Lettre d'information - no 130 novembre - décembre 2020
Partager avec un ami - S'inscrire - Se désinscrire
LA RÉDACTION - NOUS ÉCRIRE - SOUMETTRE UN ARTICLE
Chapitre 4, 1945, le renouveau dans l’après-guerre
L’Amérique prend la tête
L’immigration vers les États-Unis des grands musiciens débute avec la révolution d’octobre
de 1917 en Russie – Heifetz, Milstein, Rachmaninov ou encore Koussevitzky font le choix de
la liberté. Avec le développement des régimes fascistes, puis avec le nazisme dès les années
1920 (Mussolini crée le Parti national fasciste en 1921 et prend le pouvoir en 1924) et la
cohorte des lois raciales, avec le déclenchement de la Seconde Guerre mondiale, le
phénomène migratoire vers les Amériques est décuplé.
Les éditeurs discographiques américains sauront en tirer tous les bénéfices.
Premier mouvement, le rachat de la Victor Talking par la Radio Corporation of America
(RCA) en 1929 : c’est la naissance de RCA Victor, qui possède les droits du célèbre logo avec
le chien Nipper de His Master’s Voice (La Voix de son maître) pour les États-Unis, le Canada
et l’Asie. Alors que les éditeurs discographiques européens plongent dans le chaos, RCA
Victor ne rencontre aucune difficulté pour récupérer la majeure partie des artistes d’EMI :
entre autres, Toscanini, Heifetz, Menuhin (pour le temps de guerre, avant son retour en
Europe), Rubinstein, Rachmaninov, Koussevitzky, Feuerman, Flagstadt, Melchior. RCA
Victor régnera en maître absolu sur l’édition discographique mondiale jusqu’aux années 1950.
Le deuxième éditeur américain, CBS, né du rachat en 1938 de l’American Record Corporation
(ARC) par la Columbia Broadcasting System, connaît également un rapide développement.
Avec des artistes phares : Bruno Walter, chassé de Leipzig dès la prise de pouvoir des nazis
(remplacé par Hermann Abendroth qui deviendra par la suite un artiste clé de la RDA),
Dimitri Mitropoulos, Fritz Reiner, Rudolf Serkin, Nathan Milstein, Jozsef Szigeti, le Quatuor
Busch, le Quatuor Budapest, et surtout Igor Stravinsky qui enregistre son œuvre.
Les ventes de disques aux États-Unis, fondées sur une économie prospère et une vie musicale
intense, développée en profondeur dans la population, font un bond. Le chef d’orchestre
Gerard Schwarz se souvient : « À douze ans (1959), je décidai de devenir musicien
professionnel. Au lycée je travaillais mon instrument [la trompette] pendant quatre heures et
je jouais chaque jour dans divers orchestres amateurs : Williamsburgh Settlement Orchestra,
The Third Street Orchestra, The Henry Street Settlement Orchestra, The Columbia Symphony
Orchestra, The New York All City High School Orchestra, etc. » Jusque dans les années
1980, la musique classique est tenue en si haute considération en Amérique que
l’enregistrement de la Cavatine du 13 e Quatuor de Beethoven par le Quatuor Budapest figure
sur l’un des deux disques de cuivre plaqués or enfermés dans les sondes Voyager que la Nasa
envoya dans l’espace en 1977, sorte de bouteille à la mer pour montrer la culture des terriens à
d’éventuelles créatures extraterrestres.
Retour en Europe
Après la Seconde Guerre mondiale, les maisons d’édition discographique européennes sont
des coquilles vides, ou presque. La principale, EMI, dont l’écrasante majorité des artistes est
désormais sous contrat chez RCA et CBS, a, de plus, perdu ses contacts avec ses principales
filiales : en France, Pathé Marconi, avec sa puissante usine de Chatou, a plongé dans la
collaboration avec l’Allemagne où la Deutsche Grammophon est passée sous contrôle nazi.
Tout est à refaire. L’homme de la situation est un jeune Anglais, fils de tailleur, né en 1906
dans le quartier londonien de Shepherds Busch. Autodidacte, Walter Legge fait son entrée
chez EMI à vingt ans dans le département éditorial où il s’occupe des textes de présentation
des nouveaux enregistrements et rédige certains articles pour la revue The Voice, un journal
publi-rédactionnel qui présente les nouveautés au public.
Avec la crise économique, les ventes des disques EMI sont tombées de trente à vingt millions
d’exemplaires de 1929 à 1931, puis à cinq millions en 1937. Legge est un passionné de
Lieder, avec une prédilection pour Hugo Wolf dont il n’existe aucun enregistrement. Dans ce
contexte économique, inutile de rêver de budget d’enregistrement pour ce répertoire peu
connu, dont les ventes sont supposées minimes.
Dans ses écrits, il raconte : « Au début de l’été 1931, j’élaborai un plan que la compagnie ne
pouvait rejeter : lancer une souscription auprès du public pour collecter l’argent nécessaire
pour réaliser un enregistrement d’œuvres peu ou pas servies par le disque. L’enregistrement se
fera une fois la somme nécessaire collectée, incluant un profit substantiel pour EMI. »
Le premier projet fut bien évidemment The Hugo Wolf Society. Une souscription de trente
shillings est lancée auprès de cinq cents personnes au début de l’automne 1931, clôturée si
vite que l’enregistrement avec Elena Gerhardt eut lieu en décembre. Les réponses affluent du
monde entier, y compris du Japon (111 souscripteurs). Pour populariser cet album, Legge crée
le London Lieder Club, une série de concerts où les artistes jouent les œuvres fraîchement
gravées.
Suite à ce premier succès, divers projets suivent, dont la Beethoven Society, pour capter les
trente-deux sonates pour piano sous les doigts d’Arthur Schnabel. Réalisé entre 1932 et 1935,
quatre-vingt-six ans plus tard, cette version figure toujours au catalogue. Parmi les autres
Societies figure celle qui permit de graver en 1933 le premier enregistrement mondial des
Variations Goldberg de Bach par Wanda Landowska, vingt-deux ans avant Glenn Gould.
Que faire en 1945 ? Comment et où Walter Legge trouvera-t-il une nouvelle équipe artistique
du niveau d’avant-guerre. L’Allemagne, loin d’être lavée de son récent passé nazi, n’est plus
que ruine, les principaux centres musicaux d’avant-guerre, Leipzig et Dresde, sont passés sous
la botte de Staline. L’avenir de la Philharmonie de Berlin est en suspens, Furtwängler,
injustement en sas de dénazification, Leo Brochard, qui assume l’intérim, est tué par erreur
lors d’un contrôle anti-marché noir et remplacé au pied levé par le très jeune Celibidache.
Avec l’accord de Fred Gaisberg, Legge se rend à Vienne. « Ce n’était pas chose facile, pour
un civil britannique d’aller en Autriche, de plus il était illégal pour un citoyen anglais de
traiter avec l’ennemi », raconte-t-il dans ses mémoires. En Suisse, il trouve un accord avec la
société Turicaphon, dans laquelle EMI possède des intérêts, ce qui lui permettra de travailler
en Autriche sous couvert d’une société de pays neutre. À Zurich, grâce à une rencontre
fortuite avec un officier américain, il obtient un visa d’entrée en Autriche et profite de son
passage en Suisse pour renouer avec les pianistes Edwin Fischer et Wilhelm Backhaus, et
pour signer un contrat avec Dinu Lipatti.
Son arrivée dans la capitale autrichienne lui réserve un coup de chance. « Perdu dans les rues,
je demandais mon chemin à trois personnes qui déambulaient. Je reconnus la plus grande
silhouette : Wilhelm Furtwängler, que j’avais vainement tenté de joindre en Suisse. Il me
donna un numéro de téléphone et après plusieurs mois de négociations, je parvins à le faire
revenir chez EMI », écrit Walter Legge qui va signer successivement avec l’Orchestre
Phiharmonique et les plus grands chanteurs du Staadtsoper : Irmgard Seefried, Ljuba
Welitsch, Max Lorenz ou encore Hans Hotter et la toute jeune Elisabeth Schwarzkopf ainsi
que les chefs Josef Krips et Herbert Karajan, lequel vivait en semi-clandestinité car interdit de
direction par les autorités soviétiques et américaines. Pour son premier enregistrement, Legge
fait valoir que cette interdiction concerne les concerts publics, non pas une prestation privée
telle qu’un enregistrement. Dès septembre 1946, Karajan et Legge se retrouvent dans la salle
de la Musikverein pour graver la 8 e Symphonie de Beethoven et la 9 e Symphonie de Schubert.
Walter Gieseking, Otto Klemperer et surtout Maria Callas compteront parmi les plus éminents
interprètes recrutés par ce directeur artistique, l’un des principaux artisans du disque moderne.
Pour atteindre ses exigences artistiques, Walter Legge fonde à Londres, dès 1945, avec le
soutien du Maharaja de Mysore, un orchestre « qui doit être le meilleur, non pas pour un type
de musique, mais pour tous les compositeurs », déclare-t-il. Le Philharmonia Orchestra
regroupe les meilleurs musiciens britanniques, certains encore sous l’uniforme, comme le
corniste Denis Brain. Sir Thomas Beecham dirige son premier concert. Karajan en est le
premier responsable, suivi par Otto Klemperer. Son niveau d’excellence est tel que Toscanini
donne à sa tête ses seuls concerts londoniens d’après-guerre.
Tandis que Londres reprend le contrôle de ses filiales, l’un des premiers problèmes provient
de Pathé Marconi, société totalement compromise par sa collaboration sous l’Occupation
comme nous l’avons vu au chapitre précédent.
Avec l’arrivée de la Deuxième D.B., le 24 août 1945, et la Libération de Paris, Jean Bérard
quitte son bureau. Il passera en jugement en 1949, la même année que René Bousquet.
L’heure n’est plus à l’épuration et, au cours des audiences, il mettra en avant ses réalisations
artistiques pour la culture française. Comme le Secrétaire général de la police, il sera acquitté
et l’on perdra sa trace.
Ancien directeur artistique de Polydor puis, sous l’Occupation, d’un bureau d’imprésarios
nommé Détaille, proche d’artistes tels que Paul Meurisse et Édith Piaf, Philippe Bourgeois est
nommé directeur commercial, fondé de pouvoir de Pathé Marconi, le 1 er septembre 1946.
Parallèlement, Fred Gaisberg dépêche à Paris l’un de ses plus jeunes adjoints : Peter de Jongh
dont la tâche sera de redresser artistiquement la société. Sous sa direction et grâce a son
charisme, la filiale française du groupe EMI va devenir le second centre d’enregistrements
après Londres. La Voix de son maître est un pôle d’attraction pour de nombreux artistes qui
souhaitent venir enregistrer salle Wagram – studio d’enregistrement en semaine et salle de
boxe ou de bal le week-end. Une acoustique hors pair (Karajan y enregistrera la Sinfonia
Domestica de Richard Strauss en une seule journée lors de sa tournée avec l’Orchestre
Philharmonique de Berlin en 1974) qui fera résonner les pianos de Gyorgy Cziffra, Samson
François, Aldo Ciccolini, Emil Gilels, Sviatoslav Richter et Arturo Bebedetti Michelangeli ou
encore les archets de Ferras, Oistrakh ou Rostropovitch ; les grands solistes des pays de l’Est
n’ayant qu’un désir : réaliser leurs enregistrements pour EMI, venir à Paris, ville bien plus
agréable que Londres et Berlin après la guerre.
La Société des Concerts du Conservatoire (puis l’Orchestre de Paris) devient l’orchestre
maison avec un contrat d’exclusivité, sous ce nom, ce qui n’empêchera pas la formation
d’enregistrer sous le nom de Paris Conservatoire Orchestra ou encore Orchestre du Théâtre
des Champs-Élysées pour d’autres éditeurs. Le chef, André Cluytens, récemment dénazifié, en
devient le responsable en 1949 et réalisera de très nombreux disques pour Pathé Marconi
jusqu’en 1964. Sa notoriété internationale connaît un si grand développement (il est l’un des
chefs du renouveau à Bayreuth) qu’entre 1957 et 1960 il fait enregistrer sa première intégrale
des symphonies de Beethoven à l’Orchestre Philharmonique de Berlin.
Pendant une quinzaine d’année, Pathé Marconi va retrouver sa place incontournable sur le
marché français, tandis que EMI repart à la conquête du monde et règne sans partage en
Europe. Mais la concurrence arrive vite, en premier lieu là où EMI ne l’attend pas : à Londres.
The Supreme Record Company
En 1929, Edward Lewis, fils de banquier, travaillant à la Bourse de Londres, rachète Decca,
petit éditeur discographique sans envergure qui publie quelques artistes de variétés
britanniques puis fusionne avec un autre label anglais, Duophone, propriétaire des licences de
l’éditeur américain Brunswick qui vient de signer Bing Crosby. Ce jeune crooner devient le
cheval de Troie du tout jeune Decca pour s’imposer sur le marché britannique. En 1934, ce
seront quatre-vingt mille disques de la chanson The Last Roundup, suivis de cent mille de
Silent Night, à égalité avec Bei Mir bist du Schön des Andrew Sisters. Malgré ces succès et
d’autres, comme l’enregistrement du Royal Wedding Anthem pour le mariage du duc de Kent
avec la princesse Marina, ou la 5 e Symphonie de Beethoven par le New Queen’s Hall
Orchestra, dirigée par Sir Henry Wood. Sous l’impact de la crise économique, Edward Lewis
doit renflouer à plusieurs reprises sa société pour éviter la faillite.
Bien que fragilisé, Decca participe à l’effort de guerre en mettant ses ingénieurs du son,
particulièrement Arthur Haddy et Kenneth Wilkinson, à la disposition de l’armée. Le système
de détecteur sonore qu’ils mettent au point est si précis qu’il permet différencier les sous-
marins allemands des anglais en immersion, en se basant sur la différence des fréquences
sonores émises par les hélices et des ondes sous-marines dues à leur forme spécifique.
Inattendues, ces découvertes vont faire la fortune de Decca. Dès 1945, Haddy et son équipe
les adapteront pour les prises de son lors des enregistrements. Dans le domaine de l’édition
discographique, c’est une révolution tant artistique que technique. Les plus grands artistes se
précipitent pour bénéficier de cette technologie de pointe symbolisée par le logo de FFRR :
Full Frequency Range Recording. C’est ce qui vaut à Decca d’être nommé « The Supreme
Record Company ». Parallèlement, Decca met au point un phonographe appelé « Piccadilly »
adapté pour lire ces nouveaux disques.
Pour faire face aux difficultés et à la guerre menaçante, Edward Lewis avait vendu sa filiale
américaine à la fin des années 1930. En 1945, Decca n’opère que sur le territoire britannique,
marché bien trop restreint pour amortir les frais de réalisation d’un enregistrement. C’est alors
que se joue une rencontre suivie d’une alliance inattendue avec celui que l’on nommera
affectueusement Uncle Maurice.
Moshe-Aron ou Maurice Rosengarten, Uncle Maurice, né en Pologne, est concessionnaire de
divers articles ménagers à Zurich : tourne-disques, radios, et télévisions. Il possède également
un petit label de musique folklorique (yodel) pour le marché local. Au sortir de la guerre, il
prend la représentation de Decca. Sa rencontre avec Edward Lewis est décisive. Ensemble, ils
vont fonder Teldec, société qui distribuera Decca et Telefunken en Allemagne. De l’avis de
Rosengarten, la production de Decca est trop britannique pour connaître un succès
international. Lewis lui confie la responsabilité d’internationaliser les enregistrements. Uncle
Maurice se met à la tâche. Tout d’abord, il renoue avec Ernest Ansermet qui avait gravé en
1928 des concerti grossi de Haendel pour Decca. Une ligne incomparable d’œuvres de
musique française et issues des Ballets russes verra le jour, répertoire d’une incroyable
modernité. Puis vient le contrat avec le Concertgebouw d’Amsterdam et son chef, Eduard Van
Beinum. Son coup de maître, dans les années 1950, est la signature de l’Orchestre
Philharmonique de Vienne, l’orchestre de His Master’s Voice depuis tant d’années.
Viendra ensuite le tour de Clemens Krauss, Josef Krips, Karl Böhm, Sir Georg Solti, Wilhelm
Backhaus (autre artiste exclusif EMI), Wilhelmm Kempff, en Italie Mario del Monaco ou
Renata Tebaldi et la soprano wagnérienne la plus célèbre de son temps, Kristen Flagstadt qui,
parmi d’autres, vont former la nouvelle équipe internationale de Decca.
Ayant passé la guerre dans un Swordfish, dernier avion biplan utilisé par la Royal Navy pour
traquer les U-Boats, les yeux rivés sur le cadran de l’appareil de détection (sans doute mis au
point par Arthur Haddy) et ne voulant pas être employé de banque comme son père,
mélomane convaincu et autodidacte comme Walter Legge, John Culshaw rejoint Decca en
1946, d’abord dans le département éditorial, puis passe rapidement à la direction artistique, un
début similaire à celui de son confrère d’EMI. Prenant la direction des enregistrements à la fin
des années 1950, Culshaw va donner un souffle nouveau à Decca.
Avec l’équipe Lewis, Rosengarten, Haddy et Culshaw, sont réunis les quatre mousquetaires
de sa Gracieuse Majesté qui feront de Decca, en quelques années, l’un des plus puissants
éditeurs discographiques du monde, leader absolu de certaines tranches de répertoire, tel l’art
lyrique.
Pour Legge et Culshaw, l’enregistrement n’est pas une simple photographie de l’art de
l’interprète. Pour le premier, un enregistrement doit être une interprétation spécifique destinée
au disque. Pour le second, il faut se rapprocher le plus possible des indications scéniques
voulues par le compositeur avec une mise en espace sonore créée avec les ingénieurs du son.
Plus tard, Culshaw accueillera la stéréophonie avec enthousiasme, Legge avec un certain
scepticisme.
Pour approcher le plus possible de la réalité, les équipes de Decca font preuve d’une extrême
rigueur. À Vienne, la Sofiensaal, anciens bains de vapeur transformés en salle de bal – où se
produisaient les Strauss –, devient le studio d’enregistrement exclusif de Decca. Quand L’Or
du Rhin est enregistré en 1958 (la stéréo est encore balbutiante) sous la baguette de Sir Georg
Solti, Culshaw réunit les dix-huit enclumes demandées par Wagner dans la scène du royaume
du Niebelung, irréalisable dans un théâtre d’opéra. Pour Otello, dirigé par Karajan (1961), on
captera l’orgue de la cathédrale de Liverpool à la sonorité le plus proche possible de celle que
souhaitait Verdi pour la scène d’ouverture.
En Europe, EMI ne règne donc plus en maître absolu, mais l’Angleterre devient la plaque
tournante de l’édition discographique classique d’Europe jusqu’au début des années 1960. En
même temps, Decca et EMI développent d’importantes activités parallèles au disque. Le
premier dans le domaine des radars et celui des électrophones, le second plus spécialement
dans le domaine de l’électronique en plein développement.
Qu’en est-il du village d’Astérix ?
L’après-guerre en France consacre la prédominance de Pathé Marconi grâce à l’arrivée des
grands artistes internationaux signés par Londres et aux plus éminents interprètes français
signés par Peter de Jongh.
Dans l’arrière-cour d’un immeuble de la Chaussée-d’Antin se trouvent les éditions musicales
Costallat, où se vendent quelques disques en complément des partitions. Depuis 1948, ces
éditions sont dirigées par Philippe Loury, gendre de Lucien Lacour, propriétaire de Costallat :
En janvier 1952, entre un homme dans le magasin avec une boîte sous le bras:
— Bonjour monsieur, je m’appelle André Charlin, auriez-vous quelques minutes à me
consacrer ?
— Oui, bien sûr, à quel sujet ?
Philippe Loury connaissait le nom de cet homme qui faisait des recherches depuis les années
1920 pour améliorer la technique de reproduction du son [particulièrement son micro appelé tête
multidimentionelle]. Là, il arrive avec un appareil totalement nouveau.
— Regardez [dit Charlin], nous allons brancher cet appareil que Superton m’a fabriqué. Vous
voyez, il tourne très lentement à 33 tours […] Écoutez la qualité sonore.
Sûr du succès prometteur du microsillon, Philippe Loury voulut dès lors se lancer dans l’édition
du support sonore […]. Après plusieurs contacts infructueux, la Haydn Society répond
favorablement et met son catalogue à disposition. Pour la première fois en France, on put, dès la
fin de 1952, entendre la Grande Messe en ut mineur de Mozart sur un seul disque. Et, puisqu’il
fallait personnaliser ces enregistrements, Loury y appose la marque Erato.
C’est Thierry Merle qui raconte cet épisode marquant dans son livre Le miracle Erato.
Excellente coïncidence, la même année, le chef d’orchestre Louis Martini demande un rendez-
vous aux éditions Costallat pour présenter le manuscrit du Te Deum de Marc-Antoine
Charpentier, œuvre et compositeur tombés dans l’oubli.
Louis Martini a un mécène qui prend en charge les frais d’enregistrements, Philippe Loury
contacte André Charlin pour réaliser la prise de son.
C’est une révélation. Le choc est tel que la toute jeune Eurovision adopte la fanfare
introductive de ce Te Deum comme indicatif : cinq cents exemplaires étaient nécessaires pour
amortir les frais des pochettes. Cent quarante mille copies seront vendues en vingt-cinq ans.
Les enregistrements de musique classique bénéficient d’un important attrait à partir des
années 1950 pour atteindre le sommet de 15,2 % du marché du disque français en 1971. Pour
répondre à cette attente, Norbert Dufourq, professeur d’histoire de la musique
au Conservatoire national supérieur de musique, crée le Club des discophiles de Paris pour
présenter les nouveautés. L’un de ses membres, Michel Garcin, fraîchement issu du CNSM,
est en charge de l’enregistrement de Marc-Antoine Charpentier. C’est un coup de foudre. À sa
demande, une rencontre avec Michel Loury est organisée. Le courant passe entre les deux
hommes, ils sont sur les mêmes longueurs d’onde, partagent la même vision pour l’avenir du
jeune label dont Michel Garcin devient le directeur artistique.
Quelle est cette vision ? Inutile de rêver, les artistes les plus éminents, Samson Fançois,
Menuhin, Münch, Monteux, ne rejoindront pas cette société balbutiante. L’idée originale de
Michel Garcin est de faire appel aux meilleurs éléments côtoyés au Conservatoire et
poursuivre l’enregistrement d’œuvres inédites ou rares. Jean-François Paillard, qui crée son
orchestre, Marie-Claire Alain, Maurice André, Jean-Pierre Rampal, Pierre Pierlot et tant
d’autres deviendront les artistes maison, tous anciens élèves du Conservatoire.
Cet esprit d’ouverture, de créativité et de réactivité sera l’ADN d’Erato jusqu’en 1980, année
où Philippe Loury prend sa retraite et vend sa société. Entre cette date et la parution du Te
Deum de Marc-Antoine Charpentier, Erato aura produit 1 500 disques dont 218 premières
mondiales, raconte Thierry Merle ; il précise que Jean-Pierre Rampal a gravé 350 disques,
Jean-François Paillard plus de 300 (un coffret de 133 CDs perpétue cet héritage), Maurice
André 250, tout comme Pierre Pierlot. Le tout sous la houlette de Michel Garcin qui demeure,
sans doute possible, le plus éminent directeur artistique de l’histoire du disque classique
français.
Le « miracle » allemand
1941. Le III e Reich est à son apogée. Goebbels et surtout Hitler qui contrôlait tout en matière
de musique classique réorganisent l’édition discographique. AEG hérite de Telefunken et
Siemens de la Deutsche Grammophon. Dans son livre Maestros, Masterpieces and Madness,
le musicographe Norman Lebrecht rappelle très justement que, sous le régime nazi, Siemens
« a recours au travail des “esclaves” des SS, à commencer par deux mille femmes juives du
camp de concentration de Ravensbrück, les atrocités s’intensifièrent avec l’utilisation de
citoyens de pays occupés dans les camps parmi les plus meurtriers, y compris Auschwitz-
Birkenau que Siemens avait aidé à construire ». Ernst von Siemens est un mélomane averti.
En 1943, il rencontre le jeune Karajan et finance son enregistrement de la Première
Symphonie de Brahms, ou avec l’Orchestre du Concertgebouw d’Amsterdam, dans une
Hollande occupée, rappelle également Norman Lebrecht.
Au sortir de la guerre, rien ne change dans ce domaine. Siemens va relancer la Deutsche
Grammophon, grâce à la venue d’une femme. Son nom, Elsa Schiller, Autrichienne et juive,
rescapée du camp de concentration de Terezin, dont elle s’est évadée en 1944, juste avant un
transfert pour Auschwitz qui lui aurait été fatal (par coïncidence, le chef d’orchestre Karel
Ancerl avait vécu le même parcours). Après la guerre, elle rejoint la radio du secteur
américain de Berlin, connue de nos jours sous l’abréviation RIAS, où elle organise les
activités musicales avec, parmi d’autres, deux jeunes chefs d’orchestre : Karl Ristempart, qui
interprète chaque dimanche une cantate de Bach, et Ferenc Fricsay, et prend la direction de
l’orchestre de la RIAS. C’est avec ces derniers artistes qu’Elsa Schiller va relancer la Deutsche
Grammophon qu’elle rejoint en 1950. Suivront rapidement Eugen Jochum, la pianiste
française Monique Haas, le tout jeune baryton Dietrich Fischer-Dieskau. Puis arrivent le
Quatuor Amadeus qu’elle ravit à EMI, l’Orchestre Philharmonique de Berlin et son chef
Furtwängler, Igor Markevitch, Wilhelm Kempff, sans oublier Karl Böhm et le tout jeune chef
américain Lorin Maazel, benjamin de l’équipe. L’un des fleurons de cette époque,
l’enregistrement des trois dernières symphonies de Tchaïkovski par Evgeny Mravinsky et le
Philharmonique de Leningrad lors d’une tournée à l’Ouest.
Pour marquer son renouveau, Deutsche Grammophon adopte comme logo la célèbre étiquette
jaune, celle qui dans les années 1960, devient symbole de qualité discographique et signe de
modernisme. La compagnie, dès 1946, est le premier éditeur européenà enregistrer sur bande
magnétique, invention allemande de sinistre mémoire mise au point par AEG et I. G. Farben
pour graver les discours de Hitler. Parallèlement, dès 1947, Siemens complète ses activités
discographiques en lançant, avec l’organiste Helmut Walcha, la ligne d’enregistrements de
musique ancienne et baroque sous le sigle Archiv Production.
En 1956, « le succès artistique et commercial est considérable, avec une production annuelle
de 15 millions de disques, Deutsche Grammophon fabrique la moitié des disques du marché
allemand », souligne Rémy Louis dans le livre Une vision de la musique où il retrace l’histoire
du label jaune.
Le tournant décisif a lieu en en 1957, lorsque Elsa Schiller convainc Herbert von Karajan, qui
a succédé à Frurtwängler à la tête de l’Orchestre Philharmonique de Berlin et artiste exclusif
EMI depuis 1945, de rejoindre la Deutsche Grammophon. Après un enregistrement des
Danses hongroises de Brahms, suivi par Une vie de héros de Richard Strauss, en 1963, le
choc se produit avec la publication du coffret regroupant les neuf symphonies de Beethoven.
Sortie méticuleusement préparée, la parution est précédée d’une souscription pour que des
happy few puissent se procurer les coffrets en premier. On demande à des artistes célèbres,
dont Sviatoslav Richter, de mette les précieux 33 t en coffret devant les photographes.
Du jour en lendemain, une rescapée des camps de concentration, un baron de l’industrie
allemande au passé douteux et le chef d’orchestre Wunderkind du régime nazi, « un drôle
d’équipage », souligne Norman Lebrecht, vont faire de la Deutsch Grammophon le premier
éditeur discographique du monde.
C’est également ce que l’on peut nommer le « miracle Karajan ». Ce musicien, d’une
intelligence hors du commun, va organiser sa carrière discographique entre EMI, Decca et
Deutsche Grammophon. Il répartit ses enregistrements chez ces trois éditeurs selon l’équilibre
du répertoire de chacun d’eux et leurs avantages artistiques : pour les opéras, selon les
chanteurs sous contrat les mieux adaptés pour l’œuvre, telle Callas chez EMI et Tebaldi chez
Decca. De même pour les concertos : chez Deutsche Grammophon avec Christian Ferras puis
Anne Sophie Mutter, chez EMI avec Alexis Weissenberg. Karajan va régner en maître absolu
sur la musique classique. Au début des années 1970, il représente un tiers des disques
classiques vendus en Europe. À chaque enregistrement, il touchait une avance de quarante
mille DM couverte généralement en moins de six mois, racontait son directeur artistique et
imprésario Michel Glotz.
Ne nous méprenons pas. Cette notoriété était avant tout basée sur une rigueur artistique sans
pareille. John Culshaw, qui assuma la direction artistique du premier enregistrement de
Carmen par Karajan (Vienne, 1963), écrit dans ses mémoires, au sujet du Trio des cartes :
« son accompagnement orchestral est un exemple par lui-même. Sur le papier, il n’y a presque
rien à signaler, juste une série d’accords lents et espacés pour les cordes. C’est là que l’on voit
le génie ou la magie de Karajan, appelons-les comme on voudra. Il ne mesurait pas sa peine
pour obtenir l’exacte tonalité et la couleur sombre nécessaire à l’orchestre […]. Il sut apporter
au Trio des cordes une tension dramatique égale à celle des chanteurs, et avec une telle
subtilité que l’on ne s’en aperçoit même pas. »
Seul, aux États-Unis, Eugene Ormandy avec l’Orchestre de Philadelphie connaît une
popularité comparable, mais due à des disques tels les hymnes de Noël, ou les chœurs du
Messie de Haendel avec le Mormon Tabernacle Choir, tandis que Karajan bâtit sa renommée
mondiale avec les grandes œuvres de Bach à Wagner.
Se remettant sans cesse en cause, Karajan gravera cinq versions de la 9 e Symphonie de
Beethoven entre 1947 et 1983. Humble devant les partitions, il attendit l’âge de soixante-dix-
sept ans pour enregistrer le Don Giovanni de Mozart, opéra qu’il dirigea si souvent dans sa
longue carrière.
Des nouveaux venus dans la cour des grands
L’incroyable prospérité que connaît l’édition discographique dès les années 1950 va attirer de
nouveaux-venus, en premier lieu le groupe Philips. Fondée en 1891 par les frères Gerard
(1858-1942) et Anton Philips (1874-1951), cette société demeure l’une des plus importantes
dans l’électro-ménager, l’éclairage et l’équipement médical. En 1950, en complément à la
fabrication et commercialisation des tourne-disques, Philips se lance dans l’édition
phonographique. Les premiers pas ont lieu avec les licences pour l’Europe des
enregistrements de CBS et Mercury, et des artistes comme la pianiste Clara Haskil, qui y
réalise son premier disque en 1950 et l’orchestre du Concertgebouw d’Amsterdam avec son
chef Eduard Van Beinum qui quittent Decca (très engagé à Vienne, Londres, Paris et Rome,
pour l’opéra italien), afin de rejoindre en exclusivité l’éditeur national.
Rapidement, l’équipe artistique va s’étoffer. Y figurent Bernard Haitink qui, à vingt-huit ans
partage avec Eugen Jochum la direction de l’orchestre du Concertgebouw, suite au décès
prématuré de Beinum, Antal Dorati, Sir Colin Davis, Arthur Grumiaux ou encore Claudio
Arrau, pianiste délaissé par EMI, ou le Beaux-Arts Trio. Puis, dans les années 1970, Alfred
Brendel ou Jessye Norman qui sera la grande diva de la fin du XXe siècle.
Philips développe une politique de fidélité et à long terme avec ses artistes. Le premier
enregistrement de l’œuvre de Berlioz par Colin Davis gravée à Londres (dont Les Troyens
pour la première fois au disque dans son intégralité) en est la parfaite illustration. Pour
s’imposer sur le marché, Philips réalise de gros coffrets vendus à prix cassés, comme les
trente-deux sonates et les cinq concertos pour piano de Beethoven, au prix des concertos. Afin
de se distinguer en France comme label de qualité, cet éditeur lance la collection « Trésors
classiques » avec sa fameuse pochette double qui s’impose à l’ensemble des intervenants sur
l’Hexagone.
Logique des grands groupes, Siemens et Philips vont rapprocher régulièrement leurs activités
discographiques pour fonder en 1972 le groupe Polygram, numéro un mondial du disque
devant EMI, CBS et RCA. Une puissance de feu qui va s’accentuer dans les dix ans à venir.
Parallèlement aux grands éditeurs qui ne représentent qu’une partie des activités des sociétés
qui les détiennent, avec l’arrivée du 33 t, certains mélomanes vont tenter l’aventure
discographique en solo. On les nomme les « indépendants ».
En voici quelques exemples.
À New York, George H. Mendelssohn-Bartholdy (1912–1988), descendant direct du
compositeur, lance Vox (suivi en 1965 par Turnabout et l’année suivante par Candide) qui se
distingue par un répertoire d’une grande originalité. Le virtuose du clavier Michael Ponti
explorera les concertos de Moscheles, Anton Rubinstein, Moszkowski, Scharwenka, Clara
Schumann et tant d’autres ; dans le domaine de la musique baroque, Suzanne Lautenbacher
fait découvrir L’arte del violono de Locatelli en 1957. Si on ne compte pas le nombre de
premières mondiales réalisé par Vox, signalons également l’excellence des artistes qui font
soit leur retour au disque dans l’après-guerre, tels Klemperer et Horenstein (dans les grandes
symphonies de Bruckner et Mahler presque absentes du répertoire discographique), soit leurs
débuts, tel Alfred Brendel qui y grave l’équivalent d’une trentaine de CDs entre 1955 et 1973
avant de rejoindre Philips.
Avec Big Ben comme logo et son nom, Westminster, cet éditeur n’a rien de british. Il voit le
jour en Amérique en 1949 par l’association de James Grayson, propriétaire du magasin de
New York Westminster Record Shop, de Mischa Naida (qui créera plus tard le label The
Musical Heritage Society) et du chef d’orchestre Henry Swoboda. Ce dernier signe le premier
enregistrement. Il est dédié au Te Deum et à l’Ouverture de Théâtre de Kodaly. Réalisé avec
l’Orchestre Symphonique de Vienne et deux grands solistes de l’Opéra de cette ville,
Sieglinde Wagner et Alfred Poell. Ce disque, paru en 1950, est l’un des premiers 33 t dédiés à
ce compositeur. Il illustre la ligne de conduite de Westminster : donner la priorité au
répertoire encore peu gravé. Le premier enregistrement mondial de la 7 e Symphonie de Malher
réalisé en 1953 avec l’orchestre de l’Opéra de Vienne sous la direction de Hermann
Scherchen, où, comme premier enregistrement stéréo, des œuvres de Hugo Halfen sous la
direction du compositeur en sont d’autres exemples.
Comme Walter Legge pour EMI, George H. Mendelssohn pour Vox, et plus tard Decca,
Vienne est le centre d’activité de Westminster. La capitale autrichienne, Paris et Londres
forment les trois grands centres d’enregistrements mondiaux grâce à la qualité des orchestres,
des solistes qui y vivent et des coûts d’enregistrement bien moins élevés qu’à New York,
Philadelphie ou Boston.
La musique de chambre est également au centre des intérêts de Westminster. Cet héritage
récemment réédité en Corée du Sud s’étend sur cinquante-neuf CDs où l’on trouve, entre
autres, les Quatuors Barylli (pour Beethoven) et du Konzerthaus formé par les premiers
pupitres du Wiener Philharmoniker qui réalise une version inégalée des Quatuors de Schubert
dont la réédition en CD est saluée par un Diapason d’or.
À l’inverse de Vox qui l’a souvent négligée, la qualité sonore est une des priorités de
Westminster. Enregistrés avec un seul micro du temps de la monophonie (à l’instar de ceux
d’André Charlin en France), puis rapidement en stéréophonie, ces disques seront recherchés
dans les années 1950 et au début de la décennie suivante par les audiophiles du monde.
On peut également mentionner Vanguard qui capte en priorité l’Orchestre de Utah et son chef
Maurice Abravanel qui en fut le directeur musical de 1947 à 1979. Avec ces musiciens,
Vanguard réalise la deuxième intégrale made in USA des symphonies de Mahler, à côté de
celle de Bernstein et le New York Philharmonic. Une cinquantaine d’enregistrements seront
réalisés dans un répertoire souvent moderne, tel Amérique de Varèse (première mondiale,
suivie vingt-cinq ans plus tard par la version de Boulez) ou encore les ballets de Satie, gravés
pour la première fois hors de France. Parmi les artistes captés par le label, signalons Sir
Adrian Boult, Leopold Stokowski, Maureen Forrester, Hugues Cuenod, Antonio Janigro et
surtout le célèbre contre-ténor Alfred Deller.
À cette même époque, non plus à New York, mais à Chicago, naît Mercury qui demeure
célèbre pour ses prises de son. Mercury publie le premier enregistrement stéréo d’Amérique,
que nous évoquerons en conclusion.
Très vite, Mercury passa des accords avec Philips et servit parfois de prestataire de service
comme lors de l’enregistrement londonien des deux concertos de Liszt par Sviatoslav Richter
et Kiril Kondrashin. L’un des fleurons de ce catalogue réédité parmi les premiers CD plus de
vingt ans après sa première parution. En 1962, le géant hollandais acheta Mercury, surtout
pour ses contrats avec les artistes de variétés et de jazz, le classique étant mis sous silence et
utilisé pour les séries bon marché.
Par sa prospérité économique hors du commun, entraînant un fort pouvoir d’achat, l’étendue
de son marché du disque et l’impact du 33 t puis de la stéréo, les États-Unis furent la terre de
prédilection des catalogues indépendants. Mais par l’absence de politique d’exportation,
conjuguée à la contraction du marché américain, ils furent rachetés ou cessèrent leurs activités
dès la fin des années 1960. Tous, sauf un.
Retour en Gaule
Une fois de plus, voici l’exception française. Un label encore presque inconnu au début des
années 1960 va s’affirmer au fil des ans comme l’un des cinq éditeurs discographiques
internationaux des plus importants, jusqu’à être courtisé dans les années 1990 par les
multinationales en quête de créativité artistique : Harmonia Mundi.
Son fondateur, Bernard Coutaz, est loin d’être issu du sérail de la musique classique et se
tiendra toute sa vie éloigné d’un parisianisme qui ne parle qu’à lui-même. D’origine modeste,
il naît dans la Drome, mène ses études au sein de la congrégation des Salésiens (du nom de
François de Sales, appelé l’apôtre de la douceur), il en est renvoyé pour avoir organisé un
cercle d’études marxistes.
Rien ne prédestinait Bernard Coutaz à l’édition phonographique classique. Jeune journaliste
dans la presse chrétienne (groupe Bayard, Témoignage Chrétien), il écrit et publie romans et
essais : La peau du gendarme, Les dents agacées, Civilisation je vous hais et Quand les
ventres parlent, publiés aux Éditions Ouvrières ou à La Table Ronde. Très engagé
politiquement, peut-être même un peu trop au goût des milieux professionnels où il travaille,
« Bernard Coutaz décide de prendre sa liberté » raconte son épouse. « Pour cela, il décide de
publier un premier disque, un recueil de textes lus politiquement engagés, Des voix...
d’écrivains ! », en 1957, en pleine explosion du 33 t (ce disque sera distribué de façon
surprenante chez Barclay). « Puis, poursuit-elle, grâce à Pierre Rochas, médecin et brillant
organologue, Bernard Coutaz découvre le monde de l’orgue, en premier celui de Saint-
Maximin », un instrument historique. Avec Pierre Rochas et les conseils de l’abbé Carl de
Nys, important musicologue de l’époque, Bernard Coutaz décide de créer un catalogue
d’enregistrements de musique d’orgue sur les instruments historiques de France et d’Europe.
En 1958, il fonde Harmonia Mundi à Paris. Il faut un financement à cette aventure. Bernard
Coutaz lance une « souscription » auprès de quatre cents mélomanes qui, en devenant des
petits porteurs, apportent le capital initial d’Harmonia Mundi.
Pour soutenir ses parutions, il fonde une revue, Orgues historiques, dont chaque numéro,
dédié à un instrument, est accompagné d’un 45 t destiné à en apprécier toutes les qualités.
L’air parisien ne lui convenant pas, Bernard Coutaz implante ses activités d’abord à Saint-
Michel-de-l’Observatoire en 1962, puis définitivement à Arles en 1986.
Dans toute aventure humaine, le hasard d’une rencontre peut être un tournant décisif. C’est ce
qui s’est produit lors d’un concert d’Alfred Deller à Avignon en 1967. Au cours de la soirée
qui suivit, le célèbre contre-ténor trouve une identité de vues artistique avec Bernard Coutaz
et rejoint le jeune label auquel il reste fidèle jusqu’à sa mort, en 1979. Harmonia Mundi
accueille son premier artiste de renommée internationale avec Alfred Deller, qui depuis
plusieurs années enregistre chez Vanguard, disponible aux Etats-Unis, et trouve un éditeur
très présent en Europe, base de sa carrière.
Au début des années 1970, les deux hommes organisent une académie d’été dans le Lubéron.
Y viendront suivre les cours de futurs artistes clés d’Harmonia Mundi comme Dominique
Visse ou René Jacobs.
Devant la vague naissante de l’intérêt des mélomanes pour la musique ancienne et baroque,
Bernard Coutaz se cantonnera dans ce domaine et fera d’Harmonia Mundi un acteur
incontournable du marché du disque, d’autant plus qu’il accorde dès le départ autant
d’attention à sa distribution internationale qu’à la qualité artistique, ce en quoi il se démarque
des autres labels indépendants.
L’ère de toutes les évolutions
Deux facteurs soutiennent la croissance de l’édition discographique : l’évolution
technologique dès le début des années 1920 avec une explosion des ventes, et les modes.
Dans ce dernier domaine, les différents courants, du rock au rap, en passant par le disco,
suscitent à chaque fois d’importantes vagues d’achat.
La bande magnétique, dès la fin des années 1940, permet au cours des enregistrements des
prises plus longues, une qualité sonore plus fine. Le support restant le même (78 t), l’impact
de cette amélioration technologique demeure cependant réduit auprès du public.
Dans les laboratoires de la Columbia Broadcasting, propriétaire de CBS, Goldmark, un
ingénieur, mélomane classique, n’a qu’un souhait : écouter la 9 e Symphonie de Beethoven sans
avoir l’obligation de changer de face toutes les six minutes plus le temps de la manipulation. Il
se lance dans une recherche aventureuse : la mise au point de ce qui va devenir le microsillon.
Il ne s’agit pas d’une simple amélioration de la technique en cours. Il fallait tout repenser : la
matière du disque, sa taille et celle du sillon, la vitesse de rotation, la tête de lecture qui ne
doit pas abîmer le disque plus friable que le 78 t, mais également la forme du bras et son poids
sur la tête de lecture, le système d’amplification et enfin le haut-parleur. Goldmark présente le
fruit de son travail au président de Columbia Recors, Ed Wallerstein, qui comprend
immédiatement l’importance de cette découverte. Un nom est trouvé : Long Playing ou LP.
En France, ce sera le microsillon.
Afin d’assurer le succès de cette innovation, une invitation est lancée à David Sarnoff,
président de RCA Victor, unique concurrent de CBS. En travaillant ensemble, le succès se
doit d’être au rendez-vous. Mais ô stupeur ! Sarnoff annonce que sa société a également mis
au point un microsillon, totalement différent du LP par sa taille et sa vitesse de rotation : le
45 t. Pour le lancer, RCA prévoit une parution choc : l’enregistrement de Carmen sous la
direction de Fritz Reiner avec les chanteurs vedettes du Metropolitan Opera. Dix 45 t contre
30 à 38 faces de 78 t (selon la version intégrale ou abrégée). C’est un progrès. Mais avec le
LP, fait remarquer Goldmark, Carmen tient en 3 disques (en 2 CD dans les années 1980, enfin
sans support à l’âge du digital). Mais le 45t a une force : il est adapté à la variété dont les
succès tiennent jusqu’à présent sur une seule face de 78 t, soit deux chansons sur un 45 t,
comme pour le support précédent. Les utilisateurs ne seront pas dépaysés. L’accord est tout
trouvé entre les deux géants du disque. Le 33 t pour le classique, le 45 t pour la variété (le
concept d’album variété, LP, paraîtra bien plus tard, c’est un autre abord artistique).
Ces nouveaux formats sont lancés avec succès aux États-Unis dès 1950. De 204 millions de
dollars en 1947, le chiffre d’affaire de l’édition phonographique américaine passe 157 875 000
dollars en 1950.
L’Europe et le reste du monde ne sont pas encore sortis du marasme de l’après-guerre et
l’introduction du LP se fera un peu plus tard. Les populations auront-elles le pouvoir d’achat
nécessaire pour acquérir les nouveaux équipements et les nouveaux disques ? Dès l’année
suivante, l’usine Pathé Marconi de Chatou fait de nouveau parler d’elle. Ses techniciens, avec
l’aide de Péchiney, mettent au point, avant l’Angleterre et l’Allemagne, la fabrication de ces
nouveaux disques. Chatou redevient leader en Europe.
Le microsillon sera amélioré avec la stéréophonie. Ce sont les studios Walt Disney Pictures
qui ont créé l’événement en 1940 en utilisant cette technique pour la première fois au cinéma
pour la bande son de Fantasia enregistrée par Stokowski et l’Orchestre de Philadelphie. Son
adaptation au disque arrivera dix ans plus tard. Elle est l’œuvre d’un Américain, Emory Cook
(1913-2002), pour son petit label de variété Cook Records. En 1950 il publie des premiers
disques enregistrés sous cette nouvelle technologie balbutiante qu’il nomme binaural. Elle
trouve sa pleine réalisation avec les recherches de Decca et Philips qui l’appelle stéréophonie
mot dérivé du grec stereo, « spatial, solide », et phono « ton, le son », qui sera adaptée à la
lecture sur microsillons. En 1958, Mercury avec l’aide de Philips, publie aux États-Unis le
célèbre premier disque stéréo : 1812 de Tchaïkovski dirigé par Antal Dorati qui, en plus de
l’Orchestre de Minneapolis, aligne les canons de bronze français, fondus à Douai, de 1775
prêtés par West Point, les cloches du Laura Spelman Rockefeller Memorial Carillon, enfin le
Brass Band de l’Université du Minnesota, demeure, soixante-deux ans après sa parution, un
exemple de réussite dans ce domaine. Dès sa parution en 1958 et pendant de longues années,
ce disque stéréo le modèle de cette nouvelle approche sonore, utilisé pour faire la
démonstration de la qualité d’une chaîne Hi Fi.
En Europe, c’est le légendaire Arthur Haddy et son collègue Kenneth Wilkinson qui mettent
au point cette technologie. Dès 1954, Decca capte en stéréo Ernest Ansermet et l’Orchestre de
la Suisse Romande dans Antar, de Rimsky-Korsakov, qui sera commercialisé trois ans plus
tard. En 1958, John Culshaw réalise le premier enregistrement stéréo d’opéra : L’Or du Rhin.
Dans ses mémoires, il raconte : « La veille de l’enregistrement, au bar de l’hôtel Impérial,
nous mettions au point les derniers détails de l’enregistrement avec Solti. À ce moment arrive
Walter Legge qui vient également enregistrer à Vienne. — Que venez-vous faire ? nous
demande-t-il. — Enregistrer L’Or du Rhin répond Solti. — Impossible à vendre, rétorque
Legge. » Erreur, cette version demeure l’un des enregistrements d’opéra les plus vendus dans
l’histoire du disque. On notera la hardiesse du répertoire conçu par Decca pour réaliser ses
premiers pas dans la stéréophonie. EMI sera le dernier éditeur à adopter ces innovations.
En pleine abondance économique, les Trente Glorieuses ont vu l’apparition du LP, suivi de la
stéréophonie, puis de la musicassette lancée par Philips en 1965. L’édition discographique a
connu alors un développement exceptionnel et des revenus insoupçonnés.
En ces années, le ciel était au beau fixe.
Chapitre 5. Du Paradis à l'enfer
1. « Tout va très bien, Madame la marquise1 »
Lorsqu’on entre chez les disquaires dans les années 1960, il semble que tout va pour le mieux.
Ce sont des lieux de rencontre et d’échanges et, en province, les propriétaires comptent
souvent parmi les notables, coresponsables de la vie culturelle de leur ville. À l’image d’Eddy
Barclay, certains éditeurs discographiques de variétés appartiennent à la vie publique. On vit
les Trente Glorieuses, en Europe comme aux États-Unis, le pouvoir d’achat ne cesse
d’augmenter. Posséder une chaîne stéréo est un must, chacun doit l’exhiber dans son salon, en
conséquence on achète des disques pour la faire vivre.
En Angleterre, Decca lance la série Phase 4, uniquement basée sur une stéréo spectaculaire
dite « ping-pong ». La dévaluation de la livre sterling de 1967 favorise l’exportation des deux
géants britanniques : EMI et Decca. Cerise sur le gâteau, en 1965, Philips lance la
musicassette et ses lecteurs portatifs qui permettent d’écouter la musique en tous lieux, un
plaisir que l’on connaissait déjà au début du 20e siècle, du temps du bon vieux phonographe à
manivelle que l’on redécouvre. Un complément financier bienvenu aux ventes de LP.
Parallèlement, la radio et la télévision en plein développement portent au plus haut les artistes
de variétés et du classique (sur une moindre échelle), et surtout grâce, souvenons-nous-en, à
l’émission de Denise Glaser Discorama, le dimanche midi, sur la chaîne unique.
Cette prospérité repose sur un petit nombre de pays. Pour la musique classique, les États-
Unis, l’Angleterre, la France et la République fédérale allemande, avec une population de près
de 370 millions d’habitants, représentent 80 % des ventes mondiales. Le Japon ne s’affirmera
comme grand marché que dans les années 1980.
Mais certains événements viennent craqueler ce tableau idyllique. Walter Legge, l’homme clé
de la musique classique chez EMI, est de plus en plus discuté. La décennie appartient aux
Beatles qui entraînent le groupe vers des sommets jamais atteints auparavant. Dans ce
contexte, Sir Joseph Lockwood, président d’EMI, désire réduire l’importance du classique qui
demande des investissements importants et dont les profits restent loin derrière ceux de la
variété. Il décide que chaque projet doit se soumettre à l’approbation d’un comité classique
annuel regroupant les principaux responsables. La cohabitation est impossible avec Walter
Legge qui s’obstine à répéter : « Je suis convaincu qu’en matière artistique les comités sont
inutiles. » Les relations se tendent toujours davantage. En 1964, Legge démissionne d’EMI et
dissout le Philharmonia Orchestra, son orchestre, dans la foulée. L’orchestre se regroupe en
autogestion, prend le nom de New Philharmonia Orchestra et confirme Klemperer comme
chef à vie.
Trois ans plus tard, un tremblement de terre similaire a lieu chez Decca. Après vingt ans de
bons et loyaux services, John Culshaw, toujours à l’affût de nouvelles aventures (la vie
professionnelle de son père, cadre moyen à vie dans la même banque, lui faisait horreur,
raconte-t-il dans ses mémoires), devinant de grandes perspectives dans l’audiovisuel, quitte
son métier de record producer pour prendre la direction générale de la musique à la BBC.
Les pages anglaises de l’après-guerre sont définitivement tournées. Si Legge laisse un vide,
l’apport de Culshaw pour l’édition discographique ne s’arrête pas à son départ de Decca. Au
cours des années, il recrute et forme Peter Andry qui prendra la succession de Walter Legge
chez EMI, Eric Schmith, le plus important directeur artistique de Philips, Ray Minshull qui lui
succédera à la tête du département classique de Decca et enfin Christopher Raeburn en charge
des enregistrements lyriques, nœud de la politique artistique de cet éditeur.
Parallèlement la Deutsche Grammophon continue sa percée et devient le pôle d’attraction des
jeunes artistes de pointe comme Maurizio Pollini ou Martha Argerich (tous deux ayant fait un
bref passage chez EMI), ou Claudio Abbado qui se sentait à l’étroit chez Decca entre Sir
George Solti et Zubin Mehta. Le label jaune se lance également dans l’enregistrement de tous
les grands cycles symphoniques et concertos, et crée la série Avant-garde qui propose des
pages de Stockhausen, Kagel, Ligeti et tant d’autres. À l’occasion du bicentenaire de la
naissance de Beethoven, en 1970, Deutsche Grammophon publie une quasi-intégrale de son
œuvre, initiative préparée sur plusieurs années qui cloue sur place les concurrents. Sur le
marché européen, plus rien n’arrête la puissance de la Deutsche Grammophon devenue
synonyme d’excellence pour l’enregistrement de la musique classique.
2. Naissance d’une révolution
Vienne, début des années 1950. Un jeune violoncelliste, Nikolaus Harnoncourt, issu de la
noblesse et patronné par Karajan, fait son entrée comme pupitre au Wiener Symphoniker.
Avec son épouse, ils sont passionnés d’authenticité musicale et d’instruments anciens. En
1953, ils créent le Concentus Musikus Wien, une formation dédiée à la musique ancienne
interprétée sur instruments d’époque ou leurs copies. À la même époque, le couple rencontre
un claveciniste qui fait ses débuts professionnels dans la capitale autrichienne, Gustav
Leonhardt. Le courant passe entre ces trois musiciens qui gravent leurs premiers
enregistrements dédiés à Bach, mais également à la musique anglaise et française des 17 e et
18 e siècles pour le label américain Vanguard, patronné par la Bach Guilde. En 1954, avec son
Leonhardt Baroque Ensemble (où l’on retrouve Harnoncourt en soliste), le claveciniste grave
avec Alfred Deller les cantates BWV 54 et 170 de Bach, toujours pour Vanguard.
La musique baroque est dans l’air du temps. En France, Nadia Boulanger et Roger
Désormière explorent ce répertoire avec les instruments et techniques vocales du moment. En
1955, à New York, dans le studio d’enregistrement de CBS, un jeune pianiste originaire de
Toronto grave une œuvre inconnue jusqu’alors aux Etats-Unis : les Variations Goldberg de
Bach. Glenn Gould entre dans la légende. L’œuvre et l’interprète séduisent les mélomanes
américains et, d’après Norman Lebrecht, quarante mille exemplaires de ce LP seront vendus.
Plus de soixante-cinq ans plus tard, cet enregistrement est toujours disponible sur les marchés
du monde entier.
Cependant, il faut une dizaine d’années pour que la révolution sur instrument d’époque se
fraye un chemin et devienne le standard de l’interprétation de la musique ancienne et baroque.
Ayant rejoint Telefunken (nommé Teldec après son alliance avec Decca), le second éditeur
allemand, Harnoncourt et le Concentius Musicus de Vienne publient les grandes œuvres de
Bach : en 1964 les Concertos Brandebourgeois, suivis successivement par la Passion selon
saint Jean (1965), la Messe en si (1968) la Passion selon saint Matthieu (1970), tout en
commençant l’intégrale des cantates et sans négliger les grandes pages de Monteverdi ou de
Vivaldi. Parallèlement, Gustav Leonhardt réalise comme soliste et avec sa formation
(Leonhardt Consort) sous le label fribourgeois DHM, un parcours parallèle consacré à la
musique française, anglaise et allemande.
En quinze ans ces pionniers obtiennent pleine reconnaissance, leurs enregistrements
collectionnent les grand prix internationaux et figurent parmi les meilleures ventes. En faisant
école, tout au long de ces années, apparaissent des interprètes tels Frans Bruggen, qui joue de
la flûte baroque avant de former son orchestre, les frères Kuijken ou encore John Eliot
Gardiner.
Hormis la Deutsche Grammophon qui, dès la fin des années 1940, lance Archiv Production, et
Decca, avec le rachat de L’Oiseau Lyre en 1970, les grands éditeurs sont totalement absents
de ce mouvement, surtout RCA et CBS, les deux géants américains. Des tentatives seront
faites, comme chez Electrola, la filiale allemande d’EMI qui, dès les années 1970, crée
localement la collection Reflex, avec des artistes tel Jordi Savall. Une initiative non suivie par
la direction internationale qui préfère enregistrer Sir Charles Mackerras et l’Orchestre de
Chambre de Prague, dans des œuvres orchestrales de Haendel. Quinze ans de retard par
rapport à l’évolution du goût des mélomanes.
Le relais se trouve en France. Au cours des années 1960, Michel Garcin, toujours à l’écoute
de nouveauté, signe I Solisti Veneti, ensemble fondé par Claudio Scimone, qui deviennent les
interprètes de référence pour Vivaldi ; en Suisse, il découvre Michel Corboz et son Ensemble
Vocal et Instrumental de Lausanne qui apportent un souffle de jeunesse et d’enthousiasme
dans les œuvres chorales, sans oublier la Boston Camerata de Jeff Cohen, qui explore le
répertoire médiéval.
Mais, c’est Harmonia Mundi qui s’affirme comme éditeur de pointe dans ce domaine grâce à
une équipe d’interprètes de premier plan avec William Christie et Les Arts florissants,
Philippe Herreweghe ou encore René Jacobs, et des formations internationales comme le
RIAS Kammerchor et l’Akademie für Alte Musik, deux ensembles berlinois. Cette politique
artistique est l’œuvre d’Eva Coutaz (épouse de Bernard) qui sait donner une cohérence de
répertoire à chaque interprète à l’image du cycle Bach dirigé par Herreweghe. C’est grâce à
cette originalité, la tenue de cette ligne éditoriale et la qualité des interprètes, prises de son et
présentations qu’Harmonia Mundi passe, dès le début des années 1980, d’éditeur indépendant
français à une société internationale avec des filiales aux États-Unis, en Angleterre ou en
Allemagne. Ses productions, comme l’opéra Atys de Lully révélé par William Christie et Les
Arts florissants en 1987, La Maddalena ai piedi di Cristo de Caldara ou plus tard Cresus de
Keiser, tous deux signés par René Jacobs, connaissent des ventes internationales inattendues,
bien au-delà des cent mille exemplaires, des chiffres comparables à ceux de Maria Callas,
Herbert von Karajan ou Eugene Ormandy aux États-Unis.
La terre tremble en Angleterre
EMI et Decca qui, avec la Deutsch Grammophon, sont les piliers du disque classique mondial
connaissent des crises profondes dans les années 1970. Elles vont les amener à leur quasi-
disparition dès la fin de cette décennie. Rappelons que le contexte économique britannique est
particulièrement tendu suite au choc pétrolier de 1973. L’économie s’effondre, l’inflation
galope. En 1975 et 1976, le gouvernement effectue deux demandes de prêt au Front
Monétaire International pour soutenir la livre sterling. Le chancelier de l’échiquier annonce
une coupe dans les dépenses publiques, d’un équivalent de 2,5 milliards d’euros, en
contrepartie d’un prêt de 3,5 milliards de dollars : la somme la plus importante jamais
consentie par le FMI. Au sortir des années 1960, EMI régnait en maître absolu sur l’édition
discographique mondiale, grâce aux succès de ses artistes, en premier lieu les Beatles (qui
avaient réalisé préalablement un premier 45 t chez Polydor et s’étaient vu refuser un contrat
chez Decca) ou d’autres tels les Pink Floyd ou les Sex Pistols. Trouvant le disque trop fragile,
le président d’EMI, Sir Joseph Lockwood, en poste depuis 1954, souhaite diversifier les
activités, donc les sources de revenus, et décide de développer la branche des recherches
technologiques (EMI = Electrical and Musical Industry). Il encourage un de ses chercheurs,
Godfrey Hounsfield, de développer une technologie qui va bouleverser le monde médical : le
scanner. Un budget de six millions de livres lui est alloué. La découverte fait sensation. Seul
le marché américain peut amortir cet investissement. Parallèlement le géant américain
General Electric met au point un scanner, moins coûteux et, en 1976, le président Jimmy
Carter et le Sénat font passer une loi selon laquelle tout achat des hôpitaux dépassant cent
mille dollar doit recevoir l’approbation du gouvernement. S’équiper avec le scanner d’EMI
coute deux cent cinquante mille dollars. EMI frise la faillite et ne sera sauvé, en 1979, que
grâce à un accord avec Thorn Electrical Industries pour connaître un nouveau départ.
Decca n’est pas davantage à l’abri. Dans la seconde moitié des années 1970, cette société
rencontre d’innombrables problèmes d’un ordre différent. La division électronique ne fait plus
recette, ses artistes de variété ne bousculent plus les charts tant anglaises qu’internationales,
les sociétés affiliées : Musikvertrieb, fondé par Rosengarten, qui en assumait la distribution en
Suisse et en Allemagne, ou SOFRASON pour la France et la Belgique, ont du mal à s’adapter
aux marchés de cess années-là. Les finances sont à sec. Suite aux succès mondiaux des
bandes son de La fièvre du samedi soir et Grease, le groupe Polygram achète Decca en 1978.
Après une période de remise en ordre difficile menée sous la houlette de Reinhard Klaassen,
dépêché par Philips, Decca renaît de ses cendres et vit une seconde jeunesse. Klaassen
maintient en place l’équipe de directeurs artistiques ainsi que les artistes sous contrat comme
Sir Georg Solti, Zubin Mehta, Joan Sutherland, Luciano Pavarotti, à l’aube de sa carrière
internationale, Vladimir Ashkenazy, et encourage la venue de sang nouveau apporté par
Charles Dutoit, Andras schiff ou Riccardo Chailly.
Une fin de siècle prématurée
La fin du 20 e siècle s’annonce dès la seconde moitié des années 1970 pour l’édition
discographique.
Une évolution s’opère au cœur du goût des mélomanes. L’ère de gloire des chefs d’orchestre
touche à sa fin, le répertoire symphonique aussi, par saturation des enregistrements. Quand,
en 1978, EMI entame sa première intégrale des symphonies de Mahler sous la direction de
Klaus Tennstedt à la tête du London Philharmonic, on compte déjà les versions de Bernstein
(la première en date), Kubelik, Haitink et Solti. Pourtant, quelque dix ans auparavant, ces
œuvres étaient considérées comme du répertoire rare et peu commercial. Karajan mis à part,
les nouvelles versions des symphonies de Beethoven sortent dans l’indifférence du public. Il
faudra attendre 1991, avec la vision de Nikolaus Harnoncourt et l’Orchestre de Chambre
d’Europe, pour que le public se réveille. Plusieurs dizaines de milliers d’exemplaires sont
vendus tandis que, au cours de la même année, la version de Muti avec l’Orchestre de
Philadelphie passe inaperçue. Si, comme nous l’avons vu, la musique ancienne et baroque
bouleverse les habitudes, on note également un regain d’intérêt pour l’art lyrique symbolisé
par l’hyper-notoriété de chanteurs tels Pavarotti, Domingo, Carreras, Te Kanawa, ou Jessye
Norman et, un peu plus tard, Cecilia Bartoli. Les ventes de ces artistes rivaliseront parfois
avec celles des grands artistes de variétés, comme le Concert des trois ténors. À cette époque
on assiste à un changement plus en profondeur, celui d’un mode de vie. Dans la pièce
principale, la place d’honneur appartient à la télévision et au home cinema ; la chaîne stéréo
de format réduit est reléguée dans un coin de la bibliothèque. Se développent également les
grandes transhumances de masse, les populations découvrent toujours plus les voyages aux
quatre coins du monde. Le 33 t qui, pour être écouté nécessite, un équipement stable, devient
obsolète. Les ventes s’effondrent, les principaux éditeurs redécouvrent du rouge dans leurs
bilans annuels. On craint la catastrophe. Licenciements et fermetures s’enchaînent dès 1978.
Le walkman mis au point par Sony au début des années 1980 est une réponse éphémère à ce
problème. Fin 1982, au Japon, et en février de l’année suivante en Europe apparaît une drôle
de galette en métal de 12 cm de diamètre, recouverte d’une couche de plastique. Au milieu,
une fine plaque photosensible donne de la musique quand elle est lue par un rayon laser. Le
compact disc vient de naître.
Il est le fruit de nombreuses années de recherches menées parallèlement par Philips et Sony.
En 1980 apparaît l’enregistrement sur bande numérique, qui doit être copié sur un
magnétophone analogique avant d’être gravé sur un LP. Decca publie le premier disque sous
ce procédé : le concert du Nouvel An de 1979. Ce qui n’empêche pas l’érosion permanente
des ventes de 33 t. Philips et Sony décident de mettre en commun leurs recherches respectives
qui aboutissent en moins de deux ans. Passant du frottement d’une tête de lecture dans un
sillon à la technologie numérique, offrant un support musical pouvant être lu en tout lieu avec
la même qualité sonore, le CD projette l’édition discographique dans le 21 e siècle naissant
sous le signe des ordinateurs et d’Internet. Une bouffée d’oxygène qui relance l’édition
discographique. Celle-ci connaîtra quinze ans de prospérité oubliée depuis la naissance du LP
et de la stéréo. Dans les premières années, la progression est d’environ 20 à 30 % alors que le
reste de l’économie s’essouffle. Plusieurs facteurs expliquent ce succès. Dans les pays
développés existe une population qui suit aveuglément toute nouveauté technologique visant
le grand public. En France elle est estimée, à l’époque, à trois millions d’individus qui, du jour
au lendemain, se précipitent sur le CD.
Alors que les directeurs artistiques craignaient que les enregistrements de fond de leur
catalogue, antérieurs au système numérique, ne puissent pas être transférés sur CD, et donc
survivre, ils observent très vite le contraire. Des artistes comme Callas, Menuhin, sont
musicalement plus proches que jamais. Les mélomanes rénovent leur discothèque désormais
nommées compactothèques. Signalons que Philips et Sony qui ont déposé le brevet du
compact disc vont toucher des royalties d’exploitation à chaque CD fabriqué et, ayant investi
dans les premières usines, elles possèdent le monopole du « pressage » pour plusieurs années.
D’autres facteurs transforment la vague en tsunami. En France, grâce à la baisse de la TVA
qui intervient et passe de 33 % à 5%, celle du livre (relevée quelques années plus tard), puis
avec la libéralisation de la publicité à la télévision pour le disque. C’est le règne, pendant six
ans, des compilations promotionnées par ce média qui atteindront des ventes jamais atteintes :
huit cent mille exemplaires pour une compilation d’Édith Piaf chez EMI France, ou trois cent
mille pour Les triomphes de Karajan chez DG.
Générations en mouvement
Cette fin de siècle voit un changement de génération dans les directions artistiques. Au début
des années Mitterrand, Philippe Loury, fondateur d’Erato, décide de prendre sa retraite. Au
ministère de la Culture, Jack Lang souhaite qu’Erato demeure français. Une vente est
organisée avec la Gaumont dirigée par le flamboyant Daniel Toscan du Plantier. En 1984,
après le succès du film Carmen de Francesco Rosi, avec Placido Domingo et la jeune Julia
Migenes, qui crève l’écran, les ventes de la bande-son publiée par Erato sont phénoménales.
La conjonction de l’opéra le plus populaire au monde en plein essor du CD ! Fort de ce
succès, comme pour la Gaumont, Toscan du Plantier décrète qu’Erato est une major. Il met
sur la touche Michel Garcin, l’âme du label, et se lance dans une course aux signatures
d’artistes internationaux, souvent ceux qu’abandonnent Deutsche Grammophon, EMI ou
Decca, dans des projets artistiques coûteux et peu commerciaux. Résultat de cette politique,
en 1992, face à une banqueroute totale, Erato est racheté par Warner qui vient de décider de
se lancer dans la musique classique en acquérant parallèlement Teldec en Allemagne.
Au même moment, Harmonia Mundi devient le troisième intervenant du marché français
derrière Polygram (avec ses trois labels classiques : Decca, DG et Philips) et EMI.
Du mouvement aussi chez Pathé Marconi lorsque, à la fin des années 1970, après la mort
prématurée de Peter de Jongh, Alain Lanceron prend la tête du département classique. Sous sa
direction, les enregistrements classique d’EMI France connaissent un redémarrage. L’une de
ses premières décisions, le lancement d’une collection d’enregistrements historiques très
attendue du public : Références. Un million d’exemplaires vendus en dix ans (33 t et CDs
confondus). L’enregistrement lyrique, spécialement avec Michel Plasson et le Capitole de
Toulouse, est développé avec les plus grands artistes. Quelques exemples : La Belle Hélène
avec Jessye Norman, Faust où l’on retrouve José Van Dam, et du répertoire moins :
Padmavati de Roussel, dont le rôle titre est interprété par Marilyn Horne, ou Hérodiade de
Massenet, autre première mondiale au disque, avec Cheryl Studer et Thomas Hampson. Les
jeunes artistes de l’époque, comme Barbra Hendricks sont également les bienvenus.
Changement de génération également aux États-Unis. Progressivement, l’entertainment va se
substituer à la culture et les artistes classiques se voient contraints d’aborder un répertoire de
variété dès les années 1980. C’est la naissance du cross-over. Pour illustrer ce propos, il suffit
de comparer les carrières de deux sopranos de profil similaire : Barbara Hendricks en Europe
et Kathleen Battle aux États-Unis. En ne s’écartant pas du répertoire classique traditionnel,
comme certains Lieder de Schubert avec le pianiste Radu Lupu, Hendricks connaît une
notoriété hors du commun et devient une personnalité publique. En 1993, son double CD
intitulé La Voix du ciel, titre en souvenir de sa toute première participation à un
enregistrement du Don Carlos de Verdi dirigé par Karajan (où elle chantait l’air de la Voix du
ciel), atteint le chiffre record de 350 000 exemplaires. Kathleen Battle, considérée par James
Levine, directeur musical du Metropolitan Opera de New York, comme la grande voix de sa
génération, se met au cross-over avec Mythodea de Vangelis et mélange dans ses récitals
compositeurs classiques et chansons traditionnelles. Deux continents, deux cultures. C’est
dans ce contexte que l’Europe et le Japon vont acquérir les deux fleurons de l’édition
discographique américaine. En 1986, Bertelsmann, géant de l’édition allemande, acquiert
RCA ; deux ans plus tard, Sony, cofondateur du CD, rachète CBS. À cette époque, les
divisions classiques de ces deux éditeurs n’étaient plus que lettre morte. Perlman quitte RCA
et rejoint EMI où il prend la succession de Menuhin. Quant à Boulez et Bernstein, derniers
grands artistes classiques de CBS, ils ne peuvent résister au chant des sirènes de la Deutsche
Grammophon.
Plus dure sera la chute2
La dernière décennie du 20 e siècle se passe sous le soleil. Elle est même l’occasion de
quelques success stories et voit apparaître de nouveaux labels parfois éphémères. À Hong
Kong, représentant du matériel audiophile de Boose, Revox, puis Studer, Klaus Heymann, né
à Francfort, est également un grand mélomane. Il rejoint le Board de l’Orchestre
Philharmonique de Hong Kong et épouse la violoniste Takako Nishizaki. Observant que les
CDs, Japon, Corée du Sud et Taiwan mis à part, se vendent peu en Asie à cause de leur prix
trop élevé, il enregistre en 1987 Les Quatre Saisons de Vivaldi, avec sa femme en soliste. Un
enregistrement vendu au tiers du prix d’un CD normal de musique classique. C’est la
naissance de Naxos (du nom de l’île grecque), le premier éditeur de musique classique dont
les nouveautés sont vendues à prix budget, ce qui n’empêche pas une qualité optimale et un
grand soin apporté à la présentation (y compris la mention des dates et lieux
d’enregistrement). Son objectif, un peu optimiste : enregistrer chaque œuvre du répertoire.
Regardé avec dédain à ses débuts, en moins de cinq ans, Naxos est une véritable disruption
sur le marché du CD. Aujourd’hui, c’est un des trois premiers éditeurs d’enregistrement de
musique classique, une centrale de distribution internationale pour les labels indépendants et
une sorte d’encyclopédie de la musique et des interprètes sur Internet.
EMI, ayant recouvré sa santé financière, sous l’égide de Sir Colin Southgate et de son
directeur général international, Jim Fifield, se lance dans l’acquisition de labels, tels Chrysalis
Records et surtout Virgin. Chez ce dernier figure une petite activité classique, lancée par son
fondateur Richard Branson qui ne souhaite pas être absent de ce répertoire lors de l’explosion
des ventes du CD.
En plus de sa responsabilité de directeur du service artistique marketing classique d’EMI
France, Alain Lanceron se voit attribuer la responsabilité de relancer Virgin Classics, qui,
rapidement, devient un label de pointe du disque classique, avec des artistes comme Natalie
Dessay, Philippe Jaroussky, Alexandre Tharaud, les frères Capuçon ou Nicolas Anghelich.
Alors que la bulle Internet est à son apogée, au Midem de janvier 2000, il prête attention à ce
nouveau venu sur la toile, Napster, fondé par un jeune Anglais répondant au nom de Fanning,
dont le but est de faire découvrir et partager la musique. En ayant recours à la technologie
MP3, il télécharge des chansons et les met gratuitement à disposition de qui souhaite les
écouter. Cet échange de fichier est appelé le peer to peer (pair à pair). Tandis que la musique
de variété est de plus en plus standardisée, avec un petit nombre d’artistes imposés de Los
Angeles à Ibiza ou Berlin afin que leurs CDs se vendent par millions, via Napster les jeunes
découvrent rapidement, avec ce nouveau système d’échange, une quantité illimitée de
musique, qui souvent leur était inconnue. Chacun a accès à la discothèque de l’autre. Une
sorte de jukebox mondial et gratuit. C’est une véritable traînée de poudre, rien n’arrête son
développement. Une activité qui échappe à l’éclatement de la bulle Internet du début des
années 2000. Rapidement, plusieurs millions d’utilisateurs aux quatre coins de la planète.
L’édition discographique s’inquiète. Une perte nette en droits d’auteur, en droits d’interprète.
Les ventes de CDs commencent à diminuer. Si par l’action de l’IFPI, instance internationale
représentant les intérêts de l’édition discographique, Napster est fermé, aussitôt, d’autres
plates-formes apparaissent comme, en Suède, The Pirate Bay ou, aux Etats-Unis, l’association
La scene dont l’un des fondateurs, un dénommé Glover, manutentionnaire dans l’usine
américaine de CD et DVD d’Universal Music Group, arrive à détourner des milliers
d’enregistrements (et de films) malgré un système de surveillance très pointu. Ces
enregistrements sélectionnés grâce à la lecture du Bilboard, journal professionnel de la
musique en Amérique, sont mis gratuitement, avant leur sortie commerciale, à la disposition
des internautes mélomanes, entraînant une chute massive des ventes. Plate-forme de
streaming à but non lucratif, se voulant l’antisystème du show business, organisée
clandestinement à l’image des black-blogs actuels, sans leur violence, il aura fallu cinq ans
d’enquête au FBI secondé par Interpol pour mettre un terme à l’activité de La scene.
Incroyable mais vrai, un manutentionnaire met quasiment à genoux le plus puissant groupe de
l’édition phonographique mondial. Glover écopera de quelques mois de prison. Quant à
Fanning, il sera récupéré par Mark Zuckerberg pour donner une impulsion à Facebook
naissant. Qui se ressemble, s’assemble, Zuckerberg, quelques années auparavant, avait été
renvoyé de Harvard pour avoir piraté sur le serveur de l’université des photos d’étudiants pour
donner du contenu à son premier réseau social : Facmash. Dans son livre Play back, Mark
Coleman considère le piratage de la musique comme la nouvelle drogue des étudiants en ce
début de siècle, à l’image du hash dans les années 60/70.
Les éditeurs tentent des contre-feux en lançant quelques nouveautés technologiques comme le
minidisc, la cassette numérique (DAT) et le SACD, parmi d’autres. L’heure n’est plus au
support, mais à la liberté, sans contrainte, donc via Internet. Suivent des tentatives pour créer
leurs propres plates-formes de téléchargement ou en streaming. Une réponse encore
inadéquate, car les mélomanes ne veulent plus être prisonniers d’un label. Ils souhaitent avoir
accès à tous les artistes et musiques en même temps, sans limites. La première réponse vient
de Steve Jobs qui, pour relancer les ventes de ses ordinateurs, passe un accord avec les
éditeurs discographiques et crée en 2003 iTunes, la première plate-forme de streaming multi-
éditeurs. D’autres suivront, Spotify ou Deezer, parmi les plus connues. Et le streaming devient
payant.
S’apercevant que des sites d’écoute gratuite, sous couvert de promotion, tel Youtube, réalisent
d’importants profits avec un flot de publicité, une action est menée à travers l’IFPI pour mettre
également fin à cette pratique. Une nouvelle source de revenus est née.
Subissant un marketing de grande distribution, le CD perd toute image, toute valeur, devient
un produit bas de gamme. Depuis quelques années les adeptes de variétés compensent leur
désamour pour ce produit dévalorisé par un retour massif au 33 t. renommé vinyl. Deux cent
soixante tables de lecture pour ce support vintage, nostalgique, se vendent en France en 2018.
On attend les chiffres pour l’année suivante. On les prévoit en hausse.
Ces facteurs conjugués entraînent une chute du chiffre d’affaires des éditeurs, multinationales
ou indépendants. En France, les ventes cumulées de CDs passent de plus de 155,1 millions
d’euros en 2000 pour descendre à 73,3 millions cinq ans plus tard. Il faut attendre 2018 pour
que le chiffre d’affaires généré par le streaming (301 millions d’euros) dépasse celui des
ventes physiques (289 millions d’euros).
Pendant ces années noires, on assiste à une sorte de danse macabre. En 1996, EMI se sépare
de Thorn pour devenir la multinationale dont l’économie repose uniquement sur le disque. Un
pari risqué qui sera perdu. Un projet de fusion avec Warner, annoncé en 2002 est refusé par
les commissions de la concurrence, tant européenne qu’américaine. Les dettes s’accumulent
malgré certains succès, tant en variété (entre autres par l’arrivée des Beatles en CD) qu’en
classique. Mais rien n’y fait. En 2007, le fond d’investissement Terra Firma achète EMI pour
2,4 milliards de livres. Face à un marché du CD qui ne cesse de se dégrader, Terra Firma ne
peut rembourser son emprunt et, en 2011, Universal et Warner se partagent la dépouille de ce
qui fut un fleuron de l’économie anglaise. Le classique d’EMI/Virgin passe chez Warner. Ne
pouvant plus utiliser la marque Virgin acquise par Universal, ses activités classiques seront
exploitées sous le label Erato, mis en sommeil depuis quelques années et qui, de ce fait, renaît
de ses cendres. Le fond de catalogue d’EMI classique ainsi que les nouveautés paraissent sous
la marque Warner Classic. Des milliers d’enregistrements changent de label en quelques
mois. Nipper disparaît à jamais.
La danse macabre continue : en 1998, Polygram, dont Philips s’est retiré, est acheté par
Seagram, société canadienne, leader mondial dans la vente de boissons alcoolisées ou non,
propriété de la famille Bronfman, dont l’héritier est un artiste de variétés frustré, déjà
propriétaire du label MCA et de Universal Pictures. Polygram disparaît et devient Universal
Music Groupe. En 2000, à l’initiative de Jean-Marie Messier, Vivendi prend le contrôle de
Universal et se lance à fond dans la bulle Internet. Cette aventure de courte durée se termine
dans la débâcle en moins de trois ans.
Écarté de Universal, Edgar Bronfman Jr. se relance et ne s’arrête pas en si bon chemin. En
2003, il continue à dépecer Seagram et acquiert Warner Music pour 2,4 milliards de dollars.
Après plusieurs années de négociations, Sony Music et BMG fusionnent, ce dernier se retirant
de l’activité musique.
En France, c’est l’hécatombe. Naïve, créé en 1998 par Patrick Zelnik (le fondateur de Virgin
France), disparaît en 2016 en laissant des dettes de poids. Harmonia Mundi, trop léger pour
obtenir des revenus conséquents du streaming, est acquis par la société belge PIAS en 2015.
La Belgique deviendra propriétaire de presque tous les labels indépendants classiques français
lorsque Outhère rachète divers labels, tels Zig-Zag ou Alpha.
Le mythe de l’éternel retour
Après la tempête, le calme revient. Pour combien de temps ? Le streaming redonne une
croissance à l’édition discographique devenue presque squelettique. Les sociétés qui font loi
sont les grandes plates-formes de streaming qui vont jusqu’à gérer les fonds de catalogue des
éditeurs, en créant elles-mêmes des play lists (ex-compilations). Elles sont conçues par des
personnes qui bien souvent découvrent la musique en même temps que le public auquel elles
s’adressent. Des œuvres, comme le trop célèbre Prélude en ut dièse mineur de Rachmaninov,
délaissées par les mélomanes blasés de l’ancienne génération, celle du LP et du CD, sont
redécouvertes et streamées des centaines de milliers de fois en quelques mois. Serait-ce une
nouvelle écoute de la musique qui renaît des cendres de l’écoute sur les support de jadis ?
Bibliographie
John Culshaw, Putting the Record Straight (Secker & Warburg)
Elisabeth Schwarzkopf, On and Off the Record (Faber & Faber)
Brian Southall, The Raise and Fall of EMI Records (Omnibus Press)
Eamonn Forde, The Last Days of EMI (Omnibus Press)
William Cavendish, His Master Voice, Sir Joseph Lockwood (Emigrouparchivetrust)
Mark Coleman, Playback (Da capo Press)
Norman Lebrecht, Maestros, Masterpieces and Madness (Alla Lane Penguin Books)
Stephen Witt, À l’assaut de l’empire du disque (Castor Music)
Roger McNamee, Zucked (harper Collins)
Deutsche Grammophon, Une vision de la musique, ouvrage collectif (Verlhac éditions)
Decca, The Supreme Record Company, ouvrage collectif (REGD)
[1] Chanson de 1935, paroles et musique de Paul Misraki, l’un des grands succès de l'orchestre de Ray Ventura.
[2] The Harder They Fall, film de mark Robson, 1956 avec Humphrey Bogart
Thomas Mougel est étudiant au CNSMD de Paris. Il y suit parallèlement les cursus d’analyse et d’écriture musicale, où il a déjà obtenu les prix d’harmonie et de contrepoint. Passionné par la musique de César Franck, il réalise en 2019 un dossier sur le Prélude Choral et Fugue pour son DEM d’analyse au CRR de Lyon que reprend en partie cet article. Par ailleurs, il envisage actuellement la composition de pièces de musique de chambre en association de textes récités.
Contexte historique
En 1884, César Franck, alors âgé de 62 ans, compose pour le piano le Prélude, Choral et Fugue.
Il tire ses revenus de la classe d'orgue qu'il tient au conservatoire, de sa fonction d'organiste à
l'église Sainte-Clotilde et des compositions qu'il fait éditer. Bien que Franck ait été un pianiste
virtuose reconnu très jeune, il a pris, à partir des années 1850, la direction de l'orgue ; et c'est avant
tout comme organiste que le grand public se souviendra de lui. Depuis lors, ses compositions pour
le piano sont devenues rares. Néanmoins, la dernière décennie de la vie de Franck est marquée par
un important foisonnement dans le domaine de la composition. Il revient à des genres délaissés
depuis sa jeunesse. Pour la musique de chambre, le piano est mis à profit dans deux grandes œuvres
qui encerclent temporellement le Prélude, Choral et Fugue et dont les visées formelles se
rejoignent : le Quintette en fa mineur, composé entre 1878 et 1879, et la Sonate pour piano et
violon, datant de 1886 ; deux pièces importantes qui entourent celle qui nous intéresse ici, cette fois du côté du piano concertant. Proches dans le temps viennent : Les Djinns, achevés en 1884, un peu avant le Prélude, Choral et Fugue, puis les Variations symphoniques, terminées en 1885. Deux œuvres pour piano seul succéderont au Prélude, Choral et Fugue : Danse lente et Prélude Aria et Final1.
Portrait pour la tombe de César Franck, fondu dans le bronze à partir d'un médaillon d'Auguste Rodin de 1891.
Source musee-rodin.fr
Rappelons qu'au moment de la composition de cette pièce, Franck est un membre actif de la
Société Nationale de Musique. Il en est d'ailleurs l'un des fondateur et en devient président en 1886.
Par ce biais, l'organiste de Sainte-Clotilde se place en défenseur d'une nouvelle musique de
chambre, qu'il peut faire jouer et entendre. À cette époque, c’est le genre opératique et ses diverses
formes qui dominent le monde musical français. Outre l'abondante littérature mondaine pour le
piano, peu dont les noms sont restés écrivent pour l'instrument solo en ce début des années 1880.
On notera toutefois l'arrivée des premières grandes pièces de Fauré qui viennent renouveler le
genre. La première Barcarolle est composée entre 1881 et 1882. Surviennent aussi d'importantes
pièces de Chabrier comme les Dix Pièces pittoresques (1881) dont Franck déclara :
« Nous venons d'entendre quelque chose d'extraordinaire, une musique qui relie notre temps à celui
de Couperin et de Rameau ». Liszt, à cet instant, atteint ses dernières années, mais détient encore en
Europe comme en France un certain monopole sur le genre.
La pièce de Franck est jouée pour la première fois à un concert de la SNM en janvier 1885.
Marie Poitevin, pianiste et dédicataire de l’œuvre, obtient un triomphe auprès du public. Pas de
critiques virulentes et l'admiration des partisans de Franck se renouvelle : c'est un succès. L’œuvre
est éditée la même année par l'entreprise familiale Enoch (qui publie aussi Messager et Chabrier).
La décennie 1880 marque le début de la véritable reconnaissance du génie de Franck qui, quelques
mois après l'audition de sa pièce reçoit la croix de la Légion d'honneur pour sa quinzième année en
tant que professeur d'orgue au conservatoire. Le Prélude, Choral et Fugue reste aujourd'hui un
monument du genre. Cortot le dira être « un des dix plus grands chefs-d’œuvre de la littérature de
piano ».
L'invention d'un triptyque particulier
La forme en trois grandes parties n'est pas une exception chez Franck. Plusieurs de ses grandes
œuvres réemploient des modèles classiques de formes prévoyant généralement quatre parties, en les
ramenant à trois. C'est le cas de la Symphonie en ré mineur (création en 1889) ou du Quintette avec
piano (1880). Dans le domaine symphonique, le principe se retrouve chez plusieurs compositeurs
proches de Franck comme Vincent D'Indy (Symphonie sur un chant montagnard français 1887),
Chausson (Symphonie en sib majeur 1891) ou Paul Dukas (Symphonie en ut mineur 1897) qui
écrivent tous des symphonies en trois mouvements.
Trois pièces de Franck transforment les diptyques baroques de Bach issu de son répertoire pour
orgue en triptyques : le Prélude, Fugue et Variation pour orgue, puis le Prélude, Choral et Fugue et
le Prélude, Aria et Final pour piano. Les modèles du Kantor de Leipzig sont construits le plus
souvent d'un mouvement introductif libre (prélude, fantaisie, toccata) suivi du mouvement
parfaitement régulé qu'est la fugue. Il semble que seule la Toccata, Adagio et Fugue soit articulée en trois membres dans le répertoire de son prédécesseur baroque. Hors de l’œuvre de Bach, Joël-Marie Fauquet nous signale dans son ouvrage intitulé
César Franck que « dans l'op. 35 n°1 pour piano de Mendelssohn-Bartholdy par exemple, un choral
sert de lien entre le prélude et la fugue. » [p. 605-606]
Par ailleurs, on peut remarquer que l'organisation par Franck de ces œuvres en trois parties se
retrouve même dans le fréquent groupement par trois ou six de ses pièces pour orgue : Trois
Antiennes, Six pièces pour Grand Orgue, Trois pièces pour Grand Orgue, Trois Chorals.
En réalité, cette abondance de formes en trois mouvements chez le compositeur provient avant
tout de sa volonté de conception d’œuvres cohérentes à grande échelle. En effet, la plupart des
grandes pièces de maturité de Franck viennent confronter, à l'approche de la fin du dernier
mouvement, les éléments capitaux des mouvements antérieurs (ce qu'on appelle la forme cyclique).
Ce principe implique de ne pas trop multiplier le nombre d'idées musicales tout en gardant la
richesse de contraste qu'offre la pluralité des mouvements (par exemple, la possibilité de créer le
contraste lent-vif-lent). C'est la raison pour laquelle la forme en trois mouvements est parfaitement
adaptée. N'oublions pas non plus qu'avec l'utilisation récurrente des trois mouvements et au
symbole religieux évident auquel ce chiffre renvoie, c’est la fervente croyance chrétienne de Franck
qui transparaît.
manuscrit autographe des Variations Symphoniques, source gallica.bnf.fr / BnF
Aspect général en comparaison avec le Prélude, Fugue et Variation
Composé entre 1860 et 1862, le Prélude, Fugue et Variation est la première tentative de
réemploi d'un diptyque de Bach par Franck. En réalité, l’œuvre est loin d'atteindre les dimensions
que prendra le Prélude, Choral et Fugue près de vingt ans plus tard. Le premier triptyque dure
environ dix minutes et appartient au recueil des six pièces d'orgue, tandis que le second approche
d'une vingtaine de minutes et constitue une œuvre indépendante. L'unité de la pièce n'est pas non
plus gérée de la même manière : dans le Prélude, Fugue et Variation, un très court Lento lie le
prélude et la fugue. La fugue sert d'intermède au retour varié du choral. Il n'y a pas de forme
cyclique. Dans le Prélude, Choral et Fugue, chaque mouvement possède ses propres matériaux
thématiques tout en contenant subtilement ceux qui permettront de construire le sujet de la fugue.
Une fois la fugue bien avancée, Franck réalise le tour de force de superposer les éléments
fondamentaux de chaque partie avant de conclure. Si la marque de l'organiste de Sainte-Clotilde se
ressent dans les deux morceaux, le langage harmonique a toutefois bien évolué. La musique aux
attractions tonales simples et parsemées de quelques colorations bien choisies du Prélude, Fugue
et Variation laisse place à une musique au chromatisme omniprésent usant de nouveaux accords de
tension.
Pourquoi l'ajout d'un Choral à la forme de Bach ?
Le choix d'insérer à la forme de Bach un choral est tout à fait singulier. Choix d'autant plus
curieux que le choral tombait déjà en désuétude au XVIIIe siècle. Son utilisation par Franck fait
figure d’archaïsme. En réalité, l’œuvre tout entière se place en regard du passé et en comparaison à
ce que Bach a produit. Ce choral a plusieurs fonctions : il est le vecteur du message religieux que
l'auteur des Béatitudes à voulu intégrer à cette pièce d'apparente « musique pure » ; mais il s’agit
d’un message religieux indéfini du fait qu’il ne ne se rapporte à aucun texte, à aucun choral déjà
existant. En outre, il est l'élément de contraste essentiel dans l'articulation des idées de la pièce, la
verticalité de son écriture rompant tout autant avec les deux autres mouvements. La simplicité de
son thème rend sa réapparition finale d'autant plus éclatante.
Proximité et éloignement du Prélude, Choral et Fugue au regard du modèle de Bach
Très jeune Franck est confronté au contrepoint. Dès l'âge de dix ans, il entre au Conservatoire de
Liège dans la classe d'harmonie de Daussoigne qui attache particulièrement d'importance au travail
contrapuntique. Plus tard à Paris, il suit l'enseignement de Reicha durant onze mois puis celui de
Leborne. Il obtient à dix-sept ans et demi le premier prix à l'unanimité du Conservatoire dans la
discipline (partagé avec un autre candidat) après avoir réalisé une fugue à quatre parties et à trois
sujets donnés par Cherubini. On sait aussi que Franck jouait fréquemment la musique d'orgue de
Bach. De même, ses élèves rapportent la ferveur qu'il mettait à enseigner la musique du Kantor dans
sa classe d'orgue du Conservatoire.
manuscrit autographe des Variations Symphoniques, source gallica.bnf.fr / BnF
Saint-Saëns, bien après la première exécution de l’œuvre, dans son écrit Les idées de M. Vincent
d'Indy jugera que « le prélude n'est pas un prélude, le choral n'est pas un choral et la fugue n'est pas
une fugue... ». Cependant il est évident que la pièce de Franck n'est pas à la manière de Bach. Le
titre est avant tout un hommage direct au grand musicien, tandis que le contenu est, quant à lui,
librement inspiré du modèle baroque.
Le premier thème du Prélude (qui démarre l’œuvre) est construit sur la répétition systématique
d'une formule arpégée et peu thématique, s'adaptant aux accords qu'elle rencontre. C'est un principe
qui régit de nombreux préludes de Bach (ex : Prélude I du Clavier bien tempéré 1er livre, conçu sur
ce modèle jusqu'aux trois dernières mesures). Le second thème du Prélude (début mes. 8),
beaucoup plus mélodique et qui échappe au systématisme d'arpège précédant, affiche un
romantisme exacerbé dont les liens avec le langage de Bach semblent plus lointains. Rappelons
pourtant que si les préludes de Bach n'ont pas de forme strictement définie et sont souvent assez
unitaires, certains procèdent comme dans celui de Franck de l'opposition de deux idées principales
(ex. Prélude VII clavier bien tempéré 1er livre).
Le thème du Choral partage l'homorythmie et l'énonciation d'une mélodie très simple avec le
traitement baroque des chorals luthériens. Signalons que l'arpègement en grands accords
qu'applique Franck ne permet pas de mouvements de croches dans les voix internes (notes de
passages, etc.), lesquelles sont en revanche constitutives du style de Bach. Les intermèdes
modulants qui séparent les occurrences du thème du Choral semblent, de leur côté, ne tenir en rien
du modèle.
Enfin, la Fugue démarre parfaitement dans les règles de l’art pour s'en éloigner pas à pas.
Hormis l'harmonie moderne employée, l'exposition se fait dans la norme. Dans les divertissements
qui suivent, le sujet est partout présent mais arabesques et formules d'arpèges lisztiens se
multiplient et viennent cohabiter avec lui. Comme avec Bach, la plupart des entrés se font dans les
tons voisins. Cependant certaines d'entres elles sont énoncées dans des tons plus lointains. La fin de la section
Fugue ne correspond par contre plus tout à fait l’acception qu'en donne Bach : prend place un jeu de
réénonciation des thèmes précédents et de superposition de ceux-ci. L'habile contrepoint permettant
d'assembler les trois grands thèmes de l'ensemble reste cependant complètement dans l'esprit de la
fugue.
[1] Cet article qui constitue une analyse détaillée de l’œuvre sera publié sur plusieurs numéros. L’auteur nous
invite à écouter la version de Sokolov (https://www.youtube.com/watch?v=4CbCATOzug8&t).
Bibliographie :
Fauquet, Joël-Marie. César Franck. Fayard, 1999.
Vallas, Léon. La véritable histoire de César Franck. Flammarion, 1955.
D'Indy, Vincent. César Franck. Félix Alcan, 1906.
Gallois, Jean. Franck. Seuil collection Solfèges, 1966.
Lauranne Molon est cheffe de chœur et pédagogue. Elle enseigne actuellement au conservatoire de Quimper.
Soucieuse de rencontrer un public toujours plus varié et persuadée que la musique est un formidable outil social,
elle anime un groupe vocal en milieu carcéral durant deux ans. Cela l'amène à de nombreuses réflexions et
implications dans des projets de médiation culturelle.
Désireuse de rencontrer un large public et d'élargir mes compétences professionnelles,
j'ai soumis ma candidature au poste de cheffe de chœurs au sein de la prison pour hommes de
Vézin-le-Coquet (35) en 2012 et ai finalement été engagée par cet établissement. Cette
expérience a été une révélation pour moi et elle continue à nourrir mes réflexions et mes
activités professionnelles. La direction de chœurs est un métier à multiples facettes, les
manières de le pratiquer sont infinies. Loin de ne demander que des qualités musicales et
artistiques, cette discipline exige aussi des savoir-faire organisationnels, pédagogiques et
humains. Elle nécessite une réelle prise de position sur son rapport à l’autre et à la société.
Mes deux années à travailler avec les détenus du centre pénitentiaire de Vézin-le-Coquet
m'ont confortée dans l'idée que de « l'excellence » humaine peut jaillir « l'excellence »
musicale. Elles m'ont permis de réfléchir profondément à mon activité professionnelle et à
mon identité en tant que cheffe de chœurs. En acceptant d'intervenir en prison, je suis entrée
dans un univers inconnu qui souffre de bien des a priori.
La découverte de ce milieu évoluant dans l'ombre a été un véritable choc : après les sept
portes de sécurité, je croise le premier détenu, il me salue timidement… Soudain, je suis aussi
timide que lui, pas tant impressionnée par l'homme que par la masse du bâtiment qui l'écrase.
Où est ma place, comment être utile, comment alléger les souffrances ?
Il a vite été évident que le cours de chant choral, dans ce contexte pour le moins singulier,
pourrait non seulement devenir un lieu d'apprentissage musical, mais également
d'expérimentations sociales et humaines. La pratique a démontré l'apport que peut représenter
le chant choral dans un lieu aussi spécifique que celui-ci. Actuellement, il existe très peu de
documentations qui relatent et formalisent des actions similaires, car une telle pratique
demeure exceptionnelle en prison. Après avoir vécu cette expérience, il m'a semblé nécessaire
d'avoir un retour distancié et réflexif sur ce genre d'actions afin, notamment, de pouvoir
promouvoir ce type d'interventions et d'inciter mes collègues à mener des projets en milieu
carcéral.
Un milieu aux enjeux spécifiques
« Jamais je n'oublierai le choc que j'ai reçu en arrivant en prison, une peur panique, presque
enfantine » (Expert et Laurentin, 1989, p. 11) C'est ainsi que Paul R., détenu condamné à vingt
ans de réclusion criminelle, témoigne de son entrée dans la maison centrale de Clairvaux. La
prison est un milieu hostile où de nombreux repères de la vie courante sont modifiés, voire
supprimés. Les bâtiments carcéraux sont conçus ou utilisés selon des règles extrêmement
strictes. Les obligations dues aux fonctions du lieu deviennent primordiales. Il s'agit parfois
de choix (conscients ou non) de l'administration pénitentiaire : le bruit des portes, des talkies
walkies, etc., y paraît étonnemment fort. Cela est un rappel permanent fait aux détenus de la
situation d'enfermement et de la surveillance des équipes. Léonore Le Caisne, dans son
ouvrage Une ethnologue en centrale, explique la complexité de l'adaptation en prison en ces
termes :
« En entrant en prison, les condamnés perdent les paramètres de leur identité civile et sociale :
la profession, la famille, etc. Dès lors, ce sont des inconnus les uns pour les autres » (Le
Caisne, 2000, p.78). Au-delà des paramètres strictement sociaux, d'autres facteurs
environnementaux, comme la gestion du temps et de l’espace, participent à créer un univers
instable, sans réels repères. La pratique musicale peut ici aider les détenus à se réapproprier
leur univers.
Partons du postulat de Norbert Elias qui ne distingue pas la notion de temps et d'espace : «
Tout changement dans l'espace est un changement dans le temps, tout changement dans le
temps est un changement dans l'espace » (Elias, 1997, p. 110). Il associe ici deux « symboles
conceptuels de types spécifiques d'activités sociales et d'institutions » (Elias, 1997, p. 112).
Dans notre cas d'étude, et selon Elias, l'enfermement physique mènerait à un rapport au temps
différent. J'ai souvent abordé ce sujet avec les détenus. Pour nombre d'entre eux, l'espace figé
se transforme en temps figé. Les activités de loisirs dont la musique peuvent devenir une
soupape qui, par le choix de l'activité par le détenu, lui redonne une certaine maîtrise de son
temps. Il va pouvoir sortir de sa cellule pour y participer. Cette démarche est loin d'être
anodine au sein de l’institution : pour participer aux ateliers, les détenus doivent d'abord faire
une demande écrite et être retenus. Ensuite, le jour même, ils doivent rappeler aux surveillants
de les laisser sortir de leur cellule afin qu'ils rejoignent la salle où se déroule l'animation. Pour
de multiples raisons, quitter sa cellule est parfois bien compliqué, voire impossible
(sécurité au sein du bâtiment, manque de coopération des surveillants…). Il s'agit bien là
d'un acte important où le détenu, par le changement de lieu et par la contrainte horaire de
l'activité, se réapproprie une partie de sa liberté.
En prison, il est extrêmement rare de voir une pratique chorale hebdomadaire avec un chef de
chœurs formé. Certes, il existe de nombreux projets de pratique vocale mais peu sont
envisagés de manière régulière. A contrario, les pratiques régulières sont rarement assurées
par un intervenant chef de chœurs mais effectuées dans le cadre du culte religieux ou encore
par un professeur de formation musicale ou autre. Pourtant, il me semble particulièrement
pertinent d'intervenir de manière fréquente et hebdomadaire. Outre les progrès visibles que
peuvent faire les participants grâce à un travail régulier, la temporalité cyclique de la séance
hebdomadaire aide les détenus, grâce à un point de repère temporel, à visualiser l'écoulement
du temps. La progression de séance en séance sera un marqueur supplémentaire pour
apprécier ce mouvement temporel.
Dans un autre ordre d’idée, la musique est un art qui a un rapport fort au temps, tout comme la
danse. C'est à la fois la temporalité de la séance
et celle de la musique elle-même qui vont aider le détenu, l'espace d'un instant, à ne plus voir
le temps comme une fatalité. La temporalité musicale nous incite à vivre le moment présent, à
être complétement concentrés sur l'objet musical le temps d'un morceau ou le temps d'un
concert. Le temps qui s'écoule durant la pratique musicale constitue donc un temps que le
détenu maîtrise, il n'est pas imposé par l'administration pénitentiaire. En extrapolant,
l'immédiateté de la musique permet aux détenus de s'exprimer par le biais de l'objet musical
sans qu'il y ait de récupération possible par l'institution puisque le personnel ne participe à
la séance.
Une société confinée
Aujourd'hui, selon le ministère de la Justice, la mission pénitentiaire est double : l'exécution
des peines et la réinsertion. Il s'agit d'assurer d'abord la protection de la société par l'exécution
d'une peine en milieu fermé. En parallèle, le personnel encadrant doit permettre au détenu de
se préparer à réintégrer la collectivité une fois sa peine exécutée. Il est souvent difficile pour
le personnel peu formé de trouver un équilibre entre incarcérer et réinsérer. De plus, les
moyens alloués à cette mission sont souvent trop peu nombreux et « Les objectifs de sécurité
et de réinsertion participent de philosophies opposées et expliquent la mise en œuvre de
moyens contradictoires » (Chauvenet, Orlic, Benguigui, 1994, p. 40). Ainsi, le personnel
encadrant tente d'effectuer une tâche extrêmement délicate. Ces dysfonctionnements
rejaillissent évidemment sur les détenus qui ont, eux aussi, des contraintes spécifiques.
En effet, les relations entre détenus sont extrêmement hiérarchisées. Toutes les peines n'ont
pas la même valeur. Certains détenus sont respectés ou rejetés suivant leur profil pénal. Cette
classification oblige en permanence les détenus à jouer le rôle qui correspond à leur délit ou à
tenter de s'en extraire. Elle crée un rapport à l'autre totalement faussé.
Ces contradictions créent pour le détenu une situation de « double contrainte » (ou double
bind en anglais). La notion de double contrainte a été théorisée en 1956 par un anthropologue
et psychologue : le docteur Gregory Bateson. Il a développé ce sujet d’études lors de ses
recherches sur les causes possibles de schizophrénie. Le paradoxe d'une situation de double
contrainte est d'être confronté simultanément à deux demandes qui s'opposent. En définitive,
l'individu confronté à une telle situation ne peut satisfaire toutes les exigences et se trouve mis
en position d'échec. Les relations que doit avoir le prisonnier avec ses codétenus et le
personnel encadrant sont un paradoxe ; il doit supporter sa condition et assumer le rôle d'exclu,
d'une part, construire son rôle d'individu capable de se réintégrer dans la société, d'autre part.
De plus, le détenu doit construire des relations contradictoires entre le personnel encadrant et
la population pénale à la vue de tous. Le contexte du milieu carcéral serait donc un frein à
l'évolution du prisonnier dans ses rapports à l'autre.
La pratique collective de la musique est ici une réponse pertinente à ces problématiques. Au
sein du groupe vocal, un des enjeux était de permettre aux participants de retrouver le plaisir
du vivre ensemble et de la collaboration.
Pour cela, j’ai, dans un premier temps, fait des demandes très spécifiques à l’administration
pénitentiaire : permettre une mixité carcérale au sein du groupe, d’une part, et répéter sans la
présence d’un gardien, d’autre part. Ces deux contraintes me semblaient nécessaires pour
permettre un travail musical de qualité et en toute sérénité. Du point de vue artistique, la
musique est un formidable agent pour apprendre à unir sa propre volonté à celle des autres. Le
chant choral a cette particularité qu'il utilise le corps même du chanteur, et qu'il implique
d'abord une connaissance de soi, ensuite une confiance en l'autre, et finalement une ouverture
à l'autre pour être pratiqué. L'improvisation est un outil extrêmement pertinent pour le travail
avec les chœurs amateurs. Entre autres choses, il valorise et favorise la créativité, génère une
prise de conscience de l'intérêt du « lâcher-prise » et offre d'explorer l'équilibre entre
individualité et groupe. Il donne également la possibilité de s'exprimer de manière non
verbale puisque l'improvisation en chœur peut comporter des éléments de rythmique
corporelle, des mélodies sans texte ou même des textes sans mélodie. La diversité des
réalisations permet à chacun de s'exprimer de la manière la plus adaptée à son envie et à son
potentiel artistique. L'improvisation aide aussi à aborder des notions techniques telles que la
sensation d'une mesure à quatre temps, la notion de carrure ou encore la nécessité de chanter
grâce à une vocalité saine.
Revaloriser l’individu
Dans les établissements pénitentiaires français, il est possible pour les détenus de travailler.
En revanche, ils ne sont pas soumis à la même législation du travail dans chacun des deux cas
: le code du travail ne s'applique pas en prison. Dans le contexte décrit ci-dessus, il est
important de proposer une activité qui puisse valoriser le travail, lui redonner du sens. C'est
d'ailleurs un axe pédagogique favorisé par l'administration pénitentiaire. La pratique artistique
peut constituer une aide précieuse au devenir du détenu, car efficace, à condition qu’elle ne
soit pas seulement considérée comme un moment récréatif. Le projet réalisé par les détenus
doit aussi être envisagé avec une grande exigence artistique. Il est ainsi important que
l'intervenant propose des objectifs de progression clairs afin que chacun des participants
puisse se projeter dans une pratique artistique de qualité.
Nous avons réalisé un travail artisanal, minutieux et personnel. Chacun des participants était
très impliqué et les propositions de qualité. Ce rapport au travail comme production artistique
a notamment permis à certains détenus de reprendre contact avec le pôle scolaire. Pour
d'autres, un regain de motivation et de régularité dans la pratique artistique les a aidés à garder
leur poste de travail au sein de l'établissement. Dans tous les cas, l’implication dans le groupe
au moment des prestations « publiques » a permis à chacun d’être valorisé et de porter un
regard positif et bienveillant sur soi. La réussite de ces prestations a été extrêmement
bénéfique pour les choristes.
Au-delà des projets, il est extrêmement important de valoriser la personnalité et le bagage
culturel de chacun des participants. Lorsqu'un détenu participe à l'atelier musique, il arrive
avant tout avec son univers musical et ses attentes personnelles. Beaucoup de détenus qui
viennent participer au groupe choral écoutent du rap. Certains pratiquaient même ce style
musical à l'extérieur. Pour d'autres, le rapport à la musique traditionnelle de leur pays
d'origine est très fort. Tous connaissent la musique à laquelle ils ont accès en prison, c'est-à-dire celle qui passe sur les grandes chaînes de radio ou sur les grandes chaînes de télévision.
J’ai vite convenu avec les prisonniers d'un système de fonctionnement simple : le travail
consistait à créer une forme musicale grâce à un morceau chanté que je proposais. Il devenait
le refrain d’une future pièce musicale élaborée en commun. Les couplets étaient « rappés »
par les détenus qui le souhaitaient. Ils créaient les textes du couplet individuellement durant la
semaine. Leurs textes proposés devaient être en lien étroit avec le texte du chant. Nous avons
ainsi abordé des chants traditionnels d'Afrique du Sud, d'Amérique du Nord, de Hongrie ou
encore des chants en référence à l'esthétique du jazz. Cette formule permettait à chacun de
s'exprimer le plus naturellement possible dans un univers musical devenu commun. Dans De
la musique derrière les barreaux, Michaël Andrieu définit la musique comme « élément
unificateur » d'un groupe social. Ma démarche, en élaborant le projet avec les détenus, a été
de valoriser les apports musicaux de chacun tout en déterminant un code commun utilisable
par tous. Ainsi, le groupe s'est construit en créant lui-même ses propres codes. Il était
important pour moi de ne pas imposer mon univers musical personnel.
En cela, le travail que nous avons inventé avec les détenus de Vézin-le-Coquet est différent de
certains projets menés en milieu carcéral. Il ne s’agissait pas, ici, de faire un dispositif
« paillette » où des détenus seraient un faire-valoir de musiciens professionnels en quête
d’une bonne action à vendre en échange de mécénat ou de subvention. Evidemment, ce type
de positionnement est de moins en moins fréquent mais le terme de médiation est, parfois
encore, utilisé comme un substitut à une forme de valorisation de la culture dite « légitime ».
Ici, tout le monde est acteur et chacun apporte son univers culturel pour construire un univers
artistique singulier.
Il est évident que cette expérience a été particulièrement formatrice pour moi, autant du
point de vue professionnel que personnel. Bien que l'impact positif du chant choral en prison
soit évident, les projets sont rares dans ce milieu tant par la frilosité des intervenants que par
celle de l'administration pénitentiaire elle-même.
Il est vrai que l'opinion publique a encore
des difficultés aujourd'hui à imaginer les prisonniers comme des personnes à réinsérer un jour
dans la société. Puisqu'ils ont fauté, leur peine doit être longue et difficile. Cette pensée, très
répandue, ne prend pas en compte que la mission du système pénitentiaire consiste aussi à
réinsérer les prisonniers et donc que punir ne suffit pas. En parallèle, rétablir un sens de la
communication et des initiatives de groupe crée un malaise chez certains personnels
pénitentiaires. Ils y voient des possibilités de mutineries organisées ou encore d'évasions de
groupe. Loin des débats, je me suis souvent rappelée au détour des histoires de vie racontées
par les détenus que la cause nourrie toujours la conséquence : souvent, les prisonniers ont une
histoire de vie chaotique où la malchance et les mauvaises décisions ont mené à la
délinquance. Il est donc particulièrement pertinent d'imaginer des projets de démocratisation
culturelle qui visent à inclure les enfants dans la cité et dans la société par le biais de la
musique classique et de la musique orchestrale dès le plus jeune âge. Malheureusement, ce
type de dispositif est moins développé autour du chant choral alors même que la pratique
chorale ne nécessite aucun matériel fourni par l'élève et ne demande pas de pré-requis
particuliers. Elle est donc en cela une discipline particulièrement importante puisqu'elle peut
réunir sans distinction tous types de publics (âges, origines sociales, niveau musical, …). Les
qualités éducatives, humaines, collaboratives et sociales inhérentes à un chœur revêtent un
sens et une utilité formidables, tout particulièrement dans le cadre d'une pratique avec un
public spécifique. Beaucoup des détenus que j’ai côtoyés sont encore enfermés et aucun ne
lira les présentes pages, mais je suis fière d'avoir partagé un moment de leur histoire.
Ensemble, nous avons appris à être audacieux.
Bibliographie
ANDRIEU, Michaël (2005). De la musique derrière les barreaux. Paris : L'Harmattan.
ATTALI, Jacques (2001). Bruits. Paris : Fayard.
BENGUIGUI, Georges, CHAUVENET, Antoinette, et ORLIC, Françoise (1994). Le Monde
des surveillants de prison. Paris : Presse Universitaire de France.
ELIAS, Norbert (1997). Du temps. Paris : Fayard
EXPERT, Jacques et LAURENTIN, Emmanuel (1989). La longue peine. Paris : Plume.
FOUCAULT, Michel (1975). Surveiller et punir. Paris : Gallimard.
LE CAISNE, Eléonore (2000). Une ethnologue en centrale. Paris : Odile Jacob.
MALLOCHET, Guillaume (2009). « Les surveillants de prison : marges du travail, travail sur
les marges ». In Idées économiques et sociales. Paris : Réseau Canopé.
MOYNE-LARPIN, Yolande (1988). Musique pour renaître. Paris : Desclée de Brouwer.
POLLAK, Michael (1990). L’expérience concentrationnaire. Essai sur le maintien de
l’identité sociale. Paris : Métailié.
Je salue mes amis, les ARBRES dont la résilience est constamment mise à l’épreuve. Certains manifestent une forme particulière de stress et, depuis, ils ne sont plus (ou pas tout à fait) dans la possibilité de réaliser la photosynthèse, comme ils ont toujours fait. Néanmoins, ils ne sont pas des victimes même si, face à eux, perdurent les abêtissements, dont certains sont des atrocités irréparables contre ceux qui participent de manière essentielle à la vie terrestre.
J’honore ici tous les arbresDEBOUT, et si je suis encore dans ce monde c’est beaucoup grâce à eux, et ce qu’ils ont fait en sauvegarde de ma propre vie. Depuis, j’ai développé un art-thérapie, dont la Danse des Arbres – ARBOReusement – poursuit ses inspirations et mouvements, principalement en France. ARBOReusement respecte les variations des saisons et met en synergie (par des principes respiratoires particuliers et une série de gestes doux, lents, dynamiques et toniques) les sons, rythmes, mouvements et vertus en relation aux racines, troncs, aubiers, sèves, branches, feuilles et bourgeons, selon l’arbre mis en danse.
Je célèbre les arbresSACRÉS, c’est-à-dire, ceux qui jadis furent considérés hautement dans l’Oracle des Arbres… Un savoir sans doute archaïque, dont le ministère des plantes est constitué par une langue éminemment VERTE et parsemée de mystères, secrets et sacrés et une tout autre alchimie propre aux arbres et en lien avec les cristaux, les quartz, les diamants et d’autres minéraux. Les Oracles ou l’Oracle des Arbres intègrent un langage très vaste et recomposé au fil des espèces, car il est en relation aussi avec d’autres plantes et fleurs sauvages, dont chacune a sa gnose, son ésotérisme, ses remèdes ou bien son poison. L’Oracle est transmis d’arbre à arbre et, autrefois il a été respecté et suivi par certaines communautés de druides et celtiques. Il revient (autrement) dans le cycle transitoire de notre époque, en fonction des mutations transformationnelles beaucoup trop importantes dans la magnétosphère terrestre et à l’intérieur de l’architecture planétaire. Toutes les transmutations sont ressenties par les mondes des vivants, dont les accélérations et les rétrogradations dépassent un effet local et un léger ressenti personnel. L’Oracle des Arbres demeure un savoir entre les esprits des forêts même si, autrefois il a été assez répandu chez les planteurs-cueilleurs, guérisseurs, chamans, animistes, clairvoyants, astrologues et alchimistes parmi les groupes sumériens, araméens, esséniens, sibériens et peuples des îles. Aussi loin que remontent les peuplades amérindiennes au long des Cordillères des Andes, dans les forêts d’Amérique Centrale et en l’Amérique du Sud, ce savoir perdure et reste fondamental pour nous.
Je salue ainsi l’immanence des FORETS, BOIS et SOUS-BOIS. Leurs milieux assistent des espèces tantôt en saisons d’hibernation tantôt en saisons de reproduction et déplacement; sans oublier que les forêts sont constamment en échange avec les différentes semences, rhizomes, racines et plantes de toute sorte, durant leur période de réensemencement, croissance, floraison ou transformation par/et/pour l’humus que requièrent bois et sous-bois.
Je suis très reconnaissante de leur présence dans ce monde. Leur vie est la sauvegarde de la langue la plus ancienne... Une sorte de langue originelle liée à la nature des mondes forestiers et plusieurs écosystèmes en relation... Sous-bois, bois et forêts connaissent les patois et dialectes reliés dans ce vaste langage du vivant. Ils constituent le triptyque par/et/pour diverses interactions entre les créatures, dont leur force, mouvement et puissance en rythmes, intensités, vibrations et variations thermiques composent une énergie matricielle d’une incroyable symbiose. Tout y est dans cette famille naturelle. Leurs codes déclinent ici un système entre couleurs, formes, nombre d’or et fractals, dont cet index est transcodé en sons, chants, fréquences et harmoniques liés aux espèces, mais aussi aux odeurs, parfums et arômes selon chaque saison et les transitions/transformations/métamorphoses d’une espèce à l’autre. C’est une langue à part, certes, comme elle a tout un système de communication d’une incroyable portée, subtilité, sensibilité et efficacité dans la grammaire, la syntaxe, la poésie et les dictionnaires des arbres.
J’apprends beaucoup avec tous ces autres arbresDEBOUT, eux qui attirent de plus en plus mon attention, et autrement, depuis que je vis en Europe. Êtres résilients, pour certains ou pour beaucoup ils sont depuis très longtemps des arbres déracinés, et d’une vertigineuse intelligence et souplesse puisqu’ils sont de véritables débrouillards et j’ose dire: d’incroyables débrouill’ARBRES. Malgré tant d’intempéries, ils savent s’adapter, survivre et se reproduire… Ailleurs et loin des territoires natifs… Éloignés du climat du départ et immigrés par toute sorte de raisons... Exilés et acceptés comme des espèces exotiques... Ajustés aux paysages locaux ou, pire: considérés comme des plantes envahissantes... Dépourvus de leur mère nature première, mais toujours arbresDEBOUT. Ces espèces d’ailleurs qui depuis des décennies ou des siècles sont devenus autant d’ici que d’ailleurs. Ils attirent tout particulièrement mon attention car toute plante adaptogène modifie bien plus que ses seules habitudes liées à son territoire natal. À ma manière, je les observe et je les étudie puisqu’ils dépassent l’isolement du départ et développent de mécanismes d’adaptation - individuelle et en cohabitation - auprès des arbres natifs - arbres du voisinage dans un parc, dans un champ, un prés, un jardin public ou privé.
Invisibles ou délaissés? Plutôt oui, puisque pour beaucoup ils ne sont que de la verdure pour faire beau. Je pense, par exemple, aux Sapins souvent oubliés dans les jardins et juste réintégrés à chaque Noël… Des Cocotiers plus ou moins moribonds dans les beaux jardins des maisons ou pavillons dans les quartiers aisés… Des Flamboyants et bien d’autres espèces d’arbres qui résistent, malgré tout dans des régions absolument contraignantes pour eux.
Pendant que j’emprunte le chemin des mots, je vois à travers la fenêtre, justement quelques ARBRES d’une égale résistance – un Sapin, un Mélèze, un Araucaria, un Cèdre du Liban, un Cyprès, un Pin Sylvestre, un Olivier (autrefois grec), un Arbre du Voyageur et un Arbre du Pèlerin et, curieusement un Ceiba Pentandra très probablement des Antilles. Mes yeux les suivent aux fonds de jardins voisins à chaque matin, et je leur parle comme causent si joliment avec eux les oiseaux du coin. Les cinq premiers arbres cités pourraient certainement mieux vivre en groupe et parmi les conifères. Certainement, tous ces arbres pourraient vivre très longtemps et bien mieux en colonies, en familles et sous abri de la langue des forêts et des bois, que dans ces jardins citadins pour la plupart bétonnés. Ce sont des arbres dont la durée est sensiblement marquée par la loi essentielle du vivre ensemble, et si groupés et agencés dans des conditions bioclimatiques plus appropriées à eux, ils vivraient beaucoup plus longtemps dans leurs vies d’arbre.
La vie d’un jardin est sans doute une démonstration adaptogène des plantes, et grand merci aux peuples des nuages, dont le passage des pluies dans cet automne-hiver fait la transition saisonnière au milieu d’une transition sanitaire et planétaire plus grave. Nos ressources d’eau sont des défis actuels et à venir. La vie de chaque jardin compte. Elle est également une démonstration adaptogène des humains, puisque nous sommes des arbres à deux jambes, depuis que notre espèce a quitté son cycle premier dans les arbres/dans les branches et en conscience verte. Chaque jardin fleuri et arboré est un bien très précieux; une oasis dans les villes. Sources de ressourcement à l’humain chaque bout de nature compte, surtout lorsqu’il vit riche et librement entre plantes-arbres-fleurs-oiseaux-insectes. Grand merci aux arbresDEBOUT des jardins – privés et publics – car leur présence marque un acte de bienveillance pour une santé verte entre arbres et humains. Bien sûr qu’un jardin est un geste minimaliste dans un défi bien plus vaste. Cependant, fermez vos yeux et voyez toute cette diminution verte des forêts, bois et sous-bois. Fermez les yeux et imaginez que chaque mégalopole et ville perd aussi ses parcs, jardins, squares et points verts. Chacune de ces petites oasis est à multiplier en même temps que bien d’autres et multiples solutions écologiques toutes indispensables aujourd’hui, demain et plus loin. Notre impasse écologique est une impasse avant tout économique et comment vivre (?) et laisser vivre (?) toute une planète, lorsque les buildings (dépourvus de beauté et de photosynthèse) prolifèrent plus vite que ne poussent les arbres. Couper est si rapide et bruyant. Naître est une poésie du temps, dans le silence du temps et pour les vertus qui requièrent du temps.
C’est un effort que nous vivons tous actuellement, comme l’effort presque invisible et silencieux d’une semence qui s’œuvre pour laisser partir le parfum du vertige en devenir de tige et pour l’avenir de l’arbre.
C’est plus qu’un effort pour tout arbreDEBOUT de notre époque sans pouvoir réussir son propre destin… Un rassemblementVERT plus concentré, plus conséquent en reforestation et surtout sans trop d’intervention humaine. Un état sauvage pour les arbres est devenu hélas une chimère, comme est une utopie, ou encore envisager une vie sauvage pour les animaux aquatiques et terrestres.
Cependant les arbresDEBOUT - de toute famille, taille, forme et vertu - ont su développer au long de l’histoire de la Terre une forme d’existence beaucoup plus intégrante et coopérative qu’un simple mode de fonctionnement parmi les peuples verts. C’est un véritable art... Un art-de-lier. Un art-de-vivre. Un art en symbiose, depuis environ 400 millions d’années. Chaque arbre est un microcosme et jouit de son autonomie. Chacun est un Wi-Fi vivant avec les in-visibles. Chaque arbreDEBOUT réalise d’innombrables échanges avec le plan terrestre et céleste. Chacun est un livre à écrire, à lire, à traduire. Chaque espèce emmagasine pour soi et, concomitamment pour une bibliothèque commune: la biodiversité.
Lorsqu’ils sont nombreux et DEBOUT c’est un vaste réseau qui n’épuise aucune source d’eau planétaire. Au contraire, ils sont en coopération auprès des nuages et aussi auprès des vies terrestres et infraterrestres en tant que source d’alimentation subsidiaire aux pluies, aux nappes phréatiques et à la vie des cours d’eaux, rivières et fleuves. L’ensemble des arbresDEBOUT est en soi un macrocosme. Leurs vies partagent une forme de conscience verte dès les racines jusqu’aux bourgeons et, ainsi d’un arbre à l’autre.
Dans mon enfance, j’appris que les arbres poussent mieux lorsqu’ils sont au minimum par deux et encore mieux par multiple de trois: six, neuf, douze. Si c’est par deux, l’un doit être proche de l’autre, et si c'est à plusieurs, toujours par cette distance verte, dont la délimitation est consciente, chez les arbres, quant au minimum à chacun et le respect de l’autre. Ce n’est pas du tout pour pouvoir pousser plus vite qu’un arbre se met à deux ou à plusieurs. Les arbres ne sont pas dans une sorte d’économie verte. Ils poussent mieux à deux, à trois ou à plusieurs, car l’altérité permet à chaque arbre d’aller plus loin, d’amener aussi plus loin sa famille et la mémoire de son espèce.
Ce n’est que plus tard que j’appris auprès des arbres combien la conscience verte est encore plus complexe, par exemple, durant le parcours de la sève, tout un mouvement d’énergie entre les racines, troncs et feuilles. Une conscience de soi et des autres vies: arbres, animaux, insectes, parasites, etc. Une activité en développement et en déploiement par différentes configurations et agencements qui deviendront : forme, volume, densité, variété et qualité du bois dans l’aubier. C’est tout de même une manière de procéder individuellement en tant qu’un seul arbre et collectivement en tant que toute une famille, un groupe et une espèce particulière. Cette conscience voulue, prévue, connue, transmise et réalisée d’arbre à arbre dépasse le faux concept, celui de les imaginer comme des êtres inanimés. Le génie de l’arbre est déjà dans la semence. La conscience verte est celle qui la fait pousser vers le dépassement de son propre état primitif à un état interactif, sensible et conscient de leur vie parmi les autres vies.
Cette conscience verte permet aussi la transmission des signaux, vibrations, consignes et mémoires (infra)terrestres-et-(extra)terrestres à chaque ensemble, en mouvement entre graine, tige, tronc, feuilles, fruits, fleurs, bourgeons, ainsi que tout un intérieur avec un tout autre extérieur dans un large périmètre, sauf si l’arbre trouve un empêchement au long du chemin. Cette conscience est d’une nature sensorielle et extrasensorielle particulière : perceptions, sensibilités, mouvements ou, autrement dit, émotions propres aux arbresDEBOUT, et à leur communication, croissance et déplacements par les rhizomes et les racines.
Ainsi conscients, des arbresDEBOUT composent leur partition verte. Leur macrocosme en constante co-création d’énergie et matières est, indubitablement toute une autre technologie et forme d’intelligence à la fois indépendante et interdépendante avec le monde d’en bas et le monde d’en haut. Leurs rythmes sont aussi photosolaires et astronomiques, comme ils sont biodynamiques, biosensibles, bioélectriques et également d’une très haute gamme biomimétique.
Je ne peux poursuivre ce récit des mots et l’amener à mon récit des sons sans saluer tous les amis, amis des arbresDEBOUT. À toutes celles et ceux qui comme moi, partagent leurs vies en corrélation avec les vivants. Ils ont eu le courage d’abandonner certains schémas culturels et politiques, afin de se mettre autrementDEBOUT et d’avancer. C’est merveilleux de voir combien de nouvelles personnes s’engagent pour la VIE, ici et maintenant, ici et ailleurs, pour soi et envers un nous. Un NOUS avec les arbresDEBOUT. Un NOUS pour des engagements dans la durée et par des actes plus intelligents que durables. Toute ma gratitude à ceux et à celles qui, à titre individuel (anonyme ou pas) et à titre collectif et quelquefois associatif ou institutionnel (national ou international), se sont reliés pour songer, réaliser et participer à féconder de nouveaux possibles... Une réponse à soi... Une responsabilité collective... Un NOUS avec les arbresDEBOUT, et pourquoi pas avec les animauxVIVANTS ? Ces personnes ont sûrement répondu à une sorte d’appel (intérieur et/ou extérieur), dont une forme de cohérence relie de plus en plus de citadins en villes et ailleurs... Une conscience ouverte est en germination... Une consciente ouverte accomplie par une germination préalable... Une conscience ouverte à éclore encore dans les cœurs, afin de stopper toute forme d’aliénation, dont certains génocides ne sont pas entre humains, mais écologiques. Oui, stopper. En hébreu l’arbre signifie aussi: STOP. Il faut stopper les stupidités humaines sans cacher les forêts… Laissons la conscience verte co-créer avec nous une énergie, une synergie, une nouvelle écologie.
Je me permets ici de prêter mon hommage à ARITANA; un fils de la forêt qui a vécu tantôt comme un guerrier, tantôt comme un pacifique dans son rôle de cacique. Un chef. Un leader. Un militant. Un autre Amérindien inoubliable parmi tant d’autres qui tombent, comme des feuilles détachées des arbres, avant et pendant cette grande transition planétaire et sanitaire. ARITANA appartenait à la famille des Yawalapiti, en Amazonie, dans la région brésilienne du Haut-Xingu, à l’intérieur du département du Mato Grosso. Aujourd’hui, il est une étoile parmi les constellations des peuples disparus. Son départ vers le ciel a eu lieu le 5 août 2020, des suites d’une infection au Covid-19. Il a vécu comme un fervent défenseur des forêts puisqu’elles sont toutes singulières et différentes, et l’Amazonie n’a jamais été seulement une forêt, ni seulement un territoire de biodiversité.
Les forêts se transforment, comme tout ce qui est en mouvement prend de nouvelles tournures, assume d’autres sens et vit autrement chaque cycle. HAUTEMENT ont toujours vécu les arbres et successivement il y a eu des transformations entre les premières espèces et celles d’après. Cependant, ce qui est difficile à supporter, ce n’est pas d’accepter ou de refuser les disparitions ou plutôt les métamorphoses que la vie exerce sur toutes autres vies. L’insupportable est d’assister aux disparitions causées par l’humain. Dans le cas de forêts, elles sont rabaissées, malgré des conséquences brutales pour les environnements. Elles sont ensuite mutilées, d’abord comme du bois, puis humiliées comme des territoires sous domination humaine. Si la mort est la vie en métamorphose, et par une forme extraordinaire d’alchimie, néanmoins toute extermination massive des milieux naturels n’est pas une évolution vers le progrès ou vice-versa. C’est une forme d’aliénation et d’ignorance d’une grande puissance. C’est sans doute une forme particulière de perversion, car l’altérité c’est un NOUS conscient, ouvert et élargi. Un système économique qui sacrifie la vie est une autre forme d’extermination dont la violence contre l’espèce humaine et toutes les autres n’a jamais été guérie.
L’Amazonie des Amazoniens est ainsi devenue des Amazonies sans Amazoniens et si fragmentée comme si maltraitée par des changements violents subis, depuis longtemps. La perte des territoires naturels. L’ablation des écosystèmes. Les génocides contre environ trois mille ethnies. La disparition des espèces. Les blessures identitaires chez les Amérindiens. L’effacement des langues. La réduction des peuples à des groupes dérisoires. La liberté naturelle et humaine sacrifiée. Des vies consacrées à des luttes perpétuelles. Dépendance et surveillance par un système postcolonial d’ampleur économique, culturelle et politique. Puis est arrivé le pire du pire: la prostitution, la drogue, l’alcool, l’évangélisation massive, autrement, encore aujourd’hui et, sans doute, la férocité des enjeux capitalistes, dont la déforestation accompagne l’impitoyable exploitation du charbon, du bétail, du gaz naturel, du caoutchouc, de l’or, de la pharmacopée sylvestre, etc., etc., etc.
Les forêts pour nous, cher ARITANA, sachez de là-haut, très loin, là où vous êtes, nous n’oublions pas que les forêts ne constituent pas les seuls territoires à préserver. Depuis longtemps, nous savons qu’elles sont à elles seules une TERRE à l’intérieur de la planète, mais sachez que toute l’humanité est aussi en péril. Une part de l’humanité joue avec sa propre vie et toutes les autres vies humaines et non-humaines. Est-ce sans conscience? Oui, non. Oui et non. Oui ou non. Ça dépend, mais c’est tout de même une forme d’ignorance très ancrée. Un immense bouleau/boulot pour nous et celles, pour nous et ceux qui demeurent DEBOUT, comme des arbres à deux jambes.
En ce sens je propose aujourd’hui aux Éditions Beauchesne et au public de la Revue de l’Éducation Musicale, un premier enregistrement sonore, dont le témoignage a été réalisé par l’historienne Graciela Chamorro et moi-même, lors de mon voyage en 2013, auprès des Amérindiens des langues Kaiowá, Guarani et M’bya -- issues du tronc-linguistique Tupi-Guarani. Une branche linguistique dont la résilience dans la région Mato Grosso du Sud, au Brésil, est sans doute liée à l’immense travail de recherche, d’enseignement, de soutien personnel et d’accompagnement direct réalisé par Graciela Chamorro. À ses côtés, j’ai assisté à l’engagement d’une équipe de chercheurs - enseignants et étudiants (brésiliens et amérindiens) - dans l’Université Fédérale de la Grande Dourados/UFGD et, aussi, dans trois campements où résidaient quelques familles en lutte pour la terre.
Il avait là, un commencement de quelque chose, et concomitamment le développement d’un mouvement en conscience dès les années 1980. Il s’agissait certainement d’un travail pionnier dans une région si rude – trop de chaleur, puis un froid trop froid – si armée, si intimidante. Une vieille mentalité coloniale avec son tissu de conflits, ses anciennes méthodes d’exploitation de territoires, puis encore la mentalité et le mode d’occupation des colonels et de grands propriétaires fonciers, fermiers ou pas, dès le milieu du XIXe siècle.
Je sentais chaque jour cette mise en garde vis-à-vis des sauvages. À la télévision, il y avait très souvent toute une opération d’inculcation culturelle contre les envahisseurs, les incivils, les agresseurs et toujours « ces Amérindiens» hors norme, hors système.
Je me suis aussi souvent sentie mal à l’aise pendant ce séjour. Je me souviens d’avoir été très malade avant et de sentir cette chaleur étouffante dès mon arrivée à l’aéroport, puis deux semaines plus tard un froid sans clémence; ou tous les deux à la fois.
J’ai eu honte d’être si bien accueillie, mais comme une chercheuse étrangère au pays natal. De ma fenêtre dans un immeuble plutôt alluré, j’ai vu à plusieurs reprises, avant la montée du soleil, l’arrivée à pied des Amérindiens ou dans une carriole, afin de réaliser leur travail en tant que jardiniers, femmes de ménage ou domestiques à plein temps au sein des familles plus ou moins bourgeoises. D’autres Amérindiens, je les ai croisés au bord des routes. Habillés pour le dimanche. Habillés pour voir Dieu. Pantalon bleu foncé, chemise blanche et une petite cravate aussi bleue. Ils attendaient le transport qui devait les amener pour aller assister au culte évangéliste dans une banlieue quelconque…
Un samedi matin très tôt, Graciela Chamorro et toute sa petite-grande équipe universitaire avait prévu un week-end pas comme les autres. Là, j’ai finalement rencontré des Amérindiens qui vivaient sur trois campements différents dans la région. Ces deux jours me sont inoubliables. Une sorte de festival autour des chants sacrés, des anciennes prières, sons festifs et performances intergénérationnelles. La police fédérale a été également conviée, puisque l’usage dans la région oblige qu’une unité policière surveille et, en même temps évite que toute sorte de confrontation puisse avoir lieu. La police était comme elle est toujours, et les policiers n’étaient pas censés accepter ni une assiette à midi, ni une boisson au long du festival. La vie policière est véritablement une frontière forgée; plus fermée qu’ouverte, plus restreignante que rassurante, il y avait là un malaise dans l’air. Un climat bizarroïde. De policiers armés, venus en grosses voitures lorsqu’ils sont rentrés dans les campements, et comme de faussaires, voilà, le symbole de l’ordre et du progrès, comme le veut le drapeau brésilien.
Les Amérindiens étaient intimidés chez eux, dans ce modeste campement qu’ils occupaient en attendant les papiers officiels quant à la reconnaissance (ou pas) au droit à la terre. Plus tard, nous dansions un peu moins timides au milieu du terrain. Toute la journée un même chant revenait sans répit. Ses paroles rentraient comme l’air qu’on respirait tant bien que mal. Cette terre si rouge, si sèche et si froide écrivait dans mon esprit, mais dans une langue éteinte. Puis, les femmes amérindiennes l’ont réveillée. Elles battaient la terre, chacune avec son instrument en bois. Il est une extension du corps indien. Il parle à la Terre. Il compose la rythmique traditionnelle et les vieilles femmes battaient, battaient en évoquant une prière qui chante. Elles avaient une forme de danse, de chant, d’enchantement. Elles étaient trois, puis cinq, puis sept, puis onze femmes et quelque chose comme un secret caché parmi les mots et parmi les sons a fait tourner le temps. Le soleil est venu. Le froid a cédé, enfin. Par un seul et même refrain en langue commune, il y a eu quelque chose d’autre. Hommes, femmes, jeunes, enfants, étudiants, chercheurs, invités et les vieilles femmes nous étions tous en cercle. Il y a eu une grosse et haute poussière rouge qui est devenue comme une fumée autour de tous. Il y a eu visiblement entre nous, la terre et la vie un élan. Tous ceux qui regardaient à distance ont perdu leur masque.
D’un coup nous vivions une forme inattendue de solidarité. Il y a eu à ce moment-là une forme singulière d’altérité et les trois générations grimpaient leur résistance avec une telle dignité, simplicité et beauté. Il y a eu un arrêt du temps. Nous étions un. Les policiers avaient d’autres yeux et ils souriaient. Les pieds bougeaient discrètement ou presque librement. Les corps suivaient dans un cercle bien plus élargi et à ce moment-là cette terre rouge n’appartenait à personne, mais nous appartenions tous à la terre, au chant, à la prière. Nous nous regardions dans les yeux les uns et les autres, comme des humains en reconnaissance d’une espèce perdue ou, peut-être, d’une espèce à peine trouvée. Je n’oublierai jamais...
Le lendemain, Graciela Chamorro et moi avions un témoignage qui nous a tellement touchées. Et voici, comme mon premier récit sonore d’aujourd’hui, cette voix qui reste gravée dans ma mémoire. Cette voix grave aux oreilles sensibles. Une louange à la forêt, à la vie des arbresDEBOUT, à la vie des Amérindiens, jadis eux aussi debout. Ce témoignage est aussi une lamentation et une évocation. La voix incarne l’acte de remémoration et de transmission aux générations présentes et celles à venir. Le 1er Temps dans l’Histoire des Peuples Guarani- Kaiowá (Argentine, Paraguay, Brésil, Bolivie), célèbre le grand temps des ancêtres, lorsqu’ils vécurent véritablement libres, et avant eux et avec eux, vécurent aussi libres les arbresDEBOUT, dans le Temps du Ymã Guaré.
Cette langue est elle-même une musique dans son rythme, locution et cadence respiratoire. La voix est un récit. Le récit est un chant et il gouverne par le désarroi vécu par les arbres et par les Kaiowá, lors du 2e Temps imposé: le Sarambi. Un temps du désordre pour la Nature et pour les Hommes, Femmes et Enfants privés de la liberté. La liberté et la terre composent une seule alliance. Ainsi, le Sarambi fut le temps d’un nouvel ordre consigné au nom du nouveau monde des hommes blancs, qui sont arrivé dans cette Amérique du Sud, violemment soumise, transformée et plus ou moins latinisée par la machine coloniale et postcoloniale.
Le premier enregistrement sonore porte aujourd’hui mon hommage à la résilience des AmérindiensDEBOUT, en particulier, les groupes Guarani, Kaiowá, M’bya rencontrés en 2013. Pour la présentation de récit en mots-et-sons je l’ai donc sous-titré: Récit de la forêt, par KoneyMonaTekojuraParakotaye. Une prise sonore de Graciela Chamorro et Katy’taya Catitu Tayassu. Guitare Katy’taya Catitu Tayassu. Mixage et Mastering: Alain Belloc. Lieu du récit: Campement d’Itay des Amérindiens Guarani Kaiowá dans le Mato Grosso du Sud/Brésil, dans le cadre du Ier Festival des Chants Traditionnels, 2013. SVP de respecter ce récit-témoignage. La reproduction sans mon accord préalable est irrespectueuse. Merci. Gratitude.
Cet enregistrement fait partie d’une série bien plus vaste, recueillie par Gabriela Chamorro, depuis environ trois décennies. Elle m’a fait confiance en m’approchant des groupes Kaiowá, Guarani et M’bya qui faisaient partie de son réseau, en 2013. Elle a reconnu mon implication personnelle auprès des cultures et peuples, dont les langues ont déjà disparu, d’autres sont en disparation ou alors, en grandes transformations. En France, j’avais lancé en 2008 un mouvement de solidarité, dont l’initiative a été internationale, envers la création d’un Vivier Audiovisuel auprès des langues éteintes, vivantes et en risque d’extinction. J’ai nommé plus tard cette odyssée: les Voix du Monde même si, en 2015, j’ai compris avoir fait un faux-pas... Les langues disparaissent, comme encore aujourd’hui elles disparaissent, mais cette disparition a pris une vitesse et une ampleur considérables en même temps que tout le monde forestier, amazonien ou pas, perdait son expression, force et langage.
Aimer les arbresDEBOUT est sûrement un choix en conscience verte... Aimer toute vie est un chemin irréfutable dans les chemins des Oracles... Aimer tout court est savoir aimer plus loin, et les Voix du Monde ont toujours été une autre manière d’aimer. Dans cette direction, je propose encore un deuxième et troisième récit sonore, Hamamélis et Phoenix, respectivement.
J’ai donc choisi ces deux arbres, afin de restituer un récit des mots et sons quant aux natures et vertus sacrées liées à l’Hamamélis et au Phoenix. Aimer les arbresDEBOUT. Aimer et amener loin un vouloir aimer, selon l’ancien précepte animiste. Peut-être le principe plus archaïque, sans doute le plus profond, mais aussi le plus complexe à tenir pour pouvoir parvenir à l’Oracle des Arbres.
Ces deux récits remémorent les vertus liées à ces deux arbres. L’un lié au monde des eaux et, l’autre aux mouvements terrestres et souterrains. Les deux arbres sont présents parmi les 9 oracles des 9 directions. Dans ma pratique, perception et reconnaissance quant aux manifestations des Oracles des Arbres, jusqu’à présent j’ai pu identifier environ 69 directions, dont 96 oracles. Ils sont articulés entre les plans célestes et terrestres et il est très complexe de comprendre leur langage face à des enjeux environnementaux conséquents et, certains irréparables.
Lorsque les personnes comprendront les relations intrinsèques (et pas toujours visibles) entre les mondes des vivants – les mondes d’en bas, les mondes d’en haut –, ils seront aussi en compréhension de l’ampleur de l’amour en tant qu’une unité, sans dualité, parmi les vivants non humains. Chaque créature a sa place, et dans l’Oracle des Arbres cette vérité établit la base fondamentale pour la configuration du territoire et les niveaux/natures et qualités d’interaction dans ce même territoire.
C’est dans cet esprit que je vous propose d’entendre et si possible avec un casque aux oreilles, et par un volume modéré. Cela va peut-être vous aider à saisir certaines fréquences perçues par notre corps cellulaire. Le récit d’Hamamélis est une évocation de l’immanence des arbresDEBOUT, et il devient un récit lorsque les fréquences, harmoniques, accords, dissonances et différents sons des troncs, feuilles, pluies ont été entendus, puis reliés les uns aux autres dans une partition sonore. D’habitude les sons, dans le langage des arbres, ne sont pas entendus par les humains. Depuis dix ans, j’essaye de les traduire en fréquences audibles en rajoutant les mots et récits appris par et dans l’Oracle des Arbres. L’Hamamélis est considéré comme l’un des arbres sacrés qui communique avec l’élément eau. C’est également un arbre d’une belle valeur médicinale, dont plusieurs potions ont été préparées, depuis ces deux dernières années, et sans aucun profit commercial, par mes soins. Ces préparations font partie de mes observations et explorations sensibles auprès des plantes. Un échange entre la médecine de la plante pour la médecine de mon corps, en tant qu’animiste et chamane. Dans cet enregistrement sonore, il y a des passages qui sont aussi liés aux cycles saisonniers des Hamamélis, puis j’ai rajouté les sons à propos des anciennes célébrations animistes autour de ce grand frèreARBRE et, aussi, la défaite lorsque les arbres assistent à un abattage d’un autre parent d’arbre.
Le deuxième enregistrement est une empreinte sonore, selon mes perceptions, vocalisations et communications auprès des arbres. Récit d’Hamamélis dans l’Oracle des Arbres. Enregistrements et voix : Katy’taya Catitu Tayassu. Mixage et mastering : Alain Belloc. SVP, respecter ce récit. La reproduction sans mon accord est irrespectueuse. Merci. Gratitude.
Je transmets en dessous, un troisième récit lié à la Danse des Arbres ou, plus spécifiquement, à l’Émoi des Arbres. Chaque fois que je trouve de «cœurs aux verts», et heureusement je rencontre de plus en plus de personnes en conscience ouverte, j’essaye de partager mes récits avec les arbres. Je poursuis leurs sons, mouvements et rythmes, et d’une façon plus ou moins organisée, depuis une dizaine d’années. J’ai changé le cours de ma vie et d’une façon assez radicale, lors d’une rencontre fulgurante avec les arbres mourants.
Puis, j’ai entendu les arbresDEBOUT. Au fil des années, mes perceptions et observations m’ont amenée aux âmegrammes (ou hologrammes) présents dans les plantes sauvages: arbres natifs et fleurs médicinales dans les champs, les prés, bois, forêts et montagnes. En mai 2018 je suis rentrée à Paris, après mon séjour en Savoie et en Isère, depuis 2017. Là-bas, lorsque j’ai parlé des mimétismes pratiqués par les arbresDEBOUT, j’ai vite compris que j’étais prise pour une étrange créature venue d’ailleurs, mais les cueilleuses des cols et prés ont dansé magnifiquement bien auprès des arbres.
L’Émoi des arbres débute lorsque les semences et tiges sont en grande émergence, et c’est merveilleux de pouvoir le ressentir.
Mon écoute, mes sens et mes perceptions ont été bien transformés, depuis. Ils me permettent d’explorer et de vivre au mieux l’art-de-lier que connaît si bien tout arbreDEBOUT. Bien évidemment, je fasse référence aux arbres qui naissent naturellement parmi les siens, car je ne trouve pas les mêmes repères sensoriels et extrasensoriels, lorsque je suis dans une plantation des « soldats verts ». Je fais référence à tous ces arbres complètement maîtrisés, sinon dressés par des méthodes humaines, dont les semences transgéniques ou d’autres moyens d’hybridation et plantation font que ces arbres, tous très bien alignés ressemblent à un bataillon vert.
Un arbreDEBOUT est un univers à part. Un univers entier. Un monde dans un Monde, depuis des millions d’années d’expérience. Ils sont en constante interaction et survivance, en synergie et communicabilité avec l’énergie solaire, lunaire, quantique et astronomique, sans oublier les influences et constants échanges avec l’eau, l’air, le feu et la terre.
Ainsi, mon troisième récit des mots et sons fait référence à l’Émoi des Arbres, en particulier, les mouvements de Phoenix, dont les émotions et sons sont ressentis tantôt par son tronc, tantôt par les branches et feuilles. Il y a dans cette famille d’arbres des mouvements, sons et communications assez distinctes avec la terre, ses chaleurs et ses minéraux. Dans l’Oracle des Arbres, Phoenix est une plante d’une relation extensive entre la Terre et les transformations les plus subtiles au niveau souterrain. D’autres arbres sont aussi dans une étroite frontière, subjective et sensible, avec le monde infra-terrestre. Autrefois, les animistes les plus avérés parlèrent de trous et de tunnels dans la forêt, où il fallait creuser et perpétuer la sauvegarde de l’espèce humaine. Phoenix, appartient au monde des arbres, dont il est sensible aux résonances électromagnétiques, dont les interactions créent une intercommunication inaudible, invisible et imperceptible à l’humain, mais pas pour eux, et pas pour tous les humains.
Dans ce dernier enregistrement les sons sont proposés par un récit entre moi et le Phoenix. Je mets en évidence trois/quatre cycles de vie au long de ses mouvements-et-sons. Récit L’Emoi à Phoenix, perceptions et vocalisations auprès des arbres. Enregistrement et voix: Katy’taya Catitu Tayassu. Mixage et mastering: Alain Belloc. SVP, respecter ce récit. La reproduction sans mon accord préalable est irrespectueuse. Merci. Gratitude.
Même si vous ne comprenez pas tout à fait encore ou aujourd’hui, par ce récit de mots et de sons, combien, vous et moi, nous sommes des arbres à deux jambes et intrinsèquement reliés aux arbresDEBOUT, cela viendra. Qu’une conscience ouverte puisse faire son chemin...
Du même auteur :
- Lettre d'information n°126 : LES GENS DES NUAGES / O POVO DAS NUVENS
- Lettre d'information n°128 : Les ExposiSONS
Le XVIIe siècle est marqué par une volonté des intellectuels européens de rationaliser les
sciences, qu’elles soient exactes ou humaines. Ainsi peut-on voir à l’époque fleurir un nombre
important de traités et d’ouvrages dans des domaines distincts proposant des théories fondées
sur la simple observation du monde, et dont le plus célèbre est certainement le Dialogo sopra i
due massimi sistemi del mondo[1] écrit par Galilée et publié en 1632. De la même manière, la
philosophie est marquée par les théories cartésiennes formulées principalement dans le
Discours de la méthode et par le développement de l’empirisme moderne dans les œuvres
de penseurs anglais comme Thomas Hobbes, Robert Boyle ou John Locke.
Cette volonté de rationalisation du monde, toujours présente au XVIIIe siècle, comme peuvent
en attester les ouvrages de Voltaire et Rousseau en France, ou encore ceux de Hume en
Angleterre, ainsi que la traduction des Philosophiae naturalis principia mathematica de
Newton en français par Émilie du Châtelet (publiée à titre posthume en 1756), va alors se
doubler d’une entreprise de centralisation systématique de la connaissance, projet concrétisé
par l’Encyclopédie, éditée de 1751 à 1772 sous la direction de Diderot et d’Alembert, et
comprenant pas moins de soixante-et-onze mille huit cent dix-huit articles.
Ce besoin de synthèse s’applique également aux beaux-arts et, en particulier à la musique, qui
connaît alors une période trouble, à la lisière entre deux époques : d’une part celle, baroque, où
le flux continu du discours n’est interrompu que pour laisser place à des effets dramaturgiques,
et d’autre part, celle, classique, offrant un énoncé plus structuré. En effet, le son est alors non
seulement considéré comme une donnée scientifique, suite aux travaux sur le sujet de Joseph
Sauveur ainsi qu’à ceux de Jean-Philippe Rameau dans le Traité de l’harmonie réduite à ses
principes naturels, mais devient progressivement un enjeu philosophique dans la recherche
des mérites distincts propres à chaque langue, comme en témoignent la Lettre sur les sourds et
muets de Diderot ainsi que l’Essai sur l’origine des langues où il est parlé de la mélodie et de
l’imitation musicale de Rousseau.
La confrontation d’opinions divergentes sur le sujet aboutira à une guerre littéraire, culminant
avec la fameuse querelle des Bouffons - laquelle opposa de 1752 à 1754, bien que les
discussions sur ce sujet s’étendent sur une période bien plus vaste, les partisans d’une
ouverture de la musique française aux formes italiennes, regroupés derrière Rousseau, avec les
défenseurs du style français, réunis autour de Rameau et de Mondonville -, et permit à la scène
lyrique, tant parisienne que provinciale, d’élargir son répertoire d’influences.
Dans les années qui suivirent ce clivage conceptuel, un compositeur allait se révéler le
champion de l’idéal philosophique des Lumières. Réunissant, des années après Couperin, le
goût français et le goût italien, il proposa, à travers son œuvre, la synthèse des pensées
musicales européennes de l’époque. Ce compositeur, trônant, comme le maître d’échecs qu’il
était, au-dessus du coin du Roi et de celui de la Reine[6], n’est autre que François-André
Danican Philidor.
Descendant d’une longue lignée de musiciens, François-André suit dans sa jeunesse
l’enseignement de Campra à la Chapelle royale[7], et fait donner son premier motet devant le
Roi, à Versailles, alors qu’il n’a pas douze ans[8]. Il séjourne, à partir de 1745, d’abord en
Hollande, où ses talents pour le jeu d’échecs, mais également pour celui de dames, lui
permettent de gagner sa vie, puis se rend à Londres, où il découvre la musique de Haendel,
avant de faire un bref passage par l’Allemagne et d’être reçu par Frédéric II de Prusse, lequel
se montrera impressionné par son habileté aux échecs. Comme le note Manuel Couvreur dans
l’un de ses articles[9], citant en cela La Harpe, Philidor a par ailleurs été le premier à tenter « un grand opéra qui se rapprochait un peu de la manière des Italiens», probablement, selon la
thèse du musicologue, influencé par les encyclopédistes et plus particulièrement Diderot. Ces
voyages et ces rencontres ont ainsi permis au musicien de s’ouvrir à une multiplicité de styles
différents : au goût français d’une part, celui de son pays d’origine et de ses ascendants, au
goût italien de l’autre, très présent dans l’esthétique musicale de son maître à la Chapelle
royale (plusieurs des opéras de Philidor furent d’ailleurs donnés au Théâtre-Italien[10]), au goût
anglais ensuite, passé par le prisme de l’œuvre d’un Aallemand ayant séjourné en Italie, et enfin
au goût germanique.
Il n’est toutefois pas toujours facile de mesurer l’impact que ces différentes manières de
composer ont pu avoir sur sa musique. C’est pourquoi nous allons maintenant inspecter cette
dernière plus en détail. Nous limiterons ici notre examen à un bref exemple, issu d’un des
opéras les plus emblématiques du compositeur : l’Ouverture d’Ernelinde.
Voici un lien vers la partition dans son intégralité :
https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b90586645/f5.item.r=philidor%20ernelinde
Il s’agit d’une ouverture à l’italienne présentant toutes les caractéristiques de la naissante forme sonate[11], dont Philidor avait pu avoir connaissance au travers des pièces de Carl Philipp
Emanuel Bach lors de son séjour en Allemagne quinze ans auparavant.
Cette pièce, qui sert d’introduction à la première tragédie lyrique du compositeur, propose une
instrumentation à la française, avec notamment le recours aux bois, et plus précisément aux
hautbois, dont le premier musicien de la famille Danican était virtuose[12].
Ce type d’instrumentation se retrouve également dans d’autres œuvres du compositeur, et
notamment dans son unique recueil de pièces instrumentales, L’art de la modulation. Philidor
fait entendre des harmonies simples, s’appuyant presque exclusivement sur le premier ou le
cinquième degré, mais offre en contrepartie, rappelant en cela les prémisses des premières
œuvres symphoniques dans la perspective italienne d’un début de siècle, une vie rythmique
très riche. Enfin, comme nous l’avons dit plus haut, cette ouverture épouse les traits de la protoforme sonate, pas tout à fait accomplie mais cependant proche de ce qu’en dira Anton Reicha
(qui l’appelait alors coupe binaire[13]) et après lui Adolf Bernhard Marx[14]. En effet, la forme ne s’étant pas entièrement stabilisée, elle est encore assez balbutiante dans l’œuvre de Philidor.
Toutefois, on en reconnaît les grands jalons, comme par exemple la présence d’une exposition
comportant un premier groupe tonal[15] en Do Majeur, le pont reliant le premier groupe tonal au
second, le second groupe tonal en Sol Majeur (c’est-à-dire le ton de la dominante), dont la fin
est tuilée avec le début des idées conclusives, puis un bref développement, plus harmonique
que rythmique, bientôt suivi par la réexposition, avec le groupe tonal initial en Do Majeur ainsi
que le retour du pont (évidemment amendé), qui laisse place au second groupe tonal transposé
au ton principal, avant l’apparition ultime des idées conclusives.
L’intérêt n’est pas ici de montrer à quel point Philidor applique rigoureusement une forme qui
n’était à l’époque même pas encore complètement établie ou théorisée, mais simplement de
mettre en évidence sa volonté de structurer son discours musical, en proposant un parcours
tonal clair, se terminant par la résolution des tensions dialectiques internes à la pièce. On peut
également relever une ambiguïté importante dans sa manière de composer, qui consiste à
associer une instrumentation à la française avec des harmonies d’une grande simplicité,
tranchant par exemple avec l’écriture ramiste, qui emploie habituellement des accords bien plus
complexes. Philidor a donc réussi une synthèse entre le style italien et le style français –
observable à différents degrés dans l’ensemble de sa musique –, mais également entre la
musique savante et celle des classes populaires. En effet, il convient de ne pas oublier qu’il est un, sinon le fondateur du genre de l’opéra-comique, où les ariettes et les récitatifs alternent
avec des dialogues parlés, et dont l’intrigue est souvent basée sur des sujets légers (ou tout du
moins traitée de manière à amuser et faire rire le spectateur, comme peut le montrer Tom
Jones par exemple), et met en général en scène des gens du peuple (un aperçu en est fourni
par Blaise le Savetier). Philidor contribue donc à l’avènement d’un genre typiquement français,
qu’il mêle d’éléments stylistiques italiens.
Revenons toutefois à la forme sonate, qui présente pour nous un intérêt d’un autre type.
Rappelons‐le, en effet, Philidor était un maître d’échecs, il était même le meilleur joueur de son
temps, et capable de disputer, comme le rapporte Louis de Jaucourt dans l’article de
l’Encyclopédie sur les échecs, « deux parties d’échecs sans voir le damier » (il réussit même à
monter ce nombre à trois[16]), ce qui constituait à l’époque une véritable prouesse. Or, il est
possible, comme l’affirme Achilleas Zographos[17], de faire un parallèle entre la structure d’une
forme sonate et celle d’une partie d’échecs. Ce parallèle se fonde sur la tripartition qui semble
inhérente à chacun de ces deux éléments, divisés respectivement d’une part, pour la forme
sonate, en une exposition, un développement et une réexposition, et d’autre part, pour une
partie d’échecs, en une ouverture, un milieu de jeu et une finale. Marquons un premier arrêt à
ce stade. En effet, s’il est assez évident pour tout mélomane que la forme sonate est une
organisation partiellement arbitraire du discours musical – ou, plus précisément, propre à une
certaine conception de la « dramaturgie tonale » exploitée par les compositeurs du XVIIIe
siècle –, on sait moins que la division en trois phases d’une partie d’échecs l’est également. Ce
découpage est même de plus en plus remis en cause par les conceptions propres à la stratégie
moderne, et en particulier les travaux de Iossif Dorfman sur le sujet[18]. Ainsi, la comparaison
proposée dans le livre de Zographos a quelque chose d’artificiel, dans la mesure où elle ne
replace pas ses deux composants dans leur contexte historique et les lie comme s’ils existaient
de toute éternité. Cependant, une fois le travail de contextualisation effectué, la comparaison
devient, comme nous allons le voir, d’autant plus intéressante. En effet, si, comme nous l’avons
déjà dit, la forme sonate en est, vers le milieu du XVIIIe siècle, à ses débuts, la tripartition de la partie d’échecs est déjà, elle, bien implantée dans les esprits depuis les premiers traités de la Renaissance et les écrits de Lucena, Damiano et López[19].
Toutefois, c’est l’édition originale du livre de Philidor, L’Analyze des échecs, en 1749, et surtout sa première réédition en 1777, qui vont marquer, en posant les bases de la stratégie moderne, un tournant dans la
compréhension de cette tripartition. Effectivement, les conceptions positionnelles de l’auteur,
étudiées en détail par Juraj Nikolac dans son livre L’héritage de Philidor, et sur lesquelles nous
reviendrons plus avant, impliquent, poussées à l’extrême, l’absence de division de la partie
d’échecs en phases quelconques, tout au moins au sens où on l’entend habituellement, pour la
simple raison que la structure de pions, élément sur lequel se fonde toute la théorie de Philidor,
donne au déroulement du jeu une unité inaltérable (dans la mesure où les meilleurs coups sont
joués sur l’échiquier). Ainsi, ce n’est pas un hasard si celui-ci pense être en mesure d’anticiper
la conduite parfaite de la partie, qui est pour lui déduite d’une implacable logique de
raisonnement, bien que certains coups restent opaques, en raison du manque d’explications
dans les parties présentées dans l’ouvrage. Pourtant, et aussi étonnant que cela puisse
paraître, L’Analyze des échecs semble au contraire renforcer le parcellement du jeu, dans la
mesure où, en plus de considérations générales, elle contient à la fois des parties commentées,
des analyses sur les débuts de partie (notamment sur les gambit roi et gambit dame), et des
fins de parties (incluant par exemple dans l’édition originale la fameuse position de Philidor en
finale de Tour et Fou contre Tour). Par ailleurs, la structure de pions fait office d’élément
thématique, exposé pour la première fois dans l’ouverture, et développé (ou plus exactement
exploité) ensuite dans le milieu de jeu, avant d’être repris une dernière fois dans la fin de partie, qui voit la résolution des tensions dialectiques formelles par le résultat définitif lié à la liquidation matérielle terminale. Il est en outre intéressant de noter que, tout comme il existe des formes sonates sans développement, il existe des parties d’échecs sans milieu de jeu, et que, de manière générale, la structure formelle, aussi bien en musique qu’aux échecs, n’est pas
toujours respectée à la lettre dans la pratique. Ainsi, cette comparaison entre forme sonate et
partie d’échecs prend plus de sens replacée dans son contexte historique, c’est-à-dire celui,
d’une part, des balbutiements de la forme sonate, qui naît d’une volonté de structuration du
discours musical et, d’autre part, de la découverte par Philidor de l’importance (et même
presque de l’existence, tant ce concept avait été négligé auparavant hormis dans le livre de
López, qui ne le traite toutefois pas dans sa totalité) du squelette de pions, qui forme bel et bien l’ossature du jeu. On est cependant contraint ici de postuler que ce parallèle était au mieux
inconscient, au pire inexistant. Dans tous les cas, Philidor, dans sa correspondance publiée[20],
constituée de lettres presque exclusivement adressées à son épouse et d’usage principalement
domestique n’évoque jamais une telle chose. Le compositeur se contente en effet de tenir un
livre de comptes et de prendre des nouvelles de sa famille, semblant ainsi corroborer, de
manière presque caricaturale, la célèbre phrase le concernant : « C’est un sot, il n’a que du
génie »[21].
Cependant, si Philidor n’était vraisemblablement pas un homme de lettres (comme peuvent en
attester une certaine quantité de fautes dans ses écrits), il en fréquentait un grand nombre,
rencontrés dans les cercles et les cafés. Cela lui permit notamment de se rapprocher de
Rousseau (rencontré au café Maugis[22] et qu’il aurait même assisté dans la composition des
Muses galantes[23], et non pas dans celle du Devin du village, comme le prétend Jules Lardin
dans un article publié par la revue Le Palamède en 1847[24]), et plus encore de Diderot (le
compositeur aurait même donné des cours de musique à Angélique, la fille du philosophe), qui,
dans Le neveu de Rameau, évoque le fameux joueur d’échecs : « Qu’il fasse beau, qu’il fasse
laid, c’est mon habitude d’aller sur les cinq heures du soir me promener au Palais-Royal. [...] Si
le temps est trop froid, ou trop pluvieux, je me réfugie au café de la Régence ; là je m’amuse à
voir jouer aux échecs. Paris est l’endroit du monde, et le café de la Régence est l’endroit de
Paris où l’on joue le mieux à ce jeu. C’est chez Rey que font assaut Legal le profond, Philidor le
subtil, le solide Mayot, qu’on voit les coups les plus surprenants, et qu’on entend les plus
mauvais propos ; car si l’on peut être homme d’esprit et grand joueur d’échecs, comme Legal ;
on peut aussi être un sot comme Foubert et Mayot[25]. ». S’il est évident, comme on l’a vu
précédemment, qu’en matière de musique, ces différentes rencontres ont beaucoup influencé le
compositeur, qu’en est-il en ce qui concerne les échecs ?
On peut déjà constater que les deux activités étaient très cloisonnées pour le musicien. Celui-ci
se considérait en effet avant tout comme un compositeur et ne voyait les échecs que comme
« un objet d’amusement sérieux »[26], point de vue d’ailleurs partagé par Diderot, qui lui écrivit
ces lignes : « Vous conviendrez cependant que la réputation du Calabrois[27] (sic) n’égalera
jamais celle de Pergolèse »[28]. Pourtant, bien que les échecs semblent avoir été
communément considérés comme un simple jeu au XVIIIe siècle (l’article du Chevalier de
Jaucourt dans l’Encyclopédie va dans ce sens), c’est dans ce domaine, et non dans celui de la
musique, que Philidor a laissé un ouvrage théorique de premier plan.
Or, il semble de nouveau possible de faire un parallèle entre les principes développés dans son
livre concernant les échecs et la musique de son époque. En effet, comme nous allons tâcher
de l’expliquer, d’après Juan Maria Solare, la structure de pions philidorienne peut correspondre
à la basse continue passée par la théorie de la basse fondamentale de Rameau[29].
Avant d’aller plus loin, revenons brièvement sur les thèses de Philidor dans son traité
échiquéen, dont il est nécessaire de cerner les idées principales pour comprendre ce qui va
suivre. Le théoricien propose dans son ouvrage un certain nombre de règles stratégiques,
classées par Juraj Nikolac en deux groupes[30], d’une part, celles se référant aux détails ou aux
éléments positionnels, d’autre part, celles « qui se rapportent à l’ensemble de la position et à la
planification »[31]. Toutefois, dans les deux cas, l’élément fondamental de la théorie de Philidor
est la structure de pions, considérée ou non dans son ensemble. Comme le dit
l’auteur : « Mon but principal est de me rendre recommandable par une nouveauté dont
personne ne s’est avisé, ou peut-être n’en a été capable ; c’est celle de bien jouer les Pions : Ils sont l’âme des échecs. Ce sont eux uniquement qui forment l’attaque et la défense ; et de leur
bon ou mauvais arrangement, dépend entièrement le gain ou la perte de la partie »[32]. En fait,
Philidor est le premier à comprendre l’importance de la structure de pions (là où Ruy López de
Segura n’avait fait cas des pions que sur une zone réduite de l’échiquier), et à imaginer qu’elle
puisse être l’élément sur lequel repose tout le développement stratégique de la partie, bien que
nous sachions aujourd’hui que l’arrangement des pions ne constitue qu’une moitié du jeu
positionnel, celle qui concerne les éléments statiques[33]. Le joueur français considère donc
que deux positions présentant des similitudes dans leur structure de pions pourront se traiter
plus ou moins de la même manière. Ainsi, malgré les nombreuses erreurs de Philidor dans son
ouvrage, visibles depuis la découverte des principes dynamiques du jeu par Morphy et leur
théorisation par Steinitz, qui conduisent à la réfutation de la majeure partie des coups du maître
– ainsi qu’à certaines de ses conceptions dans le domaine des débuts de partie –, Philidor peut
encore être considéré comme le père du jeu positionnel, et le premier joueur à véritablement
analyser les échecs.
La thèse de Juan Maria Solare est donc la suivante : « Philidor a découvert la base sur laquelle
un plan est développé. Dans chaque position, les événements sont basés sur la structure de
pions, paramètre relativement stable et constant. Philidor a découvert que deux positions avec
une structure de pions identique présentent des thèmes et des possibilités similaires. Le type de
conflit et les méthodes de traitement d’une position sont les mêmes. Pour Philidor, la stratégie
du jeu découle directement de ce facteur. Cependant, les événements tactiques concrets "à la
surface" d’une position varient d’une partie à l’autre, en fonction de ses caractéristiques.
« La théorie de Rameau sur la basse figurée montre également que le flux d’événements
musicaux est basé sur un facteur (la structure des accords) qui, comparé à la mélodie, se
"répand" beaucoup plus lentement, et, dans ce sens, est plus "constant". Deux morceaux
avec la même structure d’accords sonneront de manière très similaire. L’enchaînement des
accords détermine en grande partie la direction dans laquelle la musique se développe. La
tension et la détente d’une pièce ainsi que la "dramaturgie sonore" en dépendent. Cependant,
les événements "à la surface", c’est-à-dire la mélodie, varient considérablement d’une œuvre à
l’autre »[34].
Pour résumer : « La structure de pions correspond à la basse continue en ce sens que les deux
remplissent une fonction similaire dans leurs disciplines respectives. Les deux agissent comme
une base semi-invisible du flux des événements. Encore une fois, je ne suggère pas qu’une
configuration particulière de pions correspond à une structure d’accords concrète, mais que la
façon de les concevoir est la même. Selon mon hypothèse, la théorie de Philidor est basée sur
une pratique de basse continue existant déjà à l’époque, une idée inhérente à la pensée
cartésienne du siècle des Lumières cherchant une logique unificatrice pour chaque discipline.
Avec L’Analyse de Philidor, la conscience de l’importance des pions augmente. En revanche,
après la présentation systématique de Rameau, la basse continue perd peu à peu de son
importance, jusqu’à sa disparition finale. Une des raisons de cette évaporation progressive est
que la basse continue est stylistiquement limitée. Elle est liée à la musique des époques
baroque et classique, et plus particulièrement au système musical de tonalité majeur-mineur,
mais n’est pas associée à la nature acoustique du son lui-même. Au contraire la conception de
Philidor est liée à l’essence des échecs. Métaphoriquement, on pourrait dire que, sachant sa fin
proche, la basse continue se transforme en squelette de pions pour pouvoir continuer à vivre en
tant qu’idée abstraite »[35].
Il existe également une autre manière d’envisager ce parallèle, toutefois assez proche de celle
du compositeur argentin : en effet, s’il est possible de considérer la structure de pions comme
une « harmonie échiquéenne » sur laquelle vient se greffer des événements tactiques concrets,
il est aussi éventuellement concevable d’envisager cette même structure de pions et la
déclinaison des événements tactiques « à sa surface » comme les différents renversements
d’une harmonie identique, ce qui, plus en phase avec la réalité concrète des échecs, limiterait
les possibilités de combinaisons musicales au même titre que le nombre fini des structures de
pions observables sur le plateau.
Philidor, en accord avec l’entreprise de rationalisation et de centralisation des connaissances
propre à son époque, propose donc de conférer un caractère scientifique à la pensée
échiquéenne (son ouvrage constitue à ce titre le pendant des travaux théoriques de Rameau
sur la musique) et, selon les dires de l’ancien champion du monde Max Euwe, « tir[e] le jeu
d’échecs hors de l’étroite observation euclidienne pour le faire entrer dans le monde sans limite
de la pensée cartésienne ». Ainsi, malgré les nombreuses erreurs présentes dans L’Analyze
des échecs[36], le travail du Français marque un changement de paradigme dans la
compréhension du jeu.
De surcroît, le compositeur fait également montre de structuration dans sa musique, fondée sur
une « éthique de l’écoute »[37], et proposant, à la fois dans sa forme et dans son contenu, une
synthèse des différents styles de l’époque. Il va sans dire que ce rapport particulier à l’art et aux sciences humaines n’est pas sans lien avec ses fréquentations, et notamment son amitié pour
Diderot, qui dans les dernières années de sa vie passait, en compagnie de Colin d’Harleville,
toutes ses soirées avec les sœurs de Philidor, pourtant « à un assez haut degré, tout le
contraire de spirituelles »[38], et aurait même conseillé le compositeur pour la mise en musique
du Carmen saeculare d’Horace, qui matérialisait les idées du philosophe « sur l’union d’une
musique périodique avec la poésie mesurée »[39].
La vie de Philidor est marquée par ce double-parcours, ces deux éléments qui, pareils aux voix
du duo de Tom Jones « Que les devoirs que tu m’imposes », interagissent et se confondent
dans la quête d’un idéal de pensée. Comme dans Mélide, il devient navigateur et explore des
rivages inconnus, s’assurant la postérité comme musicien et joueur d’échecs : « Philidor n’est
plus, mais il vivra dans la mémoire des hommes, [...] Tout le monde sait que la tête vigoureuse
de cet artiste célèbre devait atteindre aisément aux combinaisons difficiles ; il pouvait ranger
une succession de sons avec la même facilité qu’il jouait une partie d’Échecs. Nul homme n’a
pu le vaincre à ce jeu rempli de combinaisons ; nul musicien n’aura plus de force et de clarté
dans ses compositions que Philidor n’en a mis dans les siennes »[40].
[1]Galileo Galilei, Dialogo sopra i due massimi sistemi del mondo, Florence, 1632.
[6] La querelle des Bouffons était également appelée guerre des Coins, et les partisans des idées de Rameau et de celles de
Rousseau répartis respectivement dans le coin du Roi et celui de la Reine.
[7] Où il est reçu page à l’âge de six ans.
[8] Nicolas Dupont-Danican Philidor, Les Philidor, éditions Zurfluh, collection Le Temps musical, 1997, p 51.
[9] Cf. Manuel Couvreur, Diderot et Philidor : le philosophe au chevet d’Ernelinde dans les « Recherches sur Diderot et sur
l’Encyclopédie », n°11, 1991, p 106.
[10] C’est par exemple le cas de Tom Jones.
[11] Terminologie qui n’était évidemment pas encore employée à l’époque.
[12] Nicolas Dupont-Danican Philidor, op. cit., p 11.
[13] Voir le Traité de haute composition d’Anton Reicha, Zetter 1824.
[14] Cf. Die Lehre von der musikalischen Komposition, praktisch-theoretisch de Friedrich Heinrich Adolf Bernhard Marx,
Leipzig, 1847.
[15] Nous parlerons ici de groupe tonal et non de groupe thématique ou de thème, dans la mesure où il est difficile d’identifier
des éléments mélodico-rythmiques moteurs, sur lesquels se fonderait la construction entière du mouvement.
[16] Voir par exemple Nicolas Dupont-Danican Philidor, op.cit., p 52, bien que cela soit relaté dans de nombreux autres
ouvrages.
[17] Voir à ce sujet Music and Chess : Apollo meets Caissa d’Achilleas Zographos, Russell Enterprises, Inc., 2017, p 72 et 73.
[18] Cf. The Method in Chess de Iossif Dorfman, trad. Ken Neat, p 6 : « In my view, the separation of a game into opening,
middlegame and endgame has no great practical use. ».
[19] Et respectivement Repetición de amores y Arte de ajedrez, Questo libro e da imparare giocare a schacchi et de le partite
et Libro de la invención y arte del juego del axedrez..
[20] Cf. Philidor, musicien et joueur d’échecs dans les Recherches sur la musique classique française, n°28.
[21] Cité par Dominique-Joseph Garat dans les Mémoires historiques sur la vie de M.Suard, sur ses écrits, et sur le XVIII
e
siècle, volume 1, Paris, 1820, p 356.
[22] Nicolas Dupont-Danican Philidor, op.cit., p 52.
[23] Voir l’ouvrage de Raymond Trousson, Jean-Jacques Rousseau, I, La Marche à la gloire, Tallandier, Paris 1988, p 179 et
218, relaté par Manuel Couvreur dans son article précédemment cité (p 90).
[24] Voir Philidor peint par lui-même, Jules Lardin, « Le Palamède », Paris, 1847, p 12 et 13.
[25]> Le Neveu de Rameau de Denis Diderot, Plon, Paris 1891, p 5 et 6.
[26] Jules Lardin, op.cit., p 2.
[27] Renvoi à Gioachino Greco, dit Le Calabrais, probablement le meilleur joueur de la première moitié du XVII
e
siècle,
auteur en 1619 d’un ouvrage intitulé Trattato del nobilissimo gioco de scacchi, qui était encore considéré comme une
référence dans le domaine des échecs au milieu du XVIII
e
siècle.
[28] Jules Lardin, op.cit., p 6.
[29] Cf. Juan Maria Solare, Bauernstruktur und die Generalbasslehre, Karl 4, 2007, p 20 et 21.
[30] Voir Juraj Nikolac, L’héritage de Philidor, Olibris, 2006.
[31] Cf. Juraj Nikolac, op.cit., p 17.
[32] François-André Danican Philidor, L’Analyze des échecs, Londres, 1749, p 13.
[33] C’est en effet sur la structure de pions que se fonde entièrement la méthode de an.
[34]Voir Juan Maria Solare, op. cit., p 21 (traduction personnelle).
[35] Cf. Juan Maria Solare, op. cit., p 21 (traduction personnelle).
[36] Comprenant aussi les erreurs de notation, au nombre de cinq dans la première édition du livre, et dont quatre sont
corrigées dans la réédition de 1777, dues à l’écriture littérale qu’employait Philidor, mais dix ans plus tôt Philippe
Stamma dans son Essai sur le jeu d’échecs introduisait la notation algébrique, encore en vigueur aujourd’hui.
[37] Voir à ce sujet l’article de François Jacob : « Philidor, une éthique de l’écoute », dans Dix-huitième siècle n°28,
p 523-540.
[38] Relaté par Jules Lardin, op. cit., p 10.
[39] Voir Manuel Couvreur, op. cit., p 96.
[40] Extrait d’une lettre de Grétry, rapportée par Jules Lardin, op. cit., p 14.
Les années 1900 ont vu se conjuguer une course à l’innovation accrue par les
possibilités offertes par l’électricité et une tentative d’adaptation de l’orgue à
l’interprétation du répertoire ancien, revenant alors à la mode. La rencontre de ces
deux évolutions donnera progressivement naissance à ce qu’on appelle l’orgue
néoclassique. Charles Mutin, étant à la fois successeur d’Aristide Cavaillé-Coll, le
facteur phare de l’esthétique symphonique parisienne, et ami d’Alexandre
Guilmant, l’initiateur de la redécouverte de la musique ancienne, s’inscrit dans ce
mouvement. Cependant, il va devoir affronter une baisse significative des
commandes d’orgues neufs à la suite de la loi de 1905, privant les églises des
subventions gouvernementales pour la construction de nouveaux instruments. Un
autre marché va alors se développer, celui de l’orgue de salon. En exploitant cette
filière, Mutin redressera son entreprise, qui ne connaîtra pas de déclin au cours de
son exercice, et ce malgré l’épisode douloureux de la Grande Guerre. Un amateur
éclairé, qui avait déjà fait fructifier les affaires de Cavaillé-Coll par diverses
commandes d’orgues grassement payés, va rémunérer spécialement son
successeur pour qu’il lui conçoive un instrument unique, pouvant imiter l’orchestre
à un degré jamais égalé à ce jour, du moins en France. À cette occasion, Mutin
pourra laisser de côté les idées de Guilmant et concevoir de nouvelles sonorités
visant à satisfaire l’idéal orchestral de son commanditaire. Ces jeux ont
malheureusement peu convaincu les organistes contemporains, quelque peu
frileux à l’idée de nouveauté sonore alors que la tendance était davantage au
retour aux timbres des 17e et 18e siècles. Ainsi, le Cor harmonique, le Cor de
Basset et la Musette des ateliers Cavaillé-Coll se retrouveront dans très peu de
compositions d’orgues de l’époque, jusqu’à sombrer dans un oubli total.
I - HISTOIRE
En 1865, on inaugure un orgue de trois claviers dans le château du Marquis
de Lambertye à Gerbévillers (Lorraine). Albert de l’Espée, un jeune garçon d’une
douzaine d’années, descendant d’une grande famille très impliquée dans
l’industrie métallurgique, est présent à cette inauguration. Il reste profondément
marqué par cette expérience et se jure de se faire construire un jour son propre
orgue[1]. Victime d’une maladie qui affaiblit profondément son système
immunitaire dans les dernières années de son adolescence, Albert devient petit à
petit hypocondriaque et développe une misanthropie qui l’amènera à se faire
construire des demeures isolées et dotées de systèmes perfectionnés destinés à
le protéger du monde extérieur et de certains accidents domestiques. Rentier, il vit
uniquement de la grande fortune de sa famille. Sa passion pour l’orgue l’amène à
prendre contact avec le facteur d’orgues parisien le plus estimé de son époque, et
qui est aussi le constructeur de l’instrument qui l’a tant marqué en 1865 : Aristide
Cavaillé-Coll. Il commande à ce dernier plusieurs instruments pour ses diverses
demeures, le premier dont le devenir nous est connu datant de 1894 et se
trouvant actuellement en l’église Saint-Antoine des Quinze-Vingts à Paris. Ces
instruments se démarquent par une nomenclature insolite incluant notamment un
Cor des Alpes, ainsi que la présence d’une ou plusieurs Clarinettes 16, jeux
marginaux dans la facture parisienne. Le baron se fait construire entre 1895 et
1897 une villa dotée de nombreux perfectionnements et lui permettant d’éviter tout
contact humain avec son personnel – les cuisines étant par exemple situées en
dehors du bâtiment principal et reliées à ce dernier par des monte-charges – afin
d’y abriter un orgue qu’il veut idéal pour son salon musical privé. Il fait une fois de
plus appel à Cavaillé-Coll pour réaliser ce projet. L’entreprise parisienne est alors
à l’agonie, son patron, excellant davantage en facture d’orgue qu’en gestion
d’entreprise, se fait vieux : cette commande l’aidera momentanément à ne pas
sombrer. Albert de l’Espée suivra consciencieusement la réalisation de cet
instrument conséquent, allant jusqu’à octroyer à l’harmoniste un louis d’or par jeu
harmonisé[2]. Cependant, ce grand-orgue, le plus conséquent que Cavaillé-Coll ait
entièrement conçu, déçoit le baron, qui s’en sépare assez rapidement : en 1903, il
le cède à Charles Mutin, qui a repris les rênes des ateliers Cavaillé-Coll en 1898,
et a supervisé l’achèvement de cet instrument, qu’il installe dans les locaux de la
manufacture après quelques modifications. L’orgue fera alors la joie des visiteurs,
notamment d’Albert Schweitzer et d’Emile Rupp, pionniers de la « Réforme
Alsacienne de l’orgue »[3]. Il sera par la suite installé dans la basilique du Sacré-Cœur de Montmartre, où il a conservé l’essentiel de son matériel sonore malgré
certaines vicissitudes.
À la suite de cette cession, Albert de l’Espée reformule à Mutin la demande
qu’il avait faite à son prédécesseur une dizaine d’années plus tôt. Il lui réclame
expressément un orgue « orchestral » faisant fi des courants esthétiques en
vogue à cette période. L’orgue doit comporter moins de jeux à tuyaux que le
précédent, mais plusieurs de ces jeux sont inédits. Tous les moyens matériels,
financiers et même humains nécessaires sont mis à disposition de Mutin pour
effectuer de telles recherches : ce dernier dispose notamment d’un clarinettiste et
d’un ancien cor de basset d’orchestre pour mettre au point un jeu du même
nom[4]. Tout aussi inédit est le Cor harmonique, dont l’organiste et musicologue
Jean Huré, ami de Mutin, donne la description suivante : « Arrivée à un certain
degré de mordant, la Montre, dans son registre moyen et aigu, se confond avec
une famille de jeux encore inconnus du public, et même des organistes, et
construits par la Maison Cavaillé-Coll : les Cors harmoniques. Chose curieuse, ce
sont des jeux à anches battantes, mais ils ont une pureté supérieure à celle de
beaucoup de jeux de fonds.[5] » Un troisième jeu d’anches fait son apparition, la
Musette ; des jeux de ce nom ont existé par le passé, mais celui-ci possède des
paramètres de construction spécifiques. En plus de ces innovations dans les jeux
à tuyaux, l’instrument doit être doté d’un clavier auxiliaire d’étendue plus réduite
permettant de jouer une trentaine d’instruments à percussions. Un piano, un
clavecin et trois célestas, jouables sur le clavier de Grand-Orgue, viennent
compléter cet appareil orchestral qui, à n’en pas douter, devait être plus fidèle aux
souhaits du baron. Enfin, l’étendue des claviers et du pédalier atteint le contre-la 0
(grave), selon le principe du ravalement, connu dans les orgues d’avant la période
romantique, et permettant ici d’accroître encore les possibilités d’un orgue déjà
particulièrement hors normes pour l’époque. L’instrument est terminé en 1907,
mais Albert de l’Espée se sépare de sa propriété en 1911. Le domaine sera
racheté à diverses reprises, et l’orgue fera les frais de ces changements
successifs de propriétaires. Il sera finalement délesté d’un tiers de sa tuyauterie et
installé en l’église d’Usurbil, au Pays Basque espagnol. Les percussions, les
claviers et les jeux nouveaux ont malheureusement disparu dans l’aventure...
II - DE NOUVEAUX JEUX ?
Pour quel répertoire construire un tel instrument ? Il est communément
admis qu’Albert de l’Espée possédait un goût très prononcé pour la musique de
Richard Wagner. Mais aucun document ou témoignage fiable ne le prouve... Il
semblerait même qu’il s’agisse d’un mythe inventé par Pierre-Barthélémy Gheusi,
journaliste et directeur de théâtre ayant racheté le château du baron. Des
témoignages de personnes ayant côtoyé Albert de l’Espée mentionnent plutôt des
affinités avec Haydn et la musique autrichienne[6]. Le Cor de basset, le Cor
harmonique et la Musette peuvent évoquer un imaginaire sonore cohérent avec
de telles affinités. Le premier se rapporte plutôt à Mozart, qui en a fait un usage
conséquent. Le Cor harmonique pourrait être relié au cor d’harmonie des
symphonies classiques, mais également bel et bien aux cuivres bouchés des
opéras de Wagner (comment ne pas songer à l’ouverture de Tannhäuser ?).
Quant à la Musette, son nom évoquant un instrument archaïque et son timbre
assez différent du jeu de Hautbois en font un candidat tout trouvé pour
l’interprétation de transcriptions d’œuvres anciennes. Ainsi donc, cet orgue serait-il dévolu à un répertoire antérieur à celui qu’on lui prête, avec son clavecin
(instrument moderne, sans doute de Pleyel) ? N’oublions pas la présence d’un
grand nombre de jeux de fonds et d’ondulants typiques de l’orgue symphonique
ainsi que de l’existence d’un clavier supplémentaire dévolu uniquement à des
instruments à percussions : gong, cymbales, cloches tubulaires[7]... Amateur de
musique autrichienne, se pourrait-il que le baron jouât du Mahler, compositeur des
plus avant-gardistes en ce début de XXe siècle ? Il semble que l’épais voile de
mystère planant au-dessus de cette question ne puisse être dissipé de sitôt...
III - APRÈS LE BARON...
Mutin semble avoir tenté de placer ses inventions dans d’autres instruments
par la suite. Jean Huré[8] donne, outre des indications à son sujet, la composition
de l’orgue (disparu) conçu en 1914 pour un jeune compositeur du nom de Pierre
Braunstein, hélas mort au front peu après, où figurent les trois jeux qui nous
intéressent, mais également un célesta, des chamades[9], des systèmes de
prolongement du son[10], et dont les claviers commencent au do 0 pour finir au mi
6, étendue inhabituelle pour un orgue. Alexandre Guilmant, bien qu’ami de Mutin
et ayant connaissance du jeu de Cor harmonique[11], lui avait préféré, à la salle
Gaveau, un Cromorne apte à faire sonner la musique ancienne[12]. La facture
d’orgues française était alors en pleine mutation, des organistes comme Guilmant
prônaient un retour partiel à « l’orgue ancien », et l’innovation orchestrale, même
si elle pouvait être appréciée, n’avait alors plus la priorité. Mutin déplore ce
manque d’enthousiasme des interprètes contemporains face à ses innovations et
récusera une accusation de Huré de n’avoir pas placé davantage de Cors
harmoniques dans ses orgues. Il est actuellement impossible de savoir si d’autres
exemplaires du Cor harmonique et du Cor de basset ont été construits, et si l’un
d’entre eux existe toujours, ce qui est assez peu probable. En revanche, une
Musette avait été placée dans l’orgue du Sacré-Cœur, remplacée plus tard par un
Nasard, et une existe toujours dans l’orgue construit par Auguste Convers,
successeur de Mutin, pour une galerie commerciale parisienne et se trouve de
nos jours au temple d’Amiens. Dans un tapuscrit[13] conservé au musée de la
Philharmonie de Paris, des documents plus précis ainsi qu’une description des
jeux par leur inventeur lui-même ont été retrouvés, permettant de se faire une idée
plus juste du travail de Mutin. Le Cor harmonique (Fig. 1) comporte des pavillons
de taille large et aux rigoles à larmes[14]. Dans le pavillon se concentre toute
l’innovation : un étouffoir de forme tronconique entouré de peau, fermé dans sa
partie supérieure, cette dernière étant percée d’un trou dont le diamètre varie
selon la hauteur et l’harmonisation. Un tel outil a pour but de réduire la vibration
du pavillon et d’atténuer la puissance de l’onde sonore, engendrant un timbre rond
et étouffé, dépourvu de l’éclat des jeux d’anches. Deux autres paramètres influent
également sur ce timbre : l’anche à larme évoquée plus haut, utilisée usuellement
pour les jeux de bassons, produisant un son plus sourd qu’une trompette, ainsi
que la pression de l’alimentation en vent, qui doit être d’au moins 150 millimètres
de colonne d’eau, afin que la résistance engendrée par le système d’étouffement
soit plus forte, accentuant l’efficacité de ce dernier.
Fig. 1
Fig. 2 (Ch. Mutin, L’Orgue)
Le Cor de basset (Fig. 2) est d’une conception moins sophistiquée : son
corps comporte un premier pavillon évasé surmonté d’un double cône, lui
conférant l’aspect d’un cor anglais simplifié. Le corps est terminé par un opercule
partiellement ouvert. Ce sont ces caractéristiques, ainsi que des mesures précises
indiquées par Mutin, qui lui confèrent son timbre « imitant à s’y méprendre
l’instrument ancien »[15].
La Musette, enfin, est construite avec des anches de Trompette et des
pavillons très étroits. Le son obtenu est plus franc que celui du Hautbois, sans
pour autant perdre en douceur.
IV - ET MAINTENANT ?
De nos jours, l’esthétique sonore de Charles Mutin connaît un regain
d’intérêt, et ses réalisations commencent à être protégées et restaurées
scrupuleusement. L’image du chef d’entreprise prime cependant sur le savoir-faire
du facteur d’orgues, et l’on ne connaît que peu l’investissement dont il a fait
preuve pour développer l’instrument auquel il a dévoué des années de travail.
Dans le contexte actuel de recherche de nouveauté, aidé par l’avancement
technologique de notre époque, les jeux inventés par Mutin ont tout à fait leur
place. Clins d’œil historiques, compléments d’esthétique dans des instruments qui
leurs sont contemporains, apports bienvenus dans des réalisations neuves, leur
présence est parfaitement justifiée dans la dynamique esthétique de l’orgue
d’aujourd’hui. Il est dès lors possible de travailler à la construction de spécimen de
ces jeux. Les données concernant le Cor harmonique sont insuffisantes et sa
reconstitution nécessitera une phase expérimentale. Le Cor de basset, en
revanche, pourra être fabriqué directement grâce aux mesures laissées par son
inventeur. Quant à la Musette, il suffira de copier les caractéristiques de celle
sonnant encore au temple d’Amiens...
S’ils sont issus des lubies de l’excentrique baron de l’Espée, les jeux
d’anches de Charles Mutin ne doivent donc pas être considérés comme une
expérience marginale mais comme des personnages sonores ayant toute leur
légitimité dans l’aventure de la facture d’orgues, de la même manière qu’une Flûte
harmonique ou un Hautbois, des jeux sans lesquels il est presque impensable de
concevoir certains types d’orgues. L’instrument-orgue est en constante évolution
depuis ses origines et il serait dommage de faire l’impasse sur de telles
innovations à une époque qui opère une synthèse de tous les principaux courants
esthétiques ayant créé son histoire. « Ces Cors, ignorés des maîtres anciens,
malheureusement inusités dans les orgues contemporains, pourront un jour
apporter à l’art de l’orgue des ressources toutes nouvelles »[16], déclarait Jean
Huré en 1924 au sujet du Cor harmonique, et son point de vue n’a jamais été
autant d’actualité.
[1] Christophe Luraschi, Albert de l’Espée, Atlantica (2013).
[2] Daniel Roth, Le Grand Orgue du Sacré-Cœur, in La Flûte harmonique, Association A. Cavaillé-Coll, Paris (1985).
[3] Ce courant de renouveau de l’orgue alsacien tentera d’importer le « style Cavaillé-Coll » dans une région où
l’esthétique germanique prédominante est souvent considérée comme décadente.
[4] Charles Mutin, L’Orgue, tapuscrit conservé au Musée de la Musique de Paris (1927).
[5] L’orgue et les organistes, périodique (1924).
[6] Témoignages recueillis par M. J.L. Ménochet, ancien gardien du château.
[7] Ces cloches, récupérées par Maurice Puget pour l’orgue de Saint-Charles de Biarritz, ont été placées dans
l’orgue de l’église Saint-Joseph de la même ville par Bernard Dargassies en 2015 (source : B. Dargassies).
[8] Jean Huré, L’Esthétique de l’Orgue, Sénart, Paris (1923).
[9] Jeux d’anches disposés à l’horizontale et d’une grande puissance.
[10] Appelés par la suite sostenutos, ces appareils permettent à une ou plusieurs notes de rester enfoncées après
avoir relevé les doigts.
[11] Huré assurera en avoir entendu « un éloge mérité » de la part de Guilmant (réponse à une lettre de Mutin, in
L’orgue et les organistes, op. cit.)
[12] Charles Mutin, lettre à Jean Huré, conservée au Fonds Jean Huré, médiathèque d’Angers.
[13] Id, L’Orgue, op. cit.
[14] Le pavillon d’un jeu d’anches est le corps qui contribue à en modeler la sonorité, équivalent des deux corps et
du pavillon d’une clarinette ; la rigole est, elle, l’équivalent du bec de la clarinette. Contrairement aux instruments
d’orchestre, c’est cette dernière qu’on appelle anche, et non la partie battante, qui est la languette.
[15] Mutin, op. cit.
[16] Jean Huré, L’Orgue et les Organistes, op. cit.
Après l'héritage d'Anton Webern (1883-1945) et l'expérience de ce que nous appelons le sérialisme intégral et le post-sérialisme où les hauteurs, les durées, les dynamiques et d'autres éléments sont soumis à la discrétisation et à l'organisation par un principe unificateur de nombreux compositeurs ont trouvé leur propre solution, parfois sous la forme d'un système, pour répondre aux défis esthétiques et expressifs présentés par la nouvelle musique.
Une technique de composition associée au contexte du post-sérialisme continue d'attirer l'attention des spécialistes de la musique, même si elle a passé beaucoup de temps dans la tranquillité cachée des manuscrits précompositionnels.
La multiplication de fréquences, ou la multiplication d'accords est un procédé de composition conçu par le compositeur et chef d'orchestre français Pierre Boulez (1925-2016). Cette technique a été utilisée lors de l'élaboration de certaines de ses œuvres les plus reconnues telles que Le Marteau sans Maître (1952-55), la Troisième Sonate (1955-57) et Pli Selon Pli (1957-1962). Non sans parallèle dans l'histoire de la musique, à mesure que le principe était connu et discuté, il en est venu à être identifié comme voisin ou analogue des concepts que d'autres compositeurs et théoriciens de la musique ont conçus indépendamment.
Dans la littérature académique, la multiplication d'accords est fréquemment associée aux principes de Pitch Projection (projection de hauteur) et, notamment, de la Transpositional Combination (combinaison transpositionnelle) ou TC. Pitch Projection est le concept fondamental de la musique post-tonale du symphoniste et théoricien américain Howard Hanson (1896-1981). Sa théorie est présentée et largement développée dans le livre Harmonic Materials of Modern Music (1960), un ouvrage qui est le précurseur de la Set Theory, antérieure à l'influent The Structure of Atonal Music (1973) d'Allen Forte.
TC a été proposé par le théoricien américain - et successeur d'Allen Forte à l'université de Yale —- Richard Cohn (né en 1955). Dans cet avatar, pour ainsi dire, le concept a été utilisé comme un outil d'analyse musicale, appliqué à un corpus diversifié d'œuvres du XXe siècle, de Béla Bartók et Alban Berg à Steve Reich.
La multiplication d’accords, telle que la conçoit Boulez, est souvent évoquée par le rôle qu'elle a joué dans la composition de sa partition la plus connue. Il y a une certaine atmosphère sérielle dans Le Marteau et, à quelques instants, si l'on regarde le texte musical, il est possible d'identifier des éléments sériels classiques. Cependant, la sonorité exotique et unique ainsi que l'éloquence élastique du discours musical suggèrent de nouvelles conventions sérielles. Cette impression sur les auditeurs ultérieurs a probablement été amplifiée par une interprétation hyperbolique de ce que ses œuvres précédentes représentaient.
D'après trois poèmes du poète français René Char (1907-1988), la première version du Marteau a été publiée en 1954 en fac-similé, sans l'autorisation du compositeur, lors des préparatifs de la création (annulée) au festival de Donaueschingen. L'œuvre a été créée l'année suivante, sous les acclamations du public, le 18 juin, pendant le 29e festival de la Société internationale pour la musique contemporaine (SIMC) dans la ville de Baden-Baden2. Elle a été dirigée par Hans Rosbaud (1895-1962), à qui la pièce est dédiée.
À peu près à la même époque, alors qu'il travaillait sur Le Marteau, Boulez avait commencé un rapprochement avec l'éminent ethnomusicologue André Schaeffner, auteur de l'Origine des instruments de musique (Payot, 1936) et d'une des premières monographies consacrées à Stravinsky (Rieder, 1931), auquel il était associé. Lors de ses visites au Musée de l'Homme à Paris, où Schaeffner était directeur du département de musique, Boulez a bénéficié de la phonothèque du musée, contenant les enregistrements de terrain que Schaeffner avait réalisés lors de ses missions en Afrique. Toujours au musée, Boulez a pu se familiariser avec les instruments de percussion qu'il a utilisés dans Le Marteau3.
En 1954, alors qu'il travaille sur Le Marteau, Boulez part en tournée au Brésil, pour la deuxième fois, en tant que directeur musical de la compagnie Renaud-Barrault. Boulez et Jean-Louis Barrault auraient été impressionnés par les rituels musicaux de la tradition afro-brésilienne dans la région de Bahia, avec des répercussions dans leur production ultérieure de l'Oresteia d'Eschyle. Rosângela Pereira de Tugny révèle que, dans les esquisses de la partition que Boulez avait écrite pour la production, on peut trouver des indications telles que « comme la macumba. »4.
Entre la date initiale et la création officielle, Boulez a apporté d'importantes révisions au Marteau, changeant l'ordre des mouvements et en ajoutant de nouveaux. La partition gravée, définitive, comprenant neuf mouvements regroupés en trois cycles pour voix de contralto et six instrumentistes (flûte alto, marimba, vibraphone, percussion, guitare et alto), a été publiée avec des révisions supplémentaires en 1957 par Universal Edition. Depuis lors, l'œuvre est connue non seulement pour son statut de classique moderne, mais aussi pour les questions qui entourent sa présumée écriture sérielle et non-sérielle.
Au cours des années précédentes, suite aux expériences de son ancien professeur Olivier Messiaen (1908-1992), et de ses collègues Karel Goeyvaerts (1923-1993) et Michel Fano (né en 1929), Boulez attire l'attention avec deux ouvrages qui semblent pousser le principe de la série à ses limites. L'une de ces pièces, la Polyphonie X, inédite, pour dix-huit instruments, a été mal accueillie lors de sa création à Donaueschingen en 1951, sous la direction de Rosbaud. Avec son premier livre de Structures pour deux pianos (1951-52), créé par le compositeur lui-même et Olivier Messiaen, il a tenté ce que les commentateurs ont appelé une « expérience de composition automatique ». Boulez décrira plus tard cette entreprise comme étant « non sans absurdité. »5.
Le premier livre des Structures a acquis une réputation particulière après que György Ligeti (1923-2006) eu écrit, à l'invitation de Karlheinz Stockhausen, une analyse exhaustive et formelle du premier chapitre/mouvement des Structures, sous le titre Pierre Boulez Entscheidung und Automatik in der Structure Ia (1958). L'analyse a pu donner l'impression que ce mouvement, commencé en fait avant la Polyphonie X, était représentatif de la pensée musicale de Boulez, ce que Ligeti a tenu à rectifier par la suite6. Ligeti dira également qu'il s'est tourné vers Structures Ia après une tentative infructueuse de découvrir les rouages internes du Marteau 7. « La construction de cette pièce s'est avérée impénétrable », remarque le compositeur d'Atmosphères à propos du Marteau8. Commentant cette facette du chef-d'œuvre de Boulez, le professeur Stephen Heinemann de l'université de Bradley écrit : « Il est très peu probable qu'une analyse correcte de la structure de l'œuvre en termes de classes de hauteur soit apparue sans les écrits théoriques de Boulez9. »
Par ailleurs, tandis que l'analyse de Ligeti résonnait, elle a joué un rôle dans le développement de la musique algorithmique américaine lorsque le pionnier de la musique informatique et chercheur en chimie Lejaren Hiller (1924-1994), avec le compositeur Robert Baker ont utilisé cette analyse comme l'une des bases de leur Computer Cantata (1963)10.
Dans sa Théorie esthétique, Theodor Adorno (1903-1969) qualifierait Le Marteau comme un exemple remarquable de renouvellement technique, impliquant une rupture avec les conventions sérielles antérieures (ce qui, selon lui, se produit après que les compositeurs se sont lassés du pointillisme webernien)11. « Personne ne pouvait comprendre, et encore moins entendre, comment la pièce était sérielle », écrivit Fred Lerdahl, compositeur et théoricien de l'Université de Columbia12.
En outre, ce n'est que récemment que la majeure partie des esquisses préparatoires de la composition est devenue accessible, lorsque le compositeur, percussionniste et chef d'orchestre Diego Masson et sa famille, ont fait don à la Fondation Paul Sacher de pages manuscrites inconnues jusqu’alors13.
Des décennies après la première, les liens manquants entre la pensée sérielle et Le Marteau ont été révélés par le théoricien Lev Koblyakov dans quelques articles. Il a montré comment opère la technique de multiplication dans le premier cycle du Marteau, L'artisanat furieux. Le livre de Koblyakov, Pierre Boulez : A World of Harmony (Routledge, 1994), reste l'une des analyses les plus substantielles du Marteau à ce jour.
Boulez décrit pour la première fois le procédé de multiplication, et les bases théoriques du langage musical qu'il mettra en jeu dans les Structures, Polyphonie X, et aussi dans Le Marteau, dans son article de 1952, Éventuellement, publié dans la réputé Revue Musicale. Dans ce texte, Boulez présente une façon de travailler avec des organisations sérielles non plus en termes d’« unités simples » mais avec des cellules rythmiques et des complexes de hauteur. Cette organisation permettrait un contrepoint de structures se produisant à des niveaux différents et indépendants.
Par les exemples XII à XIV, Boulez a proposé un moyen de former de telles collections de hauteurs, ou sonorités, par le découpage inégal d'une série de douze sons. Comme pour les cellules rythmiques, qui peuvent être développées avec une grande efficacité par des principes de variation rythmique, les complexes de hauteurs peuvent être développés par la transposition d'un complexe par un autre. Ainsi, comme l'écrit Boulez, une superposition de trois sons transposés par une superposition de quatre sons résulte en une superposition de douze sons, soit 4 fois 3, moins toute classe de hauteur répétée. Boulez aborde ensuite la souplesse d'utilisation du procédé et le vaste champ de transformations qui pourrait être employé.
Un autre indice menant à l'architecture sérielle du Marteau se trouve dans la collection de conférences données à Darmstadt par Boulez, Penser la musique aujourd'hui (Paris, Denoel, Médiations, 1963). Dans ce livre, par les exemples 3, et 33, il fournit des illustrations plus sophistiquées de multiplication. Avec l'exemple 32 de Penser la musique, nous pouvons voir plus clairement comment les « produits » sont organisés sous la forme matricielle habituelle. Les complexes qui en découlent sont enchaînés entre eux par une série de trajectoires, tracées sur la matrice, à la manière des matrices des Structures Ia décrites par Ligeti.
Fonctionnant d'une manière distincte, mais néanmoins comparable, à la procédure de dérivation sérielle utilisée par Alban Berg dans Lulu, la solution de Boulez aboutit à une multitude de sous-collections qui, bien qu'elles ne pointent plus vers une série de douze sons (c'est-à-dire que la procédure est « non réversible »), partagent des propriétés harmoniques intrinsèques. C'est pourquoi ces collections de hauteurs sont regroupées au sein de groupes isomorphiques, une caractéristique essentielle qui assure une « cohérence logique » et un certain contrôle sur le matériau.
Comme l'introduit Penser la musique, la multiplication peut être considérée comme un outil pratique permettant de déduire des structures symétriques (complexes de hauteurs isomorphiques) à partir de structures asymétriques (séries dodécaphoniques ordinaires). Notez que le caractère symétrique de certaines séries utilisées par Anton Webern est bien commenté dans Penser la musique.
Dans Penser la musique, Boulez ne mentionne pas les compositions dans lesquelles il a utilisé la technique de multiplication et va moins en détail sur la façon dont il a utilisé les transpositions pour dériver les complexes de hauteurs isomorphiques qui en découlent. Comme les conférences étaient à l'origine destinées au public exceptionnellement spécialisé des cours d'été de Darmstadt, contrairement au lectorat plus large et diversifié de la Revue musicale, Boulez n'a peut-être pas vu l'intérêt d'écrire les détails du processus de multiplication.
<
« La présentation de la multiplication par Boulez dans son livre, Penser la Musique Aujourd’hui, ne définit ni n'explique complètement la multiplication », a fait remarquer le professeur Ciro Scotto de l'université de l'Ohio14. Le critique musical et librettiste britannique Paul Griffiths déclare que « les conférences sur la musique sérielle données par Boulez ont une telle variété et richesse d'aspects que presque tout pourrait être dérivé de n'importe quoi d’autre15. » Griffiths écrit également à propos d'une certaine « horreur de l’évident » chez Boulez, ce qui « peut rendre irrécupérable une compréhension sûre de ses processus de composition. »
Les conférences de Boulez sur la technique sérielle se comprennent aussi dans son attitude face aux analyses minutieuses et détaillées qui sont courantes lorsqu'il s'agit de musique dodécaphonique et sérielle : « Nous sommes submergés de vastes tableaux de symboles ridicules, de reflets d'un vide, d'horaires de trains qui ne partiront jamais !16 »
Bien que Boulez ait fini par recourir à ce type d'analyse, par exemple lors de ses cours d'analyse à l'Académie de musique de Bâle (de 1960 à 1963), il a mis en garde contre cette sorte de dissection basée sur le comptage de notes appartenant à la série comme outil principal d'analyse musicale. « Ce qui vaut la peine, c'est de voir la dialectique des événements, de passer à la procédure générale, de voir comment le compositeur en est venu à formuler sa pensée par l'intermédiaire d'un tel système ; cela a des conséquences beaucoup plus riches17. »
Griffiths souligne également que les commentaires de Boulez sur Le Marteau et le caractère insaisissable de ses conférences à Darmstadt suggèrent que les moyens de construction de la composition devraient être dévorés par l'œuvre achevée et que toute tentative de reconstitution du processus de composition serait pratiquement impossible voire futile, ce que l'analyse de Koblyakov finirait par contester18.
Le professeur Jonathan Goldman de l'université de Victoria écrit que les œuvres de Boulez commencent généralement par des structures simples qui, dans les étapes ultérieures et successives du processus de composition, sont développées par une myriade de ressources transformationnelles, ce qui rend les structures initiales imperceptibles et non plus pertinentes pour la partition finale. « On comprend alors pourquoi Boulez affirme qu'il considère le point de départ d'une pièce comme quelque peu sans importance19. »
Le compositeur et ancien chef de département à l'IRCAM, Gerald Bennett commente que « Boulez doit employer des procédures de plus en plus complexes afin que la structure initialement bien organisée devienne invisible20. »
C'est dans ce contexte que l'analyse de Koblyakov a été saluée comme « une réussite analytique stupéfiante ». Cependant, pour certains commentateurs, sa contribution ne semblait pas assez claire pour montrer comment la multiplication d'accords se fait opérationnellement. « Il est particulièrement vague -- voire évasif -- en ce qui concerne le fonctionnement réel de la multiplication, malgré l'importance qu'il attache à l'opération ; il faut en conclure qu'il n'a pas été capable d'en déchiffrer la méthodologie », a fait remarquer Stephen Heinemann21 . « L’omission [d'un algorithme] crée un vide procédural ou une boîte noire fonctionnelle entre l'entrée et la sortie. La boîte noire fonctionnelle de la Pitch Class multiplication soulève plusieurs questions », écrit Ciro Scotto22 .
En effet, l’analyse de Koblyakov et la description de la multiplication d'accords répondent à autant de questions qu'elle en soulève. Au fur et à mesure qu'elle était connue et que de nouvelles analyses d'autres auteurs étaient publiées, la reconnaissance de la technique a suscité différentes réactions de la part de la communauté académique.
Fred Lerdahl soutient qu'un compositeur expérimenté comme Boulez ne concevrait pas un système sans que celui-ci lui permette de tirer le meilleur parti de son intuition et de son expérience musicale. Pour cette raison, avec la technique de multiplication, « Boulez avait l'objectif intellectuellement moins ambitieux de développer un système qui pouvait juste produire une quantité de matériel musical ayant une certaine consistance. » Ce matériel serait façonné « plus ou moins intuitivement, en utilisant à la fois son oreille et diverses contraintes non reconnues. » Pour Lerdahl, comme la révélation du rôle de la technique n'a pas changé la façon dont les gens écoutent Le Marteau, elle a eu l'effet déroutant de manifester « l’énorme écart entre le système de composition et le résultat cognitif23. »
D'autres observateurs ont adopté une position plus dure quant à l'intérêt lié à l'utilisation de cette technique. Par exemple, le compositeur et critique musical américain Kyle Gann a récemment formulé ce commentaire :
« Ce que je ne vois pas, c'est pourquoi cette méthode de génération de hauteurs a un avantage significatif sur les procédés de hasard de Cage, que Boulez a rejetés avec tant de véhémence. Je ne vois pas le rapport avec l'objectif ostensiblement unificateur de la série de 12 tons, et puisque Boulez y joue comme des collections non ordonnées, et que deux d'entre elles se succèdent à un moment donné de manière extrêmement rapide (une collection occupe rarement plus de deux temps à la noire = 168), je ne vois guère à quoi sert ce processus incroyablement alambiqué24. »
Les analyses pionnières consacrées au Marteau par Koblyakov et Robert Piencikowski25 ont été suivies par des ouvrages importants écrits par Thomas Bösche26 et Ulrich Mosch27. Depuis lors, une vaste et riche littérature sur Le Marteau et la technique de multiplication a été établie. Par exemple, la thèse de Stephen Heinemann a offert une interprétation permettant de résoudre les contradictions qui semblaient exister dans les approches précédentes sur la multiplication d'accords. Il a formalisé trois opérations, la multiplication simple, la multiplication composée et la multiplication complexe, pour reproduire les différents exemples de Penser la musique et les schémas précompositionnels du troisième cycle du Marteau, l'Artisanat Furieux28 .
En 2006, les professeurs Jean-Louis Leleu et Pascal Decoupet de l'Université de Nice ont publié un ouvrage remarquable, avec le soutien des manuscrits de la Fondation Paul Sacher, Pierre Boulez, techniques d’écriture et enjeux esthétiques (Éditions Contrechamps, 2017), où l'on peut trouver des exemples d'application de la multiplication d'accords analysés en profondeur, y compris Le Marteau Sans Maître29 . Dans un article publié en 2014, Ciro Scotto a montré que la « Transpositional Combination » et la multiplication d'accords sont en effet des opérations équivalentes au plan mathématique30 . Parmi les articles récemment publiés, la professeur Catherine Losada de l'université de Cincinnati a révélé de nouveaux aspects de la technique de multiplication et de nouveaux exemples d'application dans les œuvres du compositeur français 31 .
Bien que le vide opérationnel ait été comblé et que la boîte noire semble ouverte, la dialectique liée à la façon dont Boulez a utilisé la technique de multiplication, comme un des intermédiaires possibles pour formuler sa pensée musicale, continuera à inspirer de nouvelles contributions.
[1] Ce texte est une traduction d'un article rédigé en anglais et publié à l'origine sur la revue catalane Sonograma Magazine. http://sonograma.org/2020/06/a-few-retrospective-remarks-on-boulezs-chord-multiplication/
[2] Cf. Piencikowski, R. (2003). Au fil des esquisses du Marteau. Mitteilungen der Paul Sacher Stiftung, 16, 12-17.
[3] Boulez, P. & Schaeffner, A. (1998). Boulez, P. & Schaeffner, A. (1998). Correspondance 1954-1970. Paris, Fayard. 1954-1970.
[4] Idem, p. 51.
[5] Goldman, J. (2007). Pierre Boulez. Available from: http://brahms.ircam.fr/pierre-boulez/parcours.
[6] Ligeti, G. (2017). Neuf essais sur la musique. Éditions Contrechamps.
[7] Idem, p. 83.
[8] Idem.
[9] Heinemann, S. (1993). Pitch-class set multiplication in Boulez's Le marteau sans maître (thèse). University of Washington.
[10] Hiller, L. A., & Baker, R. A. (1964). Computer Cantata: A study in compositional method. Perspectives of New Music, 62-90.
[11] Adorno, T. W. (1997). Aesthetic theory. A&C Black, p. 294.
[12] Lerdahl, F. (1992). Cognitive constraints on compositional systems. Contemporary Music Review, 6(2), p. 97.
[13] Piencikowski, R. Op. cit.
[14] Scotto, C. (2014). Reexamining PC-Set Multiplication, Complex Multiplication, and Transpositional Combination to Determine Their Formal and Functional Equivalence. Perspectives of New Music, 52(1), pp. 134-135.
[15] Griffiths, P. (2010). Modern music and after. Oxford University Press, p. 88.
[16] Goldman, J. (2011). The musical language of Pierre Boulez: Writings and compositions. Cambridge University Press, p. 83.
[17] Idem, p. 84.
[18] Griffiths, P. Op. cit., p. 92.
[19] Goldman, J. Op. cit., p. 84-85
[20] Goldman, J. Op. cit., p. 86.
[21] Heinemann, S. Op. cit., p. 5.
[22] Scotto, C. Op. cit., p. 137.
[23] Lerdahl, F. Op. cit., p. 98.
[24] Gann, Kyle. (2010). How to Care How It Was Made. http://www.kylegann.com/PC100621-How-to-Care.html.
[25] Piencikowski, R. (1977). René Char et Pierre Boulez: esquisse analytique du Marteau sans maître. Schweizer Beiträge zur Musikwissenschaft, 4, 1980, p. 193-263.
[26] Bösche, T. (1990). Einige Beobachtungen zu Technik und Asthetik des Komponierens in Pierre Boulez' 'Marteau sans maitre'", Musiktheorie 5/3, pp. 253-26
[27] Mosch, U. (1990). Disziplin und Indisziplin. Zum seriellen Komponieren im 2. Satz des Marteau sans maitre von Pierre Boulez", Muziktheorie 5/1 (1990), pp. 39-6.
[28] Heinemann, S. Op. cit.
[29] Leleu, J. L., & Decroupet, P. (Eds.). (2006). Pierre Boulez: techniques d'écriture et enjeux esthétiques. Contrechamps éditions.
[30] Scotto, C. Op. cit.
[31] Cf. Losada, C. (2008). Isography and Structure in the Music of Boulez. Journal of Mathematics and Music, 2(3), 135-155;
Losada, C. C. (2014). Complex Multiplication, Structure, and Process: Harmony and Form in Boulez's Structures II. Music Theory Spectrum, 36(1), 86-120.;
Losada, C. C. (2017). Between Freedom and Control: Composing Out, Compositional Process, and Structure in the Music of Boulez. Journal of Music Theory, 61(2), 201-242.
La notation musicale fait face à de nombreux défis posés par la création contemporaine. Les musiques spatialisées, les nouveaux instruments, les partitions interactives et temps-réel sont parmi les nouveaux domaines couramment explorés par les artistes. La notation musicale conventionnelle ne couvre pas les besoins de ces nouvelles formes musicales et de nombreuses recherches et approches ont récemment émergé, témoignant d’une certaine maturité des outils informatiques pour la notation et la représentation de la musique. Les problèmes posés par la spatialisation de la musique [1], par l’écriture pour de nouveaux instruments [2] ou de nouvelles interfaces [3] (pour n’en citer que quelques - uns), sont maintenant le sujet de recherches actives et de propositions originales.
Les musiques interactives et les partitions temps-réel représentent également un domaine en pleine expansion dans le champ de la création musicale. Les partitions numériques et la maturation des outils informatiques pour la notation et la représentation de la musique constituent les fondements du développement de ces formes musicales, souvent basées sur des représentations non traditionnelles de la musique [4, 5] sans toutefois occulter son usage [6, 7].
Le projet INScore
Le projet INScore, développé depuis plus d'une dizaine d'années par le laboratoire de recherche de GRAME-CNCM, a pour ambition d'adresser ces problématiques émergentes. INScore est un environnement pour la conception de partitions augmentées, dynamiques et interactives [8, 9], résultat de nombreux travaux de recherche qui traitent notamment de :
- l'extension de la notation musicale à des objets graphiques arbitraires,
- la synchronisation temporelle dans l'espace graphique,
- la notation dynamique et interactive,
- la représentation de l'interprétation,
- l'extension de la partition à des dimensions réseau
La conception d'une partition est basée sur un langage de script spécifique et, de ce fait, ces travaux adressent également le domaine des langages de programmation pour la description de la musique.
Des partitions étendues
L'environnement INScore est basé sur la notation symbolique et s'appuie sur le projet Guido (également développé à GRAME) : un moteur de rendu de partition en notation traditionnelle qui s'inscrit dans la lignée des outils de compilation de partition musicale. Ce moteur prend une description textuelle de la musique en entrée pour en produire une représentation graphique. Cette description textuelle est au format GMN (Guido Music Notation language), largement inspiré des langages de balisage et notamment de LaTex. Si l'approche textuelle de la notation musicale nécessite l'apprentissage de ce langage (un investissement pas nécessairement plus important que l'apprentissage d'un logiciel de gravure musicale), elle présente l'énorme avantage de pouvoir être calculée de manière algorithmique. De plus, l'efficacité du moteur Guido permet de calculer des partitions en temps-réel, concourant ainsi aux aspects dynamiques développés dans INScore. Ces capacités du moteur Guido peuvent être expérimentées avec son éditeur en ligne.
INScore permet d'étendre la notation symbolique, voire de la remplacer, avec des objets graphiques arbitraires : des images, du texte, du dessin vectoriel, de la vidéo. Tous ces objets, y compris la notation symbolique, ont le même statut d'objet musical et ont notamment une dimension temporelle identique (i.e. une date, une durée et un tempo). Cette absence de hiérarchie permet de synchroniser ces objets dans des combinaisons arbitraires.
Représenter le temps d'objets hétérogènes
Si le temps de la notation traditionnelle est explicite dans le symbolisme de la notation elle même, il n'en va pas de même pour les objets graphiques qui étendent la représentation de la musique. INScore met à profit la dimension temporelle homogène des objets de la partition pour fournir un système de synchronisation temporelle dans l'espace graphique, qui permet de représenter les relations temporelles entre ces objets. Si l'on imagine que chaque pixel d'un objet est porteur d'une date - la date de l'objet + l'interpolation de la position de ce pixel sur sa durée - le système de synchronisation permet potentiellement d'aligner graphiquement tous les pixels de deux ou plusieurs objets, portant la même date. La conception d'un curseur se positionnant à la date courante d'une partition relève alors d'une simple commande de synchronisation. Mais avant tout, il devient alors possible de raisonner dans l'espace temporel et donc dans une métaphore proche de la pensée musicale, le moteur de rendu se chargeant automatiquement de traduire les dimensions temporelles dans l'espace graphique.
Des partitions dynamiques et interactives
La notion de tempo fait partie intégrante de la dimension temporelle des objets. Par défaut, ce tempo est à zéro : l'objet est immobile dans le temps. quand la valeur du tempo n'est pas nulle, l'objet se déplace alors dans le temps à la vitesse spécifié par son tempo. A noter que la valeur associée au tempo est signée : elle peut donc être négative, l'objet va alors remonter le temps. Associée au système de synchronisation, l'utilisation du tempo permet de créer des partitions dynamiques, dont la forme et le contenu peuvent évoluer dans le temps de manière autonome.
Un système d'interaction vient complémenter ces aspects dynamiques. Le temps d'une partition, conçu comme un temps musical, relatif à un tempo, peut également être événementiel, c'est-à-dire relatif à des événements non datés, qui peuvent être programmés de manière arbitraire. Parmi ces événements figurent ceux classiques des interfaces utilisateurs (comme les click de souris par exemple) mais également des événements temporels, dont l'occurence dépend du déroulement du temps. Chaque objet de la partition est donc capable de surveiller des événements arbitraires, y compris dans le domaine temporel : à chaque événement est associé un ensemble de messages qui seront émis à chaque occurence de l'événement. Ces messages, exprimés dans le langage de script d'INScore, permettent potentiellement de re-programmer tout ou partie de la partition.
Représenter l'interprétation musicale
Pouvoir associer une représentation de l'interprétation musicale à la partition correspondante ouvre des perspectives nouvelles, notamment dans le domaine de la pédagogie musicale [18]. Dans l'environnement d'INScore, l'interprétation musicale est vue comme un signal audio ou gestuel (i.e. provenant de capteurs gestuels). INScore fournit des objets signaux qui permettent de créer une grande variété de représentations de ces signaux en les combinant et en créant des signaux graphiques qui sont en fait l'assemblage de 6 signaux : le premier contrôlant la position en 'y', le second la hauteur du trait dessiné en 'y', les 4 autres déterminant la couleur selon le modèle HSBA.
La simple combinaison d'une analyse audio de la fréquence fondamentale et des valeurs RMS, permet de créer un courbe pouvant représenter à la fois la hauteur et les articulations du jeu du musicien. Un signal graphique étant un objet musical ayant le même statut que les autres, il possède donc une dimension temporelle qui permet par exemple de le synchroniser, et donc de le mettre en regard de la notation.
Les dimensions réseau de la partition
INScore a été initialement conçu pour être piloté par des messages Open Sound Control [OSC], dont le format est défini par un protocole de communication réseau adapté au temps réel et couramment utilisé par les applications musicales pour des besoins de contrôle et/ou d'échange de données. L'environnement INScore est de ce fait particulièrement adapté aux réseaux et l'échange de messages entre partitions INScore peut se faire de manière native. Cela permet d'utiliser par exemple et de manière simple (avec une commande de réexpédition), une partition pour piloter un ensemble de partitions réparties sur un réseau local, ou encore de construire un système musical distribué sur un modèle client/serveur [19].
Une partition peut également embarquer un serveur web, la rendant ainsi accessible depuis internet et permettant également son pilotage depuis un navigateur. A l'inverse, les objets d'une partition peuvent faire référence à des ressources distribuées sur Internet, de manière similaire à un navigateur qui peut agglomérer des contenus provenant de différents sites Web.
Enfin, une version en ligne de l'environnement INScore est désormais disponible, permettant de s'affranchir des particularités des systèmes d'exploitation et de le rendre disponible sur toutes les plates-formes, sans installation.
Le langage de script d'INScore
Une partition INScore est décrite dans un langage de script spécifique. Ce langage est constitué d'une forme textuelle des messages OSC, étendue avec des notions de variables, des primitives de contrôle, ainsi que des primitives de composition de partitions symboliques. Le script suivant permet de décrire la partition ci-dessous de manière très concise :
/ITL/scene/title set txt "This is my first score !";
/ITL/scene/title scale 3;
/ITL/scene/title y -0.6;
/ITL/scene/title fontFamily Zapfino;
/ITL/scene/frame set rect 1.5 0.5;
/ITL/scene/frame color 230 230 230;
/ITL/scene/score set gmn '[ \meter<"4/4"> \key<-1> a f g c c g a f ]';
/ITL/scene/score scale 0.6;
Le compositeur Davor Branimir Vincze termine actuellement son doctorat de composition musicale à la prestigieuse université de Stanford en Californie. Il nous livre ici une description/analyse minutieuse d’une technique de synthèse sonore et de composition particulièrement Ircamienne, connue sous le nom de “synthèse concaténative par corpus”. Sous cette terminologie complexe se cachent des outils de composition (CatarT, mubu, Bach, Dada...), des compositeurs (Vincze lui-même, mais aussi Einbond, Trapani, Ghisi, Hackbarth), et des questions préoccupantes sur la place du compositeur à l'ère de l’intelligence artificielle. En effet, dans une interview exclusive, il élabore sur les nombreux points parallèles que l’on peut tisser entre ces techniques et celles du machine learning et de l’intelligence artificielle, dont on connaît l’essor récent, en particulier dans la Silicon Valley… L’interview est aussi l’occasion de nous faire découvrir sa très récente pièce “ Dark Room”, d’une fraîcheur et d’une virtuosité impressionnantes, dont on remarquera l’hybridation entre monde instrumental et électronique. Il y discute également ses études avec Brian Ferneyhough, son cursus de composition à Stanford, son esthétique, l’incontournable - quoique controversée - Jennifer Walshe, ou encore l’outil audioguide, qu’il utilise sans GUI... Il ne semble donc plus si absurde aujourd'hui de composer en rentrant des lignes de commande directement dans le terminal.
Introduction
Au cours des vingt dernières années, la synthèse sonore concaténative, qui a vu le jour à la fin des années 1990 en tant qu'outil de conversion automatique du texte en parole, a lentement fait son chemin dans le domaine de la musique. Une fois ces outils musicaux développés, divers compositeurs ont manifesté un intérêt croissant pour l’intégration de cette technique de “synthèse concaténative basée sur corpus” dans leurs pratiques artistiques. Les dix dernières années ont vu un nombre croissant de pièces traitant des questions de mimétisme, de suivi de caractéristiques et de correspondance, le tout grâce aux progrès réalisés dans divers domaines de l'intelligence artificielle faible (par exemple Wekinator, Lyrebird AI, etc.), technologie sur laquelle repose également la synthèse concaténative (plus précisément les modèles de Markov cachés - HMM Hidden Markov Models1). Dans ce chapitre, j'aborderai deux sujets :
- Explication de la synthèse concaténative et de son application à la musique.
- Définition de la mosaïque musicale (ou audio), du collage et du montage, fournissant quelques aperçus sur des pièces que je considère comme précurseurs des idées esthétiques qui sous-tendent la mosaïque musicale.
1 Synthèse concaténative vocale
La synthèse sonore concaténative est issue de la recherche dans le domaine de la synthèse vocale (Schwarz, 2006). Il existe généralement trois types de synthèse de la parole, également appelés:
- la forme d'onde (ou articulatoire)
- formant (ou filtre source) et
- la synthèse vocale concaténative.
Les deux premières ne feront pas l'objet de notre discussion, mais il est intéressant de noter qu'elles sont le résultat de recherches antérieures et qu'elles sont toutes deux synthétisées artificiellement ex nihilo selon un ensemble de paramètres, c'est pourquoi elles sont également qualifiées de synthèse paramétrique. Ces techniques donnaient un résultat plutôt robotique, même si elles étaient proches de l'imitation de la voix humaine, ce qui explique pourquoi la parole concaténée est devenue très populaire dès son apparition. Même si sa prosodie manque de relief lorsqu'elle est utilisée avec une petite base de données, elle a la chaleur de la voix humaine réelle qui fait défaut aux autres techniques. Cela était dû au fait que la technique de concaténation, plutôt que de synthétiser la parole à partir de la case départ, utilisait des unités préenregistrées de parole humaine réelle, stockées sous forme de phonèmes, de diphones, de mots et/ou de phrases dans sa base de données. L'inconvénient évident est que la qualité de la parole produite artificiellement dépend fortement de la taille de cette base de données, qui, étant principalement basée sur des enregistrements de locuteurs professionnels lisant des textes sur une feuille de papier, tend alors à manquer d'expressivité.
Figure 1 - Structure générale du système de synthèse vocale basé sur Schwarz, 2004, 15
Comment fonctionne donc la synthèse vocale concaténative? Comme le montre la figure 1, lors de la saisie d'une phrase de n'importe quel type de texte, qui est essentiellement un ensemble de codes ASCII, ces chiffres doivent être symbolisés et transformés en mots. L'étape suivante est l'analyse linguistique de ces mots, qui effectue "une analyse phonétique, phonologique, morphologique et syntaxique pour reconstruire l'arbre syntaxique de la phrase marquée avec les informations de la partie du discours (POS), c'est-à-dire la classe grammaticale, l'inflexion et la fonction de chaque mot". Le processus de génération des paramètres suit, dans lequel "les caractéristiques suprasegmentales de la phrase sont calculées, telles que la courbe de hauteur globale, les accents de hauteur, la courbe d'intensité" (Schwarz, 2004, 16). Cela complète la conversion d'un texte aléatoire en quelque chose que toute technique de synthèse de forme d'onde peut utiliser pour générer de la parole artificielle.
Dans le cas de la synthèse concaténative, l'étape suivante consiste à rechercher la meilleure unité à partir de la base de données de parole, suivi par un algorithme effectuant la concaténation, et enfin des outils de traitement de signal (DSP) pour faciliter la transition et éviter les clics entre unités adjacentes. Ensuite, je me concentrerai sur la façon dont cette technique a été mise en œuvre, (Schwarz 2004) ou un aperçu de (Khan 2016).
Figure 2 - Classes de méthodes de synthèse musicale basées sur Schwarz, 2004, 23
Par analogie avec la synthèse vocale, la synthèse sonore peut également être divisée en synthèse paramétrique et concaténative, la première contenant à la fois le signal et la modélisation physique. La modélisation physique, tout comme la synthèse articulatoire de la parole, utilise l'ordinateur pour imiter mathématiquement les lois et les conditions physiques dans lesquelles un instrument particulier émet son son. La modélisation du signal, en revanche, peut créer un son souhaité soit en ajoutant des ondes sinusoïdales les unes sur les autres, soit en soustrayant des parties de bruit blanc, ce qui est très similaire au principe de la synthèse source-filtre. Les techniques susmentionnées sont relativement anciennes, et ont été créées à des moments où il aurait été impossible de stocker et d'exploiter un grand ensemble de données, comme l'exige la synthèse concaténative du son. Dans la figure 2, nous pouvons voir que Schwarz considère l'échantillonnage2 et la synthèse granulaire3 comme faisant partie de la synthèse concaténative, uniquement limitée à l'inventaire fixe, ce qui permet de classer ces dernières comme une synthèse concaténative pouvant effectuer une sélection d'unités. Même si je suis en accord avec la classification de Schwarz, puisque l'échantillonnage et la synthèse granulaire partagent certaines qualités avec la technique concaténative basée sur un corpus, je ferai toujours référence à cette dernière simplement comme synthèse concaténative sonore (CSS) afin d'éviter toute confusion dans les paragraphes qui suivent.
Quelques années avant et pendant le début des années 2000, plusieurs tentatives intéressantes ont été réalisées pour mettre en œuvre le concept de systèmes pilotés par les données comme la synthèse vocale concaténative pour générer une voix chantée artificielle, un instrument solo ou de la musique en général. La plupart de ces tentatives ont été des expériences isolées qui ont été abandonnées ou qui n'ont pas abouti à des outils pleinement développés et qui, en tant que telles, présentent peu d'intérêt pour cette discussion. J'aimerais néanmoins signaler un projet de Zils et Pachet datant de 2001, car ils ont inventé le terme de mosaïque musicale4 (ou mosaicking) que j'utiliserai dans la dernière partie de cet article. Ils y ont créé un mécanisme de génération de séquences capable de récupérer des échantillons dans une grande base de données en respectant certaines propriétés (hauteur moyenne, percussion, volume sonore et timbre). Grâce à ce mécanisme, ils ont pu remixer automatiquement les chansons. Un article de Schwarz datant de 2015 donne un aperçu complet des autres premières applications du CSS.
2 Synthèse concaténative sonore
Je voudrais ici expliquer l'application du CSS à la musique par Diemo Schwarz, car son engagement au sein de l'IRCAM5 semble avoir été un terrain fertile pour le développement d'outils comme CataRT et MuBu, utilisés par trois des cinq compositeurs que je présenterai dans le prochain chapitre, ainsi que pour le mentorat de Benjamin Hackbarth, dont je vais également analyser la musique, dans la création de l'audioguide.
Avant d'entrer dans le vif du sujet, voici une liste de termes qui doivent être définis pour mieux comprendre le processus de synthèse concaténative des sons :
- Le corpus est généralement synonyme de la partie de la base de données présélectionnée pour une synthèse spécifique.
- La cible (target) peut être soit symbolique (un fichier MIDI avec des paramètres supplémentaires), soit un fichier audio, qui servent de modèles pour la recherche d'unités.
- Les descripteurs, ainsi que les caractéristiques connues (si elles sont constantes) ou les vecteurs de caractéristiques (si elles évoluent dans le temps), sont des qualités d'unité sonore en fonction desquelles elles sont comparées lors de la recherche d'unités.
Le premier problème du transfert de CS de la parole au son est que les unités de parole (lettres, syllabes, mots) sont clairement définies avec la grammaire de la langue et peuvent être segmentées en conséquence. Ce n'est bien sûr pas le cas en musique, même si l'on peut utiliser la note comme unité unique (à condition d'avoir la partition qui l'accompagne), comment automatiser une segmentation de morceaux de musique polyphoniques ou lorsqu'il n'y a pas de partition, dans le cas de field recordings par exemple ? Pour résoudre ce problème, Schwarz a utilisé la méthode DTW (Dynamic Time Warping) dans le cas d'une musique avec une partition MIDI correspondante (où le système calcule la distance entre la partition et le cadre d'exécution dans une matrice à deux dimensions), ou la méthode HMM (Hidden Markov Models) qui permet d'analyser l'audio avec et sans partition d'accompagnement (dans ce cas, la partition est créée sous forme de fichier SDIF à partir de l'analyse audio). Pour plus d'informations sur le cadre mathématique de ces méthodes, voir les thèses de doctorat de Schwarz de 2004, notamment les chapitres 6 et 7.
Le prochain grand problème à résoudre est la définition des descripteurs. Schwarz les classe en trois niveaux :
- Les descripteurs de bas niveau qui sont "extraits des sons sources par des méthodes d'analyse de signaux”,
- Les descripteurs de niveau intermédiaire qui sont "dérivés des mesures absolues des descripteurs de bas niveau, mais qui sont transformés pour correspondre à la perception humaine" et
- “Les descripteurs de haut niveau qui ont un sens musical, [et] sont généralement attribués à des unités par l'utilisateur, ou sont donnés par la partition".
et trois types :
- Les descripteurs de catégorie "expriment l'appartenance d'une unité à une catégorie ou à une classe" ainsi que leurs sous-classes comme le hautbois, qui est une sous-classe des bois, étant une sous-classe de instruments,
- des descripteurs statiques qui ont des valeurs constantes comme c'est le cas pour la hauteur de son MIDI, et
- Descripteurs dynamiques dont la valeur évolue dans le temps au sein d'une unité.
Contrairement aux catégories et aux statistiques, les descripteurs dynamiques varient dans le temps et doivent être mis en correspondance avec des valeurs dites caractéristiques avant de pouvoir être utilisés pour la requête et la sélection d'unités, mais tous les descripteurs sont finalement exprimés sous forme d'algèbre booléenne, d'entiers, de nombres réels ou de symboles (Schwarz, 2004, 85-99).
Une fois que les fichiers sonores sont segmentés en unités et analysés selon des descripteurs, qui concerne à la fois le corpus et les fichiers sonores cibles, ils sont stockés dans une base de données relationnelle6. Elles peuvent y être comparées en fonction d'une caractéristique donnée et la meilleure correspondance pour chaque unité cible peut être trouvée, principalement sur la base de la distance euclidienne dans l'espace des caractéristiques de la base de données relationnelle. L'étape suivante est la synthèse, qui concatène les meilleurs résultats de la recherche l'un après l'autre, en appliquant un court fondu enchaîné à chaque unité, afin que le fichier sonore résultant ait une transition douce entre les unités. Ensuite, nous ferons un bref aperçu de CataRT et MuBu, des outils qui traitent de la concaténation basée sur le corpus, et qui sont utilisés dans les pièces présentées dans le chapitre suivant. Des logiciels comme Dada et Audioguide seront brièvement expliqués dans des sous-chapitres sur leurs auteurs respectifs, Daniele Ghisi et Benjamin Hackbarth.
CataRT7 est à la fois une application autonome et un outil intégré dans le langage de programmation Max/MSP8. Il a été créé en 2006, "sur la base des développements précédents Caterpillar pour la synthèse sonore musicale concaténative pilotée par des données en temps non réel [...], et Talkapillar pour la synthèse artistique texte-parole, la concaténation hybride entre la musique et la parole, et les effets vocaux pilotés par des descripteurs ou sensibles au contexte" (Schwarz et al., 2006, 1). Les auteurs considèrent la synthèse granulaire comme une version rudimentaire de la synthèse basée sur un corpus, dont certains principes ont été conservés et développés, de sorte qu'au lieu de sélectionner des unités au hasard, CataRT sélectionne sur la base d'une pré-analyse effectuée sur une cible et une base de données. Le CataRT fait essentiellement ce qui a été décrit ci-dessus ; il crée un espace multidimensionnel de descripteurs et le peuple d'unités sonores. Pour introduire des données dans le corpus, soit toutes les données (audio, marqueurs de segments, descripteurs bruts) sont chargées à partir de fichiers pré-analysés, soit les descripteurs sont analysés dans CataRT et une étape supplémentaire de détection de début segmente les fichiers sonores" (Schwarz et al., 2006, 2). Par souci de simplicité, l'espace multidimensionnel est représenté comme un espace bidimensionnel dans l'interface de CataRT, dans lequel l'utilisateur peut attribuer n'importe quel descripteur aux axes x et y, et verra un groupe de points représentant les unités sonores (voir image 1). Le CataRT peut être utilisé de différentes manières :
Synthèse granulaire exploratoire : en déplaçant la souris sur l'affichage des unités sonores, celles-ci sont restituées sous forme de nuages sonores continus.
Synthèse contrôlée par les gestes - les paramètres des gestes peuvent être cartographiés et mis à l'échelle dans un espace descriptif multidimensionnel et un contrôle plus fin qu'avec la souris peut être obtenu.
Synthèse contrôlée par l'audio - le fichier sonore ou l'audio en direct est analysé, segmenté et resynthétisé à partir des meilleures unités correspondantes trouvées dans la base de données.
Le résultat sonore peut être soit enregistré pour une utilisation et une manipulation ultérieures, soit produit en direct tel quel ; ces deux options ont été explorées dans les pièces présentées dans le chapitre suivant.
Image 1 - Interface du CataRT ; à gauche, les options de configuration et à droite, une représentation bidimensionnelle des unités sonores selon deux descripteurs.
MuBu9 (abréviation de Multi Buffer) est un type spécial de structure de données dans Max qui, outre le stockage de sons échantillonnés, stocke également toutes les données connexes telles que les marqueurs, les descripteurs, les partitions, etc. Le souhait des auteurs était de créer "un conteneur générique qui peut représenter et donner accès à tout type de données, mais qui permet également l’implémentation de méthodes d'accès et de traitement spécifiques pour les pistes de types de données particuliers" (Schnell, 2009, 1). L'interface graphique, comme on peut le voir sur l'image 2, crée un index pour chaque marqueur sonore et le présente sous forme de forme d'onde, mais elle peut afficher de nombreuses données supplémentaires (comme des marqueurs, des valeurs de descripteur, des moyennes, etc. Chacun de ces onglets est facilement accessible et modifiable. Comme il ressort clairement de cette description, MuBu est un outil complexe doté de multiples fonctionnalités, le CSS n'étant que l'une d'entre elles. Le cœur du CSS dans MuBu est le moteur ZsaZsa pour l'analyse et la synthèse audio basé sur la transformation de Gabor10. On peut l'utiliser comme un simple synthétiseur granulaire, en mélangeant en boucle ou au hasard par l'index des segments, mais on peut aussi rechercher le meilleur segment selon un ensemble de règles, un modèle statistique ou des similarités entre le signal entrant et les segments de la base de données. Un des atouts de MuBu consiste à pouvoir toujours ajouter des sons au multi buffer, ce qui enrichit la base de données. Il y a quelques années, un autre moteur appelé PiPo (Plugin Interface for Processing Objects) a été ajouté, permettant ainsi au CataRT de fonctionner dans MuBu. Pour plus d'informations sur PiPo, voir (Einbond, 2016).
Image 2 - Interface de MuBu ; est affiché le son utilisé comme corpus ; vous pouvez utiliser votre voix ou un autre fichier sonore pour contrôler la synthèse concaténative.
3 Références
Einbond, Aaron, Diemo Schwarz, Riccardo Borghesi, et al. “Introducing CatOracle:
Corpus-Based Concatenative Improvisation with the Audio Oracle Algorithm.”
International Computer Music Conference (ICMC), edited by Hans Timmermans,
HKU University of the Arts Utrecht, HKU Music and Technology, 2016, pp. 141–147.
https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-01427364.
Khan, Rubeena A. “Concatenative Speech Synthesis: A Review.” International Journal of Computer Applications, vol. 136, p. 6.
Schnell, Norbert, et al. MuBu & Friends - Assembling Tools for Content Based Real-Time Interactive Audio Processing in Max/MSP. 2009, p. 4.
Schwarz, Diemo. “Concatenative Sound Synthesis: The Early Years.” Journal of New Music Research, vol. 35, no. 1, Taylor & Francis (Routledge), 2006, pp. 3–22.
----------. Data-Driven Concatenative Sound Synthesis. 2004.
1 Pour plus de détails, voir Schwarz, 2004, chapitre 7
2 L'échantillonnage est un terme utilisé pour la technique de synthèse sonore dans laquelle un dispositif appelé échantillonneur peut "enregistrer numériquement des sons et les reproduire, en appliquant une transposition, des changements de volume et des filtres". En général, le son enregistré est une note d'un instrument acoustique, qui est ensuite associée au clavier de l'échantillonneur" (Schwarz, 2004, 26).
3 Granular synthesis is also a sound synthesis technique that uses small portions of sound called grains as building blocks for creation of sound objects. A pre-recorded sound gets segmented into grains, which can get modified in some way and subsequently reassembled according to a new time order (Roads 2001).
4 Dans leur article original, Zils et Pachet tapent mu- et mosaic[k]ing sans la lettre k qui est incorrecte selon le standard de la langue anglaise, je vais donc emprunter le terme, mais l'utiliser avec une orthographe correcte qui inclut la lettre k.
5 L'IRCAM (Institut de Recherche et de Coordination en Acoustique/Musique) est un institut de musique électronique basé à Paris, fondé en 1977 par Pierre Boulez et responsable de travaux pionniers dans le domaine du traitement audio, dont l'invention du langage de programmation Max.
6 La base de données relationnelle a été développée par Edgar "Ted" Code chez IBM en 1970, et au fil du temps, elle est devenue un standard, car elle était plus pratique que les bases de données hiérarchiques ou en réseau utilisées auparavant.
7 Vous trouverez ici un lien vers un court fichier audio, suivi d'un son créé avec celui-ci en CataRT. https://app.box.com/file/671509923167?s=q9ahz6viqh0km7qbiv14noznfxyk0vy8
8 Max/MSP, également connu sous le nom de Max, est un langage de programmation visuel basé sur des objets pour la musique et le multimédia, actuellement sous licence de la société de logiciels Cycling 74, basée sur la SF, initialement développé à l'IRCAM par Miller Puckette. Sur un canevas visuel appelé patcheur, un utilisateur peut créer et connecter des objets qui permettent le flux de données entre les entrées et les sorties de divers objets, qui sont, pour le dire simplement, soit des fonctions d'exploitation soit des classes de stockage des données.
9 Vous trouverez ici un lien vers un fichier sonore dans lequel vous entendrez d'abord le son cible, puis le son résultant, et enfin les deux sons joués simultanément. https://app.box.com/file/671510647072?s=y4ncrtfm6goo65vbzmyvjz28ajk5sq3h
10 Dennis Gabor était un physicien et ingénieur électrique hongro-britannique, connu pour son invention de l'holographie. Ses contributions ont également été vitales pour le développement de l'analyse temps-fréquence.
“Je pense que c’est plutôt bon signe”, résume Atau Tanaka, à la fois enseignant/chercheur
et artiste/musicien , au sujet de l’organisation de ces journées intitulées “recherches en
musique”, même s’il ne pourra s’empêcher de remarquer que, dans le monde anglo-saxon
comme aux Pays-Bas, la recherche artistique en musique existe déjà depuis plus de dix
ans...
La recherche française a, certes, depuis peu et dans certains domaines, des difficultés à
rester dans la course effrénée de celle de l’ english-speaking world . Cependant, par son
histoire, ses prestigieux conservatoires, sa tradition musicale et musicologique, ses
nombreux festivals ou encore son régime d'intermittence, la France reste un modèle dans le
domaine de la création artistique, et de la musique en particulier.
Le retard français évoqué ici et là dans ces journées ne concerne donc pas la production
artistique, l’enseignement de la musique, ou encore les nombreux champs de connaissance
appliqués à celle-ci (comme, pour ne citer que quelques exemples, l’organologie,
l’acoustique ou l'ethnomusicologie), mais plutôt probablement la division historique entre
musique et musicologie dont notre pays aurait du mal à se défaire: c’est la préposition “en”
dans “recherche en musique” qui pose problème. L’étudiant de conservatoire supérieur
considère encore aujourd’hui la recherche comme une matière facultative, et le
musicologue, s’il a bien pour objet d’étude principal la musique, peut encore difficilement
présenter sa pratique artistique comme aboutissement ou mise en évidence de son
investigation scientifique. Kathleen Coessens , directrice du conservatoire de Bruxelles
(Koninklijk Conservatorium) et auteure du texte fondateur The artistic Turn , ainsi que Peter Dejens , fondateur et directeur de l’Orpheus Instituut de Gand (dont nous transcrirons le
grand témoignage au prochain numéro), nous livrent ici quelques clefs sur les
méthodologies de recherche propres au domaine musical.
Les 15 et 16 octobre derniers, le conservatoire supérieur de musique et de danse de Paris
(CNSMDP) et le campus Pierre et Marie Curie de l’université de la Sorbonne ont donc
accueilli les Rencontres nationales sur les recherches en musique , rassemblant, sous
l’égide du ministère de la Culture et de la Direction générale de la création artistique, de
nombreux artistes et chercheurs venus présenter leurs travaux comme témoins de la
multiplicité et de la convergence des réflexions. Les communications proposées portaient
sur un choix de quatre thématiques :
● l’articulation entre recherche scientifique et pratique artistique, notamment le rôle
des compétences de type musical (instrumentales, compositionnelles, etc.) au
sein d’une démarche de recherche portant sur la musique ;
● les nouvelles formes de recherche des musiciens sur leurs pratiques
(composition, interprétation, pédagogie), et les enjeux épistémologiques et
technologiques de ces recherches expérimentales sur la musique ;
● les impacts et les applications de la recherche en musique dans le champ de la
création musicale, de l’interprétation, de la pédagogie musicale, de la médiation,
de l’industrie ;
● les enjeux et les modalités de la formation à la recherche des musiciens en
France et à l’étranger, avec une attention portée aux doctorats de création en
composition, interprétation, pédagogie, médiation, acoustique.
Ces grandes orientations - précisées par un ensemble de sous-thématiques - révèlent la
volonté d’un dialogue entre spéculations universitaires et pratiques concrètes, où les
interventions scientifiques répondent aux retours d’expériences ; un affichage de posters
venait enrichir les prises de paroles, offrant une vitrine bienvenue aux grands centres de
recherches français invités à communiquer les résultats ou l’avancé de leurs travaux.
Nos premières louanges vont à la réelle diversité des intervenants, praticiens comme
spécialistes : les communications les plus variées témoignent d’une cohérence et d’un
dynamisme dans la recherche musicale en France, soucieux d’intégrer les nouvelles
technologies pour mieux traiter certaines problématiques contemporaines. Ainsi, la
présentation d’Octavia Rioual interroge les liens entre la culture sourde et les possibilitées
d’amplifications du sons par certaines technologies récentes, ou la générations de stimulis
visuels à partir d’un matériau sonore, ouvrant dès lors la voie à tout un ensemble de
perceptions inédites. https://recenmus.sciencesconf.org/335081/document
La recherche se met aussi au service de l’éducation : ses liens avec la pédagogie en milieu
scolaire nous sont expliqués par Aurélia Domaradzka-Barbier, pour qui la connaissance des
mécanismes et des modèles issus de la recherche exploratoire de terrain ont permis une
meilleure appréhension des conditions d’enseignement propices à l’épanouissement des
élèves. https://recenmus.sciencesconf.org/334964/document
L’ethnomusicologie n’était pas en reste, et ces deux journées de conférences ont ménagé la
part belle aux interventions de François Picard ( Dans la tête du joueur de sheng ,
https://recenmus.sciencesconf.org/335247/document ) ou d’un collectif d’universitaires
présentant la diversité stylistique et technique du Khöömii mongol.
Pour prendre connaissance des très nombreuses autres communications, nous vous
renvoyons aux ressources en ligne, déposées sur un site dépendant du ministère de la
Culture : (https://recenmus.sciencesconf.org/ ), accessibles également depuis le programme
ci-dessous.
PROGRAMME
Jeudi 15 octobre:
Mot d’accueil par Emilie Delorme , directrice du Conservatoire national de musique et de
danse de Paris (CNSMDP)
Ouverture des Rencontres par Christian Lucien Martin , directrion générale de la
création artistique Ministère de la culture - ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche
Recherche et formation
Communications présentées par Nicolas Bucher , directeur du Centre de musique baroque
de Versailles
Formation à et par la recherche : développement de savoir-faire et de compétences
réflexives à travers quelques exemples de travaux d’étudiants en formation à
l’enseignement de la musique au Conservatoire national supérieur de musique et de
danse de Lyon (CNSMDL)
par Karine Hahn et Anne-Cécile Nentwig , cheffe de département et cadre pédagogique de la
Formation à l’Enseignement de la Musique, CNSMDL
Se former à l’enseignement instrumental/vocal en composant une pièce
pédagogique située hors de son expertise disciplinaire : enjeux et objectifs
didactiques
par Dominique Delahoche , trombone solo de l’Orchestre national de Metz et enseignant à
l’Ecole Supérieure d’Art de Lorraine (ESAL), Gérald Guillot , enseignant-chercheur en
ethnomusicologie, didactique de la musique et psychologie cognitive, associé aux laboratoires
Diversité et Evolution Culturelles et Institut de Recherche en Musicologie (IReMus) et Stéphanie
Houillon , professeure de musique, major de la promotion 2020 de l’ESAL
Appropriations du langage FAUST, de la pédagogie à la recherche et la création en
musique mixte, de l’université au conservatoire, sur le territoire de la Seine
Saint-Denis
par Alain Bonardi , maître de conférences en informatique et création musicale à l’Université Paris
8 et Céline Roulleau , pianiste et professeure de piano au Conservatoire de Saint-Denis
De la formation à la recherche documentaire au concept de « Music information
literacy » : quel est le rôle des bibliothécaires dans la formation à la recherche
artistique ?
par Lise Combier , étudiante à l’École nationale supérieure des sciences de l’information et des
bibliothèques et Morgane Milhat , cheffe du service de la médiathèque Nadia Boulanger du
CNSMDL.
Présentation des posters par Aurélie Helmlinger , co-directrice du Centre de recherche
en ethnomusicologie (CREM), équipe de recherche du Laboratoire d’ethnologie et de sociologie
comparative (LESC), membre de la Société française d’éthnomusicologie.
Session posters 1
La recherche dans la formation des musiciens et des musicienne
Table ronde , animée par Sylvie Pébrier , inspectrice musique à la Direction générale de la
création artistique, avec :
• Yves Balmer , professeur de méthodologie de la recherche et d’analyse au CNSMDP
• Carine Bonnefoy , pianiste, compositrice et professeure d’écriture jazz au Conservatoire à
rayonnement régional de Paris et au Pôle Supérieur de Paris Boulogne-Billancourt
• Kathleen Coessens , directrice du Conservatoire Royal de Bruxelles< (Koninklijk Conservatorium
Brussel) 2/ Intervention Sur l’allocation du budget de recherche au conservatoirde de Bruxelles
• Jacques Moreau , ancien directeur des études musicales du CNSMDL, directeur du Centre de
formation des enseignants de la musique d’Auvergne Rhône-Alpes
Recherche et interprétation
Communications présentées par Theodora Psychoyou , enseignante-chercheuse en
musicologie à Sorbonne Université, membre de l’IReMus, membre du conseil d’administration de la
Société française de musicologie
Un office des vêpres pour la Saint-Vincent de Soignies par Pierre-Louis Pollio :
retour sur une expérience scientifique, pédagogique et artistique unique
par Jean-Christophe Revel , organiste-concertiste, responsable pédagogique du département
de musique ancienne du Conservatoire à rayonnement régional de Paris et Nathalie
Berton-Blivet , ingénieure d’études à l’IReMus (CNRS)
Immersion musicale en acoustique patrimoniale immersive : reproduire les gestes
d’interprétation des musiques patrimoniales dans un environnement numérique
par Julien Ferrando , maître de conférences en musique ancienne et nouvelles technologies à Aix
Marseille Université et chercheur au laboratoire Perception, Représentations, Image, Son, Musique
(PRISM-CNRS) et Julie Deramond , maître de conférences en sciences de l’information et de la
communication à l’Université d’Avignon et membre du Centre Norbert Elias
Le Human Beatbox, un langage musical
par Nathalie Henrich-Bernardoni , directrice de recherche au Gipsa-Lab (CNRS-Université
Grenoble Alpes), cheffe de choeur et chanteuse et Nicolas (Tiko) Giemza , musicien, beatboxer
L’interprétation de la musique acousmatique: enregistrement, analyse, transmission
par Pierre Couprie , professeur de musicologie à l’université d’Évry/Paris-Saclay, chercheur,
membre du laboratoire Centre d’histoire culturelle des sociétés, Olivier Lamarche , musicien
interprète, ingénieur du son au sein de la compagnie musicale Motus et Nathanaëlle
Raboisson , musicienne interprète, musicologue, responsable du MotusLab, laboratoire de
recherche de la compagnie musicale Motus et chercheure associée à l’IReMus.
Grand témoignage par Peter Dejans , directeur de l’Institut Orpheus de Gand
18h30 Performance de la Classe d’Improvisation Générative du CNSMDP , sous la
direction d’ Alexandros Markeas et Vincent Lê Quang
Vendredi 16 octobre:
Recherche-création et [nouvelles] lutheries
Communications présentées par Nathalie Hérold , ingénieure de recherche à l’Université de
Strasbourg, membre du Groupe de recherche expérimental sur l’acte musical et du laboratoire
Approches contemporaines de la création et de la réflexion artistiques de l’Université de Strasbourg,
vice-présidente de la Société française d’analyse musicale.
Le bureau du compositeur du XXIème siècle, projet de l’Université Côte d’Azur
par François Paris , compositeur et Camille Giuglaris , musicien, ingénieur du son, directeur
technique du Centre national de Création Musicale de Nice (CIRM)
Projet scientifique i-score et projet artistique Solo.K
par Myriam Desainte-Catherine , professeure d’informatique à Bordeaux INP, directrice du
Studio de Création et de Recherches en Informatique et Musiques Expérimentales (SCRIME) du
Laboratoire Bordelais de Recherche en Informatique (LaBRI) et Jean-Marie Colin , organiste,
compositeur, coordinateur de l’activité artistique du SCRIME
Mieux comprendre les musiciens pour leur fabriquer de meilleurs instruments : la
démarche de conception des becs de saxophone Syos
par Maxime Carron , pianiste, docteur en sciences cognitives et co-fondateur de l’entreprise Syos
Flûte baroque de Hotteterre – comparaison entre un fac-similé et une copie par
prototypage rapide
par Claudia Fritz , chercheuse au sein de l’équipe Lutheries - Acoustique - Musique de l’Institut
Jean le Rond d’Alembert, Mina Jang , flûtiste, membre de l’Ensemble Baroque Pas Sage, du duo
MJMK et de l’Ensemble OMNĒS et Stéphane Vaiedelich , chercheur, responsable du laboratoire
de conservation de recherche du Musée de la musique - Philharmonie de Paris
La pratique au coeur des démarches de recherche
Table ronde , animée par Christophe d’Alessandro , directeur de recherche au CNRS, chef
de l’équipe Lutheries - Acoustique - Musique de l’Institut Jean le Rond d’Alembert, avec :
● Jérôme Cler , maître de conférences en ethnomusicologie à Sorbonne-Université,
directeur de SAFAR, ensemble de musiques traditionnelles de Sorbonne Université
● Katarina Livljanić , professeure à la Schola Cantorum Basiliensis, musicologue,
directrice artistique de l’ensemble Dialogos
● Lara Morciano , compositrice, pianiste et chercheuse, membre du laboratoire SACRe
de l’Université Paris Sciences & Lettres
● Atau Tanaka , compositeur, performeur et professeur à la Goldsmiths University de
Londres
Présentation des posters coordonnée par Yann Orlarey , directeur scientifique du
GRAME-Centre national de création musicale de Lyon, membre du bureau de l’Association
française d’informatique musicale.
Recherches en pratique, pratiques de recherche
Communications présentées par Peter Sinclair , chercheur, enseignant à l’Ecole supérieure
d’art d’Aix en Provence, responsable du 3e cycle et du projet de recherche Locus Sonus rattaché à
l’unité mixte de recherche PRISM
Sons et mondes virtuels, l’exemple du projet New Atlantis
par Ludmila Postel , doctorante en Pratique et théorie de la création littéraire et artistique à Aix
Marseille Université, au sein du laboratoire PRISM
Towards a Practitioner Model of Mobile Music par Steve Jones , chercheur et musicien
électronique.
Musique modale populaire occidentale en zone tempérée, une pratique réfléchie de
la modalité et du tempérament inégal par Erik Marchand , artiste chanteur et directeur
artistique de l’association Drom et Ariane Zevaco , responsable pédagogique de l’association
Drom et ethnomusicologue.
Khöömii Mongol : diversité des styles et des techniques par Johanni Curtet , musicien,
ethnomusicologue, directeur artistique de l’association Routes Nomades, Nathalie
Henrich-Bernardoni , directrice de recherche au Gipsa-Lab (CNRS-Université Grenoble Alpes),
cheffe de choeur et chanteuse, Michèle Castellengo , directrice de recherche émérite au CNRS,
musicienne et acousticienne, Christophe Savariaux et Pascale Calabrèse
Le partage de la recherche en musique
Table ronde animée par Christophe Pirenne , professeur à l’Université de Liège, avec :
● Julie Donatien , doctorante en ethnomusicologie au CREM-LESC et co-réalisatrice
du web documentaire Inouï issu du projet Le patrimoine musical des Nanterriens
● Benoît Fabre , professeur d’acoustique à la faculté des sciences et d’ingénierie de
Sorbonne Université et directeur de l’Institut Collegium Musicæ
● Catalina Vicens , musicienne, chercheuse, professeure au Conservatoire Royal de
Bruxelles et directrice artistique de l’Ensemble Servir Antico
● Emmanuel Parent , maître de conférences en musiques actuelles et
ethnomusicologie à l’université Rennes 2, directeur de publication de Volume! la revue
des musiques populaires et président de l’IASPM-bfe (branche francophone de
l’association internationale pour l’étude des musiques populaires)
Grand témoignage par Cécile Davy-Rigaux , directeur de recherche du CNRS à l’Institut
de recherche en musicologie, présidente de la Société française de musicologie
Clôture des Rencontres par Christian-Lucien Martin , sous-directeur de
l’enseignement supérieur et de la recherche à la Direction générale de la création artistique
POSTERS
Ces sons qui nous envahissent , par Caroline Boë , Aix Marseille Université, PRISM - UMR 7061 ( téléchargeable
ici ).
Analyser les musiques improvisées collectives libres aujourd’hui , par Baptistine Marcel , Aix
Marseille Université, PRISM - UMR 7061 ( téléchargeable ici ).
L’énigme Ganassi : un projet de recherche et pratique vers une familiarité avec l’esthétique
de la Fontegara (1535) , par Tiago Simas Freire Haute école de musique de Genève et CNSMDL et William
Dongois , Haute école de musique de Genève ( téléchargeable ici ).
“L’interprète, l’éditeur et le musicologue. Autour de l’édition critique des sonates pour violon
et piano de Camille Saint-Saëns.” ,par Fanny Clamagirand , violoniste soliste, Vanya Cohen , Conservatoire à
Rayonnement Régional d’Amiens Métropole et Fabien Guilloux , IreMus – UMR 8223, Sorbonne Université (téléchargeable
ici). ( téléchargeable ici ).
Un nouveau bâtiment pour un nouveau type de conservatoire : exemple de la Cité de la
Musique de Romans-sur-Isère , par Marie-Hortense Lacroix , Cité de la Musique de Romans-sur-Isère
(téléchargeable ici).
Recherches en sciences de l’éducation musicale et pratiques de terrains : une lecture à
partir du Journal de Recherche en Éducation Musicale , par Adrien Bourg , Institut Catholique de Paris
(EA7403), IreMus - UMR 8223, Sorbonne Université et Centre de Recherche en Éducation de Nantes (EA2661), Sébastien
Durand , Université de Tours, aboratoire ICD - Université de Tours (EA 6297 ICD), Gérald Guillot , Pôle Musique et Danse
de l’ESAL, laboratoire DivEC et Odile Tripier-Mondancin , Institut National Supérieur du Professorat et de l’Education),
Université Toulouse-Jean Jaurès, Laboratoire LLA, CREATIS (ÉA 4152) ( téléchargeable ici ).
“La volière Projet de recherche / création associant des classes de CP, collèges, université,
conservatoires, avec la Biblothèque Nationale de France, l’Ensemble Intercontemporain.” , par
Fabrice Guédy , Atelier des Feuillantines, Université Paris Sciences et Lettres, Mélanie Ory , Education nationale,
enseignement lettres dans les classes UPE2A et Zouhir El-Amri , Education nationale, enseignement des mathématiques en
ZEP Sensible Zone prévention violence REP + ( téléchargeable ici ).
“Le séminaire PEEP [Pratiques de l’écoute, Écoute des pratiques] un lieu d’expérimentation
des pratiques de recherche et de création.” , par Elena Biserna , PRISM - UMR 7061, Jean Cristofol ,
PRISM - UMR 7061, Institut Méditerranéen de Recherches Avancées, Marseille, Christine Esclapez , Aix Marseille
Université, PRISM - UMR 7061 et Peter Sinclair , Ecole Supérieure d’Art d’Aix en Provence, Locus Sonus - PRISM - UMR
7061 ( téléchargeable ici) .
Réconcilier théorie et pratique dans l’enseignement de la musique: les cours d’Ars musica
au CNSMD de Lyon , par Barnabé Janin , CNSMDL ( téléchargeable ici ).
Pratiquer la musique en prison , par Michaël Andrieu , CFMI d’Orsay, Pôle Sup 93 ( téléchargeable ici ).
Membrane Computing et recherche artistique en composition musicale , par Alberto Carretero ,
Conservatoire Supérieur de Madrid et de Séville ( téléchargeable ici ).
AntesCollider, une approche pour l’écriture des musiques interactives , par José Miguel
Fernández , STMS-IRCAM, Sorbonne Université ( téléchargeable ici ).
Nouvelles interfaces numériques expressives : quelles notations pour les gestes
multidimensionnels ? , par Gaël Navard , Conservatoire de Nice et Jean-François Trubert , Université Côte d’Azur
( téléchargeable ici ).
“Compagnonnage Recherche-Création sur le temps long autour des concepts et
technologies de l’ACROE” , par Claude Cadoz , ACROE – ICA, Annie Luciani , ACROE – ICA, Nicolas
Castagné , ACROE – ICA, Giuseppe Gavazza , Conservatoire de musique de Cuneo, Hans Peter Stubbe , ACROE –
ICA, Ludger Brümmer , Institut de recherche ZKM et Francisco Huguet , Université de San Salvador ( téléchargeable ici ).
OCEN - Orchestre et Choeur Electro-Numérique de Sorbonne Université , par Hugues Genevois ,
équipe de recherche LAM de l’Institut Jean le Rond d’Alembert – UMR 7190. ( téléchargeable ici ).
Prévention des fatigues musculaires en agissant sur les éléments de lutheries : cas du
cordage de la harpe de concert , par Jean-Loïc Le Carrou , équipe de recherche LAM de l’Institut Jean le Rond
d’Alembert – UMR 7190, Delphine Chadefaux , Université Sorbonne Paris Nord, rattachée à l’Institut de Biomécanique
Humaine Georges Charpak (EA 4494) et Claude Pothrat , post-doctorante ( téléchargeable ici ).
Partitions et nouveaux médias : pour une approche sémiotique du codage des graphismes
musicaux , par Marina Maluli-César , IreMus-UMR 8223
Une étude interdisciplinaire pour recréer une flûte conique de transition , par Benoît Fabre ,équipe
de recherche LAM de l’Institut Jean le Rond d’Alembert– UMR 7190, Sorbonne Université, Jean-Yves Roosen , Roosen
Flûtes, Cassandre Balosso-Bardin , Patricio de la Cuadra et Camille Vauthrin
Le baryton du Musée de la musique, un exemple de recherche pluridisciplinaire en musique ,
par Jean-Philippe Echard , Musée de la musique-Philharmonie de Paris, CRC- USR 3224 – Sorbonne Université
( téléchargeable ici ).
“L’apparition des cordes sympathiques en Europe, instruments et répertoires associés : une
recherche interdisciplinaire nourrie par des pratiques musicales” , par Louise Condi , IreMus - UMR
8223, équipe de recherche LAM de l’Institut d’Alembert - UMR 7190, Musée de la Musique - Philharmonie de Paris
Le GSAM : rôle fédérateur dans la diffusion des recherches en acoustique musicale , par Jean
Loïc Le Carrou
Analyse acoustique de l’interprétation historiquement informée (2015-2018) , par Jeanne
Roudet , Sorbonne Université et Benoît Fabre
Recherches et Musiques au LMA , par Christophe Vergez , Laboratoire de Mécanique et Acoustique de
Marseille – UMR 7031 ( téléchargeable ici)
La disposition des chanteurs : un outil au service du choeur , par Pierre-Louis de Laporte , CNSMDL
( téléchargeable ici)
Spécificités de la musique klezmer à Paris : interprétation, contextes et transmission , par Alice
Mazen , Sorbonne Université ( téléchargeable ici )
Skini , par Bertrand Petit-Heidelein , équipe INDES - INRIA Sophia-Antipolis ( téléchargeable ici)
MotionKit La détection de mouvements dédié à l’apprentissage et à la découverte du geste
musical , par Sébastien Béranger , La Muse en circuit ( téléchargeable ici )
“Quelle bibliothèque pour les oeuvres de musiques électroacoustiques ? Ou : mais qui doit
sauvegarder les musiques mixtes ?” , par Serge Lemouton , IRCAM ( téléchargeable ici )
Le mixage binaural pour les musiques populaires enregistrées : réflexions et expériences
autour de la scène rennaise , par Judikaël Levin , Université Rennes 2 ( téléchargeable ici)
Retour d’expérience en recherche-création autour de la nouvelle version interactive
temps-réel de la pièce mixte Inharmonique (1977) de Jean-Claude Risset , par João Svidzinski ,
Maison des Sciences de l’Homme Paris Nord, Alain Bonardi , Université Paris 8, IRCAM, Antonio de Sousa Dias ,
Beaux-Arts - Université de Lisbonne et Hélène Fauchère , soprano soliste ( téléchargeable ici)
Micadôme: création, analyse et médiation thérapeutique de l’oeuvre de Jean Marc Duchenne
“Les paradoxes d’une sphère tronquée” , par Michel Pascal , Conservatoire de Nice, Frédéric Vinot ,
Université Côte d’Azur et Karen Derveaux , Université Côte d’Azur ( téléchargeable ici )
NebuloRitmia : une expérience de Pédagogie-Recherche-Création à l’Université Jean
Monnet (Lyon/Saint-Etienne) sur la composition musicale et les nouvelles lutheries , par
Laurent Pottier , université Lyon-Saint-Etienne et Luis Quintana , compositeur ( téléchargeable ici)
Démarches collaboratives de recherche et de création au croisement des lutheries
acoustique, augmentée et numérique: le projet ORBIS , par James Leonard , cellule de recherche ANIS
du laboratoire GIPSA-Lab – UMR 5216 et Arnaud Petit, orchestre « les siècles » ( téléchargeable ici)
SmartVox , par Jonathan Bell , Casa de Velázquez, Académie de France à Madrid ( téléchargeable ici )
“Constellations” : une expérience de Recherche/Création à l’Université de Saint-Etienne , par
Vincent-Raphaël Carinola , Ecole supérieure de musique Bourgogne Franche-Comté, laboratoire CIEREC de l’Université
de l’Université de Saint-Etienne ( téléchargeable ici)
Textes:
Lenox School of Jazz : moment fondateur de l'enseignement du jazz
Stéphane Audard UFR de Musique et de Musicologie - Faculté des Lettres de Sorbonne
Université Sorbonne Université UPMC Paris VI
https://recenmus.sciencesconf.org/334945/document
La recherche en musique sur le terrain scolaire
Aurélia Barbier, Recherche indépendante -
https://recenmus.sciencesconf.org/334964/document
Recherches en musique et composition : diversité des compétences et fertilité des
interactions , Amaury Duret, IReMUS UMR 8223 Institut de Recherche en Musicologie Paris
https://recenmus.sciencesconf.org/335029/document
Exemple de l'OEuvre pour violon de Karol Szymanowski et sa collaboration avec Paul
Kochański. Anna Maria Barbara, Sorbonne Université - IReMUS UMR 8223 Institut de
Recherche en Musicologie
https://recenmus.sciencesconf.org/335027/document
Créativité, analyse, émergence : systèmes d'interaction dans le dialogue
compositeur-musicologue
Lissa Meridan, Atelier de Recherches Transdisciplinaires Esthétique et Sociétés (ARTES)
CLARE, Gérard Pape
https://recenmus.sciencesconf.org/334946/document
Dans la tête du joueur de sheng
François Picard : Institut de Recherche en Musicologie (IReMus) -
https://recenmus.sciencesconf.org/335247/document
Trouver ma voie : dialogue entre chant et recherche
Waed Bouhassoun Laboratoire déthnologie et de sociologie comparative (LESC)
Université Paris Nanterre : UMR7186, Centre National de la Recherche Scientifique :
UMR7186
https://recenmus.sciencesconf.org/333371/document
L'atelier intellectuel du compositeur : L'autoanalyse comme outil de recherche scientifique et
de création musicale contemporaine.
Iván Adriano Zetina, Institut de Recherche en Musicologie (IReMus)
https://recenmus.sciencesconf.org/browse/author?authorid=836441
Von denen Bier = Fidlern. Pour une restitution de musique populaire ancienne
Cyril Lacheze (1), Marion Weckerle (2)
1 : Institut d'histoire moderne et contemporaine (IHMC) - Site web
CNRS : UMR8066, École normale supérieure [ENS] - Paris, Université Paris 1 -
2 : Université Paris 1, Panthéon-Sorbonne - UFR Histoire (UP1 UFR09) - Site web
Université Paris I - Panthéon-Sorbonne, équipe d'Histoire des Techniques
Centre d'Histoire des Techniquehttps://recenmus.sciencesconf.org/335198/document
Femme en contre-jour, Ingrid Kuntzmann
https://recenmus.sciencesconf.org/335115/document
De la musique dans la culture sourde : impact des nouvelles technologies sur de nouvelles
pratiques et de nouveaux modes de perception.
Octavia Rioual, Université Rennes 2 (UR2) Université Rennes 2 - Haute Bretagne
https://recenmus.sciencesconf.org/335081/document
L'enjeu de nouveaux systèmes d'écriture musicale : les pratiques de composition et les
recherches en cours, technologiques et scientifiques, sur de nouvelles tablatures numérique
Anne VEITL https://recenmus.sciencesconf.org/335142/document
Folklore musical et interprétation pianistique. L'influence des danses argentines dans la
Suite de Danzas criollas, op. 15 d'Alberto Ginastera
Salvatore Sclafani, Laboratoire de Musicologie (Université libre de Bruxelles) -
Conservatoire royal de Bruxelles (LaM (ULB) - CrB)
https://recenmus.sciencesconf.org/browse/author?authorid=836008
De la recherche à la pédagogie : en quête d'un timbre vocal original ou singulier
Corinne Frayssinet Savy, Institut de Recherche en Musicologie (IReMus)
https://recenmus.sciencesconf.org/335148/document
Logelloop, un looper spatialiseur multicanal pour la création sonore en temps réel.
Philippe Ollivier
https://recenmus.sciencesconf.org/335210/document
Fig. 1: Schéma tiré de la brochure de présentation:
Enseignement supérieur de la musique relevant du ministère de la culture
Texte tiré de la brochure de présentation:
Les rencontres nationales sur les recherches en musique s’inscrivent dans le cadre
de la politique du ministère de la Culture qui vise à soutenir le développement de la
recherche dans les champs de la création et à valoriser ses nombreux acteurs.
Elles ont pour objectifs de rendre compte de la multiplicité des recherches en
musique qui se déploient dans le champ académique, dans les lieux de création et
les établissements d’enseignement supérieur, et d’encourager leur dialogue, en
portant une attention particulière aux recherches fondées sur la pratique.
Elles se proposent tout d’abord de discuter l’idée de formation à et par la recherche
des musiciens. Elles entendent également considérer l’état actuel des recherches en
musique en France et à l’international, en questionnant en particulier l’organisation
et les pratiques de recherche centrées sur la musique dans leur diversité. Elles
souhaitent envisager les diverses formes de relations possibles entre les recherches
de type académique et d’autres types de recherches en musique, en particulier
celles qui se trouvent étroitement articulées à une démarche de création artistique.
Enfin, elles auront pour objet de questionner les impacts et les applications de la
recherche en musique dans le champ de la création musicale, de l’interprétation, de
la pédagogie musicale, de la médiation, de l’industrie.
Au cours de ces journées, autour de tables-rondes, de communications et de
posters, des musiciens, des chercheurs, des enseignants et étudiants viendront
présenter leurs recherches dans les domaines de la musicologie, des popular music
studies, de la composition, de l’interprétation, de la lutherie, de la pédagogie, de la
médiation, de l’acoustique et de l’informatique musicales.
Ayant tenu cette rubrique depuis quarante ans, il est temps pour moi de chercher un successeur. Je remercie les collaborateurs qui ont commencé à prendre le relais : Sophie Jouve Ganvert, Marie et Lionel Fraschini. Mais je souhaiterais trouver un collaborateur « avec droit de succession » … Si vous voulez des détails, vous pouvez me contacter directement en m’écrivant sur mon courriel daniel.blackstone@wanadoo.fr Merci d’avance aux futurs candidats !
Daniel Blackstone
D’une durée d’environ une demi-heure, ce joli conte musical se veut un conte initiatique et écologique. Il s’agit d’un arrangement de celui paru il y a quelques temps pour piano, saxophone et récitant. On se reportera donc, pour de plus amples détails, à la recension parue dans la lettre 218 de notre revue https ://www.leducation-musicale.com/newsletters/breves0220.html#formation
Daniel Blackstone
© L'ÉDUCATION MUSICALE 2020
Après examen des différentes sources (autographe, première édition, corrections de la première édition, ce travail méticuleux présente le texte musical tel que Beethoven l’a voulu, et prend en compte des questions d’exécution non abordées ou négligées dans les éditions précédentes.
L’identité de cette bien-aimée n’a jamais été identifiée. Redevable au prince Lobkowitz, qui venait justement de perdre son épouse, Beethoven lui dédit cette « bien-aimée lointaine ».
Composé dans une période peu féconde pour Beethoven (1816), ce cycle de six lieder sur des poèmes d’Alois Jeitteles, poète inconnu, étudiant en médecine, passe pour être le premier du genre dans l’histoire de la musique : symétrie tonale, thème du premier lied rappelé dans le dernier, liaison pianistique entre les lieder, forme strophique…
Mélangeant les styles, passant du folklore au raffinement, de l’émotion à la poésie, Beethoven s’attache à mettre le texte en valeur : mélodie, harmonie, accompagnement sont « à l’écoute » du poème.
A lire pour compléter l’étude de ces lieder, les précieux commentaires critiques spécifiques à chacun d’eux.
Sophie Jouve-Ganvert
© L'ÉDUCATION MUSICALE 2020
Ces trois madrigaux, successivement en anglais, en latin et en italien se déroulent sur des textes minimalistes et créent d’abord trois ambiances à la fois semblables et diverses, planantes et envoutantes. Ils chantent bien entendu l’amour. La première mondiale de l’œuvre a été donnée le 4 juillet 2019 au Musée de Cluny par l’ensemble qui l’avait commandé et à qui elle est d’ailleurs dédiée : l’Ensemble De Caelis, dirigé par Laurence Brisset. On trouvera cette interprétation sur YouTube https://www.youtube.com/watch?v=dgGfl5hSOtI
Daniel Blackstone
© L'ÉDUCATION MUSICALE 2020
Construite sur un rythme récurrent sur deux mesures de trois fois deux croches et trois noires, cette charmante petite danse, par des notes altérées judicieusement choisies, est à la fois très classique et un peu surprenante. L’ensemble est plein de bonne humeur et offre à la main gauche l’occasion de chanter de façon un peu lyrique qui contraste avec le rythme obstiné de l’ensemble. Ce sera certainement un véritable plaisir pour les débutants que de découvrir cette pièce pleine à la fois de charme et de surprises.
Daniel Blackstone
© L'ÉDUCATION MUSICALE 2020
Avec son ambiance un peu folklorique, cette pièce n’est pas sans évoquer certaine ambiance de la musique d’Amélie Poulain, même si Montmartre n’a qu’un lointain rapport avec les Highlands. La Main gauche égrène d’un bout à l’autre des arpèges en doubles croches avec parfois les basses octaviées, tandis que la main droite nous distille une mélodie d’allure folklorique scandée sur un rythme récurent de croche pointée double croche. L’ensemble est dépaysant et traduit bien une atmosphère à la fois mélancolique et envoutante qui peut effectivement évoquer ces paysages sauvages de l’Écosse profonde. L’ensemble est très plaisant et devrait ravir l’interprète.
Daniel Blackstone
© L'ÉDUCATION MUSICALE 2020
Tristan Murail nous offre, avec ces « cailloux » une relecture des Reflets dans l’eau de Debussy, une relecture très inspirée qui met en jeu toutes les possibilités poétiques du piano. François-Frédéric Guy nous en livre une interprétation très inspirée sur YouTube https://www.youtube.com/watch?v=mefDFOvt5A4
On y retrouve toute la poésie et la délicatesse de l’écriture du compositeur. C’est vraiment une œuvre à découvrir au plus vite même si, évidemment, elle suppose une maitrise technique absolue. L’auteur précise lui-même les différentes notations qu’il utilise pour recréer les effets et l’ambiance qu’il souhaite et on aura intérêt à suivre à la lettre ces indications.
Daniel Blackstone
© L'ÉDUCATION MUSICALE 2020
Élève d’André Dumortier puis de Marcel Bitsch et Claude Ballif, ce compositeur, auteur de nombreuses pièces pour piano, de mélodies, d’œuvres de musique de chambre, a été découvert par le grand public en raison du succès considérable qu’il a obtenu avec Alice au Pays des Merveilles pour piano à quatre mains et récitant. Toutes ces sept études ont un titre et constituent chacune un paysage, une ambiance musicale de grande qualité. On pourra s’en faire une idée précise en en écoutant quelques-unes sur YouTube interprétées par le compositeur qui est en même temps un remarquable pianiste qui mène également une belle carrière de soliste.
Daniel Blackstone
© L'ÉDUCATION MUSICALE 2020
Créée le 15 septembre 2019 au Festival « Les solistes à Bagatelle » par Fabrizio Chiovetta, cette pièce est ainsi présentée par l’auteur : « Au mois de mai, dans la haie de chênes verts, en face de la terrasse, un rossignol a élu domicile. Tout le mois, jour et nuit, il a chanté : il était très amoureux.
Hormis le titre, cette pièce n’a aucun rapport avec la pièce homonyme de François Couperin… Les chants du rossignol – qui sont d’une grande variété et d’une grande fantaisie – ont été analysés à l’aide de logiciels d’analyse spectrale, puis traités par divers algorithmes (transposition, dilatation temporelle, « stretching » séquentiel…).
Ainsi apparaissent éléments mélodiques, couleurs harmoniques, etc., tous extraits et dérivés du chant du rossignol ».
L’ensemble correspond bien au langage habituel de l’auteur, plein de délicatesse et jouant avec bonheur des timbres et des diverses possibilités de l’instrument. C’est donc une pièce à déguster sans modération…
Daniel Blackstone
© L'ÉDUCATION MUSICALE 2020
On est toujours très heureux de retrouver les productions de Hans-Günter Heumann qui invite ici ses interprètes à entreprendre un voyage dans les étoiles. Chacune des pièces comporte un titre évocateur : Promenade sur la lune, rencontre d’extra-terrestres, voyage vers la grande ourse, tout est permis à notre jeune pianiste voyageur autant que rêveur. Malgré la facilité, chaque pièce permet de recréer une ambiance. Souhaitons que beaucoup de jeunes pianistes entreprennent ce voyage, aidés par le CD remarquablement enregistré par l’auteur.
Daniel Blackstone
© L'ÉDUCATION MUSICALE 2020
Voici un beau cadeau de naissance pour la petite Sélina, fille de l’auteur… Cette réjouissante partition lui plaira sûrement quand son papa la lui jouera et, peut-être, quand elle la jouera elle-même, nettement plus tard ! Construite en bonne partie sur le rythme 2 croches 2 croches croch’ deux doubl’ deux doubl’ croche qui lui donne un air dansant et sautillant fort agréable, la pièce module avec élégance et un petit air dégingandé bien sympathique. Trois parties avec reprises se succèdent, donnant à l’ensemble une grande variété dans l’unité rythmique. L’interprète pourra y déployer toutes ses qualités musicales.
Daniel Blackstone
© L'ÉDUCATION MUSICALE 2020
Nous sommes toujours heureux de retrouver depuis tant d’années les transcriptions et adaptations de Hans-Günter Heumann faites avec tant de goût et de respect des originaux. Ce copieux album ne déroge pas. C’est tout un panorama des chants et airs de Noël que nous brosse l’auteur. Nous ne citerons évidemment pas les cent titres proposés. Nous y retrouvons bien entendu Es ist ein Ros’entsprugen (en français : Dans une étable obscure) qui, au passage, date de 1599 : on voit que la référence à Haendel ne marque pas forcément une date précise de début de la sélection…, mais aussi un Noël angevin dans la version de César Franck extraite de « L’organiste » qu’on est heureux de retrouver ici. Bien sûr, ce recueil fait la part belle aux Noëls allemands, mais qui sont devenus universels, et puis on retrouve au passage le White Christmas de Bing Crosby. On y trouve aussi des pièces qui ne sont pas des Noëls mais qui se trouvent cependant dans l’ambiance de Noël telles que plusieurs extraits du Casse-Noisette de Tchaïkovsky. L’ensemble est abordable pour un bon pianiste amateur et devrait permettre d’animer joyeusement les fêtes de Noël. De quoi oublier un peu l’ambiance peu festive dans laquelle nous risquons de passer ce Noël. A consommer sans modération !
Daniel Blackstone
© L'ÉDUCATION MUSICALE 2020
Comme les deux précédents, ce volume contient cinquante pièces allant de Pachelbel à… Hans-Günter Heumann en passant par Bach, Mozart, Beethoven, Chopin, Grieg, et bien d’autres. Précisons qu’il ne s’agit pas ici d’arrangements mais que les pièces sont publiées dans leur texte original. Ajoutons que si les auteurs sont célèbres, les pièces ne le sont pas forcément et qu’on découvrira ainsi tout un répertoire trop méconnu. Ajoutons qu’on trouvera également en prime trois pièces surnuméraires pour piano à quatre mains. Tout cela constituera une source de répertoire pour les professeurs mais pourra constituer aussi une occasion intéressante de déchiffrage pour les élèves.
Daniel Blackstone
© L'ÉDUCATION MUSICALE 2020
Ce recueil fait suite à Jeux de mimes dont nous avons rendu compte dans la lettre 101 de mars 2016.Le propos de l’auteur est de « résoudre des difficultés techniques par la gestuelle avec du théâtre musical ». On pourra écouter l’ensemble du recueil sur YouTube https://www.youtube.com/watch?v=5j_NCQhe_OU ce qui permettra de se rendre compte de la qualité musicale des œuvres proposées. Bien loir de l’exercice d’école, chaque pièce est un petit tableau poétique et évocateur. Toutes sont précédées d’un petit « chapeau » technique donnant les indications pour vaincre les difficultés qu’elles recèlent. Elles sont classées par niveau de difficulté et commencent par le début du deuxième cycle pour finir par une étude de virtuosité. Mais l’ensemble a suffisamment d’unité pour constituer une partie d’un récital…
Daniel Blackstone
© L'ÉDUCATION MUSICALE 2020
Précisons d’abord que ce « niveau intermédiaire correspond pour nous à une fin de premier cycle. L’ensemble des onze pièces présentées ici constitue un panorama allant du ragtime au be-bop et aux autres formes de jazz. Agréables et fort bien écrites, elles peuvent facilement constituer une véritable initiation à ces différentes formes de musique qu’on ne peut en aucun cas ignorer et qui procureront à leurs jeunes interprètes beaucoup de plaisir. Elles constituent aussi une invitation à l’improvisation qu’il ne faut jamais négliger. Bref, on ne peut que remercier cet auteur de fournir ainsi aux élèves une musique de qualité et pour tous niveaux.
Daniel Blackstone
© L'ÉDUCATION MUSICALE 2020
Voici la publication du quatrième et dernier cahier des 34 études dans le genre fugué op. 97 de Reicha. Il contient les études 27 à 34. Cette édition est fondée sur celle d’Érard parue en deux volumes en 1820. L’œuvre fut rééditée en 1840 par Schonenberger. Comme dans les précédents cahiers, chaque étude se présente en deux pièces : « une étude qui n’est pas fuguée » et un « morceau fugué qui n’est pas une étude ».
En tant que professeur de fugue et de contrepoint, Reicha avait déjà publié 36 Fugues en 1803 et 6 Fugues en 1810 puis une autre en 1824.
Même si l’on peut faire un rapprochement avec les Préludes et Fugues du Clavier bien tempéré de Bach, par la présentation, l’esprit est beaucoup plus léger et le style varié, plein d’inventions : on y trouve une Folie d’Espagne, un « air entendu dans une rue de Paris », une Enharmonique (souvenir de Rameau ?), un Andante maestoso dans le style des mouvements lents de Bach, des variations, un petit souvenir d’une célèbre passacaille de Haendel (Étude 32) …Il se permet même ce que l’on pourrait prendre pour un clin d’œil : terminer cette longue série de pièces fuguées par une simple cadence parfaite formée de deux simples accords plaqués. Dans ses « remarques sur quelques morceaux », (Études 1, 2, 3, 5, 6, 7, 8, 11, 15, 16, 17, 20 24, 26, donc dans les précédents cahiers), Reicha conseille et instruit les « jeunes compositeurs » en expliquant, proposant, analysant quelques passages typiques de ses études. Il nous renseigne aussi de ce fait sur l’évolution du langage et de l’écriture.
Il serait temps de redécouvrir les œuvres pédagogiques de Reicha, remarquables par leur efficacité, leur inventivité, leur intérêt, leurs qualités techniques et musicales. N’oublions pas que Berlioz, Liszt, Gounod, Onslow et Franck figurent parmi ses élèves.
Daniel Blackstone
© L'ÉDUCATION MUSICALE 2020
Laissons l’auteur présenter lui-même son œuvre : « Les taches de RORSCHACH constituent un test de type projectif composé de dix planches symétriques. Étant présentées une à une à un patient qui les interprétera librement sous l’écoute d’un psychologue : ce dernier pourra alors émettre un diagnostic de personnalité en explorant l’inconscient de l’individu. Les dix pièces de ce recueil livrent un regard inspiré de ces fascinantes et inquiétantes éclaboussures : leur brièveté ne laissera à l’auditeur qu’une simple impression, comparable à l’illusion d’un rêve qui s’évanouit au petit matin. Dénuées volontairement de titres afin de ne pas éveiller la moindre influence, à vous d’explorer les profondeurs de l’esprit en dévoilant votre exécution pianistique. »
Certes, ces dix pièces ne comportent pas de titre, mais à la place du titre se trouve précisément la tache évoquée par la musique. C’est donc à une mise en œuvre fascinante des taches qu’est invité l’interprète.
Daniel Blackstone
© L'ÉDUCATION MUSICALE 2020
Succédant à Mozart en 1792, Léopold Koželuch (1747-1818) est une figure musicale parmi les plus importantes de Vienne. Excellent pianiste, professeur, il est le compositeur « le plus aimé des jeunes » dont la musique « pure » et « agréable » aurait inspiré la « vogue du piano-forte ». Ses cinquante sonates pour clavier sont considérées comme des « modèles de perfection classique dans la forme, la ligne et la fluidité ».
Les sonates 37 en Sol M (1807), 47 en Mib M, 7 en Ré M (vers 1781), 46 en Do M (Arietta con variazioni )10 en Fa M, 14 en Sol M ont été sélectionnées spécialement pour les jeunes pianistes.
Aucun manuscrit autographe de ces Six sonates faciles n’est connu à ce jour. Les sources sont composites et les propositions de l’éditeur sont notées entre crochets ou par des liaisons en pointillé. L’écriture de ces sonates composées « pour clavecin ou piano » (sauf la sonate 37 attribuée au piano), montre une manière de jouer encore bien « 18ème » et « clavecin » : aucune indication de pédale, différentes sortes de staccato, arpègements, appoggiatures, préparations et terminaisons de trilles ; mais le peu de signes de dynamique conduit l’interprète à une certaine liberté d’expression.
Ces sonates faciles, charmantes et agréables à jouer sont à mettre au répertoire des jeunes pianistes à partir de la fin du premier cycle.
Sophie Jouve-Ganvert
© L'ÉDUCATION MUSICALE 2020
Le titre de la pièce est tout un programme… Souhaitons que la jeune débutante ou le jeune débutant qui s’essaiera à cette pièce transforme, pour son plaisir, cet essai fort sympathique. Les accords indiqués permettront à l’interprète de se forger un langage harmonique cohérent en se faisant l’oreille aux enchainements les plus classiques, certes, mais les plus sûrs ! La mélodie, dans sa simplicité, offre un charme certain. C’est vraiment une jolie pièce pour commencer l’instrument.
Daniel BLACKSTONE
© L'ÉDUCATION MUSICALE 2020
Dès le début, on entend le cheval trotter sur la chaussée. Ce trottinement se poursuit tout au long de la première et de la troisième partie tandis que la partie médiane évoque plutôt une valse de la belle époque. On appréciera également le passage du majeur au mineur qui permet d’entendre la même phrase dans des couleurs différentes. L’ensemble est écrit avec beaucoup de goût, des harmonies soignées, bref, l’auteur nous prouve qu’on peut faire, avec des moyens relativement simples, de la très bonne musique, à la fois évocatrice et formatrice pour l’oreille et la sensibilité. Ce sera certainement un grand plaisir pour l’interprète.
Daniel BLACKSTONE
© L'ÉDUCATION MUSICALE 2020
Cette sorte de ballade un peu nostalgique évoque, certes les cerfs-volants et leur ombre, mais on ne peut s’empêcher de penser aussi à la merveilleuse chanson de Jean Dréjac et Hubert Giraud, Sous le ciel de Paris… Évocation ou réminiscence volontaire ou involontaire, peu importe : l’ambiance est là, à la fois délicate, vaporeuse et quasi irréelle. Il y a donc beaucoup de poésie dans cette très jolie pièce. Et ni l’interprète ni les auditeurs ne pourront s’en plaindre…
Daniel BLACKSTONE
© L'ÉDUCATION MUSICALE 2020
Voici un magnifique ouvrage de Paul Coles dédié à la musique celtique. Vous pourrez y trouver une sélection de pièces comprenant des arrangements et des compositions originales du compositeur guitariste.
Ce recueil conviendra parfaitement pour des élèves de second Cycle. Le chant et la danse sont à l’honneur et la musique est pleine de belles surprises. Elle est portée par une polyphonie riche et harmonieuse ainsi que par de belles modulations. Certains morceaux sont connus du grand public. Paul Coles montre à travers ces mélodies celtiques une profonde maîtrise des possibilités d’écriture pour la guitare. Les pièces sont relativement courtes. Ce recueil permet de cibler efficacement différents aspects techniques à travailler. Paul Coles exploite des registres et couleurs peu orthodoxes qui vont permettre de s’initier au langage contemporain en douceur et sans dénaturer le caractère folklorique de cette musique.
Cet ouvrage va permettre aux guitaristes d’agrémenter savamment leur répertoire.
Lionel Fraschini
© L'ÉDUCATION MUSICALE 2020
Merry Christmas de Paul Coles regroupe des chants de Noël issus du
folklore de différents pays. En fait, les Noëls traditionnels sont au
nombre de 30 auxquels s’ajoutent 10 pièces originales sur le même
thème. Tous les Noëls traditionnels sont bien là, français, anglais,
allemands… On n’aura que l’embarras du choix !
Cette ouvrage est destiné aux élèves de milieu de premier Cycle
jusqu’en milieu de second Cycle.
Il permettra d’aborder la polyphonie dans un style choral. Les
mélodies sont joyeuses, simples et populaires. Cela permet de
travailler le jeu en accords plaqués tout en ayant un fil directeur
attrayant pour porter la mélodie avec légèreté. La partition comprend
également le chiffrage américain ainsi que les paroles des morceaux. Un dictionnaire avec des
diagrammes d’accords complète parfaitement cet ouvrage.
En définitive, je recommande ce recueil qui saura, j’en suis certain en motiver plus d’un !
On ne peut que recommander ce recueil qui est donc d’une grande souplesse et devrait permettre
aux interprètes de se servir de cet ouvrage dans toutes les circonstances et de passer un joyeux
Noël ! Voilà de quoi en motiver plus d’un !
Lionel Fraschini
© L'ÉDUCATION MUSICALE 2020
Vous trouverez dans cette suite de cinq études pour la guitare un
parfum très prononcé aux senteurs du flamenco. On rencontrera dans
cette musique inspirée l’emploi de gammes et arpèges. Il y a des traits
de virtuosité guidés par un chant affirmé. La partition est bien doigtée
et permet une approche précise de la musique flamenco à travers les
sonorités typique qui en découlent sur la guitare. C’est une musique
de dialogues et de contrastes. Des changements de mesures ponctuent
le discours flamenco et lui donnent un caractère improvisé. Dans ce
contexte, l’utilisation du jeu en campanelles donne une touche
solennelle et mystérieuse à la musique. Il sera possible d’aborder
cette suite dès la fin du 1er Cycle. Voilà un très bel ensemble de 5 pièces pour s’ouvrir au
Flamenco.
Lionel Fraschini
© L'ÉDUCATION MUSICALE 2020
Cette danse fait référence au caractère obsessionnel de la Tarentelle
qui découle de rites ancestraux que les gens pratiquaient lorsqu’ils se
faisaient piquer par la Tarentule qui est une araignée dotée d’un
puissant venin. Tous les ingrédients sont présents. Dans une mesure à
6/8, on pourrait tout à fait imaginer des gens en train de danser cette
danse avec détermination, folie et beaucoup d’énergie !
Il va falloir être méthodique afin de trouver un toucher léger pour la
main gauche et pouvoir donner un élan à cette musique qui lui
communiquera tout son caractère. La main gauche est parsemée
d’accords qui pourront si on leur donne trop d’importance dénaturer
la légèreté et le côté entraînant, tonique et dansant de cette pièce.
Cette courte pièce qui s’étale sur 2 pages pourra être abordée en début de 3° Cycle.
Les doigtés du compositeur favorisent une efficacité optimale dans le chant et la danse.
Lionel Fraschini
© L'ÉDUCATION MUSICALE 2020
Cette étude de Philippe Oprandi repose sur l’utilisation des cordes à
vides et sur la formule de main droite de base : pouce, index et majeur.
Toutes les basses et appuis sont sur le premier temps et utilisent les
cordes à vides mi, la et ré. Du point de vue de la main gauche cette
petite pièce utilise les notes qui se situent sur la première case des
cordes aiguës sol, si et mi avec le 1er doigt.
L’élève pourra aisément jouer cette étude en fin de première année
d’apprentissage.
Lionel Fraschini
© L'ÉDUCATION MUSICALE 2020
Voici une magnifique pièce à usage d’élèves se situant en fin de 1er Cycle.
Le thème lapidaire est brave et élégant. Il est annoncé d’amblée, dans
le registre grave de la guitare. Il commence sur le 1er degré de mi
mineur pour s’achever à la mesure suivante sur la dominante. Puis
rentre une seconde voix comme dans une fugue cette fois ci sur la
dominante. Il s’agit d’une ritournelle qui par définition nous fera
entendre ce thème tout au long du morceau comme un rappel qui va
se déployer à travers une polyphonie parfaitement équilibrée.
C’est une pièce musicalement très intéressante en raison de son
caractère fugué. Du point de vue technique il y a des mélodies
accompagnées, des gammes et des arpèges. On passe un très bon
moment tout en travaillant beaucoup de choses.
De surcroît, c’est une pièce pleine de nostalgie. Elle laisse beaucoup
de place pour s’investir dans la musique. On se sent vite très concerné
et captivé.
Lionel Fraschini
© L'ÉDUCATION MUSICALE 2020
Comme d’habitude Igudesman utilise la dérision pour inventer. Mais
on peut jouer ces pièces avec beaucoup de sérieux pour autant. Tout
est en anglais pour que tout le monde puisse en profiter. D’où le titre
« World Music ». Le premier morceau : « in the moonlight »
d’Aleksey Igudesman « inspiré de Beethoven » avec comme
indication Dark : sombre, nous met tout de suite dans l’ambiance ! Le
violon 1 commence l’accompagnement en pizzicato pendant que le
second violon pause les basses en blanches. Puis ils se partagent à
tour de rôle le thème. Le violon 1 a quelques accords à deux reprises
pour accompagner.
Le deuxième mouvement «Turkish alla Ludwig » est écrit dans un
«Tempo à la Beethoven», c’est-à-dire 100 à la noire. Sorte de danse
de saltimbanque à 4 temps.
Nous avons ensuite « for a lease », inspiré évidemment de la lettre à Elise, où le violon deux
accompagne le premier violoniste.
La quatrième pièce est « la sonate du printemps » où les deux violonistes se partagent
régulièrement le thème. Et enfin la dernière : « Beethoven Takes five », qui n’est rien de moins
qu’un concentré de la 5ème symphonie sur 14 pages.
De quoi bien triper et amuser le public à deux !
Marie Fraschini
© L'ÉDUCATION MUSICALE 2020
Dans le vol.1 nous faisons connaissance avec
Thibault l’escargot, Antoine l’Iguane, Tristan
l’éléphant, Charlotte la marmotte, Justin le
pingouin, Maria l’oie, Perrine la lapine,
Emmanuelle la sauterelle, Dess Laura la chatte
angora et Benoit le Koala. Ces dix petits
morceaux font progresser l’élève sur différents thèmes comme l’allongement de l’archet sur deux cordes, divers coups d’archets, le sostenuto,
le 2ème doigt écarté puis serré, des rythmes variés, les mesures binaires et ternaires, les notes
piquées, les déplacements en quartes et quintes, les chromatismes et les sauts de cordes.
Dans le vol.2, nous avons dix autres morceaux, avec Ines, l’ânesse en arpèges 1ère position et
liaisons ; Maelys, l’écrevisse pour les quintes et sixtes, Camille la chenille où l’on travaille les
chromatismes et la précision d’archet, Marjorie la souris pour les doubles cordes, puis Pauline
la Sardine, Prune le poisson lune, Sébastien le poussin, Romarin l’oursin, Diane la cane, et enfin
Johanna l’impala pour les changements entre les première et troisième position.
© L'ÉDUCATION MUSICALE 2020
František Hertl (1906-1973) fut un contrebassiste tchèque,
compositeur, chef d’orchestre et professeur de renommée
internationale. L’écriture de ces quatre pièces, dont la première
publication date de 1969, (avec un accord des cordes particulier : la,
mi, si, fa #,) révèle une très grande connaissance de son instrument
et une volonté de montrer ses différentes possibilités. Sans doute
Hertl s’inspire-t-il de Glière qui avait déjà composé Intermezzo et
Tarantella pour contrebasse et piano, op. 9 et Praeludium et Scherzo
pour contrebasse et piano, op. 32. Le Prélude garde sa fonction
d’introduction, Burlesque souligne le côté comique, pataud de
l’instrument, Nocturne décrit une ambiance sombre et rêveuse,
Tarentelle virtuose et endiablée rappelle celle, célèbre, de Bottesini.
Pleines de défis techniques, avec beaucoup de qualités musicales, caractère et expression, ces
pièces, de niveau très difficile, maintenant données en concert ou imposées en concours gagnent
en popularité.
Sophie Jouve-Ganvert
© L'ÉDUCATION MUSICALE 2020
Cette romance n’est pas si petite puisqu’elle dure 4 minutes 35, ce
qui constitue une oeuvre copieuse pour une fin de premier cycle. Cela
lui vaut d’être variée : elle est composée en effet de pas moins de huit
sections, possédant chacune leur caractère mais dans une grande
unité de style et d’harmonie, ce qui confère à l’oeuvre à la fois variété
et cohérence. Si le tempo varie parfois selon les sections, c’est en
raison de leur caractère. Si cette romance est un brin mélancolique,
elle est pourtant pleine de vie et de joie contenue, très lyrique et
soutenue par un piano qui a sa place à part entière. Ce sera donc un
plaisir pour les interprètes de découvrir cette pièce mélodieuse,
variée, qui sollicitera leur sens du phrasé, l’écoute mutuelle, bref, leur
sens musical.
Daniel Blackstone
© L'ÉDUCATION MUSICALE 2020
Ces études ont la particularité de nous promener à travers les pays et
les rythmes des pays latins d’Amérique. Nous avons d’abord un Polo
Margariteño qui nous emmène au Vénézuéla avec un chant et un
rythme de l’île Margarita. Puis nous partons pour l’Argentine avec
Milonga, une danse argentine proche du tango. Nous voici ensuite à
Cuba, avec Guajira, un chant traditionnel des paysans. Vidala nous
conduit en Argentine et nous poursuivons au Brésil avec Choro, très
virtuose, enfin nous terminons par le Mexique avec Huapango, danse
très animée avec un mélange de 3/4 et de 6/8. C’est dire que
l’ensemble est varié et plein de charme. Plus que des études, ces
pièces, même si elles sont techniquement difficiles, sont d’abord de
l’excellente musique. L’auteur précise que « liberté est donnée à
l’exécutant de placer des mordants, trilles, petites notes etc. là où il le désire pour ornementer
l’interprétation ». Il est à souhaiter qu’avant de se lancer dans ces ornementations, les
interprètes s’imprègnent du style de ces différentes pièces pour éviter les fautes de goût…
Daniel Blackstone
© L'ÉDUCATION MUSICALE 2020
Nous ne reviendrons pas sur le succès mondial de cette valse n° 2 !
La transcription qui nous est offerte ici connaîtra certainement un
grand succès. L’arrangement de Rien de Reede et Bert Moolman est
sans difficulté ni pour le flûtiste ni pour le pianiste, tout en étant très
fidèle à l’original. La partition est très claire, très lisible. Les éditions
Universal nous offrent une présentation circonstanciée en français de
la genèse de l’oeuvre et de sa place dans les compositions de l’auteur.
Les jeunes interprètes trouveront certainement beaucoup de plaisir à
jouer ce « must » du répertoire !
Daniel Blackstone
© L'ÉDUCATION MUSICALE 2020
Cette pièce très évocatrice des fantômes japonais met en oeuvre
toutes les techniques contemporaines de la flûte. C’est un paysage
étrange, une atmosphère mystérieuse qui nous sont présentés. Les
explications techniques sont données de façon très détaillée
malheureusement uniquement en allemand et en anglais. La pièce
peut être écoutée sur YouTube
https://www.youtube.com/watch?v=oodJ5_dEvRw On trouve
également une très intéressante discussion sur la pièce – en anglais –
entre l’auteur et l’interprète à l’adresse
https://www.youtube.com/watch?v=yOQbPoy7Pbw&t=49s
Daniel Blackstone
© L'ÉDUCATION MUSICALE 2020
D’une écriture simple – précisons qu’il s’agit ici d’un compliment –,
cette très jolie pièce comporte trois parties. La première et la troisième
évoquent une promenade tranquille d’un cavalier et de sa monture qui
folâtrent un peu dans la campagne, le pas du cheval étant suggéré par
le balancement de la main gauche du pianiste. La deuxième partie,
« meno mosso », évoque plutôt la rêverie du cavalier tandis que le
piano accompagne avec de jolies arabesques. Le tout, comme nous
l’avons dit, est écrit dans un langage classique du meilleur aloi. Cette
pièce, techniquement peu difficile mais très expressive, permettra aux
deux interprètes une véritable initiation à la musique de chambre.
Daniel Blackstone
© L'ÉDUCATION MUSICALE 2020
Cette pièce est dédiée à Michel Corenflos, clarinette à l'orchestre de
Picardie (orchestre national en région Hauts-de-France), directeur du
Conservatoire à Rayonnement Municipal de Lens. Deux auteurs ?
Sans doute est-ce dû au fait que Janus bifrons est le dieu au double
visage… Quoiqu’il en soit, cette marche aux accents variés est bien
agréable. Il s’agit d’une série de 5 petites marches en différents
rythmes et en différentes tonalités, coupées par une pause, le tout se
terminant par un « allargando » tonitruant. L’ensemble se trouve donc
fort varié, tant pour la clarinette que pour le piano et trouve malgré ce
découpage en de multiples séquences une véritable unité, notamment
dans son langage harmonique.
Daniel Blackstone
© L'ÉDUCATION MUSICALE 2020
François Bocquelet nous offre ici une oeuvre bien attachante, on
pourrait même écrire : un peu envoutante. En effet, le fa mineur donne
à ce morceau une teinte mystérieuse et nostalgique, on pourrait
presque dire nocturne. Tango, tangotino ? Certes, c’est bien un tango
tant par les harmonies que par les rythmes, mais tout cela dans une
sorte de halo mélancolique mais plein de charme précisément par la
délicatesse des harmonies et le côté quasi fauréen des
enchaînements… Bref, c’est une oeuvre très réussie qui devrait
séduire ses interprètes. Si le niveau est bien d’un premier cycle
deuxième année pour le clarinettiste, il est un peu plus élevé pour le
pianiste qui a un rôle non négligeable, mais cependant tout à fait
abordable par un élève.
Daniel Blackstone
© L'ÉDUCATION MUSICALE 2020
Les membres du Pindakaas Saxophon Quartett se sont réunis pour
composer les différents arrangements contenus dans ce recueil. Les
pièces sont conçues pour un quatuor comprenant deux altos, un ténor
et un baryton. La partie de baryton peut aussi être tenue par un ténor,
selon les disponibilités… Les pièces choisies sont des morceaux bien
connus des cinq siècles précédents. Au nombre de dix, elles
commencent par le Trumpet Voluntary de Clarke puis parcourent les
siècles jusqu’à Happy birthday to you en passant par des tubes
incontournables comme le Te Deum de Marc-Antoine Charpentier
ou le Cancan d’Offenbach… C’est dire que les jeunes et moins
jeunes interprètes devraient recueillir un franc succès ! L’ensemble
est très bien fait et très fidèle à la lettre et à l’esprit des originaux.
Daniel Blackstone
© L'ÉDUCATION MUSICALE 2020
De l’inévitable Pump and Circumstance d’Elgar (mais en ces temps
difficiles, ça remonte le moral !) à la lettre à Élise, Fascination et
bien d’autres, nous parcourons bien des pièces célèbres (au nombre
de 10) fort joliment transcrites avec une partie de piano qui respecte
autant la lettre que l’esprit des originaux, tout en donnant à
l’ensemble un caractère « jazzy » fort agréable. Il y a également
quelques compositions originales. Le CD joint fournit à la fois
interprétations par un petit ensemble et play-back ainsi qu’en PDF
les partitions. Le tout peut être téléchargé aussi, après achat de la
partition, à l’adresse indiquée. Bref, tout est fait pour une mise en
oeuvre simple et n’est pas vraiment difficile ni pour le saxophoniste
ni pour le pianiste. Il s’agit avant tout de se faire plaisir ! La
présentation en français est bien agréable…
Daniel Blackstone
© L'ÉDUCATION MUSICALE 2020
Si nous recensons cette pièce dans la rubrique « saxophone » et non
dans la rubrique « musique de chambre », c’est que, comme l’écrit
l’auteur, « Cette composition est idéale pour débuter un concert dans
le cadre pédagogique. La partie de grosse caisse peut être jouée par le
professeur, un étudiant ou le chef d’orchestre. » Citons encore
l’auteur : « Moderne mais toutefois expressive, cette courte ouverture
musicale reflète la société d'aujourd'hui, et rappelle à l'auditeur (et aux
musiciens interprètes) la sensation souvent oppressante, parfois
passionnée, de la vie de tous les jours. ». On pourra écouter avec grand
plaisir sur YouTube cette pièce interprétée par des élèves sous la
direction de l’auteur : https://www.youtube.com/watch?v=u--
LAmlujGQ Terminons en disant que cette pièce est techniquement
assez facile.
Daniel Blackstone
© L'ÉDUCATION MUSICALE 2020
Cette suite comprend trois pièces, trois moments de la journée ou de
la vie de ce roi d’opérette. Notre roi se réveille d’abord au son d’une
« sonnerie matinale » ponctuée, si possible, par les timbales en do et
fa. Sinon, le piano suppléera ! Cette sonnerie martiale ne manquera
pas de faire sortir du lit notre monarque qui pourra ensuite esquisser
« quelques pas de danse » ornés, si possible par le glockenspiel. Il
s’agit d’une valse gracieuse mais joyeuse et pleine d’élans, comme
il se doit. Et comment la journée du roi pourrait-elle se terminer
autrement que par un « retour victorieux de la bataille » ? Cette-fois,
la caisse claire (ou le tambour) sera de rigueur… Le piano ne peut
pas tout faire ! L’ensemble est fort joyeux, plein de clins d’oeil au
folklore royal et militaire. Les interprètes devront être complice de
cette ambiance un peu canularesque… L’ensemble est très réussi.
Daniel Blackstone
© L'ÉDUCATION MUSICALE 2020
C’est presque une petite sonate que nous offre ici André Guigou. En
effet, si la pièce se joue d’un seul tenant, elle n’en est pas moins
divisée en sections de caractères assez différents. Après une
introduction qu’on peut qualifier de martiale, une deuxième partie
« meno mosso » intervient, où la trompette peut montrer toute ses
qualités expressives. Introduit par quelques mesures de piano, un
nouveau paysage plus véloce s’offre à nous avant un retour à un
« poco meno mosso » « bien chanté » mais cependant mouvementé.
Le tout se termine par un vigoureux « tempo subito » à 120 à la noire
qui culmine finalement à l’aigu par un crescendo et un accord sec du
piano. Si nous avons parlé de sonate, c’est précisément parce que le
piano est vraiment un partenaire et non un simple accompagnateur.
Les interprètes devraient apprécier cet Indigo varié et qui mettra en valeur toutes leurs qualités
musicales.
Daniel Blackstone
© L'ÉDUCATION MUSICALE 2020
Voici un recueil bien agréable de pièces du folklore celte arrangées
pour trompette et piano. Ces huit pièces nous font parcourir les pays
celtiques, Écosse, Pays de Galles, Cornouaille et Bretagne grâce à des
airs traditionnels de ces différentes contrées. Le CD contient
différentes versions de chacun des morceaux ainsi que les partitions
en PDF et des indications pour l’interprétation. C’est donc un
ensemble très complet qui nous est proposé accessible pour un niveau
Préparatoire à Élémentaire. La partie de piano est abordable
également pour des élèves.
Daniel Blackstone
© L'ÉDUCATION MUSICALE 2020
Le but de cet album est de permettre aux trompettistes de jouer au
côté d’un brass band connu, le Brass Band Marshall Cooper. Manuel
Hilleke a compilé onze compositions et arrangements originaux
basés sur le groove pour la section professionnelle et le jeu solo. Sur
la base de formes de chansons simples, les trompettistes pourront
s’essayer dans différents styles tels que le jazz, le funk, le rock'n'roll,
le reggae, etc. De précieux guides de jeu, des instructions graphiques
pour la formulation et l'articulation ainsi que des exercices
d'improvisation les aideront à le faire. Le CD MP3 joint au recueil
offre l'expérience authentique du groupe. Il a été enregistré en direct
par des musiciens professionnels et contient une version complète de
chaque pièce avec trompettes, trombones, saxophones,
soubassophone (tuba) et batterie. On pourra s’inspirer d'abord de la version complète. Après
cela, on jouera le solo. Cette édition est extrêmement polyvalente : elle peut servir à
l'enseignement individuel et en groupe, pour l'étude individuelle, pour les concerts… ou tout
simplement pour le plaisir.
Daniel Blackstone
© L'ÉDUCATION MUSICALE 2020
Cette pièce difficile constitue une sorte de rhapsodie qui se déroule
en de multiples tableaux, mettant en valeur tous les aspects et toutes
les sonorités de l’instrument. L’ensemble ne manque pas de lyrisme,
et la virtuosité et les difficultés ne sont jamais gratuites mais au
service d’une expression sensible passant de l’intimité à la
tonitruance. C’est en tout cas une oeuvre intéressante qui devrait
combler l’interprète qui en aura vaincu les difficultés.
Daniel Blackstone
© L'ÉDUCATION MUSICALE 2020
Il y a trois mouvements dans ce quatuor : un premier mouvement,
assez rapide, est construit sur un thème repris successivement par les
différents instruments. Un deuxième mouvement, moderato cantabile,
très lyrique se déploie ensuite. Le troisième mouvement, très rythmé
et rapide se termine fortissimo par un trait ascendant. L’ensemble est
très chantant et très intéressant par sa variété et par son lyrisme et
n’est pas techniquement inabordable.
Daniel Blackstone
© L'ÉDUCATION MUSICALE 2020
Ce recueil couvre l’Irlande, l’Écosse, le Pays de Galles, la
Cornouaille et la Bretagne. C’est dire à la fois l’unité et la variété de
ce qu’il propose. Les treize pièces proposées sont arrangées pour
flûte et accordéon à basse standard. Mais pour interpréter
correctement ces pièces, il conviendra de lire attentivement les
informations sur les pratiques d’interprétation mises en annexe. En
effet, ce recueil qui couvre trois siècles de musique ne peut être
interprété sans un minimum de connaissance des traditions diverses
qu’il présente. Ce recueil est en tout cas d’un grand intérêt. Ajoutons
que la lecture des indications sera d’autant plus facile que l’ensemble
est donné non seulement en anglais et allemand, mais en français.
Remercions-en encore une fois l’éditeur !
Daniel Blackstone
© L'ÉDUCATION MUSICALE 2020
Une petite remarque préliminaire : le conducteur présente la partie de
clarinette en notes réelles, ce qui est bien agréable pour une lecture
intérieure… Cette très agréable barcarolle se déroule
harmonieusement dans un langage à la fois contemporain et très
personnel. L’ensemble est lyrique à souhait et chaque instrument
chante à son tour dans des phrases souples et très expressives. On ne
peut qu’être séduit par le discours fluide et séduisant de cette oeuvre.
Daniel Blackstone
© L'ÉDUCATION MUSICALE 2020
Nouvelle édition, Urtext, de la Grande fugue, en Sib M, en parties
séparées seulement, sans commentaire ni préface, ni conducteur.
Dédiée à l’archiduc Rodolphe d’Autriche, la Grande fugue
appartenait à l’origine au treizième quatuor dont elle constituait le
sixième et dernier mouvement, mais le peu de succès obtenu à la
création et les difficultés techniques relevées par Holz, second
violon du quatuor Schuppanzigh, contraignent Beethoven de la
retirer de l’oeuvre, à la demande de son éditeur et de la remplacer
par un autre final. Artaria la publia isolément du quatuor en 1827,
après la mort de Beethoven. Beethoven en donnera une version pour
piano à quatre mains, publiée comme opus 134. Cette nouvelle
édition a été travaillée par Jonathan Del Mar, d’après les
sources suivantes : une partition autographe, des parties manuscrites
avec des corrections de Beethoven, la première édition de mai 1827, ainsi que la partition
autographe de la version pour piano à quatre mains (retrouvée en
2005).
La préface du conducteur soulève quelques problèmes éditoriaux
(sur les terminaisons de trilles, les notations de nuances,
d’abréviations, de point et de tiret, de lettres repères). Notons la
« modernisation » de l’emploi des clés de la partie de violoncelle
choisie afin d’éviter les problèmes de lecture et de hauteur
Pour des raisons pratiques, on regrette que le conducteur et les
commentaires critiques très détaillés soient à consulter dans un autre
volume (BA 9030-40). Le conducteur préfacé est paru sous la
référence TP 933.
Sophie Jouve-Ganvert
© L'ÉDUCATION MUSICALE 2020
Cette référence Urtext ne contient que les parties séparées du
quatuor de l’opus 130.
Ce treizième quatuor, en Sib M, dédié au Prince Galitzine fut
composé en 1825, en seulement deux mois, créé en 1826 à Vienne,
édité en 1827, mais amputé de la Grande fugue, jugée trop austère
pour le public et trop difficile techniquement pour les interprètes. La
presse rapporte : « Les premier, troisième et cinquième mouvements
sont sérieux, lugubres, mystérieux, parfois bizarres, rugueux et
volontaires ; le deuxième et le quatrième pleins d’insouciance, de
gaité et de malice » […]. Mais le final fugué semble « aussi
incompréhensible que le chinois ». Un Final remplacera ce sixième
mouvement, qui suit un Adagio ma non troppo, un Allegro, un
Presto, un Alla danza tedesca, une Cavatine, « composée dans les larmes ».
Trois sources ont permis ce travail d’édition : un brouillon autographe, un ensemble autographe
disséminé dans six bibliothèques, des pièces de manuscrits portant des corrections de la main
de Beethoven et la première édition de 1827. La notation originale est conservée ; en cas de
nécessité, l’écriture est modernisée, unifiée, les ajouts ou développements sont signalés. Les
lettres repères sont reprises des anciennes éditions.
Pour avoir accès aux commentaires critiques très fournis, il faut se procurer le volume BA 9030-40. Le conducteur préfacé a pour référence TP 930.
Sophie Jouve-Ganvert
© L'ÉDUCATION MUSICALE 2020
LA MÉTAPHORE MUSICALE DE L’HARMONIE DU MONDE À LA RENAISSANCE
Myriam JACQUEMIER
ISBN : 978270102291,
560 pages, 2020,
prix de lancement 45 € jusqu'au 31 janvier 2021 ensuite 56 €
Comment dire le sacré ? Comment résoudre l’attrait irrésistible pour le principe de l’Unité alors que tout spectacle du réel renvoie à l’évidence troublante de l’altérité ? La musique par la magie des accords, la complexité des sons, la richesse de l’inventivité humaine, ne pouvait-elle pas, à bon droit, espérer rendre possible un tel espoir ? Ne pouvait-elle pas aller jusqu’à exercer un réel pouvoir de régénération de la nature entière, élevant les âmes, fédérant corps et esprits en un même idéal, jusqu’à ce que le mystère opère et que l’esprit de concorde des premiers commencements rejoue la symphonie initiale désaccordée par les colères humaines ? Lire la suite
VOIX HÉBRAÏQUES
Hector SABO
ISBN : 9791091890359,
352 pages, 2020, 26.00 €
L’association du peuple hébreu à la musique remonte aux temps de la Bible. Or, « la composante musicale de la tradition juive est déterminée à la fois par l’espace et le temps ; par les modes artistiques de ses lieux d’exécution, et par les contextes culturels propres à son histoire », écrit Paul B. Fenton dans sa préface à ces Voix hébraïques. Espace et temps, c’est à un voyage historique, mais surtout musical, qu’invite ce livre, en quête de la « musique juive », si difficile à définir dans sa diversité, ancrée dans la permanence de la langue hébraïque. Lire la suite
CONNAÎTRE SA VOIX POUR MIEUX LA PRÉSERVER
Élisabeth PÉRI-FONTAA
ISBN : 9782853853651,
240 pages, 2020, 28.00 €
Préserver ses capacités vocales est un objectif majeur chez ceux qui utilisent leur voix pour exercer leur profession, les professionnels de la voix. Mais de nos jours, ne sommes-nous pas tous des professionnels de la voix ? Et parmi les rares d’entre nous qui ne le sont pas, la qualité de la voix est essentielle pour certaines activités extra- professionnelles : que ce soient les loisirs, engagements associatifs et vie familiale. Lire la suite
BAC 2021. LE LIVRET DU CANDIDAT
ISBN : 9782701023243,
Parution le 10 décembre 2020, 24.50 €
Lire la suite
LA MUSIQUE ARABE DANS LE MAGHREB
Jules ROUANET
ISBN : 9791091890397,
La musique arabe dans le Maghreb, de Jules Rouanet, est un chapitre du tome V de
l’Encyclopédie de la musique, dirigée par Albert Lavignac et Lionel de La Laurencie, publiée
chez Delagrave de 1913 à 1922, d’abord en fascicules, puis en volumes reliés : «monument
littéraire », « ouvrage considérable, conçu sur un plan absolument nouveau et sans aucun
parti pris d’école », dont le but était «de fixer l’état des connaissances musicales au début du
vingtième siècle ». C’était l’époque des grandes machines éditoriales, des mobilisations, des
bilans, de l’Histoire de la langue et de la littérature française, en huit tomes, sous la direction
de Louis Petit de Julleville, ou de l’Histoire de la langue française, en onze tomes, dirigée par
Ferdinand Brunot qui partait en automobile sur les routes, vers 1911, avec de drôles d’appareils
pour enregistrer les façons de parler de notre pays. Lire la suite
Paru sans retard — malgré la propagation du virus — grâce à la détermination de Pascal Gresset, ce numéro tenant compte de l’actualité (partitions, livres), assorti de nombreuses illustrations, comprend entre autres son entretien avec le concertiste Jean-Michel Varache à propos notamment du rétablissement des Concours internationaux de flûte parisiens, l’année dernière. Interprètes et facteurs apprécieront également le rôle des « artisans de flûte en temps de pandémie » avec leurs adresses (Paris, Genève, Le Mans) et le « Regard sur l’enseignement de Roger Bourdin » (1923-1976) au Conservatoire de Versailles, par Madeleine Chassang.
Édith WEBER
© L'ÉDUCATION MUSICALE 2020
Philippe MANOURY (né à Tulle en 1952) a suivi des cours (piano avec Pierre Sancan, composition avec Max Deutsch) et à l’École Normale de Musique, entre autres, et obtenu des prix dans les disciplines concernées. Il s’immergera dans l’univers de la musique contemporaine (festivals de créations musicales…, rencontres avec Jean-Claude Eloy, Mauricio Kagel, Luciano Berio, Tristan Murail, Gérard Grisey, Karlheinz Stockhausen, Paul Mefano et les deux Ensembles de référence : 2e2m et L’Itinéraire). Il intègre le Conservatoire de Paris notamment dans la classe de Michel Philippot, sera auditeur libre dans celle d’Olivier Messiaen et s’intéresse à l’informatique musicale encore balbutiante, au calcul des probabilités et à la théorie de l’information. Il suivra les cours d’analyse de Claude Ballif et fréquentera la classe de Pierre Schaeffer (Groupe de Recherche Musicale). Il effectuera l’analyse « probabiliste » de la Grande fugue de Beethoven. Il rencontre Michel Fano, Iannis Xenakis. Pierre Barbaud l’initie à la composition à l’aide d’ordinateurs. Il obtient les 1ers Prix d’analyse et de composition, marquant la fin de sa vie estudiantine. Avec le développement de l’IRCAM (Institut de Recherche et Coordination Acoustique/Musique), de retour d’un séjour de 2 ans au Brésil, Ph. MANOURY se perfectionnera dans la musique électronique, participera à des réunions de travail avec Pierre Boulez, et souffrira des querelles de chapelle autour des mouvements d’avant-garde. En France, une situation personnelle difficile l’incite à rejoindre les États-Unis pour y enseigner et enfin pouvoir vivre et composer. Le musicien introduit les lecteurs dans son atelier de travail. Dès les premières pages de cet ouvrage foisonnant, servi par des interlocuteurs pertinents, il nous initie à sa vision du monde, à sa démarche intégratrice (ce qu’il nomme volontiers « transsubstantiation », à la manière de la cortesia selon G. Steiner) et à son modus operandi. Il est impossible de résumer la richesse et la diversité des concepts approfondis au cours des divers entretiens qui gravitent autour de ses œuvres phare : K… (2001), La Frontière (2003), Kein Licht (2017), Ring... À coup sûr : voici, dévoilé, un pan non négligeable d’une démarche créatrice protéiforme à nulle autre semblable.
Édith WEBER
© L'ÉDUCATION MUSICALE 2020
Yuki Kondo — pianiste diplômée du Conservatoire de Tokyo et du CNR de Paris (notamment auprès de Gabriel Tacchino), 1er Prix du Concours Térésa Llacuna (2014) — s’illustre ici dans un de ses répertoires de prédilection. Au Piano Steinway D totalement apprivoisé, elle interprète avec une haute maîtrise ces pages de Frédéric Chopin (1810-1849) qu’elle vit pleinement : 4 Ballades (composées entre 1831 et 1842) respectivement en sol mineur (op. 23), Fa majeur (op. 38), La b majeur (op. 47) et fa mineur (op. 52). Précédée d’un Andante spianato (Sol majeur) particulièrement aérien et rêveur, la brillante Grande Polonaise (op. 22) en Mi b majeur — composée entre 1830 et 1836 — est exécutée avec une précision d’orfèvre par Yuki Kondo qui se joue merveilleusement des innombrables traquenards techniques. Pour finir, les restitutions des Polonaises (op. 40 n°1) « Militaire » et (op. 53) « Héroïque » frôlent la perfection. Magistral.
Édith WEBER
© L'ÉDUCATION MUSICALE 2020
Jozef WIENIAWSKI (Lublin, 1837-Bruxelles, 1912), après ses études dans son pays natal, sera, à partir de 1847, l’élève entre autres d’A.-Fr. Marmontel et Ch.-V. Alkan en piano et de F. Le Couppey en composition à Paris, ainsi que d’A. B. Marx en théorie musicale, à Berlin. Après une tournée de concerts en Europe, il rencontre notamment Gounod, Berlioz et Wagner. Napoléon III le considérera comme l’un de ses musiciens favoris. Il enseignera au Conservatoire de Moscou, puis s’installera à Bruxelles.
Jan A. Jarnicki poursuit donc avec ce 5e volume l’exploration de la production pour piano de son compatriote, regroupant ses 8 Romances sans paroles (op. 14), en 2 Cahiers (dédiées à Adolphe Henselt) et ses 8 Mazurkas (op. 23) — aussi en 2 Cahiers — qu’il a confiées à raison à Agnieszka Schulz-Brzyska. Faits remarquables : les indications agogiques des Romances figurent en français ; les Mazurkas sont toutes adressées à des dames de l’artistocratie. Immersion garantie dans la musique de salon sous le Second Empire.
Édith WEBER
© L'ÉDUCATION MUSICALE 2020
Né en 1968 à Chatou, le compositeur et poète Christophe FRIONNET a étudié notamment aux Conservatoires de Nanterre, Sevran et au CNR de Boulogne-Billancourt (classe d’électroacoustique, Michel Zbar), où il obtiendra le Prix de composition et anime divers ateliers de musique contemporaine.
Les mélomanes découvriront, en premier enregistrement mondial, son œuvre pour piano et notamment ses Études poétiques (op. 22, dont une à 4 mains), sa Sonate éclair (op. 42, n°3), sa Barcarolle (op. 46), ses 7 clins d’œil à la Lune rousse (op. 52), sans oublier, pour conclure, sa Petite étude fantôme (op. 58)… Chaque Étude est gratifiée d’un adjectif descriptif très suggestif.
Une réussite d’expressivité et de couleur instrumentale à mi-chemin entre XXe et XXIe siècles, avec le concours de Martine Vialatte (qui s’acquitte fort dignement de l’op. 22), Jérémie Favreau (pour les pièces restantes) et avec le compositeur au piano primo de l’étude à 4 mains). Exemple contemporain à ne pas manquer.
Édith WEBER
© L'ÉDUCATION MUSICALE 2020
De quoi s’immerger avec la pianiste française Alexandra Lescure dans sept Sonates. Pendant vingt ans, elle a bénéficié des conseils notamment de Jean-Marc Luisada, Bruno Rigutto… Son programme propose une intéressante trilogie soulignant l’évolution de la forme sonate lors de la transition du clavecin vers le pianoforte (Hammerklavier), au siècle des Lumières. De son jeu solide et sensible émergent un timbre exceptionnel, la souplesse dans les croisements des mains, avec les Sonates de Domenico SCARLATTI ; phrasé somptueux (HAYDN) ; la clarté et la logique dans l’enchaînement des thèmes (MOZART). La richesse ornementale (trilles) et la justesse sont exploitées à bon escient dans cette filiation historique pertinente. Une pianiste aventurière et engagée, qui se distingue par sa haute maîtrise technique et sa grâce.
Édith WEBER
© L'ÉDUCATION MUSICALE 2020
Un programme en or, des œuvres phares et très connues : Children’s Corner (pièces pour enfants) aux titres évocateurs — dont un The Snow is Dancing ouaté — ; La Suite bergamasque — avec l’incontournable Clair de Lune — ; Estampes — les Jardins sous la pluie peut-être plus mouvementés qu’à l’ordinaire… — et, pour couronner le tout, comme il se doit, le grave hommage de Paul DUKAS (1865-1935) à son ami : Le Tombeau de Claude Debussy, La plainte au loin du faune... Christophe Vautier, élève de Cécile Édel-Latos et dernier disciple de Györgi Cziffra, introduit les mélomanes dans sa quête inlassable du « piano pur », avec notamment un toucher différencié pour chaque doigt. Traces à suivre...
Édith WEBER
© L'ÉDUCATION MUSICALE 2020
Jouant phonétiquement sur le jeu de mots : voies/voix et la promotion des femmes compositrices et interprètes, cette production entièrement italienne intriguera les mélomanes curieux ou les surprendra, à plus d’un titre. Au cours des 27 pièces brèves de Tiziana de Carolis cohabitent Jean de La Fontaine, Alphonse de Lamartine, Maurice Maeterlinck, Francis Jammes, Jules Renard ; les voies sont relatives à l’Amour : celles sans issue, celles du Voyage. Les voix concernent la Nature, l’Enfance, la Contemplation, et celles des Migrant(e)s, intitulée Linea riflessa (pièce pour chœur — en l’occurrence le Chœur Florilegium vocis — et piano — Maria Gabriella Bassi —). Théodora Cottarel (soprano) et Tiziana de Carolis (pianiste et compositrice, née à Bari, en Italie), aussi engagées que passionnées et complices de ce panorama insolite, diversifié et plein de sève, retiendront l’attention.
Édith WEBER
© L'ÉDUCATION MUSICALE 2020
Le violoniste français Ambroise Aubrun, ayant commencé ses études de violon à Nice, les poursuit au CNSMDP, puis à l’Université de Californie et enfin à la Colburn School (Los Angeles), est lauréat du prix Charles Oulmont de la Fondation de France et de la Fondation Langart. Il enseigne le violon à l’Université du Nevada à Las Vegas, est soliste de l’Orchestre Philharmonique de Los Angeles et aussi chambriste. Le pianiste Steven Vanhauwaert a étudié au Conservatoire Royal de Bruxelles, puis s’est perfectionné à l’Université de Californie du Sud. Lauréat de plusieurs Prix internationaux, il s’attache à faire découvrir un répertoire moins connu.
Eric ZEISL (Vienne, 1905-Los Angeles, 1959), compositeur autrichien naturalisé américain en 1945. De confession juive, il est taxé de « musicien dégénéré » par le régime nazi et il quitte l’Autriche peu après l’Anschluss, (échappant ainsi à la mort contrairement à une partie de sa famille, victime des camps de concentration), pour Paris où il se lie d’amitié avec Darius Milhaud, puis s’installe en Californie, où il enseignera et composera de la musique tonale, notamment au Brandeis-Bardin Institute (sa Sonate lui est dédié) et à la Huntington Hartford Foundation. Le CD débute par son Menuchim’s Song (1939) et s’achève avec sa Brandeis Sonata for violin and Piano (1949) suivi du premier mouvement de sa Suite for Violin and Piano (op. 2) intitulé Zigeunerweise — à la manière tzigane — (1919) en première mondiale.
Darius MILHAUD (1892-1974), également épinglé « artiste dégénéré », quitte la France en 1940 pour la Californie où, jusqu’en 1947, il enseignera la composition au Mills College d’Oakland. Le Duo rend remarquablement les multiples chatoiements de sa Sonate pour violon n°2 (1917). Il est tout aussi à l’aise avec l’esthétique classique, dans la Sonate pour Piano et Violon en mi mineur K.304/K.300c (1778) de W. A. MOZART, œuvre que prisait Eric ZEISL. Un disque-hommage à l’amitié entre deux musiciens, admirablement mise en œuvre par deux interprètes de premier rang.
Édith WEBER
© L'ÉDUCATION MUSICALE 2020
Juliusz WERTHEIM (1880-1928) est un compositeur, chef et pianiste polonais d’origine juive et converti au Luthéranisme. Il prend des leçons de piano en 1893, étudie la composition à Berlin et le piano, puis à nouveau au Conservatoire de Varsovie. A composé 4 Symphonies, de nombreuses œuvres de piano et des chants. A influencé Arthur Rubinstein pour l’interprétation de Chopin. Il a enseigné à l’Académie de musique de Gdansk. Il décèdera en dirigeant le Prélude des Maîtres chanteurs, le 6 mai 1928, à Varsovie. Le Label polonais ACTE PRÉALABLE, après un CD consacré à ses œuvres pour piano, consacre, en premier enregistrement mondial, deux CD à son répertoire vocal.
Krzystof Bobrzecki (baryton) a obtenu, en 2008, le titre de Docteur en chant à l’Académie S. Moniuszko de Gdansk et interprété le rôle titre dans Le Manoir hanté de S. Moniuszko. Pianiste attitrée du Label Acte préalable, Anna Mikolon, Lauréate de nombreux Concours internationaux, après ses études à Gdansk achevées par un diplôme postdoctoral en musique de chambre. Professeur à l’école de musique de cette ville, excellente pédagogue, elle a écrit une monographie (2011) sur le langage musical de Chostakovitch. Sa discographie s’avère très fournie. Tous deux se mettent talentueusement au service de leur compatriote Juliusz WERTHEIM.
Le premier disque comprend 4 Chants (op. 8) de caractère plaintif, dont Je ne sortirai plus désormais à la clarté du jour, 4 Chants (op. 10) descriptifs et automnaux (par exemple La nuit au clair de lune en septembre) ainsi que 7 Chants (op. 16) relatifs à la nature (soleil, neige…). Le second disque — chanté tout en allemand — s’ouvre sur la lyrique Liebesahnung (Prémonition d’amour), suivi de 4 Chants pour voix solo avec accompagnement piano dont Le mois de Mai est arrivé de Heinrich HEINE. Les 24 Chants pour voix solo et piano (op. 15) sur des thèmes variés du poète autrichien Peter ROSEGGER (1843-1918). Une immersion (plus de 2 heures) dans la musique vocale de Juliusz WERTHEIM : avis aux amateurs.
Édith WEBER
© L'ÉDUCATION MUSICALE 2020
Andrey Baranov, violoniste, élève de Pierre Amoyal, Lauréat (2012) du Concours Reine Elisabeth ainsi que de nombreux Prix internationaux, est le Premier violon du prestigieux David Oistrakh Quartet. Dans ce volume 1 de son enregistrement en soliste, il convie les mélomanes à le rejoindre pour trois siècles de modernité violonistique autour de 3 figures de référence. Johann Sebastian BACH, avec sa Partita n°1 en si b mineur (BWV 1002, Cöthen, 1720), forte de ses Allemande, Courante, Sarabande et Gigue (au tempo de bourrée), chaque danse étant agrémentée de son Double. Il poursuit avec les deux mouvements : Ballade. Lento molto sostenuto – Allegro in tempo giusto con bravura de la Sonate n°3 en ré mineur (op. 27), composée en 1923 par Eugène YSAŸE (1858-1931), dédiée à Georges Enesco, requérant simultanément intériorité et bravoure. Le CD conclut avec 7 des 24 Caprices de l’op. 1 (1802-1817) de Niccolo PAGANINI (1782-1840) qui permet au virtuose de donner à son Violon Crémone (1758) toute sa mesure. Une magistrale restitution de pages marquantes du répertoire du violon écrites respectivement au début des XVIIIe, XIXe et XXe siècles.
Édith WEBER
© L'ÉDUCATION MUSICALE 2020
Boris VIAN (Ville d’Avray, 1920-Paris, 1959), Ingénieur formé à l’École centrale, a déployé des talents dans de nombreux domaines artistiques et pris une part très active aux mouvements d’avant-garde à Saint-Germain des Prés, dans les années 1950. La joyeuse bande des Lunaisiens : Arnaud Marzorati (baryton, direction), Agathe Peyrat (soprano, ukulele), Fabien Norbert (trompette), Pierre Cussac (accordéon, bandonéon) Raphael Schwab (contrebasse) a réalisé un hommage original au maître de l’originalité. 10 chansons sur 18 sont de ce compositeur-écrivain-journaliste-critique musical... Le titre du CD fait écho à la dernière chanson présentée, vaste, pleine de gouaille, d’allusions sonores, de clins d’œil : « Tout conducteur doit constamment rester maître de sa vitesse… », avec fragments parlés, chantés, onomatopées, ritournelles. L’imagination au pouvoir.
Édith WEBER
© L'ÉDUCATION MUSICALE 2020
Philippe Jordan (né en 1974 à Zurich), fils du chef Armin Jordan, est directeur musical de l’Orchestre de l’Opéra de Paris et des Wiener Symphoniker, et a dirigé de prestigieuses formations internationales. Nommé meilleur chef d’orchestre (International Opera Awards 2017), après l’intégrale des Symphonies de BEETHOVEN, il poursuit ses enregistrements sur le vif avec les 4 de Johannes BRAHMS. Chaque CD est consacré à une œuvre. Le compositeur y prend ses distances avec Richard Wagner. Les Wiener Symphoniker (que Philippe Jordan dirige depuis 2014) se sont imposés de longue date par leur paysage sonore, leur extrême rigueur et leur haute musicalité. Ils réservent un sort royal à ces Symphonies très contrastées.
La première, en do mineur (op. 68) — qui n’est pas une œuvre de jeunesse — mettra par scrupules vingt ans à germer. La deuxième, en Ré majeur (op. 73), remontant à 1877, plus accessible, enchantera le public viennois. La troisième, en Fa majeur (op. 90), surnommée par Hans Richter « l’Héroïque », connaît dès 1883 un triomphe européen qui sera partagé jusqu’aux Etats-Unis. Deux ans plus tard, la quatrième, en mi mineur (op. 98), pleine de nostalgie, se tourne vers le passé et rend hommage au Cantor de Leipzig. Elle suscitera le même enthousiasme. Philippe Jordan maîtrise parfaitement l’ensemble de la palette expressive brahmsienne. À entendre et réentendre.
Édith WEBER
© L'ÉDUCATION MUSICALE 2020
Ces 5 dernières Sonates inédites pour violon et violoncelle de Giuseppe TARTINI (1692-1770), respectivement en la mineur, La majeur, Ré majeur, ré mineur et Ré majeur, sont interprétées sur des instruments historiques par David Plantier et Annabelle Luis. Le disque paraît pour le 250e anniversaire du musicien italien. Les deux interprètes — formés pour le premier à la Schola Cantorum de Bâle et la seconde, au CNSM de Lyon — privilégient le caractère cantabile ; ils font preuve d’une technique et d’une virtuosité exceptionnelles. À noter en priorité les mouvements lents chantants et expressifs : grave, andante, cantabile (plage 22), mais aussi le jeu précis dans ceux issus du menuet et de la gavotte. Bel hommage au maître de Padoue.
Édith WEBER
© L'ÉDUCATION MUSICALE 2020
Philippe CHAMOUARD (né en 1952 à Paris), musicien musicologue (études de piano avec Guy Lasson, de composition avec Roger Boutry, puis docteur de l’Université Paris-Sorbonne), poète prolifique encouragé par Olivier Messiaen, ne se réclame d’attache à aucune école. Ses partitions connaissent une incroyable diffusion internationale. Pour ses œuvres concertantes, il fait appel entre autres au vibraphone, aux instruments traditionnels, mais aussi à la harpe celtique, au koto japonais ou encore aux voix... Dans sa musique de mouvance néoclassique, poésie et densité spirituelle sont en osmose, comme c’est aussi le cas de ses disques : Le Vagabond des nuages, Le Manuscrit des étoiles.
Cet enregistrement regroupe des œuvres de chambre pour intrumentarium diversifié illustrant son univers sonore si personnel : intimité suspendue avec les 3 Crystaux (J.-Fr. Durez au vibraphone) ; merveilleux abandon au cœur des 3 Madrigaux d’été (M. Löhr, violoncelle, M.-Cl. Langlamet, harpe) ; équilibre piano (L. Marschal) / flûte (V. Lucas) enchanteur au cœur des 4 Polymnia. Nocturnal met en scène un piano (A. Ouvrard) et un saxophone (N. Prost) constamment à l’écoute. Enfin, Les Oiseaux de solitude sont magistralement interprétés par le Quatuor Joachim. Luxe, calme, volupté...
Édith WEBER
© L'ÉDUCATION MUSICALE 2020
Nikolaus Harnoncourt avait le don d'exaspérer ceux qui pensaient que la musique du début
du romantisme allait dans une certaine direction — celle qui correspondait à ce qu'ils avaient
entendu toute leur vie au concert. Ils connaissaient le chemin d'une symphonie de Schubert,
pouvaient anticiper chaque tempo et sentir, comme une couverture confortable, l'équilibre
dans le phrasé et entre les instruments. Malheureusement pour eux, mais heureusement
pour Schubert, cela n'intéressait pas Harnoncourt le moins du monde.
Avec le Chamber Orchestra of Europe, il entreprit de tout examiner sous un jour nouveau.
Pour faire une analogie, si la plupart des chefs d'orchestre sont des conservateurs de
musée qui accrochent les tableaux dans des endroits familiers et à l'occasion en exhume
des réserves, lui était un restaurateur : il enlevait des décennies de crasse et de vernis pour
arriver aux coups de pinceaux d'origine et utilisait le rayonnement infrarouge pour inspecter,
sous la version achevée, les ébauches de l'artiste et ses premières idées.Une fois son
travail de restauration terminé, la symphonie apparaissait comme une lumineuse surprise :
dépourvue de sa familiarité, déconcertante, certes pas du goût de tout le monde, mais
impropre à écouter d’une oreille distraite en musique de fond
Simon Mundy
© 2020 International Classical Artists Ltd
© L'ÉDUCATION MUSICALE 2020
Le « Concert-conférence » proposé par Hector Sabo présente, de manière succincte et condensée, le contenu global de son livre Voix hébraïques – Un voyage dans la musique juive d’Occident, publié récemment par les éditions Feuilles. Le livre retrace plus de trente ans d’un parcours musical et musicologique exceptionnel autour de la musique juive, avec une approche particulière qui relie constamment la musique hébraïque à la musique classique européenne, avec ses rapports étroits et souvent méconnus.
Hector Sabo a eu une formation musicale complète, d’abord en Argentine, puis en France, incluant des études de piano, orgue, clavecin, direction d’orchestre et composition. Après ses études à l’Université de La Plata en Argentine, puis au Conservatoire de Rueil-Malmaison, en région parisienne, il poursuit ses études universitaires à Strasbourg et obtient en 1995 un DEA (1e année de doctorat) en musique et musicologie. Parallèlement à son activité musicale en tant que pianiste, chef et arrangeur dans des domaines aussi variés que le tango, l’opéra et la musique classique, il s’oriente de plus en plus vers la musique vocale et plus particulièrement dans le domaine de la musique hébraïque, où il développe ses travaux de recherche universitaire, en écrivant de nombreux articles et donnant des conférences. En 1996 il créé le chœur Les Polyphonies Hébraïques au sein de l’Université de Strasbourg. Et en 2007 l’Ensemble Vocal Hébraïca. Enfin, en 2017 c’est la troupe de La Truite Lyrique qui verra le jour, avec son spectacle Mozart, La Truite et Rabbi Jacob. Après 18 ans à la tête du chœur de la Grande Synagogue de Strasbourg, il est nommé directeur musical et artistique du Chœur Juif de France, sous l’égide du Consistoire de Paris/Ile-de-France, qu’il dirige depuis 14 ans. La même année il est engagé comme professeur de Formation musicale (titulaire du CA) au Conservatoire de Strasbourg. Enfin, la composition musicale fait également partie de ses activités, ainsi que l’écriture d’articles musicologiques.
Professeur des écoles de profession et chanteur par passion, Jean Moissonnier a été formé sur le plan vocal par Louis Bronner à Strasbourg. Il a accumulé nombre d’expériences musicales en se produisant en soliste et dans différents ensembles de la région, notamment de musique ancienne comme Le Tourdion, Ripieno, Hortus Musicalis, La Chapelle Rhénane... Depuis 2007, il travaille également sous la direction d’Hector Sabo, au sein des ensembles Hébraïca et la Truite Lyrique, et des Polyphonies Hébraïques de Strasbourg.
Né en 1987 à Strasbourg, Micaël Berger est diplômé du conservatoire et de l’Université de Strasbourg. A l’âge de 19 ans, il intègre l’Orchestre symphonique des jeunes de Strasbourg, avec lequel il effectue des concerts en Italie, en Allemagne, aux Etats-Unis et au Canada. Il se perfectionne au cours de plusieurs stages et master-classes avec des flûtistes de renom tels que Patrick Gallois, Sandrine François et Christian Studler. A 25 ans, il est reçu au Centre de Formation des Musiciens Intervenants de Sélestat, où il élargit ses horizons musicaux. Il se produit régulièrement en concert en Alsace, en France et en Suisse. Il a participé à l’enregistrement de plusieurs albums : à Zurich avec la chanteuse Edit Szabo, mais aussi avec les Polyphonies hébraïques de Strasbourg. En collaboration avec Hector Sabo, il a composé un cycle de 6 pièces pour flûte traversière et piano intitulé « La danse du Soleil ». Sa passion pour la musique l’a également amené à intervenir dans des milieux divers – scolaires et culturels – où la musique fait parfois exception. Il a travaillé dans différentes écoles de musique en Alsace et au conservatoire de Colmar. Il est actuellement professeur de formation musicale à l’école municipale de musique de Saverne.
Opéra de Nice
DON QUICHOTTE
Ballet
chorégraphie É. Vu-An
Musique L. Minkus
Léonard Ganvert
direction
vendredi 18 décembre 2020 (20h) - samedi 19 décembre 2020 (20h)
dimanche 20 décembre 2020 (15h) - jeudi 24 décembre 2020 (15h)
samedi 26 décembre 2020 (18h) - dimanche 27 décembre 2020 (15h)
mercredi 30 décembre 2020 (15h) - jeudi 31 décembre 2020 (18h)
Avec l'Orchestre Philharmonique de Nice et le Ballet Nice Méditerranée
Contact
Opéra Nice Côte d'Azur
4-6 rue Saint François de Paule
06364 Nice CEDEX 4
Billetterie : 04 92 17 40 79
Réservation