Alors qu'on vient de célébrer en 2012 le tricentenaire de Jean-Jacques Rousseau né à Genève le 16 juin 1712, nous ne saurions oublier que l’auteur du Contrat Social, de l’Émile, de La Nouvelle Héloïse était aussi musicien. Son apport dans ce domaine où il s'estimait très compétent – même si la postérité voire certains de ses contemporains n'en étaient pas toujours tellement convaincus ! –  est relativement important, aussi bien en ce qui concerne les écrits théoriques ou littéraires que la composition proprement dite.

 

 

 

Autodidacte, il étudie seul les règles de l'harmonie dans le Traité de Rameau et il avouera lui-même avoir eu longtemps quelque peine à lire et à déchiffrer la musique.

 

 

 

 

 

L’adolescence, la Jeunesse

 

 

 

Nous savons que le jeune Jean-Jacques, après avoir quitté sa Suisse natale à l'âge de seize ans, fut recueilli par Madame de Warrens, d'abord chez elle à Annecy, puis aux Charmettes, près de Chambéry. Sa bienfaitrice (qu'il appelait "Maman", lui qui avait perdu la sienne à la naissance) veille à son éducation pendant plusieurs années, ce qui lui permit de parfaire ses connaissances générales et musicales.

 

 

 


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Mais, ayant en tête un système de notation musicale chiffrée conçu par lui, il part pour Paris en 1741. Il espère y rencontrer Diderot et l'intéresser à son invention. Présenté le 22 Août 1742 à l'Académie des Sciences par Réaumur, il y lut son projet. Ce système de notation, assez astucieux, mais surtout utile pour l'étude des premiers rudiments de la lecture musicale, ne fut pas retenu, après l'avis défavorable de Rameau, consulté à ce sujet(1). Rousseau écrira pourtant, en 1743, une Dissertation sur la Musique moderne, suivie plus tard de plusieurs articles qui parurent dans l’Encyclopédie(2).

 

 

 

Sa vie matérielle à Paris (bien qu'il ait pu assister à certains spectacles de l'Opéra et fréquenté quelques salons) semble bien précaire ; sans doute est-elle en partie assurée par des travaux de copiste, de secrétariat, ou par des leçons de musique. Il raconte lui-même à ce sujet cette amusante anecdote : après avoir quitté Paris pour l’Italie où l’attendaient d’autres fonctions, il se dirigeait à pied vers Lyon, couchant à la belle étoile. Un beau matin, charmé par la nature environnante, longeant les rives de la Saône, il se mit à chanter à tue-tête un air d'une cantate française Les Bains de Thomery de J.B. Stuck, qui sous le pseudonyme de Batistin, devenu parisien, avait introduit et francisé cette forme venue d'Italie(3). La jolie voix du jeune randonneur, le charme de son chant, attirèrent alors l’attention d'un promeneur, amateur de musique, qui, sur le champ, l'engagea à séjourner chez lui pour y copier quelques partitions, le gratifiant pour finir d'un bel écu, ce qui lui fit s'écrier : « Que béni soit le bon Batistin et sa bonne cantate ! »

 

 

 

Mais parvenu en Italie, après un séjour d'un an à Venise comme secrétaire de l'Ambassadeur, Monsieur de Montaigu (1743-1744), séjour qui permit à Rousseau de se familiariser avec les opéras italiens, il est de retour à Paris en 1745. Il s’y fait alors connaître comme compositeur avec son Opéra-ballet Les Muses Galantes, dont seules la première entrée, Hésiode, restée manuscrite, et une Musette en rondeau, éditée, nous sont parvenues.

 

 

 

Répété, puis auditionné à l'Opéra, l'ouvrage ne fut pas retenu pour une représentation publique. Rousseau avoue d'ailleurs qu'il avait eu recours à Philidor pour certains travaux de « remplissage » (en l'occurrence d'harmonisation et d'orchestration), « ce travail de manœuvre l'ennuyant fort ». Rameau qui accepta d'assez mauvaise grâce d'écouter chez La Pouplinière cet ouvrage d'un autodidacte amateur, déclara sans ménagement et même avec colère que, par son aspect disparate, l'œuvre ne pouvait être d'un seul et même auteur, l'un musicien confirmé (Philidor ?), l'autre apprenti ignorant (Rousseau ?). Comment s'étonner de l’animosité qui s'établit ensuite entre Rameau et Rousseau, qui ne fit d'ailleurs que s'exacerber avec les années ?

 

 

 

 

 

La maturité : Le Devin du Village et sa création à Fontainebleau

 

 

 

Mais, tandis qu'il est couronné par l'Académie de Dijon pour son Discours sur les Arts et les Sciences en 1749, Rousseau songe déjà, nullement découragé par l'échec des Muses Galantes, à une autre œuvre lyrique. Alors qu'il « prenait les eaux » à Passy, chez son ami Mussard, il ébauche, au début de l'été 1752, quelques airs, dialogues, note quelques thèmes. Rentré à Paris, en trois semaines, ce petit essai lyrique fut orchestré et mis au net : Le Devin du Village avait ainsi vu le jour.

 

 

 

Présentée anonymement aux Directeurs de l'Académie Royale de Musique, l'œuvre connut en première lecture un succès unanime ; si elle ne fut pas alors retenue pour l'Opéra, elle fut acceptée pour les spectacles de la Cour, grâce à l’intervention de l’académicien Duclos, dédicataire de l’œuvre. Mis en répétition, Le Devin du Village fut créé, représenté deux fois, les 18 et 24 octobre 1752, devant leurs Majestés, dans la salle de l’Ancienne Comédie du Château de Fontainebleau.

 

 

 

Dans ses Confessions, Rousseau fait le récit de cette première soirée mémorable où, placé bien en vue dans la loge faisant face à celle du Roi, au milieu d'une splendide assemblée où brillent à côté de la Reine, de Madame de Pompadour, les plus belles dames de la Cour, il apparaît lui-même dans son costume négligé de tous les jours, mal rasé et mal peigné. D'abord un peu embarrassé, il se convainc bientôt qu'il est bien à sa place, tel qu'il est, puisqu'on est là pour applaudir son œuvre et que « ce défaut de décence » n'est en réalité qu’ « un acte de courage ».(!!!)

 

 

 

Le Devin du Village connut à Fontainebleau un très grand succès. Le Roi, charmé, chantait lui-même « de la voix la plus fausse de son royaume » (d'après le chanteur Jelyotte, créateur du rôle de Colin) l'air de Colette J’ai perdu mon serviteur. Il offrit à Rousseau de lui allouer une pension qu'il refusa pour garder son indépendance et sa liberté. Madame de Pompadour, puis plus tard Marie-Antoinette, prirent part à des représentations privées. Enfin, Le Devin du Village fut représenté à l'Académie Royale de Musique dès le 1er mars 1753 et y tint l'affiche pendant près de quatre-vingts ans, jusqu’à ce qu’un « Jeune France » n’en signât le déclin définitif en 1829, en expédiant une perruque sur la scène, en pleine représentation(4).

 

 

 

 

 

La Querelle des Bouffons – La Lettre sur la Musique française 

 

 

 

Mais, au moment où Le Devin du Village connaissait le succès et les faveurs de la Cour et du public, ce même public parisien, amateur d'opéra, n'allait pas tarder à se partager en deux clans: les partisans de l'opéra italien s'opposant à ceux de l'opéra français. Les amateurs de l'opéra français (admirateurs de Rameau, en premier lieu) se groupaient alors au théâtre devant la loge du Roi (« le coin du Roi »), tandis que les tenants de la Musique italienne, passant pour plus moderne, plus légère et charmante, occupaient le devant de la loge de la Reine (« le coin de la Reine »), d'où le nom de « Guerre des Coins » qui fut donné à ce qui allait devenir « la Querelle des Bouffons ».

 

 

 

Le véritable élément déclencheur de cette célèbre querelle fut l'exécution à l'Opéra, le 1er Août 1752, par la troupe des « Bouffons italiens », d'un petit intermède de Pergolèse, La Serva Padrona(5). Le succès fut éclatant, cette fois, car La Serva Padrona avait déjà été représentée au Théâtre Italien en 1746, dans l'indifférence générale. Le public prit littéralement feu et flammes, les uns pour, les autres contre ce style nouveau, venu d'Italie.

 

 

 

Les pamphlets, les libelles se multiplient, parfois signés de noms illustres (Grimm, Diderot), mais c'est Jean-Jacques Rousseau qui met le feu aux poudres avec sa célèbre Lettre sur la Musique française parue en janvier 1753(6).

 

 

 

Nous ne pouvons entrer dans les détails de ce pamphlet où il accumule doctement (!), à côté de quelques remarques pertinentes, les sottises et les jugements que la postérité et bon nombre de ses contemporains plus compétents et indignés ont jugé stupides, voire scandaleux.

 

 

 

Voulant prouver l'inanité de la musique française, Rousseau, après avoir condamné sans appel l'écriture fuguée « que l'oreille ne peut souffrir » comme « des restes de barbarie », entreprend une étude (bien superficielle d'ailleurs) du grand monologue d'Armide, extrait de la célèbre tragédie lyrique de Lully. Après cet examen (ce survol bien peu concluant), il termine ainsi :

 

 

 

« Je crois avoir fait voir qu'il n'y a ni mesure, ni mélodie dans la musique française, parce que la langue n'en est pas susceptible ; que le chant français n'est qu'un aboiement continuel, insupportable à toute oreille non prévenue, que l’harmonie en est brute, sans expression, et, surtout un remplissage d’écolier ; que les airs français ne sont pas des airs ; que le récitatif français n'est point du récitatif. D'où je conclus que les Français n'ont point de musique et n'en peuvent avoir, ou que si jamais ils en ont une, ce sera tant pis pour eux. »

 

 

 

On reste confondu devant une telle accumulation d'âneries, qui souleva un tollé général de protestations. Rousseau lui-même écrit : « La Lettre sur la Musique française souleva contre moi toute la nation qui se crut offensée dans sa Musique ». Les contemporains confirment : « On est indigné à la Cour » déclare la Gazette Les Nouvelles, qui poursuit : « Il pourrait bien arriver que ce grand Rousseau fût chassé de France ». A l'Opéra l'acharnement contre lui prend une telle ampleur qu'on lui en interdit l'entrée, même pour les représentations du Devin du Village (qui tient toujours l'affiche). Rousseau déclare qu'on veut l'assassiner, mais on se borna à le brûler en effigie.

 

 

 

Mais ici une parenthèse s’impose : il parait évident, en effet, que la Musique, pour Rousseau, se borne à l'Opéra. Il semble tout ignorer de la littérature de clavecin et d'orgue de ses contemporains, ainsi que de leurs œuvres de musique instrumentale : François Couperin n'avait pas opposé le « goût » italien au « goût » français : il les avait « Réunis ». Enfin, pourquoi Rousseau a-t-il écrit Le Devin du Village et ses autres essais dramatiques en langue française ? N'avait- il pas peur des « aboiements » de ses interprètes ?(7)

 

 

 

 

 

 

Le Devin du Village : La partition

 

 

 

Le Devin du Village est la seule œuvre de Rousseau gravée de son vivant. Précédée d’un avertissement de l’auteur, cette édition ne correspond pas à la version primitive, exécutée à Fontainebleau, qui ne comportait pas d’ouverture. De plus, les danses qui terminaient alors la représentation ne figurent pas dans cette version gravée de 1753.

 

 

 

Pour les exécutions à l’Opéra, Rousseau composa donc une ouverture. En réalité, il remania à cet effet une Symphonie à cors de chasse exécutée au Concert Spirituel le 23 mai 1751, perdue depuis, mais dont les parties de cors et de flûte sont conservées dans le matériel d’orchestre de la Bibliothèque de l’Opéra.

 

 

 

D’autre part, nous dit Jean Maillard dans une Discographie de l'Éducation Musicale de 1972, « les récitatifs, quoique bien prosodiés, présentaient une telle faiblesse vis-à-vis de la basse continue qu’il fallut que Francoeur, chef d’orchestre de l’Opéra et de la Cour, les remaniât à toute hâte avec l’aide de Jelyotte ».

 

 

 

La forme

 

 

 

Conçu à la manière des « Intermèdes » italiens que nous avons définis plus haut  - dont la Serva Padrona de Pergolèse servit de modèle à Rousseau - le Devin du Village ne doit pas être confondu avec les opéras-comiques français apparus à la même époque, où les dialogues sont parlés et non chantés comme dans l’Opéra traditionnel. Dans l’une et l’autre forme - intermède et opéra-comique -, les sujets sont plus proches de la Nature, si chère à Rousseau ; des personnages simples, populaires voire campagnards, très éloignés des héros mythologiques et cérémonieux des opéras y interviennent.

 

 

 

Les personnages

 

 

 

Ils sont au nombre de trois : la bergère Colette (soprano, rôle créé par Mlle Fel), le berger Colin (ténor, rôle créé par Jelyotte) et le Devin (basse chantante, rôle créé par Cuvillier). Il faut noter que les trois interprètes choisis passaient pour être les meilleurs de l’époque.

 

 

 

Le livret – le sujet

 

 

 

Le livret, rédigé par Rousseau, est en vers en ce qui concerne les airs, les ensembles vocaux, les chœurs et cer­tains dialogues en récitatifs, alors que la plupart des récitatifs sont en prose. Ce livret fut traduit en néerlandais, sué­dois, allemand, anglais et russe ; c'est dire l'impact de cette œuvre dans toute l'Europe musicale. Les jeux de scènes y sont décrits de façon très détaillée.

 

 

 

Le sujet est très simple : c'est celui d'une « bergerie » sentimentale et naïve où la fine psychologie du Devin (et non ses simulacres de « magie ») résoudra les malheurs de la gentille bergère, Colette. En effet, elle se croit abandonnée par son berger, Colin, qui semble lui préférer, pour l’heure, la « Dame de ces lieux » qui l'attire par ses avances et ses cadeaux. Le Devin, simulant des passes magiques, lui indique le moyen fort simple de le reconquérir : la coquetterie !(8)

 

 

 

Éléments de la partition

 

 

 

Les récitatifs : Rousseau sait y tirer profit des qualités de la langue française – lui qui avait pourtant proclamé qu'elle était inapte à être chantée (!). Dans la Lettre sur la Musique française dont nous avons cité l'ahurissante conclusion, il écrivait aussi : « Il est évident que le meilleur récitatif, dans quelque langue que ce soit... est celui qui approche le plus de la parole », et plus loin, il précise : « Il est de toute évidence que le meilleur récitatif qui peut convenir à la langue française doit être opposé, presqu'en tout, à celui qui est en usage ; qu'il doit rouler entre de fort petits intervalles, n'élever ni n'abaisser beaucoup la voix ; peu de sons soutenus, jamais d'éclats, encore moins de cris... peu d'inégalités dans la durée ou valeurs des notes, ainsi que dans leurs degrés »(9). Les récitatifs ont beaucoup d'importance dans l’ensemble de l’œuvre, tantôt comme une conversation en prose, tantôt sous forme de réparties, en vers ; ils ont toujours un rôle expressif et sont accompagnés soit par l’orchestre, soit par la basse continue.

 

 

 

Les airs : très mélodiques, ils sont simples, ayant souvent l’aspect de chansons populaires. Ici peu ou pas de virtuosité vocale ni de grands éclats chantés. Ils sont, ainsi que le souhaitait Rousseau, le reflet de « l'accent de la nature ». Dans un but expressif, ils sont parfois entrecoupés de passages instrumentaux ou de récitatifs. Leur forme adopte parfois la coupe à da capo, plus souvent celle d'un rondeau ou même la forme-suite, en deux parties reprises.

 

 

 

Les ensembles vocaux : ils ont le plus souvent l’aspect d'un dialogue. Pour sceller leur réconciliation, Colette et Colin chantent seulement deux fois en duo, ensemble, dans la scène V.

 

 

 

 Les chœurs : Un très beau chœur développé et solidement construit auquel se joindront les trois protagonistes : (« Colin revient à sa bergère ») ouvre la scène VIII. Il se poursuit, après le départ du Devin : « Du Devin de notre Village, chantons le pouvoir éclatant" ; il intervient ensuite, à la fin du dernier air du Devin «l'Art à l'Amour est favorable » en ponctuant la conclusion des huit couplets par la phrase « C'est un enfant! ». Enfin, le chœur et les solistes mettent le point final au Devin du Village avec, le dernier rondeau « Allons danser sous les ormeaux ».

 

 

 

L'orchestre : Il est représenté par les principales familles d'instruments (l’Orchestre et les Chœurs de l'Opéra participèrent aux diverses représentations). L'orchestre apparait seul dans l’Ouverture, puis pour accompagner les danses, et enfin pendant toute la Pantomime ; de plus, de longues introductions d'orchestre précèdent souvent certains airs où parfois il s'intercale, ainsi que dans certains récitatifs. C’est lui qui commentera le jeu des acteurs, comme dans la scène muette de l'incantation du Devin et dans la Pantomime. Bien souvent, il souligne des intentions dramatiques diverses. Son rôle expressif est donc aussi très important. La partition porte des indications précises sur le rôle des divers instruments: dialogues entre les flûtes ou les hautbois avec les cordes, suivis de « tous » pour la reprise du tutti, ou, « les quintes – altos – avec les basses », ou « avec les violons »). De nombreuses indications concernant les nuances ou les mouvements émaillent aussi la partition.

 

 

 

Les Danses : Outre le fait que de nombreux airs sont construits sur des rythmes de danse, l'orchestre soutient aussi quelquefois diverses évolutions chorégraphiques, comme à la fin du grand chœur de la Scène VIII où une Pastorelle et une Forlane accompagnent des dons de bouquets à Colette et à Colin. Enfin, plus loin, après la dernière Ariette de Colette, deux Menuets et une Allemande en rondeau précèdent le chœur final « Allons danser »...

 

 

 

La Pantomime : Les scènes « à la muette », donc mimées, dès l'antiquité, en passant par les spectacles italiens du XVIème siècle, les tragédies lyriques du XVIIème, les spectacles de la Foire, des Funambules et de l'Opéra du XVIIIème, sans oublier, plus tard Berlioz et ses Troyens, connurent de tous temps les faveurs du public(10). La Pantomime eut donc aussi sa place dans Le Devin du Village. Ici, l'argument n'est pas original ; il met trois personnages en scène, La Villageoise, le Villageois, le Courtisan. Il évoque, après un épisode d'infidélité, la réconciliation des amoureux. C'est à l’orchestre, bien sûr, qu'il incombe ici de diriger et de commenter les mimiques des danseurs.

 

 

 

 

 

 

Étude sommaire de la partition

 

 

 

L’ouverture

 

Sans doute, avons-nous dit, c’est le remaniement pour l'Opéra d'une Symphonie à cors de chasse de 1751. Il s'agit ici, bien sûr, d'une Ouverture à l'Italienne, en trois parties :

 

1)  « Gay » – Vif en majeur à 2/4 : Thème joyeux et rythmé où les hautbois donnent à trois reprises la réplique au tutti et où s'intercale un court épisode « doux » en mineur.

 

 

2)  « Lent »en mineur à 6/8 : C'est une charmante mélodie sur un rythme de sicilienne, de caractère populaire et où une modulation centrale au relatif amène le retour du début.

 

3)  « Gay» et rapide à 3/8 en majeur. Très court épisode de seize mesures dont les joyeuses notes répétées entraînent l'auditeur vers

 

 

 

L'ouverture du rideau.

 

 

 

Le théâtre représente la maison du Devin. De l'autre côté, des arbres et dans le fond, un hameau.

 

 

 

Scène I

 

Air de Colette  - fa majeur – 2/2 – Doux, lent et marqué

 

Colette, « pleurant et s'essuyant les yeux de son tablier » : Une introduction de l’orchestre précède et annonce l'air célèbre « J'ai perdu tout mon bonheur, J'ai perdu mon serviteur ».

 

 

Cette sorte de refrain, (l'air se présentant comme un rondeau) a une forme à da capo, où, dans la partie centrale, Colette gémit (Hélas !) sur son abandon. Des traits des cordes alternent avec la voix pendant tout cet épisode.

 

Un récitatif « il m'aimait autrefois », forme le premier couplet, avant le retour du refrain. Colette y évoque sa rivale « avec ironie et dépit », la « menace » avant d’exprimer sa « douleur tendre ».

 

Un second récitatif, comme un second couplet, « Je devrais le haïr » reflète les sentiments contraires qui animent la bergère, qui, finalement met tous ses espoirs dans la personne du « Devin du Canton » qu'elle décide de consulter.

 

 

 

Scène II

 

Le Devin, Colette.

 

Prélude : Grave et marqué - mineur, 2/4 -

 

« Elle compte dans sa main, dans l'autre main ; elle hésite en approchant du Devin ; elle lui présente de l'argent qu'elle a compté et plié dans un papier durant le Prélude ».

 

1) Dialogue en récitatifif. Colette interroge le Devin qui lui répond qu'ayant lu dans leurs cœurs à tous deux, Colin l'aime toujours, malgré son infidélité; le dialogue se termine sur la promesse du Devin de ramener Colin à sa bergère.

 

2) Air de Colette - mineur- 2/2 - Doux - Flûtes et violons - de forme a-b-a-c-a.

 

« Si des galants de la ville... » (Elle aurait pu, elle aussi, se laisser tenter par d'autres soupirants !)

 

 

3) Récitatif du Devin (« avec emphase ») qui promet le retour de Colin et conseille à Colette :   « Feigne d'aimer un peu moins ».

 

4) Air du Devin : Modéré - ré majeur - 2/4 - de forme a-b-a-b. Dialogue avec l’orchestre.

 

« L'amour croît s'il inquiète.. » (a)

 

 

 « La bergère un peu coquette... » (b)

 

 

 

5) Dialogue en récitatif : Colette suivra le conseil du Devin. Trois notes graves précèdent la scène suivante.

 

 

 

Scène III

 

Court récitatif en a parte du Devin qui, en attendant 1'arrivée de Colin, se dit qu'en rendant leurs amours aux deux bergers, il se vengera des mépris de la « Dame du Lieu ».

 

 

 

Scène IV

 

Le Devin, Colin.

 

1) Dialogue en récitatif - ut mineur - 2/2 –

 

Colin exprime son souhait de retrouver Colette. Le Devin lui révèle qu’elle l'a oublié ; Colin ne peut y croire.

 

2) Air de Colin - ut majeur – 6/8 - Forme a-b-a-

 

 « Non, non, Colette n'est pas trompeuse » (a)

 

 « Peut-elle être l’amoureuse d'un autre berger? »  (b)

 

3) Dialogue en récitatif. Le Devin révèle à Colin que son rival est un « Monsieur de la Ville ». Colin lui demande aide et conseil.

 

4)  « Le Devin tire de sa poche un livre de Grimoire et un petit bâton de Jacob avec lesquels il fait son charme. De jeunes paysannes qui venaient consulter le Devin lai­sent tomber leurs présents et se sauvent tout effrayées en apercevant ses contorsions ».    

 

Court passage d'orchestre (cordes et cors – mi b majeur-3/8 - ) soutenant les évolutions du Devin, qui « doit rester en attitude d’une manière comique » sur la dernière note.

 

5) Dialogue en récitatif (si b majeur). Le Devin annonce que le charme opère et que Colette va venir. Colin espère l’apaiser. (Le Devin, en a parte, se propose de conseiller Colette sur son attitude à tenir).

 

 

 

Scène V

 

Air de Colin - sol mineur - 3/4 – en deux parties.

 

Introduction d'orchestre rythmant les temps de l'air, plein de douceur et de charme.

 

1ère partie (sol mineur) : « Je vais revoir ma charmante maîtresse »

 

 

2ème partie (sol majeur )– Andante - Introduite par l'orchestre - Oppositions de nuances (fort, doux). Mélodie pleine de charme :"Quand on sait aimer et plaire".

 

Transition d'orchestre, avec oppositions de nuances, tandis qu'au retour de la voix « Que de seigneurs d'importance », les indications d'interprétation se précisent (« ferme», « avec emphase ») avant le retour de l'élément « Quand on sait aimer... »

 

 

 

Scène VI

 

Colin, Colette

 

1) Dialogue en récitatif entre Colin et Colette ( majeur-2/2) Colin, puis Colette en a parte, dialoguant avec l'orchestre, expriment l'un et l'autre leur trouble, ne sachant comment s’aborder.

 

2) Dialogue en récitatif. Colin veut fuir, puis se décide « d'un ton doux et embarrassé ». Colette le repousse. Le dialogue se poursuit en récitatif sec ; Colette reste intraitable : « Non, Colin, je ne t'aime plus! »

 

3) Air de Colin - la majeur - 3/8 -

 

Forme-suite dont les deux parties sont reprises. « Ta foi ne m'est point reprise. »

 

4) Reprise du dialogue en récitatif sec. Colette paraissant toujours intraitable, Colin désespéré, après un trait des basses entrecoupé et hésitant et une modulation en sol mineur décide de « s'éloigner du hameau ».

 

5) Duo - sol mineur - 2/2 - Mesuré, andante        -

 

Après quelques réparties en dialogue, les deux voix s'uniront bientôt en véritable duo, à la tierce : « Je  me dégage à mon tour ». Sur une modulation en sol majeur, « plus lent », le dialogue reprend et c'est la réconciliation ! Colin proclame qu'il ne peut aimer que Colette et celle-ci renchérit (en sol mineur) : Colin lui semble préférable à tout autre et conclut : « Ah! Berger volage, faut-il t'aimer malgré toi ! »

 

6) Prélude d'orchestre où hautbois et cordes se donnent la réplique – sol majeur – 3/8 – « Durant le prélude qui suit, Colin se jette aux pieds de Colette. Elle lui fait remarquer à son chapeau un ruban fort riche qu'il a reçu de la Dame. Colin le jette avec dédain. Colette en donne un plus simple dont elle était parée et qu'il reçoit avec transport. »

 

7) Duo Colin, Colette, accompagné par l'orchestre : «  A jamais Colin t’engage son cœur » Tous deux, ensemble, se promettent amour et fidélité réalisés dans un « doux mariage ». Ce charmant duo où les indications d'interprétation sont fréquentes (doux, à pleine voix, fort) se termine dans l'affirmation de leur amour retrouvé, et de leur union prochaine.

 

 

 

 

Scène VII

 

Colin, Colette, le Devinut majeur, - 4/4

 

1)           Court passage récitatif.

 

Le Devin déclare : « Je vous ai délivrés d'un cruel maléfice ». « En retour, Colin et Colette lui offrent chacun un présent que le Devin reçoit des deux mains », et enchaîne sur un

 

2)     Air du Devin (sol majeur - 2/2) gai et doux, accompagné à l'orchestre « Venez jeunes garçons, venez aimables filles », en deux parties, reprises.

 

 

 

Scène VIII

 

Le Devin, Colette, Colin, groupe de jeunes villageois et villageoises, - sol majeur - 2/2 –

 

Entrée de la jeunesse du Village.

 

1)     Une longue introduction d'orchestre, gaie et solidement rythmée précède le Chœur auquel se joint le Devin : « Colin revient à sa bergère »

 

2)     Le chœurpoursuit (sol majeur - 2/4), sans le Devin, « Du Devin de notre Village, chantons le pouvoir éclatant ».

 

 

Dialogue entre les voix féminines « Il ramène un amant volage » et le chœur au complet « Et le rend heureux et constant ».

 

3)  Diverses Danses à l'orchestre suivent ce très beau chœur :

 

a)   Pastorelle pour les Villageoises (sol majeur, 2/4)  au cours de laquelle elles « donnent un bouquet à Colin qui le présente aussitôt à Colette ».

 

b)  Forlane pour les Villageois (sol majeur - 6/8 - Gai) « Les Villageois donnent un bouquet à Colette qui le donne à son tour à Colin ».

 

4)  Romance de Colin ( majeur- 3/4 – Lent - Très doux) « Dans ma cabane obscure » de forme binaire, avec reprises, sur une mélodie pleine de charme.

 

 

 

Pantomime

 

Ce long passage d'orchestre commente toute la scène muette dont les épisodes sont notés sur la partition.

 

1)  Posément et détaché - Sol majeur - 2/2 –

 

 

Entrée de la Villageoise sur un thème élégant et dansant. Elle danse.

 

2) Gai, sans vitesse - si majeur - 6/8 -

 

Entrée du courtisan. Opposition de nuances : « Doux, Fort ».

 

« Il aperçoit la Villageoise qui danse tandis qu'il la regarde » (retour du motif 1 en sol majeur).

 

3) Nouveau motif – si b majeur - 6/8 -

 

« Il lui offre une bourse qu'elle refuse avec dédain » (dialogue entre flûtes et cordes).

 

4) Gracieusement - sol majeur - 3/4 - (Episode de forme binaire) « II lui propose un collier fort orné » (Arrêt à la dominante)

 

Deuxième partie en mineur : « elle essaye le collier et, ainsi parée, se regarde avec complaisance dans l'eau d'une fontaine. »

 

5) Piqué - majeur - 2/2 -

 

 Entrée du Villageois (motif franc et carré s'achevant sur quelques notes désolées.) « La Villageoise voyant sa douleur rend le collier. Le Courtisan l'aperçoit et le menace. »

 

6) « La Villageoise veut l'apaiser et fait signe au Villageois de s'en aller ; il n'en veut rien faire ; le Courtisan menace de le tuer » : (tout ce passage mimé est commenté par une musique très expressive).

 

7) Lent - sol mineur - 3/4 -

 

« Ils se jettent tous deux aux pieds du Courtisan » (longue phrase descendante suppliante). « Il se laisse toucher et les unit. »

 

8) Très gai - sol majeur –

 

« Ils se réjouissent tous trois, les Villageois de leur union et le Courtisan de la bonne action qu’il a faite. »

 

 

 

Une longue conclusion sur le dernier motif de danse joyeux et enlevé termine la Pantomime, avec tout le « Chœur de Danse ».

 

 

 

 

 

 

Conclusion

 

1)  Récitatif du Devin - Sol majeur - 3/4 -

 

« Il faut tous à l’envi nous signaler ici » ; pour ce faire, il propose une chanson « qu’il tire de sa poche ».

 

2)  Air du Devin et Chœur - sol majeur - 2/2 -

 

« L’Art à l’Amour est favorable » : chanson joyeuse, au rythme entraînant : « Au village, on sait mieux aimer », « L'Amour ne sait pas ce qu’il permet, ce qu’il défend ; C’est un enfant ! »

 

Colin, puis Colette, puis le chœur renchérissent sur cette affirmation... ceci pendant huit couplets !

 

3)  Ariette de Colette - Tempo guisto - sol mineur - 2/2 -

 

Après une assez longue introduction d’orchestre, Colette entonne cette charmante ariette, « Quand on sait mieux aimer », évoquant un doux ruisseau qui coule et serpente au milieu des fleurs ; « Avec l’objet      de mes amours » concluant en sol majeur « Que la vie est charmante ».

 

4)  Danses : Premier Menuet en sol majeur.

 

Deuxième Menuet en sol mineur.

 

Allemande en rondeau en sol majeur (Quatre couplets dont le dernier en mineur).

 

 

 

Rondeau final

 

Colette et le chœur - sol majeur - 6/8 -

 

« Allons danser sous les ormeaux. » et c’est sur ce joyeux vaudeville que se termine dans l'allégresse générale l'intermède Le Devin du Village.

 

 

 

 

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Tel est donc Le Devin du Village dont Rousseau disait que cet intermède était pour lui « Un chef-d’œuvre de Musique italienne, c’est-à-dire simple, spontanée, allant droit au cœur, s'opposant aux « monstruosités gothiques » de la Musique française » (!!). Le succès en fut unanime, aussi bien à la Cour qu'à la ville. Rousseau écrit : « On représente actuellement à la Cour le petit opéra que j'achevais... Le succès en est prodigieux et m'étonne moi-même ». La presse ne tarit pas d'éloge. Le Mercure de France parle d'un « succès aussi brillant que complet » et plus tard, lors de la reprise à l’Opéra « d'un succès presqu'inouï » ajoutant que « les gens d'esprit ont remarqué dans sa musique une finesse, une vérité, une naïveté d’expression fort rares ». En 1759, ce même Mercure de France définit Le Devin du Village comme le modèle d’un genre de « pastorale française ». Par ailleurs, les représentations à l’Opéra, depuis mars 1753, se poursuivirent pendant plus de soixante-dix ans, atteignant 540 représentations, jusqu’à leur pittoresque disparition de 1829 relatée plus haut.

 

 

 

Les reprises furent nombreuses. La première eut lieu dès 1753 au Château de Bellevue, avec Madame de Pompadour dans le rôle travesti de Colin. Les représentations se succédèrent alors dans les lieux les plus variés. Citons au hasard : en 1780, à Trianon où la reine Marie-Antoinette tenait le rôle de Colette ; à Lyon (en 1770 et en 1782), à New York (en 1790), à Québec (en 1846). Plus près de nous, nous citerons avec plaisir les représentations des élèves du collège de Dole, les 7  et 8 avril 1955, sous la conduite de leurs professeurs d'Éducation Musicale et de danse ; puis la reprise, plus professionnelle, en juin 1969 au château de Fontainebleau, sous la direction de Roger Cotte.

 

 

 

Le Devin du Village se promène ensuite en province et à l’étranger : à Nantes (1978), à Grenoble (1983), à Avignon (1989, avec Hervé Niquet), au Château de Fontainebleau (2000, 2004, 2012, avec Hugo Reyne), à Zürich (2001), à Metz et à Waldbegg (2006), à Poissy (2007), à Graz (2009).

 

 

 

Les enregistrements se succèdent également depuis celui de Louis de Froment en 1958, réédité en 1998 et 2002 (EMI), celui de Roger Cotte de 1972 (Arion), celui de René Clemencic (1991 et 2001, Nuova Era), et celui d’Andreas Reize en 2007 (CPO).

 

 

 

Comment comprendre et expliquer un tel engouement, à l’époque de la création, comme au cours des années qui suivirent, pour une œuvre, certes charmante et agréable, mais qui semble bien « pâlotte » comparée aux chefs-d’œuvre des compositeurs français et étrangers contemporains de Rousseau ? La raison en est sans doute sa fraîcheur, sa simplicité, sa sentimentalité un peu fade et naïve, son cadre, au sein d’une campagne idéalisée et habitée de bergers enrubannés, rapprochant d’une Nature de convention une société très raffinée que la décadence et la chute menaçaient déjà.

 

 

 

Quoi qu’il en soit, et puisque la musique du Devin du Village a toujours nos faveurs, goûtons avec plaisir les grâces de ses ariettes et l’élégance de ses danses ; compatissons aux déboires sentimentaux des gentils bergers, réjouissons-nous avec eux de leur bonheur retrouvé « magiquement », en rêvant à cette lointaine époque, ici bien idéalisée, dont l’intermède de Jean-Jacques Rousseau paraît le reflet.

 

 

 

Francine Maillard.

 

 

 

 

 

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Une liste de ses principaux ouvrages musicaux complètera utilement cette évocation de Jean-Jacques Rousseau et la Musique.

 

 

 

Œuvres dramatiques :

 

 

 

-   Les Muses Galantes : opéra-ballet en trois entrées (1743-1745), dont seuls le poème et la musique de la première entrée (Hésiode) nous sont parvenus.

 

-   Les Fêtes de Ramire (1745) : remaniement de La Princesse de Navarre de Voltaire et Rameau.

 

-   Le Devin du Village : intermède en un acte (1752), gravé en 1753.

 

-   Pygmalion : scène lyrique (1770) dont Rousseau a écrit deux morceaux manuscrits.

 

-   Daphnis et Chloé : inachevé (1774-1776). Publication posthume.

 

 

 

Autres œuvres musicales :

 

 

 

-   Symphonie à cors de chasse (1751)

 

-   Air à deux clarinettes

 

-   Salve Regina (motet) (1752) : manuscrit.

 

-   Ecce sedes hic tonantis (motet) (1757) : manuscrit.

 

-   Quam dilecta tabernacula(motet) (1757) : publié.

 

-   Leçon de Ténèbres (1772) : manuscrit.

 

-   Les consolations des misères de ma vie (airs, romances et duos) (publication posthume)

 

 

 

Œuvres théoriques :

 

 

 

-   Projet concernant de nouveaux signes pour la musique (1742). (système de notation chiffrée, non retenue par l’Académie des Sciences, mais subsistant encore sous le nom de « notation Galin »).

 

-   Dissertation sur la Musique Moderne (1743)

 

-   Lettre sur la Musique Française (1753)

 

-   Examen de deux principes avancés par M. Rameau dans sa brochure intitulée Erreurs sur la Musique dans l’Encyclopédie (1755)

 

-   Essai sur l’origine des Langues, où il est parlé de la mélodie et de l’imitation musicale (1760)

 

-   Dictionnaire de Musique (1757 – 1767) (publié)

 

-   Lettre à Monsieur Burney sur la Musique, avec fragments d’observations sur l’Alceste italienne de M. le Chevalier Gluck.

 

-   Extrait d’une réponse du « petit faiseur » à son prête- nom sur un morceau de l’Orphée de M. le Chevalier Gluck.

 

-   Lettres sur la Musique Militaire et sur l’Air de Cloches (parues dans l’Edition des œuvres complètes).