PAROLES D'AUTEUR : LES NUITS D'ETE. ENQUETE SUR UN TITRE REPÈRES PÉDAGOGIQUES : RÉFLEXIONS A PROPOS DE L'ENSEIGNEMENT ET DE L'APPRENTISSAGE MUSICAL PROPOS PARTAGÉS : ENTRE POÉSIE ET MUSIQUE. ENTRETIEN AVEC BRIGITTE FOSSEY
L'AGENDA
2 & 10 / 12 Lully au programme de la tournée du Chœur de chambre de Namur Le Chœur de Chambre de Namur entame une
importante série de concerts en décembre en France et
en Europe. Sous la baguette de Leonardo García Alarcón,
il s'associera au Millenium Orchestra, à la Cappella Mediterranea
et à l'Ensemble Clematis. D'abord dans un « Gala
Lully » au Château de Versailles, qui proposé par le CMBV, évoquera
les réalisations musicales les plus emblématiques du compositeur à travers deux
grands motets Dies Irae et De profundis, et deux suites
d'extraits des plus célèbres de ses opéras (2/12). Composés en 1683, alors que
le compositeur était au faîte de sa carrière, ces deux grands motets furent
créés à la basilique royale de Saint-Denis à l'occasion des funérailles de la
reine Marie-Thérèse. Si Lully y déploie encore par endroit des polyphonies
complexes héritées de la Renaissance, il se tourne vers un langage moderne,
expressif et véritablement théâtral. Les suites tirées de ses ouvrages scéniques,
qui furent jouées tout au long du XVIIIème siècle lors des grandes
occasions de la vie de la Cour, témoignent de son inventivité mélodique et
rythmique, dans les chœurs, les airs de ballets (comme la célèbre "Marche du
Bourgeois Gentilhomme"), les symphonies descriptives et les grands récits
chantés (2/12). Le Chœur de Chambre de Namur se produira aussi avec Les Talens Lyriques, lors
d'un concert à la Philharmonie de Paris, pour Armide,
tragédie lyrique de Lully sur un livret de Philippe Quinault. Cette version de
concert offrira la distribution retenue lors de la présentation scénique de
l'œuvre au printemps dernier à l'Opéra de Nancy et ce sous la direction de
Christophe Rousset (10/12). Le concert sera également donné quelques jours plus
tard au Theater an der Wien en Autriche, où il fera en outre l'objet d'une
captation pour le disque. Château
de Versailles, Galerie des glaces, le 2 décembre 2015 à 21H. Philharmonie
de Paris I, le 10 décembre à 20H30. Réservations
:en ligne : http://www.chateauversailles-spectacles.fr/spectacles/2015/gala-lully 9, 18, 31 / 12 & 1 / 1 L'Orchestre du Capitole, Tugan Sokhiev et Georges Prêtre ©M.Borggreve, I.Matras, Th.Bertel, JP.Bouchard, JC.Meauxsoons Période festive que ce mois de
décembre à Toulouse où l'Orchestre du Capitole affiche deux chefs prestigieux.
Georges Prêtre d'abord, pour un retour attendu de celui qui dirigea l'orchestre
au tout début de sa carrière, les années 1951-1955, et qui ne revint dans la
ville rose que rarement. Pour ce concert de gala, au profit de l'UNICEF, sera
donné un programme aussi varié qu'alléchant : les Ouvertures d'Egmont de
Beethoven et de La Chauve-Souris de Johann
Strauss, deux compositeurs chers à son cœur, puis la « Barcarolle »
des Contes d'Hoffmann d'Offenbach, et le Boléro de Ravel. Au
programme encore le 23 ème concerto pour piano
de Mozart, interprété par Adam Laloum qui jouera encore les Impromptus Nos 3
et 4, D 935 de Schubert (18/12). Quelques jours plus tôt, c'est le chef
permanent Tugan Sokhiev qui
sera aux commandes pour une soirée réunissant la Symphonie concertante pour
instruments à vents K 297b de Mozart, qu'interpréteront les premiers
pupitres de l'orchestre, et la Dixième Symphonie de Chostakovitch. Ce
monument, Sokhiev devrait en traduire comme peu la
puissance envoûtante et l'élan ; un challenge au demeurant pour la formation
(9/12). Enfin, pour clore l'année, et débuter la suivante, ils donneront pour
leur '' Concert du Nouvel An », un programme surprise, russe bien sûr ! Halle aux grains, Toulouse, les
9, 18 et 31 décembre 2015 à 20H, et le 1er janvier 2016 à 18H. Réservations : Place Dupuy,
30000 Toulouse ; par tel. : 05 61 63 13 13 ; en ligne :
service.location@capitole.toulouse.fr 14, 15, 17 / 12 Soirées festives à la salle Gaveau Ce mois de décembre, dans
l'écrin sympathique de la salle Gaveau, trois concerts doivent retenir
l'attention. Le 14, le jeune prodige du violoncelle Edgar Moreau, accompagné
par l'ensemble Il Pomo d'Oro,
donnera des concertos de Vivaldi, Boccherini et Platti.
La rencontre de la maestria déjà consacrée de Moreau et de la fine sonorité des
instruments d'époque de l'ensemble, dirigé du violon par Riccardo Minasi, dont on connait la rigueur et l'entrain, devrait
conférer à ces pièces un sel original. Le 15, c'est au tour Leonardo García Alarcón dirigeant sa Cappella Mediterranea,
et de nouveau le chœur de chambre de Namur, outre une brochette de solistes
vocaux, de ressusciter des pièces de Juan de Araujo (Dixit Dominus), Bonaventura Rubino (Lauda Jerusalem)
et Matteao Flecha (La
Bomba). A la conquête du continent sud-américain aux XVe et XVIe
siècles, l'Espagne établit un empire dont l'immensité n'a d'égale que la
diversité culturelle. Puisant aussi bien dans la tradition polyphonique
ibérique que dans les cultures sud-américaines, Leonardo García Alarcón et sa flamboyante Cappella Mediterranea
ressuscitent cette splendeur passée. Enfin, le 17, côté musique de chambre, le
Trio Les Esprits, piano, violon et violoncelle, proposera un programme
romantique choisi : le Trio pour clarinette, violon et piano op. 114 de
Brahms et le Trio N°2 op. 100 de Schubert. Au milieu : la Sonate pour
clarinette op. 120 N°2 de Brahms, jouée comme pour le trio, par le
clarinettiste Raphaël Sévère, un autre jeune talent à suivre. Salle Gaveau, les 14, 15 et 17 décembre 2015, à 20H30. Réservations : billetterie, 45-47, rue La Boétie, 75008 Paris ; par tel : 01 49 53 05 07 ; en ligne :
www.sallegaveau.com 16 /12 - 31 /1 Cendrillon de Ermanno Wolf-Ferrari en terres alsaciennes Le conte de fée Cendrillon
a inspiré bien des musiciens, Rossini, Massenet, Prokofiev, Léo Blech, Peter Maxwell Davies, et le vénitien Ermanno Wolf-Ferrari (1876-1948). C'est avec ce sujet que
l'auteur de I Quatro Rusteghi
ou de Il Segreto
di Susanna avait inauguré sa carrière de musicien d'opéra. Sa Cendrillon
est une délicieuse fable musicale en trois actes qui à travers le livret de
Maria Pezzé-Pascolato,
s'inspire plus du conte des Frères Grimm Aschenputtel
(1802) que de celui de Charles Perrault (1697), encore que la trame du soulier
d'or ou de de la pantoufle de vair soit bien
présente. La musique brillante mêle tous les ingrédients du merveilleux avec
une délicieuse pointe de comique pour moquer les méchants de l'histoire. Cette
fable a été créée en 1900 à La Fenice de Venise. L'Opéra
Studio de l'Opéra du Rhin en assure la création française, à Colmar puis à
Strasbourg et Mulhouse. Une occasion à saisir pour les petits et grands ! Opéra de Rhin, les 16 (14H30),
18 (20H) décembre 2015 à Colmar/Théâtre, les 9 (20H), 10 (15H), 13 (14H30), 15
(20H), 17 (15H) janvier 2016 à Strasbourg/Cité de la musique et de la danse, et
les 30/1(20H), 31/1 (15H) à Mulhouse/La Sinne. Réservations :Opéra
de Strasbourg : 19, Place Broglie, BP 80320, 67008 Strasbourg cedex ; par tel.
: 03 68 98 51 80. Théâtre
de Colmar : 3, rue Unterlinden, 68000 Colmar ; par
tel. : 03 89 20 29 01. La
Sinne/Mulhouse, 39, rue de la Sinne,
68948 Mulhouse ; par tel.: 03 89 33 78 00. En
ligne : caisse@onr.fr 17 / 12 L'Académie de jeunes solistes fête son président L'Académie de Jeunes Solistes
fête ses 10 ans d'existence. Créée à Mézin en pays d'Armagnac, à l'initiative
du violoniste Christophe Boulier (Grand prix Long-Thibaud), elle propose des
classes de perfectionnement intensives entièrement gratuites, grâce en
particulier à la municipalité et aux habitants qui accueillent les artistes.
Ces cours sont doublés de concerts qui ont lieu au théâtre Côté Cour l'hiver, et en l'église Saint-Jean-Baptiste l'été. L'association à but non lucratif a un bilan
de plus de 150 concerts durant lesquels 600 œuvres ont été proposées par des
artistes venus d'une vingtaine de pays, 3000 heures de cours, 6 CD, 50
émissions de radio. Mais l'Académie ne
célèbre pas que ses 10 ans. Elle fête aussi les 50 ans de son président lors
d'un concert au cours duquel se produiront Christophe Boulier, ses collègues
professeurs Serge Hurel (membre honoraire de
l'Orchestre National de France) et Sayat Zaman (lauréat des fondations Gulbekian
et Meyer), ainsi qu'une dizaine de musiciens, tous membres de l'Académie. Celle-ci se consacrera ensuite à la préparation de sa 22e
session, qui se tiendra au théâtre de Mézin du lundi 22 au dimanche 28 février
2016. Au Programme du concert anniversaire, on entendra des œuvres de Bach,
Borodine, Bernstein, Machavariani, Swerts, puis des extraits de musiques de films, dans des
arrangements et transcriptions de R. Boulier, telle que Fantasia (Walt
Disney, musique de Tchaikovski), 100 000 $ au
soleil (Henri Verneuil, musique de Georges Delerue), Star Wars (4 extraits de La
Menace Fantôme, L'Attaque des Clones, La Revanche des Sith
: musiques de John Williams, Bantha Music©) Mairie du 17e arrondissement,
16/20 rue des Batignolles, 75017 Paris, le 17 décembre 2015 à 20 H. Concert gratuit 23 / 12 Cantates de Noël à Saint-Roch A Leipzig, Jean Sébastien Bach
salua la naissance du Christ par des cantates particulièrement somptueuses, réussissant le tour de force de
concilier hédonisme et spiritualité. Philippe Herreweghe conduisant solistes,
chœurs et orchestre du Collegium Vocale de Gent,
donnera les cantates BWV 91, « Nun komm, dier Heiden
Heiland », BWV 91, « Gelobet
seist du, Jesu
Christ », BWV 40, « Du ist erschienen der Sohn Gottes » et BWV 63, « Christus, ätzet diesen Tag ».
L'occasion d'entendre des pièces fastueuses et d'apprécier le légendaire art du
verbe de cet ensemble dont la rigueur stylistique des interprétations des
cantates de Bach fait autorité. Église Saint-Roch, 296 rue
Saint Honoré, 75001 Paris, le 23 décembre 2015, à 20H30. Réservations :sur place lors du concert ;
par tel : 01 48 24 16 97. 29, 30 / 12 & 1, 2, 3 / 1 Orphée aux enfers à l'Opéra de Nancy Après quelques mois de travaux
qui ont décalé l'ouverture de sa saison, l'Opéra national de Lorraine programme
Orphée aux enfers en décembre 2015, premier volet d'une trilogie
consacrée au mythe d'Orphée qui verra encore la présentation de l'Orfeo de Luigi Rossi (février 2016) et d'Orphée
et Eurydice de Gluck (mars 2016). La comédie d'Offenbach est bien connue
pour son impertinence et sa verve débridée. L'orchestre symphonique et lyrique
de Nancy sera placé sous la baguette de Laurent Campellone,
chef spécialiste, entre autres, du répertoire français oublié. A la mise en
scène, Ted Huffman, un jeune metteur en scène
américain au parcours prometteur, remarqué l'été dernier pour son travail
autour de « Svabda », l'opéra d'Ana Sokolović,
au festival d'Aix-en-Provence. Une distribution de haut vol devrait faire
briller de tous ses feux la musique du roi de l'opérette : Sébastien Droy, Alexandra Hewson, Franck Leguérinel,
Doris Lamprecht, Marc Mauillon ou Mathias Vidal. Un
spectacle bouffe, léger et plein d'entrain, idéal pour les fêtes de fin d'année
! Opéra de Nancy Lorraine, les 29, 30
décembre 2015 et 2 janvier 2016 à 20h, le 1er/1 à 17 H et le 3/1 à 15H. Réservations : 1 rue Sainte Catherine,
54000 Nancy ; par tel.: 03 83 85 33 20 ; en ligne :
opera@opera-national-lorraine.fr ou
www.opera-national-lorraine.fr 19 / 1 - 14 / 2 Reprise de Capriccio à l'Opéra Garnier Ultime opéra de Richard
Strauss, Capriccio est un manifeste rare sur le couple théâtre et
musique. L'idée lui en a été inspirée par Stefan Zweig à partir de la pièce de
l'abbé de Casti, « Prima la musica, poi le parole ». Il en assurera en fait finalement
l'écriture du livret avec le chef d'orchestre Clemens Krauss
qui le créera en 1942 à Munich. L'autre thématique véhiculée par la pièce est
l'ambivalence des sentiments amoureux de l'héroïne, la Comtesse Madeleine, pour
Olivier, le poète, et Flamand, le musicien, laquelle trouve son épitomé dans le
monologue final. Encore un étonnant portrait de femme imaginé par Strauss,
d'une sensibilité qui dépasse en introspection celui de La Maréchale du Chevalier
à la rose. Et surtout une partition d'un raffinement sans pareil, voulue
« comme une fugue » par son auteur qui avait en tête le formidable
achèvement d'un autre vieux maître de la scène lyrique, le Falstaff de
Verdi. La
mise en scène de Robert Carsen, un classique, met ces
thématiques en miroir avec le lieu dans lequel l'opéra est représenté, l'Opéra
Garnier : son plateau et son fameux dégagement à l'arrière, le foyer de la
danse. Mises en perspective, théâtre sur le théâtre, endroit et envers du
décor, tout est ici propice à illustrer la métaphore imaginée par Strauss. Avec
une empathie peu commune. Une distribution fort étudiée est au rendez vous,
avec dans le rôle de la comtesse Madeleine Emily Magee, qui sera entourée d'une
équipe de jeunes chanteurs, tels que Benjamin Bernheim, Lauri Vasar, Chiara Skerath,
et de figures reconnues, comme Wolfgang Koch ou Graham Clark. Au pupitre, Ingo Metzmacher,
un fin musicien dont sait la rectitude de la pensée
musicale. A ne pas manquer ! Opéra Garnier, les 19, 25, 27 janvier, 3, 6, 10 février 2016 à 19H30, le 22/1 à 20H30, et les 31/1,14/2 à 14H30. Réservations : Billetterie Palais Garnier,
angle des rues Scribe et Auber, 75001 Paris, ou Opéra Bastille, 130 rue de
Lyon, 75012 Paris ; par tel.: 08 92 89 90 90 ; en ligne : www.operadeparis.fr Jean-Pierre Robert.
*** PAROLES D'AUTEURLes Nuits d'été Enquête sur un
titre Contrairement aux autres œuvres de Berlioz,
cet ensemble de six poèmes mis en musique, est très peu documenté :
presque rien dans les Mémoires, presque rien dans la correspondance, pas
d'articles de critique contemporains – seules les éditions, les incitations des
éditeurs et les dédicataires, ainsi que la réception ultérieure permettent de
situer et d'analyser le sens et la portée des Nuits d'été. Cette œuvre
qui échappe donc à la dimension spectaculaire de la vie de Berlioz,
compositeur, organisateur de concerts, critique musical, écrivain librettiste,
ne serait-elle pas une voie royale pour accéder à son être le plus
intime ? Quels secrets se cachent dans les non-dits ? Autrement dit, cette œuvre ne
permettrait-elle pas d'approcher la source de l'inspiration masquée le plus
souvent derrière la puissance de l'orchestre et derrière la mise en scène de
lui-même affichée par Berlioz ? Aujourd'hui, alors que la musique de
Berlioz suscite encore bien des réticences, bien des discussions sur les
intentions du compositeur, sur les programmes sous-jacents qui dénatureraient
la musique, cette œuvre suscite toujours l'admiration émue :
« Ah ! » « je me souviens,
c'était… oh ! non ! ça
me fait trop mal ! mais que c'est
beau ! » « Tu connais la version de …. »
« Admirable ! » Comment comprendre cet effet émotionnel qui
touche l'auditeur au plus profond de lui ? qui ébranle
de manière irréversible ? Le détour par le choix du titre offre peut-être
un élément de réponse. A quel moment a-t-il choisi ce titre ? Quel genre de musique se cache sous ce
titre ? Quelles références implicites résonnent
dans ce titre ? A quel moment Berlioz a-t-il choisi ce
titre ? L'édition de la première version pour voix
et piano date de 1841, œuvre 7 (H 81 A) publiée par Adolphe Catelin.
Berlioz traita avec cet éditeur entre 1838 et 1841. Catelin
(1806-1875), qui se mit à son compte à partir de 1837 avant de faire faillite
en 1843, édita six opus de Berlioz, œuvres que Simon Richault
(1805-1866) a reprises en 1843 : c'est Richault
qui publia la seconde édition toujours pour voix et piano (H 81 A) en 1855.
Musée Hector
Berlioz La Côte Saint André Quelle est la situation de Berlioz en
1841 ? Berlioz, né en 1803 à la Côte-Saint-André près de Grenoble, est
arrivé à Paris en 1821 où, étudiant
en médecine, il est bouleversé par Iphigénie en Tauride de Gluck ce qui
décide de sa carrière musicale. Ainsi, en 1841, il a déjà composé un certain
nombre d'œuvres (quatre symphonies, un opéra, des ouvertures, des mélodies(1)), pour beaucoup publiées, dont six
chez Catelin, et un grand nombre(2) chez Maurice Schlesinger
(1797-1871). Et, outre l'exécution à l'occasion de manifestations officielles
du Requiem. Grande Messe des morts en
1837, puis de la Symphonie funèbre et
triomphale pour grande harmonie militaire avec un orchestre à cordes et un
chœur en 1840, ses œuvres furent exécutées lors de concerts publics et privés
organisés pour la plupart par lui-même. En 1841, Berlioz est donc un
compositeur très en vue, en grande partie à la suite du coup d'éclat qu'a été
la création de la Symphonie fantastique le 5 décembre 1830 dans la
salle du Conservatoire, sous la direction de Habeneck. A cette date, il s'avère également que
Berlioz qui a choisi de devenir compositeur – lui qui ne savait pas jouer du
piano, mais qui avait appris à jouer du flageolet, de la flûte, de la guitare
et du tambour – est très sensible à la littérature : bouleversé par Shakespeare,
puis par le Faust de Goethe traduit par Nerval en fin 1827 et publié en
1828, il devient proche ami de Hugo, de
Nerval et de Gautier, entre autres. Dès 1835, dans le journal Le Temps,
le critique musical Joseph d'Ortigue, qui avait déjà
publié une biographie de Berlioz dans la Revue européenne en décembre
1832 en insistant sur sa triple filiation : Shakespeare, Beethoven et
Hugo, le présentait comme « le pendant » musical du poète Hugo. (3) Les œuvres qu'il a déjà composées
avant 1840 attestent d'ailleurs l'importance qu'a la littérature pour lui. Grand lecteur, Berlioz manie aussi la plume
avec grand aisance : s'il a rédigé d'innombrables textes de critiques (de 1835
à 1863, il a tenu la chronique musicale du Journal
des Débats), s'il a écrit ses Mémoires
entre 1848 et 1863, il est également l'auteur de plusieurs de ses
« livrets » à commencer par le programme de la Symphonie fantastique suivi par le « mélologue »
de Lélio,
en continuant avec le « livret » de La Damnation de Faust en 1846, adaptation très libre de sa source
le Faust de Goethe, puis celui de Béatrice et Bénédict en 1860,
celui des Troyens en 1861, et il a largement participé au travail de son
librettiste pour son opéra Benvenuto Cellini créé en 1838. Ainsi, si les œuvres composées avant Les Nuits d'été reflètent ses passions
pour les auteurs que sont Shakespeare, Goethe, Byron, Hugo et les autres poètes
romantiques qui lui sont contemporains, elles témoignent également de son
intérêt passionné pour le processus de la création, ce qui se joue, par
exemple, pour lui avec le « Persée » sculpté par Benvenuto Cellini au
temps de la Renaissance. Enfin, les références littéraires, celles de la Symphonie fantastique, de Roméo et Juliette ou de Faust, révèlent la grande place accordée
par Berlioz à l'amour et au désir créatif, l'un et l'autre toujours
indissociables de la musique. Les Nuits d'été s'inscrivent donc dans
cette passion manifestée par Berlioz pour la poésie toujours en lien avec
l'amour, la création et la musique. Elles sont, par conséquent, en prise avec
un processus créateur qui trouve sa source dans la poésie et dans l'amour, via
la musique. Quel genre de musique se cache sous ce
titre ? Le choix de la dédicataire de la version
pour voix et piano, Louise Bertin, est un indice pour situer le genre de musique auquel Les
Nuits d'été font référence : celui de la romance. Louise Bertin
(1805-1877) est certes la fille du directeur du Journal des Débats auquel Berlioz peut ainsi rendre hommage. Mais
Louise Bertin, formée par François-Joseph Fétis (1784-1871), est également une
compositrice qu'il vient d'aider à achever et à monter son opéra La Esmeralda en 1836. Et comme plusieurs autres
compositrices Sophie Gaïl (1775-1819) (4), Loïsa
Puget (1810-1889), Pauline Dechambge (1778-1858),
pour lesquelles cela représente la seule manière d'être reconnues comme telles,
Louise Bertin compose des romances, à première vue ornement des salons, mais
également moyen privilégié pour exprimer une large palette de sentiments
intimes. La romance que l'on a tendance à mépriser comme étant un genre très
mineur, voire mièvre, fade, a été au contraire un genre déterminant pour forger
le goût musical et la réception de la musique particulièrement au cours des
années 1830 : elle a contribué à la diffusion d'une musique simple,
expression des mouvements du cœur, d'exécution accessible pour les amateurs
mélomanes, au temps où le piano équipe les salons – conformément à la
définition du piano rédigée par Flaubert dans le Dictionnaire des idées
reçues : « Indispensable dans un salon » - (1881, publié
posthume à la suite de Bouvard et Pécuchet). La romance est la voie royale de
« l'invention du sentiment » à partir du milieu du XVIIIe siècle,
époque qui connaît une profusion de définitions publiées dans différents dictionnaires,
dont celui de Rousseau. L'origine de la romance, telle qu'elle se développe au
temps de Berlioz, date donc de l'époque de Rousseau et s'enracine dans le
contexte d'une certaine forme de démocratisation de la musique : quand la
musique sort de la cour ou de l'église pour se déployer dans les salons et être
pratiquée par des mélomanes en quête d'expression de leurs sentiments. D'autre
part, la romance se retrouve dans les opéras à succès, à l'instar d'« Une
fièvre brûlante » du Richard Cœur-de-Lion, opéra-comique en trois
actes de André Ernest Modeste Grétry (1741-1813), sur
un livret de Michel Jean Sedaine (1719-1797) créé à Paris en 1784 à la
Comédie-Italienne. Cette Romance se situe au cœur du Duo de l'acte II, scène 4,
entre Richard enfermé dans une tour près de Vienne (tour où il a été retenu
prisonnier au retour de la troisième croisade en 1192) et le pseudo trouvère
Blondel de Nesle qui la chante : elle est interrompue trois fois par des
paroles de Richard qui reconnaît la mélodie qu'il avait écrite pour sa
bien-aimée, et qui comprend que ses proches cherchent à le libérer. Berlioz a
été impressionné au sens strict du terme par cette référence... puisque, par
leur dédicataire, il est évident que Les
Nuits d'été appartiennent au registre de la romance, et qu'elles possèdent
toute l'intimité, l'émotion qu'implique ce genre. N'oublions pas l'importance
qu'a eue la romance dans le processus créateur de Berlioz, qui comme tous les
compositeurs parisiens des années 1820-1840, s'y est adonné : s'il en a
intégré une confiée à Marguerite, « D'amour l'ardente flamme », dans
les Huit Scènes de Faust publiées en 1829, romance reprise dans la Damnation
de Faust en 1846, il en a composé d'autres hors du contexte d'une œuvre
lyrique, dont les 9 Mélodies irlandaises op.2 publiées en 1830, puis La
Captive composée à Rome en février 1832 sur un poème des Orientales
de Victor Hugo, et maintes fois publiées sous divers arrangements
instrumentaux. Rappelons également que c'est par la
romance que Berlioz a été pris de passion pour la composition : s'il a
détruit ses premiers essais, il a conservé la mélodie de ce qui est peut-être
sa première tentative de composition – d'après ce qu'il évoque dans ses Mémoires
- en la plaçant en exergue (pourrait-on dire) de la Symphonie fantastique, cette histoire de la vie d'un artiste.
Or cette mélodie initiale de sa vie
d'artiste est liée à l'effet émotionnel produit chez lui par le mélodrame
pastoral en deux actes de Florian, Estelle
et Némorin publié en 1788 ; et cette mélodie
est destinée à une romance qui commence par « Je vais quitter mon pays
pour jamais » (H 6), et qui était incluse dans son opéra intitulé Estelle et Némorin composé en 1823, puis détruit. Les
œuvres de Florian (1755-1794) étaient une source inépuisable au temps de
l'émergence du genre de la romance… Chez Berlioz, le choc
de l'amour qu'il évoque à bien des reprises dans ses Mémoires, est
associé à cet auteur, et en particulier à ce mélodrame pastoral, récit qui a
enchanté son enfance et qui a déterminé l'orientation de sa passion comme
il l'écrit au chapitre III de ses Mémoires : "
(…) Estelle. Ce nom seul eût suffi pour attirer mon attention ; il m'était
cher déjà à cause de la pastorale de Florian (Estelle et Némorin)
dérobée par moi dans la bibliothèque de mon père, et lue en cachette, cent et
cent fois. Mais celle qui le portait avait dix-huit ans, une taille élégante et
élevée, de grands yeux armés en guerre, bien que toujours souriants, une
chevelure digne d'orner le casque d'Achille, des pieds, je ne dirai pas
d'Andalouse, mais de Parisienne pur sang, et des... brodequins roses !... Je
n'en avais jamais vu... Vous riez !!... Eh bien, j'ai oublié la couleur de
ses cheveux (que je crois noirs pourtant) et je ne puis penser à elle sans voir
scintiller, en même temps que les grands yeux, les petits brodequins
roses." Ainsi, la
conjonction de ce récit enchanteur et de la réalité de celle qui portait le
prénom Estelle, provoqua l'illumination de l'amour – pulsion amoureuse
originelle qui se décline tout au long de ses Mémoires qui ne seront
publiées que posthume. La romance, via Florian et Estelle, est donc
associée pour Berlioz à l'amour impossible à assouvir dans le réel, mais cause
de ce désir qui le pousse à créer. Autrement dit, si l'idéalisation de la
personne aimée, mais inaccessible, est source de tourments, de rêves
torturants, elle est peut-être d'abord stimulus créateur, donc source
d'inspiration. Quelles références implicites résonnent
dans ce titre ? Si Berlioz participe activement à la vie
musicale parisienne, il fréquente également les salons littéraires et tisse des
liens avec les poètes romantiques, entre autres avec Théophile Gautier
(1811-1872), le représentant par excellence du romantisme poétique et
littéraire au cours des années 1830 : de nombreux compositeurs ont mis
beaucoup de ses poèmes en musique (en un siècle et demi il y aurait eu 540
mises en musique par 276 compositeurs) (5). Théophile Gautier qui était présent pour
soutenir Hugo lors de la création d'Hernani, le 25 février 1830, a fait
partie du « petit cénacle », avec Gérard de Nerval (1808-1855), son
ami de lycée, et Pétrus Borel (1809-1859), entre autres. Dans l'impasse du
Doyenné à Paris, dans le quartier du Louvre aujourd'hui détruit, les amis
s'adonnaient à de joyeuses parties, plus ou moins sinistres et macabres :
ainsi, ils s'amusaient à faire circuler entre eux un calice qui n'était autre
qu'une voûte crânienne, qu'une tête de mort… Dans ce contexte, dominé par le
jeu avec des métonymies de la mort associées à des lectures de Dante et à la
découverte des drames de Shakespeare qui mêlent tragique et comique, Théophile
Gautier publie en 1838, un ensemble de poèmes placés sous le titre La Comédie de la mort, allusion à la Divine
Comédie de Dante comme au Dernier jour d'un condamné de Hugo publié
en 1829. Le recueil de Gautier, qui rassemble cinq ans de sa production
poétique, associe un long poème épique de 250 strophes et près de 1400 vers
ouvert par un « Portail » et constitué de deux parties « La Vie
dans la Mort » et « La Mort dans la Vie », et plus d'une
cinquantaine de poèmes de forme et de taille variées, chacun portant un titre
suggestif de l'ordre de l'Inventaire à la Prévert : Le nuage,
Les papillons, Watteau, Le triomphe de Pétrarque, Le Sphinx, Romance, Lamento,
Montée sur le Brocken, etc. Ces « éclats » poétiques invitent à
considérer la mort avec distance puisqu'elle est nécessaire à la renaissance de
la vie, à l'image du ver qui se nourrit des cadavres…. comme le Ver le dit
à la Trépassée : « Console-toi.
- la mort donne la vie. - Éclose A l'ombre d'une
croix, l'églantine est plus rose Et le gazon plus
vert. » Ainsi, Gautier confie à une jeune morte le
soin de conduire le lecteur dans un parcours initiatique qui lui fait
rencontrer aussi bien Raphaël, que Faust ou Don Juan… la cinquantaine de poèmes
évoquant, ensuite, les innombrables facettes de la pensée de la mort oscillant,
non sans ironie, entre réel et surnaturel. S'il connaissait déjà certains poèmes avant
qu'ils ne soient réunis en recueil, Berlioz s'est intéressé à quelques autres
après la parution de La Comédie de la mort, décidant peu à peu de
constituer un ensemble de six romances autour du thème de l'amour en lien avec
la mort. Alors que généralement, les romances étaient publiées à l'unité sur des
feuilles volantes ou en livraisons mensuelles rassemblées en fin d'année sous
forme d'album destiné aux étrennes, Berlioz décide, en 1840, de rassembler
six poèmes qu'il met en musique pour constituer une œuvre publiée en 1841 sous
le titre : Les Nuits d'été. Après avoir tâtonné, il s'arrête sur un
cycle qui commence par une pastorale ingénue, la Villanelle, alors que
c'est le 55e sur les 56 poèmes des poésies diverses qui accompagnent La
Comédie de la mort. Et il termine le cycle par la « Barcarolle » à
laquelle il donne le titre de L'Île inconnue. Et entre ces deux romances
en apparence légère, Berlioz fait se succéder la ballade de style ancien, Le
spectre de la rose ; un premier « Lamento / La chanson du
pêcheur » (qui déjà chez Gautier suit « Le spectre de la rose »)
que Berlioz intitule Sur les lagunes ; un air dramatique, Absence
(titre de Gautier) ; et un second « Lamento » qu'il intitule Au
cimetière / Clair de lune (poème qui chez Gautier précède la
« Barcarolle » choisie comme final par Berlioz).
Pourquoi
six poèmes mis en musique ? Plus qu'une pratique suggérée par les
éditeurs, il s'agit d'une référence à Beethoven. Car l'incitation commerciale
d'en publier six à la fois n'impliquait pas la notion d'une œuvre conçue comme
un cycle. Le choix de Berlioz répond donc à une autre exigence : celle
d'un créateur qui admire Beethoven et qui s'y réfère en s'inspirant du
cycle des six Lieder regroupés sous le titre de An die ferne Geliebte,
édité sous le numéro d'opus 98 en 1816 ; Beethoven y chante le pouvoir que
possède seule la musique de lier et de relier les cœurs par-delà toute distance
ou toute forme de séparation. Pourquoi cette référence implicite à
Beethoven ? Parce que Berlioz avait été ébranlé par Beethoven qui, en 1828
grâce au chef d'orchestre Habeneck à la tête de la Société des concerts du
Conservatoire, lui a ouvert « un monde nouveau en musique » (Mémoires,
chap. XX). Avant même d'organiser et de donner un
titre à l'ensemble, Berlioz avait mis en musique certains des poèmes : Villanelle,
L'Île inconnue, Absence, Le Spectre de la rose – ajoutant ensuite les deux
lamentos. Et, dans sa conception de l'ensemble de ce cycle, il choisit de
conserver l'individualité formelle de chacun des poèmes - c'est-à-dire le genre
implicite de chacune des romances - si bien que le cycle de Berlioz joue sur la
diversité des types de romances, c'est-à-dire de leurs références à un genre
donné : la Villanelle qui est du ressort de la pastorale ; le
Spectre de la rose qui, ballade des temps anciens, évoque les contes
de Perrault et les récits de revenants; les Lamentos, déplorations d'ordre
atemporel, qui connotent les affects mis en avant par la Renaissance et la
période baroque ; Absence, scène dramatique qui appartient à
l'opéra ; et la barcarolle qui rappelle le temps des fêtes galantes, entre
autres. Et fidèle à la source de son inspiration
qu'est la romance, Berlioz conserve la simplicité mélodique et harmonique avec
quelques modulations ainsi que la structure de bases en trois strophes, avec
toutefois quelques « interprétations » manifestes révélatrices de ses
intentions latentes. Si la diversité participe paradoxalement à l'unité de
l'œuvre - le lien, qui est source de création, entre l'amour, l'illusion et la
mort -, c'est avant tout le traitement musical qui confère sa cohérence au
cycle : il est placé sous le signe de la pulsation propre à l'émotion, de
la simplicité de la mélodie comme de l'harmonie et de l'expression sans fard, à
nu, du sentiment dans sa puissance dramatique. Ainsi, l'enchaînement de différents genres
de romance prend en charge le propos de Berlioz : la mise en œuvre du
désir sous la forme de l'histoire de tout amour, de ses espoirs, de ses
déboires, de ses illusions et désillusions, et surtout de ses déchirements et
finalement de son impossibilité dans le réel. Dans cette perspective, le
traitement musical, les choix musicaux de Berlioz deviennent les moyens
d'expression de ce qui se passe au plus profond de lui et qui ne peut être dit
autrement, c'est-à-dire qui ne peut être exprimé que par le déroulement de la
musique, donc dans le temps musical, fait de contrastes, d'élans, de
suspensions, de surprises mélodiques et harmoniques. L'énigme du titre Pour lever cette énigme, il suffit de considérer
que Berlioz procède par figure de style : il se dissimule derrière un
enchaînement de métonymies (la partie pour le tout). De manière évidente, les
« Nuits d'été » font référence au Songe
d'une nuit d'été de Shakespeare, pièce tragi-comique qui a inspiré une
ouverture à Mendelssohn en 1826 (la musique de scène n'est pas encore composée
quand Berlioz organise ses mélodies) (6) ; or, cette
pièce de Shakespeare est du théâtre mis en abîme, ce qui produit un effet de
réel en laissant entendre ce qui fâche : en l'occurrence, le sens de cette
pièce est à chercher du côté d'une mise en question du mariage et d'un
plaidoyer pour le droit de changer de partenaire. En choisissant ce titre,
Berlioz se place donc délibérément du côté du rêve, du songe, de l'impossible,
et du côté de la liberté amoureuse. Or, par une autre métonymie, le songe
rappelle le « Songe d'une nuit de sabbat », titre du dernier
mouvement de la Symphonie fantastique,
lui-même associé à deux autres sources majeures : le poème de Victor Hugo,
La Ronde de sabbat inclus dans
les Odes et ballades (1825) qui terrifie avec la vision de ce qui
grouille dans les enfers, accompagné de bruits très inquiétants, et la fameuse
scène du Faust de Goethe. Car si ce poème de Victor Hugo évoque l'ironie
grinçante de la Comédie de la mort, il résonne avec la fin du premier Faust de Goethe, la « Nuit de
sabbat » au cours de laquelle se situe à/???/la montée terrifiante du
Brocken ou Blocksberg, montagne située dans le
Harz, de Faust conduit par Méphistophélès, ascension qui précède la
représentation d'un « Songe d'une nuit de sabbat ou les noces d'or d'Obéron et Titania » :
il s'agit donc du moment au cours duquel Méphistophélès a entraîné Faust dans
un sabbat de sorcières pendant que sa bien-aimée est en train d'être jugée et
d'être condamnée à mort pour infanticide et parricide. Ce jeu de déplacement, de glissement par
métonymie de l'image lascive d'une nuit d'été au songe et au surgissement des
forces obscures (à l'œuvre chez tout un chacun), permet à Berlioz de soutenir
implicitement que l'amour est criminel ; qu'il est indissociable de la
mort ; que mortifère, il est donc dangereux. Par conséquent, il est
préférable d'en rêver, sans jamais chercher à l'atteindre…. Qu'il reste à fleur
de peau… mais surtout qu'il demeure source d'inspiration ayant partie liée avec
ces forces obscures si bien mises en évidence par Delacroix dans ses
lithographies inspirées par le Faust de Goethe, cette « manière
noire » mise eu point avec la lithographie représentant Macbeth interrogeant
les sorcières. Par ce jeu de métonymies, Berlioz s'aventure dans le rêve
fantastique et tout ce que cela suppose de bouleversement émotionnel.
Berlin, Château de Charlottenburg Certes, la référence à l'image des nuits
d'été, qui ne peuvent être que chaudes et langoureuses, comme le suggère L'Andalouse
de Musset, mise en musique par Hippolyte Monpou
(« Allons ! La belle nuit d'été !/Je veux ce soir des
sérénades »), induit l'aspiration de bien des amants au bonheur sensuel et
aux plaisirs de l'amour éphémère. Or, à l'encontre de cette attente produite
par le titre, l'œuvre poético-musicale conçue par Berlioz fait passer
l'auditeur de l'atmosphère légère et mutine des préludes d'un amour de
printemps à un univers mélancolique et sinistre, l'envers même d'un rêve de
bonheur, ce que Watteau a admirablement représenté dans ses deux toiles (l'une
à Paris, l'autre à Berlin) dites Embarquement
pour Cythère (1717, 1718). « Watteau » est d'ailleurs le titre
d'un des poèmes de La Comédie de la Mort. Si l'illusion de bonheur est amère, c'est
pourtant une illusion féconde ! La fin du cinquième mouvement de la Symphonie
fantastique en est la preuve musicale,
comme de démontre Claude Abromont dans son
livre à paraître en mars 2016 aux éditions de la Philharmonie dans la
collection « La rue musicale » sous le titre La Symphonie
fantastique / Enquête autour d'une idée fixe : « Après l'exécution
mise en scène dans le 4e mouvement, on touche le fond… Et pourtant, pour qui écoute
la dernière minute de l'œuvre, comment croire, ne serait-ce qu'un instant, que
ce sont de tels sentiments que peint une fin jubilatoire à la joie délirante ?
La mélodie du Dies Irae cesse d'être un glas funèbre pour revêtir
l'apparence d'une marche guerrière et l'Idée fixe a disparu ! La vie est
désormais là, le miracle a eu lieu, bien que des poussées d'angoisse
resurgissent sporadiquement. Elles sont prises dans le tourbillon général. La
fin est une page ébouriffante. Rarement la vie, la santé, la jeunesse
accompagnée de sa sauvagerie ne se sont exprimées avec une telle force et une
telle insolence… » Donc, lorsque Berlioz, en 1841, publie Les
Nuits d'été pour voix et piano, il est un compositeur en vue, critiqué ou
apprécié pour la dimension révolutionnaire et acoustique de ses œuvres
symphoniques, mais qui ne dédaigne pas pour autant la romance, caractérisée par
sa simplicité et son naturel, par sa dimension intime. Attiré par l'ironie
mordante du poète romantique qu'est Théophile Gautier, Berlioz associe six
poèmes de la Comédie de la mort publiée en 1838. Référence implicite à
Beethoven, ce cycle porte un titre qui est un jeu de figures de style, de
métonymies : il renvoie à Shakespeare, à Hugo, à Goethe. Cette œuvre
condense donc les figures admirées par Berlioz tout en mettant en œuvre ce qui
se trame au plus obscur de tout un chacun et qui se traduit par le lien entre
l'amour et la mort, la mort entretenant la vie... Ainsi, le titre Les Nuits d'été
résulte d'un déplacement et d'une condensation de sens, pour traduire ce qui
est caché et qui se joue au tréfonds de l'être et qui ne peut être exprimé que
par un traitement musical spécifique caractérisé par sa simplicité, ses élans
passionnés et sa plongée dans l'univers du fantastique. A ce traitement musical
originel pour voix et piano du cycle de six romances, expression de ce qui se
joue au plus intime de son être, Berlioz ajouta, en 1843 pour Absence,
puis en 1855-1856, pour les cinq autres, la dimension acoustique du timbre
instrumental car pour lui chaque instrument est un moyen d'expression
privilégié : l'orchestration judicieuse lui permet ainsi d'affiner encore
plus ce qu'il ne peut exprimer que par la musique. Le titre Les Nuits d'été est donc au
cœur d'une chaîne de métonymies associée à une œuvre qui permet d'entrer dans
l'intimité de Berlioz, loin du spectaculaire, là où s'élabore la création
secrètement à partir de l'amour, de la poésie, du timbre, de la mélodie, de la
pulsation, du rythme, de l'harmonie. Ainsi, selon Berlioz lui-même, la musique
et l'amour étaient pour lui « les deux ailes de l'âme ». Élisabeth Brisson. (1) Symphonies : Fantastique (1830), Harold
en Italie (1834), Roméo et Juliette (1839), Grande Symphonie
funèbre et triomphale (1840). Opéra : Benvenuto Cellini (1838).
Ouvertures : de Waverley
composée en 1828, Walter Scott (Richault 1839), du Roi Lear composée en 1831 (éditée par Catelin 1840). 9
Mélodies irlandaises composées à partir de 1825 sur des poèmes de Thomas
Moore traduits par Théodore Gounet (publiées en 1845 par
Schlesinger). La Captive pour voix et piano
sur un poème des Orientales de Victor Hugo en 1832 (orchestrée en 1848). (2) Dont les Huit Scènes de Faust (H 33,
1829), les Neuf Mélodies (H 38, 1830), la troisième version de La
Captive (H 60 C, 1833), la Grande messe des morts (H 75, 1838), des
morceaux détachés de Benvenuto Cellini (H 76 A), puis la Grande
ouverture de cet opéra (H 76 B, 1839), la Grande Symphonie funèbre et
triomphale (H 80, 1843), la Symphonie fantastique (H 48, 1845). (3) Cf. l'article d'Arnaud Laster,
« Hugo et Berlioz », Site « Présence de la littérature »,
2004. (4) Voir la liste des thèmes de Sophie Gail
centrés sur la passion amoureuse in Florence Launay, Les compositrices en
France au XIXe siècle, Paris, Fayard, 2006, p.120 et 171. (5) Voir François Brunet, Théophile Gautier et
la musique, Paris, Honoré Champion, 2006. (6) Voir dans Elisabeth Brisson, Les Airs
mythiques, Paris, ellipses, 2014, le chapitre sur « la Marche
nuptiale » pp.310-317. ***
REPÈRES PÉDAGOGIQUES
Réflexions à propos
de l'enseignement et de l'apprentissage musical Le pouvoir de la
joie et de l'émerveillement La
pratique musicale
Au
fil des années, je m'aperçois à quel point nos valeurs et croyances influencent
notre pratique musicale. Ces valeurs et croyances sont parfois conscientes,
parfois inconscientes, parfois choisies, parfois subies. Ce qui m'apparaît,
c'est que nous sommes bien plus capables que ce que nous croyons. Mais parfois,
le chemin que nous empruntons n'est pas bien adapté. Il faut tout d'abord avoir
le courage de s'arrêter pour observer, puis le courage de modifier, réajuster
sa manière d'appréhender son approche musicale. Ce peut être joyeux et
effrayant tout à la fois car nous avançons en terrain inconnu. Ce
qui est sûr, c'est que la répétition en elle-même n'a pas le pouvoir qu'on lui
accorde : répéter ne permet pas forcément d'intégrer ou d'acquérir du nouveau,
tout dépend de la manière dont on répète, notre qualité de présence et notre
disponibilité. Plusieurs
croyances nous conditionnent et influencent notre comportement : ·
« Je
n'y arrive pas parce que je ne suis pas assez doué ». Le même raisonnement
peut se faire avec : « je suis trop vieux, malade, trop fainéant, pas
assez appliqué ». Dans ce cas, c'est sa propre incompétence et/ou insuffisance
que l'on met cause. Il faut donc recommencer encore et encore car une partie de
nous pense que nous ne méritons pas ou ne pouvons pas y arriver. ·
«
Je veux y arriver ! Je ne cèderai pas » Ici, c'est la volonté qui prend la
main, mais elle ne sait pas toujours très bien comment faire autrement que
répéter et répéter encore. ·
« Il
faut souffrir pour y arriver, rien n'est facile dans la vie » Il est donc
inévitable de s'épuiser à la tâche avant d'espérer y arriver. De nombreuses
autres pensées ou croyances sont possibles. Il peut être amusant de s'observer
soi-même afin de découvrir les injonctions qui nous guident. Beaucoup de
progrès sont liés à cette ouverture de conscience. C'est pourquoi, il est
parfois si difficile de mettre en pratique certains conseils pédagogiques, car
ils heurtent trop nos convictions profondes ou nos croyances inconscientes. Il
faut alors du courage pour essayer de faire autrement, beaucoup de confiance en
son professeur, ou être totalement désemparé et n'avoir plus rien à perdre. Ce qui rend les
choses difficiles, c'est qu'avant d'avoir essayé, on ne peut pas savoir si une
approche sera efficace ou non et quels en seront les bénéfices. Il est donc
normal d'être méfiant. Et puis il y a tellement de conseils, parfois si
différents voire opposés, alors comment savoir, comment choisir ? Il suffit d'écouter
les nombreuses interprétations d'une même œuvre ou de feuilleter différentes
méthodes pédagogiques pour comprendre qu'un consensus universel n'existe pas.
Faire de la musique revient à choisir : choisir son style, sa filiation,
sa sonorité, sa posture, sa technique, ses références, son interprétation etc.
…. Choisir, c'est se
poser des questions. Ce peut être désagréable mais c'est un premier pas vers
plus de clarté. Les progrès demandent de la clarté.
Enseigner la musique Pour moi, enseigner
la musique revient à choisir sa contribution au monde : quelles sont les
valeurs que je souhaite partager, véhiculer, transmettre ? Quelles sont
les valeurs auxquelles je crois ?
Ai-je conscience des conséquences de mes choix, de mes actes ?
Personnellement c'est ainsi que je raisonne dans ma démarche enseignante : en
quoi puis-je contribuer au monde auquel j'aspire, comment puis-je incarner les
valeurs auxquelles je tiens. ? Quand j'étais
étudiante, je me posais toujours la même question : réussir un examen,
oui, mais à quel prix ? Je refusais le bachotage. Un examen ne peut pas se
résumer aux seuls résultats, c'est aussi un moment de vie. C'était la même
raison qui me faisait haïr les bons-points et les récompenses à l'école :
quoi, me réduire à ce fichu bout de papier ? Croire que j'apprends mes
leçons pour faire plaisir à mon prof ? J'étais outrée. J'avais besoin que
les choses aient un sens. J'apprenais avec tout mon être, je refusais de n'être
qu'un élève. Aujourd'hui,
quand j'enseigne, je pense à la légende amérindienne du petit colibri : un
jour, dit la légende, il y eut un immense incendie de forêt. Tous les animaux
terrifiés, atterrés, observaient impuissants le désastre. Seul le petit colibri
s'activait, allant chercher quelques gouttes avec son bec pour les jeter sur le
feu. Après un moment, le tatou, agacé par cette agitation dérisoire, lui dit :
« Colibri ! Tu n'es pas fou ? Ce n'est pas avec ces gouttes d'eau que tu vas
éteindre le feu ! » Et le colibri de répondre : « Je le sais, mais je fais ma
part. » Aujourd'hui,
ma part, c'est de rappeler le pouvoir de la joie et de l'émerveillement. Tous
deux font des merveilles voire des miracles. Je l'ai découvert à 15 ans, quad
j'ai commencé à jouer des morceaux en cachette de mon professeur, des morceaux
faciles, mais des morceaux que j'avais choisi, parce qu'ils me plaisaient et
que j'étais heureuse de les jouer. Cela peut sembler dérisoire mais jusqu'alors
personne ne s'était intéressé de savoir ce que je ressentais ou pensais. Je
devais faire ce que l'on me demandait, un point c'est tout. On avait tout
simplement oublié qu'un enfant pense, ressent, perçoit, croit, s'émeut ….Et
qu'il peut dire oui avec la tête et non avec le cœur. La
difficulté, c'est que parfois, le raisonnable est tellement ancré en nous,
qu'on ne sait plus du tout ce que notre cœur ressent, il est recouvert par tant
de paroles, conseils, ordres, injonctions ... Il est parfois nécessaire de
s'arrêter pour l'écouter. De prendre le temps de le rassurer. Car nos joies ont
été si souvent méprisées ou moquées que nous avons perdu l'habitude de les
laisser jaillir. C'est toute la difficulté dans l'enseignement : l'équilibre
entre accueillir, canaliser, conseiller, rassurer, suggérer, susciter, stimuler
... Cela me fait penser à la fable du casseur
de cailloux attribuée à Charles Péguy :
En pèlerinage à
Chartres, Charles Péguy voit un type fatigué, suant, qui casse des cailloux. Il
s'approche de lui et lui demande : « Que faites-vous,
Monsieur ? » « Vous voyez
bien, je casse des cailloux, c'est dur, j'ai mal au dos, j'ai soif, j'ai faim.
Je fais un sous métier, je suis un sous homme ». Il continue et voit
un peu plus loin un autre homme qui casse les cailloux, lui n'a pas l'air mal. « Monsieur qu'est-ce que vous
faites ? » « Eh bien, je
gagne ma vie. Je casse des cailloux, je n'ai pas trouvé d'autre métier pour
nourrir ma famille, je suis bien content d'avoir celui-là ». Péguy poursuit son
chemin et s'approche d'un troisième casseur de cailloux, qui est lui est
souriant et radieux : « Moi, Monsieur, dit-il je bâtis une
cathédrale." Et cela change tout ! Qu'avons-nous dans la tête quand nous cassons des
cailloux ? Qu'avons-nous dans le cœur quand nous
enseignons ? Pouvons-nous choisir d'être des bâtisseurs de
cathédrales ? Et la musique, peut-elle nous mener à notre
cathédrale intérieure ? Catherine Schneider*. *Catherine Schneider est pianiste. Elle
enseigne le piano dans le cadre de cours (Région Centre), stages (Paris -
Bourgogne-Normandie) et master class. Elle pratique l'improvisation libre
(concerts live) sur piano préparé et transformé en temps réel avec diffusion en
octophonie. Elle compose pour le piano, la danse, la
poésie, l'électroacoustique. Elle écrit également des contes musicaux.
***
PROPOS PARTAGES
Entre
poésie et musique : rencontre avec Brigitte Fossey Vous avez fait de
nombreux concerts lecture dans votre carrière ? En fait c'est arrivé progressivement. Il y
a des moments où je trouve que la vie est un rêve. J'avais eu deux expériences
importantes avec la musique, grâce à Guy Ramona, président du Festival de Musique de la
Chaise-Dieu. Il était venu me voir il y a une trentaine d'année pour me
demander de dire Pierre et le Loup
de Prokofiev, avec l'Orchestre Philharmonique de Moscou dirigé par Dmitri Kitaenko ; c'était trop
sympathique. Les musiciens avaient sûrement connu le compositeur, j'étais très
impressionnée. J'avais fait neuf ans de piano et entrer dans le monde de la
musique de cette manière, c'était fabuleux. Ensuite je l'ai refait l'année
d'après, toujours à la Chaise-Dieu. Puis il a eu une idée formidable : donner Jeanne au Bûcher d'Arthur Honegger dans
une mise en scène de Patrice Kerbrat qui venait de
terminer la pièce Art de Yasmina Reza. Là il a fallu travailler ! C'est une récitante
qui parle en mesure. Lorsque j'ai écouté le disque, je me suis dit que c'était
trop difficile. Mais mon agent, Anne
Alvares Correa qui adore la musique, me dit : tu vas bosser, tu vas le
faire ! Je travaille donc avec un prof de piano, « j'irai,
j'irai, je vas où est ma bonne épée… ». Je me
disais que jamais je n'y arriverai et puis... je connaissais toute la partition
par cœur ! J'étais en lévitation quand je suis sortie de cette expérience.
Pour Kerbrat Jeanne était déjà dans le ciel,
condamnée à revivre toute sa vie. Elle était entre la Terre et le Ciel. Il y
avait des anges, les chanteurs, qui allumaient le bûcher, se moquaient d'elle.
C'était une très belle mise en scène. Je l'ai reprise une dizaine de fois avec
des chefs différents, en Belgique, en Suisse, à Angers, à l'Abbaye de Beauvais.
Là c'était merveilleux, parce que c'était tout près de l'endroit où Jeanne
avait été prisonnière. Puis j'oublie la musique, je reprends mes films, mes
pièces de théâtre. Et un jour je jouais dans La Surprise de l'Amour de Marivaux quand Jean Daniel Belfond me
demanda de réaliser une anthologie de mes poèmes d'amour préférés. Je le
réalise, c'était amusant à faire. Et dans ma voiture j'entendis quelqu'un qui
interprétait Chopin de manière exceptionnelle ! Là je me dis ;
« Chopin faite quelque chose pour qu'on travaille ensemble » ! Le lendemain, je reçois un coup de fil
d'Alain Duault, président du Festival de Nohant, qui
me confie qu'il a lu mon anthologie de poèmes et qu'il aimerait que je vienne à
Nohant et que je dise des poèmes avec des œuvres de Chopin. C'était
extraordinaire comme histoire, non ? C'était la faute à Jeanne je suppose ! Et je rencontre alors Yves Henry qui était à l'époque le
directeur artistique avec Jean Yves Clément, lesquels sont devenus de bons
amis. Les gens de Nohant sont devenus comme ma famille maintenant. Yves Henry
me donna une liste de dix morceaux et je devais choisir des poèmes en relation
avec les œuvres. J'ai essayé de faire un itinéraire poétique de la rencontre de
Chopin avec George Sand. J'ai proposé d'intervertir des morceaux mais Yves
Henry était catégorique sur le choix de l'ordre : je le trouvais très
psychorigide à l'époque. Le garçon avec qui je jouais ce spectacle est tombé
malade et c'est Yves Henry qui l'a remplacé à Bourg La Reine où Catherine Duault était responsable de la culture. On a sympathisé et
on a fait énormément de spectacles ensemble. On était dans une confiance
totale. On a ainsi fait un spectacle, Les
Schumann Intimes, qui a été donné partout en France, puis Le Journal de Raison de Clara et Robert,
depuis leur mariage jusqu'à l'enterrement de Robert. Et maintenant on donne les
dernières années de Robert à Nohant.
Ces concerts spectacles durent depuis une dizaine d'années. On a fait beaucoup
également d'autres spectacles autour de Franz Liszt. C'est toujours vous qui vous en occupez des textes? Oui ! Il faut énormément lire, trouver des textes qui
amènent la musique ou qui concluent. Un jour, j'avais fait un montage de
lettres avec Jean-Marie Bernica pour le festival de
Grignan avec les lettres de Georges Sand. Après l'avoir rencontrée à Nohant
j'ai eu envie de le refaire avec Yves Henry. On l'a donné à la Salle Gaveau,
puis partout en France. Ensuite on nous a demandé pour Gaveau de faire autre
chose. On a alors donné un Victor Hugo, Victor
en Musique Hugo en liberté. Chaque fois que je propose des poèmes, Yves
Henry a des idées de musique. J'ai eu aussi la chance de travailler avec Pascal
Amoyel qui adore la littérature. On a fait un concert
autour de « Nuits » avec bien sûr Musset, Chopin, Liszt. J'ai aussi
travaillé avec Michel Beroff autour de Messiaen et de
son œuvre Les Vingt Regards de l'Enfant
Jésus. Pour cela on a trouvé des textes mystiques chrétiens. Parlez-moi de votre collaboration avec Corinne Kloska. C'est une amie d'Yves Henry. Nous étions allés ensemble à
Senlis où chaque année il y a un hommage à Cziffra, puis on s'est revu, on a
sympathisé. Elle m'a envoyé un beau disque qu'elle a fait autour des scherzos
de Chopin et de mélodies avec le ténor Xavier Le Maréchal [Ndlr : 1CD Soupir
éditions : S218]. Avec lui j'avais monté un spectacle autour de Cocteau. Tout
se recoupe en fait, on se connaît tous. Puis Corinne m'a invitée près du
conservatoire et m'a dit qu'elle préparait quelque chose sur les relations, les
correspondances entre Chopin, Scriabine et Ravel. J'ai trouvé cette idée
intéressante et elle m'a remis quelques textes. Il y avait un texte d'Henri
Heine et un Portrait de Scriabine sur Chopin : Scriabine disait qu'il mettait
les partitions de Chopin sous son oreiller ! C'est vrai qu'il y a des
correspondances entre certaines Mazurkas de Chopin et de Scriabine, c'est
sidérant ; c'est comme un écho ! Elle m'a confié un disque de Karol Szymanowski,
extraordinaire, des œuvres que je ne connaissais pas. Voilà un compositeur qui
n'a pas la place qu'il mérite, je trouve. Corinne est polonaise et italienne ce
qui fait un mélange formidable ! Elle est extrêmement indépendante, attentive.
Par moment, quand elle fonce sur son piano, elle me rappelle Sviatoslav
Richter. C'est quelqu'un qui peut avoir une extrême douceur et par moment une
force étonnante, une grande puissance. Comment
faites-vous pendant le spectacle pour être en phase avec la musique ? vous vous mettez en scène ? D'habitude je me déplace, mais là pour ce nouveau spectacle
je ne vais pas trop me déplacer. A la salle Cortot, c'est un endroit très pur,
il n'y a pas de lumière, de régie, il n'y aura aucun effet. Lors de notre
troisième rencontre, Corinne m'a donné un livre de Scriabine. Elle trouvait
cette littérature très intello, incompréhensible. Elle m'a demandé de voir si
je pouvais faire quelque chose avec. L'Acte
Préalable est effectivement très influencé par Nietzche et certains écrits
mystiques qu'il a lus. Après l'avoir lu plusieurs fois, j'ai vu qu'on pouvait
tirer quelques morceaux comme des poèmes et qui pouvaient correspondre à ce
qu'elle m'avait joué. On s'est amusé à chercher et on a tissé ensemble. C'est
une aventure qui a duré six à huit mois, même plus. Lorsqu'on s'est retrouvé,
on a fait un filage et il se trouve que cela marchait ! Et là, à la salle Cortot, c'est la première ? Oui c'est la
création ! Le disque sort en même temps : il s'appelle
« Correspondances » Oui, le concert
est l'occasion de sa sortie. C'est un travail formidable pour une comédienne ? Oui, un travail sur la voix : prendre des intonations de
jeune fille pour « Ondine » de Gaspard de la Nuit de Ravel, et jouer
sur les émotions qui sont souvent changeantes. Dans les poèmes d'Aloysius Bertrand, Ondine s'exprime et essaye de séduire
cet homme qu'elle aime, et ensuite on a la version masculine. Donc changement
de tonalité : et lorsque je dis d'une voix grave que j'aime une mortelle,
dépitée, Ondine s'évanouit en giboulées qui ruisselèrent le long des vitraux
bleus. Cela se termine par bleu, c'est une ouverture. C'est là que j'ai eu
l'idée de faire deux voix, sinon on ne comprendrait rien. « Le
gibet », c'est un texte
presque incantatoire, morbide. C'est la mort qui pénètre dans l'âme humaine.
Les images qu'écrit Bertrand pour ne pas penser au pendu sont toutes
épouvantables, c'est terrifiant. « Scarbo »,
c'est une sorte d'angoisse, de terreur érotique, le refus de la condition
humaine. Lorsqu'on rêve qu'on vole, ce n'est pas très agréable parce qu'on peut
tomber, et en même temps c'est érotique. Scarbo c'est l'angoisse
inconsciente devant l'érotisme. Édition de 1842 C'est la musique qui a initié les textes ? Non, Corinne est partie des textes, c'est une poétesse, ils
sont totalement en correspondance. Elle a cherché ces textes qui nous ont amené
à Ravel. Partir de Chopin pour arriver à Ravel, c'est un superbe parcours.
C'est d'autant plus extraordinaire que dans le texte de Heine sur Chopin, à la
fin il écrit « et que fait la belle Ondine » ! On ne pouvait pas
savoir qu'il y aurait ce rapport entre Chopin – Heine et Ravel –
Bertrand ! C'est cela la poésie, c'est hors du temps. Et pour vous quel est votre compositeur préféré ? Je n'ai pas de préférence, comme en peinture. Je ne suis pas
assez cultivée sur le plan musical, je suis toujours prête à apprendre, à
connaître la vie d'un musicien. Car quand on connaît sa vie, on comprend mieux
son œuvre. Parfois l'œuvre n'a rien à voir avec la vie mais ça aussi c'est
intéressant. J'ai eu de la chance avec Jacqueline Ducher,
mon professeur de piano : elle n'était pas contente de moi parce que je ne
travaillais pas assez. Elle me demandait alors de lui réciter un poème que je venais
d'apprendre. Elle me disait : ce n'est pas grave que tu ne travailles pas ton
piano, tu seras comédienne, mais tu n'oublieras pas la musique. Elle m'emmenait
au concert, on avait des relations très fortes, j'allais écouter Richter, elle
me faisait faire des concours, mais je ne dépassais pas un certain niveau. Elle
m'a initiée à l'amour de la musique et à la force de l'interprétation. La musique vous a-t-elle aidée dans votre métier de
comédienne ? Énormément ! Tout est rythme. Dans la musique il y a du
texte, ça parle, ça raconte des histoires. J'ai travaillé avec Giovanni Bellucci qui m'a fait comprendre dans un morceau qu'il y
avait un homme et une femme qui se parlaient, lui la draguait et elle se
refusait ; j'ai bien bien écouté et c'était vrai : il
y avait toute cette histoire dans le morceau. Lorsqu'on a le cafard, on écoute
Bach et on se reconstruit. On est dans un immense palais et on se dit : c'est à
moi, c'est mon âme, c'est mon esprit. Si Bach a dit ces choses là, il faut se
battre, il faut continuer, c'est curatif ! Après mon premier chagrin
d'amour, je n'ai écouté que Bach ! J'étais en mille morceaux ; c'était un
amour platonique, j'étais complétement cassée et
j'écoutais, l'Offrande Musicale, La
Passion selon Saint Jean, en boucle. Mozart était très important pour moi.
Je me souviens : j'étais en philo et un critique avait dit : « Mozart
est la maîtrise de l'émoi vers la lumière ». C'est exactement cela. J'ai
donné un Mozart avec François Chaplin au piano et Delphine Haidan
qui chantait : j'ai lu les lettres de Mozart.
Il a été extrêmement malheureux, incompris, et il a continué à donner de
la joie, de la lumière. Quelle générosité ! Mais il savait se faire
plaisir. Et pas besoin de faire une psy pour comprendre que charité bien
ordonnée commence par soi-même. Quelquefois je travaille avec Michael Lonsdale pour un groupe de choristes qui s'appelle Jubiléo. On a donné le Cantique
des Cantiques avec le Magnificat
de Vivaldi, pour des enfants handicapés dans la vaste salle du Grand Palais. Il
y avait huit cents enfants et pas un bruit. Ils étaient heureux. On avait donné
un texte de Christian Bobin, l'Homme-Joie. Je donne souvent des textes de lui, j'ai la chance de
le connaître. Cet été, je suis allé pour la Compagnie du Grain de sable, faire
une lecture de La lumière du Monde. Il parle de tout ce qui est lumineux. Il est
venu à un festival en Normandie où tous les auteurs viennent, et cette année
c'était le thème de la lumière ou la nuit, donc le texte s'y prêtait. J'avais
mis de la musique, des morceaux de Mozart. Bobin vit
beaucoup avec la musique. A vous
écouter, la musique vous prend beaucoup de temps et vous donne beaucoup de
plaisir... Oui, mais tout dépend des moments. Je n'écoute que ce que je
prépare. Pour Emmanuelle Bertrand et Pascal Amoyel,
qui avait fait une transcription de la sonate de Grieg pour violoncelle et
piano, il a fallu que je trouve un texte : j'ai lu la poésie norvégienne
et je n'ai rien trouvé. Or, un jour alors que je déjeune avec Corinne Kloska et Joël Perrot, celui-ci me fait voir un livre où il
y avait la maison de Grieg, et au bord du lac, un petit troll ! Et là j'ai
eu l'idée : j'ai fait l'adaptation du voyage de Niels Holgersson !
Avec la musique de Grieg c'était
magnifique. Je me suis dit que Grieg allait me pardonner : la Suède, la
Norvège, ils avaient un troll en commun ! Et lorsque vous travaillez une pièce, un film, écoutez-vous
de la musique ? Je vis d'une façon assez obsessionnelle : je suis dans le
scénario, je dors avec, je passe mon temps avec, j'aime bien l'immersion. Avec
la musique on ne peut pas faire autrement : je ne mélange pas. Et quand vous quittez un plateau ? Pour renaître j'ai besoin de nature et de musique. J'ai des
périodes où je n'écoute qu'un compositeur. Mais j'aime bien me fier au hasard.
En voiture, j'écoute Radio Classique et je me laisse initier à la musique, à la
musique baroque par exemple. Je découvre cette musique sous un angle joyeux.
J'adore ce que fait Jean-Christophe Spinosi. Les gens
qui n'aiment pas la musique baroque, c'est qu'ils n'ont pas entendu cette
approche ''Rock and Roll''. Propos recueillis par Stéphane Loison.
***
Magies bartokiennes
Esa-Pekka
Salonen et l'Orchestre de Paris, voilà une alchimie
qui fonctionne particulièrement bien. On se souvient, entre autres, de l'Elektra de Strauss au Festival d'Aix. Cette
fois, ils donnaient un « all Bartók programm ».
Un compositeur pour lequel le chef finlandais fait montre d'affinités suprêmes.
Le concert débutait par la Suite de
danses pour grand orchestre (1923) dont Salonen
souligne d'emblée le mordant de l'inspiration populaire, comme l'atmosphère que
trace cette ritournelle qui revient en boucle. On est vite empoigné par la
magie bartokienne, en particulier au molto tranquillo,
si habité de poésie. L'orchestre répond au quart de tour. Il en sera de même
pour le Concerto pour deux pianos, percussions et orchestre. La pièce
trouve son origine dans la Sonate pour deux pianos et percussions,
elle-même fruit dune commande de son éditeur bâlois (1938). Bartók en réalise
l'orchestration deux ans plus tard, en 1940, alors qu'il a gagné les
États-Unis. La création aura lieu à Londres en fin1941 avant que la pièce soit
donnée à New-York l'année suivante par Bartók et son épouse Ditta
aux pianos. Ce concert du 21 janvier 1942 sera le dernier du maître. Bartók
éprouve une attirance pour la percussion. Sa Musique pour cordes,
percussions et célesta de 1937 l'avait déjà prouvé. Pour complexe qu'elle
soit, elle produit sur l'auditeur une séduction immédiate, sans doute par sa
rythmique et son aura sonore. Elle vérifie ce mot de l'auteur à Paul Sacher :
« Je n'écris jamais délibérément dans le but d'accumuler un maximum de
difficultés d'exécution ». Reste que la Sonate puis le Concerto, malgré la
fascinante maîtrise du traitement des percussions alliées aux pianos, ne sont
pas des plus aisés à jouer comme à appréhender. Les deux percussionnistes
jouent en fait neuf instruments différents : timbale, grosse caisse, cymbales
frappées et suspendues, tam-tam, caisse claire, avec et sans timbre, triangle,
xylophone. La construction veut que percussions et pianos soient quasiment sur
un pied d'égalité. L'orchestration se borne à soutenir les solistes, notamment
les bois par rapport aux percussions, dont le texte est inchangé au demeurant.
La partie de pianos est quelque peu modifiée dans le détail. A l'écoute, on
pense surtout à la Sonate et ses fulgurances au premier mouvement, lent puis
plus animé avec des échanges en imitation ou en miroir entre les deux sortes de
matériaux. Le doublage orchestral est plus significatif au deuxième mouvement,
nimbé de mystère nocturne, et surtout au finale où les parties de percussions,
si originales, sont renforcées par le traitement des cordes arpégées, annonçant
le Concerto pour orchestre, et créant un brouillard sonore étonnant.
Katia et Marielle Labèque, pour lesquelles la Sonate
n'a plus de secret, et les deux percussionnistes, Camille Baslé
et Eric Sammut, Iers solos
de l'Orchestre de Paris, en livrent une exécution de classe, fermement soutenue
par Salonen. On remarque cependant, du moins au
Parterre de la Philharmonie, que la sonorité des deux pianos est quelque peu
noyée dans la gangue générale : excès de nuances des interprètes ou défaut
acoustique ? Suivait le Concerto pour orchestre. Commande de Serge
Koussevitzky, qui le créera avec son Orchestre de Boston en 1944, la pièce
marque aussi bien la synthèse des expérimentations accumulées au long d'une
fructueuse carrière que le point d'aboutissement de la dernière manière du
musicien. Ses cinq mouvements s'articulent en couple autour de l'« Elegia » centrale. Esa-Pekka
Salonen est chez lui ici : sa direction extrêmement
lisible et d'une précision phénoménale, le souci du détail allié à un sens rare
sens de l'ensemble créent la différence avec une exécution simplement réussie.
La spontanéité du discours, l'imagination avec laquelle sont ménagées les
transitions procurent un sentiment de vraie
découverte. Que ce soient les lames de fond, les paroxysmes sonores, les
climats les plus subtils, les pianissimos les plus ténus, tout ici respire le
bonheur de jouer une pièce génialement conçue pour l'orchestre et ses solistes
: un concerto de et pour tous les instruments. Ceux de l'Orchestre de Paris, au
summum d'expressivité et d'opulence sonore tous pupitres confondus, le
démontrent à l'envi. Dès lors, le mystère de l'Introduzione,
l'humour du mouvement « giuoco delle
copie » et ses traits espiègles des bois par pair, la bouleversante
tristesse de l'Elegia, qui fait penser au « Lac
de larmes » du Château de Barbe-Bleue et sa profonde détresse, les
diverses facettes, ironique, nostalgique, tumultueuse, de l'Intermezzo, pris
lentement, ou les fulgurances du finale, course éperdue, avec ses cordes
arrachées et ses cuivres rutilants, subjuguent par une rare intensité. Une
exécution mémorable. Jean-Pierre
Robert. Pianoscope en beauvaisis
L'ultime journée du Xème Festival
Pianoscope de Beauvais présentait deux concerts
contrastés. Dans la belle grange de la Maladrerie Saint Lazare, Jean-Bernard
Pommier donnait un récital mêlant compositeurs et inspirations. Les deux
Polonaises op 26, Nos 1 & 2 de Chopin sonnent quelque peu littérales et
sans beaucoup de feu intérieur. Le Prélude et Fugue N° 24 de Chostakovitch,
ultime pièce de l'ensemble des 24 Préludes et fugues, composés en 1951
en hommage de à JS. Bach, déploie sous les doigts du pianiste français tous ses
sortilèges : aux grands accords en aplats de l'introduction succède une partie
centrale intériorisée puis une fugue éclatante. Cela sonne tour à tour
recueilli et grandiose. Suivaient deux sonates de Beethoven, dont Jean-Bernard
Pommier a récemment remis sur le métier l'intégrale au concert et au disque. La
Sonate N°5 en ut mineur op. 10 N° 1 se distingue par un jeu solidement
charpenté qui s'empare de l'allegro très articulé et du finale franc et véloce,
tout en ruptures. L'adagio molto médian découvre un monde intérieur d'un mélodisme apaisé. La Sonate N° 23 op. 57,
« Appassionata » est d'une autre trempe : Beethoven la tenait
« comme sa plus grande » selon Czerny. De ce torrent de passion,
Jean-Bernard Pommier offre une lecture d'une énergie irrépressible dans les
mouvements extrêmes : telle une bourrasque et ses déferlantes à l'allegro
assai, en forme de course haletante, vertigineuse, au finale, plus que
tourbillonnant. L'andante con moto procure un sentiment de libération, de par
sa haute inspiration. Du grand piano respectueusement applaudi par un auditoire
conquis.
Dans le moins confortable
Théâtre du Beauvaisis hors les murs - auquel les méchantes langues prédisent
« un provisoire qui va durer » - le directeur artistique du festival
Boris Berezovsky avait concocté un concert fleuve
façon pot pourri, sur le thème de l'âme slave. Ou de tout un peu... On commença
par des pièces de Borodine, remplaçant d'autres annoncées de Tchaikovki, que le pianiste russe renvoya au placard. De
jolies miniatures qui se savourent et dont l'une d'elles rappelle un thème bien
connu des danses polovtziennes du Prince Igor,
le célèbre opéra épique du compositeur.
Suivait le Divertimento pour violon et piano d'Igor Stravinsky, dont ne
furent donnés que des extraits, hélas. Cette pièce est une transcription de la
main de Stravinsky d'un numéro de son ballet Le Baiser de la fée créé en
1928 à l'Opéra de Paris. La référence,
l'hommage même, à Tchaikovski sont évidents à plus
d'un titre. Mais l'humour est aussi bien présent. Exécution irréprochable de Ivan Pochekin, Ier prix du
concours Paganini de Moscou 2005, et du maître de maison Berezovsky.
Plus tard, celui-ci et Henri Demarquette, deux vieux
amis, et partenaires de Brigitte Engerer, la
fondatrice du Festival, devaient donner la Sonate pour violoncelle et piano
op. 19 de Serge Rachmaninov. Écrite en 1901, elle est contemporaine du Deuxième
concerto pour piano. Elle fut créée à Moscou par le compositeur et Anatole Brandoukov au violoncelle, le dédicataire. On n'en donnait,
là encore, qu'un extrait, le premier mouvement, certes long, hyper romantique
et très virtuose pour les deux instruments. Demarquette
et Berezovsky connaissent cette pièce et en livrent
tout le panache et la verve. Mais on aurait bien aimé en entendre l'intégralité
! Le meilleur de cette première partie, on le dut à la chanteuse russe Yana Ivanilova dans un bouquet de
mélodies russes. Bien peu connue ici, cette soprano possède un timbre attachant
et un style racé. On passa de Moussorgsky à Glinka et
de Tchaïkovski à Dargomyzhsky. De ce dernier,
mélodiste réputé, on entendit avec ravissement deux pièces en forme de chansons
populaires. La seconde partie officielle du concert devait être consacrée à de
chœurs russes, orthodoxes et traditionnels, interprétés par l'ensemble Sirin. Un spectacle à géométrie variable, certes, mais un
peu trop morcelé pour maintenir le souffle. Jean-Pierre
Robert. La Vestale à La Monnaie Gaspare
SPONTINI : La Vestale. Tragédie lyrique en trois actes. Livret de Étienne de Jouy. Yann Beuron,
Alexandra Deshorties, Sylvie Brunet-Grupposo, Julien Dran, Jean Teitgen. Chœur de La Monnaie. Académie de chœur de La
Monnaie. Orchestre symphonique de La Monnaie, dir.
Alessandro De Marchi. Mise en scène : Éric Lacascade. La Monnaie au Cirque Royal.
Rarement
donnée, La Vestale de Spontini offre un bon exemple du style Empire en
musique, par ailleurs illustré par des compositeurs comme Méhul, Lesueur ou
Cherubini. Le napolitain Gaspare Spontini (1774-1851)
s'établit à Paris en 1800. La Vestale y sera créée en 1807. Elle
s'inscrit dans le cadre de la tragédie lyrique comme la concevait Gluck avec un
découpage musical strict en récitatifs et airs et ensembles. Le chœur y occupe
une place essentielle. La musique, admirée par Berlioz et Wagner, qui dirigera
l'opéra en 1844 à Dresde, amorce timidement le théâtre en musique préconisé par
ce dernier. Et l'orchestration annonce le romantisme même si contraint par la
simplicité de l'intrigue : une jeune prêtresse aime un général romain et trahit
son devoir de maintenir allumée la flamme sacrée de Vesta, ce pourquoi elle est
condamnée à mort ; seule une intervention divine empêche qu'elle soit exécutée.
D'où le ton nostalgique du discours qui ne donne pas dans la brillance
italienne. Plus que la magnificence, y est traitée le trouble de l'héroïne. Le
ton est tout sauf éclatant et même dans les finals des actes, l'aspect grand
spectacle est asservi à une certaine retenue. La présente production, initiée
en 2013 au Théâtre des Champs-Elysées, ajoute à cette impression d'austérité.
Homme de théâtre, Éric Lacascade, qui entrait alors
dans l'univers de l'opéra, réduit la pièce de Spontini à l'essentiel, non
seulement en gommant les passages de ballet, hormis le divertissement final,
mais surtout par une direction qui, pensée théâtrale, cherche à atténuer la
convention de l'expression chantée, ce que lui facilite la manière du
compositeur qui en particulier conçoit les airs selon un déroulement continu.
Il a retravaillé sa mise en scène pour
l'adapter au lieu bruxellois, le Cirque royal, où est donné l'opéra hors
les murs de La Monnaie. Confronté à la disposition en demi
cercle, façon théâtre antique d'Orange, ce qui ne messied pas en
l'occurrence, il investit la salle, c'est à dire le pourtour de l'orchestre,
lui-même disposé de plain-pied. Les choristes y défilent, les solistes en
parcourent l'espace, créant un sentiment de proximité avec le public. De
mouvement aussi dans une pièce où guette le statisme. Reste que la simplicité
de la trame n'autorise pas le grand effet et que l'essentiel se résout la
plupart du temps en confrontations entre les divers protagonistes, un peu au
large sur le vaste plateau. Le portrait de femme résolue affrontant sans
faiblir un destin de mort, pourtant porteur, est trop objectivé. L'interaction
entre salle et scène laissait pourtant augurer d'une régie imaginative, qui au
final n'en tire pas tous les bénéfices. L'environnement désespérément sombre
ajoute à un sentiment de désespérance pas toujours habité, qui n'est peuplé que
de quelques éléments décoratifs épars. L'acte le plus réussi restera le
deuxième avec sa panoplie de bougies censées démultiplier la flamme sacrée,
jusque parmi les musiciens de l'orchestre. Le chœur des prêtres, partisans,
haineux, voire violents, n'hésitant pas à malmener celle qu'ils considèrent
comme renégate et qu'on tente d'enfermer dans une citerne, est d'un impact
certain. Celui des prêtresses, elles aussi succombant à une rageuse furie, est
tout autant impressionnant.
Alors que de grands noms se
sont illustrés dans le rôle titre, en particulier Maria Callas à La Scala, en
1954 dans la régie de Visconti, La Monnaie l'a distribué à Alexandra Deshories. Le choix interroge car la chanteuse manque
cruellement de charisme et de présence vocale. Le medium est peu consistant et
la projection du français souffre d'une insuffisante clarté. Les choses
s'améliorent au III ème acte et apparait alors un
commencement de frisson tragique, si peu évident auparavant, en particulier
lors du grand air du deuxième. Yann Beuron, par
contre, se montre en Licinius un chantre du beau chant français : solidité,
facilité d'élocution, savant mélange d'héroïsme et de fin lyrisme. Sylvie
Brunet-Gupposo, la grande Prêtresse, offre ce timbre
large et sombre et un abattage scénique qui rappellent Rita Gorr,
une voix tant adulée ici. Jean Teitgen est un
Souverain pontife impressionnant par une basse fort sonore et les chœurs de
l'ONR se révèlent sûrement investis. Alessandro de Marchi,
qui aborde cette œuvre, lui apporte sa science de l'opéra baroque et sa
familiarité avec ceux de Gluck. Sa vision est raffinée et le rendu sonore
efficace alors qu'il a choisi le parti d'une disposition de l'orchestre à
l'ancienne, c'est à dire inversée, face à la scène, ce qui l'amène souvent à
diriger de dos lorsqu'il conduit ses chanteurs sur le plateau. De surcroit, il
en détache deux blocs, à droite et à gauche, des bois et des cuivres, ménageant
un bel effet de spatialisation. Outre qu'il n'est pas fréquent de
« voir » le travail du chef et son investissement à la fois dans la
trame symphonique et le soutien du chant, la dextérité avec laquelle il procède
et l'équilibre qu'il maintient sont admirables. L'Orchestre symphonique de La
Monnaie, nul doute enhardi par pareil effort de recherche, sonne très nuancé
dans une musique tout sauf gratifiante. Succès public. Jean-Pierre
Robert. Pénélope revient sur scène... enfin Gabriel FAURE : Pénélope. Poème
lyrique en trois actes. Livret de René Fauchois. Anna
Caterina Antonacci, Marc Laho,
Jean-Philippe Lafont, Elodie Méchain, Edwin Crossley-Mercer, Sarah Laulan, Kristina Bitenc, Rocio Pérez, Francesca Sorteni,
Lamia Beuque, Martial Defontaine,
Mark Arsdale, Arnaud Richard, Camille Tresmontant, Aline Gozlan, Zia G
rob. Chœurs de l'Opéra national du Rhin. Orchestre symphonique de Mulhouse, dir. Patrick Davin. Mise en scène
: Olivier Py. ONR à Strasbourg.
Cette production de Pénélope
est de l'ordre de l'évènement. On le doit à l'audace de l'Opéra national du
Rhin qui dame le pion à la capitale où l'opéra n'a plus été donné depuis des
lustres, mise à part une exécution de concert au Théâtre des Champs- Elysées
pour le centenaire, en 2013. L'opéra de Fauré, le seul après Prométhée,
un premier essai, est rare et comme l'observe le chef Patrick Davin, « se mérite ». Même au sein de la
production du compositeur, l'œuvre se démarque. Tout sauf épique, une musique
intérieure, de celles de sa dernière période créatrice. On peut objecter une
action dramatique réduite, où tout est connu d'emblée, une progression sans
rebondissement : l'attente d'un possible retour d'Ulysse, le retour de
celui-ci, la réunion du couple. La trame, centrée sur les deux protagonistes,
que soutiennent deux personnages adjacents, la servante Euriclée
et le berger Eumée, n'autorise que quelques
digressions comme celle de l'insistance impétueuse des prétendants au cœur de
la reine d'Ithaque. Tout cela fait peu au regard des canons opératiques
habituels. Fauré a composé son ouvrage à partir d'un texte proposé par René Fauchois, un jeune auteur à la mode, chantre du théâtre de
boulevard (Boudu sauvé des eaux), dont la langue pour élégante qu'elle
soit, n'est pas toujours des plus subtiles et de la plus haute inspiration.
Reste qu'à défaut de ressort psychologique très dessiné, la compassion qui sous
tend les personnages permet au musicien d'asseoir un discours musical intense.
« Avec Pénélope vous m'avez fait traduire de l'humanité, et de la plus
noble, et de la plus poignante » dira-t-il à son librettiste dans une
lettre du 13 avril 1921. Comment, dès lors, amener à la vie cette histoire en
trois actes ? S'inscrivant en faux contre l'étiquette d'anti-opéra, Olivier Py, fidèle à une manière éprouvée ailleurs, en particulier
pour Ariane et Barbe Bleue de Paul Dukas, monté ici même (cf. NL de
6/2015), prend le parti de l'animation scénique. D'abord par un dispositif
décoratif ingénieux que lui a confectionné le fidèle Pierre Weitz
: aux angles vifs et aux arrêtes saillantes souvent privilégiés par celui-ci,
on a substitué deux constructions concentriques déroulant des éléments faits de
façade ajourée de château, d'escaliers, de terrasses, etc. qui se transforment
au fil des événements. Ensuite par une direction d'acteurs qui semble faire un
sort à chaque personnage. Ainsi les six servantes, qui n'interviennent qu'à la
première scène de l'acte I, déploient-elles une activité fébrile, nettoyant le
sol, comme à la scène correspondante du début du Pelléas
et Mélisande de Maeterlinck. Les prétendants se livrent à des assauts en
règle défiant celle qui n'oppose que détachement à leurs railleries. Sa régie
est animée d'une volonté de lisibilité. Ainsi durant le prélude, Ulysse
hante-t-il les lieux. Il se grimera en mendiant, scellant le sort de son retour
incognito. En réintroduisant le personnage, absent du livret, de Télémaque, le
fils d'Ulysse et de Pénélope, Py augmente l'envergure
idéalisée du héros. On sait que dans L'Odyssée, Télémaque tient tête aux
prétendants et aide Ulysse, qu'il a recherché lors de son voyage à Pylos et à
Sparte, à les massacrer. Il figure ici la force du héros et sa jeunesse : c'est
lui, par exemple, qui passe l'arc aux candidats à la conquête du cœur de la
reine. Alors qu'il est fait choix d'un environnement sombre, Py joue sur des contrastes judicieux ombre-lumière, tel
l'immense voile blanc qui barre la largeur du plateau, symbolisant le linceul
que Pénélope confectionne le jour pour le défaire la nuit tombée, ou ce jeu
habilement monté d'illustration du récit d'Ulysse au 2ème acte, figuré sur un
petit théâtre avec figures de papiers blancs. On passe sur quelques tics (scène
de fornication appuyée, violence accentuée) pour saluer une empathie avec un
destin peu commun de femme accrochée à un idéal de fidélité, chargée d'une
inébranlable foi, comme sa consœur Ariane chez Paul Dukas ; quoique pour une
issue bien différente.
L'interprétation, remarquable,
se signale d'abord par la prestation du rôle titre. Anna Caterina
Antonacci se situe dans la lignée de ses illustres interprètes, Lucienne Bréval, Germain Lubin, puis Régine Crespin. Elle en possède
la solidité du chant en même temps que son extrême flexibilité : sa maîtrise de
la manière fauréenne de l'arioso, qui ressortit à une sorte de conversation en
musique, annonçant celui des Dialogues des Carmélites de Poulenc, si
différente de la langue debussyste, est admirable, comme la souveraine beauté
de la déclamation, idéalement projetée. Une solide force intérieure, une fière
présence, pétrie de compassion aussi, dessinent un personnage grandiose. Une
assomption rare dans une partie délicate comme sait en produire l'opéra
français, de Médée à Ariane. Marc Laho fait son
affaire de la dualité du rôle d'Ulysse, héroïque et d'une grande douceur, de
ses quintes aiguës redoutables et d'une ligne de chant lyrique. La diction est
là aussi un modèle de goût. Élodie Méchain, Euryclée, se place dans les pas des
grandes mezzos de la veine de Rita Gorr ou de Sylvie
Brunet. Jean-Philippe Lafont, de sa formidable
diction doublée d'une émission de stentor, mais si bien placée, ennoblit la
partie de l'humble berger Eumée. Des prétendants, on
détachera le rôle d'Eurymaque, auquel Edwin Crossley-Mercer prête un beau
timbre de baryton Martin digne de Pelléas. Ses
comparses forment une brochette pas moins intéressante. Tout comme les chœurs
de l'ONR. Le plus à louer dans cette affaire est, nul doute, le chef. Patrick Davin a déjà montré la maestria avec laquelle il défend
aussi bien les chefs d'œuvre du répertoire (Les pêcheurs de perles) ou
contemporains (La dispute de Benoit Mermier).
Le « mouvement musical ininterrompu » voulu par Fauré, la linéarité
du discours qui, à bien des égards, l'apparente au Parsifal
de Wagner, que Fauré admirait tant, et assure au texte une absolue
primauté, sont ménagés de mains d'expert. Comme la succession d'atmosphères à
travers des motifs récurrents, plus discrets et fugitifs que les Leitmotive
wagnériens. D'où, selon Davin encore, le
« caractère non dramatique et sacré de Pénélope ». Ce qu'on
croyait une faiblesse côté livret, se révèle somme toute un atout. L'Orchestre
symphonique de Mulhouse, dont Patrick Davin préside
aux destinées, donne le meilleur et on reste admiratif devant ce qu'il achève
en termes de cohésion et de couleurs. Une belle réussite!
Jean-Pierre
Robert. La résidence parisienne des Berliner en
territoires beethovéniens
Après leurs concerts à Berlin
(cf. NL de 11/2015), les Berliner Philharmoniker
et leur chef Simon Rattle entamaient leur tournée
européenne à la Philharmonie de Paris. Même si l'acoustique de la salle
parisienne est bien différente de celle de la Philharmonie berlinoise, on
ressent une vraie émotion à écouter cette phalange prestigieuse. Qui bien sûr
n'a plus à prouver, sauf à montrer combien l'achèvement est à nul autre pareil.
En termes de cohésion, d'aération des volumes et d'impact sonore. Il est
fascinant de le constater dans des pièces aussi connues que les symphonies de
Beethoven, encore que pierre angulaire du répertoire symphonique - peut-être
plus que d'autres séries de compositeurs comme Mahler ou Chostakovitch. La manière
de Simon Rattle, on l'a déjà remarqué, est loin de
tout académisme, d'une soi-disant tradition, qui à Berlin, historiquement,
renvoie à celle d'Herbert von Karajan, ou ailleurs et
actuellement à celle de Christian Thielemann. Une
certaine liberté de ton est ici de mise, quoique finalement moins marquée dans
la 5me ou même la 4eme, entendues lors de ces deux concerts parisiens. En tout
cas, une vision qui prend quelques aises avec ladite tradition, à notre sens
pour le meilleur. Le premier concert débutait par l'Ouverture Leonore I op.138, un choix surprenant car
cette pièce, de 1807, est bien différente des trois autres (Leonore
II, Leonore III, Fidelio)
que Beethoven a conçues autour des thèmes liés à son opéra Fidelio.
Moins puissamment tournée vers la vaillance, Leonore
I laboure en terres plus inédites dans sa première partie, une entame tout
en nuances débouchant sur un passage d'exposition plus fougueux, duquel va se
détacher soudain la mélodie associée à l'air de Florestan
au II ème acte de l'opéra. L'exécution est brillante
et habitée. La Deuxième Symphonie reçoit ensuite une exécution parée
d'allégresse, extrêmement fluide au con brio initial, énergique sans être
tranchée, puis d'un lyrisme serein au larghetto. Le scherzo, le premier du
genre chez Beethoven à remplacer le traditionnel menuetto
des symphonies classiques, est plein de verve. Rattle
déplace imperceptiblement les accents ce qui rend le phrasé plus aisé encore,
et enchaîne le trio. Quant au finale, il en souligne les effets de surprise
dans les oppositions de dynamique. On remarque les traits des violons joués
extrêmement fins et ppp. L'exécution brillantissime de la Cinquième
symphonie déchaînera un cri de joie du public. Il faut dire que sa
grandiose architecture, Rattle la façonne avec une
générosité sonore irrésistible : tempo rapide, presque véhément au premier
mouvement qui a rarement si bien porté sa marque « con brio ». Le
chef y travaille particulièrement le contrechant. L'andante a cette force
intérieure qui allie triomphal et méditatif. Les deux allegros qui suivent
débordent d'énergie, c'est peu de le dire, mais là encore dans une accentuation
tout sauf angulaire ou martiale. C'est que l'approche dansante du chef, déjà
relevée dans les autres exécutions berlinoises, adoucit le trait. C'est une
joie de voir cet orchestre fonctionner comme une Rolls et ses solistes
merveilleux (Michael Hasel, à la flûte, Egor Egorkin au fameux piccolo du dernier mouvement, Albrecht
Meyer au hautbois). L'autre concert juxtaposait les
Quatrième et Septième symphonies, dans des visions dionysiaques. On avoue
nourrir une secrète inclination pour la Quatrième symphonie que naguère
Karajan mettait souvent à ses programmes. Cette œuvre habitée de bonheur mais
aussi, à l'occasion, de mystère, reçoit ici une lecture décapante que la
perfection instrumentale rend proprement irrésistible, même si les tenants
d'une certaine tradition peuvent barguigner çà et là quelques pertes de
repères. Le contraste entre l'introduction adagio, empruntant un mystérieux cheminement,
et l'allegro dynamique est souligné, et le débordement dynamique qui s'empare
alors du discours procure un sentiment de plénitude. Dans l'adagio, Rattle installe une sérénité bienfaisante, que le
changement rythmique qui s'empare du discours, modifie insensiblement vers un
ostinato libéré. On admire au passage les volutes de la flûte, de la clarinette
et des bassons. De nouveau, l'approche quasi chorégraphique se signale. Du
scherzo, est distillée la petite musique agitée qu'interrompt par deux fois un
passage en trio où brillent les bois. Le finale retrouve son trop plein
d'énergie, traversé de coups de sabre. On aura remarqué combien le chef peut
s'attarder sur quelque détail, pianissimo de préférence. La Septième
Symphonie, parangon de rythmique, au point que Wagner l'a qualifiée
d'« apothéose de la danse », reçoit une interprétation grandiose que
forge une combinaison d'énergie libératrice imprégnant ses quatre mouvements et
d'extrême raffinement instrumental. Du vivace, qui s'est installé au sortir de
la lente introduction, Rattle magnifie la scansion,
comme fonçant vers un idéal de jubilation. L'allegretto, bâti pourtant sur un
rythme de marche funèbre, est éminemment dansant, sa mélancolie asservie à
quelque dire majestueux, son crescendo se développant en lames de fond des
cordes s'emboitant les unes dans les autres. Le scherzo offre une propulsion
irrésistible et le finale ''con brio'' est encore plus preste, euphorique. La
coda confine à l'ivresse, étourdissante telle que jouée par ce fabuleux
orchestre. Les derniers accords provoquent une immense clameur de joie de
l'auditoire, pourtant antérieurement pas si respectueux qu'on l'espérait de
l'assistance à un tel événement (applaudissements intempestifs, toux appuyées,
et même intervention d'un portable). Aurait-on seulement imaginé pareille
occurrence de la part d'un public berlinois ? Qu'importe, ces concerts sont la
preuve vivante d'un niveau d'excellence orchestrale inouï, qu'on ressent même
visuellement quant à l'extrême implication des musiciens. Jean-Pierre
Robert. Simon Rattle et les « Berliner » terminent leur intégrale des symphonies de
Beethoven dans la joie !
La Neuvième Symphonie de Beethoven
concluait tout naturellement la magnifique intégrale des symphonies donnée par
les Berliner Philharmoniker
dans la grande salle de la Philharmonie de Paris. Une œuvre grandiose dont la
composition obséda durant de longues années le maitre de Bonn puisque, dès ses
22 ans, Beethoven souhaita mettre en musique l'Hymne à la joie de Schiller et qu'il composa en 1808 la Fantaisie pour piano, chœurs et orchestre
qui est souvent considérée comme une étude préparatoire à la composition de la Neuvième Symphonie. Une louange à la
liberté, à l'amour et à la fraternité dans une étonnante synthèse des styles
symphoniques et vocaux réalisant une véritable œuvre musicale totale. Une œuvre
qui eut dès sa création en 1824 un immense succès, qui jamais ne se démentit,
au point d'inhiber l'activité symphonique de nombre de compositeurs ultérieurs
comme Brahms ou Mahler qui voyaient en elle un modèle insurpassable. Il faut
savoir que cette mythique symphonie et l'Orchestre Philharmonique de Berlin ont
une longue histoire commune. Pour l'exemple, Herbert von
Karajan en donna trois versions en concert et au disque en 1962, 1977 et 1985.
Son successeur à la tête de l'orchestre, Claudio Abbado, l'enregistra en 2000.
Si Karajan y développait l'opulence, si Abbado y entretenait une certaine
majesté préférant le sublime à l'émotion immédiate, Simon Rattle
y distille indiscutablement une humanité flagrante et assumée. Fluidité et
transparence de la narration, équilibre des masses sonores par une
sollicitation continue des seconds violons, sonorité caractéristique laissant
une large place aux cordes graves (à cet égard, l'entame pianissimo du thème de
l'Hymne à la joie au début du
quatrième mouvement fut un moment d'une intense émotion), justesse et présence
phénoménales des différents pupitres (des contrebasses à se pâmer !),
cohésion et réactivité de l'ensemble, mise en place au cordeau et précision
chirurgicale des entrées, font assurément de cet orchestre une phalange
d'exception pour une œuvre d'exception. Simon Rattle,
malgré l'enjeu, évite ici, toute grandiloquence, conduisant son discours avec
détermination, dynamisme et pertinence dans la progression, faisant s'enchaîner
les quatre mouvements sans titanisme caricatural. Après un premier mouvement
dramatique et mystérieux, un second dansant et haletant, un troisième intimiste
et chambriste, le finale conclut sur une incandescence orchestrale et vocale de
haute volée : Rundfunkchor Berlin, et les solistes
Annette Dasch, Eva Vogel, Christian Elsner et Franz-Joseph Selig
remplaçant Dimitri Ivascenko initialement prévu. Une
belle façon pour Simon Rattle de montrer l'achèvement
artistique réalisé durant son mandat à Berlin lorsqu'il laissera la baguette de
l'Orchestre en 2018 au non moins talentueux Kyrill Petrenko. Encore une nouvelle étape en perspective pour les
Berliner…. Patrice Imbaud. Deux clavecins, un virginal chez Terpsichore
« Virginalistes
à trois », tel est le titre donné au concert du Festival Terpsichore de ce
samedi ensoleillé de novembre. Dans la magnifique salle Erard, rue du MaiI, au sein du quartier parisien du Sentier, Skip Sempé
avait convié ses amis Pierre Hantaï et Olivier Fortin, lui-même jouant un
virginal de sa collection, et les deux autres musiciens, d'une part, un
clavecin allemand d'après un modèle de 1705 (Pierre Hantaï), et un clavecin
français d'après Vaudry, Paris 1681, ayant appartenu
à Gustav Leonhardt (Olivier Fortin). Ce trio nullement improbable nous a offert
un florilège de pièces pour clavier du XVII ème
anglais. Trois groupes composaient le programme, joué au demeurant sans autre
interruption que celle des applaudissements, ce qui pour favoriser la
cohérence, n'aide pas toujours à l'accessibilité. Mais le public nombreux,
connaissait son affaire et ne s'en offusqua point. L'art du clavier a connu en
Angleterre un vrai âge d'or au XVII ème avec des
compositeurs comme William Byrd, puis John Bull, Anthony Holborne,
Peter Philips ou Thomas Morley. Et même John Dowland qui écrira également pour
l'instrument. Celui-ci s'appelle alors virginal, ancêtre du clavecin tel que
nous le connaissons et qui se développera au siècle suivant. Il comporte un
seul clavier et son coffre est de forme rectangulaire reposant sur un piétement
à balustrade. On le dit d'origine flamande. Sa sonorité est encore plus
cristalline que celle du clavecin. Du premier bouquet de pièces, introduit par
la « Lachrimae Pavan »
de Dowland et Morley, aux trois instruments, on détachera la vaillante « Galliard » de Byrd ou la pièce intitulée « The
Image of Melancholy » de Holborne,
d'une belle introspection que contraste la suivante « The Night
Watch » fort scandée, et le triomphal finale à trois dit « La force
d'Hercole » (sic), dans laquelle les trois
interprètes donnent une leçon de jeu vif et aiguisé. La pièce de Thomas Morley
qui ouvre la seconde partie, « The Frog Galliard » (la gaillarde de la grenouille) sonne quasi
orchestral et on note qu'un de deux clavecin fait office de cinquième main. Un
trait ironique sans doute... Plus tard, une autre gaillarde, de Byrd cette
fois, sera fort enlevée. Illustrant ce fait que l'écriture pour le virginal au
XVII ème en Angleterre se plait à se développer sur
le terrain de la danse, qu'elle soit grave (telle que la pavane
) ou plutôt vive (comme la gaillarde). A moins qu'elle ne s'applique à
investiguer le schéma de la variation, comme en témoigne une des pièces jouées
ici, « Alman for two virginals » de Giles Farnaby.
L'ultime morceau de cette partie de programme « My
Lord of Oxenford' Maske »
apporte une conclusion brillante, sur le versant théâtral. La dernière, riche
de dix items, est entamée par une pièce de John Bull et se poursuit à travers
d'autres fort contrastées de Thomas Tomkins (« A
Fancy for two to play », sorte de plaisanterie musicale, à deux
clavecins), ou d'une polonaise bien marquée de Giovanni Picchi,
« Ballo alla Polacha »,
seul italien choisi dans cette démonstration britannique, ou de la gracieuse
« Pavan » de Byrd, ou encore de
l'entraînante « Captaine Digorie
Pipers Galliard »,
avant de s'achever en apothéose sur trois morceaux anonymes. La décision de
Skip Sempé et de ses deux amis d'interpréter toutes ces pièces sans solution de
continuité en les associant, au fil de
transitions agissant soit dans la continuité harmonique ou au contraire
en complet contraste, s'avère payante. On se laisse vite entraîner par le flux
du discours, d'autant que gagné des les premiers moments par la souveraine ''artistry'' des trois musiciens. Fêtés, ils satisferont à la
tradition bien agréable des ''encore''. Jean-Pierre
Robert. Hommage à Claudio Abbado : l'Orchestre du Festival de Lucerne
©Georg Anderhub Concert à la fois émouvant et
festif que cette venue à Paris de l'Orchestre du Festival de Lucerne dirigé par
Andris Nelsons, étape d'une
tournée européenne qui devait encore les conduire à Luxembourg, Madrid et
Vienne. Emouvant, car le concert était
en hommage à Claudio Abbado, fondateur de l'orchestre en 2003, qui donna
de si mémorables soirées à Lucerne et l'espace de quelques rares visites à
l'étranger. Festif puisqu'une star du piano, Martha Argerich,
prêtait son concours, jouant une pièce emblématique de la collaboration
artistique avec Abbado, s'agissant du Concerto N° 3 de Serge Prokofiev. Ils
l'avaient joué durant leur premier concert parisien en 1969, peu après leur
enregistrement audio pour Deutsche Grammophon, un
disque de référence, de légende. Aussi parce que ce premier des deux concerts à
la Philharmonie de Paris était organisé au bénéfice de l'Institut Curie, dont
le président souligna, dans ses quelques mots d'introduction, combien cette
institution était engagée pour propager la vie, et comment mieux en
l'occurrence que par la thérapie de la musique. Serge Prokofiev a écrit son Troisième
Concerto op. 26 en France, en 1921. C'est un de ses plus brillants, un vrai
feu d'artifice de la première à la dernière note! Argerich
en livre une exécution scintillante survolant comme jamais ce mélange si
original de lyrisme et de dynamisme par un jeu incisif à l'allegro, joliment
percussif, d'une pulsation qui semble ne pas devoir trouver de limite, depuis
l'entrée fracassante du piano jusqu'aux ultimes déferlements. La partie médiane
du mouvement montre une transparence qui va imprégner la suite de cette
interprétation, magnifiquement accompagnée par Andris
Nelsons, même si un peu étudiée dès l'abord. L'antino con variazioni montre ce que Francis Poulenc disait du jeu
de son ami Prokoviev, « un jeu au ras du
clavier », presque volatile ici. Et un bel équilibre alors que les bois
tissent une broderie envoûtante. La diversité rythmique du finale, allegro ma non troppo, procure le
sentiment d'une mécanique parfaitement huilée, scintillante à l'orchestre,
entraîné par pareille maestria. Une exécution sans doute différente de celle
plus apollinienne, du partenariat avec Abbado, il y a quelques 46 ans... pas
moins irrésistible par sa spontanéité.
Venait ensuite la Cinquième
Symphonie de Mahler. Un monument s'il en est, challenge autant pour le chef
que pour ses musiciens. Disons-le sans ambages : les jeunes de l'Orchestre du
Festival de Lucerne se sont donnés au maximum, et l'hommage à leur défunt chef
assumé avec une maestria enviable. Surtout quelques jours après la performance
des Berliner Philharmoniker
en ce même lieu. La Cinquième marque chez Mahler l'aube d'un style nouveau dans
le domaine symphonique. Sa construction en cinq mouvements répartis en trois
grandes parties, dénote une vaste trajectoire ascendante qui, partant d'une
marche funèbre, s'élance peu à peu vers une victoire, celle de l'humain, mais
au prix de bien de convulsions, de luttes et d'intenses tensions, entrecoupées
de plages de répit. Andris Nelsons
prend ces pages à bras le corps et se dépense sans compter dans la forêt de
détails que recèle l'œuvre. Sa direction, très physique, qui tranche singulièrement avec celle si épurée
du maestro Abbado, rappelle plutôt celle de Lenny Bernstein, sautillant sur le
podium, parant sa battue de gestes anguleux, mais aussi très dansante. Le
premier mouvement, après le fameux solo de trompette, s'ouvre par un tutti
proprement cataclysmique. On s'interroge alors sur la suite et redoute le
risque d'un jeu exagérément ''forte''. Ces craintes sont vite balayées car le
chant élégiaque qui suit est justement pacifié et les divers épisodes souvent
insolites du développement ménagés avec doigté, avec ses ruptures, ses rythmes
syncopés. La morceau a grande allure. Il en va de même
du mouvement suivant, marqué « tempétueux et véhément », prolongement
du précédent : ses méandres, et ce qui peut apparaître comme un morcellement,
sont là aussi menés à travers ses divers épisodes pour reconstituer les
morceaux d'un gigantesque puzzle. On admire combien ces phrases s'emboitent les
unes dans les autres, grâce à l'extraordinaire flexibilité de l'orchestre quels
que soient les pupitres concernés. Du scherzo, qui forme à lui seul la deuxième
partie de la symphonie, Nelsons drive la formidable
vitalité, le mordant aussi, ces éléments de valse qui se fait et se déforme, où
soudain affleure quelque phase de rêve éveillé, permettant de reprendre
haleine. Voilà une vision admirable que là encore les musiciens transcendent
par un jeu plus qu'engagé. Vient l'adagietto, pris
assez lent, très concentré dans sa
modulation, ''soniquement'' prodigieux, et pas
si pacifié qu'on le croit. Les volutes des cordes sont proprement irrésistibles
et les interventions de la harpe pure poésie. Le public retient son souffle,
sans doute envoûté par pareille démonstration musicale et rivé aux souvenirs
filmiques que connote désormais cette page célébrissime. Le rondo final
marquera le juste couronnement de cette interprétation pensée et exécutée avec
brio, à la fois plénitude et exubérance au fil d'une course folle, les
interventions étourdissantes des vents conduisant à une apothéose signant une
vraie joie de vivre. Un geste sonore grandiosement
restitué par l'acoustique généreuse de l'auditorium de la Philharmonie de
Paris. Relief et puissance, sublimant ses propres excès, dialectique
complexité-clarté, crânement assumée, signalent l'interprétation d'Andris Nelsons. Et une phalange
merveilleusement en phase dans toutes ses composantes. S'il est un groupe à
distinguer peut-être plus que les autres, ce seraient les violoncelles, emmenés
par Clemens Hagen, le celliste du Quatuor du même nom, et un département, celui
des cuivres, d'une sûreté ébahissante de jeu. Jean-Pierre
Robert. Cycle Beethoven & Bartók par Daniele Gatti
et le « National »
Après son intégrale des symphonies réalisée
avec ce même orchestre lors de la saison 2012-2013 et pour sa dernière année à
la tête de l'Orchestre National - il rejoindra le Concertgebouw
d'Amsterdam en 2016 - le chef milanais remettait une fois de plus son Beethoven
sur le métier. Beethoven encore, comme une obsession commune à beaucoup de
grands chefs (Rattle et les « Berliner » très récemment à la Philharmonie de Paris)
en association, cette fois, avec des œuvres de Bela
Bartók. Un rapprochement
pour le seul plaisir de la confrontation musicale et de l'écoute, ne semblant
pas justifié par d'autres raisons plus musicologiques, tant ces deux
personnalités apparaissent comme différentes. Beethoven (1770-1827) Titan de
l'histoire de la musique et Bartók
(1881-1945) figure dominante de la musique du XXe siècle de par son originalité
formelle et harmonique. Un des sommets de ce cycle étant probablement, le
programme de ce soir associant le Concerto
pour violon n°1 de Barók, l'Ouverture de Leonore III et la Symphonie n° 5 de Beethoven. Une
espérance et une attente qui ne seront pas déçues tant fut séduisante la belle
prestation du « National ». On pourrait, peut-être, regretter un
certain manque de lisibilité et une certaine retenue des violons, entraînant un
déséquilibre des masses sonores, dans l'Ouverture
de Leonore III (1806) version la plus longue des
quatre versions écrites par Beethoven pour son unique opéra Fidelio, mais la sublime interprétation
du Concerto n° 1 de Bartók, qui lui fit suite, par la violoniste
Janine Jansen nous fit rapidement oublier cette légère déception. Car rarement
violoniste ne dégagea un pareil charme
humain et musical. Composé en 1906, ce concerto dédié à la violoniste Stefi Geyer dont Bartók
était amoureux, resta longtemps méconnu, non publié du fait de la rupture avec
la violoniste. Resté inachevé (il ne comporte que deux mouvements) il ne sera
créé qu'en 1958, après la mort du compositeur. Usant d'un magnifique legato et
de l'exceptionnelle sonorité de son Stradivarius « Baron Deurbroucq » de 1727, Janine Jansen fit chanter son
violon tout au long du premier mouvement dans un chant élégiaque d'une sublime
beauté, avant d'entamer le deuxième virtuose où le violon crie et hurle dans un
dialogue très serré avec l'orchestre. La Symphonie
n° 5 (1808) de Beethoven constituait la seconde partie de concert. Menée de
main de maître, dans des tempi judicieusement choisis, parfaitement en place,
soucieux de tous les détails de l'orchestration, suivant une ligne
particulièrement expressive et dynamique, Daniele
Gatti en donna une exécution lumineuse, éloquente et puissante. Du « pur
Beethoven » comme disait Berlioz. Bravo ! Patrice Imbaud. Myung-Whun Chung, le « Philhar »
et Mahler : L'éternel retour !
Le public s'était déplacé en nombre au
grand auditorium de Radio France pour écouter cette Symphonie n° 6 dite « Tragique » de Gustav Mahler. Une
symphonie qui avait valeur d'évènement car dirigée par le chef coréen, ancien
directeur musical du « Philhar » qu'il
retrouvait pour l'occasion en tant que chef honoraire. Un concert très attendu
qui aurait pu avoir comme sous titre « Myung-Whun Chung ou l'éternel retour ». Éternel retour du
fait des retrouvailles avec son ancien orchestre, éternel retour du fait du
programme car on se souvient d'une intégrale contestée des symphonies de Mahler
donnée il y a une dizaine d'années au Théâtre des Champs Elysées, et éternel
retour comme une réminiscence nietzschéenne. Chung dont on connait les
affinités pour le compositeur de Bohême ne cessant, depuis des années, de
remettre l'ouvrage mahlérien sur le métier. Ce soir, la difficile Symphonie n° 6 dite Tragique. Une œuvre composée entre 1903 et 1904, créée à Essen en
1906 sous la direction du compositeur, faisant partie de la trilogie
instrumentale médiane des symphonies de Mahler (avec la 5e et 7e).
Une œuvre ambiguë, mal comprise du public et des musicologues, une symphonie
« qui finit mal » d'après Adorno, mais qui,
ces dernières années, semble avoir bénéficié d'un nouvel éclairage ouvrant
d'autres perspectives d'interprétation. Avec
la Sixième Symphonie, le monde, dont on sentait la fragilité dans la symphonie
précédente, sombre pour un temps dans le désespoir et le néant, bien
qu'apparemment rien, dans la vie de Mahler à cette époque, n'explique de façon
évidente cette propension au tragique. Nous retiendrons, dans un premier temps,
l'explication de Henry-Louis de La Grange : « Il est probable que tout créateur emprunte un jour cette voie de
ténèbres pour découvrir dans les œuvres suivantes d'autres chemins menant à de
tout autres issues. La noirceur de la sixième était une étape indispensable à
son évolution. Elle allait le conduire à l'optimisme rayonnant de la huitième
et plus tard le mener tout naturellement vers les horizons bleutés, vers cette
perspective lumineuse, qui à la fin du « Chant de la terre » ouvre
sur l'éternité ». Elle comprend quatre mouvements : le premier,
Allegro, où sur un rythme de marche, nous assistons à l'écroulement de ce monde
précédemment construit dans les autres symphonies, et le thème d'Alma n'est pas
là pour nous rassurer car immédiatement suivi de l'inquiétant Scherzo, musique
de cauchemar, vision lugubre où s'agitent des marionnette
d'apocalypse dans une véritable danse des morts. Seul, l'Andante nous laisse
encore un court espoir d'échapper au chaos primordial, illustré par le
gigantesque Finale et les deux (ou trois) coups de marteau du destin. « Tout est mal qui finit mal » (Adorno).
Une autre interprétation, plus récente, parait toutefois plus plausible :
en effet, Mahler connaissait bien les écrits de Nietzsche et le terme
« tragique » serait à prendre dans le sens de son rattachement à la
tragédie grecque. La symphonie revêt, alors, un tout autre éclairage, car après
l'exposé de toutes les forces du destin, la musique comme la tragédie, par son
effet cathartique, permet de retrouver force et courage pour dire « oui à la vie ». Si cette
explication était la bonne, cela permettrait d'expliquer certains aspects
déroutants de l'œuvre, notamment ce mélange caractéristique de désespoir, de
lutte, d'énergie et de passion où le héros meurt debout. Aussi douloureuses que
puissent être les émotions qu'elle véhicule, il existe indéniablement quelque
chose d'excitant, d'exaltant, comme un sentiment d'espoir parcourant la
symphonie, une sorte d' « éternel
retour de la vie », cher à Nietzsche. Mahler apparait, alors, comme
l'artiste capable de la « conquête
du terrible », ce qui parait plus conforme à sa quête artistique. Il semble bien que Myung-Whun Chung se soit inspiré d'une telle interprétation,
mettant en avant, dans sa lecture de la partition, la lutte des forces de vie
face au destin et la dualité entre Apollon et Dionysos. Comme à son habitude le
chef coréen dirigea sans partition, une direction très intériorisée conduisant
le « Philhar » sur des sommets, dans une
interprétation parfaitement juste dans l'esprit comme dans la note, recueillant
une totale adhésion de l'ensemble de la phalange pour une prestation qui
restera assurément dans les mémoires, s'attachant à tous les détails de
l'orchestration, soucieuse des équilibres et des timbres. Un premier mouvement
scandé par les cordes graves sur un rythme de marche funèbre, une déploration
dans laquelle émergent les cris rutilants et plaintifs de la petite harmonie
comme les restes d'une humanité qui refuserait de s'éteindre, une dualité très
explicite entre la vie et la mort se concluant sur un appel véhément à la vie.
Un second mouvement à la fois enlevé et bancal, ambigu, tout à fait
caractéristique des scherzos mahlériens où la musique s'efface pour laisser
place au silence. Un troisième mouvement poignant jusqu'à la douleur, dans un
sublime dialogue entre vents et cordes, évoluant par vagues dans un crescendo
orchestral se terminant sur une note pincée des violoncelles. Un quatrième et
dernier mouvement grandiose s'ouvrant sur une attente, un sentiment d'urgence
avant que l'orchestre ne reprenne une progression pleine d'allant, véritablement dionysiaque où les coups de
marteau nous rappellent la présence, en filigrane, du destin qui guette,
laissant planer un doute sur l'issue du combat qui ne trouvera sa résolution
que dans les dernières symphonies (8e et 9e). En bref,
une interprétation pertinente et une réalisation musicale hors du commun. Bravo
! Patrice Imbaud. Fascinant parcours musical
et littéraire
Ce premier vendredi de novembre, salle Cortot, Corinne Kloska et Brigitte Fossey
proposent à l'occasion de la sortie du disque "Correspondances" chez
Soupir Éditions, un parcours musical et littéraire : de Chopin à Ravel, en
passant par Scriabine, "le Chopin du XXème siècle". En smoking noir,
col cassé comme le costume de dandy que portait Scriabine, Brigitte Fossey est apparue sur la scène accompagnant Corinne Kloska, grande et belle femme. Brigitte avec une élocution
parfaite dit un texte de Heine, « Portrait de Chopin ». Suivent deux
Mazurkas, une de Chopin et une de Scriabine, qui se ressemblent étonnamment.
Puis Brigitte dit un texte de Scriabine sur Chopin. Il faut être une immense
comédienne pour donner vie aux trois extraits assez abscons de l'Acte Préalable, de Scriabine qui vont
suivre : le
premier qu'entourent deux Préludes de l'opus 8, les N° 2 et N° 5 de celui-ci ;
le deuxième qui suit deux autres Mazurkas de Chopin ; ou encore celui qui
conclut trois pièces de deux compositeurs, l'Étude op 42 N°5, la Mazurka op. 3
N°7 de Scriabine, et la Mazurka op. 68 N°4 de Chopin. Corinne Kloska avec fougue a continué en musique à jouer ces pièces
de Scriabine et de Chopin. On est pris par ce spectacle musical, tant par la
musique que par les morceaux choisis : la poésie s'installe et l'on est
totalement happé par le concert. Après l'entracte c'est le triptyque Gaspard de la Nuit de Maurice Ravel qui
accompagne, ou l'inverse, les trois poèmes de Aloysius
Bertrand (1807-1841), l'œuvre de sa vie, et publiés à titre posthume en 1842.
Brigitte Fossey est tantôt Ondine, tantôt l'homme,
tantôt Scarbo. Avec sûreté, Corinne Kloska se joue des difficultés accumulées par Ravel dans
ces pièces. Cette première est un succès. Ces deux belles dames nous ont donné
une magnifique et originale soirée de pure poésie. On peut retrouver ce
programme dans le disque édité par Soupir Editions
(« Correspondances ». Ravel, Scriabine, Chopin. S233).
Mais il faut surtout aller voir, écouter, Corinne Kloska
et Brigitte Fossey et sentir cette énergie qu'elles
dégagent sur scène. Stéphane Loison.
DR
Selim Mazari aux Pianissimes
Ancien élève de
Brigitte Engerer et de Claire Désert, Révélation
Classique de l'ADAMI 2012, soutenu par la fondation Safran, Selim Mazari a
récolté quelques prix qui lui ont permis de jouer dans plusieurs festivals,
mais il continue à se perfectionner auprès d'Avedis Kouyoumdjian à Vienne. Le programme du concert de ce
pianiste au Couvent des Recollets, était éclectique,
d'une grande difficulté et pour le moins original. Il est toujours délicat,
face à des œuvres très connues, de porter un jugement sur le parti-pris d'un
artiste en direct. On a dans l'oreille, par exemple, pour le Livre II des Images
de Debussy des interprétations qui vont de Walter Gieseking à
Pierre-Laurent Aimard en passant par Michelangeli ou Jacques Février et bien d'autres, toutes
aussi différentes et intéressantes. Alors Selim Mazari,
comment les joue-t-il ? La seule chose que je peux dire c'est que j'y ai trouvé
beaucoup de tristesse, des lenteurs évanescentes, un peu d'afféterie. Mais
après tout, ce soir-là, c'était ainsi. Demain, il les jouera sûrement
différemment. A son âge, il a toute la vie pour trouver la couleur qui leur ou
lui convient. La Sonate en la bémol majeur Hob XVI : 46 de Haydn était un bain de jouvence : on
joue les notes sans chercher à trop en faire, avec une certaine idée du bonheur
et c'est en place. Selim Mazari a
la technique, ce n'est pas un problème. Avec les Variations sérieuses
op. 54 de Mendelssohn il était aussi totalement à son affaire. Le Tombeau de
Couperin de Ravel est une œuvre d'une extrême complexité. On ne peut pas
dire que toutes les parties étaient réussies mais il s'en est sorti avec
panache. Il est jeune, il a le temps d'approfondir ces
œuvres, il a le bagage pour y arriver. Son récital était attrayant et il nous a
fait passer une agréable soirée, mais, hélas, nous n'avons pas eu le temps de
l'apprécier. Stéphane Loison. ***
L'ÉDITION MUSICALE
Peter
VIZARD : Á la venue de Noël. Mélodies populaires pour chœur mixte
et/ou instruments. Facile. Chanteloup musique :
CMP015. Cet ouvrage est d'abord
écrit pour chœur mais se prête à de nombreuses combinaisons à géométrie
variable. On y trouve les noëls traditionnels français, allemands et anglais
les plus connus délicatement harmonisés de façon à la fois classique et pour
certains, originale. On notera en particulier l'effet de cloches de
l'harmonisation d' « Il est né le divin enfant ». Il s'agit donc
d'un recueil qui pourra rendre de grands services aussi bien pour les chorales
que pour les ensembles instrumentaux de conservatoire. Bruno
ROSSIGNOL : Dona nobis
pacem pour
chœur mixte SATB a cappella. Delatour : DLT2471. Bruno Rossignol enrichit
ses œuvres religieuses pour chœur de ce motet qui prend pour support la
dernière phrase de l' « Agnus Dei » de la messe : Dona nobis pacem, Donne
nous la paix. La phrase est répétée, comme pour une longue méditation
qui en ferait ressortir différents aspects. Le tout est quasiment
homorythmique. Tout est dans les subtilités harmoniques et dans l'expressivité
des nuances et des accents. Il n'y a pas de grande difficulté technique, mais
la beauté de la pièce ne s'exprimera vraiment – mais est-ce une surprise ?
– que dans la perfection de son exécution. Giuseppe
VERDI : Ave Maria. Arrangement de Jean-Christophe Rosaz pour soprano solo et chœur SATB a capella. Assez
facile. Delatour : DLT2503. Cet air de Desdémone, tiré de l'Otello, n'a en fait de facile que l'apparence. Certes, l'ensemble est
pleinement consonnant et ce n'est pas par les harmonies qu'il déconcertera les
chœurs. Mais, outre qu'il y faudra une soliste de premier plan (Maria Callas
s'est illustrée dans cet Ave Maria…),
il faudra aussi que le chœur fasse preuve de grandes qualités vocales pour
conserver la justesse y compris dans les lentes finales au la bémol aigu
chantées pianissimo. Ceci dit, le résultat est certainement très intéressant.
J.-C. Rosaz nous dit qu'il a voulu habiller ce qui
était un tapis de cordes de la « chair » d'un chœur qui reprend les
paroles de la soliste. Sur le conducteur figure une réduction clavier qu'il ne
faudrait pas utiliser au piano. Mais peut-être qu'elle pourrait servir pour un
orgue avec des fonds doux. C'est à essayer… ORGUE Johan-Sebastian BACH : Trois
mouvements extraits des sonates et partitas transcrits pour orgue par Natacha Casagrande.
Chanteloup-musique : CMP028. On peut discuter à perte
de vue de l'opportunité et de la pertinence de telles transcriptions. Quoi
qu'il en soit, il faut reconnaître la fidélité de celles-ci et le soin qui y a
été apporté. Il s'agit de l'Adagio de la Première
sonate BWV 1001 pour violon seul, de l'Andante de la Deuxième
sonate BWV 1003 et du Largo de la
Troisième sonate BWV 1005. On aurait mauvaise grâce à ne
pas reconnaître l'intérêt de ces transcriptions et leur qualité. Bach lui-même
n'a-t-il d'ailleurs pas souvent donné l'exemple, que ce soit pour Vivaldi ou
pour certaines de ses propres œuvres ? Valéry
AUBERTIN :Troisième sonate. Deuxième livre d'orgue. Chanteloup musique : CMP031. Trois grandes parties dans
cette œuvre : I – Chant général. II – Sonate sur le passage de la nuit.
III Toccata. La « sonate sur le passage de la nuit se subdivise elle-même
en trois parties : 1 – Nuit, 2 – Aube – 3 – Micro sonate subdivisée
elle-même en trois micro mouvements. L'ensemble est présenté par l'auteur de façon détaillée
avec les conseils de registration qui s'impose car l'œuvre repose
essentiellement sur les ambiances de couleurs sonores. Il faudra donc, pour lui
rendre justice, disposer d'un instrument capable de traduire toutes ces nuances
de couleurs exprimées, bien sûr, par la structure rythmique, mais surtout par
le chatoiement des divers timbres.
Nacho RIBAS TALENS : Pasacalle glosado pour grand orgue. Chanteloup
musique : CMP019. Cette pièce a été écrite
en 2011 par cet organiste et compositeur
espagnol pour le tricentenaire de la mort de Juan Bautista Cabanilles.
L'œuvre se compose d'un thème et de vingt-quatre variations qui revisitent la
structure de la Passacaille. Les indications de registration sont très précises
tout en laissant une grande liberté d'interprétation à l'organiste en fonction
de l'instrument dont il dispose. Il y faudra de toute façon un instrument riche
en timbres. Il faudra également se remettre dans l'oreille la facture si
particulière des orgues espagnols… Archangelo CORELLI : Concerto grosso op. 6 n°8 pour la nuit de Noël. Transcription pour grand orgue de Georges
Bessonnet. Delatour :
DLT1736. Beaucoup d'organistes
seront certainement très heureux de pouvoir mettre à leur répertoire cette très
agréable transcription de ce célèbre concerto de Corelli. Deux claviers
pédalier peuvent suffire. Un troisième clavier de gâchera rien… La
transcription joue sur les différents plans sonores existant déjà dans l'œuvre
orchestrale mais qui sont ici encore davantage mis en valeur par une
régistration subtile. Bien sûr, un instrument baroque rendra au mieux les
couleurs de cette œuvre, mais il serait dommage de s'en priver si on dispose
d'un autre instrument ! Cette transcription est en tout cas une excellente
idée remarquablement réalisée. Gabriel
FAURÉ : Requiem. Arrangement pour orgue de Christina Harmon. Delatour : DLT2529. Beaucoup d'organistes
n'ont pas attendu cette transcription pour mettre à leur répertoire telle ou
telle partie du célèbre Requiem. Mais
rendons grâce à Christina Harmon de nous en donner
ici une transcription intégrale, tout à fait respectueuse du style de l'œuvre.
Bien sûr, il faudra parfois adapter : tout le monde ne dispose pas
forcément d'une flûte de 4' au pédalier pour jouer la mélodie de
l' « In paradisum », mais les
organistes sont habitués à résoudre ce genre de problème… L'ensemble est, en
tout cas, tout à fait convaincant et rendra, comme le souhaite l'éditeur, grand
service aux organistes liturgiques. Félix
MOREAU : Petite suite
liturgique pour orgue sans pédale.
Assez facile. Delatour : DLT2546. Sans pédale, certes mais
avec au moins deux claviers et plutôt trois… L'auteur présente ainsi son œuvre
écrite à la demande de ses élèves : « Je me suis efforcé d'écrire
pour orgue 7 versets ou interludes brefs, sans pédale et dans le style tonal et
atonal ». Si les titres sont classiques et rappellent les recueils de
Franck, le style est tout à fait personnel. Ces pièces, qui font entre
cinquante secondes et deux minutes, sont effectivement d'usage liturgique. On
appréciera tout spécialement la « Monodie », sur le « Christus factus est… », l'un des
chefs-d'œuvre du chant grégorien. PIANO Michel
LE COZ : Pour bien commencer le
piano. Lemoine : 29177 H.L. Si la méthode en elle-même
n'a rien de révolutionnaire (mais ce n'est pas une critique !), elle a le
mérite d'une grande clarté et d'une grande progressivité. La progression se
fait surtout par l'interprétation de morceaux soigneusement adaptés par
l'auteur : la musique est toujours présente. On appréciera également que
l'auteur ait réalisé sur YouTube une chaine où on
retrouvera en vidéo tous les morceaux et
exercices. Cette réalisation tout à fait soignée est un élément déterminant de
la méthode. Louis-Noël
BELAUBRE : 12ème
Sonate pour piano. Assez difficile. Delatour : DLT1700. Cette sonate est la
dernière d'un cycle de douze. Elle est composée de trois parties
enchainées : - 1° Une introduction et un mouvement modéré, - 2° Un
scherzo, - 3° Un récitatif enchaîné à une ariette avec variations. On pourra
lire sur le site de l'éditeur l'ensemble de la présentation faite de son œuvre
par l'auteur. Cet op. 96 est dédié à Nicolas Bacri.
C'est une œuvre contrastée, en deux climats successifs, le premier assez
dramatique, le second plus apaisé. Louis-Noël
BELAUBRE : 13ème
Sonate pour piano. Assez difficile. Delatour : DLT2282. 14ème Sonate pour
piano. Delatour : DLT2283. Si nous avons regroupé ces
deux sonates, c'est qu'elles forment en quelque sorte les deux termes d'un même
projet. Laissons la parole à l'auteur : « Cette sonate et la sonate 14 ont
été composées en Janvier 2011 en réponse à une suggestion de mon ami Nicolas Bacri. Celui-ci, intéressé par la présentation de mes douze
premières sonates réalisée par les musicologues Philippe Malhaire,
Ludovic Florin, Lionel Pons et Mireille Tendero et parue aux éditions Delatour, opuscule dans lequel je proposais ma
définition de la sonate, me proposa d'écrire deux sonates très différenciées,
l'une de coupe très classique, l'autre d'allure très libre. » Ce sont donc
ces deux sonates qui sont proposées ici : la première écrite sur le modèle
mozartien de la sonate classique, l'autre, au contraire, de forme plus libre,
certes, mais non moins structurée. Mais dans l'une et l'autre s'exprime le
langage si personnel de l'auteur. Rose-Marie
JOUGLA : L'envor
du petit dragon pour piano. Assez
difficile. Delatour : DLT1949. De nombreuses difficultés
techniques émaillent cet envol qui ne se fera pas sans un travail
certain : les « teintes asiatiques et les harmonies
romantiques » sont portées par de redoutables traits en doubles notes,
arpèges, accords déplacements qui demandent une sérieuse maîtrise de
l'instrument. Mais c'est avant tout de l'excellente musique, pleine de poésie,
que nous offre l'auteur, à l'instar des meilleures « études » du
passé. Au terme d'un travail qu'il faudra prendre très au sérieux, c'est à une
œuvre profondément lyrique et poétique que l'interprète accèdera, pour son plus
grand plaisir. HARPE Max
MÉREAUX : Nelumbo pour harpe. Fin 2ème cycle. Sempre più : SP0172. Le titre nous plonge dans l'ambiance
de l'Inde et de son lotus sacré. Cette ambiance est rendue par l'utilisation de
modes exotiques qui donne à cette œuvre une couleur très spécifique. On en
écoutera les premières mesures sur le site de l'éditeur. VIOLON Cécile
ROUDON : Petite suite pour violon et piano. Fin 2ème
cycle. Sempre più : SP0167. Voilà une petite suite qui
ne manque pas de variété. L'ensemble est à la fois lyrique et passionné. Si le
violon se taille la part du lion, le pianiste n'est pas un simple
accompagnateur mais prend sa part dans le discours. On écoutera avec plaisir le
début de l'œuvre interprété par l'auteur sur le site de l'éditeur. Edward
MOLLENHAUSER : The infant paganini pour
violon et piano. Premier cycle. Bärenreiter :
BA10691. Ecrite par un violoniste
pédagogue et compositeur allemand de la fin du XIX° siècle, qui a introduit aux
Etats Unis l'enseignement classique de la musique, cette œuvre est abordable
par des violonistes maîtrisant première et troisième positions. Faisant appel à
toutes les techniques de l'archet, et visant évidemment au travail technique,
elle n'en est pas moins de la fort bonne et fort
agréable musique. Edward
MOLLENHAUSER : The boy Paganini pour violon et piano. Bärenreiter :
BA10692. On pourra se reporter
ci-dessus pour situer l'auteur et le projet de l'œuvre. Cette fois, la pièce
est écrite pour les violonistes maîtrisant les cinq premières positions. Nous
nous acheminons vraiment vers la virtuosité. Mais là encore, la musique n'est
pas négligée pour autant, bien au contraire. Et le plaisir est toujours présent
malgré la difficulté. Jean-Charles
GANDRILLE : Comandon pour
violon et piano. Assez difficile. Delatour :
DLT2445. Ce titre fait référence au
docteur Jean Comandon qui est accueilli par Charles
Pathé dès la fin de 1908 pour développer le service de cinématographie
scientifique au sein de la société Pathé frères. En 2009, une projection de
certains de ses films réalisés entre 1910 et 1914 fut accompagnée par cette
composition. C'est donc une sorte de « musique de film » que nous
offre l'auteur mais qui mérite d'avoir sa vie propre. La musique, qui fait écho
à la beauté des images, est parfois statique, le plus souvent onirique… C'est
en tout cas à découvrir ! ALTO Jean-Claude
AMIOT : Berceuse pour Lara pour alto et piano. Débutant. Lafitan : P.L.2822. Cette agréable berceuse
permettra au jeune altiste de montrer toute sa sensibilité dans ce joli chant
tout à fait modal. La partie de piano, très simple permettra de faire jouer
ensemble en musique de chambre deux élèves de petit niveau, ce qui est tout à
fait appréciable notamment pour les pianistes. VIOLONCELLE Gérard
HILPIPRE : Concerto pour Violoncelle
et orchestre de Bois, Cuivres et Percussions. Delatour :
DLT2366. Voilà une formation un peu
étonnante puisqu'on y trouve également un piano. Raison de plus pour essayer de
voir comment le compositeur peut équilibrer deux éléments à première vue aussi
disparates. Il le fait en utilisant
l'orchestre très souvent comme une nappe de couleurs sonores sur laquelle le
lyrisme du violoncelle peut s'épanouir sans être écrasé. Trois mouvements dans
ce concerto : 1 – Couleurs, ombres lumières ; 2 – Duel, qui enchaine
avec une « Cadenza » et le n° 3 – Espace
des songes. Edward MOLLENHAUER :
The infant Paganini. Concert
Pieces arrangées
pour violoncelle et piano par Christoph Sassmannshaus.
Bärenreiter : BA 10693. Cette œuvre d'un
violoniste virtuose de la fin du XIX° siècle qui implanta aux Etats-Unis
l'enseignement de la musique dans la tradition européenne, est une introduction
aux œuvres de virtuosité des grands maîtres du violon… et du violoncelle, grâce
à cette transcription. Destinée aux
violoncellistes commençant à maîtriser les rudiments de l'instrument, elle les
fera progresser à la fois techniquement et musicalement. Edward MOLLENHAUER :
The boy Paganini. Concert
Pieces arrangées
pour violoncelle et piano par Christoph Sassmannshaus.
Bärenreiter : BA 10694. On peut faire les mêmes
commentaires sur cette pièce que sur la précédente : ce qui change, c'est
simplement le niveau d'exigence mais on y retrouve le même souci de faire
travailler la technique, mais au service de la musique et de l'interprétation. FLÛTE Alexandre
CARLIN : Bord de mer pour flûte et piano. Débutant. Lafitan : P.L.2909. On ne peut s'empêcher de
penser à la chanson « Sur le pont d'Avignon » non pour la mélodie
mais pour le rythme et la carrure. Ceci n'est pas une critique, bien au
contraire ! Cette jolie mélodie se déploie paisiblement. Piano et flûte
dialoguent avec bonheur, échangeant chant et contrechant. Cette promenade en
bord de mer est donc tout à fait charmante. Vincent
FREPPEL : Voix pour flûte et piano ou orgue. Assez
facile. Delatour : DLT2404. Piano ou orgue, on
pourrait trouver l'alternative peu judicieuse, mais il se trouve que la partie
de clavier peut parfaitement convenir aux deux instruments. Le début évoque Procol Harum… puis la flûte
s'épanouit dans un balancement ternaire fait de repos et d'envolées lyriques du
meilleur effet. La pièce est fort jolie, faussement classique, et pleine de
charme. Vincent
FREPPEL : Ballade pour flûte et piano ou orgue. Assez
facile. Delatour : DLT2521. On nous permettra de
douter un peu de la facilité de cette pièce, surtout dans sa partie médiane.
Quoi qu'il en soit, l'ensemble a des allures de sicilienne. Moyenâgeuse, comme
le veut l'auteur ? Mais d'un moyen-âge qui s'apparente plus à Maurice Thiriet et « Démons et merveilles » des Visiteurs du Soir qu'aux savantes
reconstitutions actuelles. Qu'importe ? L'ensemble est bien agréable et
bien joli. La partie médiane a, pour la flûte, des allures d'improvisation
qu'il faudra savoir rendre dans l'interprétation… CLARINETTE Jean-Claude
AMIOT : Max et les Flying Poulets
(après une projection de Chicken Run) pour
clarinette et piano. Préparatoire. Lafitan :
P.L.2938. L'auteur entraine ses deux
interprètes dans un joli voyage plein de poésie et d'invention. Piano et
clarinette dialoguent constamment : il s'agit bien de musique de chambre.
Là encore, la partie de piano est abordable par un élève de fin de
préparatoire. SAXOPHONE Michel
DEL GIUDICE : Saxino pour
saxophone alto et piano. Préparatoire. Lafitan :
P.L.2794. On se sent entrainer dans
une joyeuse marche pleine d'allant qui se termine quasiment en fanfare. Cette
pièce brillante devrait beaucoup plaire à ses interprètes. Jean-Charles
GANDRILLE : Fragments pour septuor de saxophones. Delatour : DLT2565. Même s'il se réclame
également d'autres influences, l'auteur indique sur son site qu'il
« s'inscrit en continuité dans une tradition française, de la couleur, du
lyrisme et du rythme, partant de Debussy et allant jusqu'à Florentz. ».
Cette œuvre en est un témoignage éclatant. Bien sûr, J.-C. Gandrille
possède son langage propre. Plutôt que de décrire cette œuvre, nous nous
contenterons de dire qu'on peut l'écouter intégralement sur le site de
l'éditeur et sur YouTube, et qu'elle le mérite
amplement. Signalons simplement qu'elle est écrite pour un soprano, deux altos,
deux ténors et deux barytons. Sophie
LACAZE : Jesous ahatonhia pour quatuor de saxophones. Moyen. Delatour : DLT2571. Créée par le Kommandaria Sax Quartet à Rome le 18 Décembre 2013, « Jesous ahatonhia » («Jésus est né
») est basée sur un chant de Noël écrit par le missionnaire Jean de Brébeuf en
langue huronne en 1641 ou 1642. L'écriture est résolument contemporaine et fait
appel aux techniques modernes de l'instrument. Laurent
COULOMB : variations et fugue sur
une chanson enfantine pour quatuor
de saxophone. Fin premier cycle, début second cycle. Delatour :
DLT2576. S'il s'agit bien d'une
pièce « pédagogique », c'est d'abord et avant tout de la musique que
les élèves auront bien du plaisir à partager. Au fil de ces variations sur
« Il court, il court, le furet ! », ils pourront s'initier aux
différentes techniques de leur instrument ainsi qu'à différents styles (negro
spiritual, contemporain…) et différentes formes (imitations, fugue…). Mais
surtout, ils pourront apprendre à s'écouter et à jouer ensemble… Le quatuor est
composé d'un soprano, d'un alto, d'un ténor et d'un baryton. TROMBONE Rémi
MAUPETIT : Parfums d'hiver pour trombone et piano. Elémentaire. Lafitan : P.L.2873. Il y a deux parties dans
ces Parfums d'hiver. La première est
un allegro caractérisé. Pourquoi nous fait-il tant penser à une page de Maurice
Yvain dans Ta bouche ? Simple
coïncidence, ou clin d'œil volontaire ? Peu importe : le résultat est
tout à fait réjouissant. La deuxième partie nous entraine dans une valse non
moins réjouissante quoiqu'un peu plus mélancolique. Ces parfums sont en tout
cas fort agréables. SAXHORN/EUPHONIUM/TUBA Rémi
MAUPETIT : Parfum arc-en-ciel pour saxhorn basse / euphonium / tuba et
piano. Elémentaire. Lafitan : P.L.2878. Ce parfum ne manque ni de
rythme ni de couleur et n'engendre pas la mélancolie. On y trouve, là aussi, un
parfum d'opérette ou de kiosque à musique, ce qui est un compliment ! Les
interprètes devraient prendre beaucoup de plaisir à distiller ces parfums comme
les auditeurs à les recevoir ! PERCUSSIONS Wieslaw JANECZEK : Conversation codée pour
caisse claire, tom basse et piano. Débutant. Lafitan :
P.L.2915. Si la partie de percussion
est bien pour débutant, il n'en est pas de même de la partie de piano !
Encore qu'elle ne soit pas d'une difficulté insurmontable. Il faudra quand même
à l'interprète un sérieux sens du rythme. Il y a bien conversation entre les
deux acteurs, mais il faudra vraiment bien s'écouter pour déchiffrer le
code ! Quoi qu'il en soit, le résultat est tout à fait plaisant et dynamique. MUSIQUE
DE CHAMBRE Rose-Marie
JOUGLA : Habanera. Transcription pour alto solo et orchestre
à cordes (ou quatuor). Assez facile. Delatour :
DLT2557. Il s'agit d'une
transcription de la Habanera pour alto et piano dont nous avons rendu
compte dans la Lettre 75 de novembre 2013. Cette très jolie pièce un peu
envoutante qui se déroule sur son rythme ostinato de habanera avec pour seul
éclairage quelques mesures en do Majeur qui terminent l'œuvre sera certainement
sublimée par cet arrangement. Précisons que le « quatuor » dont il
est question est composé de deux violons et deux violoncelles. On peut entendre
la version originale pour alto et piano sur YouTube
ou sur le site de l'éditeur. Jean-Christophe
ROSAZ : Hommage au Tango. Version pour guitare et violon. Moyen. Delatour : DLT2442. Cette œuvre existe
également en versions pour alto et guitare et violoncelle et guitare. Comme le
titre l'indique, il s'agit moins d'un véritable tango que de pénétrer un
« univers poétique en gestation » un peu comme le fait Astor Piazzola. Disons tout simplement que cela
« sonne » bien et que l'ambiance est tout à fait réussie. A un moment
ou les ensembles violon – guitare se multiplient, ce sera une pièce originale
pour accroître leur répertoire. Daniel
Blackstone. ***
LE COIN BIBLIOGRAPHIQUE
Hyacinthe RAVET : L'orchestre au
travail. Interactions, négociations, coopérations. Paris, Éditions
VRIN (www.vrin.fr), Collection « Musicologies »,
379 p. - 20 €. Comment fonctionne un orchestre ? Comment se prépare une
interprétation ? Autant de questions soulevées par Hyacinthe Ravet, sociologue et musicologue, docteur (Université de
Nanterre) avec une thèse portant sur les musiciennes de l'orchestre :
interactions entre représentations sociales et itinéraires (2000) et d'un
ouvrage sur « Les Musiciennes : Enquête sur les femmes et la
musique » (2011), notamment. En tant que clarinettiste classique et klezmer,
elle a saisi la musique sur le vif et en pleine action, autrement dit
lorsqu'elle est en train de « se faire ». Elle a observé trois chefs
d'orchestre. Claudio Abbado (1933-2014), chef principal de la Scala de Milan,
dont la direction était régie par trois facteurs :
intelligence-instinct-intuition, l'instinct prédominant ; Laurence Équilbey (née en 1962), directrice musicale d'Insula
Orchestra et d'Accentus, qui a dirigé de nombreux
Orchestres en France et à l'étranger, spécialiste de la musique vocale
romantique et contemporaine ; Claire Gibault
(née en 1945), violoniste, entre autres directrice musicale de la Fondazione Musica per Roma, et
auteur de La musique à mains nues :
itinéraire passionnant d'une femme chef d'orchestre (2010). L'expérience
intensément vécue par Hyacinthe Ravet en tant
qu'instrumentiste et sociologue, lui a permis —
conformément au sous-titre de cette publication si dense — de retrouver des interactions, d'évoquer certaines négociations
et de dégager les coopérations se
produisant pendant le travail quotidien d'un orchestre. Le chef est évidemment l'acteur principal : par sa gestique et
ses expressions, il impose ses conceptions de l'œuvre et doit créer le timbre,
la couleur mais aussi l'émotion à la fois des interprètes et des auditeurs.
Avec son charisme, il détient l'autorité et le pouvoir, mais ne doit pas ré-écrire les partitions. Il lui incombe de porter son
attention sur chaque musicien. Quant aux instrumentistes, ils sont responsables
de l'élaboration collective. En conclusion : la créativité est partagée et
solidaire. Neuf chapitres très fouillés sont structurés logiquement avec des
articulations bien délimitées. Les mélomanes comprendront mieux les aléas de la
profession de « musicien-interprète » et la sémiologie du geste
musical dans le cadre d'un parcours allant de la production (sonore) à l'interprétation
assortie à une typologie des interactions sociomusicales.
Les lecteurs seront renseignés sur la féminisation des effectifs : l'accès
des femmes comme membres de l'orchestre (par exemple des clarinettistes comme
Hyacinthe Ravet) et comme chef d'orchestre (par
exemple Laurence Équilbey) ; toutefois, elles
doivent bien asseoir leur autorité pour arriver à s'imposer. Forte de sa triple formation musicologique, sociologique et
instrumentale, l'auteur, en connaissance de cause, livre de nombreuses
observations musicosociologiques. Sa démarche est
enrichie d'un Glossaire (très utile
pour la terminologie spécifique), d'une Bibliographie
ciblée (p. 355-366) (y compris des thèses), de schémas, d'exemples musicaux et
de Tableaux synoptiques révélateurs, ainsi que d'encarts. Les mélomanes curieux
parcourront avec profit cet itinéraire, à partir de l'observation de la
réalité, allant du travail quotidien d'un orchestre et de la collaboration
entre chef et membres jusqu'à « l'édification d'une interprétation ».
Livre neuf, éclairant et révélateur. Édith Weber. Gilles CANTAGREL : La rencontre de Lubeck. Bach et Buxtehude. Récit. Réédition.
Paris, DESCLÉE DE BROUWER (www.editionsddb.fr ), Coll. Les chemins de la musique, 2015, 199 p. – 17,
90 € . Gilles Cantagrel — le spécialiste français de J. S. Bach — a,
en plus de ses qualités de présentateur (publications, analyses, introduction
de concerts), un vrai don de conteur, encore confirmé par la réédition de son
roman historique, en un style enlevé et suggestif, se lisant d'un seul tenant.
Il connaît à fond les divers contextes historiques, religieux, psychologiques
et rappelle que J. S. Bach avait obtenu une autorisation d'absence de « 4
semaines » et « est resté quatre fois aussi longtemps » à Lubeck
(Procès-verbal du Consistoire d'Arnstadt, 21. 12.
1706). Ce long séjour a été confirmé par son fils Carl Philipp
Emanuel en 1775 à J. N. Forkel. Alors âgé de 20 ans,
il effectue le trajet à pied (400 km aller). Les Archives de Lubeck ayant été détruites lors du bombardement de
1942, à défaut de sources de première main, Gilles Cantagrel
a — de manière tout à fait plausible — imaginé l'accueil que Dietrich Buxtehude
a réservé à Bach, non sans avoir au préalable précisé l'état des connaissances
du jeune organiste acquises notamment dans l'entourage de Johann Adam Reincken, Georg Böhm, Vincent Lübeck à Hambourg où il avait
été très impressionné par la facture d'orgues Schnitger.
Dès les premières pages, le lecteur fasciné voudra en savoir davantage sur ce
périple abondamment illustré par une iconographie appropriée et des photos
réalisées par Maurice Mehl. Il suivra les étapes,
jusqu'à son arrivée chez Dietrich Buxtehude (v. 1637-1707) qui lui souhaite la
bienvenue, lui propose de participer aux célèbres Abendmusiken (« Musiques du
soir »). J. S. Bach s'émerveille alors devant les nouvelles tribunes,
entend les cloches de la Marienkirche, rencontre des
musiciens et souffleurs, les chanteurs du Mettenchor
et assiste aux répétitions… L'auteur projette un éclairage, d'une part, sur la
vie familiale des Buxtehude, l'atmosphère au quotidien, les veillées, lectures
bibliques, la prière du soir et suggère même les chorals qui ont pu y être
chantés ; d'autre part, sur la vie cultuelle et le répertoire selon
l'Année liturgique, les préoccupations concernant le tempérament et l'accord de
l'orgue, mais aussi sur les événements (mariages officiels…) et musiques de
circonstance. D'une manière générale, Gilles Cantagrel
dégage magistralement ce que Bach doit à Buxtehude : technique du
pédalier, traits d'écriture, densité de la pensée contrapuntique, structure
formelle… (cf. p. 187), mais aussi la
transmission d'un savoir, voire d'une expérience et d'une sagesse. (p. 191),
sans oublier la devise : Non hominibus sed Deo ou, par la
suite, Soli Deo Gloria. En un style
agréable et avec un sens inné de l'à propos, l'auteur fait revivre ce long
séjour de Bach à Lubeck. Il fait preuve d'un don exceptionnel de suggestion et
de narration (on croirait l'entendre parler…) et d'une rare pénétration
psychologique. Sans rétropoler ni extrapoler, il
exploite les divers contextes historiques, philosophiques (Leibnitz, entre
autres), cultuels et culturels de l'époque. Gilles Cantagrel convie ainsi ses lecteurs
à un périple géographique, musical, organistique mais aussi familial. Suivez le
« guide » : il est bon !
Il a d'ailleurs pleinement réalisé son objectif : « Ce qu'il importait, en effet, n'était pas
tant de conter une histoire que de faire saisir, par le prétexte du récit, ce
qu'a pu être, ce que peut être la transmission d'un savoir, voire d'une
expérience et d'une sagesse, l'expression très consciente et réfléchie d'un art
poétique et d'une philosophie de la création, une vision du monde au prisme
d'un concept esthétique et de procédures rhétoriques. » (p. 191). Édith Weber. Hyacinthe RAVET : Sociologie des Arts.
Paris, Armand Colin (www.armand-colin.com), Collection
« Cursus. Sociologie », 2015, 204 p. -
15, 50 €. Plusieurs publications récentes en langue française sont axées autour
de questionnements, par exemple : « Pourquoi la musique ? » (Francis Wolff, Fayard,
2015) ; Marc-Mathieu Münch, dans son
ouvrage : « La beauté
artistique. L'impossible définition » (Honoré Champion, 2014) lance le
débat autour d'une nouvelle discipline : l'artologie.
Hyacinthe Ravet, Professeur de Sociologie à l'UFR de
Musicologie (Paris-Sorbonne) pose d'entrée de jeu de nombreuses questions
percutantes : Qu'est-ce qu'une œuvre et comment peut-elle devenir une œuvre
d'art ? Elle s'interroge sur les
mécanismes qui contribuent à définir sa valeur ou encore sur les notions d'artiste, de créateur, sur le rôle de
l'État dans la création, sur les publics
des arts, les amateurs, les goûts artistiques, mais aussi les
« rejets » dont les arts
contemporains font l'objet…. pour aboutir au problème fondamental : qu'est-ce donc que l'art et comment s'inscrit-il dans le
social ? (cf. quatrième de
couverture). Actuellement en plein essor, cette nouvelle approche a été amorcée en
1921 par Charles Lalo (L'art et la vie
sociale) ; trente ans après, par Pierre Francastel, sur le
thème : Peinture et Société. En
1962, Theodor W. Adorno a fait éditer son Introduction à la sociologie de la musique,
suivie, en 1986 (1999), par : Sociologie
de l'art (au singulier) de Raymonde Moulin (dir.) ;
et, au début du XXIe siècle, Nathalie Heinich a publié La
sociologie de l'art (2001). Enfin, en 2010, Hyacinthe Ravet
a contribué au volume 60, n°2 de L'Année
sociologique avec son article (30 p. environ) intitulé : « Sociologies [au pluriel] de la musique ». Précédé en 2014
par le livre de Christine Détrez : Sociologie de la culture, le présent
ouvrage de Hyacinthe Ravet : Sociologie des arts exploite notamment
les « Références citées » (p. 187-201) en guise de bibliographie
particulièrement abondante. Sa démarche part des assertions : « La sociologie et l'art
ne font pas bon ménage » ; la sociologie rend compte de la
« consommation culturelle », elle a dû conquérir une place et
convaincre de sa légitimité. Hyacinthe Ravet a
le mérite de suggérer des approches nouvelles aboutissant à une autonomie des
disciplines esthétiques autour de la notion de beau concernant la littérature, les Beaux-Arts
(architecture, gravure, peinture, sculpture) ou encore la musique. Dans la
première partie, elle propose une analyse des « faits historiques »
(p. 21), alors que Pierre Bourdieu a insisté sur l'« automatisation du
champ culturel », elle prend en considération d'une part les artisans, artistes,
créateurs et évoque les Salons littéraires, les Salles de concerts, les Musées,
sans oublier le public mondain, et, d'autre part, les nouvelles technologies
audiovisuelles. Elle tient aussi compte des techniques d'enquête, des
recherches sur la réception et du fait que l'art implique la pratique sociale.
La deuxième partie présente le vif du sujet autour de l'aspect
institutionnel, politique et culturel, autour des marchés de l'art, de la
sensibilisation à l'art, de la diversité des publics et de leur réception en
France, en y incluant la pratique des amateurs et, d'une manière générale, les
professions artistiques et le rôle des médiateurs et intermédiaires. La
troisième partie brosse un tableau de la situation actuelle concernant la
notion de sociologie des œuvres.
Hyacinthe Ravet insiste aussi sur le constat de l'indéterminabilité fondamentale, aboutit à un autre
constat : la spécificité des formes d'expression artistique. L'ensemble de
ses réflexions — exprimées avec beaucoup de clarté malgré la complexité du
sujet — converge vers les « problématiques transversales » et la
« diversité des démarches empiriques ». (À cet égard, un Index des noms propres eût été souhaitable.) Hyacinthe Ravet a réalisé son
objectif central : « Explorer les problématiques et les approches
ainsi que les résultats marquants d'un domaine de recherche en plein essor et
qui se diversifie en direction de l'ensemble des arts » (p. 186). Quant
aux lecteurs, ils apprécieront la clarté de la structure, la pertinence des commentaires
et analyses. Hyacinthe Ravet a le don de susciter de
nombreuses questions, d'y répondre sans toutefois clore définitivement le
débat. La poursuite des investigations est donc assurée. Quel chemin parcouru
depuis l'ouvrage de Raymonde Moulin : Sociologie
de l'art jusqu'à ce livre presque éponyme : Sociologie des arts, représentant un bilan actuel de l'histoire de
cette discipline en pleine évolution et qui suscitera encore de nombreux
questionnements ! Édith Weber. Gabriel FAURÉ : Correspondance suivie de Lettres à
Madame H. recueillies, présentées et
annotées par Jean-Michel Nectoux. Paris, 1vol FAYARD (www.fayard.fr ), 2015, 913 p. –
38 € . Résultat d'un patient et long travail de collecte, ce volume réunit
environ huit cents lettres de Gabriel Fauré, né le 12 mai 1845 à Pamiers, mort
à Paris, le 4 novembre 1924. Ce volume imposant est présenté par son meilleur
spécialiste français : Jean-Michel Nectoux, en
parfait connaisseur non seulement de l'œuvre du maître, mais aussi des divers
contextes historiques, événementiels, artistiques et culturels et des lieux
d'activités de Gabriel Fauré : organiste à la Madeleine, professeur en
1905 de composition, puis Directeur du Conservatoire et même critique musical
du Figaro (1895). Il a doté les
diverses lettres d'annotations critiques très éclairantes, n'a pas retenu
celles d'un intérêt variable et précise en outre que les lettres de jeunesse
adressées à ses parents ne nous sont pas parvenues et que d'autres ont disparu
lors d'un incendie. Quelques 800 lettres (et réponses) numérotées sont classées dans
l'ordre chronologique, avec une datation parfois affinée par Jean-Michel Nectoux, en cas d'absence de date de cachet postal ou
d'enveloppe. Elles proviennent de sources diverses : collections publiques
ou privées conservées en France ou à l'étranger ; trouvées en lots ou
dispersées en France, aux États-Unis, en Suède, Belgique. Les textes ont été
reproduits intégralement ; l'orthographe a été modernisée ; la ponctuation
originale, rectifiée ; certains mots manquants ont été ajoutés (entre [
]). Les correspondants appartiennent à des origines variées :
compositeurs : Camille Saint-Saëns, Vincent d'Indy… ; élèves :
Maurice Ravel (le plus brillant), Roger Ducasse, Charles Koechlin ;
interprètes des œuvres de Fauré : Alfred Cortot et Édouard Risler (piano),
Eugène Ysaÿe (violon)… Le monde des Arts et Lettres
est représenté par des Éditeurs, des auteurs : Gustave Flaubert, Paul
Verlaine — son poète préféré —, Marcel Proust…, sans oublier ses nombreux
mécènes : Madame de Saint-Marceaux, la Comtesse Greffuhle,
la Princesse de Polignac… La deuxième partie de cette édition magistrale
concerne les « Lettres à Madame H. » : son amie Marguerite Hasselmans, sa compagne de 1901 jusqu'à sa mort en 1924.
Cette correspondance presque quotidienne révèle un autre versant de la
personnalité du musicien en liberté, avec des apostrophes inattendues :
« Mon oiseau chéri », « Mon cher oiseau », « Mon
Rimini » ou encore « Mon oiseau encore envolé », « Mon
roitelet ». Ils échangent « un millier de tendres baisers » ou
encore « mille millions de caresses »… (p. 865). D'une année à
l'autre, les lettres reflètent la carrière musicale de Gabriel Fauré, évoquent
ses problèmes compositionnels, la réception de ses œuvres, ses démêlées avec
des éditeurs, des chefs, mais aussi des demandes de faveur adressées au
Directeur du Conservatoire et, bien entendu, ses nombreux déplacements. Les
lettres font référence à un passé révolu, par exemple : les moyens de communication
(télégrammes, pneumatiques), les soins médicaux (ventouses et frictions), entre
autres. L'Histoire revit au fil des pages, comme il ressort de son passage à la
Gare de Strasbourg, pavoisée pour la
venue, le lendemain, de l'Empereur allemand Guillaume 1er et de sa suite (cf. Lettre à
Madame Camille Clerc, 17 septembre 1879, p. 93) car, depuis 1870, l'Alsace
et la Lorraine étaient annexées par l'Allemagne. D'une manière générale, ces lettres, seul moyen d'échanger des idées
et des impressions, signalent des événements marquants (grand Concert à la
Sorbonne, Hommages nationaux…). Elles sont soit de caractère descriptif
(voyages, hôtels, lieux divers, répétitions), soit de caractère psychologique
(états d'âme, affectivité, émotions), soit de nature esthétique (jugements sur
ses contemporains). Elles concernent aussi le quotidien (prix du blanchissage,
d'une chambre d'hôtel à Nice en 1916…), mais aussi les convenances
vestimentaires (p. 857) : « toilette
de soirée » (et non tenue de
soirée). Globalement, ces 913 pages présentent l'homme et l'artiste au
quotidien, son entourage et son environnement, et la situation générale en
France dans le dernier quart du XIXe siècle et
le premier du XXe. Les lecteurs apprécieront à leur juste valeur la Table des principaux correspondants
connus (ou moins connus) du grand public, avec d'utiles notices allant droit à
l'essentiel ; le copieux Index des
noms propres ainsi que l'Index des
œuvres de Fauré. Autant de possibilités complémentaires de recoupements et
pour une meilleure compréhension des sous-entendus. Par rapport aux récentes
publications de Correspondances
(2015) : Charles Gounod à Pauline Viardot, aux Éditions Melanie
von Goldberg (cf.
Newsletter de Juillet 2015), Robert
et Clara Schumann, traduction de Marguerite et Jean Alley,
publié par Buchet & Chastel (cf. Newsletter de Septembre 2015), moins importantes en volume,
Jean-Michel Nectoux a signé une édition méthodique et
quasi exhaustive de lettres révélant Fauré dans tous ses états : un autre Fauré. Édith Weber.
***
LE BAC DU DISQUAIRE
« Natale in Italia ». D. Saskova, soprano, Jan van Elsacker,
ténor, Jean Tubéry, flûte à bec, cornet à bouquin,
cornet muet, St. Pfister, violon, L. Pérès, basse de
viole, Ph. Grisvard, orgue positif, et basse, N.
Achten, théorbe, harpe triple, guitare baroque, et baryton. La Fenice, dir. Jean Tubéry 1CD ARS
PRODUKTION (www.ars-produktion.de ):
ARS 38 181. TT : 54' 04. Sous le
titre : Noël en Italie, Jean Tubéry, à la tête de son Ensemble La Fenice
(fondé en 1990), propose un choix significatif de chants et pièces
instrumentales émanant essentiellement de compositeurs italiens baroques.
Ces Antiennes pour la naissance du Seigneur interprétées aux Laudes
et pendant les Heures bénéficient de la remarquable participation de D. Saskova (soprano), Jan van Elsacker
(Ténor), Jean Tubéry (flûte à bec, cornet à bouquin,
cornet muet), St. Pfister (violon), L. Pérès (basse
de viole), Ph. Grisvard (orgue positif,
occasionnellement basse) et N. Achten (théorbe, harpe triple, guitare
baroque, occasionnellement baryton).
Comme le rappelle le chef : pour rappeler « la naissance du Sauveur
pour la chrétienté et la re-naissance de la lumière
pour l'humanité », « la musique qui s'est toujours jointe à la
fête ne fut pas de reste pour évoquer tantôt le chœur des anges glorifiant le Seigneur, tantôt le concert pastoral des bergers accourus en
hâte et offrant leur présence émerveillée devant la crèche. » Le stile nuovo —
préconisant la narration musicale au quotidien — règne au début du XVIIe
siècle ; le stile rappresentativo
— issu de la Comedia dans le sillage de Cl. Monteverdi —
s'impose alors. Le premier volet comprend, outre le Capriccio pastorale de G. Frescobaldi s'élevant des profondeurs,
des mélodies bien connues : la question Quem vidistis pastores
suivie du récit Angelus ad pastores ait
(C. da Rore (v. 1516-1565)/G. Bovicelli
(v.1550-1594)) créant l'atmosphère et faisant appel à la virtuosité vocale. Le Gloria in excelsis
Deo d'U. Loth avec une ornementation souple, puis la Sinfonia a tre de Fontana et l'annonce : Parvulus filius hodie natus est conluent cette première partie. Le second volet, destiné à
l'Octave de Noël, propose 11 pièces
vocales et instrumentales de compositeurs italiens : B. Graziani, Grandi, Cl. Monteverdi,
Marini, G. Carissimi ; J. H. Schmelzer (v.
1623-1680), violoniste et compositeur autrichien, J. Van Eyck
(v. 1590-1657), carillonneur, organiste, flûtiste et compositeur néerlandais.
On ne pouvait trouver meilleure sélection pour rappeler musicalement
l'événement de la Nativité et créer les diverses atmosphères de lumière, de
douceur… De quoi émouvoir les auditeurs depuis tant de siècles jusqu'à nos
jours. Édith Weber. « Un Joyeux Noël américain. A Merry American Christmas ». 1CD JADE (www.jade-music.net) : CD 699 871-2. TT : 54' 30. Cette compilation
des Éditions JADE concerne Noël en Amérique où la fête commence déjà à partir
de la Saint-Nicolas, le 6 décembre, quand les enfants déposent leurs chaussures
devant la cheminée pour y recevoir des cadeaux, comme il ressort des
chants : Santa Claus is Coming to Town
(Franck Sinatra), Santa Claus Got Stuck in my
Chimney (Ella Fitzgerald),'Zat You, Santa Claus ?, et même Boogie Woogie with Santa
Claus (voix et orchestre). Les discophiles seront ravis de retrouver les
voix si attachantes de Nat King Cole (O Tannenbaum — Mon beau sapin — avec orchestre ; All I Want for
Christmas), Louis Armstrong (Christmas
Night in Harlem) ou encore Mahalia Jackson (Silent Night, Holy Night
autrement dit : Stille Nacht, heilige Nacht, Voici Noël) et, bien entendu,
l'incontournable Adeste fideles avec la participation de Bing
Crosby et de l'Orchestre et du Chœur sous la direction de John Schott Trotter.
Le programme comporte, en outre, des Carols
plus descriptifs : cloches sonnant à toute volée : Swingin' Them Jingle Bells ; neige : Let it Snow, Frost is a Snowman
et White Christmas ; Winter Weather… Soit
un total envoûtant de 19 pièces particulièrement significatives pour le temps
de l'Avent et de Noël, un florilège de rythmes mais aussi d'associations
d'idées made in the USA pour, dans la
joie ou l'émotion, célébrer l'Enfant (God Bless The Child) et pour souhaiter aux mélomanes A Merry American
Christmas. Édith Weber. Carlos de SEIXAS : Sonatas (II). José
Carlos Araujo, orgue. Movimento Patrimonial pela musica
portuguesa (www.mpmp.pt). 1CD Collection Melographia
Portugueza (2). TT : 65' 18. Carlos de SEIXAS : Sonatas (VI). José
Carlos Araujo, orgue. Mpmp (www.mpmp.pt). 1CD Collection Melographia Portugueza (7). TT : 73' 50 . Antonio José Carlos
de Seixas (1704-1742), claveciniste, organiste et
compositeur portugais, est né le 11 juin 1704 à Coimbra et mort à Lisbonne, le
24 août 1742. Il peut être considéré comme l'un des plus grands compositeurs de
son temps. Après l'enregistrement de
quelques Sonates par le regretté
Antoine Sibertin-Blanc à l'occasion du 40e
anniversaire du Grand Orgue de la Cathédrale de Lisbonne (cf. Newsletter n°83, juin 2015), le label du Mouvement Patrimonial
pour la musique portugaise (mpmp) vient — dans sa
Collection « Melographia Portugueza »
— d'éditer deux disques s'appuyant notamment sur les éditions du musicologue
bien connu Macario Santiago Kastner (né à Londres en
1908 et mort à Lisbonne en 1992) publiées par la Fondation Gulbenkian de
Lisbonne. Pour le premier
disque — Sonates (II) — comportant 2 Fugues, 11 Sonates et 1 Sinfonia de
Carlos de Seixas, l'organiste José Carlos Araujo a
retenu l'Orgue historique du moine bénédictin, Fr. Manuel de Sao Bento, construit entre 1716 et 1725 et se trouvant au
Monastère de Sao Bento da Victoria, à Porto. Il
s'agit d'un instrument à 2 claviers (principal et écho) avec des jeux
spécifiques (respectivement pour la main gauche et la main droite), pédalier
et, selon la facture ibérique, des tuyaux en chamade. Il a été restauré en 2001
par Pedro Guimaraes von Rohden qui a souhaité lui restituer son intégralité historique
et son idéal sonore d'époque. D'une manière générale, ces Sonates oscillent entre 2 et 5 mouvements, et commencent en
principe par un Allegro contrastant
avec un Adagio. Certaines comprennent
un Minuete.
Le compositeur fait preuve d'originalité et de son sens de l'écriture pour
orgue. Il spécule sur les oppositions de nuances et de timbres. Quant à José
Carlos Araujo, il réussit à redonner à chaque bref mouvement son caractère
propre : méditatif, allant, bien scandé… Le second disque — Sonates (VI) — comprend 14 Sonates
enregistrées à l'Orgue historique du Monastère de Santa Maria de Arouca, instrument dû au facteur D. Manuel Gomez de Herrera
(1739-1741), restitué en 2009 par le facteur Gerhard Grenzing,
l'un des meilleurs spécialistes de l'histoire de la facture d'orgues ibériques.
Grâce à ce dernier, l'instrument peut actuellement sonner pratiquement comme à
son origine. Il comporte un manuel avec des jeux respectivement pour la main
gauche et la main droite, des tuyaux en chamade et, en outre, en tant
qu'accessoires, des jeux spécifiques : tambour, timbale, canari, entre
autres. Il est accordé en tempérament mésotonique.
Dans ce cadre, il est impossible de détailler chacune des 14 Sonates qui font, elles aussi, preuve
d'une remarquable connaissance des possibilités techniques et de la grande
originalité compositionnelle de Carlos de Seixas qui,
à plus d'un titre, occupe une place de choix dans le patrimoine organistique
portugais. Édith Weber. Johann Sebastian BACH : L'Art de la fugue.
Marie-Ange Leurent et Éric Lebrun, orgue. 2 CDs MONTHABOR MUSIC (www.monthabor.com) : 250015-1 et
250015-2. TT : 45'30 ; 36' 55. L'Art de la Fugue (BWV 1080) connaît
actuellement un regain d'intérêt. Après la récente version pour clavecin de
Martha Cook qui en propose une « nouvelle clé de lecture » :
vraie méditation en musique à partir de l'Évangile
de Luc et selon la « combinatoire » de Leibnitz (cf. Newsletter n°96, octobre 2015),
voici un enregistrement à l'Orgue Johann Andreas Engelhardt
de l'Église Nicolaikirche à Herzberg (Basse Saxe),
par Marie-Ange Leurent et Éric Lebrun — Grand Prix du
Disque de l'Académie Charles-Cros, « interprète de l'année » — qui
forment un remarquable binôme, bien connu de nos lecteurs. Comme Éric Lebrun
le rappelle, le titre Die Kunst der Fugue fut « probablement proposé par son
fils Carl Philipp Emmanuel lors de la publication de
la partition en 1751 ». La destination instrumentale est encore inconnue,
mais s'inscrit « dans une tradition d'interprétation assez répandue dans
la seconde moitié du XVIIIe siècle : le jeu d'orgue à 4 mains ». Les
deux interprètes « croisent donc les mains sur différents plans sonores
afin de rendre le discours toujours transparent et cantabile ». Cet ultime chef-d'œuvre du Cantor de Leipzig
bénéficie de nombreuses possibilités de registration et d'une bonne acoustique.
De plus, l'enregistrement, en deux CD, comprend tous les Contrepoints. L'instrument, datant de 1845, possède deux
claviers : Hauptwerk
et Oberwerk,
ainsi que le pédalier. Il offre la possibilité d'accouplements et une pédale Forte/Piano. Le premier disque regroupe
les 11 Contrepoints dont le 6e, à 4
voix, en style français et le 7e, à 4 voix, per
augmentationem et diminutionem,
entre autres. Le second CD comprend d'abord 4 Canons (à l'octave, en augmentation et mouvement contraire ; à
la dixième, en contrepoint à la tierce ; à la douzième, en contrepoint à
la quinte), ainsi qu'une Fugue à 4
voix, une à 3 voix avec rectus et inversus,
une Fugue à 2 claviers avec rectus, suivie de la Fugue
Alio modo à 2 claviers et, pour conclure, la Fugue à 3 sujets. Les deux
interprètes réservent un sort royal à ce monument pour lequel, entre autres,
les organistes Helmut Walcha, Marie-Claire Alain,
Gerd Zacher ont chacun présenté leur version. Celle
de Marie-Ange Leurent et Éric Lebrun fait preuve d'un
relief exceptionnel, d'une belle transparence et d'un sens aigu de la structure
malgré, selon Éric Lebrun, « une complexité d'écriture inégalée ». De
plus, ils se jouent de tous les traquenards techniques. Cet enregistrement (14
-16 juillet 2014) a le mérite de présenter l'intégrale de l'Art (science) de la Fugue : un sommet. Édith Weber. Jean Sébastien BACH : Messe en si mineur BWV 232. Chapelle vocale de Romainmôtier.
Ensemble Musica Poetica, dir. Michel Jordan. 2CDs
VDE GALLO (www.vdegallo-music.com ): CD 1453-1454. TT : 55'+ 54' 12. Cette version a été
enregistrée sur le vif lors du concert à l'Abbatiale de Romainmôtier — actuellement Église réformée — (Canton de
Vaud) par la Chapelle vocale de Romainmôtier et
l'Ensemble Musica Poetica,
tous placés sous la direction de Michel Jordan, spécialisés dans les
œuvres religieuses avec orchestre (Bach, Haendel, Haydn, Brahms…), mais aussi
soucieux de faire connaître des musiciens suisses du XXe siècle. L'Association
des Amis, devenue Association des Concerts de Romainmôtier,
a fêté son cinquantenaire exactement le 14 décembre 2014, jour du concert donné
avec le concours de l'Ensemble Musica Poetica qui, spécialisé dans la musique baroque, se produit
sur des instruments de facture ancienne. Les solistes — sauf Jean-Michel Fumas
(alto), français — sont suisses : Anne Ramoni
(soprano), Frédéric Guindraux (ténor) et Fabrice Hayoz (basse). Cette nouvelle version de la Messe en si mineur (BWV 232),
« made in Switzerland », épouse des tempi
parfois un tantinet lent. L'interprétation est assez dépouillée et très
concentrée. À noter l'Et resurrexit particulièrement énergique. Les voix lumineuses
réalisent des vocalises très souples, par exemple dans le Sanctus avec des contrastes de nuances, ou encore dans le Dona nobis pacem avec des entrées successives. Bref, cet enregistrement commémoratif respire la ferveur des
chanteurs, des instrumentistes et de leur chef. Édith Weber. « Around
BACH ». Amandine Habib, piano. 1CD MUSICUBE (contact :
arielle.berthoud@noos.fr ): CUB 1304. TT :
57' 49. Autour de Bach, tel est le thème retenu par la
talentueuse pianiste, Amandine Habib pour son premier enregistrement. Son
programme s'articule en deux volets : pièces authentiques composées par J.
S. Bach pour clavecin ; restitutions et arrangements d'œuvres prévues pour
d'autres instruments, à l'initiative de Franz Liszt (Prélude et Fugue pour orgue en la mineur (BWV 543), de Serge
Rachmaninov (Suite pour violon Partita en
mi majeur (BWV 1006) et Feruccio. Busoni (Chaconne
de la Partita pour violon solo en ré
mineur, BWV 1004). Dans l'interprétation de plusieurs Petits Préludes, elle fait preuve de simplicité et en recrée la
poésie ; dans la célèbre Chaconne,
elle déploie toute sa virtuosité. D'un côté : minutie dans le détail et
transparence ; de l'autre côté : exceptionnelle maîtrise technique.
Elle a aussi le mérite d'avoir sélectionné un Piano Steingräber
(E 272), grand piano de concert haut de gamme. Par ailleurs, les « micros
expérimentaux » sont parfaitement adaptés au geste pianistique. Non
seulement interprète, mais encore titulaire de la Licence et de la Maîtrise en
Musicologie, de plusieurs Premiers Prix et du CA, elle est souvent sollicitée
par le CNR de Marseille et le CNSM de Lyon, elle participe à de nombreux
Festivals. C'est en parfaite connaissance de cause que Gilles Cantagrel a, dans son texte de présentation, cautionné — si
besoin était — le premier disque d'Amandine Habib : coup d'envoi très
convaincant. Édith Weber. Hector BERLIOZ : Symphonie
fantastique , op. 14. Franz SCHUBERT :
Impromptu op. 90, n°3.
Frédéric CHOPIN : Fantaisie en fa mineur op. 49. Novosibirsk
Academic Symphony Orchestra, piano & dir. Alexandre Rabinovitch-Barakovsky.
1CD VDE GALLO (www.vdegallo-music.com) : CD 1448. TT : 69' 11. À l'époque
romantique, le poème symphonique est en vogue, de même que la traduction musicale
du Fantastique. Cette version de la Symphonie
Fantastique (op. 14) d'Hector Berlioz (1803-1896), réalisée par le Novosibirsk Academic Symphony Orchestra — qui se produit aussi bien en Europe
qu'au Japon — et que dirige l'Azerbaïdjanais Alexandre Rabinovitch-Barakovsky (compositeur, pianiste et chef d'orchestre, né
en 1945) a été enregistrée lors du concert du 21 mars 2004 au Arnold Kats State
Concert Hall de Novosibirsk. Le chef renforce le
caractère insistant du thème principal et spécule sur les contrastes de
mouvements et d'expression, selon les idées générales : Rêverie, Bal, Scène au champ, Marche au supplice et enfin Songe d'une nuit de Sabbat ; il
oppose mélancolie et dynamisme et cultive tout particulièrement les rythmes
incisifs, et même le burlesque avec la Ronde
du Sabbat associée au Dies irae.
Également pianiste, Alexandre Rabinovitch-Barakovsky a enregistré, le 14 janvier 2014 au Rachmaninov
Hall de Moscou, l'Impromptu (op. 90,
n°3) de Franz Schubert (1797-1828),et la Fantaisie en fa mineur (op. 49) de
Frédéric Chopin (1810-1849) dans lesquels il s'impose par un toucher délicat,
un jeu précis, son sens du phrasé et sa recherche d'une belle sonorité :
de quoi ravir les pianistes et discophiles amateurs de Romantisme. Édith Weber. « Les
Impressionnistes et la musique ». 2CDs JADE
(www.jade-music.net ): CD 699 853-2. TT : 77'47+70'58. « S'il n'y a
pas eu d'école musicale impressionniste se définissant comme telle, le terme
inventé par le critique d'art Louis Leroy en 1874 pour qualifier ce nouveau
courant de peinture a été largement associé dans le temps à un ensemble de
compositeurs dont les œuvres ont été perçus comme une résonance à la révolution
picturale survenue. Les musiciens concernés ont pu s'en défendre ;
l'extension de ce terme à l'art d'Orphée n'en est pas mois légitime. »
C'est le cas de cette réalisation du Label JADE et des œuvres enregistrées
spéculant sur le symbolisme, les paysages, l'évocation de la nature, l'eau, la
lumière qui émanent des deux CD intitulés respectivement :
« Miroitements du piano » (15 œuvres) et « Couleurs
orchestrales » (11 œuvres), soit 26 titres évidemment impossibles à
détailler dans ce cadre. Le premier disque
pour solistes (respectivement : piano, violon, violoncelle) de cette
remarquable compilation s'ouvre comme de juste sur Les jeux d'eau à la Villa d'Este de Fr. Liszt interprétés par
George Cziffra. Maurice Ravel est représenté par ses Jeux d'eau interprétés par Walter Gieseking et par Une barque sur l'océan jouée par Robert
Casadesus, ainsi que, par Albert Ferber (piano), des
pages de Claude Debussy : Un jardin
sous la pluie, Clair de lune, Feux d'artifice. Les mélomanes seront
ravis de réentendre : Francis Poulenc interprétant au piano Gymnopédie n°1 et Gnosienne n°3 d'Érik Satie ; le violoniste Jascha Heifetz pour la Pièce
en forme de Habanera de Maurice Ravel, ou encore le violoncelliste Pierre
Fournier et Gérald Moore (piano) recréant la Sicilienne et l'Élégie de
Gabriel Fauré. Tableau très représentatif associant solistes du passé et pages
d'inspiration impressionniste. Le second
disque : « Couleurs orchestrales » spécule sur les timbres, les
paysages sonores avec des œuvres marquantes, de prestigieux orchestres et
d'éminents chefs : Daphnis et Chloé :
Lever du jour, de Maurice Ravel
(London Symphony Orchestra, Pierre Monteux et le
Chœur du Royal Opera House) ; Prélude à l'après-midi d'un faune de Cl.
Debussy (Philharmonia Orchestra, Igor
Markevitch) ; L'amour sorcier, Danse
rituelle du feu, de Manuel de Falla (Orchestre de la Suisse Romande, Ernest
Ansermet) ; In an Summer Garden de Frezderik
Delius (London Philharmonic Orchestra, Sir Thomas
Beecham). La seconde partie reprend le thème initial de l'eau avec Les Fontaines de Rome d'Ottorino Respighi (Orchestre Symphonique de Chicago, Fritz Reiner) ; et, bien entendu, l'incontournable poème
symphonique : La Mer de Claude
Debussy (Boston Symphony Orchestra, Charles Munch).
Autant de peintures musicales descriptives typiques de l'impressionnisme
pictural rendu musicalement à la fois par leurs titres significatifs et leur
évocation musicale soulignant — à l'instar de Louis Leroy — la convergence des
Arts entre 1860 et le début du XXe siècle. Un rappel du passé tant par les
interprètes que par les œuvres et une démonstration fascinante. Édith Weber. Alexandre DENÉRÉAZ: At Tutankhamen's
Tomb. Orchestre Symphonique de Volgograd, dir. Emmanuel Siffert. 1CD VDE GALLO (www.vdegallo-music.com) : CD 1227. TT : 50'40 . Les Disques GALLO
s'efforcent d'attirer l'attention précisément sur les musiciens suisses. Cette
réalisation permet de découvrir Alexandre Denéréaz,
né en 1875 à Lausanne dans une famille de musiciens, et mort en 1947 dans la
même ville. Il a fait ses études musicales notamment à Dresde ; installé à
Lausanne, il y occupera pendant 51 ans le poste
d'organiste titulaire de l'Église protestante Saint-François ; il
est à la fois actif en tant qu'organiste liturgique, concertiste et
organisateur de concerts. En 1896, il enseigne l'orgue et la théologie, et a
été, entre autres, le professeur d'Ernest Ansermet, d'Aloÿs
Fornerod et Robert Mermoud.
Il occupe une place importante dans la vie musicale en Suisse romande et en
Suisse alémanique. Son Catalogue comprend 137 opus, dont la Cantate pour le Centenaire de l'indépendance
vaudoise et de nombreuses œuvres pour orgue, chœur mixte… Il est aussi
auteur de livres, par exemple : La
musique et la vie intérieure. Au Tombeau de Tut-Ankh-Amon (1925) est un poème
symphonique composé en 1925 et faisant suite à la découverte de cette célèbre
sépulture du Pharaon par des égyptologues anglais ; il a été créé, l'année
suivante, par Ernest Ansermet. Il s'agit d'une œuvre à la fois brillante et
mystérieuse, très évocatrice, mais aussi énigmatique, recréée avec relief et
énergie par l'Orchestre Symphonique de Volgograd (jadis Stalingrad) sous la
direction d'Emmanuel Siffert, de réputation
internationale. Ce disque comprend, en sa partie centrale : Le Rêve (1908) sous-titré « Intermède
symphonique », de facture plus romantique, à mi-chemin entre culture
latine et culture germanique, dans lequel Alexandre Denéréaz prouve son sens inné de l'orchestration. Il
qualifie son œuvre : Scènes de la
vie de cirque (1911) de « Variations symphoniques ». Il y force
sur le caractère descriptif et, après une Introduction
bien enlevée, met en scène les principaux protagonistes : jongleurs,
athlètes, l'homme-serpent, la belle écuyère, le clown, mais aussi les Africains
(ce qui était moins courant en Suisse à cette époque). Il fait preuve
d'imagination, d'inventivité, d'éclatante gaîté dans l'évocation du cirque qui
permettait au public suisse de voir des personnages d'Afrique ou d'Asie. Voici,
grâce à l'initiative d'Olivier Buttex et du Label GALLO,
des œuvres irrésistibles, à découvrir. Édith Weber. Zsolt GARDONYI : Annunciation - Die Verkündigung. A. Steiner, soprano. Chœur Monteverdi de Wurzbourg. Philharmonie du Main, dir. : Matthias Becker. 1CD SPEKTRAL
(www.spektral-records.de ) : SRL4-10070. TT : 75' 55. Nos lecteurs ont pu
découvrir le CD : Two Generations (cf. NL n° 96, octobre 2015) autour de la
famille Gardonyi, père et fils, très engagés
notamment au service de la musique religieuse d'inspiration protestante. Le
présent disque, compilation d'enregistrements anciens (de 1971 à 2009) de Zsolt (né en 1946) — fils de Zoltan Gardonyi
(1906-1986) —, est intitulé : Annonciation
(Die Verkündigung).
Cet Oratorio de commande, en cinq parties, est écrit pour soprano solo, chœur,
grand orchestre et deux orgues. Le compositeur s'est inspiré de cinq
« Médaillons » de Veit Stoss (1447-1533), œuvres du gothique tardif
se trouvant à l'Église Saint-Laurent à Nuremberg, où la première version a été
créée en 1983. Elle annonce la Naissance du Christ, d'après l'Évangile de Luc, reprenant la mélodie et
les paroles de trois Chorals allemands pour le temps de l'Avent et de Noël
: Meine Seele erhebt den Herrn (Magnificat allemand), Gelobet seist du Jesu Christ (chant de louange) et Vom Himmel hoch da komm ich her.
L'Adoration des Mages, introduite par les trombones et les cors, fait appel à
la mélodie œcuménique Adeste fideles et au chœur Hierbei ihr Glaübigen pour
inviter les croyants à aller voir le petit enfant, et se termine sur un genre
de Gloria. La Résurrection, confiée à
un narrateur alternant avec des interventions du soprano et du chœur et citant
notamment plusieurs Chorals pour le temps de la Passion et de Pâques, se
termine sur un Halleluja
massif. L'Ascension du Christ est traduite par l'orchestre sans apport vocal,
alors que l'Effusion du Saint Esprit est évoquée par l'hymne médiévale bien
connue de Pâques : Veni creator spiritus (Komm Gott, Schöpfer, Heiliger Geist), puis le
message est prononcé simultanément en cinq langues (allemand, anglais,
français, hongrois et finnois), selon les versets 2 à 4 du chapitre 2 des Actes des Apôtres. L'ensemble se termine
dans la louange et sur un Amen chanté
par le soprano. Cette œuvre s'impose par son originalité, ses divers styles,
tour à tour contemporain, avec réminiscence de l'impressionnisme (harpe), mais
aussi par l'évocation de l'agitation lors de la confusion des langues. Avec
émotion et intériorité et se référant à des mélodies connues, Zsolt Gardonyi fait vivement
ressentir les cinq épisodes bibliques grâce au concours d'A. Steiner (Soprano),
du Chœur Monteverdi de Wurzbourg et de la
Philharmonie du Main, tous placés sous la direction efficace de Matthias Beckert. Zsolt Gardonyi est aussi un remarquable compositeur pour l'orgue,
toujours dans le respect du patrimoine hymnologique luthérien. Il associe avec
bonheur dans son Duplum :
hautbois (C. Nagy) et orgue ; dans sa Rhapsodie :
trombone (S. Hegedüs) et orgue ; dans sa Variation : violoncelle (Denes Karasszon) et orgue ;
et dans sa Sonata da chiesa :
trompette (Kr. Kovats), trombone (A. R. Donko) et orgue (Dezso Karasszon), en 4 mouvements : Arioso, Invention, Rezitativ, se
terminant aux accents d'une brillante Toccata.
Par ses qualités compositionnelles, son paysage sonore très recherché, Zsolt Gardonyi compte parmi les
éminents compositeurs de notre temps. Édith Weber. Alexandre
RABINOVITCH-BARAKOVSKY : Terza Pratica II. 2CDs VDE GALLO (www.vdegallo.ch )
: CD 1446-1447. TT : 74'
32+66' 35. Alexandre Rabinovitch-Barakovsky, pianiste
et chef d'orchestre, azerbaïdjanais né en 1945, est aussi compositeur. Sous le
titre : Terza Pratica
II, le Label GALLO, en deux CD, offre un panorama assez varié de ses
œuvres parues entre 1978 et 2009. Les
titres sont évocateurs, par exemple : Incantations
(1996), enregistrement à Tokyo au Metropolitan Art Space, en 1998, avec le concours de Martha Argerich (piano amplifié et célesta) et du Hibiki Chamber Orchestra. Cette
page très développée est dirigée par le compositeur qualifié par certains de
« minimaliste », « néoromantique », « néotonal », « répétitif ». Selon Brenno Boccadoro : « La
musique de Rabinovitch-Barakovsky
puise son vocabulaire dans l'histoire de la philosophie et des religions. Elle
est plus qu'un phénomène acoustique ; elle se déploie sur au moins deux
axes orthogonaux : un niveau « émotionnel » et une dimension
« verticale », métaphysique et intelligible qui la relie à l'histoire
des philosophies et des religions en une unité mystique hors du temps et de
l'espace… ». Sa musique « renvoie à un contenu extramusical et c'est
par le biais d'un rapport symbolique que le langage sonore atteint les réalités
incorporelles de l'esprit… Il cultive le nombre et l'arithmosophie » dans Die Zeit — Le temps (2000), œuvre enregistrée sur
le vif au Philharmonic-Hall de Cologne (avec
instruments amplifiés), comportant trois parties : L'élan, L'horloge et La durée. En fait, résidant au haut d'un
gratte-ciel à Tokyo, le compositeur a ressenti profondément « cette sortie
du temps dont parlent les Bouddhistes et les mystiques ». Il a été
impressionné par la « suspension du temps ». Il s'intéresse aussi aux
événements de son époque, par exemple dans son Requiem pour une marée noire (1978), il s'inspire de Fyodor Tyutchev (1803-1873)
évoquant, tour à tour, les songes, les rêves, le calme des astres, les
tourments troublants, convulsions-spasmes, en fait « Ultime-l'heure
du monde », puis le carillon, pour conclure sur « les astres si
purs »… En 2009, il a composé Trois
Manas pour pianoélectrique (reflétant
« symboliquement le flux puissant d'énergie psychique qui émane de
certaines personnes charismatiques »). Il souhaite traduire musicalement
et métaphoriquement « les variations de l'énergie consciente, de l'énergie
de l'éther dont est traversé dans un univers électrique à chaque instant, tout
en laissant penser le cœur, ce qui
est au fondement de la Terza pratica. » Dans son Discours sur la délivrance (1982), il a aspiré plutôt « à
orchestraliser
sa musique écrite pour plusieurs instruments » : violoncelle,
synthétiseur (vibraphone) avec, au piano, le compositeur. Autant d'états d'âme,
de sensations à ressentir dans cette production du Label GALLO dont les
programmes font pour le moins preuve d'une vaste ouverture. Édith Weber. Déroute chronique : Jeu de massacre. 1CD VDE GALLO (www.vdegallo-music.com )
: CD 1461. TT : 37' 57. « Déroute
chronique » n'est autre que le titre du Groupe suisse composé de P. Deveaud (piano, guitare, voix), A. Knecht
(basse, voix), S. Rütti (batterie, hang — idiophone
inventé par les Bernois Felix Rohner
et Sabina Schärer vers 2000, avec deux petites coupes
en métal —, voix) et G. Kisfaludy (accordéon). D'une manière générale —
à l'exception de Jeu de massacre dû à
Henri-Georges Clouzot (1907-1977) —, les textes exploités sont empruntés au
poète suisse Jean Villard, dit Gilles (né à Montreux en 1895, mort à Saint-Saphorin en 1982) brossant un tableau psychologique typique
de notre époque sur un fond sonore percutant et avec des titres
évocateurs : Dollar (dénonçant
le vice de l'argent), Adieu au folklore (parlé
sur un fond de percussion). Au programme, figurent encore : À l'enseigne de la fille sans cœur, Les peuples du vent, Le rire et ses rois, Trois Bateliers, C'est l'heure on ferme !... À remarquer : le débit précis
de la voix, la remarquable articulation, ce parlé-chanté si approprié à la
restitution de cet univers haut en couleurs et satire de notre temps.
« Déroute chronique » a réellement « revisité » Jean
Villard Gilles. Édith Weber. Dida GUIGAN : « Home ». 1CD VDE
GALLO (www.vdegallo-music.com ): CD 1408. TT : 52'
52. Dida Guigan, née à Beyrouth en 1984, a immédiatement été adoptée
en Suisse. Après ses études en Sciences sociales, elle a fréquenté l'École de
Jazz de Berne, puis décidé de chanter en arabe. Âgée de 26 ans, elle est
retournée au Liban pour y retrouver ses racines, son histoire et sa langue. Le
titre significatif : Home
symbolise précisément sa quête d'identité. Ce programme baigne dans le réalisme
et le lyrisme. Dans Autant pour elles,
les idées générales sont ainsi formulées : « Elles s'impatientent
autour de la lune qui chante »… « Elles attendent le crépuscule, la
nuit, la mort ». Droits de recours est,
en fait, une chanson d'amour et d'appel au secours, avec des résonances
lyriques au sujet du pays, de ses collines et plaines fleuries... Le programme
comporte aussi des chants en arabe. Dans son disque Home, Dida Guigan
— à mi-chemin entre la sensibilité libanaise et la sensibilité occidentale —
fait partager aux discophiles sa recherche identitaire. Édith Weber. « East Wind
- Vent d'Est ». Ivan Bellocq, flûte, Anne Mispelter, harpe. 1CD DUX (dux@dux.pl), (ivanbellocq9@gmail.com ) : DUX 1147. TT : 57' 59. Ivan Bellocq (né en 1958), flûtiste hors pair et compositeur
prolifique — dès l'âge de 20 ans — exploitant
des sources d'inspiration multiples, s'est associé à la harpiste Anne Mispelter (née en 1977), concertiste, membre de plusieurs
Orchestres symphoniques. Sous le titre Vent
d'Est, ils recréent avec infiniment de musicalité et d'équilibre un
répertoire varié : 6 Pièces du
compositeur azerbaïdjanais Fikret Amirov (1922-1984),
décrivant les ambiances de la vie quotidienne (Dans les montagnes d'Azerbaïdjan, Près de la source) ou des atmosphères (Berceuse, Nocturne) ;
2 Rythmes bulgares — extraits de Microcosmos (113, 115) — du Hongrois Béla Bartók (1881-1945),
choix judicieux d'Ivan Bellocq ; 10 Pièces du Bulgare Assen Karastoyanov (1893-1976), élève de S. Karg-Elert, également de caractère descriptif (Fileuse, Bergers, Tresses), mais
aussi Berceuse, entre autres. Dans le
Prélude, il force sur la ligne
mélodique si bien rendue par Ivan Bellocq à la flûte
sur un fond rythmique et discret de la harpe faisant au fil des Pièces, tour à tour, appel à la
virtuosité, avec un remarquable phrasé, à l'expressivité (Berceuse) et se terminant sur une page de virtuosité (Daytchka, danse
typique à 3/8, rapide et bien enlevée). Dans sa Suite slave (op. 198), créée en 2012 au Festival Molière de
Versailles, Ivan Bellocq précise ainsi son
objectif : « Je me suis fixé plusieurs défis en écrivant cette Suite ; d'abord définir un terrain
commun entre mon langage habituel et celui des musiques populaires dont je
m'inspire. Puis trouver une manière différente de celles de Karatoyanov
et d'Amirov d'organiser chacune des pièces ainsi que
l'ensemble qu'elles forment. D'où par exemple les soli de harpe ou de
flûte ». S'il se réfère à des thèmes populaires slaves authentiques, il se
réclame également d'un « folklore imaginaire ». Il n'a pas fini de
révéler les multiples facettes de son inventivité et de ses sources. Cette
sélection exceptionnelle d'airs et de danses retiendra l'attention des
mélomanes tant par l'originalité du programme que par l'interprétation de ces
œuvres animées par un vrai Vent d'est.0 Édith Weber. « JAPON. Gagaku ». Ensemble Ono, dir. Ono Takaschi. 1CD VDE GALLO (www.vdegallo-music.com) : CD 1466. TT : 76'
16. Comme Akira Tamba — compositeur japonais résidant en France — le
précise dans ses excellents commentaires, le Gagaku est un genre musical. « Le terme gagaku se compose de deux idéogrammes : ga qui signifie raffiné, noble,
juste ; et gaku
qui désigne la musique. Gagaku
renvoie donc à un genre musical raffiné, noble et savant. Au Japon, il est
associé à l'ancienne Cour impériale et à la classe aristocratique… Le Gagaku japonais comprend plusieurs
répertoires de pièces musicales alliant trois composantes : la danse, la
poésie chantée et la musique instrumentale. » Ce disque, enregistré en
2012, est réalisé par l'Ensemble Ono, qui a été fondé en 1887 par le prêtre Ono
Sukemichi. Il regroupe actuellement 11 musiciens et 2
danseurs ; il est dirigé par Ono Takaschi qui
joue aussi des tambours kakko
et san no tsuzumi.
Interviennent également le gong, 3 flûtes et le luth (biwa). Ces pièces ont été enregistrées à Genève en 2012 au Théâtre
de l'Alhambra. Elles remontent au VIIIe siècle et, comme le rappelle Akira Tamba, « à une époque où les aristocrates japonais
écoutaient cette musique de gagaku,
chantaient et dansaient en buvant le saké
lors de soirées exquises. » On remarquera la couleur modale et
l'atmosphère particulière dans la brève pièce Accordage. La deuxième, Shukoshi, plus développée, évoque les populations de la
Mandchourie et la Mongolie. Kashin concerne des vœux de Nouvel An, avec participation
d'un chanteur soliste, du chœur qui traduisent la joie de jouer pour ce jour et
souhaitent « que le bonheur du monde dure mille et un ans et mille et un
automnes. » La quatrième (instrumentale), Kaden no kyû, a été reconstituée pour un
ensemble instrumental du IXe siècle à partir de la notation musicale pour le biwa, luth importé de Chine. Quant aux
deux dernières pièces : Nasori et Konju, il s'agit
de musiques de danses traditionnelles dont la chorégraphie est originaire de
Corée ou de Mandchourie. Ces deux danses, dont la ligne mélodique est
essentiellement confiée à l'orgue à bouche (shô), à la flûte d'origine
chinoise (ryûteki)
et au hautbois hichiriki.
Voilà de quoi dérouter ou familiariser les oreilles occidentales et d'illustrer
ce répertoire grâce aux Archives Internationales de Musique Populaire (Musée
d'Ethnographie, Genève). Cet excellent documentaire s'adresse non seulement aux
ethnomusicologues et japonologues, mais aussi aux
discophiles curieux et aux mélomanes soucieux de s'instruire. Édith Weber. CD
pour enfants Philippe CORSET : Mets-toi en route ! . 1CD VDE GALLO (www.vdegallo-music.com ): CD 1464. TT : 45'
54. Après : À dos de dromadaire (2013) déjà présenté
à nos lecteurs, Philippe Corset et un groupe de musiciens ont réalisé « 22
chants pour la marche » ayant la particularité d'être signalés par
plusieurs numéros : le premier indique le commencement du chant et le
second peut être mis en boucle pour obtenir l'accompagnement. Ces chants,
publiés en collaboration avec le Service enfance de l'Église Réformée du Canton
de Vaud, reposent sur des textes, de Philippe Corset, Mannick
(musique : Jo Akepsimas), Jean-Noël Klinguer, entre autres, et sont également dotés d'une finalité
moralisante ou religieuse. Le programme comporte aussi le « Noël » de
Franz Gruber, archi connu : Voici
Noël, ô douce Nuit (Stille Nacht, heilige Nacht). Les voix sont
associées aux sonorités respectivement des : guitares, marimba,
violoncelle, trompette-cornet, cor des Alpes (Alphorn), saxophone, flûte
traversière, orgue créant l'atmosphère ou assurant un genre de percussion.
L'ensemble plaira aux jeunes et moins jeunes, nostalgiques des années 1970. Édith Weber. Giovanni ZAMBONI : Madrigali e Sonate. Faenza, dir. Marco Horvat. 1CD AgOgique : AGO021. TT.: 68'07. Les éditions AgOgiques
dénichent encore un compositeur bien peu connu, Giovanni Zamboni (c. 1687- c.
1764), une sorte d'énigme au demeurant, un peu comme Agostino Steffani. Personnage curieux que ce mystérieux musicien
d'origine roumaine, mais actif en Toscane, et par ailleurs tailleur de pierres
orientales, c'est à dire de bijoux, auteur de sonates pour le luth et par
ailleurs de madrigaux à quatre voix. Quoi qu'il en soit de ses origines, voilà
un musicien dont Marco Horvat nous restitue la
profonde originalité. Au travers de quelques unes de ses sonates pour le luth
de 1718, qui selon lui, dépassent la simple galanterie attachée à la musique
instrumentale du Siècle des Lumières. Elles sont inspirées du style de Corelli,
mais sont aussi de facture plus « moderne », dans la manière
d'auteurs comme Leopold Weiss. Ainsi de la Sonate
VIII, constituée d'un seul mouvement (« Arpeggio »),
ou de la Sonate X, en quatre parties (Allemande, Courante, Sarabande et
Bourrée), ou encore de la Sonate IX (Prélude, Allemande, Sarabande et Gigue).
Magnifiquement restituées par Marco Horvat sur un
théorbe cordé comme un archiluth, « mais dans un ton plus grave que celui
de l'instrument supposé avoir été utilisé par Zamboni », précise-t-il. Le
bouquet de madrigaux à quatre voix et basse continue qu'il propose également
n'est pas moins intéressant. Ils sont tirés des deux livres que Zamboni compose
en 1755 sur des poèmes de Giovanni Battista Guarini
(1538-1612) et dédiés au Duc d'York Henry Benedict Maria Clement,
fils de James Stuart, lequel deviendra cardinal et l'un des plus importants
prélats de la curie romaine. On en trouve trace aussi dans les affaires du Padre Martini. La polyphonie y est pensée sur un mode
archaïque, avec usage de la « arpa doppia », ou harpe gothique, mais dans un écriture moderne de la basse continue. L'interprétation
du quatuor vocal de l'ensemble Faenza est suffisamment éloquente pour donner à
ces pièces tout leur aura. Jean-Pierre Robert. Francesco CAVALLI : « L'Amore innamorato ».
Extraits d'opéras tirés de L'Ormindo, Il Giasone, La Calisto, La
Didone, La Rosinda, L'Artemisia, L'Eliogabalo. Pièces instrumentales de Giovanni Girolamo Kapsperger, Andrea Falconieri. Nuria Rial, Hana Blážíková. L'Arpeggiata, dir. Christina Pluhar. 1CD Erato
: 0825646166435. TT.: 66'52. Comme d'autres chefs l'ont fait récemment,
dans le cas de Rameau par exemple, Christina Pluhar a
conçu avec ce disque un opéra imaginaire qu'aurait pu écrire Cavalli, et ce à
partir d'airs tirés de ses opéras et de morceaux instrumentaux. Francesco
Cavalli (1602-1676), organiste à Saint-Marc de
Venise, fut l'un des compositeurs les plus en vue du Seicento.
Une époque faste à Venise, alors réputée pour ses divertissements, donnés
notamment, grâce à ses mécènes commerçants fortunés, dans ses nombreux
théâtres. Le compositeur a beaucoup écrit pour la scène, 32 opus dit-on, à
partir de 1637, dont ceux passés à la postérité ont pour nom La Calisto ou La Didone. Parmi ceux-ci, Christina Pluhar en a sélectionné sept et une dizaine d'arias,
certaines dans un arrangement de sa main. Elles offrent un style qui fait
penser à Monteverdi, et pourtant bien différent dans la manière de concevoir le
recitar cantando, proche
ici de l'arioso. C'est que Cavalli attache beaucoup d'importance au texte
littéraire, puisé chez des auteurs comme Francesco Busenello
ou Giovanni Faustini qui savent penser la langue
italienne de manière élégante. Le programme s'ouvre par un
« prologue » emprunté à l'opéra L'Ormindo
(1644), décrivant, sous les paroles codées de l'« Harmonie », la
gloire de la Sérénissime. Suit une sinfonia (Il Giasone). Les arias touchent à divers registres
dramatiques, sensuel (La Rosinda, de 1651),
voire érotique (« Ninfa bella , La Calisto, aux sonorités orientales, où un jeune satyre
distille des paroles à double sens), ou encore parodique et léger (« Non è
maggior piacere », La
Calisto). Les plus étonnantes restent les pièces
en forme de lamento comme « Dammi morte » (L'Artemisia), ou l'aria d'Hécube de La Didone, d'une
poignante douleur. Quelques pièces purement symphoniques apportent d'habiles
transitions entre les morceaux vocaux : ainsi de la Sinfonia
de l'Eliogabalo (1668) ou encore de pièces
empruntées à d'autres musiciens, comme la Toccata de Giovanni Girolamo Kapsperger (c. 1580-1651) aux sonorités si particulières,
stratosphériques, de la harpe baroque. Quant à la sinfonia
conclusive, en forme d'épilogue, elle est empruntée à Andrea Falconieri (1585-1656), dont le style musical est proche de
celui de Cavalli. L'ensemble L'Arpeggiata, qui à
l'occasion de cette production, fête ses 15 ans d'existence, est l'interprète
choisi de ces pages et ses solistes leur apportent des couleurs extrêmement
séduisantes, dont Christina Pluhar au théorbe et à la
harpe baroque. Les deux sopranos de Nuria Rial et de Hana Blážíková, la seconde un
brin plus aigu, ennoblissent les arias par la pureté de l'émission vocale et un
vrai chic dans l'élocution. Une magnifique anthologie de pièces d'un
compositeur très attachant. Jean-Pierre Robert. Jean-Philippe RAMEAU : Les Indes galantes. Opéra-ballet en un Prologue et
quatre Entrées. Livret de Louis Fuzelier. Amel
Brahim-Djelloul, Benoît Arnould, Eugène Varnier, Olivera Topalovic, Judith van Wanroij,
Vittorio Prato, Anders Dahlin, Nathan Berg, Thomas Dolié. Chœur de l'Opéra National de Bordeaux. Les Talens Lyriques, dir. Christophe
Rousset. Mise en scène et chorégraphie : Laura Scozzi.
Filmé au Grand Théâtre de Bordeaux, février 2014. 1DVD Alpha : Alpha 710. TT.:
175'. Ce DVD est la captation à Bordeaux de la
mise en scène de Laura Scozzi, vue au Capitole de
Toulouse en 2012 (cf. NL de 6/2012). Cette interprétation déconcerte encore
plus qu'à la représentation. Laura Scozzi, prend en
effet le parti de chercher à unifier les diverses « entrées » de l'œuvre :
Du prologue, sorte d'Eden où prospèrent des éphèbes nus se trémoussant comme
des cabris, procède l'idée d'un voyage aux « Indes », ce qui au XVIII
ème siècle, signifiait conquête de lointaines
contrées ; en l'occurrence la Turquie (« Le Turc généreux »), le
Pérou (« Les Incas du Pérou »), puis, ce qui est nettement plus
subjectif et arbitraire, la Perse (« Les Fleurs), et enfin l'Amérique
(« Les Sauvages »). Et ce pour tailler au passage une satire souvent
violente de la condition féminine, ou l'exploitation de la femme, tour à tour
réduite en esclavage, battue par une sorte de souteneur, soumise au voile
intégral alors que les mâles se plaisent à s'amuser avec des poupées Barbie, ou
encore transformée en objet de désir dans un milieu nord américain consumériste
en diable. Le problème est que le trait est si appuyé qu'il en perd son acuité
: le débordement d'idées (le Sentier lumineux dans le tableau du Pérou), et
d'images souvent amusantes (les trois voyageuses désopilantes), mais bien crues
(les caprice machistes de ces messieurs persans) finit
par lasser. Car ce féminisme au pied de la lettre semble bien dépassé. Surtout
que la direction d'acteurs ne flatte pas toujours les protagonistes qui donnent
le sentiment d'un engagement en deçà de ce que la mise en scène tend à imposer.
La saisie de près par une caméra bien cruelle dans son indiscrétion, n'arrange
rien. Là où on attend le repos esthétique, on nous sert une satire sollicitante, provocante, et qui ne met pas à l'aise, dans
une ambiance bien sûr misérabiliste (bord de mer souillé de déchets, officine
peu reluctante de fabricants de poudre blanche,
charrette à chevaux déversant lesdites poupées Barbie en petites tenues, etc.).
L'interprétation vocale a ses points forts (Amel Brahim-Djelloul,
Judith van Wanroij, Nathan Berg) et ses faiblesses
(plusieurs autres rôles masculins). Elle est en tout cas bien des fois gênée
par les exigences de la mise en scène. Ainsi de l'aria de Fatime
« Papillons inconstants », ruinée par l'accoutrement de la chanteuse et
une mise en situation devant un micro... La direction de Christophe Rousset
apporte heureusement à la musique de Rameau son dû et on se délecte des
interventions solistes des Talens Lyriques, des deux
flûtes en particulier. Les passages de ballet, souvent réduits à peu par la régisseuse
chorégraphe, ne font pas tressaillir comme ils le devraient, en particulier la
fameuse chaconne du tableau final des « Sauvages », pourtant un vrai
''tube'' du baroque. Il faut nul doute chercher
ailleurs pour une vision DVD satisfaisante de ce chef d'œuvre de la
comédie-ballet, même mise au goût d'aujourd'hui (par exemple la version
Christie-Serban/ONP chez Opus Arte). Jean-Pierre Robert. Wolfgang Amadé
MOZART : Die Entführung aus dem serail.
Singspiel en trois actes K. 384. Livret de Gottlieb Stephanie, d'après le
Singspiel « Belmont und
Constanze » de Christoph Friedrich Bretzner. Conception des dialogues : René Jacobs (2014).
Robin Johannsen, Mari Eriksmoen, Maximilian Schmitt,
Julian Prégardien, Dimitry Ivaschchenko. Cornelius Obonya.
RIAS Kammerchor. Akademie für Alte Musik
Berlin, dir. René Jacobs. 2CDs Harmonia Mundi : HMC 902214.15. TT.: 2H40. Le retour en force de L'Enlèvement au
sérail ne concerne pas que la scène (Paris, Aix, Glyndebourne),
mais aussi le disque : après la récente version de Yannick Nézet-Séguin
chez DG (cf. NL de 11/2015), voici la vision attendue de René Jacobs dont on
sait la pertinence et aussi les curieux partis de ses interprétations
opératiques mozartiennes. Celle-ci n'échappe pas à ces canons. Mais s'il
déconcerte de temps à autres, le résultat force l'admiration. Jacobs, comme
toujours, s'est penché sur le texte original et a scruté ses moindres recoins,
se référant à ses antécédents, savoir le
Singspiel de Bretzner. Il a ainsi réécrit, réimaginé, les dialogues. Ceux-ci sont quelque peu
allongés, en particulier concernant les interventions du Pacha Selim, mais
aussi les personnages d'Osmin ou de Pedrillo. Surtout, ils sont imbriqués dans le discours
musical de façon à ce que se produise, selon Jacobs, « une interférence
entre parlé et chanté ». Une mise en scène sonore y contribue, grâce à une
« musicalisation » de ces dialogues. Ainsi
par exemple, Pedrillo se manifeste-t-il pendant le
premier air d'Osmin, ou plus tard, ce dernier
commente-t-il incrédule les velléités d'indépendance britannique de Blonde
durant l'air de celle-ci. De même un discret babil au clavier accompagne-t-il
la longue tirade de Selim accordant la liberté à Belmonte
et à ses amis. Moins pertinentes, même si dramatiquement en situation, sont les
deux répliques de Selim insérées durant l'air de Konstanze
« Martern aller Arten ».
Intéressantes par contre les quelques ajouts instrumentaux ou
« anticipation de certaines idées musicales » (ibid.), préludant
quelques passages : une mise en route au Hammerklavier
précédant l'entame du premier air d'Osmin, ou
quelques variations au clavier accompagnant les mots « Triumph,
Triumph », une fois que Pedrillo
a réussi à endormir le bouffon avec ses bouteilles de vin. Jacobs justifie
cette pratique par celle favorisée par Mozart lui-même lorsqu'il dirigeait
l'œuvre, qui n'hésitait pas à « préluder » au clavier. Tout cela
apporte une indéniable vie au Singspiel. La direction musicale de René Jacobs,
qui n'en aurait sans doute pas besoin pour étaler ses vertus, en est gratifiée
en tout cas. Car la réussite est là éclatante : extrême finesse du discours,
cordes fouettées, traits des bois étincelants, battue brusque mais pas sèche,
tempos sur le versant rapide, voire accélérations fulgurantes (fin du duo
Blonde-Osmin à l'acte II) et contrastes dynamiques
larges, par exemple dans les ensembles, tel le finale de l'acte II. Les
passages qui ressortissent à l'inspiration lyrique sont pareillement frappants,
de l'ordre d'une vraie ''voix intérieure'' : ainsi de l'introduction du
deuxième air de Konstanze, « Traurigkeit ».
Son orchestre de l'Akademie für
Alte Musik Berlin offre un
raffinement sans pareil et les interventions solistes sont brillantes (quatuor
instrumental concertant de l'air « Martern aller
Arten »). Jacobs favorise également les appogiatures
dans le chant. Il a réuni une distribution jeune et sans concession à quelque
routine ; non plus qu'au star système, comme dans
l'autre version récente. Ses deux ténors tiennent la corde : Maximilian Schmitt
est un Belmonte stylé : émission claire, souplesse de
la ligne de chant, flexibilité et surtout pureté de l'émission. Julian Prégardien, Pedrillo, a de
l'esprit, pas benêt comme souvent, sincère et joyeux, voire désopilant, et
« juste » dans les dialogues. Dimitry Ivashchenko propose un portrait d'Osmin
nullement caricatural, nanti de cette pointe de comique rappelant que le
personnage n'est sans doute pas l'horrible barbare sanguinaire qu'a imposée une
mise en scène récente à Aix. La basse, pas ''caverneuse'', quoique dotée des
notes graves nécessaires, est un régal de ductilité. De la figure de Selim,
l'acteur Cornelius Obonya propose une approche riche,
à la fois « à visage humain », dans le ton de confidence au début,
lors de la première confrontation avec Konstanze, et
opposant une ferme autorité à la résolution de celle-ci de décliner ses
avances. Les deux sopranos, quasi inconnues des pochettes de disque du moins,
remplissent le contrat avec aisance. Le timbre de Robin Johannsen, plutôt
léger, rappelle, comme le souligne Jacobs, que le rôle de Konstanze
ne fut pas distribué à l'origine à une soprano dramatique colorature, mais à
une voix plus ''légère'': le premier air en bénéficie grandement, offrant une
vocalité proche de ce que sera celle de la Reine de la nuit. Les deux suivants
sont négociés avec aplomb et les acrobaties de « Martern
aller Arten » montrent aussi que Mozart écrivait
pour des voix hors norme, ou contraignant ses chanteuses à des écarts
phénoménaux, le brusque passage du grave à l'aigu imaginé ici, préfigurant ceux
qu'il réservera à sa Fiordiligi de Cosí fan tutte. La caractérisation est
finement pensée. Celle de Blonde l'est tout autant. Mari Eriksmoen,
dont la voix parlée contraste étonnement
avec le timbre chanté, offre bagout et piquant, voire un brin perçant.
Une version bien différente des interprétations habituelles. Passionnante. Jean-Pierre Robert. Giuseppe VERDI :
Aïda. Opéra en quatre actes. Livret de Antonio Ghislanzoni. Anja Harteros, Jonas
Kaufmann, Ekaterina Semenchuk, Ludovic Tézier, Erwin Schrott, Marco Spotti, Paolo Fanale, Eleonora Burato. Banda musicale della Polizia di Stato. Orchestra e
Coro dell'Academia Nazionale
di Santa Cecilia, dir. Antonio Pappano.
3 CDs Warner classics : 0825646106639. TT.: 39'56+40'41+64'59. Précédée d'une publicité avantageuse, cette
nouvelle version discographique d'Aïda tient ses promesses. On a pris un
soin méticuleux à sa préparation : cast assemblé avec
doigté, choisi parmi les voix les plus en vue du moment, chef charismatique
dans le domaine, technique d'enregistrement studio particulièrement étudiée.
Retour aux temps bénis où fleurissaient les intégrales d'opéra, mitonnées avec
passion... Le pari était d'aligner trois prises de rôle dans les personnages
titres, Harteros, Kaufmann et Tézier
; gage d'une interprétation renouvelée, en tout cas recherche de nouvelles
voies. Le mérite en revient avant tout au chef Antonio Pappano
qui signe là une de ses plus belles réalisations verdiennes. Le vrai ton
italien qu'un orchestre rompu à ces pages peut apporter, celui de l'Accademia di Santa Cecilia, ne se démontre plus. Surtout
les atmosphères sont là, que ce soit dans les grandes scènes démonstratives
(Temple de Vulcain, tableau de la porte de Thèbes, dit « du
triomphe ») ou dans les moments intimistes qui distinguent peut-être plus
cet ouvrage que ses vastes déploiements de foule. La scène du Nil est une
particulière réussite. Le climat nocturne, mystérieux, bercé par la mélopée de
la flûte plaintive sur un fond scintillant des cordes pianissimo est pur
envoûtement. Remarquable est aussi la délicatesse des musiques de ballet,
pourtant pas les plus inspirées de Verdi, dont la couleur locale (scène 2 de
l'acte I, divertissement du deuxième acte) est restituée avec tact. Les grands climax
sont impressionnants : bien sûr, ceux que renferme la scène du triomphe, mais
également lors du premier tableau du IV ème acte qui
procure une impression d'écrasement de toute la masse orchestrale à mesure que
la sentence s'abat sur le héros déchu. Cette vision est magnifiée par une
captation d'un formidable impact et d'une clarté étonnante dans l'agencement
des divers plans, même lors des passages les plus chargés où les solistes
parviennent à se détacher de la gangue des chœurs, grâce à une mise en scène
sonore elle aussi soignée. L'extrême immédiateté signe un pas franchi dans la
restitution sonore opératique. Les voix en sont les grandes bénéficiaires,
qu'elles soient saisies fortissimo ou au contraire dans le registre de la
confidence. Le régal est là, de tous les instants. Jonas Kaufmann est Radamès : le ton héroïque, renforcé par le timbre
barytonnant, sait s'effacer pour distiller un lyrisme épuré qui ne se résout
pas seulement à ses magiques falsettos habituels, et dont l'un superbement filé
illumine la fin de l'air « Celeste Aïda ».
Le legato est enviable et la vision totalement crédible. Le duo final, deux
voix amenées à se dépasser, est d'un art du phrasé incomparable. Son Aïda est
alors au diapason, comme il en fut dans le duo ultime du Don Carlo de
Salzbourg. Anja Harteros, qui confie avoir longtemps hésiter avant d'embrasser le projet, ce qu'on comprend au
regard du caractère hybride du rôle titre, apporte un vraie ''italianità'' et l'élégance habituelle qui pare ses
interprétations verdiennes (Elisabetta, Leonora)
alliée à une absence d'idée préconçue quant à la manière d'aborder le rôle. Nul
pathos donc dès les premières répliques ou lors des duos avec Amonastro (rien d'appuyé, seule une vraie frayeur) ou avec Radamès (un amour qui ne fuit pas le devoir filial), et on
y croit. La scène du Nil atteint une dimension cosmique, largement aidée par la
direction extraordinairement nuancée de Pappano. D'Amonastro, Ludovic Tézier trace
un portrait juste, pas vengeur exacerbé, et le legato de sa vraie voix de
baryton Verdi est pur bonheur. Ekaterina Semenchuk
apporte le timbre de mezzo clair qui sied à Amnéris
et une interprétation, certes un brin plus étudiée que ses partenaires, mais en
situation eu égard à la passion dévorante mais contrariée de cette femme
altière. Erwin Schrott est un Ramphis
de luxe, basse brillante et peinture autoritaire, et les autres rôles sont à la
hauteur de leurs illustres collègues. La réussite ne serait pas complète sans
la contribution du Chœur de l'Accademia di Santa
Cecilia qui comme leurs collègues instrumentistes, font là un travail
proprement magistral. Alors une Aïda pour aujourd'hui ? Les gloires
d'antan ne sont pas éclipsées, mais sans doute égalées. En tout cas
l'expérience vaut le voyage, jusqu'à l'île déserte ! Jean-Pierre Robert. Jean SIBELIUS : Intégrale
des symphonies, N° 1 op. 39, N°2, op. 43, N°3, op. 52, N° 4 op. 63, N°5,
op. 82, N° 6, op. 104 & N° 7, op. 105. Berliner Philharmoniker, dir. Sir Simon
Rattle. 4 CDs & 2DVD Blue Ray. Berliner Philharmoniker Recordings : BPHM
150071. TT.: 80'50+67'57+30'32+51'01. Les symphonies de Sibelius occupent une
place à part. On a longtemps disserté sur leur caractère déroutant, rebutés que
sont les auditeurs cartésiens devant un univers d'éléments apparemment épars,
de mélodies fragmentées, de changements de rythmes fréquents, de morcellement
de la pensée qui peut laisser une impression de désordre, en tout cas
d'insaisissable. Les temps ont cependant bien changé et on est à l'heure d'une
réévaluation de ce compositeur. On relira avec intérêt l'article de Gérard Denizeau sur « L'énigme Sibelius » (in NL de
2/2015). Grâce surtout à l'opiniâtreté de quelques chefs, Herbert von Karajan et Lorin Maazel hier, Esa-Pekka
Salonen aujourd'hui et surtout Simon Rattle. Le chef anglais aime Sibelius et le fait savoir.
Pour sa deuxième intégrale au disque des symphonies (la I ère remonte aux
années Birmingham), entouré des fabuleux Berliner Philharmoniker, au fil de quelques concerts enregistrés
live à la Philharmonie de Berlin, de décembre 2014 à février 2015, il livre sa
vision actuelle de ce fascinant corpus. Une manière qui ne cherche pas à gommer
les difficultés, à aplanir les angles, à « faire romantique » ce qui
ne l'est pas ou presque plus (Première Symphonie) par une recherche du
beau son, comme son prédécesseur céans Herbert von
Karajan dont les interprétations au disque font encore autorité (4e, 6e et
7èmes). La captation en direct est magistrale encore que l'impact du registre
grave (contrebasses, timbales) puisse limiter le champ sonore par endroit, plus
qu'à l'écoute directe, si équilibrée à la Philharmonie berlinoise. Mais
l'impact est indéniable et les plans restitués avec clarté. C'est que le
travail de Rattle privilégie une dynamique large
comme toujours, forte extrêmes, pianissimos évanescents (2ème mouvement
de la 4 ème, finale de la 2 ème),
et un art consommé de bâtir un crescendo gigantesque. Reste que l'approche est
souvent chambriste, ce qui laisse à l'idiome sibélien
matière à développer ses appâts. Et ils
sont nombreux, divers selon les opus. La Première Symphonie op 39, de
1898/1899, est encore dans l'orbite post romantique comme le signale son
lyrisme, mais la dramaturgie chaotique qui le tempère marque une vision bien
personnelle de cet héritage, comme il en est va dès l'introduction du premier
mouvement avec son solo de clarinette joué triple pianissimo, qui s'attache
ensuite à libérer un thème mené energico. Un scherzo
lui aussi énergique, martelé par Rattle, précède un
finale « quasi una fantasia » dont la
mélodie « cantabile ed espressivo » par son
généreux rubato, est digne de l'école russe, de Borodine en particulier. La
manière change déjà avec la Deuxième Symphonie op 43 (1902), et cette
tendance à ce que Marc Vignal dénomme une
« orchestration centrifuge », si différente du langage contemporain
d'un Richard Strauss par exemple, ses silences expressifs, ses changements
d'éclairage, si manifestes à l'allegretto initial. Le « tempo di andante
ma rubato », vaste, le chant lugubre du basson, les convulsions des
cuivres, tout cela n'est sans doute pas aisé à saisir et Rattle
ne cherche pas à gommer ces convulsions. Le vivacissimo,
en forme de mouvement perpétuel, le chef le traite telle une course effrénée
qu'après un silence marqué, le passage trio tempère « lento e soave ». Le finale qui s'élance sur un thème hyper
romantique, laisse place à un discours étale et de délitement, mais la pièce se
clôt en une apothéose fière. La Troisième Symphonie op. 52, de 1907,
peut-être la plus déroutante selon Gérard Denizeau, Rattle nous la met à portée d'écoute : triomphe de
l'écriture pour les cordes dans l'allegro moderato qui promeut une sorte de
phénomène d'amplification, manière de chanson populaire nostalgique à l'andante
con moto, dans laquelle les bois jouent un rôle essentiel désormais, combien
séduisant chez cet orchestre d'élite. D'une construction complètement
originale, typique du morcellement sibélien et de sa
polyrythmie, mais aussi offrant une transparence digne de Mendelssohn et du Songe
d'un nuit d'été, le finale offre de monumentales montées en puissance,
terribles, on ne peut plus énergiques sous la conduite de Simon Rattle. Avec la Quatrième Symphonie op 63
(1909-19011), place à l'expérimentation, de l'ordre de l'aphorisme musical avec
ses chromatismes, ses dissonances, ses intervalles de triton. On a dit que
Sibelius poussait là le langage wagnérien à son extrême. Ce qui fait dire au
chef anglais que « le premier mouvement contracte le Parsifal
de Wagner ». L'austérité caractérise l'entame de cette pièce, sa
rugosité presque, mais le contraste est saisissant avec l'allegro vivace qui
suit, apparemment enjoué par la mélodie du hautbois, traversé d'épisodes
agités, sorte de scherzo. La brève séquence trio, Rattle
en souligne le dramatisme. Le « tempo largo » offre un espace de
méditation, de mystère avec son solo de flûte, d'une mélancolie désespérée,
tandis que le finale joue à l'envi du morcellement chaotique, et ici de
différenciation dynamique. La Cinquième Symphonie op 82 (1919) reçoit une
exécution d'un fini inouï. On la considère comme la plus accessible et en tout
cas comme celle par laquelle il faut entrer dans le monde du compositeur
finlandais. Sa lointaine filiation beethovénienne n'y est pas étrangère, qui
dans les mouvements extrêmes, signale un héroïsme faisant penser à la Troisième
de Beethoven. Son premier mouvement est un univers à soi seul où l'on découvre
le brouillard des cordes ppp conduisant à une course haletante qui se
résout en un presto endiablé. De même l'allegro molto conclusif se signale-t-il
par son ostinato, voire sa manière qui ferait penser à l'Hymne à la joie
de la Neuvième du maître de Bonn. Tout le mouvement respire un feu ardent sous
la direction de Rattle, même dans l'épisode médian
« misterioso », dont les cordes pianissimo
« marcato con sordini »
apportent un contraste saisissant. Le sens de l'amplification, en dimension et
en intensité, est formidable et la péroraison ponctuée de ses six accords
abrupts laisse sans voix! Au milieu, l'andante messo dessine son apparente simplicité, schéma en
diverses variations. Les Berliner sont surperlatifs. La Sixième Symphonie op. 104 (1923)
qui a connu sa première berlinoise en 1938 par Herbert von
Karajan, offre austérité et élévation de la pensée. Au fil de ses quatre
mouvements, la présente interprétation se caractérise par la plénitude
expressive des cordes au moderato, apaisées comme une eau claire, par
l'élégance de la battue de Rattle qui n'élude pas les
tensions sous-jacentes. Les dissonances à peine cachées du second mouvement,
moderato, et ses changements de rythmes, laissent place au caractère implacable
du poco vivace, un scherzo sans trio, très concentré, puis à un finale
développé dont sont bannis les effets, pour mettre en avant un intimisme qui
baigne en fait toute l'œuvre. Ce que le chef obtient par un formidable travail
sur les cordes. Autre merveille que la conclusion alors que la trame se raréfie
par paliers et que tout s'achève dans un délicat pianissimo des violons. La Septième
Symphonie op 105, de 1924, est faite de quatre parties enchaînées, dont la
première est la plus développée. Chemin vers l'épure, l'extrême sérénité, selon
une alternance de plages vives et lentes. Sentiment d'unité enfin entrevue,
malgré l'apparente variété, le schéma tension-détente, l'opposition
ombre-lumière que Rattle traite avec empathie. Le
finale, un vaste crescendo qui peu à peu se résout dans le calme intérieur, est
peut-être la récompense de cette immense saga orchestrale des six symphonies,
surtout interprétées comme elles le sont ici. Sibelius a dit un jour à son
éditeur : « tandis que d'autres compositeurs vous apportent toutes sortes
de cocktails, je vous sers quant à moi une eau froide et pure! ». Elle est
bien goûteuse à en juger de ce qu'en font les Berliner
Philhamoniker et leur chef. Jean-Pierre Robert. Serge RACHMANINOV : Symphonie N°3. Mily BALAKIREV
: Ouverture « Russia ».
London Symphony Orchestra, dir. Valery Gergiev. 1 CD LSOlive : LSO0779. TT.: 56'30. La Troisième symphonie de Serge
Rachmaninov, créée en 1936 par Leopold Stokowski à
Philadelphie, a été écrite durant les années de tournées de concerts intenses
aux États-Unis. Son premier mouvement sur le schéma lent-vif montre une russité affirmée mais dissimulée dans un langage
déconcertant dû à sa fragmentation. Ne
serait-ce que par son premier thème psalmodique nostalgique qui ne progresse
pas comme on pourrait s'y attendre, puis un second aux violoncelles d'un grand
lyrisme presque vocal. Le développement est traversé d'éclairs et le cheminement
pas des plus aisés, du fait de digressons étranges parfois. La vision de Valery
Gergiev ne facilite pas les choses : baisse
d'inspiration ou volonté de dépouillement ? Le deuxième mouvement contraste un
adagio mélodieux séduisant aux cordes dont se détachent un solo du Ier violon et un dialogue original bois et harpe, puis un
vivace, sorte de scherzo, mordant, aux rebondissements inattendus, course
haletante ponctuée d'accords secs. Le finale, morcelé, est sans doute un point
d'aboutissement des deux séquences précédentes, puissant et ample, mais aussi
intensément lyrique. Voilà encore un
mélange étrange dont il n'est pas toujours facile de saisir la cohérence de la
pensée. La lecture de Gergiev y est-elle pour quelque
chose, qui laisse dubitatif ? D'autant que l'enregistrement, capté de très près
au Barbican de Londres, grossit les effets, dans les
basses en particulier, outre une insuffisante perspective pour une écoute
domestique. L'Ouverture « Russia » de Mily Balakirev (1837-1910), basée sur des chants
populaires, dévoile une orchestration chatoyante qui fait penser à Borodine
mais avec quelque rudesse en sus. Cela sonne profondément russe avec ses
inflexions typiques des bois. Jean-Pierre Robert. Édouard LALO : intégrale
des mélodies. Tassis Christoyannis,
baryton. Jeff Cohen, piano. 2CDs Aparté : AP110. TT.: 70'+60'. Édouard Lalo (1823-1892) n'est pas
seulement l'auteur de la Symphonie espagnole ou du Roi d'Ys. Il a
aussi écrit des pièces de chambre et des mélodies. Ce dernier corpus, de plus
de quarante numéros, qui s'étend entre 1848 et 1887, même si pas aussi décisif
en termes d'apport au genre de la mélodie française, est loin d'être
négligeable. On doit à la perspicacité du Palazzetto
Bru Zane Centre de musique romantique
française de l'exhumer dans son intégralité. Certes, pareille entreprise
montre ses ponts forts et ses faiblesses. Ainsi les premiers opus sont-ils
moins captivants que les ultimes pièces, encore que dès ses primes essais, Lalo
installe une forme strophique et des compositions avec refrain ou envoi qui
introduisent un agréable mélodisme répétitif, sur un
accompagnement pianistique peu complexe ; par exemple dans « Adieu pour le
désert » qui contraste le refrain déclamatoire et le texte lyrique sur le
thème de l'adieu. Les textes sont puisés à des sources diverses. Ainsi de
Pierre-Jean de Béranger, chansonnier célèbre, qui dans les Six Romances
populaires, de 1849, offre des poèmes narratifs associant critique sociale
(« La Pauvre Femme, ou l'histoire
affligeante d'une cantatrice déchue réduite à mendier, et dont l'envoi
''Ah! Faisons lui la charité'' sonne comme des coups de tonnerre) ou vignettes
plus amènes (« Si j'étais petit oiseau »). Lalo mettra en musique les
grands de la littérature : Victor Hugo pour les Six mélodies op. 17 (1856),
dont l'exotique « Guitare », tirée du recueil Les Rayons et les
Ombres, ou le lyrisme profond de « L'Aube naît », extrait des Chants
du crépuscule, ou encore la chanson à boire « Amis, vive
l'orgie », tirée de la pièce Lucrèce Borgia cette fois. Mais aussi
Alfred de Musset et ses Poésies nouvelles (« A une fleur »,
version modernisée de ''La Violette'' de Mozart, ou la poétique « La Zuecca »). Lamartine encore avec « Viens !»,
ou Théophile Gautier (« L'esclave »). Les dernières pièces, qui
dénotent une écriture pianistique plus élaborée, atteignent à une réelle
maîtrise : « Le Chant breton », de 1884, avec partie de hautbois obligé,
est d'une tristesse désespérée, et « Marine », de la même année, sur
un poème d'André Theuriet, fait penser à la poétique de Schumann. Le baryton Tassis Christoyannis, qui s'était
déjà illustré dans les mélodies de Félicien David (cf. NL de 7/2015), défend
ces pièces avec une pareille conviction : la diction soignée, la qualité de la
projection comme la caractéristique d'un timbre souvent presque ténorisant leur
apportent émotion contenue ou éclats sincères. Un vrai récitaliste
promu à un bel avenir. Jeff Cohen lui prodigue un soutien attentif en même
temps qu'un jeu pianistique perlé qui dépasse le simple accompagnement. Jean-Pierre Robert. Gabriel FAURE :
intégrale de la musique de chambre avec piano. Éric Le Sage, Alexandre Tharaud, piano, Daishin Kashimoto, violon, François Salque,
violoncelle, Lise Berthaud, alto, Paul Meyer,
clarinette, Emmanuel Pahud, flûte. Quatuor Ebène. 5
CDs Alpha, distribution Outhere : Alpha 228. TT. :
74'02+64'09+66'15+70'32+67'58. C'est au pianiste Éric Le Sage que revint
l'idée d'enregistrer les pièces de musique de chambre que Gabriel Fauré a conçu
avec piano. Ces interprétations parues entre 2010 et 2012, sont désormais
réunies en un coffret de 5 CDs. Une mine ! L'écriture pour la musique de
chambre occupe le compositeur tout au long de sa carrière, depuis la première
période (1ère Sonate pour violon op. 13, 1er Quatuor avec piano op.
15, Berceuse op. 16...),
jusqu'aux derniers feux créateurs (Sonates pour violoncelle op. 109 et
117, Masques et Bergamasques op. 112, Trio op. 120). La période
médiane sera tout aussi riche avec le 2ème Quatuor op. 45, le 1er
Quintette op. 890, Dolly op. 56, la Sérénade op 98, etc... Les exécutions qu'en donnent les musiciens réunis
ici sont de classe, grâce à la belle complicité qui unit des amis animés d'une
vraie passion pour la musique française qu'ils jouent au Festival de l'Empéri en Provence, chaque été, sous la houlette d'Éric Le
Sage, d'Emmanuel Pahud et de Paul Meyer. Cela se
sent. Les deux Sonates pour violon et piano se situent aux deux extrémités de
la production fauréenne : la Première op. 13, de 1876, offre un lyrisme sans
fard et déjà cette sinuosité de la ligne qui fera florès chez le musicien dans
bien de ses œuvres chambristes. On note la délicatesse de l'andante et ce côté
mélodie infinie, autre caractéristique de l'art fauréen. Après un scherzo
bondissant, que pare d'esprit Daishin Kashimoto, Ier violon du Berliner
Philharmoniker, le finale puissamment lyrique clôt une pièce fort
attachante. La Deuxième Sonate op.108, de 1917, dédiée à la reine Élisabeth de
Belgique, grande protectrice des Arts, montre le dernier style du maître, plus
abstrait mais combien habité, au jaillissement intarissable (allegro), d'une
émouvante sérénité (andante), fascinant de finesse au finale, introduit par un
thème énoncé au violon ''con grazia''. Les deux Sonates pour violoncelle appartiennent à
cette même ultime période. La première op 109, de 1917, est tour à tour
vigoureuse (allegro deciso), rappelant l'air d'Ulysse
du III ème acte de Pénélope, nocturne et
élégiaque, épanchant une douleur secrète (andante), triomphe de la belle
modulation, d'un optimisme retrouvé (finale). La seconde sonate de violoncelle
op 117 (1921), plus apaisée, offre un lyrisme lumineux (allegro) dont la
jeunesse d'inspiration fit l'admiration de Vincent d'Indy, une déploration sur
un rythme de marche funèbre, très retenue comme toujours chez Fauré (andante),
et une conclusion en forme de scherzo inventif, le piano gambadant et le cello s'aventurant dans des traits hautement expressifs
(allegro vivo). François Salque en est l'interprète
choisi et le partenariat avec Éric Le Sage fonctionne au quart de tour. Comme
il en va des autres pièces pour cette formation : la Sérénade op 98,
dédiée à Pau Casals, l'Elégie op. 24, noble et pathétique, ou Papillon
op. 77, pendant virtuose de cette dernière.
Les quatuors pour piano sont sans conteste
les morceaux les plus abordables de l'œuvre de musique de chambre. Comment
résister à la séduction du premier op 15 ! Pur chef d'œuvre où pas une note ne
paraît de trop. Ce que proclame l'exécution de Daishin
Kashimoto, Philippe Salque,
Éric Le Sage et Lise Berthaud, à l'alto. Cette pièce
est souvent confiée à un groupe ad hoc. On se souvient de celui mené par Yehudi Menuhin et sa sœur Hephzibah,
d'un élan proprement irrésistible (EMI). La présente formation l'aborde de
manière plus retenue, pas trop accentuée au Ier mouvement, laissant bien au
piano son rôle fédérateur, lequel de son jeu délicieusement liquide pare le
scherzo qui suit d'une suprême délicatesse, tandis que le passage en trio
tranche moins qu'attendu, les mélismes fauréens jouant à plein. Le sommet
d'intensité, on le trouve à l'andante, une des plus belles inspirations du
musicien. Très contrasté, le finale est un tourbillon de tous les instants. Le
second Quatuor pour piano op. 45, de 1887, démontre la même maîtrise du travail
sur les quatre voix. L'allegro molto moderato sonne ici comme une houle des
cordes sur un babil du clavier, grâce à un parfait dosage piano-cordes.
Celui-ci fonctionne aussi au second allegro où on croit entendre le même mode
que dans le mouvement correspondant du premier quatuor. Pourtant la manière
semble bien différente, le piano plus affirmé dans ce cas. A l'adagio, la
mélodie du violoncelle surgit de très loin avec Salque,
d'une mélancolie retenue, et le discours se veut ascétique. L'allegro molto
final sonne quasi orchestral. L'écoute des quintettes laisse pareille émotion
artistique. Le Premier Quintette op 89 connut une longue gestation,
entre 1890 et 1906, et marque la transition entre les périodes stylistiques
médiane et ultime de Fauré. Et illustre cet art souverain de la modulation
qu'on lui associe. La présente interprétation, due au Quatuor Ebène et à Éric
Le Sage, est une réussite. Vaste digression modulant à l'envi et travaillant un
lyrisme irrésistible (1er mouvement),
empli d'une douce mélancolie (adagio), vaste crescendo radieux
(allegretto moderato). Le Deuxième quintette op. 115, dédié à Paul
Dukas, compte parmi les plus belles réussites chambristes de son auteur. Il
reçoit une lecture soutenue : souffle puissant de l'allegro moderato, autre
fabuleuse inspiration fauréenne, vitalité et allégresse au scherzo, d'une
souveraine beauté, prière fervente (andante), puis, au finale, déroulant sa
mélodie infinie, abstraite dans ses harmonies complexes, celles du dernier Fauré
et de sa musique intérieure, empoignant l'auditeur. Reste le Trio op 120, avant dernière
partition de Fauté. Originellement conçu pour piano, violoncelle et clarinette,
il compte aussi une version pour violon. La présente intégrale propose les
deux. Celle pour violon que jouent Pierre Colombet et
Raphaël Merlin du Quatuor Ebène, avec Le Sage, conjugue lyrisme et sérénité, et
rappelle l'ascèse du 2ème Quatuor pour
piano. Dans le long andantino, violon et violoncelle tressent une mélodie
infinie tandis que le piano leur répond par des arabesques choisies. Le finale
est un scherzo impétueux, brillant. La version pour clarinette, que jouent Paul
Meyer, François Salque et Le Sage, sollicite une
formation plutôt rare dans la littérature française, car seul Vincent d'Indy
s'y essaiera aussi alors qu'outre Rhin,
Beethoven et Brahms l'avaient pratiquée. La clarinette apporte une
coloration particulière, sans doute moins austère que le violon, en particulier
au finale où l'impétuosité est décuplée par la sonorité séduisante de cet
instrument, et la maestria qu'y dispense Paul Meyer. Il faudrait encore parler
des pièces isolées comme Dolly op. 56 pour piano à quatre mains, celles
ici de Le Sage et d'Alexandre Tharaud d'un goût
parfait à travers Berceuse, Andantino et Tempo di valse et même un ''Pas
espagnol'', seul exemple de le couleur locale chez Fauré. Ou encore de Masques
et Bergamasques, op. 112, pareillement achalandé pour quatre mains dans la
Suite qu'a tiré Fauré de la ''comédie musicale'' créée en 1919 à Monaco, sur
une commande du prince Albert Ier. Nos duettistes y font montre d'une verve
communicative. Il en va de même des Souvenirs de Bayreuth,
« fantaisie en forme de quadrille sur les thèmes favoris de l'Anneau du
Nibelung de Wagner » : comme Chabrier, Fauré se laisse gagner par
l'envoûtement du Vieux sorcier de Bayreuth et en cinq brefs morceaux, parodie
subtilement quelques pages de La Walkyrie, de Siegfried ou du Götterdämmerung : d'un humour ravageur entre les
mains de Le Sage et de Tharaud. Jean-Pierre Robert. Dimitri CHOSTAKOVITCH: Concertos pour violoncelle et orchestre N° 1, op 107,
et N°2, op 126. Gautier Capuçon, violoncelle.
Orchestre du Théâtre Mariinsky, dir.
Valery Gergiev. 1CD Erato : 0825646069736. TT.:
67'06. On se souvient de l'interprétation suprême
de Gautier Capuçon lors du concert de décembre 2013 à
la salle Pleyel, dont le présent disque est la captation. On louait l'approche
du Premier concerto pour violoncelle op. 107 de Chostakovitch (1959),
certes différente de celle du dédicataire et créateur Mtislav
Rostropovitch, pas moins convaincante. Grâce à une habile manière qui asservit
la faconde spectaculaire des traits rapides (allegretto initial où le soliste
tel un Don Quichotte brode sur un orchestre sautillant brodant autour du fameux
motif de quatre notes DSCH) ou installe un ton chambriste dans les passages
élégiaques (moderato central et son fascinant climat assagi, intense et
rêveur). Le celliste français est souverainement expressif dans la longue
plainte qui le parcourt, Valery Gergiev prodiguant
alors un accompagnement d'une grande tendresse. La cadenza
qui suit sonne telle une improvisation exploitant bien des possibilités de
l'instrument et donne lieu à des pianissimos envoûtants. Le finale, ses
changements rythmiques et rebondissements spectaculaires n'ont pas de secret
pour l'interprète. Qui se sera joué tout au long de cette partition des
« combinaisons chaotiques » fustigées à la création par le pouvoir
soviétique. Du Deuxième concerto op 126, créé en 1966 de nouveau par
Slava Rostropovitch, Gautier Capuçon livre une
exécution pas moins passionnante. Cette pièce est plus dépouillée que la
précédente. Chostakovitch qui n'a plus rien à prouver, peut se laisser aller à
la quintessence et à la mise en valeur de l'art légendaire de son ami. Le largo
est empli de sérénité et pétri d'émotion, celle de quelque souffrance enfouie,
sur un orchestre presque évanescent. Il sera tout de même traversé d'une
section plus animée où le dialogue soliste-orchestre, ponctué de coups sourds
de la grosse caisse, laisse un sentiment de presque malaise. Capuçon introduit le premier allegretto, un scherzo
dansant, de manière presque insouciante, et l'échange est serré entre
violoncelle et percussions. Le vaste finale, de nouveau marqué allegretto, se
signale, entre autres, par la cadence du soliste accompagné du tambour de
basque qui l'entame, puis une succession d'épisodes élégiaques (flûte et cello) ou plus scandés, proche de la marche (cello et percussions). Capuçon
est valeureux et profondément intérieur. Et Gergiev
inspiré des grands soirs lors de cet autre concert live à Saint-Pétersbourg. Il
est bon de disposer désormais d'une telle vision aux côtés de celle du
dédicataire. Jean-Pierre Robert.
Dimitri CHOSTAKOVITCH : Symphonie N° 10, op. 93. Interlude de l'acte II de
l'opéra Lady Macbeh de Mtsensk. Boston Symphony Orchestra, dir. Andris Nelsons. 1CD Deutsche Grammophon : 479 5059. TT.: 64'52. Premier volet d'une trilogie discographique
consacrée aux six symphonies (de la 5 ème à la 10 ème) de Chostakovitch conçues « dans l'ombre de
Staline », l'exécution de la Dixième symphonie op. 93 augure bien de la haute qualité du projet. Comme l'a
démontré le concert donné à la Philharmonie de Paris en septembre dernier (cf. NL de 10/2015), voilà une interprétation
qui se hisse sans mal au sommet de la liste déjà longue des lectures faisant
autorité (Mavrinsky, von
Karajan, Haitink). Comme il aime à le dire, Andris Nelsons, formé à l'école
de Mariss Jansons, et qui a
connu l'occupation soviétique de son pays, la Lettonie, ressent une attirance
particulière, « une relation d'intimité » souligne-t-il, avec la musique du compositeur
russe. Il sait trouver la solution pour articuler les divers éléments de cet
idiome, et surtout créer l'atmosphère angoissante qui la baigne et partant, la
signification profonde d'une pièce comme la Dixième Symphonie : «
les couleurs froides » de la peinture du sentiment de peur qui régnait en
Union soviétique au temps du Staline. Créée en 1953, peu après la mort de
celui-ci, cette pièce ouvre sans doute une période nouvelle dans la carrière de
Chostakovitch, mais affirme les tourments et les espoirs qui sans cesse l'ont
habité. Andris Nelsons
prend le moderato très mesuré, lourd de sous-entendus, empli d'inquiétude,
au-delà de la mélancolie qu'on associe habituellement à ce mouvement. Le
développement est décortiqué, sa thématique insistante ressassée dans ses
diverses strates dynamiques et ses différentes apparitions, du tutti au ton
chambriste, souvent proche du silence. L'atmosphère est oppressante, par
exemple dans le passage des pizzicatos des cordes graves qui disent la douleur,
jusqu'à la déchirante péroraison où la flûte piccolo est d'une beauté glacée.
L'allegro est follement envahissant, comme écrasant tout sur son passage,
vision cauchemardesque qui s'alimente elle-même de ses effets grotesques ou de
ce mouvement de fuite en avant qui débutant pianissimo, s'enfle telle une
machine à broyer. Si l'allegretto marque un répit, la mélancolie revient vite et
Nelsons en distille les divers épisodes, qu'il soit
nocturne, introduit par le cor éclatant puis étouffé, ou pétri de convulsions
avec ses terribles scansions ou ses accords assénés, quoique pas agressifs. Le
finale installe dans son introduction un envoûtement digne de certaines pages
de Lady Macbeth de Msensk, et une attente
indicible qu'interrompt l'allegro et son cri de
ralliement à la clarinette. Le mouvement progresse selon une dialectique entre
course haletante et immense vague lyrique. Le Boston Symphony
répond avec une rare pertinence et une variété étonnante de couleurs, cordes
nourries, bois mordants, cuivres d'une rondeur enviable. On en oublierait
presque de dire que le disque s'ouvre par une fort belle exécution de
l'Interlude du II ème acte de l'opéra cité, une vaste
Passacaille massive se concluant dans un souffle. La prise de son live au
Boston Symphony Hall est exceptionnelle de clarté et
dans l'étagement des plans. Un CD hors
du lot. Jean-Pierre
Robert. Marc-Antoine
CHARPENTIER. Motets pour une princesse. Ensemble
Marguerite Louise, grand orgue & direction: Gaétan Jarry. 1 CD
Encelade : ECL 1403. TT : 67'. Le jeune ensemble Marguerite Louise signe
avec cet enregistrement sa première collaboration avec le label Encelade, spécialisé
dans la musique baroque. Ensemble instrumental et vocal, constitué en 2007, son
nom fait référence à Marguerite Louise Couperin, cousine germaine de François,
considérée comme l'une des plus grandes musiciennes de son temps. Dans ce
disque, l'ensemble Marguerite Louise se propose de faire revivre ces petits
motets de Marc-Antoine Charpentier (1643-1704) composés lors de sa résidence
chez Marie de Lorraine, à la fin des années 1660, à son retour d'Italie. Grande
passionnée de musique Marie, princesse de Joinville et duchesse de Guise, va
offrir à Charpentier un cadre exceptionnel dans son hôtel de la rue de Chaume,
afin qu'il puisse y exercer son art dans les meilleures conditions, atteignant
ainsi un niveau musical rarement atteint, composant ses œuvres les plus
expressives mêlant savamment spiritualité et théâtralité. Les six motets de
Charpentier présentés ici, de caractère très intime, symptomatiques de la piété
du Grand Roi, utilisent psaumes, prière et ode mariale comme autant de climats
différents. S'y intercalent plusieurs pièces d'orgue dues à Jacques Boyvin, organiste rouennais, tirées de ses deux livres
d'orgue datant de 1689 et 1700 représentant près de 120 pièces regroupées en 16
suites, dans un style grandiose à destination liturgique. Un très beau disque qui constituera pour beaucoup une découverte
dans une antiphonie pertinente où voix et orgue se magnifient mutuellement. Du grand art. Patrice Imbaud. Ludwig van BEETHOVEN. Complete works for cello & piano.
Xavier Phillips, violoncelle.
François-Frédéric Guy, piano. 2CDs Evidence classics :
EVCD015 TT : 73'38 + 55'18. Voici un bel album présentant l'intégrale
de l'œuvre pour violoncelle et piano de Beethoven. Une parution constituant le
troisième volet, après les 5 concertos et les 32 sonates pour piano, de
l'ambitieux et méritoire projet du pianiste François-Frédéric Guy dénommé
« Beethoven Project ». Outre le fait de nous donner à entendre des
pièces pour violoncelle et piano, bien connues et désormais incontournables du
répertoire, cet intéressant coffret de 2 CDs nous permet de juger de
l'évolution sur une vingtaine d'années, de 1796 à 1815, de l'écriture
beethovenienne, laissant peu à peu plus de place aux sonorités chaudes du
violoncelle tout en s'émancipant progressivement de la forme pour évoluer vers
plus de liberté. Si les Variations
(sur un thème de Judas Macchabée de Haendel et sur deux thèmes de la Flûte enchantée de Mozart) font la part belle au piano, les
premières sonates n° 1 & 2 de l'opus 5, puis la sonate n° 3 de l'opus 69 évoluent vers
un équilibre qui trouvera sa forme dans un dialogue plus serré entre les deux
instruments. Les dernières sonates n° 4
& 5 de l'opus 102, attestent de l'obsession contrapunctique du
compositeur à la fin de sa vie, une forme fuguée dont la grandeur et l'ampleur
portent témoignage, en filigrane, d'un
conflit formel existant entre la contrainte sévère de la fugue et la force
colossale de la poésie beethovenienne, à l'instar de la Sonate Hammerklavier et
du quatuor Grande Fugue de l'opus
133. Le pianiste François-Frédéric Guy qui connaît son Beethoven par cœur,
s'est pour l'occasion associé au violoncelliste Xavier Phillips, élève de Mtislav Rostropovitch, un duo qui semble trouver
immédiatement ses marques dans une symbiose parfaite quel que soit le climat,
tour à tour bondissant ou lyrique, douloureux ou enjoué, rude ou austère. Du
beau travail ! On attend avec impatience les autres étapes du
« Beethoven Project » avec les sonates pour violon et piano et les
trios. Affaire à suivre. Patrice Imbaud. « Transcendence ». Franz LISZT : Méphisto-Valse n°1.
Douze Études d'exécution transcendante. Jean Muller, piano. 1
CD JCH Productions : JCH 2014/01. TT : 76'19. Le pianiste luxembourgeois, Jean Muller,
est un adepte des grands raids pianistiques, que ce soit au disque ou sur
scène. Son dernier opus, « Transcendence »,
confirme cette inclination au monumental en nous proposant deux pièces
maitresses du répertoire, la Méphisto-Valse
n°1 et les Douze Études d'exécution
transcendante de Franz Liszt (1811-1886), confirmant par là même son
affinité lisztienne, déjà affirmée en 2008 lorsqu'il avait enregistré un
premier récital Liszt pour le label Fondamenta. La Méphisto-Valse n° 1 est une œuvre
inspirée du Faust de Lenau, et plus
particulièrement de l'épisode intitulé Danse
dans l'auberge du village. Cette version pour piano a largement dépassé en
notoriété la version originale symphonique, car capable de rendre de façon plus
expressive toute l'effervescence diabolique et sensuelle de la partition. Véritable
poème symphonique en miniature, elle a su séduire les virtuoses de tous les
temps notamment Busoni et Horowitz qui en proposèrent un arrangement. Les Douze
Études d'exécution transcendante
furent composées sur une période de 25 ans en trois vagues successives, une
composition initiale (1826) influencée par Czerny (Liszt avait alors 15
ans !), une deuxième vague (1839) faite de virtuosité exceptionnelle
réputée injouable sauf de Liszt, enfin la version définitive datant de 1852
marquée du sceau de la maturité réalisant l'impossible synthèse du grandiose,
du théâtral, de la virtuosité diabolique, de l'intimité et de la spiritualité.
On le voit, un véritable défi musical que Jean Muller relève, ici, avec
panache. Si la ligne est limpide, le jeu d'un naturel désarmant, la virtuosité
sans faille, ce qui frappe surtout à l'écoute de ce disque, c'est
l'exceptionnel sens de la narration du pianiste luxembourgeois capable de
rendre, avec un rare bonheur, tous les climats se succédant pour leur rendre
tout leur potentiel d'évocation. Narration, poésie, virtuosité, expressivité,
émotion…Magique ! Patrice Imbaud. « Russian Recital ». Pièces pour piano d'Alexandre SCRIABINE, Nikolaï MEDTNER, Serge RACHMANINOV. Vladimir
Tropp, piano. 1 CD Fondamenta :
FON-1401017. TT : 60'38. Magnifique et rare enregistrement de
Vladimir Tropp pour le label Fondamenta
qui, à son habitude, nous présente ce superbe coffret, comprenant une version
« Fidelity » et une version « Mobility ». Pianiste et pédagogue réputé, Vladimir Tropp (*1939) est professeur depuis 1963 dans la fameuse
école de musique Gnessin de Moscou, prenant en 1997
la direction du département piano, enseignant parallèlement au conservatoire
Tchaïkovski. Considéré, à juste titre, comme l'un des héritiers de l'école
russe de piano, il en a le style, la puissance de jeu, la passion et la poésie,
trouvant dans ce récital russe, associant Alexandre Scriabine (1872-1915),
Nicolas Medtner (1880-1951) et Serge Rachmaninov
(1873-1943), un vecteur idéal. Les pièces de Scriabine présentées ici
permettent de juger du génie et de la variété de style du compositeur. La Fantaisie Op. 28 (1900) mouvante et
passionnée semble mettre un terme au romantisme pianistique du compositeur,
présageant d'un nouvel envol. Le Nocturne
Op. 5 n° 1 et la Mazurka Op. 3 n° 6 sont des œuvres de jeunesse d'une élégance
rappelant Chopin. Quant aux Trois pièces
Op. 45 (1905) elles correspondent à des micro
poèmes, sortes d'improvisation lyrique, genre d'élection de Scriabine, où il
expose ses états d'âme qui trouveront leur apothéose dans Vers la flamme. Medtner, quant à lui,
trouvera à exprimer toute la tradition pianistique héritée de ses maitres,
Bach, Beethoven et Brahms, dans ces Trois
Morceaux Op. 31 composés en hommage au jeune compositeur Alexeï Stanchinski, mort en 1914 à l'âge de 26 ans. Pour conclure
ce récital, les Variations sur un thème
de Corelli Op. 42 (1931) véritable feu d'artifice pianistique où
Rachmaninov laisse libre cours à son génie musical et à sa virtuosité
époustouflante et le Prélude Op. 3 n° 2
(1892) qui ne trouva grâce aux yeux du compositeur que sous les doigts de
Mickey Mouse dans The Opry
House !Un disque, rappelons, magnifique dans
son programme comme dans sa somptueuse interprétation, en même temps qu'un
document à garder précieusement dans sa discothèque ! Patrice Imbaud. « Pensées
intimes ».
Sonates pour violon et piano de Hans PFITZNER.
Lili BOULANGER. Georges ANTOINE. Frederik Septimus
KELLY. Guillaume Sutre,
violon, Steve Vanhauwaert, piano. 1 CD HORTUS 712. Collection
« Les musiciens et la Grande Guerre.
Vol XII ». TT : 73'58. Une nouvelle publication du label Hortus entrant dans la collection « Les musiciens
et la Grande Guerre » dont le présent album constitue le XIIe opus. Un
ensemble de sonates pour violon et piano, peu connues là encore, où le chant
intime et saisissant du violon exprime avec dignité et retenue les douloureux
souvenirs de la Grande Guerre. La
magnifique Sonate pour violon et piano
Op. 27 de Hans Pfitzner (1869-1949) porte, avec nostalgie et comme un
regret pour l'éternité, l'héritage du romantisme allemand. La très mélancolique
Sonate « Gallipoli » de Frederik Septimus
Kelly (1881-1916) fut écrite sur le front turc en 1915, dédiée à la violoniste
hongroise Jelly d'Aranyi qui inspira également Bartók, toute empreinte de délicatesse, elle
développe une cantilène aux accents gitans, avant de se conclure sur une
marche. Frederik Septimus Kelly trouva la mort une
année plus tard lors de la bataille de la Somme en 1916. Composée entre 1912 et 1915, la Sonate Op. 3 de Georges Antoine (1892-1918) est directement
inspirée des temps de guerre : passionnée, tendre, énergique, originale, sombre
et brillante à la fois, elle se termine en un finale rhapsodique fougueux sur
un thème développé dans les tranchées par le compositeur belge. Le Nocturne (1911) de Lili boulanger
(1893-1918) conclut ce splendide album sur une note d'espoir ouvrant la voie au
modernisme qui marquera le XXe siècle musical. Un album original, émouvant, et
une interprétation d'une rare qualité qui font de cet album, à la fois, un
document discographique et un moment de pur bonheur malgré la gravité du
propos. Indispensable. Patrice Imbaud. « Clairières
dans le ciel ».
Mélodies de Lili BOULANGER.
Georges MIGOT. Jacques De La PRESLE. Joseph-Guy ROPARTZ. Pierre VELLONES. Duo
Contraste : Cyrille Dubois, ténor & Tristan Raës,
piano. 1 CD HORTUS : 713. Collection « Les Musiciens et la Grande Guerre.
Vol XIII ». TT : 73'42. Après l'opus XII, voici l'opus XIII de la
collection spécialement consacrée par le label Hortus
aux « Musiciens et la Grande Guerre ». Un florilège de mélodies
françaises peu connues du grand public. Un recueil, il faut l'avouer assez
hétéroclite dans sa composition et assez disparate quant à sa qualité musicale.
Des mélodies, n'ayant parfois qu'un lointain rapport avec la guerre, si ce
n'est leur date de composition, dues à Pierre Vellones,
Joseph-Guy Ropartz, Georges Migot, Jacques de la Presle et Lili Boulanger, sur
des textes dont la qualité poétique laisse parfois songeur...Quoi qu'il en soit
cet album a assurément le mérite de la découverte puisque certaines mélodies
étaient jusque là inédites. On retiendra tout particulièrement le cycle complet
Les Clairières dans ciel de Lili
Boulanger (1893-1918) qui donnent leur nom à l'album, les Odelettes de Joseph-Guy Ropartz (1864-1955) et trois mélodies de
Jacques de la Presle (1888-1969) sur des poèmes de Robert, Richepin et Péguy.
Un disque fait d'un mélange d'élégance, parfois un peu maniérée, de nostalgie,
de tourments de l'âme et d'amours déçues. Belle interprétation du Duo
Contraste, même si la voix de Cyril Dubois semble atteindre, parfois, ses
limites dans l'aigu où le timbre et la ligne de chant se raidissent un peu. Une
découverte qui ravira tous les amoureux de la mélodie française. Patrice Imbaud. Édith CANAT de CHIZY : Over the sea. Pierre d'éclair. Drift. Orchestre
National de Lyon, dir. Ilan Volkov. Orchestre
National de Lille, dir. Roberto Rizzi
Brignoli. Quatuor Diotima.
Pascal Contet, accordéon. Paul Meyer, clarinette. 1
CD Solstice : SOCD 312. TT : 49'13. Édith Canat de Chizy est une compositrice contemporaine, née en 1950,
auteure d'environ 70 œuvres touchant tous les genres musicaux (symphonique,
vocal ou chambriste) avec une prédilection pour la musique concertante. Sa
discographie comprend plus d'une dizaine de disques dont « Over the sea »
constitue le dernier opus. Comme le laisse à penser le titre de l'album et sa
couverture, l'élément aquatique semble occuper une large place dans l'univers
musical de la compositrice d'où cette musique faite, en effet, de mouvement et
d'immobilité, de reflets, de transparence parfois trompeuse, de miroitements
parfois déformants (grâce à l'électronique notamment) mais une musique
assurément envoûtante, musique de l'insaisissable, de la transformation, comme
une illustration musicale des mobiles de Calder. Les trois pièces présentées
sur cet album sont des commandes. Pierre
d'éclair pour orchestre (2011) dont
le titre est inspiré d'un vers du Nu
perdu de René Char, est une pièce dynamique construite sur l'antinomie des
deux éléments à la recherche d'une impossible fusion. Over the sea pour trio à cordes, accordéon et
électronique (2012) joue de la transformation du son par l'électronique,
l'accordéon y faisant office de médium entre l'acoustique et sa métamorphose. Drift (2013) est un concerto pour
clarinette explorant encore le mouvement, véritable esthétique de la fuite
servie par l'extraordinaire vélocité de la clarinette de Paul Meyer,
spécialiste du genre. Un disque intéressant, une musique complexe, peut-être un
peu difficile d'accès, qui ne dévoilera ses charmes qu'au fur et à mesure des écoutes répétées. Pour ceux qui
voudraient se familiariser avec l'œuvre et l'univers musical d'Édith Canat de Chizy, on rappellera
plusieurs articles la concernant, écrits par la musicologue Sylviane Falcinelli dans la revue « l'Education
musicale ». Patrice Imbaud. « Dans la
résonance de Maurice Emmanuel », film
d'Anne Bramard-Blagny et
Julia Blagny. Avec le concours de Christophe Corbier,
musicologue CNRS et de Harry Halbreich,
musicologue. 1DVD ABB Reportages : ME-DOC (anna.bramardblagny@gmail.com).
TT.: 50'30. Site de Maurice Emmanuel : www.mauriceemmanuel.fr Ce film passionnant nous ouvre les portes
de l'univers de Maurice Emmanuel (1862-1938), figure majeure de son
temps dont on n'a pas assez dit toute l'importance. Cet érudit au savoir
encyclopédique fut un grand pédagogue. Nommé en 1909 professeur d'Histoire de
la Musique au Conservatoire de Paris, il
y dispense un enseignement d'une rare envergure : partant à l'assaut des
traditions poussiéreuses qui y sévissent encore, il initie nombre de jeunes
gens aux trésors de la musique antique, du plain-chant et du folklore cher à
son maître Bourgault-Ducoudray
auquel il succède. Son « Histoire de la langue musicale », parue en
1911, révèle une approche totalement neuve et féconde - qui force encore
aujourd'hui l'admiration - de l'évolution de la musique à travers les siècles.
Excellent helléniste, il a soutenu en Sorbonne, en 1896, une thèse sur
l'orchestique grecque, publiée la même année sous le titre « La Danse
grecque antique ». Et son étude sur « Le rythme d'Euripide à
Debussy », parue quarante ans plus tard, reste un modèle d'analyse subtile
du fait musical. Par ailleurs très attaché au terroir, il en admire les
paysages et en savoure les échelles modales - conjointement aux modes de
l'Antiquité et du chant grégorien - et, avec la première de ses Six
Sonatines pour piano (1893) et ses XXX Chansons bourguignonnes
(1913, pour chœur ou bien voix et piano), célèbre la région où sa famille
s'était installée en 1869. Ses idées sur les modes et les rythmes ouvrent à
l'art musical de vastes horizons, influençant notamment un Olivier Messiaen qui
se dira marqué par la pensée de Maurice Emmanuel auquel un autre de ses élèves,
Henri Dutilleux, rendra lui aussi hommage. Se dépensant sans compter, Maurice
Emmanuel milite d'autre part pour une musique liturgique digne de ce nom, à
l'église Sainte-Clotilde où il est maître de chapelle de 1904 à 1907 et auprès
de différentes maîtrises. En 1913 paraît son « Traité de l'accompagnement
modal des psaumes ». Cet homme de conviction s'acquitte de toutes les tâches et missions qui lui sont
confiées avec une conscience qui inspire le respect. Sans aucun académisme - ainsi qu'on peut
l'attendre lorsqu'il s'agit d'un artiste et d'un intellectuel aussi novateur
que Maurice Emmanuel - et en évitant toute accumulation fastidieuse de faits et
dates, les réalisatrices de ce film rappellent d'une manière vivante les
principaux jalons d'une existence tout entière vouée à l'art, accompagnant leur
évocation de témoignages de musiciens et musicologues de toutes générations, et
citant en voix off certains des propos de Maurice Emmanuel lui-même, qui nous
donnent la mesure de son intelligence aiguë et de son humanisme et nous le
rendent infiniment proche. Les commentaires alternent avec des moments musicaux
qui font percevoir la richesse novatrice de ses compositions dont quelques-unes
attendent toujours d'être gravées sur disque et notamment sa Messe pour
grand orgue (1905, restituée récemment par Jean-Marie Meignien,
organiste à Troyes). Dans tous les genres qu'il a illustrés et qu'il contribue
beaucoup à renouveler, Maurice Emmanuel fait preuve tout à la fois d'une grande
exigence et d'une haute qualité d'inspiration.
Dès 1920 il écrit la quatrième de
ses Sonatines pour piano « sur des modes hindous ». Il consacre aussi
plusieurs œuvres attachantes à la musique de chambre : une Sonate pour
violoncelle et piano (1887), une Sonate
pour violon et piano (1902), sans oublier, destinée à la même formation, la
Suite sur des airs populaires grecs (1907) ainsi qu'un Quatuor à
cordes (1903). Il allie les timbres avec raffinement : ceux de la flûte
et du piano associés à la clarinette dans la Sonate en Trio (1907) ou à
la voix dans les Trois Odelettes anacréontiques (1911). Ses Symphonies
(toutes deux en la, la première en 1919 et la deuxième, dite
« Bretonne » en 1931) témoignent de sa puissante maîtrise
orchestrale, tandis que le poignant In memoriam où la voix dialogue avec
le violon, le violoncelle et le piano montre sa profonde spiritualité. Deux
impressionnantes tragédies lyriques, Prométhée enchaîné (1916-1918), et Salamine,
créée en 1929 à l'Opéra de Paris - l'enregistrement de cette dernière, sous
la direction de Tony Aubin, a été édité chez Solstice en 2014 - retrouvent,
sans aucune archéologie et dans une esthétique résolument moderne, la grandeur
de la tragédie antique, et couronnent un magnifique ensemble, l'un des plus
remarquables de son époque. Ce film pertinent et sensible offre une
introduction idéale à l'œuvre et au message de Maurice Emmanuel, empreints
d'une généreuse humanité qui entre en résonance avec chacun de nous. Anne Penesco*. *
Professeure de Musicologie Lyon II
***
MUSIQUE ET CINEMA
Audi Talents Awards
2015 Les
Audi Talents Awards (ATA) furent créés pour la France en 2007. Ils récompensent, chaque
année, de jeunes talents dans les domaines de l'art contemporain, du design, de
la musique et du court métrage. Depuis 2011 c'est la musique à l'image qui a
remplacé la musique. Dans chaque catégorie, un jury de quatre personnes est
chargé de dresser une liste de quatre nommés, puis de récompenser l'un des
artistes. Audi investit plus d'un million d'euros à l'année sur les lauréats
entre production et communication. Nous nous sommes entretenus avec les
lauréats de ce concours, la plupart par téléphone car ils sont tous des
provinciaux. PASCAL LENGAGNE
En
2011 vous avez été le premier lauréat des Audi Talents Awards
pour la musique à l'image : comment avez-vous découvert ce concours ? Si je me souviens bien, deux ans avant que
je participe, j'écoutais dans ma voiture Radio Nova et j'ai entendu une pub
pour les ATA. Mais je ne me sentais pas concerné parce que c'était un concours
pour artiste-interprète, des groupes. Ils ont changé l'année où j'ai participé
et lorsque j'ai vu que dans le jury il y avait Graig
Armstrong, Patrice Leconte, Éric Michon d'Universal,
j'ai tenté ma chance. C'était au moment où j'étais entre deux boulots, j'avais
du temps. Est-ce que ce prix
a changé votre vie de compositeur ? Déjà il m'a amené un supplément de
confiance en moi. Apparemment Graig Armstrong avait
apprécié mon travail et aurait pas mal pesé dans la balance pour que je sois le
finaliste et que je devienne le lauréat. J'étais aussi content de rencontrer ce
jury. Au niveau médiatique mon nom a beaucoup circulé et d'un seul coup j'ai eu
une visibilité que je n'avais jamais eue. Et au niveau
professionnel, avez-vous eu des contacts positifs ? Pendant un an j'ai travaillé pour la
marque, donc j'ai rencontré des productions, des réalisateurs qui travaillaient
pour Audi, et aussi des agences de pub ; mais là il n'y a pas eu de suite. Mon
nom a circulé et indirectement aujourd'hui je récolte les fruits de ce prix,
même si cela a pris des chemins détournés. Récemment j'ai eu la chance d'avoir
été choisi par Pascal Elbé pour son long-métrage qui
sort au mois de décembre, Je Compte Sur
Vous. C'est mon premier long-métrage. Et ce choix vient de
votre prix ? Oui car Jérôme Lateur,
qui est au départ l'initiateur des ATA, avait parlé de moi à Elise Luguern qui est superviseur musical et qui s'occupait du
film de Pascal Elbé. Ils cherchaient un compositeur,
mon nom était dans la liste, j'étais l'outsider. Ils ont fait des essais avec
d'autres personnes et sont revenus aux propositions que je leur avais soumises. Quel est votre
style de musique ? J'ai fait 15 ans de piano classique, j'ai
fait de la musicologie, j'ai étudié par moi-même l'harmonie. Je n'ai pas fait
le conservatoire. J'ai beaucoup aimé les compositeurs romantiques, cela se
ressent dans ma musique, un fond nostalgique. Écrire pour les cordes ça ne me
pose plus de problème. Avec les vents c'est plus compliqué. J'aime aussi tout
ce qui est électronique et j'utilise ces outils, j'aime ce mélange acoustique
électronique. D'ailleurs je travaille sur un projet de trio à cordes où je
mélange le piano, les cordes et l'électronique. Est-ce que votre
intention de composer pour l'image est venue très tôt ? C'était mon objectif de départ. Je ne me
suis jamais vu interprète, j'ai toujours voulu travailler dans l'ombre, sur des
projets en studio. C'est là où je suis le plus à l'aise, où j'écris facilement.
Je n'ai pas l'intention de révolutionner ce milieu où il y a énormément de
talents. Mais là je me sens en phase
avec moi-même. Lorsque
vous étiez plus jeune y avait-il un compositeur que vous appréciez plus
particulièrement ? Il y en a un qui m'a beaucoup influencé
bien que dans son travail il y ait des musiques qui me plaisent moins : c'est Ryuichi Sakamoto qui a écrit des musiques de films, mais
pas que Furyo, Le Dernier Empereur, Talons Aiguilles. Il
vient de composer pour le dernier Iñarritu avec Di Caprio, The Revenant.
C'est quelqu'un qui a exploré des musiques très différentes, de la pop, du
symphonique, des quartets. Il n'y a pas de frontière bien définie dans les
genres musicaux qu'il compose. Il y a aujourd'hui des compositeurs qui écrivent
dans la même veine et qui me parlent beaucoup comme Ólafur
Arnalds, un islandais, ou Max Richter. C'est un
univers où je me sens bien. Comment avez-vous
commencé à composer ? Vous étiez en province ? J'ai commencé à Paris, je me suis installé
dans le sud il y a une douzaine d'année. J'ai commencé plutôt dans le spectacle
événementiel, sons et lumières, projections sur des bâtiments, des cérémonies
d'ouverture, de clôture dans des stades, feu d'artifice à la Tour Eiffel…C'est
Yves Pépin, directeur de ECA2 et metteur en scène de ces grands événements, qui
a commencé à me confier ces gros projets alors que je n'étais personne. Je
continue toujours à travailler dans ce secteur et chaque année j'ai au moins
deux évènements dans ce domaine, ce qui m'a permis de vivre de la musique. Mais
aujourd'hui c'est presque un obstacle pour aller vers la fiction. J'ai cette
étiquette collée à la peau. Les musiques que j'avais à faire écouter ne
correspondaient pas à ce que les réalisateurs attendaient. Mais j'adore
composer ces musiques. J'ai travaillé pour le Futuroscope et là c'est de la
musique pour l'image, puis j'ai fait des documentaires, de la pub, des
courts-métrages, je peux faire écouter des musiques pour l'image. Les réalisateurs de
courts-métrages ne sont pas encore passés au long ? Non mais il y en a un que j'attends de pied
ferme, c'est Adrien Lhommedieu qui a énormément de
talent : ,il a fait un court qui s'appelle « Lila
& Valentin ». Et aujourd'hui ? Je travaille avec le trio Zéphire, c'est
une création. On va se produire sur scène au mois de février dans l'Hérault :
je serai au piano et j'utiliserai des textures électroniques. Et dans un second
temps il y aura peut-être un enregistrement. Au niveau évènementiel il y a un
spectacle en Chine qui devrait se faire en début d'année. ARNAUD
ASTRUC, BENJAMIN FOURNIEZ-BIDOZ, NICOLAS DUPERRON « Chut On Vous Écoute », leur
boîte de production, est dans un petit immeuble sympathique au bout d'une rue
calme du XIXème arrondissement de Paris. C'est Nicolas Duperron,
l'un du trio, qui me reçoit. « De la fusion
entre deux mondes, la musique et la communication. De l'idée simple que la
musique, utilisée de manière créative et réfléchie, est un formidable
instrument pour faire rêver et démultiplier la portée d'un message, d'une
image, d'une marque. » Tel est
leur credo. On sent qu'ils ont fait des études de marketing ces jeunes
gens ! C'est moi qui suis venu écouter les lauréats 2012… Quelle est
l'origine de votre inscription au concours ATA ? On est trois, Arnaud, Benjamin et moi-même
Nicolas. En 2010, on décide de se lancer dans une structure de composition à
l'image. On voulait au départ travailler dans le monde de la pub, aucun de nous
trois avait un parcours de musicien classique. Benjamin, enfant a fait un peu
de piano au conservatoire, mais en est sorti assez vite. Arnaud et moi, nous
sommes guitaristes autodidactes mais de petit niveau. Êtes-vous des
provinciaux ? Oui, Arnaud et Benjamin sont d'Annecy et
moi-même d'Alençon. J'ai fait mes études
à Grenoble et j'ai rencontré Arnaud à Annecy dans le cadre de mes études
de communication et marketing ; rien à voir avec la musique. On se posait pas
mal de questions une fois sortis de nos études et le soir on faisait de la
musique, on jammait, on avait chacun un groupe, on
s'éclatait en tant qu'amateur et on cherchait des débouchés professionnels mais
qui n'avaient aucun lien avec la musique. L'idée était de travailler. Après
plusieurs années de divagation, de boulots divers et variés pas très excitants,
pas très stimulants et surtout artistiquement très pauvres, à un moment on
s'est retrouvé tous les trois autour d'un projet qui était de mettre la musique
au cœur de nos vies, de composer de la musique à l'image. Et l'ATA dans tout
cela ? Je vais revenir en arrière avant de vous
répondre sur le projet ATA. A la fin de leurs études Arnaud et Benjamin sont
partis faire un tour du monde avec leurs instruments en camion accompagnés par
Pierrot un copain illustrateur qui a dessiné des carnets de voyage. Ils sont
partis rencontrer des musiciens en Europe de l'Est et ensuite Afrique. Ils sont
rentrés déphasés mais plus riches culturellement. Leur copain dessinateur était
plus intégré professionnellement et a retrouvé du travail assez vite dans son
réseau de dessinateur. Il a fait des dessins animés pour Rossignol qui fait des
équipements pour les sports d'hiver. Il avait besoin de musique et donc a
appelé ses copains. Ils n'avaient jamais touché à de la musique assistée par
ordinateur. Ils se sont plongés dans ces instruments et ont composé quatre
musiques. En écoutant leurs musiques je leur ai dis : qu'est ce qu'on attend
pour monter une structure ? On était fin 2008. En 2009, on continue à
réfléchir sur le projet, on travaillait
chacun dans nos métiers respectifs, et en 2010 on décide de monter « Chute
on vous écoute » avec comme objectif de faire de la composition musicale
pour l'image. Cela a pris encore pas mal de temps. On était tous les trois à
Paris, Arnaud et Benjamin se sont mis à mieux se former sur la composition de
musique assistée par ordinateur et fin 2010 on quitte nos jobs et on met toute
notre énergie pour notre projet. L'organisation est simple : Arnaud et
Benjamin composent et moi je cherche des films. Dans mes recherches je tombe
sur les Audi Talents Awards : c'était exactement
ce que nous cherchions. On se met au travail, mais dans mon excitation je
n'avais pas vu que la date limite était le lendemain ! Douche froide, on a
mis un mois à s'en remettre. On s'est alors promis de s'y présenter l'année
suivante ! On a dû être les premiers à s'inscrire. Pendant huit mois j'ai
décroché mon téléphone pour trouver des projets, on ne connaissait personne.
Pour se faire connaître on prenait des pubs et on changeait la musique, une
manière de faire connaître notre travail. Nos amis et familles avaient permis
de faire trois vrais projets. La chance a voulu que j'ai
vu un film de Guilhem Machenaud de Capsus, qui partage nos locaux aujourd'hui, dont les
crédits musicaux étaient de la musique au mètre. Je le contacte et
presqu'aussitôt il me rappelle parce qu'il était en galère sur la musique. Il
avait signé des films pour une marque du groupe Décathlon et personne ne
s'était inquiété pour la musique au niveau budgétaire et lui n'avait pas le
temps de s'en occuper. On rencontre le patron et en juin 2011, il nous offre
1000 euros pour qu'on fasse les musiques ! C'était pas grand chose mais on
était ravis. On avait 5 films à faire. Surtout il nous a fait le chèque
rapidement. Le premier film marcha bien et cette jeune personne qui avait le
même âge que nous, la trentaine, s'est vu propulsée directeur de Quechua, une importante
marque du groupe. En septembre, il a organisé un atelier pour repenser la
communication de Quechua avec l'agence Fred & Farid. Il nous a proposé de
nous occuper du son. Fin 2011 on avait à créer l'identité sonore de Quechua et
d'autres musiques. On avait toujours dans la tête de nous présenter aux ATA
mais on était submergé de boulot ! On a réussi à temporiser avec Quechua
pour participer au concours Audi. On s'est gardé une dizaine de jours pour
composer la musique des deux films. On n'a fait la musique en mode
commando ! Qui était dans le
jury à cette époque ? Il y avait Ludovic Bource, le compositeur
de The Artist,
il avait eu un parcours parallèle au nôtre. Il y avait Catherine Serre, la
responsable de la musique de Studio Canal… Est-ce que de
gagner ce prix cala été un plus pour vous ? Complètement, à plusieurs niveaux : d'abord
la reconnaissance du milieu, il y a plus de deux cents candidatures chaque
année, il y a une vraie diversité, il y avait quatre finalistes avec beaucoup
de talent ; ensuite pendant un an on a travaillé pour Audi, on a eu de la
chance parce qu'il y a eu deux beaux projets télé, un entre autres où la France
avait l'exclusivité via Fred & Farid qui était l'agence d'Audi à l'époque. Vous connaissiez
déjà l'agence ? Oui mais cela n'avait rien à voir avec les
ATA. C'est un programme autonome, mais ensuite elle doit travailler avec les
lauréats. Audi prend de sacrés risques en imposant des jeunes avec si peu
d'expérience dans le métier. Avec l'agence, comme on les connaissait, il n'y a
pas eu de problème, mais avec la boîte de production et le réalisateur anglais,
cela a été plus compliqué. Vous devez composer
une œuvre musicale aussi ? Au sein du budget ATA il y a une part de
composition personnelle. Arnaud et Benjamin ont monté un groupe, composé quatre
titres et tourné un clip. Ce sont nos amis de Capsus
qui l'ont réalisé, une histoire donc d'amitié et de famille. D'autres portes se
sont ouvertes ? Effectivement,
c'est un passeport incroyable. Et désirez-vous
vous frotter à la fiction ? On a monté cette structure pour vivre de
notre passion. La forme importait peu, l'idée c'était de faire de la musique.
La manière d'en vivre la plus simple c'était de faire de la pub ; c'est moins
engageant et il y a plus d'argent. Nos parcours professionnels étaient très
liés aux marques, on aime ce rapport. Maintenant que notre projet s'est
développé, a mûri, est assez solide, on commence à regarder vers le monde de la
fiction et on a toujours à l'esprit la musique pour le groupe où il y a une
forme de liberté. Avez-vous démarché
dans ce sens ? Oui, on a rencontré Alexandre Mahout d'Europa Corp avec qui on
a eu un bon contact. Grâce aux ATA on a eu un bon contact avec Catherine Serre.
Très récemment Audi fait rencontrer les lauréats et on est en contact avec les
réalisatrices qui ont gagné le concours. Aujourd'hui
il y a une grande mode sur la musique assistée par ordinateur, la musique
électronique. Face à cette technicité, comment être original ? Elle est quand
même assez passe partout, à mon avis... Vaste débat ! Il y a une part de
culture et d'habitude, qui fait que nous avons commencé à travailler sur ce
type de technique, de composition. Si on prend Atticus
Ross et Trent Reznor et quelqu'un qui compose pour la
fiction comme Social Network, il y a
une vraie personnalité, une vraie couleur et pourtant c'est de la musique de
synthèse construite à partir de nappes, de machines, mais qui va être hybridée
avec de l'instrumental, de l'orchestral parfois, des instruments acoustiques,
du piano, du violoncelle. Pour moi, la richesse, la singularité viennent de cette hybridation à piocher des outils, des
instruments. Il y
a un moment où en musique il faut plus que de savoir se servir d'une machine :
connaître peut-être aussi l'orchestration, l'harmonie, non ? On est très à l'aise avec notre parcours.
Ce qui est excitant c'est qu'on sait que nous avons devant nous une vie
d'apprentissage et que toutes les rencontres avec un orchestrateur, avec des
arrangeurs, des ingénieurs du son ne peuvent qu'être bénéfiques. Par exemple,
si on a un morceau avec du violoncelle, on fait une maquette et on fait venir
un vrai instrumentiste pour qu'il collabore à l'écriture, car personne ici ne
connaît cet instrument. Quelles ont été vos
influences musicales à tous les trois ? Nos goûts se recroisent pas mal avec chacun
ses limites. Ce qu'on apprécie c'est la musique électro acoustique avec du
chant, des musiques comme Sigur Rós
par exemple, c'est à dire des nappes, souvent des synthés, qui vont amener de
la matière, des instruments nobles et un chant qui amènera une mélodie, de
l'humain. C'est un combo qui nous plaît bien. Moi plus que les autres
j'écoutais du blues, du rock, et puis les déclinaisons de pop anglaise, puis le
grunge. J'avais un frère qui était très Métal, j'étais plus dans du rock un peu
plus rugueux et puis je suis allé vers Nirvana et les descendants. Ben,
pianiste à la base, est orienté plus jazz, salsa, musique latino américaine,
bossa nova. On a pas mal développé guitare voix dans nos parcours professionnels,
puis il y a des musiques plus électro à la James Blake, Son Lux, pour aller
jusqu'à Gesaffelstein ; mais lui ce n'est pas ce
qu'on écoute en rentrant chez soi. On reconnaît qu'il y a une énergie folle,
c'est puissant c'est dur. Par rapport à l'image on peut y trouver des échos
assez sympathiques pour des univers durs, noirs auxquels on est très réceptifs
aujourd'hui. En
résumé, au début, aucun de vous ne pensait faire de la musique à l'image ? Non,
c'est venu par hasard, c'est le destin ! Aujourd'hui vous
travaillez sur quoi ? En ce moment on travaille pour une pub pour
Mobalpa avec de la musique hawaïenne. On a acheté une lap steel, on a fait venir un
guitariste qui sait en jouer. On a pensé tout de suite à The Desendants, le film avec Georges Clooney. Sur un projet comme cela on s'enrichit
musicalement alors que c'était loin de notre culture. On travaille aussi sur la
nouvelle identité de Leroy Merlin, cela fait deux ans qu'on est dessus Bon courage
alors ! LAURENT GRAZIANI
Ce pur et dur rocker a gagné en 2013 le
concours des ATA avec une musique énergique, rentre dedans. Il habite près de
Montpellier et écoute surtout de la musique « industrielle » qu'on
n'entend pas souvent à la télé et à la radio. Le mainstream
ne l'intéresse pas ! C'est
en 2013 que vous avez été le lauréat des ATA : comment avez-vous connu ce
concours ? C'était sur les conseils d'un ami, Pascal Lengagne, qui avait gagné ce concours. Je donnais des cours
de guitare à ses enfants. Quel style de
guitariste êtes-vous ? Très électrique, hard rock, indépendant.
J'ai toujours eu des groupes dans ce style. Qu'écoutiez-vous
quand vous étiez jeune ? Du
Métal et du hard rock ! Les Zep font partie de mes références. Et la musique à
l'image alors ? Les musiques de film me faisaient rêver
sans pour autant y apporter plus d'importance que cela dans ma discothèque.
Quant à faire de la synchro sur des images je n'y avais jamais pensé, c'est un
pur hasard. Mais comme je fais beaucoup de musique assistée par ordinateur dans
le cadre de mes groupes de rock, Pascal pensait que cela pouvait coller avec de
l'image. Il y a des rockers
célèbres qui ont fait des musiques de films ! Il
y a Trent Reznor qui est une de mes références. Est-ce que ce prix
vous a ouvert un monde nouveau ? Pour moi c'était un des buts, car lorsqu'on est pas du milieu c'est assez difficile d'y
entrer ! La collaboration avec Audi m'a permis d'avoir de la visibilité
auprès des médias et du coup j'ai rencontré beaucoup de gens ; mais pour
l'instant ça n'a pas abouti à de réels projets d'envergure. Est que ce ne
serait pas le fait que vous habitez en province ? Je pense que cela joue pas mal malgré les
facilités de communications qu'on a aujourd'hui avec le web. L'atout d'être
résident sur Paris est un plus. L'année où j'étais lauréat j'ai dû monter à
Paris pour Audi quatre et cinq fois et l'on rencontre autant de monde qu'en
quatre ans ici ! Est-ce
qu'aujourd'hui vous êtes plus sensibilisé à la musique de film ? Oui j'ai une écoute différente, c'est vrai
que j'ai plutôt tendance à analyser la musique. Lorsque
vous étiez plus jeune avez-vous peut-être flashé sur des musiques de
films ? Oui,
Blade Runner de Vangelis. J'ai usé ma K7 en l'écoutant ! Avez-vous des bases
classiques pour composer ? Je suis un autodidacte et l'harmonie, je
l'ai étudié en autodidacte ; mais je n'aime pas travailler la musique, ça me
gonfle. J'ai énormément travaillé la guitare étant ado, dix heures par jour.
Avec le temps je considère la guitare, la basse, les machines comme des outils
pour composer. Actuellement vous
vivez de vos groupes plutôt que de la composition ? Entre autres, j'enregistre pas mal de
groupes aussi. Je suis en plus régisseur d'une salle de théâtre à côté de chez
moi. Et en ce moment
vous avez un groupe ? L'année où j'ai gagné aux ATA, en plus de
composer les musiques pour Audi, on avait le financement pour faire une musique
plus personnelle. Du coup j'ai produit le cinquième album de mon groupe,
« Lunatic Age », qui existe
depuis vingt ans ! L'album est sorti cet été : il s'appelle La Folie ; c'est de l'auto-production. On est en pleine répétition pour faire une
tournée l'année prochaine. https://www.youtube.com/watch?v=i6whj3m8PR8 THOMAS KARAGIANNIS
Vous
êtes le lauréat de l'année 2014, vous avez à peine trente ans, comment vous est
venue l'idée de participer à ce concours ? C'est un de mes deux professeurs de Master
2, musiques appliquées à l'image à l'Université de Lyon, qui m'a fait part de
ce concours. Avez-vous une
formation classique ? Je n'ai pas vraiment une formation : j'ai
appris la musique de manière autodidacte avec internet. Après le bac, j'ai
travaillé un an et comme j'aimais bien la musique, j'avais l'intention de
trouver un travail autour de la musique. Pas forcément de la
musique à l'image ? A
ce moment là je ne l'envisageais même pas Vouliez-vous faire
un groupe de rock, de la variété ? Je n'en avais aucune idée, professeur
peut-être. Mais comme j'ai des problèmes d'élocution, ça me paraissait
difficile. Quel était votre
instrument ? Piano, guitare et aussi de la batterie. Je
ne suis pas un grand instrumentiste mais j'aimais bien composer. Quelle musique
appréciez-vous ? J'écoutais
Radio Head et puis un guitariste Don Ross Écoutiez-vous de la
musique de film ? Très, très peu. En allant à la fac pour
faire un diplôme de musicologie, j'ai découvert la musique orchestrale. J'ai
surtout apprécié la musique post romantique et comme j'aimais bien improviser,
composer, naturellement je me suis tourné vers la musique de film car elle
ressemblait à ce que j'écrivais. J'ai débuté par Williams, Morricone, Hermann.
Ensuite, comme je commençais à faire de la musique assistée par ordinateur - à
la fac nous avions une matière sur le sujet et on devait faire un arrangement
-, je me suis intéressé au sound design. A partir de là je me suis passionné pour les
sons électroniques, les effets, et j'ai découvert d'autres compositeurs qui
faisaient ce genre de musique comme Max Richter, Cliff Martinez. J'ai découvert
petit à petit un univers musical qui me plaisait. J'aime aussi ce qu'a écrit
Dany Elfman pour Will
Hunting. S'il y a une
musique que vous auriez aimée écrire, laquelle ce serait ? J'aime beaucoup Williams et surtout les
musiques qu'il fait entre les grands thèmes très connus, par exemple celles
pour La Guerre des Mondes. En quoi ce prix
vous a-t-il aidé ? Il n'y a pas longtemps que j'ai fini mes
études. On a composé à la fac pour de nombreux courts-métrages et comme je me
sentais bien dans cet univers, j'ai donc décidé de devenir compositeur. J'ai
passé deux ans à galérer et puis ensuite j'ai gagné le concours et je n'avais
pas commencé à démarcher. Avez-vous de
nouveaux contacts depuis votre prix ? Pas énormément, les contacts que j'avais
avant, cela les a bien consolidés car je devenais plus crédible. Vous
avez dû écrire une composition personnelle : de quoi s'agit-il ? C'est une œuvre symphonique avec quarante
musiciens de l'Orchestre Symphonique de Prague. Vous avez fait une
œuvre avec cordes : connaissiez-vous l'harmonie ? J'ai écrit la partition et il y a quatre
parties. On les a fait vérifier par un orchestrateur. Pour une des quatre j'ai
tout composé. Je ne suis pas un orchestrateur, je peux le faire, mais je
préfère, si le budget le permet, avoir un vrai professionnel. Vous ne vivez pas
encore de votre musique, je suppose ? Cette année, grâce à Audi, ça peut aller.
Maintenant avec toutes les musiques que j'ai écrites je peux plus facilement
démarcher. Connaissez-vous les
autres lauréats ? Oui
on se voit au festival. Vous vivez à
Valence, est-ce que c'est un problème
pour démarcher ? Il y a des boîtes qui sont une peu
hésitantes, mais pour l'instant il n'y a pas de problème, les gens qui
commandent une musique sont assez à l'aise pour travailler avec internet. Et votre
actualité ? Je compose pour des courts-métrages. Je
fais un film pour un réalisateur qui a travaillé pour Audi, il m'a recontacté.
Et je suis en train de travailler sur un pilote pour une série d'animation http://www.thomaskaragiannis.com FLORENT ET ROMAIN
BODART
Vainqueur 2015 des Audi Talents Awards pour la musique à l'image, Romain, l'un des frères Bodart, de passage à Paris, nous a accordé un entretien
dans un café au milieu d'un brouhaha de sons. Mais il aime ça et surtout il
aime les manipuler. Comment avez-vous
découvert l'ATA ? C'est la copine de mon frère, graphiste à
la base, qui est tombée par hasard sur un appel d'offre sur un site de design
pour le concours d'ATA. Elle nous a envoyé l'annonce et on s'est donc lancé
dans l'aventure. On nous a envoyé deux films complétement
muets, un de 2 minutes 30 sur les Vingt quatre heures du Mans et un autre qui
était une publicité pour la télé. Il fallait ajouter la musique bien sûr et
tout le sound design. La première chose qu'on a faite
c'était d'enregistrer des sons d'Audi, on en a fait pas mal puis on a composé
la musique, ça nous a pris une semaine pile ! Aviez-vous
déjà fait ce genre de chose ? Non, on s'était
amusé à faire des clips avec la musique de Radio Head, on faisait l'image et le
son design. Avez-vous
fait des études musicales tous les deux ? Mon frère a fait une école de son à
Marseille et moi l'ESRA. Envisagiez-vous
de faire une carrière dans le son ? Oui j'envisageais ça, mais ce qui me plaît
c'est de créer de la musique. Quel
genre de musique écoutiez-vous lorsque vous étiez plus jeune? Beaucoup de Phil
Glass, Arvo Pärt, la
musique minimaliste, cyclique, ce qui s'écoute simplement. N'aimez-vous pas
les musiques mélodiques ? Si, j'écoute de la musique classique,
mélancolique. J'apprécie beaucoup Moussorgski. Quel compositeur de
musique de film appréciez-vous en ce moment ? Johnny Grenwood qui a composé pour There Will Blood... … Normal
pour quelqu'un qui apprécie Radio Head. Il travaille surtout avec Paul Thomas
Anderson, il a eu des prix pour The
Master et Inherent Vice... Celle
pour le documentaire Body Song, est
magnifique ! Baigniez-vous dans
la musique chez-vous? Nos parents étaient artisans luthiers.
Toute notre famille était dans ce métier. On a encore un atelier chez ma
grand-mère, mon coussin y travaille. J'ai une sœur qui est archetière et une
autre qui fabrique des violes de gambe dans le sud de la France. Avez-vous écrit de
la musique pour l'image ? En fait, j'ai participé à un court-métrage
sur le village où j'habite qui s'appelle Cucuron.
C'est près de Lourmarin dans le Vaucluse. Tous les gens, acteurs et
techniciens, qui y ont participé étaient du village. C'est l'histoire d'un
jeune PDG qui reprend une cave viticole, il fait cela pour le blé et va croiser
le chemin d'un jeune employé de cette cave, et il va y avoir des renversements
de situations. J'ai composé la musique. Comment vous est
venue l'idée de travailler avec votre frère ? On a toujours fait de la musique ensemble :
moi je joue du piano, de la guitare, j'utilise l'ordinateur bien sûr, mais je
ne suis pas un vrai musicien, j'aime enregistrer des sons et les retravailler
sur ordinateur, travailler les textures, je ne suis pas un musicien live. Mon
frère, c'est à peu près pareil. On est autodidacte tous les deux. J'aime
travailler aussi les instruments, faire du piano ou du
violoncelle arrangés et puis enregistrer des sons concrets. Dernièrement
j'ai enregistré à l'intérieur d'une machine à laver la vaisselle, j'aime
tester. Avec Florent on a créé un duo – Idioma – en
2008. Qu'est-ce qui vous
différencie avec votre frère, à part l'âge ? Il écoutait beaucoup de Hip Hop et de la
musique électro et moi du classique ; c'est un beau mélange. Qu'envisagez-vous
de faire avec ce prix? On a déjà une dizaine de vidéos d'Audi à
habiller. Trois réalisateurs nous ont contactés. On a fait la bande annonce
pour le week-end à la Philharmonie de Paris pour la musique à l'image des ATA
2015. Un réalisateur m'a contacté pour faire un film sur le week-end ; donc on a
du travail ! On a une enveloppe globale pour toutes ces opérations. Ce qui
est bien c'est qu'on va pouvoir acheter du matériel. Pour l'instant vous
ne vivez pas encore de votre musique ? Non,
mais j'ai des projets audiovisuels autour de chez moi en province. Peut-on vivre avec
votre métier en province ? En faisant de la restauration à côté oui,
en faisant la plonge ! Je faisais ça depuis quatre an,
l'été, ainsi que les vendanges. Et votre frère
comment vit- il ? Lui, il est graphiste, il en vit bien. Il y
a deux mois il est venu me rejoindre à Cucuron. Il
habitait Besançon, c'était très compliqué pour travailler ensemble. L'avenir
est devant vous avec Audi : avez-vous pensé à votre composition qui est dans le
contrat ? Il
faut qu'on y réfléchisse rapidement ! On a plusieurs pistes. Pourquoi êtes-vous
à Paris aujourd'hui ? Parce que j'ai été sélectionné au Transient Festival, pour un dessin animé où j'ai tout
réalisé, dessin et musique. La clôture a lieu à Aubervilliers. Le festival se
déroule à l'Espace Pierre Cardin. Propos recueillis
par Stéphane Loison. Musiques à l'image à la Philharmonie de Paris "In Dreams: David Lynch revisited"
Dans le cadre des Audi Talents Awards, à la Philharmonie de Paris 2, le musicien David
Coulter a proposé un spectacle hommage à la trame sonore des fictions du
réalisateur David Lynch. Sur scène, un ensemble instrumental de sept musiciens
accompagne une dizaine d'interprètes, issus pour la plupart de la sphère du
rock indépendant : Stuart Staples (chanteur des Tindersticks), Mick Harvey (compagnon de route de Nick
Cave), Jehnny Beth (groupe Savages),
Conor'O'Brien, Miho Hatori et Yka C Honda (du groupe Cibo Matteo), Rebecca Hawlet,
Emily Lansley et Lucy Mercer
(du Stealing Sheep), Sophia
Brous, Kirin J Callinan. En
puisant dans la filmographie de Lynch ils jouent un répertoire mêlant des
compositions d'Angelo Badalamenti, ou des chansons de
David Bowie, Roy Orbison, Chris Isaak, Tim Buckley...
Ce spectacle est comme un rêve avec des jeux de lumières stupéfiants qui
mettent le spectateur dans un état second, en total lévitation. Les artistes se
suivent et interprètent « Falling, Sycamore Trees » ou le thème
de Twin Peaks à la harpe
(Pauline Hass). Les ondes Martenot et le cristal Bashet (Thomas Bloch) ajoutent à l'étrangeté du spectacle.
L'ambiance de Mulholland Drive, de Blue Velvet, de Twin Peaks ou de Lost Higway est sur scène. C'est avec la sublime chanson de
Tim Buckley, « Song to the Siren »
interprétée par la fascinante Jehnny Beth que ce rêve
éveillé de deux heures prend fin. « Sometimes a wind blows and you and I float
in a darkness and mysteries of love » écrivait
David Lynch pour la chanson de Blue
Velvet interprétée par son égérie
Julee Cruise. Ce soir, à la Philharmonie, un vent étrange
organisé par le talent de David Coulter a soufflé. Stéphane Loison. Musique de et dirigée par Alexandre Desplat
avec le LSO
Le grand moment de la soirée à la
Philharmonie de Paris aura été
lorsqu'Alexandre Desplat est arrivé sur scène
et avec une voix monocorde a prononcé doucement : « Mesdames,
Messieurs, La Marseillaise ». Dans un silence impressionnant la salle,
bondée, s'est levée comme un seul homme. Le London Symphonia
Orchestra avec ses cuivres magnifiques a entonné cet hymne dans l'orchestration
de Berlioz. Là, nous avons compris que cet orchestre est un des plus grand. Desplat a enregistré plus
de 25 musiques avec lui ! Il s'est avéré ensuite que les bis que nous a offert ce sympathique et talentueux compositeur était ce
qu'il y avait de plus réjouissant dans le programme : une adaptation de la
musique de Vénus en fourrure de
Polanski – présent dans la salle –, de Twilight, un joli thème, et de Godzilla. Il est surprenant que
cette musique fonctionne mieux en concert, en direct, qu'en CD. De voir ainsi
le LSO et sa puissance est stupéfiant. Peut-être que détachés des contraintes
du synchronisme des images - on joue au clic, donc plus droit, pas de rubato
avec les images du film…- les instrumentistes pouvaient se lâcher. La Jeune Fille à la Perle, qui a fait le
succès de Desplat aux USA est toujours aussi agréable
à écouter et ce malgré le grand n'importe quoi du montage des images proposé
pendant l'interprétation de l'œuvre. Le pire fût l'exécution, au sens littéral
du terme, de Harry Potter et les reliques
de la mort :le
fatras des images empêchait d'écouter sereinement la musique. La composition de The Grand Budapest Hôtel, pour laquelle
Alexandre Desplat a reçu l'Oscar, a été très
appréciée par le public ainsi que la petite litanie de Imitation Game. On ne peut pas cacher que certaines de ces musiques, sans le
support des images, semblent ennuyeuses. C'est souvent le cas des productions
made in USA, plus normatives. Le public a fait une
standing ovation à Despalt. Audi et son agence Double 2 ont réussi leur pari : ils ont placé
cette année la barre très haut avec les deux concerts Lynch et Desplat, même si le concert du Rex de l'année dernière
reste plus enthousiasmant. On se demande ce qu'ils vont pouvoir nous concocter
l'année prochaine pour les dix ans ? Mais comme ils disent « L'avenir
ne se prédit pas, il s'imagine ». Alors bon courage à Audi et à l'année
prochaine! Stéphane Loison.
BO en CDs Joyeux
Noël ! En cette fin d'année, pour Noël, nous vous
proposons une dizaine de CD qui à notre avis sont
parmi les meilleurs musiques 2015 (par ordre alphabétique) : - Far From the Madding Crowd- Graig Armstrong - Thomas Vitenberg
- Sony Classical - Inherent Vice – Johnny Greenwood – Paul
Thomas Anderson - Nonesuch - It Follows
- Disasterpeace - David Robert Mitchell - Milan Music - Jupiter
Ascending - Michael Giacchino - Andy Wachowski, Lana Wachowski - Sony Classical -
L'Astragale - Béatrice Thiriet - Brigitte Sy - CristalRECORDS -
La Glace et le Ciel - Cyrille Aufort - Luc Jacquet - CristalRECORDS -
La Résistance de l'Air – Evgueni
& Sacha Galperine - Fred Grivois – Milan
Music -
Marguerite – Ronan Maillard – Xavier
Giannoli - CristalRECORDS -
Mune - Bruno Coulais - Alexandre Heboyan, Benoît
Philippon - CristalRECORDS - U.N.C.L.E
– Daniel Pemberton - Guy Ritchie - Sony
Classical Milan Music, pour les amateurs de BO, propose
aussi de superbes rééditions telles que : Breakfast at Tiffany's – Henry
Mancini Chantons Sous La Pluie – Nacio Herb Brown / Arthur
Freed Dr No – John
Barry / Monty Norman Giant – Dimitri Tiomkin Grace Kelly et la
Musique Les Cavaliers – David Buttolph Les Dix Commandements – Elmer Bernstein Orson Welles and the Music Rocco et Ses Frères – Nino Rota The Big Country – Jerome Moross The Westerns of John Ford Woody Allen et la Musique Et pour la musique française, il faut aller
sur le site de Music Box Records :
ils font un travail de mémoire exceptionnel ! THE
WALK. Réalisateur :
Robert Zemeckis. Compositeur : Alan Silvestri.
1CD Sonny Classical n°88875122672 On ne compte plus les BO composées par Alan
Silvestri et il a toujours des idées ! Avec Robert Zemeckis,
c'est un tandem qui dure depuis 1984. Á la musique d'Á la Poursuite du Diamant Vert suivra la trilogie de
Retour Vers le Futur et celle de Forrest
Gump qui obtiendra l'Oscar en 1995. Le nombre de
magnifiques musiques est impressionnant. Silvestri a le sens du rythme, de la
mélodie. L'emploi des chœurs n'appartient qu'à lui. On reconnaît vite sa patte
orchestrale, sa manière d'écrire pour les cordes. Il a écrit une des plus
belles musiques de film pour The Abyss, le film de James Cameron. The Walk, c'est l'aventure du funambule français Philippe Petit, célèbre pour avoir
joint en 1974 les deux tours du World Trade Center sur un fil, suspendu
au-dessus du vide. Ce film impressionnant a une musique qui n'appuie pas les
effets. C'est celle de l'anti-blockbuster, avec des accents jazzy. C'est celle
d'un grand compositeur. https://www.youtube.com/watch?v=yLVUBOb3fmE MUNE Le gardien de la Lune. Réalisateur : Alexandre Heboyan,
Benoît Philippon. Compositeur : Bruno Coulais. 1CD CristalRECORDS
– BOriginal n° BO-021 Encore
une musique de grande qualité de ce compositeur aux multiples récompenses. Il
partage son temps entre compositions pour le concert et pour l'image. Mune c'est un film d'animation fantastique,
et la musique qu'a composé Coulais nous emporte par ses mélodies et ses conceptions
harmoniques, dans un univers poétique. Il est professeur de musique à l'image
au CNSMDP, à la suite de Laurent Petitgirard (c'est
ce dernier qui dirige cette BO avec l'orchestre
de Londres). Son expérience et son talent vont être d'un grand enrichissement
pour les futurs compositeurs. Un CD magnifique d'intelligence musicale. https://www.youtube.com/watch?v=LcFXZ3ixuR0 ATTACK ON TITAN. Réalisation : Shinji Higuchi. Compositeur : Shiro
Sagisu. 1CD Milan Music n° 399759-2 Shiro Sagisu est surtout connu comme compositeur de film
d'animation. Ce film est une adaptation d'un manga qui a été aussi une série :
Les titans attaquent, et Sagisu en rajoute une
couche. Shiro Sagisu a du
savoir faire et sait où le trouver chez les producteurs de la normalité en
musique aujourd'hui pour un blockbuster et à l'usine Zimmer.
Alors on construit pareil, tout est bon dans la défonce, et plus c'est lourd
plus c'est bon ! Rien ne nous est épargné : aux titans on leur doit
une musique évidemment titanesque ! Le deal est rempli. Maintenant quand à
l'existence d'un CD ? https://www.youtube.com/watch?v=DCDJZYrMJXo&list=PLsOmBv9U05qoV-hNBs_2ZAemBWBzj3dKU LE VOYAGE EN BALLON. Réalisateur : Albert Lamorisse.
Compositeur : Jean Prodomidès. 1 CD MilanMusic n° 399 765-2 Combien
de générations ont vu ce joli film ! La France, pour la première fois,
filmée d'en haut. La musique de Jean Prodomidès,
sorte de poème symphonique, est un pur bijou. Chaque région de France visitée a droit à une variation du thème inventé par ce musicien. Prodomidès a beaucoup composé pour le cinéma. On lui doit
les musiques écrites dans les années cinquante pour les films de Jean Delannoy,
Denys de la Patellière, Gilles Grangier,
et la superbe musique pour Danton de
Wajda. Il a écrit pour Maurice Béjart et pour un des gros succès de la
télévision, Les Perses, une des
premières œuvres en stéréophonie ! Ce disque est un ravissement. https://www.youtube.com/watch?v=kYuaojIbxO4 PAN. Réalisateur : Joe Wright. Compositeur : John
Powell. 1Cd Sony Classical n° 88875164042 Joe
Wright réalisateur des films comme Orgueil
et Préjugé, Reviens Moi, Anna Karenine,
a abandonné Dario Marianelli pour le prolifique John
Powell. Ses dernières musiques étaient pour des films d'animation – Dragon 2, Rio 2, l'Âge de Glace4 –. Ici
on est dans le même registre : l'énergie et l'invention musicale. C'est du premier degré à l'état pur et ça fonctionne. https://www.youtube.com/watch?v=smneFN-qn3k&list=PLZVhtg1xEwd8UC7gWGNDHq_qGpmBd_V5_ YOUTH/ Réalisateur : Paolo Sorrentino.
Compositeur : David Lang. 2CDs MilanMusic n°
399773-2 Sorrentino
aime être très précis – comme pour sa mise en scène - sur ses BO et cela s'entend dans tous ses
films. Après celle passionnante de La Granda Bellezza, il nous
offre une musique toute aussi enthousiasmante avec Youth. Michael Caine interprète un compositeur. Il a écrit une œuvre
intitulée « Simple Song » et la reine d'Angleterre désire l'entendre,
dirigée par le maître himself. C'est David Lang qui a
écrit la partition pour le film. C'est un compositeur américain de musique
minimaliste. Il a eu comme professeur Hans Werner Henze – peut-être est-ce à
cause de lui qu'il s'est dirigé vers une musique plus digeste -. Il a collaboré avec le Kronos Quartet pour la
musique hyper appréciée par tous les adolescents de Requiem For a Dream ! En 2008, il a reçu le Prix Pulitzer de
musique pour La Passion de la Petite Fille aux allumettes, inspirée du
conte de Hans Christian Andersen et de La Passion Selon Saint Mathieu de
Jean Sébastien Bach. Il n'a pratiquement pas écrit pour le cinéma et c'est sa
première vraie musique pour un long métrage. « Simple Song » est
interprété par la soprano Sumi Jo accompagnée au
violon par Viktoria Mullova. Milan offre un double
album avec les musiques du film, des morceaux connus comme « You Got The Love » et une version en anglais du tube de la
Boum « Reality » écrit par Vladimir Cosma.
On ne se lasse pas d'écouter cette BO. « Simple Song » est magnifique
de simplicité, comme la séquence magistralement filmée par ce grand réalisateur
qui a raté la Palme d'Or pour sûrement des renvois d'ascenseur de la part des
frères Coen au festival. Encore un CD à s'offrir pour
les fêtes ! https://www.youtube.com/watch?v=UCVnFUUI6X4&index=2&list=PL1XRrLTfITQXCGdZ6bLyAS47P0PWEyEt9 JOSEPHA – FEMMES DE PERSONNE : Réalisateur : Christopher Frank. Compositeur :
Georges Delerue. 1CD MusicBoxrecords MBR – 077 MusicBoxRecords
continue grâce Colette Delerue à mettre en CD les musiques inédites de Georges
Delerue. Ici, se sont deux films, Josepha (1982) avec Claude Brasseur, Miou-Miou
et Bruno Cremer, et Femmes de personne
(1984) avec Marthe Keller, Jean-Louis Trintignant, Philippe Léotard, Fanny Cottençon, Caroline Cellier et Patrick Chesnais.
Pour Josepha,
le compositeur a écrit un thème principal tourmenté et grave, dominant la
partition et renvoyant à l'univers post romantique de Gustav Malher. Certains morceaux font également écho à l'ambiance
nerveuse du film d'Andrzej Zulawski (L'important
c'est d'aimer). Georges Delerue a également écrit des musiques
d'ambiance pour le film comme la valse de salon de Valse rococo, la
valse jazz de Josepha et Régis et le combo de Ville
d'eau. Le thème principal de Femmes
de personne prend la forme d'une ballade décontractée et un
peu nostalgique jouée au vibraphone. De nombreuses pièces de l'album permettent
d'apprécier combien le compositeur savait écrire de belles mélodies romantiques
dont il avait le secret. L'album comprend également des pièces, empreintes
d'une couleur jazz, pop et certaines d'ambiances électroniques éthérées. Un
gros travail de remasterisation a été nécessaire sur
ces morceaux. https://www.youtube.com/watch?v=Vqw08HyrgrY BREAKFAST AT TIFFANY'S : Réalisateur : Blake Edward. Compositeur : Henri Mancini. 1CD MilanMusic n°399766-2 Le scénario d'après le livre sulfureux de
Truman Capone, le choix du réalisateur qui débutait dans la carrière ainsi que
le musicien qui voulait faire une chanson, « Moon River », que personne
ne voulait, et le comble : prendre la pure Audrey Hepburn pour jouer une call
girl - Capote voulait Marylin -, tout était très compliqué pour produire ce
film ! Au final, le film a fait un tabac : Edward et Mancini
étaient lancés, et « Moon River » reçu l'oscar de la chanson !
Cette réédition comporte un bonus : « Moon River » chanté par
Audrey Hepburn ! Rien que pour ce bonus on doit se procurer ce CD. Pour
ceux qui aiment la bonne musique, celle de Mancini, je suppose que ce CD
trônait déjà dans leur
discothèque ! « Oh, dream
maker, you heartbreaker, Wherever you're going I'm
going your way". https://www.youtube.com/watch?v=BOByH_iOn88 A TALES OF TWO CITIES. Réalisation :
Philippe Lemonnier. Compositeur : Serge Franklin. 1CD MusicBoxRecords MBR-080 Franklin
et Lemonnier se rencontrent en 1984 pour la saga paysanne à succès Des
grives aux loups, puis continuent avec Bonne espérance,
Jalna ou L'Enfant
des loups. A Tale of Two
Cities (Un
conte de deux villes) a été composé par Serge Franklin
en 1989. Ce téléfilm en deux parties de 90 minutes, d'après le roman historique
de Charles Dickens, est une production essentiellement britannique dans une
distribution hétéroclite où les vétérans Jean-Pierre Aumont et John Mills
côtoient la jeune génération incarnée par Xavier Deluc,
et les anglais James Wilby et Serena Gordon, tous
deux sortis du Maurice de James Ivory. A
Tale of Two Cities
lance un pont entre Londres et Paris dans l'amour tumultueux que partagent deux
hommes pour la même femme entre 1775 et 1793, alors que des révoltes des deux
côtés de la Manche annoncent la Révolution à venir. Pour cette partition
épique, Serge Franklin a écrit trois thèmes principaux aux mélodies fortes et
aux orchestrations simples mais puissantes : le thème principal avec sa masse
orchestrale et chorale, le thème de la liberté plus lyrique et aérien, et le
thème-hymne majestueux. https://www.youtube.com/watch?v=yEKd9yGkSiY Stéphane Loison.
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