Doit-on encore penser aujourd’hui la musique en termes de partitions? La notation musicale n’est-elle pas une notation passéiste eurocentrée, que la révolution du jazz des années 50-60 aurait profondément bouleversée? George Lewis apporte de nombreuse réponses sur ces questions, par sa pratique de l’improvisation, de l’écriture, ainsi par sa réflexion théorique (c.f. The Oxford Handbook of Critical Improvisation Studies). Sandeep Bhagwati également, par son exploration du concept de comprovisation1 , révèle également de multiples passerelles entre l'œuvre écrite fixée et l’instant vécu entre l'interprète et son public.
Pourtant, en observant les pratiques des compositeurs d’aujourd’hui, si la notation musicale s’inscrit pour certains dans une tradition presque muséale, elle constitue pour d’autres le noyau d’un terrain d’expérimentation fertile. C’est selon cette deuxième catégorie que Craig Vear examine le terme score (partition), en interrogeant plus particulièrement l’impact des nouvelles technologies sur la notation, et les affordances qu’elles suscitent. Dans un monde entouré de médias numériques et d'enregistrements audio, le processus de symbolisation inhérent à la partition répond toujours au désir des musiciens de communiquer des idées sans qu'ils aient besoin d'être présents. De son idée musicale abstraite, à son inscription sur une page, aux doigts ou aux lèvres en mouvement de l'interprète, jusqu'aux oreilles de l'auditeur, la magie opère encore aujourd'hui, plus que jamais, d'une manière qui rappelle l'ars nova, il y a 700 ans. Si Craig Vear et la communauté internationale TENOR (Technology for musical Notation & Representation) s’accordent sur certaines références (e.g. Ryan Ross Smith: http://ryanrosssmith.com/animatednotation.html), The Digital Score semble ouvrir une nouvelle voie, s’émancipant par exemple des problématiques de composition assistée par ordinateur typiquement associées au procédés compositionnels ircamiens des 50 dernières années, au profit d’une vision large et interdisciplinaire, ouverte sur le multimédia, l’intelligence artificielle, et les développement logiciels d’aujourd’hui.
L’auteur précise :
La technologie numérique transforme la notation musicale en mettant à la disposition des musiciens un large éventail de systèmes de partition innovants. Qu'il s'agisse de tentatives d'imitation de la partition imprimée, de partitions animées et graphiques ou de dispositifs basés sur l'intelligence artificielle, la notation numérique affecte le processus musical en ouvrant de nouvelles possibilités d'interaction dynamique entre l'interprète et la musique, modifiant ainsi notre compréhension des frontières entre composition, partition, improvisation et interprétation. The Digital Score : Musicianship, Creativity and Innovation offre un guide dans ce nouveau paysage, en réfléchissant à ce que ces changements signifient pour la création musicale d'un point de vue théorique et appliqué (C. Vear).
Craig Vear est professeur de musique et de performances numériques à l'université De Monfort, au Royaume-Uni. S'appuyant sur les résultats de plus d'une décennie d'expérimentations pratiques dans ce domaine, l'auteur élabore un cadre permettant de comprendre comment les partitions numériques créent du sens. Fort de l’obtention récente d’un projet de recherche européen2 , ce livre établit désormais un socle solide sur lequel peut se baser tout étudiant, artiste ou enseignant désireux d’explorer le rapport entre notation et technologie.
1Notational perspective and comprovisation, 2013, Sound & Score. Essays on Sound, Score and Notation
2https://www.dmu.ac.uk/about-dmu/news/2020/december/dmu-academic-wins-2-million-grant-to-investigate-the-future-of-music-and-creative-technology.aspx
Jonathan BELL
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