Lettre d’Information – n°91 – Avril 2015

Lettre de mars 2015. Tirage : 58.796 exemplaires


 

L'AGENDA

7 & 9 / 4

 

La Maitrise Sainte-Croix de Neuilly

 

 

Entendre les Cantates BWV 4 et BWV 140 de Jean-Sébastien Bach et le célèbre Gloria d'Antonio Vivaldi interprétés par un chœur de garçons : voilà une occasion qui n'est pas souvent donnée. Et pourtant ! Quelle formation vocale serait mieux adaptée pour trouver ce ton, ni sophistiqué, ni outré, qui convient à merveille à l'exécution de ces chefs-d'œuvre incomparables ? C'est avec les armes qui sont les leurs – pureté des voix, spontanéité des phrasés, émotions naïves de leur jeunesse – que la Maîtrise de Sainte-Croix de Neuilly (The Paris Boys Choir), sous la direction de son chef François Polgár, s'attaque à ces grands compositeurs de musique baroque.

Soutenu par les instruments anciens du Collège de Musique Sacrée et avec le concours du ténor Olivier Coiffet et de la basse Marc Souchet, les Petits Chanteurs nous convient à deux soirées d'exception.

 

L e 7 avril 2015, à 20h30, en l'Église Saint Honoré d'Éylau - 66 bis, avenue Raymond Poincaré - 75116 Paris, et le 9 avril 2015 à 20h30, en l Église Saint Pierre de Neuilly, 90 avenue du Roule, 92200 Neuilly-sur-Seine.

Réservations : par tel.: 01 47 45 18 66 ; en ligne : www.petitschanteurs.com

8, 9, 14 / 4

 

Les concerts du Palais Royal dans la salle de l'ancien Conservatoire

 

 


©Laurent Prost

 

L'ensemble Le Palais Royal propose une série de concerts reprenant des œuvres emblématiques de la période du Classicisme, sur le thème « Le temps des héros » : La Symphonie héroïque de Beethoven, deux airs d'opéra de Mozart, Dove sono, des Nozze di Figaro, et Come scoglio de Cosí fan tutte, enfin l'air de concert  « Non temer, amato bene », K 490 pour soprano, violon concertant et orchestre. En 1828, c'est la symphonie héroïque de Beethoven qui fut choisie pour ouvrir le tout premier concert de l'Orchestre de la Société des Concerts du Conservatoire, ancêtre de l'Orchestre de Paris. Pour l'occasion, les 8 et 9 avril prochain, le décor de concert d'origine, conservé précieusement dans les réserves, sera remonté sur scène, comme au XIXe siècle. Construit en bois et toile peinte, il forme une exceptionnelle conque acoustique. Le Palais Royal qui existe dans sa forme actuelle depuis 2010, est en résidence dans ce lieu depuis 2013. Avant, la Salle de l'Ancien Conservatoire était tombée dans un endormissement de quelques 70 ans. Jean-Philippe Sarcos, directeur musical du Palais Royal, dirigera. Ce concert sera donné également à l'Hôtel de Poulpry, Maison des Polytechniciens, le 13 avril, dans le cadre de sa saison musicale.

 

Salle de l'ancien Conservatoire, 8 avril 2015, à 15H30, et 9/4 à 20H30.

Saison musical de l'Hôtel de Poulpry, 13 avril 2015, à  20H.

Réservations : Salle de l'ancien Conservatoire, 2 bis rue du  Conservatoire, 75009  Paris ; par tel : 01 45 20 82 56 ; en ligne : reservation@le-palaisroyal.com 

Hôtel de Poulpry, 12 rue de Poitiers, 75007 Paris ; par tel : idem ou 01 49 54 74 74 ; en ligne : saisonpoulpry@le-palaisroyal.com

 

 

 

12 et 13 / 4

 

Cycle « Voix, création et quatuor » aux Bouffes du Nord

 


Jörg Widmann / DR

 

L'association Pro Quartett investit de nouveau le Théâtre des Bouffes du Nord pour deux concerts focalisant sur la création. Le 13 avril, le Quatuor Minguet et la pianiste Dana Ciocarlie joueront de Jörg Widmann (*1973) ses Quatuors  N° 1 (1997), N° 2 (2003), N°3 (2003) et N° 4 (2005) ainsi que la pièce « Mit Humor und Feinsinn » (Avec humour et subtilité) extraite des Humoresken, pour piano solo, de 2007. Le Quintette pour piano et corde op 44 de Robert Schumann complétera le programme. Le lendemain, 13 avril, le Quatuor Danel, Jörg Widmann, clarinette, Bruno Schneider, cor, et Nora Lentner, soprano, interpréteront le Quatuor N° 5 « Versuch über die Fugue »  (expérience sur la fugue) avec soprano, de Widmann (2005), et son « Air » pour cor solo (2005), puis de Wolfgang Rhim (*1952), assureront la création de son Sextuor pour cordes, cor et clarinette, écrit en 2014. En complément de soirée, on jouera le Quintette pour clarinette et cordes de Mozart K 581.  

ulevard de la Chapelle, 740010 Paris ; par tel.: 01 46 07 34 50 ;

Théâtre des Bouffes du nord, le 12 avril 20015, à 17 H, et le 13 avril à 20H30.

Réservations : au théâtre, 37bis boulevard de la Chapelle, 740010 Paris ; par tel.: 01 46 07 34 50 ; en ligne : www.bouffesdunord.com en ligne : www.bouffesdunord.com

 

 

14 / 4

 

Stravinsky à Notre-Dame de Paris

 


Olivier Latry et les claviers du Grand orgue de Notre-Dame de Paris / DR

 

Igor Stravinsky est au programme du cycle de concerts « Musique sacrée à Notre- Dame de Paris », le 14 avril prochain. Le concert s'ouvrira par Le Sacre du Printemps, dans la version pour piano à quatre mains de l'auteur, interprétée ici au "grand orgue" par Olivier Latry et Shin-Young Lee. Suivra la Messe pour chœur mixte et double quintette à vents, qui verra se produire la Maîtrise Notre-Dame de Paris et l'Orchestre du Conservatoire de Paris, sous la direction d'Henri Chalet.

 

Notre-Dame de Paris, le 14 avril 2015, à 20H30.

Réservations : par tel. : 01 44 41 49 99 ; en ligne : musique-sacree-notredameparis.fr

 

 

16 & 18 / 4

 

L'Orchestre national de Lyon fête l'Espagne

 


Alain Altinoglu / DR

 

Après Don Giovanni à l'Opera Bastille et Rote Laterne, une création de Christian Jost, à l'Opernhaus de Zürich, le chef d'orchestre Alain Altinoglu dirigera l'Orchestre national de Lyon et accompagnera le flûtiste Emmanuelle Pahud dans des œuvres de Borne, Dukas, Ibert et Ravel. Outre l'indispensable Apprenti sorcier de Dukas, voilà un programme qui fleure bon l'Espagne, entre les trois pièces orchestrales de Ravel (Alborada del gracioso, Rhapsodie espagnole et Boléro) et la Fantaisie brillante sur « Carmen » de François Borne (1840-1920), patchwork étourdissant de virtuosité sur les thèmes les plus célèbres de l'opéra de Bizet, pour flûte et orchestre. Emmanuel Pahud jouera également une de ses pièces favorites, le Concerto pour flûte de Jacques Ibert (1934), toute de fraîcheur et d'esprit, avec un zest d'Espagne en sus. Devenu à vingt-deux ans flûte solo de l'Orchestre Philharmonique de Berlin, Emmanuel Pahud est le chef de file d'une école française de flûte que le monde entier nous envie. Alain Altinoglu a un parcours non moins fulgurant : à moins de quarante ans, il triomphe régulièrement à l'Opéra comme au concert, en France et à l'étranger. Sa récente nomination à la chaire de direction du Conservatoire de Paris dit assez le respect que ce jeune chef inspire. Voici une rencontre du talent et de la jeunesse qui s'annonce comme un des grands moments de la saison lyonnaise.

 

Auditorium de Lyon, les 16 et 18 avril 2015, à 2OH.

Réservations : Billetterie : 149 rue Garibaldi, 69003 Lyon ; par tel.: 04 78 95 95 95 ; en ligne : www.auditorium-lyon.com  

 

 

18 / 4

Un septuor de cuivres déchaînés

 


DR

Les artistes autrichiens du Mnozil Brass, fondé en 1992, affichent à nouveau leur optimisme déterminé les menant tout droit au Paradis des cuivres où le burlesque rencontre l'humour noir et fait trembler le spectateur d'émotions multiples. « YES YES YES ! », leur nouveau programme, renouvelle le genre des concerts humoristiques grâce à de nombreuses réadaptations, de compositions toutes personnelles ( le « Hojotoho » de la Walkyrie de Wagner !) ou bien encore à des chorégraphies à  couper le souffle! Le tout mis en scène par un complice, Ferdando Chefalo. Leur talent incontestable pour l'improvisation et une complicité certaine sur scène font de ces concerts une expérience unique, qui laisse le spectateur sidéré. Comme à chaque nouveau spectacle, et d'autant plus pour celui-ci, Le Mnozil Brass propose une vision décapante, déchaînée, parodique en diable.

Casino de Paris, le 18 avril 2015, à 20H

Réservations : A Paris, 16, rue de Clichy, 75009 Paris ; par tel. : 0892 69 89 26 ; en ligne : www.casinodeparis.fr

 

 

26, 28, 30 / 4 , 4, 6  & 15, 17 / 5

 

Ariane et Barbe-Bleue à l'ONS

 


Paul Dukas / DR

 

Tout comme Pelléas et Mélisande de Claude Debussy, Ariane et Barbe-Bleue est l'un des chefs d'œuvre incontestables de l'opéra français du début du XX ème siècle. Parce que Paul Dukas s'est directement inspiré de la pièce éponyme de Maurice Maeterlinck. Et a réussi une rare symbiose texte-musique. Il faut dire que la pièce, conçue par le poète comme un livret d'opéra, offrait de vraies possibilités au musicien en termes de développement et de prosodie chantée. De fait, la déclamation de Dukas, plus large que celle de Debussy, est faite d'un style arioso séduisant. La musique offre aussi un kaléidoscope de couleurs franches aux contrastes accentués. La trame suit de près le conte de Perrault et à travers le prisme du symbolisme, met en exergue le désir de liberté d'Ariane et le refuge dans la soumission de ses consœurs. Pour prix de sa désobéissance, Ariane rejoindra les autres femmes de Barbe-Bleue dans la prison de l'obscurantisme. L'aspiration à la liberté prônée par elle, les autres femmes la refuseront. La nouvelle production de l'ONS, à Strasbourg et Mulhouse, a été confiée à Olivier Py dont on sait le regard perspicace vis à vis de ce type de problématique. Qui s'entourera de ses complices habituels, Pierre-André Weitz, pour les décors et costumes, et Bertrand Killy pour les lumières. Danielle Callegri dirigera un plateau de choix, réunissant, entre autres, Jeanne-Michèle Charbonnet, Ariane, Marc Barrat, Barbe-Bleue, et Sylvie Brunet-Grupposo, la nourrice. A ne pas manquer. 

 

Opéra de Strasbourg, le 26 avril à 15H, les 28, 30/4 et 4, 6 mai à 20H ; à La Filature, Mulhouse, le 15 mai à 20H et le 17 mai à 15H.

Réservations :A Strasbourg/Opéra, 19 place Broglie, BP 80320, 67008 Strasbourg cedex ; par tel. : 825 84 14 84 ; en ligne : caisse@onr.fr

A Mulhouse/La Filature, 20 allée Nathan Katz 68090 Mulhouse cedex ; par tel. : 03 89 36 28 28 ; en ligne : billetterie@lafilature.org

 

 

Festival de la Vézère 2015'

 

 

Lors d'une conférence de presse dans les salons de son principal mécène, Vivendi, le festival de la Vézère présentait son programme 2105. Sa 35 ème édition. Un bel anniversaire souligne sa présidente, Isabelle de Lasteyrie du Saillant pour qui « la musique est l'art le plus complet car il se partage comme aucun autre ». Ce festival pas comme les autres, en pays corrézien, à deux encablures de Brive, a pour épicentre le château du Saillant, plus précisément sa grange à l'acoustique miraculeuse, près de la douce rivière Vézère. Il se veut prôner à la fois le patrimoine et la musique. Bien implanté dans le milieu rural, il se joue aussi dans les petites églises alentour et au théâtre de Brive. Sa vocation : promouvoir les talents de demain. Comme il en fut de bien des interprètes passés par là, qui ont accédé au faîte de la gloire, comme Till Fellner, Laurent Korcia, Hélène Grimaud ou Nemanja Radulovic ; sans parler des stars qui n'ont pas hésité à répondre présent comme Barbara Hendrick, Philippe Jaroussky, ou encore José van Dam, venant en voisin lors de vacances en Périgord ! Son originalité : s'ouvrir aux genres les plus variés, du classique au jazz, de l'opéra au ciné concert. Les festivités débuteront précisément par un ciné concert jazz, le 30 mai : Paul Lay improvisera au piano sur le film muet de Buster Keaton « Sherlock Junior ». Côté piano on pourra entendre le jeune Miroslav Kultyshev jouer Les Saisons de Tchaikovski et des sonates de Scriabine et de Prokofiev (18/7, au Saillant, 20H30) ; et Nicholas Angelich dans Haydn, Beethoven (Sonate Waldstein), et Schumann (Kreisleriana), le 21/8, à 20H au Saillant). Le dynamique duo Jatekok, piano à quatre mains, deux filles dans le vent, donnera une improbable version de Casse-Noisette, illustrée par les dessins sur sable de Marina Sosnina, un exemple des spectacles famille comme on les aime céans (9/7, à 15H au Théâtre de Brive). Le même duo se produira ensuite, à 20H 30 dans le Prélude à l'après midi d'un faune de Debussy, la Suite N°2 de Rachmaninov, La Valse de Ravel et des extraits de West Side Story de Bernstein. 

 


Fin de soirée au château du Saillant ©François Amelot

 

La compagnie Diva opera sera en résidence pour un week end opératique en trois volets : « Passions » ou un florilège d'airs et de duos sur le thème de la passion amoureuse (7/8, 20H), Lucia di Lammermoor (8/8) et Le Nozze di Figaro (9/8). L'occasion d'apprécier une autre spécialité du festival : donner des opéras scéniquement en version chambriste, avec de jeunes chanteurs dirigés du piano par Bryan Evans qui a déjà à son actif des succès tel Hansel et Gretel. Enfin, la formule « une heure avec » sera l'occasion pour le flûtiste Philippe Bernold et les lauréats du Conservatoire de Paris de passer « une heure dans l'univers de Chagall », en illustrant Bach, Stravinsky, Honegger, Bartok, Debussy ou encore Haendel dans la chapelle du Saillant enluminée des vitraux du célèbre peintre (29/7, 17H). Le même jour, mais à l'abbaye d'Uzerches, ils joueront un des quatuors pour flûte de Mozart et son quintette pour clarinette (20H30). Et le lendemain, à l'église de Saint-Ybard, des variations pour flûte, violon et alto de Beethoven, puis d'autres variations pour cello et piano et enfin le Trio pour clarinette, cello et piano. Bien d'autres manifestations sont programmées. A déguster en famille.

 

Réservations : par courrier ou sur place, Festival de la Vézère, 10, bd du Salan, 19100 Brive-la-Gaillarde ; par tel : 05 55 23 35 09 ; en ligne : contact@festivaldelavezere.com ou www.festival-vezere.com

 

 

Jean-Pierre Robert.

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PAROLES D'AUTEUR

 

Haut

 

Jean-Sébastien Bach, sous le signe de l'eau

 

 

    On sait aujourd'hui que le mot allemand Bach pouvait, au XVIe siècle, désigner un musicien populaire, un violoneux, un ménétrier. Lorsque l'aïeul de Johann Sebastian, Veit, le grand-père de son grand-père, a quitté la Hongrie pour venir s'établir en Thuringe, à Wechmar, lui aurait-on alors donné ce sobriquet ? Il n'est pas impossible, en effet, que cette marque ait, dès les origines connues de la tribu, frappé ses membres d'un sceau indélébile. Et avec ce nom, deux images, intimement liées. L'une mélodique, celle du motif musical qu'épèlent les quatre lettres du patronyme. En 1732, dans le bref article qu'il consacre à son cousin Johann Sebastian dans son Musicalisches Lexicon, Johann Walther peut déclarer : « La famille Bach serait originaire de Hongrie, et tous ceux qui ont porté ce nom ont été, dit-on, aussi loin qu'il est connu, très dévoués à la musique ; ce qui vient peut-être de ce que même les lettres b-a-c-h sont très mélodieuses dans cet ordre (cette remarque a été découverte par M. Bach de Leipzig) ». Aussi, les trois ouvrages que le vieux Bach élabore pour la Société de correspondants pour les sciences musicales de Johann Lorenz Mizler, ouvrages ayant valeur démonstrative de traités de composition, il les signe, à l'extrême-fin, de son nom musical, le motif de quatre notes apparaissant intimement imbriqué dans le réseau contrapuntique. Le Ricercar a 6 qui clôt l'Offrande musicale, l'ultime des Variations canoniques pour orgue et le Contrapunctus XIV de L'Art de la fugue font entendre le précieux monogramme sonore, que reprendront à leur compte tous les musiciens qui rendront hommage à Johann Sebastian, jusqu'à Schoenberg dans ses Variations pour orchestre op. 31, et même au-delà.

    L'autre image, d'ordre allégorique, est celle de l'eau courante, selon le sens usuel du nom de la famille. Tout au long de sa vie, Johann Sebastian montre en effet combien il tient au signe de cette eau dont le nom ne cesse de l'accompagner. Il le sait bien. On en plaisante, même. Ainsi, les condisciples de Johann Ludwig Krebs, qu'ils reconnaissaient pour l'un des meilleurs élèves du fameux compositeur : « On n'a attrapé dans cette grande Rivière [Bach] qu'une seule Écrevisse [Krebs] ». Rivière il est, et le dit. De cette fluidité des eaux courantes qu'il aimera tant évoquer, il fera une autre de ses signatures sonores, omniprésente, celle-là, qui s'inscrit si bien dans la plastique de l'art baroque. Dans sa main, le graphisme même de sa plume a la souplesse, les courbes voluptueuses, mais aussi la puissance de l'onde et son inépuisable flux. Toute son œuvre se trouve ainsi parcourue de ces mouvements des eaux, bruissante de réguliers clapotis, de vaguelettes murmurantes et de houles mugissantes, images sonores qu'appellent les textes des cantates et s'en vont irriguer même sa musique instrumentale.

    Le musicien invite à en suivre le cours. Au fil de simples descriptions de nature, d'abord, principalement dans les cantates profanes. Ainsi, dès le chœur d'entrée de la cantate Schleicht, spielende Wellen (Glissez, ondes folâtres) BWV 206, au délicat balancement sur une basse régulière, avant que n'apparaissent tour à tour les quatre fleuves de l'allégorie, dont les ondes feront chaque fois l'objet d'une subtile personnification. Ou dans Auf, schmetternde Töne der muntern Trompeten (Retentissez, sons éclatants des allègres trompettes) BWV 207a, dont le premier récitatif évoque la rivière qui baigne Leipzig – « La paisible Pleisse joue avec ses petites vagues » – sur un murmure du continuo, broderies de doubles croches en si mineur.

 


Portrait de JS. Bach (c. 1745)

 

    Un autre fleuve, encore, celui de la Bible, cette fois, dans la cantate Christ unser Herr zum Jordan kam (Christ, notre Seigneur, vint au Jourdain) BWV 7. Au seuil d'une cantate évoquant le baptême du Christ par Jean-Baptiste, Bach se doit d'insister sur cette image essentielle de l'eau lustrale. Figuralisme, à nouveau : de la foisonnante fantaisie rythmique du chœur introductif s'élève une voix, clairement identifiée par la partie de violon concertant, à laquelle revient à l'évidence d'évoquer les eaux du Jourdain.

    Doux mouvement des eaux dormantes, ailleurs. Pour paraphraser la lecture évangélique, récit de la pêche miraculeuse, la cantate Siehe, ich will viel Fischer aussenden (Voyez, j'enverrai une multitude de pêcheurs) BWV 88 s'ouvre par ces paroles du prophète Jérémie, confiées à une aria de basse dont tout le début paraît ondoyer des paisibles murmures du lac de Tibériade, régulier balancement en mètre ternaire sur lequel se déploient diverses figures ondulantes. Que les eaux viennent à se soulever, et Bach se révèle un peintre tout aussi efficace de la nature. La cantate Jesus schläft, was soll ich hoffen (Jésus dort, que dois-je espérer ?) BWV 81 tire l'enseignement de l'évangile du jour, celui de la tempête apaisée. Jésus dort dans la barque alors que s'élève une terrible tempête qui plonge les disciples dans l'effroi. Pour donner toute la mesure du miracle qui va s'opérer, preuve de la foi salvatrice, un vaillant air de ténor (n° 3), véritable aria di tempesta d'opéra, décrit « les vagues écumantes des flots de Bélial », les flots de Bélial désignant allégoriquement, dans la Bible, les puissances infernales qui poussent les hommes à la mort – staccato furieux de la basse, tourbillons cinglants des violons.

    Le musicien aime ces figuralismes, mais ici ou là, leur emploi montre bien souvent qu'il n'en attache pas moins des connotations, voire des significations plus vastes, plus riches, plus profondes aux emblèmes de ce cours d'eau dont il porte le nom. L'eau courante, bondissante, qui entraîne en un long ruban la ritournelle instrumentale et la ligne de chant de la première aria de la cantate Ach wie flüchtig, ach wie nichtig (Ah ! combien fugitive, ah ! combien vaine est la vie de l'homme) BWV 26, sert une image simple : « Aussi vite que s'élance un torrent rugissant, ainsi s'enfuient les jours de notre vie. Le temps s'en va, les heures fuient, comme les gouttes d'eau qui soudain se dispersent quand tout disparaît dans l'abîme ». Toujours sur la ponctuation régulière de la basse, une figure analogue accompagne un autre récitatif, dans la cantate Ich will den Kreuzstab gerne tragen (Je porterai volontiers ma   croix) BWV 56. Le texte ne laisse subsister aucun doute sur le sens de cette allégorie du destin, navigation si périlleuse pour le frêle esquif humain : « Mon passage en ce monde est semblable à une navigation. »

    Dans la cantate Meine Seel erhebt den Herren (Mon âme exalte le Seigneur) BWV 10, adaptée du chant du Magnificat, un récitatif chante la paraphrase du verset Sicut locutus est : « Ce qu'à Abraham, lorsqu'il vint à lui sous sa tente, Dieu a promis et juré, cela s'est réalisé, puisque le temps en était venu. Sa semence devait se répandre comme le sable dans la mer et les étoiles au firmament. » Et voici que le récitatif, jusqu'alors secco, s'empare de l'image des ondes de la mer, dessinée par les cordes, mais dans un mouvement dont il ne se déprendra plus puisque cette figuration est aussi celle de la multitude, en même temps que de l'écoulement des siècles qui mènent à la naissance du Sauveur.

    Nombreuses sont-elles, ces images sonores de fluidité d'un continuum. Pour chanter la louange du nom de Dieu, dans le premier chœur de cette même cantate BWV 10 (« Voyez, désormais tous les enfants des hommes me diront bienheureuse »), les différents pupitres se renvoient un motif continu, obsessionnel, qui associe une image d'éternité à la jubilation de l'âme heureuse et à la gloire du Créateur dans ses œuvres. Le figuralisme sonore du mouvement de l'eau est devenu métaphore du temps qui s'écoule.

    C'est sur un mouvement identique à ces images de l'eau que s'ouvre la Passion selon saint Jean. Confié aux cordes, un doux mouvement d'ondulations – une berceuse, presque – immuablement ponctuées par la basse parcourt de bout en bout le chœur initial, soutenant la grande voix unanime de l'Église universelle chantant l'éternité de la gloire divine, double signe de l'éphémère destinée humaine et des siècles des siècles : « Seigneur, notre Maître, dont la gloire resplendit dans tous les pays ! ». Mouvement incessant, même s'il peut se réduire à cette figure de la basse continue maintes fois rencontrée ailleurs. Une seule fois, ce flux du temps se suspend, l'espace d'une demie mesure (mes. 83). Mais c'est pour faire entendre plus clairement l'ultime itération, au soprano, des mots « Zu aller Zeit » (en tous temps), dans cette phrase essentielle : « Toi, le vrai Fils de Dieu, en tous temps, et jusque dans la plus grande humiliation, tu as été glorifié. »

    À leur tour, et désormais détachés de tout support verbal, bien des profils mélodiques de la musique instrumentale se trouvent pris en ce réseau métaphorique. Comment entendre le Prélude de la Suite pour violoncelle seul n° 1, en sol majeur, tout entier gonflé de ce mouvement lent et régulier, ce flot majestueux bien posé sur les assises de la basse, mais peu à peu animé de l'intérieur comme les remous de l'onde ? Ce mouvement qui apparaît, d'emblée, comme le sceau du compositeur, l'homme de l'eau, de l'éphémère et de l'éternel à la fois.

 

    Lorsque, parvenu à l'âge de cinquante ans, il se décide à consigner par écrit ce qu'il sait par tradition orale de la tribu des Bach musiciens, Johann Sebastian la place d'abord sous l'autorité de la foi et la pratique du culte. En commençant par le père tutélaire, Veit, « un boulanger originaire de Hongrie » qui, nous dit son descendant, avait dû fuir son pays en raison des conflits religieux qui y faisaient alors rage, « ayant trouvé en Thuringe assez de sûreté pour sa foi luthérienne ». Vient immédiatement le second gène fondateur, celui du contrepoint, avec le moulin familier de Veit : « Il avait grand plaisir à jouer d'un petit cistre qu'il prenait avec lui pour aller moudre le blé et en jouait ce faisant ». Dès le premier paragraphe de ce texte unique, le musicien, qui ignore quasiment tout de son aïeul, fantasme sur cette polyphonie du cistre et de la meule, des mélodies de Veit chantant et s'accompagnant en pinçant les cordes de son petit instrument – une sorte de petite mandoline à fond plat –, mêlées au tic-tac régulier, au mouvement des rouages et à la profonde rumeur de l'eau : « les deux instruments devaient ensemble sonner joliment ! ». Loi de toute musique, cet écoulement imperturbable du temps que la mécanique du moulin marque de sa battue, pulsation primordiale. Mais Bach ne manque pas d'ajouter, sur l'aïeul : « Et pourtant, il lui aurait fallu apprendre à s'en laisser imposer la mesure. »  Amateur instinctif, notre boulanger, alors que la musique requiert ce long apprentissage que tous ceux du sang de Veit vont développer jusqu'à lui, Johann Sebastian, le maître absolu. « Telle fut pour ainsi dire l'origine de ce goût de la musique chez ses descendants ».

    « Le moulin fait clap-clap, la rivière murmure »… Bach connaissait peut-être cette vieille chanson populaire. Or cette image du moulin et de la rivière est forte, dans l'iconographie, la poésie et la musique, et puissamment ancrée dans la tradition germanique. Évocatrice d'une Allemagne de légende, celle tout particulièrement, au cœur du pays, de ces terres montueuses de Thuringe, aux rares petits villages blottis autour de l'église paroissiale. Dans le sol, le fer, le sel, le charbon, les mines gardiennes des forces telluriques, le royaume de l'obscur. Pays couvert de forêts drues et denses, que nulle côte ne vient ouvrir sur le monde extérieur de l'univers maritime. Tout y prédispose à la méditation, à l'intériorisation, à l'introspection. Le climat est rude et franc, mais la lumière y a des reflets d'une exquise douceur. Et il y fait bon vivre. Foyer archétypique de la poésie, des arts et de la pensée, de ce que l'Allemagne possède de plus puissant, c'est vers elle que renvoie la chanson populaire, avec le peu que l'on sache de la vie terrestre de Johann Sebastian Bach, le Thuringien.

    Comme toute légende puisant au fonds mythique d'un peuple, une chanson populaire révèle parfois beaucoup plus que la narration de ses seules paroles. Le moulin au bord de la rivière relève de l'imagerie traditionnelle des contes familiers que colportent grand'mères et vieilles gravures, et d'un certain plaisir, une Gemütlichkeit de la vie au village. Mais ces deux mots, le moulin et la rivière ! L'art de l'homme et le jaillissement perpétuel du flux essentiel, en ce mystérieux point de rencontre entre air et eau, entre culture et nature, entre circulaire et linéaire, contrepoint et mélodie confondus. La mécanique du moulin solidaire de la pulsion vitale du flot, tous deux nécessaires pour moudre le grain, produire la farine à faire le pain, celui du boulanger Veit Bach, l'ancêtre. Le pain et l'eau, emblèmes de toute nourriture terrestre, nourriture quotidienne que deviendra la musique pour la lignée des artisans Bach.

 


Le monument à JS. Bach devant l'église

Saint Thomas de Leipzig © Claudio Divizia

 

    « Mon passage en ce monde est semblable à une navigation ». Ce signe de l'eau courante, c'est aussi celui de son voyage intérieur, de son imaginaire. Dans l'article nécrologique qu'il consacre à son père, Carl Philipp Emanuel rapporte au sujet de ses aïeux, non sans une touchante naïveté : « On pourrait s'étonner que des hommes aussi vaillants soient si peu connus au-delà des limites de leur patrie, si l'on ne pensait pas que ces honnêtes gens de Thuringe étaient si satisfaits de leur pays et de leur état qu'ils n'osèrent même pas chercher leur fortune plus loin. Ils préféraient les applaudissements des souverains sur les terres desquels ils étaient nés, de la foule de leurs fidèles compatriotes, aux éloges qu'il aurait fallu conquérir à grand peine auprès de quelques étrangers, peut-être envieux au surplus» Tendance familiale puissamment affirmée, puisque, dans son Autobiographie, le même Carl Philipp reconnaît que s'il est sa vie durant demeuré en Allemagne, c'est aussi parce qu'il a eu le bonheur de pouvoir y fréquenter chez son père tout ce qu'il y avait de meilleur en musique sans avoir à courir le monde : « Je suis donc toujours resté en Allemagne et ne me suis déplacé que pour quelques voyages dans ma patrie. Cette absence de voyages à l'étranger m'aurait encore davantage nui dans mon métier si, dès ma jeunesse, je n'avais eu le bonheur particulier d'entendre près de moi ce qu'il y avait de meilleur en toutes sortes de musiques, de faire la connaissance de nombreux maîtres de première importance dont certains m'ont accordé leur amitié ». À sa suite, Forkel indique que les Bach auraient pu aisément conquérir des postes enviables et les plus grands succès publics, « s'ils avaient eu le goût de quitter la Thuringe, leur patrie, pour voyager et se faire connaître tant en Allemagne qu'à l'étranger ». Et il ajoute : « Mais aucun d'eux, à ce que nous pouvons voir, ne se sentit un semblable penchant pour l'émigration ». Prédisposition ancestrale à l'introversion, au repli sur soi.

    Il faut nuancer. Pour Johann Sebastian, ni émigration, ni périples au long cours, comme nombre de ses contemporains. Il n'en a pas moins manifesté un goût prononcé pour le voyage, la constante curiosité de découvrir, d'aller à la rencontre des autres – de se renouveler, peut‑être –, et comme un besoin de l'ailleurs, alors que toujours le ramène au pays la nostalgie du foyer, l'ardent désir d'arrimer l'esquif en une patrie affective stable et durable. Nécessité oblige : ses déplacements sont de courte durée, mais souvent décidés sans rien demander à personne, quand il ne les prolonge pas indûment, au grand dam des autorités. À vingt ans, il quitte Arnstadt pour Lübeck. On l'attend un mois plus tard – plus de nouvelles, quatre mois durant. Disparu, le jeune organiste. Voilà qui ressemble à une fugue. Un quart de siècle plus tard, en 1730 : « Il est parti en voyage sans demander d'autorisation », ce pour quoi il se fait rappeler fermement à l'ordre par le Conseil de Leipzig. On le sanctionne, « parce que le Cantor est incorrigible ». En 1741 encore, les nouvelles pourtant très alarmantes qu'il reçoit sur la santé d'Anna Magdalena ne semblent pas le décider à avancer son retour de Berlin. Incorrigible, en effet.

    N'empêche. Contrairement à ses deux célèbres contemporains, Haendel et Scarlatti, il manifeste au long de sa vie ce tropisme thuringien, ou saxon, qui le pousse à s'ancrer dans la terre de ses aïeux. Il connaît de l'intérieur cette simplicité fondamentale, cette satisfaction paisible de son sort elle aussi si typiquement allemande. Intérieur, son voyage sera celui des grandes aventures de l'esprit. Il suffit de suivre son parcours.

    Une trajectoire où se distinguent sans peine trois périodes créatrices nettement marquées, presque trois « manières ». Le temps des expérimentations et des chefs-d'œuvre juvéniles (ca 1700 ‑ 1712), la période de production intensive du midi de la vie (ca 1713 ‑ 1738), l'âge de la sagesse et de la haute maturité, enfin (ca 1739 ‑ 1750). Et comme de juste, on peut aisément y observer une belle arche, et la plus harmonieuse des symétries, la période centrale durant autant à elle seule que les deux autres réunies ; de part et d'autre de la grande phase de l'action, « moderne », le temps de la méditation répondant à celui de la formation, avec leur enracinement dans la tradition.

    Comme tout un chacun en ses années d'apprentissage, surtout hors du cadre rigoureux d'un enseignement structuré, Bach commence par imiter. Copier, en tous les sens du terme. Davantage : il dérobe, pour s'approprier. Depuis ce cahier de musique qu'enfant il subtilise à son frère aîné, à Ohrdruf, pour le recopier en cachette. Il transcrit, adapte, remploie, reprend les genres et jusqu'aux grands desseins de ses pairs. Et toujours pour y trouver quelque point d'appui lui permettant de rebondir, d'aller plus loin. À chaque transmutation, apportant sa valeur ajoutée contrapuntique et formelle, un surplus de matière et de pensée. Plus fort, plus complexe, dans une dynamique du dépassement et surtout une recherche de syncrétisme : comme pour, sur un schéma donné, avoir fait et dit tout ce que l'on pouvait dire et faire.

    La révélation de l'art de Buxtehude a pour effet premier de l'inciter à maîtriser sa création par une pensée ferme, que ne présentent pas ses toutes premières œuvres pour l'orgue. Et de lui montrer comment le divers et le discontinu qui caractérisent le stylus phantasticus où, plus que tout autre, brille le maître de Lübeck, peuvent se trouver unifiés par une organisation d'ordre supérieur. Leçon de musique, leçon de vie. Capitale. Les contrastes, et les contradictions, parfois, d'une imagination tumultueuse et d'une âme tourmentée, Bach tendra sans cesse à les vouloir dominer, en les coulant dans une forme qui, loin de les nier, les intègre en un tout cohérent jusqu'à devenir homogène. C'est à la conquête de sa propre unité intérieure qu'il se lance ainsi, en cette aventure qui, de prélude et fugue en prélude et fugue, ce laboratoire par excellence de la forme, le mènera dans la sphère supérieure des contraires surmontés et réunis.

    Comportement révélateur : dans son attirance pour l'esprit latin face à sa fidélité pour la tradition germanique, ce n'est pas une Réunion des goûts qu'il s'appliquera à rechercher à l'exemple de ses contemporains français. Ni juxtaposition, ni alternance de styles, mais nostalgie d'une fusion qu'il finira par accomplir, produit d'un style sur l'autre – en quoi, une fois encore, se manifeste sa tendance multiplicatrice. En musique, cet Allemand parle italien, à moins que devenu un temps Italien, il n'ait continué à parler allemand ; au point de ne plus savoir ce qui dans son idiome propre, si instantanément reconnaissable cependant, relève de l'une ou de l'autre langue.

    Dialectique des contraires partout présente, dans tous les aspects de sa démarche créatrice et de son comportement de musicien. Bien au-delà du dilemme entre méditerranéen ou nordique, choisissant de ne pas choisir, mais de synthétiser la structure et la courbe, la spiritualité et le décor, vers une plénitude. Praticien de la musique, il la façonne et la pétrit tout autant avec son corps qu'avec son esprit. Ses préférences personnelles vont elles à l'orgue ou au violon ? Aux puissantes constructions polyphoniques des grands praeludia à l'allemande, ou à la sensualité des concertos et sonates à l'italienne ? N'y a-t-il pas à l'évidence, dans la double élection de ces deux instruments antagonistes, quelque nouveau signe à déchiffrer ? L'un et l'autre lui lancent le défi d'un corps à corps, combat de Jacob avec l'Ange en ce qu'il peut avoir de plus physique, de plus charnel. Mais la mécanique très concrète de la machine-orgue renvoie à cette passion qui l'habite pour toute mécanique de l'esprit, à commencer par celle des rouages du contrepoint. Dans ses expertises d'orgue, il montre à quel point il aime une mécanique bien réglée, et avant tout, une soufflerie à toute épreuve. Les nerfs et les muscles de l'instrument, et d'abord ses poumons. Le pneumâ. En la souveraineté d'une hyper-polyphonie, l'orgue lui offre maîtrise et domination sur tout le champ sonore, il permet au démiurge d'assouvir sa volonté de puissance, quand le violon – surtout dans le registre, le timbre si humain, si chaleureux de l'alto, l'instrument d'Ambrosius, son père – est à l'inverse le lieu du lyrisme et de la plasticité, de la fluidité. Lui aussi lance un défi, mais d'un ordre exactement inverse, mental et spirituel. Instrument monodique par excellence, Bach va s'évertuer à lui faire réaliser des polyphonies, tandis que par l'imitatio violonistica il s'efforcera de faire chanter l'orgue. Et si dans ses dernières années, il délaisse le violon comme la voix pour le seul clavier, c'est qu'il l'a désormais chargé de tous leurs pouvoirs, de signification et d'expression.

    Alors que dans les années trente se fait jour un goût nouveau pour une musique plus effusive et plus souriante à la fois, dans un style moins sévère, Bach pourrait céder aux sirènes de son temps, prêtes à lui offrir en retour une plus grande reconnaissance publique, auprès d'un nouvel auditoire. Il a pu connaître cette tentation à laquelle il lui était bien facile de céder. Dans les cantates en dialogue en particulier, dans les Passions, bien sûr, il a prouvé qu'il pouvait être le plus grand compositeur d'opéra de son temps. L'homme baroque en lui y a laissé libre cours à la tendresse, à une affectivité charnelle, sanguine et souvent voluptueuse. Sous le signe de la mélodie, de la fluidité. De l'eau.

    Son œuvre entier montre à quel point il connaît et maîtrise les styles et les genres, nouveaux comme anciens. Même au soir de sa vie, il saura s'affirmer en maître absolu du clavecin moderne avec les Variations Goldberg, dans le feu d'artifice digital comme dans les ombres mystérieuses d'une troublante mélancolie. Quand enfin, pour une fête amicale, il lui plaira de composer un divertissement rustique, le petit chef-d'œuvre qu'est la Cantate des paysans montrera sa parfaite réussite dans le style et le genre nouveaux, préfigurant le Singspiel à venir.

    Or c'est précisément dans ces années qu'il cesse d'écrire des cantates d'église, une fois son répertoire constitué. Mais peut-être ne lui a-t-il pas échappé que les grandes musiques spirituelles, même accommodées au goût du jour, se voyaient à terme condamnées par les nouvelles mentalités du rationalisme naissant. Un Ernesti Jr l'a compris, lui aussi, le jeune et ambitieux recteur de St-Thomas qui impose des orientations nouvelles à l'enseignement de son école. Et il leur faut bien, à l'un comme à l'autre, constater le zèle plus tiède des fidèles, leur ardeur moindre à emplir les églises. La confession sonore de sa foi, Bach doit désormais la mettre sous le boisseau. La résurgence sera pour plus tard, en métamorphose. Pour lors, il va se consacrer à nouveau, quelques années durant, à la musique instrumentale qu'il fait exécuter par son Collegium. Mais quelque chose, qui le reliait à l'air du temps et aux vanités du quotidien, se fige bientôt en lui, qui le détache de l'actualité. Malgré la farouche énergie qu'il y déploie, l'organisation de ses concerts, s'ajoutant à ses tâches à l'école et dans les églises et à ses activités personnelles, finit elle aussi par s'installer et fonctionner en une énorme routine. Au-delà d'un quotidien mesquin, la musique même qu'il fait exécuter contribue à lui faire prendre ses distances.

 


La maison-Musée JS. Bach à Eisenach / DR

 

    C'est le moment où commence à se développer en lui, de façon décisive, ce retrait du monde et une concentration vers l'essentiel. La crise couve, qui va se cristalliser dans les années de silence, avant les spéculations de la décennie testamentaire. Il n'aura donc pas franchi les bornes d'une certaine modernité, ni, avec elle, de la galanterie ; il ne se sera pas « contenté des fredons habituels », il n'aura guère chanté « les jolies chansonnettes de Dresde ». On le lui aura assez reproché. Mais à l'évidence, le rococo ne le concerne pas. Affaire d'âge, sans doute, et de goût. Il ne peut pas adhérer à la simplification du langage musical alors à la mode, à la naïve émotivité de la musique vocale, à cette écriture allégée, à un contrepoint minimal, et peut-être par-dessus tout à un schéma harmonique et structurel à ses yeux simpliste.

 

   Affaire de personnalité, surtout. Telle n'est pas, telle n'a jamais été l'idée profonde qu'il s'est faite de la création musicale ni de sa fonction de musicien. Si, passé le temps des grandes entreprises, il se retourne vers le « moulin » allemand, vers la pensée du Moyen Âge finissant et le style sévère des anciens polyphonistes, à contre-courant de l'évolution de la musique de son temps, ce n'est pas pour en utiliser des recettes, mais pour en réactiver des principes d'écriture dont il connaît la fécondité, ajoutant encore à leur charge rhétorique et spirituelle. Ce style sévère – res severa, verum gaudium (C'est une chose grave que la joie véritable) comme on peut le lire, emprunté à Sénèque, à Leipzig, au fronton du Gewandhaus –, il le pousse à de nouveaux développements, le plie à son invention. L'invention d'un « génie libre », selon la belle expression d'Andreas Werckmeister. À la fin de sa vie, son langage musical n'est certes pas « à la mode » : ni ancien, ni moderne, il mène une vie autonome, totalement détachée de son temps, intemporel.

    Une lassitude devant la routine du quotidien, mais aussi devant les critiques dont son art et sa personne ont été l'objet, ont catalysé chez Bach une prise de conscience et conduit sa réflexion à son terme. Hors de la mode, hors de son temps – hors du temps musical même, à le voir imaginer des systèmes temporels internes qui tendent à abolir le mouvement de nos pendules. Ce temps qui s'écoule, propre à chaque œuvre, que de fois en a-t-il marqué la pulsation, le tic-tac d'une mécanique parfaitement régulière, sous la fluidité des lignes ! Flot mouvant et intarissable de la puissance créatrice, fugitif et toujours renouvelé. Mais l'inflexible régularité d'une battue, ou la rythmique faiblement marquée de thèmes impavides, sur une implacable motricité interne, font enfin pénétrer dans un temps autre, comme suspendu. Sentiment de permanence et d'éternité.

    Négation de l'éphémère. De même qu'il remonte sans cesse vers ses sources luthériennes, la terre de ses pères, de même qu'il rumine ses obsessions formelles, il paraît refuser le temps qui passe. Au point, même, de chercher à remonter le temps, avec le canon à l'écrevisse de l'Offrande musicale. Ou plutôt, les deux voix, progressive et régressive, le courant descendant et le courant remontant se superposant à tout instant, le temps se trouve suspendu à tout jamais, en perpétuelle anamnèse.

 

    Bach est entré dans son silence intérieur. Sa musique elle-même fait silence, elle finit par rejeter toute expression verbale et tend à se confiner dans les limites du seul clavier. L'écriture de ses dernières années abonde en systèmes clos, à fort déterminisme. Plus généralement, elle dénote une irrépressible tendance à la concentration, à la plus grande économie. Il n'y a plus une note qui ne soit absolument nécessaire. Absolue nécessité, celle qui se manifeste dans les canons, évidemment. Disparition de l'ornement, de tout décor, de tout superflu, c'est-à-dire de tout ce tohu-bohu de l'existence, ce charivari dont s'entoure l'homme pour fuir les questions fondamentales. Enfermé en sa cellule, il répond sans le savoir à Blaise Pascal, observant que « Tout le malheur des hommes vient d'une seule chose, qui est de ne savoir pas demeurer au repos dans une chambre ». Plus que de la rigueur intellectuelle, cette attitude mentale témoigne d'une ascèse, d'un cheminement vers l'essentiel, et en fin de compte d'un silence spirituel. D'une obsession, aussi, à le voir traiter dans ses dernières années un très petit nombre de motifs apparentés.

    Plus qu'un démiurge, Bach. Sans, bien sûr, en avoir en rien conscience, ce Pater omnipotens et Creator omnium finit par se comporter en musique à l'égal de Dieu lui-même. Par le commentaire théologique en musique, d'une souveraine autorité. Mais d'abord par le geste même du compositeur, dans son acte créateur. Ainsi, en particulier, dans les derniers canons où se cristallise sa pensée, le voit-on fournir la totalité du matériau sonore devant lequel il place le musicien. Sans toutefois lui donner le mode opératoire qui permettra d'en tirer une œuvre musicale – là se trouve la petite part de liberté laissée à l'homme par Dieu, et son libre arbitre. Quaerendo invenietis, Cherchez et vous trouverez, se permet-il de lancer orgueilleusement à Frédéric II. « Dieu nous donne les noix, disait Luther, il ne nous les casse pas ». Il se borne à indiquer une direction, à laisser un indice. Canon à 4. per Augmentationem et Diminutionem, noté au-dessus d'une unique ligne de musique. Un titre, quelques mots, un graphisme suggèrent au lecteur ou à l'exécutant une résolution. Comment s'y prendre pour tirer une œuvre musicale de ce matériau brut ? À chacun de découvrir la procédure et de l'appliquer, avec plus ou moins de bonheur, trouvant, bien ou mal, sa propre solution. Noblesse et limites de la condition fixée à l'homme dans l'univers. Et peut-être saura-t-il y déceler le mouvement perpétuel, à l'image du mouvement de la roue du moulin qui ne cesse de tourner sur elle-même, entraînée par le flux permanent de la rivière.

    Celui qui a vu dans son enfance se disloquer son univers, reconstruit dans sa musique un monde cohérent. Imago mundi : son œuvre offre une image du monde, comme celles qu'aimait à représenter le Moyen Âge. Miroir, sinon du monde, du moins d'un monde, avec ses structures, sa cohérence, sa complétude. Son ordre. Et cela à la force d'un contrepoint, d'une combinatoire sans faille. De ce contrepoint, il tisse le réseau protecteur très serré, qui sera pour lui la forteresse imprenable, enfermée sur elle-même, qui le met définitivement à l'abri des atteintes du monde extérieur. Ein' feste Burg, la citadelle rebâtie.

    Cette attitude évoque singulièrement le refuge dans le jardin clos cher aux graveurs, aux peintres et aux penseurs mystiques rhénans du Moyen Âge, notamment à Tauler, dont Bach lisait les écrits – cet espace intérieur d'une grande beauté qui est aussi le thème d'un ouvrage de piété du mystique luthérien Johann Arndt, publié en 1612 et largement diffusé, Paradies-Gärtlein, le Petit Jardin du Paradis. Le titre, aussi, sinon le thème, Hortus musicus, le Jardin musical, d'un recueil de sonates de Reinken que Bach apprécia au point d'en avoir tiré des adaptations pour le clavecin. Ce jardinet est en soi un tout petit univers, soigneusement défendu par de hauts murs ou une dense haie végétale, pour y enchâsser le trésor à protéger dans sa pureté, la fleur des biens les plus précieux de sa propre vie intérieure, les amours d'un jeune couple, plus souvent encore la virginité de Marie ou la Mère de Dieu portant son enfant. Il est la représentation du paradis, et renvoie au jardin d'Éden où Dieu a placé l'homme avec mission de le cultiver, c'est-à-dire à un état de perfection finie, signe de la création dans sa totalité.

 


Le tombeau de JS. Bach dans l'église

Saint Thomas de Leipzig © Claudio Divizia

   

    À bien écouter, l'œuvre entier de Bach dit cette angoisse existentielle, ce mal de vivre lové en son tréfonds, dont il a fait le moteur de sa création. Guère apparente, certes : jamais il ne prend pour objet ce Weltschmerz, cette souffrance existentielle, jamais il ne hurle sa révolte à la face du monde, mais il en utilise l'énergie pour nourrir une mécanique du rassérènement et de la pacification intérieure. Même lorsqu'à la fin du Credo de la Messe en si il laisse percer une inquiétude métaphysique, même lorsqu'il fait éclater les sanglots de la plus humaine douleur – Fantaisie en sol mineur et Prélude en si mineur pour orgue, Fantaisie chromatique pour clavecin –, ou qu'il chante l'infini désespoir de l'âme – « Es ist vollbracht », dans la Passion selon saint Jean. La démarche du créateur, son travail acharné, consistera à répondre à cette angoisse fondamentale et à la sublimer. Généralement occultée, cette composante essentielle de sa personnalité a été bien vue par les graphologues, qui parlent de « la douleur transfigurée, la paix obtenue à la suite d'un long travail interne […]. Johann Sebastian Bach nous apparaît comme le type même de l'artiste qui silencieusement et courageusement est parvenu à résorber son propre déchirement ».

    Caractéristique de ce besoin de compensation et d'apaisement, son ardeur à la tâche qui en fait l'un des compositeurs les plus prolifiques. Mais c'est dans le travail sur la structure qu'il va le mieux trouver à se rassurer. Dans cette maîtrise du monde sonore qui tend très tôt vers un absolu, dans les contraintes des schémas formels qu'il impose à l'essor de son imagination. Dans les créations closes, la progression inéluctablement finie de la fugue, la forme bouclée de l'aria à da capo, les macrostructures globalisantes du Clavier bien tempéré, des Variations Goldberg, des Variations canoniques, de L'Art de la fugue. Jusqu'à prescrire tout ce qui doit l'être. Carl Philipp Emanuel tient à rappeler que dans les œuvres de son père, « il ne s'agit que de jouer la note juste ».

    Elles font volontiers sourire, ces anecdotes sur les manies du musicien qui, nous disent les témoins les plus dignes de foi, ne détestait rien tant qu'une dissonance non résolue. Capable de se relever de son lit alors qu'au chaud il s'endort, pour achever une cadence laissée en suspens par un fils étourdi. « Un soir, rapporte Johann Christian Bach, j'improvisais au clavecin de manière tout à fait mécanique et je m'arrêtais sur une quarte-et-sixte. Mon père était au lit et je croyais qu'il dormait, mais il sauta de son lit, me donna une gifle et je résolus ma quarte-et-sixte ». Cet autre récit est connu, celui de Reichardt qui rapporte : « Johann Sebastian Bach entra un jour dans un salon où se trouvait une nombreuse société, au moment où un amateur était assis au clavier et improvisait. Quand ce dernier s'aperçoit de la présence du grand maître, il saute de son siège et termine sur un accord dissonant. Bach, entendant cela, est tellement tourmenté par son malaise musical qu'il passe en courant devant le maître de maison qui vient à sa rencontre, se précipite au clavecin, résout l'accord dissonant et le conclut comme il se doit. Ensuite seulement, il marche vers son hôte et lui fait sa révérence ».

    De sa vie, il résout la dissonance fondamentale, en apparence tout au moins. Contrairement à Schumann ou à Liszt, qui ont vécu jusqu'au bout leur déchirure interne – chacun comparant son être à une dissonance non résolue. Résolution, en effet, et achèvement. Inconcevable pour lui, la brèche béante de l'inachevé : L'Art de la fugue compris, quand même la mort en aurait-elle interrompu les ultimes élaborations, ses œuvres sont conçues comme des ensembles cohérents, et menées à leur achèvement. Après avoir dicté ses dernières retouches au choral Vor deinen Thron, il peut s'endormir l'âme en paix.

    Inséparable de son discours musical, et de sa création depuis ses plus obscures racines, sa foi. Elle aussi, une prodigieuse construction mentale. De même qu'il a conçu pour son usage les formes et les structures de son langage sonore, l'orphelin Bach, l'autodidacte, a érigé la cathédrale de sa foi. On l'imagine doté d'une robuste foi du charbonnier, psychologiquement structurée dans une tradition, à l'aide de quelques-unes de ces croyances fondamentales que l'on ne remet pas en cause. Une foi sincère, profonde, énorme. Peut-être. Mais certainement pas à l'abri du doute, sinon des crises. Il lui faut fonder l'édifice sur une connaissance encyclopédique, avoir réponse à toutes les interrogations, rationaliser tout ce qui peut l'être, ce qui explique pour partie son exceptionnelle culture théologique.

    Une structure intellectuelle fortement charpentée a développé chez lui une propension naturelle à la combinatoire et à l'intériorisation. Participant elle aussi à cet impérieux désir d'assouvir un besoin de hiérarchie mentale, d'une échelle de valeurs nette, sans équivoque, propre à rétablir l'ordre brisé. Réconciliation du musicien avec son destin, par la réconciliation de ses propres tendances antinomiques au sein de son œuvre. Et avec la condition humaine, sous le signe de la foi.

    Né dans le moulin allemand, c'est là qu'après ses voyages intérieurs il retourne mourir. Les psychologues signalent chez lui « une aspiration nostalgique vers le père et la mère, comme on en rencontre souvent chez les orphelins ». L'analyse le dit, mais la musique l'affirme bien davantage. La plastique baroque, l'univers de la courbe renvoient vers la nostalgie de la mère, quand contrepoint et pulsion architecturale relèvent du monde du père : équilibre des forces en mouvement, ordre cosmique aussi bien que social et familial, celui de la lignée. L'hypertrophie des deux poussées, fondues et couronnées en un même élan, révèle chez Bach un puissant désir fusionnel, dont l'un des signes est l'aspiration au grand Un englobant la totalité des manifestations du réel, c'est-à-dire à un grand Tout.

    Indissociables dans son écriture, la pesanteur et la grâce. Le mouvement circulaire du moulin, inexorable mécanique et éternel retour, métaphore de l'intemporel et de la stabilité, et celui, linéaire, de la rivière, de l'éphémère et du fugitif, en même temps que de l'éternel. Du contrepoint et de la mélodie, d'une vocalité forte de sa rigueur instrumentale, avec un instrumental pétri de plasticité vocale. Le passé et le présent, le germain et le latin, comme le collectif et l'individuel. De même que jamais le contrepoint ne s'oppose à la mélodie, que jamais la délectation de la combinatoire ne se développe au détriment de la jouissance du sonore, rationnel et émotionnel toujours liés, comme le masculin au féminin dans le Tout et l'Unique. Réconciliées, enfin, les tendances opposées de son être, et peut-être aussi les plus obscures de ses aspirations vers son père et sa mère. Face à la mort, sur le doute et l'angoisse, Bach a conquis pour lui ce que son génie offre désormais à la postérité, l'équilibre, la plénitude et la sérénité.

    Panta Rhei, dit Héraclite d'Éphèse. Tout coule. Inépuisable, l'onde de la rivière ne cesse de chanter en ses doux murmures, la roue ne cesse de ronronner, entraînant la mécanique sans fin du moulin. « Le moulin fait clap-clap, la rivière murmure… »

 

Gilles Cantagrel.

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REPÈRES PÉDAGOGIQUES

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Le chef d'orchestre, acteur capital de la légende musicale

 

 

Acteur primordial de l'histoire musicale européenne, le chef d'orchestre en est également l'un des plus récents. Aux oreilles d'un Mozart, d'un Rameau, d'un Bach (et évidemment de tous ceux qui les ont précédés), l'expression même de "chef d'orchestre" n'aurait eu – en admettant qu'on en usât devant eux – qu'un très lointain rapport avec l'idée que nous nous faisons aujourd'hui. De nombreux ouvrages, parfois monographiques voire autobiographiques, ont déjà été consacrés aux chefs d'orchestre célèbres, certes. Mais sans jamais présenter tous les aspects de la direction d'orchestre, activité qui reste donc assez mal connue du public. Dans le même temps, il est vrai que les noms des grands chefs s'inscrivent désormais assez souvent à la triste rubrique labellisée people. Plutôt que le regretter, on y verra l'occasion de rappeler à quel point, dans l'histoire de la musique occidentale, les grands chefs ont marqué l'histoire, s'inscrivant dans un mouvement historique dont ils furent et sont tout à la fois les acteurs et les témoins.

 

 

Une figure emblématique

 

Maître d'une phalange instrumentale soumise à son autorité, le chef – héritier de l'ancien maître de chapelle qui dirigeait le chœur, puis toute la musique, dans l'église (en allemand, Kappellmeister) – n'apparaît qu'à l'aube des temps contemporains, c'est-à-dire au début du XIXe siècle, figure emblématique d'un romantisme qui fait du compositeur un démiurge et de son interprète un prophète. François Antoine Habeneck (1781-1849) ou Louis Spohr (1784-1859, premier chef à user, vers 1815, de la baguette en lieu et place de l'ancien bâton que l'on frappait au sol) entrent ainsi dans l'histoire de la musique, non pour leur création personnelle, mais pour la part active qu'ils ont prise à la diffusion des maîtres de leur temps, au premier rang desquels Beethoven. Certes, la musique médiévale ou renaissante supposait déjà l'intervention d'un protagoniste qui donnait le tactus, mais il s'agissait simplement de s'entendre à l'avance sur le tempo de la musique, et non pas sur son interprétation. Quant aux reliefs peints ou sculptés que nous a laissés l'iconographie musicale des temps antiques, ils ne délivrent qu'une information très aléatoire sur l'éventualité d'un "directeur de la musique" au cours des cérémonies religieuses, des défilés militaires ou des banquets festifs.

 

À l'aube du XIXe siècle, les compositeurs commencent à diriger leurs propres œuvres, non plus du clavecin – comme le faisait Haydn – ou du premier violon, en donnant le tempo avec l'archet – l'obligation de faire face au prince ayant longtemps interdit de regarder ses musiciens ! – mais sur un podium, le dos désormais tourné au public. Il apparaît alors très vite que les deux fonctions sont malaisément compatibles. Hector Berlioz lui-même se plaint des considérables difficultés de ce nouveau métier, Robert Schumann y connaît le plus grave échec de sa carrière, Franz Liszt y triomphe, mais au détriment de sa propre activité de compositeur. Seul, Felix Mendelssohn (que l'histoire ne retient pas toujours parmi les compositeurs majeurs) semble concilier harmonieusement les deux activités. C'est avec Hans Von Bülow (1830-1894) que naît véritablement la figure du chef d'orchestre international, grand technicien doublé d'un grand musicien, qui s'applique à faire triompher la musique la plus audacieuse de son temps (Berlioz, Liszt, Wagner, Brahms).

 

 

Fonction et travail du chef d'orchestre

 

« Le chef d'orchestre traduit la musique par une pantomime stricte de grand comédien, reçoit les coups dans le creux de l'estomac, cueille une note, fait « chut ! » un doigt sur les lèvres, fonce, danse un pas, barre l'horizon avec son bâton piqué, laisse tomber ses bras: c'est fini ! »

Jules Renard, Journal, 28 février 1907.

 


Charles Lamoureux / DR

 

En première et double tâche, le chef d'orchestre doit assurer la coordination des divers pupitres et la cohérence de l'interprétation. Son travail initial consiste donc à soigneusement lire la partition pour élaborer une construction sonore qui, originale par essence, tiendra compte des intentions du compositeur ; fidèle au texte (l'idéal est de connaître l'œuvre au point d'être capable de la réécrire de mémoire), il profitera ainsi des espaces de liberté laissés par l'auteur pour en proposer une restitution personnelle. C'est seulement dans un second temps qu'il passe aux séances de répétition, au gré desquelles il lui faut assurer un équilibre savant entre intuition et discernement, de façon à repérer les passages exigeant un travail en profondeur, à harmoniser les séances de travail regroupant toute la phalange et celles réservées aux pupitres séparés, etc. Sans compter le travail particulier que suppose la collaboration avec un soliste en cas d'œuvre concertante. Est-il besoin d'ajouter qu'outre ses compétences musicales, il doit témoigner d'une capacité de communication exceptionnelle (nombre de grands chefs sont polyglottes) et d'une autorité nuancée de diplomatie ?

 

Vient enfin, en troisième lieu, la performance orchestrale proprement dite, concert ou enregistrement. Au concert, le public se pose souvent la question de l'utilité du chef et de ses attitudes, pantomime stricte de grand comédien ! Ses gestes, notamment ceux des bras, et ses expressions, pour l'essentiel celles du visage, sont d'autant moins compréhensibles pour les néophytes qu'il tourne le dos à la salle. Pourtant, ils restent primordiaux pour indiquer le tempo et ses variations, pour battre discrètement les changements de mesure, solliciter les entrées des divers pupitres, imposer les nuances d'intensité, etc. Le plus surprenant en la matière reste l'apparente indifférence des musiciens qui ne le regardent que rarement. Cette indifférence apparente n'est que de surface, le lien unissant la phalange à son directeur restant toujours très fort, d'une part parce qu'il a été établi au gré des répétitions, d'autre part parce que les musiciens se tournent vers lui dans les moments délicats, enfin parce qu'il existe une intelligence et une confiance réciproques – et nécessaires ! – entre les instrumentistes et leur chef, fondées pour l'essentiel sur l'amour et sur la pratique professionnelle de la musique. Un vrai chef ne sera pas plus abusé par de médiocres instrumentistes que de bons instrumentistes par un chef incompétent ! L'anecdote est célèbre qui rapporte comment, lors des premières tentatives de direction de ses propres œuvres aux États-Unis, Arnold Schœnberg fut trompé assez cruellement et raillé par des instrumentistes peu délicats lui faisant observer qu'ils avaient introduit nombre de fausses notes dans leur exécution sans qu'il s'en aperçût seulement (à quoi Schœnberg aurait répondu, avec son aplomb coutumier, que s'il n'avait effectivement pas perçu ces fausses notes, ses petits-enfants, eux, les entendraient !).

 

Il va de soi que si tout cela obéit à un rituel immuable, chaque chef dispose de son propre arsenal gestique et de sa propre capacité à orienter le discours musical. Ainsi de la baguette que certains exigent et que d'autres refusent (Pierre Boulez : « Si je dirige sans baguette, c'est que je n'en ai jamais éprouvé le besoin. Ce qui compte, c'est la directivité du geste et son exactitude. Quand le geste est tout à fait précis, il n'y a pas besoin de prolongement optique. »). Cela est encore plus vrai dans le cadre du théâtre lyrique ; on citera à titre d'exemple les célèbres Dix commandements de Richard Strauss, le plus grand chef compositeur de la fin du XIXe siècle :

 

1. Souviens-toi que tu ne fais pas de la musique pour ton plaisir, mais pour celui de tes auditeurs.

2. Ne transpire pas en dirigeant, seul le public a le droit de s'échauffer.

3. Dirige Salomé et Elektra comme s'ils étaient de Mendelssohn : de la musique de fées. (1)

4. N'encourage pas les cuivres du regard, mais donne-leur les entrées les plus importantes sans y toucher, d'un clignement d'œil.

5. Par contre, ne quitte pas des yeux les cors et les bois : si tu les perçois, c'est qu'ils sont déjà trop forts.

6. Lorsque tu crois que les cuivres ne jouent pas assez fort, il faut encore les réfréner.

7. Il ne suffit pas que tu entendes toi-même chaque mot du livret, que tu sais par cœur, il faut qu'il soit compris sans peine du public. Si celui-ci n'entend rien, il ronfle.

8. Accompagne le chanteur toujours de telle sorte qu'il puisse chanter sans effort.

9. Lorsque tu penses avoir atteint le prestissimo le plus inouï, reprends le mouvement encore une fois aussi vite *

10. Si tu te souviens de tous ces conseils amicaux, tu seras toujours, grâce à tes dons indéniables et à ton talent, l'idole de tes auditeurs.

 

* Aujourd'hui j'aimerais ajouter ceci : prends le mouvement deux fois plus lentement (dédié aux interprètes de Mozart !)

 

Est-il utile d'ajouter que l'intensité physique et l'ardeur gestuelle du chef requièrent une solide santé, voire, s'il faut en croire le légendaire Charles Münch, un véritable entraînement athlétique : « Le public se représente-t-il l'effort physique que doit faire un chef pour diriger, deux heures durant, un concert ? Il faut pourtant qu'il soit aussi précis et expressif au début qu'à la fin. Il y a donc un côté sportif dans la direction d'un orchestre, et je considère la pratique de la gymnastique comme une nécessité. » Détail ultime : en cas de défaillance en concert, le chef sera remplacé par le premier violon, celui auquel sont confiés les éventuels épisodes solistes, celui qui a reçu le La du hautbois, qui l'a transmis aux autres pupitres, qui s'est assuré enfin de l'accord général avant l'entrée en scène du chef.

 

 

Formation et statut

 

Statutairement, un chef d'orchestre peut être permanent ou invité. Dans le premier cas, il est lié par contrat annuel et renouvelable à un orchestre pour un certain programme de concerts et d'enregistrements. Chargé de nombreuses tâches administratives, il procède au recrutement et définit le programme des saisons. En cas de simple invitation, il est engagé pour un exercice ponctuel, le plus souvent un concert précédé d'une ou plusieurs répétitions.

 

En dépit de nombreuses et illustres exceptions, la formation du chef se déroule généralement en conservatoire : le solfège bien sûr, mais aussi l'harmonie, l'orchestration, l'écriture… toutes matières qui lui permettront de comprendre les techniques, formules et procédés mis en œuvre par les compositeurs. Tout cela accompagné, bien sûr, d'une pratique intensive lui apprenant à transmettre clairement des indications complexes. Il ne faut rien moins que cette formation intensive pour permettre au chef de rattraper n'importe quelle catastrophe (le plus souvent d'ordre rythmique ou dynamique) en concert, presque toujours à l'insu du public mélomane. Reste le problème épineux de l'entrée du jeune chef dans la carrière. S'il ne dispose pas de relations puissantes, il aura tout intérêt à se présenter aux grands concours internationaux, notamment à ceux de Besançon ou de Tokyo, une distinction y étant presque toujours le gage de nombreuses invitations, voire d'une future titularisation.

 

Par ailleurs, l'aspirant chef d'orchestre reçoit une formation spécifique en fonction des ensembles qu'il sera amené à conduire ;  la musique ancienne et la musique contemporaine ne se dirigent pas de la même façon, un orchestre baroque et un orchestre classique n'obéissent pas aux mêmes lois, un orchestre de chambre (au maximum, une trentaine de musiciens) peut souvent se passer de chef, etc. De Mozart à Stravinsky ainsi, l'orchestre symphonique a considérablement augmenté son effectif, passant de moins de cinquante pupitres à plus de cent. Les cuivres (trompettes, cors, trombones, tuba) et les percussions (timbales, cymbales, triangle, tambour, grosse caisse, caisse claire, marimba, vibraphone, xylophone) y ont fait leur entrée en force ce qui a contraint les compositeurs à augmenter les bois (piccolo, flûtes, hautbois, cor anglais, clarinettes, bassons, contrebasson) et les cordes (premiers et seconds violons, altos, violoncelles, contrebasses), par souci d'équilibre. Les progrès de l'organologie sont également à prendre en compte : certains compositeurs (Berlioz, Mahler) ont ainsi été amenés à actualiser des partitions du passé pour les mettre en phase avec l'évolution de la facture. Une rubrique particulière, enfin, doit être réservée à ces "orchestres du pauvre", fanfare (cuivres et percussions) et harmonie (bois, cuivres et percussions) pour l'essentiel, chargés de faire entendre au public populaire, un répertoire bien plus varié qu'on ne l'imagine ordinairement.

 

 

 

Les pupitres de l'orchestre symphonique

 

L'orchestre symphonique regroupe quatre familles : cordes, bois, cuivres, percussions. Dans un orchestre conséquent, les premiers violons sont environ au nombre de 15 ainsi que les seconds violons, les altos au nombre de 12, les violoncelles au nombre de 10, les contrebasses, au nombre de 8. Aux pupitres des bois, on trouvera le plus souvent le piccolo, 2 ou 3 flûtes traversières, 2 ou 3 hautbois, le cor anglais, 3 clarinettes, 3 bassons, les cuivres réunissant 3 trompettes, 4 cors, 3 trombones et le tuba. Quant aux percussions, souvent réduites aux seules timbales, elles accueillent fréquemment cymbales, triangle et grosse caisse. Bien d'autres instruments sont sollicités par les compositeurs depuis Berlioz (clarinette basse, contrebasson, trombone basse, caisse claire, xylophone, etc.).

 


 

 

 

 

En point ultime, reste la question, posée par l'histoire musicale du XXe siècle, d'un orchestre sans chef. Si cette situation est la règle pour les petites formations (ou orchestres de chambre), elle est difficilement concevable pour de plus grands ensembles. En revanche, le rôle de chef d'orchestre peut être cumulé avec celui de soliste ; ainsi est-il relativement fréquent de voir un pianiste exécuter la partie soliste d'un concerto de Mozart tout en dirigeant l'orchestre depuis son clavier. Dans les œuvres du répertoire baroque, il en va souvent de même avec le premier instrumentiste d'un pupitre. Bien plus étonnante fut l'expérience menée en Union soviétique de 1922 à 1932, avec le Persimfans (abréviation de Perviy Simfonicheskiy Ansamble Dirizhora). Groupés de façon à faire cercle (principe d'abolition de tout hiérarchie renvoyant à la Table ronde du légendaire cycle arthurien), ses musiciens, dont certains tournaient le dos au public, se concentraient sur la mise au point d'une interprétation collective sollicitant tous les talents réunis. Cette utopie devait cependant se heurter à la dure réalité de l'usage, le premier inconvénient de l'absence du chef d'orchestre n'étant autre qu'une augmentation astronomique du nombre des répétitions !

 

 

Une évolution deux fois séculaire

 

Rien de plus varié que le corps des chefs d'orchestre au long des deux derniers siècles. À tout seigneur, tout honneur, c'est probablement à Berlioz qu'il revient d'avoir été le premier chef pliant son génie aux dures contraintes de la direction. Dans la deuxième version de son Grand Traité d'Instrumentation (1855), il s'est attaché, avec son brio habituel, à définir le rôle et l'importance du chef, mais aussi à montrer l'écrasante responsabilité qui est la sienne, notamment à l'occasion de la création d'une œuvre, dont il peut, par malveillance ou par incompétence (ou les deux !), tout ruiner :

 

« On a souvent accusé les chanteurs d'être les plus dangereux des intermédiaires; c'est à tort, je le crois. Le plus redoutable, à mon avis, c'est le chef d'orchestre. Un mauvais chanteur ne peut gâter que son propre rôle, le chef d'orchestre incapable ou malveillant ruine tout. Heureux encore doit s'estimer le compositeur quand le chef d'orchestre entre les mains duquel il est tombé n'est pas à la fois incapable et malveillant : car rien ne peut résister à la pernicieuse influence de celui-ci. Le plus merveilleux orchestre est alors paralysé, les plus excellents chanteurs sont gênés et engourdis, il n'y a plus ni verve ni ensemble ; sous une pareille direction les plus nobles hardiesses de l'auteur semblent des folies, l'enthousiasme voit son élan brisé, l'inspiration est violemment ramenée à terre, l'ange n'a plus d'ailes, l'homme de génie devient un extravagant ou un crétin, la divine statue est précipitée de son piédestal et traînée dans la boue; et, qui pis est, le public, et des auditeurs même doués de la plus haute intelligence musicale, sont dans l'impossibilité, s'il s'agit d'un ouvrage nouveau qu'ils entendent pour la première fois, de reconnaître les ravages exercés par le chef d'orchestre, de découvrir les sottises, les fautes, les crimes qu'il commet. Si l'on aperçoit clairement certains défauts de l'exécution, ce n'est pas lui, ce sont ses victimes qu'on rend en pareil cas responsables. S'il a fait manquer l'entrée des choristes dans un final, s'il a laissé s'établir un balancement discordant entre le chœur et l'orchestre, ou entre les deux côtés extrêmes du groupe instrumental, s'il a précipité follement un mouvement, s'il l'a laissé s'alanguir outre mesure, s'il a interrompu un chanteur avant la fin d'une période, on dit : les chœurs sont détestables, l'orchestre n'a pas d'aplomb, les violons ont défiguré le dessin principal, tout le monde a manqué de verve, le ténor s'est trompé, il ne savait pas son rôle, l'harmonie est confuse, l'auteur ignore l'art d'accompagner les voix, etc., etc. »

 

À Berlioz, succéderont bien d'autres grands compositeurs chefs d'orchestre, Franz Liszt, Gustav Mahler, Richard Strauss, etc. Le cas de figure inverse sera surtout le fait du XXe siècle, avec nombre de grands chefs d'orchestre également compositeurs : Furtwängler, Klemperer, Weingartner ou Bernstein illustreront cette position. Plus près de nous encore, un Pierre Boulez sera plus connu comme chef que comme compositeur, tout en se considérant lui-même comme un compositeur appelé à diriger, non comme un chef se plaisant à composer. En France, les sociétés de concert n'ont pas hésité à se placer sous le label personnel de leur chef, au sein d'institutions éponymes (Pasdeloup, Colonne, Lamoureux), dans le même que la césure entre chef lyrique et chef symphonique s'estompait progressivement, surtout du fait de l'action décisive d'Arturo Toscanini. Reste enfin le cas de grands interprètes (instrumentistes ou chanteurs) ayant choisi, parfois à titre exclusif, la direction d'orchestre, à l'image du ténor Placido Domingo, des pianistes Philippe Entremont ou Vladimir Askhenazy, du violoncelliste Mstislav Rostropovitch, de tant d'autres…

 

Aujourd'hui, du fait de l'élévation constante du niveau musical, il semble bien difficile de parier sur les noms que l'histoire retiendra. Cependant, en dépit de son caractère parfaitement arbitraire, la liste des noms qui suit présente au moins l'avantage de souligner l'importance jamais démentie du chef d'orchestre dans la tradition musicale européenne depuis l'avènement du romantisme : Abbado, Altinoglu, Ancerl,  Ansermet, Barbirolli, Barenboïm, Baudo, Baumgartner, Beecham, Benzi, Bernstein, Blomstedt, Böhm, Boulez, Bringuier, Cambreling, Celidibache, Christie, Chailly, Chung, Cluytens, Colonne, Corboz, Davis, Denève, Dervaux, Désormières, Dorati, Dudamel, Dutoit, Equilbey, Fournet, Franck, Frémaux, Fricsay, Fürtwaengler, Gardiner, Gatti, Gergiev, Giulini, Haïtink, Habeneck, Harnoncourt, Herreweghe, Ingelbrecht, Jacobs, Jansons, Jarvi, Jochum, Jordan, Karajan, Kleiber, Klemperer, Knappertsbusch, Kondrachine, Koussevitsky, Krips, Krivine, Kubelik, Lamoureux, Langrée, Levine, Luisi, Maazel, Malgoire, Marcon, Markevitch, Marriner, Martinon, Masur, Mehta, Mengelberg, Minkowski, Mitropoulos, Monteux, Mottl, Mravinsky, Münch, Muti, Nelsons, Nézet-Séguin, Nikisch, Ormandy, Ozawa, Paray, Pasdeloup, Pichon, Plasson, Prêtre, Prévin, Rattle, Richter, Rohrer, Rosenthal, Roth, Rozhdestvensky, Sacher, Sanderling, Salonen, Sawallisch Scherchen, Simonov, Sinopoli, Solti, Spohr, Stokowski, Svetlanov, Szell, Thielemann, Toscanini, Viotti, Walter, Weingartner, Welser-Möst, Zinman

 

 

Une féminisation lente et contrastée

 


Claire Gibault / DR

 

Si une rubrique particulière peut être consacrée aux femmes chefs d'orchestre, c'est en raison directe de la force de préjugés (qu'il faut bien dire sexistes) en la matière. Qu'à la suite d'une Clara Schumann, il ait été admis que les femmes pouvaient accomplir une grande carrière de virtuose, cela semblait acquis au soir du XIXe siècle. Pour la direction d'orchestre, il devait en aller tout autrement. Au long du XXe siècle, les noms de Caroline B. Nichols, Nadia Boulanger, Ethel Leginska, Jane Evrard, Veronika Dudarova, Claire Gibault, Jane Glover, Marin Alsop ou Laurence Equilbey montrent une évolution apparente des mentalités, mais il serait bien illusoire de croire au caractère spontané de ces mutations. Ici, doivent être saluées les pionnières, au premier rang desquelles Caroline B. Nichols (1864-1939), fondatrice en 1888 des Fadettes de Boston, orchestre de femmes basé à Boston et qui, en un peu plus de trente ans, ne donnera pas moins de 6000 concerts ! Également américaine, Emma Roberto Steiner (1856-1929) aura dirigé d'innombrables phalanges durant ses quelque soixante ans de carrière. Leur cadette, Ethel Leginska (1886-1970), figure pour sa part parmi les toutes premières femmes placées à la tête d'un orchestre en Grande-Bretagne, puis aux États-Unis. Ainsi lui est-il donné, le 9 janvier 1925, de diriger l'Orchestre symphonique de New York au Carnegie Hall. À cette occasion, il n'est pas sans intérêt de relever que l'adhésion enthousiaste du public contraste singulièrement avec le scepticisme hargneux d'une bonne partie de la critique. Fondatrice du premier orchestre de femmes à Chicago, Ethel Leginska dirige aussi le Boston Philharmonic Orchestra, lui confiant notamment ses propres œuvres. Le 12 mars 1932, c'est au Carnegie Hall de New York qu'elle dirige le National Women's Symphony Orchestra, second orchestre de femmes créé par ses soins.

 

 

En France, ce rôle de pionnière revient à Jane Evrard (1893-1984) qui, épouse du violoniste Gaston Poulet, fonde en 1930 l'Orchestre féminin de Paris, composé de vingt-cinq musiciennes. Plus proche de nous, Claire Gibault (*1945) n'évoque jamais sans amusement ses premiers pas dans la carrière : « C'était en 1969. À la Une de France-Soir, il y avait les premiers pas de l'Homme sur la Lune, et à côté, une petite photo de moi avec ce titre : Une femme a dirigé un orchestre » ! Cependant, au soir d'une honorable carrière, notamment encouragée par John Eliot Gardiner et par Claudio Abbado, Claire Gibault fait cet amer constat que « beaucoup d'hommes et même de femmes aiment mieux être dirigés par un homme » ! Avec Laurence Equilbey (*1962), c'est un autre cas de figure qui se dessine, l'exceptionnelle réussite de cette dernière à la tête du chœur Accentus (dont elle a fait l'une des plus parfaites phalanges vocales du monde) ouvrant sans hiatus sur sa consécration en tant que chef d'orchestre. De cette artiste accomplie, qui n'aime rien tant que le risque bravé et surmonté, la reconnaissance internationale ne cesse de gagner en largeur et en profondeur à mesure qu'elle multiplie les enregistrements de référence. Étonnamment souple, ample, précise, sa conduite musicale n'a pas son pareil pour faire surgir, au gré d'épisodes contrastés, la force comme le lyrisme, la rigueur comme l'épanchement, virtuosité technique et souveraineté esthétique conférant à sa direction une conformité organique fondée pour l'essentiel sur une discontinuité, paradoxale mais acceptée et maîtrisée, du discours musical.

 

 

Le "chef des chefs", Arturo Toscanini (1867-1957)

 


Arturo Toscanini / DR

 

Pour donner quelque idée de la destinée exemplaire d'un grand chef, aucun exemple ne semble plus démonstratif que celui d'Arturo Toscanini. Né à Parme le 25 mars 1867, Toscanini reste probablement, devant Herbert von Karajan, le chef d'orchestre le plus célèbre de l'histoire et le modèle de l'artiste ayant su élargir précocement son rayonnement bien au-delà des seuls cercles culturels. Violoncelliste destiné à la virtuosité, c'est à un singulier hasard qu'il doit toute sa carrière : en tournée au Brésil, il est en effet appelé à remplacer, au pied levé, sans la moindre formation, le chef prévu pour une représentation d'Aïda ; en ce beau soir du 30 juin 1886, l'heureux public local assiste ainsi à une véritable révélation… ébauche et seuil de la plus prestigieuse destinée orchestrale du siècle. Car, dès lors, tout va très vite : débuts italiens avec Edmea de Catalani, le 9 octobre suivant, création de Paillasse de Leoncavallo le 21 mai 1892, nomination à la direction du théâtre Regio de Turin où il dirige, en 1895, la création italienne du Crépuscule des Dieux de Wagner. Enfin, le 1er février 1896, Toscanini entre dans l'histoire en créant La Bohème de Giacomo Puccini, prélude à sa nomination à la tête de la Scala de Milan, de 1898 à 1908 (hors un intermède de 1903 à 1906). Chef au Metropolitan Opera de New York de 1908 à 1913, il y crée, avec un immense succès, La Fanciulla del West du même Puccini, auquel le lie une orageuse amitié. Du maître toscan, c'est encore lui qui fera triompher, à la Scala et à titre posthume, l'ultime chef-d'œuvre inachevé, Turandot ; l'anecdote est célèbre qui rappelle, à l'occasion de cette première, la lente chute du rideau demandée par Toscanini juste après l'émission des dernières notes tracées par le compositeur disparu (mis au net et complété par Franco Alfano, le finale ne sera donné que le lendemain).

 

En désaccord avec la politique culturelle de l'Italie mussolinienne, l'irascible maestro quitte à nouveau son pays en 1929, pour New York, où il est nommé directeur musical de l'Orchestre Philharmonique. S'ouvre alors, marqué par divers événements de portée internationale, l'ultime volet de sa carrière triomphale : direction du Festival de Bayreuth en 1930 (il y dirige Tannhäuser, Tristan et Parsifal) puis du Festival de Salzbourg en 1935 (représentations de La Flûte enchantée, de Fidelio, des Maîtres chanteurs de Nuremberg et de Falstaff), direction du concert de Tel-Aviv célébrant, en 1936, la création de la Palestine. Surtout, le 11 mai 1946, c'est à lui que revient l'honneur de diriger le concert de réouverture de la Scala de Milan, totalement reconstruite après les catastrophiques bombardements ayant ruiné ses bâtiments en 1943. Jusqu'à l'âge de 87 ans, le chef italien dirige l'orchestre symphonique de la NBC (National Broadcasting), créé spécialement pour lui par David Sarnoff ; le rythme hebdomadaire des retransmissions radiophoniques lui vaut bientôt une popularité universelle, sans rapport avec le simple prestige musical dont jouissaient jusque là ses confères. Première star médiatique de la baguette (exemple médité et suivi par plusieurs générations), Arturo Toscanini s'éteint le 16 janvier 1957 ; il est inhumé au Cimitero Monumentale de Milan.

 

 

Humainement, le grand chef italien a laissé le souvenir d'un homme à l'autoritarisme ombrageux et aux colères incontrôlées, aussi prompt à humilier publiquement un instrumentiste qu'à insulter en personne Giacomo Puccini… coupable d'avoir écrit Tosca ! Pourtant, ce despote fut aimé de ses musiciens et des compositeurs qu'il servit, pour son perfectionnisme, son charisme et l'incroyable finesse de son oreille ; toutes marquées d'un sceau original, ses interprétations confèrent une légèreté stupéfiante aux masses les plus importants et font chatoyer la palette de tous les timbres sans préjudice d'une rare fidélité à l'esprit de la partition. Si son principe de célérité surprit souvent ses contemporains (Ravel, notamment, marqua sa nette désapprobation à l'endroit du tempo haletant donné à son Boléro), ses enregistrements témoignent de sa précision diabolique, surtout dans les passages les plus redoutablement véloces. Le mélomane contemporaine peut encore découvrir cet art unique au moyen d'enregistrements restés légendaires et dont la sélection ici proposée ne forme qu'une faible partie : intégrale des symphonies de Beethoven (Orchestre symphonique de la NBC), Roméo et Juliette de Berlioz (1947, Orchestre symphonique de la NBC), 4e symphonie de Brahms (1952, Orchestre symphonique de la NBC), La Mer de Debussy (1950, Orchestre symphonique de la NBC), La Flûte enchantée de Mozart (1937, festival de Salzbourg), La Bohème de Puccini (1946, Orchestre symphonique de la NBC), le Requiem de Verdi (1953, Orchestre symphonique de la NBC), Les Maîtres chanteurs de Nuremberg de Wagner (1937, festival de Salzbourg)… Auditions qui, mieux que n'importe quel discours, convaincront le lecteur du rôle irremplaçable du chef d'orchestre.

 

 

 

Orientation bibliographique

 


Caricature de Gustav Mahler dirigeant l'orchestre

 

Ansermet (E.), Correspondance, Georg 1999.

Fantapié (H.C.), Le Chef d'orchestre, art et technique, Paris, L'Harmattan, 2005.

Lebrecht (N.), Maestro, Paris, Lattès, 1996.

Liebert (G.), Ni empereur ni roi, chef d'orchestre, Paris, Gallimard, 1990.

Munch (C.), Je suis chef d'orchestre, Paris, Conquistador, 1954.

Parienté (R.), La symphonie des chefs, Paris, La Martinière, 2004.

Walter (B.), Thème et variations, Foetisch.

Langendorf (J.-J.), Ernest Ansermet ou la passion de l'authenticité, Slatkine, 1997.

Gefen (G.), Furtwängler, une biographie par le disque, Belfond, 1986.

Osborne (R.), (Karajan) Une vie pour la musique, L'Archipel, 1999.

Heyworth (P.), Otto Klemperer, his life and times, Cambridge University Press, 1996.

Mousnier (J.-P.), Pierre Monteux, L'Harmattan, 2000.

Sachs (H.), Arturo Toscanini, Prima Pub, 1995.

 

Gérard Denizeau.

 

 

(1) Salomé et Elektra étant les opéras les plus violemment expressionnistes du répertoire, aux antipodes de l'art précieusement raffiné de Mendelssohn, le propos de Strauss est dépourvu de toute ambiguïté : loin de céder aux effets de la passion théâtrale, le chef doit soigner, avec la même scrupuleuse attention, le moindre détail de toutes ses partitions.

***

 

    PROPOS PARTAGES

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Avec Françoise Levéchin-Gangloff,

organiste titulaire à l'église Saint-Roch

 

 

 

Laurence Renault Lescure : L'église Saint-Roch a une belle histoire…

 

Françoise Levéchain-Gangloff : C'est Louis XIV qui, avec sa mère Anne d'Autriche, pose la première pierre de l'église à l'emplacement d'une ancienne chapelle. L'idée était d'avoir non loin du Louvre un lieu voué à la fois à la vie spirituelle et artistique. L'église va être construite en plusieurs étapes et ne sera terminée qu'en 1755 donc bien après la mort de Louis XIV.

 

Sur les bases de l'ancienne chapelle on a jeté les plans d'une petite église, cette petite église a brulé, on l'a reconstruite puis elle s'est vu attribuer des adjonctions à plusieurs reprises au fur et à mesure que le quartier prenait de l'ampleur. Elle changera même de sens !

 

Zone de Texte: Les plans de la première église ont été confiés à Jacques Lemercier premier architecte du roi louis XIII et du cardinal Richelieu, mais il est mort un an après la pose de la première pierre.

Un curé, Jean Baptiste Marduel (1749-1789) s'est complètement investi dans son église. Durant quarante années il a surveillé l'évolution des travaux et particulièrement de la décoration. Ce furent des travaux considérables. Marduel a demandé la participation des meilleurs artistes de l'époque. Jules Hardouin-Mansart, Étienne Louis Boullée, Étienne Marie Falconnet, Robert de Cotte, Gabriel François Doyen, Simon Challe… C'est impressionnant le nombre d'architectes de peintres et de sculpteurs qui ont travaillé à Saint Roch ! Les travaux ont été interrompus plusieurs fois pour des problèmes de financement. En 1719, ils ont pu reprendre grâce au don généreux d'un banquier anglais qui finança la toiture, la façade et l'aménagement intérieur.

 

 

Aujourd'hui Saint Roch est considérée comme l'une des trois grandes églises baroques de Paris. La plus grande aussi; mais ce n'est pas le baroque exubérant de l'Allemagne ou de l'Espagne, elle est de style très sobre dans ses grandes lignes.

 

LRL : Parlez-nous de l'orgue.

 

 

FLG : Le grand orgue est construit par Henri Lesclop qui meurt avant de le terminer. Sa veuve confie la tâche à Louis Alexandre Clicquot (le premier du nom). L'orgue sera terminé en 1755. Il est considéré comme un des plus beaux instruments de Paris : monumental à 4 claviers, il est convoité par bien des organistes !

 

LRL : Racontez nous l'histoire musicale de cet orgue magnifique.

 

FLG : En 1756 lorsque Claude Bénigne Balbastre (1727-1799) est nommé au poste d'organiste à Saint Roch, ce n'est pas un début de carrière pour lui. Brillant interprète et improvisateur il était déjà reconnu par ses pairs et participait aux grands « concerts spirituels » qui se donnaient aux Tuileries Professeur de Marie Antoinette il avait une haute fonction à la cour et menait une vie très mondaine.

 

 

Les gens se rendaient en foule aux messes de Noël à Saint Roch pour l'entendre improviser. Il savait fort bien mêler les airs d'opéra à la mode aux chants religieux (ce qui d'ailleurs lui sera reproché par son évêque : il sera interdit de messe de Noël à Saint Roch… mais invité à Notre-Dame !). Tout cela donnait sans doute lieu à de bruyantes manifestations d'un public plus porté sur le spectacle que sur la ferveur religieuse. Balbastre gardera quand même ses fonctions, on lui signifiera simplement que ses incursions de musique profanes n'étaient pas souhaitables.

 

C'est la Révolution qui brisera la carrière de Balbastre. Il se trouve en effet en très mauvaise posture, c'est un homme de cour. Mais il est opportuniste et astucieux : il va composer des pièces patriotiques : des variations sur la marche des marseillais, un aria sur le « ça ira »…

 

LRL : Il n'est pas le seul à sauver sa vie ainsi. Il n'est peut-être pas inutile de redire que les révolutionnaires avaient besoin de musiciens, la musique tenait une très grande place dans les fêtes révolutionnaires. Ce sont même les Jacobins qui ont créé la premier Conservatoire de Musique !  Donc Balbastre sauve son orgue en même temps que sa vie…

 

FLG : oui, en 1794 il sera même nommé membre de la commission temporaire des arts.

 

LRL : En fait il a peut-être aussi sauvé l'église…

 

FLG : A cette époque nombreuses sont les églises qui sont pillées et brulées. On massacre les prêtres, les églises servent de garnison. On doit à Balbastre d'avoir sauvé une grande partie des instruments parisiens. Il sauve indéniablement l'orgue de Saint Roch mais surtout il sort l'orgue de son rôle exclusivement liturgique. Il a montré que l'instrument pouvait servir à autre chose qu'à la musique des offices, qu'il pouvait remplacer tout un orchestre. A partir de Balbastre l'orgue ne sera plus un instrument exclusivement religieux, il va devenir un instrument de concert.

 

LRL : Donc Balbastre a sauvé l'orgue de Saint Roch. Mais il devait être en piètre état ?

 

FLG : Il était très endommagé. Les soldats qui avaient envahi l'église se servaient des tuyaux lorsqu'ils manquaient de munitions !

 

 

Il va falloir le reconstruire et cela va prendre beaucoup de temps. Il va être restauré en 1839 par Dallery qui est un très grand facteur d'orgue, et tout de suite après il y a la grande période d'Aristide Cavaillé-Coll qui en 1842 va lui donner tout son prestige; il redevient un des grands orgues de Paris.

 

 

Et en même temps c'est la période de deux grands organiste très réputés : Antoine Lefébure Wely (1805-1831) et son fils Louis Jean Alfred qui remplace son père à l'âge de 8 ans. C'est un enfant prodige et il sera organiste de Saint Roch de 1831 à 1847. C'est un virtuose comme Balbastre et il est très célèbre. Comme lui, il a le goût de la musique de son temps et pour l'orgue il composera des polkas et des boléros…une musique qui n'est pas spécialement liturgique et en plus de tout ça il introduit dans l'instrument des gadgets mécaniques : le chant du rossignol, un orage, des grelots, le tonnerre. Tout cela est très pittoresque. Il a beaucoup de succès.

 

LRL : Vous avez joué du tonnerre ?

 

FLG : Quand vous rajoutez le tonnerre au tutti c'est l'effet garanti ! Oui j'ai joué cela et je l'ai même enregistré.

Ce qu'il y a, c'est que tout cela lui a un peu nui. Il est considéré comme un compositeur un peu « de charme » vous voyez, avec des harmonies très douces…

 

LRL : Un peu « guimauve » ?

 

FLG : Oui, c'est cela. Un peu  « mauvais goût ». Par contre il a composé d'autres œuvres qui ont beaucoup de tenue. Mais j'ai joué des polkas.

 

LRL : Et ça donne quoi les polkas à l'orgue ?

 

FLG : Il ne faut pas oublier qu'il est très doué comme Balbastre et qu'il sait mettre ce qu'il faut en registration pour que ça sonne très bien.

 

LRL : Cet enregistrement vous l'avez fait sur l'orgue actuel ?

 

FLG :  Oui, à l'orgue depuis qu'il a été restauré. Et j'avais même un rossignol que le facteur m'avait rajouté parce que sur des pièces Andante le rossignol trille et que cela fait une courbe descendante à la fin de certaines phrases. C'est très original… A cette époque la vie musicale était très importante à Saint Roch. On se déplaçait en foule pour entendre ce qui s'y jouait. On y rencontrait beaucoup d'artistes et tous les grands musiciens étaient là : Liszt, Lesueur, Chérubini, Reicha, Chopin. Alfred de Musset sera enterré à Saint Roch. C'est une église fréquentée par tous les créateurs de l'époque. Ils ne venaient pas seulement parce qu'ils étaient pieux, ils venaient pour écouter, se retrouver. On y donnait aussi des créations.

 

LRL : Comme la Messe solennelle de Berlioz ? Un grande aventure cette messe…Cela commence en 1843. Berlioz a 19 ans et veut entrer au conservatoire dans la classe de composition de Lesueur qui lui conseille gentiment de faire ses preuves. Le maître de chapelle de Saint Roch lui conseille d'écrire une messe solennelle. Berlioz se lance dans l'aventure avec la fougue qu'on lui connaît. Il voit grand : solistes, chœur, orchestre  de l'opéra…

 

FLG : Cela dépasse de loin ce à quoi s'attendait Alix Masson, le maître de chapelle. C'est une œuvre monumentale qui exige de nombreuses répétitions et les enfants auxquels on a malencontreusement confié le soin de faire le matériel ont fait beaucoup de fautes de copie, les répétitions sont terriblement éprouvantes. C'est une catastrophe et on doit renoncer à monter l'œuvre. Berlioz est effondré, désespéré. Mais il n'a pas le caractère à se laisser abattre et finit par trouver un mécène après avoir sollicité Chateaubriand qu'il ne connaît pas du tout et qui l'assure cependant de son soutien purement moral… Enfin il peut monter sa messe qui sera donnée le 10 juillet 1925 avec un immense succès auprès de la presse et du public. Cependant Berlioz rejette en bloc cette œuvre et la brûle… Sauf qu'une copie est restée dans les bagages d'un violoniste belge de l'orchestre… On la retrouvera en 1992 ! La Messe Solennelle sera finalement remontée en 1993 à Londres et enregistrée en France un peu plus tard.

 

Pour en revenir à cette époque romantique, elle a été une grande époque pour l'église. L'étape suivante dans la réputation de Saint Roch sera 1947, la réconciliation du théâtre et de l'église. A cette époque on crée l'Union Catholique du Théâtre et de la Musique. Saint Roch devient officiellement paroisse des artistes et c'est la seule à Paris.

 

C'est une très grande époque. Il y a un aumônier des artistes et l'aumônerie est prise en charge par les dominicains. C'est ainsi que le père Carré, prédicateur à Notre-Dame et membre de l'Académie Française, est devenu aumônier de saint Roch. L'aumônerie et le curé de la paroisse sont donc les deux entités qui gèrent l'église, ce qui n'est pas toujours facile les objectifs n'étant pas les mêmes. Cette réconciliation va avoir pour conséquence que tous les artistes passent par Saint Roch et en particulier pour les funérailles. Les cérémonies de funérailles à Saint Roch sont très célèbres.

 

 

 

Les obsèques de Yves Saint Laurent ont été un événement considérable. Tout le quartier était bouclé. L'église était décorée d'une façon magnifique, c'était quelque chose qu'on ne voit jamais... Je crois que toutes les plus belles femmes du monde étaient là. Il y avait le Président de la république, le monde international  pas seulement de la mode mais politique  et artistique aussi. Sur le plan spectaculaire c'est mon plus grand souvenir. Sur le plan musical c'est autre chose.

 

LRL : Comment se passe le plan musical, justement, lors de ces obsèques ?

 

FLG : Évidemment je suis consultée sur le plan musical mais les connaissances musicales à l'heure actuelle font qu'on ne me demande jamais une œuvre pour orgue. Je ne joue que des transcriptions, c'est à dire que je transcris à vue des passages du Requiem de Mozart ou de Verdi ou certaines œuvres d'orchestre extrêmement célèbres. Ce faisant je rejoins ce que faisaient les musiciens du XVIIIème siècle qui faisaient cela de façon courante.

 

Évidemment j'ai souvent été triste qu'on ne me demande jamais de jouer un grand Bach (à part la Toccata et fugue en ré mineur ou « Jésus que ma joie demeure ») mais finalement toutes ces transcriptions donnent une autre dimension. J'ai même joué des extraits de Pelléas et Mélisande à l'orgue. C'est fou ! J'ai adapté des concertos de Mozart, mais très peu d'œuvres d'orgue en fait. J'ai aussi joué beaucoup de musiques de films parce que de grands cinéastes ont été enterrés à Saint Roch et on me donne des références en me demandant d'adapter…

 

LRL : Certaines de ces cérémonies vous ont touchée plus que d'autres ?

 

FLG : C'est très subtil à évoquer. Le fait de commémorer. On se rend compte tout d'un coup d'une personnalité exceptionnelle. Cela dépasse la foule qui est parfois fortement présente.

 

LRL : Dans ce cas y a t il une relation avec la musique que vous jouez ?

 

FLG : Non, pas dans le cas auquel je pense par exemple ; c'était une cérémonie d'hommage dans laquelle l'orgue faisait le lien entre les textes. J'avais joué du Schubert et Schubert n'a jamais écrit pour l'orgue !

 

Il y a quand même des concerts où l'orgue est demandé comme soliste ou en accompagnement. Les grands textes sont rares et quand il y un orchestre c'est tout un investissement. Les Concerti de Haendel ont été donnés une fois. Pour le 4ème mouvement de la Symphonie avec orgue de Saint-Saëns il faut un orchestre et ça ne tente pas trop les organisateurs de concert, ça ne va pas ramener de public. A une certaine époque les concerts de trompette et orgue faisaient venir du monde (surtout avec Maurice André) mais ce n'est plus le cas aujourd'hui.

 

LRL : Depuis combien de temps êtes vous à Saint Roch ?

 

FLG : Depuis trente cinq ans comme titulaire .Je suis la première femme à avoir été nommée titulaire.

 

LRL : Vous avez succédé à…

 

FLG : … Pierre Cochereau. C'est à dire qu'entre Pierre Cochereau et moi il y a un intervalle de plus de vingt ans où il n'y a pas eu de titulaire. L'orgue est un instrument qui s'abime si on ne l'entretient pas régulièrement, c'est un instrument fragile et lorsque le titulaire s'en va l'orgue n'est plus entretenu. Comme c'est extrêmement onéreux il faut être soutenu par des associations, des mairies ; c'est tout un travail de contacts.

 

LRL : En général les associations pour la rénovation des orgues sont extrêmement impliquées..

 

FLG : Ah oui ! Mais il faut du temps. Cochereau quitte Saint Roch en 1955 et l'orgue ne sera restauré qu'en 1994.

 

LRL : C'est long ! Presque quarante ans !

 

FLG : A peu près le même temps qu'entre la Révolution et Dallery ! La restauration de 1994 a été une très belle restauration, la dernière d'un facteur français : Renaud. C'est une restauration magnifique. C'est le dernier grand chantier financé à la fois par l'État et la Ville de Paris. Le dernier. Ce n'est plus possible d'avoir des opérations de cette envergure. Par contre l'orgue est entretenu.

 

LRL : Les travaux avaient commencé…

 

FLG : en 1984. Cela a duré 10 ans.

 

LRL : Où en sont les choses aujourd'hui musicalement dans cette église ?

 

FLG : Avec Vatican II la liturgie a évoluée, le grégorien a été banni. Il n'a pas été interdit mais il n'a plus sa place dans les églises. Il y a une liturgie qui doit être dans la musique que les gens entendent. C'est une volonté de ne pas dépayser. Par ailleurs l'Eglise a évoluée aussi avec une volonté de remembrement : moins de messes et plus de monde : il y a une suppression d'offices. A l'heure actuelle il n'y a plus d'organiste qui ne soit qu'organiste : un métier à part entière est impensable. Parallèlement les conservatoires n'ont pas forcément de classe d'orgue. A l'heure actuelle l'orgue est plutôt un instrument complémentaire qu'un instrument principal, ça devient un peu un instrument qu'on admire bien entendu mais qu'on vient visiter.

 

Les deux disques que j'ai faits ont été enregistrés sur l'orgue de Saint Roch. Le premier était un panorama du XVIIème au XXème siècle qui a eu un diapason d'or et a été réédité, le second était consacré à Balbastre. Les gens l'apprécient car c'est une musique réjouissante mais personne ne le connaît.

 

 

LRL : Pourtant l'argument « personne ne connaît » c'est un peu à la mode non ?

 

FLG : Moi, je tenais vraiment à honorer Balbastre. Sur le premier disque il y avait toute une littérature de styles très différents : de Nivert à Dupré. Les deux disques sont sortis chez le label Scarbo. Toute l'œuvre a été publiée dans une édition suisse et une autre française, celle ci supervisée par Marie Agnès Grall.

 

LRL : est-ce que Balbastre a laissé des indications de registration ?

 

FLG : Non mais on arrive à reconstruire. Avec les noëls qui sont très joyeux on s'amuse beaucoup. Avec l'organiste en second Jean Claude Fèvre on les joue en écho sur les deux orgues de l'église. C'est très agréable et les gens aiment beaucoup. Avec les deux orgues cela sonne merveilleusement.

 

LRL : Quitterez vous un jour Saint Roch ?

 

FLG : Il y a les conventions sociales, un âge de retraite mais il y a aussi la possibilité d'aller au delà de la retraite. C'est avant tout une entente avec le curé. Le curé n'aime pas trop changer un staff qui est en place et fonctionne bien. Quand je partirai mes deux organistes adjoints perdront leur poste ; c'est un argument que me donne le curé pour rester encore un peu, du moins jusqu'à son départ à lui. De plus, il sait que je transcris à vue et improvise, ce qu'il ne trouve pas toujours chez les remplaçants même si ce sont de bons organistes.

        

LRL : Comment forme t-on un organiste liturgique aujourd'hui ?

 

FLG : Il y avait une association créée par Georges Guillard, qui a terminé son travail mais a essaimé en province et ces antennes continuent la formation. Il ne peut y avoir de formation dans les conservatoires car ce sont des écoles laïques, cependant on peut y travailler l'harmonisation et l'improvisation.

 

LRL : Quelle a été votre  propre formation ?

 

FLG : J'ai fait piano, clavecin et orgue au CNSM. Le clavecin avec Marcelle Delacour et l'orgue avec Rolande Falcinelli. Deux femmes.

 

LRL : Dans la tradition nordique les clavecinistes sont organistes (et réciproquement)

 

FLG : Olivier Beaumont professeur de Clavecin au CNSM a fait un récital d'orgue à Saint Roch. Un récital Balbastre d'ailleurs. C'est vrai que c'est l'articulation qui est la grande question de ces instruments. Quand je suis passée à l'orgue j'ai été séduite. Aujourd'hui j'ai des étudiants au conservatoire international et à l'école normale qui me demandent une formation liturgique. Ce sont souvent des asiatiques qui viennent majoritairement du piano. Ce sont de bons musiciens mais ce qui pêche c'est l'improvisation qu'ils n'osent pas faire et l'harmonisation qui est indigente. Ils sont en échec quand on leur demande. Quand je suis rentrée au CNSM j'ai fait partie de la dernière génération où la formation mêlait l'harmonisation et l'improvisation au jeu instrumental. Rolande Falcinelli exigeait que tout le monde le fasse. Elle disait : « on ne vous demande pas d'être génial, on vous demande de le faire ».

Avec 68 on a fait passer tout cela à la trappe.

 

LRL : C'était cependant l'héritage de touts l'école de la Schola Cantorum.

 

FLG : On n'imagine pas un Franck ou un Fauré sans cela. Bach a été formé ainsi, Mozart aussi. Mais j'ai remarqué sur des élèves très brillants que pour eux, parce qu'ils sont de brillants interprètes et jouent des choses ahurissantes de difficulté, c'est terrible de placer quelques accords ou d'improviser quelque chose qui bouge un peu. Cela représente une montagne et ils se sentent un peu humiliés.

 

LRL : Terrorisés…

 

FLG : Voilà ! Les deux ! Humiliés par leur incapacité et terrorisés.

 

LRL : Croyez vous que ce serait une erreur de penser que cela est lié à la capacité d'improviser avec sa voix ?

 

FLG : Non pas du tout, pas du tout ! C'est lié. Cette spontanéité a été la base pendant tous ces siècles de musique. C'est notre devoir d'aider ces élèves à retrouver cette liberté.

 

 

 

Quelques repères

 

Jules Hardouin-Mansart (1646-1708) : Premier architecte de Louis XIV. On lui doit les derniers travaux de Versailles, la chapelle, la Galerie des glaces ainsi que le dôme des Invalides entre autre. Il dirige la construction de la nef à Saint Roch.

 

Robert de Cotte (1656-1735) : Beau-frère de Jules Hardouin Mansart, il achève la chapelle de Versailles. Premier architecte du roi, grand constructeur, il reconstruit l'abbaye de Saint Denis, l'Hôtel de ville et la place Bellecour à Lyon, le palais épiscopal de Strasbourg, parmi les sites les plus connus.

 

Étienne Maurice Falconnet (1716-1791) :  Sculpteur sur bois, remarqué par madame de Pompadour, un des membres les plus célèbres de l'Académie Royale de peinture et de sculpture. Diderot lui commandera l'article sur la sculpture pour son encyclopédie.

 

Simon Challe (1719-1765) : Sculpteur et dessinateur. Prix de Rome. Réalise la statue de saint Grégoire et l'abat voix de la chaire pour l'église Saint Roch.

 

Gabriel François Doyen (1726-1806 ) :  Fils d'un tapissier royal, Prix de Rome, Professeur à l'Académie Royale, il sauva dit-on le peintre David d'une tentative de suicide. Il quitta la France pour la Russie en 1793 à l'appel de  Catherine II. « Le miracle des Ardents » est considéré comme son chef d'œuvre.

 

Laurence Rrenault Lescure

 

 

 

Françoise LevéchinGangloff a participé à un ouvrage consacré à Saint–Roch qui paratîra prochainement dans la collection "La grâce d'une cathédrale" aux Éditions "La Nuée Bleue".

***

    L'ŒIL ÉCOUTE

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J. S. BACH : Les sept Motets avec continuo

 


©Patrice Gadenne

 

Une gageure, un succès retentissant : se lancer dans l'intégrale des sept Motets (qui nous sont parvenus) de Jean Sébastien Bach pour ensemble vocal et continuo. Ce défi de Thibault Lam Quang — à la tête de son merveilleux Chœur de chambre Les Temperamens Variations — a suscité l'admiration unanime, lors du concert donné le vendredi 13 mars 2015 en l'Église Évangélique Allemande de Paris, avec le concours de Helga Schauerte (orgue), Gulrim Choi (violoncelle) et Youen Cadiou (contrebasse). Le chef détient le secret d'un inlassable travail d'orfèvre ; il réussit à ciseler pour ainsi dire chaque note et à rendre sensibles toutes les inflexions émotionnelles du Cantor de Leipzig. Le programme a été présenté par Gilles Cantagrel avec son érudition et son enthousiasme proverbiaux ; il a mis l'accent sur les sources des Chorals : le recueil Florilegium Portense (1621), et rappelé qu'il s'agit de musiques pour des funérailles ou des anniversaires de personnalités et que les rites funèbres sont généralement placés sous le signe de la confiance et de « l'expression de la foi jubilatoire ».

 

Le motet : Lobet den Herrn, alle Heiden (BWV 230), à 4 voix, a été interprété avec volubilité, une remarquable diction, des accents irrésistibles et une grande expressivité dans la partie centrale se terminant sur un Alleluja très travaillé. Le motet : Ich lasse dich nicht (BWV Anh.159), pour 8 voix en double-chœur, sollicitant la bénédiction, avec une insistance répétitive sur : ich lasse et, un peu plus loin, mein Jesu, a bénéficié d'un remarquable non legato/staccato vocal et a été marqué d'un esprit combatif des choristes qui respirent la joie de chanter. Le motet : Der Geist hilft unsrer Schwachheit auf (BWV 226), pour la même formation — composé pour les funérailles de Johann Heinrich Ernesti (1652-1729), Recteur de la Thomasschule de Leipzig — comporte notamment une double fugue à deux chœurs soutenus par une basse continue discrète, remarquablement bien enlevée avec un excellent dosage des voix, un phrasé impeccable et des vocalises précises (madrigalisme sur Geist). Le motet : Jesu, meine Freude (BWV 227), à 5 voix, avec sa structure en miroir, est plus développé. Il associe la strophe du choral éponyme aux versets de l'apôtre Paul (Épître aux Romains, chapitre 8, verset 1 sq). Thibault Lam Quang lui conféra à la fois une belle impulsion et une grande intériorité. Avec vigueur, il restitua la force théologique du motet : Fürchte dich nicht (BWV 228), à 3 chanteurs par voix, d'après les extraits d'Ésaïe (chapitres 41, verset 10 et 43, verset 1) associés au Choral de Paul Gerhardt (1606-1676) : Herr, mein Hirt, Brunn aller Freuden, dans une perspective piétiste, faisant allusion à la joie et à l'union mystique. Le motet : Komm, Jesu, komm (BWV 229), sur le texte de Paul Thymich (1656-1694), belle invocation à Jésus, affirmant qu'il « est et reste le vrai chemin vers la vie », a bénéficié d'attaques percutantes sur les monosyllabes. Enfin, le motet : Singet dem Herrn ein neues Lied (BWV 225), avec son injonction à l'impératif : « Chantez ! » fusant de toutes parts, posa un point d'orgue en feu d'artifice sur cet inoubliable concert qui restera gravé dans toutes les mémoires et les annales de la Christus Kirche de Paris : un concentré d'exubérance, d'élan, d'éclat, de virtuosité, de dynamisme et de spiritualité.

 

Édith Weber.

 

Glorieux chant français !

 


©Marie Guilloux

 

Sous le titre « Le romantique opéra français », Marc Minkowski et ses musiciens du Louvre Grenoble avaient convié le public à vérifier combien de trésors peut receler ce thème. Fort nombreux au rendez-vous, il n'aura pas perdu sa soirée ! Le programme, qui proposait un florilège d'airs et de duos représentatifs, permettait un vaste tour d'horizon de ce genre, de ses prémisses à ses succédanés : de la tragédie lyrique au « grand opéra », de l'opéra-comique à l'opéra bouffe, en passant par des pièces plus inclassables. Aussi mêlait-il habilement morceaux bien connus ou enfouis dans un impardonnable oubli. Au titre des premiers, l'air de Pylade d'Iphigénie en Tauride « Quel langage accablant.. », le duo entre Nadir et Zurga « Au fond du temple saint  » des Pêcheurs de perles, ou celui entre Lakmé et Mallika de l'opéra de Léo Delibes, distillant ici des mélismes enchanteurs, l'air sardonique de Méphisto tiré de La Damnation de Faust, ou encore l'air du Cours-la-Reine de Manon. Pour ce qui est des seconds, ce sera un festival de quasi inédits. Qu'on en juge : des airs de Meyerbeer empruntés aux Huguenots et à Robert le Diable, ou d'Offenbach, « Vois sous l'archet frémissant » des Contes d'Hoffmann, que chante Nicklausse, aussi insolite que le désopilant « duo de la mouche » d'Orphée aux enfers. Mais aussi un air de Joseph de Méhul et un autre du Cinq-Mars de Gounod. Voire encore de Pierre Louis Dietsch et de son Vaisseau fantôme dont était donnée une fort lyrique romance dévolue à la soprano et au baryton. On dit que le musicien acheta à l'Académie de musique l'argument vendu par un certain Richard Wagner qui ne renonça pas pour autant à composer l'œuvre qu'on sait. Sans parler de Joseph Poniatowski qui, à la fois diplomate et musicien, commit un Pierre de Médicis et en l'occurrence une cabalette on ne peut plus héroïque confiée au baryton. Marc Minkowski y intercala quelques morceaux purement symphoniques : la procession des Nones de Robert le Diable, l'ouverture de Raymond d 'Ambroise Thomas, aux saveurs nocturnes et maniant un esprit digne des crescendos de Rossini, enfin « le Ballet des flocons de neige » du Voyage dans la lune d'Offenbach, empli de zest et pourvu de grands effets d'amplification.

 


©Romain Guilbert

 

C'est que cheville ouvrière de cette anthologie, Minkowski joue raffinement et puissance, et son orchestre, décidément donnant dans l'éclectique, brillance et savoir faire. Cinq jeunes espoirs défendaient bec et ongle ces pièces. Le ténor Stéphane de Barbeyrac : présence, autorité naturelle, timbre attractif, voix solaire dans le piano (voix de tête) comme dans le forte, jamais asséné, et avec cela un sûr style de comédien. Florian Sempey : la force du baryton héroïque, du « baryton Verdi » quasiment, capable aussi des plus subtiles nuances. La basse Nicolas Courjal au grain d'or, et si vaillante, un peu dans le style d'un Nicolaï Ghiaurov, à la stamina peu résistible, comme dans l'air de Philippe II du Don Carlos de Verdi, « Elle ne m'aime pas », d'une beauté de ligne comparable à son pendant italien. Marianne Crebassa : superbe timbre de mezzo, voix idéalement placée, force dans l'aigu et présence, là aussi, comme dans cet ultime air de la Marie de Cinq-Mars, d'une beauté spectrale. Julie Fuchs enfin : la chanteuse accomplie, au soprano lumineux, à l'aigu brillant, au medium avantageux, et qui sait déjà ce qu'est investir une scène. On mesure combien formatrice est son appartenance à la troupe de l'Opernhaus de Zürich. Chez tous, des vertus cardinales  : une qualité d'émission qui projette avec aisance, un sens du texte et des situations, et peut-être par dessus tout, un sentiment de sûreté, du fait d'une réserve de puissance, venant à l'appui d'un solide engagement. La relève est là, n'en doutons pas ! A l'heure des bis, Marc Minkowski nous réservait une surprise de taille : l'air de Madame de la Haltière de Cendrillon de Massenet, par sa compatriote polonaise Ewa Podles ! La célèbre mezzo-contralto, en « vedette américaine », a encore de l'abattage à revendre. Viendra ensuite un morceau rare, tiré de l'opérette d'Arthur Honegger Les aventures du roi Pausole : un savoureux trio où une belle se fait courtiser par un travesti-mezzo et un ténor déguisé en laitière ; c'est pour celui-ci que bat son cœur. Et enfin, le grand cancan d'Offenbach, entonné par tous et repris des mains par la salle. Soyons immodéré : le pur bonheur de beau chant français. Et, comme le fredonne Manon, «  Profitons bien de la jeunesse ».

 

Jean-Pierre Robert.

 

Rachmaninov réhabilité ?

 


Denis Matsuev & Valery Gergiev © Philharmonie de Paris

 

Pour le concert de la résidence parisienne du LSO, en première à la Philharmonie de Paris, Valery Gergiev a choisi d'illustrer Serge Rachmaninov. Portrait connu et face méconnue. Dernier des romantiques russes, dans le sillage de ses maîtres Rimsky Korsakov, Serge Rachmaninov fut un formidable pianiste et un prolixe compositeur, laissant à son cher piano parmi ses plus belles œuvres. Le Concerto pour piano N°2, op. 18, de 1901, qui lui valut la célébrité, a été conçu alors que le musicien traversait une sérieuse dépression, suite à l'échec de sa Première symphonie. Cette pièce concertante est d'une étonnante force, alliant flot romantique et virtuosité pianistique. Elle est en effet parcourue, à chacun de ses trois mouvements, par un thème ample et mélancolique énoncé à l'orchestre, ce qui a largement contribué à son succès. Denis Matsuev et Valery Gergiev en donnent une exécution incandescente : généreux balancements d'accords au moderato initial, en forme de carillon, une des signatures de Rachmaninov, ampleur orchestrale, souvent tendue à l'extrême, car pourquoi se refuser à « jouer le jeu à fond » ; adagio serein dans lequel le soliste restitue cette manière d'improvisation que recèlent ces pages, et une cadence enchanteresse qui voit le piano comme enlacé par la flûte ; folles courses-poursuites au finale smorzando où le pianiste déchaîne des torrents percussifs, rappelant combien le martèlement de l'instrument est essentiel ici. Gergiev déploie son orchestre sans fard, que la flatteuse image sonore de la nouvelle salle met en lumière. En bis, Matsuev joue deux pièces du même compositeur, le première sur le versant élégiaque, la seconde hyper virtuose, insistant, presque trop, sur l'aspect percussif. La Première symphonie op. 13, créée en 1897 à Saint-Pétersbourg, sous la direction du compositeur Alexandre Glazounov, qui était ivre dit-on, fut un fiasco public et critique. Rachmaninov en conçut une grande amertume et sombra dans cet état dépressif que seule interrompra la composition du Deuxième concerto pour piano. Le jeune musicien s'était pourtant fixé un objectif ambitieux : écrire une grande œuvre démonstrative ; d'où sa longueur et son orchestration complexe, un peu indigeste, alliant puissance, presque physique, et raffinement. L'exécution de Gergiev et d'un LSO chauffé à blanc lui rend justice. Le premier mouvement, débuté grave, s'enfonce dans l'épique, où perce la sonorité envoûtante de la clarinette dans le grave (et qui va donner comme une empreinte à toute l'œuvre). Du schéma en forme de variations à partir de quatre notes, tirées du Dies irae, Gergiev rend clair ce qui a priori ne l'est pas tant, du fait des contorsions subies par le thème. L'allegro animato suivant est un scherzo dans la manière de Mendelssohn, auquel le chef confère une extrême transparence, fantomatique. Le larghetto prend un caractère nocturne, alors que la petite harmonie déploie une clarté inouïe, grâce à l'acoustique aérée de la Philharmonie. Et on admire les violons éthérés de l'orchestre. Si le finale n'évite pas la grandiloquence, parfois à la limite du « Barnum », du moins Gergiev lui donne-t-il de l'allure, en particulier dans le traitement réservé aux cordes graves (cellos et contrebasses disposés à gauche de l'échiquier). La coda sera brillantissime, associant fougueux combats et moments d'extase. On ne soupçonnait pas tant de choses à (re)découvrir dans cette symphonie. Le succès appelant le bis, Gergiev et ses fabuleux londoniens donnent un morceau somptueux emprunté à Eugène Onèguine de Tchaikovski. Le triomphe redouble, à juste titre. Le chef rend d'un geste hommage à la nouvelle salle et d'un autre remercie l'auditoire.

 

Jean-Pierre Robert.

 

 

Un événement majeur : la création française de Au Monde

 

Philippe BOESMANS : Au Monde. Opéra en 20 scènes sur un livret de Joël Pommerat, d'après sa pièce éponyme. Frode Olsen, Werner Van Mechelen, Philipe Sly, Charlotte Hellekant, Patricia Petibon, Fflur Wyn, Yann Beuron, Ruth Olaizola. Orchestre Philharmonique de Radio France, dir. Patrick Davin. Mise en scène : Joël Pommerat. Opéra Comique.

 


© Elisabeth Carecchio

 

Il est rare de trouver à l'opéra un totale adéquation entre un auteur dramatique et un compositeur lyrique. Ce fut le cas de Debussy et de Maeterlinck pour Pelléas et Mélisande, de Richard Strauss et d'Orscar Wilde dans le cas de Salomé, ou plus près de nous de Martin Crimps et de George Benjamin pour Written on Skin. Pour son nouvel opéra, Philippe Boesmans (*1936) a choisi non pas une référence littéraire du passé, comme Shakespeare (Wintermärchen/Contes d'hiver), Witold Grombowicz (Yvonne Princesse de Bourgogne) ou August Strindberg (Julie) mais un auteur contemporain, Joël Pommerat (*1963). Ce dernier précise « écrire des spectacles » plutôt qu'être auteur de théâtre. Il n'empêche, sa pièce Au Monde, premier volet d'une trilogie, créée en 2004, reprise en 2013 à l'Odéon, a été adaptée au projet opératique envisagé par Philippe Boesmans, à l'initiative du directeur de La Monnaie, Peter de Caluwe. Un huis clos à huit personnages autour de la passation de pouvoir au sein d'une grande famille d'industriels. Joël Pommerat se réfère à Tchekov et à Maeterlinck et imagine un théâtre très visuel, convoquant l'intime,  cherchant à capter l'attention du spectateur autant par ce qui est exprimé que par le non dit. « Dans Au Monde il n'y a que des choses voilées » souligne-t-il, et d'ajouter « c'est une histoire qui est en déconstruction de l'histoire ». Car ses personnages s'enfoncent souvent dans l'inconnu et agissent au gré des événements tels qu'imaginés. Il y a, précise Pommerat, chez eux une idée d'indétermination, parce qu'ils « sont dans le déni ou laissent certaines choses dans l'informulé ». Son écriture est tendue, malgré un continuum souvent lent et il se dégage de la progression de scène en scène, un climat d'étrangeté, catalysant peur et angoisse, à la  frontière du thriller, voire du grotesque dans certaines répliques banales ou naturalistes. Le texte appelle sa mise en scène, et l'auteur ne conçoit ps d'en confier la réalisation à un autre que lui-même, par souci de cohérence. C'était le cas de la pièce, ce le sera de l'opéra.

 


© Elisabeth Carecchio

 

Un tel texte, une telle poésie du mot appellent la musique - elle est au demeurant déjà très présente dans la pièce. Philippe Boesmans reconnaît avoir été séduit par la démarche de Pommerat. Le compositeur occupe une place singulière sur l'échiquier de l'opéra contemporain, s'affranchissant des courants établis. Son style revendique une totale liberté dans l'expression musicale et prône un souci de naturel, ne le rattachant à aucun système. Comme le remarque le chef d'orchestre Patrick Davin, «  il élimine les dernières traces de dissonance pour arriver dans la consonance ». On reste dans la tonalité, élargie certes, mais la musique, si variée soit-elle, s'écoute sans effort, et ses combinaisons instrumentales souvent audacieuses (trombone et piccolo, cordes et accordéon) ne heurtent pas. L'orchestre fourni est utilisé souvent avec parcimonie et les grands climax sont peu nombreux autant que soudains. Comme le sont de brusques accélérations auxquelles fait suite un relâchement du tempo tout aussi inopiné. Il se dégage une aura souvent magique du fait du recours à des oppositions de couleurs et de rythmes, des effets de résonances installant un accompagnement chatoyant pour les voix. Si Pommerat se réfère à Maeterlinck, Boesmans pense à Debussy et à son Pelléas et Mélisande. Cela se sent dans la prosodie vocale : plus d'une phrase du texte de la Seconde Fille fait penser à la manière qu'a Mélisande de dire le texte. Et il est jusqu'aux caractéristiques vocales de chaque protagoniste, par ailleurs soigneusement déterminées par Boesmans en fonction du personnage, pour rappeler cette évidence. Le fils prodigue Ori a le timbre du baryton Martin de Pelléas, le Père celui un peu caverneux d'Arkel, et on perçoit chez La Fille aînée quelque réminiscence de la manière de Geneviève. 

 


Charlotte Hellekant, Flur Wyn, Patricia Petibon ©Théâtre de La Monnaie

 

Le spectacle donné à l'Opéra Comique, en coproduction avec La Monnaie, où il fut créé en mars 2014, est assez mémorable. Par sa présentation scénique d'abord : un immense écrin noir aux hauts murs que percent quelques raies de lumière blanche, vers laquelle se love les deux filles les plus âgées, appels de l'extérieur, et que peuplent des éclairages géométriques façonnant l'espace ; une table recouverte d'une nappe blanche, qui devient lit tout aussi immaculé, quelques chaises où se placent les uns et les autres. C'est que la régie d'acteurs de Pommerat est d'une précision au scalpel, chaque pas compté, chaque geste pensé de l'intérieur, chaque regard empli de sens. Le continuum dramatique est assuré par de courtes scènes qui s'achèvent souvent par une réplique tranchante, le noir s'en suivant. Il y a un continuum quasi cinématographique dans cette façon de concevoir l'écoulement du temps. La claustrophobie ambiante est parfois à la mesure de l'angoisse existentielle des personnages. Car la cellule familiale se disloque peu à peu, empêtrée dans ses rivalités insinuantes, sur fond de banal quotidien. Pas un de ses maillons ne se vit autrement que tourmenté par un quelque chose qu'il ne perçoit pas toujours clairement, sauf la déchéance du Père et les manœuvres pour assurer sa succession. Un sentiment de vacuité s'empare de chacun, car Pommerat instille des « troubles » à travers le prisme de la fiction théâtrale. L'étrangeté des situations est rendue par une exploration de l'intime. Les interprètes atteignent une dimension archétypale. Les trois sœurs surtout, si différentes l'une de l'autre : la Fille aînée, Charlotte Hellekant, désabusée, dépassée, la Seconde Fille, Patricia Petibon, aussi vive que l'autre est atone, d'un formidable engagement vocal et scénique à travers ses volte face, la plus jeune Fille, Fflur Wyn, énigmatique, tout droit sortie d'une pièce de Maeterlinck, mais résolue à affirmer sa différence et à se démarquer de cet enfer. Si Le père est quelque peu effacé vocalement, du moins sa présence en impose. Le fils aîné, Werner Van Mechelen, est un couard, et le cadet Ori, le seul a avoir un nom, étrange comme Pelléas, à la fois présent et si décalé par rapport aux autres, d'une belle ressource vocale, enfin Le mari de La fille aînée, Yann Beuron, aussi à l'aise dans la langue de Boesmans qu'il l'est dans ce marigot. Patrick Davin affectionne cette musique et tire du Philar de Radio France, qui sait ce qu'opéra veut dire, des effluves envoûtantes, magnifiant le travail d'orfèvre de Philippe Boesmans. Mémorable !

 

A noter que la firme Cyprès édite le CD de l'opéra tel que capté lors de la création mondiale à La Monnaie, avec une distribution identique, à l'exception du rôle d'Ori qui était tenu par Stéphane Degout (2CDs Cyprès : CYP4643 ; TT.: 114'41).

 

Jean-Pierre Robert.

 

Entre rêve et réalité : Juliette de Martinů

 

Bohuslav MARTINŮ : Juliette ou la clé des songes. Opéra lyrique en trois actes. Livret du compositeur d'après la pièce éponyme de Georges Neveux. Annette Dasch, Joseph Kaiser, Airam Hernandez, Lin Shi, Pavel Daniluk, Rebeca Olvera, Judit Kutasi, Alex Lawrence, Alexei Botnarcius, Irène Friedli, Reinard Mayr, Martin Zysset, Dara Savinova. Chor der Oper Zürich. Philharmonia Zürich, dir. Fabio Luisi. Mise en scène : Andreas Homoki. Opernhaus Zürich.

 

 

C'est en 1938, à Prague, qu'a été créé Juliette ou la clé des songes. Bohuslav Martinů (1890-1959) a directement adapté la pièce éponyme de Georges Neveux, dont la création, à Paris en 1921, avait déchaîné un retentissant scandale. Le poète surréaliste, Martinů l'avait rencontré alors que séjournant dans la capitale, il y côtoyait l'intelligentsia littéraire et musicale de l'époque. S'il a faite sienne cette fable, c'est qu'en bon tchèque, il ne redoutait pas les contrées de l'étrange, comme bien de ses compatriotes praguois des années1920/1930. Ayant lu la pièce de Neveux, il en fut si emballé qu'il demanda à son auteur de la mettre en musique. Celui-ci, à son tour enthousiasmé par le projet et séduit par la personnalité originale du compositeur, ne se fit pas prier, et renonça même à une collaboration envisagée avec Kurt Weill. Qu'en est-il ? Un jeune homme étrange, Michel, est à la recherche de l'aimée, Juliette. Il débarque dans une petite ville où tout semble se dérégler à mesure qu'il tente de percer les mystères de sa mémoire. Lorsqu'il la (re)trouve, elle se fait aussi fuyante qu'aimante. Un rendez vous dans la forêt, au IIème acte, se solde par un bonheur inachevé. Au comble de l'excitation, il tire un coup de revolver en sa direction.  Poursuivant sa quête infortunée au « bureau central des rêves », au III ème acte, il a l'illusion de la revoir enfin, et de l'entendre l'appeler. Le vie reprendra son cours, comme si de rien n'était. Michel a-t-il rêvé ? Rêve-t-il encore ? Ce cheminement aussi mental que réel maintient en haleine au fil de trois actes fort condensés. C'est peu dire que dans cet opéra l'invraisemblance, l'inexpliqué, tiennent la première place. Nous sommes au pays de l'étrange des gens sans mémoire. La musique renforce ce sentiment de l'ambiguïté, de l'absurde même, contenus dans le texte de Neveux : de la réalité au rêve, la frontière est floue et on passe de l'un à l'autre sans y prendre garde. Les multiples personnages qui gravitent autour des deux protagonistes, agissent comme des révélateurs, à travers des portraits aussi rapides que caricaturaux, aux répliques incongrues, en rupture. Mais il y a là surtout une quête essentielle chez Michel, celle de l'éternel féminin. Qui dans la vie ne cherche pas sa Juliette ? Georges Neveux dira qu'il entend dans la musique de Martinů : «  la joie sur fond de mélancolie, l'ironie sur fond de tendresse ». Il y a ici du grotesque, certes, mais tant de poésie, inspirée d'Appolinaire.

 

 

La production de l'Opernhaus de Zürich, confiée au maître de céans, l'intendant Andreas Homoki, nous fait rêver. Mais d'une toute autre façon que le fit Richard Jones, dans celle naguère présentée au Palais Garnier. Là où ce dernier installait un parcours onirique à travers un décor en forme de gigantesque accordéon, - instrument bien présent dans la musique - Homoki compose un environnement plus construit, une vaste salle de bibliothèque – inspiré d'une réplique de Michel au Ier acte : « Je voyage avec ma librairie circulaire ». En outre, l'utilisation d'une scène tournante va déplacer continument l'action de cet endroit, au demeurant figuré par deux imageries à peu près similaires pour accroitre l'illusion, et devant une façade de maison, celle où apparaîtra Juliette, où Michel s'enfonce dans le noir de sa vastitude, ou encore sur le pas de la porte de laquelle il trouvera le corps inanimé de cette femme tant désirée. Ce décor construit et les accessoires qui l'habitent, une vaste proue de navire, une locomotive bleuâtre traversant le plateau de temps à autre (là encore exactes illustrations textuelles) ne sont pas sans rétroagir sur la physionomie de la pièce  : le rêve s'échappe d'une réalité bien ancrée dans l'esprit de Michel. Mais au fur et à mesure que ce décor se meut, de plus en plus vite, ses certitudes s'envolent et le rêve s'installe plus prégnant. Plus encore qu'un parcours entre rêve et réalité, c'est un cheminement de la réalité au monde du rêve auquel Michel est condamné malgré lui. Le « Je ne rêve pas »  du début, n'est plus qu'illusion  : Michel est voué au pays d'où aucune mémoire ne doit émerger. Quoique la dernière image, reprenant celle du début, semble indiquer que tout cela n'est finalement que chimère. La régie est extrêmement animée, se nourrissant du mouvement, avec de beaux arrêts sur image où tout se fige un instant. Les costumes années 30 ajoutent une note d'esprit et d'esthétisme. Les dialogues incisifs comme les ensembles suggestifs sont magistralement ménagés, truffés de clins d'œil gourmands (le Vieux et la petite vieille du II, répliques vieillies de Michel et de Juliette). La gestique est juste exagérée pour faire plus vrai. Un régal que les artistes ne se font pas prier de déguster, avant nous. Juliette est un opéra de troupe, et celle de l'Opernhaus de Zürich sait aligner des valeurs sûres, comme ce jeune ténor Airam Hernandez (le commissaire, le facteur) aussi amusant que leste, la soprano chinoise Lin Shi (le petit arabe, le jeune matelot), qui n'a pas froid aux yeux, ou encore Martin Zysset, l'employé du Bureau central des rêves, inénarrable de vrai-faux empressement à dénouer ce qui ne peut l'être. Si l'intelligibilité du français n'est, chez certains, pas toujours au rendez vous, du moins l'engagement de tout un chacun rachète bien des choses. Pas de souci de cet ordre chez les deux héros. Annette Dasch propose de Juliette un portrait attachant et un chant glorieux pour une heureuse prise de rôle. Chez Joseph Kaiser, Michel, la performance vocale est à l'aune d'un achèvement dramatique étonnant : de l'individu désorienté à l'homme meurtri par un chemin semé de déconvenues, et au final littéralement transfiguré. Des richesses de la partition, Fabio Luisi fait son profit, menant le Philharmonia Zürich à l'incandescence, un peu trop parfois, car le foisonnement musical peut confiner à un débit haletant. Mais les moments lyriques, voire élégiaques, que réserve Martinů, tel le solo de piano qui accompagne souvent Juliette, ou l'appel du cor après un épisode particulièrement cocasse, distillent leurs bienfaisants effets, comme le kaléidoscope de coloris, du sombre au mordoré, ou encore ces subtils Leitmotive, que le chef préfère justement qualifier de « réminiscences », caractérisant une musique aussi mouvante que l'est le texte. Plus qu'un opéra, voilà une comédie en musique. Et quelle inquiétante comédie !

 

Jean-Pierre Robert.

 

Les « Sept dernières paroles » de Haydn en version oratorio

 

Joseph HAYDN : Les Sept dernières paroles de Notre Sauveur sur la croix. Version oratorio de 1796.  Sophie Klussmann, Marie-Claude Chappuis, Zachary Wilder, Konstantin Wolff. Maîtrise de Notre-Dame de Paris. Orchestre de chambre de Paris, dir. Leonardo GarcÝa Alarcon.

 


Leonardo García Alarcon :DR

 

C'est en 1786, à Vienne, qu'était créée la partition pour orchestre des Sept paroles de Notre Sauveur sur la croix, suite à une commande passée, trois ans plus tôt, par un chanoine de la ville de Cadix pour la liturgie du Vendredi saint. Cette version, Joseph Haydn devait dès 1787, en effectuer une réduction pour quatuor à cordes et une autre pour piano. Mais le compositeur devait encore revenir à cette œuvre pour l'adapter sous forme d'oratorio cette fois, lequel sera donné en 1796, également à Vienne. C'est le baron van Swieten, protecteur de Mozart, qui retravaillera le texte allemand d'un auteur inconnu. On sait qu'il fournira ensuite les livrets de La Création puis Des Saisons. D'une œuvre uniquement constituée de mouvements lents, Haydn va faire une oratorio structuré, en variant les tonalités originales et en contrastant les couleurs. L'orchestre est renforcé de cuivres et de bois par deux. Les sept versets sont précédés d'une introduction orchestrale sombre et recueillie, et chacun est introduit par un bref prélude du chœur a capella, à l'exception  du cinquième, qui l'est par un intermède purement instrumental. L'oratorio se conclut par une autre pièce orchestrale, « Il terremoto » (le tremblement de terre), sur les mots « Il n'est plus », évocation fiévreuse contrastant avec les moments précédents d'affliction et de ferveur. La première partie, savoir les trois premières paroles, «  Père, pardonne-leur, car ils ne savent pas ce qu'ils font », «  Aujourd'hui, tu seras avec moi au paradis » et « Femme, voici  ton fils, et toi, voici ta mère » laissent paraître un sentiment de douceur et de compassion. La quatrième «  Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m'as-tu abandonné »  est plus agité, dont un bref solo du premier violon. Après l'Introduzione très dramatique, uniquement confiée aux vents, bois et cuivres, bien sonores, la cinquième parole « J'ai soif », morceau charnière, est sans doute la plus originale musicalement : sur des pizzicatos des cordes et une flûte concertante, le ténor prononce la terrible exclamation. Le tempo soutenu adopté ici par le chef, contraste magnifiquement un chœur déclamatoire et un orchestre presque violent. Les deux dernières paroles, « Tout est consommé » et « Père, je remets mon esprit entre tes mains » conduisent l'oratorio à un achèvement qu'on pourrait croire de piété fervente. Mais le «  Terremoto » final livre par ses étonnantes dissonances, les abimes d'un cri de désespoir de la disparition du Christ et aussi l'annonce de sa résurrection. Les quatre solistes interviennent ensemble la plupart du temps. Et les chœurs se voient confier un rôle essentiel, comme ce sera le cas dans les oratorios à venir. Leonardo García Alarcon, qui remarque justement que cette œuvre se situe à la charnière de deux époques, de par son esthétique néoclassique et la préservation des codes du baroque, livre une exécution puissante et emplie de ferveur. L'Orchestre de chambre de Paris en est l'instrument de choix. On admire, outre un quatuor de solistes émérites, la clarté d'élocution de la Maîtrise de Notre Dame de Paris, tous chœurs confondus, préparés par Henri Cholet. Ils donneront ensuite une belle interprétation du Psaume 42 de Felix Mendelssohn, « Wie der Hirsch schreit » (ainsi qu'on oit le cerf bruire), une des pages majeures de sa production vocale, cadeau de noces de Felix à sa femme.

 

Jean-Pierre Robert.

 

Un Barbier de Séville peut en cacher un autre

 

Giovanni PAISIELLO : Il Barbiere di Siviglia. Dramma giocoso per musica en deux actes. Livret de Giuseppe Petrosellini. Topi Lehtippu, Piero Spagnoli, Mari Eriksmoen, Andrè Schuen, Fulvio Bettini, Christoph Seidl, Erik Arman. Freiburger Barockorchester, dir. René Jacobs. Version de concert.


DR

 

Il est des découvertes qui ravissent le cœur. Il Barbiere di Siviglia, ovvero La precauzione inutile de Giovanni Paisiello (1740-1816) a été créé en 1782 à Saint Petersbourg, alors que celui-ci était maître de chapelle de Catherine II de Russie. Ce musicien prolixe à l'opéra (une centaine de titres dont celui-ci est le 64 ème) est un des plus illustres représentants de l'école napolitaine, qui compte des noms emblématiques comme Pergolèse (La serva padrona) ou Cimarosa (Il Matrimonio segreto). Le lustre du beau chant et une sûre veine théâtrale impressionneront Mozart et emporteront l'adhésion du public de l'époque. Au point que ce Barbier de Séville, antérieur de quelques 34 ans à celui de Rossini, sera plus goûté que le dernier cité. Certes, la postérité replacera les choses dans une plus juste proportion, laissant à Rossini la primauté de l'invention musicale. Il n'empêche, l'opéra de Paisiello est loin de passer pour négligeable. Bien sûr, le livret, d'un certain Petrosellini, s'en tient au ras des pâquerettes du texte de Caron de Beaumarchais, et élude le prisme révolutionnaire, pour ne conserver que le caractère bouffe de la pièce et son côté « love story ». Mais le déficit dramatique est racheté par une veine musicale inventive. Le ton général de la pièce est buffa, mais avec une composante seria : le dramma giocoso que Mozart saura si bien reprendre dans sa trilogie da Ponte. La musique est toujours attractive : un style concis caractérisé par des arias, duos et ensembles vifs, enluminés de parties de vents remarquablement écrites, une orchestration fort colorée et un sens de la mélodie d'une indéniable beauté. En un mot, une pièce ou l'expressivité rejoint le naturel, sans parler d'un humour revigorant. Tel l'air de « la calomnie » de Basilio, qui n'a rien à envier à celui de Rossini : une aria ménagée par strates successives reprenant le caractère envahissant de la fameuse rumeur, qui s'enfle en un déferlement grandiose. Ou encore un cocasse trio entre Bartholo et ses deux serviteurs qui pour toute réponse aux questions du barbon, baille pour l'un et éternue pour l'autre. Un exemple d'art de l'onomatopée fort réjouissant. Le personnage de Bartholo prend d'ailleurs une plus nette épaisseur que celui de son cousin rossinien, préfiguration de Don Pasquale. De même que le Conte di Almaviva se taille la part du lion dans ses arias.

 

La présente exécution en version de concert doit beaucoup à l'engagement de René Jacobs qui n'a pas son pareil pour dénicher de tels trésors. On sait combien il fit fête au Tancredi de Rossini, et plus récemment, à la scène et au disque, à La Rappresentatione di Anima & di Corpo de Emilio de Cavalieri (cf. infra in 'Le bac du disquaire'). Sa direction est alerte et combien attentive aux chanteurs. Les musiciens d'élite du Freiburger Barockorchester, avec pour leader Petra Müllejans, sonnent de tous leurs feux, les vents en particulier que Jacobs a regroupés sur la partie droite de l'échiquier orchestral. Créant des temps originaux, telle la « Temporale », la  tempête de rigueur dans l'opéra buffa : spectaculaire, elle livre avec ses deux cors naturels et ses fracassants coups de grosse caisse une coulée qui annonce la Tempête de l'Idomeneo de Mozart. La mandoline ajoute une once de mélancolie comme le clavecin, sonnant telle une épinette, un coloris légèrement acide. Le continuo est expressif et les cordes volontairement traitées dans une manière discrète achèvent de conférer à cette exécution concertante, un vivant théâtral ; ce qui n'étonnera pas dès lors que ce concert au Bozar de Bruxelles suivait de peu des représentations scéniques au Theater an der Wien, en février à Vienne. Les protagonistes jouent autant qu'ils chantent. Une mise en espace, devant et derrière les musiciens, donne au texte toute sa verve et son sens humoristique. Ils sont habillés de manière amusante et contemporaine : Rosina en petite robe à volants, Figaro en loubard à queue de cheval, Bartholo, bien rangé costumes trois pièces, Basilio en curé béret vissé sut la tête. Côté interprétation, on admire le bagout de Pietro Spagnioli, un Bartholo de calibre, à la voix idéalement projetée, le cocasse de Fulvio Bettini, Basilio, la gouaille sympathique d'Andre Schuen, leste Figaro. Tandis que les deux héros font des étincelles : Topi Lehtipuu, Almaviva, assimilant le cantabile napolitain comme une seconde nature, et Mari Eriksmoen une Rosina fort bien portraiturée, en particulier dans la belle aria qui clôt le premier acte, nimbée d'un accablement frôlant le tragique. Succès public mérité. 

 

Jean-Pierre Robert.

 

L'opéra de chambre Jacob Lenz à La Monnaie

 

Wolfgang RIHM : Jacob Lenz. Kammeroper en treize tableaux. Texte de Michael Fröhling librement adapté de la pièce « Lenz » de Wolfgang Büchner. Georg Nigl, Henry Waddington, John Graham-Hall. Irma Mihelič, Olga Heikkilä, Maria Fiselier, Stine Marie Fischer, Dominic Grosse, Eric Ander. Orchestre Symphonique de la Monnaie, dir. Franck Ollu. Mise en scène : Andrea Breth. Théâtre de la Monnaie.   

 


Georg Nigl & Henry Waddington ©Hofmann/La Monnaie - De Munt

 

Jacob Lenz est le deuxième opéra du prolixe Wolfgang Rhim (*1952), compositeur allemand à la tête d'un catalogue de plus de 400 titres actuellement. Créé en 1979 à Hambourg, il connaît depuis un succès durable. Il s'agit d'un opéra de chambre de par ses proportions modestes, une heure un quart, son orchestre réduit à une quinzaine de musiciens, et ses trois protagonistes principaux. Son sujet s'inspire de l'histoire du poète éponyme Jacob Lenz (1751-1792), natif de Lettonie, qui vécut, entre autres, à Strasbourg. Lenz y rencontrera le jeune Goethe, à l'époque où celui-ci compose son Werther, et tombera amoureux de Friederike Brion, dont Goethe fut naguère épris lui aussi. La trame de la présente œuvre se passe en Alsace, alors que Lenz, atteint de troubles mentaux, vient consulter, en février 1728, le pasteur Oberlin qui tente de le rassurer. Cette histoire inspirera au poète Georg Büchner sa pièce « Lenz » qui décortique les aspects de la névrose du poète, bien avant les interrogations du Dr  Freud. Wolfgang Rihm s'empare à son tour du sujet, fasciné par cette destinée peu ordinaire et son haut potentiel expressif. Le livret de Michael Fröhling ne se limite pas au seul texte de Büchner mais emprunte encore à d'autres sources. Il trace un processus de déchéance, l'effondrement d'un homme, au fil de treize tableaux. Ils sont entrecoupés d'intermèdes musicaux, les deux dernières scènes étant enchaînées pour éviter le chiffre fatidique de 13. Trois personnages se partagent l'action : le poète Lenz, le pasteur Oberlin et un pseudo médecin raisonneur, Kaufmann. Six voix, de femmes et d'hommes, représentent les « voix intérieures » de Lenz. Il n'est pas difficile d'imaginer combien un tel sujet est porteur pour un compositeur. Wolfgang  Rhim, qui à l'époque militait contre le structuralisme ambiant, a conçu une œuvre entre abstraction et expression, qui n'est pas sans faire penser à Luigi Nono ou à Morton Feldman. Rhim parle de « rondo en relief » pour caractériser une composition qui superpose des couches musicales, « obéissant chacune à leur progression dramatique propre », et ménage de brusques ruptures au niveau des transitions ; sans parler d'un subtil jeu de citations musicales. Les instrumentistes peuvent livrer des séquences on ne peut plus sonores, grâce à un usage peu modéré des percussions, dont une enclume et une caisse en bois pour des effets pétaradants. L'orchestration ne comporte que trois cordes : trois violoncelles, figurant les trois protagonistes. Un accord de trois sons, non résolu, à l'aune de la relation ambiguë qui les lie, est au cœur de la partition : le triton ou diabolus in musica. Les voix sont traitées de manière aussi extrême.

 


Georg Nigl ©Hofmann/La Monnaie- De Munt

 

Une telle pièce est une mine pour un metteur en scène. Andrea Breth qui aime se confronter à des sujets extrêmes – on pense à sa Lulu de Berg au Schiller Theater de Berlin, dirigée par Daniel Barenboim (Cf. NL de 5/2012) – prend les choses à bras le corps. Rencontrant tout ce qui est inquiétant dans le portrait du personnage de Jacob Lenz tel que dressé par Büchner, elle en accentue l'âpreté dès les premières répliques, assénant un état d'hystérie qui ira crescendo. Sa régie est expressionniste en diable, d'une « vérité » théâtrale confondante. Le spectateur est plongé dans le labyrinthe de l'espace mental du poète. La direction d'acteurs au scalpel exige de ceux-ci un engagement phénoménal et les conduit, singulièrement pour ce qui est de Lenz, à tout donner au point de frôler un état réellement déstabilisant. Lenz agit depuis le début comme un possédé, dépoitraillé, rampant au sol, lové dans un rayon de bibliothèque, ou secoué en tous sens, à la limite du mauvais traitement de la part de Kaufmann qui se transforme en froid expérimentateur, comme le Docteur vis à vis de Wozzeck. On pense beaucoup à l'opéra de Berg d'ailleurs, quant aux relations entre les trois personnages, dont Lenz est le jouet des deux autres, qui sous couleur de réconfort, l'entraînent un peu plus sûrement dans l'abime. Jusqu'à cette terrible phrase finale de Kaufmann à Oberlin « vous ne pouvez plus rien pour lui ». Un environnement misérabiliste, déconstruit, vision de cauchemar, accentue la pression et le sentiment d'impuissance vis à vis de ce pauvre hère. Un pessimisme noir se dégage de cette vision, à l'image de la figuration des valons forestiers enfermés sous des cloches de verre de Musée, ou encore de ces esprits/ « voix » comme pendus ou acheminant une immense croix latine au dessus d'un Lenz au comble de la transe. Tout cela est magistralement restitué, mais si excessif qu'on en est mal à l'aise. Les personnages, Andrea Breth les traite de manière tout aussi extrême. Celui de Lenz est tendu au paroxysme, exploitant vocalement toutes les techniques, falsetto, parlé-chanté comme le ferait un tout jeune enfant, courtes interjections en saillies ou longues tirades. Georg Nigl, habitué à ce type d'œuvre, interprète attitré de Pascal Dusapin, en offre un portrait proprement inouï. La phrase « Je suis l'enfant prodigue », lancée alors qu'entravé, est d'une force insoutenable. Ses deux collègues sont à l'unisson : Henry Waddington, Oberlin, tout en rondeur et componction, et John Graham-Hall, Kaufman, hâbleur, voix de ténor tranchante, le type même du faux ami. Franck Ollu et les solistes de l'Orchestre symphonique de La Monnaie défendent les feux brûlants ou les répits tristes de ce que son auteur définit comme « une heure de musique de chambre extrême ».

 

Jean-Pierre Robert.

 

Glorieux Royal Concertgebouw Orchestra !

 


Andris Nelsons en répétition avec l'Orchestre du Concertgebouw / DR

 

Foule des grands événements et musiciens nombreux à la ronde pour écouter le Concertgebouworkest, Andris Nelsons et Anne-Sophie Mutter. Le programme de cette mini tournée européenne de cinq villes, après les soirées d'abonnement à Amsterdam, proposait le Concerto de violon de Sibelius et la Dixième symphonie de Chostakovitch. Programme ambitieux, idéal pour « faire sonner » un orchestre. Le Concerto de violon op 47 de Sibelius, créé en 1904 à Helsinki, puis l'année suivante à Berlin, dans une version remaniée, sous la direction de Richard Strauss, est une pièce phare du répertoire. Elle s'est imposée aux côtés des grands chefs d'œuvre romantiques comme le Concerto de Brahms ou celui de Tchaikosvski. Elle figure bien sûr parmi les pièces concertantes favorites d'Anne-Sophie Mutter. Qui en donne une vision hautement pensée, prenant des libertés avec les tempos. Mais quelles libertés ! Fidèle à sa manière, elle truffe les trois mouvements de ralentissements notables, plages de réflexion intense. Ainsi de l'Allegro moderato initial, pris très mesuré par Andris Nelsons, pppp des cordes précédant l'entrée de la soliste. Même si le climat spécifiquement nordique est apprivoisé dans une gangue plus universellement classique, on est séduit par un tel geste violonistique.  Le traitement quasi chambriste de l'accompagnement orchestral fait la part belle à la soliste, sentiment accentué par une acoustique qui « détache » la petite harmonie et « dégage » le halo des cordes. L'adagio médian est pareillement intensément joué : ''di molto'', précise la partition ; certes, et bien plus encore car l'archet de Mutter trace des courbes enchanteresses. Le grand finale, Allegro ma non tanto, découvre des richesses thématiques nouvelles et des scansions là encore aussi inattendues qu'envoûtantes. Anne-Sophie Mutter réserve l'éclat à l'essentiel et impose une royale présence. Voilà une mélopée finlandaise certes objectivée, mais parée de contrastes extrêmes de dynamique. La belle violoniste donnera en bis un morceau de JS. Bach. La Dixième symphonie de Dimitri Chostakovitch, op 93, composée à  l'automne 1953 et créée en décembre de la même année à Saint Petersbourg par Evgeni Mavrinsky, est un immense faire valoir pour l'orchestre. Le Concertgebouw éblouit par sa prestation. Cette symphonie, les musiciens l'ont interprétée avec les plus grands, Haitink et Jansons, pour ne citer que les plus récents. On est sans voix devant pareille virtuosité orchestrale, un tel sens de l'ensemble, l'aisance confondante de tous les pupitres, en particulier à la petite harmonie : la clarinette solo, le hautbois solo, et surtout le cor charmeur de notre compatriote Félix Dervaux. La phalange, au mieux de sa forme, est galvanisée par un chef au magnétisme certain, débordant d'énergie, même si dispensant une gestique « physique » et complexe (grands moulinets des deux bras, main pointée comme percutante, sautillements) Mais Nelsons connait son Chostakovitch. Et sent le pessimisme qui enveloppe cette grande fresque, ses accents lugubres, sa rythmique assénée. Le vaste moderato initial montre une belle lisibilité et un climat pas trop pesant. L'allegro suivant, en forme de scherzo, avance tel un rouleau compresseur avec des fortissimos étourdissants. L'allegretto est urbain, avec cette signature musicale qu'est le motif DSCH, correspondant aux initiales du compositeur. On y admire, entre autres, les interventions magiques du cor solo. Le finale, introduit par un andante encore sombre, découvre enfin dans sa section allegro des horizons plus enjoués, voire emplis d'humour. Nelsons le mène avec une souveraine maestria.

 

Jean-Pierre Robert.

 

Brèves de vie...

 

100 Miniatures : Mélodrame de Philippe MINYANA & Bruno GILLET. Paul-Alexandre Dubois, Christophe Crapez, Edwige Bourdy, Eléonore Pancrazi. Ensemble 2e2m, dir. Philippe Roullier. Mise en scène : Mireille Larroche. Vingtième Théâtre.

 


© Mathilde Michel

 

La Péniche Opéra se donne congé du bassin de la Villette pour aller jouer hors les murs au Vingtième Théâtre sur la colline de Ménilmontant. Pour ses adieux, sa fondatrice, Mireille Larroche, a commandé une nouvelle œuvre au dramaturge Philippe Minyana et au compositeur Bruno Gillet. Ces 100 Miniatures sont autant de brèves, non pas de comptoir, mais tout simplement de vie. De la vie de tous les jours, où se côtoient des personnages banaux, anodins, improbables héros, qui peuvent être poètes à leurs heures et offrir quelques perles bien senties. « Des dialogues entendus qui rendent compte de la vie quotidienne des gens » dit simplement Mireille Larroche. La pièce qui procède autant du théâtre que de l'œuvre lyrique, se présente telle une enfilade de « micro-nouvelles, disposées comme des stances » précise Philippe Minyana, qui cultive ce sens de l'écart qui lui est cher, autrement dit quelque chose de vierge qui cultive le bruit des mots. Elle prend la forme d'un mélodrame : le texte, conservé dans son entièreté, est assorti de commentaires musicaux discrets qui ne cherchent pas à coller au mot de manière pléonastique. Ils constituent plutôt un fond sonore, un contrepoint, qui permet « d'étirer le temps » (Bruno Gillet). En référence au titre même, ce sont des miniatures musicales aussi. Quatre instrumentistes se les partagent : pianiste, violoniste, guitariste et accordéoniste. Autrement dit des timbres familiers. Les sonorités le sont également et portent le texte parlé ou chanté. La mise en scène de Mireille Larroche est astucieuse et fluide. Qu'elles soient fort courtes, quelques phrases, ou plus développées, les séquences se succédant sans solution de continuité. Elle détache des personnages apparemment sans envergure, mais dont les faits et gestes prennent l'allure de véritables faits d'arme. Ainsi de la miniatures N° 88 : « Rue Winston Churchill - à cinq heures j'ai bécoté le cou d'Annie ». Quelques morceaux de même type reviennent en boucle, comme « la recette de cuisine d'Annette », réunissant les quatre voisins autour du fourneau pour une amusante antienne. Des répliques attendues de l'une des quatre, veuve pas trop esseulée, font office de piquants Leitmotive. Le pianiste donne un bref tour de crécelle pour signifier le passage d'une miniature à l'autre. Cela progresse soit paresseusement, soit prend un subit coup d'accélérateur. Les gens se croisent, s'interpellent, se répondent, se retrouvent. Ils disent leurs soucis du moment, leurs agacements récurrents devant telle situation « qui dysfonctionne », ou contemplent leur bonheur de savourer la vie, de gloser sur ces sentiments enfouis qu'on hésite à révéler, mais avoue bien aimer divulguer. Les quatre acteurs-chanteurs et le quatuor de musiciens issus de l'ensemble 2e2m forment une fort sympathique troupe. Merci Mireille!

 

© Mathilde Michel

 

Jean-Pierre Robert.

 

Un récital de piano pas comme les autres

 


Ivo Pogorelich / DR

 

Alors qu'on ne glose que vastes espaces de concert, Philharmonie de Paris, nouvel auditorium de la Maison de la radio, sans parler du Théâtre des Champs Elysées, Ivo Pogorelich a choisi le cadre feutré de la salle Gaveau pour y donner un de ses trop rares récitals parisiens. Car le pianiste aime cultiver sa différence : il échange quelques mots entre deux mouvements avec le tourneur de pages, jette au sol la partition achevée pour passer à la suivante, salue avec le précieux document à la main et pousse ostensiblement le tabouret pour signifier qu'il n'y aura pas de bis. Le programme fleuve ne nécessite pas de satisfaire à ce rite peut-être suranné des « encore ». Il est en soi exhaustif puisqu'il réunit Liszt, Schumann, Stravinsky et Brahms, sur le schéma de la fantaisie. Pogorelich prend à bras le corps Après une lecture de Dante de Liszt. La « Fantasia quasi Sonata »  montre d'emblée une volonté de tracer de grands écarts dynamiques, pianissimos ténus, fortissimos à faire trembler et souffrir l'instrument, et d'imprimer des tempos peu ordinaires, ralentissements marqués, passages rapides quasi boulés. La partie médiane s'aventure dans des contrées ésotériques et la coda sera assénée telle une tempête. La Fantaisie en Ut majeur op. 17 de Robert Schumann montre un semblable souci de recherche et d'interprétation non conformiste. Le premier mouvement, marqué « sempre fantasticamente ed appassionamente », déjà tout un programme, est lu au-delà du fantastique, dans un univers réapproprié. Pogorelich en détache les diverses séquences et thèmes. La manière allègre du « moderato, sempre energico » pousse le jeu à la limite de la véhémence. Et les accents apparaissent là où on ne les attend peut-être pas, en tout cas hors de tout romantisme facile. Le deuxième thème s'affiche fantasque et fort énergique. Le « Lento sostenuto » final sera lunaire et la belle mélodie schumannienne s'envolera vers les cimes de l'inspiration. L'œuvre se conclura de manière pénétrante. Voilà, certes, un Schumann dégraissé de tout inutile pathos, mais pleinement architecturé, dont un fin travail sur la pédale permet de retrouver la signification première : un non dit, au-delà de l'aspect autobiographique, Schumann y faisant le deuil de ses chimères amoureuses. En seconde partie, le pianiste croate donne une exécution de Petrouchka tout bonnement d'anthologie. Cette transcription pour piano de la version orchestrale a été réalisée par l'auteur en 1921, à la demande d'Arthur Rubinstein. Le sens de la construction, les attaques percussives endiablées, les enchaînements diaboliques, les contrastes les plus fous en terme de vitesse et de rythme de cette extraordinaire succession d'images, tout est asservi à une vision d'une fabuleuse cohérence et à un pianisme d'une confondante maestria. Là encore, l'instrument tremble de tous ses pores et est exploité dans ses moindres recoins. A travers cette exécution solo, c'est tout un théâtre qu'on entend et savoure dans ses plus extrêmes nuances. Rarement la pièce aura livré autant de force et montré ses multiples facettes. Pour conclure, les Variations sur un thème de Paganini op 35 de Brahms, contemporaines de la Première Sérénade, dévoilent un kaléidoscope de couleurs et de traits originaux, à travers leurs deux cahiers de 14 séquences chacun. Quoique un peu longue, voire fastidieuse dans ses innombrables métamorphoses du thème, cette pièce développe un langage harmonique souvent surprenant ; qui dérouta Clara Schumann ! La technique est aussi mise à l'épreuve, ce dont Pogorelich fait parfaitement son affaire. Un récital décidément hors des façons convenues, plus pour le connaisseur que pour l'auditeur habitué à se voir rabâcher le répertoire.

 

Jean-Pierre Robert.

 

Des sonorités intergalactiques à l'opéra !

 

Dai FUGIKURA : Solaris. Opéra en quatre actes. Livret de Saburo Teshigawara, d'après le roman éponyme de Stanislas Lem. Chanteurs : Sarah Tynam, Leigh Melrose, Tom Randle, Callum Thorpe, Marcus Farnsworth. Danseurs : Rihoko Sato, Vaclav Kunes, Nicolas Le Riche, Saburo Teshigawara. Ensemble intercontemporain, en collaboration avec l'Ircam, dir. Erik Nielsen. Création mondiale au Théâtre des Champs -Elysées.

 


©Vincent Pontet

 

Pari audacieux et méritoire du Théâtre des Champs-Elysées que cette commande d'un opéra contemporain au compositeur japonais Dai Fugikura (*1977) Un opéra d'une grande complexité musicale, scénique et technique, sur un livret conjointement élaboré par le compositeur et le chorégraphe, metteur en scène, Saburo Teshigawara d'après le roman de Stanislas Lem, datant de 1961. Un livret, réduit pour l'occasion à une vingtaine de pages sur les plusieurs centaines de l'œuvre littéraire, n'ayant que des rapports assez lointains avec le roman initial, ce qui ne facilitera pas la compréhension de l'œuvre…Il s'agit d'un huis clos spatial se situant dans une station orbitale gravitant autour d'une planète inconnue nommée Solaris, constituée d'un océan protoplasmique donnant naissance à des visiteurs, des formes humanoïdes, comme autant de représentations métaphoriques de la conscience… Pour faire simple, comprenez qu'il s'agit d'une réactualisation moderne de l'antique « Connais-toi toi-même… » de Socrate, affirmant haut et clair la nécessité de se connaître soi même, avant de vouloir connaître et comprendre les autres et les dieux. Tout cela est connu, continuons… Concernant la mise en scène, celle-ci est réduite à un cube savamment et très joliment éclairé, en marge duquel se situent les chanteurs immobiles, et dans lequel se meuvent des danseurs correspondant aux avatars scéniques des personnages, chargés d'incarner l'action dramatique suivant une chorégraphie assez expressive mais peu convaincante esthétiquement. Ce jeu de miroir entre chanteur et danseur, chacun ayant son double, se reproduit également dans l'écriture vocale puisque le héros principal sera affublé de son double « hors scène »  chargé d'exprimer ses pensées intimes et ses émotions. L'intrigue repose essentiellement sur deux personnages, le savant Kelvin et sa femme Hari (hallucination, réelle présence ou manifestation énigmatique de la planète Solaris ?) qui réapparait dans la station dix ans après son suicide sur la Terre, suicide dans lequel Kelvin semble avoir une certaine responsabilité, voire culpabilité, ceci expliquant probablement cela ! De là découle les dialogues, souvent réduits à un verbiage pseudo scientifique et un mélodrame familial, tournant vite au dilemme moral, notre héros devant choisir de laisser vivre ou de faire disparaître pour toujours la femme que Solaris a ressuscité pour lui. Dilemme cornélien d'autant que se créent progressivement des rapports de séduction, de compassion et de tendresse entre mari et image de la femme… L'intervention d'un autre personnage, Snaut, résoudra ce problème en faisant disparaitre Hari, laissant Kevin seul désemparé au bord de l'océan…

 


©Vincent Pontet

 

La musique de Fujikura, quant à elle, paie un lourd tribu à l'héritage boulezien, intégrant intelligemment musique et silence (silence bien relatif en ces périodes hivernales où tousseurs et cracheurs sont légion, pendant lequel on peut bénéficier d'une projection vidéo en 3D d'un assez bel effet). Poétique, voire émouvante par instants, elle est parfaitement servie par des chanteurs hors pair, par les sonorités intergalactiques de l'Ensemble intercontemporain et par la direction précise de Erik Nielsen. Sonorisée, spatialisée, abondamment modifiée par l'électronique, elle finit à la longue par lasser…

 


©Vincent Pontet

                      

On aura bien compris l'extrême complexité de cet opéra où l'articulation des différents éléments opératiques (musique, vidéo, lumière, chorégraphie) ne peut obéir à une logique simplement additive, mais doit, bien au contraire, tendre vers une véritable unité, un réel syncrétisme, centré sur la dramaturgie directement assimilable par le spectateur Et c'est bien là que le bât blesse, car  d'unité il n'y en a pas, pas plus que de dramaturgie, nous laissant au bord de l'océan devant un immense et assez joli puzzle, avec une curieuse impression d'inabouti. Dommage, car cette création fourmille d'idées intéressantes… Les auteurs semblent simplement avoir oublié que selon la physiologie de base, la vraie, le cerveau peine à faire plusieurs choses à la fois…Trop de richesse finissant par nuire à la cohésion de l'ouvrage.

 

Patrice Imbaud.

 

David Afkham dirige l'Orchestre National de France

 


David Afkham / DR

 

Le public était venu nombreux sur les bancs de l'auditorium de Radio France pour assister à ce concert dirigé par une nouvelle étoile montante de la direction d'orchestre, le jeune chef trentenaire allemand, David Afkham dont on se souvient d'une Dixième Symphonie de Chostakovitch, bien menée, à la tête du même orchestre en 2010, au Théâtre des Champs-Elysées. Sachant le départ prochain de l'actuel directeur musical de l'ONF, Daniele Gatti, et la nécessité de lui trouver un remplaçant, tous les regards étaient donc tournés vers le podium… Ancien assistant de Valery Gergiev au LSO et de Bernard Haitink au Concertgebouw, David Afkham prendra ses fonctions de chef principal de l'Orchestre National d'Espagne cette année. Ceci n'empêchant pas forcément cela… Un programme construit de façon très classique. L'Ouverture de Coriolan de Beethoven, alternant tension et lyrisme, laissant à entendre une belle sonorité des cordes du National, une lecture toute en nuances, parfaitement en place sous la direction précise du chef allemand. Un Concerto pour violon de Brahms, interprété de façon propre mais sans panache par la violoniste russe Victoria Mullova qui nous avait souvent habitués à plus de fougue et de passion ; mais que dire d'original et de nouveau dans la lecture de ces œuvres du répertoire, certes magnifiques, mais rabâchées à longueur de concerts. Enfin, plus intéressant à tous points de vue, le rutilant Concerto pour orchestre de Bartok. Un exercice d'orchestre et de direction, s'il en est ! Un concerto créé en 1944 à New York, sous la baguette du dédicataire, Serge Koussevitzky, faisant intervenir simultanément ou successivement les différents pupitres dans une conception rappelant le concerto grosso, évoluant en cinq mouvements construits en arche autour d'un mouvement central élégiaque. Une orchestration savante témoignant d'un important travail sur les timbres, ambiguë, parfois dissonante, dansante, douloureuse ou mystique, sardonique et moqueuse, autant de climats que le National sut rendre avec éclat, notamment par la qualité superlative de la petite harmonie et des cuivres. David Afkham sut se monter maître du navire tout au long de la soirée, dans des exercices pourtant assez différents, usant d'une direction convaincante, limpide, efficace et pleine d'allant, capable d'entretenir l'attention et la cohésion de la phalange parisienne, avec une complicité certaine… Une affaire à suivre.

 

Patrice Imbaud.

 

Mariss Jansons : La maitrise absolue !

 


Mariss Jansons / DR

 

Le chef letton, élève de Karajan et de Mvravinski, est probablement, actuellement, un des plus talentueux chefs d'orchestre encore en activité. Son sens musical, son expérience, son charisme, sa capacité à transcender l'orchestre en font une personnalité d'exception. Son dernier passage à la Philharmonie de Paris, à la tête du Royal Concertgebouw Orchestra restera assurément dans les mémoires… Démarche rapide, un peu claudicante, le buste penché en avant et sourire aux lèvres, Mariss Jansons était visiblement pressé et heureux de retrouver, dans ce cadre exceptionnel, la mythique phalange néerlandaise qu'il dirige depuis 2004. Comme pour le Philharmonique de Berlin et Simon Rattle, il y a quelques jours, Gustav Mahler était au centre du programme avec la Symphonie n° 4, précédée du Bourgeois gentilhomme, suite pour orchestre de Richard Strauss. Une œuvre de Richard Strauss, initialement prévue comme devant faire partie de l'opéra Ariane à Naxos, puis secondairement retirée afin de poursuivre seule sa carrière, sous forme de suite de concert. Pour cette évocation de la France du XVIIe siècle, le compositeur utilisa un effectif de musique de chambre en se livrant à un pastiche de la musique de Lully, sans renoncer, toutefois, à une orchestration riche, toute en couleurs et en nuances typiquement straussiennes, faisant intervenir tous les pupitres de l'orchestre dans un jeu subtil et élégant. Des moments d'émotion pure, comme le duo violoncelle et harpe, pour une prestation parfaitement cadrée, guidée par la main complice de Mariss Jansons, qui permit d'entrée de jeu de juger de l'excellence des cuivres (cors et trompettes) et de la souplesse des  cordes (violoncelle et violon solos). En deuxième partie, la Symphonie n°4 de Mahler. La quatrième se démarque des symphonies précédentes par la réduction de l'effectif orchestral, (disparition des trombones), l'absence de chœur, l'absence de programme explicite mais elle s'inscrit  dans la continuité par la présence du  lied « Das himmlische Leben » (La Vie céleste) tiré du « Wunderhorn » autour duquel elle se construit. Elle comprend quatre mouvements, le premier réfléchi, à l'aise, innocent mais ambigu, interprété à l'époque comme un retour à Haydn, le deuxième inquiétant, comme si la mort conduisait le bal dans une danse satanique au son du violon accordé un ton trop haut, aux allures de crincrin, l'adagio suivant, à la fois divinement gai et infiniment triste confirme la figure de Janus de la quatrième symphonie : « une paix sacrée, solennelle, une gaité sérieuse et tendre….mais aussi une tristesse profonde …comme des réminiscences de la vie terrestre »  enfin, en conclusion,  la « Vie céleste » s'affirme comme l'aboutissement de l'œuvre entreprise dans la troisième symphonie, nous rappelant à la fois  la vie céleste et le monde de l'enfance. Mahler confirme par ce Lied que l'accès au royaume du ciel est possible même s'il existe plusieurs chemins pour la maison du Père, même si les joies du Paradis sont ici d'essence bien terrestre. La Quatrième symphonie a posé bien des problèmes d'interprétation lors de sa création, elle correspond à la fin d'une  première étape dans la construction mahlérienne, le compositeur se retourne pour apprécier l'ampleur du travail accompli. Comme l'affirme Max Graf, cette symphonie doit être lue à l'envers, son programme caché se révèle : un voyage dont le but est l'innocence. Si Simon Rattle avait choisi, délibérément, une lecture très engagée de la Deuxième symphonie dite « Résurrection », Mariss Jansons, quant à lui, privilégia une vision peut-être plus émouvante, plus éthérée, se déroulant sans heurt dans un tempo parfois assez lent, nous laissant entrevoir au lointain ce moment d'éternité bouleversant qu'est l'adagio, avant de conclure sur la remarquable prestation de Dorothea Röschman dans le Lied final. Certes le timbre corsé de la soprano allemande est, ici, tout sauf céleste, mais la diction, la ferveur, l'engagement, la projection et la souplesse de la ligne de chant forcent l'admiration, avant que la partition ne se referme sur la lumière et le silence, dans une atmosphère « presque religieuse » comme le souhaitait Mahler. Un concert mémorable et bouleversant ! Un orchestre d'exception pour un chef d'exception !

 

Patrice Imbaud.

 

Un Voyage à Reims plein d'espoir(s) et de talents(s) au CNSMDP

 

Gioacchino ROSSINI : Le Voyage à Reims ou l'Hôtel du Lys d'or.  Opéra en un acte. Livret de Luigi Balocchi. Élèves du département des disciplines  vocales du CNSMDP. Orchestre du conservatoire, dir : Marco Guidarini. Mise en scène : Emmanuelle Cordoliani.

 


©Ferrante Ferranti / CNSMDP

 

Une fois par an, le Conservatoire National Supérieur de Musique et de Danse de Paris (CNSMD) propose, en collaboration avec la Philharmonie, une grande production lyrique qui permet aux élèves, chanteurs, danseurs et musiciens, de parfaire leur apprentissage de la scène en se confrontant aux conditions réelles qu'ils rencontreront à la fin de leurs études. Cette année, c'est le Voyage à Reims de Gioacchino Rossini qui a été choisi. Un opéra créé en 1825 au Théâtre Italien à Paris, appartenant au genre peu fréquent de l'opéra prétexte que caractérise une succession de morceaux de bravoure où chaque protagoniste peut étaler ses dons vocaux et de comédiens, les numéros individuels alternant avec de nombreux ensembles vocaux. Une œuvre idéale pour ce type de représentation, du fait du caractère pléthorique de la distribution, pas moins de dix huit personnages, la musique exigeant des performances vocales spectaculaires, bel canto oblige, et le livret de Luigi Balocchi, inspiré librement du roman Corinne de Madame de Staël, offrant une grande liberté d'interprétation, ce dont ne se privera pas Emmanuelle Cordoliani, chargée de la mise en scène. Force est de reconnaitre que le public curieux qui assista à cette représentation ne regretta pas sa soirée tant l'enchantement fut grand…On fut d'emblée frappé par le professionnalisme étonnant et le talent des ces jeunes interprètes, sur la scène comme dans la fosse, où l'orchestre du Conservatoire dirigé par Marco Guidarini fit des merveilles (des vents superbes…). La mise en scène intelligente, utilisant habilement un deuxième niveau de lecture en intégrant le roman, ne fut pas en reste, parvenant à maintenir l'intérêt du spectateur de bout en bout malgré l'insignifiance du livret, modifiant le cours de l'opéra pour y intégrer de façon tout à fait pertinente des pièces de Luciano Berio, comme un magnifique duo mezzo-violoncelle, des citations de Cabaret, ou encore des airs de Bel Canto, des mélodies françaises, des chants espagnols et le « God Save The Queen ». Sur scène tout fut prétexte à la musique et à la farce, une scénographie agréable, un jeu d'acteur totalement décomplexé, une distribution vocale homogène en qualité, avec un coup de cœur pour l'exceptionnelle  prestation de la mezzo soprano Eva Zaïcik dans le rôle de la marquise Mélibée, tessiture étendue, timbre chaud, aigus solaires, graves profonds, souplesse de la ligne de chant, puissance, diction claire, absence de vibrato… sans oublier le reste de la distribution, Pauline Texier (Corinne) YouMi Kim (Contesse de Folleville) Axel Fanyo (Mme Cortese) Fabien Hyon (Belfiore) Benjamin Woh (Liebenskof) Florian Hille (Don Profondo) Romain Dayez (Trombonok) Aurélien Gasse (Alvaro) Igor Bouin (Dr Prudenzio) et Arnaud Guillou (Lord Nelvil) déjà confirmé depuis quelques années. Bref, une soirée ébouriffante de joie, enthousiasmante et rassurante pour l'avenir, intelligente et originale dans sa réalisation. Bravo  à tous!

 


©Ferrante Ferranti / CNSMDP

 

Patrice Imbaud.

 

Roméo et Juliette de Berlioz : François-Xavier Roth dans la juste mesure.

 


François-Xavier Roth / DR

 

On connait l'attachement de Berlioz pour Shakespeare, l'actrice Harriet Smithson qui interpréta les rôles d'Ophélie et de Juliette à l'Odéon, qu'il admira d'abord et qu'il épousa ensuite en 1833 ne fit probablement qu'entretenir ce lien fervent. Décriée par certains, adulée par d'autres, Roméo et Juliette est assurément une œuvre originale, déroutante par sa forme tenant de l'oratorio, de la cantate, de la symphonie et de l'opéra, tout cela regroupé sous le vocable de Symphonie dramatique, de Symphonie avec chœurs, ou encore plus précisément de Symphonie narrative. Composée en 1839 sur un livret en prose du compositeur, secondairement mise en vers par Émile Deschamps, cette œuvre fut créée au conservatoire par 100 musiciens et 101 chanteurs sous la direction de l'auteur, grâce à la générosité de Paganini à qui elle fut dédiée. Admirée par Wagner, sa structure est complexe. Elle débute par une première partie contenant Prologue, Strophes et Scherzetto qui constituent un résumé de la partition, où interviennent un chœur réduit, les solistes (mezzo et ténor) et l'orchestre (fanfare, harpe et violoncelles) traduisant déjà tout le génie et la délicatesse de l'orchestration berliozienne. Vient ensuite une longue deuxième partie purement instrumentale, sorte de poème symphonique brillant et émouvant où s'expriment successivement la Tristesse de Roméo (cantilène du hautbois), les Bruits lointains de concert et de bal, la Fête chez les Capulets, puis la Nuit sereine, les Jardins déserts et la Scène d'amour dans un dialogue orchestral sublime entre les deux amants, chef d'œuvre indiscutable d'une ardente et sombre beauté, exprimée par les cordes et la petite harmonie, interrompu par le scherzo de a Reine Mab, la fée des songes, à l'orchestration complexe, inventive et ciselée, associant cordes divisées, cor anglais, cor en fanfare lointaine, cymbales et harpes dans une atmosphère fantastique. La troisième partie commence par le Convoi funèbre (basson et cordes graves) de Juliette qui ramène les voix sur scène, suivi de Roméo au tombeau des Capulets, d'un réalisme violemment évocateur, morceau purement instrumental alternant avec des silences, empreint d'une émotion tragique et de joie mêlée, traduisant les retrouvailles frénétiques précédant la mort et l'agonie des deux amants exprimée dans les soubresauts répétés des violons et le soupir du hautbois. Le Final conclut l'œuvre d'une façon un peu grandiloquente (chœur divisé, orchestre, cuivres et basse) donnant toutefois à entendre la longue et très belle tirade de Frère Laurent, précédant la réconciliation des deux familles dans une imposante fresque vocale. Que dire de l'interprétation de François-Xavier Roth sinon qu'elle nous enchanta de bout en bout, donnant de cette œuvre éminemment complexe, voire décousue pour certains, une lecture cohérente, équilibrée, allégée, presque « chambriste ! » toute en nuances, en dégradés, en couleurs orchestrales mêlant réalisme, émotion et rêve, faisant sonner tout en délicatesse son orchestre « Les Siècles » constamment dans la juste mesure, dans le ton comme dans les notes. Une formation orchestrale unique au monde qui présente comme particularité de jouer sur des instruments « historiquement appropriés » d'où cette sonorité  ui en aucun cas n'agresse, aidée en cela par l'acoustique extraordinaire de la Philharmonie de Paris et la direction intelligente du chef français. La disposition particulière des différents pupitres, semblant répondre aux souhaits de Berlioz, la division des chœurs d'où un effet de spatialisation des voix, la qualité du Chœur Aedes et celle des solistes, Isabelle Druet (mezzo) Jean-François Boras (ténor) et Jérôme Varnier (basse) ne faisant que rajouter à la fête. Un beau succès largement mérité !

 

Patrice Imbaud.

 

Anniversaire d'orchestre

 


DR

 

L'orchestre des pays de Savoie a trente ans…  Bien que n'étant pas chambérien lorsque Patrice Fontanarosa l'a créé en 1984, j'ai suivi cet orchestre sous les baguettes diverses postérieures : La houlette expérimentée de Tibor Varga, l'autorité un peu distante de Mark Foster, la direction chorégraphique de Graziella Contratto, et celle, scrupuleuse, de Nicolas Chalvin. C'est ce chef, ancien assistant d'Armin Jordan, qui nous proposait, avec cet orchestre de type Haydn qu'il dirige depuis 2009 (augmenté pour la circonstance, comme c'est souvent le cas, de quelques vents comme l'excellent clarinettiste Gilles Vuillerme), une soirée «enfants prodiges ». Prodige n'est pas prodigue et j'avoue être resté un peu sur ma faim de sensibilité et de don de soi… En associant Michael Barenboim, Mozart et Mendelssohn comme « trois enfant prodiges », pour justifier le titre du concert, le rédacteur du site de l'orchestre paraît pousser un peu loin le bouchon ! Franchement, quitte à honorer des jeunes talents, on préfère le choix de la programmation de l'orchestre du 11 avril prochain, à la Grange au lac d'Evian, qui verra se produire la très charmante et douée flûtiste Mathilde Caldérini, premier prix Kobé, ancienne élève de la classe à horaires aménagés du lycée Vaugelas de Chambéry. Le très célèbre concerto pour violon de Mendelssohn a été enlevé, comme l'aurait été un programme de prix de conservatoire, sans plus. Et j'avoue ne pas avoir vibré à la communion qui aurait dû s'instaurer entre l'orchestre et le soliste. Des vibrations, j'en ai pourtant eu à satiété dans l'œuvrette de Tôn-That Tiêt, Aurore de Savoie, écrite spécifiquement pour l'orchestre et créée ce soir-là. Je parle de vibrations dues aux nombreux trémolos et vibratos dont le compositeur vietnamien a truffé sa partition. Une sorte de petit concerto d'orchestre, où chacun, y compris le chef, a pu montrer ses qualités techniques. Une certaine finesse s'est sans conteste dégagée de cette pièce. Si la 41ème de Mozart recueillit l'adhésion du public, c'est plus grâce à l'enthousiasme communicatif des deux jeunes violoncellistes, dont le premier violoncelle de la formation, Noé Natorp, que par la vision originale du chef, et les sourires (plus que rares) de cet orchestre d'un professionnalisme pourtant évident.

 

Philippe Morant.

 

Concert de guitares à l'Orangerie de Rochemontès

 


Duo Mélisande / DR

 

Classé au titre des monuments historiques, le domaine de Rochemontès, à Seil en Haute-Garonne, est constitué d'un ensemble de bâtiments datant des XVIIe et XVIIIe siècles entouré d'un parc à la française. Ce lieu privé possède un château de style Louis XIII avec ses quatre tours en brique, si caractéristiques de la région, et domine la Garonne. C'est dans la superbe orangerie de ce domaine, construite au XVIIIème siècle, que Catherine Kauffmann-Saint Martin organise des concerts à partir du mois de mars. Cette année, c'est le duo Mélisande qui a ouvert la saison. Ces deux jeunes et brillants guitaristes avaient donné un récital au mois de novembre 2014 à la salle Cortot à Paris (cf. NL de 11/2014). Devant un public attentif et nombreux ils ont interprété une transcription pour deux guitares des Variations Goldberg de Jean Sébastien Bach. Ces variations sont une de ses œuvres les plus connues. On en trouve des extraits dans des génériques d'émissions, dans de nombreux films, des jeux vidéo, et ils sont même à l'origine de tubes pop ! Le titre de ces variations viendrait d'un élève claveciniste de Bach et de son fils Wilhelm Friedman, du nom de Johann Gottlieb Goldberg qui les aurait interprétées à son maître le comte Keyserling à qui elles étaient dédiées. Elles ont été écrites pour clavecin (on ne compte plus le nombre d'enregistrements sur cet instrument), mais de nombreuses versions jouées au piano sont devenues des références (Gould, Kempff, Turek, Angelich, Perahia..). Au XXième siècle, elles ont été transcrites pour orchestre, pour harpe, en trio, en quatuor et même en version jazz. C'est le lot des œuvres très célèbres. Leur construction, comme dans de nombreuses œuvres de Bach, a des rigueurs mathématiques. À partir de l'Aria introductive, une sarabande lente et ornée, fondée sur le motif de basse très répandu de la gagliarda italiana (gaillarde italienne), Bach crée un univers en développement, qui regroupe de nombreux styles musicaux : canons, fugues, gigues, chorals…. Ce développement se compose de trente variations, séparées en deux grandes parties de quinze morceaux, la seconde partie commençant par une ouverture. Après ces trente variations, Bach clôt le cycle par une réitération de l'Aria, laissant suggérer que rien n'est achevé. Cette transcription contemporaine est la plus acceptable du fait du passage du clavecin à la guitare. On est dans la corde pincée et la relation entre ces deux instruments paraît plus judicieuse que ce qui advient d la transcription du clavecin au piano ou pour d'autres instruments. Il existe même une transcription pour saxophone ! Quoique la facture de la guitare ajoute des difficultés supplémentaires en terme de technique de jeu. On s'en rend compte lorsqu'on assiste à l'interprétation en direct. Il y a des variations qui paraissent extrêmement compliquées en terme de positionnement des doigts et on est fortement impressionné lorsqu'on voit ces deux jeunes gens les interpréter. Sans forcer le trait, ils demandent à l'auditeur toute leur attention. C'est avec beaucoup de douceur qu'ils entrent dans l'aria. On n'est pas dans une œuvre baroque, on est plutôt dans une œuvre romantique par certains aspects de la transcription et même parfois dans une écriture totalement contemporaine. Il faut oublier le matériau sonore d'origine. C'est une composition totalement neuve pour guitares qu'il faut écouter comme telle. Pendant l'exécution de cette œuvre, on ressent que ces deux artistes se connaissent parfaitement et qu'il existe, malgré toute la concentration que demande la partition de ces variations, une sorte d'aisance, de décontraction, qui donne à penser que cela est aisé de jouer Bach. Que nenni ! Tout le paradoxe de ce compositeur est bien là. Combien de talent faut-il posséder pour donner une telle impression.

 

Le concert a été enregistré par la société CLC productions, habituée à capter de la musique classique et le parti pris du réalisateur nous donnera à voir, dans le DVD, par son principe filmique du tout en très gros plans, l'hyper concentration de ces artistes et la légèreté qui s'en découle. En deuxième partie, les œuvres de Turina (Cinq Danses Gitanes) et d'Albéniz (Tango et Mallorca), transcriptions du piano, paraissaient plus légères dans leur composition mais tout aussi complexes à interpréter. Là, l'instrument et le répertoire espagnol étaient en phase. Les guitares chantaient sous les doigts de Sébastien Llinares et de Nicolas Lestoquoy. Le soleil était de la fête même s'il pleuvait sur les jardins de Rochemontés.

 

Stéphane Loison.

Les Musiciens et la Grande Guerre : Préscience-Conscience

 


Marc Mauillon & Anne Le Bozec / DR

 

Il y a de grosses institutions étatiques ou d'autres aussi imposantes qui reçoivent beaucoup d'argent de l'État pour offrir tous les soirs des concerts convenus avec, il est vrai, des artistes de grands talents. Mais heureusement il y en a d'autres, plus inventives, qui arrivent par mécénat à faire aimer la musique autrement, à soutenir de jeunes talents, et surtout à faire un travail d'éducation auprès d'un public jeune qui ne va pas souvent ou pas du tout au concert. C'est le cas des « Pianissimes » dirigés depuis dix ans par Olivier Bouley et qui donnent un coup de jeune dans le classique ! Ce 18 mars 2015, au Couvent des Recollets, c'était encore « the place to be ! ». A deux pas de la Gare de l'Est, ce couvent avait été, pendant la Grande Guerre, transformé en hôpital militaire. Curieux hasard, le récital donné par Marc Mauillon et Anne Le Bozec se voulait un hommage aux compositeurs de toutes nationalités, morts au combat très jeunes, ou qui ont écrit des œuvres, à cette époque, en correspondance avec ce qu'ils vivaient. La plupart sont restés inconnus n'ayant pas eu le temps de se faire reconnaître. L'australien Kelly, mort au combat, les allemands Stefan, Jürgens morts au combat, le belge Antoine, mort au combat, l'anglais Butterworth, mort au combat, le français Halfen, mort au combat, l'anglais Gurney gazé qui ne s'en remettra jamais et mourra dans un hôpital psychiatrique, le français Caplet qui gazé, arrêtera sa carrière de chef d'orchestre, le français Février et le tchèque Shulhoff qjui combattirent l'un contre l'autre. Ce dernier dans l'armée autrichienne ! Il mourût dans un camps de concentration en 1942 ! Ravel, Debussy, Boulanger, Hahn, Roussel, ont écrit des mélodies en rapport avec cette boucherie. C'est dans un silence quasi religieux, avec une présence importante de jeunes lycéens que le duo Mauillon-Le Bozec a interprété des mélodies, des Lied de ces compositeurs. Il n'y a pas assez de superlatifs pour dire combien ce récital a été exceptionnel. Marc Mauillon, baryton Martin magnifique qui chante aussi bien le baroque que Dusapin ou Strasnoy, en passant par Debussy, Purcell, Lully, nous a bouleversé par son sens de la mélodie, son phrasé, sa parfaite diction et la force qu'il met dans ces œuvres très courtes mais au combien intenses. Anne le Bozec, une des très grandes accompagnatrices vocales, soutenait, participait, communiait, avec Mauillon pour être à l'unisson. Rarement un duo nous a si totalement enchanté et ému. Inutile de dire le triomphe que lui a fait le public du Couvent des Recollets à la fin du récital.

 

 

Heureusement, les Éditions Hortus, encore une petite institution qui sait gérer autrement, ont pour la commémoration de la Guerre 14-18, mis sur le chantier une collection de CD, « Les Musiciens de la Grande Guerre », en plusieurs volumes (dix sont déjà parus), dont  le N° 4 est consacré aux mélodies que nous avons pu entendre lors de ce concert (Hortus CD 704). Ils étaient jeunes et l'avenir leur semblait radieux, ils étaient belges, allemands, anglais, australien, allemands ou français, ils ont exprimé à la veille du conflit, dans leurs mélodies, avec un sens prémonitoire impressionnant, à la fois la nostalgie d'un temps heureux révolu, la confrontation avec des thèmes éternels comme la vie, l'amour, la mort. Savaient-ils que leurs vies allaient être ravagées ? Les survivants, tentant de surpasser amertume et tristesse, trouvèrent la force de chanter l'espoir ou la paix qu'ils croyaient retrouver. Debussy, Boulanger n'ont jamais su la fin de cette immonde histoire. Marc Mauillon et Anne Le Bozec, avec tout leur talent conjugué, cent ans après, ont fait revivre ces jeunes compositeurs au Couvent des Récollets et avec ce disque indispensable.

 

Stéphane Loison.

 

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L'ÉDITION MUSICALE

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OPERA – COMEDIE MUSICALE

 

Bernard COL (musique), Bernard COL et Cécile PRUNET (scénario et livret) : Juan et le Talisman brisé.  Opéra pour chœur d'adolescents et voix solistes. Delatour : DLT2505.

Présentée comme assez facile, cette œuvre devrait connaître un grand succès car si on a maintenant un répertoire assez important pour les chœurs d'enfants, peu de choses ont été écrites pour chœur d'adolescent. On pourra trouver tous les détails concernant cette œuvre sur le site de l'éditeur. Disons simplement que l'histoire est une sorte de tragi-comédie dont le dénouement n'est pas sans rappeler celui du Cid de Corneille ("Dieu !" soupire à part soi la plaintive Chimène, qu'il est joli garçon l'assassin de Papa !"). L'œuvre a donc tout pour séduire. L'écriture en est à la fois moderne et… pédagogique. On sent que l'auteur est un homme de terrain !

 

 

 

CHANT

 

Guy SACRE : Cinq Poèmes d'Apollinaire  pour Baryton et piano. Symétrie : ISMN 979-0-2318-0744-8.

L'éditeur nous précise que Guy Sacre n'appartient à aucune école… mais c'est pour notre plus grand plaisir ! Après avoir longuement hésité, l'auteur a écrit ce petit cycle dont il a senti « la cohérence, le climat de mélancolie et de regret ». La musique fait corps avec les poèmes à la fois présente et discrète.

 

 

 

Guy SACRE : Cinq poésies de Georges Schehadé  pour voix moyenne et piano. Symétrie : ISMN 979-0-2318-0022-7. Trois poésies de Georges Schehadé  pour voix moyenne et piano.  ISMN 979-0-2318-0024-1.

Ces deux recueils sont consacrés à la mise en musique de poésies de Georges Schéhadé, poète et auteur dramatique libanais de langue française, né en 1905 et mort à Paris en 1989. On retrouve dans ces deux recueils toutes les qualités de simplicité mélodique et de raffinement harmonique de Guy Sacre. Bien que les poèmes soient du même auteur, le compositeur a bien écrit deux cycles qu'on se gardera bien, selon son désir, de mélanger. Chaque recueil forme un tout indivisible.

 

 

 

CHANT CHORAL

 

Max D'OLLONE : L'Été  sur un poème de Victor Hugo. Chœur et orchestre. Réduction pour voix et piano de Franck Villard. Symétrie : ISMN 979-0-2318-0630-4.

Cette pièce écrite en 1894 par Max D'Ollone (1875 – 1959) pour le concours du Prix de Rome, est évidemment une œuvre de jeunesse, mais qui, malgré le côté académique requis, est fort belle et est bien loin de manquer d'intérêt. On en jugera par l'extrait disponible sur le site de l'éditeur, dans la version voix et orchestre, qui a fait l'objet d'un enregistrement. Cette version originale est également disponible chez l'éditeur.

 

 

 

Camille SAINT-SAËNS : Chœur de sylphes  sur un poème d'Etienne de Jouy. Réduction pour voix et piano de Vincent Boyer. Symétrie : ISMN 979-0-2318-0466-9.

Comme l'œuvre précédente, il s'agit d'une composition de 1852 en vue du Grand Prix de Rome. Là encore, le côté « obligé » de la composition ne nuit en rien à sa qualité musicale. On en jugera par l'extrait de l'enregistrement qu'on peut écouter sur le site de l'éditeur. Saint-Saëns rend parfaitement le caractère léger et dansant des célèbres sylphes… Il est bien agréable de découvrir des œuvres de cette qualité.

 

 

 

PIANO

 

Julian Rowlands : Klezmer Piano Collection. 22 tunes from the Klezmer and Yiddish traditions pour piano solo. Niveau moyen. 1 vol. 1 CD. Schott : ED 13678.

Voici un volume très attachant et très bien réalisé. En plus des vingt-deux pièces présentes dans ce recueil, on y trouve un aperçu de l'histoire de la musique juive d'Europe de l'Est ainsi que des notes détaillées, fort utiles, sur ces musiques et la manière de les interpréter. Ajoutons que le CD, enregistré par l'auteur, est à lui seul le meilleur exemple d'interprétation !

 

 

 

Carsten GERLITZ : Schellack-Hits & Evergreens. 16 inoubliables mélodies. 1 vol. 1 CD.  Moyen. Schott : ED 22287.

Comment ne pas craquer devant ces airs internationalement connus des années vingt, trente et quarante où l'on retrouve Ce n'est qu'un rêve, un joli rêve, Lili Marlène, Je t'ai donné mon cœur et tant d'autres…Ajoutons que les arrangements sont faits avec beaucoup de goût : une légère modernisation laisse cependant intacte les harmonies et les rythmes originaux. Voici une réussite totale qu'on pourra tout simplement écouter grâce au délicieux CD qui est joint à l'album, enregistré par Carsten Gerlitz lui-même.

 

 

 

Karel HUSA : Concertino pour piano et orchestre op. 10. Réduction pour deux pianos. Schott : ED 22028.

Voici une œuvre très attachante de ce compositeur tchèque né en 1921 qui l'a écrite lors de son séjour à Paris où il a étudié avec Arthur Honegger et Nadia Boulanger. On pourra en écouter la version avec orchestre à https://www.youtube.com/watch?v=Stcoi1yvySM

Trois mouvements se succèdent : Allegretto moderato, Moderato molto et Allegretto moderato. La version pour deux pianos ne peut que difficilement rendre compte de la richesse et de la délicatesse de l'orchestration. Mais la poésie, la fougue et la truculence de l'œuvre s'y retrouvent pleinement.

 

 

 

Léonard BERNSTEIN : Complete anniversaries for piano. Boosey & Hawkes : BHI24675.

Voici réunies en un seul volume les quatre recueils d' « anniversaries » composés entre 1942 et 1988 en l'honneur de personnalités amies. On ne peut ici détailler ces quatre recueils qui font au total cinquante courtes pièces d'une grande beauté. Il faudra les déguster une par une pour en gouter tout le charme et toute la diversité.

 

 

 

Nicolai KAPUSTIN : Sonate n° 11, « Twickenham » op. 101 pour piano. Schott : 56 199.

 Né en 1937, ce compositeur a écrit de nombreuses sonates pour piano et pas moins de six concertos. Cette sonate, composée en 2000, comporte trois mouvements : Allegretto, Larghetto et Agitato. Elle allie une structure classique à un langage harmonique et rythmique essentiellement emprunté au jazz. L'œuvre est évidemment difficile techniquement mais mérite pleinement l'effort qu'elle demande car elle est d'une très grande richesse d'invention et de lyrisme.

 

 

 

Arletta ELSAYARY : Kaléidoscope  pour piano. Préparatoire. Lafitan : P.L.2845.

Voici effectivement une pièce aux multiples facettes qui se succèdent dans un rythme rapide évoquant parfois celui de la samba. L'une des facettes possède un côté un peu mélancolique à cause du ré mineur dominant.

 

 

 

Anne-Virginie MARCHIOL : La vallée des fleurs  pour piano. Elémentaire. Lafitan : P.L.2843.

De forme ABA, cette vallée des fleurs ne manque pas de charme. Après une première partie légère en forme de valse, soudain, le vent se lève en 4/4 pour un passage mouvementé et haletant, puis le vent s'apaise et la jolie valse du début revient et s'évanouit lorsque survient le crépuscule. Le tout est bien agréable.

 

 

 

Christine MARTY-LEJON : Incertitudes  pour piano. Préparatoire. Lafitan : P.L.2846.

L'œuvre commence par cette citation d'Alfred de Musset : « L'inquiétude est, de tous les tourments, le plus difficile à supporter » et elle se termine par cette autre citation, cette fois-ci du poète, littérateur et diplomate québécois Robert Choquette « Au cœur de l'incertitude, il y a toujours l'espoir, si fragile soit-il ». A chacun de sentir ce qu'exprime cette pièce, comprenant une partie très affirmative enchâssée entre deux valses pleines… d'incertitudes ! Le tout est fort joli et plein de poésie et de délicatesse.

 

 

 

Alain QUERLEUX : Une petite romance  pour piano. Elémentaire. Lafitan : P.L.2970.

Certes, il s'agit d'une romance, mais pas à l'eau de rose ! Les changements de mesure, de rythme, de paysage sonore font de cette romance une expression de toutes les passions. Le jeune interprète devra s'y livrer avec passion, mais le résultat sera à la hauteur des efforts consentis ! L'ensemble est tourmenté et romantique à souhait !

 

 

 

Michaël SEBAOUN : Trois préludes  pour piano. Assez difficile. Delatour : DLT2498.

Ecrits entre 1999 et 2001, ces trois préludes ont chacun leur caractère. Tandis que le premier forme une succession d'accords ponctués par moments par des basses, le deuxième égrène de lentes doubles croches d'où émerge une mélodie. Le troisième « In memoriam Chopin » s'inspire librement d'une forme familière à ce dernier, avec une mélodie de main droite suspendue au-dessus de longs arpèges en aller et retour de la main gauche. Le tout est plein de poésie et conforme à la délicatesse d'écriture de l'auteur.

 

 

 

Wilhelm CRAMER : Lydia Quadrille.  Transcription de Jean-François Pailler pour piano à quatre mains. Moyenne difficulté. Delatour : DLT2483.

Quel qu'étonnant que soit le fait que cette pièce ait pu être écrite à la fin du XVIII° siècle, ne boudons pas notre plaisir ! Cette transcription à quatre mains d'un original à six mains est bien plaisante et les classes de piano devraient avoir un grand plaisir à travailler les différentes pièces de ce quadrille à la française, genre qui fit les beaux jours des salons, du premier empire à la fin du second et même sous les débuts de la troisième république ! La transcription est tout à fait réussie et on pourra l'écouter in extenso sur le site de l'éditeur ou sur You tube.

 

 

 

VIOLON

 

Gualtiero DAZZI : La mémoire du soleil.  Violon et piano. Assez difficile. Dhalmann : FD0458.

On ne peut que citer ce que l'auteur dit lui-même de son œuvre : « L'œuvre commence dans un climat suspendu, baigné par la lumière matinale d'une mélodie qui se déploie et devient de plus en plus lyrique et dramatique. Cette ligne, tendue et sans résolution harmonique, guide l'écoute vers une deuxième section où la partie de piano se « souvient » dans sa figure rythmique du premier Intermezzo de l'opus 117 de Johannes Brahms. Puis une brève section cite, toujours au piano, quelques fragments de mon Tombeau de Claudio Abbado. Enfin, les deux instruments retrouvent le climat apaisé du début de l'œuvre, tout en citant le début de ma pièce pour violon seul Au seuil du sens. ». Ajoutons seulement que l'ensemble est à la fois lyrique et poétique, et devrait séduire ses interprètes.

 

 

 

Jean-Christophe ROSAZ : Cantilena una e due  pour violon seul. Assez facile. Delatour : DLT2423.

Comment mieux que l'auteur décrire ces deux petites pièces : « J'ai choisi ce titre de « cantilène » pour sa douce sonorité qui évoque la dimension rêveuse du monde de l'enfance. Ces deux chansons sont deux petites pièces destinées aux élèves de violon possédant déjà une bonne technique. Elles sont pareilles à deux sortes d'êtres fantastiques tout droit sortis des légendes, pour la première un gnome facétieux, dans la seconde un troll des forêts plus fantasque que l'on tente de saisir sans jamais y parvenir, une allégorie ludique de la musique qui toujours nous échappe. » Il suffira de susciter l'imagination des jeunes interprètes pour qu'ils puissent exprimer tout le contenu émotionnel qui se trouve derrière les notes.

 

 

 

ALTO

 

Kurt SASSMANNSHAUS : Konzertstücke für bratsche und klavier  (Choix de Pièces de concert pour alto et piano). Bärenreiter : BA 9697.

Grieg, Fauré, Dvořák, Wieniawski figurent en bonne place dans cet album de pièces qui pourront aussi servir de « bis » dans des récitals. Le choix est à la fois éclectique et judicieux et rendra service aux altistes tout en leur faisant découvrir d'autres pièces moins connues mais non moins intéressantes.

 

 

 

FLÛTE A BEC

 

Jean-Christophe ROSAZ : Three wise monkeys  pour 3 flûtes à bec ténor. Delatour : DLT2474.

Commandée et créée par le « Polyphonica Ensemble » en août 2013 en l'église Saint Merry à Paris, cette œuvre évoque en trois parties la sculpture japonaise attribuée à Hidari Jingoro (1594-1634) dans le sanctuaire Tōshōgū à Nikko (Japon). Kikazaru (sourd), Mizaru (l'aveugle) et Iwazaru (muet) : les noms de ces trois singes, qui couvrent de leur main la partie du visage correspondante, signifient littéralement: «Je n'entends pas ce que je ne devrais pas entendre", "je ne vois pas ce que je ne devrais pas voir » et « je ne dis pas que je ne devrais pas dire ".

Le propos de l'auteur a donc été de suggérer par une musique à la fois légère et spirituelle qui convient parfaitement aux trois flûtes à bec le caractère à la fois philosophique et malicieux de cette maxime de sagesse chère à Gandhi. On pourra écouter l'œuvre intégralement, lors de la création, sur le site de l'éditeur ou sur You tube.

 

 

 

CLARINETTE

 

Marie-Luce SCHMITT : A l'Opéra  pour clarinette et piano. Fin de 2ème cycle. Lafitan : P.L.2789.

Construite sur plusieurs thèmes dont on pourra rechercher l'origine, cette pièce met en œuvre toute la musicalité et la beauté du timbre de l'instrument dans une évocation de l'Opéra tout à fait réussie.

 

 

 

SAXOPHONE

 

Jean-Philippe RAMEAU : Concert Rameau.  Suite extraite de ses opéras pour quatuor de saxophones. Arrangement : Jean-Louis Couturier. Sempre più : SP0144.

Quelle excellente idée que cet arrangement sorti à point nommé pour l'année Rameau mais dont l'intérêt dépasse de beaucoup cette occasion. On a trop souvent oublié l'importance de Rameau à la fois comme compositeur et comme théoricien. Ce sera une excellente occasion de faire découvrir ce musicien à des instrumentistes qui risqueraient autrement de ne jamais le connaître « de l'intérieur » c'est-à-dire en s'appropriant vraiment sa musique. La transcription, très bien réalisée, est d'une grande fidélité. Airs connus et moins connus se succèdent. Rappelons que le quatuor est composé d'un soprano, d'un alto, d'un ténor et d'un baryton.

 

 

 

TROMPETTE

 

Roland CHAGNON : La mélo-mélodie  pour trompette en ut et piano.   Moyen. Delatour : DLT1814.

Cette « mélo-mélodie », comme l'indique son titre, est pleine de surprises, mélodiques, harmoniques, rythmiques… Il y faudra beaucoup d'intelligence musicale pour passer en quelques mesures d'un paysage à un autre pour terminer par un fff  jeté sans ralenti à la tête et aux oreilles de l'auditeur. L'ensemble est bien réjouissant et fait appel à toutes les qualités des deux interprètes.

 

 

 

COR

 

Anthony de WARENS : Andantino misterioso  pour cor naturel en mib et piano. 3ème cycle. Sempre più : SP0151.

Cette pièce de facture classique est bien tonique et bien réjouissante. Elle comporte une cadence du plus bel effet. Le titre résume pleinement le contenu. Il y a beaucoup de plaisir en vue tant pour l'interprète que pour les auditeurs.

 

 

 

Pascal PROUST : Un jardin japonais  pour cor et piano. Fin 1er cycle. Sempre più : SP0125.

Les paysages se succèdent avec bonheur dans ce jardin. La promenade commence « Maestoso » puis se poursuit andante et allegro avant de revenir à une fin plus apaisée. L'ensemble est empreint de poésie et de lyrisme. Le tout est fort agréable.

 

 

 

Claude-Henry JOUBERT : Fanfare, choral et final.  Divertissement pour 3 cors en fa ou un ensemble de cors multiple de 3. 2ème cycle. Sempre più : SP0154.

Voici un triptyque fort bienvenu. A une brillante fanfare succède un choral qui évoque évidemment le grand Jean-Sébastien. Sans doute sera-t-il nécessaire de faire entendre aux élèves quelques chorals bien choisis pour qu'ils soient capables de suivre les conseils de l'auteur (nuances et phrasés sont à la discrétion des interprètes) avec un minimum de discernement… On s'estimera heureux s'ils ne disent pas « qu'une chorale, ça s'écrit avec un e ». Quant au final, « joyeux », il réjouira, n'en doutons pas, les jeunes interprètes.

 

 

 

Charles-Ferdinand DUBOIS : Concerto de cor simple  pour cor naturel (ou cor chromatique) et piano. Restitution : Jean-Louis Couturier. 3ème cycle. Sempre più : SP0118.

Cet auteur prolixe de la fin du dix-neuvième siècle (1849-1899) a surtout écrit de la musique « de genre », polkas, quadrilles, mazurkas (y compris une mazurka électorale…) mais aussi un concerto pour cor et piano. C'est ce concerto qui nous est restitué ici. Les différents mouvements s'enchaînent sans interruption, avec des caractères variés. Le piano, véritable orchestre, n'est pas un simple accompagnateur mais prend sa part comme il est normal dans un concerto. L'ensemble s'écoute avec un intérêt certain.

 

 

 

PERCUSSIONS

 

David LEFEBVRE : Together  pour ensemble de percussions. Collection « Petits ensembles ». Moyen. Lafitan : P.L.2815.

Cet ensemble dans lequel seules les timbales jouent le rôle d'instrument mélodique est donc essentiellement basé sur les contrastes de timbres et de rythmes. L'ensemble est construit sur les quatre sons fa, lab, do, mib qui rythment toute la pièce.

 

 

 

Jean-Sébastien BACH : L'Offrande musicale. Bwv 107  pour deux vibraphones et deux marimbas. Transcription Quatuor Beat. Assez difficile. Dhalmann : FD0421.

Quelle excellente idée que cette transcription réalisée avec goût et dans une grande fidélité à l'original ! Souhaitons que beaucoup de classes de percussions s'en emparent et fassent ainsi découvrir à leurs élèves cette nourriture céleste que constitue l'œuvre de J.S. Bach…

 

 

 

Sylvie REYNAERT : Rendez-vous.  Grand ensemble de percussions. Assez facile. Dhalmann : FD0464.

Ce grand ensemble reste à géométrie variable puisque la partie de contrebasse est optionnelle et que les parties de clavier peuvent être doublées. Le tout est écrit pour xylophone, vibraphone, marimbas, cymbales, temple blocks, tambourin, toms. L'ensemble est assis sur un fa mineur obsédant. Ce sera une excellente école pour la musique d'ensemble.

 

 

 

MUSIQUE D'ENSEMBLE

 

Jean-Marc MORIN : 4 pièces  pour flûte et synthétiseur. Difficile. Delatour : DLT2293.

Ces quatre pièces forment un ensemble mais peuvent être aussi exécutées séparément. Il s'agit d'une musique atonale employant toutes les techniques contemporaines de la flûte et traitant le synthétiseur comme un instrument à part entière avec une partition très écrite. L'auteur nous rappelle que nous sommes dans le domaine du « son-relief » et que la sonorisation de l'auditorium fait partie de l'œuvre. C'est donc à découvrir.

 

 

 

Jean-François PAULÉAT : Archet-Type  pour quatuor à cordes. Moyen. Delatour : DLT2248.

Composé de cinq mouvements (Danse, Romance, Petite valse, Marche et Mélodie populaire), Archet-Type a été écrit en 2004 pour une formation « quatuor à cordes ». Chaque mouvement est bien caractérisé. L'ensemble est plein de charme et ne devrait pas effrayer les auditeurs, ce qui est un vrai compliment. Souhaitons beaucoup de succès à cette œuvre abordable par des quatuors chevronnés certes, mais pas forcément virtuoses.

 

 

 

Jean-Marc MORIN : Concrétions  pour piano et synthétiseur non obligatoire. Delatour : DLT2294.

Le synthétiseur est « non obligatoire » mais hautement souhaitable, encore que son absence permette une autre approche de la pièce qui demandera de toute façon à être sonorisée pour renforcer l'atmosphère et donner la sensation des trois dimensions souhaitées par l'auteur. Il s'agit d'une œuvre difficile et très exigeante.

 

 

 

Éric LEBRUN : Ricercare  pour saxophone soprano et orgue. Moyen. Delatour : DLT2413.

Il s'agit ici du cinquième mystère extrait des XX Mystères du Rosaire op.10, œuvre dont nous avons rendu compte dans notre Lettre n° 58 d'avril 2012. Il s'agit ici d'une version pour saxophone soprano en sib et Grand Orgue. On se reportera donc, pour l'analyse de l'œuvre, à la Lettre ci-dessus indiquée (consultable, rappelons-le, sur le site de L'Education Musicale).

Notons simplement qu'il s'agit d'une œuvre profondément mystique et méditative.

 

 

 

Sylvie REYNAERT : Pluie magique.  Ensemble de percussion, piano et contrebasse. Assez facile. Dhalmann : FD0465.

Cette pièce est un peu à géométrie variable puisque l'auteur précise que la partie de piano est optionnelle, que la contrebasse peut être remplacée ou doublée par un marimba, et que les parties de clavier peuvent être doublées à volonté… Le tout est fort agréable et ne présente pas vraiment de difficulté : cette pièce devrait rencontrer un accueil très favorable.

 

 

 

Daniel Blackstone.

 

Julien BRET : Sonatine pour violon et clavier « De la Seine à la Mer Noire », LE CHANT DU MONDE (www.chantdumonde.com  ), Paris, 2015, VP4928, 16 p. (+ encart partie soliste, 5 p.) – 13, 44 €.

Cette Sonatine de Julien Bret (*1974) — compositeur, concertiste et organiste —, œuvre de commande des Éditions Le Chant du Monde, a été créée à Sotchi (Russie) en février 2015, lors du Winter International Arts Festival, par Alexander Trostiansky (violon) et Hervé Désarbre (orgue). L'œuvre, dont l'accompagnement peut aussi être réalisé au clavecin ou au piano, est structurée en trois mouvements contrastés : Allegro (avec un discours assez volubile), Mélodie et Valse à 3/4. La mélodie au violon coule de source ; l'accompagnement, essentiellement en accords, confère à l'ensemble son assise rythmique. L'excellente gravure signale de façon précise le tempo, les nuances et les sonorités voulues par Julien Bret et, pour l'interprète, la technique violonistique (arco, pizzicati), le phrasé, les notes d'ornement permettant d'évoquer ce vaste parcours :  De la Seine à la Mer Noire.

 

Édith Weber.

 

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LE COIN BIBLIOGRAPHIQUE

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Jean-Louis RÉBUT : Atout-chœur. Un demi-siècle de direction chorale. Entretiens avec Jacqueline Heinen, Paris, L'HARMATTAN, Collection : Graveurs de Mémoire, Série : Entretiens/Arts et Vie culturelle, 2015, 105 p. 12, 50 €.

Le genre littéraire des « entretiens » exige beaucoup d'esprit critique et de discernement ; il s'agit de faire un choix dans les renseignements et de, parfois, susciter des questions complémentaires. Le titre : « Atout-chœur »  est déjà, en lui-même, très révélateur ; c'est le mérite de Jean-Louis Rébut (né à Paris, le 2 juillet 1937) — philosophe, organiste formé par Pierre Cochereau, si bien préparé au chant grégorien par Dom Gajard (Solesmes) et au métier de chef de chœur par César Geoffray et Michel Corboz, fondateur de 22 ensembles vocaux et instrumentaux, également conférencier et poète — d'évoquer avec la sociologue Jacqueline Heinen un demi-siècle de direction chorale. Ses entretiens avec celui qui a pu affirmer : « Je suis un chef de chœur professionnel qui dirige également des orchestres » sont rédigés d'une plume alerte, étayés d'illustrations authentiques : concerts, critiques, photos, pages de titre, lettres… et complétés par une biographie et une discographie. Dès sa première rencontre en 2010, Jacqueline Heinen a constaté que « chanter avec Jean-Louis Rébut, c'est avoir en face de soi un chef exigeant vis-à-vis de ses choristes, mais surtout exigeant vis-à-vis de lui-même et qui s'efforce de répondre aux injonctions formulées à son propre endroit sur le mode de l'infinitif : entrer en harmonie, créer un cocon d'énergie, tisser des liens entre les choristes, être fidèle à soi-même, ne pas craindre la critique » (p. 9).

Les lecteurs apprendront comment Jean-Louis Rébut est venu à la musique, depuis ses activités de choriste jusqu'à celles de chef et directeur de chœur ; comment il a si bien réussi à transmettre le « plaisir physique de chanter » ; comment il a été formé en tant que chanteur et compositeur ; comment il a été séduit par les « polychoralies ». Pour lui, la musique est « la maîtresse la plus exigeante qu'on puisse imaginer ». Il a inséré la musique contemporaine dans ses programmes, notamment avec des chorales d'enfants comme Les Pueri, la Maîtrise du Conservatoire populaire de Genève, lorsqu'il y résidait. Installé à Cluny, il a fondé la Capella Cluniacensis et lancé des masterclasses de plain-chant grégorien. Il a régulièrement organisé à l'étranger des concerts qui furent pour lui une expérience « très gratifiante ». S'il n'a pas eu d'élèves chefs de chœur, il a aidé de nombreux amis à monter des chorales, à sélectionner un répertoire, et leur a prodigué de nombreux conseils. Il met l'accent sur la transmission et rappelle qu'« il faut avoir de l'enthousiasme, une capacité d'enthousiasmer les autres », qu'« Il ne faut pas diriger pour soi. Il faut animer le chœur ». En 1992, il s'est rallié à l'Église assyrienne, car il fallait qu'il se marie selon le rite orthodoxe. Il a beaucoup appris des Orthodoxes comme des Protestants. Sa conclusion est lourde de sens : « Parmi les centaines de chemins croisés, harmonisés, en partage et en amitié, je voudrais adresser mon salut à chacun d'entre vous : De tout cœur… à Atout – Chœur ! »

Édith Weber.

 

Jean-Michel BARDEZ, Jean-Paul DESPAX (dir.) : Formation musicale-Formation du musicien, Sampzon, DELATOUR FRANCE (www.editions-delatour.com), 2015, BDT0012, 290 p. -32 €.

Exit le solfège rébarbatif d'antan où les futurs musiciens devaient ânonner et répéter inlassablement des phrases musicales, sans en saisir le support esthétique, et jongler entre diverses clés à une vitesse métronomique imposée. Place à la « Formation musicale » intelligente  et rentable, spéculant sur la pensée didactique (et non sur l'automatisme solfégique). Autant d'allusions aux méthodes Jaques-Dalcroze (Suisse et France) et Martenot (France), pour acquérir les indispensables « fondamentaux » ; autant d'expériences et de témoignages de musicologues, professeurs (enseignement artistique, y compris CNSMP), animateurs, chefs de chœur, interprètes, instrumentistes, compositeurs et même psychothérapeutes. Certains modèles pédagogiques proviennent de Finlande, Russie, Belgique et du Canada francophones et d'Italie. Bref : une ouverture vers l'avenir à partir, entre autres, des suggestions d'Isabelle Rétaillau-Matry et pour — selon l'optique de François Delalande — « entrer dans la musique par la création », sans oublier les contextes historiographiques, comparatifs, informatiques. Ce bilan de sept années de recherche — véritable plaidoyer pour la formation pluridisciplinaire des musiciens — converge vers la conclusion de Jean-Michel Bardez et Jean-Paul Despax : « Toute pratique pédagogique [musicale] se nourrit nécessairement de la pensée réflexive, de l'histoire et de la recherche » (p. 11).

 

Édith Weber.

 

Barbara WOJCIECHOWSKA (dir.) : De la musique avant toute chose. Notes linguistiques et littéraires, Paris, L'HARMATTAN (www.harmattan.fr), 2014, 168 p. – 17 €.

Paul Verlaine, mort en 1896, serait peut-être surpris que son adage bien connu serve de titre à un ouvrage du XXIe siècle. Toutefois, cette étude concerne les relations entre la littérature et la linguistique, discipline scientifique lancée au XXe siècle dans le sillage de Ferdinand de Saussure (1857-1913). Ces actes du Colloque International de Lecce (novembre 2012) regroupent, outre la Préface, dix textes de divers auteurs évoquant les « problèmes d'entente entre le librettiste et le compositeur » ; rappelant que « la musique n'est pas dans les paroles : exemples de Verlaine, Baudelaire, Fuzelier » ; abordant les « Stratégies métriques et traduction des textes chantés ». Les poètes ont pu être influencés par la pensée musicale : c'est le cas du Phèdre de Racine. D'autres communications concernent : « Discours et musique dans Maximilien Kolbe (1988). Opéra d'Eugène Ionesco et de Dominique Probst » ; « Musique et Institutions onusiennes. La musique dans les discours de l'UNESCO et de l'UNICEF » ; « De l'opéra français avant toute chose. Pierre Perrin, premier théoricien de l'opéra français ». D'autres aspects sont abordés : « musique, mémoire et souffrance sonore… » et les « aspects sociolinguistiques et fonctions rhétoriques du langage rap en France »… : autant de réflexions enrichissantes à propos des relations entre musique et littérature, métrique musicale et métrique littéraire, et des « associations comme poésie, chant, rythme, voix, musicalité, mélodie, harmonie, dissonance, timbre, chanson, genre ». Ces nouvelles perspectives faciliteront l'interrogation sur la primauté du texte par rapport à la musique et permettront de mieux appréhender notamment l'esthétique des émotions et la sociolinguistique.

 

 

Édith Weber.

 

Jean-François Robin : Bach Jean Sébastien « Naissance d'une Vocation ». 1 vol Riveneuve Editions, 192 p, 10 €.

Jean-François Robin est directeur de la photographie. Il a travaillé avec Claude Sautet, Jacques Demy, Philippe de Broca, Jean-Jacques Beneix. Il est aussi l'auteur de plusieurs essais sur le cinéma et de romans de fiction. « La Disgrâce de Jean Sébastien Bach » a reçu en 2003 le prix de l'Académie Française et a été adapté au théâtre avec Sophie Deschamps et créé au festival d'Avignon en 2009. Jean Sébastien Bach « Naissance d'une Vocation » raconte à la première personne sa jeune vie, ses aventures, ses voyages, sa découverte de la musique et les fulgurances de sa virtuosité. Ce livre est une biographie qui fait partie d'une collection intitulée « La Naissance d'une Vocation », savoir sur les moments de la jeunesse, qui ont participé à la reconnaissance d'un artiste dans son domaine. Pour ce qui est de JS. Bach, le point est de savoir pourquoi il est devenu le génie qu'on connaît. On ne sait quasiment rien sur sa jeunesse. Toutes les biographies existantes sont peu prolixes à ce sujet et quelques fois, énoncent des faits qui ne concordent pas. Bach a été orphelin à neuf ans. Toutes les biographies de Bach sont basées sur celle de Forkel, écrite au début du XIXème siècle. Il avait rencontré Wilhelm Friedmann, le fils de Jean Sébastien, qui a raconté énormément de choses sur son père. Contrairement à son frère, qui a vendu les œuvres originales de son père, Wilhelm a voulu garder des traces de la vie de celui-ci. Pendant un siècle Bach a été totalement oublié, c'est Mendelssohn qui l'a fait revivre. L'énorme avantage quand on ne sait rien, c'est qu'on peut supposer. Et tout ce que est supposé dans ce livre, paradoxalement, à travers les recherches de l'écrivain, les recoupements qu'il a faits, font que ce qu'il a écrit est vrai. Par exemple, lorsque Bach a quatorze ans, il change d'école parce que son frère, qui ne peut plus subvenir à ses besoins, lui trouve une autre école. Cette école est à 350 kilomètres et donc il doit faire ce chemin à pied. Toutes les biographies le disent. Mais elles ne disent rien de plus. Grâce à ses recherches, l'écrivain s'est aperçu qu'il y avait des villes où JS Bach avait des oncles, des gens de sa famille. Certains étaient organistes et étaient sur le trajet. Grâce à internet, l'auteur a consulté les cartes de l'époque et a pu refaire un itinéraire exact avec les étapes que Bach  a dû faire pour retrouver sa famille. Il a fait le trajet avec un copain qui allait dans la même école que lui. Il est facile d'imaginer des choses qui pouvaient arriver à quelqu'un comme lui à cette époque. Tout ce qui parle de la musique de Bach est vrai. Le livre est très fidèle à la chronologie et fidèle à l'œuvre écrite. Le roman va jusqu'aux vingt-et-un ans de Bach, au moment où il va se marier. Bach a su très tôt qu'il était un grand musicien. Déjà des membres de sa famille, eux aussi de grands musiciens, le lui disaient. Le style de ce livre est fluide, limpide, et permet de s'imaginer parfaitement l'époque, le comportement des gens de cette Allemagne du XVIIIème siècle. Cette fausse vraie autobiographie nous fait comprendre de manière très simple ce que pouvait être la passion pour la musique qu'avait cet adolescent d'exception. Jean-François Robin nous plonge dans un monde inconnu où fugues, chorals, canons, arias, toccatas, préludes accompagnent sans cesse Jean Sébastien Bach tout au long de ses vingt premières années. C'est dans ces années là qu'il prendra conscience de la valeur de sa musique, qu'il se forgera l'étoffe d'un grand compositeur. Un livre tonique à mettre entre toutes les mains.

 

Stéphane Loison.

 

Étienne Bours : La musique irlandaise. Préface de Gilles Servat. Éditions Fayard,  collection « Chemins de la musique », 2015,  576p, 15,3 x 23,5.  28,- €

 

Le sujet est complexe et mérite indéniablement un ouvrage d'importance dans notre langue. Étienne Bours, journaliste spécialisé dans les musiques du monde, vient de publier, chez Fayard, dans la collection « Les chemins de la musique », un livre consistant, abondant en informations diverses. La Table des matières, copieuse autant qu'ambitieuse, propose deux parties distinctes : « l'histoire du pays et de son peuple telle qu'elle apparaît dans les chansons » puis « l'histoire de la musique irlandaise, ses racines, ses évolutions et ses transformations ». L'auteur a raison de préciser, dans son propos liminaire, que son travail ne relève pas de la musicologie car « c'est un essai sur les liens entre une musique et un peuple, à travers l'histoire » (p. 18). En effet, cette approche, de prime abord, semble véritablement pertinente, ce qui serait le cas à condition de ne pas fonder uniquement sa recherche et sa présentation sur telle idéologie esthétique, politique ou autre. En ce domaine aussi vaste que mystérieux, la frontière s'avère ténue. De toute évidence, l'histoire des hommes est faite de souffrances et de joies, de victoires et de défaites. Le chant populaire l'atteste toujours avec force, parfois de manière plus affective, d'autres fois, sur un ton plus mythologique. En l'occurrence, il est curieux que la référence – au demeurant fort intéressante – au cycle de Fionn ait été anglicisée (p. 19), ce qui indique la difficulté que l'on rencontre généralement à l'évocation de la mythologie celte. Nombre de peuples ont chanté avec intensité leurs sentiments et leurs pensées, ont entretenu une tradition faite de foi en la vie malgré tous les découragements et les tragédies humaines. S'agissant de l'Irlande, plus spécialement, son histoire est ponctuée par des drames, des combats d'une grande cruauté. Avec le recul, il semble bon de rester distant, à la façon des grands historiens britanniques tel un Thomas Babington Macaulay (1800-1859) qui a su, avec beaucoup de poésie et d'imagination, montrer les multiples facettes de l'existence de manière nuancée, sans tomber dans le piège d'un manichéisme qui opposerait en permanence les bons et les méchants. La vie n'est pas si schématique, le chant populaire et le folklore n'ont rien de simpliste. Précisément, les affrontements entre Irlandais eux-mêmes, catholiques et protestants, entre Irlandais et Anglais relèvent-ils, malgré leurs violences inouïes, d'une complexité parfois difficile à saisir sans tomber dans les pièges de l'anachronisme. Il est un autre problème, plus esthétique probablement, qui fait de la musique irlandaise, telle que notre époque la saisit, un espace sonore de confusion entre la spontanéité qui nous vient du fond des âges et une expression dont le langage populaire est parfois métissé avec des musiques plus faciles sinon davantage destinées à une production commerciale.

 

Tous ces mots pour dire la perplexité qui m'anime à la lecture de ce livre, presque trop riche en détails, dont quelques chapitres sont plus intéressants que d'autres et certains quelque peu marqués par une vision unilatérale de l'histoire et une mauvaise compréhension du mot folk-lore (« savoir du peuple », dans sa signification originelle). Par exemple, Oliver Cromwell (1599-1658) – qualifié de « sanguinaire » (p. 59) – dont la forte personnalité a indéniablement choqué l'histoire et les relations avec l'Irlande mais qui, pour autant, n'était pas non plus un monstre absolu. Du point de vue du chant populaire en tant qu'expression épidermique, il pouvait l'être mais de celui plus nuancé de la psychologie de l'histoire, il a incarné des positions un peu plus harmonieuses notamment en ce qui concerne le folklore musical qu'il a privilégié d'une autre façon. En cela, je n'opposerais pas – pour ce qui concerne leur fond commun – les folklores car, en effet, les Anglais ont en un également et de belle facture. Justement, au fur et à mesure de la lecture de ces nombreuses pages, je ressens chez l'auteur – mais c'est peut-être inconscient de sa part – comme une sorte de dévalorisation sous-jacente du folklore musical anglais. Il aurait bien tort car celui-ci constitue un véritable trésor de même que ceux du Pays de Galles et de l'Écosse. Pour ce qui concerne, une fois de plus, le mot « folklore », il me semble étonnant de lire, page 17, que la musique des Irlandais n'avait « rien de folklorique ». Bien au contraire. Par ailleurs, la frontière entre musique populaire et musique savante est souvent fragile. Étienne Bours cite l'exemple remarquable du compositeur d'origine irlandaise Sir Charles Villiers Stanford (1852-1924), éditeur de la collection de l'antiquary, collecteur et peintre George Petrie (1790-1866) de Dublin (p. 322), et de même créateur d'une très belle et émouvante Irish Symphony (1887) qui trouve sa source dans The Lament of Owen Roe O'Neill, Remember the Glories of Brían the Brave et Let Erin Remember the Days of Old. Ces références renvoient aussi au poète, satiriste, musicien et chanteur Thomas Moore (1779-1852) traité non sans virulence page 325. Là encore, cette prise de position manque de finesse. Pour d'aucuns, Moore était un héros nonobstant son admiration illimitée pour Lord Byron. Qu'on le veuille ou non, il fait partie de l'imagination des Irlandais comme le précise Glen Comiskey dans l'excellent The Companion to Irish Traditional Music (Cork University Press, 1999). Aujourd'hui, la musique populaire revêt le plus souvent un caractère de divertissement alors que dans le passé elle s'exprimait davantage par la médiation d'un langage symbolique lié à la nature, aux phénomènes et cérémonies. Il aurait été intéressant de se pencher également – sans sacrifier à une musicologie abstraite, bien évidemment – sur la prédominance de la mélodie (au sens passionnant de tune), suprême, qui sera peu à peu civilisée harmoniquement et pour laquelle le rythme prendra de plus en plus d'importance. La qualité des modes dits « ionien », « mixolydien », « éolien » et « dorien » ainsi que ses diverses expressions à la campagne et à la ville mériteraient encore une approche mise en perspective avec la psychologie irlandaise. Étienne Bours conclut en donnant la parole, page 508, au dramaturge et poète irlandais William Butler Yeats (1865-1939), « illustre disciple » du visionnaire William Blake (1757-1827) que Kathleen Raine (1908-2003) qualifiait de « poète de la cité de l'Imagination ». La référence est éloquente. Pourtant, en 1934, dans sa National Music, le compositeur et folkloriste anglais Ralph Vaughan Williams (1872-1958) avait bien forgé la distinction entre folk et pop music. Je crains, hélas, que cela ne soit pas suffisamment le cas du livre d'Étienne Bours.

 

James Lyon.

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LE BAC DU DISQUAIRE

 

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« Figures of Harmony. Songs of Codex Chantilly (c. 1390) ». Ferrara Ensemble, dir. Crawford Young. 4CDs ARCANA (www.outhere-music.com ) : A 382. TT. : 4H20.

Ce coffret  consacré au célèbre Codex Chantilly (MS 0564)conservé à la bibliothèque du Château éponyme — comprend quatre disques (chants et instruments : viola d'arco, luth et harpe) autour des titres : Balades à III chans ; Fleurs de vertus ; En doulz chastel de Pavie ; Corps femenin. L'enregistrement présente au total 44 des 112 pièces du manuscrit signées, entre autres : Trebor (actif vers la fin du XIVe s.), Baude Cordier (actif vers 1400, connu notamment par sa pièce Belle, bonne, sage en présentation cordiforme), Matteo da Perugia (actif entre 1400 et 1416), Antonio da Cividale (1392-1421), Magister Grimace (XIVe s.), Johannes Suzoy (fin XIVe s.), Solage (fin XIVe s., peut-être aussi poète), Johannes Alanus (déb. XVe s. ?), Philipoctus de Caserta (v.1350-v.1435), Johannes Ciconia (v. 1370-1412), Jacob Senleches (actif en 1360 et 1390), Rodericus (déb. XVe s.), Magister Egidius Augustinus (deuxième moitié du XIVe s.)… et anonymes. L'arrangement de ces œuvres a été assuré par Crawford Young, chef et luthiste, à la tête du Ferrara Ensemble (Bâle) fondé en 1983. Les formes cultivées appartiennent aux catégories des ballades, chansons, virelais, rondeau-refrain (instrumental), chaconne (instrumentale) ainsi que quelques pièces religieuses et profanes. Elles illustrent la vie quotidienne et traduisant, d'une manière générale, avec subtilité et raffinement extrêmes, l'esthétique de l'Ars subtilior, très complexe aussi bien sur le plan rythmique et polyphonique, allant de la mort (1377) de Guillaume de Machaut, le maître de l'Ars Nova jusque vers la Renaissance. Elles comportent des allusions historiques, lyriques, amoureuses, philosophiques voire mathématiques (spéculations numériques), sociologiques, mais aussi ironiques… reflétant l'esprit du temps. Nous renvoyons les lecteurs au texte de présentation si détaillé et circonstancié de Crawford Young. Les discophiles seront ainsi informés sur ces 44 pièces, ils découvriront la musique de maîtres français dans l'ensemble, plus ou moins connus. Excellente initiative de sensibilisation musicale pour les historiens curieux et les discophiles avisés : à ne pas manquer.

 

Édith Weber.

 

Jean GILLES : Requiem, Lamentations, Messe en ré, Te Deum…   Chœur de chambre les éléments, Anne-Magouët (Dessus), Vincent Lièvre-Picard (Haute-contre), Bruno Boterf (Taille), Alain Buet (Basse-taille). Orchestre Les Passions, dir. J.-M. Andrieu. 3CDs LIGIA DIGITAL Distribution : Harmonia Mundi : Lidi 02020256-13. TT : 68'10+66'40+78'16.

Cette Anthologie (3 CD) est très représentative de l'œuvre religieuse de Jean Gilles, en partie rééditée par Jean-Marc Andrieu et restituée par le  Chœur de chambre les éléments (direction : Joël Suhubiette), avec le concours de Anne-Magouët (Dessus), Vincent Lièvre-Picard (Haute-contre), Bruno Boterf (Taille) et Alain Buet (Basse-taille) et de l'Orchestre Les Passions, tous placés sous la direction de Jean-Marc Andrieu. Ce musicien toulousain est né en 1668 et mort prématurément en 1705 (cf. Thèse, Sorbonne (1977) du regretté Michel Prada, publiée en 1986 sous le titre : Jean Gilles. L'homme et l'œuvre, Béziers, Société de Musicologie de Languedoc). Actif à la Cathédrale d'Agde, puis  maître de musique de la Cathédrale Saint-Étienne de Toulouse, il a cultivé les grands genres liturgiques : Requiem, Lamentations (Mercredi, Jeudi, Vendredi Saints), Messes, Te Deum et, entre autres, les Motets Cantate Jordanis Incolae et Diligam te Domine (édition L'Atelier des muses) : objet de ce remarquable coffret édité en partenariat avec le Festival de La Chaise-Dieu. Soucieux d'authenticité (les sources disponibles n'étant pas toutes fiables), Jean-Marc Andrieu s'est judicieusement appuyé sur des articles historiques relatifs à la musique à Toulouse autour de 1700, pour son choix des effectifs instrumentaux et vocaux, des tempi, de l'ornementation, de l'articulation et de la dynamique de la prosodie du texte. Il a opté pour la prononciation du latin « à la française », tout en lui conférant « une couleur gasconne ». La plaquette bilingue, d'une qualité exceptionnelle, comprend également tous les textes latins et leur traduction française : un modèle du genre. Dès les premières mesures du Requiem, avec un appel d'accords si typique, l'atmosphère s'impose d'emblée avec sobriété (et non pas ampoulée comme c'est souvent le cas) et avec un juste tempo préparant l'annonce du soliste : Requiem aeternam dona eis Domine… Dans l'Agnus Dei, l'interprétation du chœur est à la fois dépouillée et d'une rare profondeur, avec alternance des registres. Les Lamentations, particulièrement expressives et prenantes, sont typiques de l'esthétique française de la fin du XVIIe siècle. À remarquer, dans sa Messe en Ré, la sonorité orchestrale, la plénitude du chœur et l'élan du Laudamus te, entre autres. Le Te Deum est bien enlevé sur les plans vocal et instrumental. Anthologie absolument indispensable.

 

Édith Weber.

 

« FolieS ! » Orchestre Baroque de Montauban  Les Passions, dir. Jean-Marc Andrieu. 1CD LIGIA DIGITAL. Distribution : Harmonia Mundi : Lidi 0301284-14. TT : 65'. 

Le titre FolieS se réfère au genre musical de la FoliaFollia en italien — qui est, en fait, une danse vive et bruyante d'origine portugaise remontant au XVe siècle, très cultivée au XVIIe siècle notamment par les guitaristes et signalée dans de nombreux traités de chorégraphie. Elle est associée à la convivialité. Cette réalisation de l'Orchestre Baroque de Montauban : Les Passions, est placée sous la direction de Jean-Marc Andrieu assurant également les parties de flûtes à bec. Elle offre un éloquent aperçu d'œuvres allemandes (JS. Bach, Georg Philipp Telemann) ; italiennes (Arcangelo Corelli / Francesco Geminiani (arrangement : J.-M. Andrieu), Benedetto Marcello, Giovanni Battista Sammartini, Antonio Vivaldi) ; anglaise (Henry Purcell) et françaises (François Couperin : Le Rossignol en Amour, transcription) et, plus proche de nous : Thierry Huillet (né en 1965), avec la commande des Passions créée en 2010 sous le titre : Folies !, avec des associations de timbres inédits. L'Orchestre Baroque de Montauban comprend des violons (premier, deuxième), alto, violoncelle, flûtes à bec, théorbe et guitare baroque, contrebasse, basson et clavecin. Cependant, toutes les œuvres au programme n'ont pas le titre de Folia, par exemple : la Sonate en trio en Fa majeur n°7 de Telemann et celle en Si b majeur de Sammartini et les Chaconnes de Marcello et de Purcell (pour 3 flûtes à bec et basse continue sur un ground). JS. Bach est représenté par une transcription extraite de la Cantate des Paysans (BWV 212) à la louange du Chambellan.

Comme pour leur enregistrement de Jean Gilles, les interprètes font preuve d'une rare capacité d'adaptation à des esthétiques si variées et réussissent pleinement  à recréer tant d'atmosphères différentes, en conformité avec les intentions des compositeurs des XVIIe-XVIIIe siècles et du XXIe siècle. Comme le rappelle Jean-Marc Andrieu, l'œuvre de Thierry Huillet « est donc une invitation aux voyages dans l'espace et dans le temps, les couleurs, les rythmes, les mélodies, les sonorités sont autant de paysages qui nourriront votre imagination » : tel est aussi le cas de ce disque original. Invitation à ne pas manquer : divertissement assuré.

 

Édith Weber.

 

Mikolaj ZIELENSKI : Ortus de Polonia. Offertoria totius anni et Communiones totius anni, K 617. Cécile Dibon-Lafarge, Cyrille Gautreau, Paulin Bündgen. Ensemble « Les Traversées Baroques », dir. Étienne Meyer. 1CD (www.lecouvent.org )(www.outhere-music.com ) : K617248. TT. : 59'39.

Peu de renseignements nous sont parvenus sur le musicien polonais Mikolaj Zielenski (v. 1550-v.1615), organiste et, jusqu'en 1615, maître de chapelle à Lowicz, pour l'Archevêque Wojciech II Baranowski, primat de Pologne. Dans son texte d'introduction, Alain Pacquier rappelle : « C'est en 1611 que l'imprimeur vénitien Giacomo Vincenti publia les Offertoria totius anni et Communiones totius anni de Mikolaj Zielenski. » Ce volume comprend « 55 compositions : pour la plupart des offertoires destinés à deux chœurs que le compositeur décrit dans sa préface comme disposés dans un nouveau mode, ainsi que deux communions, le psaume Domine ad adiuvandum et le Magnificat (seule composition destinée à trois chœurs) et enfin sept autres textes ». Ces pièces qui suivent le calendrier liturgique en usage en Pologne sont destinées à la Messe. Étienne Meyer, chef de chœur de l'École Maîtrisienne Régionale de Bourgogne (Dijon), à la tête de L'ensemble « Les Traversées Baroques » (fondé en 2008) — avec le concours, en solistes, de Cécile Dibon-Lafarge. Cyrille Gautreau, Paulin Bündgen… — ont le mérite de recréer ces pages baroques parmi lesquelles figurent, entre autres : Mirabilis Deus (Offertoire), Mitte manum tuam (pour la Communion), Adoramus te, Christe (chant d'adoration), Salve festa dies (hymne du dimanche de Pâques), Gloria et divitiae (Psaume 112/111). L'interprétation fait preuve d'un paysage vocal exceptionnel, d'une rare plénitude, d'un parfait équilibre entre les voix et d'une grande musicalité. Des pièces de Gabrieli et de Palestrina/Bassano montrent l'influence italienne subie par ce très grand musicien dont l'œuvre est encore à découvrir. M. Zielenski : un grand nom dans l'histoire de la musique polonaise prébaroque.

Édith Weber.

 

Johann Sebastian BACH : L'art du Choral. Camerata Baroque  Daniel Meylan, orgue. 1CD HORTUS (www.editionshortus.com ) : HORTUS 112. TT : 66' 54. 

Faisant suite au disque Psaumes de la Réforme (Hortus 064, 2009), Daniel Meylan propose une sélection de Chorals pour orgue de Jean Sébastien Bach, qu'il interprète à l'Orgue Ahrend de l'Église des Jésuites à Porrentruy (Suisse). Ils sont judicieusement précédés de leur version vocale par La Camerata Baroque (ensemble fondé en 1992) qui s'impose par sa justesse d'expression et son atmosphère adaptée à chaque texte. Cette confrontation est particulièrement instructive ; le disque à finalité liturgique est accompagné d'un remarquable livret avec de brèves analyses des 14 Chorals pour les temps de l'Église, extraits des quatre Recueils : Clavierübung dritter Teil, Orgelbüchlein, Chorals de Leipzig et de Schübler. Le programme commence par le Choral Allein Gott in der Höh sei Ehr (Gloria), BWV 715, et se termine par le Trio éponyme (BWV 664). L'Avent et Noël sont représentés par Nun komm, der Heiden Heiland (BWV 659) et In dir ist Freude (BWV 615) ; la Passion, par Christ lag in Todesbanden (BWV 625) ; Pentecôte, par Komm Gott, Schöpfer Heiliger Geist (BWV 667) ; la sainte Cène, par Schmücke dich, o liebe Seele (BWV 654). Ce disque comprend encore, entre autres, le Credo : Wir glauben all' an einen Gott (BWV 680), le célèbre « Choral du Veilleur » : Wachet auf, ruft uns die Stimme (BWV 645). Cette sélection, très représentative de la spiritualité luthérienne, illustre « les différentes formes architecturales pratiquées avec tant de maîtrise par J. S. Bach » ; il en est de même de Daniel Meylan qui — en tant qu'organiste et chef — a recréé avec tant d'intériorité et d'émotion ces Chorals bien connus, encore chantés de nos jours et représentant l'apanage et l'identité de l'hymnologie protestante.

 

Édith Weber.

 

« BACH ». Claire-Marie Le Guay, piano. 1CD MIRARE : MIR264. TT : 58' 27.

Les œuvres de J. S. Bach prévues pour clavecin peuvent être interprétées au piano, même si l'instrument n'existait pas de son temps ; le résultat sonore est différent, éloigné de la sonorité parfois métallique du clavecin, et ce parti-pris d'interprétation a le mérite de mettre mieux en valeur la structure des pièces,  approfondissant le discours musical : c'est le cas des deux disques du Label MIRARE réalisés respectivement par Claire-Marie Le Guay et Rémi Geniet.

Claire-Marie Leguay est, depuis 2001 professeur au CNSMDP, depuis 2008 directrice artistique de l'Association « Jeux de Miroirs » et concertiste internationale. Son programme comprend six œuvres faisant appel à la virtuosité et à une grande maîtrise technique. L'Allegro du Concerto italien (BWV 971) est interprété avec élan, un jeu très égal mettant en valeur les différents plans sonores ; l'Andante, avec un tempo raisonnable ; le Presto, enlevé avec une remarquable précision d'attaque. Le Capriccio sur le départ du frère bien-aimé en Si b Majeur (BWV 992) concerne Johann Jakob (1682-1722), frère aîné de Jean Sébastien, engagé en Suède, à la Cour de Charles XII, comme hautboïste de la Garde d'honneur. Il évoque la tristesse des proches, les adieux, décrit le cor du postillon, les coups de fouet et se termine logiquement par une Fugue interprétée avec transparence grâce au jeu non legato. La Sinfonia n°11 en sol mineur (BWV 797), bénéficiant d'une rare minutie, s'impose par ses qualités expressives. La Partita n°1 en Si b Majeur (BWV 825), appartenant à la Clavierübung (Exercices pour clavier), composée pour la récréation de l'âme (zur Ergötzung des Gemüts), reprend la structure classique de la Suite : Prélude, Allemande, Courante, Sarabande, Gigue, avec deux Menuets interpolés que Bach intitule « Galanterie » ; elle traduit les différentes atmosphères tour à tour gracieuse, tendre, galante, baroque,... si bien ressenties par l'excellente pianiste qui interprète encore avec grande concentration l'Invention n°14 en Si b Majeur (BWV 785) et conclut son enregistrement avec la Fantaisie chromatique et fugue en ré mineur (BWV 903) composée en 1720 après la mort de Maria Barbara. Selon Gilles Cantagrel, « la Fantaisie est bien cette déchirante déploration, après quoi la Fugue, d'abord mystérieuse, presque laborieuse, développe une formidable énergie pour progresser obstinément vers une reconquête de la maîtrise de soi sur la douleur. » Un CD impeccable, irrésistible.

Édith Weber.

 

« BACH » : Rémi Geniet, piano. 1CD MIRARE : MIR268. TT : 78' 47.

Rémi Geniet, élève de Brigitte Engerer en piano, Lauréat de très nombreux Concours internationaux, chef d'orchestre, accompagnateur, soliste de rayonnement international, a lui aussi retenu le piano pour interpréter quatre œuvres redoutables de Jean Sébastien Bach. Sa Partita n°4 en Ré Majeur (BWV 828), en 7 mouvements : Ouverture, Allemande, Courante, Aria, Sarabande, Menuet et Gigue, si souvent galvaudée, bénéficie dans cet enregistrement d'une très grande précision de l'attaque, d'un sens aigu de la construction et d'un judicieux usage de la pédale. Le Capriccio sur le départ du frère bien-aimé en Si b Majeur (BWV 992) (voir ci-dessus) évoque la réaction des amis voulant empêcher son voyage, ce qui pourrait lui arriver à l'étranger, puis la lamentation des amis (adagiosissimo) qui prennent ensuite congé de lui. Le voyage est évoqué par l'Aria du postillon et une Fugue à l'imitation du cor ; toutes ces atmosphères et circonstances sont révélées avec une rare intelligence des contextes. La Suite anglaise n°1 en La Majeur (BWV806), après le Prélude, comprend une succession de danses et se termine sur une Gigue transparente et bien structurée. Enfin, la Toccata en do mineur (BWV 911) — copie de J. Christoph Bach pour le Andreas-Bach-Buch — commence par un trait de virtuosité et se poursuit par un Adagio expressif. Tout comme le CD précédent, une exécution impeccable et irrésistible.

Édith Weber.

 

Johann PACHELBEL : Hexacordum Apollinis. Huguette Grémy-Chauliac, clavecin. 1CD FY SOLSTICE (www.solstice-music.com ) : FYCD 874. TT : 59' 10.

Huguette Grémy-Chauliac — l'une de nos meilleures clavecinistes françaises, concertiste internationale et conférencière — a été à bonne école avec Robert Veyron-Lacroix et Antoine Geoffroy-Dechaume tant pour la technique clavecinistique que pour les critères d'interprétation authentique (XVIIe et XVIIIe siècles) et notamment à propos des ornements et des « notes inégales ». Elle a le mérite de relancer l'intérêt pour l'Hexacordum Apollinis (publié en 1699) de Johann Pachelbel (1653-1706). Le titre semble se référer à la Fantaisie sur hexacorde (ut ré mi fa sol la) de Jan Pieterszoon Sweelinck (1562-1621). L'œuvre de Johann Pachelbel comprend en introduction et en conclusion deux Chaconnes (Ciacona) et, dans sa partie centrale, sept Airs (Aria) dans lesquels il déploie tout son talent pour les techniques de la variation sur les plans mélodique et rythmique, ne faisant toutefois pas appel à une virtuosité exagérée. Ses rythmes s'inspirent souvent de la danse ; la facture mélodique coule de source, et il sait exploiter les possibilités et sonorités du clavecin. Il est novateur par son usage de la Basse d'Alberti interprétée à la main gauche (cf. 4e Variation de l'Aria n°4). La Ciacona en ré mineur (plage 1), attaquée énergiquement, donne ensuite lieu à un développement volubile, avec opposition de claviers. L'Aria quarta (pl. 2), de caractère plus expressif, est suivie de l'Aria tertia (pl. 3), plus déterminée. L'Aria prima (pl. 4) est plus développée ; l'Aria quinta (pl. 5), dans un mouvement plus modéré, est suivi de l'Arietta en fa majeur (pl. 6), interprétée sur un clavecin accordé selon le tempérament de son contemporain, Andreas Werckmeister (1645-1706), alors que les pièces en mineur (par exemple : l'Aria sesta (pl. 8), intitulée : Sebaldina, en fa mineur) reprennent la « partition » proposée par J. Ph. Kirnberger (1721-1783) en tempérament inégal proche de celui d'A. Werckmeister. L'Aria secunda (pl. 7) fait appel à un jeu très fluide. Dans ses Chaconnes en ré mineur (pl. 1) et en do majeur (pl. 9) Pachelbel exploite une ornementation assez sobre, des passages de virtuosité, prouvant sa grande technique de la variation. Huguette Grémy-Chauliac fait « admirablement sonner l'instrument », c'est-à-dire un clavecin William Dowd, proche de la tradition flamande et selon le « ravalement » (fin XVIIe siècle). Comme le signale Christian Pannier, il comprend 2 claviers avec accouplement à tiroir ; 2 rangées de cordes de 8 pieds et 1 de 4 ; au clavier inférieur : 1 registre de 8 pieds et 1 de 4 ; au clavier supérieur : 1 registre de 8 pieds avec jeu de luth. Elle a signé un remarquable hommage à Johann Pachelbel, qualifié par Johann Ernst Eberlin (1702-1762) de « parfait et rare virtuose » (einen perfecten und raren Virtuosen) : c'est aussi le cas d'Huguette Grémy-Chauliac.

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 Édith Weber.

 

Jean Sébastien BACH : Variations Goldberg BWV 988. Ensemble Tactus, dir. Jean Geoffroy. 1CD SKARBO (www.skarbo.fr) : DSK 4147. TT : 56' 51.

Une autre écoute : les Variations Goldberg (BWV 988) (d'après la chanson Kraut und Rüben, Des choux et des navets), interprétées par trois marimba et deux vibraphones : pourquoi pas  pour les oreilles du XXIe siècle, alors que l'œuvre était à l'origine prévue pour un clavecin à deux claviers ? Il en résulte un autre Bach sans vulgarité, mais correspondant à une autre forme de perception adaptée à la mentalité acoustique de notre temps. Cette œuvre essentiellement en Sol Majeur, éditée en 1741 à Nuremberg, marque un point culminant dans l'art baroque de la Variation, avec une succession de Variations sur un thème commun, énoncé à la basse et savamment traité en canons. Avec ces instruments, l'interprétation gagne en transparence et en couleurs sonores variées ; les différents plans émergent avec clarté. Jean Geoffroy — Professeur de percussion au CNSMD (Paris), à Genève et au CNSMD (Lyon), spécialiste du répertoire pour percussion — et l'Ensemble Tactus (percussions), de réputation internationale, réussissent à merveille dans ce qui, au départ,  aurait pu être une gageure.

 

Édith Weber.

 

Jean Sébastien BACH : Passion selon Saint Jean. Thomanerchor Leipzig. Gewandhausorchester, dir. Günther Ramin. 2CDs JADE (www.jade-music.net ) : CD 699 848-2. TT : 65'+64'46.

Depuis plusieurs décennies, le nombre de chanteurs a beaucoup varié, oscillant de la version très dépouillée du chœur composé simplement des solistes (La Chapelle Rhénane) jusqu'au chœur massif traditionnel, en passant par les conceptions des « Baroqueux ». Cette version historique (1954) de la Passion selon Saint Jean (BWV 245) est dirigée par le célèbre organiste et Cantor de Saint Thomas, Günther Ramin (1898-1956). Grâce au Label JADE, elle vient de sortir remasterisée (La Source), et permet de retrouver avec bonheur la Soprano Agnès Giebel (une jeune fille, Airs), la Contralto Marga Höffgen (Airs), le Ténor suisse Ernst Häfliger (remarquable dans le rôle si important de l'Évangéliste), les Basses Franz Kelch (Jésus) et Hans-Olaf Hudemann (Pierre, Pilate, Airs) ; le Thomanerchor (Chœur de garçons) multiséculaire et l'Orchestre du Gewandhaus, fondé à Leipzig en 1843. Cet enregistrement leipzicois d'il y a plus de 60 ans sur les lieux-mêmes de la composition de cette Passion constitue une solide garantie de tradition et d'authenticité, elle s'éloigne à juste titre des conceptions par trop dramatiques ou parfois emphatiques. Les auditeurs seront ravis d'écouter cette version déjà ancienne mais toujours actuelle, et de se livrer ainsi à un vrai « pèlerinage aux sources ».

 

Édith Weber.

 

« Claude DEBUSSY, poète musicien. Verlaine, Baudelaire, Mallarmé ». Nadia Jauneau-Cury, soprano, Sébastien Jaudon, piano. 1CD SKARBO (www.skarbo.fr): DSK 2152. TT.: 63' 25.

La mélodie française — équivalent du Lied allemand — après les Romances lancées par Hector Berlioz, a tenté dans la deuxième moitié du XIXe siècle de nombreux musiciens, tels que Henri Duparc, Gabriel Fauré et, par la suite, Francis Poulenc. Ils ont puisé dans un fonds poétique important se prêtant à merveille à être mis en musique, comme les poésies de Verlaine, Baudelaire et Mallarmé, entre autres. Les Ariettes oubliées (1885-1887) d'après des extraits des Romances sans paroles (1874) de Paul Verlaine (1844-1896) figurent parmi les premières mélodies du musicien qui réserve un sort décisif à C'est l'extase langoureuse, Il pleure dans mon cœur ou encore Voici des fruits, des fleurs, entre autres. Dans ce cadre, il n'est pas possible de détailler les vingt mélodies enregistrées ici dont la soliste fait preuve d'une excellente diction et d'une remarquable clarté. Avec sa vaste palette expressive, Debussy accorde aux textes une importance particulière. Des Cinq Poèmes de Charles Baudelaire (1821-1867), se dégagent Le Balcon, évoquant souvenirs et plaisirs ; Recueillement, traduisant la douleur. Le CD se termine sur les Trois Poèmes de Stéphane Mallarmé (1842-1898) : Soupir, plus mélancolique, Placet futile décrivant la Princesse ! à jalouser le destin d'une Hébé… et Éventail, baignant dans le rêve tendant  vers le vertige. Nadia Jauneau-Cury (Soprano) se joue à merveille de toutes les atmosphères et rend finement toutes les nuances et états d'âme déployés au fil des vers. Elle est admirablement soutenue par le pianiste Sébastien Jaudon qui fait rutiler les écrins chatoyants d'un Debussy, magicien des sonorités, ressentant les moindres insinuations poétiques : Claude de France s'affirme vraiment comme « poète musicien ».

Édith Weber.

 

« Vous portez en vous une œuvre authentique ». Franziska Badertscher, flûte, Anne de Dadelsen, piano. 1CD VDE GALLO (www.vdegallo-music.com) : CD 1424. TT : 75' 56.

En effet, ce titre concerne des chefs-d'œuvre de la musique suisse entre 1921 et 1989 pour flûte et piano. À l'instar de la Collection « Musique suisse » parue sous le label de la Migros, les interprètes ont, pour VDE GALLO, regroupé des œuvres de sept compositeurs helvétiques d'orientations très différentes. Le plus connu est Julien-François Zbinden (*1917), suisse par sa formation — il est à la fois pianiste, compositeur assez autodidacte, passionné par le jazz — et par ses responsabilités :  il a été Président de l'Association des musiciens suisses (1873-1979) et de la SUISA (1978-1991). Il a pratiqué divers genres : opéra, musique de scène, musique de film, mais aussi symphonie, musique chorale… proches de l'esthétique néoclassique. Dans sa Sonatine pour flûte et piano, op. 5 (1945), en 3 mouvements contrastés : Passionné (faisant appel à la virtuosité), Pastorale (avec une mélodie très prenante) et Presto (avec des entrées successives très rapides), la flûte volubile égrène sa mélodie, alors que le piano assure non seulement un accompagnement syncopé influencé par le jazz, mais aussi un fond sonore indépendant.

Parmi les musiciens suisses moins connus en France, se trouve Werner Wehrli (1892-1944), condisciple de Paul Hindemith, professeur de musique, collectionneur de chansons populaires. Sa Suite (op. 16), datant de 1921, est structurée en 5 parties : Un peu lent, Animé, Lent, Expressif et Lent. Les interprètes ont trouvé le juste mouvement et le tempo permettant de mieux saisir l'originalité de la partition. Raffaele d'Alessandro (1911-1959) est représenté par  Sonate pour flûte alto et piano (op. 68A), composée un an avant sa disparition, faisant appel à la virtuosité, une grande indépendance des instruments, une progression dynamique toujours en mouvement. La flûtiste Franziska Badertscher s'impose par sa sonorité exceptionnelle ; la pianiste Anne de Dadelsen, par sa précision d'attaque. Elles forment une belle équipe en parfaite connivence. Jean Binet (1893-1960), compositeur genevois diplômé de l'Institut Jaques-Dalcroze et de l'Université de Genève — après avoir collaboré à la fondation du Conservatoire de Cleveland (Ohio) — s'est installé à Bruxelles, puis en Suisse où ses œuvres symphoniques ont été créées par Ernest Ansermet. Il compose en 1945 Kaval par allusion au kaval (ou kawala), flûte oblique (diatonique ou chromatique) appartenant aux musiques traditionnelles, notamment des Balkans et de Roumanie. Cette pièce exige une grande maîtrise technique (souffle, coups de langue…), de même que sa Sonatine pour flûte et piano (1952).

La Grande Sonate, op. 53, écrite en 1937 par Joseph Lauber (1864-1952) — élève des Conservatoires de Zürich, puis de Paris — est plus développée. Elle sollicite de nombreux contrastes d'atmosphère : pathétique, pastoral, burlesque bien rendus par les interprètes qui judicieusement respectent les tempi : Allegro moderato ; Andante con moto ; Presto. Cette belle réalisation se termine par deux pièces brèves de René Gerber (1908-2006) — élève du Conservatoire de Zürich, puis de l'École Normale à Paris, auprès de Paul Dukas, Nadia Boulanger, entre autres — : la Pavane pour flûte et piano (1963), particulièrement intériorisée  et sa brève Valse pour flûte et piano (1989), bien scandée à la partie de piano au-dessus de laquelle évolue librement la flûte. Assurément, chaque compositeur de ce programme typiquement « suisse » et si varié « porte en lui une œuvre authentique ».

 

Édith Weber.

 

 

José ELIZONDO : « Latin Romance ». Sefika Kutluer, flûte. 1CD VDE GALLO (www.vdegallo-music.com) : CD 874. TT.: 59' 10.

Le compositeur mexicain José Elizondo ayant étudié aux États-Unis est diplômé en musique et en ingéniérie électronique. Il a été initié à la composition musicale par Peter Child et Edward Cohen, et également à l'analyse musicale, à l'orchestration et à la direction d'orchestre. Il est en parfaite symbiose avec la flûtiste turque, Sefika Kutluer, diplômée du Conservatoire d'État à Ankara, qui a commencé avec grand succès une carrière de soliste à Vienne et à Rome. Elle est mondialement connue comme la « flûte magique ». Ce disque est édité sous le Label GALLO à l'occasion de son 40e anniversaire. En raison de sa réputation internationale et de ses remarquables productions discographiques (16 albums), le « Disque d'Or VDE GALLO » lui a été décerné le 1er mai 2005 dans le cadre du Salon international du Livre et de la Musique à Genève, et remis au Château Bioley-Magnoux (Jura vaudois), lors d'une cérémonie et d'un concert, le 11 juin 2006. Sous le titre : Latin Romance/Romance latino, José Elizondo convie les discophiles à un voyage haut en couleurs en Amérique du Sud. Dans ses trois Danses latino-américaines, il évoque l'automne à Buenos Aires, le « Pain de sucre » (d'après la célèbre montagne de Rio de Janeiro), le coucher du soleil… Sefika Kutluer se joue de toutes les difficultés techniques. En 11 pièces, elle recrée des paysages sonores argentins, brésiliens et mexicains avec, tour à tour, élan, assurance, vitalité, exubérance ou encore nostalgie, expressivité et lyrisme. Œuvre originale et artiste exceptionnelle à découvrir.

 

Édith Weber.

 

Franz Joseph HAYDN : La Création. Irmgard Seefried, soprano, Richard Holm, ténor, Kim Borg, basse. Chœur de la Cathédrale Sainte-Edwige. Orchestre Philharmonique de Berlin, dir. Igor Markevith. Wolfgang Amadé MOZART : Esulate jubilate : Elisabeth Schwarzkopf, soprano. Orchestre Philharmonia, dir.: Walter Susskind. 2CDs JADE (www.jade-music.net) : CD 699 846-2. TT : 75' 11 - 46' 29.

Les Éditions JADE viennent d'éditer la remasterisation de la version historique (Hambourg, 1958) de La Création dirigée par Igor Markevitch, avec le concours de solistes que l'on réécoutera avec grand plaisir : la Soprano Irmgard Seefried (Gabriel et Ève), le Ténor Richard Holm (Uriel), la Basse Kim Borg (Raphaël, Adam), le Chœur de la Cathédrale Sainte-Edwige et le célèbre Orchestre Philharmonique de Berlin. Le programme est complété par le Motet Exultate, jubilate de Wolfgang Amadé Mozart, interprété par Elisabeth Schwarzkopf (Soprano) et l'Orchestre Philharmonia, sous la direction de Walter Susskind (1948). Josef Haydn collabora étroitement, pendant deux ans environ, avec le Baron Gottfried van Zwieten (1733-1803). Le livret s'inspire de la Genèse et des Psaumes, ainsi que du Paradise lost (1667) de John Milton (1608-1674). L'œuvre a été créée en privé le 30 avril 1798 et, en public, en 1799. Elle connut un succès retentissant. Le premier CD comprend la Première Partie de La Création, avec les différentes interventions du chœur et des principaux protagonistes : Raphaël, Gabriel et Uriel et un Chœur avec solistes. Il en sera de même dans la Deuxième Partie, avec Récitatifs, Airs, Chœur et Trios. Le second disque : Troisième Partie, fait alors intervenir Adam et Ève. Les six premiers jours de la création du monde sont évoqués musicalement et donnent lieu à des récits descriptifs faisant appel à la traduction figuraliste des images et des idées du texte, sans négliger le souffle épique, l'impact expressif et la portée spirituelle de La Création. L'atmosphère générale est à l'admiration ; le chaos initial aboutit à l'arrivée du couple Adam et Ève, au sixième jour. Ils « glorifient Dieu pour l'éternité » (Wir preisen dich in Ewigkeit) et remercient le Créateur. Ce n'est qu'à l'avant-dernier numéro que figure l'allusion au péché originel. En conclusion, le Chœur avec solistes proclame : Singt dem Herren alle Stimmen (Que toutes les voix chantent au Seigneur… La gloire du Seigneur est éternelle). L'ensemble se termine sur une double fugue magistrale ; la conclusion de l'œuvre est assez abrupte. La version historique d'Igor Markevitch révèle les conceptions esthétiques baroques en usage au milieu du XXe siècle ; elle permet aux mélomanes avertis de retrouver des voix célèbres et cette œuvre monumentale dont le succès ne se dément pas au cours des siècles.

 

Édith Weber.

 

« Idyll und Refugium ». Patrizzio MAZZOLA, piano. 1CD VDE-GALLO (www.vdegallo-music.com): CD 1422. TT : 77' 14.

 

Le pianiste Patrizio Mazzola a réalisé une anthologie inouïe avec un programme éclectique : pour la musique allemande : Felix. Mendelssohn Richard Wagner, Richard Strauss, et même Friedrich  Nietzsche, ou encore Richard Rosenberg (1894-1987) ; pour l'école russe : Piotr Iliych Tchaikovsky, Serge Rachmaninov, Igor Stravinsky, Alexandre Scriabine ; pour la musique suisse de notre temps : Adele Bloesch-Stöcker (1875-1978), Wladimir Vogel (1896-1984) — suisse d'origine allemande et russe —, Will Eisenmann (1906-1992). Ce disque comprend également des pièces de Bohuslav Martinu (1890-1959), Mikis Theodorakis (né en 1925) et une œuvre de Patrizio Mazzola (né près de Gênes en 1956), formé en Suisse, titulaire du Prix Edwin Fischer et du Prix de la Ville de Lucerne, soliste international possédant un répertoire fabuleux. Avec une rare aisance, il s'adapte à tant d'esthétiques et de mentalités musicales différentes, et confère à chacune des 29 pièces leur atmosphère spécifique. C'est en connaissance de cause qu'il interprète un extrait de ses Paganini-Variationen datant de 2013 (plage 27). À coup sûr, cette sélection peu ordinaire suscitera la curiosité de nombreux pianistes et mélomanes.

 

Édith Weber.

 

« TARAGOT & ORGEL. Musik des Balkans, der Zigeuner und Ostjuden, aus Rumänien, Bulgarien und Armenien ». Samuel Freiburghaus, Nehrun Aliev, Thilo Muster. 1CD VDE GALLO (www.vdegallo-music.com) : CD 1439. TT : 67' 04.

Sous le titre Taragot & Orgel sont regroupés des arrangements de Samuel Freiburghaus et Thilo Muster provenant de musiques tziganes et ashkenazes et également des Balkans, de Roumanie, Bulgarie et d'Arménie. Cette réalisation permettra de découvrir les instruments suivants : tárogató, taragot ou torogoata (en français : taragote), instrument à vent d'origine hongroise (fin XIXe s.) répandu en Ukraine et en Roumanie ; frula, instrument en bois à 6 trous, apparenté à une petite flûte, utilisé par les bergers lors de la tonte de leurs troupeaux ; tilinca, tube en bois ou en métal sans trou, produisant environ 20 sons harmoniques en usage en Transylvanie, Roumaine et Ukraine ; des percussions : cajon (en bouleau), darabukka (instrument populaire dans l'Islam), bendir (genre de tambour sur cadre)Les interprètes : Samuel Freiburghaus, et Nehrun Aliev jouent chacun de plusieurs instruments ; Thilo Muster assure la partie d'orgue qui se marie avec le taragote pour la musique de plein air à l'extérieur, alors que l'orgue est davantage dévolu à la musique d'Église à l'intérieur. Cette association de timbres retiendra l'attention. Le programme est davantage régi par la libre improvisation. Les œuvres, se rattachant à des chansons et danses populaires, sont regroupées sous le titre : Suita romanesca et se réclament de plusieurs traditions : bosniaque, bulgare, roumaine, turque et klezmer. Ce disque s'adresse aux mélomanes les plus curieux, aux ethnomusicologues et aux folkloristes avertis. Il s'impose par la diversité des contextes sonores et des atmosphères tour à tour incisives, entraînantes, envoûtantes, graves, expressives...

 

Édith Weber.

 

« Les ânes rient de Marie ». 1CD VDE GALLO (www.vdegallo-music.com) : CD 1458. TT : 59' 10.

Prononcez : les « âneries de Marie ». En fait, il s'agit d'un « groupe flamboyant qui allie fête et musicalité », avec comme objectif de « réunir le meilleur de la musique klezmer et composer des airs à la manière des Balkans pour amener cette tornade musicale dans les cours ombragées, les allées fleuries…, les fêtes trépidantes ou les parades diverses… ». Sept musiciens interprètent 13 morceaux dont les titres sont en plusieurs langues : Les ânes rient de Marie, Robinson (Joël Musy), And the Angels sing ou encore Aire de Ganagobie, entre autres. Ils sont interprétés par différents instruments : saxo soprano, tuba, accordéon, bugle, batterie. Ces pièces sont tour à tour bien rythmées, scandées, avec une facture mélodique orientale, volubiles, plus graves (Der Esreg), mélancoliques, irrésistibles (Fun Tashlikh), hautes en couleurs et entraînantes (Aire de Ganagobie), délirantes (Foua)… Avis aux amateurs de sensations variées.

 

Édith Weber.

 

Emilio de CAVALIERI : La Rappresentatione di Amina e di Corpo. Dramma per musica en un Prologue et trois actes. Texte en collaboration avec le Padre Agostino Mani. Marie-Claude Chappuis, Johannes Weisser, Gyula Orendt, Mark Milhofer, Marcos Fink. Staatsopernchor Berlin. Concerto Vocale. Akademie für Alte Musik Berlin, dir. René Jacobs. 2CDs Harmonia Mundi : HMC 902200.01. TT.: 1H33'.

La Représentation de l'Âme et du Corps de Emilio de Cavalieri (c.1550-1602) a été écrite en 1600. Opéra ou oratorio ? Sans doute l'un et l'autre, avant qu'il n'existe chacun. Car la notion d'oratorio en était à ses balbutiements, grâce à Filippo Neri, fondateur de la congrégation romaine de l'Oratoire, et il est admis que le genre de l'opéra remonte à la Dafne de Jacopo Peri (1598) et verra son premier ouvrage marquant dans l'Orfeo de Monteverdi en 1607. L'œuvre est rarement jouée (quoique en janvier dernier à la Cité de la musique avec les mêmes interprètes que ceux du présent disque), encore moins donnée scéniquement. Mais on se souvient d'une production dans les années 1960 au Festival de Salzbourg, dans la Kollegienkirche dont le maître autel enluminé de nuages baroques prodiguait le plus beau des tableaux. Titrée « dramma per musica per recitar cantando », dédiée au cardinal Aldobrandini, neveu du Pape Clément VIII, elle présente une allégorie morale, à travers le dialogue édifiant de l'Âme et du Corps et les combats figurés que se livrent le Bien et le Mal, le ciel et la terre, le Paradis et l'Enfer, les âmes damnées et les âmes bienheureuses, le Temps et l'Intellect, le Plaisir et le Conseil, etc.. Ainsi les délices trompeurs du Plaisir sont réfutés par l'Âme devant l'incrédulité du Corps ; La Vie mondaine est aux prises avec l'Ange gardien, etc.. Le questionnement central d'Anima étant : «  l'homme sage aime-t-il les plaisirs de ce monde ou bien doit-il les fuir ? » et « que doit-on servir : le Monde et Dieu ? » Au final, la vertu triomphe : « Nous avons soif de monter au ciel » chantent dans un même geste l'Âme et le Corps. Une grande « Festa » conclut ce parcours allégorique, premier exemple d'une danse sur la scène dramatique. On remarque que les passages confiés aux récitatifs, ou « recitar cantando », ne sont pas des récitatifs stricto sensu puisque composés sur des vers rimés, ce qui est proche de l'air ou de l'arioso. Ils se veulent de réalisation simple et dépouillée par souci d'intelligibilité du texte. René Jacobs est la cheville ouvrière de la présente réalisation qui, enregistrée en studio, fait suite à des représentations scéniques données en 2012 au Schiller Theater de Berlin (repli du Staatsoper Unten den Linden). Outre l'excellent travail musicologique, qui inclut des morceaux musicaux de Johann Hermann Schein et de Alfonso Ferrabosco, il faut saluer la vivacité d'une interprétation qui à aucun moment ne faiblit. Jacobs prodigue des sonorités séduisantes (le son du cetero, sorte de théorbe) et ses cuivres sont d'un étonnante clarté. Sans parler de la finesse des percussions ou de la transparence éthérée des harpes jouées avec des pianissimos impalpables. L'étagement des masses sonores, de par la présence de deux petits orchestres, avec premier plan et lointain (chœur des Anges), ménage des contrastes saisissants. On remarque aussi le traitement différencié du « Chœur », par exemple à l'acte II, scène 9, gratifié d'effets d'écho. Jacobs traite habilement les timbres instrumentaux (« Festa » finale). Celle-ci, comme la Sinfonia qui termine chacun des deux premiers actes, apporte une conclusion extrêmement vivante. Enfin, fidèle à son habitude, Jacobs a recours à quelques bruitages (orage et tonnerre). Ses chanteurs assimilent le recitar cantando avec bonheur et offrent une superbe affiche, dont on détachera l'Anima de Marie-Claude Chappuis et le Corpo de Johannes Weisser. Une passionnante réalisation.

 

Jean-Pierre Robert.

 

Jean-Philippe RAMEAU : « Pièces pour clavecin ». Premier livre de pièces de clavecin. Pièce de Clavessin. Nouvelles Suites de Pièces de Clavecin. Pièces pour clavecin seul, extraites des « Pièces de clavecin en concerts ». La Dauphine. Bertrand Cuiller, clavecin. 2CDs Mirare : MIR 266 : TT.: 151'.

Formé auprès de Pierre Hantaï et de Christophe Rousset, Bertrand Cuiller, finaliste  du Concours de clavecin de Bruges en 1998, est actuellement un des grands tenants de l'instrument. Les présents disques comprennent une large partie de la musique de clavecin de Rameau, pour l'essentiel écrite entre 1706 et 1727, avant la rencontre avec l'opéra et son Hippolyte et Aricie (1733). Le Premier livre de pièces de clavecin, de 1706, est bâti sur le schéma de la Suite de danses, hommage à la grande tradition du clavecin français. Mais revisité par l'auteur qui pense déjà esthétique théâtrale. Ainsi de la piquante « Courante » ou de cette « Vénitienne » qui sonne comme une barcarolle, si « moderne » pour son temps. Les Pièces de Clavessin, de 1724, « avec une méthode pour la méchanique des doigts », marquent une évolution notable et manifestent un changement dans les goûts. La vie artistique ne fait plus florès à Versailles, mais à Paris. Il y a dans ces pièces quelque chose de moins rigide et de plus libre, voire de plus intimiste. Certes, le premier morceau est encore tourné vers un passé rigoriste, mais les choses changent vite et au fil des 18 pièces subséquentes, on admire la liberté de ton. Les pièces dites « de caractère » font leur apparition, introduisant une note de pittoresque, née de l'observation de la nature (« Le Rappel des oiseaux » et ses changements de rythmes ; la délicate « Villageoise » d'une  inébranlable bonne humeur.  Les Nouvelles Suites de Pièces de clavecin (1726/1727) sont constituées de deux parties. Rameau se place plus que jamais dans le sillage de Couperin, mais en enrichissant le style à sa manière : complexification des textures, prise de distance avec le style purement français, un pas de plus vers l'innovation que va lui offrir l'opéra : dans « Gavotte et Doubles » on découvre un schéme du type thème et variations. Mais sans pour autant abandonner l'art de la description. Ainsi du caquetage inquiétant de « La Poule », à travers l'usage des divers registres de l'instrument, ou de l'enjouée pochade que sont « Les Sauvages », tirés des Indes Galantes, où l'on entend tout l'orchestre, grâce au jeu coloré de Bertrand Cuiller. «  La Joyeuse » ou « La Follete » renchérissent en gaité exubérante. On décèle même un franc humour dans « Les Cyclopes », sorte d'improvisation. Quelques extraits des Pièces de clavecin en concerts complètent un disque passionnant, dont « L'Agaçante », « La Timide » et « L'Indiscrète ». Bertrand Cuiller les enlumine d'un jeu extrêmement clair, à la fois architecturé et raffiné, et d'un entrain sans faille qui visent toujours à la plus parfaite lisibilité. L'instrument joué, une copie d'un clavecin anonyme du XVII ème, fabriquée par le facteur Philippe Humeau en 1977, sonne beau dans cet enregistrement effectué à Royaumont, avec un superbe résonance dans le grave et du mordant dans l'aigu.

 

Jean-Pierre Robert.

 

Georg-Phlipp TELEMANN : « Trios & Quatuors ». Sonata II en sol mineur TWV 43/1, Sonata en sol majeur, TWV 43/12. Sonata en la mineur TWV42/7. Trio V en sol mineur TWV 42/1. Trio II en sol majeur TWV 42/6.  Chaconne «  Modéré » en mi mineur TWV 43/4.  La Rêveuse. 1CD Mirare : MIR267; TT.: 62'.

Le prolixe Telemann, dont la longue carrière lui a fait embrasser deux périodes, la fin du baroque, le Sturm und Drang naissant, aura démonté combien il savait adapter son style d'écriture aux aspirations nouvelles. Il saura en vrai homme d'affaires, se faire connaître en faisant éditer ses œuvres et en offrant à une bourgeoisie émergente des pièces aisées à jouer, telles que les recueils « Der Getreuer Musikmeister » (L'audacieux maître de musique) ou les « Essercizii musicali ». Cette soif de compositions se confirme, entre autres, dans le domaine de la musique de chambre. Ses « Quadri », ou sonates en quatuor, montrent une richesse d'inspiration qui ne faiblit pas. Les trois opus réunis ici, pour une formation inhabituelle, traverso, violon, viole et basse continue, laissent à la petite flûte un rôle prédominant. Elle sont en quatre mouvements, sur le schéma lent-vif-lent-vif. La sonate II TWV 43/1 est quasiment de forme concertante et se signale par un largo rêveur, surtout dans la pénétrante sonorité de Serge Saitta. La Sonate en sol majeur TWV 43/12 offre un « soave » où le temps semble s'arrêter car la flûte dessine un trait éthéré alors que les basses (deux violes ici) dressent un accompagnement nonchalant. Le vivace finale introduit un coin de fantaisie. La Sonate en la mineur TWV 42/7 est tout aussi riche avec au premier allegro un beau sens du contrepoint et à l'adagio suivant une partie dévolue à la viole de gambe originale dans son dialogue avec la flûte. Le Trio en sol mineur TWV 42/1, pour violon, viole et basse continue, écrit à Francfort en 1718, sur la même alternance de lent et de vif, se distingue par ses deux adagios, dont le style s'inspire de la manière italienne d'un Corelli. Le second est presque paresseux aux belles volutes du violon. Dans le Trio en sol majeur TWV 42/6, tiré des « Essercizii musicali », composés à Hambourg en 1727, pour viole, clavecin obligato et basse continue, Telemann montre son habileté à faire concerter le clavecin et la viole de gambe, en particulier au largo : les deux instruments échangent sur le mode élégiaque dans le meilleur style galant français. Le Presto final est, lui, dans le goût polonais !  Enfin la Chaconne « Modéré », une sorte de bis, développe un climat un brin théâtral. Les interprétations de La Rêveuse sont scrupuleuses dans le choix des rythmes et inspirées quant à la recherche de la couleur et la mise en valeur de la polyphonie.

 

Jean-Pierre Robert.

 

Wolfgang Amadé Mozart: Les cinq concertos pour violon et orchestre, K 207, K 211, K 216, K 218, K 219. Les Dissonances, violon & direction : David Grimal. 2CDs Production Les Dissonances (www.les-dissonances.eu) : LD006. TT. 1H42'42 + 1DVD : IH45'52.

Les intégrales au disque des cinq concertos de violon de Mozart ne sont pas si nombreuses pour ne pas saluer celle-ci. Alors surtout qu'elle se présente comme fort différente des lectures habituelles. On sait David Grimal rechercher une certaine forme d'authenticité. Dont il s'explique au demeurant dans le livret du disque, en conversation avec le compositeur Brice Pauset. Si on apprend peu de choses nouvelles sur ces concertos, du moins la lecture de ces lignes enrichit-elle la réflexion sur la manière de les jouer : pas spécifiquement « historiquement informée », encore moins fondée sur une soi-disant fidélité, mais plus profondément basée la lisibilité du texte, sur l'émotion qui doit passer de l'interprète à l'auditeur ; d'où des prises de liberté en termes de tempos et d'accents, et de respiration. David Grimal joue sur des violons modernes mais utilise des archets classiques, dans un souci de meilleure articulation. Il utilise des cors naturels mais des bois modernes. Et joue des cadences écrites par Brice Pauset. Ces paramètres confèrent au discours une tonalité différente de l'écoute habituelle. Ainsi dans ses cadences, Pauset travaille-t-il habilement sur la thématique et ne cède pas aux sirènes d'une modernité qui surajouterait à l'idée d'origine, ou « surjouerait » comme on dit aujourd'hui. Il met en valeur le soliste sans le vouloir plus brillant qu'il se doit (K 211/2), en appelant à l'esprit du mouvement avec lequel la cadence fait corps  (K 216/2, K 218/1). Les deux premiers concertos,  K 207 et K 211 développent un discours naturel : le premier au caractère de sérénade, un travail alimentaire de Mozart, pour le « patron » Colloredo.  Le style galant, pas spécialement mis en exergue par Grimal, se fait déjà mois présent dans le second, car la forme française l'emporte, toute de limpidité, même si l'orchestre a un rôle ténu. Avec le troisième, K 216, on aborde un autre braquet. Et Grimal démontre pleinement sa manière décapante : l'allegro ne s'appesantit pas et le soliste en ressort avec un vrai naturel. Le discours se cale peu à peu dans un tempo équanime qui ne cherche pas à s'attarder sur quelque joliesse. A l'adagio, les cordes en sourdine préparent un écrin de choix au soliste ; son chant se développe avec allant. Le rondo final a de la bonne  humeur à revendre. La seconde partie apporte son lot de surprises : pizzicatos des cordes, scansion dansante. Le quatrième, K 218, dans le droit fil des pièces violonistiques de Boccherini, confère au soliste une plus grande importance encore. Grimal joue l'allegro très alerte et rapide, quasi presto, et est un soliste volubile. On est bien loin d'un discours convenu. Il prend l'andante cantabile de manière soutenue, mais cela chante tout autant sans verser dans une quelconque galanterie. Le rondo final est facétieux. Le concerto K 219 couronne cette belle entreprise. L'allegro « aperto » va de l'avant dans sa joyeuse ritournelle d'entrée. Le soliste y intercale sa cantilène inaugurale avant de se lancer dans une démarche fort alerte. L'adagio laisse entendre sa « petite musique » joliment nostalgique et le rondo final et ses diverses séquences sont fort subtilement ménagés : premier thème urbain, deuxième thème plus marqué de sa « turquerie » endiablée comme martelée aux cors, « istesso tempo » marquant le triomphe de l'inspiration inépuisable de Mozart. On admire dans ces interprétations la qualité instrumentale de l'ensemble Les Dissonances, un refus de sollicitation, une volonté de clarté de la texture, des accents volontairement non soulignés (K 218/3, K 219/2) et souvent là où on les attend pas, une intéressante dramatisation des diverses séquences, des mouvements lents ne s'attardant pas et des rapides débordant de vie, ne frôlant jamais la sécheresse. En un mot la fraîcheur de jouer . Et le soliste est plus le primus inter pares qu'une star.

 

Jean-Pierre Robert.

 

« The Mozart album ». Wolfgang Amadé Mozart : Concertos pour piano N° 17, K 453 & N° 24, K 491. Sonates pour piano K 282, K 283, K 310. Marche K 408/1. Pièce pour piano K 33b. Allegro pour piano K 1c. Lang Lang, piano. Wiener Philharmoniker, dir. Nikolaus Harnoncourt. 2CDs Sony classical : 88843082532. TT.: 65'12+52'75.

Rencontre improbable entre l'enfant terrible du piano et le chef intransigeant ! Choc de générations ? Voire. La faconde digitale du chinois est asservie en termes de clarté et de concentration au regard du vieux lion. Le résultat ne manque pas de panache. « C'est une incroyable  inspiration pour moi » confie Lang Lang, et Harnoncourt de renchérir : « Il est rare de voir quelqu'un à l'esprit aussi ouvert ». De fait, on est frappé par le naturel de la démarche, imposée indiscutablement par la direction d'orchestre. Ainsi de l'allegro introductif du concerto K 491 que Harnoncourt attaque façon grandiose plein d'entrain, donnant l'impression d'un vaste dispositif orchestral, sans doute plus qu'il n'est en réalité, en raison d'une prise de son très aérée, effectuée dans la salle dorée (vide de public) du Musikverein de Vienne. Le soliste se fraie un chemin au sein d'un climat sombre que renforce l'accompagnement prodigué. Il se coule dans le caractère changeant de ce vaste mouvement. Et joue la cadence (de Lily Krauss, revue par lui) de manière discrète. Au Larghetto, le thème introduit par le piano, puis repris et élargi  par l'orchestre, love une cantilène mémorable de par un dialogue piano-vents aussi profond que passionné. Car Harnoncourt différencie les climats, en particulier lors de la reprise, nimbée d'une extrême sérénité. L'allegretto, là encore, est grave en regard du discours instauré par le chef, mais le soliste l'éclaire au fil de variations qui vont de l'intime au grandiose. L'impression de bonheur partagé est la même dans le Concerto K 453, le 17 ème, dédié à la chère Barbara Ployer : naturel de la démarche à l'allegro, auquel une légère accélération de la part du chef achève de donner vie. Dans la cadence (de Mozart) Lang Lang sait montrer de quelle humilité il est capable en telle compagnie, et une faculté d'adaptation au langage de Mozart. L'andante nous fait entrer de plain pied dans le monde de l'opéra, et la dramaturgie question-réponse (orchestre-piano) : sur le mode douloureux, le dialogue qui s'établit entre les deux musiciens est pensé tout sauf extérieur. L'allegretto final, Harnoncourt le prend vif mais pas brusque comme souvent. Les variations seront pétries d'humour, celui de l'opéra bouffe. L'accord soliste-chef est total, le pianiste distillant un jeu aérien aucunement maniéré, le chef détachant les différentes séquences, certaine presque paresseuse, telle autre allègre, et l'ultime presto conquérant. Rencontre heureuse.

 

Le second CD propose un récital de sonates pour piano, enregistré pour l'essentiel live à Londres : les Sonates K 282 et K 283, tirées d'une série de six, composées à Munich en 1774, au moment de La Finta Gardiniera, dans l'influence de Haydn, offrent un jeu plus affirmé de la part du pianiste chinois. Comme dans le presto final de la seconde, fébrile. La Sonate K 282 débute par un mouvement lent et offre deux menuettos enchaînés. Lang Lang revient ici à son péché mignon d'un jeu d'éclat, presque dur, bien différent de celui adopté dans les deux concertos. Cela se vérifie encore dans le Sonate K 310, composée en mai 1778, à Paris : une agitation constante caractérise l'allegro maestoso que le pianiste joue implacable, presque asséné. Lang Lang s'écarte quelque peu de la discrétion qui doit prévaloir à l'« andante cantabile con espressione », qui s'assombrit peu à peu. Le presto final, il le conçoit de nouveau agité, voire boulé, ne mégotant pas les contrastes dynamiques. Si on est loin du classicisme d'Alfred Brendel, la manière intéresse cependant par son sens des proportions. Le disque se conclut par de petites pièces, telle la Marche K 408/1 et deux morceaux de la prime jeunesse de Mozart, dont un allegro K 1c, sans doute les premiers balbutiements d'un enfant doué ! Enfin par un bis, le Rondo alla turca de la Sonate N°11, hélas pris à un tempo d'enfer. Chassez le naturel...

 

Jean-Pierre Robert.

 

« The Chopin Album ». Frédéric CHOPIN : Sonate pour violoncelle et piano, op. 65. Polonaise brillante op. 3.  Grand duo concertant. Étude op. 25 N° 7. Nocturne op. 15 n° 1. Auguste FRANCHOMME : Nocturne op. 14,  n° 1. Sol Gabetta, violoncelle, Bertrand Chamayou, piano. 1CD Sony Music : 88843093012. TT.: 68'03.

Ce  programme s'articule autour d'Auguste Franchomme, le violoncelliste ami de Chopin. On sait que la Sonate pour violoncelle et piano de ce dernier doit beaucoup à l'art du celliste. Composée en 1845/1846, elle lui est dédiée. Elle sera exécutée lors du dernier concert de Chopin à Paris, le 16 décembre 1848. « C'est de la musique vocale, opératique », observe Bertrand Chamayou. A la différence de la musique pour piano, on remarque ici une plus grande audace du langage harmonique. L'Allegro moderato offre l'exemple d'un vrai duo concertant. Le cello tient le premier rôle au fil d'un discours complexe par son avalanche de motifs et ses vastes proportions (il est aussi long que les trois autres mouvements réunis). L'équilibre est mieux assuré dans le scherzo con brio suivant, enjoué et dynamique, sauf dans le Trio enchâssé en son milieu, plus mélodieux, le violoncelle se faisant tendre. Le largo, de caractère nocturne, sorte de rêve éveillé, chante sous l'archet sensible de Sol Gabetta. Le finale, là aussi de texture complexe, étale ses vertus : les deux partenaires dialoguent tantôt en écho, tantôt à l'unisson. La coda presto est enivrante ici. Le Grand Duo Concertant de Franchomme, écrit à Paris en  1832, sur des thèmes empruntés à l'opéra Robert le Diable de Meyerbeer, déploie un style salonard et un sens imagé alors prisé ; ce pot pourri, paraphrase de l'opéra, s'ouvre grandiose par une introduction pianistique brillante que Chamayou gratifie de force pédale, ce qui n'est pas sans développer une certaine dureté. Les choses s'apaisent avec l'entrée du cello. On aura perçu la différence des styles dans cette œuvre co écrite, car Chopin compose plus aristocrate que Franchomme. L'Introduction et Grande Polonaise, op. 3, a été pensée en 1829, à l'intention du Prince Radziwill : le cello de Sol Gabetta épouse le mouvement initié par le clavier de Bertrand Chamayou, encore que la mélopée du violoncelle tranche sur une tapisserie bavarde du piano. Quelques courtes pièces de Chopin complètent le CD, dans ses propres transpositions : l'Étude op. 25 N° 7, de caractère nocturne, et le Nocturne op. 14 N° 1 dont Sol Gabetta livre le profond cantabile. Enfin, le Nocturne op. 14 N° 1 de Franchomme est doucement élégiaque. Les deux « vieux amis » qu'ils sont à la ville font assaut de talent pour défendre ce répertoire peu connu, pas moins attrayant, qu'ils ne sont au demeurant pas les premiers à illustrer au disque. Au jeu viril, affirmé de Chamayou, répond celui expressif et idéalement chantant de Gabetta.

 

Jean-Pierre Robert.

 

Johannes BRAHMS : Serenade N° 1 op. 11. Serenade N° 2 op. 16. Gewandhausorchester, dir. Riccardo Chailly. 1CD Decca : 478 6775. TT.: 62'

Œuvres de la première période créatrice de Brahms, contemporaines du Premier  concerto pour piano, les deux Sérénades de Brahms ne méritent pas la relative méconnaissance dans laquelle elles sont tenues. Elles appartiennent au genre du  divertissement hérité des pièces célébrées à l'époque précédente, des cassations ou sérénades de Mozart en particulier. La Première Sérénade, op 11, composée entre 1857 et 1859, contemporaine de la Symphonie  N° 104 de Haydn, frappe par un ton plutôt léger. A l'image du premier mouvement qui dégage un esprit, voire un humour digne du compositeur d'Esterhaza. Riccardo Chailly le prend de manière soutenue, sinon très vite, n'hésitant pas à pousser la cadence pour donner vie à ce long morceau qui combine tant de choses : rythmes binaires et ternaires, invention thématique inépuisable, tel cet appel des bois et cuivres passant de l'un à l'autre. Le scherzo, débuté ppp, s'enfle dans une manière de danse, alors que le Trio, gentiment scandé, fait diversion. La cantilène intime de l'adagio est simple en apparence car le discours s'aventure vite dans des contrées moins aisées. Le Menuetto propose un beau dialogue basson-clarinette. Un nouveau scherzo vif, sur un thème de chasse, digne de Haydn, s'enorgueillit d'un Trio surenchérissant en humour au deuxième degré. Le finale est bondissant. La deuxième Sérénade, op 16, de 1859, étonne par son instrumentarium, car il n'y a pas de violons. La combinaison vents-cordes graves produit dès l'entrée un effet bienfaisant, celle d'une ballade. Le babil des bois distingue le vif scherzo. « Un Adagio de sérénades, non de symphonie, il doit couler » dit Chailly qui fait aussi le rapprochement avec Mendelssohn et sa Symphonie Italienne. Le « Quasi Menuetto », car c'est un faux menuet,  offre une métrique que Brahms affectionnera plus tard. Là encore, il est joué mezzo piano par le chef, ce qui accentue son étrangeté. Un bref Trio fantasque s'y niche sans qu'on y prenne garde. Le rondo  final  est irrésistible dans sa dynamique, une «  fausse pastorale » , remarque Chailly, et empli d'esprit, l'alliage bois/cuivres et cordes graves produisant le plus saisissant effet. Riccardo Chailly qui s'est résolument penché sur ces deux pièces, adopte une démarche empreinte de transparence, privilégiant l'économie de la dynamique. On admire la plastique de l'Orchestre du Gewandhaus, en particulier la délicatesse des bois.

 

Jean-Pierre Robert.

 

« Sokolov The Salzburg recital ». Wolfgang Amadé MOZART : Sonates pour piano K 280 & K 332. Frédéric CHOPIN : 24 Préludes op. 28. Grigory Sokolov, piano. 2CDs : Universal DG : 479 4342. TT. 48'58+60'04.

Grigori Sokolov est une légende vivante, de la race des Sviatoslav Richter : un pianiste intransigeant, secret, perfectionniste, à la recherche de la vraie émotion. Ce pourquoi il privilégie, au disque, le direct et non le studio d'enregistrement. En un mot quelque génie de l'instrument, au charisme certain, sans parler d'une toute aussi légendaire générosité à l'heure des bis. Il défend un vaste répertoire qu'il sélectionne avec soin : « Je ne joue que ce que j'ai envie de jouer », souligne-t-il. Le présent disque, capté live au Festival de Salzbourg, le 30 juillet 2008 - une si longue attente nul doute due à d'âpres tractations - est pur enchantement. Les deux sonates de Mozart révèlent un son riche et un rare sens de la polyphonie : la sonate K 280 livre toute la simplicité de son premier mouvement, le rêve éveillé d'un adagio, proche ici d'un largo, au toucher d'elfe, et une légèreté inouïe au presto comme suspendu, le petit bouquet de notes revenant en boucle, martelé avec humour. La clarté de l'architecture distingue la Sonate K 332, dont l'allegro introductif montre des accents marqués, sans dureté pourtant. On est loin d'un Mozart galant et le discours est d'une vraie élasticité. Comme il transporte dans une sorte de dialogue d'opéra à l'adagio, où la main droite tiendrait la vedette. L'allegro assai prolonge cette conversation en l'enrichissant de digressions auxquelles Sokolov donne une vie vraiment pas banale. Le tempo rapide confère au chant toute son expressivité et l'alacrité digitale est irrésistible. Mais le « morceau de résistance » est indéniablement le Chopin. Les Préludes op 28, composés à Valdemosa, Solkolov en donne une exécution sans pareil. Peu de pièces révèlent autant les différentes facettes du style de Chopin, voire juxtaposent les divers genres pratiqués : tel prélude exprime le nocturne, tel autre l'esprit de la ballade, tels autres encore la fantaisie du scherzo, ou la joie du sautillement de la mazurka. Avec Sokolov les contrastes sont poussés loin. Les préludes sur le mode lent : comme le 6ème, joué retenu, conférant à la mélancolie élégiaque une profondeur poignante, le 9ème, un largo grandiose qu'il enrichit d'un grave bien sonnant, ou encore le 13 ème dont l'accompagnement irrégulier de la main gauche confère toute son originalité au chant limpide de la main droite. Les morceaux rapides ne sont pas moins impressionnants : le 8 ème, molto agitato, limpide comme un torrent, aux eaux enragées pourtant, le 10 ème, d'un fantasque tout romantique. Un exemple de la dynamique extrême dont Sokolov pare son jeu est fourni par le 15 ème prélude, aux harmonies colorées, avec comme des tintements de cloches obsessionnels, pour une ballade lugubre ; le con fuoco du 16 ème devient un feu d'artifice sous les doigts du pianiste russe, la rythmique littéralement transcendée. Tout comme le 24 ème et dernier, épique torrent dévastateur agrémenté de perles d'or. Un achèvement peu commun. Les bis, de plus d'un quart d'heure d'horloge, confirment l'art de juxtaposer l'éclat et la détente : dans  deux « Poèmes » de Scriabine, étranges bribes de musique, visions hallucinées, deux mazurkas de Chopin,  puis dans Les Sauvages de Rameau, nantis d'un piqué fort amusant et pris dans un tempo très soutenu, et enfin dans le choral BWV 639 de JS. Bach où le chant est roi.

 

Jean-Pierre Robert.

 

« La clarinette française ». Francis POULENC : Sonate pour clarinette et piano. Camille Saint-Saëns : Sonate op. 167. Claude Debussy : Première Rhapsodie pour clarinette. André BLOCH : Denneriana. Gabriel PIERNE : Canzonetta op. 19. Darius MILHAUD : Scaramouche. Lisa Shklyaver, clarinette, Jos van Immerseel, pianoforte. 1CD Outhere : ZZT 358. TT.: 62'

Les compositeurs français ont imaginé pour la clarinette des pièces aussi démonstratives qu'originales. Ultime composition d'un homme de 85 ans, la Sonate op 167 de Saint-Saëns marie le style galant et les « idées modernes » de son époque. L'allegretto qui l'ouvre, dans le mode serein, est magistralement écrit pour la clarinette. L'« animato » suivant installe un agréable dialogue, un brin académique, que son écriture originale rachète vite ; le lento, confiné dans le registre bas de l'instrument, « clarino », développe un chant grave et solennel, qui débouche curieusement sur des sonorités nocturnes. Le finale est quasi vocal, exploitant l'entier registre de la clarinette et se termine sur une sorte de da capo du premier mouvement. Claude Debussy compose sa Première (et unique) Rhapsodie pour clarinette en 1910, pour les épreuves des finales du Conservatoire. Il l'orchestrera un an plus tard. On y entend déjà la veine de  Jeux. Elle est ici on ne peut plus mystérieuse et lascive. Le piano  fait presque oublier la palette orchestrale, version sans doute la plus donnée. Tandis que Lisa Shklyaver fait montre d'une discrétion attentive. André Bloch (1873-1960), élève d'André Geldage, et qui à son tour formera Jehan Alain, est bien oublié. Sa Donneriana, en hommage au facteur Denner, l'inventeur de la clarinette, est une pièce de grand savoir faire. Elle déploie un ton espagnol attrayant et des rythmes déhanchés presque jazzy. Il en émane un charme indiscutable. La Canzonetta de Gabriel Pierné, op 19, de 1889, est une ballade délicieusement rythmée. Francis Poulenc écrira sa Sonate pour clarinette et piano en 1963, peu avant sa mort, pour Benny Goodman qui la créera avec Bernstein au clavier. Elle ne sera complétée qu'en 1973, posthume donc. C'est un des morceaux les plus attractifs du répertoire. Sa coupe en trois mouvement frôle les cimes de l'expression : le profond « tristamente » initial, la « Romanza » d'une mélancolie abyssale : le « con fuoco » mordant et ses notes aiguës projetées comme autant de pieds de nez. Enfin, Scaramouche, conçu par Darius Milhaud pour accompagner la pièce Le médecin volant de Molière, a d'abord été écrit pour deux pianos (1937), puis adapté par l'auteur pour clarinette (ou saxophone) et orchestre. Jos van Immerseel en a réalisé une transcription pour clarinette et piano. Cela sonne parfaitement. Le « vif »  introduit l'atmosphère de la comedia del' Arte et ses espiègleries, mais dans le ton du music hall. C'est irrésistible! Le « modéré » ou quand Scaramouche se fait doux et mélancolique séducteur ; enfin « Brazileira » conclut sur un rythme de Bossa Nova, une des signatures de Milhaud. Lisa Shklyaver et Jos van Immerseel ont de l'esprit, même si un zest d'abandon supplémentaire aurait été le bienvenu. Une anthologie fort bien défendue.

Jean-Pierre Robert.

 

« Green - Mélodies françaises sur des poèmes de Verlaine ». Charles BORDES, Georges BRASSENS, André CAPLET, Joseph CANTELOUBE, Emmanuel CHABRIER, Ernest CHAUSSON, Claude DEBUSSY, Gabriel FAURE, Léo FERRE, Raynaldo HAHN, Arthur HONEGGER, Charles KOECHLIN, Jules MASSENET, POLDOWKI, Camille SAINT-SAËNS, Florent SCHMITT, Déodat de SEVERAC, Josef Zygmunt SZULC, Charles TRENET, Edgard VARESE. Philippe Jaroussky, contre ténor. Jérôme Ducros, piano. Quatuor Ebène. 2CDs Erato : 0825646166954; TT.: 57'18+54'434.

Élargissant le propos d'un précédent disque consacré à la musique française, « Opium » (cf. NL de 5/2009), Philippe Jaroussky investit la mélodie française à travers les poèmes de Verlaine mis en musique par les compositeurs de la fin du XIX ème siècle et du XX ème. Avec l'intelligence qu'on lui connait pour composer un programme plus que passionnant. Car l'originalité de cette anthologie fort documentée est de rapprocher pour un même poème, les versions écrites par plusieurs musiciens. Occasion de saisir les différences qui animent chacun et la façon dont il s'empare de la poétique verlaisienne. Un exemple, « Green », mis en musique aussi bien par Fauré, le plus décidé, que par Caplet, le plus expansif, et surtout par Debussy, un sommet de lyrisme. Ou encore « Mandoline » traité par Fauré, si mélancolique, Debussy, au climat si différent, plus clair, avec son clin d'œil final, Poldowski, femme compositrice (1879-1932) qui y apporte une touche extravertie dans la partie de piano. « La lune blanche » ou l'heure exquise, l'ont faite sienne aussi bien Chausson que Massenet, qui imagine un curieux duo (ici interprété par Nathalie Stutzmann et Jaroussky dialoguant idéalement, encore que ce soit la voix de la contralto qui « sonne » le plus mâle), Poldowski, combien translucide, et Fauré, bien sûr. On découvre également les sortilèges de « Il pleut sur mon cœur » à travers les manières fort différentes de Fauré, de Debussy, très enjolivé au piano, de Florent Schmitt, ou la grande manière, et de Koechlin, celui de ces trois derniers qui se rapproche au mieux du climat raréfié de Fauré. «  La chanson d'automne » voit sa langueur existentielle être traitée aussi bien par Reynaldo Hahn, ici dans une transcription pour voix d'alto, piano et quatuor à cordes due à Jaroussky lui-même, que par Trenet. De «  Colombine » Poldowski livre une prosodie décidée, collant à l'ironie discrète des vers, tandis que Brassens la souligne encore plus ingénument. On entend au fil de ces morceaux de petites perles, ces pièces de Ferré (« Écoutez la chanson bien douce », ou «  Colloque sentimental », lequel a d'ailleurs été adapté par Canteloube et Debussy). Ces croisements prouvent combien la poésie a fécondé l'inspiration musicale, cette symbiose musico-littéraire qui prévalait à cette époque bénie. Pour la bonne bouche, on ne peut pas ne pas mentionner, car c'est un régal, deux pochades de Chabrier : l'air de Fisch-Ton-Khan ('Qui je suis'), désopilant, ou l'Air de Poussah ('J'engraisse'). L'empathie de Jaroussky avec ces miniatures est évidente. Au sommet de son art, il les aborde sur le ton de la confidence poétique avec un extrême souci de la prosodie et des caractéristiques de chacune. Le résultat est fascinant, car outre le caractère du timbre androgyne, on savoure une ligne de chant d'un naturel confondant, qui voit la voix se développer dans le medium (Fauré  « En sourdine », «  Clair de lune »), pour un plus grand appui sur le texte (« Prison » de Fauré encore), mise en exergue par une prise de son intimiste. L'accompagnement de Jérôme Ducros est  attentif aux plus infimes nuances, prodiguant une belle fluidité pianistique. Le Quatuor Ebène ajoute une dimension supplémentaire au registre chambriste. Une immense réussite !

 

Jean-Pierre Robert.

 

Francis POULENC : Dialogues des Carmélites. Opéra en trois actes. Livret de Francis Poulenc d'après la pièce éponyme de Georges Bernanos. Patricia Petibon, Sophie Koch, Véronique Gens, Sandrine Piau, Rosalind Plowright, Topi Lehtipuu, Philippe Rouillon, François Piolino, Annie Vavrille, Sophie Pondjiclis, Matthieu Lécroart, Yuri Kissin, Jérémy Duffau. Chœur du Théâtre des Champs-Elysées. Philharmonia Orchestra, dir. Jérémie Rhorer. Mise en scène : Olivier Py 2DVDs Erato : 462206 9 4. TT: 115'+51'.

Captation du spectacle donné au Théâtre des Champs-Elysées fin 2013, ce DVD en renforce indéniablement l'impact. Au premier chef celui de la mise en scène d'Olivier Py, son dépouillement, sa direction d'acteurs intense, magnifiés par des plans filmés d'une acuité souvent à couper le souffle. Nul doute contraint par la relative exiguïté du plateau, Py concentre l'action sur une aire réduite, que prolongent des arrières plans à haute signification. Ce qui restitue au découpage des scènes imaginé par Poulenc tout son sens, en focalisant sur l'intimité des échanges - père-fils, Blanche-Madame de Croissy, lors de la scène de l'arrivée au couvent, ou durant l'agonie de la première Prieure – et a l'avantage de renforcer la prégnance des ensembles, ces scènes si émouvantes où sont regroupées les carmélites.  Mais il évacue la foule, seulement suggérée par de discrètes projections. Plus d'une scène atteint une force presque insoutenable : l'agonie de la première Prieure, fichée à son lit, qu'une disposition à la verticale achève de rendre encore plus saisissante. La main tendue de celle-ci en direction de la novice Blanche dont la main la rejoint, l'effleurant, est une image inouïe. N'est pas moins poignante la scène de l'ultime rencontre entre le frère et la sœur, qui tourne à une inutile confrontation avant de se résoudre en un profond déchirement chez Blanche, devant une Mère Marie en sentinelle, saisie d'horreur à ce qui se dit, puis prise de compassion. Celle encore où cette dernière rejoint Blanche dans la maison paternelle dévastée, dont le beau lustre de cristal, symbole de la vie séculière, est à terre, pousse loin dans le calvaire que s'impose la jeune femme. Le dépouillement est un autre paramètre essentiel de la vision de Py : des tons de gris et de blanc, des chaises banales, des portants se disloquant pour laisser passer une raie de lumière, ou se disposer en forme de croix, en creux. La scène de la prison où le trompe l'œil en fond de scène accentue l'isolement des religieuses est aussi un fort moment chargé de sens. Olivier Py a fait le choix d'un dernier tableau plus suggéré que naturaliste : du cercle que forment les religieuses en bure immaculée, chacune se détache au son du couperet de l'échafaud (moins distinctement audible que signalé dans la partition) et s'en va dans le lointain pour s'enfoncer dans la nuit étoilée. Le surgissement de Blanche, en noir, rejoignant Sœur Constance, souriant de reconnaissance (Elle se souvient de «Je sais que nous mourrons ensemble, le même jour ») est d'une simplicité plus que bouleversante. C'est que la direction d'acteurs est hautement pensée, celle d'un croyant assurément qui place les deux novices au cœur de ce parcours de souffrance. Sœur Constance rayonnante de joie irradiante puisée dans une inébranlable conviction du bien faire, Sœur Blanche, traversée de ses contradictions, mais mue par une force intérieure hors du commun. Si la Première Prieure atteint une attitude presque théâtrale lors de la mort, la seconde, Madame Lidoine, n'en a pas moins une passion insoupçonnée du bien de ses «  filles ». Mère Marie combine une inflexible assurance toute religieuse et des élans de tendresse dont on ne la croyait pas capable. Py ajoute une dimension supplémentaire, à laquelle la prise de vue rend justice, animant les intermèdes entre scènes de tableaux vivants d'imagerie pieuse, comme le tableau de la Cène dont Sœur Constance figure le Christ, ou cette crucifixion où elle est aussi le personnage central. L'interprétation musicale est de la même veine. Elle aligne une affiche idéale, parfaitement immergée dans la prosodie de Poulenc, où chacun en vient même à se surpasser, ô combien ! Jérémie Rhorer drive un fastueux Philharmonia Orchestra, privilégiant une direction très vive, anguleuse parfois, et assurant aux déflagrations du texte leur formidable retentissement.

 

Jean-Pierre Robert.

 

« Un hiver à Majorque ». Frédéric CHOPIN : 24 Préludes, op. 28. Nocturnes op. 9, nos 1 &2. Mazurkas op. 17/4 et op. 41/2. Vincenzo BELLINI:  « Casta diva », transcription pour pianoforte par George Micheuz. Aya Okuyama, pianoforte. 1CD NoMadMusic : NMM 010. TT.: 62'01.

La jeune pianiste japonaise Aya Okuyama propose un disque d'œuvres écrites par Chopin lorsqu'il était à Majorque avec Aurore, le vrai prénom de Georges Sand. Séjour qui au lieu d'être lumineux, fût un purgatoire pluvieux et froid et où la tuberculose de Chopin s'est aggravée de rhumes incessants. « Ma cellule est un cercueil » écrit-il ! Ce qui est intéressant dans ce disque, outre la qualité de l'interprétation, c'est que la pianiste a choisi de retrouver le son,  comme disait Proust, du piano de Chopin. Elle interprète ces œuvres sur un pianino Pleyel de 1838 qui a était restauré par Olivier Fadini. C'est un pianino bicorde, dit vertical, à 6 octaves 1/2. Il sera celui que Chopin recevra à Majorque durant l'hiver 1838-1839 pour conclure ses Préludes dédiés et commandités par son ami facteur de piano Camille Pleyel. Il porte le numéro 6668 et est conservé aujourd'hui au Museo Chopin de Valldemossa aux Iles Baléares. L'écoute sur ce pianino est unique : on a l'impression que ces pièces sont réinventées, car l'instrument révèle des sonorités oubliées, transparentes, des timbres changeants qui captivent l'oreille. Les pianistes et compositeurs de cette époque étaient sous le charme de ce piano. On peut entendre encore sur ce disque une transcription de George Micheuz de « Casta Diva » de Bellini. Aya Okuyama propose aussi deux Nocturnes et deux Mazurkas. Voilà des œuvres auxquelles elle insuffle une nouvelle vie. Ce pianino chante le chant romantique du bel canto, fait renaître le chant romantique. Une belle découverte.

 

Stéphane Loison.

 

Wolfgang Amadé MOZART : Concertos pour flûte K 313 & K 314. Magali Mosnier, flûte. Münchener Kammerorchester, dir. Daniel Giglberger. 1CD SONY Classical : 88843089752. TT : 64'49.

Une bien mystérieuse histoire que celle de l'origine et de la genèse des ces 2 concerti pour flûte de Mozart, composés officiellement en 1777-1778 à Mannheim. La lettre que Mozart écrivit à son père le 14 février 1778 est assez édifiante, le compositeur détestait la flûte ( !) Faute de flûtiste de haut niveau dans son entourage, ou du fait de la facture encore balbutiante de la flûte traversière, l'histoire ne le dit pas…Toujours est-il que ces deux concerti, de même que les quatuors qu'il composa pour la flûte, sont toutes des œuvres de commande. Le commanditaire, Ferdinand Dejean, étant un jeune chirurgien hollandais, flûtiste amateur, revenant en Europe après un séjour à Batavia (Djakarta actuelle) désireux de jouer des œuvres faciles et courtes ! Le Concerto n° 1, K 313 semble être une œuvre originale, le Concerto n° 2, K 314 est, en revanche, une transposition du Concerto pour hautbois K 271, composé auparavant à Salzbourg pour le hautboïste Giuseppe Ferlandis ! Nécessité financière ayant force de loi, les deux cents Florins promis étant une somme importante pour Mozart dont le salaire annuel à Salzbourg était de 150 Florins. Deux autres œuvres figurant sur cet enregistrement sont à rapprocher des deux concerti précités, l'Adagio du Quatuor K 285 et l'Andante K 315 datant de la même époque. Deux transcriptions d'opéra concluent le disque, Lieve sono al par del vento, extrait du Songe de Scipion K 126, composé à Salzbourg en 1772 pour l'intronisation de l'archevêque Colloredo et Ach, Ich Fühl's  tiré de la Flute enchantée (1791) dernier opéra de Mozart. Un joli programme grand public pour ce nouveau disque de la  talentueuse flûtiste solo de l'Orchestre Philharmonique de Radio France, Magali Mosnier, lauréate du prestigieux concours de l'ARD de Munich en 2004. Une interprétation qui confirme sa réputation d'excellence, une lecture faite de légèreté et de cantabile, deux maîtres mots de l'interprétation mozartienne, parfaitement servie par l'orchestre de chambre munichois. Un disque qui, n'en déplaise à Mozart, ravira tous les amateurs de flûte et probablement de nombreux autres…

 

Patrice Imbaud.

 

Franz SCHUBERT. Impromptus D 899 & D935. François Chaplin, piano. 1CD APARTE : AP101. TT : 72'37.

Qui mieux que le talentueux pianiste François Chaplin pouvait nous guider dans ce monde schubertien d'une lumineuse complexité, des Impromptus de l'opus 90 et de l'opus 142 (posthume), entièrement habité par cette « Sehnsucht » douloureuse, si caractéristique de la fin de vie du compositeur viennois. Tout un monde de sentiments qui se déploie devant nous, comme un voyage introspectif fait de lucidité, de désolation, de mélancolie, hésitant entre lyrisme et oppression, un chant, à la fois, enchanteur et désenchanté. Une interprétation délicate et élégante, parfois poignante, toujours dans la juste mesure, qui nous laisse sous le charme. Un jeu d'une grande poésie qui sait rendre à cet univers toute sa richesse, ses nuances, ses couleurs et sa sincérité. Un beau moment de musique !

 

Patrice Imbaud.

 

 

Franz LISZT. Carnets d'un pèlerin. Cyril Huvé, piano. 1 CD La Grange aux Pianos : GAP01. TT : 70'19.

Voici un très bel album que nous propose le pianiste Cyril Huvé pour ce premier CD gravé sous son nouveau label La Grange aux Pianos. Une présentation flatteuse, un livret didactique et une magnifique interprétation des ces œuvres de Franz Liszt, où s'affirme et se confirme une vraie affinité entre le pianiste et le compositeur hongrois. Un recueil d'œuvres de la maturité, extraites de la Seconde Année de pèlerinage-Italie (Sposalizio, Il Penseroso, Sonnet de Pétrarque n°104, Après une lecture du Dante) et des Harmonies poétiques et religieuses (Funérailles et Bénédictions de Dieu dans la solitude). Nous sommes, ici, bien loin du compositeur virtuose parcourant toute l'Europe, c'est un pèlerin qui nous emmène dans ses traces et nous conduit dans un voyage tout intérieur, une quête initiatique, un long, douloureux et impérieux parcours au fond de lui-même, à travers espoir et désillusion, sur les traces de Dieu. Un chemin ponctué d'ombre et de lumière, de rire et de pleurs, d'amour et de désolation où le piano Steinweg 1815 fait entendre sa sonorité ardente, tantôt orchestrale, tantôt confidente. L'interprétation de Cyril Huvé y fait preuve d'une rare pertinence dans le jeu pianistique, prenant le temps de s'attarder, ici, devant un tableau de Raphaël ou une statue de Michel Ange, avant de nous entrainer plus loin dans une marche inexorable et envoûtante, pour retrouver, enfin, la lumière et le pressentiment du Salut. Un disque magnifique, intime et exalté, comme une prière ! Un pèlerinage bouleversant à ne pas manquer !

 

Patrice Imbaud.

 

« Lux ». Ensemble vocal Voces 8. 1CD DECCA : 478 8053. TT : 60'03.

Un disque magnifique que ce dernier opus de l'ensemble vocal britannique Voces 8. Un ensemble fondé en 2003 par d'anciens élèves du chœur de Westminster Abbey. Un enregistrement présentant un florilège de morceaux chantés a capella de différents compositeurs comme Thomas Tallis, Olga Gjeilo, Edward Elgar, John Tavener, Gregorio Allegri, Rachmaninov ou encore Massive Attack… parfois renforcés par un saxophone ou un violoncelle, regroupés autour du thème de la Lumière. Un enregistrement conçu comme un voyage dans le temps et l'espace, mais surtout comme un voyage intérieur où le chant choral frappe par sa beauté, son homogénéité, la qualité superlative des voix, leur cohésion faisant de ce disque une longue prière se déroulant d'un seul tenant. Une musique éthérée, sublime où les voix s'harmonisent en un divin égrégore et où nos regards restent tournés vers la Lumière. A ne manquer sous aucun prétexte !! Superbe !

 

Patrice Imbaud.

 

« Paris, mon amour ». Sonya Yoncheva, soprano. Orquestra de le Comunitat Valenciana, dir. Frédéric Chaslin. 1CD SONY Classical : 88875017202.TT : 55'19.

Dans ce premier récital solo enregistré pour Sony Classical, Sonya Yoncheva confirme son statut de diva, étoile montante hier, aujourd'hui star incontestée du monde lyrique. Lauréate du concours Operalia en 2010, on se souvient, en autres, de sa prestation exceptionnelle dans les trois rôles des Contes d'Hoffmann en 2011, sous la baguette de Marc Minkovski, salle Pleyel à Paris, comme de sa Lucia incandescente à l'Opéra Bastille en 2013. Un récital comme un hommage à la ville qui vit ses grands débuts sur scène. Ville de l'amour, le Paris de la Belle époque vécut indiscutablement une révolution dans l'expression d'une nouvelle vocalité. Soit fournissant un cadre à des opéras comme La Bohême de Puccini ou La Traviata de Verdi. Soit lieu de composition ou de création, comme pour Salomé, Le Cid, Thaïs de Massenet, Sapho de Gounod, Madame Chrysanthème de Messager et Les Contes d'Hoffmann d'Offenbach, tous composés ou créés dans la ville lumière, considérée alors, comme la capitale de l'opéra. Un enregistrement magnifique où la soprano bulgare honore les plus rôles du répertoire opératique, un florilège d'airs pour la plupart connus de tous, sauf deux toutefois moins célèbres, tirés de Le Villi , un opéra de jeunesse de Puccini, et des Cents Vierges de Lecocq, tous interprétés magistralement. La voix est chaude, ronde, puissante, convaincante, souple dans la ligne de chant, sans aucun vibrato, seule la diction laisse parfois un peu à désirer… Une confirmation pour les uns, une révélation pour d'autres, dans tous les cas une admirable chanteuse à suivre… Un disque qui ravira, sans doute, un large public.

 

Patrice Imbaud.

 

« Voice of hope ». Pumeza Matshikiza, soprano. 1CD DECCA : 478 7605. TT : 44'26.

Malgré un fort battage médiatique, ce premier disque de Pumeza Matshikiza, encore surnommée la « diva des Townships » ne nous convainc qu'à moitié. Originaire des quartiers défavorisés du Cap en Afrique du Sud, elle effectua la majorité de ses études musicales à Londres au Royal College of Music, avant de rejoindre la troupe de l'Opéra de Stuttgart où elle fit ses premières armes en Mimi dans l'exercice difficile de l'art lyrique. Son premier album, édité sous le label DECCA, rassemble quelques airs d'opéra empruntés à Puccini (La Bohême et Turandot) et Mozart (Don Giovanni) ainsi que de nombreuses mélodies traditionnelles sud africaines excellemment chantées en son temps par Miriam Makeba, la « diva Africa ». La voix est, certes, belle et puissante, la tessiture étendue, le timbre particulier, mais le phrasé manque parfois de souplesse et de legato, le chant peu nuancé restant entaché par un important vibrato assez gênant, dans un répertoire opératique où les références ne manquent pas…Une voix à suivre qui devra encore chercher un répertoire plus adapté…

 

Patrice Imbaud.

 

Alexandre SCRIABINE. Œuvres mystiques pour piano. Jean-Pierre Armengaud, piano. 1 CD Bayard Musique : 308 438.2 TT : 76'50.

On ne peut que remercier chaleureusement le pianiste Jean-Pierre Armengaud de rééditer un tel disque, en cette année célébrant le centenaire de la mort d'Alexandre Scriabine (1872-1915) pianiste et compositeur russe, atypique surement, visionnaire sans doute et mystique assurément. Un programme, avouons-le, un peu « happy few » se concentrant sur les œuvres majeures de la maturité du compositeur russe, à compter de l'année 1906, marquant le début de la troisième période du compositeur, celle qui le conduira jusqu'à sa mort vers un autre monde, entre magie et mysticisme. En 1905, il quitte sa femme pour vivre avec sa maitresse Tatiana de Schloezer. Son œuvre, étalée sur une trentaine d'années, le guide, au travers de la danse, du rêve, de l'ivresse, vers l'extase finale. Elle comprend des œuvres pour pianos (Mazurkas, Préludes, Etudes, Poèmes et Sonates) et des compositions orchestrales d'une stupéfiante modernité (Divin Poème, Poème de l'extase, Prométhée) qui lui apporteront la gloire. A partir de 1911, l'œuvre du compositeur russe se recentre sur le piano avec le monument musical que constituent ses dernières sonates. Sa musique devient un appel vers un autre monde, une musique vers un au-delà de toute musique, vers Le Mystère et Vers la flamme. Prophète d'une nouvelle musique pour un nouveau monde, Scriabine meurt le 27 avril 1915 à Moscou, laissant une œuvre parmi les plus originales de toute la musique. Ce sont ses dernières années que Jean-Pierre Armengaud nous propose d'explorer, une musique qui à partir de la Sonate n° 5 consumera la forme, l'espace, l'harmonie, le rythme, pour tendre vers le cosmos musical, vers le silence, l'inaudible, l'ineffable et le rêve. Artiste-dieu créant un nouveau monde, influencé par Schopenhauer et Nietzsche, il est Prométhée et Dionysos, sa vie se confond avec la création pure jusqu'au point ultime où musique et silence se consument, unis dans la mort. Un itinéraire artistique passionnant sur lequel nous guide le pianiste français. Les Quatre pièces op.51 sont des aphorismes musicaux tour à tour gracieux, introspectifs, lunaires et mystérieux. Les Trois pièces op.52 laissent percevoir l'influence debussyste dans un climat impressionniste, voilé, méditatif, capricieux, aquatique et hagard. Les Deux pièces op.57 comprennent Désir comme un pastiche de Tristan et Caresse dansée, distinguée et raffinée.

 

Poème nocturne op.61 promène une ombre mystérieuse, mouvante entre drogue et magie, comme un appel vers un autre monde, une quête qui se poursuivra jusqu'à la mort du compositeur. Les Deux poèmes op.63 baignent dans le surnaturel par leur sonorité étrange et extatique. La Sonate n° 9 op.68, dite « messe noire » est une œuvre satanique, narrative, rhapsodique, comme une ballade démoniaque dans une ambiance cauchemardesque, à la fois tendue, heurtée et douloureuse, entretenant la terreur jusqu'à l'explosion finale de la danse du sabbat. Les Deux poèmes op.69 sont deux allegretto, éthéré pour le premier, plus ardent pour le second, fruits d'une improvisation magique. Les Deux poèmes op.71 nous envoûtent dans une mystique lyrique et méditative. Les Cinq préludes op.74 forment un ensemble d'aphorismes régis par des proportions numériques autour du chiffre 7, chiffre des maîtres dans la Théosophie, tour à tour déchirants, contemplatifs, véhéments, vaporeux, fiers et belliqueux d'un héroïsme dépressif. Vers la flamme op.72 est le véritable poème des poèmes, une œuvre synthétique, alpha et oméga, sorte d'ode au cosmos, marche vers le soleil, vers la Lumière, abordant au rivage de la transe, de l'enchantement, du « céleste incendie ». Après les Deux danses op.73, languissantes et obsessionnelles, l'album se referme sur des esquisses de l'Acte préalable, rituel préparatoire au Mystère que le compositeur n'eut pas le temps de composer…Une Apocalypse joyeuse devant réunir tous les arts, toutes les sensations dans une polyphonie des sens, une synthèse délirante s'opérant dans une cérémonie cosmique d'une semaine, destinée à sauver l'humanité où Scriabine deviendrait Prophète ! Au-delà du personnage et de son délire quelque peu mégalomaniaque, Scriabine reste assurément un compositeur majeur et visionnaire, véritable passeur assurant la charnière entre les mondes du XIXe et du XXe siècle, repoussant résolument toutes les limites expressives et formelles entre romantisme total et modernisme radical. Cet enregistrement, d'une parfaite justesse de ton, constitue un bien bel hommage que lui rend en toute justice Jean-Pierre Armengaud.

 

Patrice Imbaud.

 

« Trumpet Concertos ». Romain Leleu, trompette. Orchestre d'Auvergne, dir. Roberto Forès Veses. 1CD APARTE : AP103. TT : 59'.

Un disque original qui explore toutes les possibilités techniques et expressives de la trompette à travers des œuvres spécifiques toutes composées au XXe et XXIe siècles. Si  les Concertinos pour trompette de Georges Delerue (1925-1992) et André Jolivet (1905-1974) sont désormais considérées comme des « classiques » du répertoire de l'instrument, le Concerto pour trompette et orchestre à cordes de Karol Beffa (*1973), Le Chant de l'âme de Jean Baptiste Robin (*1976) et Trame XII de Martin Matalon (*1958) signent le renouveau de la trompette, lui fournissant un nouvel éclairage expressif. Volontiers véhémente et guerrière, la trompette sait, ici, se faire confidente, laissant s'élever sa douce cantilène au dessus du tapis orchestral des cordes. Si Beffa et Robin restent dans une optique « tonale », Matalon explore résolument les territoires « avant gardistes » dans le sillage de ses maitres Boulez ou Xenakis. Par son interprétation lumineuse, Romain Leleu se place clairement dans la lignée des trompettistes d'exception, comme Maurice André ou Éric Aubier.

 

Patrice Imbaud.

 

 

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MUSIQUE ET CINEMA

Haut

 

MUSIQUE ET IMAGE

 

Les Misérables d'Henri Fescourt, avec l'ccompagnement musical au piano de Karol Beffa

 

 

Suite au succès de la projection du film Les Misérables d'Henri Fescourt au Théâtre National de Toulouse, le 13 décembre 2014, la Fondation Jérôme Seydoux-Pathé a proposé à ses spectateurs de découvrir le film en exclusivité à Paris, dans son intégralité et dans sa version restaurée. L'enjeu de cette nouvelle restauration était de retrouver Les Misérables avec toute la richesse des différentes techniques de couleurs utilisées en 1925 par Henri Fescourt. A partir d'un négatif de Pathé, conservé par le CNC et d'une copie d'exploitation en couleur, conservée par la Cinémathèque de Toulouse, la restauration du film a été possible grâce aux technologies numériques actuelles les plus pointues. Le film a été ainsi restitué dans une version la plus proche de celle présentée aux spectateurs en 1925. Henri Fescourt signe, avec ses Misérables, une somptueuse adaptation - en quatre parties - du célèbre roman de Victor Hugo, portée par des interprètes exceptionnels (Gabriel Gabrio, Sandra Milowanoff, Jean Toulout..), et des décors naturels saisissants. Qualifié à l'époque de « chef d'œuvre de la cinématographie mondiale », le film reçut un accueil quasi unanime. Le film a été présenté dans son intégralité les samedis 7 et 14 mars derniers, soit six heures de projection ! Ces séances ont été accompagnées par le compositeur interprète Karol Beffa (cf. son ITV dans la NL de 2/2015). C'était impressionnant de le voir improviser pendant autant de temps, à la limite de la tendinite ! Loin de faire du « mickeymousing », Beffa peaufinait un discours subtil où la psychologie des personnages était décrite en fonction des scènes jouées sur l'écran. Des citations classiques étaient souvent les bienvenues (Bach pour la scène de l'évêque, des variations sur la Marseillaise, Chopin, Liszt lorsque le peuple se soulève pour renverser la monarchie en juillet 1832, …). Sans parler de la fameuse barricade où sera assassiné Gavroche et blessé Marius : plutôt que d'appuyer sur les fusillades de l'action, le discours musical se faisait très lent, angoissant, dramatique, annonçant les morts, la défaite. C'était une partition intelligente, empreinte d'une sensibilité peu visible lorsqu'on approche ce compositeur. Espérons qu'on pourra réécouter cette musique lorsqu'elle sera enregistrée et qu'un DVD sera édité.

 

Stéphane Loison.

 

ENTRETIENS

 

Mathieu LAMBOLEY

 


DR

 

Pianiste et compositeur de trente cinq ans, Mathieu Lamboley a étudié successivement au Conservatoire régional de Paris et au Conservatoire National Supérieur de Musique de Paris - CNSMDP - où il finit son parcours musical brillamment avec 5 premiers prix : Harmonie, Contrepoint, Fugue et Forme, Orchestration, et Piano. Il sera notamment l'élève des pianistes Michel Beroff, Éric Lesage, Brigitte Engerer, Olivier Gardon, Yves Henry ou encore Denis Pascal. Pour la composition il recevra les enseignements d'illustres maîtres comme Thierry Escaich, Marc André Dalbavie, Jean François Zygel, Jean-Claude Raynaud ou DeCrepy.

 

À la Guidhall School of Music of London, il étudie la direction d'orchestre avec Alan Hanzeldine et dirige à cette occasion diverses formations symphoniques. Il choisit de se perfectionner en orchestration avec Guillaume Connesson, ce qui lui donnera le goût et l'aptitude pour l'écriture orchestrale et lui permettra d'être notamment l'orchestrateur de compositeurs de musiques de film comme Grégoire Hetzel, avec Conte de Noël de Arnaud Desplechin. En 2004 il écrit sa première musique du film : Les Oreilles n'ont pas de Paupières d'Étienne Chaillou, film d'animation qui reçoit le Grand Prix pour la meilleure bande originale au festival d'Aubagne 2005. Cette date marque le début de sa carrière en tant que compositeur pour l'image.

 

Quelle est la première musique de film qui vous a passionnée ?

Le premier choc, il est très banal, c'est la musique de Star Wars de John Williams.

 

Ce n'est pas de votre génération ?

Non, mais quand on est ado, on a envie de partir dans les étoiles. J'ai vu les films bien sûr en DVD, il y avait de la musique tout du long, comme un space opéra. Comme j'ai une formation très classique, la musique ce n'était pour moi que Debussy, Ravel, la musique française. Je m'intéressais plutôt à la musique dite classique. Mon père est médecin mais aussi guitariste de jazz et quand j'étais ado on jouait les standards. Son style c'était Jim Hall. Je composais un peu, j'avais ainsi une culture plus large et mon père m'a conseillé de prendre des cours d'écriture. Je suis donc entré au conservatoire en écriture vers 18 ans. J'aimais faire de la musique française et j'adorais aussi écrire des chansons, faire des spectacles de cabaret. J'avais deux casquettes  : le classique et la pop. Je ne me posais pas de question de savoir quel style de musique je voulais écrire. Je ne peux pas dire qu'à 15 ans je voulais être compositeur de musique de film, mais je me suis rendu compte que d'écrire en même temps pour le théâtre, pour la chanson et pour le cinéma c'était des supports qui permettaient de m'exprimer. Je ne prétendais pas devenir un compositeur de musique de concert.

 

Pour quelles raisons  êtes-vous allé à  Londres et aux États-Unis?

J'étais encore au CNSMDP et je suis allé à Londres pendant huit mois pour travailler mon programme de prix pour le piano et j'ai fait les options de direction d'orchestre. Ce n'était pas une grande formation mais j'ai appris les basiques, ce qui me permet aujourd'hui de diriger mes propres musiques. Aux États-Unis, j'ai fait un atelier, qui existe toujours, organisé par l'ASCAP (la Sacem américaine). Elle organise un workshop pendant un mois et demi ; on était dix compositeurs du monde pour composer une séquence musicale à la fin du stage sur un film préexistant jouée par un orchestre qu'on dirigeait dans un super studio à Hollywood ; et on avait des cours, des master classes, où on nous expliquait le business, le monde de la musique, aux USA. On a eu des rencontres, entre autres, avec Zimmer et James Newton Howard de Remote control qui nous donnaient des conseils.

 

Et quels étaient leurs conseils ?

Continuez ! On aime l'approche frenchy de votre musique ! Ce qui s'avère être vrai quand on voit la carrière d'Alexandre Desplat. J'ai rencontré un agent qui m'a dit qu'il y avait de la place pour les Français. Mais il fallait faire d'abord un succès qui soit français et qui marche aussi aux États-Unis !

 

Comment avez-vous rencontré des réalisateurs?

Par pur hasard, il y avait des petites annonces à la cafet' du CNSMDP. Il y avait un réal qui cherchait un compositeur pour son projet de fin d'études aux Arts Déco. C'était en 2005, pour le film d'Étienne Chaillou Les Oreilles n'ont pas de Paupières, un film sur la musique. On s'est rencontré, il savait ce qu'il voulait, une musique de style viennois qui aurait pu être jouée dans un camp de concentration. Tout le film est sur le décalage entre cette musique entraînante, joyeuse et l'horreur qui se passait dans les camps. Je me suis inspiré de l'esthétique de l'époque romantique, du XIXème siècle. On commençait dans du Schumann et on allait vers des harmonies plus ravéliennes. Je n'avais pas de synchronisation à faire à l'image parce que lui recalait tous ses dessins.

 

Il était ravi de votre travail parce que vous avez retravaillé avec lui en 2008 et 2009.

Oui, et je vais travailler avec lui le mois prochain. Il s'est associé avec Mathias Thery et ils font du documentaire. Comme ils travaillent avec Les Films d'Ici, j'ai eu pas mal de collaborations avec cette société. Mes premières musiques étaient pour des documentaires.

 

Comment avez-vous rencontré Caroline Huppert pour qui vous avez souvent travaillé ?

Je l'ai rencontré parce que j'ai orchestré des musiques de Grégoire Hetzel qu'il composées pour elle. En 2011 il était très pris pour faire la musique du téléfilm Climats. Ellle s'est souvenue que j'avais travaillé avec Grégoire et elle m'a proposé de travailler pour elle.

 

Et vous avez composé ses deux suivants!

Oui, pour Djamila en 2012 et l'année dernière, pour Un Père Coupable.

 

Vous avez écrit un très beau thème dramatique pour Djamila, on n'aurait pu penser à du Ligeti...

C'est tout à fait inconscient, c'était pour la scène de torture. Caroline Huppert, dans la version finale, a décidé de mixer les bruits réels un peu devant alors qu'à la base elle avait une idée de ne mettre que la musique. On voyait souffrir Djamila ; pour moi ces voix étaient celles de la femme. J'ai voulu composer un morceau vocal qui symbolisait le cri et la souffrance qu'elle endurait. D'où une esthétique pas forcément tonale, plus sur la dissonance. J'étais un peu triste que la séquence ait été sous mixée ; on n'a jamais le dernier mot.

 

C'est bien dommage car c'est un beau morceau. Comment se comportent les réalisateurs avec qui vous travaillez ?

Globalement ils sont assez ouverts, ils savent à peu près ce qu'ils veulent au niveau esthétique. Chaillou et Thery  sont très tatillons ; c'est à la note près qu'ils travaillent. Il y en a qui ont plaisir à venir collaborer au processus de création, ils sont partie prenante de la partition ; ce qui est intéressant et permet de se renouveler, de se mettre des challenges.

 

Vous avez collaboré à la musique du film Un Conte de Noël de Desplechin  avec Grégoire Hetzel, un compositeur très à la mode en ce moment. Comment l'avez-vous connu ?

La première fois, j'avais 13 ans, il suivait un stage de piano avec mon professeur Yves Henri. Ensuite il a été professeur de solfège et moi j'étais en fin d'études au conservatoire du 6ème  On se croisait souvent et il savait que je composais. Il m'a proposé d'être son assistant, j'ai collaboré sur pas mal de films avec lui.

 

Vous écrivez une musique à thème, assez lyrique, romantique, c'est de la belle musique, ce n'est pas péjoratif pour moi. C'est ce que vous aimez proposer ?

Oui c'est vrai, on me demande toujours un thème. Dernièrement j'ai répondu à un appel d'offre et j'ai été pris parce qu'il y avait un thème. C'est le prochain film de Pascal Chaumeil, le réalisateur de l'Arnacœur.

 

Vous aimez lire les scénarios en avance.

Oui j'aime les lire mais il m'est arrivé qu'on m'appelle, le film monté, sans avoir eu de relation avec le réalisateur.

 

Comment avez-vous fait pour travailler avec Gaumont ?

En fait j'avais travaillé pour un documentaire et la monteuse, six ans après, se souvenait de mon travail. Un jour, je reçois un coup de fil d'un réalisateur pour composer la musique de son film Brigitte Bardot,  produit par Gaumont. Il faisait un petit casting, il y avait Grégoire Hetzel qui était en lice visiblement avec qui il avait envie de travailler, mais la monteuse lui a conseillé de travailler avec moi..

 

Il y avait peut-être aussi une question de budget ?

Vu la somme allouée je pense que Grégoire n'aurait pas accepté. C'est à cette occasion que j'ai rencontré Quentin Boniface, le responsable de la musique de chez Gaumont. Il m'a dit que le budget était faible mais dès qu'il y aurait des appels d'offres il me ferait participer. Quatre mois après il m'a téléphoné et il m'a dit qu'il y avait un premier film que produisait Gaumont, Libre et Assoupi et que le réalisateur n'avait pas de compositeur. On était dix compositeurs au casting. On avait deux séquences à illustrer, mon pseudo était Batman pour qu'on ne sache pas qui on était et j'ai été choisi. Idem pour le film de Noémie Saglio et Maxime Govare Toute Première Fois, et pour le prochain film ce fut pareil.

 

Dans Bardot il y a du Delerue dans votre musique, c'est involontaire ?

Ah bon ? Peut-être la façon de traiter les cordes, très classique...

 

Y'a-t-il un réalisateur qui vous a appelé et qui vous a dit : j'aime ce que vous faite, travaillons ensemble !

Non, pas encore, je suis trop jeune dans le métier peut-être. Dans le documentaire ça m'arrive mais pas encore sur des longs.

 

Que vous a t-on demandé de composer pour le prochain film ?

Moi qui suis assez classique on m'a demandé de faire une musique assez rock donc je suis obligé de faire à la manière de, il y a des codes dans ce genre de musique.

 

Dans vos deux derniers films j'ai eu l'impression d'entendre la même musique ?

C'est amusant ce que vous me dites parce que pour Toute Première Fois la monteuse avait pris des musiques de Gaumont pour le montage en attendant les musiques originales.  Elle avait monté les séquences avec la musique de Libre et Assoupi ! que je venais de composer. Après l'appel d'offre elle s'est aperçue que les musiques temporaires mises au montage étaient celles du musicien qui avait passé le casting ! Les réalisateurs bien sûr s'étaient attachés à ces musiques et donc voulaient le même style. J'ai essayé d'en sortir et j'ai amené les musiques vers un univers plus moderne.

 

La musique de Toute Première Fois est sortie en CD. Trouvez-vous judicieux qu'on les écoute hors de leur contexte ?

Il y a deux cas de figures : là il y a des chansons que j'ai composées, donc c'est super de pouvoir les écouter ; d'autre part, ce sont des petites pastilles que j'ai écrites, et qu'on peut parfaitement écouter sur un CD; il n'y a pas de grandes séquences musicales. J'ai écrit plus de musiques pour des séquences qui ont sautées au montage, et qui étaient plus décalées que celles qu'on entend dans le film. Il ne faut pas avoir d'ego parfois. Le groupe Nuit Blanche c'est moi aussi !

 

Nuit Blanche qu'est ce que c'est ?

Il se trouve que j'ai travaillé avec la chanteuse Lise Meyer et c'est un groupe qu'on avait créé. Lorsque j'ai écrit des musiques de film on m'a demandé des chansons. Donc on a écrit des chansons ensemble en anglais pour Macadam Baby puis pour Libre et Assoupi et pour Toute Première Fois ; et à côté on a écrit des textes en français pour un projet de disque qui va sortir début septembre.

 

N'est-ce pas compliqué d'écrire pour des comédies ?

Oui, car il y a beaucoup de dialogues et beaucoup d'effets. Il faut à la fois ne pas entrer dans le « mickeymousing » (musique qui souligne chaque événement du film par la bande sonore, NDLR), les synchros sur des vannes ça ne marchent pas du tout, et d'un autre côté il faut que la musique soit assez discrète et on n'a pas forcément la place pour un grand thème. Pour Toute Première Fois, là où je me suis le plus amusé à écrire c'était pour les séquences de Montmartre et celle du Jacuzzi ; là j'ai pu développer ma musique.

 

Est-ce que faire de la musique pour l'image c'est composer de la sous musique ?

Non, c'est de la sous musique si on se cantonne à faire du classique mis à l'image, avec trois harmonies simples. Mais si on se dit qu'il faut entrer dans un cadre stylistique qui nous est donné, entrer dans le son, mélanger les timbres, s'il y a une part de recherche compositionnelle existante et pas forcément formelle, c'est de la vraie composition musicale. Le support image induit une composition précise. Dans la pop, c'est au niveau du mix que la création va se faire. On n'apprend pas au conservatoire comment fonctionne un compresseur, tout ce qui a un rapport au son qui finalement change la couleur d'une pièce. L'œuvre c'est le résultat de ce qui sort du studio. La maquette ne donne jamais ce que sera le résultat, il faut que le réalisateur arrive à se projeter dans ce qu'on lui propose.

 

Écoutez-vous vos confrères ?

Oui, ça m'arrive mais je suis trop dans mon truc et je ne peux pas dire si je suis fanatique de tel ou tel compositeur. Je suis impressionné par la carrière de Desplat. Bon, Bernard Herrmann c'est la référence…J'aime ce que fait Grégoire Hetzel, Olivier Calmel,

 

Est-ce que vous voulez évoluer vers des musiques plus contemporaines, plus électro ?

Pas pour le moment. J'adore les cordes, les musiques lyriques. J'adore composer de la musique pour les comédies, mais j'aimerai aussi faire un vrai film romantique.

 

J'espère qu'un réalisateur vous lira !

 

       

 

 

https://www.youtube.com/user/mathlamboley

https://www.youtube.com/watch?v=UiY1fyWloeE

 

Propos recueillis par Stéphane Loison.

 

 

LA RELEVE !

Stéphane Gassot (SG), Maël Oudin (MO) et Arthur Ouvrard (AO)

 

Ils sont des jeunes compositeurs de musiques pour l'image, ils sont 9, encore au CNSMDP dans la classe de Laurent Petitgirard. Nous les avions rencontré au concert de la classe de composition en présence de Patrice Leconte. Nous allons, au fur et à mesure, faire un entretien de ces futurs compositeurs avec trois d'entre eux. 

 

Pourquoi vouloir faire de la musique de film ?

 

Arthur Ouvrard (AO) : Moi ça fait assez peu de temps que j'y pense. En fait, c'est mon entourage qui m'a fait remarquer que mon style de musique se rapprochait le plus de la musique de film et m'a conseillé de me diriger vers ce genre de composition ; mais à la base je n'étais pas un passionné de cinéma, je m'y intéresse que depuis peu de temps.

Tous : Au départ, on voulait être compositeur, arrangeur,

Stéphane Gassot (SG) : Je trouve que les deux vont bien ensemble, compositeur et arrangeur de musique de film.

 

Vous vouliez être compositeur et non musicien, interprète ?

 

AO : Si si, moi je voulais être interprète.

Maël Oudin (MO) : Au départ je voulais faire de la composition, de l'improvisation. J'ai commencé au piano, puis à la contrebasse. Ca me branchait plus d'improviser, d'inventer des trucs plutôt que d'apprendre des morceaux.

 

Quand vous étiez môme vous vous amusiez à écrire des compositions ?

 

AO : Je le faisais, mais j'ai longtemps hésité entre l'instrument et la compo, je joue de la flûte traversière et la composition a été assez vite une évidence.

 

Tu vas faire un parcours à la Desplat alors ?

 

AO : Faut pas exagérer, oui il est flûtiste, si j'arrive un jour à son niveau je serai content !

SG : J'ai fait du piano, de l'orgue ; il paraît qu'à huit ans j'improvisais, mais je ne m'en souviens pas. Je préférais faire ce que je voulais qu'apprendre des partitions.

 

Est-ce qu'il y a eu un déclic, comme des dessins animés ou un film, qui vous a donné l'envie d'écrire pour l'image ?

 

Tous : Non pas nécessairement…j'écoutais la musique dans les films…

MO : Non, je suis entré au Conservatoire assez tard, à 18 ans, pour faire de la musique.

 

Depuis que vous êtes au CNSMDP on vous propose des projets ?

 

MO : Par mes relations, mes amis, je cherchais des projets, des amis qui font du cinéma, du théâtre.

 

Avez-vous fréquenté la cinémathèque ?

 

Tous : non !

 

Le cinéma ne vous intéresse pas mais la musique oui ; c'est étrange non ?

 

SG : On s'y intéresse maintenant, sur le tard,

MO, AO : Oui c'est ça !

MO : On regarde des DVD,

SG : On a quand même aimé le cinéma, les séries, on est une génération d'incultes !

AO : En ce moment je vais pas mal au cinéma, pour rattraper mon manque de culture.

 

J'essaye de comprendre : il n'y a que la musique qui vous intéresse et la musique de film en particulier vous intéresse aussi ; mais vous n'avez pas de culture cinématographique ! Il y a quand même un vrai problème non ? Comment avez vous découvert la musique de film ? En écoutant des CD ?

 

MO, AO : Oui, entre autres…

MO : Je n'ai jamais eu la démarche d'écouter de la musique en dehors des films ! La musique ne m'intéresse que lorsque je vais voir des films, comme un tout. Quand je vois un film, c'est pour l'apprécier dans sa globalité. La musique de film comme vocation, c'est venu bien plus tard.

SG : Les BO ce n'est pas forcément ce qui m'intéresse, mais plutôt le rapport de la musique avec l'image. Je pense qu'il est difficile de dissocier les deux. Comme dit Coulais, les musiques de films, aujourd'hui à Hollywood, on peut les intervertir l'une avec l'autre, ça ne change pas grand chose.

 

Avez-vous eu un déclic en regardant, je ne sais pas : un western, de la SF…

 

SG : Nous c'est Star Wars, même si ce n'est pas notre génération, Bernard Hermann aussi.

 

C'est en voyant ce genre de film que vous avez eu le déclic ?

 

Tous : Oui…Y'a un peu de ça !

MO : Je ne me souviens pas d'avoir eu un déclic sur un film en particulier, mais il m'arrive de me souvenir de la musique en sortant d'un film, j'y suis très sensible.

 

Donc aucun choc alors ! Vous êtes la génération des années 80 et rien ne vous a impressionné !

 

SG : Si, la musique des Simpson !

MO : Je regardais les Disney mais sans plus.

 

Pour résumer, vous entrez au Conservatoire National et vous voulez composer sans idées précises ?

 

SG : Ce n'est que petit à petit qu'on se fait une idée précise de ce qu'on veut faire. C'est une progression lente, très lente. On joue d'un instrument, on joue en groupe, on fait de la musique de chambre et petit à petit on a envie d'imiter un compositeur, un truc qu'on aime bien chez Beethoven par exemple. On est des touches à tout.

AO : Je ne suis pas un génie précoce : avant de choisir, je fais des expériences. Plus on apprend, plus on a envie d'apprendre. On progresse en découvrant les prédécesseurs, on a des cours d'analyse, d'écriture, avec Thierry Eschaich….

SG: Avec aussi Jean-François Zygel, professeur d'harmonie et d'improvisation

AO : Zygel fait un enseignement assez atypique, mais je crois que grâce à lui je suis sorti de sa classe avec mention très bien. Il m'a ouvert les yeux sur pas mal de choses.

 

Vous avez tous un sérieux bagage, vous êtes prêts à composer pour le cinéma, vous avez déjà eu ce genre d'expérience ?

 

Tous : Oui ….pour des courts-métrages

 

Comment se sont faites les rencontres ?

 

Tous : Des hasards ….des rencontres entre écoles…

MO : J'ai fait mon premier court-métrage pour un copain de copain du lycée qui était dans une école d'animation, puis j'ai fait quelques pubs.

 

Vous posez vos candidatures, vous vous bougez…

 

SG : Oui, moi on m'a proposé pas mal de trucs, mais fallait se bouger pour répondre…j'ai pas toujours été très réactif…

MO : J'ai là trois mois de boulot devant moi…

SG : Si tu en as trop pense à nous…(rires)

AO : Je manque souvent de réactivité mais je suis en train de progresser là-dessus.

 

Tous les trois vous êtes encore dans la classe de Laurent Petitgirard, compositeur et professeur de composition de musique pour l'image. Qu'est ce que cela vous apporte d'être chez lui ?

 

TOUS : ça nous bouste un peu !

AO : Toutes les deux semaines on doit composer sur un thème donné, c'est un peu un laboratoire pour nous, ce qui nous permet d'expérimenter.

SG : C'est très différent à chaque fois. Il nous donne une séquence et on doit inventer une musique.

MO : On voit aussi ce qu'ont inventé les copains et c'est enrichissant.

SG : C'est très formateur

MO : On voit des options qui marchent bien ou plus ou moins bien.

 

Pour revenir aux courts-métrages dans lesquels vous avez participé, c'est des réalisateurs en devenir de long ?

 

Tous : Exactement!...on espère

SG : Mais ça peut-être des musiques de jeux vidéo, d'animations, de pubs

MO : J'ai fait de la musique pour un spectacle vivant et il y a des similitudes, c'est hyper intéressant. La musique de film n'est pas une fin en soi, c'est un des aspects de notre composition, même si j'aimerais faire un long-métrage.

 

Est-ce que vous estimez faire de la sous musique par rapport à la musique de concert ?

 

SG : Cela dépend de ce qu'on nous demande d'écrire !

AO : C'est une musique pour un film, ce n'est pas une musique qui est appelée à être jouée en concert. Elle ne sera peut-être pas aussi riche qu'une musique de concert parce qu'il y a le support de l'image.

 

Vous composez pour vous aussi ?

 

Tous : Oui….oui ! …..Mais ça prend du temps.

AO : Depuis que je fais des classes d'écriture, je vais plus lentement qu'avant !  Je fais tellement attention à tout, je n'arrive pas encore à me détacher de tout ce que j'ai appris. Pendant ces quatre années passées au CNSMDP il faut savoir s'en servir et aussi s'en détacher.

 

Vous avez déjà des styles particuliers ?

 

Tous : Oui ….on se reconnaît mutuellement… Il y a quand même une patte.

 

Lorsque vous avez fait l'expérience sur la séquence de Monsieur Hire en présence de Patrice Leconte, vous aviez un grand orchestre à votre disposition ; c'était impressionnant d'entendre sa musique sonner ainsi ?

 

SG : Oui, car les musiciens du conservatoire sont quand même la génération des futurs grands interprètes. Certains même ont déjà joué avec le Philharmonique de Berlin !

 

Vous n'êtes pas très chauds pour écouter simplement de la musique de film en concert ?

 

SG : On a fait l'expérience à Pleyel, Laurent nous avait invité à écouter de la musique de cinéma en concert. Des musiques qui passaient très bien dans les films, paraissaient très plates auxoncert. Avec le film elles collaient parfaitement.

AO : Une musique de John Williams ou de Joe Hisaishi, on peut l'écouter sans problème, mais il n'y a peu de musique de films qui résistent sans l'apport de l'image.

SG : Desplat en concert on s'ennuie un peu. Y'a pas de mélodie, de matériaux thématique, mais c'est très bien orchestré et a quand même beaucoup de gueule.

 

Vous avez fait des arrangements pour des compositeurs ?

 

SG : J'ai fait des arrangements, des orchestrations, mais pas en tant que nègre, pas encore.

AO : Je le fais pour des jeux vidéo avec un groupe qu'on a créé avec des amis. Il s'appelle la Séga, en hommage à la console mais c'est un acronyme qui veut dire « Société des écrituristes gamers arrangeurs ». On est une trentaine, mais on est trois ou quatre à faire les arrangements de musiques pour les jeux vidéo.

 

La musique des jeux vidéo est devenue assez exceptionnelle ?

 

AO : Là, les musiques se suffisent à elles-mêmes, plus que dans les films, car elles collent à l'atmosphère plus qu'à l'image.

 

On est plus dans des musiques d'atmosphère, il y a peu de scènes romantiques…

 

AO : Pas tout le temps, on est quelques fois dans le pseudo romantisme très exagéré, kitch, dans les cinématiques notamment, ces phases entre les périodes de jeu, entre les niveaux, il y a des scènes d'amour avec de la musique totalement kitch qui me plaisent, qui sont souvent too much.

 

Est-ce que vous vous sentez très classique dans votre tempérament ?

 

SG : Non, on peut écrire de l'électro, du jazz

MO : En tant que bassiste, le jazz c'est ma culture, je joue dans un groupe « Palace of Mirrors » avec Axel Nouveau qui est aussi dans la classe de composition - http://palaceofmirrors.com - on est neuf, il y a une démarche assez importante au niveau d'écriture, d'improvisation.

 

Votre rêve aujourd'hui ?

 

AO : Faire de la musique de jeu vidéo, pour de l'animation car il y a une part importante de musique.

MO : Avoir un projet intéressant ! Quand les images sont belles, elles nous inspirent. Il y a des projets d'animation qui ne donnent pas envie !

 

Le jeu vidéo c'est le grand avenir ?

 

SG : Oui car il supplante le cinéma !

AO : La musique de jeu vidéo est jouée dans les concerts, plus que celle des films. La musique de Zelda est devenu un grand classique. Ocarina a vraiment marqué. Dernièrement il y a eu un concert de musique de jeux vidéo au Palais des Congrès, ambiance concert de rock alors que c'était avec un orchestre symphonique, et 3500 personnes ! Il y a un engouement pour cette musique.

 

Votre dernière musique de film ou jeu que vous avez aimé ?

 

AO : « Head Hunter » composée par Richard Jacques. Le jeu n'est pas terrible mais la musique est impressionnante avec Orchestre Symphonique.

https://www.youtube.com/watch?v=3y5DrVhn2LQ

SG : le dernier film que j'ai aimé n'avait pas de musique !

MO ; j'ai vu « Génésis » et j'ai beaucoup aimé le travail de Bruno Coulais.

https://www.youtube.com/watch?v=3VCcP2Bq0jk

 

Vous avez un cours sur l'histoire de la musique de film ?

 

SG : Oui, c'est Jean-Stéphane Guitton

 

Vous apprenez des choses ?

 

SG : Oui, là il nous a fait un cours sur le compositeurs hollywoodiens, les Leitmotivs de Steiner.

 

Pour faire connaître vos musiques comment faites-vous ?

 

SG, AO : On est très en retard là-dessus…

AO : Moi je viens d'acheter mon nom de domaine…

SG : On est très en retard en communication…Il va falloir qu'on s'y mette…

AO : J 'attends d'avoir un ou deux trucs plus variés, plus importants…

MO : J'ai des courts-métrages qui sont en festival donc je ne peux pas encore les mettre en ligne.

SG : On est plusieurs à être dans ce cas.

AO : Je viens de terminer un pilote, un format court. C'est une série avec des références cinématographiques donc au niveau de la musique j'ai dû écrire aussi dans ce sens, faire à la manière de, mais sans copier.

SG : Je travaille sur le film d'Alexi Hellot que j'ai rencontré à UCLA à Los Angeles. Il est très mélomane, il a mis du Webern pour monter son film, il veut de la musique atonale. J'ai six projets en ce moment.

MO : On peut grâce aux copains du conservatoire, faire jouer notre musique.

SG : On a pu faire un ciné concert pour des films muets d'animation de Karel Zeman avec Marie Jeanne Serero au Louxor. On avait un quatuor, des perçus, et une clarinette, un basson, qui jouaient en direct ; c'était pour des gamins, ils ont apprécié, la musique était au premier plan.

 

Combien de temps allez vous rester encore au Conservatoire ?

 

MO : Pour moi c'est fini, par mes activités de scène je vais pouvoir accéder à l'intermittence. J'ai un circuit pub, de spectacles vivants et je vais donner des cours de piano, de basse.

AO : Moi aussi à la fin de l'année c'est fini. La classe c'est un an renouvelable mais on va être nombreux…

SG : Je vais rester encore un an, j'aimerais pouvoir travailler avec Thierry Eschai avant de partir du Conservatoire. C'est un super improvisateur !

 

Alors un grand « Merde » à vous trois !

 

Propos recueillis par Stéphane Loison.

 

 

BO en CDs

 

SUITE FRANCAISE. :Réalisateur : Saul Dibb. Compositeur : Rael Jones

CD Sony Classical n°88875069942

 

Adapté du magnifique livre appelé « Suite Française » d'Irène Némirovsky, le film est seulement la deuxième partie du roman : « Dolce ». Il devait y en avoir cinq. Mais les événements ont fait qu'elle n'a pu écrire les autres. D'origine juive ukrainienne, Irène Némirovsky est morte en déportation en 1942. Le cahier dans lequel elle avait écrit cette œuvre a été préservé par ses filles, qu'elles ne lisent qu'en 1998 ! Les deux romans – « Tempête en Juin » qui raconte la débâcle de 40, et « Dolce » l'occupation « paisible » allemande dans la petite ville de Bussy - sont publiés ensemble aux éditions Denoël sous le titre de « Suite Française ». Il a reçu le prix Renaudot en 2004. Il est toujours difficile de voir un film lorsque vous avez dévoré le livre : comment traiter cette histoire d'amour interdite et de restituer le non dit. Le résultat est, ici, qu'il n'est qu'une simple mise en image de l'histoire et le choix de la fin, différente du roman, est totalement invraisemblable ! Mais, mais, on se laisse emporter par « Suite Française » grâce à l'étonnante prestation des acteurs. Le casting est d'une justesse stupéfiante. Kristin Scott Thomas, dans le rôle de la mère, est méconnaissable. Elle est antipathique et bouleversante à souhait. Face à cette belle mère autoritaire, la jeune belle bru, Lucile, est interprétée tout en subtilité par Michelle Williams. Bruno, le jeune officier allemand, homme de culture et musicien, est joué par Thomas Matthias Schoenaerts. Il sera dit que cet acteur belge est capable de tout interpréter avec finesse et talent.  Lambert Wilson en aristo collabo lui aussi est parfait. Bruno étant musicien, il compose une « Suite Française » dans le film qu'apprécie bien sûr Lucille. Le thème est écrit par Desplat. Pour la musique c'est un guitariste, Rael Jones, plus connu pour ses orchestrations (Les Misérables, Quantum of Solace) que par ses compositions. Ici il y a un joli thème mélancolique qui est orchestré de manières différentes selon les situations. Sur le CD, Sony offre des musiques additionnelles intéressantes dont deux chansons en allemand de l'époque : « Muzik Musik Musik », composition jazzy, et « Bel Ami » chantée par la soprano chilienne Rosita Serrano, qui a eu son heure de gloire sous les premières années du Reich mais qui, prise pour une espionne, a dû fuir l'Allemagne. Son répertoire allemand a eu du mal à séduire après la guerre. Sur le CD il y a un air chanté par Joséphine Baker et le tube de Jacqueline François « Parlez Moi d'Amour ». L'album avec ces compilations est très agréable à l'écoute et restitue bien le climat du film. Lisez le livre, écoutez la musique et allez revoir « Le Silence de La Mer » de 1947, réalisé par Jean-Pierre Melville d'après Vercors qui a curieusement le même scénario !

 

 

UN HOMME IDEAL : Réalisateur : Yann Gozlan. Musique : Cyrille Aufort. 1CD BOriginal by cristalRECORDS –Sony n° BO017

 

Cyrille Aufort a écrit une belle musique pour un sujet ô combien exploité au cinéma. L'histoire de l'écrivain qui n'est pas l'auteur de son livre et, du fait du succès, se trouve coincé dans une spirale infernale. Le nouvel acteur « banquable » du cinéma français, Pierre Niney, auréolé de son César pour le biopic académique sur la vie de Yves Saint Laurent est toujours parfait dans les rôles qu'il interprète et en plus, ici, il a la gueule de l'emploi. Le réalisateur Yann Gozlan aime se frotter aux films de genre, il le fait avec un certain talent. On peut penser que pour la musique il a fait un bon choix. Avec Cyrille Aufort il a voulu que la musique soit très présente, qu'elle soit très dramatique, qu'elle intensifie le suspens, et qu'à certains moments, elle nous raconte l'état d'esprit du personnage. La composition allie la programmation « électronique » avec un orchestre à cordes et une présence discrète du piano. Cette musique, de facture très très classique, même académique dans son écriture, nous fait participer aux angoisses et à la paranoïa du héros. Cyrille Aufort est né en 1974 à Lyon. Titulaire de plusieurs Premiers Prix du Conservatoire National de Musique de Lyon et de Paris, ce musicien a tout d'abord composé la musique de films documentaires et de courts-métrages et a travaillé comme orchestrateur pour Alexandre Desplat et Yvan Cassar. Il a écrit quelques musique de films ( 9A de Reza Rezaï, Hell de Bruno Chiche, Ombline de Stéphane Cazès, Splice de Vincenzo Natali, L'Empire du Milieu du Sud de Jacques Perrin et Eric Deroo) et a participé à la composition musicale du superbe film A Royal Affair de Nikolaj Arcel avec Gabriel Yared. On retrouve dans la musique d'Un Homme Idéal la même pâte, les même orchestrations (cordes et piano ) que celles écrites pour La Maison Tellier ou pour Secret d'Archives. Se répéterait-il déjà ? Ici, sa musique est pour beaucoup dans l'atmosphère du film et elle tient bien à la seule écoute du CD. Un réalisateur à suivre et un compositeur à découvrir, en espérant qu'il se renouvèlera dans ses futurs orchestrations. On peut retrouver des extraits de ses compositions chez Cezanne Music Agency qui propose de nombreuses musiques pour l'image. Plusieurs CD sont proposés sur des thèmes variés.

 

 

LA FILLE DU GARDE-BARRIÈRE : Musique composée et dirigée par Éric Demarsan Livret de 8 pages, notes internes français-anglais par Gilles Loison. Music Box Records - Édition limitée à 500 exemplaires Référence : MBR-061

 

 

La Fille du garde-barrière représente l'une des deux incursions de Jérôme Savary dans le domaine cinématographique. L'homme du « Grand Magic Circus et ses animaux tristes » avec ce film réalise un burlesque érotique dénonçant l'univers du porno triste qui se prend au sérieux. L'idée de départ vient de la question que se posait Topor sur ce que pourrait être un film comique muet dans lequel le sexe ne serait pas interdit, comme à l'époque des très influentes ligues de vertu du début du cinéma. Respectant les codes de réalisation du cinéma naissant, comme l'ouverture et la fermeture à l'iris, vues chez Griffith et Chaplin, le film est interprété par Michel Dussarat et Mona Mour. Il est accompagné par un piano faussement improvisé et complété par une partition orchestrale signée Eric Demarsan, à la tête du London Philharmonic Orchestra. Music Box Records, en collaboration avec Sugar Music, propose cette partition augmentée d'inédits. Quant au film on est toujours sans nouvelle.

 

 

THE SECOND BEST EXOTIC MARIGOLD HOTEL : Réalisateur ; John Madden. Compositeur : Thomas Newman. 1CD Sony Classical 88875031972

 

Sonny est sur le point d'épouser la femme de sa vie et cherche à agrandir sa résidence pour retraités Best Exotic Marigold Hotel puisqu'il ne reste plus qu'une seule place vacante et qu'il n'est pas en mesure d'accueillir convenablement les nouveaux arrivants : Guy et Lavinia. Evelyn et Douglas travaillent maintenant à Jaipur, Norman et Carol tentent de maîtriser les méandres d'une relation exclusive et Madge hésite entre deux prétendants aussi riches et valeureux l'un que l'autre. John Madden est le réalisateur du précédent film sur cet hôtel et sa bande de retraités très british. On les retrouve ici toujours dans le même hôtel avec des histoires tristes et le mariage de Sonny. C'est un film avec de grands moments touchants sur la vieillesse, mais aux Indes on ne meurt pas on renaît ! Ce film mal fichu, ne tient que par l'excellence des acteurs, de Maggie Smith à Judi Dench en passant par le sympathique Dev Patel, le héros de Slumdog millionnaire. Thomas Newman avait déjà composé la musique du précédent Marigold Hotel avec des accents exotiques bien sûr. Ici elle se fait plus discrète mais de belle tenue orchestrale. On a aussi de la musique indienne et le film se termine par une séquence style « Slumdog millionnaire » avec tous les participants, jeunes et vieux, acteurs compris. C'est le moment le plus sympathique du film. Newman est un des compositeurs les plus nommés au Oscar mais il ne l'a jamais eu ; pourtant ses musiques sont de bonnes factures. Le CD est très agréable à écouter. Les morceaux « couleur locale » donnent la pêche.

 

 

https://www.youtube.com/watch?v=pbA6-omDUAQ

 

ALLOCINE Les Plus Grandes Musiques de Films. Compilation.  2CDs : Sony Music n°88875057882

Tout est question de point de vue sur l'appellation « Les Plus Grandes Musiques de Films » : mettre sur le même plan la musique d'Intouchables, de La leçon de Piano, de Pirates des Caraïbes, d'Amélie Poulain  et celle de Star Wars, de Danse avec les Loups, de The Hours, de Psycho ou de Mission... c'est un peu rapide comme jugement. Disons que cet album pub pour le célèbre site Allocine propose deux CD des musiques les plus populaires ou des grands succès du cinéma. Une compilation faite pour ceux qui ne possèdent pas de musiques de films, c'est à dire peu de ceux qui lisent nos chroniques... Ce qui est intéressant dans cette compilation, c'est qu'on trouve 5 musiques de John Williams, 4 de Morricone, 3 de John Barry et 2 de Nino Rota. Pas de nouveauté sous le signe des musiques à part celle de La Jeune Fille à la Perle qui a fait le succès de Desplat. Sur les 38 proposés, 24 sont dignes d'intérêt.

 

 

BIRDMAN : Réalisateur : Alejandro González Iñárritu. Compositeur : Antonio Sanchez. 1CD Milanrecords n° 399618-2

 

Si vous aimez la batterie, les symphonies de Mahler, de Tchaïkovski, ou de Rachmaninov, ce disque est fait pour vous. Antonio Sanchez est le batteur du groupe du guitariste Pat Metheny, mais a joué avec beaucoup de jazzmen. C'est une star de son instrument. Iñárritu a eu l'idée originale de lui demander de faire la musique de son film ; en fait de jouer de la batterie (il apparaît à l'écran pendant les plans séquences des couloirs du théâtre). Après, penser que c'est la meilleure idée pour la musique à l'image, ce n'est pas évident. La batterie représente une sorte de combat, c'est un instrument agressif. Dans le film sa présence appuie les effets plus qu'elle apporte une autre vision. Pour ce qui est du film, il est tellement encensé, récompensé, qu'il est inutile de s'appesantir sur lui où ego et ergo vont de paire. Le cabotinage dans le milieu du théâtre est à l'honneur et avec beaucoup de sérieux, la batterie en rajoute. « Waiting for what ? » se nomme un morceau : we don't know ! Là, tout est dit avec des baguettes, une caisse claire, des cymbales et … une grosse caisse.

 

 

LE DERNIER LOUP : Réalisateur : Jean-Jacques Annaud. Compositeur : James Horner. 1CD Milan Music n°399 698-2

 

Après des échecs successifs, Annaud revient à ses histoires d'animaux. Ici les paysages sont magnifiques, les loups splendidement filmés, les cavalcades dans les steppes enneigées et les attaques contre les troupeaux la nuit sont impressionnantes. L'histoire est naïve et touchante, le discours écolo pas convaincant. Mais il reste que c'est un beau film. Pour la musique, il reprend Horner qui avait composé la superbe BO du Nom de la Rose et avec qui il a fait d'autres films. James Horner c'est le compositeur des plus grands succès du cinéma et son Titanic est une des musiques les plus vendues dans le monde (30 millions d'albums!). Il aime bien les grands espaces, les envolés lyriques. Ici il s'en donne à cœur joie, sa musique est porteuse et a toujours une petite touche irlandaise. Les compositions d'Horner sont toujours agréables à écouter et le CD fonctionne bien sans les images. Si on a vu le film la musique nous en rappelle les beaux et tragiques moments. Un beau film, une belle musique, que demander de plus.

 

 

THE BIG EYES : Réalisateur : Tim Burton. Compositeur : Danny Elfman. 1CD Interscope Records

 

Cette histoire de substitution de paternité par le mari, des peintures de sa femme, cette histoire vraie à travers de la peinture kitchisime de Margaret Keane offre une reconstitution magnifique des années 60. Beaucoup, donc, de jazz (Carl Tjader, Miles Davis, Bobby Timmons) et puis les musique du compositeur attitré de Tim Burton, Danny Elfman. Il a écrit des thèmes simples, à la limite enfantins, comme les gros yeux de ces enfants étranges sur les toiles. Le piano est souvent présent ainsi que le vibraphone et de temps en temps une musique sourde se fait sentir, annonçant un drame sous-jacent. Le travail de composition de Elfman est exemplaire, il est en phase avec les images, les décors, la mise en scène que nous offre Burton. Il y a du Bernard Herrmann dans la musique comme il y en a dans la réalisation. Est ce la présence de San Francisco qui donne cette impression ? La chanson du film est interprétée par Lana del Rey et a été récompensée aux Golden Globes. Un beau CD.

 

https://www.youtube.com/watch?v=bAn2xIw3uZM

 

 

Stéphane Loison.

 

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LA VIE DE L’EDUCATION MUSICALE

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·       La librairie de L’éducation musicale

   

Ce livre, que le compositeur souhaitait publier dans sa maison d’édition à Kürten, se propose de présenter les orientations principales de la recherche de Karlheinz Stockhausen (1928-2007) à travers ses œuvres, couvrant sa vie et ouvrant un accès direct à ses écrits. Divers domaines investis par le plus grand inventeur de musique de la seconde moitié du xxe siècle sont abordés : composition de soi à travers les matériaux nouveaux ; découvertes formelles et structures du temps ; musique spatiale ; métaphore lumineuse ; musique scénique ; l’hommage au féminin de l’opéra Montag aus Licht ; Wagner, Stockhausen et le Gesamtkunstwerk, œuvre d’art total. Les témoignages des femmes qui l’ont accompagné dressent un portrait vif et saisissant de l’homme, artiste génial qui aimait plus que tout la musique et la recherche compositionnelle au nom du progrès de l’être humain...(suite)

Analyses musicales

  XVIIIe siècle – Tome 1

 

L’imbroglio baroque de Gérard Denizeau

 

BACH

 

Cantate BWV 104 Actus tragicus : Gérard Denizeau

Toccata ré mineur : Jean Maillard

Cantate BWV 4: Isabelle Rouard

Passacaille et fugue : Jean-Jacques Prévost

Passion saint Matthieu : Janine Delahaye

Phœbus et Pan : Marianne Massin

Concerto 4 clavecins : Jean-Marie Thil

La Grand Messe    : Philippe A. Autexier

Les Magnificat : Jean Sichler

Variations Goldberg : Laetitia Trouvé

Plan Offrande Musicale : Jacques Chailley

 

 

COUPERIN

 

Les barricades mystérieuses : Gérard Denizeau

Apothéose Corelli : Francine Maillard

Apothéose de Lully : Francine Maillard

 

 

HAENDEL

 

Dixit Dominus : Sabine Bérard
Water Music : Pierrette Mari

Israël en Egypte : Alice Gabeaud

Ode à Sainte Cécile : Jacques Michon

L’alleluia du Messie : René Kopff

Musique feu d’artifice : Jean-Marie Thill

 

 

Publié l'année même de son ouverture, cet ouvrage raconte avec beaucoup de précisions la conception et la construction du célèbre bâtiment.
Le texte est remis en pages et les gravures mises en valeur grâce aux nouvelles technologies d'impression.

Pour la première fois, le Tchèque Leoš Janácek (1854-1928), le Finlandais Jean Sibelius (1865-1957) et l'Anglais Ralph Vaughan Williams (1872-1958) sont mis en perspective dans le même ouvrage. En effet, ces trois compositeurs - chacun avec sa personnalité bien affirmée - ont tissé des liens avec les sources orales du chant entonné par le peuple. L'étude commune et conjointe de leurs itinéraires s'est avérée stimulante tant les répertoires mélodiques de leurs mondes sonores est d'une richesse émouvante. Les trois hommes ont vécu pratiquement à la même époque.
Ils ont été confrontés aux tragédies de leur temps et y ont répondu en s'engageant personnellement dans la recherche de trésors dont ils pressentaient la proche disparition. (suite).



Ce guide s’adresse aux musicologues, hymnologues, organistes, chefs de chœur, discophiles, mélomanes ainsi qu’aux théologiens et aux prédicateurs, soucieux de retourner aux sources des textes poétiques et des mélodies de chorals, si largement exploités par Jean-Sébastien Bach, afin de les situer dans leurs divers contextes historique, psychologique, religieux, sociologique et surtout théologique.
Il prend la suite de La Recherche hymnologique (Guides Musicologiques N°5), approche méthodologique de l’hymnologie se rattachant à la musicologie historique et à la théologie pratique dans une perspective pluridisciplinaire. Nul n’était mieux qualifié que James Lyon : sa vaste expérience lui a permis de réaliser cet ambitieux projet. Selon l’auteur : « Ce livre est un USUEL. Il n’a pas été conçu pour être lu d’un bout à l’autre, de façon systématique, mais pour être utilisé au gré des écoutes, des exécutions, des travaux exégétiques ou des cours d’histoire de la musique et d’hymnologie. » (suite)

Cet ouvrage regroupe pour la première fois les 43 chorals de Martin Luther accompagnés de leurs paraphrases françaises strophiques, vérifiées. Ces textes, enfin en accord avec les intentions de Luther, sont chantables sur les mélodies traditionnelles bien connues.
Aux hymnologues, musicologues, musiciens d'Eglise, chefs, chanteurs et organistes, ainsi qu'aux historiens de la musique, des mentalités, des sensibilités et des idées religieuses, il offrira, pour chaque choral ou cantique de Martin Luther, de solides commentaires et des renseignements précis sur les sources des textes et des mélodies : origine, poète, mélodiste, datation, ainsi que les emprunts, réemplois et créations au XVIè siècle... (suite)

Mozart aurait-il été heureux de disposer d'un Steinway de 2010 ? L'aurait-il préféré à ses pianofortes ? Et Chopin, entre un piano ro- mantique et un piano moderne, qu'aurait-il choisi ? Entre la puissance du piano d'aujourd'hui et les nuances perdues des pianos d'hier, où irait le cœur des uns et des autres ? Personne ne le saura jamais. Mais une chose est sûre : ni Mozart, ni les autres compositeurs du passé n'auraient composé leurs œuvres de la même façon si leur instrument avait été différent, s'il avait été celui d'aujourd'hui. Mais en quoi était-il si différent ? En quoi influence-t-il l'écriture du compositeur ? Le piano moderne standardisé, comporte-t-il les qualités de tous les pianos anciens ? Est-ce un bien ? Est-ce un mal ? Qui a raison, des tenants des uns et des tenants des autres ? Et est-ce que ces questions ont un sens ? Un voyage à travers les âges du piano, à travers ses qualités gagnées et perdues, à travers ses métamorphoses, voilà à quoi convie ce livre polémique conçu par un des fervents amoureux de cet instrument magique.

Prix de souscription jusqu'au 30 juin 2015: 23 euros

 

Au travers du récit que James Lyon nous fait de l’existence de Dickens, il apparaît bien vite que l’écrivain se doublait d’un précieux défenseur des arts et de la musique. Rares sont pourtant ses écrits musicographiques ; c’est au travers des références musicales qui entrent dans ses livres que l’on constate la grande culture musicale de l’écrivain. Il se profilera d’ailleurs de plus en plus comme le défenseur d’une musique authentiquement anglaise, forte de cette tradition évoquée plus haut.

Et s’il ne fallait qu’un seul témoignage enthousiaste pour décrire la grandeur musicale de l’Angleterre, il suffit de lire le témoignage de Berlioz (suite).



 

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NUMÉRO SPÉCIAL BAC 2015

 

 

178 pages - 19 euros

 

Le numéro de référence

 

Voir sur le site les PLUS du BAC 2015

 

 

PARU

Baccalauréat 2015.

Épreuve de musique

LIVRET DU CANDIDAT

 

144 pages - 9,50 euros

… ce volume dédié aux candidats, de tous bords et de toutes formations, leur proposant certes des informations complètes sur les œuvres choisies, mais avec un accès aussi convivial que possible, sous forme de tableaux, de couleurs – tout ce qui permet de retenir les choses plus rapidement et efficacement – et également des conseils et exercices pratiques concernant les modalités de l’épreuve. Bien joli de dire aux futurs bacheliers qu’on leur demande de comparer. Encore faudrait-il donner des exemples de comparaisons, proposer des principes et des corrigés types. Quid des annales ? Des corrigés accessibles ? C’est cette tâche que nous avons décidé de confier à Philippe Morant, professeur agrégé d’Éducation musicale et chant choral…

Consulter un extrait du Livret du Candidat

Bientôt sur le site les PLUS DU LIVRET DU CANDIDAT 2015

 

 

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