Héritier de la grande tradition symphonique du classicisme et ayant enrichi sa pensée compositionnelle en intégrant l'héritage de la musique du XX ème siècle et les acquisitions des recherches actuelles de la musique électronique, le compositeur italien Ivan Fedele s'impose par la force d'un esprit de synthèse remarquable permettant des réussites rares. Contrairement à une bonne partie de ses collègues, préoccupés exclusivement par les problèmes de génération de la matière du son ou par les technologies multimédia les plus avancées, Fedele pose systématiquement et résout de façon convaincante, et sans pour autant sous-estimer l'importance du métier dans l'élaboration de la matière du son, le problème essentiel pour l'art de composer : celui de la construction de la grande forme de l'œuvre musicale toujours unifiée et cohérente.  Né en 1953 à Lecce et issu d'un milieu modeste, Fedele arrive avec sa famille à Milan à l'âge de six ans et commence à apprendre le piano. Quatre ans plus tard, il entre au Conservatoire 'Giuseppe Verdi' de Milan dans la classe du pianiste Bruno Canino, interprète passionné de musique contemporaine, qui lui donne une éducation musicale vaste, le goût pour l'interprétation et une stimulation très forte pour la création. L'enseignement de Canino est le contraire de la pédagogie académique qui laisse pour « plus tard » l'apprentissage des œuvres contemporaines. A treize ans, Fedele joue les Variations Op. 27 d'Anton Webern aux côtés de celles de Mozart et forme déjà dans la pratique de l'interprète sa vision 'an-historique' de la création musicale et sa propre conception non linéaire de l'histoire de la musique.

 

 

 


©Éric de Gélis

 

 

 

Après l'obtention de son diplôme de piano au conservatoire à l'âge de dix-neuf ans, Fedele se consacre sérieusement à la composition. En deux ans, il prépare le concours de fin de septième année selon le cursus de composition au conservatoire, grâce à son talent et à ses fortes motivations, mais aussi grâce au talent pédagogique de son maître, le compositeur Renato Dionisi. Il lui permet de brûler les étapes et d'acquérir une technique compositionnelle solide sur la base d'une étude approfondie des musiques du passé : de la technique contrapuntique de Gesualdo da Venosa, de la seconda prattica de Monteverdi, du contrepoint de Bach, de la technique de variation chez Mozart, etc.

 

 

 

Après deux années de travail dur et enrichissant avec Renato Dionisi, Fedele entre dans la classe de composition au Conservatoire de Milan pour suivre le cursus normal des trois dernières années d'études. Mais, toujours guidé par son goût pour le nouveau et sa nécessité profonde de recherche, le jeune homme s'inscrit aussi dans la classe de musique électronique d'Angelo Paccagnini. Le travail en studio électronique, rendu possible grâce à une convention entre le célèbre Studio di fonologia, créé au début des années 60 par Bruno Maderna, Luciano Berio et Marino Zuccheri, et le Conservatoire de Milan, permettra à Fedele, malgré l'état déjà obsolète des outils électroniques, de mûrir des projets compositionnels plus consistants.

 

 

 

Premières œuvres

 

 

 

Vers la fin du cursus et pour obtenir le diplôme de composition au Conservatoire de Milan, Fedele entre dans la classe du compositeur Azio Corghi. L'art d'orchestrateur remarquable de Corghi, l'exploration des possibilités techniques des instruments, sa recherche vocale et dramaturgique dans l'opéra marquent considérablement le travail de Fedele. De cette époque datent son Premier quatuor à cordes - Primo quartetto («Per accordar ») (1981/89) et sa première grande œuvre destinée à la scène, Oltre Narciso (1982), cantate profane sur son propre livret. Dans le Quartetto, Fedele explore, en suivant son maître Corghi, des techniques instrumentales inspirées par les classiques tout en cherchant à intégrer des modalités nouvelles de jeu, qui rapprochent souvent le son instrumental du son électronique. La cantate profane destinée à la scène Oltre Narciso, pour mezzo-soprano, baryton, chœur d'hommes, 2 danseurs et orchestre, d'une durée globale de 40 minutes, est née au contact direct de la recherche opératique de Corghi à l'époque. Elle, est créée avec un bon succès à la Piccola Scala de Milan en 1982 et attire l'attention du milieu musical milanais sur le jeune compositeur.

 

 

 

Les deux pièces écrites en vue du diplôme de composition au Conservatoire de Milan - Primo quartetto et Chiari (1981) pour orchestre - apporteront le premier grand succès international : elles obtiennent le prix Gaudeamus et sont créées, respectivement, par le Quatuor Gaudeamus et l'Orchestre de la Radio hollandaise placé sous la direction d'Ernest Bour, en 1991 à Rotterdam, dans le cadre de la semaine musicale internationale Gaudeamus. La recherche de Fedele dans Primo quartetto et Chiari renoue avec la pratique instrumentale issue de la tradition occidentale, mais filtrée par les acquisitions de l'avant-garde et l'expérience électronique. L'enrichissement de la matière du son va de pair avec une recherche formelle importante. Après avoir défendu le hasard contrôlé, Fedele ressent de plus en plus le besoin de donner forme à la matière musicale et la nécessité d'inventer des procédures formelles générant des gestes formels facilement audibles et des œuvres unifiées et cohérentes.

 

 

 

La formation de Fedele passe aussi nécessairement par le contact, direct ou indirect, avec des compositeurs italiens qui marquent l'histoire de la musique du XX ème siècle. Au cours des années 70, il est fortement attiré par le travail de Luigi Dallapiccola avec sa capacité extraordinaire d'humaniser un système compositionnel rigide. Ayant étudié, pratiqué et analysé la technique dodécaphonique, en jouant les Variations op. 27 d'Anton Webern par exemple, Fedele n'a jamais essayé d'écrire de la musique strictement sérielle. Son rapport un peu conflictuel avec le sérialisme, imposé au cours des années 50-70 comme la loi du comportement avant-gardiste, se traduit par le refus d'écrire en suivant les préceptes du post-sérialisme. Fedele est beaucoup plus intéressé par les  modalités d'humanisation du système rigide, tel que pratiqué par Alban Berg dans le contexte postromantique ou par Dallapiccola dans les conditions de l'avant-gardisme militant. Et son attitude vis-à-vis de la recherche scientifique aux services de la musique - y compris lors de l'expérience avec Richiamo (1993-94), pièce pour cuivres, percussions, claviers et électronique, produite et créée à l'IRCAM - reste toujours calquée selon le modèle de Dallapiccola et le sérialisme : un rapport de musicien humanisant la technologie, un rapport de musicien-compositeur et non de scientifique-chercheur.

 

 

 

La relation avec Franco Donatoni semble avoir été beaucoup plus directe. En 1981-82 Fedele fréquente ses cours à l'Accademia Santa Cecilia à Rome, mais il connaît, déjà avant d'arriver aux cours, par l'analyse approfondie des œuvres, la période « négative » de Donatoni, ses techniques de l'aléatoire, son « artisanat furieux » des mécanismes arithmétiques et des procédures automatiques. L'écriture figurative linéaire de Donatoni contribue à l'élaboration chez Fedele d'une technique figurative soumise toujours aux gestes formels directionnels. La conception de la macroforme en tant qu'architecture solide de panneaux unifiés dans les œuvres de Donatoni influence certains projets compositionnels de Fedele, parmi lesquels certainement Chiari où il adopte aussi le principe donatonien de prolifération du matériau à partir de mécanismes relativement automatiques.

 

 

 

La recherche instrumentale de Fedele au cours des années 80-90 dissimule à peine sa dette avouée vis-à-vis des découvertes timbrales de Salvatore Sciarrino : concernant la figure musicale, le geste instrumental ou l'idée du timbre. Fasciné par la richesse des techniques instrumentales renouvelées avec leurs conséquences timbrales insoupçonnables dans les œuvres de Sciarrino, Fedele multiplie sa recherche compositionnelle à l'intérieur du son, dans le domaine du timbre instrumental influencé par l'idée du son électronique. Comme beaucoup d'autres jeunes compositeurs italiens, Fedele est fortement impressionné par les figures instrumentales nouvelles de Sciarrino, par le son multidimensionnel résultant des modes inhabituels de jeu et créant des atmosphères sonores quasi électroniques. Inspiré en grande partie par la recherche timbrale de Sciarrino, Fedele cherchera par la suite à intégrer à sa démarche de type synthétique les suggestions venues de la technologie la plus récente et les recherches timbrales d'orientation spectrale.

 

 

 

Les relations du langage compositionnel de Fedele avec ceux de ses grands prédécesseurs Luigi Nono et Luciano Berio semblent beaucoup moins directes, mais non moins importantes. Nono le fascine surtout par la sincérité de sa démarche de compositeur et par sa capacité d'évoluer, de changer, d'inventer jusqu'à la fin de sa vie. Au contraire, Berio, qu'il ne connaît pas personnellement, l'influence tout de même directement, par le fort impact de ses œuvres et indirectement, par son raisonnement formel, déduit d'une analyse approfondie de ses œuvres. La conception du langage musical fondé sur des distinctions fonctionnelles nettes, les directionnalités formelles audibles, l'art séducteur de susciter et de décevoir des inerties de la perception, la capacité extraordinaire de synthèse permettant la réinvention, sur la base de siècles d'héritage musical, de procédés formels comme ceux de la transcription dans les Chemins orchestraux avec solistes à partir des pièces pour instruments seuls Sequenza tous ces aspects essentiels de l'œuvre de Berio ont fortement marqué la recherche compositionnelle de Fedele.

 

 

 

Micro- et macrostructure

 

 

 

Fedele appartient à la génération de compositeurs pour laquelle l'apprentissage des technologies aux services de la musique fait déjà partie de la formation de base. L'expérience au Studio di fonologia de Milan en 1974-75 en tant que partie intégrante du cursus de composition au Conservatoire signifie pour lui, suite à sa formation antérieure, avant tout recherche formelle : expérimentation avec la matière nouvelle en vue de la formalisation des idées musicales et de la réalisation de projets formels consistants. C'est au cours des années 90, déjà à l'IRCAM à Paris(1) et au contact direct avec la musique française et les recherches des compositeurs du courant spectral que Fedele arrive à la conception du timbre et de la composition de l'harmonie-timbre, mais toujours avec une préoccupation d'ordre formel. Il est fortement attiré par l'attitude spectrale assurant nécessairement la cohérence de l'œuvre : utiliser un son isolé en tant que métaphore de la composition ; concevoir le son en tant qu'origine de la pièce et la forme globale en tant que macrostructure reconductible au son-origine. La musique spectrale oriente sa recherche formelle vers la fonction formatrice du timbre. Il commence à chercher des raisons compositionnelles non seulement dans les constructions abstraitement formelles, mais encore dans la structure timbrale de ses accords de base, sans pour autant utiliser ni le matériau des « spectraux » - les spectres de sons définis à partir d'analyses précises - ni leur stratégie formelle consistant surtout à élaborer de grandes évolutions d'accords ou d'harmonies-timbres. Une fois de plus « par volonté » et « par hasard », Fedele filtre la stimulation venue de la recherche spectrale par sa propre expérience et dans une démarche de synthèse : son approche du son n'est jamais strictement scientifique, mais avant tout musicale. Et quant aux projets formels, il préfère de loin les processus formels plus riches qui n'ignorent pas la figure et la polyphonisation et qui sont plus articulés du point de vue du langage musical et de la gestion du temps.

 

 

 

L'attitude de Fedele vis-à-vis des technologies est toujours celle du musicien cherchant à réaliser le son le plus adéquat au son imaginé : toute acquisition technologique se justifie pour lui dans la mesure où elle peut faciliter et accélérer le travail de l'artisanat compositionnel, rendre audibles les phases successives au cours de la recherche et contribuer à un résultat sonore esthétiquement convaincant. Dans son travail de recherche au cours des années 80, il est fortement attiré par les possibilités d'aide à la composition du système Patchwork, permettant une accélération considérable des opérations habituelles de l'artisanat compositionnel. Mais aussi par les possibilités offertes par l'informatique d'entendre, presque tout de suite, en direct, le résultat sonore par rapport à la recherche d'un son imaginé. Pour Fedele, l'expérience technologique devient beaucoup plus attrayante dès qu'elle permet de rapprocher le travail du compositeur de la pratique de l'interprétation. Toute construction mentale préalable et tout projet formel abstrait doivent se soumettre à un contrôle sélectif et à un choix opérés et vérifiés par l'expérience physique, psychoacoustique et esthétique du compositeur. Les possibilités d'écoute immédiate offertes par l'informatique actuelle et celles de l'analyse précise permettant la composition d'une harmonie-timbre riche, apte à générer des processus sonores consistants, sont, pour Fedele, parmi les aspects essentiels de la technologie actuelle aux services de la musique.

 

 

 

Avec ou sans outils électroniques, la composition est pour lui  nécessairement recherche formelle aboutissant à des œuvres cohérentes. Il est bien connu que, depuis l'effondrement de la tonalité et du fonctionnalisme harmonique et formel, la construction de la grande forme de l'œuvre musicale dans la tradition occidentale fait problème. Arnold Schœnberg, à l'époque du Blauer Reiter, assigne au texte le rôle prépondérant dans l'élaboration formelle ; plusieurs compositeurs fort différents du XXème siècle cherchent à intégrer les débris des schémas classiques aux nouveaux contextes ; les ouvrages théoriques capitaux des années 60 - Penser la musique aujourd'hui de Pierre Boulez et Musiques formelles de Ianis Xenakis - n'accordent aucune place, si ce n'est minime, aux problèmes macroformels. Les travaux théoriques de la recherche musicale/scientifique actuelle attribuent beaucoup plus d'importance aux procédés techniques d'analyse ou de synthèse du son qu'aux aspects macroformels de l'œuvre musicale.

 

 

 

Contrairement aux orientations formalistes ou avant-gardistes du XX ème siècle affirmant l'incapacité de la musique d'exprimer et de communiquer, la musique de Fedele pose d'emblée la nécessité de transmettre un message facilement audible. Langage auto-référentiel, la musique extériorise pour lui, par les artifices de l'artisanat, de la technique et des structures, une intuition musicienne synthétique, un savoir profond difficilement verbalisable, nomadisant continuellement entre le rationnel et l'émotionnel et toujours en accord avec le fonctionnement des archétypes dans les comportements humains. Et, tout comme les compositeurs de la tradition classique, l'œuvre musicale se définit pour Fedele en tant que réseau fermé de relations internes, en tant que structure équilibrée dans le temps, en tant que processus architectural et prémédité, fondé le plus souvent, dans ses œuvres jusqu'aux années 90, sur l'opposition de caractéristiques sonores nettement différenciées.

 

 

 

Pour Fedele, l'art de composer suppose obligatoirement au moins deux talents : l'imagination du son en tant que matière première de l'œuvre et le sens de la forme mettant en évidence la capacité de s'exprimer à travers un langage personnel. Le travail du compositeur comporte l'interaction de deux principes : celui de l'organisation et celui de la liberté. Son mode de composer, guidé toujours par la force vitale de l'intuition, prévoit nécessairement une structure métrique qui, en règle générale, a une direction, mais aussi la possibilité d'être libre dans l'élaboration des textures sonores. Son travail repose souvent sur le rapport dialectique entre deux logiques compositionnelles : celle de l'ars combinandi et celle de l'ars componendi. La première correspond à l'art de la combinatoire et appartient plutôt à des traditions extra-européennes. Elle est définie par le fait que des figures répétées reviennent à distance au cours d'un processus statique de mouvement « sur place », selon des cycles (ou  des orbites) de longueurs différentes, en  constituant des panneaux formels homéostatiques. L'ars componendi en revanche, lié à l'art du développement directionnel, appartient à la tradition occidentale. Fondée sur des cellules thématiques qui sont habituellement l'impulsion initiale déclenchant des processus dynamiques directionnels, cette démarche décrit des gestes formels téléologiques fondés sur le contraste ou sur la transformation continue de la matière sonore.

 

 

 


Avec Bruno Mantovani ©Éric de Gélis

 

 

 

Ainsi, dans sa première pièce pour orchestre Epos (1989), Premier prix au IIIe Concours international de composition 'G. Petrassi', Fedele élabore en fresque symphonique quelques trouvailles compositionnelles concernant les procédés formels d'œuvres antérieures pour ensembles de chambre, comme Chord (1986) pour 10 musiciens, Primo Quartetto d'archi (1981/89), Bias (1988) pour hautbois et guitare, Allegoria dell' indaco (1988) pour 11 musiciens, et aussi Chiari (1981) pour orchestre. Tout en enchaînant sans coupure sept parties distinctes - Deciso, Calmo, Ad Agio, Lontano, Vivo, Presto, Maestoso e risonante - l'œuvre repose sur l'opposition binaire, sur l'interaction dialectique et la fusion résultante, dans la partie conclusive Maestoso e risonante, de deux caractéristiques fondamentales, de « deux principes » contrastants:

 

 

 

                   - une caractéristique musicale de type « ars componendi »: active, énergique, con slancio (avec élan), vitale, explosive, toujours en transformation orientée en avant - donc processuelle -, utilisant les projections sonores de plusieurs timbres instrumentaux qui rappellent les sons composites projetés dans l'espace chez Varèse (comme au début de la pièce, dans la partie Deciso, con slancio),

 

                   - une caractéristique musicale de type « ars combinandi » : calme, passive, homéostatique, réflexive, méditative, stable - donc « situationnelle » -, utilisant le plus souvent des sons tenus, des trames continues, des mouvements « sur place » fondés sur la répétition d'éléments à des vitesses et sur des orbites différentes (comme dans Calmo, con andamento flessibile).

 

 

 

L'interaction continue de ces deux caractéristiques fondamentales efface les césures entre les sept parties distinctes : Epos n'est pas un cycle de pièces de caractère, mais une élaboration symphonique transformationnelle et téléologique, menant vers la fusion finale résultante dans Maestoso e risonante.

 

 

 

Le même principe d'opposition binaire active régit souvent la pensée compositionnelle, sous des formes différentes, au niveau de la microstructure. Il s'agit toujours d'une distinction nette des fonctions formatrices et d'une dialectique entre le principal et le secondaire. Comme dans Donax (1992) pour flûte seule, par exemple, où l'élaboration de la grande forme repose précisément sur l'interaction flexible entre matériaux principaux et secondaires. Le rôle des matériaux secondaires au départ (des ribattuti glissati, des figures de notes répétées rapidement avec portamenti ou des sforzati, des tongue-ram qui deviendront par la suite beaucoup plus nombreux) est comparable à celui de la ponctuation des phrases dans la langue parlée : ils permettent le découpage du processus sonore, la délimitation de sections formelles distinctes et, de ce fait, contribuent à l'intelligibilité de l'œuvre pour l'auditeur. En cours de route, les figures secondaires, décoratives, commencent à assumer progressivement une fonction thématique importante, soutenues par l'émergence progressive de nouvelles figures secondaires. Les procédés d'alternance des matériaux opposés, d'apparition ou de dissolution progressives, d'échange, d'amplification ou d'affaiblissement de fonction - tous ces jeux des contraires organisent la forme musicale soumise à la directionalité linéaire d'ordre discursif, mais mue par le mouvement des perspectives d'ordre spatial. 

 

 

 

Des formes directionnelles

 

 

 

Composées toujours en vue de l'auditeur, les œuvres de Fedele cherchent à rendre audible - tout en tenant compte des limites de la mémoire à l'écoute de textures musicales complexes - le cheminement directionnel,  téléologique de la matière musicale. Toujours fidèle à la grande tradition narrative de l'œuvre-totalité, Fedele invente une multitude de directionnalités organisatrices mobilisant toutes les dimensions de l'espace musical de l'œuvre. Et si la tradition classique jouait exclusivement avec la mémoire de l'auditeur en distribuant pour lui dans l'axe temporel de l'œuvre des jalons d'orientation permettant la saisie de celle-ci dans sa totalité, Fedele multiplie les dimensions, en inventant différents types de directionnalités :

 

 

 

- des directionnalités organisatrices d'ordre spatial : comme dans le Concerto pour piano (1993)  où des caractéristiques sonores émergent de la profondeur de la masse complexe du son pour occuper le premier plan ;

 

- des directionnalités d'ordre qualitatif : comme dans Donax (1992) pour flûte où l'on effectue le cheminement d'un complexe harmonique dense au début vers des modes archaïques à la fin. Simultanément, la flûte contemporaine du début se transforme, en remontant le temps, en shakuashi japonais, avec ses références ethniques ;

 

- des directionnalités d'ordre quantitatif : comme dans Chiari où les caractéristiques sonores données sous forme de fragments relativement courts au début apparaissent plus tard, à distance dans le temps, sous la forme de fragments beaucoup plus longs;

 

- des directionnalités d'ordre de la densité comprenant la raréfaction et la densification d'un ou plusieurs paramètres : comme dans Imaginary Islands (1992) pour flûte, clarinette basse et piano ; ou le cheminement d'un groupe instrumental monochrome vers l'ensemble des groupes orchestraux ou l'inverse ; ou bien encore le cheminement allant d'une multitude d'éléments thématiques divergents vers un seul élément ou l'inverse : c'est un des procédés du travail au niveau de la microstructure dans le Concerto pour piano ;

 

- des directionnalités reposant sur la modulation des fonctions des composantes formelles : comme dans le troisième mouvement du Primo Quartetto (« Per accordar»), où les sections rigoureusement homorythmiques et les sections de type cadenza échangent progressivement en cours de route leurs fonctions. A la fin, ce sont les parties cadenza, plus développées qu'au début, qui assument le rôle formateur principal, en reléguant au second plan les parties homophones. Sensiblement réduites à la fin, celles-ci assument la fonction de ponctuation qu'assumaient au départ les sections à caractère cadenza;

 

- des directionnalités reposant sur l'inversion des fonctions formatrices : comme dans le Concerto pour alto et orchestre (1990/1995): dans la première partie, l'alto s'exprime selon des figures très homogènes, d'après le principe de « l'ars combinandi », sur le fond d'un paysage orchestral très changeant, très mouvementé. Dans la partie finale, au contraire, c'est la partie soliste qui a une variété de figures très riche, tandis que l'écriture orchestrale devient extrêmement homogène ;

 

- des directionnalités superposées permettant le passage d'une situation statique à une situation dynamique et l'inverse, à travers les modalités de condensation-contraction et de dilution-dilatation : comme dans Chord (1986) pour 10 musiciens ou dans Mixtim (1989-90), musique rituelle pour 7 musiciens ;

 

- des directionnalités inverses et croisées : comme dans Anima mundi (1997) pour soprano, baryton, deux récitants, chœur mixte et orchestre où le prélude, les trois interludes et le postlude proviennent de Richiamo (1993-4) pour cuivres, percussions et électronique, et les parties vocales constituent Coram (1996) pour soprano, basse, chœur mixte et orchestre. La directionnalité de Coram est inverse de celle de Richiamo. Le matériau de la première partie de Coram, c'est le matériau de la dernière partie de Richiamo. Après le croisement des deux directionnalités inverses au milieu de la pièce, on aboutit à la fin à la situation contraire à celle du début.

 

- des directionnalités au niveau des fréquences ou des régions de texture correspondant à des parcours fortement étirés dans le temps, comme dans les œuvres à matériau sonore réduit des deux dernières décennies.  Ainsi de « De li duo soli et infiniti universi » (2001) pour deux pianos et trois groupes d'orchestre, Ruah (2002-2003) pour flûte et orchestre, ou Due notturni con figura (2007) pour piano et électronique, où le compositeur vise une conduite tridimensionnelle du matériau et des objets musicaux continuellement sculptés.

 

 

 

Les versions toujours différentes des directionnalités chez Fedele - les crescendi ou decrescendi formels, de texture, de densité, d'ordre spatial ou d'ordre quantitatif ou thématique architectonique - décrivent toujours des gestes formels narratifs audibles. C'est leur composition habile, tenant compte des différences fondamentales entre le temps compositionnel, le temps de l'interprétation et le temps de l'écoute, qui rend possible l'intelligibilité de ses œuvres.

 

 

 

La structuration de l'espace musical fait partie intégrante du raisonnement formel chez Fedele : en tant qu'aspect essentiel dans l'élaboration de la dimension linéaire du discours musical, en tant que « résonance », ou plutôt « espace acoustique » qui correspond à l'extension d'un matériau de base sur la totalité des parties instrumentales et électroniques impliquées, ou en tant que diffusion stéréophonique complexe, directement liée au contenu musical des figures et à la directionnalité des gestes formels.

 

 

 

Déjà Epos (1989), sa première pièce pour orchestre, est une première tentative d'élaboration très détaillée d'un espace musical pluridimensionnel où la profondeur de la matière sonore devient aussi dimension importante pour des directionnalités formatrices. Dans le Concerto pour piano et orchestre (1993), contrairement à la tradition symphonique narrative du concerto où la téléologie formelle est nécessairement fondée sur l'interaction dans le temps des caractéristiques sonores solo et tutti, Fedele cherche l'exploration pluridimensionnelle - en hauteur, en profondeur, en diagonal, linéaire - des virtualités inscrites dans la matière sonore de base. Toute répétition littérale et toute reprise redondante sont soigneusement exclues. L'orchestre ne reflète pas, ne re-donne et ne re-prend jamais de caractéristiques musicales déjà exposées, mais élabore, étale, déploie, spatialise : Il agit comme un kaleïdoscope sonore ou comme une machine virtuelle qui introduit un maximum de différences, tout en gardant le rapport de dérivabilité ou de conditionnement, facteurs de cohérence. La relation entre le piano et les parties orchestrales est donc non pas de reflet, de miroir, de re-production ou de re-prise, mais d'exploration, d'analyse et de synthèse, d'amplification et de multiplication des spectres sonores, de transformations et d'interpénétrations, de résonances et de réverbérations auxquelles le compositeur donne vie en élaborant des parties instrumentales détaillées.

 

 

 

L'idée de la résonance définit la recherche de Fedele dans Etudes boréales (1990) pour piano : dans ces cinq pièces brèves, le compositeur cherche à approfondir la conception de la résonance non seulement en tant que phénomène acoustique visant une recherche d'ordre timbral, mais encore en tant que paradigme de l'affirmation de l'identité d'un événement sonore. L'idée de la résonance - non sans influence de la musique spectrale -  inspire aussi les particularités du son et les particularités formelles de Duo en résonance (1991) pour deux cors et ensemble. La résonance à l'intérieur du duo se manifeste en tant qu'interaction continuelle des figures jouées par les deux solistes en constituant un seul grand cor stéréophonique. La résonance entre le duo et l'ensemble qui met en jeu l'interaction dialectique des opposés - de la continuité et de la discontinuité - signifie en fait mise en espace ou extension acoustique du duo par l'ensemble tutti. Au travers des procédés de multiplication et raréfaction, accélération et ralentissement, réfraction et diffraction, répétition et distorsion, les figures musicales sont comme projetées, mises en espace, transcrites dans les parties de l'ensemble. Et si la « mise en résonance » du duo rappelle la technique des Chemins par rapport aux Sequanza de Berio, la structuration de la grande forme avec sa stratégie d'anticipation/préfiguration et de rappel/réminiscence évoque la Momenttechnik de Karlheinz Stockhausen(2).

 

 

 

L'inscription de la dimension spatiale à l'intérieur de la partition écrite  - un peu dans la lignée de Varèse - va de pair chez Fedele avec la composition d'un espace de réalisation étroitement lié à la spécificité de la matière sonore. Effectivement, l'idée de l'espace en tant que lieu géométriquement défini, fonctionnel et nécessaire à la partition, devient un aspect essentiel de ses œuvres. Ainsi : Dans Duo en résonance (1991), les deux cors solistes sont placés à distance face au public pour composer ensemble un « seul grand cor stéréophonique ». Dans le quintette à vent Flamen (1994), les cinq instrumentistes sont placés à distance l'un par rapport à l'autre et sur des podiums de hauteurs différentes, en décrivant sur l'espace scénique une sorte d'arc : avec le cor surélevé au milieu, la flûte et le hautbois à gauche et le basson et la clarinette à droite. Dans Richiamo (1993-94) pour cuivres, percussions et électronique, les sept cuivres, les deux claviers et les deux percussions sont disposés symétriquement sur la scène, de même que les six haut-parleurs autour de la salle. Duo en résonance, Flamen, Richiamo témoignent d'une recherche permanente de « dramatisation » de l'espace lors de l'exécution : à la géométrie particulière dans la distribution des instrumentistes sur le podium, aux effets de résonance et réverbération virtuelles, aux parcours directionnels des figures inscrits dans la partition et développant les principes de la Klangfarbenmelodie, s'ajoute la dramaturgie spatiale dans la diffusion de la partie électronique. Les parcours sophistiqués de la musique diffusée par les haut-parleurs - comme dans Richiamo - participent, au même titre que les instruments acoustiques, au modelage de l'espace sonore en mouvement lors de l'interprétation.

 

 

 


Ivan Fedele, Jacques Mercier et Hugues Dufourt ©Éric de Gélis

 

 

 

Puisé dans les modèles du passé 

 

 

 

 

 

Pour atteindre une intelligibilité maximale de ses œuvres à l'écoute, Fedele n'hésite pas à utiliser, tout en les transformant, des principes formels chargés d'histoire ni à recourir aux modèles les plus significatifs du passé, aux archétypes les plus adéquats pour ses projets compositionnels.

 

 

 

Des formes anciennes comme les variations, les formes symétriques ou le concerto instrumental se trouvent considérablement modifiées et adaptées aux nouveaux contextes. Ainsi, Chiari (1981) « spatialise » les procédés des variations, en introduisant  l'idée de la fragmentation inspirée par l'expérience cubiste. Fortement attiré à l'époque par l'œuvre de Georges Braque, Fedele cherche la transmutation de la présentation fragmentale, venant des arts plastiques dans le domaine de la musique, tout en soumettant l'élaboration des trois caractéristiques fondamentales de son œuvre (Veloce al possibile, 2/4; Moderato, 3/4 et Lento, 4/4) au courant discontinu - car entrecoupé, fragmenté - d'un déroulement directionnel, téléologique.

 

 

 

Dans Chord (1986) pour ensemble, le retour toujours différent d'une situation harmonique - malgré le travail polyphonique complexe et la technique des boucles permettant le retour des figures selon différentes périodicités - est inspiré par les procédés des variations sur basso ostinato proche de la chaconne.

 

 

 

A la recherche de structures formelles équilibrées et stables, Fedele utilise aussi les formes symétriques en les soumettant le plus souvent au courant de ses directionnalités organisatrices. Ainsi, dans Imaginary islands (1992) pour flûte, clarinette basse et piano, la forme générative - aux niveaux de la micro et de la macrostructure - repose  sur un geste symétrique de crescendo et decrescendo formels, allant d'une texture raréfiée (il s'agit de raréfaction d'un ou plusieurs paramètres) vers la zone culminante avec une densité maximale de la texture, pour revenir à l'état initial vers la fin. Dans Imaginary skylines (1990-91) pour flûte et harpe, le compositeur utilise un renversement continuel des rôles : au début, la partie de la harpe à contenu figuratif dense est accompagnée par des interventions ponctuelles de la flûte. La situation est inversée en fin de parcours. La forme globale se soumet à un schéma symétrique chargé d'histoire, mais suggéré ici aussi par la versification de la poésie japonaise haiku et tanka.

 

 

 

La forme classique du concerto instrumental trouve aussi chez Fedele des versions nouvelles : tout en maintenant le principe fondamental d'opposition entre solo et tutti dans une vaste forme symphonique fondée sur les contrastes, Fedele enrichit ses procédés formels en introduisant ses déviations libres dans l'exploration des « paysages sonores », ou ses dramaturgies spatiales mobilisant l'espace figural inscrit dans la partition et l'espace acoustique de la salle de concert.

 

 

 

Ainsi, le Concerto pour piano et orchestre est fortement marqué par l'expérience de la musique électronique et l'assimilation des procédés des musiques spectrales. Tout en maintenant la filiation venant de la tradition symphonique du concerto instrumental classique et romantique - ici quatre sections principales distinctes (à la place des trois mouvements classiques) et Cadenza soliste le troisième quart de la forme dans sa totalité/ (un peu comme dans le premier mouvement Allegro du concerto classique) - le Concerto de Fedele serait à définir comme un vaste poème symphonique avec piano soliste qui invente les principes formels d'un nouveau symphonisme contemporain, impensable sans l'expérience des musiques électroniques et spectrales récentes.

 

 

 

Le Concerto pour alto et orchestre (1990-91) conjugue aussi les deux principes essentiels pour Fedele : le principe d'organisation et le principe de liberté. Le rapport entre le soliste et l'orchestre n'est pas du type classique où les thèmes rebondissent du solo au tutti et inversement dans une relation dialectique étroite, mais celui d'une opposition des contraires sans leur intégration. Dans la première partie, l'alto joue des figures homogènes et évolue sur le « paysage » orchestral très riche et en mouvement ; dans la troisième, en revanche, la partie soliste très détaillée, à caractère très vif et électrique, « a capriccio », s'oppose à l'écriture très homogène, fondée sur la superposition serrée de figures répétitives dans l'orchestre.

 

 

 

Les formes anciennes - les variations, les transcriptions, les formes symétriques, le concerto instrumental, etc. - dans la recherche de Fedele se soumettent parfaitement à sa démarche de synthèse : les principes formels toujours renouvelés chez lui sont des clusters d'expériences formelles qui font appel aussi à des archétypes solidement ancrés, ce qui contribue nécessairement à l'intelligibilité de ses œuvres.

 

 

 

La démarche synthétique de Fedele - l'utilisation de principes formels ayant une longue histoire et l'invention des principes d'un nouveau symphonisme sur la base des acquisitions les plus récentes du langage musical - repose sur une conception non linéaire, mais verticale, en hauteur ou en profondeur, de l'histoire : une conception « géologique » où toutes les musiques sont contemporaines. La pulsation de consonances et de dissonances dans le contexte chromatique des Responsori de Gesualdo da Venosa peut parfaitement être transposée dans le contexte actuel en tant que relation entre harmonique et inharmonique. Les procédés variationnels de Mozart sont facilement assimilables aux procédés d'inspiration fractale. Les variations de la tradition classique peuvent être filtrées et transformées avantageusement par le travail microstructural et par les procédés de la spatialisation. Le concerto classique opposant solo et tutti peut devenir poème symphonique explorant un paysage sonore fluctuant dans un échange spatialisé de fonctions entre soliste et orchestre. Les procédés de la transcription peuvent parfaitement être mis « en espace » pour déployer la richesse des figures et des timbres. Le graphisme symbolique (carme) ou des structures poétiques spécifiques (haiku) peuvent aussi nourrir l'imagination formelle du compositeur. C'est, précisément, par tous ces procédés que la démarche de Fedele fait soumettre son ancrage dans la tradition classique à une ouverture puissante vers les musiques du futur : vers la recherche actuelle du compositeur qui n'a jamais voulu faire tabula rasa du passé, mais qui a su utiliser toutes ses connaissances du passé musical et toutes ses compétences de compositeur d'aujourd'hui pour la création de la musique de notre temps.

 

 

 

Vers l'épurement du langage

 

 

 

A partir de la fin des années 90, le travail compositionnel d'Ivan Fedele s'oriente de plus en plus vers la réduction du matériau musical à très peu d'éléments ou, dit autrement, vers la déduction de la totalité de l'œuvre à partir d'un code génétique de base qui assure nécessairement la cohérence audible. Le fonctionnalisme formel fondé sur les contrastes et hérité de la tradition classico-romantique cède la place à une conception formelle nettement marquée par les expériences électronique et spectrale. Ainsi, Ali di Cantor (2003) pour quatre groupes instrumentaux, œuvre écrite pour et dédiée à Pierre Boulez pour son 80ème anniversaire, est fondée sur un matériau musical très réduit, constitué de quelques intervalles choisis qui produisent des accords spécifiques unifiant la totalité de l'œuvre constituée de six mouvements contrastants s'enchaînant sans césure. Des techniques chargées d'histoire, comme celle du canon ou du hoquetus, par exemple, contribuent aussi à la génération d'une matière sonore dense et transparente à la fois, se référant toujours au complexe intervallique générateur et unifiant. Le canon ou le hoquetus sont aux services d'une conception globale tridimensionnelle du son en évolution continuelle : Les distances minimales des entrées des voix dans le canon annulent l'effet polyphonique au nom d'une densité fluctuante de la matière dense. La technique inspirée par le hoquetus permet la génération d'une texture rythmée, ponctuée et vivace qui transpose l'idée du hoquetus dans le contexte d'une musique pensée en trois dimensions fluctuantes. L'idée de réduction du matériau de base n'est, bien sûr, pas nouvelle et elle a généré des résultats fort différents au cours des dernières décennies (3). Mais pour Fedele, cette recherche n'a rien à voir avec la simplicité du minimalisme ou des stratégies répétitives. Elle s'inspire naturellement de l'art de Beethoven qui a su produire des univers symphoniques d'une richesse exceptionnelle avec un minimum d'éléments thématiques de base. La leçon du grand symphoniste qui inspirera différemment des générations de compositeurs, se résume pour Fedele non pas dans la richesse du matériau thématique, mais dans la façon de le travailler, dans l'art de transformation et de mise en valeur d'éléments relativement simples. Et il expérimente en conformité avec les recherches les plus avancées de spatialisation actuelle : celles à l'intérieur de la partition avec les moyens spécifiques de l'orchestration, ainsi que celle de la spatialisation plus « physique » impliquant directement la distribution des sources sonores, l'acoustique de la salle et la diffusion du son par haut-parleurs.

 

 

 


Ivan Fedele s'entretient avec Clara Iannotta ©Éric de Gélis

 

 

 

« De li duo soli et infiniti universi » (2001) pour deux pianos et trois groupes d'orchestre est aussi un exemple explicite de dépouillement ou d'épurement du langage par une réduction drastique du matériau. Cette œuvre, constituée aussi de mouvements contrastants s'enchaînant sans coupure, est construite autour des deux parties virtuoses des pianistes solistes qui sont les leader d'un vaste groupe de percussions fort flexible, comportant quatre instrumentistes (chacun dispose de plusieurs instruments) et de la harpe, dont les modes de jeu et, par conséquent, les sonorités sont systématiquement adaptées à l'univers percussif. Le matériau sonore de l'œuvre est réduit à quelques intervalles de septièmes et de neuvièmes organisés en groupes de deux ou trois et aux gestes de montées ou de descentes en gammes ou en arpèges à des vitesses différentes : les compressions ou les dilatations du même matériau produisent des résultats sonores différents et des expériences auditives nécessairement fort différentes. On pense à une sorte d'expérience d'inspiration « cubiste » transposée dans le domaine spatio-temporel du son : il s'agit du « même » objet, mais vu de différents points de vue, dans différentes perspectives, sous différents éclairages et, par conséquent, avec des qualités de couleur, profondeur, densité, dimensions, proportions,  toujours différentes. La gamme ou l'arpège joués très vite donnent l'impression d'un glissando, tandis que le même matériau joué très lentement se trouve parfaitement « dénaturée » - dilatée dans le temps jusqu'à devenir méconnaissable - tout en restant lui-même. Le propos formel est nécessairement la génération et la gestion de la diversité à l'intérieur d'une œuvre unifiée et cohérente, tout en partant d'un matériau très restreint.

 

 

 

Le « code » ou la figure de base peut aussi correspondre à un geste formel particulier qui s'actualise par la suite dans des dimensions temporelles différentes. Ainsi, le  4e Quatuor, Palimpseste (2006-2007), dédié au et créé par le Quatuor Arditti, repose intégralement sur le geste formel simple qui se résume en attaque suivie de résonance et qui régit la totalité de l'œuvre, constituée aussi de plusieurs parties, revenant différemment à distance et s'enchaînant sans césure. De manière fractale, le geste attaque - résonance devient « le symbole » ou plutôt le principe formel selon lequel évolue toute la pièce. Les dimensions temporelles différentes de ce même geste formel unifiant font penser aux matriochkas russes, tout en instituant des univers musicaux forts différents : des univers sonores où le quatuor est traité comme un seul instrument déployant des techniques sophistiquées dans chaque étage de la texture (les parties intitulées Tropos), des univers plus individualisés reposant sur des parties solistes virtuoses (les parties Sequentia), des univers homophones diaphanes (Organum ou Corale). Fedele réinvente l'écriture pour le quatuor, tout en évoquent des principes d'écriture chargés d'histoire (Tropos, Sequentia, Corale). Il renonce à la polyphonie visant les linéarités audibles et à la mélodie accompagnée pour « mélodiser » l'ensemble de la texture souvent virtuose, en la traitant comme objet sonore composite d'inspiration électronique, et pour médiatiser habilement entre langage chromatique et langage microtonal, ce qui amplifie nécessairement l'impression « électronique » à l'écoute.

 

 

 

Au cours des années, les préoccupations d'ordre spatial deviennent de plus en plus une partie intégrante du processus compositionnel chez Fedele. Chaque œuvre demande une distribution particulière des sources sonores, en conformité avec une stratégie précise qui permet de « sculpter le son », selon lui, en proposant différentes perspectives. Ainsi, dans Ali di Cantor (2003) pour quatre groupes instrumentaux, le compositeur dispose de quatre groupes à structures internes symétriques. La distribution des sources unique, valable seulement pour une œuvre précise, correspond à la recherche permanente chez Fedele d'une dramaturgie spatiale du son : Il s'agit toujours de placer à distance « des personnages » musicaux pour créer une dramaturgie - audible, mais aussi visible - par le mouvement du son, par le voyage des figures ou bien par l'éclairage de certains aspects en dépit d'autres. Cette stratégie correspondant à une dramatisation de l'espace définit un des aspects essentiels du travail de spatialisation organiquement inscrite dans la composition chez Fedele. La distribution de sources sonores dans la salle se justifie aussi par les nécessités d'un projet compositionnel précis. Sans exclure de son travail la spatialisation utilisant plusieurs haut-parleurs et les trajectoires sophistiqués autour et au travers du public, Fedele semble être moins attiré par ce type de spatialisation tournante ou labyrinthique, jugée par lui plutôt spectaculaire et surtout « didascalique ».

 

 

 

L'opéra

 

 

 

Première œuvre destinée à la scène opératique, Antigone (2005-2006) fait suite à la cantate profane pour une action scénique sur livret du compositeur Oltre Narcisso (1982), mais aussi au récit en musique pour deux voix récitantes et clavier Orfeo al cinema Orfeo (1994) avec texte du remarquable connaisseur de la mythologie grecque Giuliano Corti, et aux 20 tableaux de cinq minutes chacun, réalisés pour la radio, « 20 tableaux radiophoniques sur les mythes de couples » (1996), tirés de l'ouvrage Barbara mitica du même Giuliano Corti.

 

 

 

L'opéra de Fedele qui a gardé la structure de la tragédie de Sophocle en prologue, cinq scènes et épilogue, repose sur un livret extrêmement concis - réduit à l'essentiel en vue d'une œuvre musicale destinée à la scène. L'opéra s'articule autour de l'opposition binaire dans le conflit tragique entre raison politique et raisons du cœur, entre raison légiférante et éthique non écrite (Créon - Antigone), entre révolte impétueuse et obéissance placide (Antigone - Ismène), entre loi écrite du fort exerçant le pouvoir et loi non écrite, mais fort puissante de celui qui se trouve contraint de subir la cruauté monstrueuse des édits. Habilement réduit à son essence tragique, le sujet mythologique de Sophocle, dans la version de Corti prend chez Fedele une force de résonance sémantique fortement chargée de sens, aussi dans notre contexte contemporain. Un peu à la manière de ses grands prédécesseurs dans le domaine, qui sont pour lui une référence nécessaire, Wagner et Stockhausen, Fedele cherche la cohérence et l'organisation symphonique de son œuvre dans sa totalité. Mais Wagner déploie la technique des Leitmotive pour mener en avant « la mélodie symphonique » et « infinie » de son drame musical fondé sur la directionnallité narrative du mythe. Stockhausen invente sa technique des formules correspondant aux différents caractères de ses protagonistes et les fait exploser sur la totalité de ses Sept jours de la semaine Licht où chaque scène est générée à partir d'un fragment de la superformule(4) devenu code génétique. Fedele, par contre, cherche à établir des caractéristiques musicales personnalisées en tant que Leit-Gestalte, ou caractéristiques musicales principales, déterminées et flexibles à la fois, qui permettent de modeler constamment la texture tridimensionnelle tout en maintenant des caractéristiques qualifiantes. Il ne s'agit plus du tout de Leitmotive au sens wagnérien, en tant qu'étiquettes ou jalons d'orientation dans le contexte de l'écriture tonale chromatisée, ni de formules à élaborer et à étaler sur la totalité de l'œuvre selon des procédés inspirés par le sérialisme, comme chez Stockhausen, mais de la synthèse des deux : Fedele travaille avec ses Leit-Gestalte, c'est-à-dire avec les comportements musicaux spécifiques caractérisant les protagonistes, mais qui sont flexibles et malléables,  changent en fonction des situations et évoluent conformément à la trame narrative du livret. Les parties vocales cherchent à éviter le Sprechgesang neutre, devenu déjà lieu commun dans les opéras contemporains. Ainsi, la caractéristique vocale de Creonte (baryton basse) comprend-t-elle un chant syllabique assez rude et rigide, pour extérioriser son désir exacerbé de pouvoir, des excursions vers le fausset et des portamenti aux moments où ses convictions sont mises à l'épreuve, un chant plus fluide et suave quand il essaie de convaincre ou de piéger ses interlocuteurs, ou encore une désintégration du chant et de la parole dans la scène finale troublante du tyran démoli par sa propre folie du pouvoir. La caractéristique vocale d'Antigone (mezzo-soprano), fondée sur la décision et l'indécision, sur la conviction ferme et sur l'hésitation passagère, comporte un discours morcelé, articulé autour de quelques notes, mais toujours fragmenté et plutôt chromatique, et un discours plus lyrique, plus suave, en cantilène expressive qui caractérise en fait plutôt sa sœur Ismène (soprano), personnification de l'obéissance docile. De ce fait, la caractéristique musicale d'Antigone est en quelque sorte le condensé d'une opposition de caractères, explicite dans le duo très impressionnant des deux sœurs au Prologue. La caractéristique musicale du devin Tiresia (contre ténor) qui décrit le rituel de la divination, est constituée de traits mélodiques sautillants relativement rapides. Mais pour transmettre l'ambiguïté du discours des prédictions, le compositeur utilise l'étirement ou la compression maximales du texte qui le rendent incompréhensible, tout en effectuant un glissando très lent de l'aigu vers le grave et une modulation du timbre. La voix de Tiresia est la seule voix traitée électroniquement dans l'opéra : une réverbération complexe et dense, comprenant l'enchaînement de plusieurs réverbérations, produit une voix irréelle et mystérieuse.

 

 

 

Tout en renonçant à un traitement électronique des voix (excepté celle de Tiresia), Fedele cherche le recours de l'informatique pour rendre les voix audibles à tout moment de l'action scénique. Après une étude précise des formants de la voix de chaque protagoniste, la sonorisation des solistes est parfaitement individualisée et personnalisée : Chacun dispose d'un microphone particulier, choisi en fonction de la courbe spécifique des spectres de sa voix. La sonorisation raffinée et sobre ne vise que la mise en évidence des qualités timbrales spécifiques et l'audibilité des voix - y compris à des niveaux très bas - durant tout le  spectacle. Le travail de sonorisation des voix solistes, mais encore l'utilisation des chœurs, s'inscrit naturellement dans la démarche d'une écriture pour et par l'espace. L'écriture pour l'espace comprend l'écriture pour les sources sonores – les chanteurs-protagonistes et l'orchestre – situées dans l'espace de la salle selon une certaine géométrie et en mouvement en fonction du déroulement des événements scéniques. A ceci s'ajoutent le chœur d'hommes,  commentateurs sur scène, et le chœur de femmes dans le public, effectuant une sorte de réverbération ou de mise en espace, précisément, de l'univers féminin personnifié par Antigone. La « réverbération » de certains phonèmes de la partie d'Antigone qui sont comme « prolongées » ou « mises en résonance » par le chœur de femmes dans le public cherche à recréer l'atmosphère de participation à un rite, typique de la tragédie grecque. L'orchestre placé sur scène a aussi plutôt le rôle d'amplification et de multiplication des parties vocales que celui de support instrumental. L'écriture par l'espace comprend nécessairement l'écriture à travers l'espace de la salle que l'on subit et en relation avec la mise en scène précise : La sonorisation différenciée (et non pas l'amplification plate) s'inscrit précisément dans cette optique visant le maximum d'audibilité et d'intelligibilité pour l'auditeur.

 

 

 


Wolfgang Rihm et Ivan Fedele ©Éric de Gélis

 

 

 

Dans Arcipelago Möbius (2004) pour clarinette, violon, violoncelle et contrebasse et Immagini da Esher (2005) pour ensemble, Fedele joue avec « le trompe-l'œuil » transposé au niveau auditif : avec l'opposition binaire du fixe et du mouvement, sans que l'un ou l'autre soit clairement perceptible, car les deux entretiennent une relation fusionnelle. Le fixe et le mouvement coexistent donc dans la forme d'un contrepoint imaginaire. Reste à savoir quelle est la perception de l'auditeur non averti, comment il renonce à son écoute, traditionnellement linéaire, au profit de l'expérimentation avec les dimensions temporelles dans le contexte des éclairages différents du même objet. L'astuce du compositeur, séducteur auditif depuis toujours,  consiste à proposer des points de repère, des jalons d'orientation qui rendent possible « la rééducation » de l'auditeur : son cheminement dans les nouvelles explorations auditives.

 

 

 

Une vision spatiale

 

 

 

 Les recherches récentes de Fedele s'orientent de plus en plus vers une nouvelle conception du temps musical : Le temps n'est plus comparable à celui de la narration unidirectionnelle du récit ou du roman. La musique devient plutôt une sculpture sonore - souvent fondée sur peu d'éléments - dont les éclairages et les points de vue différents évoluent au cours de la pièce. L'idée est inspirée, au moins partiellement, par le cubisme en peinture ou par les mobiles en arts plastiques. Ou encore par l'observation de phénomènes visuels à transposer en musique. Comme dans Phasing (2013) pour deux pianos et deux percussionnistes où le compositeur cherche à révéler l'objet sonore et ses distorsions « en traduisant » la distorsion visuelle d'un bâton trempé dans l'eau. Ou comme dans La pierre et l'étang (… les temps…) (2011) pour quatuor à cordes, percussions, orchestre à cordes et électronique en temps réel où il s'inspire, entre autres, des mouvements de l'eau provoqués par la pierre jetée. Les changements de perspectives par rapport à un même matériau sonore de base permettent d'effectuer le passage de la bidimensionnalité à la tridimensionnalité en son comme dans Phasing. Dans Pulse and Light (2014) pour deux pianos et live electronics le compositeur cherche à rendre audible la naissance de la lumière, les pulsations de la matière et du matériau sonore granuleux sous divers éclairages qui révèlent progressivement la nature intime du son. « C'est le son lui-même qui est l'histoire dans Pulse and Light. », affirme-t-il(5). Au fur et à mesure qu'on avance dans l'œuvre, les sculptures sonores mouvantes se dévoilent dans toute leur complexité et richesse par le changement de points de vue ou de perspectives. L'objet sonore est en fait toujours présent dans sa totalité, mais jamais dévoilé complètement, car le regard auditif tourne autour de lui, s'approche ou s'éloigne, l'ausculte de près dans ses détails ou prend des distances. C'est aussi la conception de la matière et du temps dans Cristaux de temps (2010) pour chœur dont le titre est inspiré par les ouvrages de Gilles Deleuze sur le cinéma. Cette approche compositionnelle suppose un rapport nouveau à la matière et au temps : une attitude qui relève de l'observation, de la contemplation et de la découverte progressive de la nature d'un matériau musical en mouvement et non pas du suivi directionnel d'un matériau plutôt fixe dans son parcours narratif linéaire.

 

 

 

Les œuvres les plus récentes de Fedele sont marquées par l'expérimentation avec les procédés de structuration temporelle de l'œuvre et l'utilisation de nouvelles technologies. Ainsi, la pièce Capt-actions (2004-2005) pour quatuor à cordes, accordéon et dispositif électronique en temps réel, explore les possibilités du geste physique qui devient aussi action transformatrice : elle donne le signal pour la transformation en temps réel du son produit par le musicien, mais aussi par ses collègues instrumentistes. La pierre et l'étang (… les temps…) (2011), qui s'éloigne de la linéarité discursive au profit d'une structuration multidimensionnelle de l'espace-temps musical, utilise aussi le geste pour générer simultanément le son réel et le son électronique. Les images poétiques - « …les temps… » - « l'étang » - peuvent être lues en termes de dimensions temporelles – de la composition, de l'écoute, de la mémoire – et en termes de l'élément eau reposant sur la fluidité, la variabilité, contraire à la dureté de la pierre. Dans cette œuvre, l'électronique aide à souligner, amplifier et multiplier certaines idées de mouvement auquel participent l'objet dur, la pierre, et l'élément fluide, l'eau. L'idée initiale pour l'électronique est d'ordre technologique : intégrer des capteurs de mouvement à la démarche compositionnelle. Grâce à ces petits appareils, la succession des gestes de l'interprète fournit un flux continu d'informations. Et si la partition jouée par les instrumentistes est écrite de façon tout à fait précise, les informations des gestes, transformées et dirigées vers les haut-parleurs, créent une musique vivante qui varie nécessairement d'une exécution à une autre. La spatialisation selon des stratégies commandées par la gestuelle des solistes, ainsi que la distribution des musiciens sur scène contribuent à « la dramaturgie de l'espace » (Ivan Fedele) fondée sur le contrepoint des espaces imbriqués. La technologie de captation du geste ajoute ses dimensions à la structuration du temps : Un dispositif de petits capteurs, accéléromètres et gyroscopes fournissent des informations concernant l'accélération (de l'archet par exemple, pour les instruments à cordes), la rotation et la vitesse. On  exploite ces trois paramètres soit en suivant ce profil pour l'appliquer à un effet précis, soit en reconnaissant certains événements et en les utilisant pour déclencher un son, un effet ou un traitement réel sur le son d'un instrument. Le geste de l'archet, par exemple, peut moduler le son d'un accord du quatuor tout entier. La pièce exploite aussi  « l'avant-geste », c'est-à-dire les gestes non asservis au jeu instrumental. Ainsi, le percussionniste exécute des gestes dans l'espace qui ne servent pas nécessairement au jeu acoustique. Ces mouvements génèrent du son, mais exclusivement par le biais de l'électronique. Le percussionniste a ainsi un instrument virtuel tout à fait nouveau à sa disposition : c'est un des aspects innovants de cette technologie permettant à l'interprète d'intervenir en temps réel par son geste sur le résultat sonore.

 

 

 

X

 

                                     

 

 

 

Avec le recul, on peut constater trois phases dans l'évolution créatrice de Fedele : trois phases qui se succèdent, mais qui aussi interfèrent dans le temps. La première est centrée autour de l'élaboration de la microstructure à partir d'une ou de plusieurs figure(s) dans la lignée de Donatoni et Sciarrino. La deuxième privilégie la construction de formes narratives fondées sur des directionnalités dans la grande dramaturgie des œuvres. La troisième supprime la flèche du temps pour imposer la vision spatiale en mouvement d'un temps révélateur : le compositeur observe, éclaire de points de vue différents sa sculpture sonore, pour proposer à l'observation auditive ses qualités, ses ombres, ses couleurs, ses perspectives. Jusqu'à présent, Ivan Fedele a composé près de 150 œuvres pour différentes effectifs, dont 8 seulement avec électronique. Tout de même, l'expérience en studio a eu une répercussion très importante dans l'écriture de Fedele pour tous les effectifs : dans la conception de la matière du son, dans les possibilités de ses transformations, dans la structuration de l'espace, dans les conceptions temporelles agissant sur la grande forme.

 

 

 

Doté de capacités de synthèse remarquables, Fedele situe sa recherche au cœur même des problèmes essentiels pour la création musicale de tout temps : l'invention de stratégies compositionnelles nouvelles, ancrées dans la tradition occidentale, mais émancipées par rapport à elle, en accord avec les impératifs de notre temps et orientées en avant. La problématique de ses œuvres avec ou sans texte, liée de façon explicite ou non à l'héritage culturel - la mythologie grecque, la tradition chrétienne et la tradition littéraire et musicale occidentales - cherche toujours une résonance actuelle et un impact sur ses contemporains. L'œuvre musicale de Fedele réussit ce pari difficile d'une synthèse des aspects les plus vitaux de la tradition et des acquisitions les plus avancées de la pensée compositionnelle comme des évolutions technologiques d'aujourd'hui. C'est cette capacité rare de synthèse qui définit la force séductrice de sa musique toujours raffinée et poétique. C'est par cette puissance de l'invention nécessairement adressée à l'auditeur que les œuvres de Fedele nous entraînent généreusement dans les voyages explorateurs de ses œuvres cherchant à contribuer à « un réseau culturel qui ne soit ni marché ni académie, mais représente le point de départ d'un nouvel humanisme » (I. Fedele(6)).