Ce jeune compositeur, organiste et chef de chœur londonien né en 1984 est, aujourd’hui, l’une des figures emblématiques de la musique sacrée de Grande-Bretagne(1). Pour autant, son art est également dédié, avec autant de talent et d’inspiration, à la musique instrumentale et de ballet. Ses partitions destinées au théâtre et à la télévision attestent de sa capacité à la diversité quant à sa maîtrise du métier de compositeur. Ce faisant, par son ouverture d’esprit, il témoigne d’une disposition à considérer le langage musical comme une expression homogène, non compartimentée de manière arbitraire. Ainsi, Thomas a-t-il également travaillé pour Hollywood en tant qu’assistant du compositeur de musique de film David Buckley. J’ai eu le privilège de le rencontrer récemment au British Museum de Londres. Au cours de notre entretien, il a évoqué son travail en toute simplicité et enthousiasme.

 

 

 

 
© Robin Farquhar-Thomson

 

 

 

 

 

Son père, Tim, violoncelliste à l’Orchestra of the Royal Opera House (Covent Garden), sa mère, professeur de violon à la Dulwich Preparatory School, et ses grands-parents paternels, Tony et Anita, tous deux compositeurs, ont singulièrement contribué au développement de son élan musical. Grâce aux répétitions du samedi matin au Covent Garden, Thomas a dès son plus jeune âge forgé son vocabulaire musical tout en étant particulièrement touché par la profondeur de la musique orchestrale du XIXe siècle. C’est dans ces conditions favorables qu’il deviendra un excellent instrumentiste, maîtrisant aussi bien l’orgue, le piano que le violoncelle. Avec ce dernier instrument, au sein du National Youth Orchestra, il a eu notamment le privilège de participer à l’exécution de la Huitième Symphonie de Gustav Mahler sous la direction de Sir Simon Rattle.

 

 

 

Âgé de neuf ans, il accompagnait les hymnes s’initiant, de la sorte, à l’apprentissage de la mélodie et de l’harmonie. La première revêtant de l’importance pour Thomas comme pour tout musicien anglais soucieux de forger l’alliance entre le répertoire des folk-songs et celui du chant d’assemblée, vivant et incarné.

 

 

 

Hewitt Jones a été organ scholar à Gonville and Caius College, l’un des trente et un collèges de l’université de Cambridge(2), où il a étudié la musique et développé son profond intérêt pour la musique chorale. Au cours de cet apprentissage, il a apprécié de pouvoir étudier et jouer l’œuvre de Bach.

 

 

 

En 2003, il a reçu le prix de la BBC Young Composer Competition. Depuis lors, sa musique est exécutée, enregistrée et publiée par des éditeurs tels que, entre autres, Faber Music, Novello, Oxford University Press ou encore Boosey & Hawkes.

 

 

 

Fantasy, pour orchestre à cordes, est composée en 2004 pour l’excellent National Youth Orchestra Sinfonietta. Thomas Hewitt Jones l’a dirigé lui-même à Cadogan Hall (Londres) à la tête du BBC Proms Chamber Concert. Cette œuvre en trois parties, destinée à de jeunes instrumentistes, témoigne d’un langage libre autant qu’original de par la qualité de son expression mélodique.

 

 

 

Hewitt Jones aime également composer pour le ballet considérant, avec enthousiasme et intérêt, que les danseurs ont une tout autre approche du langage musical. Lady of the Lake, conçu au printemps 2010, est une commande du chorégraphe Darius James, directeur artistique du Ballet Cymru, au Pays de Galles. Il s’agit, en l’occurrence, du troisième ballet d’une trilogie dont les deux précédents étaient Under Milk Wood (2008), d’après le poète gallois Dylan Thomas (1914-1953), et le fameux How Green was my Valley (2009) de Richard Llewellyn (1906-1983). Lady of the Lake se fonde sur la mythologie arthurienne telle, notamment, que Sir Walter Scott (1771-1832) l’a évoquée en 1810 dans son poème narratif. La source principale de Thomas se trouve dans le corpus du folkloriste Sir John Rhys (1840-1915) publié en 1901. Un jeune homme, Owain, tombe amoureux de la magique « Dame du Lac ». Une promesse de mariage est conclue à une certaine condition. La suite s’imagine facilement et la musique de Hewitt Jones traduit admirablement une telle quête. Il lui importe, en effet, de bien raconter une histoire.

 

 

 

Son carol, Child of the Stable’s Secret Birth, associé aux paroles de Timothy Dudley-Smith (*1926), a été créé en décembre 2010 par son éminent maître, John Rutter (*1945)(3), à la tête du Royal Philharmonic Orchestra, au Royal Albert Hall. La même année, Thomas Hewitt Jones participait aux Jeux Olympiques en composant et produisant une charmante musique pour quatre films animés (Mascot Films) à partir d’histoires écrites par Michael Morpurgo, connu pour ses ouvrages de littérature enfantine. Ces textes étaient dits par le grand acteur et écrivain Stephen Fry. Dans le même temps, il assistait à la création, par le compositeur et chef de chœur David Ogden, de The Same Flame, un cycle de songs fondé sur les valeurs olympiques et humanistes, à partir des textes du poète et homme de radio Matt Harvey.

 

 

 

En décembre 2012, le fameux et emblématique Hallé Orchestra(4), conduit par l’éclectique Roderick Dunk, a donné la création de A Christmas Crackermusique imprégnée par la remarquable et émouvante tradition victorienne du carol et un humour irrésistible – au Bridgewater Hall de Manchester avant ses exécutions au Canada et aux USA. Le même mois, la dynamique Sloane Square Choral Society, fondée en 2011, donnait la première de Incarnation – A Suite of Songs for Christmas sur des poèmes de l’Australien Paul Williamson. À l’instar de tout Anglais, Noël constitue un temps extrêmement important pour Hewitt Jones, au sein du calendrier liturgique. Cette riche et profonde partition témoigne, sans conteste, de l’extraordinaire synthèse entre la musique, la poésie, la théologie et l’histoire grâce à l’étroite collaboration du compositeur et du poète. L’itinéraire sonore conduit l’auditeur de l’inquiétude joyeuse à la paix la plus sereine.

 

 

 

L’année suivante, Formation, sur des textes du romancier et biographe Andrew Motion, sera une commande du chef de chœur et organiste Ralph Woodward et ses Fairhaven Singers de Cambridge, afin de commémorer la naissance de Benjamin Britten, en 1913, et la mort de John Fitzgerald Kennedy, en 1963.

 

 

 

Pour ce qui concerne son domaine de prédilection, la musique chorale, Thomas Hewitt Jones considère qu’elle constitue une merveilleuse source de communication pour un compositeur qui s’inscrit dans la longue tradition anglaise des musiques de cathédrales et de paroisses(5). Son sens inné de la mélodie lui procure également un remarquable équilibre destiné aussi bien aux chanteurs amateurs qu’aux professionnels les plus expérimentés. L’une de ses partitions les plus touchantes est certainement son motet In the bleak midwinter (2010/11) sur un poème de Christina Georgina Rossetti (1830-1894)(6). Ce très beau texte avait déjà été traité, en 1904/05(7), par Gustav Holst (1874-1934)(8) puis, en 1909, par le Dr Harold Edwin Darke (1888-1976)(9). Le motif qui préside au chant de Hewitt Jones est caractéristique de sa pensée musicale :

 

 

 

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Le commentaire qu’il en donne mérite d’être cité : « Par contraste avec les célèbres mises en musique de G. Holst et H. Darke (toutes deux ayant récemment bénéficié d’un sondage les classant comme les carols les plus appréciés en Grande-Bretagne), cette version de In the bleak mid-winter se présente comme un souple ¾. Afin de respecter les délais, la nouvelle musique destinée au temps de Noël est généralement composée durant l’été. Je me rappelais alors une sombre soirée de décembre 2010. L’humeur hivernale se retrouve dans les harmonies de la pièce qui transmet un sentiment de nostalgie sombre. Doux et délicat dans le caractère, j’espère que cette version procure une émouvante alternative à l’interprétation de ce beau texte de Christina Rossetti. »

 

 

 

En 2011, la commémoration du quatre centième anniversaire de la King James Bible a inspiré Hewitt Jones pour son anthem(11), Lead me, O Lord (Ps 5,8), publié par la Royal School of Church Music(12) dont il est un membre éminent avec de nombreux autres compositeurs de sa génération.

 

 

 

C’est à partir de son intuition que Thomas choisit le texte qu’il mettra en musique. Fidèle à son contenu, il est particulièrement soucieux d’aider ses auditeurs à sa compréhension. Sa culture poétique et théologique le soutient sans aucun doute dans sa démarche. C’est alors que son inspiration mélodique trouve à s’épanouir grâce à sa conception particulière de l’harmonie. Horizontalité et verticalité se stimulent réciproquement.

 

 

 

Le carol Baby in an Ox’s Stall, pour soprano solo, chœur et piano, date de 2012. Il constitue un émouvant témoignage de reconnaissance au compositeur, éditeur et écrivain anglo-gallois Peter Warlock (1894-1930)(13), proche de Frederick Delius (1862-1934). Le texte est également de Thomas Hewitt Jones.

 

 

 

Sans conteste, Thomas se situe dans une riche continuité dont la source remonte incontestablement au concept de sweet music jadis incarné par John Dunstable (ca 1385-1453). Transcendant néanmoins les étapes chronologiques, ses modèles se trouvent à chaque grande période de la musique anglaise : de John Bacchus Dykes (1823-1876)(14) à Gerald Finzi (1901-1956) en passant par Sir Hubert Charles Hastings Parry (1848-1918), Sir Charles Villiers Stanford (1852-1924), Charles Wood (1866-1926) et John Ireland (1879-1962) – l’un des professeurs de Benjamin Britten (1913-1976) – qu’il affectionne particulièrement. L’oratorio de Sir Edward Elgar (1857-1934), The Dream of Gerontius (1900), d’après le poème de John Henry Newman (1801-1890), constitue de même une référence essentielle pour lui. Pour autant, Hewitt Jones est bel et bien un compositeur de notre temps, avec son langage spécifique, nourri par une culture sonore qui défie les dogmes.

 

 

 

James Lyon.

 

 

 

 

 

 

 

(1) www.thomashewittjones.com

 

(2) Fondé une première fois, en 1348, par Edmund Gonville († 1351), puis en 1557 par John Caius (1510-1573).

 

(3)John Rutter, associé à la ville et au monde universitaire de Cambridge, est connu dans le monde entier pour la qualité particulière de sa musique chorale.

 

(4) Fondé en 1857, à Manchester, par le chef d’orchestre et pianiste d’origine allemande Sir Charles Hallé (1819-1895).

 

(5) Depuis de nombreux siècles, un corpus de grande importance s’est constitué au quotidien pour le répertoire destiné aux services religieux, plus particulièrement de l’Evensong, fondé sur le Magnificat et le Nunc dimittis.

 

(6) Poétesse anglaise, sœur du peintre et écrivain préraphaélite Dante Gabriel Rossetti (1828-1882).

 

(7) Publié en 1906 dans l’English Hymnal.

 

(8) Plus particulièrement connu, hors de l’Angleterre, pour sa suite orchestrale, en sept mouvements, The Planets (1914/16).

 

(9) Compositeur et organiste anglais. Il a étudié la composition et l’orgue au Royal College of Music sous la direction de Stanford et de Sir Walter Parratt (1841-1924). Darke est essentiellement connu pour sa mise en musique de In the Bleak Midwinter de Christina Georgina Rossetti, chanté le plus souvent pour le service des Nine Lessons and Carols, à King’s College, Cambridge.

 

(10) (C) Copyright the Royal School of Church Music.

 

(11) Que l’on peut aussi traduire par « motet ».

 

(12) www.rscm.com

 

(13) Pseudonyme de Philip Heseltine.

 

(14) Connu pour la qualité de ses mélodies (tunes), Dykes a effectué une grande partie de sa carrière à Durham.