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Catégorie : Articles

Les debuts de la cornemuse

 

 

 

La cornemuse est un instrument très ancien, datant d’au moins 2000 ans. En se tournant vers l’antiquité romaine et les écrits des historiens décrivant la vie de l’empereur Néron (37-68), nous trouvons la première trace écrite fiable de la cornemuse. En effet, bien que certaines allusions plus anciennes pourraient faire référence à un instrument doté d’une outre, aucun document ne décrit l’instrument clairement avant l’an 115. C’est en cette année que l’historien Dion Chrysostome (30-116) écrit dans son 71ème discours sur le Philosophe en faisant allusion à l’empereur Néron : « on dit qu’il pouvait peindre, sculpter et jouer de l’aulos, à la fois par les lèvres et en ajustant en sac sous son aisselle ». Néron, selon l’historien Gaius Suetonius Tranquillus, était connu pour ses dons en course de chars et en musique. Initié à celle-ci dès son plus jeune âge, il chantait et jouait de la lyre. Il semblerait que l’empereur, qui n’aimait point la concurrence et qui aurait marmonné juste avant son suicide que le monde allait perdre un artiste, se produisait également en tant que joueur d’instruments à vent. En effet, en 121 Suetonius Tranquillus écrit que Néron aurait déclaré qu’il aurait souhaité organiser des jeux et s’y produire en tant que musicien en jouant de plusieurs instruments à vent, dont l’utriculus (petite outre) (dans Vita Neronis, De Vita Caesarum VI). Après la mort de l’empereur, la cornemuse se fait discrète pendant quelques siècles. Au Moyen-Age, elle réapparait partout en Europe sous diverses formes. Aujourd’hui, la cornemuse est un instrument bien vivant dans de nombreuses cultures autour du monde. Plus de 150 instruments différents ont été recensés,[1] dont un grand nombre sont encore joués aujourd’hui de l’Inde à l’Irlande et de la Suède à la Libye.

 

 

 

 

 

Le fonctionnement de la cornemuse

 

 

 

La cornemuse se distingue des autres instruments par son réservoir d’air, aussi appelé sac ou poche. Celui-ci est rempli d’air à l’aide du souffle du musicien et d’un tuyau d’insufflation ou par un soufflet, actionné par l’un des bras du musicien. L’air de la poche est distribué dans les différents tuyaux grâce à la pression exercée sur le sac par le bras du musicien. La cornemuse peut avoir une à huit sorties d’air, aussi appelées « voix » par l’organologue Marie-Barabara Le Gonidec. Celles-ci peuvent être des tuyaux mélodiques, semi-mélodiques ou des bourdons. Les bourdons n’ont aucun trou de jeu et n’émettent qu’une seule note accompagnatrice. Les tuyaux mélodiques sont utilisés pour jouer la mélodie et les tuyaux semi-mélodiques présentent un nombre limité de trous de jeu, souvent utilisés pour créer un accompagnement harmonique et/ou rythmique.

 

 

 

 

Schéma du fonctionnement d’une cornemuse.

 

Illustration Ilya Franciosi, 2016.

 

 

 

 

 

 

 

La classification de la cornemuse au cours du temps

 

 

 

D’après les différentes classifications établies au cours du temps, la cornemuse, comme l’orgue, a toujours été un instrument à part. Elle ne rentre dans aucune catégorie précise et provoque souvent l’ajout de commentaires particuliers et la création de catégories distinctes.

 

 

 

Michaël Praetorius, dans le volume De Organographia de son Syntagma musicum (1619/1620), établit une classification qui sépare les instruments à vent et à percussion. En tout premier nous trouvons les instruments à vent naturel, c'est-à-dire « ‘dont le vent est fournit par la nature’, donc pas par le souffle humain ; il s’agit d’instruments à soufflets : orgue, cornemuse »[2]. Voici un extrait de sa classification (Les catégories où se situe la cornemuse sont marquées en gras) :

 

 

 

1) instruments à vent[3]

            a. A vent naturel

            b. A souffle humain

                       -hauteurs déterminées par le souffle [(…) cor, trompette, etc]

                       -hauteurs déterminées mécaniquement

-par une coulisse

-par des trous devant, ou devant et derrière, ou devant, de côté et derrière

2) instruments à percussion

(…)

 

 

 

Cette classification est assez peu précise et il est impossible de déduire automatiquement que la cornemuse se situe dans la première catégorie. En effet, dans le cas des cornemuses le souffle est majoritairement fourni par un humain et les hauteurs sont déterminées par des trous sur le tuyau mélodique.

 

 

 

Une classification d’importance qui apparut après celle de Praetorius fut établie par Victor Mahillon, fondateur du Musée Instrumental de Bruxelles créé en 1867, afin de pouvoir répertorier les instruments de la collection en incluant même ceux dont personne ne connaissait le fonctionnement. Selon cette classification la cornemuse est un aérophone polyphone à réservoir d’air avec tuyaux. La définition de cette catégorie est beaucoup plus précise que celle proposée par Praetorius, d’autant plus que dans une sous-catégorie elle précise également si l’instrument est joué avec ou sans clavier. Cependant, Mahillon ne prend pas en compte la nature de l’élément mis en vibration, c’est à dire l’anche. L’anche est un élément important pour l’instrument. Le son est toujours créé par une anche, simple ou double, selon le tuyau et les cornemuses. Ici, Mahillon passe cette partie de l’anatomie de l’instrument sous silence. De plus, il existe certaines cornemuses qui ne sont pas polyphones, tel que le monotsabuno grec où la cornemuse est simplement constituée d’une poche et d’un tuyau mélodique.

 

 

 

La classification Hornbostel-Sachs, publiée en 1914 dans le Zeitschrift für Ethnologie, est la plus utilisée aujourd’hui. Elle a été créée à partir de la classification de Mahillon. Son but est de pouvoir classifier les instruments indépendamment de leur fonction ou de leur mode de jeu. Seule la structure de l’instrument est prise en compte. La cornemuse a sa place dans cette classification mais fait encore une fois l’objet de suffixes supplémentaires afin d’être mieux définie. Voici un résumé de l’extrait de la classification Hornbostel-Sachs, reproduite dans le New Grove Dictionary of Music and Musicians (2001 :177-178), où elle apparaît.

 

 

 

1 Idiophones

2 Membranophones

3 Cordophones

4 Aérophones

41 Aérophones libres

42 Instruments à vent proprement dits

421 A biseau flûtes

422 A anche

422.1 Hautbois

422.11 isolés

422.21 groupés (sets of oboes)

422.121 avec perce cylindrique (double aulos)

422.122 avec perce conique : trouvé en Inde

422.2 Clarinettes

422.21 isolées

422.211 à perce cylindrique,

422.211.1 sans trous ou avec trous pour les doigts : trouvé en Colombie Britannique

422.211.2 avec trous pour les doigts (clarinette européenne)

422.212 à perce conique (saxophone)

422.22 groupées : trouvé en Egypte (zummara)

422.3 A anche libre

423 Trompettes

 

Suffixes additionnels à utiliser avec n’importe quelle division de cette catégorie :

-6  à réservoir d’air

            -61 rigide

            -62 flexible

-7 trous bouchés par les doigts

-71 avec des clés

-72 avec Bandmechanik [vraisemblablement un rouleau ou ruban perforé]

-8 avec clavier

-9 avec un système mécanique (with mechanical drive)

 

 

 

 

Nous pouvons remarquer que la classification Sachs-Hornbostel est plus complète, notamment grâce au suffixe -6 ajouté en note, mais elle n’est toujours pas satisfaisante. En effet, la cornemuse est un instrument à anche, mais contrairement aux hautbois et aux clarinettes, elle peut être décrite comme instrument à anches multiples, ainsi qu’à perces multiples. La plupart des cornemuses n’ont pas le même type d’anche selon le tuyau mis en vibration. La gaita galicienne, par exemple, a une anche double (catégorie hautbois) pour le tuyau mélodique et des anches idioglottes (simple, battante, catégorie clarinette) pour les bourdons.

 

 

 

La classification de la cornemuse n’est pas une tâche aisée. Avec une morphologie changeante selon la région et le pays, de nombreuses ramifications sont nécessaires afin de pouvoir les classer convenablement. Geneviève Dournon, dans son Guide pour la classification des musiques et des instruments traditionnels (2000), classe la cornemuse ainsi :

 

4 aérophones

41 air dans un contenant tubulaire ou globulaire

412 anche (s) = lamelle(s) vibrante(s)- découpée dans ou rapportée sur le tuyau- dont l'ébranlement par le souffle entraîne la vibration de la colonne d'air

412.4 à anches battantes (simple et/ou double) avec sac, réserve d’air de volume variable (sac); insufflation buccale ou par soufflet = cornemuse.[4]

 

 

 

Voici l’extrait de la classification où se situe la cornemuse.

 

412.41 deux tuyaux avec anche battante simple [tsambouna (Grèce), mashak (Rajhastan), tulum (Turquie)]

412.42 deux tuyaux, ou plus, avec anche simple et/ou double [(biniou (France), gaita (Espagne), Scottish Highland Bagpipe (Ecosse), zampogna (Italie)]

412.421 avec soufflet manuel [musette, cabrette (France)]

 

 

 

Bien que plus élaborée que la classification de Hornbostel-Sachs, la classification proposée par Geneviève Dournon reste tout de même très simplifiée. En effet, l’instrument est complexe et présente de nombreuses variétés d’une région à l’autre. Il est donc difficile de les contenir dans un nombre aussi réduit de sous-niveaux si l’on souhaite tenir compte des particularités de chacun. Cette classification sous-entend à nouveau que la cornemuse est obligatoirement polyphone avec l’utilisation du pluriel dés la description de l’instrument : « à anches battantes ».  En effet, bien que rare, une cornemuse peut être monodique. De plus, la distinction n’est pas faite entre les instruments à anche(s) simple(s) ou double(s). Dans un ouvrage tel que le guide de Geneviève Dournon, ce manque de précision n’est pas forcément gênant car il s’agit de pouvoir associer un instrument type à une catégorie assez précise sans trop aller dans les détails. En effet, le but de cette classification publiée à l’UNESCO est de « [fournir] au néophyte une base organologique indispensable, pour reconnaître, identifier et classer les instruments de musique ».[5]

 

 

 

Enfin, la classification de Jean-Pierre Van Hees, spécifiquement conçue pour la cornemuse, est la plus complète à ce jour. Publiée en 2014 dans son livre La cornemuse : un monde sonore, les catégories établies peuvent être ajoutées au numéro classificatoire 412.4 de la taxonomie de Dournon. En effet, Van Hees choisit de classifier les cornemuses en trois catégories selon le type d’anche : les cornemuses à anche(s) simple(s), les cornemuses hybrides (à anches simple(s) et double(s)) et les cornemuses à anche(s) double(s).[6] On peut constater que cette catégorisation recoupe également diverses aires géographiques : les cornemuses à anches simples se trouvent principalement à l’est de l’Europe, les cornemuses hybrides se trouvent à l’ouest de l’Europe et les cornemuses à anches doubles se trouvent en Italie et historiquement en France.

 

 

 

Avant de passer à trois exemples concrets dans chaque catégorie, regardons de plus près les différentes composantes d’une cornemuse.

 

 

 

 

 

Un instrument complexe

 

 

 

La cornemuse réunit en un instrument plusieurs matériaux d’origine animale ou végétale, voire synthétique aujourd’hui. Voici un aperçu des différentes parties de la cornemuse avec des indications sur la facture et les matériaux.

 

 

 

Le sac

 

Le sac de la cornemuse est l’élément nécessaire pour réussir à produire un son continu. Cette partie indispensable est souvent fabriquée à partir de peau d’animal. De nombreuses poches sont fabriquées à partir de peaux de chevreaux. Le processus de tannage change en fonction des régions selon les savoir-faire mais également selon la rareté de la peau. En Croatie, par exemple, certaines peaux de chèvre sont tannées longuement afin que la peau devienne élastique et translucide, perdant tous ses poils. Ces peaux durent de nombreuses années contrairement aux peaux de chèvres utilisées par les facteurs bulgares ou grecs, par exemple, qui ont plus d’animaux à leur disposition et tannent les peaux avec une solution à base d’eau et de sel, sans oublier un passage à la chaux. Bien que ces derniers retournent la peau, laissant donc les poils généralement coupés assez court à l’intérieur de la poche, ceci n’empêche pas une dégradation plus rapide du sac due aux changements de taux d’humidité ni le risque possible d’infestation d’insectes à l’intérieur des pores laissés par les poils. Afin de contrecarrer cette humidité, les bulgares rangent souvent leurs instruments dans un sac en plastique afin de retenir un certain taux d’humidité après le jeu pour que la peau ne se dessèche pas. Si le sac séchait, il deviendrait sec comme du papier et cela le rendrait cassant donc fragile.

 

 

 

Le sac peut être fabriqué avec plusieurs matériaux, différents selon les régions. L’île de Malte, par exemple, est connue pour avoir historiquement utilisé des peaux de chiens entiers pour leurs sacs. Ceci se retrouve dans d’autres partie du monde tel que la Pologne, la Croatie ou encore Majorque. En effet, la peau de chien n’est pas du tout poreuse donc est moins sensible aux infestations d’insectes. Cependant, elle tend à sentir très fort, et l’odeur, contrairement aux autres peaux d’animal, ne s’atténue pas avec le temps, ce qui a poussé les facteurs et joueurs de cornemuse à utiliser des peaux d’autres animaux tels que la chèvre ou la vachette. En France, la peau de vachette est souvent utilisée. La peau est tannée puis coupée et cousue afin d’obtenir la forme voulue. Depuis la deuxième partie du XXème siècle, les joueurs et les facteurs de cornemuses se sont penchés sur d’autres matériaux tels que le caoutchouc ou le GoreTex afin d’allonger la durée de vie d’un sac, souvent limitée à quelques années, voire quelques mois selon le taux d’humidité, la fréquence d’utilisation et la qualité de la préparation de la peau. Plus récemment, quelques sociétés spécialisées dans la fabrique de sacs de cornemuses ont breveté des solutions utilisant un mélange de matériaux résistants à l’humidité du type GoreTex et de matériaux organiques tels que la peau de vachette. Certains modèles sont même pourvus d’une fermeture éclair afin que le musicien puisse vider son sac de la condensation. A ce même effet, certains sacs sont également pourvus de déshumidificateurs. Aujourd’hui le monde de la cornemuse retient une grande variété de matériaux pour le sac, variant selon la région, selon les facteurs des instruments et selon le goût des musiciens.

 

 

 

 

Différents stades de préparation d’un sac en peau de chèvre. De droite à gauche : la peau fraiche et traitée, tendue selon la forme voulue du sac ; la peau séchée ; le sac attaché à toutes ses extrémités afin de vérifier qu’il est bien étanche ; la peau tannée attachée à la cornemuse, prête à jouer.

 

Photo : Cassandre Balosso-Bardin, Mallorque, juin 2012.

 

 

 

Les anches

 

Les cornemuses utilisent des anches simples et des anches doubles. Elles sont traditionnellement fabriquées à partir de roseau cependant beaucoup de joueurs de cornemuse aujourd’hui utilisent des anches en plastique qui varient moins selon le taux d’humidité et la température.

 

 

 

Les anches doubles ressemblent à une anche de hautbois avec deux fines languettes de roseau apposées l’une contre l’autre et reliées à leur base. La largeur et la longueur de l’anche dépendra de la facture du tuyau mélodique. Les musiciens peuvent également choisir des anches plus ou moins dures en fonction de leurs besoins musicaux. La facture des anches doubles est délicate et elle est souvent l’affaire de spécialistes. Les anches simples, cependant, sont fabriquées plus aisément. Egalement traditionnellement en roseau, elles peuvent aujourd’hui être fabriquées en plastique, en bois ou en résine selon les facteurs.

 

 

 

Le musicien peut ajuster les anches en les modifiant légèrement. Pour l’anche double, le musicien peut ouvrir ou fermer l’ouverture de l’anche. Plus l’ouverture de l’anche est étroite, plus le tuyau mélodique montera et moins la pression sera élevée. A l’inverse, plus l’ouverture sera grande, plus le tuyau mélodique baissera et plus le musicien devra exercer de force sur le sac. L’anche simple peut également être réglée. La longueur de la languette et la largeur de l’anche déterminent la justesse. La longueur de la languette peut être modifiée à l’aide d’un élastique. Afin d’empêcher l’anche de se bloquer avec une pression trop grande, le musicien peut gratter la languette afin de l’alléger et/ou ajouter un cheveu entre la languette et le corps de l’anche afin de maintenir l’anche légèrement ouverte. 

 

 

De gauche à droite : anche double en plastique ; anche double en plastique pot de yaourt pour une cornemuse du centre France en sol ; anche double en roseau pour la gaita galicienne en do ; anche double en roseau pour la xeremies majorquine en do dièse ; anche simple en résine et roseau pour le tuyau mélodique d’une gaida bulgare en sol ; anche simple en roseau pour le petit bourdon en sol de la gaita galicienne ; anche simple en roseau pour le grand bourdon en do de la gaita galicienne (avec un cheveu sous la languette) ; anche simple en plastique pour un bourdon en la.

 

Photo : Cassandre Balosso-Bardin

 

 

 

Le tuyau d’insufflation et le soufflet

 

Le sac de la cornemuse peut être rempli d’air par deux systèmes : par le souffle humain ou par un soufflet. Dans le premier cas, le musicien souffle dans un tuyau d’insufflation muni d’un clapet qui permet à l’air de rester dans le sac lorsque le musicien inspire.

 

 

A gauche l’air rentre et passe dans le sac ;
à droite la pression dans le sac pendant le jeu ferme le clapet et empêche l’air de sortir.

 

 

 

Dans le deuxième cas, le musicien attache un soufflet au sac ce qui lui permet de gonfler le sac d’air avec son bras plutôt qu’avec ses poumons. Ceci donne notamment une plus grande liberté pour chanter tout en jouant.

 

 

 

 

Tadeusz Rytwinski joue de la cornemuse polonaise avec un soufflet sous son bras droit.

 

Photo : Sean Kelly 2014

 

 

 

Le tuyau mélodique et le tuyau semi-mélodique

 

La cornemuse peut avoir plus d’un tuyau mélodique. Lorsque le second tuyau mélodique est identique au premier, avec le même nombre de trous, on peut parler d’un double tuyau mélodique. Lorsque les tuyaux mélodiques diffèrent, on parle de tuyau mélodique et de tuyau semi-mélodique. La tsampouna, par exemple, peut se trouver sous deux formes : avec deux tuyaux jumeaux juxtaposés, ces derniers peuvent être deux tuyaux mélodiques identiques ou un tuyau mélodique et un tuyau semi-mélodique avec un, deux ou trois trous selon l’instrument.

 

 

 

 

A gauche, on observe une tsampouna avec un tuyau mélodique et un tuyau semi-mélodique alors que les deux cornemuses au centre et à droite ont des doubles tuyaux mélodiques.

 

Photo : Cassandre Balosso-Bardin 2014.

 

 

 

Les tuyaux mélodiques sont majoritairement fabriqués en bois. Ils peuvent être tournés ou taillés. Certains instruments ont des tuyaux mélodiques en roseau tels que le tulum (Turquie) la tsampouna (Grèce) ou encore le mizwid (Tunisie). Ces derniers sont souvent encastrés dans une gouttière en bois afin de les protéger. Aujourd’hui d’autres matériaux sont parfois utilisés tels que la résine ou le plastique mais le bois, exotique ou local, reste le matériau le plus courant.

 

 

 

 

 

Le(s) bourdon(s)

 

Le(s) tuyau(x) mélodique(s) de la cornemuse peu(ven)t être accompagné(s) d’un ou plusieurs bourdons. Ceux-ci peuvent être montés sur la même souche que le tuyau mélodique (voir ci-dessous la zampogna italienne) ou séparément (voir l’exemple de la gaita galicienne). Le bourdon permet d’effectuer un accompagnement avec une note continue. Le musicien ne peut pas changer la note de son bourdon lorsqu’il joue – si c’était le cas, nous serions en présence d’un tuyau semi-mélodique avec un ou plusieurs trous de jeu. Le bourdon s’accorde sur le tuyau mélodique et est généralement ajusté à la tonique de ce dernier. Lorsque la cornemuse a plusieurs bourdons, ils peuvent doubler la tonique à l’octave ou jouer une dominante. Dans certaines cornemuses, les bourdons sont adaptés pour pouvoir changer de ton facilement avec des coulisses ou des trous que le musicien peut boucher avant de jouer ou lors d’une pause musicale.

 

 

 

 

Joueurs de xeremies de Majorque : les trois bourdons sont montés sur la même souche et le tuyau mélodique est séparé. Les joueurs de cornemuse sont accompagnés de joueurs de flute (flabiol) et tambour (tamborí). Photo : Cassandre Balosso-Bardin 2013.

 



 

CAS D’ETUDES

 

 

 

En nous inspirant de la classification de Van Hees, regardons à présent de plus près un exemple pour chaque catégorie : cornemuses à anches simples, cornemuses hybrides et cornemuses à anches doubles.

 

 

 

 

 

Les cornemuses à anches simples

 

Le territoire des cornemuses à anches simples s’étend de l’Inde à la Croatie et de l’Afrique du Nord (Tunisie et Libye) à la Russie. Il existe quelques exemples de cornemuse à anches simples en Europe de l’Ouest tel que la boha en Gascogne et la säckpipa en Suède. Alors que la säckpipa peut être reliée aux territoires de l’est par les pays baltiques, la boha est une exception en Europe, entourée uniquement par des cornemuses hybrides. Cependant, d’après les ressources iconographiques à notre disposition cette co-existence avec les cornemuses hybrides semble être apparue au Moyen-Âge.

 

 

 

De par leur nature, les cornemuses à anches simples ont des tuyaux à perce cylindrique. Deux légères exceptions peuvent être évoquées : le tuyau mélodique de la djura gaida bulgare est légèrement conique et le tuyau mélodique de la kaba gaida des Rhodopes est légèrement inversement conique. Dans les deux cas la conicité est très légère et n’empêche pas le tuyau de fonctionner avec un système à anches simples. Observons à présent un exemple de cornemuse à anches simples, la tsampouna grècque, aussi appelée askomandoura en Crète.

 

 

Tsampouna et toumbaki. Photo : Cassandre Balosso-Bardin.

 


La tsampouna est jouée dans les îles grecques, notamment les îles égéennes. Plus au Nord, à la frontière Bulgare, on trouve un autre type de cornemuse à anches simples, la gaida avec un grand bourdon séparé du tuyau mélodique. La tsampouna varie selon les îles avec soit deux tuyaux mélodiques identiques, soit un tuyau mélodique et un tuyau semi-mélodique, mais l’instrument reste le même aux yeux des musiciens. La tsampouna est traditionnellement jouée avec un tambour appelé toumbaki ou avec une lyre à cordes frottées. Le répertoire est à la fois instrumental et chanté et dédié à la dance.

 

 

 

 

 

Cas d’étude organologique : la tsampouna (Îles Grècques)

Nom : tsampouna tsampouna ou askamantoura askamandoura (clarinette à outre). Ce modèle est une askamandoura, reconnaissable par son double tuyau mélodique accordé et joué à l’unisson.

 

Facteur : Serafim Marmaridis (2015)

 

Aire de jeu : les îles égéennes (Grèce)

 

Sac : peau de chèvre retournée (poils à l’intérieur)

 

Tuyau d’insufflation : tuyau muni d’une valve interne afin que l’air ne ressorte pas lorsque le joueur inspire. Certains modèles n’ont pas de valve. Le joueur appose alors sa langue sur le tuyau d’insufflation lorsqu’il inspire afin que l’air ne ressorte pas.

 

Bourdons : non-existants

 

Tuyaux mélodiques : double tuyau mélodique en roseau inséré dans une souche en bois. Les tuyaux mélodiques sont accordés et joués à l’unisson. D’autres modèles présents sur d’autres îles ont un tuyau mélodique et un tuyau semi-mélodique ce qui leur permet de créer des effets de bourdon rythmiques. Les tuyaux mélodiques sont encastrés dans une gouttière en bois, fixés avec de la cire ou de la colle. Le facteur y a gravé un motif feuillu selon son imagination. Les pavillons des cornemuses grecques peuvent aussi être fabriqués à partir de corne.

 

Exemple musical: https://youtu.be/_4k2ruLIG5I

Anches : Deux anches simples, une pour chaque tuyau mélodique. Les anches sont fixées dans les tuyaux mélodiques par de la cire afin qu’elles ne se déplacent pas. Les anches de ce facteur sont fabriquées à partir d’un morceau de bois creux où il a apposé une languette, maintenue par un élastique. Celui-ci est amovible et peut aider à régler la justesse des anches. Ce modèle d’anche permet d’assurer un plus grand contrôle sur la facture. Vous trouverez un modèle d’anche simple plus traditionnel sur bourdon de la gaita.

 

 

 

 

 

 

 

Les cornemuses hybrides

 

La cornemuse hybride est le type de cornemuse le plus connu internationalement grâce à la cornemuse écossaise, la great Highland bagpipe (abréviation : GHB). En effet, la GHB a un tuyau mélodique à perce conique et anche double ainsi que trois bourdons à perces cylindriques et anches simples. La GHB est communément jouée en si bémol et a un ambitus d’une neuvième, du la au si bémol. Malgré l’hégémonie de la GHB, les cornemuses hybrides sont nombreuses, avec des timbres, des tonalités et des répertoires très différents. En France, par exemple, nous pouvons compter plus d’une dizaine de cornemuses différentes dont la majorité sont des cornemuses hybrides : la cornemuse du centre France,[7] la veuze, le biniou kozh et le binous bras en Bretagne, la cornemuse à miroirs du limousin, la chabrette du Limousin, la musette bressane, la musette ou cabrette auvergnate, également jouée à Paris dans les bals musette (d’où son nom), la musette Béchonnet, la bodega des Pyrénées…

 

 

 

On trouve les cornemuses hybrides à l’ouest de l’Europe. Certaines, comme la GHB et la gaita galicienne sont jouées à l’étranger après avoir été exportée par différentes voies. La GHB, par exemple, était utilisée dans l’armée et est maintenant fortement représentée dans les pays du Commonwealth tels que l’Inde et l’Australie. Le Canada et les Etats-Unis ont également de nombreux groupes de GHB et participent régulièrement aux concours internationaux de pipe bands (groupes de cornemuses et de tambours). La GHB n’est pas la seule cornemuse à être fortement représentée et jouée par de nombreux musiciens. En Galice, la gaita, la cornemuse galicienne, a connu un renouveau dans les années 1990. Elle est maintenant jouée par des milliers de personnes. Regardons de plus près la gaita galicienne, l’un des instruments hybrides le plus joué après la great Highland bagpipe écossaise.

 

 

 

 

 

Cas d’étude : la gaita gallega (Galice, Espagne)

 

Nom : Gaita gallega

 

Facteur : Cristobal Prieto (2005)

 

Aire de jeu : Galice (nord-est de l’Espagne). La gaita est également jouée au nord du Portugal où elle cohabite avec la cornemuse portugaise, très voisine dans son organologie. La gaita est aussi jouée dans de nombreuses communautés à l’étranger où des centres galiciens ont été créés par des générations d’émigrants dans des villes telles que Buenos Aires, Paris, Bruxelles, Londres, Bâle, Zurich, Bonn, Caracas...

 

 

Sac : Sac en Gore-Tex®, fabriqué par la compagnie écossaise CANMORE®. Le Gore-Tex® est une membrane imperméable qui a la capacité de transpirer tout en étant étanche. Couramment utilisé pour les chaussures et pour le matériel de plongée, le Gore-Tex®, était utilisé pour les sacs de cornemuse afin de créer un matériau qui se détériorait beaucoup moins rapidement lorsqu’exposé à des hauts taux d’humidité. La société écossaise CANMORE®, spécialisée dans la fabrication des sacs de cornemuse, développa le premier sac à base de tissus pourvu d’une membrane Gore-Tex® et le commercialisa en 1987. Depuis, de nombreux autres types de sacs ont été développés comme certains avec une fermeture éclair afin de vider plus facilement la condensation du sac ou bien, plus récemment, un sac hybride avec une membrane synthétique interne et une membrane externe en peau naturelle afin de recréer la texture d’un sac en peau d’animal. D’autres fabricants de sacs exportent dans le monde entier dont les marques Bannatyne, Ross, Begg et Gannaway.

 

Tuyau d’insufflation : Tuyau d’insufflation avec une valve au bout afin que l’air ne ressorte pas lorsque le musicien inspire. La valve est en caoutchouc, attachée par une petite vis.

 

Tuyau mélodique : Le tuyau mélodique de la gaita est conique. Ce tuyau mélodique est en palissandre avec un joint en liège. Il a 8 trous de jeu, dont un pour le pouce, ainsi que quelques trous d’accord à son pied. Ceux-ci sont souvent retouchés par les musiciens afin d’ajuster la justesse du tuyau mélodique, influant sur la longueur du tuyau. La justesse des notes étant souvent dépendante de l’anche (celle-ci peut être ajustée en l’ouvrant ou la fermant et en l’insérant plus ou moins profondément dans le tuyau) les joueurs de cornemuse modifient souvent la justesse en rajoutant soit de la cire, soit du ruban adhésif autour des trous de jeu afin de modifier leur hauteur. La gaita est communément jouée en do. Afin de pouvoir jouer plus facilement dans différentes clés et de s’intégrer dans des groupes musicaux avec d’autres instruments, les musiciens ont souvent des tuyaux mélodiques en ré, si bémol ou encore sol.

 

Exemple musical : Duo Dani Bellón et Diego Maceiras (gaita et accordéon)

www.youtu.be/JKjekjWuLUs

 

Bourdons : La gaita peut avoir un à trois bourdons. Ceux-ci se nomment le roncón (do), la ronqueta (do) et le chillón (sol). Le grand bourdon (roncón) est la base de la musique, accordé à la tonique de la cornemuse. Les deux petits bourdons sont optionnels. Certains facteurs ont développé un système de robinet qui permet de choisir si l’on veut activer le bourdon ou non (cf image).

 

Anches : La gaita utilise à la fois des anches simples pour les bourdons cylindriques et une anche double pour le tuyau mélodique à perce conique. Historiquement, le chillón pouvait être cylindrique et muni d’une anche double ce qui augmentait sa puissance sonore considérablement. Les anches des gaitas sont traditionnellement fabriquées à partir de roseau.

 

 

 

 

 

Les cornemuses à anches doubles

 

Les cornemuses à anches doubles sont beaucoup moins nombreuses que les deux types de cornemuses que nous avons étudiés ci-dessus. Elles sont majoritairement de deux familles : la musette baroque, développée au XVIIe et XVIIIe siècles ainsi que les cornemuses d’Italie du sud, connues sous le nom de zampogna ou surdulina. Alors que les cornemuses baroques se sont développées dans un milieu bourgeois et aristocratique, les zampogne sont issues d’un milieu plus rural. Au XIXe siècle, les joueurs de zampogna, les zampognari étaient bien connus à Paris où ils jouaient dans la rue avec des tambourins (tamburelli) ou encore l’instrument accompagnateur de la zampogna, un chalumeau appelé chiaramella ou piffero. Encore aujourd’hui la zampogna est associée à un monde rural et est notamment emblématique de la période de Noël lorsque les bergers passent de village en village, jouant les chants de Noël à la zampogna et la chiaramella.

 

 

 

 

 

Cas d’étude : la zampogna (Italie)

 

Nom : Zampogna a chiave (cornemuse à clé)

 

Facteur : Ilario Garbani Marcantini (ca. 2002)

 

Aire de jeu : Italie du Sud (Calabre, Pouilles, Salento, Lecce, Sicile)

 

Sac : Peau de vachette. Le sac traditionnel est généralement fabriqué en peau de chèvre. La vachette est utilisée surtout en France avec des sacs de cornemuse cousus. Ces derniers sont solides et ont une durée de vie assez longue. Le facteur a peut-être choisi de passer au sac en peau de vachette cousue afin d’allonger la durée de vie du sac.

 

Tuyau d’insufflation : tuyau assez long muni d’un valve interne afin d’empêcher l’air de ressortir lorsque le musicien inspire.

 

 

 

Tuyaux mélodiques : La zampogna est connue pour ses deux tuyaux mélodiques, chacun joué par une main différente.

La différence de taille des tuyaux permet un jeu différent sur chacun. Le tuyau mélodique court et plus aigu est utilisé pour la mélodie alors que le tuyau mélodique plus long et plus grave est utilisé pour l’accompagnement harmonique et rythmique. La zampogna a chiave de Garbani, illustrée ici, est en sol majeur, une tonalité commune pour les zampogne. Selon sa taille, le tuyau de plus long de la zampogna est souvent muni d’un système pour soulager le musicien du poids de l’instrument. Ici, la cornemuse est munie d’une sangle que le musicien se passera autour du poignet afin de rendre le jeu plus aisé.

 

Exemple musical : Solo de zampogna https://www.youtube.com/watch?v=CU_xR_mS9YI

Bourdons : La zampogna peut avoir jusqu’a trois bourdons. Les bourdons peuvent être rendus muets grâce à un bouchon à leur extrémité. L’un des bourdons de cette zampogna, illustré ci-contre, a des trous latéraux qui permettent de changer le bourdon du ré au ré# ou mi selon les besoins de la musique et du musicien.

 

La zampogna est aisément reconnaissable par sa morphologie unique. Tous les tuyaux de la cornemuse (mélodiques et bourdons), à l’exception du tuyau d’insufflation, sont insérés dans une seule souche à l’avant de la cornemuse.

 

 

Anches : Les tuyaux mélodiques et les bourdons de la zampogna ont une perce conique. Ceci les amène donc à être munis d’anches doubles. Traditionnellement fabriquées à partir de roseau, ces anches sont en pot de yaourt, un plastique léger qui permet à l’anche de vibrer aisément. Les anches en plastique sont répandues dans le monde de la cornemuse. En effet, malgré une légère perte de richesse de timbre, les anches doubles en plastique varient moins en fonction de la température et de l’humidité ce qui donne un certain confort au musicien.

     

 

 

 

 

 

CONCLUSION

 

 

 

Le monde de la cornemuse est vaste et extrêmement riche. Cet article aura servi de brève introduction à l’instrument, n’effleurant qu’une petite partie de son univers. Allant au delà de l’organologie, chaque cornemuse est au centre d’une histoire culturellement passionnante. L’un des livres les plus complets et des plus récents au sujet de la cornemuse est le livre de Jean Pierre Van Hees, La cornemuse : un infini sonore (Coop Breizh 2014). Pour les adeptes de l’internet, il existe un magnifique site compilé sous la direction scientifique de Marie-Barbara Le Gonidec pour le MuCEM avec le soutien du ministère de la Culture et de la Communication, mis en ligne en 2007 : http://www.cornemuses.culture.fr. Enfin, je vous invite à visiter la page de l’Organisation Internationale pour la Cornemuse qui organise des colloques internationaux biennaux autour de cet instrument, invitant des musiciens, facteurs et universitaires du monde entier pour partager leurs musiques et leurs connaissances.

 

 

 

 

 

Cassandre Balosso-Bardin*.

 

 

 

 

 

*Cassandre Balosso-Bardin est docteur en ethnomusicologie et postdoctorante à l'Université Paris-Sorbonne pour le projet de recherche Geste-Acoustique-Musique. Elle est également directrice de l'International Bagpipe Organisation.

 

 

 

 

 


 

[1]  Voir l’ouvrage de Jean Pierre Van Hees, La cornemuse, un infini sonore, Breizh Coop, 2014.

 

[2]  Meeus, cours d’Organologie pour les L2, p13

 

[3]  Source : Nicolas Meeus, cours d’organologie pour L2: 13

 

[4]  Dournon, Guide pour la classification des musiques et des instruments traditionnels 2000 :131

 

[5]  Dournon, Guide pour la classification des musiques et des instruments traditionnels 2000 : quatrième couverture

 

[6]  Afin de faciliter la lecture, le pluriel sera désormais utilisé pour les anches de cornemuse sauf lorsque l’instrument est monodique ou s’il s’agit d’une seule anche.

 

[7]  Lire Les maîtres sonneurs de George Sand pour un magnifique portrait d’époque du joueur de cornemuse de Centre France.