Pièce pour accordéon. Débutant. Lafitan : P.L.3096.

Cette romance est aussi une jolie valse mélancolique qu'on voit bien flotter sur une place de cette si belle province qu'est la Saintonge. Pour les élèves peu férus de géographie, on pourra évoquer Fort Boyard… Quoiqu'il en soit, l'ensemble, bien agréable, ne fera pas forcément la joie que des débutants…

 

 

 

VIOLON

 

Albert ROSS : Petit concerto op. 6 pour violon et piano. Révision : Frédérick Forti. Combre : CO 6797.

Cette œuvre d'un pianiste et compositeur à cheval sur la fin du XIX° siècle et le début du XX° ne manque pas de charme. Construite en deux mouvements, elle est entièrement en première position. Il est toujours intéressant pour les jeunes violonistes et pour leurs professeurs de disposer d'un répertoire à la fois facile et de qualité.

 

 

 

Jean-François PAILLER : Promenade  pour violon et piano. Deuxième année de premier cycle. Delatour : DLT2623.

L'auteur parle de contexte modal élargi : ne nous laissons pas troubler par cette appellation. C'est d'abord de la très bonne et très agréable musique dans un style qu'on pourrait dire post-debussyste, qui oscille, certes entre ré Majeur et si mineur modal, mais ce n'est pas d'abord cela que l'on retient. On sera surtout intéressé par la variété des paysages harmoniques et rythmiques que nous fait découvrir cette promenade. Bref, pianiste (d'un niveau moyen) et violoniste devraient trouver beaucoup de plaisir à cheminer ensemble. On peut l'écouter sur le site de l'éditeur http://www.editions-delatour.com/fr/violon-et-piano/3099-promenade-pour-violon-et-piano-9790232112404.html

 

 

 

ALTO

 

Albert ROSS : Petit concerto op. 6 pour violon et piano. Transcrit pour alto. Révision : Frédérick Forti. Combre : CO 6798.

On se reportera à la recension ci-dessus de l'œuvre pour violon.

 

 

 

Rezsö SUGÁR : Concertino  pour violon et piano. Transcription pour alto par Frédérick Forti. Préparatoire. Combre : CO 6799.

Cette œuvre d'un compositeur hongrois élève de Kodaly est tout à fait intéressante par la couleur typique qui s'en dégage, même s'il ne s'agit pas, bien entendu de folklore. On peut entendre, jouée par un élève, la version pour violon sur YouTube. Cette version pour alto est, transposée une quinte plus bas, la réplique fidèle de la version pour violon.

 

 

 

VIOLONCELLE

 

Dominique de WILLIENCOURT : EMTO  En Mémoire Tragiquement Optimiste. Op. 16 pour violoncelle et piano. (Transcription du concerto pour violoncelle et orchestre à cordes). Fortin-Armiane : EFA 101.

Ce concerto comporte trois mouvements. Le premier s'intitule « Prélude et allegro moderato ». A la fois lyrique et tourmenté, ce premier mouvement crée une atmosphère à la fois inquiétante et pourtant pleine de ressort. Le deuxième, intitulé « Lamentoso », s'enchaine directement avec le premier. Il n'a rien d'une complainte mais maintien la tension sans aucun répit. Le dernier mouvement est une « Gigue » haletante à la fin paroxysmique. Bref, il s'agit d'une grande et belle œuvre qui a été enregistrée et dont on peut entendre des extraits sur le site http://www.de-williencourt.com/DOMINIQUE-DE-WILLIENCOURT-L.html .

 

 

 

CONTREBASSE

 

ROSSINI : La Danza, Tarentelle Napolitaine  transcription pour contrebasse et piano d'Emilie Postel-Vinay. Difficile. Chanteloup-musique : CMP 29.

Même si elle demandera certainement beaucoup de travail à son interprète, cette célèbre Tarentelle écrite primitivement pour la voix ne manquera certainement pas de le réjouir et de le mettre dans un état euphorique communicatif. Saluons donc cette remarquable transcription qui devrait plaire autant à ses auditeurs qu'à son interprète.

 

 

 

FLÛTE TRAVERSIERE

 

Bernard COL : 10R2 Ravel.  Dix airs de Maurice Ravel arrangés pour 2 flûtes. Assez facile. Delatour : DLT2661.

Nous avons déjà dit à propos d'autres numéros tout le bien que nous pensions de cette collection. Voici donc ces arrangements pour deux flûtes traversières qui possèdent les qualités inhérentes à cette collection : les transcriptions sont d'une grande fidélité, le répertoire reprend des œuvres majeures de l'auteur. Outre l'intérêt qu'elles offrent pour la musique de chambre, ces pièces peuvent permettre une ouverture sur une véritable culture musicale.

 

 

 

CLARINETTE

 

Jean-François PAILLER : Histoire de clown  pour clarinette en sib et piano. Premier cycle. Delatour : DLT2622.

Cette bien réjouissante histoire comporte deux parties virevoltantes encadrant une partie mélancolique et méditative. Le tout est imprégné de beaucoup de poésie. Si la partie de clarinette est facile, tout en demandant, surtout dans la partie médiane, une grande maîtrise du souffle et beaucoup de musicalité, la partie de piano demande un pianiste aguerri.

 

 

 

Johannes BRAHMS : Sonaten in fa und Es pour clarinette et piano. Op. 120. Urtext. Bärenreiter : BA 10906.

Certes, il existe bien d'autres éditions de ces sonates mais, outre la qualité de la gravure, il faut surtout retenir la copieuse préface de Clive Brown et les très nombreuses indications concernant les différentes éditions du même et de Neal Peres Da Costa. Le tout ne fait pas moins de trente pages et va du texte autographe aux variantes introduites par les différentes éditions. Le tout est passionnant et il vaut vraiment la peine de se procurer cette nouvelle édition.

 

 

 

SAXOPHONE

 

Patrick CHOQUET : Aire libre  pour 4 saxophones alto. Moyen. Delatour : DLT2588.

Ces pièces, écrites en 1992 pour la classe de saxophone de l'Ecole Nationale de Musique d'Orléans, permettent d'aborder quelques rudiments de l'écriture contemporaine, notamment les sons multiphoniques. Atonales avec goût (on peut faire confiance au fin musicien qu'est Patrick Choquet), elles pourront, après avoir été analysées et jouées séparément, être exécutée totalement ou partiellement dans l'ordre qui paraîtra le plus logique.

 

 

 

André DELCAMBRE : Orientale  pour saxophone alto et piano. Préparatoire. Lafitan : P.L.2983.

Si cette pièce commence par une introduction calme et expressive, elle se continue par un ensemble plus allant et assez varié, tant par le rythme que par les modulations. Sa place dans la catégorie « musique de chambre » signifie que le piano a sa place à part entière. Il faudra donc une vraie complicité et une vraie écoute entre les deux instrumentistes. Le côté oriental est évidemment bien présent avec les secondes augmentées récurrentes. L'ensemble est très agréable et devrait plaire aux interprètes.

 

 

 

Jean-Michel BARDEZ : ReticentiaResistantia  pour quatuor de saxophones. Facile. Delatour : DLT2587.

Il s'agit tout simplement d'une harmonisation du célèbre Chant des marais  écrit semble-t-il en 1933 et que tous les anciens scouts connaissent dans la version harmonisée par César Geoffray. Jean-Michel Bardez nous offre avec beaucoup de délicatesse une harmonisation en style choral et tout à fait dans l'esprit de ce chant à la fois de douleur, d'espérance et de résistance. L'exécution de cette pièce pourra donner lieu à une remise en perspective historique qui lui donnera tout son sens.

 

 

 

BASSON

 

Max MÉREAUX : Cantiga  pour basson seul. Moyen. Lafitan : P.L.3038.

Une belle cantilène encadre une partie non moins lyrique mais plus agitée. La difficulté, dans ce genre d'œuvre, résulte moins de la technique, certes exigeante, mais de l'intériorisation qu'il faut faire de cette musique pour en donner une interprétation convaincante. Sans cela, ce peut être une simple suite de notes sans beaucoup d'intérêt. Or c'est loin d'être le cas et cette œuvre mérite vraiment qu'on s'y attache et qu'on la comprenne de l'intérieur. Si le niveau technique est « moyen », cela ne veut pas dire qu'elle ne peut pas constituer une véritable pièce de concert.

 

 

 

ORCHESTRE

 

Bernard COL : Rendez-vous aux Tuileries  pour orchestre à cordes de 2ème cycle. Delatour : DLT2666.

Précisons que la pièce est écrite pour trois parties de violon, alto, violoncelle et contrebasse. Si « l'esprit de la pièce est néo-classique » et que « les formules rythmiques et mélodiques sont celles des divertissements du XVIII° siècle », il ne s'agit en rien d'un pastiche : l'harmonie, elle, tout en restant relativement simple, est bien plus celle du XX° siècle ! On ne s'en plaindra pas : l'ensemble est tout à fait convaincant et permettra aux élèves par le côté pédagogique de son écriture, de s'initier à un véritable travail d'orchestre. La mélodie passe successivement à tous les pupitres. Cela devrait favoriser un véritable travail d'écoute mutuelle.

 

 

 

Daniel Blackstone.

***

LE COIN BIBLIOGRAPHIQUE

Haut

François-Bernard MÂCHE : Musique-Mythe-Nature. 1Vol. Aedam Musicae (www.musicae.fr ), 2015, 217p. (avec disque encarté) - 20 €.

François-Bernard Mâche est bien connu par son double engagement artistique et universitaire. Ses œuvres connaissent une très large diffusion internationale. Musicologue, Agrégé et Docteur ès-Lettres, il a assumé pendant une décennie les fonctions de Directeur du Département de Musique à l'Université de Strasbourg, et a été Directeur d'études à l'ÉHÉSS (École des Hautes Études en Sciences Sociales, Paris). En 2002, il a succédé à Ianis Xenakis comme Membre de l'Institut.

Ce livre (2015) arrive en cinquième position après deux éditions françaises épuisées, une version en italien ainsi qu'une en anglais. L'auteur — théoricien, compositeur et chercheur acharné — se positionne d'abord par rapport aux éditions antérieures, en tenant compte de nombreux facteurs : phénomène de mondialisation, diffusion de masse de la musique (répercussion commerciale), existence d'une autre génération de lecteurs…

Dans sa troisième édition parue environ 30 ans après, sans renier ses options antérieures (1983), il élargit sa démarche aux données musicales universelles, prend davantage en considération l'évolution sociétale, étend ses références même au monde animal, renforce son intérêt pour la pensée mythique et minimise quelque peu l'impact de la « recherche de l'innovation pour l'innovation » et de « l'émotion pour l'émotion ». L'hypothèse et la problématique de cette troisième édition consistent en la recherche d'une « troisième voie ». L'ouvrage est structuré autour de fils conducteurs très ciblés : La musique dans le mythe ; Universalité des modèles sonores ; Langage et musique ainsi que Zoomusicologie et, pour conclure, Le Modèle en musique. Toutes ces spéculations sont illustrées par un disque encarté comprenant 68 brefs extraits et renvoyant aux notes infrapaginales du livre. Ces exemples sont empruntés à des formes et musiques extraeuropéennes (Philippines, Esquimaux, Centre-Afrique, Mexique, Togo…), à des œuvres occidentales (Robert Schumann, Claude Debussy, Olivier Messiaen, John Cage…) et, bien sûr, ses propres compositions ; la contribution sonore la plus importante concerne de très nombreux chants d'oiseaux (plages 37-61).

Son motif conducteur précise que « le mythe, en tant que fonctionnement spontané de l'esprit humain, est une des sources de la création musicale » (p. 47). Dans l'introduction, François-Bernard Mâche offre un aperçu historique de la musique dans la mythologie grecque antique notamment dans l'entourage du musicien Arion, puis de Dionysos qui, en route vers l'Île de Naxos, ensorcela l'embarcation puis, sous l'effet d'une musique violente, les pirates se jetèrent à l'eau et seront changés en dauphins. L'auteur évoque d'autres mythes grecs tels que celui du berger Daphnis mettant en évidence l'imaginaire mythique qui peut encore envahir les œuvres musicales. Le mythe représente une image et implique souvent le « doublement des motifs » comme en musique. Toutefois, il n'est pas donneur de leçons de morale ou de sociologie. Au long de sa démarche, l'auteur attire néanmoins l'attention sur le fait que « le mythe relate les phénomènes, mais ne les définit pas » (p. 43).

Après cette revue de nombreux mythes, l'auteur décèle une « troublante universalité de certains motifs » (Grèce, Japon, Polynésie…). Il constate que ces mythes grecs musicaux sont, en fait, des « mythes de conflits musicaux » (p. 35) : d'où — après ce long plongeon dans la Grèce antique — un rapprochement avec l'appréciation de la situation musicale actuelle (dessèchement du sérialisme et remise en cause du matériau en musique), car la musique est aussi en contact avec les traditions orales et subit l'influence des nouvelles technologies, notamment de l'informatique musicale. Il attache une grande importance à la traduction symbolique, car le son a un rôle de « transmetteur d'une pensée sonore » et, dans la mesure où elle incarne l'infrastructure rythmique des phénomènes, la musique est d'essence symbolique. L'auteur fera aussi intervenir la psycho-physiologie humaine et, plus généralement, celle des êtres vivants (p. 39), si l'on veut bien admettre que « la musique plonge ses racines au plus profond du psychisme inconscient » (cf. p. 40). Il met en garde contre les séquelles du Positivisme et les illusions de l'Historicisme ; met surtout en balance les idées aussi bien d'Auguste Comte (1798-1857) ou de Stuart Mill (1806-1873) que de Claude Lévi-Strauss (1908-2009) ayant signalé les affinités entre musique et mythologie, mais — comme le souligne François-Bernard Mâche —, cela implique une recherche des universaux.

Pour démontrer l'Universalité des modèles sonores et dégager un premier répertoire d'universaux, il évoque d'abord le fondement théorique de Jean-Philippe Rameau (1702-1766), se lance aussi dans la musicologie comparée, l'organologie et fait intervenir la « mise en évidence, dans les musiques adultes, de figures sonores et de procédés de traitement universels répandus dans toutes les cultures » (p. 53), la pratique de l'imitation (chez les enfants et adultes) et celle des onomatopées. En fait — dans le cadre de cette chronique et compte tenu de la densité de la pensée —, il est impossible de proposer une présentation détaillée de cet ouvrage très complexe avec, en outre, des réflexions si solides sur le thème « langage et musique » et l'introduction d'une discipline très neuve : la Zoomusicologie. La conclusion relative au Modèle en musique fait suite à de nombreuses analyses « essayant d'établir les bases biologiques de la musique à travers l'imaginaire spontané — le mythe —, les échanges entre langage et musique et les rapports aux sons du biotope, viennent conforter une pratique esthétique centrée sur l'idée du modèle ».

L'auteur conclut par un constat et une interrogation. Il souligne l'effondrement de la tonalité et de la série, rappelle que le XXe siècle musical « cherche laborieusement à redéfinir un contact entre les universaux mythiques toujours vivants, le monde des sons nouveaux créés par l'homme, et les sons immémoriaux de la nature. Il finira peut-être par en sortir une civilisation nouvelle » et termine sur une question ouverte : «  En serons-nous les témoins ? » (p. 215).

Édith Weber.

 

Antoine BONNET, Pierre-Henry FRANGNE (dir.) : Mallarmé et la musique, la musique et Mallarmé. L'écriture, l'orchestre, la scène, la voix. Rennes, Presses Universitaires de Rennes (www.pur-editions.fr  ), 2016, 243 p. – 38 €.

D'entrée de jeu, le titre « réversible » annonce la teneur des contributions réunies par Antoine Bonnet et Pierre-Henry Frangne encore confirmé, si besoin était, par Mallarmé lui-même : « tout est là : je fais de la musique ». Les auteurs — ayant participé en mars 2015 à un Colloque à Rennes — se réclament des disciplines complémentaires suivantes : musicologie, composition et analyse musicale ; littérature, lettres et sciences humaines ; philosophie, philosophie de l'art et esthétique.

Le premier thème aborde la théorie mallarméenne de la musique ; le second, son application pratique. Quelques compositeurs, notamment Claude Debussy (cf. « le souffle mallarméen de la Flûte du Faune »), sans oublier Wolfgnag Amadé Mozart, Ludwig. van Beethoven, Richard Wagner, Gabriel Fauré. Ces Actes de colloque se veulent un In memoriam au regretté Pierre Boulez (1925-2016) qui, en 1958, dans son article : « Son, verbe, synthèse » (Revue belge de Musicologie) a lancé l'idée qu on peut noter que les poètes ayant travaillé sur le langage lui-même sont ceux qui laissent sur le musicien l'empreinte la plus visible ; évidemment, nous viennent immédiatement à l'esprit les noms de Mallarmé, plutôt que de Rimbaud… » (cf. exergue, Avant-Propos, p. 9).

Le support philosophique et poétique renvoie, entre autres, à Friedrich Hölderlin (1770-1843), Novalis(1772-1801), Emmanuel Kant (1724-1804), Arthur Schopenhauer (1788-1860)... L'environnement poétique, dans une perspective comparative, se réfère à Charles Baudelaire (1821-1867) et Arthur Rimbaud (1854-1871). Selon Pierre-Henry Frangne, Stéphane Mallarmé a le mérite d'avoir libéré le rythme musical et d'avoir « pensé la musique à même le texte poétique lui-même ». Il insiste sur la sonorité, le rythme et la cadence, et considère la poésie comme une musique, en fait à égalité. Elle est un art d'interprétation-exécution (p. 22).

Autour des quatre paramètres : écriture, orchestre, scène, voix, ces Actes dégagent, en force ou entre les lignes, la pensée mallarméenne et la situent dans ses divers contextes historiques et culturels, avec des analyses très fines, bien circonstanciées et polyvalentes, autour de l objet musical chez Mallarmé ». Les lecteurs sont donc conviés à une excellente « saisie musicale de Mallarmé » pour qui « la Poésie est Musique par excellence » (1895). Avec le recul du temps, ce livre illustre largement le chemin parcouru depuis les travaux de Suzanne Bernard et son livre : Mallarmé et la Musique (1959). Cette publication atteste la vitalité de la Collection « Aesthetica » et le rayonnement international de l'Université de Rennes 2.

Édith Weber.

 

Jean COCTEAU : Écrits sur la musique. Textes rassemblés, présentés et annotés par David Gullentops et Malou Haine. Paris, Éditions VRIN (www.vrin.fr), Collection Musicologie, 2015, 646 p. – 32 €.

Cette publication hors pair résulte d'un travail à deux auteurs (de 2005 à 2015) qui, avec une méthodologie exemplaire, ont regroupé 310 textes et 137 illustrations réalisés par Jean Cocteau entre 1910 et 1963. Cette imposante moisson, patiemment engrangée, fait l'objet de minutieuses confrontations, notamment au sujet des variantes entre les manuscrits et leur publication, puis de judicieuses annotations projetant un éclairage explicatif grâce à la complémentarité pluridisciplinaire des Professeurs Malou Haine, musicologue, et David Gullentops, Directeur des Cahiers Jean Cocteau. Les documents — manuscrits, dactylogrammes, épreuves d'éditeurs annotées par Cocteau — comprennent des poèmes, pièces de théâtre, romans, livrets d'opéra, mais aussi des courts métrages, arguments pour des ballets, mises en scène, critiques musicales et articles journalistiques, auxquels il convient d'ajouter des masques, costumes et portraits, ainsi que sa correspondance, ses souvenirs, entretiens et hommages (pour les anniversaires de ses amis). L'ensemble de ces pièces concerne la littérature, la poésie, la musique, les arts du spectacle, les arts plastiques, le cinéma et, occasionnellement, le jazz, le music-hall et le cirque. Les deux éditeurs ont opté pour un découpage chronologique par décennies de 1910 à 1963 (complété par une rubrique concernant les œuvres non datées).

Jean Cocteau (né le 5 juillet 1889 à Maisons-Laffitte, mort le 11. 10. 1963 à Milly-la-Forêt) a, alors âgé de 24 ans, en mai 1913, assisté à la création du Sacre du Printemps d'Igor Stravinski. Cet événement sera l'amorce d'une vaste carrière lors de laquelle il a déployé des activités polyvalentes, comme le prouvent ses Écrits. Au fil des décennies, c'est toute une histoire de la France intellectuelle, artistique, musicale et littéraire qui défile, jalonnée par des événements marquants, judicieusement situés dans leurs divers contextes et assortis de notes infrapaginales largement commentées et documentées, renvoyant dans certains cas au Catalogue et à des indications bibliographiques (ouvrages et référence et spécialisés).

 

-         1910-1919. Cocteau rédige des critiques succinctes dans la Revue Comoedia, fait part de ses réactions sur le vif après des spectacles et concerts, notamment la saison des Ballets russes. Il rencontre Vaslav Nijinski, Ida Rubinstein, la chanteuse et danseuse Mistinguett…, relate ses impressions à propos du Martyr de Saint-Sébastien (Claude Debussy), de Daphnis et Chloé (Maurice Ravel), des Choéphores (Darius Milhaud/Paul Claudel, d'après Eschyle), rédige la Préface de Socrate, collabore encore avec Érik Satie pour le ballet Parade (d'abord scandale en 1917, puis triomphe) qu'il considère comme un « chef-d'œuvre de chez nous ».

-         1920-1929. Cocteau, au « Bœuf sur le Toit », commence à fréquenter le « Groupe des Six » : Georges Auric (1899-1983), Louis Durey (1888-1979), Arthur Honegger (1892-1955), Darius Milhaud (1892-1974), Francis Poulenc (1899-1963) et Germaine Tailleferre (1892-1983). En 1927, il assiste à la création d'Oedipus Rex (Stravinski/Cocteau) ; en 1928, il produit de nombreux dessins, notamment à propos du Groupe des Six pour la couverture du programme du Concert Auric-Poulenc….

-         1930-1939. Cocteau défend toujours la musique française, rencontre Charles Trénet à Marseille, s'intéresse entre autres au « Band » Django Reinhardt-Stéphane Grapelli. À noter : le Document 128 : « Ravel et nous » et le Document 131 : « dernière image de Serge Diaghilev » particulièrement révélatrice….- 1940-1949. Cocteau évoque Charles Trénet, travaille avec Édith Piaf — qui est « inimitable » (152) —, relate le tour de chant de « M. Maurice Chevallier » (137) ou rend compte de l'interprétation du Magnificat de J. S.  Bach sous la direction de Charles Munch (138), de la création de Prométhée par Serge Lifar (147). Il considère Marianne Oswald comme une grande interprète (162), s'intéresse aussi au cirque (166-167)…

-         1950-1959. Cocteau fixe son attention sur le Groupe des Six (datant de 1916, cf. note infrapaginale 117) dont il définit l'esthétique générale (206), p. 487-488. Il s'intéresse beaucoup à Georges Auric avec lequel il a « toujours travaillé », à Érik Satie (mort en 1925) et Darius Milhaud… Il salue aussi Marguerite Long, « grande pianiste » (236). En 1958, il rend hommage à Ernest Ansermet, « un grand chef d'orchestre et un ami ». De plus, il peut s'enorgueillir d'avoir « amené en France le premier jazz concertant »…

-         1960-1963. Cocteau, pendant ses dernières années,  salue Gilbert Bécaud, Louis Armstrong, les Compagnons de la chanson, Jean Wiéner, Charles Aznavour ; il rend aussi hommage à Francis Poulenc, « personne si vivante » (291-295), mort le 30 janvier 1963, et à Édith Piaf. Jean Cocteau décédera le 11 octobre…

Avec son contenu littéraire très dense — accompagné de croquis typiques au coup de crayon si particulier (portraits d'amis, caricatures, reportages graphiques de spectacles…), révélateurs de toute une époque de création artistique en France —, cette publication est un modèle de méthodologie et de présentation, de patience et de minutie, pour traiter un tel imboglio documentaire, du point de vue musicologique et littéraire, mais aussi global, conformément à l'objectif des deux éditeurs : « rendre compte des œuvres en relation avec la musique » (et la danse) : contrat rempli, vraie prouesse éditoriale.

 

Édith Weber.

 

 

Catherine Lechner-Reydellet. La Grande École française du piano. Préface : Aldo Ciccolini. 1 vol Éditions Aedam Musicae, Collection Musiques XX-XXIe siècles,  2015, 427 p.  35€.

 

Catherine Lechner-Reydellet, écrivaine mais aussi pianiste et professeure au conservatoire de Grenoble, à n'en pas douter connaît son affaire lorsqu'elle interroge 41 pianistes français pour tenter de nous aider à caractériser ce que serait la Grande École française de piano. Mais à la fin de l'ouvrage on en vient plutôt à s'interroger sur la pérennité d'une telle école plus que d'avoir la certitude qu'elle survit. En fait en refermant cet ouvrage on se pose la question bien plus générale : existe-t-il encore des écoles nationales ? Il y a peu on pouvait parler d'école hongroise du clavier, d'école polonaise, d'école russe, mais aussi d'école française celle-ci se caractérisant par un jeu perlé, celui qui ressortait des doigts de Marguerite Long, pour citer une de ses plus célèbres représentantes. L'élégance du phrasé se retrouvait bien évidemment chez elle, mais aussi chez d'autres représentants de cette école comme Jean Doyen. Mais aujourd'hui quoi de commun entre ces grands ancêtres qui eurent de nombreux disciples et certains des 41 artistes sélectionnés par Catherine Lechner-Reydellet comme Michaël Levinas, François Frédéric Guy, Bertrand Chamayou... Ce que l'on peut en revanche affirmer c'est que le nombre de pianistes français ayant une grande notoriété est important, et que ceux-ci ont puisé leur style à travers l'expérience de maîtres de diverses nationalités.

 

Quarante et un pianistes vont donc être livrés à une batterie de questions quasi identiques d'un artiste à l'autre, leurs réponses étant précédées d'une fiche d'informations remarquablement renseignée : date et lieu de naissance, formation, récompenses internationales et distinctions honorifiques, carrière, spécialité, enseignement, discographie sélective et enfin adresse du site internet de l'artiste. On ignore malheureusement si il y a eu des critères de sélection ou refus de la part de certains pianistes d'être interviewés. Ainsi peut-on être surpris de ne pas retrouver par exemple Pierre-Laurent Aimard, Jean-Philippe Collard, Hélène Grimaud, Jean-Marc Luisada, Roger Muraro, Georges Pludermacher. Mais l'auteure doit bien avoir ses raisons qui en tout cas n'enlèvent rien à l'intérêt de son livre. Grâce à Catherine Lechner-Reydellet on appréhende de manière très fine le cheminement des pianistes qu'elle a retenus. Ainsi peut-on mesurer l'influence de certains maîtres et par exemple le nom de l'un d'eux revient fréquemment : Jean Hubeau, admiré pour son ouverture d'esprit et son apport dans le domaine de la musique de chambre. Une pédagogue d'origine italienne est évoquée à plusieurs reprises avec admiration : Maria Curcio-Diamand, dont le rôle déterminant est souligné par Laurent Cabasso ou Bertrand Chamayou qui à cet effet n'hésitèrent donc pas à traverser la Manche pour bénéficier de son enseignement, qu'elle même avait reçu d'Arthur Schnabel...On s'éloigne quelque peu de la tradition Camille Saint-Saens, et de Marguerite Long ! Autre personnalité ayant marqué nos pianistes nationaux , Léon Fleisher, qui lui aussi reçut l'enseignement de Schnabel.

 

Mais ce qui est aussi très intéressant à lire dans les réponses aux questions posées par l'auteure c'est la liste des artistes ayant influencé la plupart des 41 pianistes retenus : Claudio Arrau, Wilhelm Kempf, Alfred Brendel, mais surtout Emil Gilels et Sviatoslav Richter., ainsi qu' Arthur Rubinstein, Vladimir Horowitz, György Sebök. On peut en revanche être un peu surpris par la présence discrète de Maurizio Pollini. Ce panthéon des artistes référents montre bien à quel point nos pianistes français ne s'enferment pas dans une école qui a pu avoir son heure de gloire dans le passé ; aujourd'hui ils affirment leur identité à travers la recherche d'influences multiples et la construction d'un répertoire où à côté de Chopin, Schumann, Beethoven et Mozart, ils privilégient peut-être plus volontiers qu'ailleurs Debussy ou Ravel. Le pianiste apprenti trouvera dans ce livre des conseils pertinents sur la façon de travailler, de conduire sa carrière, de gérer son temps, de s'intéresser à d'autres arts que le sien pour maintenir son équilibre. Et puis il y a des portraits passionnants tels ceux de Vlado Perlemuter à travers divers témoignages, et surtout des pages particulièrement sensibles de Gabriel Tacchino sur Francis Poulenc. Un livre lacunaire certes, mais qui regorge d'informations inédites sur sinon la Grande École française du piano du moins sur les nombreux pianistes français qui font l'admiration des mélomanes du monde entier.

 

Gilles Ribardière.

 

 

Valentin BERLINSKY :  Le quatuor d'une vie. 1Vol, Éditions Aedam Musicae (www.musicae.fr), 2015, 299 p – 25€.

 

Les Éditions Aedam Musicae donnent accès à de remarquables textes dans le domaine musical. Ainsi en est-il de l'ouvrage « Valentin Berlinsky, le quatuor d'une vie », traduit par la petite fille du légendaire violoncelliste du quatuor Borodine, Maria Matalaev. On peut y lire des textes de la main même de Valentin Berlinsky mis en forme par Vera Teplitskaya à partir de ses carnets scrupuleusement tenus. Elle a aussi pu s'entretenir avec lui ainsi qu'avec des proches de l'artiste. Le livre est complété par de très riches annexes qui permettent d'avoir par exemple connaissance des concerts du quatuor que Valentin Berlinsky considérait comme mémorables, ceux qui avaient pour partenaire Sviatoslav Richter, la liste des pays et années des tournées, le répertoire du quatuor....Autrement dit une véritable mine d'informations !

 

Ce qu'il y a de passionnant dans cet ouvrage c'est qu'il permet d'entrer dans l'intimité d'un quatuor parmi les plus célèbres au monde ; on y perçoit les difficultés relationnelles entre les qutre musiciens, ce que Richter note en ces termes : « Malheureusement ils ne s'entendent pas très bien entre eux, mais c'est le malheur de tous les ensembles », ce qui n'empêchait pas un rendu en concert exceptionnellement homogène. De plus, grâce à ce livre, on appréhende mieux ce qu'a pu être la vie artistique en Union Soviétique, avec des portraits inédits de David Oïstrakh, Mstislav Rostropovitch, Sviatoslav Richter, mais aussi surtout celui de Dmitri Chostakovitch. En effet tout au long de ses notes, Berlinsky nous aide à comprendre les quatuors de cet immense compositeur, car c'est à travers eux que Chostakovitch nous livre ses pensées les plus intimes, confrontées à un contexte bien particulier que l'on doit qualifier de dramatique. On apprend aussi beaucoup sur des artistes pas ou peu connus de nous, quand il évoque des peintres comme Dmitri Krasnopevtev ou Anatoly Zverev, ainsi que ses collègues du quatuor, en particulier les violonistes Rostilav Dubinsky, Mikhaïl Kopelman et Yaroslav Alexandrov, et l'altiste Dmitri Shebaline. Par ailleurs Berlinsky n'occulte jamais les méfaits du régime et pas uniquement dans sa version stalinienne, ni sa bureaucratie pesante, ni l'antisémitisme dont ses collègues et lui purent être victimes. Mais cela n'atteint pas son indéfectible attachement à la Russie qu'il refusa toujours de quitter alors même que certains de ses collègues – Dubinsky, Kopelman – se réfugièrent à l'Ouest. En 2005 il eut cette phrase sans appel adressée à tout un ensemble de jeunes musiciens «  Les enfants, tenez le coup : ne quittez jamais la Russie ».

 

En fait ce qui guida tout au long de sa carrière le comportement de Berlinsky ce fut son éthique, sa volonté de perfection pour permettre à l'âme de s'exprimer sachant, selon sa formule, que « si l'âme de l'artiste est plus faible que la puissance de son don, jamais il ne parviendra à vivre pleinement dans l'art ». Et il ajoute plus loin que « Si l'artiste est obligé de vendre son talent au lieu de le servir, rien de bon, c'est à dire de profond et de vrai ne pourra en sortir ». Nombreuses sont les formules ciselées qui rendent compte de ses exigences artistiques, par exemple sur la tradition : « une thésaurisation des règles les plus importantes, des lois qui, paradoxalement, ne ralentissent pas mais aident au développement d'une individualité », ou sur la culture qui  « devrait être, en tant que cœur de toute éducation, le guide éclaireur dans tous les domaines de la vie ». On tire de cet ouvrage le témoignage d'une profonde humanité. Et en même temps Berlinsky nous fait comprendre que le Quatuor Borodine dont il fut le violoncelliste durant 64 ans avait pour mission de transporter ses auditeurs au delà de l'humain, au plus profond de l'âme.

 

Gilles Ribardière.

 

 

REVUES

 

« BEETHOVEN, sa vie, son œuvre », n°18. Association Beethoven France & Francophonie (www.beethoven-France.org ), 1er Semestre 2016, 136 p. - 10 €.

Cette publication semestrielle est destinée aux membres de l'Association et également aux mélomanes auxquels, conformément à ses objectifs, elle apporte de nombreux éléments parfois inédits sur la vie et l'œuvre de Beethoven. La première partie s'adresse aux lecteurs curieux ; ils y trouveront des informations sur ses domiciles successifs : plusieurs maisons à Vienne, par exemple la Pasqualatil-Haus, les appartements à la Mölkerbastei, à Herzendorf, à Heiligenstadt, entre autres, permettant de localiser la genèse et la création de ses œuvres, de visualiser son cadre de travail, mais aussi de connaître ses fréquentations ou encore les lieux de concerts, sans oublier ses déplacements. Ce parcours particulièrement détaillé contribue à une meilleure compréhension de ses habitudes quotidiennes jusqu'en 1817 (à suivre). Dominique Reniers apporte des renseignements assez neufs sur l'entourage du compositeur comprenant notamment l'Archiduc Rodolphe d'Autriche (1788-1831) et s'interroge — à propos du dédicataire de la Missa solemniss'il s'agit éventuellement d'un « calcul politique de la part de Beethoven qui avait besoin d'un mécène » et, documents à l'appui, « ce qu'a pu — ou aurait pu — être la relation entre le rugissant Beethoven et le bonhomme Archiduc… » (p. 13). Cet article très documenté est explicité par un tableau relatif aux personnalités dans la mouvance de l'Archiduc Rodolphe ainsi que par cinq Annexes concernant, entre autres, les événements marquants dans sa vie, les œuvres qui lui sont dédiées, ainsi qu'une fiche synoptique des relations établies autour de la rencontre de Beethoven avec l'Archiduc Rodolphe, des membres de la Cour et de l'aristocratie, des musiciens, mais aussi des allusions aux problèmes juridiques.

La deuxième partie, présentée par Patrick Favre-Tissot-Bonvoisin, est dévolue à la Missa solemnis (op. 123). Il propose « une discographie comparée de l'ultime chef-d'œuvre sacré beethovénien » qui guidera le discophile et le néophyte (p. 31 sq.). Les chefs les plus réputés défilent ainsi à travers les décennies. L'analyse de la Missa solemnis (4e article) de Bernard Fournier porte plus particulièrement sur le Sanctus avec, entre autres, un remarquable plan général, des précisions sur l'instrumentation et une analyse fouillée des diverses séquences et sections ainsi que sur le travail thématique, donnant même un aperçu des lettres adressées à l'Archiduc et la liste des divers éditeurs. En conclusion, l'auteur rappelle le souhait en tête du Kyrie… « Venu du cœur ! Puisse-t-il retourner au cœur ». Cette phrase est située dans son vrai contexte. À noter encore les importants compléments de Michel Rouch à propos de « Beethoven au cinéma (V) » et de Diane Kolin : « Beethoven au théâtre (II) ».

La troisième partie est relative à l'information et à l'actualité dans une perspective critique systématique et comparative : cinéma, théâtre, enregistrements en France et à l'étranger, ainsi qu'un entretien avec Jean-Bernard Pommier, pianiste beethovénien s'il en est. À propos de la Hammerklavier Sonate ou encore de la Fugue de la Sonate (op. 110), il insiste sur la « scolarisation systématique de la technique pianistique ». Cette interview bénéficie de questions judicieuses et de réponses circonstanciées. Une annonce concerne également l'Exposition (17 panneaux) thématique proposée par l'Association.

Saluons cette nouvelle présentation très lisible, avec une meilleure mise en page ; elle est étayée d'illustrations significatives et de citations musicales à des fins de démonstration. En notre époque troublée, comme le rappelle le Président Dominique Prévot : « La musique de Beethoven en particulier constitue à la fois un message d'espoir et de courage. »

Édith Weber.

 

***  

LE BAC DU DISQUAIRE

 

Haut

 

« Imitatio ». Heinrich Ignaz Franz von BIBER. Johann Heinrich SCHMELZER.  Alessandro POGLIETTI. Johann Caspar KERLL. Ricercar Consort, dir. Philippe Pierlot. Avec Tuomo Suni, violon, Kaori Uemura, Rainer Zipperling, basses de viole, Franz Coppieters, violone, Julien Wolfs, orgue et claveccin. 1CD MIRARE : MIR 302. TT.:  79'.

Cette réalisation comprend des œuvres instrumentales de Heinrich Ignaz Franz von Biber (1644-1704), Johann Heinrich Schmelzer (v. 1630-1680), Alessandro Poglietti (mort en 1683) et Johann Caspar Kerll (1627-1693). Elle se situe dans le cadre de la musique représentative et du stylus phantasticus, qui est « la manière la plus libre d'écrire la musique, sans lien avec des paroles ou un schéma harmonique, il laisse place à l'invention du compositeur… ». Quant au stylus hyporchematicus, il « est le style de la danse divisé en deux catégories, la danse de théâtre plus libre et la danse de cour basée sur des schémas plus réguliers », selon le texte de présentation. Ce disque offre une synthèse des formes en usage après la Guerre de Trente Ans (1618-1648) à la Cour impériale de Vienne, dans l'entourage de l'Empereur Léopold Ier (1640-1705) : ballet, bataille, sérénade, sonate et toccata — dont celle de Poglietti faisant allusion à la rébellion de Hongrie ; il souligne l'engouement de la Cour pour les procédés de contrepoint et d'imitation avec une finalité édifiante (sonate). Le Ricercar Consort comprend l'Australienne Sophie Gent (violon), le Belge Philippe Pierlot (basse de viole, viole alto), la Française Maude Gratton (clavecin) auxquels, selon les morceaux, sont associés Tuomo Suni (violon), Kaori Uemura et Rainer Zipperling (basses de viole), Franz Coppieters (violone) et Julien Wolfs (orgue et clavecin), entre autres… Ils rendent avec musicalité ces œuvres agréables à entendre, de caractère tour à tour allant, méditatif, mettant en valeur le contrepoint dans le cadre du style imitatif très intériorisé. À noter l'intervention de Matthias Vieweg dans le rôle du veilleur de nuit de la Serenade a 5 de H. Biber (plage 1) qui, selon la tradition, indique l'heure à haute voix : « Oyez, oyez, Messieurs, et sachez que le maillet a frappé la neuvième heure. Gardez votre foyer… et louez le Seigneur Dieu et Notre Dame », ainsi que le passage très dissonant pour évoquer le combat dans la Battalia de H. Biber (pl. 9), apportant à ce disque haut en couleurs une brillante conclusion pleine d'humour et de fantaisie. Grâce à Philippe Pierlot et au Ricercar Consort : voici une incontournable démonstration historique des stylus phantasticus et hyporchematicus.

 

 

Édith Weber.

 

« 2 Harpsichords ». Johann Sebastian BACH, Benedetto MARCELLO, Antonio VIVALDI, Johann Adam REINCKEN : transcriptions. Skip Sempé, Olivier Fortin, clavecin. 1CD PARADIZO: PA 0014. TT :  63' 38.

L'initiative de Skip Sempé, claveciniste, organiste, musicologue et chef d'orchestre américain (né en 1958), concerne des transcriptions pour deux clavecins de diverses œuvres instrumentales (pour orgue, violon solo et violoncelle) de Jean Sébastien Bach, ainsi que de ses arrangements de Concertos et Sonates de ses contemporains. Il s'agit bien de deux instruments (et non d'un clavecin à 4 mains). Avec Olivier Fortin, ils ont retenu 2 clavecins du même facteur produisant des timbres contrastants : l'un de facture allemande ; l'autre, française. Ils rappellent que J. S. Bach a bien composé des œuvres pour 2, 3 et 4 clavecins et que, plus proches de nous, les pianistes ont aussi interprété certaines de ses œuvres à 2 pianos. Pour cet enregistrement, les deux clavecinistes ont fait preuve d'un solide esprit d'équipe, chacun écoutant attentivement l'autre, et d'un grand sens des registrations et timbres appropriés. Le programme comporte des adaptations de 14 pièces pour orgue du Cantor (Préludes, Préludes et Fugues, par exemple les Préludes et Fugues en Do majeur (BWV 545 — bien enlevé et avec précision, mais évidemment avec un effet plus martelé qu'à l'orgue — et BWV 547 — très entraînant —) et des arrangements d'œuvres de Benedetto Marcello (1686-1739) — Adagio en ré mineur (BWV 274) —, Antonio Vivaldi (1678-1741) — par exemple, son Concerto bien connu en la mineur  (BWV 593) — percutant et entraînant, puis méditatif, avec une sonorité moins chaude qu'à l'orgue, et à nouveau bien enlevé — et Johann Adam Reincken (1623/1643?-1722) dont l'Adagio en la mineur (BWV 965) est assez clavecinistique. Cette initiative avec deux instruments « sonnant » de façon convaincante valait la peine d'être tentée.

 

 

Édith Weber.

 

 

« Valses » de Frédéric CHOPIN & Johannes BRAHMS. France Clidat, piano. 1CD VDE GALLO (www.vdegallo-music.com) : CD 1192. TT.: 70'23.

 

La regrettée pianiste France Clidat (1932-2012) a enregistré du 31 octobre au 3 novembre 2008 une remarquable sélection de Valses de Frédéric Chopin (1810-1849) et de Johannes Brahms (1833-1897) à l'Église protestante Saint-Marcel de Paris bénéficiant d'une acoustique généreuse tout à fait appropriée. Ces Valses, œuvres à succès tant pour les pianistes confirmés que pour les élèves des Conservatoires, ont souvent été galvaudées car leur interprétation nécessite généralement une solide virtuosité, mais aussi le sens de l'exaltation. Élève de  Lazare Lévy, Emil Gilels et Lelia Gousseau, outre les Prix du CNSM, elle a obtenu le Prix Liszt au Concours international de Budapest (1956). Immédiatement remarquée et encouragée par le critique musical du Figaro, Bernard Gavoty, elle a donné quelque 2700 concerts en France et à l'étranger, et fait honneur à l'école française de piano. Le premier volet de ce disque est consacré à 14 Valses composées par Chopin entre 1829 et 1847 dont, en introduction, la Grande Valse brillante en mi b majeur (op.18) et une sélection de Valses (op. 34, 64, 70), y compris la Valse en mi mineur, opus posthume (1830). Elle fait preuve d'un goût très sûr, d'une technique éblouissante (vélocité des doigts, notes répétées, arpèges, appoggiatures, traits…), d'un sens très solide des tempi, et réussit à recréer — pour chaque Valse — le caractère voulu par Chopin, et fait preuve d'un tempérament exceptionnel qu'il n'aurait certes pas désavoué, rendant à chacune des 14 Valses sa personnalité musicale propre. Le second volet comprend Seize Valses (op. 39) composées par Johannes Brahms entre 1856 et 1865, devant être jouées sans interruption (donc enchaînées). Après la première version à quatre mains, comme le rappelle Rémi Jacobs, Brahms en a réalisé une pour piano à deux mains. Ces œuvres, de caractère romantique, proches de la veine populaire ou, occasionnellement, du folklore tzigane, sont empreintes de brillance mais aussi de mélancolie et de nostalgie. France Clidat exploite la plénitude sonore du piano ; elle s'impose par sa souplesse de jeu, son sens des nuances, sa précision, sa rigueur et sa sobriété, mais aussi par sa grande puissance expressive. Ce disque représente en quelque sorte le chant du cygne de la célèbre pianiste déjà atteinte lors de l'enregistrement par l'inexorable maladie qui devait l'enlever quatre ans après. Elle avait le don d'entraîner les mélomanes dans un flot de notes d'un élan irrésistible, mais aussi de créer les atmosphères chères à Chopin et à Brahms, avec grâce et distinction. Bel exemple pour la postérité.

 

Édith Weber.

 

 

« De Baudelaire à Proust » : Sonates française pour violon et piano de César Franck, Gabriel Fauré, Claude Debussy. Virginie Robillard, violon, Bruno Robillard, piano. 1CD HORTUS (www.editionshortus.com) : HORTUS 128. TT.: 70' 00.

Virginie Robillard, violoniste soliste internationale, a joué avec les plus grands Orchestres en France et à l'étranger ; elle est accompagnée au piano par son frère, Bruno Robillard qui mène également une brillante carrière de concertiste en France, se produit avec plusieurs Quatuors, est également compositeur et improvisateur. Ce programme se présentant comme un triptyque débute aux accents de la Sonate en La majeur composée par César Franck (1822-1890) en 1886, en 4 mouvements, dédiée au célèbre violoniste belge, Eugène Ysaÿe, reposant sur le principe cyclique avec un thème qui se retrouve tout au long de l'œuvre. Dans l'Allegretto ben moderato, le violon bénéficie d'une belle envolée lyrique ; le piano, tout en créant discrètement l'atmosphère, assure quelques interludes et ponctue rythmiquement l'ensemble. Les deux interprètes font preuve de virtuosité dans l'Allegro plus développé et bien enlevé, alors que le Recitativo-Fantasia (ben moderato), débute par un solo de violon particulièrement expressif, suivi d'un dialogue épuré. L'Allegretto poco mosso reprend le thème initial au violon avec un accompagnement pianistique suggestif. Ils donnent une interprétation passionnée et brillante de cette Sonate par ailleurs si souvent galvaudée. Après avoir été refusée par les éditeurs français, étant trop « moderne », la Première Sonate en La majeur de Gabriel Fauré (1845-1924) a été publiée en Allemagne en 1876 et créée en 1877. Cette première sonate a été composée à l'âge de 30 ans. Son style s'impose par des modulations, sonorités et rythmes inattendus. Lors de la création, Camille Saint-Saëns a affirmé qu'« on trouve dans cette Sonate tout ce qui peut séduire ». Après l'Allegro molto bien enlevé, l'Andante baigne dans le mystère, alors que  dans le Scherzo : Allegro vivo, volubilité et agilité sont de mise. Le Finale : Allegro quasi presto pose sur cette œuvre un point d'orgue transparent et dépouillé. Enfin, la Sonate en Sol mineur composée en 1917 par Claude Debussy (1862-1918) comporte deux mouvements vifs encadrant un intermède central « fantasque et léger », selon les indications du compositeur qui apparut la dernière fois en public à la Salle Gaveau, lors de la création par Gaston Poulet et lui-même au piano. Voici une collaboration artistique exemplaire entre le frère et la sœur qui apprécient tout particulièrement la musique française délicate et subtile. Leur réalisation est judicieusement placée sous le signe de Charles Baudelaire : « La musique souvent me prend comme une mer ! » et de Marcel Proust : « Elle est peut-être l'exemple unique de ce qu'aurait pu être… la communication des âmes. » Sic.

 

 

Édith Weber.

 

 

« Vom Werden und Vergehen. Songs of Life and Death ».  Ensembles Vocapella & Impronta, dir. Tristan Meier. 1CD RONDEAU PRODUCTION (www.rondeau.de) : ROP 6102. TT.: 74' 38.

Les Éditions leipzicoises Rondeau Production viennent de lancer un disque thématique : Chants de vie et de mort, petite Anthologie regroupant des œuvres sur des textes spirituels, parfois profanes, mis en musique par des compositeurs allant de Franz Schubert et Friedrich Silcher à Richard Strauss, Rudolf Mauersberger jusqu'à Nikodemus Gollnau (né en 1985), parmi d'autres. Les chanteurs des Ensembles Vocapella (de Limbourg) – fondé en 2007 — et Impronta, placés sous la direction de Tristan Meier, se sont complètement investis dans 29 pièces vocales d'essence religieuse : And Death Shall Have No Dominion d'après le texte de Dylan Thomas soulignant, de façon réaliste, que la mort n'aura pas d'emprise ; (Aus) Sieben letzte(n) Worte(n), extrait de quelques Paroles du Christ en Croix, ou encore Herr, lehre doch mich — d'après le Psaume 39, verset 4 : Seigneur, enseigne-moi que ma vie a une fin et que je devrai m'en aller, car je suis un pèlerin sur terre…). D'autres pièces, d'inspiration profane et lyrique : printemps, lune, chant des esprits sur les eaux, magnolias… complètent ce programme qui montre que la vie et la mort peuvent aussi être traitées dans des petites formes (mélodies, chœurs) et non pas uniquement dans les grandes formes comme les Oratorios et Passions. Un modèle du genre tant par sa diversité textuelle que par sa haute qualité vocale et expressive.00000

 

 

Édith Weber.

 

Émile GOUÉ : 2e Symphonie en la op. 39. Ballade sur un poème d'Émily Brontë, op. 29. Orchestre Radio-symphonique de Paris, dir. : Tony Aubin (Symphonie). Maria Béronita, soprano, quatuor vocal, Quatuor Krettly, Henriette Roget, piano, dir. Louis de Froment (Ballade). 1CD AZUR CLASSICAL (www.azurclassical.com ) : AZC 135. TT :  45' 23.

Ce CD paraît en premier enregistrement mondial — d'après les enregistrements de l'Institut National de l'Audiovisuel (INA) effectués en 1945 et 1958 —, respectivement sous la direction de Tony Aubin et de Louis de Froment.

L'œuvre d'Émile Goué (1904-1946) se situe dans la mouvance esthétique de Charles Koechlin (1867-1950), tout en étant encore assez proche de l'école franckiste. Prisonnier en Allemagne, il y a terminé sa 2e Symphonie en la avec violon principal (op. 39) en 1943. Elle est structurée en 4 mouvements : Modérément animé (le plus développé), Très lent, Animé, Animé. Selon le directeur artistique Damien Top : « Le violon solo s'intègre dans l'orchestre à la manière du piano dans La Cévenole de D'Indy. Écrit dans l'euphorie, le mouvement initial pourrait évoquer une promenade en Creuse, ainsi que le suggère Goué. » Il commence par une fanfare énergique et incisive avec un premier thème bondissant, alors que le deuxième est de caractère chantant et particulièrement expressif. Quant à la coda, elle traduit le « regret de la promenade terminée, souvenirs qui défilent, exaltation ». Le deuxième mouvement, Très lent, est de caractère lyrique et mystérieux que renforce encore le remarquable solo de violon, avec des oppositions de couleurs oscillant entre violence et douleur. Le compositeur a souhaité créer une atmosphère pleine de fantaisie et de rêve. La conclusion « se présente (dramatiquement) comme une sorte de chant de triomphe, entonné par une foule en liesse, pendant une kermesse gigantesque. » Les deux derniers mouvements, Animé, sont à la fois virevoltants et bien enlevés par les violons et le soliste. Cette œuvre montre combien l'exubérance et la joie peuvent être un antidote à la difficile condition de prisonnier. Elle a été créée avec les moyens du bord par l'orchestre de l'Oflag, le 13 novembre 1943, avec Jean Robin au violon. Tony Aubin, à la tête de l'Orchestre Radio-Symphonique de Paris, et Max Roques (violon) excellent dans la traduction à la fois du lyrisme, du rêve, du drame inhérents à l'œuvre et à la situation du compositeur.

Émile Goué a composé sa Ballade sur un poème d'Émily Brontë (op. 25) en 1940, en Lorraine, pendant la Seconde Guerre mondiale, et l'a terminée à Bordeaux lors d'une permission, comme le rappelle Damien Top, son biographe attitré. Se situant dans le prolongement vocal et prosodique de la Mélodie française, elle nécessite l'effectif suivant : Soprano (Maria Béronita), quatuor vocal, quatuor instrumental (Quatuor Krettly), piano (Henriette Roget), tous placés sous la direction avisée de Louis de Froment. Le poème d'Émily Brontë évoque d'abord le passé : « Tell me, tell me, smiling child, What the past is like to thee », le présent, le futur et la « Dame à la blonde beauté », enfin la brise et les « vêpres du vent qui dévastent la nuit ». Le quatuor vocal assume un rôle de narrateur avec de nombreuses vocalises à bouche fermée pour créer un climat quelque peu lugubre. Cette œuvre a été créée à la Radio Nationale, le 19 mars 1949, précisément par Louis de Froment. Émile Goué : un nom à retenir, tant le compositeur est typique de la filiation musicale française dans la première moitié du XXe siècle.

 

 

Édith Weber.

 

« CANTUS ». Transcriptions pour violoncelle de JS. BACH, Antonio VIVALDI, Astor PIAZZOLLA, Thierry ESCAICH. Christian-Pierre La Marca, violoncelle. Avec Thierry Escaich, orgue, Patricia Petibon, soprano. Les Ambassadeurs, dir. Alexis Kossenko. 1CD SONY classical (www.sonymusic.fr ) : 88995303822. TT.: 69'.

Christian-Pierre La Marca (violoncelle) a réalisé une véritable Anthologie avec des transcriptions d'œuvres marquantes. Comme le rappelle Jean-Jacques Velly : « Transcrire a toujours été une activité majeure en musique car, de tout temps, les musiciens n'ont eu de cesse de vouloir s'approprier les répertoires musicaux qui, à l'origine, ne leur étaient pas destinés ». « L'originalité du programme… est de se concentrer essentiellement sur de célèbres pièces vocales religieuses… ». C'est dans cette optique qu'il comprend des pages bien connues allant de Jean Sébastien Bach à Thierry Escaich. Par sa chaude et profonde sonorité, le violoncelle recrée l'atmosphère énergique du Magnificat (Deposuit potentes) ou celle, implorante ou méditative, de l'Air de la Passion selon Saint Matthieu : Erbarme dich, mein Gott ou encore l'invocation du prélude de choral (BWV 639) : Ich ruf zu dir, Herr Jesu Christ. Le Stabat Mater dolorosa est représenté, entre autres, par celui d'Antonio Vivaldi. L'excellent interprète a aussi, parmi d'autres, retenu l'incontournable Pie Jesu extrait du Requiem  de G. Fauré et, pour l'époque contemporaine, l'Ave Maria d'Astor Piazzolla (1921-1992). Cet enregistrement est réalisé occasionnellement avec le concours des Ambassadeurs, dirigés par Alexis Kossenko et de  Thierry Escaich à l'orgue. Avec Patricia Petibon (soprano) — dont la voix est mise à rude épreuve —, Christian-Pierre La Marca a enregistré (en première mondiale) Enluminures de Thierry Escaich (né en 1965). Formant une équipe bien équilibrée, ils confèrent à cette page toute l'intériorité requise. À travers les siècles, ils ont signé une excellente « Défense et Illustration » du processus de transcription et des possibilités sonores et expressives du violoncelle.

 

 

Édith Weber.

 

« Polish Music for Cello and Piano ». Izabella Buchowska, violoncelle, Jakub Tchorzewski,  piano. 1CD DUX (www.dux.pl ): DUX 1155 : TT.:  62' 21.

Comme le souligne Danuta Gwizdalanka, depuis quelques décades, les qualités particulièrement expressives du violoncelle ont inspiré les musiciens. Ce programme regroupe cinq compositeurs polonais du XXe siècle ayant traité des formes classiques : sonate, passacaille, bagatelle — dont, en premier enregistrement mondial, la Bagatelle n°3 pour violoncelle solo (2014) de Bartosz Smoragiewicz (né en 1978). Le compositeur le plus connu est sans conteste Witold Lutoslawski (1913-1994) avec ses Métamorphoses graves pour violoncelle et piano (1981). Les discophiles découvriront aussi les noms de Witold Szalonek (1927-2001), Jerzy Bauer (né en 1936), Krzystof Meyer (né en 1943), ainsi que Bartosz Smoragiewicz (né en 1978). Izabella Buchowska (violoncelle) et Jakub Tchorzewski (piano) conjuguent leurs talents pour rendre les atmosphères contrastées de la Sonate pour violoncelle et piano (1958) de Witold Szalonek (1927-2001), en trois mouvements traditionnels : Allegro -decido, Lento, Allegro ma non troppo, de caractère tour à tour incisif, impulsif, décidé, puis lent et très méditatif et, à nouveau, bien rythmé, avec quelques traits de virtuosité au piano, dont le rôle est aussi important que celui du violoncelle. Pour sa part, Jerzy Bauer (né en 1936), reprend l'ancien style de violoncelle et piano, dans sa Passacaille composée en 2003. La Sonate n°2 pour violoncelle et piano (op. 99, 2004) de Krzystof Meyer (né en 1943), associe une atmosphère romantique à une réelle tension, puis se termine dans un contexte de plus en plus dramatique. Ce disque comprend encore trois Bagatelles de Bartosz Smoragiewicz et l'œuvre intitulée : Métamorphoses graves pour violoncelle et piano (1981) de Witold Lutoslawski (1913-1994), particulièrement profonde et intériorisée. Décidément,  Izabella Buchowska maîtrise tous les traquenards techniques (pizzicati, jeu acrobatique…). Avec son accompagnateur Jakub Tchorzewski, ils sont fidèles aux intentions des compositeurs.

 

Édith Weber.

 

Krzysztof PENDERECKI : Violin Concerto n°1. Viola Concerto.  Konstanty Andrzej Kulka, violon. Robert Kabara, alto. Orchestre polonais Sinfonia Iuventus, dir. Maciej Tworek. 1CD DUX (www.dux.pl ) : DUX 1185. TT :  63' 22.

Krzysztof Penderecki n'est pas à présenter au grand public. Rappelons qu'il est né en 1933 à Debica, près de Cracovie, où il a suivi les cours à l'Académie Supérieure de Musique, puis enseigné la composition en 1958 et assumé les fonctions de Recteur de 1982 à 1987. Il a été professeur à l'Université de Yale de 1973 à 1978. Il est également un remarquable chef d'orchestre sollicité aussi bien en Allemagne qu'en Pologne. Pour ce CD, il dirige d'ailleurs son Concerto pour alto. Il est titulaire de nombreuses récompenses et de plusieurs Doctorats honoris causa. Sa Passion selon Saint Luc lui a assuré une vaste popularité, et ce musicien d'avant-garde connaît un rayonnement international.

L'idée principale de ses Concertos est la juxtaposition de l'instrument soliste et de l'orchestre. Son Concerto pour violon et orchestre n°1 (1976-1977) occupe une place significative dans la musique polonaise d'après-guerre. À mi-chemin entre l'expression et l'émotion romantiques et la tradition du « concert symphonique » lancée par Ludwig van Beethoven, Johannes Brahms ou encore Karlowicz Szymanowski (1882-1937), il spécule notamment sur les dissonances, le chromatisme, clusters et changements de tempo et de mouvement, ainsi que sur les couleurs, parfaitement rendus par l'Orchestre polonais Sinfonia Iuventus dirigé par Maciej Tworek et par Konstanty Andrzej Kulka, l'un des plus éminents violonistes virtuoses de sa génération. Le Concerto pour alto et orchestre (1983) est structuré en 7 mouvements très contrastés (Lento ou Vivace). Il est bien enlevé, avec virtuosité et musicalité, par Robert Kabara, altiste titulaire de nombreuses distinctions et également chef d'orchestre polonais très représentatif. L'Orchestre polonais Sinfonia Iuventus, chefs et solistes rendent un vibrant hommage à l'école polonaise contemporaine en recréant ces Concertos et leur conférant ces atmosphères spécifiques selon l'esthétique du XXe siècle. Cet enregistrement contribuera largement à une meilleure connaissance du patrimoine musical polonais.

 

 

Édith Weber.

 

« Conversations ». Jean-Baptiste QUENTIN : Concerto à quatre parties, Œuvre XII ; Quatuor, Sonata III, Œuvre XV ; Sonata IV à quatre parties, Œuvre VIII ; Sonata V en trio, Œuvre X. Louis-Gabriel GUILLEMAIN : Sonata III, premier livre de sonates en quatuors ; Sonata V, second livre de sonates en quatuors. Nevermind : Jean Rondeau, clavecin, Anna Besson, flûte, Louis Creac'h, violon, Robin Pharo, viole de gambe. 1CD Alpha : Alpha 235. TT.:  74'09.

 

Les « conversations » dont ce disque est le propos font échanger deux compositeurs du XVIII ème siècle français adeptes des styles français et italien, quoique la manière italienne domine semble-t-il. Jean Baptiste Quentin (1690-c.1750) était violoniste notamment à l'Académie Royale de Musique et fréquentait les salons, en particulier celui de Mesdames Du Hellay où il rencontrera Rameau, Blavet, Daquin, Marais et Du Phy. Il est l'auteur d'un corpus impressionnant dont des sonates de violon ou pour la flûte, des trios et surtout des sonates en trio et en quatre parties pour violon, flûte, gambe et basse continue. Le présent programme propose, outre le Largo du Concerto  à quatre parties (1742), les « Quatuors, Sonata » III et IV (1747) pour cette même formation, la basse continue étant tenue ici par le clavecin. La première est une œuvre pleine d'esprit et de fantaisie dont se détachent un adagio bien pensé, un brin mélancolique et un troisième mouvement intitulé « Première et seconde Aria », successivement vif, et plus doux telle une Loure. La seconde débute par un Largo doucement expressif. L'allegro entamé par la flûte est entrainant. La « Gavotta Tendrement » mêle les deux styles, la fluidité italienne et l'élégance française, et tout un art de la surprise en musique. Dans la « Sonata V en trio », le rôle de la flûte est prédominant dès l'adagio qui semble tracer comme une histoire. Les trois autres mouvements sont plus vifs, toujours empreints de cette clarté qui distingue l'œuvre de ce musicien. Louis Gabriel Guillemain (1705-1770) était également violoniste virtuose, en poste notamment à l'Opéra de Lyon en 1729, puis  ''musicien ordinaire de la Chapelle de la Chambre du Roi'' en 1737. Son œuvre est importante : clavecin, musique de chambre, symphonies, ces dernières jouées au Concert Spirituel de 1739 à 1762. Sa « Sonata III » du premier livre des Sonates en quatuor montre une écriture pareillement claire même si plus complexe. L'épanchement au Larghetto reste réservé et l'Aria suivante est de ton populaire dans une forme aristocratique. On note dans cette œuvre une fine alliance de la flûte et du violon pour tracer un propos quelque peu fantasque. La « Sonata IV » du second livre, en trois mouvements, est cependant plus longue que la précédente. Encore une fois, flûte et violon conversent tandis que les deux autres protagonistes complètent le propos. Le langage est quelque peu dramatique (Allegro et Presto). L'Aria gratioso centrale contraste, quasi élégiaque, toujours dominée par la flûte. L'interprétation est un sans faute : le quatuor  ad hoc réunissant le claveciniste Jean Rondeau, la flûtiste Anna Besson, le violoniste Louis Creac'h et le gambiste Romain Pharo est « un quatuor en démocratie absolue autoproclamée » où nonobstant la célébrité de chacun et les nombreuses occupations de tous, on entend se retrouver pour la seule chose qui vaille : la musique!  Tout le reste... Nevermind !  Y compris la curieuse illustration de la pochette du disque. 

 


Jean-Pierre Robert.

 

 

« Mozart Arias ».  Airs et scènes extraits de Don Giovanni, Le Nozze di Figaro, Così fan tutte, Die Zauberflöte. Symphonie N° 36 « Linz » K. 425. Christian Gerhaher, baryton. Freiburger Barockorchester, dir. Gottfried Von der Goltz. 1CD Sony classical : 88875087162. TT. : 76'.

 

Ce disque n'est pas une simple collection, fût-elle intéressante, d'arias pour baryton, tirés des opéras de Mozart. Il ambitionne un propos hautement plus ambitieux : traiter le thème des métamorphoses d'Éros dans les derniers opéras de Mozart : la trilogie Da Ponte et La Flûte enchantée. De même qu'il ne se limite pas aux seuls airs qu'on détache volontiers de ces opéras mais comprend également des solos vocaux empruntés à des scènes dramatiques. Enfin l'auteur du projet, Christian Gerhaher, a-t-il tenu à inclure la Symphonie Linz K. 425, dont les quatre mouvements sont en outre joués dans un ordre non chronologique. Cette anthologie nous montre comment bien des personnages de Mozart conçoivent l'amour et comme celui-ci doit être distingué de l'institution du mariage. De Don Giovanni, on va entendre le point de vue de Leporello, à travers l'aria « Madamina, il catalogo è questo » », légèrement caustique dans '' ma in Ispagna '', ou froid cynique dans '' ma passion predominante è la giovin principiante '', ou plus tard dans la scena de l'acte II où il tente d'échapper à ceux qui se croient bernés par lui. Mais bien sûr celui de Don Giovanni lui-même dans la romance '' de la fenêtre '' ou l'air '' du champagne '', d'un plus que preste abattage, et encore aussi dans le long solo de la scène où, au deuxième acte, le séducteur disperse ses éventuels adversaires armés. Avec Les Noces de Figaro, Gerhaher nous gratifie d'un « Se vuol ballare signor contino » bien enlevé, d'un aria du IV ème acte « Aprite un  » un brin rageur, car l'amoureux déçu est pourtant bien aimant, ou encore d'un « Non più andrai » délicieusement cynique. Du Conte, le chanteur se délecte de la morgue de l'aria du III, dans un tempo bien soutenu. De Così fan tutte, c'est bien sûr le personnage de Guglielmo qui, version baryton, parle le mieux d'amour : que ce soit dans « Non siate ritrosi » où il détaille ses avantages physiques, ou dans « Donne mie, la fate a tanti » là où le cynisme vis à vis de la gente féminine est  troussé sur des glissandos de violons. Dans La Flûte enchantée, Papageno est un amoureux de moindre rang, mais plus nature. On se délecte à l'écoute de ses deux arias dont «  Ein Mädchen oder Weibchen » où percent l'émerveillement mais aussi une certaine nostalgie, et le déchirant «  Papagena, Papagena, Papagena » ou le vrai faux adieu à la vie. Gerhaher termine son récital par un air peu connu et alternatif de Così fan Tutte, autre hymne caustique à la femme. Entre temps, on aura savouré les quatre mouvements de la Symphonie Linz, judicieusement placés entre les différents airs, ménageant d'habiles transitions, tel le Menuetto, bien articulé, venant après les mots  « Gute Nacht du falsche Welt! » de Papageno, où l'on attendait l'intervention soudaine des trois Knaben... Ils sont fort joliment interprétés par Gottfried von der Goltz dirigeant le fringant Freiburger Barockorchester. Ils prodiguent un accompagnement tout aussi vivant des arias. De son timbre clair, ensoleillé, d'une mâle prestance et de son impeccable diction Christian Gerhaher distille le vrai art de chanter Mozart, comme son illustre prédécesseur Dietrich Fischer-Dieskau. Et on savoure la fine caractérisation de chacun des six personnages. Une anthologie à marquer d'une pierre blanche.   

 

 


 

Jean-Pierre Robert.

 

 

Ludwig van BEETHOVEN : Symphonie N° 4 op. 60. Symphonie N° 5 op. 67. Concentus Musicus Wien, dir. Nikolaus Harnoncourt. 1CD Sony classical : 888  TT.: 40'48+35'41.

 

Nikolaus Harnoncourt avait commis le projet de réenregistrer l'ensemble des symphonies de Beethoven avec son Concentus Musicus Wien. Il n'aura pu le mener à son terme. Voilà sans doute deux exemples d'un travail approchant de près le ''dernier mot'', offrant la fraicheur et la spontanéité du concert, les deux symphonies ayant été captées live au Muikverein de Wien en mai 2015. Rarement aura-t-on entendu autant creuser l'écart dynamique - des forte retentissants, des pianissimos comme caressés, des crescendos fièrement montés - ; autant pousser la rythmique aussi loin, faisant ressentir la pulsation même ; alors que le marquage de mesure n'a que peu à voir avec une rigueur métronomique, rappelle le chef. Et autant vu scruter le texte dans ses moindres recoins  : de chaque mouvement, de chaque phrase, de chaque accent, pour en libérer le sens premier. Ajouté à cela la patine des musiciens de son orchestre livrant des exécutions plus que magistrales, loin d'être ''old fashioned » : on tient là quasiment des versions de référence dans le domaine de l'exécution sur instruments non modernes. La Quatrième Symphonie op. 60 débute par une introduction adagio très lente, évoquant une sorte de chaos initial, comme celui de La Création de Haydn, précise le maitre, et le surgissement du tutti en apparait encore plus éclatant. Avec l'allegro vivace commence cette « droite ligne qui va jusqu'à la fin de l'œuvre ». L'aspect dansant souvent mis en avant, par Simon Rattle en particulier, cède le pas ici à une scansion qui peut frôler le martèlement. Les derniers accords seront secs, abrupts. L'adagio est pris à un rythme soutenu comme le scherzo mené à vive allure avec un impulse progressant sans rémission. Le Trio offre quelque rusticité que la sonorité perçante du hautbois viennois pare d'une agréable note claire. Et la reprise est un poil encore plus véhémente. Muni d'une articulation très appuyée, l'allegro ma non troppo final marque la différence avec bien des interprétations, non pas tant en termes de tempo que de scansion. Harnoncourt libère une énergie interne contagieuse, le développement se faisant de plus en plus rapide, l'épilogue en particulier avec sa série d'accords répétés très secs, quasi frénétiques. A la coda, la montée en puissance est proprement irrésistible, les tuttis mêlés jusqu'à marquer comme un point d'arrêt et les accords terminaux sont là encore abrupts. Harnoncourt s'est expliqué sur cette manière d'asséner les accords conclusifs.

 

Il en va ainsi de ceux terminant la Cinquième Symphonie op. 67. Harnoncourt prévient : c'est ici bien autre chose que « ta ta ta taa... », qui n'« est pas un thème ». Une entame preste et brillante, formidablement articulée là encore, pour le con brio, chaque silence déclenchant une nouvelle salve. Et le chef les tire avec une rare vitalité. Cela bombarde de partout lors du tutti central. Et soudain la mélopée du hautbois solo semble donner le signal du répit. Une pause de courte durée car la péroraison se vit comme une série de décharges où les vents ont leur part dans ce rythme fol. L'andante con moto est « comme une prière... un désamour qui passe », là encore caractérisé par l'alternance de forte assénés et de phrases s'enroulant aux cordes pour laisser aux bois distiller leur petite musique sereine. Les cors de l'allegro suivant tranchent sur un début de discours pianissimo et cela progresse solidement, les traits de violoncelles, placés à gauche de l'échiquier en contrepoint des altos, ferraillant fort. Aux passages ppp fait écho la déclamation des cors. Harnoncourt joue la reprise ici par souci d'architecture, « comme un flash back de cinéma », dit-il. La transition piano est fascinante : pizzicatos des cordes aiguës, interrogations des instruments graves, contrepoint des cors jusqu'à l'attaca intervenant après un bref crescendo pour ouvrir le finale. Celui-ci est glorieux, c'est peu de le dire, soulevé par une force tellurique qui conjugue une dynamique extrêmement large et un choix de tempos des plus étudiés. La coda se déploie tel un feu dévastateur qu'accentuent des cuivres  resplendissants. Quel souffle ! On a envie de crier comme les auditeurs de décembre 1808 «  Vive l'empereur! ». Qu'on ne se méprenne pas : il ne s'agit pas d'une lecture ''à la prussienne''. Tout le contraire : rien d'une quelconque forme de pression, mais une vision d'énergie asservie à une idée de grandeur. Servie par un orchestre transcendé. Indispensable!

 


Jean-Pierre Robert.

 

 

«  Symphonic scenes ». Franz LISZT : Mephisto Waltz Nos 1, 2 & 3. Midnight Procession. Funeral Triumph of Tasso. Salve Polonia. Kit Amstrong, piano. 1CD Sony classical : 88875163732. TT.: 69'50.

 

Le dessein du pianiste Kit Amstrong était d'enregistrer toutes les « scènes symphoniques » de Liszt c'est à dire les transcriptions pour le piano des versions orchestrales. À part la Méphisto valse N°1, elles ne sont pas très connues. Ainsi de la Procession de minuit, extraite des Scènes de Faust de Lenau, qu'Amstrong rapproche précisément de la première Méphisto Valse. Elle évoque le mystère nocturne, bien sûr, mais bien autre chose : « la méditation, le calme... Pas un calme vide, l'expression de la transfiguration », dit-il. Il y a dans cette pièce tout un drame, à l'aune des grondements du médium et du grave de l'instrument, et la pédale permet de restituer l'aura de l'orchestre. De la Méphisto Valse N° 1, il fait ressortir la palette démoniaque, le ressort dramatique dans les passages arpégés, et avec une fébrilité qui, balayant le clavier, s'attache à figurer une course folle avant d'installer le fameux rythme. Il dit s'écarter de la version pour piano de Liszt pour une variante s'inspirant plus de la version orchestrale, comme dans la guirlande de notes répétées à la main gauche tandis que s'égrène à la droite un chapelet de notes aiguës. La péroraison traduit le foisonnement de tout un orchestre déchainé. Et les grands aplats sont presque effrayants. C'est peut-être dans Le Triomphe funèbre du Tasse que Liszt a le mieux écrit de manière orchestrale. « L'écriture est très subtile », remarque Amstrong. La rythmique saccadée va jusqu'à la frénésie et le registre médium éclaire les extrêmes, aigus en particulier, lors de ce qui figure l'entrée des cloches. Toute une dramaturgie du tragique n'est-elle pas ici convoquée ? La Méphisto Valse N° 2 est d'ampleur toute différente de la précédente et de la troisième. Une idée de danse ludique et effrénée qui connait cependant quelques répits. La partie médiane est bien chantante et déploie un pianisme ''liquide'', annonçant presque Debussy. Le finale reprend un rythme extrêmement preste jouant des écarts entre grave et aigu avant une conclusion grandiose en fusées et de grands accords plaqués. Encore moins connu, Salve Polonia constitue une sorte d'interlude séparant les deux Polonaises tirées de l'Ode à Saint Stanislas. La pièce en fait la synthèse dans une manière de méditation : une pièce étrange quoique parfaitement lisztienne avec ses crescendos ménagés par des accords répétés fiévreux de la main gauche et ses grandes montées chromatiques. La Méphisto Valse N°3 est souvent considérée comme mineure dans la production de Liszt. C'est une oeuvre de la vieillesse, d'abord écrite comme une réduction pour piano avant la version orchestrale. Mais, selon Kit Amstrong, elle « ressemble à l'esquisse d'une œuvre pour orchestre ». Il en restitue les subtilités du langage harmonique, sa rythmique simple qui se complexifie peu à peu pour devenir une danse démonstrative, jouant de toute l'étendue du clavier. Il faut ici une poigne de fer et Amstrong l'a assurément. Cœurs sensibles s'abstenir ! Jouant un Bechstein, Amstrong offre un pianisme grande manière, virtuose certes, mais asservi à une maitrise raisonnée. L'autorité qui en émane est médusante comme l'art de contraster les couleurs. De Mozart, à la Mozartwoche de Salzbourg (cf. NL de 3/2016), à Liszt, quel éclectisme ! Il faut suivre de près ce pianiste ; tout ce qu'il touche est frappé au coin d'une salutaire idée de renouveau.   

 

 


Jean-Pierre Robert.

 

 

« Les Filles du Rhin ». Chœurs et arrangements de Franz SCHUBERT, Robert SCHUMANN, Johannes BRAHMS, Richard WAGNER. Bernarda Fink, mezzo-soprano, Emmanuel Ceysson harpe. Chœurs de femmes de l'ensemble Pygmalion, dir. Raphaël Pichon. 1CD Harmonia Mundi : HMC 902239. TT.: 74'31.

 

Voilà le premier volet d'une trilogie consacrée à l'art du canon dans l'histoire musicale allemande. Et ici utilisé dans les chœurs féminins. Raphaël Pichon a imaginé de conter une histoire en six parties à partir des Filles du Rhin, une des figures de la mythologie allemande. La Première, « Les Filles de Morphée », va nous conduire du Prélude de l'Or du Rhin de Wagner, murmuré par 24 voix de femmes, sur accompagnement de  harpe, 4 cors et deux contrebasses, d'une étonnante fluidité comme sonne la version orchestrale ; puis au « Wiegenlied » op.78/4 de Schumann pour voix de femmes et harpe ; puis au chœur op. 41/1 de Brahms, transcrit pour 4 cors, ce qui fait sonner ce Lied de manière étonnamment claire. La seconde partie, « Sirènes », du nom de la Romance de Schumann op.69 N° 5, une de ses plus belles inspirations, pour voix de femmes, va voisiner avec le Psaume XXIII « Gott ist mein Hirt » D.706 de Schubert pour voix de femmes et harpe, d'une belle liquidité ; et avec la Romance « In Meeres Mitten » de Schumann Op.91 N° 6, un grand moment de poésie musicale sur un étrange poème de Rückert. La troisième partie « Sérénade » nous mène de la Sonnerie de Siegfried pour cor solo, à l'acte II de l'opéra éponyme, au Volkslied de Brahms pour voix de femmes, op.113 n° 5 « Wille, wille will der Mann ist kommen! » : beau contraste, car ce n'est pas le dragon qui répond au héros wagnérien mais un pépiement de jeunes filles... Vient ensuite le Lied « Ständchen » (Sérénade) D.920 de Schubert pour soliste, chœurs de femmes et harpe, aux harmonies frémissantes avec un beau jeu de cache-cache entre la soliste et le chœur. « Les Pleureuses » forment la quatrième partie où sont réunis : « Lacrimosa son io » D.131b de Schubert, pour canon à trois voix égales, d'une indicible tristesse ; puis la Romance « Die Capelle » (La Chapelle) op. 69/6 de Schumann, un des meilleurs exemples d'écriture canonique ; et de Schubert, « Coronach » D.836, pour voix de femmes, deux cors et harpe, avec son balancement frêle, saisissant dans cette instrumentation ; enfin la « Marche funèbre » de Siegfried tirée de l'acte III du Crépuscule des Dieux, dans une adaptation pour quatre cors réalisée par James Wilcox : l'allègement de la texture et du propos de la pièce (quoique celui-ci ne soit pas la désolation mais la célébration de quelque gloire passée) ne parvient pas à lui conférer son poids déclamatoire.

 

La cinquième partie « Le chagrin d'amour » convoque la chanson « Innsbruck, ich muss dich lassen », d'après Heinrich Isaac (c.1450-1517), lointain ancêtre d'un choral célébré par JS. Bach, donné ici pour chœur de femmes d'une écriture dans la manière du XIX ème siècle ;  et deux Volkslied en canon pour voix de femmes de Brahms, op N° 2 et N° 13, ce dernier qui trouve sa source dans le dernier Lied du Winterreise, « Le joueur de vielle » de Schubert, ou l'impression d'un immobilisme désolé. La dernière partie : « Les Filles du Rhin », que nous retrouvons dans leur chant de l'acte III du Götterdämmerung, transposé ici pour chœurs de femmes, deux cors et harpe. Cet arrangement propose en fait deux chœurs dans une confrontation d'une étonnante fraicheur. On est loin du diatonisme de ces dames de L'Or du Rhin qui laisse place ici au chromatisme de leurs ébats, trois ''journées''' après. On voit aussi combien Wagner annonce ses propres Filles Fleurs de Parsifal et même les « Sirènes » de Nocturnes de Debussy. Cette partie se conclut par les Vier Gesänge (Quatre chants) op. 17 de Brahms interprétés dans cette même formation, et ici joués avec des cors naturels, comme écrit. Ces chants convoquent encore les figures poétiques de Filles du Rhin. Belle conclusion à ce programme richement évocateur de la déploration sublimée comme de la sensualité amoureuse puisée dans les légendes germaniques. L'interprétation du Chœur Pygmalion, outre qu'elle est immaculée, procure une impression d'immatérialité en même temps que de poids dramatique dès lors que rehaussée des cors : les quatre cors magistraux d'Anneke Scott, Joseph Walters, Olivier Picon et Chris Larkin. Il faut saluer encore la contribution de Bernarda Fink et surtout la harpe enchantée d'Emmanuel Ceysson. On attend avec impatience les deux autres volumes, promis pour voix d'hommes, et pour voix mixtes. 

 


 

Jean-Pierre Robert.

 

 

Felix MENDELSSOHN : Symphonie N° 3  « Écossaise » op. 56.  Symphonie N°4  « Italienne », op. 90. Freiburger Barockorchester, dir. Pablo Heras-Casado. 1CD Harmonia Mundi : HMC 902228. TT.: 67'36.

 

Dans le cadre d'une série intitulée « Die Neue Romantik », le label Harmonia Mundi s'attache à promouvoir une nouvelle approche de la musique romantique jouée sur instruments d'époque, en l'occurrence ceux du Freiburger Barockorchester. Le résultat dans les symphonies de Mendelssohn ne manque pas de vertus alors surtout que la formation est, semble-t-il, pas trop nombreuse et saisie dans une acoustique bien présente. Les cordes sont par exemple moins brillantes que dans un orchestre symphonique traditionnel. Le présent disque associe les deux symphonies les plus célébrées du musicien, l'Écossaise et l'Italienne. La Symphonie N° 3, censée décrire les brumes de l'Écosse, débute, dans l'interprétation de Pablo Heras-Casado, de manière très soft aux cordes. La pulsation de l'allegro est marquée sans être tranchée, préservant le lyrisme fondamental du mouvement. Le passage tempétueux de la coda dégage une énergie toute contrôlée. La clarté de la direction est ici un plus, que la sonorité orchestrale, des violoncelles en particulier, pare de couleurs moirées. Le scherzo galope, les passages pianissimos bien contrastés et les bois alertes. La combinaison des deux thèmes lyriques et de marche funèbre vient bien, même si l'inspiration reste limitée. Le finale reprend le flux bondissant du début et sa verve. La contribution des vents et l'élasticité du tempo évitent toute grandiloquence. La transition avant la coda est évocatrice de quelque nostalgie : impressions écossaises réelles ou imaginées ? La symphonie N°4 op 90, « une symphonie sur les charmes de l'Italie » comme le disait son auteur, reçoit une magistrale exécution. L'allegro vivace offre une énergie pétillante d'une riche invention thématique. Là encore, les instruments d'époque du Freiburger Barockorchester laissent une saveur dégraissée et permettent de bien mettre en évidence le contrepoint. L'achalandage de la dynamique ajoute encore au bonheur de l'écoute. Une tendance à légèrement presser le mouvement ne messied pas dans l'évocation des vastes paysages riants italiens. L'andante con moto et sa douce mélancolie - qui ont suscité tant d'interrogations -  bénéficient d'une approche retenue pour une séquence décidément bien peu ''italienne''. Le con moto moderato, bien plus enjoué, Heras-Casado le prend bien chantant, les cordes volontairement dénuées de brillance. Le passage d'appel des cors (naturels), sorte de trio, forme un habile contraste. Le Saltarello final presto, le chef l'empoigne avec fièvre et boule le rythme : cela pétille!

 


Jean-Pierre Robert.

 

 

Benjamin GODARD : Sonates pour piano & violon No 1 en do majeur, op. 1 ; N° 2 en la mineur, op. 2 ; N° 3 en sol mineur, op. 9 ; N° 4 en la bémol majeur, op. 12. Nicolas Dautricourt, violon, Dana Ciocarlie, piano. 2 CDs Aparté : AP124. TT.: 44'30+43'51.

 

Benjamin Godard (1849-1895) sort de son purgatoire. Après ses mélodies, le label Aparté propose ses Sonates pour piano et violon. La prééminence de l'opéra en France dans les années 1870 ne doit pas cacher le renouveau de la musique de chambre, par ailleurs annoncé par Georges Onslow ou Théodore Gouvy. Il se concrétise alors de plusieurs manières : la création en 1871, de la Société nationale; le fait que la Société de composition musicale créé un concours dès 1873 laissant une large place à ce secteur, et qu'à compter de 1895, les envois de Rome doivent comporter une œuvre de musique de chambre. Encore qu'il faille attendre Fauré pour voir reconnaître ce domaine à part entière. Quoi qu'il en soit, Godard, virtuose du violon et de l'alto, élève d'Henri Vieuxtemps et d'Henri Reber, chef d'orchestre et professeur au Conservatoire de Paris, commet huit sonates pour piano et violon, au début de sa carrière. Un genre peu approché avant lui : seulement par Alkan (1848) et Lalo (1856). Le présent disque en propose les quatre premières. L'op.1 N° 1, sa première œuvre publiée, en 1866, est plus qu'un essai, un coup de maitre. Elle s'ouvre par un andante légèrement déclamatoire, introduisant un allegro passionné magistralement écrit pour le violon. Le scherzo est tout aussi audacieux et d'une belle richesse thématique. Introduit par le piano, l'andante libère au violon un chant d'un lyrisme puissant. Et le finale vivace, d'une énergie toute juvénile, offre cette caractéristique d'auto citer les thèmes des trois autres mouvements. La Sonate N° 2 op. 2, de 1867, est très différente de la précédente : l'ardeur a déjà fait place à une prise de recul. C'est vrai de l'Allegro vivace e appassionato, décidé, modulant au piano, chantant au violon, en un dialogue serré. Des ruptures inattendues rendent le discours attrayant, tenant constamment l'auditeur en éveil. L'intermezzo vicace bondit en forme de refrain qui tourné en tous sens, trouve là encore à émoustiller l'oreille. Avec l'andante quasi adagio, Godard distille la belle mélodie gallique, claire, non romantique. Le finale développe pareille inspiration mélodieuse qui séduit « par le charme des épisodes et des détails » remarquait un des censeurs de l'époque. Ajouterait-on : par le sens des proportions.

 

La Troisième Sonate op. 9, de 1869, se compose de cinq mouvements dont deux scherzos. Dès l'andante-allegro, on mesure combien Godard métamorphose la forme sonate et sait introduire d'inhabituelles associations sonores. Le premier scherzo est plein d'esprit. Après un andante d'un clair lyrisme, le bref intermezzo sert de transition avec le finale. Celui-ci est hardi, frôlant la dissonance et d'une étonnante inventivité thématique. De style allant, on note de belles incursions dans le grave de chacun des deux instruments. La Quatrième Sonate op. 12, est la plus développée et nul doute le chef d'œuvre de ces quatre pièces. Écrite en 1872, elle ne sera créée qu'en 1877. On pense à la Sonate contemporaine op. 13 de Gabriel Fauré. Le vivace ma non troppo initial signale cette manière chère à Godard de se refuser à l'effet attendu, de cultiver l'horreur de la formule. Ce qui fit dire à l'époque : « c'est parfois bizarre, ce n'est jamais banal ; on y trouve, en un mot, un tempérament ». En fait, il y a de la fantaisie dans le traitement des tonalités et de l'audace dans la facture. Le vivace ma non presto suivant est un scherzo « bien frappé » dont le trio contraste côté élégiaque ; la reprise est encore plus démonstrative. L'andante chante un lyrisme élégant, jamais appuyé, intrinsèquement gallique, ménageant un dialogue original où l'on perçoit quelque dramatisme. Le finale enchainé diffuse un sentiment d'urgence, mais dans le strict respect, cette fois, de la forme sonate. Et cela chante sans se faire prier jusqu'à une fin en apothéose. Voilà donc le chaînon manquant entre les essais cités et les sonates de Fauré, Debussy et autre Ravel. L'interprétation de Nicolas Dautricourt et de Dana Ciocarli est pleine de vie, de tendresse aussi, de charme français surtout. Il joue un strad « Château Fombrauge » de 1713 qui offre une sonorité plus engagée que suave, et elle un Yahama bien timbré. Une sérieuse découverte.

 

 


Jean-Pierre Robert.

 

 

George ENESCU : Sonate pour piano N° 1, op. 24. Béla BARTÓK : En plein air. Erkki -Sven TÜÜR : Sonate pour piano. Quatre Pièces pour piano. Tönu KÖRVITS : Hymn to Invisible Wind Harp. Mihkel Poll, piano. 1CD  DUX : 1256. TT.: 67'11.

 

Le jeune pianiste estonien Mihkel Poll propose un programme pour le moins inédit. La Sonate pour piano N°1 op. 24 de Georges Enesco (1881-1955) démontre que ce célèbre compositeur violoniste savait aussi magnifiquement écrire pour le piano. Peu après son opéra Œdipe (1931), il se décide à composer une sonate pour piano (1924) qu'il créera à Bucarest en 1925, puis à Paris l'année suivante. L'allegro molto moderato e grave se situe dans le sillage de l'opéra dont la sombre atmosphère apparaît d'emblée avec ses accords massifs et une sollicitation du registre grave du piano. Des harmonies chromatiques expressives confèrent un sentiment d'étrangeté. Le presto vivace, digne de Bartòk pour ne pas dire de Stravinsky, requiert un jeu sec, typique de l'écriture pour le piano dans les années 20. La technique de la répétition rageuse de notes renforce cette impression. Une rupture s'opère au milieu du mouvement vers quelque chose de plus piquant, pas moins virtuose, conduisant à des accords finaux presque jazzy. L'andante moto espressivo débute par des harmonies de cloches d'églises orthodoxes puis développe une sorte d'improvisation très ornée sur tout le registre de l'instrument. La technique solide de Mihkel Poll, son sens de la couleur magnifient cette belle œuvre. Il en va de même dans la Suite En plein air de Bartòk (1926). Qu'il s'agisse du formidable martèlement de « With Drums and Pipes », avec ses rythmes irréguliers, de l'imaginative Barcarolla, de la section « Musettes » bien percussive et obsessionnelle, ou encore de « Musiques nocturnes », magiques dans l'évocation d'une nuit emplie de bruits d'animaux étranges, et si séduisantes. « The Chase » termine le morceau dans une course poursuite sans merci, assumée ici avec une faconde qui force l'admiration. Tout le contraire d'une récente exécution par David Kadouch. Le programme se fait plus original encore avec la Sonate pour piano du compositeur estonien Erkki-Sven Tüür (*1959). On y dénote une influence de la musique minimaliste et de la musique rock progressif. Ses trois mouvements (1985) sont très contrastés. Le presto initial offre un bon exemple de la méthode de composition de l'auteur, savoir un minimalisme conçu dans une manière très dynamique et nanti d'harmonies lyriques qui se propagent par un large usage de la pédale. Le piano évoque une volée de cloches. Le Lento met en avant des notes pointées graves et, en écho, des correspondances dans l'aigu. Le piano sonne comme un orgue sous les doigts de Mihkel Poll. L'Allegro con moto final résume ces éléments et la manière minimaliste semble s'imposer. C'est captivant, surtout dans pareille exécution. Les Quatre Pièces pour piano du même compositeur (1992-2003) ont été écrites à des fins pédagogiques. La première, « Hiiumaa » (1992) célèbre une île près de la côte ouest de l'Estonie d'où est natif Tüür. La seconde est dédiée à sa fille. Et les deux dernières, « Short Meeting of Dark and Light » et « Reaching to the Top of the Mountain (2003) marquent une différence stylistique chez le musicien : recours à la méthode vectorielle et usage d'un code plus primaire, ce que renforce le travail sur la résonance du piano. La dernière œuvre est de Tönu Körvits (*1969), actuellement professeur de composition à l'Académie de Musique d'Estonie. Hymn to Invisible Wind Harp, dédiée à Mihkel Poll, est caractéristique de la manière du compositeur : colorée, transparente, presque debussyste, pour décrire l'effet du vent à travers une harpe imaginaire. L'exécution de cette pièce par son dédicataire, comme de tous les autres morceaux de ce disque, est enthousiasmante.

 

 


Jean-Pierre Robert.

 

 

Witold LUTOSLAWSKI :  Concerto pour orchestre. Petite Suite. Symphonie  N° 4. NDR Symphony Orchestra, dir. Krzysztof Urbański. 1CD Alpha : Alpha 232. TT. : 56'15.

 

Ce fort beau disque présente trois œuvres significatives de Witold Lutoslawski (1913-1994). Mala Suita (Petite Suite) est le fruit d'une commande en 1949 de la Radio polonaise. L'auteur parlait à son propos de musique '' facile à écrire'', perpétuant la tradition de la musique populaire polonaise. Si elle renouvelle le langage, quoique toujours tonal, la manière se différencie de l'harmonie traditionnelle et montre un intéressant travail sur les timbres. Elle sera crée en 1951 dans sa version pour grand orchestre. Elle se compose de quatre parties : « Fujarka » (le chalumeau) est confié au piccolo et propose des accords répétés des cordes qui font penser à Stravinsky. Le lyrisme domine cependant ; « Hurra Polka », très preste, est bâti sur une mélodie du hautbois avec des accords martelés, avec cuivres ; « Piosenka » (chant) développe une atmosphère rêveuse et intensément lyrique ; « Taniec » (danse) est joyeux, bien rythmé d'où émerge une partie médiane là aussi très lyrique. Le Concerto pour Orchestre est une commande passée en 1950 par le chef d'orchestre Witold Rowicki qui le créera en 1954. Trois mouvements ici. « Intrada » s'ouvre par un ostinato du thème emprunté au folklore, qui va revenir en boucle. En forme d'arche, il oppose lyrisme et rythmes marqués. Il se termine dans un souffle.  « Capriccio Notturno e Arioso » atomise les timbres, une des caractéristiques de la musique de Lutoslawski, et est d'une légèreté quasi volatile. C'est une sorte de Scherzo impalpable entre les mains de Krzysztof Urbański. La seconde partie cuivrée est plus mystérieuse. Le troisième mouvement, à lui seul plus long que les deux premiers réunis, s'ouvre par une Passacaille. Celle-ci est bâtie autour d'un thème de huit mesures qui reviendra quelque dix huit fois sous des formes différentes, de l'extrême grave au suraigu, de l'impalpable pianissimo au fortissimo pétaradant. Elle cède la place à une « Toccata » avec force effets motoriques, puis à un « Choral » à plusieurs voix quelque peu archaïsant où on retrouve le thème. La courte coda est brillante. L'œuvre devint rapidement populaire, presque autant que le Concerto pour orchestre de Bartók qu'elle rappelle tout en en étant profondément différente. La Symphonie N° 4 est également le fruit d'une commande passée en 1988 par l'Orchestre Philharmonique de Los Angeles qui la créera en 1993. Elle marque une nette évolution dans le style du compositeur polonais qui pratique ici le procédé de l'aléatoire contrôlé. Elle est faite de deux parties enchainées : une entame lyrique et mystérieuse d'où se détache la mélopée de la clarinette sur un lit de cordes pppp, laquelle introduit une sorte de flux ininterrompu. Le fractionnement de la pensée se nourrit d'une nouvelle polyphonie. Des interventions cuivrées différencient le langage comme le font des clusters abrupts. Le travail sur le timbre est sagace et l'harmonie pareillement travaillée en petites cellules ou à travers de vastes développements. Le résultat est envoûtant, en particulier peu avant la coda traversée d'un solo de violon. Celle-ci termine l'œuvre sur des accords percutants. Les interprétations du jeune chef polonais Krzysztof Urbański et de l'Orchestre de la Nord Deutsche Rundfunk qu'il dirige depuis 2012, sont enthousiasmantes par leur engagement et leur précision technique.  

 

 


Jean-Pierre Robert.

 

 

« Vent d'Est ». Fikret AMIROV : Six pièces. Béla BARTÓK : Deux rythmes bulgares. Assen  KARASTOYANOV  : Pièces.  Ivan BELLOCQ  : Suite slave op. 198.  Ivan Bellocq, flûte, Anne Mispelter, harpe. 1CD DUX : DUX 1147. TT.: 57'59.

 

L'alliance la flûte et de la harpe a quelque chose d'extrêmement séduisant. On pense à Bizet ou à Debussy qui les ont si finement mêlées. Le présent CD en offre une autre démonstration péremptoire, empruntée cette fois à des compositeurs venant de l'Est et à un français, Ivan Bellocq, l'interprète du programme. Celui-ci, il l'a concocté à partir d'une pièce du compositeur bulgare Assen Karastoyanov (1893-1976). Ses dix pièces pour flûte et piano, transcrites ici pour la harpe, font sonner les mélismes bulgares, offrant la vivacité de l'inspiration et surtout toutes les caractéristiques de cette musique toujours tonale : les rythmes asymétriques, dans les danses à 3/8 ou à 5/8, les changements métriques, les ruptures, les harmonies archaïsantes (dans les berceuses ou la pièce intitulée « Bergers »). On remarque aussi l'inventivité des enchainements. Le raffinement de l'interprétation d'Ivan Bellocq et d'Anne Mispelter restitue ces sonorités souvent envoûtantes sans parler du lyrisme presque sensuel né de l'alliance des deux timbres. Ces pièces sont précédées d'une œuvre du compositeur azerbaïdjanais Fikret Amirov (1922-1984) proposant diverses ambiances de la vie populaire de la campagne azérie et des mélismes de chant de ce pays. Elles se concluent par un « Nocturne » baigné de nostalgie. De Bartók sont donnés, « Deux rythmes bulgares » extraits du 5ème cahier des Mikrokosmos pour piano (1940), annonçant les danses bulgares qui concluent les six recueils de cette œuvre. Le programme se termine par la Suite Slave op.198 écrite en 2012 par Yvan Bellocq (*1958). Ces pièces, au nombre de six, sont inspirées de musiques populaires slaves, notamment de Croatie, de Dalmatie et de Slovénie. « Le reste relève, comme chez Bartók du folklore imaginaire », remarque l'auteur. Ces courtes pièces jouées enchainées se situent dans le sillage des deux musiciens précédents, quoique sur le versant lent : des mélodies empreintes de nostalgie, des sonorités immédiatement séduisantes dans leur souple rythmique et leurs harmonies agréables. La partie de harpe y est travaillée au delà du simple accompagnement de la flûte. Les instruments sont traités aussi en solo. Ivan Belloq et Anne Mispelter confèrent à toutes ces pièces une aura de bonheur. 

 

 


Jean-Pierre Robert.

 

 

« Live from Buenos Aires ». Robert SCHUMANN : 6 Études en forme de canon op. 56. Claude DEBUUSSY  : En blanc et noir. Béla BARTÓK : Sonate pour deux pianos et percussions. Martha Argerich, Daniel Barenboim, pianos. Pedro Manuel Torrejón Gonzáles, Lev Loftus, percussions. 1CD Deutsche Grammophon : 479 5563. TT. : 59'.

  

Ce disque est le miroir vivant de la rencontre de deux musiciens icônes dans la capitale de leur Argentine natale : Martha Argerich et Daniel Barenboim, au célèbre Teatro Colón fin juillet 2015, lors du deuxième festival de ''Música y Reflexión'' fondée et dirigée par Daniel Barenboim. Le répertoire pour deux pianos n'est pas si vaste mais Barenboim a eu l'idée de réunir deux pièces peu connues outre la Sonate pour deux pianos et percussions de Bartók. Les Six Études en forme de canon op. 56 de Schumann, écrites à l'origine pour piano à pédalier, ont été arrangées par Debussy pour deux pianos. De ces pièces, on détachera la deuxième « avec une expression intérieure », d'une belle poétique, la troisième « un peu plus vite », de forme scherzando, la quatrième « intime », marquant quelque dramatisme, et la dernière « adagio » concluant dans le domaine du rêve. Claude Debussy écrit En blanc et noir, en 1915 peu avant la Sonate pour violoncelle et les Études. Son titre évoque, pour le compositeur, l'univers des gris de Velázquez. L'œuvre comprend trois parties : « Avec emportement », dédiée « A mon ami A. Koussevitzky », dont l'atmosphère nocturne comme la rythmique effrénée ne sont pas sans évoquer les premiers combats de la Grande Guerre. Le second mouvement marqué « Lent. Sombre », dédié, « au Lieutenant Jacques Charlot tué à l'ennemi en 1915, le 3 mars », évoque des sonneries militaires et le tumulte guerrier. Le troisième, « Scherzando - à mon ami Igor Stravinsky » se détache de ces noirs univers et, dans son jeu piqué, offre un discours plus fluide. L'exécution d'Argerich et de Barenboim se distingue par un modernisme de bon aloi. La Sonate pour deux pianos et percussions de 1937 succède dans la production de Béla Bartók à la Musique pour cordes, percussion et célesta. L'alliance des parties de percussions, qui selon le compositeur doivent avoir une importance égale à celle des pianos, et de ces deux-ci produit une image sonore souvent envoûtante. Le premier mouvement, qui occupe la moité de l'œuvre, offre une large diversité de climats à partir de l'introduction mystérieuse des percussions préparant l'entrée fracassante des pianos. Comme toujours chez Bartók, l'impression de mystère est renforcée par une rythmique asymétrique et des changements de tempos fréquents. La présente interprétation se distingue par des crescendos véhéments, presque rageurs, même si la captation live a tendance à favoriser le grave des percussions, (gong, timbales) enveloppant les deux pianos, et à faire sonner ces derniers très détachés comme s'ils étaient éloignés l'un de l'autre, alors que placés côte à côte. La coda est fiévreuse, comme une lame de fond. Le mouvement central, Lento ma non troppo, là encore entamé par les percussions, laisse les deux pianos tisser un parcours en réponds dans un mouvement qui va crescendo. Des cascades d'arpèges divertissent quelque peu l'atmosphère. L'allegro final se pare d'un joyeux babil, ici éminemment fluide. Les changements de rythme apportent toujours d'autres perspectives. Le discours se précipite et s'intensifie sans perdre de sa transparence. La péroraison, débutée telle des fusées des deux pianos, trouve son aboutissement dans une belle décélération. L'interprétation des deux argentins et de leurs collègues percussionnistes est de très grande allure. Et les Hourras finaux signent l'évènement.

 

 


Jean-Pierre Robert.

 

 

Domenico SCARLATTI : Sonates & Fandango. Christiano Holtz, clavecin. 1 CD Hortus : HORTUS 129. TT : 71'57.

 

Contemporain de Bach et de Couperin, fils d'Alessandro Scarlatti, Domenico Scarlatti naquit en Italie, à Naples, se fixa ensuite à Lisbonne au service du roi du Portugal, Joao V, avant de se rendre en Espagne où il accompagna son élève, la princesse Maria Barbara qui épousa l'infant d'Espagne, le futur Ferdinand VI. Auteur de plusieurs centaines de sonates pour clavecin en un seul mouvement, Scarlatti réussit, dans cet exceptionnel corpus, le périlleux mélange de la musique savante et de la musique populaire, notamment folklorique et dansante. Une musique jubilatoire et envoûtante qui porte au plus haut l'art du clavecin. L'instrument utilisé dans cet enregistrement est une copie de Silbermann de Matthias Kramer (2010) associant « la force et  la clarté d'un clavecin italien, le raffinement de l'école saxonne et un éclat argentin qui lui est propre » (Chritiano Holtz). Une magnifique interprétation et une musique dont on ne se lasse pas, par son élégance, sa sonorité et  sa joie.

 


Patrice Imbaud. 

 

 

Chritofaro CARESANA. Alessandro SCARLATTI. Gaetano VENEZIANO :  « Notturno ». Ensemble  L'Escadron volant de la Reine . 1 CD Evidence Classics : EVCD021. TT : 52'10.

 

Pour un premier opus discographique, le jeune ensemble « L'Escadron volant de la Reine » réussit un coup de maitre, original et caractéristique de la musique napolitaine du  XVIIe et XVIIIe siècle réalisant un étonnant syncrétisme entre musique sacrée et musique populaire, entre liturgie et théâtralité. Quoi de plus représentatif alors que ces œuvres composées pour la liturgie particulière de la Semaine Sainte. L'office des Ténèbres représentant le moment fort du cycle pascal qui avait lieu durant le Triduum sacré (Mercredi, Jeudi et Vendredi Saint). Chaque jour du Triduum prévoyait une structure symétrique de trois Nocturnes, composé chacun de trois antiennes, de trois psaumes et de trois leçons suivies de trois répons et de laudes. Le premier Nocturne de chaque jour était extrait des Lamentations de Jérémie, texte pénitentiel par excellence, renforcé encore par la théâtralisation engendrée par le passage progressif pendant l'office de la lumière à l'obscurité. Trois compositeurs sont convoqués ici, Chritofaro Caresana (1640-1709), Gaetano Veneziano (1665-1716) et Alessandro Scarlatti (1660-1725) apportant chacun des couleurs différentes, vocales ou instrumentales dans ces pièces à quatre parties instrumentales (deux violons, un alto, basse continue) et une partie vocale (Eugénie Lefebvre, soprano). Une magnifique interprétation, pure, élégante, inspirée et engagée qui ravira tous les amateurs de musique sacrée. Un jeune ensemble et une remarquable soprano à suivre…

 

 


Patrice Imbaud.

 

 

« Helldunkel/Clair obscur ». Wolfgang Amadé MOZART. Ludwig van BEETHOVEN. Robert SCHUMANN. Frédéric CHOPIN. Cyril Guillotin, piano. 2 CDs Evidence classics : EVCD020. TT : 156'69.

 

Voici un coffret de 2 CDs particulièrement intéressant et didactique puisque le talentueux pianiste Cyril Guillotin a décidé d'enregistrer, sur deux disques différents, le même programme (Variations sur « Ah, vous dirais-je Maman » et Fantaisie KV. 475 de Mozart, Sonate n° 2 opus. 27 dite « Clair de lune » de Beethoven, Fantaisie opus. 17 de Schumann et Nocturne n° 20 opus posthume de Chopin) avec les mêmes options d'interprétation et les mêmes tempi, sur piano moderne (Steingraeber & Söhne) et sur pianos anciens (pianoforte Carlo de Meglio 1832, piano Erard 1894 et piano Pleyel 1843). Une mise en miroir captivante à plus d'un titre, car si elle encourage, qu'on le veuille ou non, la comparaison, elle permet également de se rapprocher historiquement au plus près  de ce que souhaitaient et entendaient les compositeurs, et de fournir aux interprètes d'aujourd'hui de précieuses indications pour enrichir leur interprétation sur piano moderne…Chacun aura bien sûr ses préférences en fonction des différentes pièces, et peut-être des moments, préférant ici l'ampleur sonore du piano moderne, notamment dans la Fantaisie de Mozart, ou là, les couleurs plus marquées et l'élégance des pianos anciens pour les œuvres plus romantiques de Beethoven, Schumann ou Chopin. Un coffret dont on ne se lasse pas, qui témoigne de plus de l'importance considérable des liens unissant compositeur, interprète et instrument. Du beau travail, original et passionnant !

 


Patrice Imbaud.

 

 

Francis POULENC / Jean COCTEAU. La Voix humaine. La Dame de Monte Carlo. Caroline Casadesus, soprano & Jean-Christophe Rigaud, piano. 1 CD Ad Vitam Records : AV 160215. TT : 56'04.

 

Un disque qui a valeur de document puisqu'il s'agit du premier enregistrement mondial de la version pour piano et voix des deux opéras issus de la collaboration de Francis Poulenc et de Jean Cocteau, auteurs exactement contemporains (1889-1963), La Voix humaine et la Dame de Monte Carlo. Sur un texte de Jean Cocteau, La Voix humaine est une tragédie lyrique en un acte reposant sur le monologue bouleversant d'une femme parlant au téléphone avec son amant qui lui annonce leur rupture. Dévastée par le chagrin, la femme s'accroche au téléphone dans un face à face terrifiant avec l'absence, le téléphone constituant à la fois le lien et l'arme qui la conduira au suicide après qu'elle sera passée par tous les stades du désespoir, mensonges, menaces, faux détachement et rire forcé…Un rôle exigeant requérant des qualités affirmées de chanteuse (amplitude vocale) et de diseuse (théâtralité) qui fut crée en 1959 à l'Opéra Comique de Paris par Denise Duval, grande amie de « Poupoule ». La Dame de Monte Carlo retrace un autre destin de femme qui tente de se refaire au jeu avant de se noyer dans la Méditerranée. Elle fut créée en 1961 par Denise Duval également, au Théâtre des Champs-Elysées. Deux opéras qui mettent en avant la sensualité et l'expressivité de la musique de Poulenc parfaitement rendue, ici, par l'interprétation vocale de Caroline Casadesus (justesse, timbre, diction et prosodie) et pianistique de Jean-Christophe Rigaud qui majore, par rapport à la version orchestrale, le sentiment d'intimité, de solitude et de désespoir de l'héroïne.

 


Patrice Imbaud.

 

 

Piotr Ilitch TCHAÏKOVSKY: Les Saisons. Grande Sonate opus 37. Jonas Vitaud, piano. 1 CD MIRARE : MIR 308. TT : 74'.

 

Un disque voulu comme un hommage rendu par Jonas Vitaud à la grande pianiste et pédagogue, Brigitte Engerer, gage de respect et d'amitié de l'élève envers le maitre, puisqu'elle le guida pendant toutes ses années d'étude au CNSM de Paris, veillant à lui éviter toute sensiblerie souffreteuse et tout pathos excessif dans l'interprétation des œuvres de ce musicien reconnu comme le plus romantique des compositeurs russes. « Musikalish ! » disait- elle, et la leçon a, semble-t-il, été bien entendue… car c'est un véritable enchantement musical qui nous saisit à l'écoute de ce disque. Quintessence du jeu pianistique  et intelligence dans l'établissement du programme font de cet enregistrement un véritable bonheur. Deux facettes de Tchaïkovsky très différentes, bien que quasiment contemporaines, nous sont données à entendre successivement avec Les Saisons d'une part, et la Grande Sonate opus 37 d'autre part. Les Saisons, ensemble de douze miniatures composées entre 1875 et 1876, sont une sorte de confidence déclinée selon les mois de l'année, toute habitée de mélancolie et de rêverie crépusculaire. A l'inverse, la Grande Sonate, de gestation difficile, composée en 1878, énergique et austère, en quatre mouvements, tantôt épique, passionnée, lyrique ou encore folklorique, quitte le ton de la confidence pour atteindre à une vision résolument orchestrale se rapprochant des grandes sonates romantiques de Chopin, Schumann, Brahms ou Liszt. Par la clarté, la sincérité et la poésie de son jeu Jonas Vitaud parvient à extraire de ces deux œuvres si différentes ce qu'elles ont de meilleur. Magnifique !

 


Patrice Imbaud.

 

 

Albert ROUSSEL. Piano Music 2 : Résurrection. Rustiques. Suite  en fa  dièse mineur.  Des heures passent. Jean-Pierre Armengaud, piano. 1 CD NAXOS : 8.573171. TT : 73'51.

 

Le pianiste Jean-Pierre Armengaud, champion s'il en est, de la musique française, poursuit son exploration de la musique pour piano d'Albert Roussel (1869-1937) avec ce deuxième opus (un troisième est prévu prochainement) comprenant la réduction pour piano du prélude symphonique Résurrection (1903), tiré du roman éponyme de Tolstoï dont le compositeur donna sa propre interprétation dans une sorte de vague réminiscence très intériorisée évoluant des ténèbres à la lumière. Le jeu de Jean-Pierre Armengaud fait, ici, merveille par sa sincérité, sa profondeur de vue, ses couleurs tourmentées et douloureuses laissant place peu à peu à des sonorités vibrantes et lumineuses. Suivent les Rustiques (1904-1906) comme un hymne à la nature alliant virtuosité rythmique et souplesse, puis la Suite  en fa  dièse mineur (1910) comme un lointain rappel de la suite baroque totalement revisitée, à l'instar de Saint-Saëns, Debussy ou Ravel, comprenant un « Prélude sombre », obsédant et énergique, une « Sicilienne » gracieuse et délicatement mélancolique, une « Bourrée » rustique et dynamique et une « Ronde » joyeuse et trépidante. La Fugue à trois voix pour piano (1898) est un exercice de style attestant de la maitrise de Roussel dans le maniement du contrepoint. Des heures passent (1898) concluent ce très bel enregistrement de façon très contrastée où coexistent déploration, rêve et lyrisme. Un très beau disque qui nous permet de réentendre cette musique pour piano d'Albert Roussel, compositeur français dont on connait plus volontiers, il faut bien l'avouer, l'œuvre pour orchestre (Bacchus et Ariane, Symphonies et le Festin de l'araignée). Un choix judicieux et une merveilleuse leçon de piano. Incontournable !

 

 


Patrice Imbaud.

 

 

« American Classics ». Samuel BARBER. Leonard BERNSTEIN. Aaron COPLAND. Georges DELERUE. Charles IVES. Éric Aubier, trompette, Philippe Berrod, Philippe Cuper, clarinette, Christelle Chaizy, cor anglais, Nicolas Prost, saxophone, Laurent Wagschal, piano. Orchestre à cordes de la Garde Républicaine, dir. Sébastien Billard.1 CD Indésens : INDE078. TT : 74'28.

 

Voici un beau voyage outre-atlantique que nous propose le label Indésens avec cette compilation empruntée aux plus grands compositeurs américains pour cordes et vents interprétés par des musiciens français de réputation internationale comme Eric Aubier à la trompette, Philippe Berrod et Philippe Cuper à la clarinette, Christelle Chaizy au cor anglais, Nicolas Prost au saxophone et Laurent Wagschal au piano, sans oublier l'Orchestre à cordes de la Garde Républicaine dirigé par Sébastien Billard. Un disque qui s'ouvre, comme un clin d'œil sur La Nuit américaine de Georges Delerue, le plus américain de nos compositeurs français. Suivent deux compositions d'Aaron Copland, Quiet City et le Clarinet Concerto and Strings : la première est une musique de scène assez fantomatique écrite pour la pièce éponyme d'Irwin Shaw, la seconde, commandée par le clarinettiste Benny Goodman, est une pièce incontournable du répertoire de la clarinette ;  puis le célèbre Adagio for strings de Samuel Barber, suivi de trois pièces de Leonard Bernstein : la Clarinet Sonata de style néoclassique, le Rondo for Lifey en hommage au Skye Terrier de Judy Holliday et le Prelude, Fugue and Riffs for soprano saxophone and jazz band dans une étrange symbiose entre classique et jazz ; avant de conclure sur l'interrogation existentielle, prégnante et douloureuse de Charles Ives avec l'Unanswered Question for trumpet and strings. Un disque original interprété de façon magistrale ! Encore une belle démonstration de l'école des vents français !

 


Patrice Imbaud.

 

 

« Delta y Mar ». Vicente Bögeholz, guitare, Juanjo Mosalini, bandonéon. 1 CD APARTE : AP119. TT : 63'56.

Deux musiciens aux origines différentes puisque l'un est chilien et l'autre argentin, Vicente Bögeholz et Juanjo Mosalini, deux instruments distincts et complémentaires, la guitare et le bandonéon, mais surtout une très belle rencontre d'où nait indiscutablement une alchimie musicale pleine de charme baignant ce voyage à travers l'étendue et la mémoire sud américaines. Des compositions personnelles et des arrangements chargés d'une indicible langueur ou, à l'inverse,  menés sur un méli-mélo rythmique véhiculant joie et bonheur dans un dialogue musical virtuose et convaincant. Une belle réussite qui ravira tous les amateurs de musique sud américaine.

 


Patrice Imbaud.

 

 

Domenico SCARLATTI. Frédéric CHOPIN. Franz LISZT. Maurice RAVEL : Œuvres pour piano. Lucas Debargue, piano. 1 CD Sony Classical : 88875192982 TT : 77'30.

 

Premier opus discographique du jeune pianiste français, Lucas Debargue. Chargé d'un important poids médiatique depuis l'obtention en 2015 d'un quatrième prix lors du prestigieux concours Tchaïkovski de Moscou, complété par un prix spécial de la Critique, expliquant le passage subit, et peut-être un peu déstabilisant pour qui n'en demandait pas tant, de l'ombre à la lumière avec un contrat d'enregistrement chez Sony Classical dont voici la première réalisation « Live » captée lors d'un concert salle Cortot à Paris. Un surdoué du piano c'est certain, un musicien cela ne fait aucun doute, mais peut-être quelque chose de plus par la curiosité et l'originalité dont ce disque fait foi. Un programme conçu comme un florilège d'œuvres très connues au climats très variés. Domenico Scarlatti d'abord (Sonates K 208, 24, 132 et 141) : des sonates dont on appréciera l'originalité de ton même si, à l'exception de la sonate K 141, on aurait pu souhaiter une interprétation un brin plus rigide dans les tempi, plus allante et moins romantique (une vision seule autorisée par le piano, à l'inverse du clavecin). En revanche aucune réserve quant à l'interprétation d'une rare élégance et d'une profonde intériorité de la Ballade n° 4 de Chopin, de même que pour la satanique Mephisto Walzt n° 1 de Liszt, ''bringuebalante'' et tourbillonnante, saisissante d'expressivité et de virtuosité. Gaspard de la nuit de Ravel, pièce maîtresse de ce récital, en trois mouvements, Ondine, le Gibet et Scarbo, convainc d'emblée par sa noirceur, son climat fantasmagorique chargé d'hallucinations démoniaques entre noyé, pendu et gnome malfaisant. La Melody op. 47 n° 3 de Grieg, le Moment Musical n° 3 de Schubert et une Variation improvisée de la Sonate K 208 de Scarlatti referment ce magnifique album. Un pianisme d'une rare qualité, une intelligence et une originalité d'interprétation surprenantes, voilà un jeune pianiste qui marquera sans doute les années à venir. A suivre…

 

 


Patrice Imbaud.

 

 

   

 

 

***

MUSIQUE ET CINEMA

Haut

L'UCMF a lancé son premier prix de musique à l'image, le 11 avril 2016, à la SACEM. Quatre journalistes (également chargés de la sélection) et un comité d'honneur constitué d'une quinzaine de compositeurs ont attribué 3 prix pour l'année 2015.

 

Ont été récompensés:


Dans la catégorie cinéma :
Francis Lai, pour Un+Une de Claude Lelouch

Dans la catégorie audiovisuel : Nicolas Errèra pour le film de Xavier Durringer pour France 2 "Ne m'Abandonne pas" sur la "radicalisation" d'une jeune fille
Dans la catégorie jeune espoir: Valentin Hadjaj pour sa composition pour le magnifique dessin animé "Avril et le Monde Truqué" de
Franck Ekinci & Christian Desmares

 

Un Prix d'honneur a été remis à Claude Bolling pour l'ensemble de sa carrière.

 

Au cours de cette première cérémonie, Jean-Claude Petit a confié la présidence de l'UCMF à Michel Portal, pour un an.

 

 

ENTRETIEN

 

 

Thierry Westermeyer : Je suis un classique dissident!

 


DR

 

 

Thierry Westermeyer a étudié le piano et l'accordéon au Conservatoire National Supérieur de Musique et de Danse de Lyon. A dix-sept ans, il fait partie d'un groupe "Le Voyage de Noz", qui joue une musique new wave, du rock électronique. Il vient de participer pour Arte à la série : « Trepalium » mis en scène par Vincent Lannoo.

 

 

C'est grâce à la télévision que vous avez pu composer de la musique à l'image ?

Depuis 2008, c'est la date de mon premier film « Skate or Die » de Miguel Courtois.

 

Comment l'avez-vous connu ?

Dans ce métier c'est toujours des rencontres de quelqu'un qui connaît quelqu'un qui connaît quelqu'un. Et là c'était le monteur de Miguel, avec qui j'avais travaillé pour des musiques de courts-métrages, qui m'a proposé sur le film qui était en cours et où il n'y avait pas encore de compositeur. J'ai fait des bouts d'essais et j'ai été pris.

 

Votre musique devait être de bonne qualité puisqu'il vous a gardé sur pas mal de ses réalisations !

Depuis effectivement c'est devenu une vraie collaboration qui dure et qui est assez gratifiante. Une relation de confiance et d'intimité s'est mise en place.

 

Vous avez une formation classique mais vous êtes aussi un rockeur ?

Je suis un classique dissident ! J'ai commencé la musique très très tôt ; j'ai fait le conservatoire à Lyon dans un cursus normal.

 

Apprendre l'accordéon très jeune ce n'est pas tout à fait dans un cursus normal non ?

Je ne me suis jamais posé la question, j'ai commencé très jeune donc c'était tout à fait normal pour moi : j'avais trois ans et demi, et le piano à cinq ans !

 

Vous écoutiez de l'accordéon chez-vous ?

C'est parce que ma sœur faisait de l'accordéon tout bêtement !

 

Et quel style : Verchuren ?

Non, non du classique !

 

Vous aviez des partitions pour accordéon ?

On avait énormément de transcriptions. Bach n'a pas écrit pour cet instrument...  mais on en joue assez couramment. C'est un instrument qui se rapproche de l'orgue. Sinon beaucoup de compositeurs contemporains, enfin du XXème siècle, ont écrit pour cet instrument.

 

La musique à l'image est-ce venu par hasard ou vous aviez envie d'en faire ?

J'ai toujours eu envie d'en faire mais cela s'est exprimé d'une façon plus nette il n'y a qu'une quinzaine d'année. Les premiers souvenirs de musique qui m'ont touché, à part ce qu'on apprenait « à l'école », c'était par les musiques de film. Si je fais une sorte de psychanalyse inversée, je me suis intéressé à la musique rock, à la musique électronique ; c'est par rapport à des sonorités extra classiques que je pouvais entendre dans les BO de films…

 

Par exemple ?

Dans la BO d'une série, « Cosmos 99 » – musique de Barry Gray, Derek Wadsworth –, une série avec Martin Landau, Barbara Bain ; ou comme le film « La Planète des Singes ».

 

Prendre Goldsmith comme référence, vous aviez déjà un bon goût!

Peut-être. J'écoute régulièrement ce disque; je crois que ce qui m'avait passionné à l'époque, avec cette musique, c'était comment les sons de musique classique étaient détournés par l'électronique. C'est cette sonorité qui m'avait interpellé.

 

On ressent ce dont vous parlez dans votre musique pour « Trepalium »

Oui effectivement, je n'y avais pas  réfléchi…

 

Avec « La Planète des Singes » on est dans la science fiction. Avec « Trepalium » on n'en est pas très loin, même si la production ne veut pas employer ce terme. Je suppose que vous n'aviez pas les mêmes moyens ?

Non il est très clair qu'on en est très loin…

 

Parlez-moi de votre période rocker :

J'ai commencé vers l'âge de dix sept ans jusqu'à vingt cinq ans !

 

Vous ne jouiez pas de l'accordéon je suppose ?

Non, j'étais aux claviers, je faisais partie d'un groupe qui a fait parlé de lui mais qui n'a jamais franchi la frontière lyonnaise. Cela m'a pas mal occupé.

 

C'est là où vous avez appris à faire des arrangements ?

Oui, mais surtout connaître ce qu'était le studio, rencontrer les fameuses machines qui faisaient du bruit : ça a beaucoup influencé ma façon d'appréhender la musique et la composition.

 

Vous êtes de la génération des ordinateurs ?

Les ordinateurs, je m'y suis mis assez tard, seulement en 98 ! J'ai enregistré en 24 pistes, encore en bandes, à l'ancienne.

 

Avez-vous un studio ?

J'ai un home studio, mais je n'ai pas assez de place pour enregistrer un ensemble de cordes.

 

Thierry Binisti a un parcours assez étonnant!  Travaillez -vous souvent avec lui ? Comment l'avez-vous rencontré ?

On s'est rencontré aussi par le même biais que pour Miguel Courtois : le monteur travaillait avec Thierry ! On s'est croisé plusieurs fois, on s'est plusieurs fois raté et puis on a réussi à le faire en 2012 ! Comme il fait des choses très éclectiques, je ne travaille pas sur tous ses projets ; il vient vers moi pour certains types de choses.

 

Comment pourriez-vous définir le style de musique que vous composez ?

J'avoue ne pas avoir un style précis. Je suis assez malléable, je dépends vraiment de l'histoire et du film sur lequel je travaille. Je n'ai aucune limite, je pourrais très bien faire un film uniquement avec un quatuor, et puis le film suivant en électroacoustique, cela ne me dérangerait pas du tout.

 

Faites-vous tous les arrangements ou travaillez-vous en binôme ?

Je fais tout tout seul, de la première à la dernière note !

 

Et de temps en temps vous jouez aussi dans vos partitions...

Absolument, je tiens les claviers, et de temps en temps la guitare bien que je  sois un guitariste médiocre autodidacte. Si ce n'est que deux accords, je le fais ; sinon je fais appel à un guitariste de talent.

 

Être compositeur en province, est-ce un handicap ?

Cela a certains inconvénients ; on fait moins de rencontres et ce métier n'est qu'un métier de rencontres.

 

Avec tous les moyens d'aujourd'hui l'information pourtant se déplace facilement...

Généralement je fais des allers-retours. C'est bien de se voir physiquement, il y a des communications qui se passent toujours mieux en direct.

 

Pour « Trepalium », la série d'Arte, vous connaissiez le réalisateur ?

Non pas du tout je suis arrivé sur ce projet par Varda Kakon qui s'occupait de la supervision musicale, je l'avais connue sur « Skate or Die »

 

Synopsis de Trepalium : Dans un proche futur, la population est séparée en deux par un mur. D'un côté, la « Zone », avec les 80 % de chômeurs, de l'autre, la « Ville » hébergeant les 20 % d'actifs. Izia Katell vit dans la Zone où elle élève seule son fils. Elle est sélectionnée par le gouvernement pour devenir une « employée solidaire » à Aquaville, du côté des actifs. Elle va travailler chez Ruben Garcia ingénieur en dépollution dévoué à son travail, qui vit avec sa femme Thaïs et sa fille devenue mutique.

 


Vous aviez laissé un bon souvenir alors ! Qu'est ce que Vincent Lannoo vous a demandé de spécifique pour cette série ?

Au départ il ne m'a pas demandé grand chose. Fondamentalement il ne voulait pas une musique à effets, il voulait de la thématique. En même temps on m'a donné les onze première minutes du film et on m'a dit : exprime toi ! Je n'ai pas eu plus d'infos ! J'ai fait ma petite copie qui est devenue la feuille de route par la suite. J'avais dans ces quelques minutes l'atmosphère de la série ; on m'avait raconté l'histoire, on m'avait parlé d'autres films comme « Gattaca » ou ce genre de choses. Ma musique est la projection sensible de cet univers.

 

Le générique a dû être compliqué à trouver.

Oui on a dû bien faire une quinzaine de versions, c'est l'empreinte de la série ; je suis arrivé assez tard dans la production. Le générique, c'est ce que j'écrivais dans les pauses déjeuner au lieu de manger ! C'est vraiment le seul élément musical qui a demandé beaucoup d'allers et retours. Tout le monde était inquiet plus que sur le score, il ne fallait pas le rater !

 

Vous aviez l'habitude des séries, vous aviez fait « Résistance » juste avant ?

Effectivement.

 

Est-ce que vous sentez cette frontière entre compositeur de télé, compositeur de film ?

Pas vraiment, jusque là je n'ai pas eu cette confrontation.

 

Votre actualité ?

Je suis sur un film expérimental dont on ne sait pas ce qui va en sortir, cela a été tourné par plusieurs réalisateurs avec des Iphones ! J'ai toute liberté pour composer. Sinon j'ai des projets de télé.

 

Bon courage alors !

 

 

Propos recueillis par Stéphane Loison.


 

 

BO EN CDs

 

THE SAINT : Compositeur : Serge Franklin 1CD Music Box Records MBR-088

 

Dans les années 1960, Roger Moore a immortalisé Simon Templar à la télévision, ce qui lui a assuré sa célébrité internationale. En 1989, Simon Dutton (« King David », « Dangerous Beauty ») a repris le rôle-titre le temps de six téléfilms tournés en 1989 dans différents pays (la Grande-Bretagne, la France, l'Allemagne et l'Australie). Pour cette co-production, le compositeur français Serge Franklin est engagé pour écrire les bandes originales de quatre épisodes. La sélection comprend les versions intégrales des musiques des épisodes The Brazilian Connection, The Blue Dulac et The Big Bang. C'est un coffret de trois CDs qui est offert ici. L'album propose un riche condensé de thèmes accrocheurs mêlant action, suspense, romance et espionnage, sans oublier la touche funky du compositeur de « Hold-Up » et « Le Grand Pardon ».

 


MusicBoxMuL'ARCHE ET LES DÉLUGES : Réalisateur : François Bel. Compositeur: Gabriel Yared. 1Cd Music Box Records MBR-089

Bas du formulaire

 

« L'Arche et les Déluges » (1993) est une fresque naturaliste remontant au temps de la Genèse; le réalisateur François Bel a fait appel au compositeur Gabriel Yared. Le compositeur a écrit une partition symphonique d'une grande ampleur, et assez éclectique musicalement. Un thème domine la partition. Joué par différents instruments tout au long du film, il en évoque les vastes paysages. Par ses répétitions dans des transpositions diverses, il est le thème de l'univers marin et de son incessant ressac. « Je souhaitais écrire un thème principal intemporel. Une musique aux couleurs irisées, ayant sa propre existence, tout en répondant aux thèmes essentiels du film, le ciel et l'eau. »? explique Gabriel Yared. L'aspect évanescent de Reflets de lune, Lune Bleue et Lune voilée est amené par un jeu sur les effets de réverbération. Principalement associés à l'astre lunaire, ces morceaux lui donnent une véritable personnalité musicale dans le documentaire. La fanfare de cuivres un peu grinçants de Paradis Urbain et les effets synthétiques de Valse industrie illustrent le dérèglement de cet univers quand l'homme fait son entrée.


 

DJANGO / Réalisateur : Sergio Corbucci; Musique de Luis Bacalov. 1CD GDM : GDM4303

 

La célèbre musique du non moins célèbre western vient d'être rééditée chez GDM. Il y a sur le cd les versions de la chanson en anglais, et des versions différentes, style Karaoké et des alternate versions. Un chef d'œuvre de musique au même titre que celles de Morricone ! A posséder !

 


 

https://www.youtube.com/watch?v=qPybfC_-8lo

 

 

REVENGE : Réalisateur : Tony Scott. Compositeur: Jack Nitzsche. 1CD Dragon's Domain :DDR612

 

Jack Nitzsche – « One Flew Over The Cuckoo's Nest ; The Razor Edge ; Starman ; Blue Collar ; Cruising ; Stand By Me ; 9 ½ Week …) a composé la musique de ce polar en 1990. Kevin Kosner donne la réplique à  Madeleine Stowe et Anthony Quinn. Jack Nitzsche est aussi un musicien pop, il a produit, arrangé le mythique album de Neil Young « Harvest », a participé à plusieurs albums des Rolling Stones…. Ce CD avait été édité il y a quelques années chez Silva Screen. Nitzsche a bâti son score autour du « love thème » avec des mélanges de musiques aux synthéx comme cela se faisait à l'époque. Le guitariste Tommy Tedesco joue sur certaines plages en guitare acoustique. C'est une musique planante, romantique à souhait.


https://www.youtube.com/watch?v=bOkNHWekMBs

 

 

OUR LAST TANGO : Réalisateur : German Kral.Compositeur : Luis Borda, Gerd Baumann…1CD Sony Classical :n°88875163992

 

C'est un documentaire fiction sur les danseurs Juan Carlos Copes et María Nieves Rego et leurs relations tumultueuses au cours de leur longue carrière. Ce couple est une sorte de Ginger et Fred du tango argentin. German Kral est né à Buenos Aires et a étudié le cinéma en Allemagne. Il s'est spécialisé dans le documentaire et a déjà traité le thème du tango. La danse et la musique sont magnifiquement filmées, photographiées. On y retrouve les plus beaux et plus classiques des tangos arrangés par Luis Borda et interprétés de manière moderne par un des plus fameux orchestres, le Sexto Mayor. Le disque est a écouter et à réécouter tant cette musique est envoûtante. Gerd Bauman a écrit quelques partitions pour le film jouées à la guitare et au violon. Un très beau CD.

 


https://www.youtube.com/watch?v=QmZ-uaFfJ2I

 

 

KNIGHT OF CUPS : Réalisateur : Terence Malik. Compositeur : Hanan Townshend. 1CD MilanMusic : n°399805-2

 

Malik s'enfonce de plus en plus dans un cinéma abscons, d'une naïveté confondante. Les acteurs stars viennent faire de la figuration. Au milieu de ce déluge d'images superbes sans grand intérêt, il y a une musique magnifique. Elle est signée Hanan Townshend. Il a composé plusieurs musiques pour Malik dont "Tree Of Live" et "To The Wonder". Musique romantique, elle se mélange parfaitement aux extraits de Peer Gynt de Grieg, de pièces de Debussy ou de Vaughan Williams. On peut apprécier la musique de ce compositeur qui a très peu composé pour le cinéma et pour des films de peu d'intérêt.

 


https://www.youtube.com/watch?v=8f1sQzdbBWg

 

 

L'AGE D'OR DE LA MUSIQUE DE FILM EN FRANCE. 1CD Milanmusic : 399821-2

 

Sous la direction de Serge Baudo, ce disque offre des thèmes connus composés par Maurice Jaubert (« Quatorze Juillet », « Le Quai des Brumes », « L'Atalante »,) George Auric (« Orphée »), Jospeh Kosma (« Les Portes de la Nuit »), Maurice Leroux (« Le Ballon Rouge »). Ce qui est le plus original dans ce CD ce sont les extraits de la musique d'un film de Georges Régnier « L'Univers D'Utrillo » écrite par Maurice Jarre, d'un thème de « Farrebique » de Georges Rouquier écrit par Henri Sauguet, et de la musique de Darius Milhaud pour des actualités. Un disque pour ceux qui aiment le cinéma, une musique qui donne à voir !

 


https://www.youtube.com/watch?v=SlAGT3RWJKE&list=PLfEOVpAn9eIJDD6tlVEA86LHmpU0jgqRM

 

 

MY LIFE DIRECTED BY NICOLAS WINDING REFN : Réalisatrice :Liv Corfixen. Compositeur : Cliff Martinez. 1CD MilanMusic :n°399 584-2

 

Liv Corfixen est la femme du réalisateur Nicolas Winding Refn. En obtenant le Prix de la mise en scène à Cannes en 2011, pour son film « Drive », le danois jouit d'un statut de cinéaste culte : adulé par le public, consacré par la critique, il a désormais pour principale préoccupation de rendre ce succès pérenne. Ainsi, lorsqu'il début le tournage de son nouveau projet « Only God Forgives » en 2013, il s'inquiète. Liv s'inquiète aussi, mais surtout pour son mari, ses enfants, et pour elle-même, car si Nicolas se jette à corps perdu dans son film, il semble toutefois mettre de côté sa propre famille. Elle décide donc de prendre la caméra, et de faire de Nicolas un sujet d'observation, afin de nous offrir une vision large de la vie du réalisateur, un portrait à la fois intime et instructif, à mi-chemin entre le reportage et le making-of. Le film sort en DVD et la musique est celle de Cliff Martinez le compositeur attitré de Steven Soderberg et qui s'est rendu célèbre en composant pour les deux films de Winding Refn. Le CD de cette musique est de la même veine que ce qu'il a fait pour Soderberg, Winding Refn. Une musique sans surprise mais toujours agréable à écouter.

 


https://www.youtube.com/watch?v=pZxsCYlI9lg

 

 

MARSEILLE; Réalisateur : Kad Merad. Compositeur : Hervé Rakotofiringa. BOriginal - En téléchargement

 

Devant l'insistance de son frère Joseph, qu'il n'a pas revu depuis 25 ans, Paolo se résout à abandonner quelques jours sa vie calme et harmonieuse au Canada, pour revenir à Marseille au chevet de son père accidenté. Il part bien décidé à ne pas s'attarder dans cette ville qu'il a fui, des années plus tôt. Il n'imagine pas que l'affection de sa famille retrouvée, sa rencontre amoureuse avec une jeune femme et la solidarité joyeuse et simple des Marseillais le réconcilieront avec cette ville qu'il n'aurait jamais voulu quitter... Marseille. Hervé Rakotofiringa est spécialisé dans les comédies populaires comme les « Kaïras », « La Vérité si je Mens 3 », « Neuilly Sa Mère ». La musique du film a un petit côté musique des comédies années soixante dix qui louche sur celles de Claude Bolling. Une musique plus fonctionnelle qui colle à l'image sans décoller, bien de chez nous, assez banale en fin de compte, comme le film. Sans grand intérêt.

 


 

 

LES VISITEURS : Réalisateur : Jean-Marie Poiré. Compositeur : Eric Levy. 1CD MilanMusic 399 826-2

 

A force de tirer sur les grosses ficelles, elles se cassent! Avec le quatrième « Visiteurs » (oui il y en a quatre avec la version américaine, un désastre), Gaumont ne fait pas la révolution qu'il souhaitait mais échappe à la guillotine et le peuple le suit! Ici nous sommes là pour parler musique. Eric Levi, ami de Jean-Marie Poiré, vient de la culture pop, avait un orchestre de hard rock « Shakin' Street » qui a eu du succès. Il a pas mal joué en tant que guitariste avec des groupes reconnus (Blue Oyster Cult, Black Sabbath, ACD). Il a commencé à écrire de la musique de film pour « L'Opération Corned-Beef » puis a travaillé sur le film culte « Les Visiteurs » et a enchaîné sur les autres succès de Jean-Marie Poiré. C'est sa cinquième collaboration avec le réalisateur. Écrire de la musique pour une comédie est un art difficile. Ici l'histoire se passe pendant la Terreur ; alors comment s'en sortir ? A l'écoute du CD, on constate que Levi a écrit une musique dramatique et n'est pas allé dans le genre de la comédie !!?? Les thèmes sont extrêmement courts (0'22'' à 1'20''). Ce sont plutôt des vignettes qu'il propose. Le premier morceau du CD est bien sûr « Enae Volare Mezzo », sorte de Carmina Burana, qui est la signature même des Visiteurs. Ce remix a été écrit pour son groupe Era fondé en 1996. Ce morceau a eu un succès considérable, comme les concerts du groupe. On trouve un extrait du Requiem de Verdi et du Concerto pour violon de Mendelssohn. Eric Levy a fait son boulot très sérieusement et a un certain talent, mais rien de bien révolutionnaire dans ses compositions. Il a été aidé par la brillante Marie-Jeanne Serero, par Frédérick Rousseau, Guy Protheroe et Paul Mottram sur certains morceaux. Écouter et se procurer le CD c'est  une autre histoire…une question d'époque !

 


https://soundcloud.com/editions-milan-music

 

 

HANS ZIMMER "les Années Milan" . 1CD MilanMusic : n°399 810-2

 

C'est Stanley Myers qui a mis le pied à l'étrier à son assistant Hans Zimmer car il n'était pas apte à écrire une musique avec des mélanges pseudo électroniques pour composer la musique de « World Appart ». C'est ce que racontait Emmanuel Chamboredon dans une des premières interviewes pour la rubrique Musique et Image. Sur ce CD on retrouve des extraits des premiers enregistrements de Zimmer captés aux Lillie Yard Studios entre 1985 et 1990 : « A World Apart », « My Beautiful Laundrette », « Burning Secret », « The Fruit Machine » et « Fools of Fortune ». Barry Levinson qui entendit le travail de Zimmer, imposa à la MGM ce jeune compositeur totalement inconnu outre-Atlantique sur « Rain Man ». On connaît le succès de cette musique et hélas de ce qu'il advint de ce compositeur et des musiques qu'il a produit depuis. Un CD pour collectionneurs et amateurs de Zimmer.

 


https://soundcloud.com/editions-milan-music

 

 

ENNIO MORRICONE JUBILEE : 1CD MilanMusic : n° 399 804-2

 

De nombreux thèmes de Morricone sont joués sur ce CD en trio - violoncelle, flûte, piano -. C'est beau. Peut-être manque-t-il la magie des orchestrations qui ont fait le succès de ces morceaux. Une autre manière d'appréhender la musique de cet immense compositeur. Un bel hommage.

 


https://soundcloud.com/editions-milan-music

 

 

MAGGIE'S PLAN : Réalisatrice : Rebecca Miller. Compositeur : Michael Rohatyn. 1CD MilanMusic : n°399 830-2

 

Maggie, trentenaire, éternelle célibataire et new-yorkaise, a bien l'intention de faire un bébé toute seule, mais elle rencontre John, professeur d'anthropologie et écrivain en devenir, dont elle tombe immédiatement amoureuse. John, lui, n'est pas très heureux en mariage avec la tumultueuse Georgette qui ne vit que pour sa carrière. Il la quitte pour Maggie, qui attend désormais un bébé. Mais après quelques années de vie commune, Maggie a un autre plan en tête et aimerait jeter à nouveau John dans les bras de Georgette… Greta Gewig, l'actrice du film culte « Frances Ha », se retrouve de nouveau dans ce genre de cinéma qu'on appelle Mumblecore ou encore Sackavetes, ce cinéma indépendant new yorkais terriblement à la mode. Rebecca Miller est la fille d'Arthur Miller et la femme de Daniel Day-Lewis. C'est son cinquième film après avoir était actrice, scénariste et dramaturge. Cette comédie sur une célibataire joyeusement névrosée est accompagnée par une musique assez décalée. Michael Rohatyn a composé pour tous les films de Rebecca Miller. Sa musique, comme le film, a beaucoup de charme et elle très variée. Il y a une couleur surannée dans les thèmes avec souvent la présence de l'accordéon et des accents jamaïcains. Sur le CD le chanteur jamaïcain Dandy Livingstone interprète un morceau ainsi que Bruce Springseen – Dancing in the Dark -, Don Drumond, The Skatalites, Peaking Lights et Keith & Ken. Il y a des morceaux en bonus qui n'ont pas été gardés sur le film. Ce disque est très plaisant à écouter comme est le film à regarder.

 


 

EDDIE THE EAGLE : Réalisateur : Dexter Fletcher. Compositeur :Matthew Margeson. 1CD Varese Sarabande

 

« Eddie The Eagle » est empreint de nostalgie des années 80. Son compositeur Matthew Margeson (Kick-Ass 2, Kingsman) offre ici une bande originale audacieuse, qui recrée un son d'époque. C'est une musique optimiste, entraînante, qui colle à l'histoire. Piano, guitares, rythmes disco et surtout les synthés ! Margeson a écrit un thème principal, qu'il répète avec des arrangements différents et reste dans la tête à la sortie de la projection. Le film est épatant et la musique aussi. Une belle surprise !

 


https://www.youtube.com/watch?v=vZcPCLuptu4

 

Stéphane Loison.

***

LA VIE DE L’EDUCATION MUSICALE

Haut

Si vous souhaitez promouvoir votre activité, votre programme éditorial ou votre saison musicale dans L’éducation musicale, dans notre Lettre d’information ou sur notre site Internet, n’hésitez pas à me contacter au 01 53 10 08 18 pour connaître les tarifs publicitaires.  

maite.poma@leducation-musicale.com

Les projets d’articles sont à envoyer à redaction@leducation-musicale.com

Les livres et les CDs sont à envoyer à la rédaction de l’Education musicale : 7 cité du Cardinal Lemoine 75005 Paris

   

Le site de l’Education Musicale

 

 


La librairie de L’éducation musicale

VIENT DE PARAÎTRE

COLLECTION VOIR ET ENTENDRE

Jean-Marc Déhan et Jacques Grindel ont réalisé, dans les années 1980, collection « voir & entendre », qui s'adressait autant aux collèges et lycées qu'aux conservatoires et écoles de musique. Il nous est apparu que cet outil remarquable pouvait, avec quelques compléments, redevenir un outil pédagogique de tout premier plan. Le parti pris a été de réimprimer à l'identique les fascicules, enrichis d'un court dossier pédagogique. Pour chaque titre, des pistes d'utilisation s'ajoutent à celles déjà mises en lumière dans les partitions elles-mêmes.
Il est possible d'utiliser ces partitions :
- pour la lecture de notes
- pour la lecture de rythmes
- pour la dictée musicale ;
- pour le chant, en faisant chanter et mémoriser les principaux thèmes
- pour la formation de la pensée musicale : les thèmes mémorisés, transposés à l'oreille, donneront lieu, le cas échéant, à des autodictées ;
- pour l'analyse musicale et l'harmonie, avec les analyses fines de J.-M. Déhan et J. Grindel reportées sur la partition
- pour l'histoire de la musique grâce aux textes de présentation ;
- enfin, pour l'écoute raisonnée des œuvres en suivant simplement la partition, quitte à faire porter l'audition sur des éléments précédemment indiqués par le professeur qui pourra adapter ces exercices au niveau de ses élèves.
Mais ces partitions sont également destinées aux amateurs éclairés pour qui la lecture des clés d'ut dans les partitions d'orchestre habituelles, ainsi que le casse-tête des instruments transpositeurs sont souvent des obstacles insurmontables.
Souhaitons que cette réédition permette une meilleure connaissance par tous, jeunes et moins jeunes, futurs professionnels ou amateurs éclairés, de quelques œuvres fondamentales du répertoire.

W.A. Mozart. Symphonie n° 40 (K550)1. Allegro Molto – 3. Menuetto

Prix: 9 euros

A. Borodine. Dans les steppes de l’Asie centrale

Prix: 9 euros

H. Berlioz. Symphonie fantastique 5e mouvement

Prix: 12 euros

J.-S. Bach. Cantate BWV 140« Wachetauf, ruft uns die Stimme »

Prix: 10,50 euros

Baccalauréat 2016.

Épreuve de musique

LIVRET DU CANDIDAT

 

192 pages

Consulter le sommaire en cliquant ici

Consulter un extrait du Livret du Candidat

 

   

1.STOCKHAUSEN JE SUIS LES SONS

Ce livre, que le compositeur souhaitait publier dans sa maison d’édition à Kürten, se propose de présenter les orientations principales de la recherche de Karlheinz Stockhausen (1928-2007) à travers ses œuvres, couvrant sa vie et ouvrant un accès direct à ses écrits. Divers domaines investis par le plus grand inventeur de musique de la seconde moitié du xxe siècle sont abordés : composition de soi à travers les matériaux nouveaux ; découvertes formelles et structures du temps ; musique spatiale ; métaphore lumineuse ; musique scénique ; l’hommage au féminin de l’opéra Montag aus Licht ; Wagner, Stockhausen et le Gesamtkunstwerk, œuvre d’art total. Les témoignages des femmes qui l’ont accompagné dressent un portrait vif et saisissant de l’homme, artiste génial qui aimait plus que tout la musique et la recherche compositionnelle au nom du progrès de l’être humain...(suite)



 

2. ANALYSES MUSICALES VIIIè SIECLE - Tome 1

 

L’imbroglio baroque de Gérard Denizeau

 

BACH

Cantate BWV 104 Actus tragicus : Gérard Denizeau

Toccata ré mineur : Jean Maillard

Cantate BWV 4: Isabelle Rouard

Passacaille et fugue : Jean-Jacques Prévost

Passion saint Matthieu : Janine Delahaye

Phœbus et Pan : Marianne Massin

Concerto 4 clavecins : Jean-Marie Thil

La Grand Messe    : Philippe A. Autexier

Les Magnificat : Jean Sichler

Variations Goldberg : Laetitia Trouvé

Plan Offrande Musicale : Jacques Chailley

 

COUPERIN

Les barricades mystérieuses : Gérard Denizeau

Apothéose Corelli : Francine Maillard

Apothéose de Lully : Francine Maillard

 

HAENDEL

Dixit Dominus : Sabine Bérard
Water Music : Pierrette Mari

Israël en Egypte : Alice Gabeaud

Ode à Sainte Cécile : Jacques Michon

L’alleluia du Messie : René Kopff

Musique feu d’artifice : Jean-Marie Thill

3. LE NOUVEL OPERA

 

Publié l'année même de son ouverture, cet ouvrage raconte avec beaucoup de précisions la conception et la construction du célèbre bâtiment.
Le texte est remis en pages et les gravures mises en valeur grâce aux nouvelles technologies d'impression.

4. LEOS JANACEK, JEAN SIBELIUS, RALPH VAUGHN WILLIAMS - UN CHEMINEMENT COMMUN VERS LES SOURCES

Pour la première fois, le Tchèque Leoš Janácek (1854-1928), le Finlandais Jean Sibelius (1865-1957) et l'Anglais Ralph Vaughan Williams (1872-1958) sont mis en perspective dans le même ouvrage. En effet, ces trois compositeurs - chacun avec sa personnalité bien affirmée - ont tissé des liens avec les sources orales du chant entonné par le peuple. L'étude commune et conjointe de leurs itinéraires s'est avérée stimulante tant les répertoires mélodiques de leurs mondes sonores est d'une richesse émouvante. Les trois hommes ont vécu pratiquement à la même époque.
Ils ont été confrontés aux tragédies de leur temps et y ont répondu en s'engageant personnellement dans la recherche de trésors dont ils pressentaient la proche disparition. (suite).



 

5. LA RECHERCHE HYMNOLOGIQUE

En plein essor à l'étranger, particulièrement en Allemagne, l'hymnologie n'a pourtant pas encore acquis ses titres de noblesse en France.
Dans l'esprit de la collection « Guides musicologiques », cet ouvrage se veut une initiation méthodologique. Il comprend une approche de l'hymnologie se rattachant à la musicologie historique et à la théologie pratique, et résume l'historique de la discipline.
Pratique et documentaire, il offre aussi de précieuses indications : un large panorama des institutions et centres de recherche, un glossaire conséquent ou les mots clés. et les entrées sont accompagnés de leur traduction en plusieurs langues, et une bibliographie très complète (431 titres) tenant compte du tout dernier état de la question.
Outil de travail indispensable, ce livre s'adresse aussi bien aux musicologues, aux théologiens, traducteurs et chercheurs, qu'aux organistes, maîtres de chapelle, chanteurs, et bien entendu, aux hymnologues.

6. JOHANN SEBASTIAN BACH - CHORALS

Ce guide s’adresse aux musicologues, hymnologues, organistes, chefs de chœur, discophiles, mélomanes ainsi qu’aux théologiens et aux prédicateurs, soucieux de retourner aux sources des textes poétiques et des mélodies de chorals, si largement exploités par Jean-Sébastien Bach, afin de les situer dans leurs divers contextes historique, psychologique, religieux, sociologique et surtout théologique.
Il prend la suite de La Recherche hymnologique (Guides Musicologiques N°5), approche méthodologique de l’hymnologie se rattachant à la musicologie historique et à la théologie pratique dans une perspective pluridisciplinaire. Nul n’était mieux qualifié que James Lyon : sa vaste expérience lui a permis de réaliser cet ambitieux projet. Selon l’auteur : « Ce livre est un USUEL. Il n’a pas été conçu pour être lu d’un bout à l’autre, de façon systématique, mais pour être utilisé au gré des écoutes, des exécutions, des travaux exégétiques ou des cours d’histoire de la musique et d’hymnologie. » (suite)

7. LES 43 CHANTS DE MARTIN LUTHER

Cet ouvrage regroupe pour la première fois les 43 chorals de Martin Luther accompagnés de leurs paraphrases françaises strophiques, vérifiées. Ces textes, enfin en accord avec les intentions de Luther, sont chantables sur les mélodies traditionnelles bien connues.
Aux hymnologues, musicologues, musiciens d'Eglise, chefs, chanteurs et organistes, ainsi qu'aux historiens de la musique, des mentalités, des sensibilités et des idées religieuses, il offrira, pour chaque choral ou cantique de Martin Luther, de solides commentaires et des renseignements précis sur les sources des textes et des mélodies : origine, poète, mélodiste, datation, ainsi que les emprunts, réemplois et créations au XVIè siècle... (suite)

8. LES AVATARS DU PIANO

Mozart aurait-il été heureux de disposer d'un Steinway de 2010 ? L'aurait-il préféré à ses pianofortes ? Et Chopin, entre un piano ro- mantique et un piano moderne, qu'aurait-il choisi ? Entre la puissance du piano d'aujourd'hui et les nuances perdues des pianos d'hier, où irait le cœur des uns et des autres ? Personne ne le saura jamais. Mais une chose est sûre : ni Mozart, ni les autres compositeurs du passé n'auraient composé leurs œuvres de la même façon si leur instrument avait été différent, s'il avait été celui d'aujourd'hui. Mais en quoi était-il si différent ? En quoi influence-t-il l'écriture du compositeur ? Le piano moderne standardisé, comporte-t-il les qualités de tous les pianos anciens ? Est-ce un bien ? Est-ce un mal ? Qui a raison, des tenants des uns et des tenants des autres ? Et est-ce que ces questions ont un sens ? Un voyage à travers les âges du piano, à travers ses qualités gagnées et perdues, à travers ses métamorphoses, voilà à quoi convie ce livre polémique conçu par un des fervents amoureux de cet instrument magique.




9. CHARLES DICKENS, LA MUSIQUE ET LA VIE ARTISTIQUE A LONDRES A L'EPOQUE VICTORIENNE

 

Au travers du récit que James Lyon nous fait de l’existence de Dickens, il apparaît bien vite que l’écrivain se doublait d’un précieux défenseur des arts et de la musique. Rares sont pourtant ses écrits musicographiques ; c’est au travers des références musicales qui entrent dans ses livres que l’on constate la grande culture musicale de l’écrivain. Il se profilera d’ailleurs de plus en plus comme le défenseur d’une musique authentiquement anglaise, forte de cette tradition évoquée plus haut.

Et s’il ne fallait qu’un seul témoignage enthousiaste pour décrire la grandeur musicale de l’Angleterre, il suffit de lire le témoignage de Berlioz (suite).



 

***

Les analyses musicales de L'Education Musicale