Au sein de la deuxième entrée, « Les Incas du Pérou », de l’opéra-ballet de Jean-Philippe Rameau Les Indes Galantes, la « Fête du Soleil » constitue un véritable ensemble, d’une grande unité. Avant d’examiner ce magnifique extrait, il parait opportun de retracer les grands traits de la vie de Rameau afin de replacer l’œuvre dans son contexte.

  L’AUTEUR

 

Sa vie :

 

-        25 septembre 1683 : Naissance à Dijon de Jean-Philippe Rameau, 7ème enfant de Jean Rameau, organiste en titre de la cathédrale St Étienne, et de Claudine de Martinecourt, qui eurent 11 enfants en 20 ans. Sa mère est musicienne aussi et l’enfant apprit ses notes avant ses lettres ; son frère Claude fut également musicien (père du fameux « Neveu de Rameau » illustré par Diderot)

 

-        Jean-Philippe fait ses études au Collège des Jésuites. Ses études générales sont médiocres, il passe son temps à chanter ou écrire de la musique sur ses livres ou ceux de ses condisciples (son camarade ne pleure pas en mesure !, dit-il) Il ne dépasse pas la 4ème. Son niveau est bon en latin, mais mauvais en français. Une anecdote raconte qu’il écrit vers 18 ans des lettres d’amour « criblées de fautes » à une jeune veuve !

 

-        1701 – Après avoir étudié dans son enfance le clavecin, le violon, l’orgue et la composition, son père l'envoie en Italie oublier cet amour impossible (et le perfectionner dans son art). Il ne dépasse pas Milan et revient en jouant du violon dans une troupe nomade. Il suit cette troupe en France et donne des concerts d’orgue à Marseille, Lyon, Nîmes, Albi, Montpellier. Là, il apprend d'un maître  obscur, Lacroix, la fameuse « règle d'octave », sorte de recette empirique pour l’accompa­gnement.

 

-        1702 – Il est organiste à Avignon (N.D. des Doms), mais quitte ce poste au retour du titulaire.

 

-        Mai 1702 – Il signe un contrat de 6 ans comme organiste à Clermont. Mais ce contrat lui pèse et l’empêche de se consacrer à ses travaux.

 

-        On raconte l’incident d’un vacarme déclenché à dessein dans les orgues devant l’Évêque qui lui rend sa liberté et le recommande à Paris (l'anecdote est contestée, car elle est aussi attribuée à Claude Rameau, à Dijon).

 

-        Rameau a alors écrit ses premières cantates : Médée, L’Absence, et le Premier Livre de pièces de Clavecin (terminé à Paris).

 

-        Juin 1706 – Il s’installe à Paris et travaille avec l'organiste Louis Marchand. Il est organiste chez les Pères de la Mercy et les Jésuites du collège de Clermont, rue Saint Jacques. Il fait paraître son Premier Livre de Pièces de Clavecin (débutant par un très beau Prélude non mesuré).

 

Il travaille dans des traités de Zarlino et de Mersenne, illustres théoriciens anciens, et bien qu’ayant été reçu premier au concours, n’accepte pas les orgues de Sainte Madeleine en la Cité, car le service est trop absorbant.

 

-        1709 – De retour à Dijon, il succède à son père aux orgues de l’Église Notre-Dame qu’il quittera bientôt.

 

-        1713 – Il devient alors Maître-organiste aux Jacobins de Lyon, mais quittera ce poste en 1715 au mariage de son frère Claude dont il courti­sait aussi la fiancée. (!)

 

-        1714 – Mort de son père, Jean Rameau – Il écrit à cette époque ses premiers motets et des cantates : Thétis (1715), Aquilon et Orithie (1715).

 

-        1715 (?) – Retour à Clermont où il sera un « grand et digne organiste » et où il va élaborer son traité d'harmonie. Compose le motet Laboravi en 1722.

 

-        1722 – Parution du Traité de l’Harmonie réduite à ses principes naturels. (« La musique est une science qui doit avoir des règles certaines »). Il y fixe les principes de l'harmonie moderne. Ce traité est suivi de nombreux articles qui développent ses doctrines.

 

Plan du traité : 4 parties :

 

ž   Rapport des sons et des proportions harmoniques.

 

ž   Nature et propriété des accords.

 

ž   Principes de composition.

 

ž   Principes d'accompagnement.

 

-        1723 – Il se fixe à Paris.

 

-        1724 - Second Livre de Pièces de Clavecin suivi d'un complément didactique sur La Méchanique des doigts.

 

-        1725 –  Exhibition au théâtre italien, de sauvages caraïbes (écrit des airs de danses à cette occasion qui deviendront sa pièce de clavecin Les Sauvages).

 

-        25 février 1726 – Se marie à 43 ans avec une jeune fille de 19 ans, Marie-Louise Mangot, gentille, douce, aimable, musicienne et dotée d'une jolie voix. Le ménage fut heureux : ils eurent 3 enfants.

 

-        1726 – Écrit des farces pour la Foire St-Germain (L’Enrôlement d’Arlequin).

 

-        1727 – Il concourt pour l’orgue de St Paul, mais est vaincu par Daquin ; il en veut à Marchand qu'il rend responsable de son échec.

 

Il se sent alors attiré par le théâtre et écrit à un librettiste célèbre, Houdar de la Motte qui ne lui répond pas (Rameau dit entre autres dans sa lettre « qu'il cache l'art par l'art »).

 

-        1728 – Écrit la cantate Le Berger Fidèle.

 

Rencontre Monsieur de La Pouplinière, riche financier qui va devenir son mécène. Les Rameau habitent chez lui, soit à Passy, soit à Paris et Rameau a à sa disposition un théâtre, un orchestre, un orgue. Il a alors de nombreux élèves.

 

-        1731 – Présenté à Voltaire avec qui il veut écrire un opéra biblique Samson. Ce projet n'aboutit pas à cause du refus des Jésuites qui n’admettent pas la position anti-religieuse de Voltaire.

 

La Pouplinière le présente alors à l'abbé Pellegrin, librettiste d'une Jephté, musique de Michel Pignolet de Montéclair, qui avait beaucoup intéressé Rameau. Leur collaboration aboutit cette fois à la tragédie-lyrique Hippolyte et Aricie, première grande œuvre dramatique de Rameau, âgé de 50 ans.

 

-        1er octobre 1733 – Première d'Hippolyte et Aricie à l’Opéra. L'accueil du public est mitigé et déclenche la « Querelle des Lullystes et des Ramistes ». On reproche à Rameau d'écrire une musique trop compliquée et trop savante. Rameau, découragé, veut abandonner, mais sans doute fut-il réconforté par l'avis de Campra qui aurait dit : « Il y a dans cet opéra plus de musique que dans dix des nôtres. Il nous éclipsera tous ».

 

-        1735 — Les Indes Galantes, opéra-ballet (ou ballet héroïque) sur un livret de Fuzelier.

 

-        1737 – Génération harmonique ou Traité de Musique théorique et pratique.

 

-        24 Octobre 1737 – Castor et Pollux (tragédie-lyrique sur un livret de Gentil-Bernard) ; déchaînement nouveau des Lullystes.

 

-        Rameau ouvre son école de Composition où « il réunit trois fois par semaine de 3 à 5 heures, douze élèves qui lui donneront 20 francs par mois ».

 

-        1739 — Rameau compose alors  Les Fêtes d’Hébé (opéra-ballet), puis Dardanus  (tragédie-lyrique, sur un livret de Leclerc de la Bruyère) qui ravive la querelle des Lullystes et des Ramistes. Pourtant, le public se presse en foule aux 26 représentations successives. (En 1760, reprise triomphale de Dardanus.)

 

-        1741 – Publication des Pièces de clavecin en concert, et des Six concerts transcrits en sextuor (d’après ces derniers).

 

-        23 février 1745 – La Princesse de Navarre (comédie-ballet sur un livret de Voltaire) (commande pour le mariage du Dauphin avec l’Infante Marie-Thérèse). Rameau obtient alors les faveurs du Roi qui lui accorde une pension de 2 000 livres.

 

-        31 mars 1745 – Platée (comédie-lyrique sur un livret de Autreau) ; son côté bouffon déplait à la Cour.

 

-        Le Temple de la Gloire (Fête en 3 actes, sur un livret de Voltaire).

 

-        Les Fêtes de Polymnie (opéra-ballet, sur un livret de Cahuzac).

 

-        Les Fêtes de Ramire (opéra-ballet sur un livret de Voltaire).

 

-        1748 – Zaïs (Ballet), Pygmalion (Ballet), Les Surprises de l’Amour (Ballet).

 

-        1749 – Naïs (Opéra) et le 5 décembre 1749, Zoroastre (tragédie-lyrique sur un livret de Cahuzac).

 

-        1750 – Démonstration du principe de l’harmonie qui reçoit l’approbation de l’Académie, ce qui lui vaut une nouvelle pension du Roi.

 

-        1751 – La Guirlande (ballet sur un livret de Marmontel), qui fait suite aux Indes Galantes – Acanthe et Céphise (Pastorale héroïque)

 

-        1752 – Nouvelles réflexions sur le Traité d'Harmonie auxquelles d’Alembert répond par un magnifique hommage aux théories de Rameau, dans un article célèbre.

 


Portrait de Jean-Philippe Rameau par Joseph Aved
(Musée des Beaux-Arts Dijon) / DR

 

-        Août 1752 – Représentation à Paris de la Serva Padrona de l'italien Pergolèse, qui déclenche la « Querelle des Bouffons », opposant les partisans de la musique italienne à ceux de la musique française. Cette querelle fut fomentée par Grimm, Diderot et J.J. Rousseau, partisans de la musique italienne.

 

-        Octobre 1752 – Représentation à Fontainebleau devant la Cour, partagée aussi en 2 clans, du Devin du Village de J.J. Rousseau qui se pique de composition musicale et de connaissances en musique. Rameau ne prend pas part à cette querelle, bien que ses œuvres y soient mises en cause.

 

-        1753-1754 – Il écrit 5 courtes œuvres (pastorale et ballets). Il sent venir en lui le déclin, la fatigue, la vieillesse. Il retrouve pourtant des forces pour combattre ses détracteurs (Rousseau, par exemple qui a écrit des articles contre lui dans l’Encyclopédie) et il publie une brochure :

 

-        1754 – Erreurs sur la Musique dans l’Encyclopédie.

 

-        1756 – Riposte de d'Alembert qui persifle Rameau ; discussions, polémiques.

 

-        1757 – Compose 2 petits actes et mûrit le plan d‘un important ouvrage théorique : Méthode pour apprendre la musique même à des aveugles.

 

-        1760 – Les Paladins (Opéra) qui a peu de succès. Rameau sait reconnaître le déclin de ses facultés créatrices : « de jour en jour, j'acquiers du goût, mais je n'ai plus de génie ».(1)

 

-        1760 – Ovation à l'Opéra (lors de la reprise de Dardanus). Le Roi veut le décorer de l'Ordre de St Michel et l’anoblir, mais Rameau meurt avant.

 

-        1762 – Lettre aux philosophes, concernant les corps sonores (dernier écrit théorique).

 

-        1764 – Abaris ou Les Boréades (Tragédie-lyrique en 5 actes), mise en répétition à l'Opéra, mais jamais représentée de son vivant. (2)

 

-        23 Août 1764 – Rameau tombe malade (fièvre et scorbut).

 

-        12 septembre 1764 - Mort de Rameau. Cette mort est considérée à l'époque comme un deuil national. De nombreuses manifestations musicales à sa mémoire sont organisées dans plusieurs villes. Il est enterré à St Eustache, près de Lully.

 

 

 

Ses œuvres : (on trouvera le détail des principales œuvres dans la biographie qui précède)

 

-          I – Œuvres théoriques : Une vingtaine d’écrits dont son Traité de l’Harmonie réduite à ses Principes Naturels (1722)

 

-          II – Œuvres musicales :

 

1)      Musique de clavecin (3 Livres de Pièces de Clavecin (1706 - 1724 - 1731) dont le second est suivi de la Méthode pour la Méchanique des doigts.

 

2)      Musique instrumentale : 5 Pièces de clavecin en Concert et 6 Concerts en sextuor (les 5 mêmes œuvres, suivies d’un dernier Concert, datant de 1741)    

 

3)      Musique dramatique :

 

a)     10 cantates environ (1702 - 1727)

 

b)      Environ 30 ouvrages dramatiques.

 

Dans cet ensemble, on relève entre autres 5 tragédies-lyriques et 6 opéras-ballets, ou ballets-héroïques auxquels s’ajoutent des ballets, des Pastorales, des Pastorales héroïques, des comédies-ballets…

 

4)      Musique religieuse : 6 motets (pour solistes, chœurs et orchestre).

 

Notons que Rameau, organiste notoire, ne nous a pas laissé de musique d’orgue. On pense qu’il devait improviser à ses claviers, lorsqu’il n’exécutait pas des pièces anciennes ou contemporaines. Mais ses fonctions principales d’organiste consistaient bien sûr à accompagner et à commenter les prières liturgiques des principaux offices.

 

Deux éditions monumentales des œuvres complètes de Rameau ont été entreprises :

 

-          Le première, chez Durand, sous la direction de Saint-Saëns dès 1895 et à laquelle participèrent entre autres Vincent d’Indy, Paul Dukas, Alexandre Guilmant, Claude Debussy, Maurice Emmanuel…

 

-          La seconde est en cours actuellement chez Billaudot puis Bärenreiter : Rameau opera omnia, sous la direction de Sylvie Bouissou.

 

 

 

L’ŒUVRE

 

         Les Indes Galantes sont un opéra-ballet ; pourtant cette œuvre fut représentée pour la première fois le 23 Août 1735 à l’Opéra de Paris sous le titre de Ballet-héroïque en trois entrées et un Prologue. La 4ème entrée, « Les Sauvages », fut ajoutée pour la reprise de 1736 sous le nom de Nouvelle Entrée. La raison en est que le public aimait la pièce de clavecin du même nom, inspirée à Rameau en 1725 (nous l’avons dit) par une exhibition d’Indiens Caraïbes (pour laquelle il avait écrit quelques « airs » dansés, imités de la musique originale(?) des Indiens).

 

La forme :

 

« L’opéra-ballet est un opéra en forme de ballet » disait Paul-Marie Masson. À l’opéra, que son créateur J.B. Lully en France, nommait «tragédie-lyrique », il emprunte :

 

a)         La structure :

 

ž  Ouverture d’orchestre « à la française », formée des mouvements lent-vif-lent.

 

ž  Prologue.

 

ž  Un certain nombre d’actes (appelés ici « Entrées »).

 

ž  Une chaconne, danse lente formée de variations, exécutée tantôt au cours de l’action, tantôt à la fin de l’œuvre.

 

b)         Les éléments :

 

ž  Le récitatif (sorte de déclamation chantée, proche de la parole, accompagné à la basse continue). Le récitatif fait progresser l'action.

 

ž  L’air, plus mélodique et chantant, accompagné par l'orchestre, il est souvent de coupe ternaire (l’air est dit alors « a da capo » (a-b-a) ou « en rondeau » en France, formé de couplets et refrains).

 

ž  Les ensembles vocaux, chantés par plusieurs solistes. Lorsqu’ils sont d'accord, l’ensemble est dit « unanime ». Lorsque leurs avis sont différents, l'ensemble est dit « divergent ».

 

ž  Les chœurs.

 

ž  Les symphonies ou passages d’orchestre (ouverture, symphonies guerrières, symphonies de sommeil et surtout symphonies de danse).

 

Au ballet il emprunte son rôle essentiel : la danse, qui revêt ici deux aspects :

 

- La pantomime, sorte de théâtre muet où la musique qui à elle seule « peut tout exprimer » s’adjoint à la mimique des danseurs.

 

- Les danses traditionnelles de l’époque (menuets, gavottes, bourrées, sans oublier la traditionnelle chaconne) de rythme et structure propres à chacune.

 

Enfin, dans l’opéra-ballet, les Entrées ont une action indépendante les unes des autres.

 

 

 

Histoire de l’Opéra-ballet :

 

Le créateur de la forme est André Campra (1660 – 1744) qui écrit  L’Europe Galante en 1697. Après lui, nous avons, entre autres, Les Sens et Les Grâces de Jean-Joseph Mouret, ainsi que Les Éléments de André Cardinal Destouches. Rameau en écrira six, sans compter les ballets et autres formes voisines.

 


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PLAN ET ANALYSE

 

 

 

Les Indes Galantes, opéra-ballet héroïque, représenté pour la première fois à l'Opéra le 23 Août 1735, sur des paroles de Louis Fuzelier, comporte une Ouverture, un Prologue et 4 Entrées aux actions indépendantes.

 

-        L’ouverture a la forme à la Française (lent-vif-lent).

 

-        Dans le Prologue, nous assistons aux fêtes qu’Hébé, déesse de la jeunesse, donne, dans ses jardins enchantés, aux jeunes gens et jeunes filles des quatre nations alliées européennes (France, Italie, Espagne, Pologne). Le caractère pastoral de ces réjouissances est souligné par l’emprunt à l’instrument traditionnel des bergers, la musette. Cette petite cornemuse de salon, très en vogue au XVIIIème siècle, accompagne ici un air d’Hébé « Musettes résonnez », un chœur et une Musette en rondeau ; mais ces innocentes festivités sont troublées et interrompues par l’arrivée de Bellone, déesse de la guerre ; elle entraîne à sa suite tous les garçons présents. Hébé, furieuse, appelle à l’aide l’Amour, dont l’intervention reste sans effet : la guerre l’emporte ! Les Amours n’ont donc plus rien à faire en Europe ; ils décident alors d’émigrer aux Indes pour y exercer leurs tendres activités.

 

Ce prologue est donc le seul lien, bien ténu, qui rattache les quatre Entrées les unes aux autres. (Rappelons qu’au XVIIIème siècle on avait un goût très vif pour les pays exotiques : l’Amérique et l’Asie étaient baptisées « Indes »).

 

Suivent alors les quatre Entrées consistant le corps de l’œuvre.

 

-        Dans la première Entrée : « Le Turc Généreux », nous assistons aux aventures d'une jeune esclave provençale Émilie, prisonnière du sultan Osman. Son fiancé, Valère, vient la délivrer. Osman leur fait grâce et les laisse partir, en souvenir d’un acte de générosité de Valère à son égard, autrefois. Des fêtes et des danses célèbrent cet heureux dénouement.

 

-        La deuxième Entrée : « Les Incas du Pérou » est la plus dramatique. Le Grand Prêtre du Soleil, Huascar, s'apprête à célébrer, dans les temples dévastés par les Conquistadors, le culte du Soleil. Mais il veut profiter de cette grande fête pour convaincre la jeune fille qu’il aime, Phani (qui lui préfère l'officier espagnol Carlos), que les Dieux sont irrités de ce choix. Pour cela, il provoque­ra une éruption factice du volcan. Seulement, la nature se venge, et c’est un véritable cataclysme qui se déclenche : un tremblement de terre engloutit Huascar, tandis que tout le monde s’enfuit.

 

-        La troisième Entrée : « Les Fleurs », Fête Persane, nous fait assister à un aimable chassé-croisé de deux couples d’amoureux qui se prennent les uns pour les autres, grâce à des déguisements. Finalement tout s'arrange et la Fête des Fleurs peut déployer tous ses charmes (costumes et danses ravissants).

 

-        La Nouvelle Entrée, ajoutée lors de la reprise, intitulée « Les Sauvages » se situe en Amérique. Une jeune « Sauvagesse », Zima, est courtisée par un français, Damon, et par un Espagnol, Alvar. Chacun vante la façon d’aimer de son pays, mais Zima leur préfère Adario, un « Sauvage » de sa tribu. L'Entrée se termine par La Danse du Grand Calumet de la Paix (repris de la Pièce de clavecin Les Sauvages de 1725). Duo et chœur sur cette danse, prétexte à de grandes réjouissances.

 

         L’œuvre entière se termine par une très belle chaconne, formée de 10 variations et dans laquelle le courant guerrier et le courant pastoral alternent.

 

 

 

LA FÊTE DU SOLEIL

 

         Elle forme l’ensemble de la scène V de la 2ème entrée, « Les Incas du Pérou », et réalise à l’intérieur de cette entrée un tout homogène (malgré les différents épisodes), sans doute dû au fait que la majorité des morceaux sont dans le même ton (la majeur ou mineur). Elle ne comporte pas de récitatif, mais 4 Airs de Huascar (dont 2 soulignés par un chœur), 5 danses (dont 2 de pantomime pour le culte du soleil et 3 sur des rythmes de danses traditionnelles), une Symphonie descriptive pour le Tremblement de Terre et un superbe chœur décrivant le cataclysme.

 

 

 

1)   Air de Huascar : « Soleil, on a détruit tes superbes asiles, Il ne te reste plus de temple que nos cœurs ».

 

 

Ce premier air de caractère recueilli et grave est déjà sur le chemin du grand récitatif d’opéra. Il a la forme « a da capo » et est en la mineur. La partie A débute par un prélude d’orchestre qui annonce toute la mélodie. Elle s’ouvre sur une sorte d'appel sur la dominante (mi, mi) auquel répondra à l'octave grave 3 mi suivis de la tonique la. La voix reprendra cet appel à découvert sur le mot « Soleil ». Une conclusion d'orchestre termine ce 1er volet. La partie B débute au relatif, do majeur (insistance sur cette note répétée six fois : « Daigne nous écouter »), puis module en sol majeur puis en mi majeur, dominante de la pour redire le 1er volet au da capo, intégralement. Remarquons, dans ce 2ème volet, l'écho orchestral en canon de la phrase « Déserts tranquilles ».

 

2)   Prélude pour l'adoration du soleil : « Les Pallas et Incas font leur adoration au Soleil ».

 

C'est une danse de pantomime religieuse à 2/2, en la mineur, jouée «  gravement ». On peut y déterminer 4 parties :

 

         - Les intervalles de 4te, répondent aux 5tes dans un style d'imitations serrées à 5 voix (écriture savante et très riche), repos à la dominante mi.   

 

 

         - Dialogue entre les bois (en 3ce) et les cordes, évoquant des saluts, des révérences, repris 2 fois.

 

         - Quatre marches d'harmonie à la basse avec réponses contrepointiques des autres voix, aboutissant à une cadence parfaite puis à un repos à la dominante.

 

         - Une gamme ascendante en rythme pointé de la flûte conclut cette première pantomime.

 

3)   Air de Huascar et chœur : « Brillant Soleil ».

 

 

C’est une vaste invocation au Soleil, pleine d’autorité et d’énergie à laquelle le peuple des fidèles mêle sa voix. Au point de vue musical, trois éléments vocaux seront utilisés, soit isolément, soit superposés : Les appels sur « Brillant Soleil » au rythme énergique, puis des gammes descendantes sur « N’ont vu tomber de noirs frimas » (figuralisme), enfin des vocalises plus ou moins développées sur « Répands » (encore le figuralisme)

 

L’Air, « animé », en la majeur, à 2/2, débute par des appels par la voix à découvert sur les notes du 2ème renversement de l’accord parfait de la « Brillant Soleil » auxquels l’orchestre répond par une fanfare très rapide en rythme pointé sur les notes de l’accord parfait.

 

 

Deux gammes descendantes commençant l’une par mi, dominante,  l’autre par la, tonique, évoquent la chute des frimas. Arrêt, après un rappel orchestral, sur la tonique la. Puis apparition de la vocalise sur « Répands » et modulation vers la dominante, mi majeur. Cadence parfaite en mi. (notons les interventions fréquentes du thème de fanfare à l’orchestre pour ponctuer les diverses fins de phrase.) La vocalise « Répands » s’amplifie, tandis que nous revenons au ton principal de la. La voix s’appuie sur mi, dominante, sur les mots « ta plus éclatante lumière », et conclut par une solennelle cadence parfaite à laquelle fait suite la fanfare orchestrale et une gamme descendante en fusée.

 

Le Chœur est une reprise amplifiée et modifiée de l’air. On peut y voir quatre parties, avec toujours les trois mêmes éléments, ponctués de la fanfare orchestrale.

 

A – a) Les appels donnés par les soprani sont repris par le reste du chœur et suivis par les gammes modifiées.

 

b) La vocalise, différente elle aussi, module tout de suite en mi. Cadence en mi, suivie de la fanfare orchestrale et de la gamme-fusée descendante.

 

B – Passage central modulant :

 

a) L’appel en la, est repris au relatif fa# mineur, suivi de la gamme descendante (tomber). Cadence en fa# mineur.

 

b) Dans la vocalise qui suit, intervient une modulation en si mineur. Cadence en si mineur.

 

C – a) Superposition des deux premiers éléments : deux appels, l’un en la, l’autre en ré aux soprani sont accompagnés par les gammes de la et de ré aux basses. Puis les alti et les ténors font entendre les appels, tandis que les gammes sont chantées par les soprani.

 

b) La vocalise apparaît ici en canon pour aboutir à une phrase conclusive homorythmique de tout le chœur sur une cadence en la.

 

D – Dans cette conclusion, tous les éléments se superposent : les appels aux alti qui tiennent une longue pédale de tonique tandis que les soprani divisées chantent la vocalise en tierces et que les basses descendent leur gamme. Reprise des appels par deux fois aux alti et aux ténors, tandis que les soprani et les basses chantent la vocalise pour aboutir sur une majestueuse cadence parfaite de tout le chœur et l’orchestre (en la majeur) sur les mots définitifs « ta plus éclatante lumière ». Après un court rappel de la fanfare à l’orchestre, une ultime redite de cette phrase par le chœur, syllabiquement, donne une conclusion somptueuse à ce magnifique hommage au Dieu Soleil. L’orchestre y met le point final avec un retour de la fanfare, suivi de la gamme descendante en fusée.

 


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                          4) Air des lncas pour la dévotion du Soleil – danse de Péruviens et de Péruviennes.

 

         Il s’agit à nouveau d’une pantomime religieuse en la majeur, de forme « suite ». La structure y obéit presque entièrement à la carrure (succession de groupes de 4 mesures). Elle s’exécute gravement.

 

 

A – Un premier thème A1 répétant 4 fois la tonique la aux 2 octaves sur un rythme énergique est suivi d'un groupe martelant 4 fois la dominante. Ce premier élément de 8 mesures s’achève sur un repos à la dominante et enchaîne sur une modification adoucie (A2) du premier thème A1 qui amène la modulation à la dominante mi (cadence en mi).

 

B – Débute sur A2 modulant en fa# mineur ; un retour au ton initial (souligné par une cadence parfaite), est suivi de près par une autre modulation en si mineur (cadence parfaite). Ici la carrure se rompt. Une série d’accords se prêtant à des attitudes mène à un arrêt à la dominante mi et à une grande cadence rompue, suivie d’une grande cadence parfaite en la majeur.

 

                          5) Hymne au Soleil et Chœur en rondeau : « Clair Flambeau du monde ».

 

         Ici encore, le peuple des fidèles va mêler sa voix à celle de Huascar, mais de façon moins majestueuse, moins pompeuse que dans le 1er chœur. La forme rondeau est déjà plus familière. Huascar énonce seul le refrain puis les deux couplets tandis que le chœur reprend « en rondeau » le refrain.

 

Cet air est « modéré », en la majeur, à 3 temps.

 

 

A – Refrain, énoncé par Huascar ; il comporte deux parties. La première s’achève sur un repos à la dominante, la seconde sur une cadence parfaite. Remarquons le rythme caractéristique « L’air, la terre et l’onde » ainsi que la dissonance sur le mot « terre » (à l’accord parfait de ré, Rameau ajoute un mi, appogiature du ré suivant).

 

Refrain repris par le chœur.

 

B – 1er couplet – il comporte 3 parties :

 

-          Début en fa# mineur sur un accord dissonant analogue à celui du refrain (sur « toi ») Cadence parfaite en fa# mineur.

 

-          Passage modulant en si mineur (« Chantons-les seulement »).

 

-          Retour au ton de la majeur avec repos sur mi, dominante, pour enchainer sur le refrain repris par le chœur.

 

C – 2ème couplet – il comporte deux parties :

 

-          Élan initial sur le deuxième renversement de l’accord parfait ascendant de la, suivi par une chute (« dans une nuit profonde ») et une modulation à la 5te inférieure, ré majeur – « lorsque tu disparais » – (impression d’assombrissement). Cadence en ré majeur.

 

-          La seconde partie ramène le ton de la dominante mi, pour enchaîner sur le refrain.

 

                       6) Loure en rondeau

 

         À la fête religieuse succède maintenant la fête populaire : les divertissements du peuple Inca vont commencer ici.  Apparue en France au XVIème siècle, la loure était à l’origine accompagnée par la « loure »  (sorte de cornemuse ou de grande musette normande.) Son rythme caractéristique à 6/4, exigera, lorsqu'elle sera confiée aux instruments à cordes dans les diverses suites ou compositions ultérieures, une accentuation spéciale sur chaque noire : ainsi naîtra le style « louré ». Les loures garderont toujours une allure rustique ou paysanne due à leur origine.

 

 

         Le refrain de cette loure est en deux parties ainsi que les deux autres couplets. Il est confié aux cordes et débute en fa# mineur. Son rythme à 6/4 avait fait taxer cette pièce d' « extravagante » par les Lullystes.

 

         La première de ces deux parties s'achève sur une cadence parfaite en fa# mineur (donc pas de modulation). Il en est de même pour la deuxième.

 

         Le 1er couplet, en la majeur est exécuté par un ravissant trio d’anches : deux hautbois et un basson, à qui un rôle important est dévolu : il semble gambader sur de joyeux arpèges. La 1ère partie s'achève sur un repos à la dominante mi : la 2ème retourne au la, tonique, après un bref emprunt à ré majeur.

 

         Le 2ème couplet, après la reprise du refrain, est confié aux mêmes bois, traités similairement. II est en do# mineur. La 1ère partie s’arrête sur sol#, dominante de do#, et la 2ème revient à do#, pour enchainer une dernière fois sur le refrain, aux cordes, en fa# mineur.

 

 

 

                         7) Air de Huascar : « Permettez, Astre du jour »

 

         Il s’agit là d’un air gracieux et galant, en rondeau, en fa# mineur construit sur le schéma de la loure précédente. Rameau utilise ici l’ossature de la danse, mais va modifier l'orchestration et la réalisation. Les 3 éléments (refrain et 2 couplets) seront de structure binaire, comme la loure et les tonalités seront aussi les mêmes. Dans cet air, Huascar demande au Soleil de permettre qu'à côté de son propre culte, on célèbre aussi celui de l’Amour.

 

 

         Le refrain, à 3/4, en fa # mineur, débute par une phrase vocale seule, avec le rythme caractéristique de la loure, suivie d’une phrase d’orchestre qui reprend la loure orchestrale. Après un arrêt en fa# mineur, la 2ème partie se déroule comme dans la danse.

 

         Le 1er couplet, à 6/4, («  Le soleil, en guidant nos pas ») est en la majeur et s’achève par une cadence en la, après un arrêt médian à la dominante mi.

 

         Le refrain est repris identiquement en fa # mineur, mais à 6/4 et sur d’autres paroles « Vous brillez, Astre du jour ».

 

         Le 2ème couplet, en do # mineur diffère un peu de celui de la loure instrumentale ; après une première partie comparable s'achevant par une cadence en do # mineur, la 2ème partie débute par une jolie modulation, une tendre inflexion en si mineur (« De la nuit, le voile sombre »), suivie d’une redite de cette tendre phrase en la majeur (marche d’harmonie à la basse). Le couplet s’achève sur un arrêt sur do #, dominante de fa #, ce qui amène le dernier retour du refrain sur les paroles initiales.

 

         Admirons ici le génie de Rameau qui, au cœur même de la scène, entre les solennelles cérémonies et le déclenchement du cataclysme, intercale ces deux pièces, dont le charme, la grâce et la tendresse, (dues en partie à l'utilisation du doux fa # mineur), sait ménager une belle diversion.

 


Production au Palais Garnier (Huascar : Laurent Naouri) / DR

 

                      8) 1ère et 2ème gavottes

 

La gavotte, apparue à la fin du XVIème siècle, nous vient de la ville de Gap. Elle fut très en vogue dans les salons. Sur un rythme binaire, on procède par petits sauts. On en trouve de nombreux exemples dans les opéras, les ballets et les suites de danses instrumentales (clavecin et orchestre).

 

Ici, deux gavottes se succèdent, la 2ème, en rondeau, avec 2 couplets.

 

-          1ère gavotte, en la majeur à 2/2, se joue « gaiment ».

 

 

Elle est en deux parties : La 1ère partie débute par les notes de l'accord parfait de la majeur et comporte deux phrases presque identiques avec repos à la dominante. La 2ème partie, qui débute par les notes de l'accord parfait de mi est reprise deux fois et s’achève par une cadence parfaite en la majeur.

 

-          La 2ème gavotte, en rondeau, est en la mineur.

 

 

ž  Le refrain, où les cordes répondent aux flûtes en une sorte de salut compassé,  comporte deux parties presque identiques, l’une s’achevant sur un arrêt à la dominante mi, l’autre par une cadence parfaite en la mineur.

 

ž  Le 1er couplet (« 1ère reprise »), est en do majeur et comporte 2 parties : la 1ère, construite sur un thème formé de notes répétées 2 par 2, s'achève sur un arrêt à la dominante sol, tandis que la 2ème conclut au hautbois par une cadence en do.

 

ž  Le 2ème couplet (« 2ème reprise »), après la redite du refrain est construit sur un thème analogue à celui du 1er couplet, mais utilise une harmonie bien plus colorée. La 1ère de ses deux parties débute par une phrase en ré majeur, redite en do majeur (marche d'harmonie); dans la 2ème partie, on revient au ton de mi mineur avec arrêt sur le premier renversement de l'accord de 7ème de dominante de mi ; puis, une formule reprise trois fois en marche ascendante par le hautbois et le basson, conclut sur une cadence parfaite en mi mineur puis majeur pour enchaîner sur un dernier retour du refrain.

 

 

 

                        9) Tremblement de terre 

 

 Mais … « On danse et la fête est troublée par un tremblement de terre ».

 

         Il débute par un prélude orchestral « nourri d'harmonie » en fa mineur : remarquons la brusque saute de tonalité. A trois fa graves joués d’abord « piano » (la terre tremble et frémit dans ses fondations), vont s'adjoindre l’une après l’autre les notes du 1er renversement de l'accord de 7ème diminuée : sol, si b, ré b, mi bécarre ; l’orchestre s'amplifie dans un crescendo puissant jouant en trémolos cet accord, tandis que les deux fa graves continuent de gronder. Nous avons ici un exemple d'accord sur-tonique, très audacieux à cette époque. Les accords se modifient, mais la tonique grave roule toujours au bas de l'édifice harmonique créant avec les divers accords dévelop­pés en traits rapides des dissonances terrifiantes.

 

         L’orchestre contribue à évoquer le séisme : au grondement des basses s‘adjoignent bientôt les traits stridents des petites flûtes figurant les « vents qui se déclarent la guerre ».

 

         Le chœur se superpose alors une première fois à la symphonie descriptive. Les alti et basses d’abord, puis les soprani et ténors clament une phrase descendante « Dans les abimes de la terre ».

 

 

Ensemble, le chœur complet achève cette première intervention, sur un arrêt à la dominante do, syllabiquement, afin d’évoquer l’unanimité de la terreur des assistants.

 

         Après un silence angoissant et lourd d'inquiétude, la symphonie reprend, car il s’agit bien sûr d’une fausse accalmie (nous retrouverons le même procédé dans l’Orage de la Symphonie Pastorale). « L’air s’obscurcit, le tremblement redouble, le volcan s’allume et jette par tourbillons du feu et de la fumée ».

 

-          Débutant par des notes répétées « piano » en croches, la symphonie s’amplifie dans un vaste crescendo, les croches faisant suite à des trémolos rapides en accords sans cesse renouvelés dans une succession très hardie. Basses chromatiques, opposition de nuances, tout concourt à accroître le pittoresque de cette page saisissante, qui se termine piano, puis forte par une formule conclusive de cadence parfaite en fa mineur.

 

-          Au point d’aboutissement de cette cadence, le chœur intervient à nouveau sur un rythme précipité à 6/8, chantant presque toujours syllabiquement : « Les rochers embrasés s’élancent dans les airs, Et portent jusqu’aux cieux les flammes des enfers ».

 

 

-          La première phrase est redite à une 3ce supérieure. Cet effet d’ascension s’accentue avec les élans sur le mot « cieux » qui sera tenu longuement par les soprani, sur le sol aigu formant dissonance avec le la b des alti. Ce chœur, bref mais saisissant, soutenu par le commentaire de l’orchestre, s’achève en une longue cadence parfaite dans le grave (« enfers »).

 

-          Une conclusion d'orchestre adoucie, mais comportant encore des sursauts de nuances d’intensité, pourvue encore de riches harmonies, de dissonances, de chromatismes à la basse, d’enharmonie (la # – si b) conclut de façon magistrale en fa mineur, puis majeur, ce grand déploiement de forces déchaînées, évoquant avec elles l’épouvante des assistants et leur fuite éperdue.

 

 

 

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         Dans la Fête du Soleil, superbe parenthèse au centre de l’entrée des Incas des Indes Galantes, le génie dramatique de Rameau, parvenu à son entière maturité, s’exprime dans toute sa plénitude. Il se manifeste en premier lieu dans la progression expressive des airs de Huascar, passant de la gravité des regrets et de la fidélité aux antiques croyances, aux invocations énergiques au Dieu, soulignées par les chœurs qui les amplifient, pour en arriver enfin à des prières plus familières. Les danses suivent aussi la même évolution, allant des évocations de rites cérémonieux et graves à des attitudes plus simples, élégantes et gracieuses. Mais c’est surtout dans la symphonie descriptive du Tremblement de terre, commentée elle aussi par le chœur saisissant des assistants affolés de terreur, que l’invention créatrice de Rameau atteint son apogée ; grâce à une écriture orchestrale riche et colorée mais surtout grâce à des audaces harmoniques, révolutionnaires pour l’époque, bien que toujours au service de l’expression dramatique, Rameau signe là une page vraiment prémonitoire.

 

         C’est en cela que l’on peut penser que l’auteur des Indes Galantes ouvre ici la voie, en vrai précurseur, aux grandes œuvres dramatiques à venir. Les chefs-d’œuvre de Gluck, les premiers opéras romantiques portent à coup sûr la marque de l’héritage de Jean-Philippe Rameau.

 

 

 

Francine Maillard.

 

 

 

(1) Pourtant, la postérité en jugera autrement grâce à la recréation de l’œuvre pour l’ « année Rameau » en 1983, date où John Eliot Gardiner crée les Paladins au Festival d’Aix-en-Provence. Plus tard, en 2004, William Christie présente à son tour l’opéra au Châtelet, puis à Londres et à Caen, avant qu’il ne s’envole pour Shanghai et Tokyo où il connut un succès international.

 

(2) Elle vit le jour, elle aussi, bien plus tard, inscrite en 1999 au programme du Festival de Salzburg et enfin à celui de l’opéra Garnier en 2003 avec William Christie.

 

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