PAROLES D'AUTEUR : DÉFINIR L'ÉMOTION MUSICALE REPERES PEDAGOGIQUES : POUR UNE SOCIOLOGIE DU CHANT CHORAL PROPOS PARTAGÉS : UNE JOURNÉE PARTICULIÈRE DANS LES SIÈCLES ! L'AGENDA
6, 7 / 10 Un soir
au Concert Spirituel par le Concert de
la Loge
Tout au long du XVIIIe siècle,
le Palais des Tuileries vibre au son des concerts du Concert Spirituel ou du
Concert de la Loge Olympique, deux associations qui ont révolutionné la
pratique du concert. Entre un grand motet et un air d'opéra à la mode, la
musique symphonique et concertante y est à l'honneur, et notamment celle de
Haydn, qui compose pour le Concert de la Loge Olympique ses symphonies dites « Parisiennes ». Héritiers de cette
histoire, Julien Chauvin et son orchestre – désormais baptisé ''Concert de la
Loge'', pour ne froisser personne ! - nous feront revivre en compagnie de la
soprano Sandrine Piau ces riches heures musicales du
Louvre. Ils présenteront un programme à l'occasion de la sortie de leur premier
disque autour de l'intégrale des Symphonies Parisiennes, à Puteaux et à Paris.
Il réunira de Joseph Haydn la Symphonie
n° 83 en sol mineur Hob.I.83 "La Poule", de Jean-Chrétien
Bach, l'aria « Semplicetto, ancor non sai » extrait d'Endimione, de Marie-Alexandre Guénin
la Symphonie en ré mineur opus 4 n°3, outre des airs italiens de Giuseppe Sarti et de Giovanni Paisiello Salle Gramont, Conservatoire JB
Lully, 5bis rue Francis de Préssensé, 92800 Puteaux,
le 6 octobre 2016 à 20H45. Infos et résas
: http://www.culture.puteaux.fr/accueil/actualites/ ; par tél. : 01
46 92 94 77 ; en ligne :
billetterie@mairie-puteaux.fr Auditorium du Louvre, le 7
octobre à 20h00 infos et résas : http://www.louvre.fr/un-soir-au-concert-spirituel ; par tél.: 01 40
20 55 00 ; en ligne : fnac.com 6, 22,
23 / 10 Les Siècles
: de Bach à Reich, en passant par Debussy et Stravinsky
aquarelle de
Léon Bakst, 1912 / DR Steve Reich et J.S. Bach sont
deux géants de la musique distants de 250 ans. François-Xavier Roth a choisi de
rapprocher deux de leurs chefs-d'œuvre, le Magnificat BWV 243, et Tehillim (1981) sur les
Psaumes 19, 34, 18 et 150. Ces œuvres cultivent selon lui la même ferveur
expressive. Ce concert réunira deux ensembles vocaux, les London Voices pour Tehillin et l'Ensemble Aedes pour le Magnificat.
Ce concert au Palais Universitaire de Strasbourg s'inscrit dans le
cadre du festival Musica. Vaslav
Nijinski, une des grandes figures des Ballets russes au début du XXe siècle, a
marqué l'histoire de la danse tout en accompagnant la naissance de pièces
essentielles de la modernité musicale en tant que chorégraphe. Avec Le Sacre du printemps de Stravinski bien
sûr, mais aussi L'Après-midi d'un faune et
Jeux de Debussy. Les musiciens
des Siècles reprennent leur odyssée des ballets russes sur instruments
d'époques avec les danseurs de la Compagnie Ligne de Sorcière pour deux
représentations uniques à la Philharmonie de Paris. Ce concert "Hommage à
Nijinski" sera également donné le dimanche 2 octobre au Beethovenfest
de Bonn. Palais Universitaire de
Strasbourg, le 6 octobre 2016 à 20H30 (Reich / Bach. Toutes les infos et
réservations sur ce lien et au 03 88 23 47 23 Philharmonie de Paris 1, le
22/10 à 20H30 & le 23/10 à 16H30 (Hommage à Nijinski) Toutes les infos et
réservations sur ce lien et au 01 44 84 44 84 9 / 10 Hommage à Michel Butor en Arles
Pour leur concert d'ouverture
de saison, les Matinées et Soirées musicales d'Arles reprennent celui conçu en
1980 au cours duquel était présenté Dialogue avec 33 variations de Ludwig
van Beethoven sur un thème de valse de Diabelli, écrit en 1971 par Michel
Butor. Le pianiste Jean-François Heisser jouera de
nouveau l'œuvre de Beethoven. Au programme également Veränderungen
de Philippe Manoury, commande du Musée du Louvre
en 2008 : autre référence au maître de Bonn puisque le titre
fait référence à celui que Beethoven écrivit en tête de la même partition lors
de sa première édition. « Les ''Diabelli'' sont en quelque sorte en
filigrane derrière l'œuvre, elles sont un paysage qui se trouve en
arrière-plan », remarque l'auteur. Chapelle du Méjan, le 9 octobre 2016 à
11H Réservations : Association Le Méjan, BP 90038, 13633 Arles cedex ; par tel : 04 90 49 56
78 ; en ligne : www.lemejean.com 10 / 10 Rentrée aux Pianissimes
La nouvelle saison des Pianissimes 2016/2017 reprend son rythme mensuel avec de
nombreuses surprises : une pléiade des jeunes pianistes à découvrir, et pas
seulement français ; de nouveaux lieux atypiques à explorer (Musée Draper,
Studio Raspail), une incursion dans le jazz... Le concert du 10 octobre verra
se produire le duo Guillaume Coppola & Hervé Billaut
qui joueront à quatre mains. Au programme : les 16 Variations op. 39 de
Johannes Brahms et les Danses hongroises nos 11, 2, 4 et 8. Et le
Divertissement à la hongroise de Franz Schubert, D. 818. Théâtre de l'Athénée, 7, rue Boudeau, 75009 Pris, le 10 octobre 2016 à 20H. Réservations : par tel. : 01 48
87 10 90 ; en ligne : www.weezevent.com/lefebvre 13 – 16 / 10 Parfums d'Espagne au Festival Pianoscope Après
la Scandinavie, le Royaume-Uni et la Russie, l'Espagne et sa musique
incandescente enflammeront la 11ème édition de Pianoscope
à Beauvais. D'Enrique Granados qu'inspirent l'Andalousie et le peintre Goya, en
passant par Manuel de Falla nourri de danse ou Joaquín Turina de poésie, la
musique classique ibérique voisinera avec ses racines populaires et on vibrera
aussi au rythme des guitares flamenco. Ainsi le duo formé par le pianiste Dorantes et le contrebassiste Renaud Garcia-Fons invente
une musique à la croisée des chemins : jazz flamenco, flamenco jazz (14/10, 20H30, Théâtre du
Beauvaisis). L'ouverture se poursuit avec le jazz et Guillaume
de Chassy qui donnera deux récitals, au centre
hospitalier et sur le campus où sont chaudement invités les étudiants.
Ouverture toujours, cette fois-ci aux jeunes avec le quatuor Malevich qui vient du Conservatoire de Maastricht avec qui Pianoscope a noué un partenariat. Ouverture enfin au
Conservatoire Eustache-du-Caurroy de Beauvais dont
les professeurs donneront pour la première fois un récital et où se déroulera une master classe de la célèbre pianiste et pédagogue russe
Rena Shereshevskaya. Côté piano, l'excellence et
la découverte seront au rendez-vous avec les récitals des lauréats du Concours Tchaïkovsky 2015 : d'une part Dmitry Masleev, 1er prix, qui a inscrit à son programme
Scarlatti, Beethoven – Sonate « Les adieux » -
et Rachmaninov (15/10, 18H, Grange de la Maladrerie). D'autre part, Lucas Debargue, 4ème prix, qui jouera deux sonates de Schubert, les D. 784et D. 664,
outre un Trio de sa composition pour piano, violon et violoncelle avec les
frères Castro-Balbi (16/10, 16H, Grange de la
Maladrerie). Henri Demarquette et Boris Berezovsky donneront
une séance de sonates pour violoncelle et piano de Richard Strauss et
Paul Hindemith (15/10, 16H, Grange). Une soirée dédiée à la musique espagnole,
des « Goyescas » de Granados, hymne à la peinture, à Lorcamente, hommage à la poésie, mêlera les arts au gré des
œuvres classiques et traditionnelles, avec aux côtés de Boris Berezovsky et de ses amis, le vielliste
à roue catalan Marc Egea (15/10, 20H30, Théâtre du
Beauvaisis). Enfin un concert pot pourri musique, danse et chant réunira autour
de Berezovsky, la soprano Khismatullina
Aigul, le guitariste Rafaele
Cortes, le violoniste Jean-Marc Philips-Varjabédian
et le celliste Demarquette pour des œuvres de Casado,
Nin, Obrador, de Falla etc.. (16/10, 18H, Théâtre du Beauvaisie) . Beauvais, du 13 au 16 octobre
2016 : divers lieux Renseignements et réservations :Théâtre du Beauvaisie, 40 rue Vinot Préfontaine, 60007 Beauvais
cedex ; par tel. : 03 44 15 66 70 ; en ligne :
billetteriepianoscope@beauvais.fr 16 / 10 Récital Jean Muller
La découverte d'un nouveau talent est
toujours un grand plaisir. L'entendre dans le Chopin le plus intimement connu
vous fait sentir que Jean Muller lui donne une fraîcheur nouvelle,
captivante et mystérieuse. Jean Claude Pennetier
estime ce pianiste luxembourgeois comme « un artiste complet, doté de
doigts, d'une tête et d'un cœur ». Né dans une famille de musiciens, un
père pianiste, une mère altiste, Jean Muller mène ses études musicales au
conservatoire du Luxembourg puis se perfectionne auprès de maîtres tels Gerhard
Opptiz, Eugen Indjic, ou
encore Anne Queffélec et Leon
Fleisher. Lauréat de plus d'une douzaine de prix dans
des concours internationaux, Jean Muller possède un répertoire
exceptionnellement vaste pour un artiste de son âge, entre autres les sonates
de Beethoven
et de Mozart. À
partir de 2016, il sera le directeur artistique de l'Orchestre de Chambre du
Luxembourg. Salle Cortot, 78 rue Cardinet,
75017 Paris, le 16 octobre 2016 à 17H30. Réservations : par tel : 01 43 71 60 71 ;
en ligne : www.autourdupiano.com ou www.ticketnet.fr 25, 26, 27, 29, 30, 31 / 10 L'Opéra de quat'sous par le Berliner Ensemble
Évènement au Théâtre des Champs-Elysées que
cette reprise de L'Opéra de quat'sous dans la
mythique production du Berliner Ensemble ! Créée en
1928 à Berlin avec Lotte Lenya dans le personnage de
Mrs Peachum, l'œuvre inspirée du Beggars'
Opera de John Gay, cultive une forme
d'expressionnisme cher à ses auteurs : Bertold Brecht
et Kurt Weill. L'œuvre connut un succès foudroyant qui ne s'est jamais démenti
depuis lors. Plusieurs chansons restent gravées dans la mémoire, comme la
complainte du truand Mackie. La production mythique
imaginée par Robert Wilson pour le Berliner ensemble,
qui a été représentée à Paris en 2009 et 2010 au Théâtre de la Ville, la
réinvente. Offrant une vision épurée au fil du rasoir, façon cabaret allemand
grinçant avec ses personnages grimés à outrance. Géométrie du décor,
fantasmagorie de la lumière, direction d'acteurs pointue, véhémence du trait,
tout concourt à rehausser l'étrangeté de cette parabole, une charge contre
l'ordre social établi. Il faut absolument voir ce spectacle quasi
iconique. Théâtre des Champs-Elysées, les 25, 26, 27,
31 octobre 2016 à 20H, et le 30/10 à 17H Réservations : Billetterie, 15 avenue
Montaigne, 75008 Paris ; par tel : 01 49 52 50 50
; en ligne : www.theatrechampselysees.fr La saison 2017 de l'Opéra Comique Olivier Mantei
présentait lors d'une conférence de presse la prochaine saison de l'Opéra
Comique. Les travaux sont désormais presque terminés et le théâtre devrait
rouvrir début 2017, redécoré flambant neuf, mis aux
normes de sécurité (accessibilité) et de confort (climatisation, effort de
visibilité moyennant une perte de quelques 50 places). Pour son directeur, le
break – qui aura duré dix huit-mois – aura permis de faire le point et
peut-être de se remettre en question ! Est désormais retenu le principe d'une
saison calquée sur l'année calendaire, ce qui devrait à brève échéance
permettre de jouer pendant l'été et de combler un vide durant cette période de
milieu d'année. Un partenariat international est mis en place autorisant une
plus grande mobilité (coproductions avec Genève, Berlin). Comme la résidence
d'un metteur en scène chaque année (Joël Pommerat
pour 2018). Les productions de la saison 2017 sont au nombre de huit dont deux
créations, de Violeta Cruz et de Philippe Manoury,
poursuivant cette intéressante association répertoire et création, initiée par
Jérôme Deschamps. Le nombre de levers de rideau sera augmenté de plus de 50%
par rapport aux saisons passées.
On ouvrira les festivités... au Châtelet en
février avec Fantasio d'Offenbach dont la mise en scène est confiée à
Thomas Jolly et qui sera dirigé par Laurent Campellone
(14-27/2). Puis suivront : La Princesse légère de Cruz qui marquera la
réouverture de la salle Favart (16-20/3), Alcione
de Marin Marais, dirigé par Jordi Savall et mis
en scène par Louise Moaty, un retour attendu du chef
catalan dans une tragédie lyrique de 1706 si peu connue (28/4-7/5). Le
Timbre d'argent de Camille Saint-Saëns, autre rareté (1877), verra à
l'œuvre le tandem François-Xavier Roth (direction) - Guillaume Vincent (régie),
et ce dans le cadre du Festival Palazzetto Bru Zane
(9-19/6). En septembre on pourra voir un pasticcio
sur des musiques de Henry Purcell, Miranda, défendu par Raphaël Pichon
et son Ensemble Pygmalion, et la régie de Katie Mitchell dont on connait la
perspicacité de la dramaturgie (25/9-5/10) ; puis Kein
Licht de Manoury
d'après Elfriede Jelinek (18-22/10). Est programmée
une nouvelle Flûte enchantée, qui selon Mantei,
trouve ici sa place puisque le singspiel de Mozart peut s'apparenter à une
forme d'opéra-comique, dans une production du Komische
Oper de Berlin due à Barrie Kosky
(6-14/11). La saison se clôturera par Le conte Ory
de Rossini dirigé par Louis Langrée et mis en
scène par Denis Podalydès (19-31/12/2017). Les
''Soirées de Favart'' seront l'occasion de récitals (Tassis
Christoyannis, le 24/3, Gaëlle Arquez et
Jean-Sébastien Bou, le 10/6, Cyril Auvity, le 16/6,
Marianne Crebassa, le 24/10) comme d'une exécution
scénique du Winterreise de Schubert par Julian
Pregardien et l'Ensemble Intercomtemporain
(24/11). Certains spectacles seront donnés dans d'autres lieux, affirmant la nécessaire
ouverture de l'institution (théâtres de
Compiègne, Fontainebleau, Bastia.. )
L'ouverture s'affichera encore avec des
projets spécifiques comme « Porte 8 », rue Marivaux (un spectacle
façon cabaret une fois par mois à 22H), le kiosque de billetterie qui sera transformé en espace ouvert (opération Opera Lab), la poursuite des
colloques (« Camille Saint-Saëns à pleine voix », 12-14/6/2017) et
les captations audiovisuelles. Question tarification, outre le fait que les
prix ont à peine augmenté, on note une opération « jeune public » :
500 places à 20 € les soirs de première ; 1000 places à 35 € pour les moins de
35 ans pour Fantasio. Le volet pédagogique n'est pas négligé, bien au
contraire. Enfin, la Nouvelle Troupe Favart, qui est un élargissement de
l'Académie de l'Opéra Comique, a pour but de fidéliser un ensemble de chanteurs
à la fois résidents et associés réunis autour d'un projet collectif : plus
qu'une troupe, une compagnie de chanteurs « qui incarneront l'identité joyeuse,
impertinente, iconoclaste peut-être, d'une institution prête à aborder une
nouvelle ère de créativité artistique ». Renseignements et location ouverte : au
guichet, 21 rue du Sentier 75002 Paris ; par correspondance : service
billetterie 5 rue Favart 75002 Paris ; par tél.: 0 825 01 01
23 ; en ligne : www.opera-comique.com ou billetterie@opera-comique.com Les abonnements sont ouverts jusqu'au 25
octobre 2016. Places à l'unité : à partir du 26 octobre. Jean-Pierre Robert. *** PAROLES D'AUTEURDéfinir
l'émotion musicale A Jean-Jacques Werner Cet article se propose de repenser la
question de l'émotion musicale dans le cadre de la théorie de
l' « effet de vie » qui considère l'art comme un phénomène
systémique, c'est-à-dire comme un ensemble complexe réunissant des éléments qui
fonctionnent nécessairement les uns avec et par les autres et ne peuvent
fonctionner que de cette manière. Il arrivera à la conclusion que l'émotion
musicale et la beauté musicale sont une seule et même chose. Voici pour commencer quelques faits connus.
Entrons dans une de ces salles à la mode où la jeunesse de nos grandes villes
mondialisées va écouter le concert d'un groupe déjà connu, célébré dans les
médias et lancé vers les sommets par une industrie puissante. Là, le public ne
fait pas qu'écouter, il participe, il bouge, il s'exprime. Les émotions qu'il
vit sont fortes ; elles disent son enthousiasme, sa vitalité, son identité de
foule, sa participation à un goût. À la limite il peut « faire un
malheur » dont on reparlera longtemps. Toute autre est l'émotion esthétique du
croyant-mélomane en train d'écouter
dans son église une cantate de Jean-Sébastien Bach. L'architecture du lieu, la
ferveur ambiante, la lumière surnaturelle des vitraux lui donnent d'abord envie
de joindre les mains, lui si faible devant l'Absolu. Il associe la puissance
des tutti d'orgue, d'orchestre et des chœurs à son Dieu tout puissant. Bientôt
il L'entend dans des mots qui s'écrivent mélodie, dans des intervalles qui
montent vers le Bien ou dans les figures disharmonieuses qu'un diable semble
lui sonner aux oreilles. Dans la simple évidence des accords enchaînés qui
portent l'âme vers l'avant, vers le haut, dans les insistantes figures qui
répètent et varient les cris et les soupirs humains, il y a, à la fois, toutes
les émotions de sa condition de pécheur pardonné et secouru, et toute la combinatoire des timbres, des rythmes, des
hauteurs, des durées, des tonalités et des figures de base de la musique. Ce
jour-là, elles prennent exactement les
contours de l'âme de Bach. Toute autre encore l'émotion de
l'interprète qui travaille un
mouvement de sonate. Lui, il est surtout en train d'affiner son émotion.
Admettons qu'il ait choisi telle œuvre plutôt que telle autre parce que l'une
de ses pages a fait revivre étrangement en lui le précieux souvenir de très
petit enfant d'un chemin de terre s'allongeant le soir sous le soleil couchant.
Il ne saurait dire avec des mots ce qu'il ressent, mais il le sent avec une
grande précision où entrent le timbre, les rythmes, les intensités, les
mélodies et le mouvement même du devenir musical. Alors il cherche à exprimer
tout l'ensemble du mouvement par rapport à son intuition initiale. Il varie les
tempi, les accents ; il écoute ce que cela donne, il attend, il cherche en
lui-même. Si j'exagère un peu tel coup d'archet, se demande-t-il, cela
mettra-t-il tout à coup une touche d'humour qui apportera une distanciation
féconde ou sera-ce ridicule ? Peu à peu son interprétation se précise
émouvante et de plus en plus cohérente comme si elle lui était soufflée par la
partition elle-même. J'arrête ici la série de ces petites scènes
qui peuvent paraître un peu faciles. Elles ont cependant le mérite de montrer
que le vécu de l'émotion esthétique est toujours individuel, précis et aussi varié que les humains
eux-mêmes. Il faudrait donc encore présenter, entre autres, la scène des
militants qui chantent, après la réunion, un chant patriotique ou politique,
celle des esclaves en Amérique qui retrouvent au fond de leur mémoire les
chants de leurs pays d'Afrique, celle des caves où les jeunes écoutaient du
jazz après la guerre et beaucoup d'autres. Il y a celle de l'étudiant qui
travaille en musique, celle des séances de musicothérapie, celle des groupes de
danse qui se retrouvent un soir par semaine et bien d'autres encore, car il
faudrait ajouter toutes celles qui ont été étudiées en ethnomusicologie. Aussi
veux-je terminer par le souvenir prégnant d'une soirée de musique
traditionnelle de Ca tru
à laquelle j'ai eu le bonheur d'assister au Viet Nam. Autour d'une famille de
musiciens ayant consacré leur vie et leur patience à la musique et au sublime
qu'elle offre, un petit groupe de connaisseurs fraternels et exigeants se
rassemble et communie. Voici que le silence intime de nos cœurs, de la salle et
de la nuit, qui l'entoure, se déplie, se défroisse en une gerbe de désirs secrets puis de gestes
qui sont des sons, qui sont des rythmes, qui sont des êtres intenses comme des
destins dansants, invisibles, dans la salle. Ils ont la présence, l'immémoriale
présence pleine de la vie de l'art. En ce point du raisonnement une première
conclusion partielle est évidente et en même temps paradoxale. Il faut, en
effet, admettre contradictoirement qu'il y a de l'émotion dans tous ces cas
particuliers, mais qu'il ne peut s'y trouver de toute évidence aucune
définition unitaire de l'émotion esthétique musicale en tant que telle, ce qui
est pourtant l'objet espéré de notre quête. Si elle existe quelque part, il faut
donc, pour la découvrir, commencer par en retrancher toutes les fonctions qu'on
peut attribuer à la musique et qui lui ont été attribuées par le passé. En
effet, il est temps de le dire, les différents types d'émotions dont nous
venons de donner des exemples vécus concernent les fonctions qui se peuvent
attribuer à l'art. Et ce sont des « variants »
dont nous avons étudié ailleurs la longue liste. Enfin, ce qui semble encore ajouter à la
difficulté de la question posée, c'est que tous les individus de ces groupes
n'ont pas la même émotion et que certains n'en ont même pas du tout ! N'y a-t-il pas d'autres « variants » en musique ? Il y en a beaucoup, à
commencer par les formes. On dira que les formes sont diverses, mais que la
forme en tant que telle existe et peut se définir comme suit. Un objet a une
forme lorsque l'esprit humain est plus ou moins tenté d'en repérer, analyser,
nommer ou reconnaître la disposition relative des éléments. Si on applique
cette définition à la musique, on voit qu'elle ne contient aucune émotion si
large qu'on la définisse. Si maintenant
on améliore cette définition en tenant compte de l'insistance des créateurs à
souligner l'importance de la cohérence des formes en musique, on arrive au
texte que voici : Un objet a une forme lorsque l'esprit humain est
fortement tenté d'en repérer, analyser, nommer ou reconnaître la disposition
relative des éléments. Avec cette nouvelle version, on est passé des formes en
général aux formes artistiques, mais on n'y trouve pas non plus l'émotion
cherchée. Il faut qu'une œuvre ait une forme, il faut qu'elle s'impose à
l'esprit, mais elle n'est pas belle pour autant. Une œuvre n'est donc pas belle parce que
c'est une forme ABA' ou une fugue, ou une forme sonate ou encore un ca tru. La forme est une condition nécessaire de
l'art, mais elle n'est pas suffisante. Les formes musicales sont donc des
« variants » qui ne contiennent pas
forcément de l'émotion musicale. Il faut chercher ailleurs. Le même
raisonnement doit être tenu à propos des genres qui sont en fait des formes
ayant été codifiées et développées parfois pendant de très longues périodes. En
effet, l'émotion esthétique ne se trouve pas automatiquement dans une
symphonie, dans un oratorio ou dans un ca
tru parce que c'est une symphonie, un oratorio ou
un ca tru.
Un genre est l'invention d'une forme complexe que l'on agence avec l'espoir
qu'elle favorisera la genèse de l'émotion esthétique. Mais il faut aller plus loin. Ce qui vient
d'être dit des fonctions, des genres et des formes, n'est que le début d'une
liste qui va comprendre tous les moyens aléatoires que la musique a inventés
pour créer des œuvres. Ce sont des adjuvants indispensables, quoique divers
mais qui ne sont pas encore l'œuvre. De même qu'un morceau de tissu n'est pas
encore une robe, ni une pièce de cuir un soulier, ces items de l'art ne sont pas encore de l'art. Sauf que ce qui est
évident pour le tissu et la robe l'est beaucoup moins dans le phénomène
mystérieux de l'art. Cette nuance théorique est capitale, en
effet, parce que l'on a toujours tendance à confondre les moyens de l'émotion
avec l'émotion elle-même. Et comme les moyens sont divers et changeants, le
grave problème théorique sous-jacent qui apparaît ici est celui du pluriel et
du singulier. Qu'est-ce qui est « variant » donc pluriel dans
l'émotion musicale et qu'est-ce qui est « invariant » donc singulier,
essentiel ? On ne peut arriver à l'essentiel sans connaître au préalable
la liste des items qui varient. Or ce
sont les goûts, les sujets, les significations, les styles, les codes de
cohérence et, bien sûr, les instruments et leurs techniques. Il n'est pas
possible ici de donner à chacun la place qu'il mérite, mais je fais appel à
ceux qui connaissent bien l'histoire de la musique. Ils savent par longue étude
que ces items varient, que leurs
variations n'empêchent pas de nouvelles formules de création et ils savent
d'expérience que les théoriciens des styles successifs ont tendance à confondre
le tissu et la robe. Ils savent aussi que les « variants »
sont contradictoires entre eux comme le sont le sacré et le profane, la monodie
et la polyphonie, le dépouillement et l'ornementation, la musique pure et la
musique à programme. Si l'on fait le compte des « variants » qui viennent d'être évoqués, on retrouve
ceux que nous avons d'abord découverts dans l'art littéraire et qui se trouvent
aussi dans l'art musical. Ils ont la particularité commune de
constituer des choix esthétiques qui sont globalement, sinon toujours,
contradictoires les uns avec les autres. Si on attribue à la musique une
fonction spirituelle, celle-ci est contradictoire avec une fonction de
divertissement, de thérapie ou avec la fonction zéro de l'art pour l'art. Si on met la musique dans la communication, dans
la sémiologie ou dans le formalisme, voici d'autres contradictions. Au niveau
des goûts si l'on pense que la beauté est dans le minimalisme ou dans
l'exubérance ou dans l'ampliation, voici d'autres choix contradictoires. C'est d'ailleurs en se fondant sur toutes
ces contradictions qui sont évidentes, que beaucoup de théoriciens de la
musique, comme d'ailleurs des autres arts, en sont arrivés aux XIXe et
XXe siècles à l'idée que la musique ne se définit pas plus que les
autres arts. Tout y change continuellement. L'alpha et l'oméga de la pratique
des arts au XXe siècle consiste même
souvent à prétendre que l'artiste doit
toujours inventer des œuvres absolument nouvelles. Notre époque est celle de
primat de l'originalité pour l'originalité pure. Mais l'intuition que l'art musical et,
partant, l'émotion musicale, possède quand même une unité a résisté malgré les
« variants », comme résistent les
intuitions profondes de l'humanité qui ne sont pas logées dans la logique des
argumentations, mais bien plus profondément dans une aperception qui submerge
l'intelligence. Néanmoins, en ce point du raisonnement, il
est encore parfaitement possible de penser que l'intuition de l'unité de l'art
n'est rien d'autre qu'un besoin de la psyché, comme on en a vu d'autres sous le
soleil et qui ne sont au fond qu'un désir. Lorsque j'ai commencé, il y a près
d'un demi-siècle à m'interroger sur cette éventuelle unité, j'ai accepté la
possibilité de n'en pas trouver. La recherche scientifique est à ce prix. Il
faut savoir explorer des pistes qui ne mènent nulle part parce que ce type
d'échec est instructif en lui-même. J'ai donc cherché à isoler dans les arts
des « invariants ». Pour ce qui est de l'émotion musicale, j'en
trouve trois. Il s'agit du corps-esprit cerveau, du matériau de la musique et
d'un « invariant » surprise que j'ai eu la
chance de découvrir dans les arts poétiques des grands créateurs. Ces trois
« invariants » apparaissent naturellement, je ne le nie pas, sous des
aspects complexes, mais ce qui les distingue des « variants »,
c'est qu'ils ne sont pas contradictoires. Ils se trouvent même si bien adaptés
entre eux qu'ils constituent une unité supérieure qui renforce celle de chacun
d'eux. Envisageons donc d'abord l'immense question
du corps-esprit-cerveau lorsqu'il reçoit un stimulus
musical, ou, pour se mettre tout de suite dans le domaine de l'art, une œuvre
sonore. Sans doute faut-il commencer par admettre que l'espèce homo sapiens a évolué depuis son
apparition physiquement, physiologiquement et génétiquement en fonction de son
adaptabilité à l'environnement, à l'alimentation, aux milieux, aux changements
climatiques. On sait maintenant quel est le rôle de l'épigenèse sur les gènes et combien le cerveau est plastique à tous les
niveaux. Grâce aux techniques récentes on a « vu » les changements
dus à l'apprentissage, à l'entraînement et à toute pratique intensive. On a de
même pu constater de visu
que les circuits nerveux sont propres à chaque individu et, en particulier, que
les cerveaux musiciens montrent des particularités significatives. Enfin, chose
importante à ne pas oublier, les circonstances de la vie des groupes humains
créent des cultures diverses qui rétroagissent sur l'évolution, c'est-à-dire
sur la variabilité génétique. Mais toutes ces différences ne font pas
renoncer à la notion d'espèce humaine parce qu'on voit aussi de toute évidence
que deux humains peuvent se comprendre et ne diffèrent que d'environ un pour
mille dans leurs génomes. Et tous, pour vivre et pour aimer, pour créer un
avenir et simplement pour survivre ont besoin de se donner une conception du
monde rendue nécessaire par le besoin de cohérence inhérent au
corps-cerveau-esprit. Il y a donc, comme l'anthropologie l'admet de plus en
plus, non pas simplement une nature humaine et, par-dessus, une culture, mais
une nature en interaction constante avec la culture dont elle exige
l'invention. En un mot, il y a « unidiversité »
de l'humain : assez de diversités mineures pour que tous les individus
soient particuliers ; assez d'unité majeure pour que tous appartiennent à
la même espèce. En ce qui concerne maintenant
l' « unidiversité » de l'émotion
musicale, elle se lit directement dans le trajet des sons qui frappent
l'oreille, si j'ai bien compris les nombreux auteurs que j'ai pu lire et
comparer. Chez tous les humains, la cochlée de l'oreille interne génère des
ondes complexes qui sont ensuite véhiculées par le nerf auditif à l'intérieur
du cerveau. Elles parcourent de nombreux relais dits sous -corticaux et
aboutissent dans les aires spécialisées qui reçoivent les différents aspects du
son, les rythmes, les vitesses et qui se trouvent en connexion avec le système
limbique et avec les aires capables de synthèse. Enfin, et ce sera capital pour
la suite du raisonnement, l'ensemble du cerveau-esprit est un immense réseau de
liens pouvant mettre en relations toutes ses parties. Ce modeste résumé fondé sur les lectures
spécialisées que j'ai pu faire depuis L'Homme
neuronal de Jean-Pierre Changeux en 1983 de jusqu'au Cerveau musicien de Bernard Lechevalier
en 2011, en passant par beaucoup d'autres que j'ai tenté de comprendre malgré
mon inexpérience de la recherche en laboratoire, m'a persuadé que l'émotion
musicale repose finalement sur une donnée complexe de base qui, tout en
permettant des particularités individuelles, est fondamentalement une et non
contradictoire. Le deuxième invariant complexe mais non
contradictoire de la musique est le matériau son. Les éléments qui le
constituent sont le timbre, la hauteur, l'intensité, la durée et le rythme. Ces
éléments ont été isolés du bruit sans doute dès l'origine sous la double
influence de la voix humaine et du chant des oiseaux. Ces cinq éléments ne sont
pas contradictoires les uns avec les autres. Ils sont faits pour
sonner ensemble et pour ouvrir ensemble l'immense et merveilleux domaine
de la combinatoire. On a tenté d'ajouter à ces cinq éléments le
temps, le bruit et le silence. Le silence joue assurément un rôle capital en
musique, mais il n'en est pas un ingrédient, il en est la condition. On dira
avec raison qu'il y a, à l'intérieur des partitions, et souvent après la
dernière note, après son émouvant amuïssement, une valeur chargée d'une sublime
intensité. C'est vrai, mais alors il ne s'agit pas de silence mais de
prolongement de la musique et de son effet sur le corps-esprit-cerveau. Pour ce qui est du bruit, il me semble que
les efforts qui ont été faits au XXe siècle pour l'intégrer à la
musique n'ont pas été convaincants auprès du public mélomane. En art, tous les
matériaux ne sont pas bons. Le bruit est un mauvais matériau d'abord parce
qu'il renvoie directement à une cause qui se trouve dans la vie réelle. Tel
bruit est un aboiement, tel autre un train grinçant dans une courbe, tel autre
le bruit de fond d'une ville, d'une usine, ou d'un restaurant. Ils obligent l'esprit
à voir en imagination un chien, un train, une ville, une usine, un restaurant,
c'est-à-dire qu'il rompt la construction d'un monde artistique fictif et libre.
Et si on réussit un jour à désincarner les bruits pour les utiliser en
eux-mêmes dans une œuvre, eh bien, c'est qu'on aura su les transformer en …
sons. Enfin si l'esprit veut écouter un bruit sans le rapporter à sa cause, il
y trouvera tant de choses et il lui faudra tant de temps que cela arrêtera le
mouvement même de la musique. Le temps est, en effet, comme le silence,
une condition d'apparition de la musique. Ce n'est évidemment pas sans raison
que l'on dit toujours que la musique est un art du temps. Mais il faut prendre
garde que le temps de la musique, si physique qu'il soit du point de vue du
métronome et du calendrier, n'est musical qu'au moment où il est apprécié par
le « corps-esprit-cerveau ». Comme l'espace pour l'architecte et
comme le geste pour le danseur, le temps du musicien n'a de raison d'être qu'en
tant qu'il est humanisé. En art, l'humain et le monde s'apprivoisent
mutuellement comme le montrera le troisième invariant. Là, l'instant paradoxal,
l'instant-éternel du temps présent qui cependant passe, l'infini terrorisant du
temps qui doit avoir une origine sans qu'on puisse la concevoir, se trouve
humanisé. Il devient rythme, mouvement, accélération, apaisement, achèvement.
Le voici compris, soutien, porteur, ami ! Les cinq éléments de base du matériau
musical sont au fond assez simples si l'on prend la peine de les définir d'emblée
du point de vue du corps-cerveau-esprit et non pas par rapport aux lois
physiques pures. Ils reposent donc sur
les trois conditions préalables que sont le son tiré du bruit, le
silence qui le rend audible et le temps humanisé. En ce point du raisonnement global de cet
exposé, nous n'avons pas quitté un instant la question de l'émotion esthétique
musicale : après avoir montré que sa nature, si elle existe, ne peut se
trouver dans les dix « variants » qui sont
et restent contradictoires, nous avons montré que le traitement du stimulus musical est globalement un,
mais d'une unité typiquement humaine qui admet des variations individuelles,
culturelles et historiques. C'est souvent simplement par orgueil de nos goûts
que l'on donne trop d'importance aux variations de détail alors que nous
différons si peu, je le répète, au niveau des gènes ! A ce titre la
comparaison de deux schémas, celui du phylum de la vie et celui des variations
génétiques est sans appel… C'est ici qu'intervient la surprise annoncée
plus haut, le troisième « invariant », celui de l' « effet
de vie ». Ayant passé ma vie à comparer les arts poétiques des écrivains
du monde entier dont les œuvres sont passées à la postérité, j'ai eu la chance
d'y découvrir un « invariant » affirmant qu'une œuvre est réussie
lorsqu'elle crée un véritable effet de vie dans le corps-esprit-cerveau d'un
récepteur. Or mes recherches plus récentes montrent que le même invariant
semble bien se trouver aussi sous la plume des musiciens du monde entier. Il
s'agit donc d'une piste à creuser, car lorsqu'un chercheur trouve sous sa
pioche dans la lourde terre un filon de métal précieux, c'est son devoir de
continuer à creuser et de prévoir des hypothèses de travail. D'où cet article
sur l'émotion esthétique musicale. La notion de l' « effet de
vie » explique le fonctionnement du phénomène art. Lorsqu'un récepteur se
trouve en face d'un objet gratuit, non utilitaire et mettant en effervescence
toutes ses facultés, toutes les facettes de son être, il se crée en lui une
autre vie venant se superposer à la vraie vie qu'il est en train de vivre. Un
monde fictif mais possible, réel et irréel à la fois, doublement relié, en
amont, aux cinq ingrédients de la musique combinés dans un morceau précis et,
en aval, à la totalité du corps-esprit-cerveau qui le reçoit. C'est ainsi que Berlioz parle de
l' « incandescence de l'âme », Wagner de « vie
artificielle », Gounod de « ce quelque chose qui ne se voit pas, mais
qui est l'âme et la vie [de] l'art » et que Jolivet affirme comme Proust
que « pour nous, l'art, c'est la vie ». À Debussy il a parfois semblé que les
personnages de son Pelléas
« vont se dresser d'entre les pages du muet manuscrit et qu'on va les
toucher[1] ». Quant aux mélomanes et aux musiciens, il
suffit de regarder leurs visages pendant les concerts ou de visionner le film
qu'Ingmar Bergman a tiré d'un opéra de Mozart en 1974 dans la salle du vieux
théâtre de Drottingholm ou, plus récemment,
l'étonnant, mais évident, DVD de Bruno Monsaignon, Swing, Sing and Think, David Fray Records J. S.
Bach[2]. L' « effet de vie » se lit directement
sur le visage et sur tout le corps des musiciens. L'ancienne poétique traditionnelle de
l'Inde possède à ce propos une notion, celle du rasa, qui se trouve fondée sur une métaphore dont le premier sens
est « suc » et « sève » c'est-à-dire quelque chose
qui se répand de proche en proche. En combinant cette image avec les deux
invariants du corps-esprit-cerveau et du matériau musique, on obtient comme une
visualisation du phénomène de l'émotion musicale. Le matériau son,
volontairement travaillé dans toutes ses dimensions par un artiste, pénètre par
l'oreille dans le corps d'un auditeur et là, par toute une série de
bifurcations, de nœuds et d'embranchements comme on les voit dans un système
d'irrigation, il va vivifier toutes les parties, toutes les facultés de l'être
humain. Mais ce n'est là encore qu'une image
globale du fonctionnement de la musique. En effet, jusqu'à présent la thèse de
l' « effet de vie » ne précise pas comment le phénomène
fonctionne et surtout ne dit pas comment il réussit ou comment il échoue. Or c'est ici que se trouve une nouvelle
surprise de la recherche. En scrutant de près les textes des grands créateurs,
on s'aperçoit qu'ils contiennent un certain nombre de conseils qui aboutissent
sinon à des règles, au sens rigide du mot, du moins à un petit nombre de
conditions indispensables à la réussite. Ce sont les corollaires de l'effet de
vie. Il n'est évidemment pas possible ici d'entrer dans le détail de ces corollaires
qui a longuement été exposé ailleurs, mais il est possible d'en donner un
aperçu en montrant combien ils sont proches de la notion englobante
d' « effet de vie ». Le premier corollaire concerne le matériau.
Il dit que tous les matériaux ne sont pas bons. Seuls conviennent ceux qui,
profondément liés à la vie humaine et pour ainsi dire consubstantiels à son
quotidien, sont incitatifs. Ils sont du monde, mais ils nous sont tellement
liés qu'ils suscitent le désir de les modeler. Les sons incitatifs sont ceux
qui ne nous renvoient pas au monde comme un aboiement renvoie au chien mais à
leur pâte, à leur force, à leur sensualité. En somme, ceux qui ont une
éloquence avant même de se trouver combinés curieusement les uns avec les
autres. Aussi le second corollaire concerne-t-il ce
que j'ai appelé le « jeu créateur ». Le compositeur doit d'abord
apprendre comment les sons jouent de leurs diverses facettes, comment ils
réagissent les uns avec les autres et comment lui-même se connaît en eux et grâce
à eux. Il semble bien qu'aucune inspiration toute faite ne naisse sans ce jeu
préalable qui n'est, au fond, sur le plan psychologique, que l'adéquation
performante d'un vivant et d'un élément du monde. L'artiste, surtout le jeune
artiste, doit toujours jouer avec son matériau « pour voir ce que cela
donne ». On en trouve la preuve dans le processus même de la création qui
est fait d'essais, d'esquisses, de maquettes, de retours, de remords et de
variantes. Si parfois, chez les plus chanceux, le calcul est tout fait dans la
tête, c'est, me semble-t-il, que la
familiarité avec le jeu créateur est déjà totale. Or c'est avec ce jeu que la musique
commence. Elle obtient alors des figures, c'est-à-dire des groupements minimes
auxquels on a donné des noms comme, pour prendre peu d'exemples entre mille, le
gruppetto, la syncope, la carrure, le motif, le thème, la répétition, le
renversement. Ce sont déjà des formes, mais des formes élémentaires qui ne sont
pas encore capables d' « effet de vie ». Pour arriver à de vraies formes elles ont
besoin de se prolonger en formes artistiques plus vastes intégrant
l'ampliation, le développement, la variation. Le passage de la forme de base à
la forme vraiment musicale est progressif et varie selon les cas. C'est alors que la forme peut devenir
« vive », ce qui est le troisième corollaire. La forme est
nécessaire, mais elle n'est pas suffisante. Il lui faut une force, une présence
qui agisse sur le corps-esprit. L'œuvre d'art n'est pas seulement une forme
matérielle, géométrique ou logique ou encore systématique, mais une forme dont
le matériau, la géométrie, la logique ou le système aillent éveiller le sens
des formes que l'être humain porte en lui. La forme vive est la conséquence directe de
l'invariant de l' « effet de vie ». En art on ne doit jamais
analyser la forme pour ce qu'elle est mais pour ce qu'elle fait. Il ne suffit
pas, par exemple, de repérer un saut d'octave, une modulation, une cadence, une
répétition, il faut le faire en liaison avec l'effet produit. La thèse de l' « effet
de vie » ne connaît que le rapport du fait à l'effet. C'est un immense
domaine qui s'ouvre ici aux chercheurs. Il se fonde sur une pratique de
l'introspection fine et sensible prudemment accordée aux progrès des
neurosciences. On pourra ainsi montrer comment les formes créent des effets
subjectifs, c'est-à-dire, au-delà du fait sonore physique concret, un enjeu,
une attente, une dramatisation, un apaisement, en somme, une
humanisation. Ce n'est que maintenant qu'interviennent
les deux corollaires les plus surprenants de la théorie de l' « effet
de vie ». Comme l'œuvre veut toutes les facultés du corps-esprit-cerveau,
quels sont les faits purement sonores qui, une fois entrés dans le canal de
l'ouïe, iront irriguer, selon l'image du rasa,
le plus grand nombre de terres ? Ces faits existent. Ils sont voulus par
les créateurs, mais la manière analytique dont on étudie les arts, n'a pas
permis de les comprendre. En littérature, il s'agit des figures qui
ont toutes le même but : connecter deux ou plusieurs facultés au moment de
la réception. Tel est le quatrième corollaire, la « plurivalence ».
En musique elle peut évidemment fonctionner de façon simple, sinon facile, par
l'ajout d'un texte, d'un geste, d'un costume, d'un décor. Mais la musique
possède aussi des techniques de « plurivalence » plus raffinées.
Elles se trouvent essentiellement dans la polyphonie et dans le devenir. Dans
la polyphonie, parce que la mélodie principale qui entre dans le
corps-esprit-cerveau n'est pas nécessairement doublée et confirmée par
l'accompagnement. Elle peut être apaisée ou dramatisée par les autres parties
de la partition, ironisée ou sacralisée et même mise en cause ce qui lui donne,
comme souvent chez Beethoven, une incroyable profondeur. Enfin les variations
jouent également un rôle de plurivalence. En développant, en métamorphosant la
donnée initiale, elles lui apportent de nouvelles dimensions qui vont toucher
de nouvelles aires de vie des récepteurs. L'avant dernier corollaire est
l' « ouverture ». Lorsqu'une musique entre en nous, elle y
rencontre forcément tout ce qui s'y trouve déjà et elle doit savoir le féconder
sans se nier, si elle vise l'effet de plénitude qui lui est consubstantiel. Or
il me semble que les compositeurs du monde entier ont su inventer des
techniques allant chercher, allant vivifier l'acquis de l'auditeur.
L' « ouverture » par allusion directe à des styles passés est
une pratique à la mode dans la musique contemporaine. Mais il ne s'agit pas
seulement de cela. Il y a plus profondément en musique un art de la répétition,
de la reprise, qui va vers ce que l'auditeur possède de plus intime, de plus
secret parce qu'il se produit une adéquation, une sorte d'assimilation entre ce
que nous sommes et ce que nous entendons. Comme la musique est souvent libre de
signification, on devine que la mélodie plusieurs fois reprise prend les
couleurs de ce qui occupe et préoccupe l'auditeur. L'idée fixe de l'auditeur
devient celle de la partition. La répétition met peu à peu en adéquation totale
une musique et l'intime de l'auditeur. Elle nous cherche au plus profond et
nous donne une réalité, un langage au bord même du mystère. Le dernier invariant de la théorie de
l'effet de vie est l'exigence de « cohérence ». Il faut évidemment
que tous les éléments qui entrent dans une émotion esthétique musicale soient
cohérents parce que le corps-esprit-cerveau a besoin de cohérence. Mais cette
thèse est si connue, qu'il est inutile ici de la développer. Mais il est temps de conclure. Une vie
entière consacrée à la comparaison des arts poétiques de tous les arts m'a
persuadé que le verrou qui empêche les chercheurs de créer une véritable
science humaine de l'art est constitué par les difficiles rapports entre le
singulier et le pluriel. Si l'on ne voit que le pluriel des goûts, des styles,
des fonctions …, on renonce à définir l'art comme s'il n'existait pas. Mais si
l'on vise une formule unique, on prend le risque –et on l'a pris pendant des
siècles- d'éliminer toutes les œuvres
qui reposent sur une autre formule. La solution se trouve dans la découverte
qu'il existe concurremment un pluriel du beau et un singulier de l'art. Ils se
combinent diversement dans les œuvres réussies mais ils cohabitent toujours. Ce
qui ouvre à la recherche des perspectives immenses. Il faut viser une
anthologie mondiale des arts poétiques relus du double point de vue du
singulier et du pluriel et il faut étudier précisément les œuvres du point de
vue du rapport entre les faits et les effets. En musique comme dans les autres
arts, cela permet l'hypothèse de travail que la spécificité de l'art, eu égard
aux autres occupations et préoccupations des humains, est la création d'un
« effet de vie ». Marc-Mathieu Münch.* *Marc-Mathieu Münch
est Professeur émérite de littérature générale et comparée à l'université de
Lorraine. ÉLÉMENTS
BIBLIOGRAPHIQUES Marc-Mathieu Münch,
Le Pluriel du beau. Genèse du relativisme
esthétique en littérature. Du singulier au pluriel, Centre de Recherche
littérature et spiritualité, Metz, 1991, 354 p. Marc-Mathieu Münch,
L'Effet de vie ou le singulier de l'art
littéraire, Paris, Honoré Champion, 2004, 396 p. Mythe
et effet de vie littéraire. Une discussion autour du concept d'« effet de vie »
de Marc-Mathieu Münch, textes réunis par
François Guiyoba et Pierre Halen dans le cadre du
colloque de Yaoundé (décembre2005), Strasbourg, Le Portique, 2008. Julie Brock,
« Pour une esthétique de la littérature. Réflexions au sujet de
l' « effet de vie », in Comparaison,
An international Journal of Comparative Literature,
Peter Lang, Berne, 2/2003, pp. 105-117.
Musique
et effet de vie,
sous la direction de Véronique Alexandre Journeau
avec la participation de Jean Ehret, préface de
Danièle Pistone, Paris, L'Harmattan, L'Univers esthétique, 2009, 225 p. Arts,
langue et cohérence,
sous la direction de Véronique Alexandre Journeau,
Paris, L'Harmattan, 2010, 256 p. Le
Surgissement créateur. Jeu, hasard ou inconscient, sous la direction
de Véronique Alexandre Journeau, préface de Menene Gras Balaguer,
postface de Danièle Pistone, Paris, L'Harmattan, 2011, 293 p. Prix du Syndicat de la critique. Entrelacs
des arts et effet de vie, sous la direction de François Guiyoba,
2012, L'Harmattan, 267 p. L'Esthétique
de L'Effet de vie. Perspectives interdisciplinaires, sous la direction
de Jean Ehret, Préface d'Edith Weber, Paris, L'Harmattan, 2012, 312 p. Marc-Mathieu Münch,
La beauté artistique. L'impossible
définition indispensabe. Prolégomènes pour une
« artologie » future, Honoré Champion,
Paris, 2014, 155 p. Forme
et réception. Rencontres interartistiques de l'Effet
de vie.
Essais réunis par Marc-Mathieu Münch, Honoré
Champion, Paris, 2015, 269 p. Site
sur la toile http://www.effet-de-vie.org ***
REPERES PEDAGOGIQUESS
Pour une sociologie du chant
choral : contribution à l'analyse sociale et culturelle des pratiques chorales Défini comme toute forme d'activité chantée exécutée par
un groupe de personnes (au moins trois chanteurs1) et considéré
comme l'un des éléments constitutifs du langage musical2, le chant
choral dépasse le seul cadre de la simple activité vocale collective. Présent
dans toutes les sociétés traditionnelles et industrielles, il possède une
dimension sociale indéniable, par les liens qu'il instaure entre les individus. Il
participe au changement social, non seulement dans les formes de pouvoirs
institutionnalisés, mais aussi au sein des sociétés et de leur organisation. Ces trente dernières années, la
plupart des recherches publiées sur le chant choral (1986-2016), en particulier
en France, au Royaume-Uni, en Allemagne et aux États-Unis3 ,
abordent essentiellement des questions techniques et vocales, la gestion
chorale et la direction musicale des ensembles vocaux. Il n'existe que très peu
d'analyses sur les dimensions sociologiques du chant choral4, et
notamment sur le lien existant entre le chant collectif et les formes de
solidarité. Or, en tant que groupe social, le groupe choral se définit par des
relations régulières et intenses qui se nouent entre les individus. Le chant
choral constitue un vecteur majeur de socialisation, c'est-à-dire de
transmission des valeurs. Par son action, il remodèle les contours des
solidarités entre des individus souvent issus de catégories sociales différentes. Le présent article propose d'identifier un
nouveau champ de recherches, dont l'objet est d'étudier les modes et les
significations des pratiques chorales dans les sociétés. Une première approche
associe les pratiques chorales au processus de socialisation. Le chant choral
représente un des moyens de transmettre les normes et les valeurs constitutives
de la société et des groupes sociaux qui la composent. Transmission des valeurs
mais aussi des idéologies, le chant choral se conçoit également comme vecteur
de pouvoir et, dans certains cas, de domination de certains groupes sociaux sur
d'autres. Il a été — et est encore — utilisé pour unifier
les individus autour d'une même langue, d'une même culture ou d'une même
nation. La pratique vocale collective accompagne dans
certaines circonstances les transformations de l'organisation sociale au sein
des sociétés. D'une manière plus large, elle constitue un cadre pour les
différentes formes de solidarités propres aux sociétés traditionnelles et
industrielles. Enfin, le chant choral peut s'analyser sous un angle
spécifiquement culturel, à partir des valeurs et des normes sur lesquelles il
s'appuie, les dimensions historique et géographique apportant de nombreux
éclairages dans la compréhension des dimensions sociologiques de la voix.
Le
chant choral comme vecteur de socialisation Dès l'instauration des
premières organisations sociales fondées sur la famille (- 35 000
ans), la voix collective traduit par une réalité sonore spécifique à la fois
l'existence de la société et des groupes sociaux, mais aussi l'appartenance des
individus à chacune de ces entités. Dans la plupart des tribus d'Océanie,
d'Amazonie ou d'Afrique saharienne et subsaharienne, le chant collectif dans sa
dimension épique est aux « origines du monde »5. Il existe
avant l'apparition du clan et de la tribu elle-même ; il en raconte la
longue histoire mythique. Il est aussi utilisé à des fins incantatoires. Ainsi,
chez les Pygmées Aka
(République centrafricaine), des
chants collectifs invitant à la danse sont exécutés pour lutter contre la
sécheresse, d'autres pour conjurer le malheur6. Le chant choral
accompagne les nombreux rituels ponctuant la vie sociale. Les textes chantés
énumèrent les principales règles de vie, le respect de l'environnement naturel
et les conditions d'exercice des rôles sociaux. Dans de nombreux cas, le chant
choral contribue également à l'expression des interdits. Complément de la
parole, il s'invite ainsi dans tous les aspects de la vie quotidienne, pour
accompagner les temps de semailles et de récoltes, pour préparer les périodes
de chasse et de guerre. Chez les Maori (Nouvelle-Zélande)
par exemple, un chant a pour fonction
d'éviter les conflits entre les clans constitutifs de la société7. La fonction de transmission des
valeurs attachée au chant choral est également présente historiquement dans les
sociétés occidentales. Dès son accession au pontificat, le pape Grégoire
(590-604) souhaite unifier la liturgie et la chrétienté autour des valeurs de
l'Église. Pour lutter contre les particularismes régionaux, il ordonne la
réforme d'une grande partie des pièces vocales qu'il veut voir en usage dans
toute la chrétienté. Installée dans deux maisons situées à proximité de la
basilique Saint-Pierre et près du Latran, la Schola Cantorum
accueille des générations de chanteurs qu'elle forme au chant
liturgique — et, ce faisant, aux normes et aux valeurs définies par
l'Église. Les élèves, entre dix et douze garçons recrutés dans les écoles de la
ville et les orphelinats, assurent quotidiennement le service musical de la
chapelle pontificale. Le répertoire musical se concentre sur le plain-chant
réformé, des mélopées chantées à l'unisson qui habillent les principaux textes
liturgiques (propre et commun)8. La Schola
Cantorum de Rome sert d'exemple dans les pays de
l'Europe du Nord où s'installe progressivement le culte chrétien. Elle donne
naissance à de nombreuses scholae au
Royaume-Uni et sur tout le continent9. Dans de nombreux pays
européens, le chant choral représente un axe important de formation et
d'intégration de la jeunesse (socialisation primaire). De nombreuses
associations de chant choral se sont développés depuis la fin de la deuxième
guerre mondiale, comme par exemple la Fédération internationale de chant choral
(I.F.C.M.), la Fédération internationale des petits chanteurs (Pueri Cantores) ou
encore en France le mouvement À Cœur Joie.
L'éducation musicale n'est pas un
simple apprentissage individuel ; l'art choral lui apporte une dimension
sociale et humaine. Au sein du groupe choral, l'enfant devient un chanteur, sa
voix s'additionne aux autres dans une seule et même expression. Par le chant
collectif, il expérimente l'expressivité musicale qui accompagne la diversité
du répertoire. Les écoles de chant choral sont aujourd'hui nombreuses et très
diverses : comme par exemple le King's College de Cambridge et d'Oxford, les
chœurs des cathédrales de Westminster Abbey, Canterbury
et Winchester au Royaume-Uni, la Bavarian Hopfkappelle de
Munich, le Thomaner
de Leipzig, le Regensburger Spatzen de
Ratisbonne en Allemagne, les Wiener Sängerknaben de Vienne, les Florianer Sängerknaben de Saint Florian en
Autriche, sans oublier les nombreuses écoles au sein de l'Europe de l'Est
(Tchéquie et Hongrie) et de l'Europe du Nord. Elles existent également dans les
pays d'Europe du Sud, en Italie (Capella Sistina de Rome) et en Espagne (Escolania de Montserrat). Depuis une trentaine d'années, elles
connaissent un certain renouveau en France à travers les écoles cathédrales (Musique
à Notre-Dame) les classes maîtrisiennes
(Caen, Colmar, Strasbourg, Vannes, Versailles …) et les nombreuses classes
à horaires aménagés. Chant
choral : les voix du pouvoir Le chant collectif a toujours
été associé à l'exercice du pouvoir, qu'ils soient spirituel ou temporel. Avec
l'avènement des Carolingiens au milieu du VIIIe siècle, un véritable
développement du chant choral se produit en Europe. En 754, Pépin le Bref
(751-768) envoie le bénédictin Chrodegang (712-766) en mission à Rome. Très
impressionné par la liturgie à la cour papale, Chrodegang incite le monarque à
abandonner progressivement la liturgie gallicane pour adopter le rite romain.
En 789, Charlemagne (768-814) officialise l'établissement d'écoles chorales
auprès des églises et des abbayes. Il ordonne dans un de ses fameux
capitulaires « qu'il y ait des écoles de lecture pour les enfants. Que les
psaumes, les notes, le chant, le calcul et la grammaire soient enseignés dans tous
les monastères et tous les évêchés »10. Plusieurs clercs
musiciens spécialement venus de Rome sont alors appointés pour diriger les
premières institutions à Aix-la-Chapelle, Reims, Rheinau
ou encore Saint-Gall11. Entre 1600 et 1789, l'existence d'écoles
chorales auprès des cathédrales de France est plus qu'un fait historique, c'est
un fait social : les écoles de chant diffusent à travers le royaume les
valeurs et les normes de l'Église catholique dominante12. On
retrouve dans l'organisation et le fonctionnement de ces institutions musicales
un emploi du temps articulé autour des études générales et musicales et le
service quotidien des offices de l'église. Ces écoles chorales, principaux
vecteurs du pouvoir religieux, disparaîtront à la Révolution (1789-1799). Elles
seront remplacées à partir de 1795 par les conservatoires de musique qui
n'accorderont pas la même place au chant dans l'éducation musicale. Dès la mise en place des premières missions, l'Église catholique
recourt également au chant choral et à la musique pour asseoir son autorité
morale et politique et servir ses visées évangélisatrices dans les colonies. La
découverte du Nouveau Monde ouvre un nouvel espace géographique pour le chant
choral. Pendant la première période coloniale en Amérique latine (1492-1750),
l'évangélisation est la principale préoccupation des rois catholiques
espagnols. Dans les premières enclaves administratives (notamment l'île de
Saint-Domingue ou les côtes de l'actuelle Colombie) sont fondées les premières
églises et cathédrales. On y enseigne et exécute les mélodies grégoriennes
d'influence mozarabe (les graduels viennent de Tolède et de Séville) et les
polyphonies de quelques auteurs européens de la Renaissance13.
Autour des églises, les écoles de chant s'organisent sur le modèle du Vieux
Continent. La pratique chorale se répand progressivement dans les nouveaux
territoires du Pérou et de la Nouvelle-Espagne (aujourd'hui le Mexique). Dans
les principales missions (et les couvents), le chant collectif est utilisé
comme un outil efficace d'évangélisation et de formation des nouveaux prêtres.
Les cathédrales deviennent les principaux centres d'une pratique chorale
largement influencée par les musiciens espagnols (originaires de Santa Fe de
Bogota, Lima, Mexico ou Cuzco) ou portugais (Outo Preto, Vila Rica et Rio de Janeiro). De nouvelles pièces
composées par des locaux viennent enrichir le répertoire le plus souvent
exécuté lors des cérémonies religieuses : Zumaya
(1690-1732) écrit par exemple plusieurs noëls sur le modèle des chants
espagnols (« villanelles ») pour le chœur de la cathédrale de Mexico.
Dans la deuxième moitié du XVIIIe siècle, l'influence baroque se
répand dans toutes les colonies14. Aux côtés des grandes polyphonies
de la Renaissance, de nouvelles pièces tonales à doubles chœurs avec
instruments concertant sont exécutées. Ce baroque musical latino-américain
apparaît notamment au Pérou (district de Charcas) et dans l'État de Minas Gerais (Brésil). Il prend également les formes très
avancées du classicisme musical, produisant des pièces dans le style de Joseph
Haydn et de Wolfgang Amadeus Mozart. Au
cours des XIXe et XXe siècles, les régimes politiques,
totalitaires ou démocratiques, utilisent le chant choral pour unifier la nation
et en affirmer les nouvelles valeurs. Dans les régimes totalitaires, la
pratique du chant choral est considérée comme fondamentale pour transmettre les
valeurs d'obéissance et de soumission au régime. Sous le Troisième Reich, la
jeunesse participe à des camps de formation dans lesquels le chant choral est
omniprésent15. Le gouvernement nazi accorde aussi une attention
particulière aux exécutions chorales dans les grands rassemblements civils et
les cérémonies militaires à la gloire du Führer : les chants
nationaux-socialistes, qu'il s'agisse de chants d'assaut et de combat, de
chants de cérémonie et de profession de foi, concentrent toutes les valeurs
germaniques et guerrières et la haine de l'ennemi bolchevique16.
Outre l'Allemagne nazie, le régime soviétique18 et la Chine de Mao
recourent abondamment au chant choral à des fins de propagande. Les quelques
régimes totalitaires encore existants aujourd'hui comme la Corée du Nord
organisent régulièrement de grands rassemblements, au cours desquels le chant
choral à l'unisson et en plein air exalte la relation toujours privilégiée
entre le peuple et le tyran. Pour
tous les régimes politiques, qu'ils soient démocratiques ou autoritaires, les
hymnes nationaux ont pour fonction d'affirmer des valeurs nationales et
d'unifier le pays autour d'une même culture et d'une même langue. Composée
par Rouget de l'Isle en 1792, la Marseillaise est sans doute l'un
des hymnes nationaux les plus connus. Décrit par Johann Wolfgang von Goethe (1749-1832) comme un nouveau « Te Deum
imposant » et « terrible »17, il est conçu pour être
chanté par tous les citoyens lors des grands rassemblements organisés par la
nouvelle république. D'autres pièces chorales ont également joué un rôle
important dans l'affirmation nationale. A partir de 1800, certains chœurs
d'opéras font vibrer les sensibilités nationales. En Italie, le
célèbre chœur des esclaves hébreux de Guiseppe Verdi Va Pensiero
(Nabucco, acte III) fait écho à la condition des Italiens soumis à
la domination autrichienne19. Dès sa première représentation
au théâtre de la Scala de Milan le 9 mars 1842, ce passage choral qui
exprime par un unisson fédérateur la souffrance d'un peuple opprimé obtient un
vif succès, le public se levant pour
reprendre la mélodie principale. Le chœur devient progressivement un des
symboles musicaux du Risorgimento qui ranime
l'espoir d'une Italie unifiée et de la fin de l'occupation autrichienne. Lors de la restauration de la République
italienne en 1946, la pièce est proposée comme hymne national, mais très vite
écartée au profit d'une autre composition, Il Canto degli
Italiani (Goffredo Mameli, 1847). En
France, en 1870, la défaite de Sedan exalte également le sentiment national. Le
chœur des soldats dans Faust de Gounod Gloire immortelle de nos aïeux (Faust, acte IV)
est le symbole de la nécessaire revanche contre l'occupant allemand. Camille
Saint-Saëns (1835-1921) propose un émouvant chœur des esclaves hébreux Dieu
d'Israël ! Écoute ma prière (Samson et Delilah, acte I) qui
n'aura cependant pas le même écho que celui de Verdi en Italie. Mais le
cas le plus intéressant est sans conteste celui du quatrième mouvement de la Neuvième symphonie de Ludwig van
Beethoven (1822-1824). En forme de chant joyeux sur un texte de Friedrich von Schiller (1759-1805), An die Freude
est un mouvement choral qui marque dès le début du XIXe siècle, le
nationalisme allemand triomphant. Il devient au cours du XXe siècle
le symbole choral des valeurs de la civilisation européenne et de l'histoire
politique de l'Europe en devenir. Il est le chant de la liberté des peuples
face aux formes résiduelles de tyrannie dans le monde. Il connaît une extension
progressive de son influence symbolique pour devenir une des marques vocales de l'attachement
croissant aux valeurs de la démocratie20. L'hymne est aujourd'hui
plus que le symbole de l'Union européenne, une musique universelle connue et
reconnue pour la défense de la liberté et de l'égalité — au moins politique — entre les hommes, de la tolérance et du respect des
différences. Chant
choral et changement social Une autre perspective d'analyse
appréhende le chant choral comme vecteur de changement social, c'est-à-dire
associé aux transformations qui affectent la structure et le fonctionnement de
l'organisation sociale21. Le chant collectif accompagne en effet la
transformation progressive des valeurs en favorisant l'expansion de nouveaux
idéaux au détriment des plus anciens. Par exemple, la Révolution française
(1789-1799) a toujours associé la musique vocale à l'affirmation des nouvelles
valeurs de la République et de la Nation22. Dès les prémices de la
Révolution, les nouveaux dirigeants replacent le chant collectif au service de
la nation pour cimenter le peuple autour des nouvelles idées de liberté,
d'égalité et de fraternité. Le chant choral quitte la sphère religieuse pour
s'orienter vers ces nouvelles valeurs laïques et l'évocation de l'Être suprême23.
Lors des fêtes de la Révolution sur la Place de la Concorde qui commémorent le
14 juillet de chaque année la prise de la Bastille, les nouveaux chants sont
exécutés collectivement et à l'unisson. Les révolutionnaires encouragent
l'exécution d'un répertoire profane qui promeut les nouvelles valeurs
démocratiques issues de la nation souveraine. Ils représentent un des moyens de
soutenir l'armée en prise avec les pays voisins. Les Te Deum de l'ancien
pouvoir sont progressivement remplacés par des chants patriotiques, des hymnes,
odes, cantates et scènes, comme par exemple l'Hymne de la liberté de
François-Joseph Gossec (1734-1829) ou Le chant du départ d'Étienne
Nicolas Méhul (1763-1817). Dédiées
à l'Être Suprême ou à la déesse de la Raison, ces nouvelles mélodies syllabiques de
forme simple — généralement
un refrain alterné de couplets — sont
toujours écrites pour un unisson en français. Elles sont conçues, selon les
propres termes de Louis-Marie de La Revellière-Lepeaux (1753-1824) à la
Convention, comme des « chœurs
universels » qui sont chantés en plein air par tous les citoyens.
Pour conduire le changement de
valeurs au sein des sociétés et des groupes, le chant choral s'inscrit dans le
cadre de mouvements sociaux, c'est-à-dire de groupes qui cherchent
progressivement à modifier l'organisation de la société, à commencer par tous
les mouvements nationaux. Au début du XIXe siècle, en Allemagne, des sociétés chorales, les Liedertafeln, apparaissent dans tout le
pays24. Principalement organisées sous la forme de chœur masculin, ces nouvelles sociétés ont pour objet d'exalter par le
chant et la polyphonie les forces de la nation. Le premier Liedertafel est fondé à Berlin, en 1808, par Carl
Friedrich Zelter (1758-1832). Suivent les chorales de Frankfurt et Dresde (1810), Leipzig (1815), Tübingen (1816),
Magdeburg (1819), Stuttgart (1824). Ces sociétés s'appuient sur un répertoire en
langue allemande inspiré de poèmes décrivant les vertus germaniques sollicités
pour manifester la résistance contre l'occupant napoléonien (1806-1813). C'est
le thème principal de Das befreite Deutschland, un poème de Friedrich
Leopold Graf zu Stolberg (1750-1819) qui inspirera en 1815 la cantate Kampf
und Sieg (opus 44) de Carl Maria Friedrich Ernst von Weber (1786-1826). En 1839,
les Liedertafeln se rassemblent au sein d'une fédération, la Vereinigte Liedertafel, véritable
mouvement national ouvrant l'ère du Chorgesang, à savoir une musique chorale élaborée s'éloignant
progressivement de la composition chorale française postrévolutionnaire
caractérisée par sa simplicité. Ces institutions marquent surtout la naissance d'un
nouveau type de musique chorale, d'ores et déjà qualifiée de
« romantique » : Liebeslied pour quatre voix — égales ou mixtes — qui associent le
chant à l'expression des sentiments. Franz Schubert (1797-1828) en écrit
quelques-uns. Robert Schumann (1810-1856) développera la forme entre 1841 et
1846. À partir de 1850, Johannes Brahms lui conférera un format plus
diversifié. Au cours du XIXe siècle, ce mouvement choral d'inspiration nationale ne se
limite pas aux pays germaniques. Il concerne également la France, où se développe un
mouvement similaire, celui les Orféons25. La
revendication des droits civiques et la lutte contre les discriminations
constituent un autre aspect du chant collectif comme expression privilégiée des
mouvements sociaux. Au cours des XVIIe
et XVIIIe siècles, les communautés afro-américaines réduites en
esclavage au sein du Nouveau Monde en pleine mutation expriment par des chants
homophoniques et polyphoniques leur souffrance et leur espoir de liberté26.
Les premières mélodies rythmées sont chantées à l'unisson dans les plantations
de canne à sucre, de coton ou de tabac (principalement en Virginie et en
Louisiane), puis progressivement importées dans les églises, au sein même des
assemblées chrétiennes. Elles subissent de profondes transformations pour
s'adapter aux exigences du culte des nouvelles églises protestantes.
L'acculturation entre les rythmes africains et le choral luthérien aboutit à la
création d'un vaste répertoire de chants à plusieurs voix alternées de solos.
Ces chants spirituels d'origine africaine – les negro-spirituals – deviennent progressivement un instrument de revendication
pour l'abolition de l'esclavage27.La terminologie reflète la nature de ces
revendications : Jesus
symbolise le bon maître en opposition au mauvais maître des plantations (I want Jesus to walk
with me) ; le terme chariot (ou train), le transport des esclaves vers
la liberté (Swing low, Sweet chariot) ; home, à la fois le paradis et le pays libre (comin' for to carry me home) ;
Moses, l'appel au libérateur (Go down
Moses) ; river (ou Jordan), la rivière de la liberté difficile à franchir (Deep river) et Free at last la liberté enfin acquise... Ces negro-spirituals s'imposent
progressivement comme forme vocale majeure de la culture musicale américaine,
au rôle déterminant pour la reconnaissance de la communauté afro-américaine et la fin des
discriminations. Ils constituent les
prémices de ce qui deviendra, au 20e siècle, la musique jazz et ses
nombreux dérivés. Chant
choral et formes de solidarité De par sa fonction
socialisatrice, le chant choral constitue un des moyens de prédilection pour
intégrer l'individu au sein de la société globale et des groupes sociaux. C'est
le cas dans les sociétés tribales où la pratique chorale constitue un vecteur de
reconnaissance de l'individu comme membre de la communauté. Par l'exécution de
chants rituels, le groupe social reconnaît chacun de ses membres, il prépare
l'individu au passage de l'enfance à l'âge adulte. Par exemple, lors des
célébrations de mariage chez les Peuls (Niger), ce sont des chants collectifs qui ouvrent la
possibilité pour les jeunes filles de choisir leur futur époux28.
Chez les Bororo (Amazonie), des
chants spécifiques rappellent aux jeunes garçons leurs responsabilités
vis-à-vis des anciens lors de leur entrée dans l'âge adulte29. Ce
même type de lien social se retrouve également dans les sociétés
traditionnelles encore existantes à l'époque contemporaine. Le chant choral
s'inscrit fréquemment dans les pratiques folkloriques, par exemple dans les
chants rituels corses, basques ou bretons. Ainsi associé aux principaux actes
de la vie religieuse et profane, le chant collectif peut être considéré
« comme l'une des premières institutions sociales existantes au sein des
sociétés »30. Au sein des sociétés
industrielles et post-industrielles, le lien
communautaire a perdu de sa vivacité, au détriment de l'individualisme qui
s'affirme tout au long du XXe siècle. L'individu a progressivement
acquis une valeur centrale par rapport à la société, jouissant aujourd'hui
d'une plus grande autonomie vis-à-vis des contraintes sociales. Cet
affranchissement des tutelles traditionnelles de la famille ou de la religion
s'est accompagné d'un processus de fragilisation du lien social31.
Cependant, cette distension du lien social ne doit pas être systématiquement
entendue comme un affaiblissement des sociétés contemporaines : l'espace
libéré permet à l'individu de se dégager de liens (familiaux, religieux,
professionnels) parfois perçus comme étouffants. Dans les sociétés
industrielles, le développement de la pratique chorale s'inscrit donc dans un
processus d'intégration sociale plus souple et plus doux. Le chant
choral suscite de nouveaux types de liens sociaux choisis et mesurés. La
pratique chorale s'appréhende comme un nouvel espace de liberté susceptible de
créer des liens sociaux réguliers et intenses. Le groupe choral représente un
nouveau type d'ensemble humain dont l'existence favorise la création de
solidarités inédites dans des sociétés caractérisées par la fragilisation des
liens familiaux et professionnels. Apparaît ainsi une nouvelle forme de lien
social qui ne s'impose pas à l'individu, mais qui est décidé librement par
chacun. Au sein du groupe choral, les relations entre les individus passent non
seulement par la participation régulière aux répétitions et aux autres
activités (concerts, rencontres musicales), mais également par l'adhésion à un
projet musical et humain commun. Dans le groupe choral, le chant n'est pas
seulement une expérience musicale, mais le résultat d'un jeu social (et
psychosocial) dans lequel chaque individu trouve sa place32. Chaque
choriste adhère à l'idéal de réalisation d'un projet musical de qualité (idéal
musical) et/ou de renforcement des liens avec les autres (idéal social). Le
choriste vit cette unité — musicale et sociale — par
l'alliance de chaque voix pour l'harmonie de l'ensemble. Dans des sociétés touchées par
la fragilisation des liens économiques, le chant choral participe également à
l'insertion des individus (socialisation secondaire). Dans le monde du travail,
dès la fin du XIXe et tout au long du XXe siècle, les
secteurs industriels en déclin — les mines et la
sidérurgie — ont été à l'origine des expériences chorales les plus
actives33. Dans le Pays de Galles et dans le Nord-Ouest de
l'Angleterre, la tradition chorale au sein de la classe ouvrière représente un
bon exemple de cohésion sociale fondée sur le chant34. Dans les
industries manufacturières de Liverpool, de Manchester, et plus tard au sein
des chantiers navals de Merseyside, les ouvriers sont
nombreux à prendre part aux activités chorales, notamment sous la forme de
rencontres nationales et internationales. Le nord de la France possède
également de nombreuses chorales autour des bassins miniers en déclin. Dans une
dimension plus idéologique, le chant choral constitue même un moyen pour la
classe ouvrière de décrire ses conditions de travail et d'unir les ouvriers
contre toutes les formes d'oppression qu'ils vivent. Les activités ne se
réduisent plus uniquement à des concerts, mais incluent des rallyes, des
festivals de rue et des manifestations chantées pour exprimer les principales
revendications35. Le chant choral favorise également l'insertion de
publics fragilisés comme les personnes âgées ou les personnes en situation de
handicap) et nourrit des nouveaux liens générationnels et intergénérationnels. Les
dimensions sociales des esthétiques chorales Dans la plupart des sociétés,
le chant choral se décline en de nombreuses pratiques vocales, mais le style
monodique est le plus fréquemment utilisé. Dans les sociétés traditionnelles
comme la seigneurie féodale, le chant collectif est caractérisé par des
pratiques diverses, des appels, des cris, des clameurs et des déclamations
parlés ou chantés36. La voix collective est par exemple utilisée
dans les acclamations carolingiennes. Ces formes d'expression vocales
constituées d'une simple ligne mélodique et rythmique souvent reprise
permettent d'affirmer lors des cérémonies de sacre l'allégeance au pouvoir
royal. En Occident, le plain-chant (ou chant grégorien), réservé aux
communautés de moines dans les abbayes et les monastères37,
participe également de ce cadre monodique. Cependant, suivant l'exemple la
Réforme protestante, le chant liturgique romain se démocratise progressivement.
Dans la deuxième moitié du XXe siècle, les réformes conciliaires,
celle de Vatican II (1962), délaissent le plain-chant en latin au profit
d'un chant liturgique en langue vernaculaire accessible à tous. Comme pour les
sociétés traditionnelles, la forme monodique se retrouve dans la plupart des
pratiques vocales des sociétés industrielles : chansons à boire, chansons
populaires, chants marins, chants religieux ou chants militaires38.
Mais une nouvelle forme musicale apparaît avec l'évolution des solidarités. La
voix collective expérimente la polyphonie, c'est-à-dire un assemblage de plus
en plus complexe des voix. Si dans les sociétés traditionnelles, la polyphonie
existe, le développement du contrepoint modifie les caractéristiques sociales
du chant choral. Les pièces chorales connaissent un double processus de
rationalisation et de complexification des règles de composition. Ces
changements seront à l'origine de l'apparition progressive de chanteurs
professionnels et de nouvelles fonctions économiques et sociales attribuées aux
chefs de chœur.
Une
autre dimension sociale des pratiques chorales s'intéresse au lien entre les
caractéristiques naturelles (l'oreille, les résonances, la physiologie) et
culturelles (les valeurs, les normes, les rôles) de la voix. La voix collective
possède indéniablement une caractéristique sociale. Le
choix des résonances définit un patrimoine vocal et choral spécifique qui est
transmis de génération en génération au sein des formations chorales. La
pratique chorale fait également office de vecteur de transmission des valeurs
esthétiques. Dans de nombreux pays d'Asie, les chœurs privilégient une voix
fondée sur certains types de résonances, principalement nasales39.
En revanche, la tradition sonore occidentale n'accorde que peu d'importance à
la résonance nasale. Considérée comme déplaisante, elle privilégie une voix
issue d'un harmonieux mélange entre les deux autres formes de résonances,
buccale et gutturale. L'ouverture de l'espace intérieur de la bouche au niveau
du pharynx est considérée comme un des fondements de l'émission vocale. De
plus, en dépit de caractéristiques communes, les chanteurs ont une voix
sensiblement différente selon les pays, voire au sein d'un même pays, selon les
régions. Par exemple, les écoles chorales anglaises ont une sonorité vocale
spécifique qui les distingue des autres écoles européennes, une manière de
placer la voix par un mélange approprié des résonnances. Le langage — la
manière de prononcer les consonnes et les voyelles — agit comme un
modérateur qui redessine les formes du spectre sonore du chœur. Une étude
phonologique comparée de l'enregistrement d'une même pièce musicale fait
ressortir des différences vocales très sensibles, sans doute issues de la
prononciation associée à la langue parlée d'origine40. Une classification des
techniques vocales fondées sur des critères d'émission rend compte de ce
caractère culturel des voix individuelle et collective. « La détermination
physiologique ne pèse pas d'un grand poids en matière vocale, c'est davantage
du côté de la culture que de la mécanique qu'il faut chercher les
justifications de la pratique »41. L'analyse des pratiques
chorales doit donc être ré-envisagée en fonction d'un cadre culturel. Les
caractéristiques chorales du chœur sont à rechercher dans ses caractéristiques
historiques, géographiques, sociales et culturelles. En tant que groupe, le
chœur possède ses propres variables sociales (genre, âge, appartenance sociale),
culturelles (langue, habitudes, valeurs) et historiques (répertoire étudié,
évolution du groupe dans le temps). Cette analyse se fait de manière objective en dehors de toute forme de
jugement de valeur et d'ethnocentrisme. La nature vocale du chœur, son
positionnement dans l'espace, ses cadres de résonnances s'interprètent
également comme le reflet de la diversité des cultures et des pratiques
chorales qui lui sont associées (chant traditionnel ou folklorique, chant de
tradition orale ou écrite, pièces chorales à l'unisson ou utilisant un
contrepoint plus complexe). Ces différences dans les pratiques vocales
nationales se traduisent-elles au niveau international par une plus grande
diversité culturelle, ou, au contraire, assiste-t-on à une unification des
pratiques chorales dans le monde ? Le développement récent des rencontres
internationales et des échanges entre choristes et entre chefs de chœur
(compétitions nationales, régionales et mondiales, master classes) pourrait
laisser craindre, comme d'autres domaines touchés par la mondialisation, une
prédominance des pays occidentaux. Or, fort heureusement, l'accroissement des
échanges culturels n'entraîne pas de standardisation des répertoires et des
modes d'organisation, mais favorise une diversification et une multiplication
des pratiques chorales. Chaque groupe vocal s'inspire des échanges avec
d'autres formations vocales et d'autres chefs de chœur pour progresser et se
renouveler, tout en conservant ses caractéristiques et son répertoire propres.
Le chant choral mondial s'enrichit de nouvelles formations chorales originales
(à trois, six, neuf ou douze, à un ou deux chœurs, à voix mixtes ou égales) et
de nouveaux répertoires sans cesse plus riches et métissés (fusion entre le
classique et le folk, jazz vocal, musique atonales, arrangements pour chœur de
musique orchestrale). Quelles que soient les sociétés envisagées,
traditionnelles ou industrielles, la pratique chorale apparaît comme le reflet
de la nature des liens sociaux et de leur évolution dans le temps et dans
l'espace. Les sociétés traditionnelles fondées sur la famille et la
religion — ou le sacré — utilisent le chant choral comme
vecteur de socialisation et d'intégration. Avec l'avènement des sociétés
industrielles et post-industrielles, les nouvelles
formes de solidarité marquées par l'avènement de l'individualisme modifient la
place des pratiques chorales au sein des ensembles humains. Le chant choral n'y
a pas perdu de son importance. Qu'il soit amateur ou professionnel, le groupe
chœur apparaît comme un groupe social dans lequel les liens sont à la fois
souples et intenses. L'individu adhère à la culture chorale du groupe auquel il
appartient, et c'est à travers elle que se révèle l'intensité des solidarités
autour de la réalisation d'un idéal d'unité humaine et musicale. En définitive, cette analyse
sociologique des pratiques chorales conduit à s'interroger sur la nature du
langage choral comme un langage social. Le chant choral possède un vocabulaire
et une grammaire spécifiques qui le distingue de toutes les autres formes
d'expression musicale. Ces caractéristiques linguistiques varient en fonction
des sociétés et des groupes sociaux, mais connaissent également des évolutions
au fil du temps. Ainsi, pour la
musique occidentale, les modifications du chant choral depuis les premiers
temps de la polyphonie jusqu'à nos jours peuvent s'interpréter comme un long
processus de rationalisation qui conduit paradoxalement à des formes
d'expressions musicales de plus en plus complexes et sophistiquées. Ces nouvelles perspectives au sein de
l'analyse des pratiques chorales doivent permettre de reconsidérer la place du
chant choral dans nos sociétés contemporaines. Elles apportent un nouvel
éclairage sur la définition du chant choral non seulement en tant que vecteur
de formation musicale pour les écoles et les universités, mais également comme
un langage social porteur de la diversité des cultures et des formes de
solidarités. Henri Pompidor*. *Henri Pompidor
est Professeur agrégé hors classe, Chef de chœur et d'orchestre. Il est
professeur au Conservatoire municipal du XI ème
arrondissement de Paris.
http://www.henripompidor.com 1 Pour une double raison
harmonique et acoustique, le chant choral peut se définir comme une activité
vocale d'au moins trois personnes. 2 MOLINO, Jean, « Fait
musical et sémiologie de la musique », in Musique en jeu, 1975, n. 17, p. 37-62. 3 Les publications sur le chant choral sont assez
nombreuses au Royaume-Uni, en Allemagne et dans les pays de l'Europe du Nord.
Les États-Unis ont également un large corpus d'ouvrages sur les techniques
chorales. Il y a étrangement très peu de publications en France sur le sujet. 4 Une thèse de doctorat s'est intéressée à la
dimension sociale du chant choral il y a quelques années. LURTON, Le Chœur Partagé : Le Chant choral en France, intégration
socio-économique d'un monde de l'art moyen, Thèse de Doctorat, I.E.P. Paris, 2011. 5 LEOTHAUD, Gilles,
LORTAT-JACOB, Bernard, ZEMP, Hugo, Les
voix du monde. Une anthologie des expressions vocales, 3 CD et livret,
Paris : CNRS-Musée de l'Homme, 1996. 6 FÜRNISS, Suzanne,
« Rigueur et liberté : la polyphonie vocale des pygmées Aka », in Polyphonies de tradition orale, histoire
et traditions vivantes. Actes du Colloques Fondation Royaumont,
Paris : Creathis, 1990 7 McLEAN,
Mervyn, ORBELL, Margaret, Traditional songs of the Maori, Auckland : Auckland University Press, 1979,
324 p. 8 GASTOUÉ, Amédée, Les origines du chant romain. L'Antiphonaire
grégorien, Paris : Picard & fils, 1907, 332 p. & VIRET,
Jacques, Le chant grégorien,
Paris : L'âge d'Homme, 2001, 258 p. 9 En 638, l'école de Notre-Dame de Paris sera une
des premières institutions religieuses à organiser son chant liturgique. 10 Capitulaire
Admonito generalis, 23 mars
789. 11 Concile
d'Aix-la-Chapelle, 806. 12 POMPIDOR, Henri, Les maîtrises des cathédrales de
France : étude institutionnelle et musicale, Thèse de doctorat,
Université de Paris IV Sorbonne, 1996, 933 p. 13 Par exemple, Josquin des Prez (1455-1521) et
Francisco Guerrero (1528-1599) sont les compositeurs plus souvent cités dans
les archives des églises et cathédrales de Colombie. 14 PACQUIER, Alain, Le retour des caravelles. Voyages au cœur du
baroque d'Amérique Latine, Paris : Fayard, 2011, 330 p. 15 DUCHEMIN, Noémie,
« L'enseignement musical sous le Reich : la perversion d'un
modèle », in Le Troisième Reich et
la musique, Paris : Fayard, 2004, pp. 122-130. 16 RATHKOLB, Oliver, « La
musique, arme miracle du régime nazi », in Le Troisième Reich et la musique, Paris : Fayard, 2004,
pp. 147-156. 17 GOETHE, johann Wolfgang (von), Œuvres, 1844, Tome X, 206. 18 HUYNTH, Pascal, Lénine, Staline et la musique,
Paris : Fayard, 2010, 255 p. 19 LABIE, Jean-François, Le cas Verdi, Paris : Fayard, 2000, p. 25–88. 20 BUCH, Esteban,
La Neuvième de Beethoven. Une histoire
politique, Paris : NRF-Gallimard. Coll. Bibliothèques des Histoires,
1999, 364 p. 21 MENDRAS, Henri, FORSE,
M, Le changement social, Paris :
Armand Colin, 1983, 284 p. 22 FURET, François, RICHET,
Denis, La Révolution française,
Paris : Fayard, 1973, p. 146 23 TIERSOT, Julien, Fêtes et chants de la Révolution française,
Paris : FE éditions, 2015, pp. 87-105 24 FRANCOIS-SAPPEY, Brigitte, La musique dans l'Allemagne romantique,
Paris : Fayard, 2014, p. 627–634. 25 MONGREDIEN,
Jean, La musique en France,
des Lumières au Romantisme (1789 – 1830), Paris : Flammarion. Coll.
Harmoniques, 1985, 370 p. 26 FISHER, Miles M., Negro Slave Songs
in the United States, New York : Citadel,
1998, 240 p. 27 CARLSON, Jon O., « The Performance
of Choral Music in America from 1852 to 1972 », in Choral Journal, 14.8, 1974, 20 p. 28 NKETIA,
Joseph Hanson Kwabena, The Music of Africa, Londres : Victor Gollancz, 1972, pp.
32-37. 29 CANZIO, Riccardo
« Mode de fonctionnement rituel et production musicale chez les Bororo du Mato Grosso », in Cahiers
de musique traditionnelles, 1992, vol. 5, pp. 71–95. 30 RAUGEL, Félix, Le chant choral, Paris : PUF. Coll. Que sais-je ?,
n. 248, 1948, 128 p. 31 LAURENT, Alain, Histoire de l'individualisme,
Paris : PUF. Coll. Que sais-je ?, 1993, 128 p. 32 CASTARÈDE, Marie-France, Chantons en chœur, essai sur la fraternité des
chœurs, Paris : Les belles lettres, 2012, 264 p. 33 PINGUET, Francis, Les écoles de la musique divine, Lyon : A Cœur Joie, 1987,
262 p. 34 De nombreux chants évoquent les moments forts de
la vie des travailleurs : lors de la révolution de 1848, Pierre Dupont
écrit « Le Chant des Ouvriers » ; en 1894, Aristide Briand écrit
la chanson « Les Canuts » en hommage à la révolte de 1831 des
ouvriers lyonnais. 35 C'est le cas notamment des chœurs socialistes
comme le Liverpool Socialist Choir, ou encore le
London Socialist Choir. 36 DUVELLE, C., Aux sources des musiques du monde, Paris : UNESCO, 1997, pp. 126-130. 37 VIRET, J., Le chant grégorien et la tradition
grégorienne, Lausanne : L'Âge d'homme, 2001. 38 LEYDI, R.,
« Traditions musicales : le fond musical européen », in Encyclopédie Universalis, 1986, Vol.
XII, pp. 343-379. 39 OTT, Jacqueline, OTT,
Bertrand, La pédagogie du chant classique
et les techniques européennes de la voix, Paris : L'harmattan, 2006,
361 p. 40 Le Kyrie se prononce [y] en Allemagne,
[i] en Angleterre et en France ; le Sanctus par exemple est plus
accentué sur le [a-n] en Allemagne et plus proche du [an] en France,
l'Agnus différencie également le [ag] allemand
du [gn] français. 41 LEOTHAUD, Gilles,
« Classification universelle des types de techniques vocales », in Musiques, une encyclopédie pour le XXIe
siècle, Paris : Actes Sud-Cité de la Musique, Vol. 5, 2005,
p. 804.
***
PROPOS PARTAGES
Une journée
particulière dans Les Siècles Ce 3 septembre 2016, en face de la magnifique cathédrale XII ème
siècle Notre Dame de Laon, on pouvait entendre venant des fenêtres de La Maison
de la Culture et des Loisirs, un orchestre, La Symphonie des Siècles, qui
répétait « Les Danses Symphoniques
Opus 45 » de Rachmaninov. Cette œuvre est la dernière composition
symphonique qu'a écrite ce compositeur, en 1940. C'est le chef assistant
Mathieu Romano qui dirige cette répétition. Mais cet orchestre n'est pas comme
tous les autres, il est unique ! Il est composé de jeunes musiciens, même
très jeunes - certains ont 11, 12 ans - de professeurs de musique des
conservatoires de l'Aisne et de musiciens professionnels qui viennent de
l'orchestre fameux, Les Siècles, créé en 2003 par François-Xavier Roth. Le 4
septembre 2016 La Symphonie des Siècles devait donner un concert dans la
cathédrale réunissant ces Danses Symphoniques et le Concerto n°4 de
Beethoven avec au piano Vanessa Wagner. La Symphonie des Siècles a résulté en 2009
du projet de l'ADAMA (Association pour le développement des activités musicales
de l'Aisne) de développer les activités de son Atelier départemental
d'orchestre symphonique. Grâce au soutien du Conseil départemental de l'Aisne,
de la DRAC des Hauts de France, de la fondation Daniel & Nina Carasso, à la
pugnacité de Jean-Michel Verneiges, délégué
départemental à la musique et directeur artistique de l'orchestre, et à la
collaboration engagée avec Les Siècles, une formation inédite, pédagogique, a
vu le jour. Cet orchestre accueille, sans sélection, des jeunes qui ont cinq à
six ans de pratique instrumentale, et leur permet d'aborder le répertoire
symphonique. Deux stages de cinq jours organisés pendant les vacances de
printemps et d'été à l'abbaye de Saint-Michel en Thiérache précèdent la
production des concerts envisagés. François-Xavier Roth consacre une grande
part de son activité à la pédagogie. Il est le mieux placé pour parler de cet
orchestre qu'il soutient malgré un emploi du temps bien chargé !
Il a repris la répétition des mains de son
assistant et entre deux services, il en parle. François-Xavier
Roth : C'est la
huitième année que je suis avec ces jeunes mélangés avec les musiciens des Siècles.
C'est vraiment un projet unique en France. On peut partager une grande partie
orchestrale et symphonique sur ce territoire où les élèves des écoles de
musique, des conservatoires, des musiciens amateurs viennent jouer sans
sélection. Dans l'Aisne il n'y a pas une grande pratique symphonique et donc
c'est un projet qui nous tient très à cœur. Et c'est une partie très importante
qu'on a voulu développer avec Les Siècles qui est en résidence dans ce
département. On
dit que les Français n'ont pas l'âme de musiciens. Vous qui dirigez dans toute
l'Europe, qu'en pensez-vous ? Les
Français sont de très bons musiciens. Simplement, et il n'y a pas si longtemps
que cela, ils ont développé plus leur individualité musicale que collective.
Mais cela n'a pas toujours été le cas, on a eu de très grands orchestres par le
passé. Ce n'est ni une fatalité, ni un constat d'échec, on le prouve bien à
notre échelle. J'ai la faiblesse de penser que la musique est une discipline
qui est faite pour être partagée avec les autres. Jouer tout seul et très bien
dans sa cuisine ce n'est pas une fin en soi. Lorsqu'on fait de la musique et
surtout des instruments de l'orchestre, le premier but, logique, c'est de jouer
ensemble. Une chose à laquelle je suis très attaché c'est d'arriver à
sensibiliser de manière très active tous ces jeunes, ces musiciens amateurs,
ces étudiants, au plaisir et à l'incroyable défi que reste la pratique
d'orchestre. Pendant
les répétitions, est-ce que vous parlez différemment à ces jeunes quand vous
donnez des indications ? Je ne
crois pas ! Je garde une semaine par an pour m'occuper de cet orchestre
même un peu plus et le reste du temps je dirige des orchestres professionnels
et je crois que je leur parle de la même manière. Simplement il y a des choses
qu'on doit expliquer plus en détail, quoique quelques fois aussi je devrais le faire dans un contexte professionnel. Ici on
explique plus le rôle de chacun, des choses plus basiques telles que la tenue,
comment fonctionne cette incroyable machine qu'est un grand orchestre
symphonique, quel est le rôle du chef, comment ils doivent prendre mes
indications etc.. Je prends plus de temps à expliquer
mais je m'adresse à eux de la même manière qu'à n'importe quel orchestre
professionnel.
Ils
sont très jeunes, on sait qu'ils ont moins d'attention. Vous les sentez
toujours très attentifs ? Cette
idée qui pourrait être une idée préconçue ne se sent pas du tout. Ils ont ici
une capacité de concentration étonnante, ils restent quelquefois six à sept
heures par jour sur leur chaise à faire de l'orchestre. Et je dois dire que
jusqu'à la dernière minute ils sont disciplinés, attentifs, et prennent toutes
les informations que les musiciens des Siècles et moi peuvent leur offrir et ça
je crois que c'est quelque chose typique de cette région et de ce département
de l'Aisne que je connais bien maintenant. C'est un endroit de la France où il
y a une sorte d'humilité dans le très bon sens du terme, c'est à dire qu'on ne
prend rien pour acquis : tous les musiciens écoutent, sont intéressés et
donnent leur maximum. C'est quelque chose que je trouve extraordinaire et
typique de cette région. Peut-être cette grande attention, cette grande
concentration, est-elle dûe au fait qu'ils se rendent
compte de l'incroyable chance d'être ensemble dans ce projet, et de jouer le
grand répertoire symphonique avec tous les instruments.,
Cela n'existe nulle part ailleurs. On connaît les orchestres de Conservatoire,
de Grandes Écoles, d'amateurs dans les grandes métropoles comme Paris, Lyon,
Marseille, mais un orchestre qui mélange
les deux, je n'en connais pas d'autre en France et cela me réjouit beaucoup
qu'on arrive d'année en année à développer ce projet. Vous
qui voyagez beaucoup, avez-vous rencontré ce genre d'expérience ? En
Allemagne il y a beaucoup plus d'orchestres, d'orchestres d'amateurs également.
Mais le modèle ici qui mélange un chef d'orchestre professionnel avec des
musiciens d'orchestre qui connaissent mon travail, des professeurs d'écoles de
musique et de conservatoires et des jeunes, c'est un projet unique ! Pour
rejoindre ce que j'ai dit sur ce département et cette mentalité particulière
qui existe dans l'Aisne, je crois que ce n'est pas un hasard si cela s'est fait
bien évidemment grâce à l'énergie, l'opiniâtreté de Jean-Michel Verneiges qui est le Monsieur musique de ce département. Je
cois que sans lui on ne serait pas arrivé à faire ce projet. Mais cela fait
sens ici. On est dans un territoire rural où la culture n'a pas un droit d'entrée automatique. Et je pense qu'on
prouve avec cet orchestre que la culture peut aider de manière définitive tous
ces jeunes et ces musiciens amateurs dans leur vie de tous les jours. Et à quel
point dans certains territoires où l'on pense avec des clichés du style '' ici
on ne peut pas faire de la musique symphonique'', et bien au contraire quand on
répète ici comme à Saint-Michel en Thiérache, et dans d'autres villages, on
sent combien pour toute la communauté de ces villages, c'est quelque chose qui
devient finalement très important. Dans ces départements où très souvent
l'industrie est partie, où on sent les désastres de la mutation sociale, où le
chômage est important, et bien la confiance que peut donner le fait de faire de
la musique ensemble, de se surpasser collectivement, c'est quelque chose de
bien plus essentiel que dans des régions riches. Il y a un impact décisif pour
ces jeunes et leurs parents et ces musiciens amateurs que j'ai la joie de
diriger. Lorsqu'on
vous a proposé ce projet insensé avez-vous dit tout de suite banco ? J'ai
tout de suite dit oui parce que j'avais une grande confiance en Jean-Michel Verneiges, et puis c'était un challenge qui entrait dans la
conception de mon métier. Je trouve qu'en ce début du XXIème siècle s'ouvrent
les décennies pour les amateurs ! Les amateurs ce sont des gens qui par
essence aiment et remettent les pendules
à l'heure pour les professionnels ! Et pour le choix du
répertoire ? Il
faut bien choisir et une fois qu'on est parti il ne faut plus avoir aucun
doute ! (rires)
Ariane joue du violoncelle, elle a 11 ans
et son instrument est bien plus grand qu'elle. Sa copine de pupitre, 12 ans,
toute menue, vient d'un autre coin du département. Elles se sont rencontrées au
stage. Pendant les répétitions elles se font des sourires, contentes d'avoir
réussi un trait plus difficile, pour elles, les autres enfants et adolescents.
C'est ici comme une grande colonie de vacances. Certains veulent devenir
professionnels, d'autres jouent simplement pour le plaisir, personne ne les a
obligés à pratiquer un instrument, à s'inscrire à l'orchestre. Ce qui leur
importe et qui les excite le plus c'est de jouer ensemble. Mais ce soir du 3
septembre, veille du concert, ils ne dormiront pas bien…le tract ! Reportage de Stéphane
Loison. ***
LE FESTIVAL DE SALZBOURG
Année de transition ou de récapitulation,
avant l'arrivée d'un nouvel intendant, ce millésime aura apporté son lot de
reprises avec la trilogie Da Ponte de Mozart, mais aussi une création, le dernier
opus dramatique de Thomas Adès, The Exterminating Angel, d'après le film de Luis Bunuel, et deux nouveautés assez dissemblables, L'Amour
de Danaé de Richard Strauss et West Side Story
de Bernstein. C'est dire si le spectre était large côté opéra. Sur le front
des concerts, outre une rétrospective Adès, on
pouvait entendre Friedrich Cerha et György Kurtág, dont on fêtait pour chacun le 90 ème anniversaire, Peter Eötvös, et bien sûr les
''classiques'' comme Bruckner. Pour revenir à l'opéra, un constat s'impose :
l'approche illustrative des mises en scène qui, du moins pour les quatre pièces
vues, met l'imagerie au centre du propos de leur auteur, par une décoration
dont le rôle s'affirme comme prééminent, qui laisse à la direction d'acteurs à
une place sinon secondaire, du moins pas assez exploitée, réduisant ainsi le
sens du texte. Le parti esthétique prendrait-il le pas ? Pour la satisfaction
d'un public qui via E-pad et autres tablettes, a accès à tout instantanément,
fruit d'« une civilisation dionysiaque », comme l'appelle Franz
Welser-Möst, qui a besoin de l'image pur se rassurer
; à moins que ce ne soit la peur du vide. Toujours et-il qu'apparaissent de
nouveaux langages, telles que l'abstraction pure, ou au contraire
l'ornementation à outrance, sans parler du parti d'une architecture grandiose.
La chose n'est pas nouvelle : on pense à la manière esthétique d'un Theo Otto
ou de Gunther Schneider Siemsens du temps de Karajan.
A Bob Wilson, plus récemment, voire à Peter Sellars
qui avec un architecte comme George Tsipin, créait un
monde onirique pour le Saint François d'Assise de Messiaen. Mais la
manière s'avère plus délibérée aujourd'hui avec le renfort des nouvelles
technologies. L'opulence straussienne pour tout l'or du monde Richard STRAUSS : Die
Liebe der Danae.
« Mythologie sereine » en trois actes. Livret de Joseph Gregor
d'après une esquisse de Hugo von
Hofmannshal. Krassimira Stoyanova, Tomasz Konieczny, Norbert Ernst, Wolfgang Ablinger-Sperrhacke, Regine Hangler, Gerhard Siegel, Pavel Kolgatin,
Andi Früh, Ryan Speedo
Green, Jongmin Perk, Maria Celeng, Olga Bezsmertna,Michaela Selinger,
Jennifer Johnston. Konzertvereinigung Wiener Staatsopernchor. Wiener Philharmoniker,
dir. Franz Welser-Möst.
Mise en scène : Alvis Hermanis.
Grosses Festspielhaus.
L'amour de Danaé suit dans le
catalogue de Richard Strauss Daphné et précède Capriccio. Cet
opéra connut une genèse singulière. Une première esquisse lui fut soumise en
1921 par Hugo von Hofmannthal,
sous le titre « Danaé ou le mariage de raison », laquelle ne retint
pas son attention, occupé qu'il était par la composition d'Intermezzo.
Quelques années après, Strauss souhaita revenir à cette histoire mythologique,
mais privé de son ami poète, fit appel à son librettiste d'alors, Joseph
Gregor. Un intense travail s'en suivit, ponctué de sérieuses tensions, comme
toujours, pour la création de cet opéra que le musicien voulait dans la veine
légère : une « mythologie sereine », comme il l'appellera. L'œuvre
est attachée au Festival de Salzbourg dans l'histoire duquel elle occupe une
place particulière. Alors qu'elle devait y être créée pour le festival de 1944,
elle ne connut qu'une générale, la manifestation salzbourgoise
ayant été annulée pour des raisons politiques. C'est à la fin de cette
mémorable soirée que Strauss aura ce mot à l'adresse des musiciens de
l'Orchestre Philharmonique de Vienne : « Messieurs, peut-être nous
reverrons-nous dans un monde meilleur! » La première n'aura lieu qu'en
1952 pendant le festival. L'œuvre n'y fut reprise qu'en 2002. C'est dire si
cette nouvelle production suscitait de grandes attentes. Elles auront été
comblées. Cette parabole mythologique mêle drame et comédie, passion pour la
Grèce antique et romantisme allemand, art et philosophie. Elle doit offrir
aussi somptuosité visuelle, à l'image de l'or dont Jupiter entend couvrir celle
qu'il veut conquérir par ruse, et ce par le biais de deux légendes : celle de
la pluie d'or qu'il amoncelle sur elle, et celle du muletier qui peut
transformer en or tout ce qu'il touche. Confrontée au choix, Danaé opte
cependant pour les simples joies terrestres et la pauvreté plutôt que pour les
richesses divines pourtant si séduisantes et dont elle fit un jour le rêve.
L'amour vrai plutôt que l'or. Jupiter renoncera devant la puissance de l'amour
humain, laissant la place à Midas qu'il avait pourtant conçu comme son
représentant agissant. Une fin mélancolique pour un parcours qui finalement
aura connu très vite le détachement, le sentiment de résignation, même si
quelques péripéties en auront retardé le dénouement. En fait, c'est celui de
Strauss lui-même, qui pour son avant dernier opéra, semble renoncer à ces
valeurs qu'il porta tout au long de sa vie créatrice : une sorte d'adieu au
monde et à ce qui lui était cher. Il y a quelque chose de satirique aussi à
certains moments, voire de presque comique dans certaines allusions : celles
des quatre reines en particulier que le dieu a aimées, Semele,
Europa, Alkmene, Leda. Il y
a surtout une peinture de la pysché féminine qui
s'inscrit dans la lignée des grandes héroïnes straussiennes, La Maréchale, Arabella, La Teinturière, Ariadne...
Mais aussi celle d'une figure mâle formidablement dessinée, celle de Jupiter.
Pour illustrer cette histoire et ces personnages hors norme, Strauss a imaginé
une musique somptueuse, opulente, mais aussi empreinte de cette sérénité
qu'implique son sous-titre.
Celle-ci est défendue ici par les Wiener Philharmoniker et Franz Welser-Möst,
une association qui avait tant ému dans Le Chevalier à la rose les deux
années précédentes. C'est peu dire que le flot sonore ravit l'oreille, musique
tour à tour « turbulente, dramatique, mélancolique », pour reprendre
les mots du chef autrichien. Il voit ces musiciens comme les interprètes idéaux
de cette pièce qui « appelle l'idiome viennois ». Il est certain que des
passages comme le réveil de Danaé (acte I), émaillé d'un solo de violon, ou
l'interlude symphonique ouvrant la troisième scène du dernier acte, où Danaé se
ravit des charmes simples de la cabane de Midas, magnifient un ample lyrisme
dans l'art duquel Strauss est passé maître. De même que le prélude à ce même
acte, basé sur une autocitation du thème de La Maréchale sur le passage du
temps ; hélas ruiné ici par un jeu de scène ridicule qui voit un jeune berger
trainer un âne qui décidément ne veut que reculer ! La distribution est
fastueuse. Hier La Maréchale, Krassimira Stoyanova est une Danaé de rêve : pureté cristalline du
timbre, aigus solaires, ligne de chant ménagée dans ces phrases murmurées en
confidence ou projetées avec élan, intelligence textuelle. Voilà une
interprétation qui touche à l'intime de l'univers féminin straussien. Le
Jupiter de Tomasz Konieczny
offre sans doute le plus bel exemple de ce qu'est un Heldenbaryton,
comme le montre son entrée fracassante à la fin du Ier acte où la voix projette
comme le ténor le plus vaillant. On a rarement expérimenté une telle brillance
dans ce registre. Si l'on ajoute un soin pour le texte, un sens extrême de la
nuance, on tient une prestation là aussi de classe. On admire encore le Pollux de Wolfgang Ablinger-Sperrhacke, décidément à l'aise dans les personnages de
composition, le Midas de Gerhard Siegel, belle voix de ténor tendu, et le Merkur de Norbert Ernst qui ne le cède en rien dans le
registre plus lyrique, retrouvant cette différentiation vocale des deux ténors
de Daphné, Appolo et Leukipos.
Les autres personnages sont parfaitement distribués et les chœurs de l'opéra de
Vienne remarquables. ©Salzburger Festspiele / Michael Pöhn Fidèle à une manière qu'il avait déjà
utilisée pour Il Trovatore ici même, Alvis Hermanis privilégie
l'illustration et mise sur la couleur : profusion d'or mais aussi du blanc
immaculé et du rouge sang. Un nuancier aux teintes opulentes pour décrire un
conte de fées, mais aussi une utopie qui est censée bâtir une passerelle entre
mondes divin et humain. On pense à l'esthétique Jugendstil
autrichien mais aussi à un orientalisme idéalisé. Basée sur des effets de
symétrie, sa présentation se veut grandiose, léchée, que vient rehausser une
ornementation tout aussi somptuaire : débauche de tapis d'Orient bariolés dans
un camaïeux de rouge et de brun, turbans et boubous
enluminés des coiffures des choristes, excès d'objets dorés. La direction
d'acteurs, quelque peu prisonnière du parti de symétrie, est minimale et meuble
par des figures aussi ingénieuses que plaisantes à voir. Telle la fin du Ier acte qui scelle l'arrivée de Jupiter juché sur un
gigantesque éléphant blanc, ou au III ème, une
théorie de métiers à tisser devant l'un desquels Danaé assume son rôle de femme
désormais libérée du carcan de la richesse. Une incrustation en bandeau à
l'arrière plan permet des apparitions de figures d'or qui se répandent vers le
bas, en mouvements chorégraphiés. Certes, ces sculptures humaines débordantes
de métal précieux peuvent friser le trop plein, mais Hermanis
le veut et l'assume qui voit dans L'Amour de Danaé « une énorme
Beauté » qui procède « du contexte Jugendstil ».
Le parti est indéniablement esthétique et l'arrêt sur image, la belle image, ne
rate pas son dessein hypnotique. Dire que le substrat dramatique est dessiné en
profondeur est une autre histoire. L'utopie vécue par Danaé restera au rang
d'ellipse. Jean-Pierre Robert. Un Faust empêtré dans sa décoration clinquante Charles GOUNOD : Faust.
Opéra en cinq actes. Livret de Jules Barbier et Michel Carré d'après le Faust
I de Wolfgang von Goethe. Piotr Beczala, Maria Agresta, Ildar Abdrazakov, Alexey Markov,
Tara Erraught, Paolo Rumetz,
Marie-Ange Todorovitch. Philharmonia
Chor Wien. Wiener Philharmoniker,
dir. Alejo Pérez. Mise en
scène: Reinhard von der Thannen.
Grosses Festspielhaus.
Le Faust de Gounod n'avait jamais
été représenté au festival. Alors que celui de Goethe en est un des classiques
dans le programme théâtral. Pourquoi l'avoir monté cette année ? Hommage à
l'opéra français, également représenté par une présentation de Thaïs de
Massenet ? On en s'en plaindra pas. Quoique les rangs
parsemés, ce qui est rare ici, posent question. Comme la régie. L'autrichien
Reinhard von der Thannen,
connu comme décorateur et costumier quelque peu provocateur – on se souvient
des choristes transformés en rats pour un Lohengrin fameux à Bayreuth – a cette fois décidé d'être son propre metteur en scène. Mais
ce qui avait fonctionné dans le cas du Wagner, passé l'effet de surprise, grâce
à la régie de Hans Neuenfels, ne donne qu'un résultat
mitigé ici dans ce prototype du grand opéra français. Non que l'homme n'ait pas
des idées. Le programme de salle en donne un florilège, assez indigeste au
demeurant, et permet sinon d'adopter, du moins d'expliquer le pourquoi de ses
choix artistiques qui surfent sur l'exagération. A commencer par le mot RIEN
qui s'incruste au-dessus de Faust dès la première scène, en référence à sa
première réplique « Rien ! En vain j'interroge... », et qui réapparaitra à la toute fin. Auquel s'oppose le « quelque
chose » qu'est l'espace scénique, entièrement blanc, une non couleur où
peut s'exprimer la fantaisie ou s'inscrire des images diverses dont celle d'un
œil de cyclope, en référence au logo des années 70' de la Radio autrichienne...
On professe encore une sur-dramatisation qui procède de l'artificiel inhérent
au genre opéra, et un refus de Black Magic et de
toute sorcellerie (d'où l'omission de la Nuit de Walpurgis) pour aller quérir
la vérité centrale de l'œuvre. Et tutti quanti. Reste que de toute cette
phraséologie ampoulée on ne perçoit que peu la traduction à travers une
présentation somme toute illustrative, certes pas au premier degré, mais dans
un sens figuré pas toujours des plus lisibles. Avec un Méphisto qu'on nous dit
agir non pas comme serviteur, mais tel un impresario de Faust. Il en est en
effet le factotum qui, de sa malle de voyage frappée d'un majestueux ''M'',
tire moult ficelles. Des traits imaginatifs - le quatuor joué sur le bord du
lit de Marguerite, un finale où Marguerite et les deux autres protagonistes
sont littéralement engloutis par la foule - voisinent avec des trouvailles
moins heureuses. Ainsi la kermesse est-elle conçue comme une assemblée
burlesque de figurines clownesques toutes semblablement vêtues, frimousses
peintes, que seuls distinguent le couvre chef - bonnet à pointe d'Auguste ou
haut de forme chez les messieurs, coiffure extravagante pour leurs compagnes -
et évoluant en parfaits jeux symétriques. De même le trait se fait-il ambitieux
telle l'opposition noir et blanc au dernier acte qui aligne une guirlande de
six grosses perles noires dont on ne perçoit pas trop bien la signification, si
ce n'est l'innocence perdue de la pauvre fille, qui porte son enfant dans une
boite serrée contre elle. Surtout la direction d'acteurs reste un peu lâche sur
le vaste plateau du Grosses Festspielhaus (première
rencontre entre Faut et Marguerite ; échanges entre Méphisto et la foule à la
kermesse) ; ce qui ne concerne pas les chœurs que le metteur en scène a
visiblement voulu et réussi à mettre au centre de son propos.
©Salzburger Festspiele/Monika Rittershaus La prestation purement musicale, pour
satisfaisante qu'elle soit, n'est pas immaculée. Le Faust de Piotr Beczala est un modèle de style et de beau chant français.
Le ténor polonais possède cette clarté d'élocution, ce raffinement de la
diction, cette spontanéité de la parole qui enluminent son chant. L'air «
Salut! Demeure chaste et pure » est un moment de vraie beauté et le duo
avec Marguerite « Laisse-moi contempler ton visage » montre une
distinction qui rappelle le grand Alfredo Kraus, et une aura qui peut se
mesurer avec celle de Roberto Alagna. De Marguerite, Maria Agresta
offre une composition intéressante : le soprano est large, ce qui autorise une
« chanson du Roi de Thulé » d'une belle fluidité. L'air des bijoux
est moins convaincant question joie intérieure dépassant la pure vocalité
brillante. Mais « Il ne revient pas » montre une pénétration réelle
de la détresse d'une adolescente trop vite propulsée au rang de femme. Le
Méphisto d'Ildar Abdrazakov,
pourtant célébré pour ses incarnations sulfureuses, déçoit par un manque de
projection du fait d'une diction pas assez maitrisée. La basse manque aussi de
profondeur, du ''creux'' qui doit sculpter les interventions de ce personnage
sardonique, même si adouci par la régie. L'invocation au « Veau
d'or » passe à côté de son indispensable effet démoniaque. Et il en va de
bien des répliques à l'adresse de Faust. Quant à la Sérénade du IV ème acte, elle pêche par manque de mordant vocal et
d'ironie glacée. Question impact, le Valentin d'Alexey Markov le devance – et
dans la faveur du public - car mieux articulé, même si le timbre, à la
consonance indéniablement russe, en amoindrit la crédibilité, à l'heure de «
Avant de quitter ces lieux ». La scène de la mort de Valentin offre de
vrais accents nostalgiques, quoique plus tirés vers Verdi que de la grande
tradition du baryton à la française. Le Siebel de
Tara Erraught est correct, sans plus, mais la Marthe
de Marie-Ange Todorovitch le dépasse de quelques
coudées car on ressent enfin le naturel de la langue de Molière. Les chœurs de
l'Opéra de Vienne sont impressionnants eu égard à ce que le régie exige d'eux,
et assument leur statut de personnage à part entière, tour à tour pantins
désarticulés, foule affairée ou encore agents de malédiction, même si pas
toujours irréprochables question chant. « Gloire immortelle de nos
aïeux », pourtant grand morceau démonstratif, ne se grave pas dans la
mémoire. L'argentin Alejo Pérez, qui s'est produit à
l'Opéra de Lyon à plusieurs reprises et s'est déjà taillé une solide réputation
dans le répertoire français (Werther en concert à Salzbourg en 2015, par
exemple), dirige avec sincérité et un souci de clarté toute gallique qui
célèbre le constant mélodisme de l'œuvre et sa veine
gracile dans d'irrésistibles valses. Mais on eût aimé plus d'engagement à des
moments cruciaux comme les grands morceaux choraux. Reste que jouée par les
Wiener Philharmoniker, et son premier violon solo
Rainer Kuchl, cette musique acquiert un lustre qu'on
lui envierait ailleurs. Jean-Pierre Robert. La splendeur du Cleveland Orchestra
©Salzburger Festspiele/Marco Borelli Dans la série des orchestres
invités, aux côtés des Berliner Philharmoniker,
du Concertgebouworkest Amsterdam, du Gewandhaus Leipzig ou du Chamber
Orchestra of Europe, le Cleveland Orchestra occupe à Salzbourg une place
particulière. Nul doute parce qu'il est dirigé par un
chef autrichien. La ''combinaison'' entre cette phalange de prestige et Franz
Welser-Möst est bien en passe de devenir une des meilleures
du moment : la finesse viennoise et le brio américain. Mais en fait, sur ce
dernier point, c'est d'asservissement de tout clinquant nord-américain à une
sonorité chaleureuse dont il faut parler. La Symphonia
domestica de Richard Strauss en apportait un
parfait exemple. Une œuvre délicate s'il en est, une de ces musiques à
programme qu'on a l'habitude de considérer comme ennuyeuse, pour ne pas dire
fastidieuse. Un de ces portraits personnels straussiens qui, comme le fut Ein Heldenleben,
pour ce qui est de la vie publique, focalise ici sur le bonheur conjugal ;
comme l'indique son intitulé d'origine « Mein
Heim : Ein sinfonisches Selbst- und Familienporträt »
(Mon foyer : un portrait symphonique personnel et de famille). Ce dessein
autobiographique en fait à la fois sa naïveté et sa sincérité. On a pu dire
qu'il s'agissait « du plus adorable poème symphonique qui eût jamais été
élevé à la gloire de la félicité familiale » (Antoine Goléa
in ''Richard Strauss'', Flammarion). La pièce se présente sous la forme d'une
symphonie en quatre mouvements enchaînés. Programme et structure sont
intimement mêlés puisque les divers épisodes d'une soirée en famille, de la
nuit qui suit et du réveil le lendemain, sont contés à travers la succession
d'un allegro, d'un scherzo, d'un adagio et d'un vif finale. Trois thèmes
associés, respectivement, au père, à la mère et à l'enfant, sont bien
différenciés : allant, plus assuré, très lyrique au cor anglais. Les
onomatopées musicales abondent pour signaler les péripéties domestiques, mais
le morceau progresse avec naturel. Ce que Franz Welser-Möst
et ses musiciens américains ménagent avec doigté, raffinement et autorité. On
admire comme aisément un orchestre pléthorique, mais non frappé de gigantisme,
se canalise dans une manière chambriste dont émergent le hautbois et la flûte
comme le glockenspiel pour signaler l'entrée dans la nuit apaisante, par
exemple. Les ruptures entre tensions et calme se résolvent dans des atmosphères
plus passionnées qu'antagoniques. Des relents de bruits batailleurs, comme dans
Une Vie de Héros, sont vite balayés par une vraie émotion, une tendresse
que le chef distille, en particulier dans le passage adagio culminant dans la
''scène d'amour'' qui voit les thèmes du père et de la mère se fondre en un tout,
vision de paix. Le finale vivo n'est pas moins un modèle d'orchestration
brillante traduisant quelque querelle domestique vite dépassée dans le souci de
la belle harmonie familiale et musicale. L'orchestre est tout simplement
somptueux. La première partie du concert
était consacrée à deux œuvres de Thomas Adès, dont le
festival venait de créer l'opéra The Exterminating
Angel. Welser-Möst avait judicieusement choisi
d'abord la Suite Dances from
Powder Her Face de 2007, dont il avait assuré la
première américaine l'année suivante à Cleveland. De l'opéra de chambre éponyme
au goût sulfureux et au parfum de scandale - la vie tumultueuse de Margaret
Campbell, Duchess of Argyll - Adès a tiré une
suite pour grand orchestre en trois parties : Ouverture, Valse, Finale. Musique
bigarrée, dans la tradition du cabaret, mêlant sans vergogne influence
argentine (tango), allusions à Stravinski, voire même à Tchaikovski,
et où on trouve même des effets jazzy, des changements de rythmes fréquents
mais aussi de beaux traits confiés aux violons. Le Concerto pour violon
« Concentric Paths »,
créé en septembre 2005 au Festival de Berlin, exige une formation orchestrale
''classique'' comparée à l'énorme instrumentarium
réclamé par la pièce précédente. Ses trois mouvements sont plus qu'un triptyque
car celui du milieu, lent, est le plus développé. Dans le premier, ''Rings'',
le violon est sollicité dans le registre le plus aigu et en des traits
extrêmement rapides. On pense à la tessiture pareillement tendue du personnage
d'Ariel de l'opéra The Tempest (2003). Les
échanges entre soliste et orchestre deviennent peu à peu frénétiques. Le
mouvement médian « Paths », évoque une
chaconne et est plus sobre quoique l'attaque par les violons soit tout aussi
violente, ouvrant sur un long soliloque du violon, calmé. « Rounds »
reprend le tempo énergique du début avec des allusions à la musique orientale.
Le violon, toujours aussi sollicité, prend des allures dignes de la musique de Korngold. Il s'évanouit aux dernières mesures. Grande spécialiste
des répertoires contemporains, Leila Josefowicz
maitrise haut la main ces acrobaties violonistiques. Et l'orchestre lui assure
une réplique on ne peut plus idiomatique.
Jean-Pierre
Robert. La jeune génération à la
conquête de Mozart Wolfgang Amadé
MOZART : Le Nozze di Figaro.
Opera buffa en quatre
actes. Livret de Lorenzo Da Ponte. Luca Pisaroni, Anett Fritsch, Anna Prohaska,
Adam Plachetka, Margarita Gritskova,
Ann Murray, Carlos Chausson, Paul Schweinster, Franz Suppper, Christina Gansch, Erik Anstine, Marina Reder, Cornelia Sonnleithner. Konzertvereinigung
Wiener Staatsopernchor. Wiener Philharmoniker,
dir. Dan Ettinger. Mise en
scène : Sven-Eric Bechtolf. Haus
für Mozart.
Une nouvelle production des Noces de
Figaro à Salzbourg - la quinzième depuis 1922 - est toujours un événement.
La régie de Sven-Eric Bechtolf cherche à revivifier
la pièce dans un sens illustratif sans pour autant malmener les didascalies.
Grâce lui soit rendue. Son spectacle se voit avec plaisir et La Folle
journée connait une sympathique animation. Fort poussée aux Ier et III ème actes. Car c'est tout le château d'Aguas-Frescas, revu façon début du XXème siècle, qui est
représenté ici avec ses pièces et ses divers niveaux, de la cave au grenier, de
la chambre exiguë des Figaro à celle plus noble des Contes, de la salle de
bains au débarras, jusqu'aux dépendances, une sorte de jardin d'hiver qui sera
le théâtre du dernier acte. Tout cela est fort agréable à voir, prétexte à
moult allers et venues d'une domesticité nombreuse dans une demeure où l'on ne
compte pas. Une maisonnée où chacun épie l'autre, et pour ce faire, certains
personnages à la solde d'autres, comme Basilio, œil agissant du Conte, et au
demeurant amoureux fou de Chérubin... ou Marcellina
qui lorgne par le trou de la serrure de la mansarde de Susanna ou en déshabille
sans vergogne chaque recoin. Les choses sont plus calmes au II ème acte, bien ficelé, avec juste ce qu'il faut
d'exagération question jalousie virile du Conte, qui par exemple plante de rage
son épée dans la cloison croyant occire le malotru page. La valse folle reprend
au III ème, sis à la fois dans la salle à manger et
dans la cave et autre souterrain inconfortable. C'est dans ladite cave que le
conte entonnera son air fameux après qu'il eut entendu le mot crypté de Susanna
à Figaro et où il lutinera ladite entre deux casiers à vins. La mise en scène
proprement dite cherche - et réussit - à renouveler des passages éprouvés,
comme le chassé croisé du fauteuil au Ier acte, qui se trame cette fois sous le
lit, ou le jeu de cache cache de Susanna au II ème acte, laquelle trouve refuge dans la salle de bains où
s'était retranché Cherubino avant elle, recroquevillé
dans la baignoire. On sera plus dubitatif quant à d'autres traits, telle à la
fin du Ier acte, l'aria « Non più andrai »
de Figaro, qui se jouera sans Cherubino et armera le
barbon d'un pistolet tandis que de l'autre côté de la cloison, le Conte essaie
son fusil. Comme on s'interroge sur l'idée d'animer le théâtre durant les airs,
ce qui nuit à la concentration et risque de focaliser l'attention sur des
à-côtés perturbateurs. Mais qui connait son Mozart n'y prêtera pas plus
d'importance que cela ne vaut. Le dernier acte est très sage dans son ballet de
vraies fausses entrées et sorties : la comédie des erreurs progresse avec
justesse et sans excès. Seule la Barbarina est-elle bien délurée pour son âge
et sa condition. C'est d'ailleurs, nul doute, un des axes de cette lecture que
le triomphe de l'érotisme, puisqu'il est professé ici que Mozart fut plus
intéressé, dans Le mariage de Figaro de Beaumarchais, par sa
configuration érotique que par ses prétendues tendances révolutionnaires.
& Susanna (Anna Prohaska)
©Salzburger Festspiele /
Ruth Walz Le plaisir de l'oreille est tout aussi
intense. Une pléiade de jeunes chanteurs occupent le terrain et avec talent.
Voilà l'ascension de toute une nouvelle génération bardée de qualités : une
jeunesse qui rend crédible le portrait, une aisance dans la prestation, une
facilité dans l'émission chantée. A commencer par Le Conte de Luca Pisaroni. Quel parcours depuis son Publio
de La Clemenza di Tito d'Harnoncourt (2003) !
Un homme jeune et fringant, d'une formidable présence, qui rend encore plus
fort le sex appeal vis à
vis de Susanna, quoique paradoxalement le personnage reste finalement moins
agissant qu'il n'y paraît dans la progression de l'action. La voix est un
parangon de force et de ductilité comme le montre le grand air du début du III ème acte. Sa Contessa, Anett Fritsch, l'égale en jeunesse éclatante et véracité.
Enfin une ''padrona'' qui ne joue pas les femmes
mûres, mais au contraire possède arguments pour titiller la jalousie, certes
primaire mais viscérale de l'époux, comme l'appétit naissant d'un page
entreprenant. Le chant est à la hauteur des exigences, qui frappe
par sa naturelle aisance. Là aussi, on mesure la progression d'une artiste déjà
remarquée dans la Fiordiligi du Così
fan tutte de Hanecke. Le Figaro de Adam Plachetka est
solide mais non rigide, habile à tisser les fils de l'intrigue et à asseoir ses
manigances. Un peu réservé au début, le chant s'épanouit au fil de la soirée
pour atteindre son zénith dans un superbe « Aprite
un poʼ » au dernier acte
: vindicatif en diable, diablement argumenté question vocalité. Sa Susanna,
Anna Prohaska est tout sauf soubrette : une femme
résolue à mener sa vie et à le faire savoir. Le soprano, qui a désormais acquis
une rondeur remarquable, en fait une des interprètes de choix du moment et le
duo de la lettre comme l'air « des marronniers » sont la marque du
vrai chant mozartien. La Barbarina de la toute jeune Christina Gansch a du punch côté vocal aussi bien que théâtral. Seule
Margarita Gritskova, en Cherubino,
laisse en peu sur notre faim : non que le personnage ne soit pas vrai ; au
contraire, il est ''boyish'' à souhait et vraiment en
situation, partagé entre fausse timidité et absence de scrupules, une
imprévisibilité qui le caractérise. C'est plutôt un manque d'aura dans le chant
qui gêne, singulièrement dans les deux arias fameuses « Non so
più cosa son » et « Voi
que sapete ». Reste que le portrait assume cette
jeunesse partagée avec les autres protagonistes. Comme encore le Basilio,
l'Antonio ou le Don Curzio. On a plaisir à
retrouver deux vétérans qui apportent un réel piquant à leurs apparitions au
milieu d'une telle juvénile ambiance : le Bartolo de Carlos Chausson, sonore
comme il faut et pas vieillot ni maniaque, et surtout la Marcellina
d'Ann Murray dont chaque geste, chaque parole est un régal de style. Au point
qu'on regrette l'omission de l'aria du dernier acte. La direction de Dan Etttinger, un jeune chef israélien très en vue, est nette,
un peu carrée parfois, éludant la belle tendresse qui affleure dans cette
musique, mais claire et fluide dans les ensembles menés tambours battants. Le
flux mozartien est bien là, partageant le mouvement irrésistible qui émane du
plateau. Et les Wiener Philharmoniker, dont l'effectif
est justement réduit aux cordes, répondent avec lustre et raffinement, aux bois
en particulier. Jean-Pierre Robert. Mariss Jansons dirige les Wiener Philharmoniker
: le bonheur !
©Salzburger Festspiele/Marco Borelli La série des concerts des Wiener Philharmoniker qui ponctuent chaque semaine du festival,
s'articulait cette année autour du thème « Les Wiener Philharmoniker
et leurs compositeurs », autrement dit les œuvres créées par l'orchestre.
Richard Strauss qui créa la Suite orchestrale du Bourgeois gentilhomme
en 1920, aura cette phrase « Seul celui qui a dirigé l'Orchestre Philharmonique
de Vienne sait ce que ces musiciens sont! Et encore cela reste un secret bien
gardé! » Gustav Mahler dirigea la première de la Sixième Symphonie
de Bruckner en février 1899. C'est cette même symphonie que Mariss
Jansons avait inscrite au programme de son concert.
Sans doute pas la plus abordable, cette symphonie était considérée par son
auteur comme « la plus audacieuse ». Une symphonie qu'il ne
retouchera pas ensuite, contrairement à plusieurs autres. L'architecture
harmonique du premier mouvement, marqué « maestoso », est imposante. Jansons le prend large mais sans emphase, au fil de ses
trois thèmes dont les enchainements sont comme naturels. La sonorité est
envoûtante sans effet de masse et la rythmique coulante. De l'adagio, « Sehr feierlich (très solennel),
émane une bienfaisante sérénité, en particulier du premier thème tressé par les
violons, sorte de lamento. Le deuxième est sur le ton de la consolation que les
cordes des Viennois flattées par la belle et sobre gestique de Jansons, rendent encore plus émouvante. A noter encore le
troisième thème au son d'une marche funèbre dont les accents sont retenus et la
coda ppp avec sa grande phrase d'altos. Avec le scherzo on atteint,
comme toujours chez Bruckner, les contrées de l'originalité. Encore que celui
de la Sixième soit assez différent des autres et notamment de ceux des œuvres à
venir : plus proche de quelque Venusberg de
Wagner, voire d'une Nuit de Walpurgis de Goethe, il en émane une
coloration fantastique que Jansons ménage adroitement
par un geste alerte, non heurté dans les grands unissons de tout un orchestre
en ébullition. Le Trio serait-il encore plus faustien ? En tout cas, la
présente exécution démontre encore l'affinité du chef letton avec l'idiome de
Bruckner. Le finale, Jansons en décortique la
dramaturgie secrète et abolit presque les longueurs qui peuvent chatouiller une
oreille cartésienne. Un curieux thème d'inspiration populaire traverse ce
mouvement et la symphonie se conclut par une coda fulminante largement enrichie
par les cuivres. Une magistrale lecture qui montre une totale symbiose entre
chef et musiciens, qu'on aimerait voir de nouveau à l'œuvre. En première partie du concert, le 22 ème Concerto pour piano et orchestre K. 482 de Mozart
avait livré une même félicité dans un registre bien différent. Ce concerto de
1785 reprend la même coupe que le concerto K. 271 « Jeunehomme ».
Mais sa connotation opératique est marquée dès le premier mouvement dont un
thème annonce l'Ouverture des Nozze di
Figaro. Une savante lutte oppose orchestre et piano dans une manière que
seul Mozart sait illustrer avec autant de brio. Mariss
Jansons aborde l'introduction orchestrale avec
vivacité, mais déroule ensuite un esprit chambriste. Emmanuel Ax s'empare du dialogue avec un jeu d'une transparence
remarquable. La profonde nostalgie de l'andante, le pianiste la porte amoureusement
dans ses échanges avec la flûte et le basson. Autre merveille de ce mouvement :
le concertino des bois, préfigurant celui du deuxième acte de Così fan tutte, qui interrompt la méditation
des cordes. Le finale surgit léger comme une plume, de cette joie jaillissante
qui fait vibrer alentour. Soudain survient un passage d'une gravité abyssale,
andantino cantabile, qui réintroduit ou du moins rappelle celle du mouvement
précédent, jusqu'à ce trille du piano sur une courte phrase de la flûte là
encore et du hautbois. La cadence, comme celle de l'allegro initial, d'Emmanuel
Ax lui-même, est un trésor de finesse et
d'intelligence textuelle. Sa vision aura été d'une
magnifique raffinement sans verser dans le galant, d'une ferme autorité qui
évite toute raideur ; aidé en cela par l'accompagnement transparent de Jansons et la sonorité éthérée des Viennois, la clarinette
en particulier dont le rôle est si déterminant ici. Jean-Pierre Robert. Cecila Bartoli propulse West Side Story au rang de winner Leonard BERNSTEIN, : West
Side Story. D'après une idée de Jerome
Robbins. Lyrics de Stephen Sondheim d'après le livre de Arthur Laurents. Cecilia Bartoli, Norman
Reinhardt, Michelle Vintimilla, Karen Olivo, George Akram, Dan Burton. Simon Bolivar Symphony Orchestra of Venezuela, dir. Gustavo Dudamel. Mise en scène :
Philip Wm. McKinnley. Felsenreischule.
Autre première à Salzbourg – et un des
rares opéras complètement ''sold out'' - West Side Story bénéficiait sans doute de l'aura de Cecilia
Bartoli. Ce n'était pourtant qu'une partie du succès. En cette année de
commémoration shakespearienne, présenter cette version moderne de Roméo et
Juliette tombait peut-être sous le sens. Importé du Festival de Pentecôte,
ce spectacle ne dépare pas auprès de la trilogie Da Ponte de Mozart ou de
l'opéra de Strauss précité. Le choix était audacieux, le résultat et le succès
public confirment sa validité. Il fallait un chef à la mesure de l'enjeu.
Gustavo Dudamel est l'homme de la situation et son
Orchestre Symphonique Simon Bolivar of Venezuela sûrement l'instrument idoine.
Cela swingue, bondit, explose, affirme la complexité de la partition et ses
dissonances, empruntées au jazz (« Jet song »,
« Cool »), aux rythmes latinos, fort prédominants, du
mambo de « America » au Tcha
Tcha d'origine cubaine. Et surtout un langage rendu
vibrant par l'utilisation massive de l'intervalle de triton (« I feel pretty »), vite
identifiable et qui n'a pas de mal à s'ancrer dans la mémoire. Et des couleurs
que seul un orchestre rompu au classique peut communiquer. La pulsation de
cette musique, ses déhanchements, son lyrisme envoûtant, Dudamel
les connait et s'en délecte. Comment résister à des tunes comme « Maria,
Maria », préludant au duo d'amour (« Tonight »)
! Si l'orchestre occupe un rôle essentiel, la distribution ne le cède en rien à
la réussite. Le Tony de Norman Reinhardt est un solide gaillard : voix
puissante, beaux pianissimos, et physique ravageur. Cecilia Bartoli commet le
tour de force d'inscrire sa large voix de mezzo-soprano dans les canaux plus
discrets de la tessiture soprano de Maria. Si la régie confine souvent le
personnage dans des postures mélancoliques, l'engagement n'est pas moindre, qui la voit danser et
virevolter à ravir. Parmi les autres rôles, une mention particulière pour Karen
Olivo, une Anita de caractère que ses origines porto
ricaines désignaient pour ce rôle, et au Doc de Chayne
Davidson, crédible dans le rôle ingrat d'empêcheur de catastrophe - le Frère
Laurent de Shakespeare. La troupe des Jets et des Sharks,
garçons comme filles, se font un régal de la chorégraphie vivante, cocasse et
ravageuse même.
La régie est haute en couleur comme il se
doit de cette saga américaine. Qui oscille entre « musical » et opéra ; encore
que Bernstein tenait à se démarquer de ce dernier genre, à la différence de Street
Scene de Kut Weill. Le
choix de la Felsenreischule (le site dit du Manège
des rochers, au demeurant de plus en plus confortable côté spectateur et à
l'acoustique quasi parfaite désormais) est judicieux qui avec son absence de
contrainte due au cadre de scène, permet de jouer de l'espace et autorise la
fantaisie. Curieusement, on n'a pratiquement pas eu recours aux mille loggias
qui en constitue le fond naturel, si ce n'est pour
quelques mouvements de foule dans le lointain, complétant l'animation de la
ville qui ne s'endort jamais. Non, un décor de toiles peintes colorées et
d'échafaudages métalliques, passerelles et autre escaliers a été planté qui sur
plusieurs plans restitue l'atmosphère de la ville affairée et cosmopolite avec
ses graffitis envahissants. Ses trois dimensions découvrent la boutique de mode
de Maria, le logement des porto ricains, le drugstore,
etc... Le vaste espace se transforme à vue dès lors
que le décor se sépare en deux parties repoussées latéralement. Au centre
s'inscrit alors la lutte des deux « teenage
gangs » pour préserver leur territoire, les blancs autochtones, les Jets,
et les émigrés porto ricains, les Sharks. Car c'est
bien chez Bernstein d'abord un lieu, New York west side, qui prévaut ici, plus que les personnages des deux
amants de Vérone de la tragédie de Shakespeare.
La lumière occupe un statut essentiel qui véhiculant des couleurs brutes,
volontairement criardes, rouge vif, vert cru, bleu pervenche, assure au show sa
gouaille visuelle. Un plancher de plexiglas renforce l'effet de brillance par
une illumination du dessous, autorisant des arrêts sur image souvent
saisissants. Les danses sont réglées au quart de tour et tout, rythmes,
mouvements, déplacements, est d'un engagement communicatif. La mise en scène
est accrocheuse quant il faut. Elle part d'un postulat inédit : Maria se
souvient, bien des années après le meurtre de Tony, de ces journées heureuses
qui virèrent au cauchemar, et revit sa propre histoire, celle qui bouleversa sa
jeunesse. Le déroulé des scènes se vit comme une remémoration. Et son
concepteur, Wm. McKinley assure que « l'histoire devient plus vivante et a
plus d'impact dès lors que vue à travers les yeux d'une jeune fille devenue une
femme ». Peut-être. Sans vouloir être désobligeant vis à vis de
l'interprète star, le parti était peut-être nécessaire. Reste que le concept de
deux Maria peut se révéler embarrassant en une telle occurrence, celle du
musical, et que lorsque Maria (I) doit tenir le rôle ''en vrai'' et en doublage
d'une jeunesse, Maria II, qui s'affiche auprès du jeune et beau yankee, la
situation est ambiguë et pour tout dire frustrante : la voix de l'une, le
minois de l'autre. Bien sûr rien n'est retranché dans la pièce et cette version
moderne d'une passion amoureuse tragique atteint un indéniable impact, la
précipitation des événements dégageant une émotion certaine au final. Des
images fortes ressortent de ce spectacle réglé à l'américaine : telle danse,
telle scène dans sa force tragique, et même une extraordinaire parodie de
ballet classique autour du lit des amants, vision envoûtante que renforce son
éclairage phosphorescent. Jean-Pierre Robert.
***
LE FESTIVAL DE LUCERNE
Cette édition du
Festival de Lucerne était placé sous le thème « PrimaDonna ».
Autrement dit comment les femmes assurent à la musique une contribution
essentielle, avec onze chefs d'orchestre dont Marin Asolp,
Susanna Mälkki, Emmanuelle Haïm,
Barbaba Hannigan, et moult
solistes, Sol Gabetta, Isabelle Faust, Anne-Sophie Mutter, Martha Argerich, Cecilia
Bartoli, Diana Damrau ou Sandrine Piau...
On fêtait aussi cette année plusieurs anniversaires : les 50 ans de présence de
Bernard Haitink et de Daniel Barenboim,
les 40 ans de Maurizio Pollini et d'Anne- Sophie Mutter. On
célébrait des événements comme le premier concert à Lucerne des Wiener Philharmoniker dirigés par une femme, française qui plus
est, Emmanuelle Haïm. Et bien sûr, la prise de
fonction de Riccardo Chailly comme directeur musical
de l'Orchestre du Festival, succédant ainsi à Claudio Abbado. Enfin celle du
compositeur Wolfgang Rhim comme directeur artistique
de l'Academy qui, fondée en 2006 par Pierre Boulez,
porte haut les couleurs d'une programmation audacieuse, avec l'aide du chef
Matthias Pintscher, par ailleurs responsable de
l'Ensemble Intercontemporain à Paris. L'avenir est
donc assuré. Le festival était d'ailleurs dédié à Pierre Boulez. Lucerne c'est
d'abord et avant tout la fabuleuse ronde des orchestres, qui d'Amsterdam à
Cleveland, de Berlin à Sao Paulo, du Gewandhaus
Leipzig au Chamber Orchestra of Europe, du West Eastern Divan au Simon Bolivar du Venezuela illuminent les
soirées du KKL. Jouant avec des solistes de renom. Un public nombreux et
extraordinairement concentré apprécie ces phalanges et ces solistes de grande
renommée. Valery Gergiev dirige le Münchner Philharmoniker
La ville de Munich a bien de la
chance de posséder plusieurs orchestres de niveau international, dont le
Philharmonique qui fut dirigé par de chefs prestigieux comme Rudolf Kempe et surtout Sergiu Celibidache,
plus récemment Christian Thielemann, Lorin Maazel ou
encore James Levine. Valery Gergiev
en a pris les rênes à l'automne 2015. Compositeurs russes et allemand se
partageaient le programme, Serge Prokofiev d'abord avec des extraits de Roméo
et Juliette. On sait que celui-ci a tiré du ballet deux suites de concert,
les opus 64 a et 64 b (1935/1936). Bien des chefs ont à leur tour composé leur
propre sélection pour tenter de capturer l'essence du drame. Gergiev a choisi cinq morceaux, majoritairement empruntés à
la Deuxième suite, qui focalise sur les moments dramatiques du ballet et sur la
peinture psychologique de ses
personnages, dont celui de Juliette. Comme le numéro « Juliette
enfant », qui décrit la candeur et
l'insouciance de la jeune fille. Gergiev avait ouvert
la suite par « Les Montaguts et les
Capulets », un des morceaux les plus emblématiques de l'entier ballet,
avec ses accords fortissimos et ses cordes qui en émanent en sourdine, un
résumé du climat de violence dans lequel va éclore une histoire d'amour
tragique. On trouve encore « Masques », tiré de la Première suite,
qui après la séquence « Père Lorenzo », forme un contraste tout en
fantaisie, celle des joutes de Roméo et de ses amis Mercutio
et Benevolio. La pièce se termine par « Roméo
sur la tombe de Juliette », épilogue grandiose que soulignent les cuivres
avant que les violons ne libèrent une ligne comme éthérée, symbolisant l'âme de
Juliette. Gergiev qui est un ardent défenseur du
ballet, livre une brillante vision de ces brefs épisodes et on admire les vents
somptueux de l'orchestre munichois. Richard Strauss a tiré en 1946 une suite de
l'opéra La Femme sans ombre, qui sera créée à Vienne l'année suivante
par Karl Böhm. Cette « fantaisie symphonique » op. 65 livre un
condensé sans paroles de l'opéra, là encore un conflit entre forces sinistres
et pouvoir de l'amour. Après une entrée en matière avec le motif grave de Keikobad, la suite alterne les grands moments lyriques et
dramatiques de l'opéra et culmine avec l'évocation du thème généreux de Barak
sur le passage poignant du début du III ème acte et
son étonnant solo de trombone. Si les choses prennent un tour quelque peu agité
sur le rappel des péripéties du II ème acte, puis
plus verbeux avec la paraphrase de la fin de la pièce et ses cuivres
envahissants, on revient en guise de conclusion à meilleure fortune avec le
thème fraternel qui parcourt l'opéra. La beauté de la langue straussienne,
l'orchestre n'a pas de mal à la traduire, qui possède cette musique dans ses
gènes. Avec Don Juan, le jeune
Strauss trace déjà un sillon profond qui lui vaudra un succès immédiat. Ce
poème symphonique (1888), il le conçoit non à l'ombre de Tirso de Molina,
encore moins à l'aune de Molière, mais d'après le récit dramatique du poète
allemand Nikolaus Lenau. Et « pour grand
orchestre », empli d'un élan conquérant, d'une énergie débordante mais
aussi d'un lyrisme puissant. Impétueuse au début, la vision de Gergiev verse dans le très lent dans la section lyrique qui
suit, assagie, voluptueuse. Admirables aussi les dernières pages tout en
douceur, là où Strauss choisit de conclure loin de toute grandiloquence, mais
dans le concret de la fin d'un homme presque comme les autres. Les musiciens
munichois se surpassent. Le concert se terminait par le Poème de l'extase de
Scriabine. Grande fresque s'il en est, cet op. 54 (1904-1907) défie les lois du
poème symphonique pour atteindre les contrées de l'extrême avec ses âpres
dissonances, son mysticisme à peine voilé, ses voluptueux excès et surtout sa
complexité dans l'agencement des timbres. Gergiev est
ici chez lui qui installe une matière en fusion après une introduction presque
languide, aux relents ''tristanesques'', et bâtit des
climax impressionnants. La tension ne se relâche pas un instant pour atteindre
son apogée dans un vrai cataclysme de tout un orchestre en délire rehaussé de
l'orgue, trait qu'on a dit orgasmique. Deux instruments solistes émergent : le
violon, associé à un thème féminin, et surtout la trompette dont le motif
masculin progresse victorieux. Cecilia Bartoli et le voyage à Saint-Pétersbourg
Plus qu'un saut, c'est le grand
écart ! Nous avions quitté Cecilia Bartoli fin août à Salzbourg interprétant
Maria de West Side Story. Nous la retrouvons
quelques jours plus tard à Lucerne, cette fois sur son terrain de prédilection,
les découvertes musicologiques au temps du seicento.
Le récital donné ici reprend une large partie du programme de son CD
« Saint Pétersbourg » (cf. NL de 12/2014).
Une longue et passionnante soirée où se mêlent un brin de gimmick vestimentaire
et une haute idée de l'interprétation de ces miniatures souvent excentriques.
Avec la complicité du fidèle Diego Fasolis et de ses Barocchisti. L'élaboration du disque nous avait appris
qu'au XVIII ème, la cour de Russie avait fait venir
essentiellement des musiciens italiens tels que Baldasare
Galuppi, Nicola Porpora ou Francesco Domenico Araia. Qui dans ce qui était alors « une terra incognita », mais exerçait un attrait considérable,
apportèrent leur savoir faire aussi bien qu'ils s'adaptèrent à cette nouvelle
donne en adoptant « un style plus lyrique..., un style proche d'une
profonde mélancolie », remarque Cecilia Bartoli. Le principal bénéficiaire
fut le genre de l'opéra et la première compagnie à se rendre en Russie le fut
en 1731. Même si le but était à l'origine d'instaurer l'opera
buffa, c'est très vite le modèle seria
qui s'imposera. Le premier à le faire fut Francesco Domenico Araia, engagé à la cour dès 1735. Rapidement de nombreux
ensembles étrangers fouleront le sol pétersbourgeois avec succès grâce à l'appui
des tsarines Anna, Elisabeth et surtout Catherine II. Cette dernière fera de la
capitale une métropole culturelle incontestée. Des compositeurs allemands se
joindront aussi, tels que Johann Adolf Hasse ou Hermann Raupach.
Le programme du récital qui alternait pièces vocales et instrumentales, est une
parfaite illustration de ce morceau d'histoire. Cecilia Bartoli y insiste tout
particulièrement sur les arias favorisant un légendaire legato, des pianissimos
envoûtants et des tenues de notes non moins remarquables. Elle ouvre par des
pièces de Vivaldi extraites de Ottone
in Villa de 1713, d'Orlando furioso (1727) et de Griselda (1735).
Dans cette dernière aria, on admire le beau timbre de mezzo grave et un chant
immaculé qui seront les maitres mots de la soirée. Après le concerto Alla rustica RV 151, des années 1720, pour cordes, d'une
vivacité communicative et nanti d'un curieux adagio médian, Bartoli enchaîne
par une aria de Farnace, chantée ''adagiossissimo'', chaque note cherchée au plus profond et comme
arrachée. Puis conclut ce parcours vivaldien par l'aria « Sventura navicella » tirée
de Giustino (1724), évoquant le mouvement d'une barque promise au
naufrage et les intermittences du cœur d'une pauvre jeune fille. On y décèle le
thème de ce qui deviendra celui du début du concerto « Le printemps »
des Quattro staggioni.
Elle aborde ensuite deux compositions de Hermann Raupach,
chantée en russe pour la première, extraite de Altsesta (1758), empruntant au modèle
mythologique. La seconde, en italien, tirée de Siroe,
re di Persia, de 1760,
sur un livet de Métastase, est une ''aria di bravura''
offrant force vocalises et roulades à perdre haleine, évoquant la tempête des
éléments et des cœurs. Déclenchant les applaudissements d'un public conquis. En
deuxième partie, la diva propose des pièces de Araia, Hasse et Porpora. Des deux pièces de Hasse,
attribuées au personnage de Sesto, et contrastant un
adagio ensorcelant et un vivace hyper rapide avec moult ornementations, Bartoli
offre un concentré de ses talents de conteuse. L'aria « Nobil onda » de l'Adelaide (1723) de Porpora déchaîne les
éléments pour de bon en une vison percussive et des
vocalises inouïes.
Tout au long de la soirée,
Diego Fasolis et ses musiciens auront fourni plus
qu'un simple accompagnement à la soliste : un écrin paré de senteurs et de
couleurs italiennes mettant en valeur la voix et en prolongeant les
harmoniques. Comme d'ailleurs dans les morceaux purement instrumentaux : les
Ouvertures de Farnace de Vivaldi, d'Iphigenia en Tauride (1768) de Galuppi, de La
Clemenza di Tito (1727) de Hasse ou de Bellerofonte (1750) de Araia
: sveltesse, coloris, mystère, on est subjugué par cette manière aristocrate.
Comme par les prestations solistes dans les arias concertantes qui distinguent
tant de ces pièces :
la flûte de Jean-Marc Goujon dans l'air de Ruggiero de l'Orlando furioso,
le hautbois de Pier Luigi Fabretti dans celui de Seleuco d'Araia, la trompette
de Almut Rux et le violon
de Fiorenza De Donatis.
Tout cela serait sans compter sur les bis : une aria de Steffani
où la voix se mesure à la trompette en un concours peut-être inégal, un morceau
de Vivaldi et une grand final russe où Bartoli s'avance impériale, coiffée
d'une toque et d'un manchon blanc hermine pour entonner une aria diaboliquement
virtuose de l'Alceste de Raupach. Cela plait
énormément et les vivats se transforment en délire. Le bonheur musical selon Bernard Haitink
Après
Beethoven et Brahms, Bernard Haitink et le Chamber Orchestra of Europe se lancent dans un nouveau
projet consacré cette fois à Antonin Dvořák. Le
présent concert permettait d'entendre des œuvres, certes moins célébrées du
maitre tchèque, pas moins passionnantes : le concerto de violon et la symphonie
N° 7. En prélude, les chef néerlandais offrait Die Waldtaube (La Colombe – ou le pigeon - sauvage) op.
110, dernier des quatre poèmes symphoniques composés en 1896 - aux côtés de L'Ondin,
de La Fée de midi, et du Rouet d'or - sur des ballades populaires
de Karel Jaromir Erben
(1811-1870), folkloriste et chantre de la nouvelle culture tchèque. L'œuvre
sera créée deux ans plus tard par Leos Janacek qui
s'en était épris, tout comme Gustav Mahler qui assurera la création viennoise
peu après. C'est le plus développé de la série en ses cinq sections
ininterrompues. Pour conter la sombre histoire d'une jeune veuve éplorée qui,
en fait, à tué le mari. Elle s'éprend d'un beau garçon qui veut la consoler.
Mais le cri de l'oiseau rappelle à la femme son terrible forfait, qui prise de
remords, perd la raison et s'abîme dans les flots de la rivière. La musique
reprend ces divers épisodes avec un réalisme qui en décrit bien les états
paroxystiques : un début andante avec cor en sourdine, une marche funèbre
introduite par une triste fanfare, un allegro énergique lors de la survenance
du jeune homme, un molto vivace au rythme dansé évoquant la fête des noces,
puis un andante où perce l'inquiétude qui ronge l'intéressée et la plainte de
la colombe, menant à une conclusion où revient le thème de la marche funèbre.
L'Orchestre de Chambre d'Europe capture d'emblée le langage spécifique de ce Dvořák tardif et l'atmosphère pesant de la pièce. Le Concerto
pour violon op. 53 n'a pas atteint l'aura de son frère pour violoncelle.
Longtemps il resta confidentiel au concert comme au disque. Cette exécution
marquait d'ailleurs une première pour l'orchestre! Et pourtant ce morceau que Dvořák peaufina pendant plusieurs années, mérite
d'être réévalué tant ses mérites sont évidents. L'idée en revint au célèbre
violoniste Josef Joachim qui fort du succès engrangé avec le concerto de
Brahms, demanda au musicien tchèque une œuvre nouvelle. Lequel remettra
plusieurs fois la pièce sur le métier à la demande du virtuose pour des
questions de technique violonistiques. Une différence d'approche éloigna vite
les deux parties et Joachim déplorant notamment l'absence de cadence, se
désengagea. Bien qu'il lui fut dédié, il n'assurera
pas la création pragoise du concerto en 1883. C'est que Dvořák
privilégie une forme rhapsodique et un ample lyrisme qui prime sur la pure
brillance du violon. Non que l'écriture ne soit pas achevée : elle est d'une
belle limpidité pour la partie soliste qui se voit traiter en primus inter pares et forge un habile dialogue avec
l'orchestre. L'interprétation d'Isabelle Faust est exemplaire d'aisance et
d'autorité, ce que la claire sonorité de son instrument rend palpable.
L'allegro est un miracle d'équilibre, favorisant une large mélodie expressive
vite relayée par le second thème passionné, très tendu. On est émerveillé par
le trait à la toute fin du mouvement : sur une longue tenue du cor, la note
suraigüe du violon s'étire, comme suspendue. Les bois sont au soutien du
soliste dans l'adagio qui déroule plusieurs sections d'un fervent lyrisme.
L'allegro giocoso final bondit avec son rythme de furiant
tempéré par une dumka. S'il n'
y a pas de cadence, le soliste évolue au fil de variations élaborées qui
en tiennent presque lieu. La complicité de la jeune violoniste avec le chef
néerlandais trouve encore un nouvel achèvement. Et c'est peu dire.
La Septième
Symphonie op.70 passe pour beaucoup comme la plus achevée de son auteur.
Commande de la Société Royale Philharmonique de Londres où elle sera créée en
1885 sous la direction du compositeur, la symphonie combine slavité
et tragique de manière plus nette que les deux symphonies suivantes, la
« Nouveau Monde » en particulier. Mais il y a ici une sorte de
dépassement d'une manière slave purement folklorique pour un langage plus
universel. Il est intéressant que Bernard Haitink
joue cette pièce à laquelle il voue d'ailleurs un intérêt particulier – la
dernière exécution de l'œuvre au Festival, remontant à 2004, l'était sous sa
baguette à la tête de la Staatskapelle de Dresde - et
y apporte son immense science de l'équilibre et de la couleur. On le perçoit
dès l'entame très beethovénienne du premier mouvement affirmatif, allegro
maestoso, qui sera peu à peu habité de gravité dans le développement mêlant
épique et douceur jusqu'à un grand climax. Le ''poco adagio'' qui suit, le chef
en extrait le suc mélodique et installe une vraie fluidité, aux bois en
particulier. Nul pathos ici. Le scherzo est animé d'une énergie contagieuse
quoique loin de tout débordement, et le trio contraste en une pause presque
bucolique. Du finale, qui voit le retour du mode tragique, émanent quelques
accès de violence guerrière. On admire aussi la mélodie sereine des
violoncelles et des altos et une fin en apothéose. Au fil de cette magistrale
exécution, Haitink aura combiné manière chambriste et
grandes envolées, sobriété du trait et expression profonde, obtenant de ses
musiciens du CEO des sonorités aussi perspicaces que s'il s'agissait d'un
orchestre tchèque. La qualité de cette phalange ne cesse de donner du bonheur :
rien de clinquant, la musique pure. L'Orchestre de l'Academy s'offre une PimaDonna et
un chef d'envergure
Pour
son concert final, l'Orchestre de la Lucerne Festival Adademy
jouait sous la baguette du chef américain Alan Gilbert et avait pour soliste
Anne-Sophie Mutter. Salle comble, ce qui est
réconfortant pour cet orchestre de jeunes, même si la présence de la célèbre
violoniste allemande n'est pas étrangère à l'affolement du box office. En tout
cas, programme ambitieux avec Berg Schönberg et Moret,
compositions que les jeunes musiciens stagiaires auront eu la possibilité
d'approfondir durant la masterclasse de direction
d'orchestre pendant la semaine précédente sous la houlette de Gilbert. Le
compositeur suisse Norbert Moret (1921-1998) dont la
production est somme toute assez confidentielle, a écrit pour Anne-Sophie Mutter un concerto, « En rêve pour violon et orchestre
de chambre » que sa dédicataire a créé en 1988 aux Semaines Musicales
d'Ascona. Une des nombreuses pièces inspirées par la virtuose. Élève d'Honegger
et de Messiaen, Moret a conçu une partition pour
cordes, cuivres, percussions et célesta. C'est ce dernier instrument qui domine
la trame d'accompagnement, donnant à la pièce une allure singulière, plus
fantasmagorique que lumineuse. Trois mouvements se partagent la composition
selon le modèle rapide-lent-rapide. Le premier, « Lumière vaporeuse »,
doit donner une impression de légèreté, d'atmosphère tamisée, indique l'auteur.
La partie de violon extrêmement tendue, aligne des figures syncopées,
majoritairement logées dans l'extrême aigu. La partie lente, « Dialogue
avec l'étoile » est introduite par une substantielle cadence, et est
censée traduire la radiance d'une étoile. Le dernier mouvement, « Azur
fascinant », qui s'ouvre par un grand charivari orchestral, les bruits
d'une fête populaire au bord du Lac Majeur, pousse la soliste dans ses
retranchements. Au fil de ces vingt minutes, ce ne sont que traits
minimalistes, souvent arrachés, glissandos et autres tenues de notes suraiguës.
L'interprète y brille par sa souveraine technique. Avec le Concerto pour
violon d'Alban Berg, on retrouve des territoires plus amènes. Encore que !
Commande du violoniste américain Louis Krasner, et
largement influencé par la disparition de Marion Gropius, la file d'Alma, veuve
de Gustav Mahler, ce concerto « A la mémoire d'un ange » sera créé en
1936 à Barcelone par le dédicataire et Hermann Scherchen. Ce requiem pour la
jeune fille, qui est aussi sa dernière œuvre, Berg l'entoure de ses propres
préoccupations, une méditation sur la mort. L'interprétation d'Anne-Sophie Mutter est hautement personnelle, comme toujours chez cette
artiste. Nantie d'une atmosphère très chambriste que malgré ses nombreux
musiciens, le chef parvient à maintenir. Mais aussi de ralentissements très
marqués. A l'exemple du premier mouvement et de son andante introductif d'un
beau geste lyrique. Le scherzo qui en émane, fait référence à quelque danse
viennoise comme distanciée dans la mémoire. Une phénoménale attaque de
l'orchestre ouvre le second mouvement ''allegro ma sempre
rubato'', sorte d'état de crise, qui débouche sur une cadence du soliste mais
accompagnée par l'orchestre. Après un climax, la pièce s'enfonce dans un adagio
dont émerge le choral de Bach « O Ewigkeit, du Donnerwort » (Oh éternité, tes mots comme le
tonnerre). Les musiciens de l'Academy qui avaient
peaufiné la pièce durant leur masterclass
d'orchestre, donnent une exécution de la plus haute tenue, répondant à la
fabuleuse maestria de la soliste.
Comme
Sibelius, Fauré et bien sûr Debussy, Arnold Schönberg fut attiré par le Pelléas et Mélisande de Maeterlinck, pièce
symbolique de 1892. C'est Richard Strauss qui suggéra l'idée à son cadet, et
l'encouragea à en faire un opéra. Ce projet ne verra pas le jour, alors que
l'allemand ne savait pas que le français composait au même moment son drame
lyrique. Mais il en ressortit un vaste poème symphonique (1902-1903). Cet op. 5
sonne la fin de l'ère romantique. Mais ces deniers feux restent fort brillants
car la pièce requiert une gigantesque formation (bois par quatre, cuivres
pléthoriques dont 8 cors, trois harpes et un brelan impressionnant de
percussions). Forces encore légèrement décuplées ici eu égard à la ''jeunesse''
des interprètes. Il sonne aussi la révolution à venir, une pré-atonalité au
sein d'un système qui se veut encore totalement tonal. Quoique d'un seul
tenant, la composition se divise en quatre parties, celles d'une symphonie,
allegro, scherzo, adagio et finale. Alan Gilbert prend la parole pour donner
quelques explications ou clés de lecture avec exemples musicaux à l'appui.
Cette manière « à la Zygel », même si
nécessairement brève, permet de déceler les principaux thèmes et de fournir une
courte analyse de l'argument. Prélude à une interprétation de haut vol. On
apprécie la phénoménale précision du chef américain, sa battue tourbillonnante
mais combien efficace, et son souci de mettre en valeur des individualités qui
ne demandent qu'à s'exprimer (les bois en particulier ).
Musique programmatique bien sûr, avec son enchevêtrement de Leitmotives,
ses harmonies chromatiques, mais aussi dépassant cet aspect pour installer un
climat inquiétant au sein d'une structure unifiée. La présente exécution lui
rend justice dans cette succession d'épisodes qui suivent le drame de
Maeterlinck, à l'aune du sombre thème du destin. On est frappé en particulier
par la section scherzo et sa rythmique de danse évoquant l'insouciance de
Mélisande, puis sa subtile transformation ténébreuse au moment où celle-ci
lance au-dessus de la fontaine l'anneau nuptial, ou plus tard, dans la section
adagio, par le caractère passionné de la scène d'amour entre les deux héros, où
perce l'influence du Tristan de Wagner. Passionnante exécution d'une
œuvre qu'on n'a pas si souvent l'occasion d'entendre dans les salles de concert. Jean-Pierre
Robert.
***
Daniel Barenboim et la Staatskapelle
Berlin
Dans le cadre d'une intégrale des
symphonies de Bruckner, couplée avec des concertos pour piano de Mozart, comme
il aime le faire pour associer ses talents de chef et de soliste, Daniel Barenboim dirigeait la Sixième Symphonie, pour ce
troisième concert parisien à la Philharmonie. L'empathie du chef pour ce
compositeur est connue, qui en épouse les vastes territoires inspirés comme les
rudes contrastes dynamiques. Et il est fascinant de comparer son approche à
celle de Mariss Jansons qui
avait inscrit la même œuvre à son programme un mois plus tôt à Salzbourg. Si le
letton semble prendre son temps et se monter contemplatif, Barenboim
place d'emblée sa vision sous un angle résolument dramatique. Le maestoso
initial en est un parfait exemple : thèmes tracés nets, transitions plus
resserrées, lyrisme asservi à une dramaturgie visant un impact sonore
indéniable, au développement en particulier dont les tuttis sont assénés. La
thématique complexe est éclairée par un geste ample et limpide, jamais
sollicitant. L'adagio montre une sereine solennité grâce à un tempo mesuré mais
pas trainant, tempérant ce que ce passage peut avoir de mélancolique, comme
lors du thème de marche funèbre. La coda sera paisible. La plastique sonore est
remarquable : on mesure combien la Staatskapelle
Berlin a acquis aux cordes une texture d'une homogénéité enviable. Du scherzo, Barenboim déchaine les égarements fantastiques et met en
exergue cette étrangeté du trait qui caractérise ce type de mouvement chez le
maître de Saint Florian. C'est vif argent, légèrement
épique. Le Trio contraste par un dessin plus serein. C'est sans doute au finale
que la vision s'avère la plus intéressante, qui libère un poids dramatique où
la familiarité du chef avec le langage opératique fait son œuvre : sa
dramaturgie est pleinement assumée par d'intéressants accroissements du rythme
qui donnent vie à la dialectique savante du compositeur au fil des méandres de
la pensée, de ce thème qui se cherche, s'installe, se développe jusqu'au climax
grandiose. Barenboim évite toute baisse de tension
par ces subites accélérations et des transitions là encore réduites au maximum.
Et la gigantesque coda vient naturellement couronner une exécution magistrale.
Où la Staatskappele aura brillé : partout la
somptuosité de l'orchestre berlinois comme sa cohésion sautent aux yeux. Jamais
l'importance de l'intrumentarium (16 premiers
violons, 10 cellos, 8 contrebasses) ne donne le
sentiment de masse. Comme la vision de Barenboim aura
convaincu, épousant une manière ''terrienne'' bien en harmonie avec le vrai
discours brucknérien. En première partie, Barenboim
jouait et dirigeait le concerto N° 26 de Mozart K. 537, dit « du
Couronnement ». Le sacre dont s'agit est celui de l'empereur Leopold II, en octobre 1790 à Francfort. Mais en fait
Mozart, qui n'y était pas invité, l'aurait joué à l'occasion des festivités et
non pas pour celles-ci. L'œuvre achevée en 1788, avait déjà été créée l'année suivante à Dresde par le compositeur.
En tout cas son caractère solennel accrédite son titre. A l'exemple de
l'allegro et son introduction orchestrale anormalement longue, que Barenboim prend de manière virile. Tout comme la partie
soliste qui tresse sa mélodie à part dans un développement connaissant quelques
explosions de gammes et d'arpèges. La cadence que l'interprète donne de son cru
- car Mozart n'en a pas laissée - évoque un thème emprunté aux Noces de
Figaro. Au larghetto le piano énonce un chant très sinueux, d'une expressivité
discrète, loin d'un retour au style galant qu'on a souvent prétendu y voir.
Lequel est repris par l'orchestre. Une
cantilène du seul piano occupe le centre du mouvement. Barenboim impose un certain nombre de ralentissements çà et
là. Le finale allegretto, de forme rondo, est très opératique dans cette
interprétation, vif, enjoué. Si le piano est conçu ici comme virtuose, la
symbiose soliste-orchestre reste très achevée. En écoutant Barenboim
égrener ces pages on ne pouvait pas ne pas se souvenir : que de chemin parcouru
depuis cette première intégrale donnée avec l'English Chamber
Orchestra dans les années 70 à Pleyel ! Jean-Pierre Robert. Attirante Première à Garnier : Eliogabalo
de Cavalli Francesco CAVALLI : Eliogabalo. Opéra en trois actes. Livret
anonyme. Franco Fagioli, Paul Groves,
Nadine Sierra, Valer Sabadus,
Elin Rombo, Mariana Flores,
Matthew Newlin, Emiliano Gonzalez Toro,
Scott Conner. Cheour de Chambre de Namur. Orchestre
Cappella Mediterranea, dir.: Leonardo García Alarcón. Mise en scène: Thomas Jolly. Opéra Garnier.
Ce n'est pas tous les jours qu'une maison
d'opéra peut s'offrir une Première assoluta. C'est
pourtant ce que vient de faire l'Opéra de Paris à la salle Garnier avec l'entrée
au répertoire d'Eliogabalo. Un spectacle qui
voit plusieurs ''premières fois'' céans : celles du chef argentin Leonardo García
Alarcón et du metteur en scène Thomas Jolly qui signe
également son premier opéra. Eliogabalo,
ultime ouvrage connu (1668) des 27 laissés à la postérité par le compositeur
vénitien (1602-1676) fort célébré au Seicento, narre
l'histoire peu édifiante de l'empereur Héliogabale qui régna sur Rome de 218 à
222 de notre ère, personnage sulfureux, débauché, pervers et sadique. Une
phrase dans la bouche d'une des femmes qu'il convoite, Gemmira,
ne le définit-elle pas : « Lui sait trouver le mal ». Comme sa
mégalomanie : « Je ne vaux pas moins que le Dieu tonnant ». L'opéra le
voit se mettre en scène jusqu'à sa propre décadence. Le schéma dramatique est
relativement simple : deux couples de jeunes amants voient leurs amours
contrariés par les caprices libidineux et la volonté de possession inassouvie
de ce César annonçant quelque Don Giovanni. « Sa vie est une flamme, son
règne un grand carnaval », remarque García Alarcón.
Chacun des trois actes culmine par une scène spectaculaire : le Sénat des
femmes, au Ier, où sous le travestissement, tout
semble permis, le banquet au II ème, prétexte à
projet d'empoisonnement d'un rival
encombrant Alessandro, et les jeux du cirque au dernier. Eliogabalo
dont le dessein d'ultime conquête ne se réalisera pas, périt sous les coups de
sa propre garde militaire, celle même qui l'avait hissé au pouvoir. Un lieto fine réunira les amants. Le livret dont l'auteur est
resté inconnu, mais où certains exégètes ont cru voir la plume de Busenello, le librettiste de Monteverdi, est d'une belle
qualité littéraire : la perfidie du langage rejoint la haine dans les actes. Le coup est d'avoir confié la régie à Thomas
Jolly, un des représentants très en vue de la jeune génération des metteurs en
scènes français, habitué des grands défis (ses Shakespeare à Avignon puis à
l'Odéon). Qui propose une vision finalement assez sage, là où l'on attendait
quelque excès. L'idée force de la dramaturgie a été de creuser dans le passé du
personnage pour en restituer la vraie personnalité, pas aussi hystérique et
dépravée qu'on le pense ; en tout cas ne penchant pas du côté d'un Néron ou
d'un Caligula. Mais plus centrée sur l'égocentrisme d'un homme pervers,
efféminé, capricieux, jouisseur et libertin. Jolly inscrit son parcours dans
une décoration à double entrée : un ensemble construit d'estrades et
d'escaliers censés décrire l'ordre romain et sa rigidité, et un travail
extrêmement élaboré sur la lumière pour restituer l'insaisissable du
personnage, son refus de l'ordre établi. Grâce à l'utilisation de projecteurs
fixes, empruntée au spectacle rock : de fins faisceaux lumineux sculptent
l'espace, le construisent ou le déconstruisent, créant des lieux éphémères, des
figures géométriques multiples renouvelant constamment la vision dramatique.
Reste que pour développer son potentiel visuel, cette technique nécessite de
s'inscrire dans un environnement noir, d'une certaine austérité. Pour
contrebalancer cet effet, des costumes aux couleurs chamarrées, notamment ceux
du personnage titre, qui empruntent au culte solaire, apportent une note
chatoyante bienvenue. Le parti est d'un esthétisme indéniable et l'achèvement
original, peut-être plus encore lors des confrontations intimistes que lors des
scènes d'ensemble.
L'autre artisan de la réussite est Leonardo
García Alarcón qui avec son merveilleux orchestre
Cappella Mediterranea insuffle une vie de tous les
instants à une partition magistrale. Qui privilégie un récitatif arioso, proche
du recitar cantando
montéverdien, et des courtes arias enchainées.
Comme de belles ritournelles dansantes. Surtout le chef dont on sait l'empathie
avec le compositeur (son Elena à Aix en 2013) ménage avec un sens inné
les enchainements soudains qui transforment l'atmosphère en un tournemain,
passant du tragique au registre plus léger, voire comique, dans les
interventions de la nourrice Lenia par exemple. Ce
passage sans solution de continuité du lamento à la franche gaité, marque de
fabrique de la musique baroque, qui est avant tout art du mouvement et du
contraste extrême, pour créer les émotions les plus variées. La plasticité
musicale confectionne un magnifique écrin pour les chanteurs. La distribution
est un sans faute, ce qui est hautement méritoire puisque chacun assurait une
prise de rôle. L'Eliogabalo de Franco Fagioli est un formidable achèvement aussi bien scénique
que vocal. À la démarche un brin étudiée dans sa gestuelle langoureuse et son
attitude d'enfant gâté, font écho un art consommé de la vocalise et un chant de
la plus haute tenue. L'ascension de ce contre ténor, qui s'affirme à chacune de
ses prestations, est un objet d'émerveillement. Paul Groves
est un Alessandro de stature : cet artiste qui fit les beaux soirs de l'ère
Mortier à Salzbourg, propose un ténor expressif et un chant dense comme un
personnage hiératique dont on ne doute pas un instant de la sincérité. Autre
contre ténor, le jeune Valer Sabadus
offre à Giuliano un timbre éthéré et une prestation qui s'affirme au fil de la
soirée. Nadine Sierra, Gemmira, et Elin Rombo, Eritea,
possèdent deux sopranos bien différenciés, tendu dans le premier cas, épousant
un destin dont l'issue tragique, une tentative de viol, est évitée de justesse, plus lyrique dans le
second, à l'appui d'une composition pathétique de femme déshonorée.
Remarquables aussi l'Atilia de Mariana Flores,
rafraichissante, et les compositions de Matthew Newlin,
Zotico, confident mais aussi amant d'Eliogabalo, et surtout d'Emiliano Gonzalez Toro qui campe une nourrice avantageuse plus vraie que
vraie, nantie d'un baryton bien sonore. La contribution du Chœur de Chambre de
Namur, qui n'a pas si souvent l'occasion de fouler les planches, est tout aussi
valeureuse, poursuivant là une
collaboration avec García Alarcón amorcée de longue
date. Pour reprendre une réflexion de celui-ci, il est réconfortant de
constater que Cavalli, qui fut appelé par Louis XIV et écrivit son opéra Ercole Amante (1662) pour le mariage du
souverain, puis congédié ensuite, fasse son retour plus de trois cents
cinquante ans plus tard à l'Opéra de Paris, institution héritière de l'Académie
royale de musique! Une jolie découverte. Jean-Pierre Robert. Le théâtre musical de Telemann au Festival Terpsichore
Pour l'un des concerts inauguraux de sa
troisième édition, le Festival Terpsichore avait installé ses quartiers dans la
salle Erard, rue du Mail à Paris. Un bijou de salle XIX ème
nichée au fond de la vaste cour d'un immeuble du Sentier. Et affiché un
programme Telemann : autour plus précisément du thème « Le théâtre musical
de Telemann ». Le musicien allemand (1681-1767) a excellé dans la forme de
l'Ouverture-suite. Un genre constitué d'une ouverture proprement dite et d'une
succession de mouvements au dessein descriptif, souvent illustratif d'un propos
qui se veut littéraire. Ainsi de L'Ouverture-Suite « Les Nations »
- dont le titre exact est « des nations anciens et modernes » -
composée vraisemblablement en 1721. Qui propose huit numéros : passé une
ouverture grandiose, et un menuet en trois parties, se succèdent diverses
séquences telles que « Les Turcs », figurant des hordes bruyantes,
« Le Suisses », nettement plus amènes, « Les Moscovites »,
où l'on perçoit les trois notes du curieux balancement des cloches du Kremlin,
et « Les Portugais », peu avares de gaité. Le
deux derniers mouvements, joués enchaînés, « Les Boiteux » et
« Les Coureurs », sont peut-être censés illustrer, comme le menuet
précité, la France et sa musique que Telemann aimait beaucoup et à laquelle il
ne manquait pas de rendre hommage. L'Ouverture-Suite Burlesque de Quixotte est encore plus descriptive :
puisqu'illustrant en sept morceaux, après l'ouverture, des scènes de la vie du
Chevalier à la Triste Figure : « Le réveil de Quixotte »,
« Son attaque des moulins à vent », morceau bien tournoyant comme il
se doit, les « Soupirs amoureux après la Princesse Dulcinée »,
« Sanche Panse berné » (c'est à dire jeté en l'air dans la tradition
espagnole, la musique décrivant ces envolées). S'en suivent encore « Le
galope de Rosinante », « Celui de
Sanche », deux équipées aux rythmes bien différents, et « Le couché
de Quixotte » où tout s'éteint peu à peu. Les
diverses séquences sont énoncées par le contrebassiste, Benoît Vanden Bemden, sur le mode amusé. Entre ces deux pièces
conséquentes, on aura entendu le Concerto Polonois.
Ses quatre mouvements sont inspirés de musiques polonaises : le dolce
introductif est une polonaise à quatre temps, l'allegro une danse de Moravie,
pleine de figures syncopées, le largo, une mazurka, et l'allegro final une
musique qui sent bien le terroir. Ces trois morceaux sont joués par l'ensemble
Masques, fondé en 1998 par le claveciniste Olivier Fortin (*1973) et composé de
six instrumentistes : outre le clavecin, deux violons, un alto, un cello et une contrebasse. Ce type de formation leur confère
un caractère chambriste fort attractif, d'une belle expressivité avec un piment
théâtral bienvenu. Le disque reprenant ces trois œuvres doit
paraitre début novembre chez Alpha, qui comprend encore l'Ouverture-Suite en la majeur proposant, cette fois, une succession de danses
françaises : Branle, Gaillarde, Sarabande, Réjouissance, Passepied
et Canarie (1CD Apha 256. TT.: 66'54). Jean-Pierre Robert. L'Orchestre Philharmonique de Radio France & Mikko Franck :
Une superbe ouverture de saison à l'Auditorium
Pour l'ouverture de la nouvelle saison au
Grand auditorium de Radio France, l'Orchestre Philharmonique et son directeur
musical Mikko Franck avaient choisi un magnifique programme associant le
compositeur finlandais Einojuhani Rautaavara
(1928-2016) disparu en juillet dernier, Max Bruch et Richard Strauss. La Messe
pour enfants (1973), Lapsimessu,
de Rautaavara est une des nombreuses œuvres composées
pour voix d'enfants par le compositeur finlandais, elle juxtapose trois
mouvements vocaux a capella sur des textes de la messe latine et trois
méditations instrumentales dévolues aux cordes évoluant par amples vagues
sonores, avant que les deux groupes ne se rejoignent pour donner à l'Halleluja final tout son potentiel d'évocation dans une
sensation de culmination recueillie. Il est certain que le récent décès de Einohuhani Rautaavara
donnait à cette pièce, conçue comme un hommage, une profondeur et une gravité
d'interprétation exceptionnelles particulièrement évidente dans la sonorité
très méditative des cordes contrastant avec la juvénilité des voix de la
Maitrise de Radio France. Venait ensuite
le Concerto n° 1 pour violon et orchestre de Max Bruch
(1838-1920), un des quatre grands concertos romantiques allemands. De cette
pièce incontournable du répertoire pour violon, Renaud Capuçon
donna une lecture très convaincante, alliant virtuosité, lyrisme, souplesse,
élégance, parfaitement accordée avec l'orchestre superbement conduit par Mikko
Franck. Après la pause, la Symphonie
alpestre de Richard Strauss concluait la soirée. Sorte de poème
symphonique, voyage initiatique conduisant vers les sommets, analogie avec la
vie humaine, hymne à la nature reprenant
l'essentiel des thèmes du romantisme germanique, un propos très ambitieux
expliquant sans doute l'effectif orchestral colossal que le chef finlandais
mena, une fois de plus, avec intelligence, équilibre et maestria pour le plus
grand plaisir du public et des musiciens ! Une très belle soirée et une
ouverture de saison très réussie qui nous promet encore de grands soirs ! Patrice
Imbaud. Cycle Mozart-Bruckner à la Philharmonie de Paris : Daniel Barenboïm
et la Staatskapelle de Berlin
La célèbre phalange
« prussienne » Staatskapelle Berlin,
vieille de cinq siècles dont la naissance remonte à 1570, créée par le prince
électeur de Brandebourg, était de passage à la Philharmonie de Paris dans le
cadre d'une tournée européenne, sous la direction de son chef titulaire depuis
1992, le pianiste et chef d'orchestre éminemment reconnu dans le monde entier,
Daniel Barenboïm. Une dualité artistique expliquant probablement l'association
des deux compositeurs, Mozart et Bruckner, dans un même programme. Association
relevant plutôt du mariage de la carpe et du lapin tant il s'agit là d'univers
sonores bien différents, mais un retour à l'unité assuré par la personnalité
même du chef israélo-argentin reconnu conjointement comme un pianiste
remarquable, à qui l'on doit la première intégrale des concertos pour piano et
orchestre de Mozart enregistrée avec l'English Chamber
Orchestra, et un chef d'orchestre tout aussi remarquable, à qui l'on ne doit
pas moins de trois intégrales au disque des symphonies de Bruckner,
enregistrées avec les Berliner Philharmoniker,
le Chicago Symphony Orchestra, et enfin la Staatskapelle de Berlin ; celle-là même avec laquelle il
donne la présente intégrale en live. Des concerts d'ouverture de la saison, on
l'aura compris, capables d'attirer les foules à la Philharmonie par le prestige
des interprètes et par la curiosité et la densité du programme. Le premier concert associait le Concerto n° 24 de Mozart et la Symphonie n° 4 dite « Romantique »
de Bruckner. Il convient de signaler d'emblée l'exceptionnelle qualité
musicale de la Staatskapelle de Berlin qui jamais ne
se démentira tout au long de cette série de quatre concerts. Le Concerto n° 24 date de 1786, composé
dans la douleur morale et matérielle, qui ne cessera plus d'accabler le
compositeur jusqu'à sa mort, est
caractérisé par l'équilibre existant entre soliste et orchestre avec une grande
importance accordée aux vents. Pathétique, expressif, intériorisé et profond,
chargé de détresse et de joie, il s'agit indiscutablement d'une des plus belles
compositions mozartiennes. Dirigeant du piano Daniel Barenboïm, après une
entame empreinte de gravité, en donna une vision assez convaincante associant
subtilement drame et cantabile. Après une cadence du premier mouvement un peu
modifiée par ses soins, le mouvement lent séduisit par sa délicatesse, la
clarté et la souplesse de son phrasé, avant un mouvement final plein d'énergie
où le soliste s'amusa, avec pertinence et brio, à répondre aux différentes
interventions orchestrales. Après la pause, la première symphonie brucknérienne
choisie par le maestro était la Symphonie
n° 4. Composée en 1874, elle connut plusieurs révisions, comme souvent chez
Bruckner, avant sa version définitive qui fut donnée en 1881 sous la direction
de Hans Richter. De caractère à la fois rêveur, idéaliste, conquérant et
visionnaire, la quatrième symphonie pourrait être interprétée comme un hymne à
la Nature (d'où son titre ?) et comporte quatre mouvements, le premier marquant
le début d'une lente ascension vers la lumière annoncée par un appel de cor, le
second en forme de marche funèbre d'une sublime beauté, majestueuse (altos), un
troisième, célèbre tableau de chasse avec une forte dominante cuivrée, jamais
confuse, très contrastée et nuancée, avant de conclure sur un final véhément et
péremptoire ne laissant aucune place au doute, avec une coda grandiose
s'élargissant aux dimensions mêmes de la Création dans une puissance
visionnaire. Daniel Barenboïm en donna une vision, somme toute, assez classique
s'appliquant à sculpter admirablement la masse sonore jusqu'à la transparence,
dans un constant souci de clarté, mais sans ferveur, prisonnier d'une immanence
apollinienne. Une progression transversale alors que nous l'aurions largement
préféré plus verticale. Point de verticalité non plus lors du
deuxième concert mettant en miroir le
Concerto n° 27 et la Symphonie n° 5. Le Concerto
n° 27, composé en 1791, est le dernier concerto pour piano du compositeur
salzbourgeois. Écrit dans un contexte socialement défavorable mais porté par un
grand élan créateur il est contemporain des derniers chefs d'œuvres, nous
laissant une impression douce amère mêlant sourire et larmes. Différent du Concerto n° 24, il se développe dans un
climat clair obscur, plus sombre, sans galanterie. Toujours d'une absolue
maitrise du clavier Daniel Barenboim nous en livra
une fois encore une lecture éminemment classique, arguant d'une belle sonorité
non exempte d'une certaine lourdeur dans le troisième mouvement. Mais le plus
dur restait à faire avec la Symphonie n°
5 d'Anton Bruckner. Une œuvre d'une redoutable difficulté d'interprétation
du fait de l'âpreté et de la complexité de son écriture contrapuntique majorée
encore par la gravité du message véhiculé, car, comme à son habitude, c'est à
Dieu que s'adresse le compositeur de Saint Florian. Une symphonie composée en
1876, contemporaine de la création du Ring
wagnérien, à la dramaturgie complexe, au final grandiose entrelaçant fugue et
choral, considérée comme la symphonie la plus théologique du compositeur.
Véritable cathédrale sonore, il ne l'entendit jamais. Elle nécessite un complet
engagement de l'orchestre et une précision d'exécution qui en rebuta plus d'uns
parmi les plus grands. Daniel Barenboïm avait choisi en la circonstance de
renforcer l'effectif des vents et notamment des cuivres. Un choix qui s'avèrera
peut être plus délétère que judicieux (ce renforcement de cuivres ne devant se
limiter qu'au Finale et encore…) ayant pour effet immédiat non pas d'élever le
discours, mais à l'inverse d'en majorer la lourdeur. Une interprétation
classique donc, d'une réalisation orchestrale parfaite, avec des vents
irréprochables, équilibrée avec une gestion savante des crescendos, d'une
lumineuse clarté et d'une parfaite cohérence architecturale, à laquelle
manquait toutefois l'élévation, l'allant et la ferveur qui marquent les
interprétations de référence, comme celles de Jochum en particulier. Pour le quatrième et dernier concert de la
série, point de concerto pour piano,
remplacé par la Symphonie concertante
pour hautbois, clarinette, cor et basson de Mozart, appariée à la
célébrissime Symphonie n° 7 de
Bruckner. Une soirée commençant donc par une énigme tant cette symphonie
concertante pose de problèmes concernant, au premier chef, sa genèse. Il semble
que cette œuvre, dont la forme est assez inhabituelle dans la production
mozartienne, ait été initialement prévue pour être jouée à Paris au Concert
Spirituel par des instrumentistes de Mannheim. Le début de la composition se
faisant lors du séjour du compositeur à Paris en 1778. Du fait d'intrigues
locales (?) cette symphonie ne sera pas donnée, Mozart laissant la partition à
Paris… Elle ne réapparut que bien plus tard, en 1870, laissant planer un doute
sur sa paternité mozartienne puisqu'oubliée pendant près d'un siècle !
Quoi qu'il en soit, il existe indubitablement des traits mozartiens, ne serait
que par le charme caractéristique qui s'en dégage à partir du double dialogue
entretenu par les quatre solistes et par l'orchestre, dans un discours d'une
grande souplesse. Compte tenu de la qualité des pupitres de vents de la Staatskapelle, on imagine aisément que Gregor Witt au
hautbois, Matthias Glander à la clarinette, Ignacio Garcia au cor et Mathias Baier au basson surent faire leur miel d'une telle aubaine,
nous donnant à entendre, ce soir, une interprétation d'anthologie. Venait
ensuite la Symphonie N° 7 d'Anton
Bruckner. Symphonie célèbre, symphonie très attendue, symphonie dont
l'interprétation fut probablement la plus réussie de cette série, comme si les
doutes entachant les interprétations précédentes avaient finalement disparu,
laissant la composition brucknérienne resplendir de toute sa clarté, de toute
sa plénitude. Composée en 1883 cette symphonie constitue un véritable hommage,
notamment dans l'adagio, au maitre de
Bayreuth que Bruckner chérissait. Quatre mouvements s'y succèdent, le premier
assez complexe dans son architecture laissant une large place au silence et aux
ruptures rythmiques au point de paraitre parfois décousu, le second empreint de
déploration contenue s'achevant dans un climat de consolation, assez
théâtralisé par la direction de Barenboïm, le troisième très rythmique bien
mené et un final conduisant à une coda lumineuse. Une interprétation, encore
une fois éminemment classique, parfaitement claire et équilibrée, sans lourdeur
cette fois, tendue par une bonne dynamique, sans sacrifier à la beauté de
l'instant, ce qui serait, avouons-le, dommage avec une phalange d'une telle
qualité, mais d'émotion peu. Et de ferveur pas. Prochains rendez-vous en janvier et septembre 2017. Patrice Imbaud.
***
L'ÉDITION MUSICALE
FORMATION
MUSICALE René
CHAMPIGNY : Traité pratique de
contrepoint tonal. Le contrepoint d'espèce. Billaudot :
G9637B. Ce traité de contrepoint rigoureux met en
œuvre les principes de base de l'écriture tonale. Il peut s'étudier en même
temps que l'harmonie tonale. Certes, le maître reste indispensable, mais cet
ouvrage prend vraiment l'étudiant par la main, étape par étape. Il est d'une
grande clarté. Chaque explication est illustrée par des exemples
particulièrement pertinents. Ces exemples sont souvent tirés du répertoire. Des
exercices sont proposés. Bref, l'ensemble est très complet et devrait rendre de
grands services. CHANT Nicolas
CHEVEREAU : Rêve sur le Nil. Trois
mélodies sur des poèmes de José-Maria de Heredia. Moyen. Delatour :
DLT2651. Les trois poèmes sont : « Sous
l'azur triomphal », « Tous deux » et « la Lune sur le
Nil ». On connait la musique propre à la poésie de José-Maria de Heredia.
L'auteur enveloppe ces textes d'harmonies subtiles, « une musique
lumineuse et colorée » dit-il à juste titre. Paysages et personnages de
l'Egypte antique sont remarquablement évoquée dans une
musique qui s'adresse autant à l'oreille qu'au cœur. Les harmonies s'enchaînent
dans un discours fait de tonalités diffuses et chatoyantes. C'est tout
simplement une belle œuvre. Nicolas
CHEVEREAU : Musée en Musique. Cycle
de mélodies sur des poèmes de Paul Éluard.
Delatour : DLT2544. Si l'œuvre peut se décomposer de la manière
suivante : Prélude 2'25, 1. Marc Chagall 3'35,
2. Oscar Dominguez 3' 3. Gérard Vulliamy
2'45 4. Cicero Dias 1'35 5. Jean Fautrier 1'45
6. Jacques Villon 3' 7. Pablo Picasso 1'55, il n'en reste pas moins qu'il
s'agit d'un ensemble construit qui s'enchaine et doit être interprété dans son
intégralité. L'absence de ponctuation des poèmes a amené l'auteur à enchaîner
les mélodies par un « conduit » qui permet de passer d'une ambiance à
une autre. La fin de l'œuvre est une véritable explosion de joie. Souhaitons
que beaucoup de chanteurs s'emparent de ce remarquable cycle. CHANT
CHORAL PERGOLÉSE : Messe en Fa Majeur « Missa Romana » pour deux ou quatre chœurs. Urtexte. Bärenreiter : BA 8958. Chant et piano :
BA8958-90. Ecrite
en 1734, il s'agit vraisemblablement de l'œuvre la plus importante pour chœur
et orchestre de Pergolèse. Pour la première fois, cette édition présente la
version pour quatre chœurs que Pergolèse a écrite pour l'exécution de l'œuvre à
Rome du vivant de l'auteur. C'est dire tout l'intérêt de cette édition
comportant par ailleurs une très intéressante introduction et un commentaire
critique de Malcolm Bruno et Caroline Ritchie. ORGUE Serge
OLLIVE : Miniatures op.40 pour
orgue. De facile à difficile. Waldhorn Editions
(auto-label) : WH-4516170. Ces « douze pièces à caractère
pédagogique pour montrer les jeux d'orgue » remplissent parfaitement leur
office. Mais l'auteur est bien modeste car il ne s'agit en rien d'études ou de
pièces purement démonstratives. C'est une excellente musique qui nous présente
douze courts tableaux (chaque pièce dure environ deux minutes) qui peuvent
aussi bien se donner en concert que servir pendant le culte. Pour s'en
convaincre, on peut les écouter sur You Tube https://www.youtube.com/watch?v=zZ9SIutmNXQ
Rappelons également que les partitions sont téléchargeables sur le site http://www.sergeollive.com/ PIANO Marc
KOWALCZYK : Au cœur du piano. Volume
1. Première année de piano. Réédition. PL.2144. Volume 2. Deuxième année de
piano : P.L.2145. Quatre mains : P.L.2146. Manifestement, cette méthode plait,
puisqu'elle nécessite, douze ans plus tard, une réédition. Elle est très
progressive et s'adresse aux enfants dès l'âge de cinq ans. Chaque volume
comporte vingt-quatre leçons qui comprennent toutes les notions, y compris de
solfège, pour aborder le clavier. L'auteur a composé de petites pièces dans
tous les styles, du baroque au jazz, sans oublier la musique contemporaine. Le
premier volume contient pas moins de soixante-huit pièces originales dont vingt
pour piano à quatre mains. Précisons que ces quatre-mains sont destinés à être
interprétés par deux élèves de même niveau, ce qui présente un intérêt
pédagogique évident. L'ensemble est très clair, édité en polychromie. Les
petits dessins humoristiques de Maëlys Gallenmuller égayent fort agréablement les recueils sans
les surcharger mais au contraire en aidant les pages à respirer et en excitant
l'imagination des élèves (et des professeurs…). Enfin, cette réédition permet
d'utiliser les techniques nouvelles : sur le site http://www.aucoeurdupiano.com on
trouvera une vidéo de démonstration et tous les renseignements pour acquérir la
méthode en ligne et avoir accès à toutes les leçons. Souhaitons simplement que
les professeurs n'oublient pas de former l'oreille de leurs élèves en leur
faisant chanter les petits morceaux, et en les faisant jouer par cœur… Mais
c'était sans doute inutile de le rappeler… La progression du deuxième volume
est exigeante. Cette méthode s'adresse évidemment à des élèves motivés et
travailleurs. Elle aidera puissamment à la motivation par la qualité des
exercices et morceaux proposés. Pour le travail, souhaitons qu'il suive ! Le volume de quatre-mains reprend les
quarante pièces contenues dans les deux volumes de la méthode. Frédéric
CHOPIN : Vingt-quatre Préludes pour
le piano. Op. 28. Prélude pour le
piano. Op. 45. Urtext. Bärenreiter :
BA9610. A quoi bon, dira-t-on, une nouvelle édition
des Préludes de Chopin ? Et
pourtant celle-ci mérite de retenir notre attention par le remarquable travail
d'édition effectué par Christoph Flamm, qui a
réévalué les sources, permettant d'affiner encore une lecture critique de ces
œuvres si connues. D'autre part, Hardy Rittner,
éminent pianofortiste, a revu et complété les doigtés
de Chopin et donne de précieuses indications d'interprétation notamment en ce
qui concerne l'usage de la pédale, la pratique du rubato et du legato… Bref,
par ses préfaces et son appareil critique et ses indications pour
l'interprétation mérite de figurer dans la partothèque de tous les pianistes. Sébastien
TROENDLÉ : Méthode de Boogie-Woogie.
Niveau avancé. Lemoine : HL 29294. Nous avons rendu compte, le mois dernier,
du premier volume de cette méthode qui présente un grand intérêt. Dans ce
deuxième volume, on trouve, comme dans le premier, des conseils techniques, des
morceaux sur-mesure présentés de façon progressive afin de mieux comprendre
comment ce construit cette musique. L'auteur présente sur son site l'ensemble
des morceaux des deux méthodes en plusieurs versions. C'est d'autant plus
indispensable qu'il ne suffit pas de jouer les notes au bon tempo pour faire du
boogie-woogie ! (pas plus que pour jouer Chopin, d'ailleurs…). Donc, il
faut se connecter à l'onglet « Méthode de boogie »
et choisir son niveau… http://www.sebastientroendle.com/ LANG LANG : La
méthode de piano Lang Lang niveaux 1 – 2 – 3.
Lemoine : HL 29 295 – 29 296 – 29 297. Les éditions Lemoine publient en français
cette méthode publiée précédemment en anglais par les éditions Faber. Il s'agit d'une véritable méthode « pas à
pas » à suivre à la lettre. Elle est très progressive, En regardant les
textes, on ne s'aperçoit à aucun moment qu'il s'agit d'une traduction :
les explications sont simples, claires, précises, les indications de théorie le
sont également. L'ensemble des morceaux proposés dans les trois volumes est en
ligne sur le site de l'éditeur ou sur YouTube et peut
facilement être téléchargé. A chaque professeur de se servir avec intelligence
de ce remarquable outil. Rose-Marie
JOUGLA : Après l'orage pour
piano. Assez difficile. Delatour : DLT2628. C'est avec des harmonies contemporaines que
l'auteur nous décrit l'orage et ses suites : « senteurs, gouttes de
pluie, feuille suspendue à une toile d'araignée, écureuil venant grignoter et
fin d'après-midi sereine. » Tel est le paysage évoqué par Rose-Marie Jougla. L'ensemble demande une grande maîtrise du son sous
tous ces aspects : brumeux, enveloppé, perlé… Ce n'est pas une œuvre pour
débutant. Jean-Jacques
WERNER : Que t'a dit l'oiseau
prophète ? pour piano. Delatour :
DLT2674. Jean-Jacques Werner nous explique comment
cette œuvre constitue un hommage à son ami le compositeur Antoine Tisné, en souvenir d'une conversation sur la pièce bien
connue, extraite des Waldscenen
de Robert Schumann. On y retrouve toutes les qualités habituelles d'écriture du
compositeur : sens des sonorités, des atmosphères… Bref, souhaitons
beaucoup de succès à cette œuvre créée le 6 mai 2009 par Geneviève Ibanez. Michel
CHEBROU : Maïto pour piano. Débutant. P.L.3043. Si cette pièce permettra de mettre en place
la noire pointée croche, ce n'est pas son seul mérite ! Il est toujours
difficile d'écrire pour débutant et cette jolie petite valse prouve une fois de
plus qu'on peut charmer avec peu de moyens. Elle a également l'avantage de
faire passer le chant de la main droite à la main gauche. Outre la diversité
ainsi introduite, ce sera excellent pour la formation de l'oreille. Arletta
ELSAYARY : Dimanche à Giverny pour
piano. Elémentaire. Lafitan : P.L.3045. Nous supposerons qu'il est inutile de
rappeler aux professeurs que Giverny est le lieu du sublime jardin de Claude
Monet… Il ne sera sans doute pas inutile d'en parler et surtout de le montrer
aux élèves. Deux parties dans cette promenade dominicale : un 2/4 très
tranquille dans un la mineur apaisé puis un 6/8 plutôt en do majeur, même s'il
module allègrement mais avec un rythme berceur. Tout cela est bien poétique et
en accord avec l'atmosphère du lieu. L'ensemble porte à la rêverie propice à
l'évocation des célèbres nymphéas… HARPE Pascal
PROUST : Shadows pour harpe. Fin 1er cycle. Sempre più : SP0240. Ombres ?
Ombrages ? peu importe : c'est toute une
ambiance que le harpiste devra créer en passant par des paysages où la mélodie
apparait tantôt au soprane, tantôt à la basse. Ce qui comptera avant tout,
c'est l'histoire que nous racontera l'interprète avec toute la délicatesse qui
s'impose. Changements de rythme, de style, de tonalité : autant de
paysages nouveaux à faire découvrir. C'est une pièce attachante qui plaira
certainement beaucoup. ACCORDEON Bruno
GINER : Aïn pour accordéon. Difficile. Delatour : DLT2714. Qu'on ne se laisse surtout pas prendre à la
nomenclature : l'instrument est ici utilisé dans toutes ses possibilités
avec une écriture résolument contemporaine. Voici comment l'auteur présente sa
pièce : « Aïn signifie « source » en arabe.
Dans l'immensité des dunes de sable, le désert, la source est synonyme de vie.
En musique, ce mot peut évoquer l'inspiration, le jaillissement ou l'énergie
vitale. Ici, l'accordéon se prête particulièrement bien à cette énergie. Source
d'aigus scintillants, accords jaillissants, rythmes obstinés, souffles et
petites percussions, la principale caractéristique de cette pièce est
l'intensité physique qu'elle requiert : une source d'énergie. » Fabrice
TOUCHARD : Danse égyptienne. Pièce
pour accordéon. Elémentaire. Lafitan : P.L.3099. Construite sur le modèle refrain – couplet
– refrain, cette pièce aurait été appelée autrefois « pièce de
caractère ». L'atmosphère est bien orientale avec sa gamme à deux secondes
augmentées, avec son caractère monodique également. En effet, l'accompagnement
est essentiellement rythmique que ce soit par des séquences tonique
dominante ou tout simplement par des rythmes sur le soufflet. Le tout ne
manque pas de charme : l'inspiration mélodique est tout à fait
intéressante. Fabrice
TOUCHARD : Sérénade normande. Pièce
pour accordéon. Débutant. P.L.3097. Après l'Egypte, voici la Normandie
représentée par une sérénade qui a aussi des allures de marche avec son rythme
bien carré et sa mélodie joyeuse et entrainante. La partition comporte deux
versions : l'une pour basses standards et l'autre pour basses
chromatiques. Les élèves auront certainement beaucoup de plaisir à jouer ce
charmant petit morceau. ALTO Félix
MENDELSSOHN : Romance sans paroles
n° 1 op. 19. Transcription pour alto et piano de François MÉREAUX. Préparatoire. Lafitan :
P.L.3040. Ces œuvres de Mendelssohn ont été bien
souvent transcrites, notamment la célèbre « Chanson de printemps ».
Celle-ci est également très connue. La transcription a donné lieu à une transposition.
Sinon, l'ensemble est très fidèle à l'original et on ne peut que se réjouir du
fait que les altistes puissent ainsi découvrir une si belle œuvre. Et puis ce
sera sans doute l'occasion de leur faire découvrir l'original… et les autres Romances sans paroles. VIOLONCELLE Christophe
PICOT : Patmos pour violoncelle
et piano. Fin 2ème cycle. Sempre
più : SP0203. Voici une pièce lyrique et tourmentée aux
accents tragiques. Est-ce une allusion à l'Apocalypse que l'apôtre Jean est
censé avoir rédigé en exil sur cette île grecque ? En tout cas, on est
entraîné dans un tourbillon qui ne peut laisser indifférent. C'est une belle
œuvre qui mérite d'être donnée en concert. CONTREBASSE Gilles
MARTIN : Que dis-tu tout bas ? Pièce
en 3 mouvements pour contrebasse et piano. Préparatoire. Lafitan :
P.L.3008. Le premier mouvement est un Andantino, bref
mais fort joyeux, où piano et contrebasse dialoguent avec entrain dans un
discours plein de bonhommie. Le deuxième mouvement n'est pas un mouvement lent.
C'est au contraire un Deciso qui se joue entièrement
sur mi, la, ré, sol, (sauf dans la dernière mesure) dans de petites formules
rythmiques ponctuées d'accords du piano. Quant au troisième mouvement, le plus
développé, c'est un Allegro giocoso de carrure très classique où le piano se
situe davantage en accompagnateur qu'en partenaire. Tout cela n'engendre pas la
mélancolie ! Pascal
PROUST : El diablito
pour contrebasse et piano. Premier cycle. Sempre
più : SP0215. L'auteur nous offre plutôt un bon petit diable,
décidé mais en même temps rêveur et mélancolique. La pièce présente beaucoup de
charme. Le piano accompagne placidement la déambulation rêveuse du petit
diable. Le contrebassiste s'exprimera tant à l'archet qu'en pizzicati mais
toujours avec lyrisme. FLÛTE
TRAVERSIERE Octave
JUSTE : Parfums. Onze fragrances
sonores pour flûte. 1er et 2ème cycle. Sempre più : SP0206. Nous ne résistons pas au plaisir de citer
l'auteur lui-même : « Ce flacon-recueil est une tentative de mise en
sons de différentes senteurs selon une approche consistant à distiller le
pouvoir d'évocation de celles-ci vers ceux-là et vice versa. La méthode
utilisée est tout à fait non-scientifique et absolument indescriptible. Le
résultat final, quant à lui, éphémère et invisible, vous appartient. » Souhaitons que beaucoup de flûtistes se
laissent séduire par ces parfums pleins de charme et d'inattendu, et toujours
assemblés avec un goût parfait… FLÛTE
A BEC Max MÉREAUX : Historiette
pour flûte à bec soprano et piano. Préparatoire. Lafitan :
P.L.3035. Voici que Max Méreaux
nous raconte une nouvelle historiette qu'Aspasie ne pouvait pas
connaître ! C'est une bien charmante et
primesautière pièce construite sur un rythme joyeux. Piano et flûte se livrent
à de petits contrepoints. La flûte se lance même dans une brillante cadence.
L'ensemble est bien agréable à écouter autant qu'à interpréter. CLARINETTE Octave
JUSTE : Parfums. Onze fragrances
sonores pour clarinette. 1er et 2ème cycle. Sempre più : SP0204. On se reportera pour cette œuvre à la
version pour flûte traversière recensée plus-haut. Gilles
MARTIN : Carnaval pour
clarinette en sib et piano. 1er
cycle. Sempre più : SP0218. Les trois courtes pièces qui composent ce Carnaval ont en commun la bonhommie et
la bonne humeur. Comment ne pas être optimiste après avoir joué ou avoir
entendu ces tablotins pleins d'humour ? La
partie de piano sera assez facilement jouée par un élève de niveau moyen. Ce
pourra être une bonne occasion de faire de la musique d'ensemble… Alexandre
OUZOUNOFF : Yaghan pour clarinette seule. Fin de 1er
cycle. Sempre più : SP0211. Sans doute ce titre un peu sibyllin se
rapporte-t-il aux amérindiens de la Terre de Feu. Il s'agit d'une commande du
CRD d'Evreux dans le cadre de la résidence du compositeur. Effets sonores,
onomatopées musicales se succèdent avec des changements de rythme,
d'articulation, d'intensité. L'interprète devra se construire un récit ou un
paysage intérieur pour donner un sens à tout ceci.. Pascal
PROUST : Black-basse pour clarinette basse et piano. Fin 2ème
cycle. Sempre più : SP0255. Cette pièce à l'allure un peu sombre, ce
qui n'est pas étonnant étant donné son titre, se déroule sur un rythme qui
rappelle la habanera. Elle se termine par un long passage à la clarinette seule.
L'ensemble est plein de charme et permettra à l'interprète d'exprimer toute sa
sensibilité. SAXOPHONE Gilles
MARTIN : Carnaval pour saxophone
en mib ou en sib et piano. 1er cycle. Sempre
più : SP0218. Il s'agit de la même œuvre qui a été recensée
en version clarinette, ci-dessus. Ivan
BOUMANS : About the night pour
saxophone et piano. Fin 2ème cycle. Sempre
più : SP0208. Il s'agit d'une commande de l'Union Grand
Duc Adolphe pour le Concours Luxembourgeois et Européen pour Jeunes Solistes de
2014. Le sous-titre « Lullaby for eyes closing… »
« Berceuse pour yeux en train de se fermer… » donne
bien le caractère de cette pièce pleine de poésie et de charme. Ce n'est pas
seulement une berceuse, c'est une évocation rêveuse qui déroule un discours varié.
Une cadence ad libitum ponctue l'œuvre. Deux allegros semblent suggérer des
rêves plus mouvementés. L'un est intitulé : « let the night sleep… ». Le tout est plein d'intérêt. TROMBONE Jérôme
NAULAIS : La plume au vent pour
trombone et piano. Préparatoire. Lafitan :
P.L.2986. Commençant par un « tranquille »
déroulant une jolie mélodie très chantante, le morceau se continue par une
« danse » dont le thème justifie pleinement le titre de l'œuvre,
thème qui passe du piano au trombone avant de se transformer en une joyeuse
danse paysanne. Commençant en si bémol Majeur puis se poursuivant en fa, la
pièce se termine par un brillant la bémol Majeur qui
éclate dans un paroxysme bien excitant. L'ensemble est varié, fort agréable et
roboratif. Vive la plume au vent ! SAXHORN/EUPHONIUM/TUBA Rémi
MAUPETIT : Am Stram
Gram pour saxhorn basse/euphonium/tuba et piano. Débutant. Lafitan : P.L.3018. Le titre fait allusion au rythme et à la mélodie un peu répétitifs de cette très agréable pièce
qui se déroule sur un rythme martial. Saxhorn et piano dialoguent avec bonheur.
L'ensemble est carré, tonal et plein de bonne humeur. MUSIQUE
DE CHAMBRE Serge
OLLIVE : Valse molle Op. 111
pour clarinette et quatuor à cordes. Moyen. Waldhorn
Editions (auto-label) : WH-4509111. Le moins qu'on puisse dire, c'est qu'elle
ne manque pas d'humour, cette Valse
molle, avec son caractère à la fois poétique et complètement… déjanté, si
nous pouvons nous permettre cette expression ! Le tout est remarquablement
écrit et bien agréable à écouter sur You Tube ou sur le site de l'éditeur.
Ajoutons qu'il en existe une version pour orgue seul (à éviter pendant les
offices…). Denis
CHEVALLIER : In memoriam JSB pour
violon et orgue. Difficile. Delatour : DLT2568. Après quatorze mesures Vivace de l'orgue avec des accords haletants suit un adagio où le
violon déroule une longue phrase lyrique. Puis, peu à peu, le mouvement
s'accélère, qui aboutit de nouveau à un vivace. Le tout s'enchaine à un Lent et très calme où violon et orgue se
fondent dolcissimo. Enfin, l'œuvre se termine par un peu lent : lointain dans une ambiance éthérée qui se
termine par un ppp. Violon et orgue
s'unissent dans un travail de timbres tout à fait intéressant. L'orgue n'est
pas l'accompagnateur mais les deux instruments se mélangent en une sorte de
fusion où chacun, cependant, garde son rôle. Loïc
MALLIÉ : Entre les
lignes pour violon et orgue. Moyen. Delatour :
DLT2639. L'œuvre est construite sur la
complémentarité des timbres des deux instruments. L'orgue joue sur les fonds
doux tandis que le violon se déploie sur toute l'étendue de son registre. Les
deux instruments dialoguent intimement dans une parfaite osmose. Le tout est
profondément lyrique et méditatif. ORGUE Guy
MIAILLE : Cortège
pour une Noce. Santilly, Édition Les Escholiers (17, rue du Bois, 28310 SANTILLY, <gmiv.esg@wanadoo.fr> ou <edesco@orange.fr> , E.S.G 2016 CN-GM. 5 p. (avec CD : 2' 48). Sous-titrée,
préfacée : « En ce beau jour, pour Nicole et François, avec
l'affectueuse approbation de Michel [leur père décédé récemment] », cette
partition rendra service aux organistes soucieux de varier leur répertoire pour
une cérémonie de mariage. À l'attention de nos lecteurs, Guy Miaille, compositeur et organiste, nous a précisé sa
démarche qui, à notre avis, s'apparente à celle d'un petit poème symphonique en
5 épisodes destinés à cette solennité : 1. Marche solennelle et joyeuse 2. Évocation
d'un avenir serein 3. Affirmation du
caractère solennel de la marche 4.
Parenthèse discrète à l'orgue : regard affectueux et attendri du père
récemment disparu 5. Fin d'une cérémonie solennelle annonciatrice
d'une vie de bonheur. Dès les premières mesures, le caractère solennel,
sous la forme d'une ouverture à la française avec rythmes pointés au grand
orgue, évoque la marche du cortège qui s'avance, puis son arrivée dans
l'Église, avec retour du rythme pointé à toutes les parties pour aboutir
progressivement au point d'orgue. À noter l'excellente saisie musicale,
l'indication précise des jeux recommandés et l'interprétation de Guy Miaille lui-même à son orgue personnel. Édith Weber.
***
LE COIN BIBLIOGRAPHIQUECharlotte POULET et Nicolas BÉNARD (dir.)
: Chant pensé,
chant vécu, temps chanté. Formes, usages et représentations des pratiques
vocales. Sampzon, DELATOUR FRANCE (www.editions-delatour.com ), 2016, BDT0001, 426 p. 32 €. Le chant
« dans tous ses états », sujet d'actualité, a suscité une vaste
littérature s'adressant à un lectorat artistique et scientifique multiple et
qui bénéficiera d'approches diversifiées, parfois inattendues mais
complémentaires. Charlotte Poulet, anthropologue sociale, ethnologue, et
Nicolas Bénard, spécialiste de l'histoire des musiques extrêmes, ont réuni une
vingtaine d'études autour du chant privilégiant, entre autres, les rites et les
rituels, l'interprétation et l'écoute, l'action et l'identité nationale du
chant en liaison avec les « notions de temps » (selon Paul Ricœur).
Les divers auteurs convient les lecteurs à un parcours géographique,
ethnomusicologique, anthropologique à la fois dans le temps et dans l'espace.
Pour mieux comprendre ces réflexions, ils auront intérêt à consulter le Lexique (p. 423-424) et des ouvrages de
base connus (J. During : contraintes
sociales ; A. Hennion : pratique de la musique ; M.
Segalen : rites et rituels ; P. Zumthor :
chanson et poésie des Trouvères). À l'appui de nombreuses observations prises
sur le vif, d'illustrations et de descriptions judicieuses, ce volume si dense
souligne les propriétés formelles du chant, de la pratique vocale, ou encore de
la danse, des joutes oratoires, bref : la médiatisation du chant aussi en
tant que « pratique sociale ». Le chant
« pensé et vécu » confère un sens à l'expérience individuelle et
collective ; il transmet les émotions, peut solliciter l'imagination,
évoquer, entre autres, le passé, des souvenirs, la séparation et la douleur,
l'oppression, la passion amoureuse, la mélancolie à travers les rites et
rituels, les mythes associés aux problèmes de langage et d'identité. Le chant
propose une vision du monde ; il est tributaire de mises en situation dans
le temps et dans l'espace, depuis la voix du rossignol jusqu'à celle du ténor
mythique. À des degrés divers et en fonction de leur état de curiosité, les
musicologues et ethnomusicologues, interprètes et chanteurs, sociologues et anthropologues
trouveront une mine de renseignements et de descriptions (sessions de chants,
troupes dansantes, hommages, célébrations diverses, funérailles, pèlerinages). Ce condensé de
pratique vocale concerne un immense champ d'investigation dans tant de pays :
Tunisie, Congo, Burkina Fasso, Îles Seychelles, puis
Kosovo, Turquie, Grèce, Inde, Laos ou encore au Tadjikistan… mais aussi en
Irlande. Ces diverses manifestations sont regroupées autour de trois axes
principaux de réflexion : « Chant pensé : l'expression d'un
imaginaire » ; « Chant vécu : le partage et
l'échange » et « Temps chanté : histoire(s) et
mémoire(s) ». Les enjeux sont donc d'ordres musical, artistique, rituel,
profane, religieux voire politique, situés dans le temps et dans l'espace. Que de
spéculations variées autour du chant multiséculaire… Édith Weber. Marc BROCHET : Chanter : Une voie vers soi. Sampzon, DELATOUR FRANCE (www.editions-delatour.com ), 2016, BDT0101, 146 p. 15 €. Les musiciens,
chanteurs et thérapeutes apprécieront cet ouvrage concernant « le mariage
de la voix et de la musique », c'est-à-dire le « chant », mais
surtout le corps, l'espace, le mouvement et la mobilité corporelle. L'auteur —
après avoir étudié l'harmonie et le contrepoint, la direction, l'orchestration
et l'analyse au CNSM de Paris — est pianiste et enseigne le jazz. Spécialiste
des relations humaines, il organise des stages de chant :
« Chanter : une voie vers soi », d'où le titre de ce livre, car
« la musique est au service de la vie » et « le souffle qui crée
le son nous anime ». Au cours des
chapitres, Marc Brochet définit les paramètres relatifs à la voix et au son, au
corps et à l'espace, au souffle puis à la voix parlée et chantée, à la musique
et ses composantes : mélodie, rythme, timbre… ainsi qu'au vibrato et à
l'improvisation, avec le titre : « La Voie » consistant à
« transmettre, donner, recevoir », sans oublier les émotions (autre
sujet en vogue, cf. la théorie de
l'« effet de vie » de Marc-Mathieu Münch).
Ses observations sont étayées par des exercices précis pour mettre l'individu,
le lecteur et le chanteur immédiatement en situation et complétées par de
judicieux commentaires techniques (à partir des fréquences audibles, des
suggestions invitant à écouter les bruits de la rue, les sons afin de percevoir
et d'aboutir à l'audition de la musique). Les sons peuvent surprendre, faire du
bien ; quant au mouvement, il introduit la relativité. L'auteur propose de
nombreuses actions à expérimenter : pour la respiration (abdominale,
thoracique, mixte) ; des exercices vers une prise de conscience
(entraînement à parler avec assurance en public). Il donne des précisions
d'ordre anatomique (glotte, épiglotte, cordes vocales), signale des exemples de
chanteuses (Edith Piaf, Céline Dion…), rappelle les considérations techniques
de Marie-Louise Aucher exposées dans sa Psychophonie. La technique vocale n'est
pas une fin en soi. Son étude de nombreux problèmes : manque d'air,
prononciation de certaines voyelles… est particulièrement éclairante et émane
de l'expérience pratique quotidiennement vécue par l'auteur auprès de ses
stagiaires et lors du travail en groupe, car Marc Brochet s'affirme comme leader à la fois sur les plans
artistique et humain. Les pédagogues
apprécieront aussi les remarquables exercices portant sur les
modes majeur, mineur, indiens et leur énergie respective, sur
l'indépendance et la prise de conscience du chanteur et sur l'exploitation du
vibrato. À la page 107, le vif du sujet est atteint et se résume en trois
exigences : TRANSMETTRE-DONNER-RECEVOIR. Au fil des pages, ce titre
quelque peu inattendu au départ, prend toute sa signification
insoupçonnée : « la voie passe par la voix » pour trouver un
chemin qui donne un sens à notre vie (4e de couverture). Pistes à explorer. Édith Weber. Philippe FESTOU : Le jeu sunétique. Un
outil pour le monde sonore. Sampzon,
DELATOUR FRANCE (www.editions-delatour.com ), 2016, BDT0100, 133 p. 15 €. Depuis quelques
décennies, — associé à l'écoute — le son, le monde sonore, l'improvisation en
liaison avec nos perceptions sensorielles et nos réactions émotionnelles, font
l'objet d'investigations menées conjointement par des compositeurs,
acousticiens, musicothérapeutes, psychanalystes au Laboratoire de musique et
informatique de Marseille (MIM). Pour devenir accessible, leur démarche
complexe nécessite quelques éclaircissements sémantiques. L'adjectif « sunétique » associe le mot « son » et la
« conscience » au sens global de « conscience du sonore ». L'auteur résume sa
démarche en ces termes (p. 14) : « chaque action de notre vie et ce,
depuis notre naissance, est constituée de moments d'infinis présents qui se
succèdent. Nous sommes en permanence dans des actions qui nous poussent à faire
des choix, nous sommes finalement en permanence dans l'impermanence, dans un
flux d'actions toujours en mouvement. Les gestes que nous faisons, consciemment
ou non, résultent souvent de ces choix. » À l'aide d'exemples très appropriés,
Philippe Festou explicite cette démarche autour de la
notion du temps sans a priori idée de forme précise et résume le jeu sunétique,
la nuance entre improvisation et interprétation, le rôle des timbres, l'écoute,
les paramètres de jeu. À cet égard, les lecteurs auront intérêt à lire d'abord
les Annexes (avec signes et paramètres) pour mieux comprendre le jeu sunétique
qui « permet quel que soit l'instant et les êtres en présence, de pouvoir
communiquer par le son et de révéler en chacun un acteur sonore à part
entière. ». Voici une approche renouvelée de l'univers
sonore concernant « les rapports de synchronicité
qu'induit l'univers sonore avec nos perceptions sensorielles » (dernière
de couverture) : affaire de musiciens, danseurs, plasticiens et comédiens. Édith Weber. Jean-Luc LEROY : Les fonctions de la musique et de l'art. Bilan critique et
esquisse théorique. Sampzon, DELATOUR
FRANCE (www.editions-delatour.com ), 2016, BDT0102, 199 p. 24€. Pour traiter la
fonctionnalité de la musique et des arts — la musique étant considérée comme un
art —, l'auteur a recours à de nombreuses disciplines traditionnelles jusqu'aux
plus récentes. Il fait appel à 450 références illustrant l'évolution de la Musicologie.
D'abord : science historique, littéraire, technique (analyse, solfège,
interprétation) se tournant vers l'esthétique (É. Souriau), la psychologie (R. Francès), l'anthropologie et l'ethnomusicologie (G.
Rouget), la sociologie et l'épistémologie, la sémiologie (J.-J. Nattiez) ou
encore la phénoménologie (E. Ansermet) puis vers les sciences cognitives, la
musicologie, tributaire des « sciences humaines », est aussi associée
aux « sciences exactes » (acoustique, physique). Avec l'apport des
neurosciences (neurophysiologie et neuropsychologie) et — dernière en date — de
la biomusicologie (N. L. Wallin), la voie
est largement ouverte à une THÉORIE GÉNÉRALE DE LA MUSIQUE autour de la notion
de beau (Ed. Hanslick) et de l'émotion (cf.
« effet de vie » selon M.-M. Münch)
qu'elle peut susciter. Cette publication s'impose comme un modèle de
« perspective culturelle croisée ». Jean-Luc Leroy a
structuré son ouvrage en deux parties suivies d'un bilan critique. Dans son État de la question, il replace la
musique dans la vie individuelle et collective et souligne son rôle :
utilisation, apprentissage, outils de communication… La seconde partie concerne
le fond du sujet : les fonctions et concepts de la musique en tant qu'art
et dégage sa spécificité. En guise de conclusion, l'auteur procède à un bilan
critique (cf. sous-titre) d'ordre
méthodologique et théorique. Après cette vaste ouverture intradisciplinaire,
il suggère des directions pour des recherches ultérieures : démarche
ambitieuse et courageuse, investigations multiples à poursuivre. Édith Weber. Colette MOUREY : Synergies. De l'espace musical à l'espace urbain. Préface
de Jean-Claude Decalonne, Addenda de Michel Mourey, Paris, L'HARMATTAN (www.harmattan.fr ), 2016, 190 p., 20 €. Au sujet de sa
nouvelle publication, l'infatigable Colette Mourey a
bien voulu nous préciser que « le lien de l'évolution du langage musical
aux transformations de l'espace urbain et aux perspectives actuelles de
l'architecture citadine est un axe de réflexion très intéressant… ».
Depuis de nombreuses années, elle soutient les orchestres d'enfants de
« Passeurs d'Art » (quartiers sensibles, hôpitaux, prisons…), estime
que « El Sistema
à la française pourrait jouer un rôle éducatif prégnant si on arrive à le
développer » : tels sont les objectifs de ce livre gravitant autour
d'un « espace de temps rendu holistique » et provoquant une
« ouverture d'écoute » avec l'invariant structurant une œuvre d'art
tributaire de l'intelligence musicale et
du son mental (cf. Lettres d'information, mars et juin 2016) dans une démarche
globale. Pour l'auteur,
« nous apprenons par et au sein de l'invariant et le géométrisme qui
structurent toute une œuvre d'art à penser de façon entière et globalisée à
travers un espace mental infiniment élargi — particulièrement à
l'altérité » (dernière de couverture). Pour le préfacier, Jean-Claude Decalonne : « l'orchestre inculque le vivre ensemble, dans un groupe, chacun
est utile ; la musique est l'apprentissage de la sensibilité, du respect,
des consignes et des personnes. » L'idée générale est que l'orchestre est
« un outil social », comme le démontrent ces Synergies qui s'appuient sur de nombreux questionnements. La
démarche, si dense, traite de nombreux points : « Être et
Avoir », « Inspirer et vibrer », « Improviser ou
fixer » ; ce dilemme souligne la transition de l'oralité à
l'improvisation, puis de l'improvisation à l'écrit, enfin, de la partition
d'orchestre au conducteur, tout en dégageant « le rôle civilisateur des mémoires
ancestrales » et « la spirale évolutive de l'invention ». À la
question : « Tous solistes ? », Colette Mourey
fait observer que les citadins dépassent leur ego (p. 105), participent à un
collectif technique et culturel par le biais de trans-significations perceptives et collectives. Ces assertions sont
étayées par des exemples empruntés à Dimitri Chostakovitch et Leonard
Bernstein… La coopération exerce un rôle fondateur, tributaire du mutualisme et
débouche sur la conscience cosmique. À la question : « Tous chefs
d'orchestre ? » (chapitre V), elle traite de
la coopération, de la domination de la masse chorale (chœur mixte) ou
orchestrale, c'est-à-dire de la redimensionner
et d'élaborer et interpréter l'œuvre musicale dans l'espace-temps pour
passer de « l'un au multiple et du multiple à l'un » (p. 128). Le chapitre VI
justifie le sous-titre et le passage du champ
urbain au chant du chœur et de
l'orchestre. Le chapitre suivant se présente comme une synthèse se rapportant à
l'histoire de la musique occidentale. La démarche globale de Colette Mourey, de caractère pluridisciplinaire, fait aussi appel à
la psychologie, la philosophie, la sociologie, aux théories de la perception, à
l'anthropologie, à la sémiologie et même à la biologie. Ces éclairages divers sont judicieusement complétés par Michel Mourey dans l'Addenda
Résonance et cohérence :
éléments cachés de la synergie musicale « supposant une
association des moyens afin de renforcer un but commun » (p. 169). En un
style percutant et concis, il définit la synergie, le phénomène de la résonance
(en liaison avec la consonance et la dissonance), avec de nombreuses
précisions (gammes, accords parfaits, hiérarchies des consonances,
rapports de fréquences…) permettant de saisir la capacité de perception de la
cohérence du langage musical. Une Bibliographie
circonstanciée démontre aussi la diversité de cette démarche synergétique. Tant
par la multiplicité des questions posées que par l'ampleur de la démarche, ce
livre offre une vision globale, un élargissement de l'espace mental englobant
l'espace musical et l'espace urbain. Édith Weber. Vincenzo Caporaletti, Laurent
CUGNY, Benjamin GIVAN : Improvisation, culture, audiotactilité.
Paris, Éditions OUTRE MESURE (www.outre-mesure.net ), Collection « Jazz en
France », 2016, 128 p. (25 tableaux, illustrations musicales,
bibliographie musicale, discographie, index), 15 €. Dans la triple
perspective : « Improvisation, Culture et Audiotactilité »,
trois musicologues (instrumentistes, arrangeurs et historiens du jazz)
présentent trois études relatives à des interprétations historiques différentes
du célèbre Concerto pour deux violons et
orchestre (1er mouvement, BWV 1043) de J. S. Bach. Ils proposent des improvisations, démarche quelque peu
insolite pour certains puristes, mais dans l'esprit de notre temps. Ils
confrontent ainsi les partis pris interprétatifs d'exécution « en
swing » qui, en 1937, ont guidé Stéphane Grappelli (violon I), Eddy South
(violon II) et Django Reinhard (guitare acoustique). Leur version swing (Paris, 23 novembre 1937) est
reproduite (p. 96-102), de même que la Transcription
de cette improvisation par Vincenzo Caporaletti et
Benjamin Givan (p. 103-114). Les auteurs ont
tenu leur pari : « explorer en profondeur des enregistrements
historiques » ; éprouver épistémologiquement un corps théorique (formativité audiotactile) et
confronter une matière musicale donnée nécessitant une pratique analytique et
herméneutique ; enfin, aboutir à une approche plurielle et à une méthode
globale. Benjamin Givan traite l'improvisation sous
l'angle historique et anthropologique ; Vincenzo Caporaletti
met en perspective « les éléments musicaux et ceux du monde ». Enfin,
Laurent Cugny, pianiste, arrangeur, chef et professeur
à l'Université Paris-Sorbonne, cautionne
la cohérence de l'ensemble de ce numéro ; il souligne la précision de
cette enquête et la grande qualité des transcriptions. Bref : après
le sujet du premier mouvement exposé au violon concertant II, les lecteurs
découvriront les critères mélodiques, rythmiques, métriques et phraséologiques
de ces jazzmen dans le cadre de leur
interprétation swing (1937) et de
leur improvisation. « Bach
jazzifié » outre mesure ? Qui l'eût dit, qui l'eût cru ?
Quoi qu'il en soit, ce volume de la Collection « Jazz en France »
atteste, à côté du monde nord-américain, la vitalité de l'histoire du jazz dans
notre pays. Édith
Weber. « Xenakis et
les arts », miscellanées à l'initiative du Centre Iannis Xenakis. Les Cahiers de l'École nationale supérieure
d'architecture de Normandie, recherche, 2014. Éditions point
de vues. Code barre : 9 782371 950009, 196 p. 15€. Publié sous la direction de Pierre-Albert Castanet et de Sharon Kanach, vice-présidente du CIX
(Centre Iannis Xenakis), ce deuxième Cahier de l'Ensa (École nationale supérieure d'architecture) de
Normandie, consacré à « Xenakis et les arts » est le fruit d'une
recherche à plusieurs têtes où les disciplines scientifiques et artistiques se
croisent, à l'instar du travail de l'artiste trans-disciplinaire
que fut le concepteur des Polytopes. Ingénieur de formation et pythagoricien
dans les gènes, Xenakis a envisagé la musique en relation avec le nombre, dans
une conception spatiale et architecturale du temps et du rythme : « Il
découle de tout ceci », prévient Xenakis, « que la musique et les
arts visuels de demain exigeront des artistes qu'ils soient pluridisciplinaires
et initiés aux mathématiques, à l'acoustique, à la physique, à l'informatique,
à l'électronique […], lit-on dans le premier des douze chapitres de cette étude
passionnante abordant les multiples domaines d'activité, certains peu défrichés
encore, (chorégraphique, filmique...) de ce génie protéiforme. Poursuivant
comme Varèse - avec qui il collabore en 1958 lors de l'Exposition universelle
de Bruxelles - sa quête passionnée d'un autre univers sonore, Xenakis fait
surgir ses Polytopes, une synthèse multimédia pour
les yeux et les oreilles où interagissent le son, les lumières, l'espace et le
mouvement. Daniel Teige concentre son propos sur le Polytope de Persepolis (1971),
projet démiurgique pour lequel Xenakis aurait prévu 800 haut-parleurs et des
hélicoptères... et dont il ne reste malheureusement aucune trace visuelle. Sous
l'angle de la musique vocale cette fois, Nicolas Bardon
envisage les deux notions clés de « chaos » et de
« complexité » chez un compositeur défendant l'idée que « la
pensée n'est pas linéaire ». Mihu Ilescu voit, quant à lui, analogies et correspondances
entre la musique de Xenakis et la sculpture de Brancusi et s'attarde sur la
valeur accordée à l'archétype, expression des origines, chez des artistes qui
ont tous deux ressenti la nécessité de la table rase : « Nous devons revenir au
commencement des choses pour retrouver ce qui est perdu » souligne
Brancusi. Dans Nekuia (« une descente chez les
morts »), œuvre monumentale pour un chœur mixte de 80 voix et 98
musiciens, Aurélie Allain s'attache à l'expression rituelle, une dimension
essentielle de la musique de Xenakis. Il importait à ce dernier, cherchant à
relier le son au geste et à l'espace, d'inventer une machine qui fasse
interagir ces trois paramètres et libère de l'écriture traditionnelle. Conçu en
1977 au sein du CEMAMU, l'UPIC est cet outil de composition assisté par
l'ordinateur qui va lui permettre d'accéder à la création musicale en temps
réel, via le dessin et la synthèse sonore. Outre l'activité de studio qu'il
suscite (commandes faites à des compositeurs), l'UPIC constitue une nouvelle
approche pédagogique de la composition transmise sous forme d'ateliers
essaimant en France comme à l'étranger (Cyrille Delhaye
et Rodolphe Bourotte). Si James Harley s'intéresse
aux liens qui unissent Xenakis et la chorégraphie sonore, Sharon Kanak se
penche sur l'œuvre filmique de et autour de Iannis
Xenakis et recense, dans l'état de ses recherches, quelques 139 films dûment
répertoriés. Enfin Jean-Louis Villeval, linguiste et
historien, co-vice-président du CIX, se fixe sur la
notion d'utopie, un terme polysémique inventé par l'anglais Thomas More à la
Renaissance. Mais c'est avec Ernst Bloch, nous dit l'auteur, que le terme se
conceptualise et s'érige en théorie du « non encore être, du non encore
manifesté dans le monde, dont l'art est le révélateur ». Ainsi Jean-Louis Villeval distingue-t-il deux sortes d'utopies chez Xenakis,
l'utopie formelle, cette recherche hors lieu et hors temps (uchronie)
d'une nouvelle formalisation de la musique, et la « pratique
utopique », moteur de la création en quête d'inouï, « le présent du
désir » nous dit Ivanka Stoïanova : « A
l'artiste-concepteur que fut Xenakis, », conclut Villeval,
« revient le rôle de praticien de cette utopie ». Michèle Tosi. Bruno GINER et François PORCILE
: Les musiques pendant la guerre d'Espagne. 1Vol.
Paris, Berg International (www.berg-international.fr), 2015, 235 p. 19€ Voilà un ouvrage que l'on referme avec le
sentiment de mieux appréhender la réalité culturelle espagnole depuis l'angle
de la musique avec une prise en compte précise et sans concession du drame que
ce pays a vécu pendant la guerre civile entre 1936 et 1939 mais aussi avant et
après. Disons-le d'emblée, les auteurs, Bruno Giner
et François Porcile, sont nettement en faveur des
républicains et pour le moins critiques à l'égard du franquisme. Ainsi
détaillent-ils ce que la République, régime légitime du pays, a initié pour
sortir le pays de l'obscurantisme dominant durant la royauté et ce que le
franquisme détruisit et étouffa jusqu'à la mort de son leader en 1975. Ce qui
est particulièrement bienvenu, c'est le souci mis par les auteurs à ne pas
établir de hiérarchie entre les genres musicaux : tous ont droit de cité,
ce qui permet d'avoir une étude poussée en particulier des cancioneros
dont les textes épousent les événements -le plus souvent tragiques -. Mais
c'est toute la production musicale du pays, quel que soit le genre, qui est
inspirée par les événements ainsi que le souligne Maurice Ohana :
« De tout temps, la musique de la péninsule a été intimement mêlée à la
vie de l'événement. L'Espagnol s'exprime en musique avec un instinct
millénaire ». (p.49). Tout le livre se comprend à la lumière de cette
phrase, ce qui justifie la part importante prise par la description du contexte
politique. Outre le déroulement chronologique chapitre
après chapitre, des encarts donnent à lire des précisions sur les personnages
cités et sont reproduits les textes de nombreux cancioneros
essentiellement en fin d'ouvrage sur près de 40 pages en version bilingue.
On notera le rôle important de Federico Garcia Lorca dans la collecte de ces
chants populaires. La folie de la guerre civile est illustrée par l'évocation de déchirures familiales comme
celle que l'on trouve entre les frères Halffter, Rodolfo le républicain d'un côté, Ernesto le franquiste de l'autre,
tous deux compositeurs. Les auteurs mettent bien en évidence que la Guerre
d'Espagne n'est pas un phénomène isolé : Mussolini et Hitler dirigent leur
pays et apportent leur aide aux rebelles espagnols, ce qui a pour effet de
susciter des élans de solidarités au profit de la République de la part de
l'URSS, mais hélas, nullement de la part des démocraties qui se réfugient
derrière le concept illusoire de non-intervention. Autrement dit les
solidarités en provenance des états démocratiques seront le fait d'initiatives
individuelles, sans doute prestigieuses mais pas décisives sur le terrain
militaire. Grâce à l'ouvrage de Bruno Giner et François Porcile, on
découvre nombre de compositions à l'intention des Brigades Internationales
d'auteurs étrangers parfois présents sur le terrain comme Hans Eisler, Wolfgang
Simoni plus connu sous le nom de Louis Sager, ou le célèbre comédien-chanteur Ernst Busch. Autrement-dit ces « musiques pendant
la guerre d'Espagne » ne sont pas seulement le fait de compositeurs
espagnols mais sont aussi le fruit de la créativité solidaire de nombreux
artistes européens. Outre les musiciens allemands cités à l'instant, on
évoquera les artistes français. Ceux-ci furent réunis dans le « Groupe des
amis de l'Espagne », présidé par Elie Faure. On y trouve, par exemple,
Roger Désormière, Georges Auric, Louis Durey, Charles Koechlin, ce
dernier ayant composé une remarquable musique pour le documentaire de Henri Cartier Bresson « Victoire de la Vie »
(1938) (p.110). Pour plus de précisions on recommandera la lecture du
chapitre V « Empathies musicales et solidarités internationales ». L'après-guerre est aussi traitée,
ce qui permet de suivre le cheminement de nombreux musiciens, certains ayant
construit une carrière internationale à partir de l'Espagne franquiste comme
les chefs Autolfo Argenta, Enrique Jorda ou Eduard Todra, d'autres
ayant quitté une Espagne qui n'était plus la leur comme bien évidemment Pau
Casals ou le compositeur Roberto Gerhard (p.35) réfugié en Grande Bretagne. A
son propos on peut regretter que son talent pourtant reconnu soit à présent
ignoré des salles de concerts alors que sa production est jalonnée de
chefs-d'œuvre comme le ballet « Ariel » (1934), la symphonie « Homenaje a Pedrell » (1941), hommage à son maître
Felipe Pedrell ou « La Peste » (1964), composition essentielle basée
sur le texte d'Albert Camus. Ses œuvres, tout en étant souvent sous l'influence
de Schönberg dont il fut l'assistant à Vienne, restent enracinées dans la culture
musicale espagnole. Mais à côté d'un nom connu, même si ses œuvres restent
encore trop confidentielles , combien de
musiciens oubliés comme le rappellent nos deux auteurs ! Et ceux-ci de
citer (p.174) Bacarisse, Pittaluya,
Duran, Remarcha. Livre important qui a des résonances très
actuelles lorsqu'il est rendu compte de l'exode massif vers la France (500 000
personnes) à la suite de la défaite des Républicains, et qui contribue à mieux
nous faire connaître la vitalité créatrice espagnole malgré un contexte
dramatique et souvent destructeur, en nous invitant à découvrir des
compositeurs de grande qualité. Gilles Ribardière.
***
LE BAC DU DISQUAIRE
« Misericordia in aeternum ». Chœurs permanents du Séminaire Pontifical Français de
Rome, solistes, dir. Hervé Lamy. 1CD JADE (www.jade-music.net ): 699 882-2. TT.: 57'17. Ce disque — édité par les membres du Séminaire
Pontifical Français de Rome, placé sous la responsabilité de la Conférence des
Évêques de France, contribuant à la formation des diacres et prêtres français —
s'inscrit dans le cadre de l'Année de la Miséricorde (2016) (cf. « Et misericordia »,
Monthabor,
Lettre d'information, juin 2016). Les thèmes des 16 compositions,
arrangements et harmonisations concernent l'amour de Dieu, la Création, la
joie. Le programme comprend des Psaumes, des polyphonies et des pièces
contemporaines réalisées par des séminaristes, dont Godefroy de Sevin et Hervé Godin… Deux Chœurs
permanents du Séminaire, polyphonique et grégorien, quelques solistes ou
l'assemblée sont placés sous la direction d'Hervé Lamy, si judicieusement
pressenti par les Éditions JADE. Parmi les titres les plus significatifs,
figurent : Misericordias Domini, le
Psaume 135 (Éternel est son amour),
notamment dans les versions assez anciennes du Père André Gouzès
et de Didier Rimaud, entre autres. Les sources
grégoriennes sont exploitées avec l'hymne pour le temps de l'Avent : Rorate coeli ou
encore le Magnificat du IIe ton. Ont
été ajoutées deux pages bien connues : l'hymne pour l'Eucharistie : O Salutaris hostia si expressive d'André Caplet et l'incontournable
Notre Père de Nikolaï Kedroff. Tous ces chanteurs se sont investis avec
enthousiasme dans le projet. Selon le Recteur, Monseigneur Antoine Hérouard, l'objectif est « que ceux qui écoutent [ce
disque] y trouvent du plaisir ». Objectif pleinement atteint, leur
permettant d'intervenir non seulement fonctionnellement dans le cadre des
offices de ce Séminaire, mais aussi par le biais du remarquable enregistrement
dû à Igor Kirkwood. À ne pas manquer. Édith Weber. Johann Sebastian BACH : Intégrale de l'œuvre
d'orgue, Vol. 2. Marie-Ange Leurent, Éric Lebrun, orgue.
2CDs MONTHABOR (www.monthabor.com) : 250027. TT.: 78'27+ 77'09. Après leurs Intégrales Boëly et Gaston Litaize, Marie-Ange Leurent et Éric Lebrun continuent leur prometteuse Intégrale de l'œuvre d'orgue de Jean
Sébastien Bach, en suivant judicieusement l'ordre chronologique. Après Arnstadt (Vol. 1,
cf.
ÉM LI n°102, avril 2016), voici Weimar
où le séjour de Bach est marqué par l'Orgelbüchlein (Petit
livre d'orgue, BWV 599-638, CD 1, CD 2, début) et des chorals du Recueil (posthume) compilé par Johann Philipp Kirnberger (24 Chorals,
BWV 690-713, avec certains de Weimar). L'intérêt de cette nouvelle réalisation
est double. D'une part, le
programme permet de confronter le traitement du même cantus firmus dans
plusieurs compositions datant de l'époque de Weimar, par exemple : la
mélodie du Choral de l'Avent, Nun komm der Heiden Heiland (CD 1, plage 1, et CD 2, pl. 7) ou encore Jesu, meine Freude (CD 1, pl. 1 et CD 2, pl. 15), plus développé.
Il est aussi intéressant de comparer deux versions du choral : Ach, Gott und Herr (BWV 692 et 693)
dans le Recueil de Kirnberger (CD 2, pl. 29 et 30). D'autre part, les
spécialistes de la registration constateront — par rapport au Vol. 1 — les
paysages sonores et partis pris de registration de M.-A. Leurent
et d'É. Lebrun entre les deux instruments de Jean-André Silbermann
à Soultz et à Ebersmunster
(en Alsace) et l'orgue Gerhard Grenzing (1982) à
l'Abbatiale Saint-Cyprien en Périgord (Vol. 2). Ce dernier comporte trois
claviers (Positif, Grand Orgue, Récit), pédalier et accouplements, et est
accordé au « Tempérament Bach-Kellner »,
permettant de conférer au cantus firmus un caractère très chantant et des
coloris subtils que le « musicien poète » (selon Albert Schweitzer)
n'aurait certes pas désavoués. Cette équipe
exceptionnelle n'a pas fini de ravir les organistes et discophiles et de leur
faire découvrir d'autres instruments. Le Vol. 3 (CD 5 et 6), prévu pour 2017,
concernera la Clavierübung dritter Teil,
parfois intitulée « Messe luthérienne » mais, en fait, correspondant
au Grand et au Petit Catéchisme du Réformateur allemand. Sa sortie coïncidera
d'ailleurs avec le 500e anniversaire de la Réforme en Allemagne (1517-2017).
Grâce au duo si attachant et à Fabrice Bravard
(producteur exclusif) : interprétation et présentation hors pair. À suivre
jusqu'en 2020… Édith Weber. Érik SATIE : Œuvres pour piano à 2 ou 4 mains. Jean-Noël
Dubois Ludmilla Guilmault,
piano. 1CD TRITON (www.disques-triton.com ) : TRI 331209. TT : 63'01. Jean-Noël Dubois et
Ludmilla Guilmault révèlent les multiples facettes du
répertoire pianistique à 2 ou 4 mains composé entre 1885 et 1920 par Érik Satie (1866-1925). Les titres sont particulièrement
variés, originaux et évocateurs : pour les pièces à 2 mains : Les pantins dansent, Véritables Préludes Flasques pour un chien,
Embryons desséchés… ; à 4
mains : 3 petites Pièces montées,
La Belle Excentrique ; Cancan Grand-Mondain… Le duo Ludmilla Guilmault et Jean-Noël Dubois a été constitué en 2007. Ils
ont étudié auprès de György Cziffra auquel, pour leur
Ensemble, ils ont emprunté le patronyme. Comme le rappelle le texte de
présentation, « le jeu des deux interprètes aux tempéraments
particulièrement forts et explosifs est en résonance directe avec le
compositeur » auquel ils rendent hommage en l'honneur du 150e
anniversaire. Le disque se termine d'ailleurs avec la Gnossienne n°5 interprétée par le
compositeur. À côté des titres
accrocheurs, figurent également deux œuvres de jeunesse : Valse-Ballet, Fantaisie-Valse. À noter également, extrait des Esquisses et Sketch montmartrois : Petit Prélude de la mort de Monsieur Mouche.
Il est impossible de détailler ces 15 miniatures faisant, sur le plan
technique, appel au staccato, aux notes inégales, au contrepoint, aux syncopes,
mesures irrégulières, au ragtime, à
la basse syncopée, aux mélismes et modes orientaux... Elles respirent tour à
tour le charme, la grâce, l'élégance, mais aussi la rêverie, la douceur qui font l'attrait des compositions et dessins d'Érik Satie : musique claire, dépouillée, elliptique,
simplifiée, bref inimitable, que les deux interprètes ont su si bien assimiler. Édith Weber. « Toutes
les Nuitz ». Ensemble Calisto. 1CD
PARNASSIE (www.parnassie-editions.fr) : PAR 73. TT : 56'02. L'Ensemble Calisto, créé à Marseille en 2012, chante « très
souvent sur le thème de la femme, qu'elle soit aimée, aimante, amante, vierge
ou coquine ». Son fil conducteur se déroule entre « de longues
plaintes amoureuses ou des gaudrioles burlesques et endiablées », et c'est
bien entendu à la femme que ces 5 chanteurs ont dédié leur premier disque paru
en 2016. Il est composé de Benoît Dumon (contre-ténor),
Daniel Marinelli (alto et Baryton), Rémi Beer Demander (ténor), Jean-Bernard Arbeit
(baryton) et Jean-Christophe Filiol (basse et
direction). Le programme varié
comprend 18 chants regroupés sous le titre : Toutes les nuitz d'après la pièce éponyme
de Roland de Lassus (1552-1594). D'une part, il comporte une sélection de
chants religieux latins voués à Marie : Ave Maria de Dominique Phinot (1510-1555), 4 Virgine stanza (prima, seconda, decima, ultima) de Cyprien de Rore (v. 1516-1565), Beatae Mariae Magdalenae de Giovanni Pierluigi da Palestrina
(1525-1590), Alma Redemptoris
Mater (plus développé) de Tomas Luis de Victoria (1548-v. 1611) et Ave dulcissima
Maria de Carlo Gesualdo (1566-1613). D'autre part, conformément au titre,
un choix de chants profanes français, également de la Renaissance : Tes beaux yeux de Jan Pieterszoon Sweelinck (1562-1621), Ne vous chaille mon cueur (mon cœur, ne
te fais pas de soucis) de Jean Richafort (v.
1480-1547), Incessament (livré suis à martire),
particulièrement poignant, de Josquin Desprez (1450-1521)… et, en espagnol : Gentil Senora mia de Juan Vasquez (v. 1500-v.1560), Dizen a mi que los amores
he (anonyme). Tout le mérite de ce premier disque
prometteur revient en premier lieu à Jean-Christophe Filiol,
issu de la Maîtrise des Petits Chanteurs d'Aix-en-Provence, ayant fait ses
études de chant et de composition aux Conservatoires de Toulon et de Marseille
et, en musicologie, à l'Université d'Aix-Marseille. Daniel Marinelli,
également formé au Conservatoire et à l'Université de Marseille, est un
choriste et soliste très sollicité. Jean-Bernard Arbeit,
ayant étudié le chant à Mulhouse, suivi de nombreux masterclasses
et stages auprès d'Arlette Steyer à Colmar, ainsi
qu'à Lisbonne avec J. Feldman, se produit avec des
ensembles français et suisses. Rémi Beer Demander,
d'abord Petit Chanteur à la Croix Potencée, a entrepris ses études au
Conservatoire de Toulouse, puis au CNSM et avec Laurence Équilbey.
Il participe à de nombreux festivals en France et à l'étranger. Enfin, Benoît Dumon a étudié l'orgue et l'improvisation aux
Conservatoires de Marseille et Aix-en-Provence, et le chant avec Monique Zanetti et Raphaëlle Kennedy ; il est demi-finaliste
de plusieurs Concours internationaux en chant et orgue. Chacune des voix
très sculptées de l'Ensemble Calisto sait s'effacer
devant l'autre, dans une relance continue assurant un excellent suivi de la
conduite mélodique individuelle et un remarquable traitement des notes de
passage expressives. Une première réalisation déjà très aboutie. Édith Weber. Déodat de SÉVERAC : Mélodies. Anne Rodier, soprano, François-Michel Rignol,
piano. Disques FY et DU SOLSTICE (www.solstice-music.com ). SOCD 319. TT : 65' 16. Les œuvres pour piano
de Déodat de Séverac (1872-1921) sont mieux connues
que ses mélodies composées entre 1895 et 1901. Tel Henri Duparc, Gabriel Fauré,
il est sensible à la poésie symboliste d'Émile Verhaeren (L'éveil de Pâques), de Paul Verlaine (Le ciel est par dessus le toit, Soleils couchants), Charles Baudelaire (Les Hiboux) et Maurice Maeterlinck (L'infidèle). Le musicien est aussi un
poète (À l'aube dans la montagne,
Ma poupée chérie). Il se souvient du
chant grégorien (Salve Regina…) ou
encore de Marguerite de Navarre (Aubade)
et a également retenu quelques poètes moins connus : Prosper Esthieu (Chanson pour
le petit cheval)… Le compositeur
privilégie les descriptions imitatives de paysages, la traduction musicale figuraliste des états d'âme (mystère, rêve, calme, confidence,
mais aussi inquiétude, désolation) qu'il enrobe d'une certaine pudeur en
évitant le pathos. Déodat de Séverac, attentif à la
sonorité de la langue française, a le sens de la couleur
impressionniste, et prend ses distances vis-à-vis de la tendance au
néoclassicisme. Il confère un rôle important au piano : ostinatos
rythmiques, traits mélodiques, accords, paysages sonores spécifiques,
transitions. Les 19 mélodies sont particulièrement mises en valeur par le texte
d'introduction de Lionel Pons qui souligne son apport original à la mélodie
française et met immédiatement le discophile en situation. Anne Rodier,
soprano — élève notamment de Mady Mesplé, de
Montserrat Caballé (masterclasses) — donne de
nombreux concerts en France et à l'étranger (Chine, Japon…). Spécialiste des
mélodies françaises et des opérettes, son répertoire éclectique force
l'admiration. François-Michel Rignol, pianiste —
élève de Françoise Thinat à l'École Normale de Paris
— est aussi un remarquable enseignant. Il cultive la musique française du début
du XXe siècle et a créé des œuvres de Claude Ballif,
Daniel Tosi, Bruno Mantovani,
entre autres. Son rayonnement est international (Brésil, Espagne, Japon,
Finlande…). Il s'intéresse beaucoup à l'accompagnement dont il maîtrise tous les
secrets. Leur duo s'impose par l'intelligence des textes, leur équilibre, leur
connivence et leur musicalité. Ce disque a le mérite de révéler l'apport peu
connu à la Mélodie française de Déodat de Séverac. Sa
sensibilité à la poésie et sa musique vocale reflètent un autre aspect de son
attachante personnalité. Édith Weber. Federico BORSARI : Opere per Organo.
Roberto Marini, orgue. 2CDs FUGATTO (http://fugatto.free.fr ). Distribution : CD DIFFUSION (www.cddiffusion.fr ) : FUG 062. TT.: 49'14+ 46'20. Une découverte : le
compositeur italien contemporain particulièrement original, Federico BORSARI
qui a étudié l'orgue, sa facture et la composition avec le maître Angelo Fasciolo. Il s'intéresse tout particulièrement à
l'histoire, à la technique de cet instrument et a rédigé de nombreux plans de
restauration pour des instruments anciens et nouveaux. Il est l'auteur d'œuvres
instrumentales, de pages de musique d'orgue même avec programmation
informatique. De 1969 à 1990, il a été l'organiste titulaire de l'Église
paroissiale d'Ovada et, depuis 1970, il est
l'organiste permanent à l'Oratorio della SS. Trinita et S. Giovanni Battista
de cette ville. En 2014, il a été nommé directeur artistique chargé d'organiser
les manifestations pour le Centenaire de l'Orgue Vegezzi-Bossi
à l'Église de Crémone. Roberto MARINI a
commencé ses études musicales à Rome, avec le célèbre organiste Fernando Germani. Titulaire du Premier Prix de virtuosité d'orgue
décerné par le Conservatoire de Genève, il est aussi Lauréat de nombreux
Concours internationaux. Professeur d'orgue à l'Institut Pontifical de Musique
Sacrée à Rome et au Conservatoire de musique de Pescara, il y enseigne aussi le
chant grégorien. Il propose, en deux disques, un éloquent aperçu de l'œuvre de
Federico BORSARI. S'il cultive des formes traditionnelles (Fantaisie, Variations, Introït…),
exploite des mélodies traditionnelles (Veni Creator Spiritus,
Dies irae, Adestes fideles), il est aussi
le compositeur de pièces en l'honneur de sept Églises d'Ovada
oubliées : Sant'Ambroglio, San Bartolomeo, Sant'Antonio, San Michele, San
Bernardino, San Martino, San Sebastiano. Les discophiles
apprécieront la diversité du programme, par exemple la charmante berceuse Lullaby (2010), l'originalité du propos dans sa
Fantasia reposant sur un thème
d'Olivier Messiaen (modes à transposition limitée), structurée en 6 parties,
d'une grande complexité rythmique, aboutissant à de puissants accords. Ses Cinque Pezzi Liturgici (1990-1995) sont destinés à l'usage
liturgique, mais aussi au concert. L'Introitus, à interpréter au début d'un concert, comprend un
second thème divisé en 3 parties dont chacune représente un message de
bienvenue en alphabet Morse (avec longues et brèves). Dans ses Chiese Dimenticate (1998),
il exploite aussi bien la modalité grégorienne que le pentatonisme et la gamme
par tons : autre originalité de ce compositeur contemporain qui, dans son Improvisation de 2009, se souvient aussi
des rythmes du jazz. Voici une
réalisation du Label Fugatto pour le moins
inattendue, mais des plus intéressantes, qui fera judicieusement découvrir,
d'une part, les multiples possibilités de registrations à l'Orgue Tamburini-Bonato de la Cathédrale
de San Lorenzo (Padoue) et, d'autre part
— grâce à Roberto MARINI, organiste virtuose — des œuvres contemporaines
pour orgue de Federico BORSARI. Édith Weber. « Sainte
Rus' garde la foi orthodoxe ». Chorale de jeunes de la Laure des Grottes de Kiev, dir. Elena Soloveï. 1CD JADE (www.jade-music.net )
: 699 881-2. TT : 49'50. Les Éditions JADE
privilégient, entre autres, la musique religieuse en général et russe en
particulier. Pour marquer la renaissance actuelle de la tradition du chant
orthodoxe, elles ont fait appel à la Chorale de jeunes de la Laure des Grottes
de Kiev, créée en 2001 avec la bénédicition de Mgr
Paul, archevêque de Vychgorod et recteur de la Laure
des Grottes de Kiev. Cette chorale mixte réunit des élèves de différentes
écoles et du Séminaire de l'Église orthodoxe d'Ukraine qui forment le chœur.
Elle est spécialisée dans la musique religieuse allant du chant znamenny (chant
neumatique, équivalent russe du chant grégorien) jusqu'au répertoire orthodoxe
contemporain. Le Monastère de la
Laure des Grottes de Kiev, rattaché au Patriarcat de Moscou, a été fondé en
1051 par des Moines venant du Mont Athos. La Grande Cathédrale de la Dormition
(de cette Laure), détruite en 1941, n'a été reconstruite qu'à partir de 1995 et
consacrée le 24 août 2000. Après avoir été transformée en musée sous le régime
communiste, elle est actuellement un grand centre de pèlerinage. Ce disque
regroupe 19 chants destinés à maintenir la foi orthodoxe. Ils sont centrés
autour de La Terre rus' (sic) et de Kiev, de Marie (avec deux pièces de Mikhaylo Verbytsky, Ukrainien né
à Ulyuchi (en Galicie) en 1815- mort à Mlyny en 1870), promoteur de la musique ukrainienne et
auteur de l'antienne officielle L'Ukraine
n'a pas péri, et l'Exapostilaire de la Dormition (tropaire
de l'office du matin) d'Ivan Nebesny ; deux
chants implorant la bénédiction du Seigneur par Alexandre Gretchaninov (né à
Moscou, en 1864- mort à New York en 1956), célèbre par ses œuvres religieuses
et quelque peu épigone de Rimsky
Korsakov : Mon âme, bénis le
Seigneur et par Pavel Chesnokov
(1877-1944) : Bénis le Seigneur, ô
mon âme. Dieu est représenté, entre autres, par Saint Dieu de Grégoire Lapaev et Dieu est avec nous de Basile Soloviev.
Le programme liturgique se poursuit avec l'incontournable Notre Père de Nikolaï Kedrov (1871-1940)
et Lumière joyeuse. À noter également
le chant plus ancien : Réjouissez-vous,
ô justes de Maksim Benezovsky
(1745-1777), compositeur, chef d'orchestre, chanteur d'opéra, violoniste
ukrainien. Ce répertoire varié représente autant d'encouragements à garder la
foi orthodoxe. Ces jeunes — placés sous la direction d'Elena Soloveï qui, en 2005, a remporté le Prix du « meilleur
chef de chœur » du Festival de Chœurs à Dnipopetrovsk
— chantent avec intériorité et un enthousiasme communicatif. Ils contribueront
ainsi au maintien de la tradition orthodoxe russe. Édith Weber. Heinrich SCHÜTZ : Musikalische Exequien.
Ensemble SAGITTARIUS, dir. Michel Laplénie. 1CD HORTUS
(www.editionshortus.com ) : HORTUS 135. TT : 62'57. Comme le Professeur
Wilhelm Ehmann (1904-1989), Directeur de la Westfälische Kantorei, qui, vers
1950, en Allemagne, a relancé la pratique de la musique de
Heinrich Schütz, Michel Laplénie a, en France,
attiré ensuite l'attention sur l'œuvre du compositeur Schütz (1585-1672), alias
Sagittarius. En 1986, son premier enregistrement
présentait entre autres ses Musikalische Exequien (Obsèques
en musique, du latin obsequiae/obsèques,
œuvre n'ayant rien à voir avec la
liturgie traditionnelle du Requiem—
le n en allemand étant la marque du
pluriel). Depuis trois
décennies, l'évolution interprétative de ce chef, germaniste et chanteur, a été
considérable. À la tête de l'Ensemble Sagittarius
dont il est le fondateur, il propose, pour ce 32e (et dernier) disque, à
nouveau les Musikalische Exequien, op.
7 et, en outre, des extraits des Kleine geistliche Konzerte (Petits Concerts spirituels), op.
8 : Das Blut Jesu Christi ; Herr, wenn ich nur dich habe (également
enregistré comme motet à 8 voix figurant deuxième partie des Exequien) ; et de
la Geistliche Chormusik (Musique
chorale spirituelle, 1648) sur des textes bibliques, les motets : Selig sind die Toten et Ich weiss, dass mein
Erlöser lebt (7 voix).
Après le Dialogus (7 voix) : Ich beschwöre euch, ihr Töchter zu
Jerusalem, cette réalisation ultime se termine
par le Deutsches Magnificat (Magnificat allemand) : Meine Seele erhebt den Herren (Mon âme
exalte le Seigneur), chant du cygne du « père de la musique
protestante allemande » composé à 86 ans. À propos de son parti pris
d'interprétation des Musikalische Exequien,
Michel Laplénie précise : « J'ai opté
pour une version où les voix sont au premier plan, où l'on est plutôt dans une chapelle que dans un lieu
trop vaste, j'ai préféré la clarté du texte à la somptuosité, j'ai délibérément
évité les colla parte pour
privilégier un continuo riche. Le texte sera ainsi mis en valeur et ce sera aux
chanteurs de suggérer des couleurs instrumentales. » Cet objectif est
pleinement atteint. Il s'est notamment assuré le précieux concours d'Emmanuel
Mandrin à l'orgue, de Clémentine Albessard (viole de
gambe), Benoît Beratto (violone) et Ronaldo
Lopes (théorbe). À propos des interprètes, il précise : « Mes fidèles
sagittariens
[qui] ont donné tout leur talent et toute leur âme pour servir le père de la musique allemande ».
À l'instar de l'Apocalypse, « Selig sind die Toten… Sie ruhen von
ihrer Arbeit und ihre Werke
folgen ihnen nach (car leurs
œuvres les suivent) : ce disque assurera à double titre la mémoire de Sagittarius et de son Ensemble éponyme. Toutefois,
« Michel Laplénie se consacrera essentiellement
à la transmission, notamment au travers de la Schola Sagittariana,
l'académie qu'il a fondée en 2011 ». Un adieu au monde musical certes, mais
prolongé par ses réalisations discographiques : à écouter avec
reconnaissance et émotion. Édith Weber. « Les
Éléments. Tempêtes, Orages et Fêtes Marines ». Le Concert des Nations, dir. Jordi Savall. 2CDs ALIA VOX (www.alia-vox.com ): AVSA9914B. TT.: 49'29+ 48'59. Sous ce titre
générique, ALIA VOX propose, en 2 CD (47 plages), un parcours historique totalisant presque un
siècle (1674-1764), avec des œuvres de six compositeurs. L'enregistrement a été
réalisé en direct par Manuel Mohino lors du
Concert : « Terra nostra, hommage à la Terre » à l'Abbaye de
Fontfroide (Narbonne), le 19 juillet 2015 avec le concours du Concert des
Nations, dirigé par Jordi Savall, violiste,
violoncelliste, chef de chœur et d'orchestre espagnol bien connu. Le dénominateur
commun à ces deux disques — conformément aux œuvres — est en quelque sorte la
« peinture en musique », c'est-à-dire la traduction musicale
descriptive et figuraliste des
« éléments », avec le Chaos (eau, air, terre et feu), mais aussi les
tempêtes, orages et tonnerres, dépeints par six compositeurs : les
français Jean-Féry REBEL (1666-1747), Marin MARAIS
(1656-1728) et Jean-Philippe RAMEAU (1683-1764) ; l'anglais Matthew LOCKE
(v.1621-1677) ; l'italien Antonio VIVALDI (1678-1741) et
l'allemand Georg Philipp TELEMANN (1681-1767).
Certains se réfèrent à la danse (sicilienne,
bourrée, gigue, loure, gavotte, sarabande, courante…).
Matelots, tritons, zéphyrs, naïades, Neptune ne sont pas oubliés. En 1737, dans
l'introduction à son œuvre : Les Elemens —en fait, un poème symphonique—, Jean-Féry REBEL s'exprime ainsi : « L'introduction à
cette simphonie était naturelle : C'estoit Le Cahos même, cette confusion qui régnoit
entre les Elemens avant L'instant où, assujettis à
des lois invariables, ils ont pris la place qui leur est prescrite dans l'ordre
de la Nature… ». Selon la symbolique traditionnelle, « La Basse
exprime la Terre par des notes liées ensemble et qui se jouent par secousses ;
les Flûtes, par des traits de chant qui montent qui descendent, imitent les
cours et le murmure de l'Eau. L'Air est peint par des tenues suivies de
cadences que forment les petites flûtes ; Enfin les violons, par des
traits vifs et brillants, représentent l'activité du Feu. » Il fait
également allusion au « chaos de l'harmonie ». En 1674, Matthew LOCKE
traite aussi la Tempête ; en
1729, Antonio VIVALDI conçoit un Concerto
pour flûte solo et cordes autour de ce thème. En 1706, Marin MARAIS (CD 2),
aborde notamment la tempête dans son opéra baroque Alcyone et, vers 1740, Georg Philipp TELEMANN évoque, entre autres, le reflux et le
reflux à Hambourg (pour commémorer le Centenaire de l'Amirauté en 1723),
faisant tous deux appel à la mythologie. Enfin, Jean-Philippe RAMEAU porte à
l'orchestre les Orages, le Tonnerre et fait allusion au dieu Borée, maître des
Vents : autant de prétextes pour un « Hommage à la Terre ». Ce coffret si bien
présenté bénéficie de commentaires français d'ordre esthétique par Jordi Savall et Denis Morrier (traduits
en anglais, castillan, catalan, allemand et italien) et de judicieuses
illustrations (interprètes, répétitions, concerts, pages de titre, manuscrits,
partitions…). À l'initiative d'ALIA VOX, il est réalisé par Jordi Savall qui fait preuve d'un grand sens descriptif pour
traduire musicalement aussi bien le Chaos, les Tempêtes, les Orages que les
Fêtes marines. Avec les 25 musiciens du Concert des Nations, ils ont signé un
bel Hommage à Notre Terre. Dans le genre descriptif : réalisation exceptionnelle. Édith Weber. « Votez
J. S. BACH ». Jean
Sébastien BACH : Cantates
BWV 120 et BWV 29. Stéphanie Révidat, Marion Tassou, sopranos,
Théophile Alexandre, Jean-Michel Fumas, contre-ténors, Vincent Lièvre-Picard,
Olivier Dumait, ténors, Romain Bockler,
Jean-Baptiste Dumora, barytons. Ensemble Unisoni, Nicolas Bucher (direction). 1CD HORTUS (www.editionshortus.com ) : HORTUS 136. TT : 54' 23. Ce titre original
est tout à fait à propos, car le programme comprend deux Cantates BWV 120 et BWV 29, composées par Jean Sébastien Bach pour
les élections municipales. Elles étaient précédées par un culte en l'Église
Saint-Nicolas, suivi du vote pour renouveler l'Assemblée de Leipzig, puis de
son installation à l'Hôtel de Ville. Bach devait marquer l'événement par une
Cantate sollicitant la bénédiction divine pour les nouveaux élus. Le Cantor,
pris par le temps, n'hésitait pas à reprendre des œuvres antérieures. C'est le
cas, par exemple, de la Sinfonia
d'ouverture de la Cantate 29, en revanche le Chœur de la Cantate 120 sera réexploité pour une partie du Credo de sa Messe en si. Ce disque est
réalisé avec le concours de l'Ensemble Unisoni :
Nicolas Bucher (orgue et direction, actuellement directeur des Études musicales
au CNSM de Lyon et organiste de la Basilique de Vézelay) ; Stéphanie Révidat et Marion Tassou
(sopranos), Théophile Alexandre et Jean-Michel Fumas (contre-ténors), Vincent
Lièvre-Picard et Olivier Dumait (ténors), Romain Bockler et Jean-Baptiste Dumora
(barytons). Selon le choix du chef, ces 8 chanteurs constituent le chœur, au
lieu d'un chœur plus important. Il en résulte une certaine transparence. La
configuration de la tribune de l'Orgue Thomas (2010) de l'Église Saint-Pierre
d'Albigny a permis une prise de son
spatialisée : chœur à gauche derrière les hautbois et les cordes, clavecin
à droite derrière les altos et les basses, les trompettes au fond. Voici pour
les partis pris de Nicolas Bucher. La Cantate 120 commence par une
intervention orchestrale du plus bel effet introduisant le chant de
louange : Gott, man lobet dich in der Stille, puis la
joie exubérante : Jauchzet
éclate avec les trompettes et timbales. Un récitatif fait ensuite allusion à la
ville, implorant la bénédiction et l'aide de Dieu envers ses serviteurs. Le
chœur conclusif (assuré par les 8 solistes) se présente comme une brève mais
insistante invocation. La Cantate 29 commence par la Sinfonia très
enlevée et bien ponctuée à l'orchestre. Il s'agit ensuite d'un chant d'action
de grâce : Wir danken dir, Gott, wir
danken dir, suivi d'un
premier Halleluja très développé concernant la force et
la puissance, avec de nombreuses vocalises. La brève louange : Gottlob est
suivie d'une prière sollicitant l'amour de Dieu et —après la reprise partielle
de l'Halleluja
— la Cantate se termine par un énergique chant de louange sur le choral : Sei Lob und Preis mit Ehren. Ces deux cantates
sont entrecoupées par le Prélude et Fugue
en Ré Majeur (BWV 532), interprété
par N. Bucher qui déploie toute sa virtuosité et son sens de la structure, à
l'Orgue Thomas (2010) de l'Église Saint-Pierre d'Albigny,
accordé à 415 Hz, à 2 claviers et pédalier, selon la facture en usage à
l'époque de J. S. Bach. Il s'impose autant comme organiste que comme chef avec
ses chanteurs. « Votez J. S. Bach », pour cette initiative inattendue
des Éditions HORTUS et Votez pour ce disque ! Édith Weber. « La Symphonie des Siècles 2015 » : Felix MENDELSSOHN : Concerto pour violon et orchestre en mi mineur . Nikolaï RIMSKI-KORSAKOV : Shéhérazade. 1CD ADAMA (site-index.aisne.com/adama.html
) 2016.
TT : 71'17. « La Symphonie
des Siècles » désigne l'Atelier départemental (Aisne) dépendant de
l'Association pour le Développement des Activités Musicales dans l'Aisne
(ADAMA), groupant des élèves des Écoles de musique et Conservatoires de cette
région ainsi que certains de leurs professeurs et une vingtaine d'artistes. Il
est dirigé par François-Xavier Roth, chef français (né en 1971) qui, dès 2003,
avait créé « Les Siècles, orchestre d'un genre nouveau qui interprète
chaque répertoire sur les instruments historiques appropriés ». Son
rayonnement de chef est international (Londres, Boston, Berlin, Amsterdam,
Vienne, Tokyo…) et il est également un pédagogue avisé. Ce disque reproduit
l'enregistrement public réalisé en concert le 5 juillet 2015, à la Cité de la
Musique et de la Danse de Soissons. Son programme comprend deux œuvres. Le Concerto pour violon et orchestre en mi
mineur (op. 6) de Felix Mendelssohn (1809-1847) —
si souvent galvaudé — n'est plus à présenter au grand public. Il est
interprété en soliste par Nicolas Dautricourt,
Lauréat de nombreux Concours internationaux. Il y fait preuve d'une technique
éblouissante dans son dialogue avec l'orchestre très réactif dans l'Allegro molto appassionato. Les
sonorités exceptionnelles du Stradivarius (1713) lui permettent de mettre en
valeur l'Andante central,
particulièrement poignant, débouchant sur l'Allegro
non troppo-Allegro molto vivace, énergique avec
des traits de virtuosité, ponctué avec précision à l'orchestre, suivis des
applaudissements d'un public enthousiaste. Shéhérazade, Suite symphonique (op. 35) de Nikolaï
Rimski-Korsakov (1844-1908), s'impose comme une page descriptive en 4 tableaux
avec, au violon solo, Laetita Ringeval,
à laquelle Fr.-X. Roth fait souvent appel. Tout d'abord : La mer et le vaisseau de Sindbad,
en deux mouvements contrastés : Largo
e maestoso-Allegro ma non troppo, excellant dans
la peinture d'atmosphère, puis Le récit
du prince Kalender, plus expressif ;
ensuite, Le jeune prince et la jeune
princesse, d'abord calme, puis animé ; enfin, la Fête à Bagdad - La Mer (évoquant le naufrage du bateau sur les
rochers), de caractère exubérant, en alternance entre le violon et l'orchestre.
L'œuvre se termine comme en suspension sur un long accord majeur tenu. Ce programme
concertant est magistralement restitué par les deux solistes et la Symphonie
des Siècles que François-Xavier Roth dirige avec autorité et musicalité :
une réussite. Édith Weber. « French Impressions ». Thierry Barbé, contreb0asse, Jean-Yves Sebillote, Valentin Villenave,
piano. 1CD TRITON (www.disques-triton.com ) : TRI 331206. TT : 66'08 + DVD. Mettant à l'honneur
la contrebasse associée au piano, cette réalisation (CD + DVD) regroupe des Impressions françaises originales, à la
fois sonores et visuelles. Cette formation rare propose trois Sonates et un Concerto, avec le concours de Thierry Barbé — contrebassiste
super-soliste de l'Orchestre de l'Opéra de Paris, remarquable pédagogue, de
réputation internationale — et de Jean-Yves Sebillote
— pianiste soliste du même Orchestre, très apprécié en France comme à
l'étranger, ainsi que Valentin Villenave, professeur
de piano, pianiste et arrangeur. Claude DEBUSSY
(1862-1918) est représenté par la transcription pour contrebasse de Thierry
Barbé (2013) de sa Sonate pour
violoncelle et piano (1915), avec Prologue
lent, expressif, Sérénade et Finale. Elle se rattache quelque peu à
l'esthétique française classique, dans laquelle le compositeur spécule sur les
quintes à vide typiques de la musique ancienne, mais aussi le triton et la
quinte juste ; le Finale est, en
fait, une toccata bien enlevée. Henri TOMASI (1901-1971) figure avec la
transcription pour contrebasse et piano par Valentin Villenave
de son Concerto pour contrebasse et
orchestre de chambre, composé l'année de sa mort, et interprété avec
énergie par Thierry Barbé et Valentin Villenave. Quant aux œuvres
contemporaines, la Sonate pour
contrebasse et piano (op. 52) de Florentine MULSANT (née en 1962), très
développée, et la Sonate pour ces
mêmes instruments de Richard DUBUGNON (né en 1968), ont le mérite d'être
commentées par leurs auteurs, ce qui permet aux discophiles de mieux saisir les
intentions compositionnelles et partis pris esthétiques. Ces commentaires
contribuent largement à la qualité du livret d'accompagnement avec l'Avant-propos de Thierry Barbé qui
conclut : « J'aime beaucoup ces quatre pièces très expressives,
lyriques, impressionnantes. Bonne écoute… », tout
en visionnant le remarquable DVD réalisé par Barbara Serré. Ces trois
interprètes proposent un regard sur la musique contemporaine et permettent de
découvrir de nombreuses possibilités expressives de la contrebasse jumelée au
piano. L'originalité de cette réalisation discographique d'Impressions françaises n'est pas à démontrer. Donc :
« Bonne écoute », par curiosité contagieuse. Édith Weber. Johann Sebastian BACH : Sonates BWV 525,
527-530. Transcriptions
pour flûte à bec des sonates pour orgue, par Jan van Hoecke
& Jovanka Marville. Jan
van Hoecke, flûte. Jovanka Marville, clavecin et pianoforte. 1CD Alpha : Alpha 237.
TT.: 63'10. Ce disque présente des transcriptions pour
flûte de cinq des six sonates pour orgue de JS. Bach. Effectuées par le
flûtiste Jan van Hoecke et sa partenaire claveciniste
Jovanka Marville, tous deux
lauréats du Concours International Musica Antiqua de
Bruges, elle en 1989, lui en 2014. Ces sonates pour orgue auraient été
rassemblées à partir de morceaux ou de mouvements épars d'autres sonates, à
l'intention du fils aîné de Bach, Friedemann. Un
certain nombre de mouvements ont été écrits pour d'autres instruments que
l'orgue, dont la flûte ou le violon. D'où la légitimité des présentes
transcriptions, les lignes de dessus des deux claviers d'orgue étant
suffisamment polyvalentes pour être jouées par d'autres instruments mélodiques,
à vent en particulier, et la ligne de basse étant alors dévolue au clavecin ou
au pianoforte. Les transcriptions sont imaginatives et soignées. Ces sonates
obéissent au schéma tripartite vif-lent-vif, la séquence centrale étant la plus
expressive, sur un ton mélancolique (BWV 529, et 530). A noter dans cette
dernière un élément rare rencontré dans ce type de pièce : un unisson entre les
voix, allusion peut-être aux concertos vivaldiens. Dans la sonate BWV 525, les
deuxième et troisième mouvements ont eux-même unes
structure bipartite. Pour les sonates BWV 527 et BWV 528, on a eu recours à un
pianoforte Silbermann dont les possibilités
harmoniques s'harmonisent fort bien avec les flûtes à bec ténor. Jovanka Marville le pratique avec
autant d'aisance que son clavecin habituel. Jan van Hoecke
joue quant à lui des flûtes à bec de registres différents, ténor ou alto, selon
les œuvres. Ses interprétations limpides le placent dans le sillage de son
aînée Michala Petri. Jean-Pierre Robert. Joseph HAYDN « Solo e pensoso ». Vol 3. Symphonies
Nos 4, 42, 64. L'Isola disabitata
Ouverture. Aria « Solo e pensoso ».
Francesca Aspromonte, soprano. Il Giardino Armonico, dir. Giovanni Antonini. 1 CD Alpha Haydn 2032 : Alpha 672. TT.:
68'57. Voici le troisième volume de la gigantesque
entreprise de Giovanni Antonini consistant à
enregistrer jusqu'en 2032 (!) l'ensemble des symphonies de Joseph Haydn. Ladite
intégrale n'étant pas conçue selon l'ordre chronologique, ce volume est comme
les précédents, centré sur un thème en l'occurrence celui de l'aria « Solo
e pensoso » (solitaire et pensif) d'après le
sonnet éponyme de Pétrarque ; et censé attirer l'attention sur le fait que ce
fut la solitude du musicien qui l'aurait conduit à devenir un compositeur
original, remarque Antonini. Quoi qu'il en soit, les
œuvres réunies ici offrent une vue intéressante des diverses manières du
compositeur. La courte Symphonie n°4 illustre la première manière avec
ses trois mouvements qui s'ouvrent par un presto vivant et original et se
poursuit par un andante dont la musique semble surgir des limbes, introduite
par une mélodie d'un extrême raffinement pianissimo. Un « Tempo di minuet » conclut agréablement la pièce avec des
différenciations piano/forte imaginatives. La Symphonie n° 42, de 1771,
qui occupe une position atypique au sein de celles appartenant à la période
« Sturm und Drang »,
offre deux premiers mouvements sur le versant lent. Ainsi du « moderato e
maestoso » et sa succession d'accords frappés, et de l'andantino cantabile
celant quelque mystère dans les cordes graves. Le menuet allegretto est
engageant et son trio volatile avec effets d'imitations d'oiseaux. Le finale
presto est un rondo à variations, le premier chez Haydn, avec effets de
surprise. La Symphonie n° 64, de 1773, sous-titrée « Tempora mutantur » (d'après
le proverbe latin : « les temps changent et nous avec eux »), aligne
un allegretto con spirito à la sérieuse rudesse
dynamique de ses rythmes syncopés, qui va de pair avec une certaine hardiesse
harmonique, puis un largo singulier d'une beauté poignante, et un menuet tout
en contraste dégageant une certaine joie de vivre. Le finale presto renferme de
curieuses allitérations des cuivres et une soudaine explosion de l'ensemble
orchestral. L'aria « solo et pensoso » du
sonnet XXXV du Canzionere de Pétrarque a été
écrit en 1798, l'année de La Création. Ce dernier air séculier de Haydn
dégage pourtant une certaine atmosphère religieuse en son début.
L'interprétation de la jeune soprano Francesca Aspromonte est aérienne. Le
disque comprend encore l'Ouverture de L'Isola disabitata
(1779), un des préludes opératiques les plus impressionnants du compositeur,
aux climats variés, mini symphonie en quatre mouvements, du largo au vivace.
Les lectures de Giovanni Antonini sont revigorantes,
avec une pointe de sécheresse que le raffinement et la plasticité de son
orchestre Il Giardino Armonico,
au demeurant peu nombreux, atténuent largement. Jean-Pierre Robert. Ludwig van BEETHOVEN : Missa Solemnis op. 123. Laura Aikin, Bernarda Fink, Johannes Chum, Ruben Drole.
Arnold Schoenberg Chor. Concentus Musicus Wien, dir. Nikolaus Harnoncourt. 1CD Sony : 88985313592. TT. : 81'33. Cette captation live durant le festival Styriarte de Graz, en juillet 2015, constitue donc le
dernier opus d'une somme discographique exemplaire laissée par Nikolaus Harnoncourt. L'achèvement sans doute de toute une
vie de musique, un ultime témoignage de l'art du grand chef autrichien. Il n'a
abordé la Missa Solemnis que sur le tard, en
1988, puis en 1992 à Salzbourg (date de son premier enregistrement chez Teldec avec le COE), se disant impressionné par une œuvre
longtemps jugée impénétrable. Comme souvent chez le maître, un immense travail
de maturation, d'analyse fouillée, l'a amené à la substance même d'une œuvre
que, dans un entretien de mai 2015, il n'hésitait pas à qualifier d'« absolument inouïe... Chaque section
de la messe est conçue sous un angle novateur ». La Missa Solemnis, sur laquelle Beethoven travailla de 1817 à
1823, dédiée à l'Archiduc Rodolphe d'Autriche, pour son intronisation comme archevêque d'Olomuc,
dépasse le propos liturgique par ses dimensions et par son esprit même et le
message de paix délivré : une paix à laquelle l'Homme aspire malgré les
conflits ; une paix « intérieure et extérieure » qui se conquiert.
Plusieurs idées force caractérisent cette interprétation : le respect au plus
près des indications dynamiques prévues par Beethoven, ce qui peut creuser des
écarts dynamiques substantiels, sans pour autant aboutir à des déferlements
sonores excessifs. Le nivellement de la dynamique, Harnoncourt en fustige
l'idée, qui reprend le mot même de Beethoven pour lequel cela
« défigure » l'œuvre. L'usage des silences aussi est avec Harnoncourt
essentiel. Enfin, une absence de théâtralisation évitant toute grandiloquence.
A cet égard le choix de l'orchestre est significatif : le Concentus
Musicus Wien avec lequel Harnoncourt travaillait de
plus en plus souvent pour ses interprétations beethovéniennes – comme en
témoignent les Symphonies nos 4 et 5, dans son récent CD, chez Sony - offre une
sonorité épurée, tant aux cordes qu'aux vents, les cors naturels en particulier.
L'importance de la contribution chorale, il la souligne en recourant au Chœur
Arnold Schoenberg, une formation d'une extrême tenue. La contribution soliste
n'est pas moins remarquable, portée par l'inspiration communiquée par le chef :
Johannes Chum, ténor d'une belle clarté d'émission, Bernarda
Fink, éloquente à chacune de ses interventions, Laura Aukin,
un choix a priori improbable, parfaitement en situation dans la partie de
soprano, enfin Ruben Drole, basse, émouvant dans sa
simplicité. La sincérité telle pourrait être le maitre
mot pour caractériser une interprétation qui vous empoigne de la première à la
dernière note. La Missa Solemnis n'est-elle
pas « Un des trésors les plus incalculables de l'esprit », selon la
belle formule de Romain Rolland (« Beethoven et les grandes époques
créatrices », Albin Michel) ? L'œuvre d'un croyant, défendue ici par un
croyant. Qui scrute chaque recoin d'une partition hors norme. Le Kyrie
installe grandeur et immensité. Le début du Gloria vivace éclate comme
une explosion de victoire. Plus tard, Harnoncourt se fait quasi martial sur le
maestoso de « Quoniam ». La fugue finale
s'élargit comme un torrent, haletant. Au Credo, après la force presque
tellurique des premières pages, on est enveloppé par la douceur de « Et incarnatus est ». Le « Et sepultus
est », est murmuré, proche du
silence, tandis que « Et ressurexit »
libère soudain un formidable éclat. L'Amen sera extatique. Le début du Sanctus
est hiératique avec des cors pas trop proéminents, encore plus lors de la
reprise instrumentale, moment de sérénité. Le « Praeludium »
avant le Benedictus est purement magique, dont procède le solo du Ier
violon (Erich Höbarth). L'Agnus dei atteint
les plus hauts sommets du dépouillement et de l'élévation d'esprit. La péroraison
instrumentale, avec sa petite marche militaire qu'interrompent les solistes,
pour un retour au tempo d'origine, fait place à une extrême douceur et à un pppp proprement envoûtant. « Von Herzen zu Herzen ! », « Venu du cœur, pour aller au cœur
! » a inscrit Beethoven au début du Kyrie. Ces mêmes mots on peut
les appliquer à cette ultime exécution du chef disparu, son testament
artistique. Un immense achèvement. Un disque indispensable. Jean-Pierre Robert. Robert SCHUMANN : Sonate
pour piano et violon N° 1 op. 105. Drei Fantasiestücke pour piano et violon
op. 73. Johannes BRAHMS : Scherzo de la sonate FAE.
JS BACH : Sonate pour clavier et violon BWV
1017. Itzhak Perlmann, violon et Martha Argerich, piano. 1CD Warner Classics :
0190295937898. TT.
: 50'58. Ce disque qui réunit deux immenses
musiciens, Itzhak Perlmann et Martha Argerich, trouve son origine dans une exécution de la
première sonate de Schumann donnée en juillet 1998, live à Saratoga aux USA, la
seule fois où ils se sont produits ensemble en concert, et jamais encore
publiée. Il est complété par des interprétations studio captées à Paris en mars
2016. La Sonate n°1 op 105 de Schumann (1851) offre trois mouvements :
« Avec une expression passionnée », agité jusqu'à une coda orageuse,
puis un allegretto, sorte d'intermezzo brillant, un brin mélancolique, et un
final vivace. Argerich qui avait déjà enregistré
cette sonate avec Gidon Kremer,
trouve en Perlmann un partenaire de pareille haute
volée. Les Trois Fantasiestücke op. 73, de
1849, ont été écrites à l'origine pour clarinette. Mais on connait aussi des
adaptations pour violoncelle, pour alto ou pour violon. Cette dernière
association fonctionne parfaitement dans une série de pièces où domine le mélodisme. Comme il en est de la première, « Tendre et
avec expression », au lyrisme voilé. La deuxième « Vif, léger »
contraste un premier thème allant et un second de type scherzando. La troisième
« Rapide et avec fougue » mêle le matériau thématique des deux premières,
à la fois lyrique et fougueuse. L'interprétation est immaculée. Comme dans le
Scherzo écrit par Brahms pour la fameuse sonate FAE de 1853, commandée par
Schumann à plusieurs musiciens. Brahms y affirme son extrême maîtrise dans un
mode affirmatif plein d'énergie au piano sur une ligne violonistique sinueuse.
La pièce la plus improbable du disque est la Sonate pour clavier et violon
n° 4 BWV 1017 de JS. Bach, extraite des Six sonates pour clavecin et
violon, qui sont des sonates en trio écrites à Cöthen.
C'est en effet une première fois pour Martha Argerich.
Basée sur le schéma de la sonata di Chiesa, lent-vif-lent-vif, La Sonate N° 4 se distingue par
un largo en forme de sicilienne où apparaît le thème de ce qui sera l'aria
« Erbarme dich »
de la Passion selon Saint Matthieu, et un adagio d'un lyrisme
consolateur encadrant deux mouvements plus vifs d'un allègre contrepoint fugué
où les deux instruments se partagent le discours à égalité. On admire ici,
comme dans les pièces de Schumann et de Brahms, la sonorité solaire de Perlmann que l'on retrouve avec tant de bonheur et le pianisme souverain de Martha Argerich. Jean-Pierre Robert. Piotr Iliich
TCHAIKOVSKI : Les Saisons op. 37bis. Album pour enfants ''à la Schumann'', op. 39. Elena Bashkirova, piano. 1CD gb Deutschlandfunk : gb 008. TT.:
78'24. la production pour
piano seul de Tchaikovski mérite autant d'attention
que ses concertos pour l'instrument. Ce CD présente ses deux plus importantes
compositions. L'origine de l'album Les Saisons, « 12 pièces de
caractère pour piano », provient d'une commande d'un éditeur
pétersbourgeois qui souhaitait que le musicien compose une courte pièce pour
piano destinée à être publiée sur la première page de la revue mensuelle qu'il
dirigeait et consacrée à la musique. Tchaikovski
s'acquitta de cette tâche de bonne grâce et y prit même un certain plaisir. Il
en est résulté une collection de douze vignettes publiées en 1876. Sur le
modèle de l'impromptu, chaque morceau pour le mois choisi est nanti d'un sous
titre évocateur : « Janvier – au coin du feu » ; « Avril -
Perce-neige » ; « Mai - nuits blanches » ; « Août - La
moisson », etc... On trouve une sorte d'hommage
à Chopin (« Mars »), une valse éthérée, ''à exécuter con grazia'' (« Avril »), une barcarolle évoquant le
chant du gondolier vénitien (« Juin »), le galop des chevaux et le
chant animé des chasseurs (« Septembre »). Le ton sait être
mélancolique à l'heure d'« Octobre - Chant d'automne », un andante doloroso e molto cantabile, ou au contraire léger pour
« Décembre - Noël » et son parfum de valse raffinée.
L'interprétation d'Elena Bashkirova est pure joie.
Depuis la version de Vladimir Ashkenazy on n'avait
pas entendu ces pièces sonner avec tant de délicatesse, d'esprit et de vraie
couleur populaire. Les origines russes de la pianiste n'y sont sans doute pas
étrangères. L'Album pour enfants op. 39, composé
deux ans plus tard, en 1879, offre là encore une série de 24 miniatures
« à la Schumann », dans le goût des Scènes d'enfants du
compositeur allemand. « Une série de morceaux courts et faciles pour piano
seul qui, à l'instar de Schumann, portent un titre qui parle aux
enfants », expliquera le musicien à sa protectrice Nadezhda
von Meck. Ce sont en fait
des morceaux d'étude. On y trouve une suite de danses : valse, polka, mazurka,
puis diverses chansons, russe, italienne, française, allemande et même
napolitaine ! Des pièces comme « Douce rêverie », sur le ton de la
confidence, atteignent un lyrisme dépouillé à force de simplicité, d'autres
tout en finesse, fleurent l'esprit (« Chant de l'alouette »). On y
trouve aussi des scénettes de la vie des enfants (« Le petit
cavalier », « Marche des soldats de bois » ou les trois pièces
consacrées à la poupée), ou de petites scènes de genre telles « Le moujik
joue l'harmonica », ou « Le joueur d'orgue de barbarie »,
nostalgique. Le dernier morceau, « A l'église », un plain-chant,
apporte une conclusion apaisée, tout comme la première pièce, « Prière du
matin », avait introduit un mode religieux emprunté à la liturgie russe de
Saint Jean Chrysostome. Là encore la manière simple, sans phare ni pathos
d'Elena Bashkirova fait merveille. Et la prise de son
claire et d'un parfait naturel ajoute au plaisir de l'écoute. Un bien
merveilleux disque. Jean-Pierre Robert. Jacques IBERT : Escales.... Sarabande pour Dulcinée.
Ouverture de fête. Féérique.
Divertissement. Hommage
à Mozart. Suite symphonique ''Paris''. Bacchanale. Orchestre de la Suisse Romande, dir. : Neeme Järvi. 1CD Chandos : CHSA
5168. TT. : 82'15. Voici un florilège passionnant d'œuvres
orchestrales de Jacques Ibert (1890-1962), musicien autodidacte qui cultiva
toujours sa différence. Prix de Rome en 1919, il sera porté à la tête de la
Villa Médicis en 1937 et cumulera ces fonctions avec celles d'Administrateur de
l'Opéra de Paris en 1955/56. La musique d'Ibert respire la clarté gallique, une
certaine atmosphère et un parfum jalousement défini. Ainsi Escales...(1922)
invite à un voyage dans l'imaginaire, de « Rome-Palerme » au coloris
presque debussyste et au climat brillant, à « Tunis-Nefta »
que distingue sa mélopée obsédante de hautbois, enfin à « Valence »,
sorte d'hommage à Chabrier de par sa valse entrainante, qui aux dernières pages
est d'une folle virtuosité, digne de celle de Ravel. Divertissement pour
orchestre de chambre (1930) provient d'une musique de scène écrite l'année
précédente pour la comédie Un Chapeau de paille d'Italie de Labiche. Il
comprend six mouvements. L'introduction brillante et enjouée donne le ton des
autres morceaux qui contrastent poésie et parodie : « Cortège » sur la marche
nuptiale de Mendelssohn avec effet jazzy, « Nocturne » au mystère
inquiétant dominé par la clarinette, une « Valse » animée et cocasse,
musette et légèrement canaille, comme dans « Parade ». Le « Finale »
qui débute par une cacophonie pianistique, fait suivre un cancan endiablé avec
sifflet obligé rappelant que la pièce de Labiche se termine dans un
commissariat ! La Suite symphonique ''Paris'', de la même année,
provient également d'une musique de scène, celle écrite pour Donogoo-Tonka de Jules Romain. Là encore, six
mouvements à l'orchestration extrêmement claire pour un parcours osé :
« Le métro » et sa rythmique obsédante à la Honegger,
« Faubourgs » et ses cuivres sonnants, son violon plaintif, sa
réplique d'un orgue de barbarie, « La mosquée de Paris » aux mélismes
onctueux du hautbois, « Restaurant au Bois de Boulogne » où valse et
foxtrot s'entremêlent, « Le paquebot Ile de France » ou comment rêver
à une croisière transatlantique, enfin « Parade foraine », là où tout
finit dans une gaité de foire. Ouverture de fête (1940, créé par Münch en 1942) dégage une belle exubérance dans son geste
large tempéré d'une section médiane plus calme avant une glorieuse péroraison.
On admire là encore la clarté de l'orchestration. Le disque propose encore quelques pièces
plus courtes, telles que Féérique (1924) où l'on apprécie le mélodiste.
Sarabande pour Dulcinée (1932) est le succédané d'une commande du
réalisateur Georg Pabst faite à Ravel pour le film « Don Quichotte »
avec Chaliapine dans le rôle titre. Hommage à Mozart (1956) est une
commande de la RTF, rondo ironique sur des thèmes du XVIIIème où l'on apprécie
la patte du musicien dans sa dernière manière ; comme dans Bacchanale,
de la même année, scherzo pour orchestre endiablé, gouailleur, dans une
orchestration complètement libérée et osant la rythmique la plus énergique,
voire frénétique. Neeme Järvi
pour ce nouveau disque de musique française à la tête de l'Orchestre de la
Suisse romande offre des interprétations d'une limpidité exemplaire et emplies
d'atmosphère. Jean-Pierre Robert. « Shakespeare Songs » : by Finzi, Byrd, Morley, Wilson, Morely,
Johnson, Schubert, Haydn, Quilter, Gurney, Warlock, Korngold, Poulenc, Britten,
Tippett, Stravinsky. Ian Bostridge,
ténor. Antonio Pappano,
piano. Avec Elisabeth Kenny, luth,
Adam Walker, flûte, Michael Collins, clarinette, Lawrence Power, alto. 1CD Warner Classics : 0825646106639. TT.: 66'54. Voici un disque particulièrement en
situation en cette année Shakespeare. On sait l'importance qu'occupe la musique
chez le grand auteur : chansons, références métaphoriques émaillent bien de ses
pièces. L'une d'elles, La Nuit des rois, s'ouvre et se referme en
musique. Elles ont aussi inspiré de très nombreux compositeurs dès son époque,
puis aux siècles suivants. Parmi ces innombrables chants sur des textes de
Shakespeare, Ian Bostridge et Antonio Pappano ont dû faire une sélection drastique. Mais le
florilège qu'ils en présentent est représentatif. Il y a plusieurs manières
d'aborder le sujet. Par pièce et texte : Henri V, La Nuit des Rois, Le
Marchand de Venise, Mesure pour Mesure, La Tempête, etc.... Par compositeur bien sûr : les contemporains comme
Thomas Morley, qui a pu côtoyer le Barde, William Byrd, John Wilson, Robert Johnson ; les musiciens
du XIX ème, finalement peu nombreux, comme Haydn, Schubert ; et ceux du XX ème, qui furent les plus inspirés par Le grand Will. Et
d'abord les anglais : Roger Quilter, Peter Warlock, Ivor Gurney,
Michael Tippett (« Songs for Ariel, musique de
scène pour La Tempête, de 1962), et surtout Gerald Finzi
qui écrivit tout un recueil de cinq chants « Let us Garlands
Bring », achevé en 1942. Mais aussi les
étrangers tels Erich Korngold qui s'illustra dans des
musiques de film sur des pièces comme Beaucoup de bruit pour rien ou
Le songe d'une nuit d'été, mais aussi dans des recueils de mélodies
spécifiques inspirées de Shakespeare. Dans ses « Three
Songs from William
Shakespeare » (1953), Igor Stravinski puise dans les Sonnets et dans Peines
d'amour perdues, une pièce peu connue, et prévoit un accompagnement
original de flûte clarinette et alto. Francis Poulenc, pour sa seule mélodie en
anglais, contribuera, comme Benjamin Britten, à une anthologie de pièces
enfantines « The classical songs
for children » publiée en 1964, empruntant au
poète. On peut concevoir encore une entrée selon le type d'instrument
accompagnateur (luth, piano, voire ensemble de chambre). On remarque qu'un même
texte a pu inspirer plusieurs musiciens. Ainsi de « O mistress
mine » de La Nuit des rois ;
en l'occurrence Finzi, Morely
ou Warlock. Le « Come away »
de la même pièce a été mis en musique par Finzi, Quilter ou Korngold dans des
approches bien différentes : poignant chez le premier, très expressif dans le
cas du deuxième, nostalgique chez le dernier. Sait-on que « Who is Silvia ? » des
Deux Gentilhommes de Vérone a inspiré aussi bien
Byrd que Schubert pour son Lied « An Silvia » D 891 ! Le récital, enregistré live lors de
concerts londoniens dans l'église de St Jude-on-the-Hill, en février dernier,
capte l'essentiel d'une poétique singulière, extraordinairement différentiée.
Ian Bostridge est nul doute l'interprète désigné ici,
connaissant son investissement et sa fine intelligence musicale, outre ses
talents de chercheur. Le timbre si particulier de ténor, clair transparent,
dramatique au besoin enlumine chaque morceau. Antonio Pappano
est plus qu'un simple accompagnateur, qui prodigue une partie pianistique
extrêmement diversifiée. La contribution des autres instrumentistes est tout
aussi remarquable, dont Elisabeth Kenny pour la partie de luth, en particulier
dans « Caleno Custure
me » de Byrd dont le refrain
proviendrait d'Henri V, ou « « Where
the bees sucks there suck I » de Johnson,
lui-même luthiste, d'après La Tempête. Un projet considérable, un disque
étonnant. Jean-Pierre Robert. Johann Sebastian
BACH : Toccata BWV 911. Ludwig van BEETHOVEN : Sonate pour piano N° 7 op
10 N° 3. Nikolai MEDTNER : Sonate pour piano op. 5. Lucas Debargue, piano. 1CD Sony :
88985341762. TT. : 70'45. Pour son deuxième CD et son premier opus
capté en studio, Lucas Debargue confirme ses talents
d'interprète et de musicien. Dans le choix de l'instrument joué, un Bechstein Grand à la sonorité ronde et non trop brillante.
Dans celui des œuvres proposées, plaçant au centre du propos l'idée de
construction, de rigueur formelle. Sans parler de leur statut de « hors
les sentiers rebattus » puisqu'une sonate de Nikolai Medtner y occupe la place essentielle. Ce compositeur russe
(1880-1951), admiré par Rachmaninov, sort peu à peu de l'ombre. Sa Sonate op.
5, la première d'une série de 14, a été écrite en 1903 et exploite le principe
cyclique. Un vaste allegro en trois parties déploie une dramaturgie alternant
des vagues imposantes couronnées de brusques accords répétés et des passages
plus tempérés, d'un profond lyrisme. Ces deux modes finissent par se mêler pour
atteindre un climax passionné. Il y a là un pianisme
très exigeant que Debargue maîtrise avec une aisance
confondante ; rappelant au passage que c'est avec cette œuvre qu'il triompha au
Concours Tchaikovski de Moscou en 2015, déchainant
l'enthousiasme du public. L'intermezzo installe un rythme de marche
fantomatique, là encore avec force répétition. Le largo, qui « est le
volet le plus russe », selon le pianiste, défend une grande manière post
romantique à la Rachmaninov, presque orchestrale avec ses accords majestueux,
ses silences évocateurs et ses montées en puissance inquiétantes, là où le
piano ferraille dans le grave ou caresse le registre aigu. La coda attaca mène le mouvement à une conclusion apaisée.
L'allegro risoluto déchaîne une vélocité effrénée
presque vrombissante. Le passage fugato en notes piquées est particulièrement
intéressant et la récapitulation combine intériorité et incroyable vitesse. La
maestria du pianiste français, en complète empathie avec cet idiome étrange,
s'affirme au long d'un morceau qu'il transfigure et rend même attractif. Cette pièce conclut un programme ouvert par
la Toccata BWV 911 de JS Bach où l'on admire le sens architectural du
premier mouvement et la clarté de la fugue montrant une souplesse digitale sans
sécheresse. Puis vient la Sonate op 10 N° 3 de Beethoven, un choix curieux a
priori, car cette pièce n'est pas aussi célèbre que les « Appassionata »,
« Waldstein » ou autre « Clair de lune ». Choix assumé car
c'est non pas « une sonate de transition » mais bien « une
pièce charnière », affirme Debargue. Son jeu
construit, imaginatif, éclate dans le presto initial, d'une énergie
jaillissante avec un art consommé des contrastes. Le largo montre une belle
densité, une rêverie à la fois sans affèterie et pas cérébrale. On note une
progression intéressante dans la deuxième section, là où la main droite égrène
un chant d'une grande pureté sans que la ligne expressive ne se perde dans les
méandres de l'inspiration. La conclusion est hautement pensée avec une
différentiation dynamique extrême, osée jusqu'au pppp.
Du Menuetto, dans le goût pastoral, Debargue livre une vision apaisée, et le trio tranche par
son exubérance. Au rondo final, l'animation est festive. Une magistrale
lecture. Jean-Pierre Robert. Antonio
VIVALDI. Les orphelines de Venise. Kyrie. Gloria. Sinfonia
al Santo Sepolcro. Credo. Concerto Madrigalesco. Magnificat. Ensemble Les Cris de Paris, dir. Geoffroy Jourdain. 1CD Ambronay :
AMY047. TT : 65'05. Cette dernière parution du label Ambronay est entièrement consacrée aux œuvres sacrées bien
connues d'Antonio Vivaldi, composées par le Prêtre roux pour l'Ospedale della Pieta à Venise où il fut intronisé comme « maestro di coro » le 2 juillet 1713. Ces œuvres, comme beaucoup
d'autres écrites pour les ospedali, posent un délicat
problème d'interprétation du fait du décalage existant entre leur partition
s'adressant à un chœur mixte (soprano, alto, ténor et basse) et leur
réalisation vocale par le chœur exclusivement féminin des institutions recevant
les orphelines de Venise, d'où la question légitime : Où sont les
hommes ? Geoffroy Jourdain, au terme d'importantes recherches musicologiques
sur le terrain semble en état de répondre à cette épineuse question animant le
monde musicologique et semblant mettre en péril la réputation même de ces
institutions où certaines mauvaises langues avaient un temps supposé une
quelconque présence masculine ! Qu'on se rassure immédiatement la morale
est sauve. En effet, les compositeurs avaient à l'époque coutume d'écrire leurs
partitions de musique sacrée pour chœur mixtes de façon à en assurer la plus
grande diffusion possible en multipliant les possibilités d'interprétation. Les
orphelines vivant dans les ospedali, en revanche,
avaient pour habitude d'adapter la partition originale pour voix égales,
exclusivement féminines, en faisant chanter la partie de ténor par les voix les
plus graves disponibles et en octaviant la partie de basse (une octave plus
haute, lui permettant d'être chantée par le pupitre des altos). En l'absence de
voix graves, la partie de ténor pouvait également être octaviée une octave plus
haut donnant ainsi naissance à une deuxième ligne de sopranos… Dans cette
version proposée par Geoffroy Jourdain et son ensemble les Cris de Paris,
l'effectif est exclusivement féminin nous donnant à entendre une interprétation
en tous points comparable à celle donnée à Venise par les orphelines de l'Ospedale della Pieta. Une interprétation remarquable au plan vocal et
instrumental qui nous transporte par son allant et son dynamisme, une belle prise son et un
livret très didactique qui font de cet album un élément indispensable de toute
discothèque. Patrice
Imbaud. JS.
BACH. François COUPERIN. Domenico SCARLATTI. Essences
baroques. Arkaïtz Chambonnet, guitare. 1CD Ad Vitam Records : AV 160615. TT :
55'35. Encore un très beau disque dédié à la
guitare dû au label Ad Vitam. C'est aujourd'hui en solo que le guitariste Arkaïtz Chambonnet, membre du
Quatuor Eclisses, se produit avec cet album intitulé « Essences baroques »
consacré à François Couperin (Les
Barricades mystérieuses et la 2e
Suite des Pièces de Violes) à Johann Sebastian
Bach (Sonate pour violon seul BWV 1001)
et à Domenico Scarlatti (Sonates K 208,
322, 380, 481). Trois compositeurs majeurs, contemporains mais ne s'étant
jamais rencontrés, vivant en France, en Allemagne, en Espagne. Trois essences
baroques, à la fois semblables et différentes, l'Autre et le Même, dont la mise
en miroir sur ce disque est particulièrement intelligente et digne d'intérêt.
Des œuvres écrites pour violon, viole de gambe ou clavecin, nécessitant donc
des transcriptions ou arrangements pour la guitare intégrant la basse continue.
Couperin, l'homme des pièces concises dont la 2e suite peut rivaliser
avec les compositions des plus grands gambistes de l'époque comme Marin Marais
ou Antoine Forqueray, Bach l'universel, homme des
multiples transcriptions, et Scarlatti auteur de 555 sonates. Une musique
intime, légère, aérée, délicate, virtuose, brillante superbement interprétée
qui prend sous les doigts d'Arkaïtz Chambonnet, un autre éclairage surprenant et émouvant par
la sonorité chaude et les qualités polyphoniques de la guitare. Un très bel
album ! Patrice Imbaud. « Nuit
transfigurée » Arnold SCHOENBERG
: Verklärte Nacht. Anton WEBERN : Langsamer Satz. Boris BOROWSKI : Klaviertrio. Trio Steuermann. 1 CD Hortus :
HORTUS 130. TT : 51'34. Si la Nuit
transfigurée de Schoenberg et le Mouvement
lent pour quatuor à cordes de Webern sont des œuvres bien connues dans leur
version pour cordes, il n'en va pas de même de leurs transcriptions pour trio à
cordes. D'où l'intérêt certain de cette nouvelle publication réalisée par le
Trio Steuermann (Maiko Matsuoka, Christophe Mathias et Anne de Fornel).
Des transcriptions particulièrement réussies qui apportent indiscutablement un
éclairage nouveau, enrichissant le
langage par une richesse accrue des timbres, soulignant la présence et le
relief des différentes parties pour y accroitre encore l'expressivité, le
dramatisme et le lyrisme. Ces deux compositions appartiennent encore au monde
de la musique post-romantique, fidèles à la tonalité.
Ce n'est que plus tard que les deux compositeurs franchiront le pas vers
l'élaboration de la « Nouvelle Musique » conduisant à la Seconde
école de Vienne. Verkläte Nacht fut composée en 1899 pour Mathide
von Zemlinsky que Schoenberg épousera. Considérée
comme la première musique de chambre à programme, ses cinq sections enchainées
correspondent aux cinq parties du poème de Richard Dehmel où l'auteur nous
narre les confessions d'une femme qui avoue à son amant qu'elle porte l'enfant
d'un autre… Si Verklärte Nacht
reconnait une certaine parenté avec Brahms et Wagner, Langsamer Satz de Webern datant de 1905 porte
l'influence mahlérienne. Deux œuvres majeures, encore sous influence, qui
marquent une étape importante avant les grandes œuvres de la maturité, atonales
et dodécaphoniques. Pour bien marquer cette transition délicate entre tradition
et modernité, le Klaviertrio
de Boris Borowski (*1979) vient de façon très
opportune et judicieuse compléter cet enregistrement associant une forme
traditionnelle à un contenu plus hermétique. Quand à l'interprétation du Trio Steuermann, elle se montre à la mesure de l'ambition du
propos tant ces transcriptions, loin de paraitre comme de pâles épigones, se
hissent largement au niveau des œuvres originales, un fait rare qu'il convient
de signaler. Un nouveau regard passionnant rendant ce disque absolument indispensable ! Patrice
Imbaud. Louis
VIERNE. Seul… Douze Préludes, op. 36. Trois
Nocturnes, op. 35. Silhouettes d'enfants, op. 43. Frédérique Troivaux, piano. 1 CD Hortus.
Collection « Les Musiciens et la Grande Guerre. Vol XXI
: Hortus 721. TT : 75'07. Voilà une bonne occasion de faire plus
amplement connaissance avec l'œuvre pour piano du compositeur français Louis
Vierne (1870-1937). Pianiste, compositeur, organiste titulaire du grand orgue
de Notre Dame de Paris, enseignant à la Schola Cantorum,
élève de Charles-Marie Widor, Louis Vierne fut une personnalité importante de
l'histoire de la musique par la renommée de ses élèves (Lili Boulanger, Maurice
Duruflé pour n'en citer que quelques uns…), auteur d'un catalogue étendu
comprenant de la musique pour orgue, pour piano, de la musique de chambre,
symphonique et vocale, ainsi que de nombreuses mélodies. Très marqué dans sa
chair par la Grande Guerre, par la perte de son fils Jacques, presque aveugle,
exilé en Suisse, le présent album nous présente trois de ses œuvres composées entre 1915 et 1920 où le piano se fait le témoin de sa
souffrance et de ses espoirs. Les Douze
Préludes (1915) nous livrent ses états d'âme : le piano s'y montre
volontiers véhément, péremptoire, orchestral plus souvent que confident, dans
un discours très narratif, parfois étrangement moderne, aux harmonies âpres où
se mêlent déploration et hargne. Plus intériorisés, les Trois Nocturnes (1916) nous
dévoilent un monde plus contemplatif, plus impressionniste, tandis que les Silhouettes d'enfants (1920) avec une
série de cinq miniatures signent un retour plus apaisé, plus serein attaché au
monde de l'enfance. Un très beau disque et une interprétation magnifique de
Frédérique Troivaux dont le jeu sait merveilleusement
s'adapter à toutes les facettes et climats de ces différentes œuvres.
Superbe ! Patrice Imbaud. Alexander
ARUTIUNIAN. Dimitri CHOSTAKOVITCH. Arkadi NESTEROV.
Alexandra PAKHMUTOVA. Sergei VASILENKO. Soviet Trumpet Concertos. Eric Aubier & Thierry Gervais, trompette. Moscow Symphony Orchestra,
dir. Bastien Stil. 1 CD Indésens :
INDE086. TT : 82'04. Très intéressante réédition par le label Indésens des concertos soviétiques pour trompette qui
ravira tous les amateurs de cuivres. Cinq concertos majeurs du répertoire pour
trompette bien connus des trompettistes, peut être un peu moins du grand
public…Une belle manière de juger de la virtuosité et de la sonorité tantôt
envoutante et mélancolique, tantôt
triomphale et ardente de l'instrument, élevé ici, en soliste, à son plus
haut niveau musical par deux interprètes de renommée internationale,
magnifiquement soutenus par le Moscow Symphony Orchestra. Des œuvres soumises à la censure du
régime, donc ambigües, toutes empreintes d'un mélange de mélancolie, de
tristesse, mais également de joie contenue et de grotesque, loin de tout
formalisme bien entendu proscrit !
Des concertos, dont le célèbre Concerto
pour piano et trompette de Chostakovitch, tous composés sous l'ère
soviétique, qui constituent un fragment d'histoire. Un
très bel album conçu comme un hommage au grand trompettiste Timofei
Dokchister (1921-2005) à qui plusieurs de ces
concertos furent dédiés, un musicien
considéré par Kurt Masur comme l'incarnation même de la maitrise dans
l'art de la trompette. Un album rare à écouter sans délai ! Patrice Imbaud. Dimitri CHOSTAKOVITCH : Quatuors à cordes
Nos 11, 8, 5. Élégie. Quatuor
Debussy. 1CD EVIDENCE (www.evidenceclassics.com):
EVCD018. TT.:70' L'ensemble de l'œuvre de Chostakovitch
demeure une énigme. Certains opus viennent du plus profond de sa sensibilité
tandis que d'autres semblent lui être totalement extérieurs. Quoi de commun par
exemple entre le quatuor n°8 opus 110 de 1960 et la symphonie n°12 opus 112
dite « 1917 » écrite moins d'un an plus tard ? La première œuvre
évoquée est toute d'intimité quand la seconde a l'accent martial d'une fresque
héroïque représentative d'un art officiel sans imagination, étranger en fait à
la pensée profonde de son auteur. Et pourtant c'est le même compositeur et ce
sont deux œuvres quasi concomitantes. En tout cas on admet en général que les
quatuors ont été pour Chostakovitch l'occasion d'exprimer ses sentiments les
plus secrets, ce que l'on doit espérer percevoir à travers leurs interprètes. Pour
y parvenir encore faut-il des musiciens à la hauteur du défi. C'est sans
hésitation le cas du Quatuor Debussy. L'Élégie qui introduit le disque est
historiquement intéressante. Écrite avant le premier quatuor de 1938 elle est
en fait la transcription de l'air de Katarina Ismailova
au 3ème tableau du Ier acte de Lady Macbeth du district de Mzensk
(et non pas un air du 3ème acte comme l'indique à tort le livret du CD). On
sait que cet opéra fut honni par Staline et par voie de conséquence interdit.
On peut donc penser que Chostakovitch tenait profondément à cette œuvre lyrique
pour en reprendre un extrait d'un ton particulièrement mélancolique et le
transcrire dans le genre musical le plus intime qu'est le quatuor à cordes.
Rappelons l'ultime phrase désespérée de cet air de Katarina « Personne
ne vient à moi, personne, personne ne vient à moi ». Le rendu qu'en
donnent les Debussy est conforme au propos concis voulu par le
compositeur : succession d'états psychologiques tels que mélancolie,
angoisse, sentiment de frustration. Suit le quatuor N° 11, op.122, le plus
tardif parmi ceux sélectionnés ici, puisque datant de 1966. Il se situe donc
dans une époque de relatif dégel qui permet aux artistes de s'exprimer avec moins de contrainte ; ce climat
politique favorise l'éclosion d'un langage dont l'audace est justement mise en
valeur par les musiciens. Ainsi le premier mouvement a des accents que Bartók
n'aurait pas reniés. Le scherzo est d'une ironie mordante voire déstabilisante
avec un rôle important donné à l'alto. « Récitatif » est rageur à
souhait et on doit souligner la virtuosité des quatre complices dans le
mouvement « Étude » : ils savent en tirer toute la substance
diabolique. Ensuite « Élégie » peut évoquer la Marche Funèbre de l'Eroica de Beethoven, l'œuvre se réalisant dans un final
apaisant. Nous avons là un un chef d'œuvre
magnifiquement servi. Quant au quatuor opus 110, qui date de
1960, nous avons rappelé qu'il précédait d'une année une 12ème symphonie plutôt
rébarbative. Il est en revanche on ne peut plus personnel avec en signature la
présence récurrente des quatre notes qui « figurent » les initiales
du compositeur. On a avec ces deux œuvres l'exemple typique de l'art de
Chostakovitch contraint d'osciller entre l'expression la plus profonde de son
âme et les gages de fidélité au service d'un régime peu apprécié, sachant
qu'après la mort de Staline en 1953 on respirait mieux en URSS. Dans cet opus
110 les Debussy savent rendre évidents les moments acides ainsi que d'autres
d'une extrême violence notamment dans l'allegro molto et l'allegretto.
Peut-être l'extrême fin du largo aurait-elle gagné à être encore plus
mystérieuse et interrogative à l'instar de ce que faisaient les Borodine. Le
5ème quatuor opus 92 est composé durant une séquence tragique de l'histoire de
l'Union Soviétique : on est à l'aube du « complot des blouses
blanches »; en effet cette dernière folie meurtrière de Staline intervient
début 1953, et la composition de Chostakovitch est achevée quelques mois plus
tôt. Nul doute que le climat à cette époque là est
inquiétant car les actions du dictateur sont imprévisibles comme on le vérifie
à l'aube de sa mort. Aussi Chostakovitch se garde-t-il bien de diffuser son
nouvel opus. Les censeurs, gardiens du jdanovisme, risquent en effet de
considérer comme attentatoire à la santé mentale des citoyens des propos aussi
personnels, parfois impertinents - même s'ils ne sont que musicaux - si
éloignés des élans collectifs décrétés par le pouvoir. Ainsi l'allegro initial
est-il en apparence désinvolte, ce qui permet d'introduire dans l'andante un
discours d'une profondeur confondante qui atteint le spirituel, ce que les
Debussy réussissent parfaitement à réaliser. Que dire qui ne soit pas réducteur
du dernier mouvement en trois parties, moderato, allegretto, andante ? Il
semble se fondre dans l'insouciance d'une valse, pour s'évanouir dans un
silence qui annonce l'éternité. On aurait aimé approcher au plus près cette
plénitude sous les archets des Debussy. C'est la seule réserve à propos de
cette interprétation : les silences ultimes des quatuors n°8 et 15 sont
peut-être trop abrupts. Mais qu'à un moment donné on ait pu comparer les
Debussy avec les Borodine situe bien à quel niveau d'excellence se situe le
présent enregistrement. Gilles Ribardière. Philip GLASS : « Glassworlds. 4 On Love ». The Hours. Modern Love Waltz. Notes on a Scandal. Music in Fifths. Nicolas
Horvath, piano. 1 CD Grand Piano : GP 692. TT : 61'10. Nicolas Horvath, né en 1977 à Monaco, est
un habitué de répertoires qui s'écartent des sentiers battus. Il se lance aussi
dans des défis étonnants, comme ce marathon Philip Glass offert le 1er octobre
de cette année 2016 au public de la Philharmonie : une nuit complète
consacrée à l'intégrale des œuvres pour piano du compositeur de
Einstein on the Beach ! L'enregistrement intitulé
« On Love » est lui-même partie d'un vaste projet intitulé Glassworld dont c'est le quatrième numéro. Il est composé
de quatre œuvres. La première, The Hours, est
la partition du film éponyme qui évoque Virginia Woolf, mais arrangée ici pour
piano solo par Michael Riesman et Nico Muhly. Les
trois autres compositions, très courtes, sont Modern Love Waltz, Notes on a Scandal
et Music in Fifths. Il ne faut pas se
laisser influencer par l'idée que l'on peut se faire d'une musique dite
répétitive qui serait ainsi réputée ennuyeuse. Les œuvres de Philip Glass sont
tour à tour puissantes et délicates, évocatrices d'atmosphères très diverses
qu'il a le don de révéler ; il captive à tout instant l'auditeur, aidé en
cela par la sonorité d'un superbe piano
admirablement enregistré. Philip Glass a donc composé la musique de The Hours. Mais ce qui frappe c'est que même ignorant sa
fonction d'illustration d'une histoire, nous sommes entraînés par l'enchaînement
de ses 14 parties. C'est une partition de musique pure qui s'adresse à notre
sensibilité, d'où un ressenti qui peut varier d'une personne à l'autre. Si
Nicolas Horvath qualifie la pièce « Something she has to do » de sinistre, d'autres pourront la
trouver mystérieuse. Il applique ce même terme « sinistre » à propos
de « The Kiss », alors que rien n'interdit
d'y voir une évocation du destin. On peut aussi admirer le talent de Philip
Glass en constatant que la réduction au piano de passages de l'opéra Satyagraha
pour la pièce « I am going
to make a cake » n'édulcore en rien la force, la
violence de son propos. Soulignons la délicatesse de l'interprétation de la pièce « Tearing
Herself Away », suivie
dans sa seconde partie d'une course à l'abîme impressionnante. Les 47 minutes
de The Hours nous entraînent dans des mondes
d'une variété infinie que le compositeur unifie par un discours d'une grande
cohérence stylistique magnifié par les doigts subtils de Nicolas Horvath. La brève composition Modern Love Waltz est étourdissante jusqu'à la dernière mesure qui
plonge l'auditeur dans un vide angoissant. Quant à la musique de Notes on a Scandal, on peut oublier qu'elle a été composée pour
accompagner les moments souvent tragiques du film ayant le même titre et trouver
qu'en fait, elle traduit une atmosphère mélancolique sans être pour autant liée
à un programme. Le disque se termine par une œuvre peut-être plus radicale que
les précédentes : Music in Fifths. Elle date
de 1969 et annonce cet opéra qui constitue une étape importante dans l'histoire
de la musique au XXème siècle : Einstein on the Beach, qui surgira
dans le paysage musical huit ans plus tard. Un enregistrement qui confirme
l'importance de Philip Glass et le talent original de Nicolas Horvath. Gilles Ribardière. Jacques LENOT : Chiaroscuro pour piano et 24 instruments; Erinnern als Abwesenheit I
pour orchestre; Erinnern als Abwesenheit
II pour piano et orchestre; Erinnern als Abwesenheit
III pour alto et orchestre. Winston Choi, piano, Laurent Camatte, alto. Ensemble Multilatérale, dir.
Jean Deroyer. 1CD Intrada :
052. enregistré à l'Espace de projection de l'IRCAM à
Paris, les 4, 5 et 6 novembre 2010. Texte français; TT. : 69'. Compositeur prolifique et d'une culture
immense, Jacques Lenot (*1945) aime convoquer dans sa
musique la peinture et la littérature, deux domaines qui lui sont familiers et
qui stimulent constamment son imaginaire. Si le triptyque Erinnern
als Abwesenheit
(« Faire du souvenir une absence ») est une première approche de Paul
Celan, Chiaroscuro (« Clair
obscur ») invoque la peinture - ni
Rembrandt, ni Le Caravage mais Rothko, prévient Lenot
- et le traitement de la lumière où s'origine son travail de composition. Chiaroscuro est une œuvre pour
piano et 24 instruments (2010), troisième version d'une composition débutée en
2004. Lenot l'écrit pour son interprète d'élection,
le pianiste canadien Winston Choi qui enregistre la même année l'intégrale de
sa musique pour piano solo (3 CD Intrada). Il y
écarte tout modèle d'écriture concertante, distribuant à chacun des
partenaires, vents, cordes et piano, des gestes et figures sans cesse réitérés,
tout à fois reconnaissables et en constante mutation. Les lignes tendues,
toujours arrêtées puis recommencées, creusent la matière et explorent un espace
où les matériaux respectifs se contaminent, modifiant à mesure les
configurations instrumentales. Ainsi le
second mouvement fait-il alterner de manière plus urgente le piano et
l'ensemble orchestral où cordes et vents jouent en surimpression. Dans une
temporalité autre, Lenot mélange les figures et les
couleurs sur la toile sonore du troisième mouvement dont la finesse du détail
relève d'un travail d'orfèvre. Le geste éruptif du piano faisant jaillir la
lumière au terme de l'œuvre est magistral. L'interprète ne l'est pas moins, au
côté d'un Ensemble Multilatérale exemplaire sous la direction de Jean Deroyer. Parlant du « Dialogue dans la
montagne » (ou « Entretien dans la montagne »), un texte de Paul
Celan écrit en souvenir d'une rencontre manquée avec Théodore Adorno, Jacques Lenot souligne, dans la notice du CD : « ce texte ne
donne pas à voir deux sujets qui s'entretiennent l'un avec l'autre, mais deux
voix qui ont besoin l'une de l'autre et sont liées l'une à l'autre
[...] ». C'est définir très précisément l'équilibre des forces en présence
dans Erinnern als
Abwesenheit (2009), un triptyque d'envergure
(26') convoquant successivement l'orchestre, puis le piano avec l'orchestre, et
enfin l'alto et l'orchestre. Des trames sonores qui s'amorcent et des impacts
ponctuels animent un espace très mouvant au sein de la première page
orchestrale. Dans le second volet, les sonorités sont filtrées, initiant une
cérémonie étrange où le piano hiératique et lointain – impérial Winston Choi -
distribue ses accords sur la trame légère des vents et le frottement éolien des
cordes. Le temps étal invite à une écoute immersive avant que le piano
n'exaspère ses sonorités jusqu'à la transe. Lignes, couleurs, épure et
transparence tissent enfin l'espace du dernier mouvement où l'alto très
éloquent, traversé du même frisson éolien, croise sa trajectoire avec d'autres
timbres solistes, celui de la trompette en sourdine notamment que Lenot, quelques années plus tard, associera aux quatre
cordes dans son quatuor avec trompette Et il regardait le vent (2015).
Merveilleusement liés l'un à l'autre sous le geste de Jean Deroyer,
l'altiste Laurent Camatte et l'Ensemble Multilatérale
confèrent lyrisme et ferveur à cette étrange supplique. Michèle Tosi. ***
MUSIQUE ET CINEMA
ENTRETIEN Éric Demarsan : J'ai la chance de travailler avec de gens qui
aiment la musique Dès qu'on parle de ce compositeur à la
moustache fournie, on pense aux deux chefs d'œuvres de Jean-Pierre
Melville : « L'Armée des
Ombres » et « Le Cercle Rouge ». Mais sa carrière ne s'est
pas arrêtée dans les années 70. Avec beaucoup de gentillesse il a accepté de
refaire un survol sur son métier de compositeur pour l'image.
Cinquante ans de
musique pour l'image ? Le premier film de ma carrière c'était la
série de Cécile Aubry, « Sébastien
Parmi les Hommes », 1967 je crois. Donc vous calculez, presque
cinquante ans effectivement ! En
cinquante ans avez- vous vu des évolutions, des révolutions, au sujet de la
composition et des réalisateurs ? Oui on ne peut pas dire le contraire, mais
c'est surtout l'évolution de la technique qui a joué. Je ne suis pas certain
que les réalisateurs soient aujourd'hui plus attirés par la musique. Il y en a
toujours qui ont des oreilles en plomb ! Est-ce
que vous avez dû vous battre pour leur faire comprendre l'importance de votre
travail ? A l'époque on ne mettait pas trop de musiques provisoires… Je ne faisais même pas de maquette. En
fait, pour « L'Armée des
Ombres », je suis allé jouer les thèmes un par un à Melville chez lui,
tous les samedi sur son farfisa,
et je ne lui ai jamais enregistré quelque chose en avance. Il me disait oui ou
non. Je transformais ou pas, mais une fois qu'il avait entendu, je travaillais
en direct sur le film. Il entendait l'orchestration
à la finition ! Oui et pendant longtemps on a travaillé
ainsi. A tel point qu'il y a des metteurs en scène - et c'est arrivé à Claude Bolling - qui ne reconnaissaient pas ce qu'ils avaient
entendu au piano, parce qu'il y avait quarante ou quatre vingt musiciens. J'ai
toujours travaillé ainsi. Il n'y a qu'une quinzaine d'années qu'on doit faire
des maquettes. C'est aussi plus facile d'en faire grâce aux logiciels.
Lorsqu'on ne faisait entendre que du piano seul, le metteur en scène ne pouvait
retenir que la mélodie. La mode aujourd'hui ce n'est plus d'écrire des
mélodies. Donc on est obligé de montrer une sorte d'ersatz de ce que sera la
musique à la fin. Dans une maquette on agrémente, on fait le dessin de ce que
sera la peinture à la fin ! Sont-ils plus
exigeants lorsqu'ils entendent cet ersatz ? Non pas trop. J'ai la chance de travailler
avec des gens qui aiment la musique, qui
sont mélomanes, qui m'entraînent sur des pistes auxquelles je n'avais pas pensé.
C'est un rêve de travailler comme cela. Ceux qui n'ont aucune idée et qui vous
disent ''je te fais confiance'', ce sont les plus dangereux ; il faut faire
très attention. J'ai eu une fois cette expérience, avec un
réalisateur… « joker »… qui me
demandait une musique très rythmique. C'est ce que je lui ai fait, mais si je
lui avais fait écouter, « L'Armée
des Ombres », c'est cette musique qu'il aurait prise. C'était
l'inverse de ce qu'il voulait en fait mais il ne le savait pas. J'ai rencontré
ce genre de pratique plusieurs fois ! Il vous avait
choisi parce qu'il avait entendu « L'Armée
des Ombres » ? Sûrement, c'était un grand ami de Melville
à l'époque. J'ai des metteurs en scène qui vous disent : c'est ton boulot,
vas-y je te fais confiance. Et en définitive la maquette ne leur convient jamais
parce qu'ils ont la musique d'un autre film dans la tête. Alors je leur dis que
c'est impossible de pasticher une musique et que ça ne marchera pas ! D'avoir
travaillé sur un film qui a eu du succès fait que la musique devient célèbre.
Est-ce que cela a joué dans votre carrière ? Pas beaucoup. Pendant très longtemps
j'allais chercher les films moi-même, je n'avais pas d'agent, j'allais au
charbon voir les réalisateurs avec qui j'avais envie de travailler, j'insistais
et c'est comme cela que j'ai fait beaucoup de films. Mocky, par exemple, c'est
de cette manière que je l'ai rencontré. Vous avez fait
beaucoup de films avec lui ainsi qu'avec Nicloux... Oui et dans les séries avec Hervé Hadmar. Avec Nicloux j'ai fait
quelques films dont son dernier, « The End ». Il est très précis dans
ses choix, il vous entraîne quelque part et c'est très intéressant. Hadmar est pareil. Je crois que c'est la cinquième série
que je compose pour lui. Il me fait écouter des compositeurs : ça va dans tous
les sens, de Morton Feldman à Howard Shore. Il me
donne des bases de réflexion et c'est intéressant. Ils
veulent une certaine ambiance mais ce n'est peut-être pas ce que vous leur
proposerez ? J'arrive à bien les connaître et je sais ce
qu'ils tournent, les sujets qu'ils abordent. Je viens de faire un film sans
argent, pour un metteur en scène qui est un ami. Il m'a fait une proposition de
musique et moi je lui ai proposé le contraire. Je lui ai fait deux ou trois
maquettes et il a trouvé que j'avais raison. Lui, il voulait une musique pour
une comédie et en fait son film est une comédie dramatique qui tourne mal. Travailler avec
Mocky cela doit être spécial. Il a une telle réputation ! Avec Mocky je dis toujours les mêmes
choses, il me faisait une liste de commissions ! Deux minutes de tango,
une minute trente de chœur religieux, trois minutes de ceci, de cela. Il
faisait sa liste au fur et à mesure et à la fin il faisait le total et me
disait : « tu as quand même trente minutes de musique, c'est pas
mal ! » Il les plaçait où
il voulait ? Oui, mais on ne peut pas dire que c'était
de la musique de film ! Ce n'était pas un travail sur l'image ! Il
plaçait ses musiques mais ne les coupait pas cut. Il
faisait un vrai travail. Vous
avez quand même fait sept films avec lui dont « L'Ibis Rouge » qui est une musique étonnante ! Là je me suis marré. Il faut dire qu'avec
lui on rigolait beaucoup ! Pour « L'Ibis
Rouge », je lui ai proposé un orgue de manège parce que cela se
passait sur les quais de Loire. Il adore tout ce qui est original ! J'ai
écrit la partition et on l'a fait fabriquer sur un carton par Alain Vian, le
frère de Boris, puis on est allé chez un collectionneur à Chatou avec des
orgues de rue et de manège et on a enregistré la musique! J'avais écrit deux thèmes et Mocky pouvait
marier les deux ! C'est unique comme approche musicale. J'ai écrit plein
d'autres thèmes pour ce film, des musiques fonctionnelles mais toutes inédites. Revenons
en arrière sur votre vie de compositeur : On raconte que vous êtes autodidacte,
mais ce n'est pas très exacte cette légende ? Non je ne le suis pas. Je n'ai pas fait le
conservatoire mais comme j'ai travaillé avec des professeurs de conservatoire,
j'ai fait quand même le cursus. Vous avez assisté
deux compositeurs atypiques, Magne et De Roubaix ! Alors de Roubaix, lui était un vrai
autodidacte, il jouait d'une pléiade d'instruments. Comment l'avez-vous
connu ? J'étais assistant de Magne, il avait trois
ou quatre assistants en permanence, et celui qui écrivait les choses les plus
importantes était Bernard Gérard. J'étais donc en résidence comme on dit
aujourd'hui, pendant deux ans. Bernard me dit qu'il a trop de boulot avec
Michel pour s'occuper de François de Roubaix qui lui demandait de faire les
arrangements, les orchestrations et la direction pour un film. Il me propose de
le faire et c'est ainsi que j'ai connu François. Notre collaboration a commencé
par « Le Samouraï » !
Ce qui n'était pas mal quand même ! Je remercierai toute ma vie Bernard,
même s'il n'est plus de ce monde car j'ai rencontré ainsi Melville ! J'ai,
lorsque j'écoute « Le
Samouraï », l'impression de ne
pas entendre du de Roubaix ! C'est du de Roubaix et j'y ai apporté des
choses, mais en même temps on avait une même conception de l'écriture, lui il
la jouait, moi je l'écrivais…Un jour j'ai dit à Ennio Morricone « quand
même vous m'avez piqué ma marche harmonique », lui qui rigole juste quand
il se brûle, j'ai détendu l'atmosphère. Vous savez et je continue, do mineur-si
bémol six-la bémol sept majeur-sol-quinte - c'est à moi ça ! Il a compris
que je rigolais, mais ça m'a fait cet effet là : quand j'ai entendu « Le Bon, La Brute et Le Truand »,
j'entendais mes harmoniques. Et avec François c'était un peu ça. On avait ces
mêmes descentes. On a fait un travail ensemble qui était très homogène entre
nos deux conceptions de l'écriture. Pourquoi alors
c'est vous qui avez continué avec Melville ? Le sort en a décidé autrement! Pendant
l'enregistrement, François donnait des indications. J'avais quand même les
jetons parce que le vieux était là, avec ses lunettes. et
il a retiré son stetson et il a mis son pouce en l'air pour me féliciter !
Tout s'est passé magnifiquement pour moi et après il m'a dit « Monsieur
D'Marsan on se reverra » !
L'année d'après il m'a rappelé pour « L'Armée
des Ombres » Et il
a bien fait, excusez-moi de vous le dire ! Elle fait partie des grandes
musiques de film ! Et Magne alors ? Oui lui aussi était atypique. Je l'ai connu
j'étais gamin, il habitait rue Lepic et j'avais des
copains à Montmartre. On était à l'école ensemble, on avait dix huit ans.
Michel était drôle, déconneur et je l'ai connu par l'intermédiaire de ses
copains. On faisait la foire chez lui, avec lui… J'étais pianiste de bar et
j'ai fait toutes les boîtes de Montmartre. Il y avait beaucoup de musiciens qui
venaient. En rentrant du service militaire j'ai continué à faire du piano,
j'étais pianiste d'édition chez Vogue et j'avais perdu Michel de vue. Un
directeur artistique était pote avec lui et il nous a remis ensemble. Quelques
temps après Michel m'a invité à dîner à la Maison d'Alsace et m'a dit d'arrêter
de faire le pianiste de bar. Il m'a proposé de faire de la musique de film.
C'est ainsi que j'ai passé deux ans chez lui. J'ai commencé à faire de la
copie. Ensuite il m'a donné des arrangements à faire et chaque fois il
vérifiait, il me corrigeait sur des partitions à lui. C'était à l'époque
de quel film ? Il venait de terminer « Angélique ». On était toujours trois ou quatre
assistants et dans le dernier étage du château qui était une salle de musique,
il y avait une table de ping pong
et on était tous les quatre autour de la table à écrire chacun un film. A cette
époque Michel faisait deux films par mois, c'était infernal. Il passait
derrière nous comme un maître d'école et nous corrigeait. Moi j'étais tout
jeune mais il y avait des gens plus âgés. Il y a eu une époque où Jean-Claude Vanier a travaillé pour lui. Bien avant Bernard il y a eu
Michel Colombier. A l'origine vous
vouliez composer de la musique de film ? J'avais surtout envie de faire du
symphonique et la majorité des musiques que j'ai composées c'est du
symphonique. Dès le départ, même avant de faire du piano, j'écoutais des
compositeurs du style Mozart, Vivaldi, Beethoven…j'écoutais énormément le
répertoire classique. Dans votre famille
on était amateur de musique ? Ma grand-mère était peintre, relieuse, et
mes parents n'étaient pas du tout dans la musique. On habitait en bas de la rue
Lepic et tous les soirs je montais jouer place
Montmartre et redescendais la rue. Vous avez donc
accompagné des chanteurs je suppose ? Oui bien sûr, beaucoup qui chantaient sur
la butte et qui n'étaient pas connus. Chez Vogue je faisais aussi tous les
arrangements des chanteurs ou des orchestres. Cela m'a préparé à travailler
avec Magne, j'avais déjà la technique. Avez-vous écrit
pour vous-même ? Non !
J'ai très peu écrit. Il faut qu'il y ait une contrainte ! Comme
Mozart ! Magne vous a donc
ouvert la voie ! J'ai eu beaucoup de chance de l'avoir
rencontré et c'est grâce à lui que j'ai pu faire une carrière de compositeur de
musique de film ! Mais à cette époque on pouvait compter sur les doigts de
la main les compositeurs français de musique de film, une dizaine dont
moi ! Aujourd'hui c'est diversifié et beaucoup de gens pensent qu'ils sont
capables de faire de la musique de film. Mais leur musique n'est plus du tout
la même, ce n'est plus le même travail, ce sont des plages sonores faites à
l'ordinateur et c'est ce que veulent les metteurs en scène en France. Lorsqu'on
écoute les musiques des séries américaines c'est totalement différent, c'est
très bien fait, on a de vraies musiques, même si elles sont écrites au départ
sur des logiciels. Moi, j'apprécie ce travail ! Lorsque j'ai commencé les
séries avec Hadmar, on avait des budgets qui nous
permettaient d'avoir des orchestres, bien sûr des pays de l'Est, car à Paris
c'était trop cher. Pour « Signature», qui se passe à la Réunion, j'avais
quatre vingt dix musiciens, et puis tout d'un coup les budgets ont baissé et on
s'est retrouvé avec un quart des musiciens ! Dans les séries françaises
c'est la mode que tout soit électronique, des plages instrumentales, des
tenues, des boucles… Quand
Sarde est arrivé sur la marché il a dû prendre pas mal
de boulot, non ? Sarde est très élégant. Je devais faire « Les Choses de la Vie », et
Sautet que j'avais rencontré, m'a dit : ce n'est pas sûr que tu puisses faire
mon film car on me demande de prendre Sarde. C'était son premier film et il a
fait ensuite toutes les musiques de Sautet. Un jour, dans une interview, il a
eu ce mot délicat : il devait sa carrière avec Sautet à Éric Demarsan qui étant en train d'écrire « Le Cercle Rouge », n'a pas pu écrire « Les Choses de la Vie » ! Mais pourquoi
Tavernier ne vous a jamais contacté ? C'est une chose que je ne m'explique
pas ! On se connaît bien depuis quarante ans et ça ne s'est jamais fait.
Est-ce qu'il n'aime pas ma façon d'écrire ? Pourtant il dit des
choses très gentilles sur mes
enregistrements, il a fait ses huit heures, il m'a fait appeler par Stéphane Lerouge pour faire la musique additive, je l'ai rencontré
plusieurs fois et en définitive il a pris Bruno Coulais…Cela ne me dérange pas
beaucoup parce que j'aime ce que fait Bruno et il n'y avait pratiquement pas de
musique originale à composer. Son associé Bourboulon
m'adore ! Quand j'ai fait « L'Affaire
Gordgy » de Nicloux,
il m'a félicité pour ma musique ! Et votre brève
collaboration avec Costa Gavras sur « Section
Spéciale » ! C'est un film fort. Pour le coup Costa
n'est pas musicien, pas mélomane. Je lui ai proposé plein de trucs et il a
choisi des thèmes, mais je n'ai pas eu un rapport étroit sur la construction
dramatique et la musique. Humainement c'est quelqu'un avec qui j'ai eu des
rapports chaleureux. Ce n'est pas ma musique préférée mais importante par
rapport au sujet. Y'a-t-il
une musique que vous aimez particulièrement et dont le film est passé
pratiquement inaperçu ? Oui, c'est le film de Pierre Zucca qui s'appelle « Roberte », un film un peu
trop élitiste et qui n'a pas eu une bonne distribution. Les acteurs n'étaient
pas bons. C'étaient Pierre Klossowski et sa femme qui jouaient et qui n'étaient
pas des comédiens. Pierre m'a laissé faire ce que je voulais. C'est à dire : on
a vu le film ensemble et il m'a dit qu'il avait une idée et qu'il aurait mis de
la musique de cirque ! J'ai essayé de trouver de la musique de cirque.
J'ai trouvé un thème qui tenait du tango et du jazz et je l'ai orchestré comme
j'ai voulu et là j'avais un orchestre de douze violoncelles, quatre altos, une
percussion et deux saxos de jazz anglais. Tout était écrit sauf les deux saxos.
Je leur ai donné des grilles, ils ont écouté une fois la musique et ils
pouvaient improviser à leur guise. La partition orchestrale était très écrite,
les violoncelles trouvaient que leur partition était injouable, toutes les
notes étaient en haut du chevalet, c'était compliqué pour les doigts. Je savais
que c'était impossible mais je leur ai demandé de le jouer quand même ; c'est
l'effet qui m'intéressait. Il y avait de tout au niveau écriture. L'orchestre
anglais a été incroyable. C'était la première fois qu'on leur demandait de
jouer une écriture aussi complexe. C'était Harry Rabinowitz
qui dirigeait, il était extraordinaire ! Il m'a beaucoup aidé. En écoutant
cette musique, je me suis dit que je ne pourrai jamais faire mieux ! Vous êtes donc
aussi un amateur de jazz... J'étais fana de Gil Evans et de ses
orchestrations, j'adore le jazz symphonique et j'ai fait des orchestrations
pour les gens du Lido ! Il y a les girls et il y a des chanteurs et il
fallait faire clinquant, style comédie musicale. Vous avez aussi
fait la musique de la « Légende des
Sciences » C'était un projet très intéressant mais le
metteur en scène était très spécial ! La seule et unique chose que j'ai
appréciée chez lui c'était qu'il me poussait artistiquement. Pour le reste
« joker » ! Il m'a fait des tas d'entourloupes. Je viens de
récupérer mes droits et je vais pouvoir ressortir le disque que beaucoup de
gens demandent. Et
l'actualité ! Je viens de terminer « Au delà des Murs », une mini
série pour Arte, avec Hervé Hadmar, et je commence
l'écriture de la deuxième saison des « Témoins »,
huit épisodes avec peu de temps et très peu d'argent. L'écriture de ces
séries est différente... Oui parce qu'il faut écrire des vignettes,
des thèmes de trois notes, des bouts de plages musicales qui sont des musiques
à la mode. Et puis Hervé aime les musiques abstraites. Mais c'est différent de
l'écriture de la musique de film. Racontez-moi pour
finir cette anecdote qui fait du bien pour l'ego ! Un jour un professeur de musique du
conservatoire de Viry Châtillon m'appelle pour me
demander de faire une conférence, puis un concert de quelques unes de mes
compositions avec les élèves et enfin de projeter « Le Cercle Rouge ». J'accepte et on fait tout cela. Et
ce fameux professeur, amoureux de ma musique, me dit « ce qui serait bien
c'est que vous ayez une plaque sur le mur du conservatoire ». Et le samedi
24 septembre on a posé une plaque à mon nom sur le mur du jardin de Viry Châtillon : « Jardin Éric Demarsan compositeur » ! https://www.youtube.com/watch?v=WMtqviCGcHc Propos recueillis
par Stéphane Loison. ANNONCES
LAON – Maison des Arts et Loisirs Dimanche 16 octobre 2016, dans le cadre du Festival de Laon : Ciné-concert
présentant le Faust de F. W. Murnau avec Paul Goussot
à l'orgue
AUDI TALENTS AWARDS Du 25 octobre 2016 au 30 mai 2017, 23 rue du Roi de Sicile à Paris. Ouverture de la Galerie Audi talents, à l'occasion des 10 ans des Audi
talents awards. Un pas de plus pour Audi dans son
soutien à la création émergente en France. Une programmation protéiforme en
Design, Musique à l'image, Art contemporain et Court-métrage. Un comité
artistique d'experts réunit René-Jacques Mayer (École de Camondo,
D'Days), Gaël Charbau
(Collège des Bernardins, Universcience), Carole Scotta (Haut et Court) et Vincent Carry (Arty Farty, Nuits sonores).
Florent et Romain Bodart, lauréats de musique à
l'image 2015, seront présents musicalement dans cette galerie éphémère. Un « Week-end Musiques à l'image » est prévu au mois de décembre à la Philharmonie (3-4/12).
VLADIMIR COSMA fait une tournée avec ses musiques dans plusieurs
villes de France : A Lille le 1er octobre, à Dijon le 2, puis le 7 à Nice, le 8 à
Toulouse et le 9 à Paris. BO en CDs LE SERPENT. Réalisateur : Henri Verneuil. Compositeur :
Ennio Morricone. 1CD Music Box Records : MBR-099 Adapté
du livre de Pierre Nord, Le Treizième
Suicidé (1969), Le Serpent est un film d'espionnage au scénario complexe. Il met en
vedette Yul Brynner dans le
rôle de l'espion soviétique Vlassov. D'autres grands noms du cinéma
international viennent compléter le casting, Henry Fonda, Dirk Bogarde, Virna Lisi, Philippe Noiret, Michel Bouquet. La musique transcrit
parfaitement l'univers froid et sans émotion des services secrets
internationaux. Ennio Morricone livre une partition électro-acoustique, parfois
proche de l'expérimentation sonore, dominée par l'atonalité. La partition fait
également part au lyrisme, avec son grand thème dramatique (Canzone lontana) pour le final du film, dominé par la voix de la soprano
Edda Dell'Orso. Ennio Morricone propose également
différents arrangements et variations autour des mêmes thèmes. La plupart des
morceaux ne sont pas retenus dans le montage définitif du film. https://www.youtube.com/watch?v=DgqAt-5vBSI&list=RDDgqAt-5vBSI#t=20 L'HOMME
PRESSE – LE BEAUJOLAIS NOUVEAU EST ARRIVE. Réalisateurs : Edouard Molinaro
– Jean-Luc Voulfow. Compositeur : Carlo Rustichelli. 1CD Music Box Records : MBR-098 Music Box propose deux BO de Carlo Rustichelli.
L'une est celle de l'adaptation du livre de Paul Morand réalisé par le bon
faiseur qu'est Molinaro, l'autre est celle de
l'adaptation de l'excellent roman de René Fallet.
Dans « L'Homme Pressé », film banal, Alain Delon y interprète un antiquaire qui veut profiter de
tout ce que la vie peut offrir. Il vit ses passions à très grande vitesse.
Carlo Rustichelli accompagne le parcours du
personnage en choisissant un thème mélancolique qu'il développe tout au long du
film. Pas très excitant. Pour « Le Beaujolais nouveau est arrivé »,
Carlo Rustichelli y associe une valse ritournelle
faisant penser à Nino Rota et qui fixe d'entrée le ton du film. Adepte des airs
populaires, il use de son savoir-faire pour amener un parfum d'Italie à cette
comédie à la française, grâce à des instruments comme l'accordéon et
l'harmonica. Bof ! https://www.youtube.com/watch?v=haJP36DGEnU FRANTZ. Réalisateur : François Ozon. Compositeur : Philippe Rombi.
1CD Cristal Records : 88985363062 Au lendemain de la guerre 14-18, dans une
petite ville allemande, Anna se rend tous les jours sur la tombe de son fiancé,
Frantz, mort sur le front en France. Mais ce jour-là, un jeune Français,
Adrien, est venu se recueillir sur la tombe de son ami allemand. Cette
présence, à la suite de la défaite allemande, va provoquer des réactions
passionnelles dans la ville. Pour cette nouvelle collaboration avec Philippe Rombi, Ozon a décidé qu'au tout
début du film, il y aurait de l'austérité, aussi bien dans la mise en scène que
dans l'utilisation de la musique, très peu présente et discrète, jouant sur des
tensions dramatiques et un léger suspens. Et petit à petit, l'idée est qu'en
parallèle à l'histoire d'amour qui naît, intervient une musique plus
sentimentale. Cette musique devrait suivre le trajet, les espoirs d'Anna, puis
ses désillusions avec de rares bouffées de romantisme dans l'esprit des
compositeurs de l'époque comme Mahler et Debussy. Philippe Rombi,
grand mélodiste et symphonique, a su incarner avec délicatesse et élégance
l'essence romanesque et dramatique de Frantz. C'est toujours un plaisir
d'écouter sa musique même si on n'aime pas les films d'Ozon.
Espérons que le milieu sourd du cinéma reconnaîtra enfin son talent.
Rendez-vous au mois de février… UN PETIT BOULOT. Réalisateur : Pascal Chaumeil. Compositeur : Mathieu Lamboley.
1CD Milan Records : 3998542 Jacques
habite une petite ville dont tous les habitants ont été mis sur la paille suite
à un licenciement boursier. L'usine a fermé, sa copine est partie et les dettes
s'accumulent. Alors quand le bookmaker mafieux du coin lui propose de tuer sa
femme, Jacques accepte volontiers... Mathieu Lamboley est devenu au
fil du temps un compositeur de comédie. Écrire de la musique pour ce genre est
assez complexe et chaque fois il s'en sort bien. « Un Petit Boulot »
est un petit film sympathique avec une mise en scène feignante. La musique de Lamboley est intéressante, originale, avec un côté vintage
dans les arrangements de la guitare électrique omniprésente d'Edouard Algayon. Elle est souvent accompagnée par d'autres guitares
et à la mandoline. On a sur le CD le fameux tube « Sag
Warum » par Camillo Felgen. Il y a aussi un petit air mafiosi-napolitain qui
tranche avec l'atmosphère du Nord et une guitare flamenco pour l'épisode
espagnol. Quelques répliques succulentes de Michel Blanc et Romain Duris sont accompagnées par la musique. Le groupe Les Nuits
Blanches est aussi présent avec une chanson « Tree
of Life ». Lamboley adore écrire des chansons.
Ce CD a plusieurs atouts pour une écoute agréable. COMANCHERIA. Réalisateur : David
Mackenzie. Compositeurs : Nick Cave, Warren Ellis. 1CD Milan Records : 399
863-2 Après
la mort de leur mère, deux frères organisent une série de braquages visant
uniquement les agences d'une même banque. Ils n'ont que quelques jours pour
éviter la saisie de leur propriété familiale et comptent rembourser la banque
avec son propre argent. À leurs trousses, un ranger bientôt à la retraite et
son adjoint, bien décidés à les arrêter. Tout est tellement à sa place dans ce
film de genre, où le trio Pine-Foster-Bridges nous emporte dans ce western
moderne, qu'on se demande comment cet écossais arrive à saisir si bien le Texas
profond. Et c'est un Australien qui a composé la BO ! On a déjà
entendu son style qui correspond au climat si particulier de ce type de film
(« Lawless », « The
Proposition »...). Tout ici fonctionne parfaitement pour créer une
atmosphère dramatique dans ces grands espaces magnifiquement filmés. Dans le CD
on retrouve l'ambiance du film. Avec peu d'instruments tout est dit. Les
chansons country qui accompagnent les virées des deux frères sont aussi
présentes. Un film à voir et un CD à écouter !
BEN HUR. Réalisateur : Timur Bekmambetov. Compositeur : Marco Beltrami. 1CD Sony Classical
: 535476 « Ben-Hur »
retrace l'histoire épique de Judah Ben-Hur, un prince
accusé à tort de trahison par Messala, son frère adoptif, officier de l'armée
romaine. Déchu de son titre, séparé de sa famille et de la femme qu'il aime, Judah est réduit à l'esclavage. Après des années en mer, Judah revient sur sa terre natale dans le but de se venger.
Il va y rencontrer son destin. Ce nième remake n'a pas grand intérêt même si
les effets spéciaux sont impressionnants. On se souvient de la magnifique
musique de Miklós Rózsa
pour le « Ben Hur » de Wyler. Ici c'est Marco Beltrami qui s'y colle
et ce n'est pas évident de faire la course avec le géant hongrois !
Pourtant Beltrami a un énorme talent (« 3h10 pour Yuma »,
« Trois Enterrements », « Invisible », « Démineurs »,
« The Homesman »), mais sur le nombre de
compositions, il y a beaucoup de ratage ! Cette musique et ce CD en sont
un ! Aucune dimension épique, pauvreté dans les thèmes et dans les
arrangements. Ben Hur ne l'a pas inspiré ! Il faut dire que côté mise en
scène il n'était pas aidé. Voilà un remake de trop ! Question remake, la
série de deux épisodes était très bonne et même plus intéressante que le kitchissime de Wyler avec le hiératique Heston.
Mais on ne peut pas oublier les envolés lyriques de Rózsa
: un grande musique de film à réécouter d'urgence. https://www.youtube.com/watch?v=XFHr6fsvJ00 FREE STATE of Jones: Réalisateur : Gary Ross. Compositeur : Nicholas Britell. 1CD Sony Classical
: 533857 Nicholas
Britell est un jeune pianiste, compositeur éclectique
et bourré de talent. Il est aussi producteur ! Ses intérêts musicaux et
influences vont du classique du XIXème, XXème siècle, au hip hop, au rap !
Il a composé pour Nathalie Portman, Steve McQueen et
produit le film musical de Damien Chazell « Whiplash ». Il a composé la musique de « The Big Short » et plusieurs documentaires. Gary Ross est
surtout connu pour avoir réalisé « The Hunger Games ». C'est la première collaboration entre ces
deux artistes. « Free State of Jones » est une histoire authentique
(c'est très à la mode, ce terme aux génériques des films) qui s'est passée
pendant la guerre de Sécession. En pleine guerre, Newton Knight, courageux
fermier du Mississippi, prend la tête d'un groupe de modestes paysans blancs et
d'esclaves en fuite pour se battre contre les États confédérés. Formant un
régiment de rebelles indomptables, Knight et ses hommes ont l'avantage
stratégique de connaître le terrain, même si leurs ennemis sont bien plus
nombreux et beaucoup mieux armés… Résolument engagé contre l'injustice et
l'exploitation humaine, l'intrépide fermier fonde le premier État d'hommes
libres où Noirs et Blancs sont à égalité. Malgré quelques longueurs, le film
est d'une violence insupportable que suscite cette société américaine raciste,
capitaliste, où les armes ont le doit de cité et les droits des noirs sont
bafoués. Nicholas Britell a écrit une musique d'une
profonde et désespérante tristesse et la chanson du générique de fin « I'm Crying » cite et pleure
tous ces crimes que l'Amérique ose accepter. C'est aussi le paradoxe et la
force de leur cinéma que de regarder la vérité en face. La musique doit être
associée au film. En CD elle est faite pour remémorer le film : seule, elle
peut paraître banale alors qu'elle colle aux images. Seule la chanson sort du
lot. BADMOMS : Réalisateurs : John Lucas, Scott Moore. Compositeur :
Christopher Lennertz. 1CD STX recordings
: 88985346832. Les
réalisateurs, scénaristes, de « Very Bad
Trip » sont moins inspirés par toutes ces femmes ! On assiste ici à
quelques choses de dérisoire, malgré quelques idées drôles. C'est un film
caricatural, qui aurait pu être attachant. Cela ne vole pas très haut dans les
dialogues, mais c'est ce qui est le plus amusant ! Amy a une vie parfaite
: un mariage heureux, de beaux enfants et une carrière qui décolle. En réalité,
elle se met tellement la pression pour être au top sur tous les fronts, qu'elle
est sur le point de craquer. Au bout du rouleau, elle trouve comme alliées deux
autres mères épuisées elles aussi par le stress des règles imposées par
Gwendoline, la toute puissante présidente des parents d'élèves. Ces trois
nouvelles meilleures amies se lancent dans une folle virée en quête de fun et
de détente, loin de leurs responsabilités conventionnelles de mères de famille.
Ce qui a tendance à crisper le clan de Gwendoline et ses mères parfaites…On ne
sait pas pour qui est fait ce film. Ce n'est pas un teenagemovie
bien que la musique soit très girly. Ce n'est pas
pour les adultes qui ne vont pas s'y reconnaître. Le compositeur Christopher Lennertz a étudié avec Elmer Bernstein et a travaillé pour Poledouris et Kamen. C'est un bon
faiseur, il a touché à tout, cinéma, séries de télévision et jeux vidéo. Pour
le film il a fait des vignettes très simples. Sur le CD il y a des chansons, un
super tube « I Want To Know What
Love Is » des années 2000 et les quelques thèmes mis en suite qui ne
correspondent qu'à 15minutes ! Comme le film, le CD
est agréable à écouter mais les mères en colère méritaient plus ! Stéphane Loison. ***
LA VIE DE L’EDUCATION MUSICALE
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