Carlo GESUALDO-Ascanio MAIONE : Tribulationem. Motetti, Madrigali et Capricci. Maria Christina Kiehr, soprano, Maria Galassi,
harpe. Conceto Soave,
clavecin, orgue et dir. : Jean-Marc Aymes. 2 CDs ZIG ZAG
TERRITOIRES (www.outhere-music.com ) : ZZT 319. TT : 51’ 20+67’ 43. Cette
intéressante production associe des œuvres vocales de Carlo Gesualdo
(1566-1613), « Principe di Venosa »,
célèbre notamment par ses Sacrae Cantiones et Motets, et des pages instrumentales
d’Ascanio Maione (v. 1565-1627), compositeur et
harpiste napolitain. Le premier CD concerne la musique religieuse ; le
second, la musique profane. Parmi les pièces marquantes de Gesualdo, figurent
notamment ses motets : Tribulationem et dolorem, le texte si poignant, extrait de ses Répons des Ténèbres : O vos omnes qui transitis per viam, attendite et videte : Si est
dolor similis sicut dolor meus… (CD 1), ou encore : Gia piansi nel dolore (CD 2), mettant en
valeur les chromatismes à finalité expressive. Les interprètes s’investissent
parfaitement dans cette atmosphère à la fois douloureuse et calme, profonde,
tendue et lourde d’émotion, ils réussissent aussi à recréer le caractère
primesautier et dansant (Mille volte il
di) et la transparence de certains Madrigaux.
Les œuvres d’Ascanio Maione comprennent un choix de Toccatas pour clavecin et clavecin
chromatique et de Recercare (ricercare)
joués en connaissance de cause et selon les critères de l’interprétation
historique par Jean-Marc Aymes, claveciniste et
organiste, spécialiste de la musique italienne du commencement du Seicento. Ce disque est réalisé par des musiciens de tout
premier plan : Le Concerto Soave, Maria
Christina Kiehr (soprano), Maria Galassi
(harpiste) et J.-M. Aymes. Une réussite du genre
permettant de mieux connaître des œuvres de deux compositeurs nés à un an
d’intervalle et situées à la charnière entre les XVIe et le
XVIIe siècles.
Édith
Weber.
« CARMINA
LATINA ». Chœur de chambre de
Namur. Ensemble instrumental Clematis, Cappella Mediterranea, dir. Leonardo García Alarcón.1 CD RICERCAR (www.outhere-music.com) : RIC 334. TT : 62’ 31.
En fait, ce titre
générique implique le répertoire musical exporté en Amérique latine par des
musiciens espagnols et portugais après la découverte des Amériques par
Christophe Colomb, en 1492. Il est révélé par la Cappella Mediterranea,
le Chœur de chambre de Namur et l’Ensemble instrumental Clematis,
dirigés par Leonardo García Alarcón. La musique religieuse
comprend la Missa de Batalla
à 12 voix (c’est-à-dire 3 chœurs avec basse continue) : Kyrie bien rythmé et ponctué par les
percussions, Gloria avec intonation
grégorienne préparant l’entrée des voix, Credo
très affirmatif, Sanctus avec entrées
successives, Agnus Dei
particulièrement expressif et calme, marqué par la transparence des voix. Dans
sa Messe, Joan Cererols
(1618-1676), musicien catalan, s’inspire de la polyphonie vénitienne dans le
sillage de la Renaissance. Le Psaume Dixit
Dominus de Juan de Araujo (v.1648-1712), avec sa
lumineuse mélodie introductive, est influencé par Claudio Monteverdi. Son Salve Regina mise sur l’émotion, un peu
à la manière de Tomas Luis da Victoria, comme il ressort de l’excellent livret
quadrilingue de Jérôme Le Jeune. Les textes d’inspiration profane évoquent les
plaisanteries (Vaya de gira, avec mention des instruments
de musique) et plaisirs, ou encore le « soleil pèlerin » (A este Sol peregrino),
le « taureau exécrable » et la fête à la Cour de La Plata
(Salga el torillo hosquillo). L’ensemble se termine avec Hanacpachap cussicuinin,
évoquant la joie du ciel, aboutissant à un genre de doxologie trinitaire.
Ce programme si révélateur, exportant la tradition
polyphonique espagnole et portugaise notamment au Pérou, en Argentine et au
Mexique, est interprété avec un enthousiasme communicatif. Un disque historique
irrésistible.
Édith
Weber.
« Face-à-face ». Florentine MULSANT (* 1962) : Symphonie N° 1, op. 32.
24 Préludes pour piano, op. 38.
Orchestre de chambre d'Arménie, piano et dir. Vahan Mardirossian. 1CD MAESTRIA
RECORDS : EMVI4. Distribution : CODAEX. TT : 64’ 21.
Avec ce disque
enregistré en 2012 à Erevan, Vahan Mardirossian, à la tête de l’Orchestre de chambre d’Arménie,
rend un vibrant hommage à Florentine Mulsant (née en
1962). Après ses études traditionnelles au CNSMP et à la Schola Cantorum (Premier Prix de Composition), elle s’est
perfectionnée à l’Academia Chigiana
(Sienne) et auprès d’Alain Bancquart. Elle est
titulaire de nombreux Concours internationaux de composition et du Prix Nadia
et Lily Boulanger de l’Académie des Beaux-Arts. De
1991 à 1998, elle a enseigné l’écriture musicale à l’UFR de Musicologie
(Université Paris-Sorbonne) et depuis, elle s’adonne à la composition. Ses
œuvres, dans le prolongement de Debussy, Ravel, Messiaen et Dutilleux, sont
largement diffusées au plan international. Ce CD commence par sa Symphonie n°1 pour orchestre à cordes,
op. 32 (2005), commande de Radio-France, en 5 mouvements de longueur égale et,
comme le souligne l’analyse jointe au disque : « l’unité de l’œuvre a
été mûrement réfléchie et on peut ainsi dégager des correspondances entre le 1er
et le 5e mouvements, le 2e et le 4e mouvements. Le
3e mouvement, point central de l’œuvre, répond quant à lui à une écriture
différente. » Dans le 1er mouvement, elle privilégie une « atmosphère
pleine d’énergie et très harmonique » ; dans le 2e, l’expressivité,
puis la vivacité. Le 3e est « un hommage à Henri Dutilleux et
notamment à son quatuor Ainsi la nuit.
Altos et violoncelles sont particulièrement sollicités avec des
pizzicati ; ce mouvement central repose sur un double canon, modèle
d’écriture contrapuntique. Dans le 4e mouvement, Florentine Mulsant
mise sur le « raffinement des timbres » et l’expressivité des cordes
avec un thème triste. Le 5e fait appel à une virtuosité à toute épreuve.
L’interprétation minutieuse est à la mesure des exigences du compositeur, et
mérite les plus vifs éloges. Ses 24
Préludes pour piano, op. 38 (2011) sont dédiés au poète Paul Gagnaire, son fils disparu, la même année, à l’âge de 20
ans, qui a assisté à leur élaboration et écrit le poème : « Tes Préludes ». Ils ont été créés
en 2012 par Vahan Mardirossian,
également remarquable pianiste. Florentine Mulsant
qui admirait cette forme romantique et les Préludes
de Scriabine, Debussy et Messiaen, insiste sur son « souci historique de
continuité musicale » et en définit quatre types : « mélodiques,
harmoniques, rythmiques et résonnants ». Elle spécule en outre sur
l’utilisation de la troisième pédale et les effets de « résonance dégagée
par les harmoniques artificiels et naturels du piano » : un modèle
d’inventivité mélodique et expressive, de clarté dans l’écriture, d’intériorité
(n°15), de virtuosité (n°16), d’attaques précises (n°21), de dynamisme (n°26)…
En effet : « Les fins oiseaux
des mers dont l’abysse est dans l’œil / volent dans ta [sa] musique, éperdus et sauvages… »
(P. Gagnaire). Grâce à la parfaite connivence entre
Florentine Mulsant et Vahan
Mardirossian, chef et pianiste, ces œuvres font
honneur à la musique française contemporaine.
Édith Weber.
Le chant
de l’âme. Dialogues avec le Ciel. 1CD
(lechantdelame@gmail.com ) ou (biancafavez@gmail.com ). TT : 62’ 34.
Bianca Favez, née en Roumanie et installée en Suisse, a commencé
le violon à 5 ans, suivi les cours de Gérard Poulet au CNSMP (Premier Prix de
violon et de musique de chambre), puis au Conservatoire de Genève (virtuosité).
Soliste internationale, elle a joué notamment avec l’Orchestre de la Suisse
Romande (M. Corboz), l’Orchestre de Chambre de Genève
et l’Orchestre des Collèges. Elle fait partie du groupe Klezmer.
Cette Anthologie de musiques juives est entrecoupée par des Improvisations diversifiées de Vincent Thévenaz, Professeur au Conservatoire, à la Haute École de
Musique de Genève et organiste titulaire à Chêne ; il y met en valeur
toutes les possibilités de l’Orgue du Temple de Château-d’Oex.
Le programme commence avec l’une des prières les plus importantes de la
liturgie juive, Kaddisch,
dans la version (1914) de Maurice Ravel, que Bianca Favez,
efficacement soutenue à l’orgue, interprète avec une grande sensibilité
musicale et une chaude sonorité en lui conférant à la fois intériorité et
relief. La Mélodie hébraïque, op. 33
(1911) de Joseph Achron (1886-1943) reposant sur un
thème hassidique bénéficie d’une interprétation vibrante et saisissante. Marc
Lavry, né en 1903 à Riga et mort en 1967 à Haifa, a
mis notamment en musique des Prières juives, des chants populaires israéliens
et des Danses hassidiques. Ses Trois
Danses Juives, op.192 (1945) : Jewish wedding Dance « Sher »,
Yemenite wedding dance,
Hora hautes en couleurs, sont bien
enlevées et brillamment rendues par les deux musiciens en parfaite connivence.
Ce CD permet également de découvrir la Sonate
en Sol Majeur, op. 44 (1951) de Paul Ben-Haïm, né
à Munich en 1897, décédé à Tel-Aviv en 1984, chef assistant de Bruno Walter,
puis Kapellmeister à l’Opéra d’Augsbourg ; en
1933, fuyant le nazisme, il se réfugie en Palestine où il s’intéresse aussi à
la tradition juive et au folklore moyen-oriental. Selon le texte de
présentation, dans sa Sonate (1951),
« son mouvement lent Lento e sotto voce, joué avec la sourdine, est richement
ornementé, évoquant les Psaumes et le chant des Bédouins ; le Molto Allegro est basé sur le rythme de
la hora,
danse nationale israélienne ». Elle est interprétée avec une belle
virtuosité. La Suite Baal Shem (Three Pictures of Chassidic Life,1923) d’Ernest Bloch — musicien bien connu, né à Genève en
1880, mort à Portland (États-Unis) en 1959 — a été composée et créée à la
Synagogue de Cleveland, en hommage à Baal Shem Tov, fondateur du hassidisme. Elle déborde de vie, de
sonorités généreuses et d’enthousiasme. Grâce à B. Favez,
les discophiles découvriront des œuvres peu connues et pénétreront dans
l’univers juif allant de l’intériorité la plus profonde à l’expansion la plus
débordante : un vrai « chant de l’âme ».
Édith Weber.
Voyage
musical en Terroirs de France. 1CD SPIRIADE (spiriade.com ).
Distribution : DOM. TT : 64’ 24.
Bel exemple de
régionalisme en musique, grâce au « voyage » en Cerdagne, Auvergne,
Bretagne et Paris, auquel nous convie le pianiste Stéphane Spira
— élève, entre autres, de Pierre Petit à l’École Normale de Musique de Paris et
de Brigitte Engerer — qui a gagné la notoriété par
ses interprétations de Beethoven, Chopin, Liszt… Le périple commence en Cerdagne avec M.-J.-A.
Déodat de Séverac (né en 1872 à St-Félix-Lauragais et
mort en 1921 à Céret) et ses trois pièces si chatoyantes : En Tartane, Les muletiers devant le Christ de Livia et Le retour des muletiers. Il se poursuit en Auvergne par l’espiègle Ballabile et la
célèbre Bourrée fantasque (au rythme
caractéristique, percutant et envoûtant) d’Emmanuel Chabrier (né à Ambert
(Puy-de-Dôme) en 1841-mort à Paris en 1894). L’itinéraire passe par la Bretagne
aux accents du très évocateur Avril et
de Par Landes (plus rêveur) de Paul
Le Flem, né en 1881 à Radon et mort à Tréguier en 1984. Il atteint ensuite la
Capitale avec la très carrée Sicilienne (de
la Suite française), Intermezzo (tout en élégance et finesse)
et Caprice en Ut (bien enlevé et
dynamique) de Francis Poulenc (1899-1963), né et mort à Paris. Enfin, Claude
Debussy (1862-1918) permet à l’excellent pianiste d’illustrer magistralement …Brouillards (diffus), …Des pas sur la neige (hésitant), …Le vent dans la plaine (plus agité). Le
terminus du voyage est atteint, comme il se doit, avec un vrai feu d’artifice
émanant de la pièce éponyme de Claude de France. Magistrale évocation des beaux
terroirs musicaux de France par Stéphane Spira,
« héroïque » pianiste dont les doigts survolent le clavier avec une
aisance et une dextérité hors du commun.
Édith Weber.
Gustav MAHLER : Symphonie n°4. Arrangement pour orchestre de chambre Erwin
Stein, 1920. 1CD SKARBO (www.skarbo.fr): DSK 3127. TT : 52’ 32.
Gustav Mahler a composé 10 Symphonies exigeant généralement
un grand déploiement orchestral. Son compatriote et contemporain Erwin Stein
(1885-1958), élève de Schoenberg, fuyant l’Allemagne nazie, s’est installé à
Londres où il a collaboré avec les Éditions Boosey
& Hawkes. C’est ainsi que, dans le souci de rendre la musique de Mahler
accessible aux petites formations, il a réalisé un arrangement pour orchestre
de chambre de sa 4e Symphonie en Sol
majeur, terminée en 1900 et créée l’année suivante. Elle est interprétée par
l’Orchestre Régional de Basse-Normandie placé sous la direction précise de Jean
Deroyer avec, en soliste, la Soprano Zoe Nicolaidou. Cette version plus transparente a évidemment le
mérite d’alléger la pâte sonore. Les titres des mouvements comportent déjà
en eux-mêmes des indications relatives à l’interprétation, aux tempi à
respecter et aux diverses atmosphères à recréer selon la volonté du
compositeur. Le premier mouvement Bedächtig-Nicht eilen (Méditatif- sans
presser) établit le climat général. Le second : In Gemächlicher Bewegung-ohne Hast (En un mouvement modéré –sans hâte) baigne
dans une atmosphère proche de la danse, de caractère débonnaire. Le
troisième : Ruhevoll-Poco Adagio (Tranquille-Poco Adagio) marque le point culminant
de l’œuvre, et le quatrième : Sehr behaglich (très confortablement), comprend le lied Das himmlische Leben (La
vie céleste) interprété par la voix noble, radieuse et fraîche de Zoe Nicolaidou, et se termine dans la paix. La version de Jean Deroyer valide la démarche d’Erwin Stein.
Édith Weber.
Wolfgang Amadeus MOZART : Requiem. K 626.
Concerto pour clarinette K 622. Benjamin Dieltjens,
clarinette de basset. Lucy Hall, Angélique Noldus,
Hui Jin, Josef Wagner. Chœur de Chambre de Namur, New Century Baroque, dir. Leonardo García Alarcón. 1CD Ambronay
Editions : AMY038. TT : 65’40.
Des œuvres célébrissimes, déjà maintes fois
enregistrées, composées toutes deux en 1791, année de la mort de Mozart, mais
une lecture très originale de Leonardo García
Alarcón. Le chef argentin et le
clarinettiste Benjamin Dieltjens ont choisi de
revenir à l’instrument original, la clarinette de basset, pour l’interprétation
du célèbre concerto. Il existe, dans le corpus mozartien, deux types d’œuvres
maçonniques, celles composées directement pour la loge, jouées par la Colonne
d’Harmonie lors de l’ouverture ou la fermeture des travaux comme, par exemple,
les nombreux divertimenti pour cor de basset ou
autres œuvres rituelles (cf. L'Éducation musicale N° 565 Avril 2010 : Musique et Franc-maçonnerie), et les
œuvres d’inspiration maçonnique, comme le Concerto
pour clarinette K.622 dont la composition résulte de l’amitié entre Anton
Stadler, clarinettiste virtuose, Theodore Lotz,
luthier, et Mozart, tous trois frères dans la même loge viennoise de « La
Bienfaisance ». Cela expliquant que ce concerto, chargé d’humanité et de
fraternité, soit souvent considéré comme le véritable testament musical de
Mozart. La genèse de l'œuvre est quelque peu mystérieuse puisqu’il n’existe pas
de partition autographe retrouvée, laissant par là-même une certaine liberté
d’interprétation au soliste. Sa composition date de septembre-octobre 1791,
mais on a pu en retrouver quelques esquisses composées quelques années
auparavant (1789), pour cor de basset, qui seront reprises par Mozart dans
l’Allegro. La clarinette de basset est formée d'une extension à la clarinette
en la, qui permettait de rapprocher cette dernière d'un cor de basset et donc
de jouer dans un registre plus grave (ut grave au lieu du mi). Cet instrument
n’est plus guère utilisé que dans ce concerto, encore qu’il soit le plus
souvent joué, de nos jours, sur une clarinette en la
standard.
Clarinette en la de basset.
L’utilisation de cet instrument curieux
donne à l’interprétation, en tous points remarquable, de Benjamin Dieltjens, une rondeur et une douceur inhabituelles, comme
une confidence nostalgique, qui perdrait en rutilance ce qu’elle gagne en
émotion et en profondeur. La deuxième œuvre présentée sur ce disque est le Requiem K.626 dont García Alarcón
donne, encore une fois, une vision toute personnelle, choisissant de ne pas
jouer le Sanctus, le Benedictus et l’Agnus Dei, qui, composés par Süssmayr,
relèvent, pour lui, d’une esthétique post mozartienne, pour ne conserver que
les parties ou ébauches du Requiem élaborées
par la main même de Mozart. Un Requiem
qui, on l’aura compris, s’éloigne de la liturgie pour retrouver une liberté,
une théâtralité, une énergie et une puissance dramatique sans égale. Il est
parfaitement servi par l’Ensemble New Century Baroque et le Chœur de Chambre de
Namur. Du très beau travail. Et une belle prise de son, ce qui ajoute au
plaisir! Un disque indispensable.
Patrice Imbaud.
« The
Art of the violin ». César FRANCK : Sonate en la majeur. Camille SAINT-SAËNS : Sonate N°1 en ré mineur,
op. 75. Gabriel PIERNÉ : Sonate en ré mineur op 36. Jules MASSENET : Méditation
de Thaïs. Solenne Païdassi, violon, Laurent Wagschal, piano. 1CD INDESENS : INDE051. TT :
76’39.
Solenne Païdassi
et Laurent Wagschal sont assurément des
instrumentistes talentueux, comme en témoignent l’obtention du Premier Grand
Prix du Concours Long-Thibaud, qui a récompensé, en 2010, la jeune violoniste
prodige, et la belle carrière du pianiste, qui s'est déjà grandement illustré
dans la musique française. Mais plus que cela, ils ont tous deux le sens du
récit, attesté par ces exécutions de la remarquable de la Sonate n° 1, op. 75 de Camille Saint-Saëns, de la Sonate op. 36 de Gabriel Pierné
(1863-1937), et de la célébrissime Sonate
de César Franck, avec en bonus, la Méditation
de Thaïs de Jules Massenet. Un magnifique programme pour une magnifique
interprétation, qui réussit à maintenir l’auditeur en haleine tout au long d'un
CD passionnant, au minutage généreux. La première sonate de Saint-Saëns,
contemporaine de la Symphonie avec orgue (1885), est brillante,
sensuelle et tourmentée, lyrique, mélancolique, d’une vertigineuse virtuosité
culminant dans le finale. La Sonate de Franck (1886), œuvre incontournable du
répertoire chambriste pour violon, dédiée à Eugène Ysaÿe,
est mystérieuse, élégiaque, passionnée, au long de ses quatre mouvements d'une
égale inspiration. Peu connue, la Sonate de Gabriel Pierné, dédiée à Jacques
Thibaud, recourt au système cyclique, hérité de Franck, et combine charme et
délicatesse, voire passion intérieure. La rêveuse Méditation de Thaïs
forme une merveilleuse conclusion. Au fil de ces pièces, on apprécie une vision
très engagée, un dialogue parfaitement équilibré où virtuosité et justesse ne
sont jamais prises en défaut, riche en couleurs, toujours au service de la
musique, et qui, à aucun moment ne déçoit. Un disque absolument indispensable,
qui s’annonce déjà comme une référence.
Patrice Imbaud.
« Musiques Nouvelles : 50 ans, 25 compositeurs ». 6CDs Label cypres :
CYP4650. TT : 6 H38'.
Lorsqu’Adrian Leverkühn,
le héros faustien de Thomas Mann, après avoir écouté l’Hymne à la joie de la Neuvième
symphonie de Beethoven s’écrie : « cela ne doit pas
être ! Il faut que cela soit effacé ! », il comprend que le
projet humaniste de Schiller a désormais cessé d’être, disparu à tout jamais…
dans les fumées d’Auschwitz, les camps du Goulag et l’explosion d’Hiroshima ;
une rupture qui esquisse, en même temps, le projet esthétique d’une post
modernité dans laquelle l’avant-garde de la deuxième moitié du XXe siècle
s’engouffrera avec bonheur, préférant fragmentation, pluralité, hédonisme et
déconstruction à une tradition jugée surannée. C’est dans ce courant, loin de
toute vaine séduction, que s’inscrit la musique d’Henri Pousseur (1929-2009),
chef de file de l’école belge de musique contemporaine, d’où naîtra le groupe Musiques
Nouvelles dont ce coffret fête le cinquantième anniversaire (2012). Henri
Pousseur, qui fut enseignant à Darmstadt entre 1957 et 1967, est riche d’un
corpus de plus de 200 œuvres, dont sont présentées ici quatre compositions
majeures, un peu comme un hommage : la
Seconde Apothéose de Rameau, Madrigal III, Quintette à la mémoire d’Anton
Webern, et Stèle à la mémoire de
Pierre Froidebise. Choix judicieux, bien
qu’obligatoirement limité, qui montre les distances prises par Pousseur avec le
sérialisme, choisissant une égale acceptation du consonant et du dissonant, du
diatonique et du chromatisme, par sa théorie des réseaux. Une évolution que
l’on pourrait schématiser chronologiquement en quatre périodes : moment
webernien, moment des œuvres mobiles et du travail en studio, moment de
transition correspondant à la composition de Votre Faust (fantaisie variable genre opéra, en collaboration avec
Michel Butor, leader du Nouveau Roman, pour le livret), enfin moment de la
mémoire obstinée, qui amènera Pousseur à croire à l’universalité des cultures,
comme à un rêve tout éveillé ! Viennent ensuite cinq disques sur lesquels
sont gravées les œuvres de 25 compositeurs contemporains appartenant au groupe Musiques
Nouvelles, comme autant de témoignages, étalés dans le temps, de la
pluralité esthétique de l'École belge, des mondes musicaux irréductibles les
uns aux autres, reliés par une même exigence de liberté et de qualité. Pour
n’en citer que quelques uns : Pierre Bartholomée, fondateur du groupe, en 1962,
est l'auteur d’une très belle composition,
sauvage et lyrique, Le Rêve de Diotime (1999) pour soprano & orchestre. Philippe Boesmans, dont l’œuvre inclassable fait une large place à
l’opéra, propose, ici, une pièce intitulée Chambre
d’à coté (2010), image musicale d’un ailleurs qui nous trouble. Puis encore
: Denis Bosse, qui s’efforce de faire naître les « champs de l’inaudible »
avec la très subjective Obstinatissimo (2006), comme une lointaine réminiscence des cloches qui sonnent ;
Stéphane Collin pour L’Ame et la Danse (2005) d’après Paul Valéry ; Jean-Pierre Deleuze,
avec …Et les sonances
montent du temple qui fut (2012), autour du tam-tam et du gong ; Renaud De
Putter dans une évocation d’allure straussienne, Addio a Te (2006), de la cantatrice Marie Toulinquet,
chantée ici par la soprano Elise Gäbele ; Jean-Paul Dessy, auteur d’un mystérieux et hypnotique Retour du Refoulé (2005), entre
minimalisme et rock ; Bernard Foccroulle (Gestes), Jacqueline Fontyn
(Méandres), Michel Fourgon (Micro concerto), Jacques Leduc (Echanges)… et d’autres encore. Voici un
coffret de musique vivante d’un éclectisme passionnant, une musique qui sait
faire la part belle au silence, qui suspend le temps, qui spatialise les sons,
qui rend sensible l’inaudible et éloquent l’indicible. Une musique aussi comme
une ascèse, qui sait faire fi de toute illusoire et facile séduction, qu’il
serait bien vain de vouloir classer ou théoriser, et dont les œuvres
s’enrichissent mutuellement de leurs différences, qu’il faut savoir écouter et
réécouter pour en saisir toutes les nuances et la beauté. Un formidable
témoignage, indispensable à tous ceux qui s’intéressent à la création musicale
contemporaine.
Patrice Imbaud.
Evaristo Felice et Joseph
Marie Clément DALL'ABBACO : Capricci & Altri Canzoni.
Bruno Cocset, violoncelle, alto, ténor de violon,
Emmanuel Jacques, ténor de violon, Esmé de Vries, violoncelle, Bertrand Cuiller, clavecin. Les Basses
Réunies. 1 CD AgOgique : AGO011. TT.: 62'.
Une pépite que ce CD consacré à la famille Dall'Abbaco! « Un voyage associant découverte et
abandon », dit Bruno Cocset. Evaristo
Felice Dall'Abbaco (1675 -1742) violoncelliste, fit
ses classes à Vérone, auprès de Gasparini et de
Torelli. Il sera un compositeur actif à Modène, puis à la cour de Bavière, aux
Pays-Bas, à Bruxelles, en France, au Luxembourg, et enfin à Munich. Son fils,
Joseph Marie Clément (1709/10-1805) hérite de la même passion pour l'instrument
de gambe, et fera une carrière d'interprète. On le trouve à Venise, Bonn,
Londres et Vérone. L'Europe de la musique ne date décidément pas d'aujourd'hui.
Ces deux messieurs vont composer pour leur instrument des pièces fort
originales. Les 11 Capricci du fiston
« surprennent par leur style varié, libre, parfois intrépide, parfois
mélancolique », dit encore Cocset. Morceaux
courts, entre une et moins de cinq minutes, ils renferment des prouesses
techniques, sauts d'octaves, ostinatos, traits arrachés, et des trouvailles
inédites : points d'orgue inattendus, la phrase s'interrompant soudain, comme
suspendue, ou encore facétieux fugatos. Certains de
ces « caprices », forgés sur le mode de la danse, sont très
entraînants, bardés de pizzicatos ; d'autres adoptent une forme quasi hymnique.
On peut les situer dans la continuité des Suites pour violoncelle seul
de Bach. Les autres pièces jouées sur le disque, ou « canzoni »,
y sont placées de manière à alterner des climats différents. Elles sont
empruntées à la production du père, Evaristo Dall'Abbaco, et ont été transposées par Bruno Cocset pour son consort de violons. Elles ne sont pas moins
intéressantes. Ce sont des mouvements de sonates d'église, choisis de
préférence parmi les séquences lentes, pour duo, trio et même une formation en
quatuor (deux ténors de violon, violoncelle et clavecin). L'influence française
y est marquée. L'enchaînement des pièces entre « padre
e figlo » est habile. Les interprétations de
Bruno Cocset et consorts sont plus que scrupuleuses,
habitées du vent de l'improvisation, du bonheur de jouer ensemble.
Jean-Pierre Robert.
Jean-Sébastien BACH : Concertos pour violon
BWV 1041-1043. Concerto pour trois violons BWV 1064R. Petra Müllejans, Gottfried
von der Goltz, Anna
Katharina Schreiber, violons. Freiburger Barockorchester. 1 CD Harmonia Mundi
: HMC 902145. TT.: 61'33.
Le genre du concerto occupe une place
privilégiée dans la production de Bach, quoique seuls deux concertos de violon
et une pièce pour deux violons aient été laissés à la postérité. Datant sans
doute de la période de Cothen, ils sont d'une grande
richesse aussi bien formelle que stylistique, ce que souligne la présente
interprétation. Bâties sur le mode du concerto italien, selon le schéma tripartite
vif-lent-vif, mais débarrassées de tout aspect massif et par trop symétrique,
ces pièces allègent la forme vivaldienne et l'enrichissent d'idées nouvelles,
mettant en valeur les solos de l'instrument, recourant à la forme de l'aria da
capo italienne, et y introduisant des passages fugués. Le Concerto BWV 1041
offre une trilogie quasi parfaite : un dense et sérieux allegro et un finale
plein d'élan encadrent un andante qui, de sa basse obstinée, laisse au violon
solo matière à une belle expressivité. Il en va de même du concerto BWV 1042,
dont l'adagio est le centre de gravité, exhalant la belle plainte du violon,
d'une sinueuse mélodie. Le motif scandé, mais pas saccadé, du premier mouvement
n'est pas pesant, les divers sujets s'y articulant naturellement, tandis que
l'allegro assai est très lié, avec les traits arpégés du soliste. La vivacité,
l'ouverture d'esprit, qui président à l'exécution du Freiburger
Barockorchester, dans le droit fil de leur
interprétation des Ouvertures (cf. NL de 02/2012) renouvellent presque
la manière d'entendre ces pièces, si rabâchées, dont la dramaturgie n'en
ressort que plus fraiche : les tempos alertes tiennent en haleine, jamais
mécaniques, rendant justice à la transparence de l'écriture du Cantor. On
retrouve pareilles qualités dans l'exécution du Concerto BWV 1043, pour deux
violons, décidé au vivace introductif, bien proportionné au largo, qui renferme
une des cantilènes les plus intimes de Bach,
bardé de joie au finale. Celui-ci, de manière originale, inverse le rapport
traditionnel entre solistes et orchestre, les deux violons se voyant confier de
larges accords, tandis que l'orchestre brode la mélodie. Les solistes, les deux
premiers violons de l'Orchestre de Fribourg, Petra Műllejans
et Gottfried von der Goltz, combinent vitalité et
souplesse. On a ajouté le Concerto BWV 1064R, pour trois violons, reconstruit à
partir du Concerto pour trois claviers, et dont les recherches récentes
conduisent à penser que c'est là peut-être la forme originale. On sait que Bach transcrivait ses propres pièces pour divers
instruments, les concertos de clavier provenant d'œuvres écrites primitivement
pour le violon. L'inverse est donc plausible. En tout cas, ledit concerto ne
comporte pas de différence stylistique majeure avec les autres pièces
concertantes dévolues au violon. Les diverses séquences sont traitées avec une
virtuosité témoignant de la qualité instrumentale des musiciens de l'époque.
L'adagio, en particulier, progresse sur une mélodie séduisante, comme coulant
de source, dans un équilibre souverain des trois solistes. Le finale affirme la
même atmosphère joyeuse que celle des trois autres pièces.
Jean-Pierre Robert.
« Enchanted Forest ».
Extraits vocaux et orchestraux tirés d'Antonio Vivaldi : La fida ninfa. Georg Friedrich Haendel : Giove in Argo, Appolo e Dafne, Rinaldo, Alcina.
Henry Purcell : The Fairy Queen, Ode « raise,
raise the voice », Timon of Athens.
Francesco
Cavalli : Calisto, Gli
amori d'Apollo e di Dafne.
Claudio Monteverdi : lamento della ninfa. Anna Prohaska, soprano. Avec Thomas Walker, Samuel Boden, ténors, Ashley Riches, basse. Arcangelo, dir. Jonathan Cohen. 1 CD Universal Archiv : 479 0077. TT.:
70'17.
La soprano Anna Prohaska
consacre ce CD à l'univers onirique de la « forêt enchantée », chère
à l'époque baroque, et au mythe d'Apollon et Daphné. Le programme se décline
autour de cantates et d'arias d'opéras. De Vivaldi (La fida
ninfa, avec une aria d'une éblouissante
virtuosité, pour décrire une nymphe furieuse), puis de Cavalli, et son œuvre
phare La Calisto, dont le lamento de la nymphe
de Diane, qui sera transformée en ours pour avoir succombé à l'amour d'un
mortel. Un air d'amour passion, tiré d'Apollo e Dafne,
montre que l'engagement sait ne pas tourner le dos au caractère gracieux qui
nimbe toujours l'inspiration du vénitien, là où il est question de la vanité de
la richesse, et où se profilent des traits musicaux originaux : effet d'écho,
ou accompagnement de la flûte traverso. Chez Haendel,
la moisson est riche aussi, qui emprunte souvent à cette thématique, notamment
dans Rinaldo (aria « furie terribili »
de la magicienne Armida), ou Alcina
(air plus séducteur de la fée Morgana). De Purcell encore, et dans sa Fairy Queen, la
forêt magique du Songe d'une nuit d'été propage la belle plainte d'une
nuit sans fin, comme une préparation au sommeil, si paisible. La chanteuse
termine le tour d'horizon par un des madrigaux de Monteverdi, le « lamento
della ninfa »,
profonde déploration, sur un contrepoint de trois voix d'hommes. La forte
personnalité d'Anna Prohaska, une des voix émergentes
de ces dernières années, est là à son meilleur : les ressources d'un beau
soprano léger sont mises au service d'une vraie expression ; ce qu'on a déjà pu
apprécier à la scène. L'appropriation du texte, la mise en situation, vont de
pair avec la distinction de la déploration (Purcell), une caractérisation
sensible des personnages abordés (Haendel). Et la chanteuse n'hésite pas à
déborder de son registre naturel pour développer un médium tout aussi bien
timbré, dans les pièces de Cavalli ou de Monteverdi. Les accompagnements
sensibles de l'ensemble Arcangelo, dirigé avec doigté
par Jonathan Cohen, apportent une couleur agréable à ce parcours original,
complété d'extraits purement orchestraux empruntés à Purcell.
Jean-Pierre Robert.
Jean Sébastien BACH - Wolfgang Amadée MOZART : Préludes et fugues K 404a. JS. BACH : Lento et allegro de la Sonate en
trio en mi mineur N°6 (arrangement de
Guy Bovet). 1CD VDE Gallo (distribué par DOM, 14, rue Jules Vanzuppe,
94200 Ivry-sur-Seine ; contact@domdisques.com) : CD-1399. TT.: 52'51.
C'est un Mozart de 26 ans qui, en 1782,
découvre Bach, tout comme Haendel d'ailleurs. Grâce à l'ami et protecteur, le
baron van Swieten, dont la bibliothèque renferme les
précieuses partitions. Le choc est énorme, et Mozart fait vite sienne cette
musique qu'il va défendre vis à vis du public, qui l'ignorait, ou des
musiciens, qui la considéraient comme peu au goût du jour : une telle densité,
pour ne pas dire une telle rigueur, était, en effet, peu en adéquation avec la
manière galante qui sévissait à l'époque. Les Six Préludes et fugues K 404a
sont l'exemple d'un vrai processus d'assimilation, transcriptions pour trio à
cordes, de pièces du Cantor. En fait, les préludes, de forme adagio, sont de
véritables recréations, où l'auteur imprime un style plus souple que celui de
son modèle, et instille une émotion chère au courant « Sturm und Drang » ; tandis que les
fugues sont des transcriptions de pièces de Jean-Sébastien Bach tirées du Clavier
bien tempéré et de l'Art de la Fugue, voire, pour la quatrième, de
Wilhelm-Friedmann Bach, fils aîné et élève de celui-ci. Pour ce qui est est des deux dernières fugues, K 404a, 5 & 6, il s'agit
de transcriptions des deuxième et troisième Sonates en trio pour orgue du
Cantor. Il est fascinant de voir comment Mozart revisite le style de son
illustre prédécesseur, en l'assouplissant de modulations et d'un cantabile qui
n'appartient qu'à lui. L'austérité de ces pièces est déridée par
l'interprétation toute de clarté du Trio Lenitas,
juste déséquilibrée par la sonorité un peu acide du violon de Serge Charlet.
Jean-Pierre Robert.
Wolfgang Amadée
MOZART : sonates pour clavecin et accompagnement de violon, N° 1, en do majeur
K 6, N° 2, en ré majeur, K 7, N° 3, en si bémol majeur, K 8, et N° 4, en si
bémol majeur, K 9. Jacques DUPHLY : pièces pour clavecin et accompagnement de
violon. Violaine Cochard, clavecin, Stéphanie-Marie Degand, violon. 1 CD AgOgique:
AGO009. TT : 64'.
Curieux rapprochement, mais finalement
logique, puisqu'autour du genre de la pièce pour clavecin avec accompagnement
de violon, qui faisait flores dans la France de Louis XV. C'est en fin 1763 que
Mozart fait son premier voyage à Paris, et à Versailles. Il est reçu par le
couple royal, et la reine l'apprécie, mais pas Madame de Pompadour,
semble-t-il. Qu'importe puisque Leopold peut dire
« Presque tout le monde raffole de mes enfants » (lettre à Haguenauer). Il rencontre aussi Madame Victoire, la seconde
fille du roi. Excellente musicienne, elle organise des soirées musicales, et
fait bon accueil au jeune prodige de 8 ans. Pour la remercier de sa
bienveillance, Mozart lui dédicacera ses deux premières sonates, K 6 et 7.
Celles-ci, et les deux sonates suivantes, K 8 et 9, ont donc été écrites à
Paris, en 1764. Elles subissent l'influence de musiciens en vogue alors, tel
Schobert, qui s'essaient à une synthèse, parée du goût français, des grands
modèles existants, de la sonate italienne, assez libre dans l'agencement des
morceaux, et de la sonate allemande, favorisant le sévère schéma en trois
mouvements, rapide-lent-rapide. En tout cas Mozart fait montre d'« un
'savoir-plaire' déconcertant », relèvent les présentes interprètes,
« si on les aborde plus sous l'angle d'une appropriation de cette mode
parisienne du clavier coloré que sous celui de sa jeunesse et de
l'apparente naïveté de certains mouvements ». Selon une coupe en trois
parties (quatre pour la première), ces sonates révèlent une main, certes pas
des plus originales, mais dispensant déjà cet équilibre qui charme tant une
oreille cartésienne, et des tournures gracieuses (menuets francs, finales bien
allant), voire de traits fleurant une note de mélancolie, que souligne
l'accompagnement de violon (Sonate K. 8). Jacques Duphly
(1715-1789) était passé maître dans l'art de croquer des portraits en musique,
de personnalités mondaines ou de quidam qu'il rencontrait. Ces pièces, pour la
même formation, visent aussi à séduire. C'est le triomphe du style baroque
rococo à la française, quoique, là encore, de temps à autre, pointe quelque
mélancolie (la « Du Tailly »). Violaine Cochard, qui joue un beau clavecin de Christian Kroll, de 1776, et Stéphanie-Marie Degand,
un violon de Joseph et Antoine Gagliano de 1770, sont superbes de plasticité. Elle sont fort
agréablement saisies dans une ambiance flatteuse, qui laisse souvent au violon
la primauté acoustique. A noter aussi, comme toujours chez cet éditeur, la
richesse de l'iconographie de la plaquette du CD.
Jean-Pierre Robert.
Johannes BRAHMS : Sonates pour violoncelle
et piano N° 1, en mi mineur, op. 38, et N° 2, en fa majeur, op. 99. Trio pour
clarinette, violoncelle et piano en la mineur, op. 114. Ophélie Gaillard,
violoncelle, Louis Schwizgebel-Wang, piano, Fabio Di Càsola, clarinette. 1 CD Aparte :
AP53. TT. : 75,25.
Au sein de la production chambriste de
Brahms, les deux sonates pour violoncelle et piano occupent une place
singulière, que leur datation différente rend encore plus intéressante. La
première, op 38 (1865), offre un climat pastoral, s'affirmant dès le vaste
allegro initial, qui déploie un premier sujet très chantant, jouant sur les
divers registres de l'instrument à corde. Il évoluera sous une forme variée,
d'abord calme, puis emportée. Même en l'absence d'un mouvement lent, l'allegro
quasi minuetto
forme un contraste intéressant, dans l'esprit romantique ; et le finale
fugué est décidé, basé sur un des motifs de l'Art de la fugue de Bach,
tandis que la coda libère une course à l'abîme. La seconde sonate, op. 99, de
1886, est tout autre : au vivace, le violoncelle vibre de la véhémence du thème
introductif ; l'adagio affetuoso déploie une intense cantilène, ponctuée de
pizzicatos secs, et offre d'expressives arabesques du cello
; l'allegro passionato est un scherzo empli de
fougue, de proportions quasi symphoniques, habité d'un sens de l'urgence,
souligné par la présente exécution. Le court trio tranche par sa suavité, ici
toute intériorisée. De style ballade, le finale est gai et franc, alternant
scansion marquée et belle fluidité. Formée au baroque, Ophélie Gaillard a migré
depuis longtemps vers le grand répertoire de son instrument, avec un égal
bonheur. Ses qualités de chambriste sont exceptionnelles : geste ample et
souple, son jamais emphatique. Son pianiste, Louis Schwizgebel-Wang
offre un toucher délicat mais assuré. Dans la seconde pièce, la paire est
irrésistible d'entrain. L'idée est excellente d'avoir ajouté le Trio op 144, de
1891, premier morceau d'une poignée dévolue par Brahms à la clarinette,
découverte sur le tard. Moins souverainement inspiré que le quintette op 115,
pour clarinette et cordes, le trio pour cet instrument, violoncelle et piano
n'est pas moins intéressant. C'est une curieuse combinaison que de rapprocher
les deux instruments, a priori si dissemblables, que sont le cello et la clarinette, et de les unir par le piano. Si la
seconde semble se détacher par son timbre plus aigu, le premier ne fait
nullement figure de parent pauvre. L'allegro alla breve
rapproche déclamation et réflexion, élégie et passion, comme souvent chez
Brahms, et le climat nostalgique, qui appert vite, est porté par une veine
lyrique qui semble intarissable. La simplicité mélodique distingue l'adagio,
sur le ton de la confidence. L'andantino grazioso renchérit dans la séduction.
Et l'entraînant allegro final mène l'auditeur par la min au fil d'un parcours
agrémenté de pauses sévères et d'explosions de bonheur. Fabio Di Càsola se fond habilement parmi ses deux partenaires.
L'exécution est tout aussi magistrale que celle des sonates. Un bien beau CD.
Jean-Pierre Robert.
Robert SCHUMANN : concerto pour piano et
orchestre en la mineur, op. 54. Anton DVOŘÁK :
concerto pour piano et orchestre en sol mineur, op. 33. Francesco Piemontesi, piano.
BBC Symphony Orchestra, dir. Jiři
Bĕlohlávec. 1CD Naïve :
V 5327. TT. : 74'.
Le jeune Francesco Piemontesi,
proche d'Alfred Brendel, livre, pour son premier CD sous label Naïve, un
couplage original. Du concerto pour piano de Schumann, op. 54, de 1845, on sait
la séduction immédiate de ses trois mouvements, puisés au tréfonds d'un
romantisme sincère. Le pianiste suisse le joue empreint d'un grand naturel,
sans étalage virtuose, ce que la direction de Jiři
Bĕlohlávec démontre tout autant. L'allegro effetuoso initial livre un premier thème mélodique mesuré
et réfléchi, et on constate une intégration suprême piano-orchestre.
L'intermezzo grazioso ne sera pas exagérément expressif, et la coda reflète une
belle fluidité, vision « middle of the road », plus qu'excentrique.
Ce qui se confirme au finale, fuyant le brio. Mais l'intérêt du CD est ailleurs
: dans l'exécution du rare concerto pour piano de Dvořák.
Une œuvre atypique dans la production du musicien tchèque. Sa genèse remonte à
1876, et une première version sera créée deux ans plus tard. Mais il lui faudra
attendre 1883 pour être publié, non sans que l'œuvre ait subie de profonds
remaniements. Elle sera encore « enrichie » par des mains plus ou
moins bien intentionnées, au XX ème siècle, notamment
par un certain Vilem Kurz, professeur de piano au
Conservatoire de Prague. Cette version, mâtinée de recours à l'original de
1878, sera adoptée par des interprètes de la trempe de Rudolf Firkusny ou Sviatoslav Richter. Ce concerto, étrange parmi
ses pairs du grand répertoire, et comparé aux autres pièces concertantes de
l'auteur, présente un caractère symphonique marqué, comme il en est des deux
concertos de Brahms. Il révèle une volonté de se démarquer de l'effet, pour se
concentrer sur une vision objective de l'art pianistique, aussi secrète que
discrète, d'une « émotion oscillant ente la confession intime, la vivacité
tendre et échevelée des chants et danses de Bohème et une sorte de sortilège
proche de l'impressionnisme », selon Guy Erismann
(Antonín Dvořák, Fayard), lequel ne dit pas mot
des remaniements de l'auteur, postérieures à la création de 1878. Un long
allegro agitato, passée une introduction orchestrale développée, laisse au
piano le soin d'alterner écriture dense et traits classiques inattendus, avant
de conclure sur une cadence d'ampleur presqu'héroïque. Un lyrisme généreux pare
l'andante sostenuto, où enfin affleurent les mélismes bohémiens, jusqu'alors
plutôt diserts, qui s'affirment d'abord subrepticement, puis franchement dans
le discours soliste. Le con fuoco final sollicite
fort le clavier, et offre une thématique populaire désormais libérée. Francesco
Piemontesi est le serviteur aussi sincère qu'expert
d'une œuvre qui mérite l'écoute, et bien sûr, Bĕlohlávec
est en territoire connu.
Jean-Pierre Robert.
Anniversaire Wagner
Richard WAGNER : Die
Meistersinger von Nürnberg. Opéra en trois
actes. Livret du compositeur. Gerald
Finley, Marco Jentzch, Johannes Martin-Kräznzle, Alastair Miles, Anna Gabler,
Topi Lehtipuu, Michaela Selinger, Colin Judson, Andrew Slater, Henry Waddington,
Robert Poulton, Alastair Eliott,
Daniel Norman, Adrian Thompson, Graeme Broadbent, Maxim Mikhailov,
Mats Almgren. The Glyndebourne
Chorus. London Philharmonic Orchestra, dir. Vladimir Jurowski. Mise en scène : David McVicar. 2DVDs Opus Arte : 0A 1085 D. TT.: 4 H 40'.
Voilà donc la captation de la production du
Festival de Glyndebourne 2011 du grand opus
wagnérien. Un premier constat s'impose : magistralement filmée par l'équipe de
François Rousillon, la mise en scène de David McVicar, d'un réalisme assumé, y prend tout son relief. On
est d'emblée captivé par une décoration qui choisit de placer l'action dans le
style Biedermeir de costumes aux étoffes chatoyantes,
et l'environnement agréable de quelque XIX ème
allemand, le tout saisi dans une subtile unité de lieu, symbolisée par les
ogives gothiques d'une église germanique. Des dimensions, plus que raisonnables
du plateau, la régie fait un atout, à des fins d'intimité. Une sympathique
bonne humeur émaille les trois actes, où l'on se
divertit pas seulement l'esprit, mais tout autant le corps : on y mange et boit
de la plus simple façon. Car McVicar peaufine une
direction d'un solide naturel, dont la prise de vues restitue tous les détails
suggestifs : ces jeunes femmes, Eva et Magdalena, comme deux complices, David,
tout sauf empêtré dans sa longuette leçon de musique, ces Maîtres dont la
prestance, voire les tics de chacun, sont dessinés avec gourmandise, ces jeux
de scène qui percent au plus juste, tel le baiser donné par Eva à un Walther au
comble de l'excitation du souvenir cuisant de l'incompréhension qu'a suscitée
son chant chez ses censeurs, etc... Tout est d'une
justesse de ton rare. Les dialogues, si prolixes, empoignent le spectateur par
leur à propos, le trait juste souligné lorsqu'il faut : les chicanes entre Hans
Sachs et Beckmesser resteront des morceaux de choix,
notamment au III ème acte. Plus d'un moment, imaginés
magiques par le « vieil enchanteur » en ressortent parfaitement
révélés. Ainsi de l'apparition de l'éclatant chevalier Walther, alors que le
cordonnier s'affaire à lacer le soulier d'une Eva qui n'a d'yeux que pour ce
bel amoureux tombé du ciel, ou du sextuor où tous, disposés avec soin par le
maître des lieux, se retrouvent assis côte à côte sur un long banc, et se
prennent la main à l'invite de celui-ci. La caméra scrute chaque personnage,
non pas dans un premier degré banal, mais avec infiniment de tact, pour en
dévoiler la véracité de l'attitude, l'éloquence du geste : une Eva radieuse,
frémissante de bonheur, un Walther, grand gars sans problème, non plus que
vocaux au demeurant, un David, d'une franchise désarmante, tous trois, comme la
piquante Magdalena d'ailleurs, pétillants d'une jeunesse qui saute aux yeux, un
Pogner, côté très british, pas vieillard câlinant. Le Beckmesser
est un ridicule, drôle mais jamais pitre, car ses mimiques sonnent vraies,
pitoyable mais toujours digne, jusque dans la douleur de l'échec. Le poète
Sachs est immensément humain, combien attachant par sa proximité des êtres et
des choses, avec ce je ne sais quoi de ruse lucide, sans arrière pensée ; doué,
de plus, d'une habileté désarmante au maniement du marteau de cordonnier.
Partout, et pas seulement au fastueux tableau de la fête de la Saint-Jean,
éclatent la couleur et la vie par une animation volontairement resserrée, dont
la compacité fait mouche. On a déjà dit (cf. NL de 09/2011) combien ce
spectacle se distinguait aussi par sa haute tenue vocale et l'homogénéité de son
cast, comme par la direction alerte de Vladimir Jurowski, conférant à cette vaste fresque son galbe
irrésistible, là encore par une approche
tout sauf grandiloquente. Sans doute, la version filmée la plus aboutie sur le
marché.
Jean-Pierre Robert.
Cécile CHAMINADE : Trio N°2 op 34 en la mineur. Claude DEBUSSY : Trio en sol majeur. René
LENORMAND : Trio op. 30 en sol mineur. Trio Chausson. 1CD Mirare
: MIR 163. TT.: 72'.
Le genre du trio à cordes avec piano a
fleuri en France à la fin du XIX ème siècle. On pense
à la pièce d'Ernest Chausson, qui a marqué un jalon essentiel. Le Trio
Chausson, fondé en hommage à ce compositeur, a choisi de jouer trois œuvres
rares, de Debussy, Chaminade et Lenormand. Un fil
rouge les unit : leur même époque de composition. Cécile Chaminade
(1857-1944) faisait l'admiration de Bizet, qui l'appelait affectueusement « Mon
petit Mozart ». Son deuxième Trio, op. 34, de 1887, est frappé au coin de la belle inspiration.
Malgré son titre « moderato », l'allegro, qui l'ouvre, est d'une
énergie surprenante, alternant crescendos fiévreux et plages plus résignées. Le
lento, qui n'est pas sans évoquer le Trio de Chausson, propose une réflexion
lyrique intense, menée par le violon, qui à la section centrale cède la place
au cello. L'energico final
renoue avec la fièvre du premier mouvement, dans un esprit tout à fait libéré.
Sa structure entrecoupée de points d'orgue, lui confère un zest de mystère. Le
Trio de Debussy (1880) est plus tourné vers Massenet et Franck qu'annonciateur
du style de la maturité. Mais déjà s'impose cette transparence qui la
distinguera. L'andantino se plaît à folâtrer dans un paysage choisi, peuplé
d'harmonies séduisantes, exposées par les deux cordes, jouant souvent à
l'unisson, et auxquelles le piano apporte une note délicatement déclamatoire.
Suit un intermezzo, structuré en répons des cordes, le piano jouant le rôle de
« go between ». Le violoncelle ouvre
l'andante espressivo de son ample mélodie, reprise par le violon, dans un
climat serein. Le finale « appassionato », ne le devient que
progressivement, tel un feu qui couve, alors que le discours prospère en mille circonvolutions.
Publié en Allemagne, en 1893, le Trio de René Lenormand (1846-1932), sera pour
beaucoup une découverte. Là encore, ses quatre mouvements témoignent d'un grand
souci de l'équilibre entre les trois instruments. L'allegro contient
d'intéressantes audaces harmoniques, et le discours est ample. L'andante livre
une sombre méditation, dans le registre ppp, qui débouche sur une
expression passionnée. En forme de course-poursuite, le scherzo prestissimo se
signale par ses notes piquées du piano, tandis que les deux cordes se font plus
mystérieuses. Le rythme soudain retombe dans un doux lyrisme, avant de
reprendre son élan. Un allegro décidé parachève la fête, de sa fougue presque
bouillonnante. Le Trio Chausson fait montre ici, comme dans les deux autres
pièces, d'un solide savoir instrumental, d'un sens du dosage enviable, et d'un
sûr flair musical. Plaçant cette jeune formation tout près de leurs aînés.
Jean-Pierre Robert.
Igor STRAVINSKY : Le Sacre du printemps.
Symphonies pour instruments à vent. Apollon musagète. Berliner Philharmoniker, dir. Sir Simon Rattle. 1 CD EMI Classics : 7 23611 2. TT.: 75'36.
Fruits d'exécutions en concert, ces
interprétations des trois pièces de Stravinsky sont donc le nec plus ultra de
la vision de Simon Rattle. « Le grand rite
sacral païen » qu'est, pour son auteur, Le Sacre du printemps,
prend ici une tournure flamboyante grâce à un orchestre dont la plastique n'est
plus à louer, saisi par une prise de son superlative, aérée, d'un formidable
impact (résonance des contrebasses, grosse caisse, retentissante, pour ne citer
que deux exemples ). Il est loin le temps où la
technique de compression ne laissait, au disque, que peu imaginer la puissance
réelle de cette musique. Ce que beaucoup considèrent comme le triomphe de la
complexité, l'interprétation de Rattle le rend, bien
sûr, limpide - le Sacre n'est-il pas devenu un « classique » ? - mais
avec des idées très personnelles. Rien, ici, d'une analyse d'ordre chirurgicale
: certaines angles sont arrondis, d'autres acérés, de sensibles ralentissements
côtoient des prestissimos d'enfer (Danse de la terre qui conclut la I ère
Partie, et son ultime phrase, comme suspendue), le lyrisme est souligné, telle
l'Introduction de la Seconde Partie, ou à l'inverse, le déferlement rythmique
accentué. La discontinuité consubstantielle à la pièce est, là, évidente. La
Danse sacrale qui parachève « Le Sacrifice » se vit, justement,
objective, et Rattle fait attendre d'un silence d'une
bonne seconde l'accord couperet final. Il n'y a pas pourtant de différence
significative de timing avec l'interprétation de Pierre Boulez, dans sa
dernière prestation au disque (DG, 1992) : 34'03, pour l'anglais, contre 33'29
chez le maître français. Les contrastes internes sont seulement différents. Le
fabuleux Berliner Philharmoniker
resplendit de tous ses feux. Et cela est irrésistible, quasi incontournable. Apollon
musagète (1928), donné ici dans la version révisée de 1947, est une des
manifestations du fameux néoclassicisme, dont se réclamait Stravinsky. Un
retour vers le passé et le ballet académique, quoique mâtiné de manières
modernistes dans la conduite des idées : un jeu subtil avec quelque modèle du
XVIII ème, voire du XVII ème,
français peut-être surtout. Pas d'action, pas plus d'ailleurs que dans le
Sacre, mais un enchaînement de dix séquences uniquement travaillées sur les
cordes, dans une architecture originale, où plusieurs allegros sont mis à la
file, et où un adagio renchérit sur un lento. Rattle
joue à fond le jeu, non sans un certain humour, et l'apothéose finale,
« Largo e tranquilo », a même quelque chose
de mélancolique ; au premier degré ? On savoure la beauté souveraine de l'ensemble
des cordes et des solos, violon, alto, cello, qui émaillent le ballet. Les Symphonies d'instruments à vents
(1920) offrent une manière bien différente de celle du Sacre, même
si elles l'évoquent par leur complexité. André Boucourechliev n'hésite pas à
considérer que la construction « selon un système d'ancrages, d'amorces,
de développements, de rappels, ne trouve d'équivalent dans la musique moderne
que dans le Marteau sas maître de Boulez ». Admirable est
l'économie de moyens d'une formation de modestes dimensions, les bois puis les
cuivres. L'immense maîtrise des Berliner en fait encore
un morceau de choix.
Jean-Pierre Robert.
Anniversaire Britten
Benjamin BRITTEN : Songs.
Winter Words, Op. 52. Michelangelo
Sonnets, op. 22, Six Hölderlin Fragments,
op. 61. Who are these Children ? op. 84. Songs from the Chinese, op. 58. Ian Bostridge, ténor, Sir Antonio Pappano, piano, Yuefei Yang, guitare. 1 CD EMI Classics
: 4 33430 2. TT.: 70'15.
Les divers cycles vocaux chambristes, qui
émaillent la production de Britten, sont des chants de paix et de fureur.
Écrits essentiellement pour la voix de ténor, celle de Peter Pears, ils abordent
les thèmes de l'enfance, de la désespérance de la vie, de la violence, et
apparaissent souvent tels des hymnes d'amour pour le compagnon chanteur. Le compositeur cherche à restituer
à la langue anglaise sa vitalité, libérée de toute étiquette romantique. Les
sept Michelangelo Sonnets, op 22, achevés en 1940, durant l'exil que le
musicien s'était imposé aux USA, et premières pièces dédiées à Pears, seront
créées par lui et le compositeur en 1942, à Wigmore
Hall. Elles sont destinées à mettre en évidence cette voix particulière, à
travers des incursions tendues dans le haut du registre et un style presque bel
cantiste, célébrant la clarté du timbre. Le choix des
poèmes est loin d'être fortuit, là où le grand italien, de plus de 80 ans, y
célèbre sa flamme pour le jeune Tommaso dei Cavalieri, tout comme Britten clame
une passion tout aussi ardente pour le ténor dédicataire. Dans les huit
mélodies de Winter Words, op 52, de 1953,
composés simultanément avec l'opéra The turn of
the Screw, Britten s'empare de la poésie
fantastique de Thomas Hardy et de la thématique de l'innocence de l'enfance,
dans ce qu'elle a d'énigmatique, voire de dangereuse, qu'il traitera si
magistralement dans l'opéra : un lyrisme sombre, empreint d'une fausse
quiétude, établissant un climat doucement angoissant. Les Six Hölderlin
Fragments, op 61, la seule pièce vocale de l'anglais à avoir été écrite
dans la langue de Goethe, à l'instigation de son ami, le prince Ludwig de
Hesse, livrent, là encore, un concentré de la pensée de l'auteur, épousant
celle tourmentée du poète allemand. Avec les quatre chants tirés de Who are the Children ?,
op 84 (1969), cycle de douze mélodies sur des textes de William Soutar, on croise le thème des horreurs de la guerre, mêlé
à celui de l'enfance. En l'occurrence l'intrusion de la guerre dans l'univers
insouciant de ce qui semble être une nurserie ou une école. Les tournures y
sont poignants, et la violence non dissimulée, notamment dans « Nightmare » (cauchemar), vision du danger extrême, ou
« Slaughter » (massacre), figurant la
course infernale d'un animal horrible semant la désolation sur son passage. Les
Songs from the Chinese, op 58, de 1957, ont ceci d'original d'être
écrits pour accompagnement de guitare, en hommage à Julian Bream,
avec lequel Britten aimait à se produire. C'est une réflexion sur l'existence,
déjà entrevue dans les Höderlin songs,
ce milieu de la vie où se fait jour la dépression, et malgré tout reste
l'espérance de jours meilleurs. L'alliance voix de ténor et guitare est des
plus séduisantes, surtout lors des passages riches en onomatopées. S'il est un
interprète désigné pour donner tout leur lustre à ces songs,
c'est bien Ian Bostridge, dont la manière s'inscrit
parfaitement, presque par mimétisme, dans celle de Peter Pears : luminosité du
timbre, typiquement british, fluidité de l'émission, qui perce l'intimité de la
phrase comme peu, un Dietrich Fischer-Dieskau par exemple. De la déclamation
véhémente à la caresse apportée au mot, voilà bien un festin de poésie
anglaise. Il fait équipe, comme déjà dans le répertoire allemand, avec Antonio Pappano dont le talent de pianiste n'a rien à envier à
l'allant du chef lyrique, et qui sait faire merveille de l'économie de moyens
dans l'accompagnement imaginé par Britten, et manier l'excentricité là où il le
faut.
Jean-Pierre Robert.
Dimitri CHOSTAKOVITCH : Concerto pour
violoncelle et orchestre N°1 op. 107. Sonate pour violoncelle et piano op. 40. Moderato
pour violoncelle et piano. Emmanuelle Bertrand, violoncelle, Pierre Amoyel, piano. BBC Symphony
Orchestra of Wales, dir. Pascal Rophé.
1CD Harmonia Mundi : HMC 902142. TT.: 63'05.
L'intérêt de ce disque est de rapprocher
des compositions pour le violoncelle, écrites par Chostakovitch à deux époques
bien distinctes de son processus créateur. La Sonate op. 40, de 1934,
contemporaine de l'opéra Lady Macbeth of Mzensk, ne manque pas de surprendre par
son ambiguïté. L'allegro non troppo cultive le
déroutant, l'impénétrable même : une apparence classique et lyrique cache à
peine un traitement du matériau se révélant vite inquiétant, où toute forme de
séduction semble se déliter. De type scherzo, l'allegro suivant propose une
valse parodique, aux sonorités dissonantes, grinçantes au violoncelle,
percussives au piano. En total contraste, le largo introduit un climat apaisé,
d'un lyrisme éperdu, où la courbe mélodique dévolue au cello
s'élève généreusement, parée d'un thème rappelant de manière fugace un de ceux
de l'opéra ; tandis que le clavier se maintient dans le registre grave. La
profondeur abyssale va de pair avec l'extrême dépouillement. Au finale revient
le soin de laisser l'auditeur sur une impression interrogative : des pseudo variations aussi gratuites, mais seulement en
apparence là encore, qu'emplies de sarcasme. Le jeu du piano est insolent,
celui de l'instrument à corde pas moins crissant. Le morceau intitulé Moderato
pour violoncelle et piano, sans doute de la même époque, véhicule en tout
cas un esprit similaire, de lyrisme affirmé. Emmanuelle Bertrand et Pierre Amoyel sont parfaits d'humilité et de tact. Tout autre est
le Concerto N°1 pour violoncelle, de 1959, écrit pour Mtislav
Rostropovitch. L'heure est à la réflexion désabusée sur une carrière tant
entravée, et bardée de faux semblants. la versatilité
stylistique de la pièce chambriste précédente fait place à l'homogénéité : la
parodie est délibérément affichée. L'allegretto, « dans un style de marche
joyeuse », est sans doute tout sauf ce que cette appellation veut dire.
L'humour est à prendre au second degré. Le fameux thème bâti sur les quatre
notes du monogramme de l'auteur « D S C H », en sera le motif
conducteur. Le vaste moderato délivre un chant somptueux, suprêmement apaisé,
qui monte graduellement en puissance. Bien que, là encore, il existe des signes
qui ne trompent pas, d'une amère douleur. Intervient alors une formidable Cadenza, nul doute, composée pour
mettre en avant la fabuleuse virtuosité et l'exceptionnelle maîtrise du
dédicataire. Le finale est un des exemples du vrai-faux burlesque
qu'affectionne Chostakovitch, où vont se télescoper des éléments divers :
cheminement chaotique du cello, traits criards des
bois, cordes ostinato, percussions détonantes, et surtout allure de course
haletante, qui reprend, pour le déformer, le thème d'origine. Emmanuelle
Bertrand est stupéfiante d'autorité, asservissant, par la souplesse du phrasé,
un dramatisme affirmé. Pascal Rophé métamorphose une
orchestre sans doute pas de top niveau, mais terriblement efficace dans ses
interventions.
Jean-Pierre Robert.