Élisabeth BRISSON : Beethoven. 1Vol Éditions Ellipses. Collection Biographies et mythes historiques, 2016, 400p (www.editions-ellipses.fr), 24,50€.
Un nouvel ouvrage consacré à Beethoven peut à première vue être considéré comme surabondant. Mais très vite on constate que l'on n'est pas en présence d'une simple biographie venant s'ajouter aux nombreuses précédentes. Élisabeth Brisson dans la première partie intitulée « Les étapes de la biographie créatrice de Beethoven » entend en effet bannir toutes anecdotes sujettes à caution et donner de Beethoven l'image d'un être humain qui certes est un génie, mais n'en est pas moins un personnage de son temps, totalement dévoué à son art et conscient de sa valeur. C'est un homme d'exception certes mais qui sait ce qu'il doit
à ses maîtres tels Joseph Haydn ou Johann Georg Albrechstberger. De nombreuses légendes sont mises à mal, ou du moins remises à leur niveau, comme les effets d'un caractère difficile – Élisabeth Brisson en convient – mais qui n'empêchent pas la pérennité de solides amitiés ainsi que de soutiens plutôt constants qui on permis à Beethoven de vivre correctement et d'avoir une reconnaissance auprès du public qui ne s'est jamais démentie. Sinon, comment aurait-on pu expliquer ses obsèques grandioses à Vienne ! Élisabeth Brisson nous montre un Beethoven retravaillant sans cesse ses compositions, soucieux de la qualité de leur publication. Il apparaît comme une personne négociant âprement ses contrats, mais très souvent en retard dans la livraison de ses commandes – situation somme toute très normale dans le monde artistique ! Ces retards expliquent que les premières auditons étaient souvent partielles, faisant par la suite l'objet de corrections et/ou d'ajouts non négligeables (Fidelio en est un exemple).
Ce qui est particulièrement intéressant dans cette biographie, ce sont les développements consacrés à la relation qu'a Beethoven avec la France. Bien sûr il y a la genèse de l'Eroica, initialement intitulata Bonaparte, mais il y a aussi le sujet de Fidelio, ainsi que l'attirance pour un pays dont la capitale recèle la meilleure école de violon en Europe, avec notamment Rodolphe Kreutzer, pays qui a aussi suscité un immense espoir avec la révolution. En fait, Beethoven pendant de nombreuses années a caressé l'espoir de séjourner à Paris, estimant que ses œuvres correspondaient à la sensibilité du public français du moment. Il ne put jamais mettre son projet à exécution compte tenu du climat conflictuel en Europe. Élisabeth Brisson évite de conduire une biographie sur la base de témoignages peu fiables. Elle s'appuie sur des correspondances certaines et surtout sur les compositions du maître de Bonn, envoyant aux oubliettes la théorie énoncée par Wilhelm von Lenz autour des année 1850 des trois périodes créatrices très en vogue tout au long du XIXème siècle et de la première moitié du XXème siècle. Élisabeth Brisson nous expose une évolution linéaire du travail de composition de Beethoven, en lien avec le contexte historique, notant que dès les premiers Opus les audaces sont là.
Elle donne en revanche une place essentielle à la Quatrième Symphonie op.60 qui selon elle récapitule les innovations qui parsèment ses compositions : « masse sonore de l'orchestre, des harmonies tendues, des motifs très courts associés à des attaques différenciées (pizzicato, détaché, sforzando, legato) ou à des timbres (tel le basson), des répétitions successives de notes ou d'accords très brefs. » (p.104). Elle nous donne à lire de très belles pages à l'occasion de descriptions de certaines œuvres, comme l'ouverture de Coriolan (p.109) « L'écriture musicale mise en œuvre par Beethoven manifeste l'action inévitable des forces contradictoires auxquelles l'homme est soumis, malgré sa lutte énergique qui est signe de sa liberté intérieure ».
Ce qui frappe dans le travail d'Élisabeth Brisson, c'est son refus de dramatiser outre mesure la vie de Beethoven ; ainsi décrit-elle avec tact ses relations avec non neveu Karl, même si elle rend compte sans fard de sa réaction suite à la tentative de suicide de Karl . Elle n'insiste pas sur la souffrance que le compositeur à pu subir du fait de sa surdité insistant plutôt sur la façon dont il dépassait cette infirmité : elle écrit à ce sujet qu' « il est [ ] bien décidé à saisir le destin à la gueule, à ne pas se laisser abattre et à persévérer dans son amour de la vie » (p.66). Enfin elle relate la fin de Beethoven avec beaucoup de pudeur, préférant rendre compte de la solennité des obsèques suivies par une foule viennoise très importante.
La seconde partie de l'ouvrage est très intéressante. Elle a pour titre « La postérité paradoxale » et passe en revue ce que l'on peut considérer comme des détournements de son héritage. Ainsi l'auteure souligne-t-elle l'insistance avec laquelle ses thuriféraires l'élèvent au rang divin dès sa disparition. Plus tard, au XXème siècle, elle constate qu'il a pu être « annexé par les nazis », ce qui constitue un contre sens absolu car il est alors considéré « comme une figure idéale pour créer un consensus autour de l'idée de la supériorité de la civilisation allemande et du peuple allemand » (p.300).
Une troisième et dernière partie « l'actualité de Beethoven » souffre peut-être d'être partielle : certes y est soulignée l'incroyable présence des œuvres de Beethoven sur le marché des enregistrements, sa présence chaque année dans les programmes des concerts. Est aussi évoquée la démarche de certains créateurs à partir de l'image ou d'œuvres de Beethoven ; ainsi peut-on lire un long développement sur le film de Mauricio Kagel, Ludwig van : ein Bericht. Mais cette permanence du maître de Bonn aurait sans doute pu être enrichie par l'évocation du travail du chef Igor Makevitch (« Etude historique, analytique et pratique des symphonies de Beethoven (Die Sinfonien von Ludwig van Beethoven : historische analytische und praktische Studien. Leipzig. Ed Peters 1982 »). Il aurait aussi été sans doute pertinent de consacrer des développements sur les évolutions de l'interprétation. Elle est seulement esquissée quand est évoqué Furtwängler voire von Karajan pour la direction d'orchestre ou la pianiste Elly Ney. En tout cas voilà matière à la publication d'un autre ouvrage ! Mais on retiendra l'originalité de ce Beethoven d'Élisabeth Brisson : tout en humanisant son modèle, elle nous permet de comprendre son génie absolu. Elle le fait de façon très claire, sans jargon en analysant ses œuvres. Ainsi sommes-nous mieux préparés à les entendre et à les comprendre.