Lettre d’Information – n°96 Octobre 2015

Lettre de Septembre 2015. Tirage : 60.235 exemplaires


L'AGENDA

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4, 6, 10 / 10 & 18-20 / 11

 

Odyssée bouscule les codes...

 

 

Odyssée ensemble & compagnie, collectif de théâtre musical, présentera deux de ses créations à la rentrée en région lyonnaise et en Ile de France. « Les Frères Choum » est une fable musicale constructiviste et bruitiste : autant musiciens qu'inventeurs, lesdits frères poursuivent le rêve fou de construire des machines inédites dont le fameux ''Robot trompettiste'' capable d'émettre le son le plus impressionnant... ; une fable inspirée du constructivisme russe utopique et extravagant du début du XX ème comme des Marx Brothers. « Dr Flatterzung et les sept péchés capitaux de la musique contemporaine » est un hommage taquin et amoureux aux « chapelles » de la musique contemporaine, traitées comme autant de péchés capitaux ; car la conférence de Herr Cornelius Flatterzung, Dr honoris causa, tourne mal.....

Théâtre de l'Atrium à Tassin-la-Demi-Lune  : Les Frères Choum, les 6(scolaires) et 10 octobre 2015.

Théâtre Berthelot à Montreuil, Les Frères Choum : le 4 octobre ; Dr  Flatterzung, du 18 au 20 novembre.

Réservations :  L'Atrium, 35 avenue du 8 mai 1945, 69160 Tassin-la-demi-lune ; par tel : 04 78 34 70 07 ; Théâtre Berthelot, 6 rue Marcellin Berthelot, 93100 Montreuil ; par tel : 01 41 72 10 35 ; en ligne : http://www.odyssee-le-site.com,
http://www.odyssee-le-site.com/spectacles/les-freres-choum/
http://www.odyssee-le-site.com/spectacles/dr-flatterzung/

 

6 / 10

 

Chichester Psalms à Notre-Dame de Paris

 


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Pour son concert d'ouverture de saison, la Maîtrise de Notre-Dame de Paris invite le Jeune Chœur de Paris. Ces deux entités parisiennes, réunies sous la direction d'Henri Chalet, donneront à entendre une œuvre phare de Léonard Bernstein : Chichester Psalms. Écrits en 1965, sur le Livre des Psaumes de la Bible hébraïque, ils résonnent d'une vibration poignante. Ils reflètent non seulement les racines juives de Bernstein mais également son engagement pour la paix dans le monde. Répondant à une commande de la cathédrale de Chichester pour son festival choral annuel, Bernstein lance un appel à la paix jusqu'au pianissimo final : "Voyez comme il est bon et agréable pour les peuples de vivre ensemble en harmonie". Le jeune chœur de Paris et le chœur d'adultes de la Maîtrise Notre-Dame de Paris donneront ici la version réduite par Bernstein lui-même, pour orgue, harpe et percussions. Le non moins célèbre Agnus Dei de Samuel Barber ainsi que des motets de Eric Whitacre (*1970), Morten Lauridsen (*1943), Joshua Shank (*1980) et David MacIntyre (*1952) plongeront l'auditeur dans l'univers a cappella d'une musique américaine dont la pureté et la clarté brillent instantanément. Enfin, en résonance à ce répertoire américain, les Trois Psaumes 26, 18 et 115, composés entre 1996 et 2011 par Yves Castagnet, organiste titulaire de l'orgue de chœur de la cathédrale, feront résonner la puissance du Grand-Orgue et des 70 chanteurs de la Cathédrale Notre-Dame de Paris.

 

Notre-Dame de Paris, 6 octobre 2015, à 20h30

Réservations :par tel :  01 44 41 49 99

 

10 / 10 - 20/ 3

 

Saisons Culturelles en Milieu Rural

 

« La musique reflète la société, le paysage et jusqu'au climat

 et à la géologie du pays où elle voit le jour » (Yehudi Menuhin)  

 

L'association Pour que l'Esprit Vive, fondée en 1932, se donne pour mission de renforcer le lien social dans les campagnes par le partage de la culture. Pour la troisième saison, d'octobre 2015 à mars 2016, sont prévus 26 week-ends musicaux qui se dérouleront dans 8 départements (Côte d'Or, Saône-et-Loire, Nièvre, Allier, Indre, Cher, Loiret et Côtes d'Armor) ; l'occasion de quelques 80 interventions musicales, le samedi, auprès de personnes âgées (maisons de retraite, EHPAD, milieu hospitalier), ou de personnes isolées par des concerts à domicile (prétexte à regroupement de membres de la famille et de  voisins, sur le principe de rencontres intergénérationelles informelles),  et de 26 concerts publics, le dimanche, dans des lieux de patrimoine ruraux, églises, châteaux... Marielle Nordmann est la marraine du projet et inaugurera la saison en donnant intervention et concert à Neuvy-Saint-Sépulchre dans l'Indre. N'interviennent que des musiciens professionnels de grand talent, dans un esprit de partage et avec l'envie de s'immerger pendant deux jours dans la campagne française, généreusement accueillis par des bénévoles locaux. Un des maîtres mots est l'accessibilité des programmes musicaux, d'où un choix soigneux des œuvres présentées. Elles font au demeurant l'objet d'une explication introductive et leur exécution est suivie d'échanges entre artistes et public.

On pourra entendre ainsi le Trio Alta, le duo Cordes et âmes, les Quatuors Arpeggione ou Hanson, l'ensemble Micromegas et de nombreux solistes instrumentaux et vocaux, entre autres, Elsa Grether et Yuri Kuroda, violons, Jean-Pierre Arnaud, hautbois, Raphaël Aubry, alto, Olivier Pelmoine, guitare, Anne Ricquebourg, harpe, Karina Desbordes, Seva Manoukian, sopranos...

 

Programmes, lieux et Renseignements  : Association Pour Que l'Esprit Vive, 69 Boulevard Magenta, 75010 Paris, par tel. : 01 42 76 01 71;  en ligne : hors-saison-musicale@pqev.org

 

11 / 10

Le violon rêve

 


Samuel Jean ©Cédric Delestrade

 

Pour le premier concert de la saison au Méjan, à Arles, l'Orchestre Régional Avignon-Provence sous la direction de Samuel Jean, le jeune chef qui monte, et Cordelia Palm, son concertmeister, célèbrent le grand répertoire classique et romantique. Comme un clin d'œil lancé à la postérité musicale, Mozart prélude au concert avec l'ouverture des Noces de Figaro. Avec douceur, tendresse et une parfaite maîtrise de l'écriture orchestrale, Mendelssohn offre aux violonistes virtuoses de tous les temps une œuvre de pur rêve éveillé avec son concerto N° 2 pour violon en Mi mineur. Enfin, Beethoven se fait le passeur de la symphonie classique à la symphonie romantique, avec sa Première Symphonie. Sous les apparences formelles, la masse orchestrale gronde et les conventions harmoniques se rebellent.

 

Chapelle du Méjan, Arles, le 11 octobre 2015, à 11H.

Réservations : association du Méjan, Place Nina Berberova, BP 90038, 13633 Arles cedex ; par tel.: 04 90 49 56 78 ; en ligne : www.lemejan.com

 

15 – 18 / 10

 

Pianoscope fête ses 10 ans

 


DR

 

C'est à un programme festif que nous convie Boris Berezovsky pour les 10 ans du festival Pianoscope de Beauvais. Il s'ouvrira, le 15/10, par un concert surprise d'anniversaire donné par Boris Berezovsky et le jeune Lucas Debargue. Le lendemain, soirée de jazz avec le Thomas Enhco Trio. Souhaitant partager avec le public son goût pour la musique anglaise, Berezovsky a invité ses meilleurs représentants pour une « journée so british », le 17 octobre, de Dowland à Britten, de Purcell à Elgar et Bridge. L'occasion d'entendre successivement en récital le duo dynamite Jatekok, deux filles quatre mains, puis le jeune pianiste britannique Hamish Milne, et enfin le senior Barry Douglas dans Field, Brahms et Schubert. La journée se conclura par un concert de chambre réunissant Berezovsky, Henri Demarquette, Ivan Pochekin et Elina Pak, et des musiques traditionnelles écossaises. Une « journée d'ivresse slave »,  le 18/10, permettra d'entendre Jean-Bernard Pommier jouer Chopin, Chostakovitch et Beethoven, et d'apprécier ensuite un vaste programme russe à géométrie variable autour de Tchaikovski, Stravinsky, Medtner, Moussorgsky, Glinka, Dhargomyzhky, Rachmaninov, avec Berezovsly, Anastasia Safonova, Ekaterina Dherzavina, Ivan Pochekin, et l'Ensemble choral Sirin qui interprèteront des chants traditionnels russes.   

 

Maladrerie Saint Lazare & Théâtre du Beauvaisie hors les murs, du 15 au 18 octobre 2015.

Réservations : Théâtre du Beauvaisis hors les murs, 40 rue Vinot Préfontaine, 66000 Beauvais ; par tel. : 03 44 45 49 72 ; en ligne : pianoscope.beauvais.fr ou www.digitick.com

 

28 & 29 / 10

 

Inauguration de l'orgue de la Philharmonie de Paris

 


Rieger/ DR

 

C'est à Thierry Escaich que reviendra l'honneur d'inaugurer l'orgue de la Philharmonie de Paris, conçu par le facteur autrichien Rieger. On doit à cette célèbre maison, fondée en 1845, d'avoir installé ou remis en état l'instrument de nombreuses églises à travers le monde, telles que la cathédrale Saint Étienne de Vienne ou celle d'Ulm, et de salles de concert comme le Suntory Hall de Tokyo, le Musikverein de Vienne, ou plus près de nous, l'orgue du Conservatoire de Paris (2002). L'inauguration du monumental instrument de la Philharmonie permettra de juger sur pièces, en le faisant d'abord sonner seul dans des improvisations, puis fondu dans l'orchestre avec la Symphonie n° 3 "avec orgue" de Camille Saint-Saëns que dirigera Paavo Jarvi à la tête de l'Orchestre de Paris. En milieu de programme, on pourra entendre, le 28/10, le Concerto pour alto en création mondiale de Jörg Widmann, interprété par Antoine Tamestit, et le 29/10, le Concerto pour violoncelle n° 1, op. 33 de Saint-Saëns, joué par sol Gabetta. Un avant-concert, le 28 octobre, de 19h à 20h, sera l'occasion d'une "Rencontre autour de l'inauguration de l'orgue avec Thierry Escaich" (entrée libre dans la limite des places disponibles).

 

 

Philharmonie de Paris 1, Grande Salle, les 28 et 29 octobre 2015 à 20h30.

Réservations : Philharmonie de Paris, 221, avenue Jean Jaurès, 75019 Paris ; par tel.: 01 44 84 44 84 ; en ligne :  https://odp.shop.secutix.com/selection/event/date?productId=469463167   ou  https://odp.shop.secutix.com/selection/event/date?productId=469463168

 

 

13 & 15 / 11

 

Les offres alléchantes de l'Opéra de Massy


Natalie Dessay & Philippe Cassard / DR

 

On sait l'Opéra de Massy orignal dans ses propositions artistiques. Côté concerts, deux affiches retiennent l'attention. D'abord le récital que donneront Natalie Dessay et le fidèle complice Philippe Cassard. Dans le droit fil de leur nouveau CD qui sortira simultanément chez Warner, ils s'uniront l'instant des « Fiançailles pour rire », du nom de cette mélodie de Poulenc, et d'autres titres empruntés aux mélodistes français que sont Duparc, Fauré et Debussy. Une première partie, plus sage, verra se succéder des Lieder de Schubert et de Mendelssohn. L'occasion d'apprécier l'art de notre diva en congé de la scène opératique et la fine patte d'un pianiste dont on connait la délicatesse. Ensuite un programme de musique baroque intitulé « Les orphelines de Venise », autrement dit un hommage à ces demoiselles de l'Ospedale della Pietá pour qui Antonio Vivaldi a écrit tant de pièces vocales et instrumentales. S'inspirant de cette source originale, Geoffroy Jourdain a concocté une collection de pièces vocales du Prete Rosso, dont le Gloria et le Magnificat, et orchestrales. Son ensemble des Cris de Paris réunira à cette fin 18 instrumentistes et 20 chanteuses.   

 

Opéra de Massy, le 13 novembre 2015, à 20H (récital Dessay), et le 15/11 à 16 H (programme Vivaldi)

Réservations : Massy Opéra, 1 place de France, 91300 Massy ;  par tel.: 01 60 13 13 13 ; en ligne: www.opera-massy.com

 

 

20, 23, 27, 29 / 11 & 2, 4, 6, 8, 10, 12 / 12

 

Le « double bill » audacieux de l'Opéra de Paris

 

 

Réunir en une même soirée Le Château de Barbe-Bleue et La Voix humaine n'est pas commun. Et pourtant des liens aussi forts que mystérieux unissent ces deux œuvres en un acte a priori si dissemblables. L'incommunicabilité entre homme et femme malgré l'amour de l'un pour l'autre n'y est-elle pas au centre ? Là où Béla Bartók dans son opéra confine ses deux personnages dans un parcours de mort dont la dernière épouse de Barbe-Bleue ne sortira pas vivante. Le monde clos d'une conversation téléphonique où Francis Poulenc, qui suit fidèlement le texte de Cocteau, isole la Femme, unique protagoniste de sa tragédie lyrique. Un dialogue dans le premier cas, qui ressemble à un monologue, car entre Judith et Barbe-Bleue, l'affrontement est mené par la première ; un monologue dans le second, qui masque un échange, celui de la Femme avec son interlocuteur muet, mais si présent qu'on en devine les mots à chaque parole de celle-ci. En tout cas deux œuvres dont la musique d'une beauté fascinante transpire de tous ses pores la tragédie d'un amour immense, irrémédiablement perdu. Pour les révéler, Esa Pekka Salonen sera au pupitre, un retour attendu du grand chef au Palais Garnier. Krzysztof Warlikowski assurera la mise en scène et on est impatient de découvrir l'acuité de son regard, comme toujours. Les trois personnages seront défendus par des artistes d'exception : Johannes Martin-Kränzle, Barbe-Bleue, et Ekaterina Gubanova, Judith, qui savent comme peu brûler les planches, l'incandescente Barbara Hannigan pour incarner l'héroïne désespérée de Poulenc.

 

Opéra Garnier, les 20 (Avant-première : jeunes de moins de 28 ans), 23, 27 novembre, 2, 4, 6, 8, 12 décembre à 19H30, et le 29/11 à 14H 30, 10/12 à 20H30.

Réservations : Billetterie, Opéra Bastille, 130, rue de Lyon, 75012 Paris ou Palais Garnier, angle des rues Scribe et Auber, 75001 Paris ; par tel. : 08 92 89 90 90 ; en ligne : operadeparis.fr

 

4 - 19 / 12

 

Vol retour : premier spectacle de l'Académie de l'Opéra de Paris

 


Joanna Lee ©Robert Day

 

La toute fraîche Académie de l'Opéra de Paris présente son premier spectacle. Vol retour marque la création française d'un opéra pour enfants (de 4 à 9 ans) monté en coproduction avec l'ENO et son Baylis programme. Vrai manifeste artistique du projet pédagogique de l'Académie, il se propose de rapprocher tous les métiers, musiciens, chanteurs, metteur en scène en résidence. Il est écrit par la compositrice anglaise Joanna Lee sur un livret de Rory Mullarkey d'après le livre d'images « The Way Back Home » d'Oliver Jeffers.  Pour signifier l'importance de l'évènement, on a fait appel à une metteuse en scène de renom, Katie Mitchell, dont la plus récente réalisation est Alcina au dernier Festival d'Aix-en-Provence, et à sa décoratrice habituelle Vicky Mortimer. La direction musicale est confiée à Stephen Higgins. Gageons que cet opéra minute passionnera nos jeunes spectateurs qui se retrouveront dans l'histoire de ce petit garçon qui sur un avion déniché dans son placard, part à la conquête du monde et atterrit sur la lune... où il fera une bien étonnante rencontre.

 

Amphithéâtre Bastille, les 4, 5, 9 (+15H), 11,12 (+15H),18,19 décembre 2015 à 19H30 ; et pour les scolaires les 7, 10, 14, 15 (+10H), 17 (+10H) décembre à 14H.

Réservations : Billetterie, Opéra Bastille, 130, rue de Lyon, 75012 Paris ou Palais Garnier, angle des rues Scribe et Auber, 75001 Paris ; par tel. : 08 92 89 90 90 ; en ligne : operadeparis.fr

 

Jean-Pierre Robert.

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PAROLES D'AUTEUR

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Dimitri(1) Dimitrievitch CHOSTAKOVITCH

 

 

Le destin de Dimitri Chostakovitch (1906-1975) est exemplaire des difficultés rencontrées par un grand compositeur, en l'occurrence l'un des plus puissants et des plus féconds de son siècle, en butte à une incompréhension débordant largement les frontières de l'art.

 

Longtemps méprisé par la critique européenne (spécialement française, hélas !), tancé entre les deux guerres par les autorités culturelles soviétiques qui réservent, en 1936, un accueil glacial à son magnifique opéra Lady Macbeth de Mzensk, Dimitri Chostakovitch aura certes connu les plus hautes distinctions officielles de son pays (prix Staline, prix Lénine, héros du travail socialiste), mais aussi passé sa carrière sous le feu d'attaques croisées. Le taxant de « formalisme bourgeois », par exemple, l'inénarrable Andreï A. Jdanov reçoit l'appui inopinément officiel du musicographe français André Hodeir qui, fixant à l'art des règles au-delà desquelles il se sait perdu, dénonce sereinement la « faiblesse musicale » du grand Russe ! Pour autant, il ne faut pas dresser du compositeur l'image de l'incompris solitaire qu'il ne fut jamais. Musicien officiel du jeune État soviétique, délégué à la Conférence mondiale de la paix aux États-Unis en 1949, salué dans le monde entier pour son génie musical et son discours humaniste, acclamé par les publics américains, honoré sous toutes les latitudes, enregistré de façon pléthorique, interprété par les plus grands artistes du siècle (Sviatoslav Richter, David Oïstrakh…), il aura suivi un parcours qui n'est pas sans évoquer celui de son compatriote Serge Rachmaninov, autre proscrit (pour des raisons dont l'antinomie n'est que de surface) d'une critique occidentale exaspérée par la fervente « surdité du grand public » !

 

La monumentalité du catalogue de Chostakovitch est telle qu'il faut renoncer à simplement en donner l'idée en quelques lignes. À titre indicatif, le grand musicien russe a légué à la postérité quinze symphonies, quinze quatuors à cordes, six concertos (piano, violon violoncelle), trois opéras (dont le Nez, 1928 ; Katerina Ismaïlova [remaniement de Lady Macbeth], 1956-1963), trois ballets (dont l'Âge d'or, 1930), quatre cantates (dont le Chant des forêts, 1949), de nombreuses cycles de mélodies (dont la Suite sur des poèmes de Michel-Ange, 1974) et musiques de films ! Passé au crible de l'analyse, cet énorme corpus dégage-t-il un total cohérent de vecteurs esthétiques ? Offre-t-il une rigueur dans son élaboration qui le signalerait au même titre que la production drastique d'un Anton Webern ou muse-t-il sur d'improbables sentiers avec le même bonheur espiègle que certaines pages d'un Igor Stravinsky ? La réponse reste assez ambiguë, Dimitri Chostakovitch ayant toujours, au rebours de l'idée si répandue par d'inexpérimentés exégètes, pratiqué un humour discrètement sarcastique, corrosif, d'autant plus déconcertant qu'il se vêt le plus souvent d'un tissu lyrique propre à abuser l'auditeur inattentif. Sa musique reste inépuisablement riche d'extraordinaires et inoubliables beautés, de contrastes dynamiques et expressifs, plus convulsifs que spéculatifs, tout un monde obscur mais exalté, traversé d'immenses lumières…

 


DR

 

Par-dessus tous les tumultes, la musique...

 

Né le 25 septembre 1906 à Saint-Pétersbourg, dans un foyer où la musique est à l'honneur, Dimitri Chostakovitch étudie le piano avec sa mère, intégrant en 1919 le Conservatoire de sa ville, dirigé par Alexandre Glazounov. Précocement doué, le jeune musicien crée en 1926 sa première symphonie, dont les saisissantes beautés sont aussitôt saluées par tout le monde musical, par un Alban Berg (qui prend la peine d'écrire à son jeune confrère) aussi bien que par un Arturo Toscanini, alors au sommet de sa gloire ! Dès l'année suivante, le gouvernement soviétique lui passe commande d'une deuxième symphonie, pour la commémoration de la Révolution russe. Triomphant au piano, dans la musique de chambre, le jeune homme s'impose également au théâtre avec Le Nez qui, fondé sur l'étrange récit de Gogol, rencontre un immense succès populaire en 1930. Il vaut d'ailleurs de s'arrêter sur ce triomphe, Le Nez restant l'une des plus étonnantes partitions lyriques du XXe siècle, miroir d'ambitions avant-gardistes dont il est malaisé de découvrir l'équivalent ailleurs, à une époque où, après Turandot et Wozzeck, la question du théâtre lyrique ne s'écrivait plus en termes de mutation, mais tout simplement de survie. Dans cette fresque délirante qui met en scène quelque soixante-dix personnages, la virtuosité stylistique du jeune compositeur a quelque chose d'étourdissant, de même que son incroyable maîtrise des timbres, qu'il sollicite pourtant de façon souvent périlleuse. Surtout, ayant peut-être médité la grande leçon de Giacomo Puccini (notamment dans Gianni Schicchi), Chostakovitch réussit le prodige de ne jamais s'écarter des inflexions du langage parlé ; il est vrai que l'incroyable musicalité de la langue russe (dont on ne déplorera jamais assez la quasi disparition de l'école française depuis 1981) autorise le choix de presque tous les types de déclamation lyrique. Puis, il est chez notre compositeur, une sorte d'ivresse du strict délire qui évoque souvent l'inexorable mécanique théâtrale du meilleur Rossini, surtout quand ces apparents automatismes sont mis au service d'une joyeuse et féroce dénonciation de ces divagations administratives qu'autorise l'absurdité d'un pouvoir arbitraire (est-ce un hasard si, sous nos latitudes, un Courteline et un Labiche n'ont jamais été remplacés ?). Car, suivant en cela une tradition honorée depuis deux siècles par Pouchkine, Gogol, Dostoïevski, tant d'autres géants de la littérature russe, Chostakovitch se gausse sans retenue des affolantes complexités de l'administration russe, au temps du tsar Nicolas 1er (Dostoïevski lui-même ne rappelait-il pas que le seul voyage de Saint-Pétersbourg à Moscou exigeait « une valise de documents » ?). Le livret n'est pas des plus simples à résumer, le premier protagoniste n'en étant autre que le malheureux major Kovaliov, technocrate qui, œuvrant au temps de Nicolas 1er, découvre en s'éveillant un beau matin, que son nez a disparu ! Un nez qui dispose d'une vie autonome et entend bien en profiter, prenant au passage diverses apparences, dont celle d'un conseiller d'État ! Que l'auteur de cette fantaisie, Nicolas Gogol, immortel auteur des Âmes mortes, ait lui-même sombré dans la folie n'étonnera personne, mais sa fable continue d'ouvrir des abîmes sur la conscience du monde et sur les postures prises par l'homme face au destin. N'était-ce pas déjà, d'ailleurs, le fait des livrets du Convive de pierre, de Boris Godounov ou de La Dame de pique ? Occasion de rappeler qu'il est une gravité particulière du génie russe qui déroute bien souvent le public français (et pas seulement en matière littéraire ou musicale) !

 

Marié avec Nina en 1932, Chostakovitch donne bientôt un second opéra, Lady Macbeth du district de Mtsensk ; à nouveau le succès public est au rendez-vous, marqué par plusieurs centaines de représentations en deux ans sur le seul territoire de l'Union soviétique et par sa diffusion sur nombre de scènes étrangères. C'est alors, au moment où tout se présente sous les traits du triomphe, que paraît, le 28 janvier 1936 dans la Pravda, un article inepte, sous le titre « Le Chaos remplace la musique ». Le plumitif de service s'en prend violemment à Lady Macbeth, (« tintamarre… formalisme petit-bourgeois… naturalisme grossier » !). À peu de chose près, le discours tenu par la critique officielle française à l'occasion des premières expositions impressionnistes ou par la presse musicale allemande au temps des premiers grands opéras wagnériens ! Cette persistance de la critique dans l'erreur n'a-t-elle pas quelque chose de réjouissant ? Peut-être même y aura-t-il de la gaîté chez les lecteurs du XXIIe siècle quand ils compulseront la docte contribution que nous lui aurons léguée sur la production de notre temps ! Selon l'usage, les amis d'hier font preuve d'un courageux silence, la critique officielle pontifie, la presse spécialisée offre au compositeur le réconfort de "conseils" destinés à le remettre sur la bonne voie ! La réponse de Chostakovitch n'est pas sans rappeler celle de Puccini au lendemain du désastre de Madama Butterfly. Reprenant ses partitions, saluant la « justesse des critiques » (!), il donne ses 4e, 5e symphonies et 6e symphonies jusqu'au début de la guerre, tout en consacrant une bonne part de son activité à la musique de chambre ou de film.

 


Scène de la production de Lady Macbeth de Mtsensk,

Met de NewYork ©Getty Images Ken Howard

 

 

L'exemple magistral de la Symphonie Leningrad

 

Dédiée à la ville de Leningrad, la 7e symphonie marque un tournant capital dans la vie du musicien. Elle a certes été entreprise avant le siège de la cité, mais l'invasion nazie de l'Union soviétique, en juin 1941 (alors que Chostakovitch vient de recevoir un premier Prix Staline pour son Quintette avec piano et cordes), accélère sa genèse, la partition étant écrite de juillet à décembre, avant l'évacuation du musicien vers Moscou. Créée le 5 mars 1942, au Palais de la culture de Kouïbychev, elle connaît une carrière fulgurante, Toscanini assurant, dès le 19 juillet, son éclatante création américaine à New York. La grande partition est très vite donnée dans toutes les salles de concert du monde et bouleverse tous les publics au triple titre de chef-d'œuvre musical, de témoignage historique et d'acte de foi humaniste. Car, en dépit de son jeune âge, Chostakovitch n'est plus seulement ici un musicien fantastiquement doué dont la verve fascinait jusqu'à ses détracteurs ; mûri et frappé d'angoisse par la perspective des drames à venir, il met à nu les graves désordres de la condition humaine, ses tragiques dérives. Si les circonstances militaires de ce siège épouvantable qui opposa les forces soviétiques aux armées nazies à partir d'août 1941 sont bien connues, le calvaire de la population civile devrait servir à jamais de repoussoir à l'idée même de la guerre. Encerclés, affamés, mourant par centaines de milliers dans un froid excessif, les habitants résistèrent dans des conditions hallucinantes aux opérations supervisées par Adolf Hitler, ordonnateur du sac d'une ville dont il avait prophétisé qu'elle reprendrait son nom allemand de Saint-Pétersbourg. Le 27 janvier 1944, après 31 mois de siège et la mort de plus de deux millions de femmes, enfants et hommes victimes de la pire des barbaries, les armées soviétiques parvenaient enfin à briser le siège de la cité martyre.

 

 

La symphonie russe au XXe siècle

 

 

L'Étole russe du xxe siècle s'est attachée à renouveler le genre symphonique, Stravinsky lui-même proposant des réussites aussi accomplies que les Symphonies pour instruments à vent (1920), la Symphonie de Psaumes (1930), la Symphonie en ut (1935) ou la Symphonie en trois mouvements (1945). Quant aux « symphonies de guerre », si la Leningrad est la plus connue, d'autres pages d'une haute inspiration méritent d'être citées à ses côtés, dont la magnifique 22e symphonie – il en a écrit 27 ! – inspirée à Nikolaï Miaskovski (1881-1950) par les horreurs du conflit en 1942, ou la 5e (sur sept) de Serge Prokofiev (1890-1953), qui, en l'an 1945 marquant la victoire de l'Union soviétique sur le nazisme, « chante l'homme libre et heureux ».

 

Divisée en 4 mouvements, la symphonie Leningrad sollicite un grand orchestre (3 flûtes, 3 hautbois, 4 clarinettes, 3 bassons, 8 cors, 6 trompettes, 6 trombones, tuba, percussion, timbales, piano, 2 harpes, 18 premiers violons, 16 seconds violons, 14 altos, 12 violoncelles, 10 contrebasses), pour une durée supérieure à 70 minutes. Les premières mesures de l'Allegretto initial sont animées, optimismes, savamment réparties aux pupitres des bois et des vents, avec une ponctuation efficace et discrète de la percussion. Aux cordes s'élève un thème d'une mélancolique beauté, en vagues sonores délicatement dessinées ; les bois en prolongent l'écho, dans l'ambiance confidentielle d'une pastorale ayant pour cadre une nature paisible mais fragile. La musique se dissipe peu à peu dans le registre aigu, distillant des motifs assombris, insaisissables, rumeurs d'un vent porteur de sombres prémonitions. Aux frontières du silence surgissent alors les premiers échos d'une marche lancinante, obstinément rythmée par le tambour. Un thème caractérisé par sa double impulsion descendante et dont l'extrême simplicité n'est pas sans rappeler certaines tournures du meilleur Verdi, chante, en accents toujours plus tourmentés, la tragique avancée d'une force destructrice qui, après avoir chassé les ultimes songeries de l'introduction lyrique, affirme son implacable résolution à faire disparaître jusqu'au souvenir du bonheur. Mécanique terrifiante, le mouvement amplifie graduellement tous les paramètres du fracas orchestral, avec une habileté confondante. Puis, à nouveau, les tumultes s'effacent, le monstre semble s'assoupir… Ne subsistent que les mornes échos du basson rendant un languissant hommage, sur fond de sombres accords discrètement scandés, aux hommes tombés pour endiguer la marche apocalyptique de la bête immonde. Dans la dissolution terminale de quelques motifs lyriques aux contours incertains, la peur s'installe, le sinistre tambour lance son ultime message de mort…

 

Saisi par la grandeur expressionniste de cette immense fresque initiale, l'auditeur a toutes les chances d'être dérouté par l'apparente désinvolture du second mouvement, embryon d'un lent et absurde ballet au sein duquel le hautbois fait entendre une plaintive cantilène dont s'empare bientôt le violon, mélodie qui passe, variée, transposée, permutée, à nombre d'autres pupitres. Dans l'esprit du compositeur, ce volet est un scherzo ; faut-il ici l'entendre, selon son acception littérale, comme une plaisanterie grinçante, ou plutôt comme l'aboutissement de la dramaturgie symphonique ayant conduit Ludwig van Beethoven à le substituer au menuet classique ? La réponse est ambiguë, Chostakovitch ayant toujours, au rebours de l'idée si répandue par les commentateurs ne connaissant pas sa musique, pratiqué un humour discret, parfois corrosif, d'autant plus déconcertant qu'il se vêt le plus souvent d'un tissu lyrique propre à abuser l'auditeur inattentif. En cela, le maître russe reste proche de son illustre compatriote, Serge Prokofiev.

 

Changement complet d'atmosphère avec le troisième mouvement, adagio. À la suite d'un choral dramatique confié aux vents dont le traitement n'est pas sans rappeler le Stravinsky de l'entre-deux guerres, les cordes font entendre un thème d'une saisissante et poignante simplicité, chargé de chanter la fragilité du monde, sa précarité, sa vulnérabilité face aux ravages de la folie belliqueuse. Là encore, la part du rêve est prégnante, les cellules mélodiques se dispersent au hasard des pupitres les plus chantants (bois et cordes) sans que jamais ne disparaissent les ténébreuses menaces distillées par les pizzicati des cordes graves ou les tristes rumeurs des cuivres en accords lointains et espacés. Puis brusquement, telle une effraction désespérément retardée, de furieuses stridences éclatent aux cuivres, le chaos s'installe en accords impétueux et dissonants, le tambour reprend gaiement son hymne de malédiction… Une accalmie, encore, mais qui cultive dans ses émouvants accents toutes les marques de l'alarme et toutes les préméditations du désastre. Le chant des cordes, pourtant vigoureux, flotte au-dessus d'un abîme que de magnifiques harmonies comblent fortuitement, comme si, nébuleuses encore, et même infiniment lointaines, commençaient à trembler, au cœur de la nuit, les premières lueurs d'une inconcevable espérance.

 

Connecté à cet étrange préambule, le finale, allegro non troppo, s'extrait malaisément d'un obscur terreau fait de motifs mélodiques ou rythmiques, voire harmoniques, certaines couleurs d'accords opérant par retours irréguliers. L'unité organique de cet étrange tableau sonore met longtemps à se dégager, dans un maelström de tension tourmentée, à l'image du siège de Leningrad dont une grande partie de la population mourut sans avoir jamais connu la fin, étant passée au cours de son interminable agonie par toutes les phases contrastées de l'espoir et du désespoir. Ainsi, au beau milieu de ce finale orchestral qui, sous la plume d'un médiocre thuriféraire de la gloire militaire, aurait pu sonner comme une glorieuse fanfare, l'auditeur déconcerté est-il confronté à d'hypothétiques échanges des bois et des cordes, fragments mélodiques tronqués, accords non résolus, cellules lyriques ou rythmiques à peine ébauchées et contredites par l'irruption d'autres objets sonores… Pourtant, le chant demeure, parfois nuancé de teintes élégiaques, l'intensité croît dans les dernières minutes, la masse orchestrale se resserre, les timbres s'agrègent, les notes répétées martèlent la certitude d'une aube qui se lève enfin après tant de souffrances. Ni grandiloquente, ni diserte, la grande coda clôt dignement l'une des plus belles symphonies du siècle.

 


Evgeny Mavrinski dirigeant la Symphonie Leningrad / DR

 

 

La gloire mondiale

 

De ces méditations transcendantes du grand compositeur, on retrouvera l'écho dans les deux symphonies suivantes, mais aussi dans sa magnifique production de chambre (troisième quatuor, deuxième sonate pour piano, second trio avec piano). C'est de 1949 que datent son voyage aux États-Unis et son oratorio, le Chant des forêts, double occasion de vérifier l'immensité de sa popularité très loin au-delà des seuls cercles de la musique soviétique. Le Chant des forêts se présente comme un oratorio sur un livre d'Eugène Dolmatovski. Créé sous la direction du célèbre Mravinsky le 15 décembre 1949 à Leningrad, il réussit, en son temps, à provoquer l'enthousiasme du public et l'approbation des autorités, prouesse dont peu de compositeurs du XXe siècle auront finalement pu se vanter. D'une durée d'exécution supérieure à la demi-heure, il exalte, dans une langue volontairement assagie, la fin de la guerre, la reconstruction du pays par son peuple martyr, la reforestation des régions dévastées. Assez curieusement, la partition oscille entre nostalgie de la vieille Russie et aspiration à un ordre nouveau, phénomène surtout sensible dans la dernière partie de l'œuvre, sorte de doxologie profane qui regroupe toutes les forces de la phalange vocale et instrumentale. Cependant, Le Chant des forêts nous intéresse moins peut-être aujourd'hui par ses forces ou par ses faiblesses que par la réaction plaisante, à son endroit, de l'avant-garde française autoproclamée des années soixante. Rien de plus significatif, à ce sujet, que le discours d'André Hodeir, porte-parole d'un milieu musical parisien, douloureusement conscient d'avoir un demi-siècle d'avance sur la populace désespérément rétrograde des salles de concert : « Certes, nous ne connaissons pas les intentions de Chostakovitch ; mais si nous le jugeons sur pièces, il faut bien admettre l'extrême faiblesse d'une partition comme Le chant des forêts, apothéose du faux lyrisme et de la grandiloquence, qui tourne en maint passage au pastiche de Borodine. Dans la mesure où il nous paraît probable que la liberté ne l'eût pas sauvé de l'indigence, le sort d'un Chostakovitch et, a fortiori, d'un Kabalevski ou d'un Khatchatourian, nous semble peu digne d'intérêt. » (La musique depuis Debussy, Paris, PUF, 1961, p. 195). On tremble à l'idée que Chostakovitch ait pu prendre connaissance de cet ukase tombé de l'Olympe parisien ! Et l'on ne peut s'empêcher de songer au cruel Berlioz, raillant les "corrections" apportées par l'illustre Fétis à l'obscur Beethoven : « Tout ce qui, dans l'harmonie de Beethoven, ne cadrait pas avec la théorie professée par M. Fétis, était changé avec un aplomb incroyable. […] En d'autres termes : Il est impossible qu'un homme tel que Beethoven ne soit pas dans ses doctrines sur l'harmonie entièrement d'accord avec M. Fétis » ! (Mémoires, chapitre 44)

 

 

Persistance de la mémoire

 

Le pays se reconstruit, les années passent, Staline meurt en 1953, Chostakovitch perd sa femme et sa mère peu après, connaît une évidente baisse d'inspiration durant plusieurs années, en dépit de l'obtention du prix Lénine pour sa monumentale Onzième symphonie (1958). Nombreux sont les commentateurs qui ont noté le caractère plus traditionnel, délibérément rétrograde, de cette onzième symphonie, dont certains accents rappellent de façon frappante les meilleures pages d'un Moussorgski, notamment dans Boris Godounov. D'une certaine façon, les deux grands compositeurs ont dénoncé, chacun en leur temps et avec leurs propres moyens, les souffrances d'un peuple asservi aux caprices de l'autocratie. Et comme son illustre devancier, Chostakovitch a su, pour traduire cette plainte immémoriale, user d'une lange tout à la fois neuve et accessible. Ainsi faut-il comprendre le principe de citation des chants révolutionnaires dans une œuvre qui, pourtant, ne se présente nullement comme un manifeste. Pour ceux qui se rappellent le chef-d'œuvre cinématographique, Летят журавли (« Quand passent les cigognes ») de Mikhaïl Kalatozov, réalisé en 1957 et couronné par la Palme d'or au festival de Cannes en 1958, les analogies sont frappantes, et pas seulement en raison de l'exacte contemporanéité des deux œuvres. Dans un cas comme dans l'autre, les grandes tragédies du siècle ont généré des tableaux, visuels et sonores, d'une inoubliable beauté.

 

Si la onzième symphonie (créée le 30 octobre 1957) salue de façon explicite, ainsi que l'ont suggéré ses commanditaires, les soulèvements de 1905, son ambition ne se limite pas à la seule glorification d'un moment de sursaut du peuple. Usant précisément de nombreux thèmes populaires (parfois inventés), elle se présente comme un très vaste poème symphonique dont la durée totale dépasse légèrement l'heure. Une fois encore, Chostakovitch sollicite une phalange considérable : 3 flûtes (1 piccolo), 3 hautbois (1 cor anglais), 3 clarinettes (1 clarinette basse), 3 bassons (1 contrebasson), 4 cors, 3 trompettes, 3 trombones, tuba, timbales, triangle, tambour, cymbales, grosse caisse, tam-tam, xylophone, cloches, célesta, 4 harpes, 20 premiers violons, 18 seconds violons, 16 altos, 14 violoncelles, 12 contrebasses. L'adagio initial ayant présent, dans une atmosphère de légère angoisse, la place du Palais sur laquelle se prépare le drame, c'est dans l'allegro suivant que la peinture sonore de la tragédie touche à son faîte : après le grand mouvement de la foule révoltée grondant sur les fracas de l'orchestre, les déflagrations de la caisse claire (souvenir de la symphonie Leningrad ?) et les mugissements des trombones donnent à entendre la panique qui s'empare de cette foule au moment où le tsar ordonne à ses troupes d'ouvrir le feu. Retour de la mouvance adagio pour le troisième mouvement, un poignant lamento à la mémoire des victimes du massacre, sur fond de chant révolutionnaire (Chant des survivants). C'est au finale que revient le soin de sonner le "tocsin", signal de révolte et de violence, couronné par une ample péroraison curieusement animée par les stridences du carillon.

 


Avec Mtislav Rostropovitch et Sviatoslav Richter,

décembre 1953 à Leningrad, lors de la création de la 10 ème Symphonie / DR

 

 

Le crépuscule

 

Membre du Parti communiste à partir de 1960, c'est-à-dire à l'époque du "dégel", le grand compositeur russe participe vigoureusement au renouveau de la vie musicale de son pays, marqué par des événements aussi symboliques que les tournées triomphales de Leonard Bernstein, à la tête de l'orchestre de New York en 1959, ou d'Igor Stravinsky, de retour sur sa terre natale en 1962 après un demi-siècle d'absence. Les toutes dernières années se déroulent sous le double signe de la gloire mondiale et d'une inspiration puissamment renouvelée (14e et 15e symphonies). Datant de cette même époque, le merveilleux deuxième concerto pour violon, en ut dièse mineur, op. 129, ne jouit pas de la même popularité que le premier, pour des raisons difficiles à préciser. Écrit au printemps 1967 pour le violoniste du siècle, David Oïstrakh, il a officiellement été créé par ce dernier, le 13 septembre 1967, sous la direction de Kirill Kondrachine. Sollicitant un effectif relativement léger (piccolo, flûte, 2 hautbois, 2 clarinettes, 2 bassons, contrebasson, 4 cors, timbales, percussion, quintette des cordes), il est structuré en trois mouvements (Moderato, Adagio, Adagio-Allegro) qui font appel à une typologie traditionnelle (forme-sonate, cadence accompagnée, structure en rondo), tout en pratiquant une lange d'une singulière saveur. À partir de cette date, l'humeur du compositeur semble peu à peu s'assombrir, comme s'il pressentait l'imminence de son hiver. C'est fin 1973 qu'est diagnostiqué le cancer qui l'emportera ; composant jusqu'à ses ultimes journées (la sonate pour alto et piano est terminée quelques jours avant sa mort), Dimitri Chostakovitch s'éteint à l'hôpital, le 9 août 1975.

 

 

Quelques disques d'anthologie

 

Symphonie « Leningrad », Orchestre symphonique d'URSS, E. Svetlanov, SC 025, 1968 - Symphonies « 1905 » et « 1917 », Orchestre Philharmonique de Leningrad, Y. Mravinsky, Melodia 10 00775, 2004 - Œuvres pour piano seul, V. Askhenazy, Decca, B00013UKLK, 2004.

 

Gérard Denizeau.

 

 

Karol BEFFA : Vers la lumière…

 

 

Que la musique de Karol Beffa (*1973) fasse vibrer les échos les plus discrètement profonds de notre siècle, la variété des interprètes qui la donnent à entendre et le nombre des institutions qui en couronnent les mérites le disent assez. Là, évidemment, n'est pas l'essentiel. Il y a quelques mois, masqué par l'ombre protectrice d'une petite salle des Hautes-Alpes où le compositeur-improvisateur-interprète se produisait en duo, je songeais au vieil ami disparu, à Serge Nigg. Plus précisément à notre conversation relative à Karol Beffa, cet étonnant jeune musicien dont le hasard nous avait permis, à des titres divers, de tôt découvrir les mérites. Notant que le caractère le plus plaisant de la vie musicale française n'était autre que son individualisme, son hostilité déclarée au despotisme esthétique, Serge Nigg (admirablement placé pour en juger !) aimait à rappeler que les Rameau, Berlioz, Debussy, Ravel… avaient toujours été des solitaires mal compris, des perturbateurs, étrangers à tout esprit de concession. Sans Berlioz, notait-il, qu'eût été l'orchestration des grands Allemands du second XIXe siècle, de Wagner à Richard Strauss ? Et les grands compositeurs du XXe siècle n'ont-ils pas, tous, contracté une dette particulière à l'endroit de Debussy, sauveur de la musique à une époque où elle risquait de sombrer dans la grandiloquence ? Parmi les noms des jeunes compositeurs commençant, en ce début de troisième millénaire, à émerger, ce n'est donc pas un hasard si celui de Karol Beffa nous était alors apparu comme distinctif d'un mouvement faisant litière d'une dictature très parisienne, aussi mortifère que pérenne depuis plus d'un demi-siècle.

 


DR

 

Sans doute la brillante et très éclectique formation reçue par le jeune Beffa n'est-elle pas étrangère à la formidable leçon de liberté dispensée par sa magnifique musique. Il me souvient (comme assurément à tous les enseignants qui eurent la bonne fortune de le découvrir sur les bancs de leurs amphithéâtres) que ce jeune aspirant à la gloire musicale manifesta tôt une indépendance intellectuelle et esthétique des plus réjouissantes, aux antipodes des ukases d'une cour encore toute-puissante au soir du XXe siècle. « En musique, écrivait Xenakis, il ne sert à rien de faire de la théorie, il faut faire de la musique ». Que ce mot me soit revenu lors d'une audition du concerto pour alto de Beffa (supérieurement restitué par Arnaud Thorette), je ne saurai exactement dire pourquoi. Mais, indépendamment de la pure émotion dispensée par ce chef-d'œuvre d'élégiaque et vigoureuse mélancolie, j'y ai retrouvé ce message nostalgique qui, ciblant les frontières de l'inaccessible, immerge soudain l'auditeur dans la houle du pays d'autrefois, qui est aussi celui de demain. Enfant, c'est à Berlioz que je demandais ces clefs, adolescent à Varèse ; au temps de la grande maturité, quel soulagement (après tant d'années de doutes et de souffrances) de découvrir que les passeurs d'éternité n'ont rien abdiqué de leur mission, même si, dans le grand fracas de notre monde en surchauffe, ils sont peut-être moins faciles à repérer qu'autrefois !

 

Pour rester dans la sphère concertante (puisque la musique reste avant tout la résolution de conflits indéchiffrables), c'est tout l'enregistrement d'Into the dark (Karol Beffa, piano ; Karine Deshayes, mezzo-soprano ; Arnaud Thorette, violon, alto ; Emmanuel Ceysson, harpe ; Johan Farjot, direction – CD Aparté) auquel l'auditeur s'affrontera avec la certitude d'y rencontrer ce qu'il n'attendait pas. Rien de plus déroutant, dans ce climat d'intense séduction sonore, que ce cheminement subtil entre les deux abîmes de la complaisance spéculative et de la résurgence lyrique. Pour Karol Beffa (qui a peut-être eu la grande chance de ne pas naître vingt ans plus tôt), le problème d'étonner à tout prix (si caractéristique des années 60 !) ne s'est pas posé. Moins préoccupé de chercher que de trouver (Masques, CD Triton, 2009), il excelle en tout domaine avec une aisance confondante, brillant au clavier, profond devant la table de composition (Concerto pour trompette, CD Indesens, 2015), virtuose dans sa confrontation avec les univers parents (plus particulièrement le jazz), inégalable au jeu de l'invention spontanée (Improvisations, CD Intrada, 2008). L'inspiration ? Sans doute. Cette "terrible inspiration" qui visite sans être invitée, et dont l'univers boulézien avait déjà fait (au temps lointain où l'auteur de ces lignes était sagement assis dans la caverne du gourou) son premier repoussoir, témoignant, à défaut de mieux, d'une louable lucidité en fixant à la musique des limites au-delà desquelles il se savait perdu. Aux antipodes, donc, de la vigoureuse déclaration du grand Varèse brocardant les "petits épiciers" de la composition et annonçant les belles heures d'un art régénéré : « Le triomphe de la sensibilité n'est point une tragédie. Que la musique sonne ! ». Il y a un demi-siècle que le magnifique Edgar nous a quittés et sa musique est plus vivante que jamais ; il me plaît de croire que, pour celle de Karol Beffa, l'avenir aussi dure longtemps…

 

 

Découvertes…

 

Faute de connaître le catalogue complet des œuvres de Karol Beffa (dont j'imagine qu'il a déjà dépassé les cent numéros), je ne puis qu'attirer l'attention du lecteur sur un certain nombre de partitions d'un intérêt souvent exceptionnel : Six études pour piano, Gravitations, pour clarinette, Mirages pour piano à quatre mains, Passacaille pour orgue, Sarabande et Doubles pour piano, clavecin ou clavicorde, Subway pour trompette et piano, Elévation pour piano et quatuor à cordes, Concerto pour alto et orchestre à cordes, Into the Dark pour piano et orchestre à cordes, Concerto pour harpe et orchestre à cordes, Rainbow pour piano et orchestre à cordes, Six mélodies pour voix et piano, Nuit obscure pour orchestre à cordes et voix…

 

Gérard Denizeau.

 

(1) Ou Dmitri, selon le système de transcription utilisé ; orthographe russe : Дмитрий Дмитриевич Шостакович

***

REPÈRES PÉDAGOGIQUES

Haut

WTC 9/11 de Steve Reich, une œuvre hommage

 

 

L'attentat du World Trade Center, le 11 septembre 2011, restera sans doute l'un des faits marquants de cette première partie de XXIe siècle. Steve Reich, dans son style très personnel, rend dans WTC 9/11 une forme d'hommage aux nombreuses victimes de cette tragédie. Cet article a pour objet de mettre en lumière les principaux éléments musicaux que le compositeur new-yorkais utilise pour traduire la puissance émotionnelle de cet évènement. Nous aborderons dans la partie analytique uniquement le troisième mouvement qui nous semble à cet égard le plus abouti.

 


Steve Reich / DR

Contexte et genèse de WTC 9/11

 

Cette œuvre est composée pour un quatuor à cordes accompagné par des voix et deux quatuors à cordes préenregistrés. Elle peut être éventuellement interprétée par trois quatuors en direct et une bande contenant les voix. Sa création a lieu le 19 mars 2011 à l'université Duke en Caroline du Nord par le Kronos Quartet. Steve Reich s'est à plusieurs reprises exprimé sur les origines de WTC 9/11. Le point de départ provient d'une commande de David Harrington, premier violon et fondateur du Kronos Quartet, qui souhaite une composition fondée sur des voix préenregistrées, technique inusitée par Reich depuis Three tales (2002). Après Different trains (1988) et Triple quartet (1999), WTC 9/11 est la troisième pièce que Reich destine à ce quatuor. La première impulsion créatrice pour le compositeur, et cela avant toute autre considération, provient du désir de mettre à nouveau en œuvre un procédé technique le « stop action sound ». Cela peut sembler curieux, au regard de l'importance du sujet traité.

 

« En 2009, le Kronos Quartet m'a commandé une pièce utilisant des voix préenregistrées. Ma première idée a été de prolonger les voyelles ou les consonnes finales du locuteur. Son en "stop action". Impossible en 1973 lorsque j'y ai pensé pour la première fois. Possible en 2001 quand j'ai commencé Dolly. Dans cette pièce, cela devait être, et c'est,  le moyen de connecter – harmoniquement – une personne avec une autre. Je n'avais aucune idée de qui devait parler. Le sujet était sans importance. » (1)

 

Nous reviendrons plus loin sur cet aspect technique. Ce n'est que dans un second temps que Reich conçoit le projet d'évoquer la tragédie du 11 septembre qu'il a vécue de très près :

 

« Après plusieurs mois je me suis finalement rappelé ce qui était évident. Depuis vingt-cinq ans nous habitions à quatre pâtés de maisons du World Trade Center. Le 11 septembre, nous étions dans le Vermont, mais notre fils, notre petite-fille et notre belle-fille étaient tous dans notre appartement. Notre connexion téléphonique s'est maintenue durant six heures et nos voisins d'à côté ont pu finalement quitter la ville en voiture vers le nord avec leur famille et la nôtre. Pour nous, le 11 septembre n'a pas été un évènement médiatique. En janvier 2010, plusieurs mois après la commande des Kronos, j'ai compris que ces voix préenregistrées proviendraient du 11 septembre. » (2)

 

WTC 9/11, d'une durée approximative de 15 minutes, comporte trois mouvements :

 

·         9/11/01 (3'39)

·         2010 (7'27)

·         WTC (4'36)

 

Les mouvements 1 et 2 s'articulent autour de textes enregistrés qui évoquent directement l'attentat :

 

« La pièce débute et s'achève avec le premier violon doublant le signal d'alarme très bruyant (en l'occurrence un fa) émis par votre téléphone lorsqu'il reste décroché. Dans le premier mouvement il y a des voix d'archives des contrôleurs du ciel du NORAD, alarmés que le vol 11 d'American Airlines ait dévié de sa trajectoire. C'était le premier avion à percuter délibérément le World Trade Center. Le mouvement enchaîne alors avec les archives de ce jour du FDNY annonçant ce qui se passait à terre. Le deuxième mouvement utilise des enregistrements que j'ai faits en 2010 de résidents du voisinage, un officier du Fire Department et le premier conducteur d'ambulance (des volontaires d'Hatzalah) arrivés sur le site, se souvenant de ce qui s'était passé neuf ans plus tôt. » (3)

 

Le troisième mouvement, sur lequel nous allons concentrer notre analyse, révèle un caractère beaucoup plus intimiste. Reich s'en explique de la façon suivante :

 

« Après le 11 septembre, les corps et morceaux de corps ont été transportés au bureau du médecin légiste qui se situe dans l'est de Manhattan. La tradition juive exige qu'un corps soit surveillé depuis la mort jusqu'à l'enterrement. Cette coutume, appelée Shmira, veut qu'une personne assise à côté du corps récite des psaumes ou des passages de la Bible. Le but de cette tradition est non seulement de protéger le corps des animaux et des insectes mais aussi de tenir compagnie à l'âme, neshama, qui flotte au-dessus du corps jusqu'à l'enterrement. Des problèmes d'identification d'ADN ont conduit à des veilles de sept mois sans relâche. (4) »

 

 

Analyse

1)   Texte et structure

 

Ce mouvement comporte 289 mesures (de 657 à 945). L'organisation formelle est déterminée par le texte. Reich utilise la voix d'un habitant du quartier, deux voix de femmes qui ont veillé des corps et récité des psaumes, la voix du chantre d'une des grandes synagogues de New York, enfin celle d'une violoncelliste qui a aussi participé à la Shmira dans un autre lieu. Il s'agit de Maya Beiser, qui a créé Cello counterpoint de Reich en 2003 ainsi que, la même année, World to come de David Lang, œuvre à laquelle WTC 9/11 fait clairement référence. World to come est destinée à un violoncelle qui joue en direct avec intervention vocale de l'instrumentiste et une bande qui contient huit parties de violoncelles. Comme le fait remarquer David Lang, ami de Reich, les initiales de WTC 9/11 et de World to Come sont identiques. Ces deux œuvres se trouvent liées par un subtil faisceau de correspondances. Dans The world to come Lang démultiplie la sonorité du violoncelle par la bande comme le fait Reich avec le quatuor à cordes. Par ailleurs, l'expression « The world to come » apparaît dans la partie D de ce troisième mouvement. En chantonnant un bref passage du Psaume 121, Maya Beiser, dédicataire à la fois de Cello counterpoint et de World to come ajoute une résonance supplémentaire entre les deux compositeurs.

 

Avant d'aborder de façon plus technique WTC, une présentation rapide du texte, qui comme nous l'avons précisé plus haut, génère la structure, semble indispensable. Le tableau 1 fait apparaître clairement six sections, chacune caractérisée par des paroles spécifiques.

 

Structure mouvement 3 (657-945)

Section A

Section B

Section C

Section D

Section E

Section F

665-684

Anglais

685-727

Anglais

728-809

Hébreu

810-832

Anglais

833-901

Hébreu

902-945

922-945 (coda)

Anglais

Tableau 1

 

Section A 665-684                    témoignage d'un habitant

·         The bodies (Les corps)

·         The bodies were moved to large tents (Les corps furent transportés vers de grandes tentes)

·         Large tents (Grandes tentes)

·         On the east side of Manhattan (Dans la partie Est de Manhattan)

 

Section B 685-727                    témoignage des deux femmes qui veillent les défunts

·         I would sit there (Je restais assise)

·         I would sit there and recite Psalms all night (Je restais là assise à réciter des psaumes toute la nuit)

·         Recite psalms all night (Réciter des psaumes toute la nuit)

·         Simply sitting (Tout simplement assise)

·         Sitting (Assise)

 

Section C 728 - 809      (Psaume 121 : 8) Maya Beiser

·         Hashem yishmor tzaytcha uvoecha may atah va-ahd olahm (L'Eternel gardera ton issue et ton entrée, dès maintenant et à toujours.) (5)

 

Section D 810-832                    témoignage d'un habitant

·         The world to come (Le monde au-delà)

·         I don't really know what that means (Je ne sais pas ce que cela signifie)

 

Section E 833- 901                   (Exode 23 : 20) Chantre new yorkais

·         Hiney ahnochi sholayach malach lephaneycha lishmorcha badarech valahaviahcha elhamahkom asher hakinoti (Voici, j'envoie un ange devant toi, pour te garder dans le chemin, et pour t'amener au lieu que j'ai préparé.) (6)

 

Section F 902-945                    émoignage d'un habitant (902-925)

·         And there's the world (Puis il y a le monde)

·         And there's the world right here (Puis il y a le monde ici même)

 

Le texte juxtapose donc quatre sections en anglais (A, B, D, F) et deux en hébreu (C, E), un passage du Psaume 121 murmuré par Maya Beiser et un court extrait de l'Exode interprété par le chantre new-yorkais. Ce n'est pas la première fois que Reich utilise l'hébreu. Il a déjà exploré cette langue dans Tehillim en 1981 et You are (variations) en 2004. En réalité Reich reste éloigné de ses racines juives jusqu'en 1976, année pendant laquelle il apprend l'hébreu, étudie la bible et travaille la cantillation. Il se rend par ailleurs à Jérusalem en 1977 et songe même à devenir rabbin. Tehillim illustre d'une certaine façon la quête d'un artiste pour renouer avec ses origines profondes.

 

2)   Speech-melody et Stop action sound

 

Nous conserverons le terme anglais speech melody plutôt que la traduction française « mélodie parlée » qui semble un peu restrictive. Cette technique, que Reich utilise depuis Different trains, dans The cave, City life ou encore Three tales, consiste à traduire au plus près musicalement les inflexions d'une phrase parlée. La langue américaine, naturellement chantante, se prête parfaitement à ce type de travail. Les paroles enregistrées, souvent concises, sont à la fois diffusées et interprétées par les instruments qui anticipent et accompagnent les voix.

 

« La mélodie du discours de chaque individu constitue vraiment, comme le dit Beryl, une sorte de portrait musical de la personne en question. C'est sa mélodie et je commence par la transcrire. Je dois trouver les notes exactes, le rythme et le tempo des paroles prononcées. » (7)

 

Tout le matériau mélodique se trouve généré par les voix enregistrées ce qui donne une solide cohérence à l'ensemble. A quelques rares détails près, ce jeu s'établit pour l'essentiel avec le quatuor 1, les quatuors 2 et 3 enregistrés également, remplissent une fonction de type plus harmonique. Dans ce troisième mouvement les sections A, B, D et E sont fondées sur la technique de speech melody.

 

Section A 665-684

Cette première section s'appuie sur 4 brèves interventions vocales (Exemple 1). Il s'agit, comme nous l'avons signalé, de l'enregistrement du témoignage d'un voisin. Chaque élément de phrase est systématiquement doublé par le violoncelle du quatuor 1, celui qui joue en direct sur scène.

 

Exemple  1 : Speech melody Section A.

Il existe donc un phénomène d'osmose entre le timbre de l'instrument et celui de la voix. Ce qui paraît sans doute encore plus intéressant c'est que le quatuor donne presque toujours à entendre la partie vocale avant qu'elle n'intervienne réellement, comme une forme de prémonition. Ce côté lancinant se trouve encore renforcé par l'aspect répétitif des formules (The bodies ou Large tents).

 

Dans l'exemple 2 on peut clairement observer de quelle façon le quatuor 1 prépare le texte. Le violon 1 joue intégralement la formule de la mesure 665 (The bodies), le violon 2 les deux premières notes, l'alto uniquement la première. Les notes tenues installent une trame harmonique de 3 sons (Sol, La, Ré) qui annonce l'entrée du couple voix/violoncelle. Ce procédé est abondamment utilisé par Reich tout au long de WTC 9/11.

 

Exemple  2 : Prémonition de la mesure 665.

Section B 685-727

La section B reprend globalement les mêmes caractéristiques. Il s'agit cette fois de cinq formules prononcées par deux femmes qui veillent le corps des défunts. Le rôle du violoncelle dans la section A est remplacé ici par le violon 1 pour des raisons évidentes de registre (Exemple 3).

 

Exemple  3 : Speech melody Section B.

A deux reprises le quatuor 1 anticipe le texte, avant la première intervention, I would sit there, et avant la quatrième, Simply sitting, (Exemple 4 et 5). Les cinq passages vocaux forment donc un nouveau couple violon/voix. La mélodie est rigoureusement doublée à la quinte juste inférieure soit par l'alto soit par le violoncelle, parfois même les deux.

 

Exemple  4 : Prémonition de la mesure 695.

Exemple  5 : Prémonition de la mesure 717.

 

Section D 810-832

La section D est la plus courte du mouvement, 23 mesures (Exemple 6). Elle comporte deux interventions qui s'insèrent entre les textes bibliques (sections C et E). Les paroles retenues par Reich soulèvent un questionnement d'ordre métaphysique qui renforce la dimension quelque peu mystique de WTC. La voix employée est la même que celle de la section A mais, cette fois, doublée non seulement par le violoncelle mais également par l'alto.

 

Exemple  6 : Speech melody Section D.

Le quatuor prépare uniquement The world to come. Chaque instrument donne une des quatre notes de la présentation vocale et maintient une tenue harmonique (Exemple 7).

 

Exemple  7 : Prémonition de la mesure 818.

 

Section F 902-945

Il s'agit de la même voix que pour les sections A et D. Elle présente deux parties quasiment enchaînées et presque identiques avec la répétition de and there's the world. Le climat devient beaucoup plus tendu et rappelle celui du premier mouvement. La phrase est contenue dans un ambitus de tierce mineure Fa, Lab (Exemple 8). Les quatuors 1 et 2 jouent pour la première fois du mouvement dans une nuance forte avec des accents sur chacune des notes. L'armure avec quatre bémols, identique au mouvement 1, prépare la coda sur laquelle nous reviendrons.

 

Exemple  8 : Speech melody Section F.

 

La partie vocale est cette fois annoncée de façon plus subtile. Il ne s'agit plus de faire simplement entendre antérieurement de façon instrumentale la formule mélodico-rythmique des paroles à venir mais de créer des polarités par le biais des accents et des répétitions sur les trois notes de cette formule. Sol et Lab sont particulièrement repérables au violon 1 du 1er quatuor, le Fa au violon 1 et au violoncelle du deuxième quatuor. Ce passage instrumental, dont l'intensité et la nervosité rompent avec le caractère recueilli du mouvement, dégage une sensation éminemment tragique (Exemple 9).

 

Exemple  9 : Prémonition des mesures 920 à 925.

 

Le stop action sound est une conception inextricablement liée à celle de la speech melody. Comme nous l'avons signalé plus haut, cette technique a précédé de plusieurs mois le contenu narratif.

 

« Quand j'ai débuté cette œuvre, je n'avais pas la moindre idée de ce que cela pouvait donner. La seule chose que je savais c'est que j'allais prendre les voyelles qui terminent un mot et les allonger. Ainsi si quelqu'un disait "zéro" cela deviendrait "zeroooooooo", et le "o" pourrait se poursuivre indéfiniment. » (8)

 

Depuis Slow motion sound, œuvre conceptuelle imaginée en 1967 qu'il oublie d'ailleurs de mentionner dans la citation donnée page 1, Reich souhaite réaliser sur le plan sonore un peu l'équivalent de l'arrêt sur image au cinéma. Grâce aux progrès technologiques, il peut l'utiliser à partir de 2001 pour la première fois dans Dolly, dernier mouvement de Three tales. Jusqu'à WTC 9/11 le compositeur ne fait plus appel à ce procédé. A la fin de chaque segment de phrase, la voix de la personne enregistrée est maintenue sur la dernière voyelle. Reich compare cet effet à une trainée de vapeur qui s'intègre à la trame harmonique. Ainsi, tel un halo sonore, le timbre de la voix perdure plusieurs secondes et nimbe le discours musical qui suit. On peut ainsi constater que l'aura de la personne interviewée s'étend bien au-delà de la simple intervention vocale. Prémonition instrumentale et réminiscence par la technique du stop action sound amplifient la pensée du locuteur et rayonnent ainsi sur l'ensemble de la pièce. Dans les sections A, B, D et F, ce mécanisme est systématiquement employé à la fin de chaque manifestation vocale. Pour la présentation des extraits de la Bible, le processus est oublié sauf sur la dernière voyelle prononcée par le chantre, section E. La dernière voyelle perdure jusqu'à la dernière seconde du mouvement. Ce souffle sacré laisse une trace indélébile et renforce le caractère tragique de la fin.

 

3)   Le travail contrapuntique au service du texte sacré

 

Reich, dont on connait l'attachement pour la technique du canon, l'utilise dans WTC 9/11 exclusivement dans le troisième mouvement et plus précisément dans les deux sections chantées en hébreu (C et E). Pour le compositeur il s'agit bien ici de renforcer la parole sacrée par une écriture qui contraste fortement avec les autres sections vocales en anglais.

 

Section C 728-809

Cet extrait  enregistré du Psaume 121, est, comme nous l'avons déjà signalé, chuchoté par Maya Beiser. La même phrase apparaît trois fois à l'identique. Le canon s'élabore à la deuxième apparition du texte. L'organisation contrapuntique est schématisée dans le tableau 2. La voix se trouve systématiquement doublée par l'alto, puis par les violons 1 et 2. Comme dans la partie B, tout au long de C, le violoncelle double scrupuleusement le couple voix/alto à la quinte juste inférieure. Seules deux petites mutations, indiquées par une croix (Exemple 11 et 12) rompent cette rigoureuse construction. La référence faite au parallélisme des débuts de la polyphonie montre l'intérêt que porte le compositeur à la musique ancienne.

 

Section C : organisation canonique 

728-809

Partie 1 728-751

Partie 2 752-777

Partie 3 778-809

  • Alto + voix 728
  • Alto + voix 752
  • Violon 1 + voix 755
  • Alto 778 + voix
  • Violon 1 + voix 781
  • Violon 2 + voix 785
  • Violoncelle

//à la quinte juste inférieure

  • Violoncelle

// à la quinte juste inférieure

  • Violoncelle

// à la quinte juste inférieure

Tableau 2.

Dans la partie 1 (728) la mélodie simple et répétitive, contenue dans un ambitus de quinte juste, est donnée une première fois par le couple indissociable voix/alto (Exemple 10).

 

Exemple  10 : Organum parrallèle mesures 728 à 751.

Au cours de la seconde présentation (752), un canon à deux voix se met en place à distance de 7 temps. La voix diffusée de Maya Beiser se trouve ainsi démultipliée ce qui génère une ambiance mystérieuse qui sera encore renforcée par la suite (Exemple 11).

 

Exemple  11 : Canon à 2 voix et organum mesures 752 à 777.

A la dernière exposition (778), la troisième entrée s'ajoute à distance de 13 temps. Les couples voix/alto et voix/violons, joués dans le même registre, provoquent une perte de repère. Une manière de halo sonore trouble la perception et installe ainsi une atmosphère propice à une expression empreinte de sacralité.

 

Exemple  12 : Canon à 3 voix et organum mesures 778 à 809.

Section E 833-901

Un bref extrait de l'Exode est exposé deux fois au cours de cette section, à la différence de la section C bâtie en trois parties (Tableau 3). Un mécanisme identique à celui de la section C se met en place. La voix de Maya Beiser est remplacée par celle du chantre.

 

Section E : organisation canonique 

833-901

Partie 1 833-866

Partie 2 867-901

·         Alto + voix 833

·         Alto + voix 867

·         Violon 1 + voix 868

·         Violon 2 + voix 868

·         Violoncelle

// à la quinte juste inférieure

·         Violoncelle

//à la quinte juste inférieure

Tableau 3

 

La mélodie de 33 mesures se déroule plus longuement que celle de la section C (24 mesures). On retrouve la même simplicité dans un ambitus un peu plus large. Les formules répétitives ainsi qu'une grande ductilité rythmique renforcent l'aspect religieux du passage. Le concept de couple indissociable est maintenu ainsi que le principe d'organum parallèle strict avec le violoncelle. La différence principale consiste à présenter les trois voix canoniques sans passer par le stade intermédiaire des deux voix.

 

Exemple  13 : Organum parrallèle mesures 833 à 866.

 

Les entrées du canon s'effectuent de manière rapprochée et, comme pour la section C, dans un même registre. Les effets de résonances s'en trouvent encore renforcés. Cette expression, proche dans l'esprit de la cantillation hébraïque, emplit l'atmosphère sous la forme d'un miroitement kaléidoscopique.

Exemple  14 : Canon à 3 voix et organum mesures 867 à 901.Fonction des quatuors 2 et 3 et langage harmonique

 

Les deux quatuors enregistrés ont une fonction différente du quatuor chargé de jouer en direct. Alors que celui-ci forme le support systématique du texte les deux autres remplissent un rôle tantôt de doublure tantôt d'amplification du quatuor 1. A de rares exceptions près ils jouent de longues tenues sorte de prolongement du stop action sound. Ils installent une trame harmonique souvent étale sur laquelle viennent se poser les éléments narratifs.

 

Les cinq premières sections ne comportent aucune altération ni à l'armure ni dans la musique elle-même. Dans la partie C, de 701 à 717, Reich emploie cependant un Si bémol sous forme de note tenue au violoncelle du quatuor 1 ainsi qu'à l'alto. Cela s'explique par le fait qu'il souhaite maintenir une quinte juste dans l'organum rigoureusement parallèle que nous avons évoqué précédemment. Cette économie de moyen a pour objectif de concentrer l'attention de l'auditeur sur le texte. Il évite ainsi soigneusement toute friction ou dissonance pouvant perturber la mécanique relativement minimaliste qu'il souhaite développer.

 

La sixième section (F) comporte 4 bémols à la clé. Le compositeur renoue avec l'armure et plus généralement avec le climat tendu du premier mouvement. Les quatuors 1 et 2 retrouvent la même nervosité (Exemple 9). Sous cette phase conclusive plus agitée, le quatuor trois installe de manière progressive une trame immuable qui se maintient jusqu'à la fin, à l'exception du saut d'octave aux violons mesure 929 (Exemple 15).

 

Exemple  15 : Trame harmonique au quatuor 3 à partir de la mesure 902.

 

La coda, quant à elle, donne à nouveau le Fa qui symbolise la sonnerie lancinante du téléphone. Pendant toute cette partie Reich n'utilise aucun Mi, ni bémol ni bécarre.  Cette absence prépare et renforce le frottement Mi bécarre/Fa à partir de 937, tension présente dès la mesure 2 du premier mouvement.

 

 

En conclusion, Speech melody, stop action sound, contrepoint, minimalisme harmonique, éléments répétitifs ou encore évocation de la musique ancienne sous la forme d'organum archaïque, constituent les principaux éléments mis en œuvre par Steve Reich dans WTC 9/11. Partant du simple désir technique de réaliser une pièce utilisant le stop action sound, puis, dans un second temps d'évoquer le drame vécu par sa famille le 11 septembre, Reich réalise une œuvre dont l'importance se situe bien au-delà. En effet, WTC 9/11, et tout particulièrement le dernier mouvement, atteint par instant une dimension véritablement universelle. L'œuvre rend ainsi un émouvant hommage aux nombreuses victimes de l'un des moments les plus tragiques de ce début de XXIe siècle.

 

Patrick Revol*.

 

 

*Patrick Revol est Maître de conférences (HRD) à l'Université Pierre Mendès France de Grenoble.

 

 

Annexes (Texte anglais) :

 

·         Note 1 :

« In 2009 the Kronos Quartet asked me for a piece using pre-recorded voices. My first idea was to elongate the speaker's final vowels or consonants. Stop Action sound. Impossible in 1973 when I first thought of it. Possible in 2001 when Dolly was begun. In this piece it was to be, and is, the means of connecting one person to another – harmonically. »

 

·         Note 2 :

« After several months I finally remembered the obvious. For 25 years we lived four blocks from the World Trade Center. On 9/11 we were in Vermont, but our son, granddaughter and daughter-in-law were all in our apartment. Our phone connection stayed open for six hours, and our next-door neighbors were finally able to drive north out of the city with their family and ours. For us, 9/11 was not a media event.  By January 2010, several months after Kronos asked me for the piece, I realized the pre-recorded voices would be from 9/11. »

 

·         Note 3 :

« The piece begins and ends with the first violin doubling the loud warning beep (actually an F) your phone makes when it is left off the hook. In the first movement there are archive voices from NORAD air traffic controllers, alarmed that American Airlines Flight 11 was off course. This was the first plane to deliberately crash into the World Trade Center. The movement then shifts to FDNY archives of that day telling what happened on the ground. The second movement uses recordings I made in 2010 of neighborhood residents, an officer of the Fire Department and the first ambulance driver (from Hatzalah volunteers) to arrive at the scene, remembering what happened nine years earlier. »

 

·         Note 4 :

« After 9/11 the bodies and parts of bodies were taken to the Medical Examiner's office on the east side of Manhattan. In Jewish tradition there is an obligation to guard the body from the time of death until burial. The practice, called Shmira, consists of sitting near the body and reciting Psalms or Biblical passages. The roots of the practice are, on one level, to protect the body from animals or insects, and on another, to keep the neshama, or soul, company while it hovers over the body until burial. Because of the difficulties in DNA identification, this went on for seven months, 24/7. »

 

·         Note 8 : 

« When I started the piece, I had no idea what it was going to be about. All I knew was that I was going to take vowels that end a word and elongate them. So if someone said, "zero," it would be "zeroooooooo," and the "o" would go on indefinitely. »

 

 

(1) Traduction du texte de Steve Reich de novembre 2010 publié sur la partition éditée par Boosey et Hawkes ainsi que sur la présentation de l'enregistrement réalisé par le Kronos Quartet chez Nonesuch Records Inc. en 2011. Toutes les citations en version anglaise sont proposées en annexe

(2) Ibid.

(3) Ibid.

(4) Ibid.

(5) D'après la traduction de David Martin (1744).

(6) D'après la traduction de Louis Segond (1880).

(7) Texte extrait du document de communication du festival d'automne à Paris élaboré pour les représentations de The cave en 2013. Cette interview de Reich et de sa compagne Beryl korot est réalisée par Jonathan Cott.

(8) Traduction du texte provenant de l'interview réalisée par des membres du Carnegie Hall le 30 avril 2011 lors du concert organisé pour les 75 ans de Steve Reich.

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PROPOS PARTAGES

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Jean Rondeau, claveciniste et aussi pianiste de jazz

Jean Rondeau est né en 1991. Il complète sa formation initiale au CRR de Paris où il travaille la composition et le contrepoint, puis au CNSM où il remporte les prix de clavecin et de basse continue en 2013. Déjà Premier prix du concours de Bruges en 2012, il est Premier prix du concours Jeunes Solistes de Radio France en 2014. Parallèlement il suit des cours à la Guildhall School de Londres, à l'Académie Chigiana de Sienne et à Florence avec Christophe Rousset. Depuis, il se produit régulièrement en soliste ou en musique de chambre avec ses amis anciens élèves du CRR dans le groupe Nevermind. Il a fondé le groupe de jazz Note forget en 2011.

Jean Rondeau, c'est au jeune claveciniste que je m'adresse pour débuter cet entretien. Cet été a été assez riche de concerts en tant que soliste : la Normandie Royan, Bruges, la Chaise-Dieu, Paris… C'est beaucoup de programmes différents...

Je change souvent mes programmes. Je cherche à m'adapter même si parfois des pièces se recoupent. Je cherche à me renseigner sur le lieu, le clavecin…pour toujours adapter mon programme. Toujours.

Sur quoi portent tes choix en ce moment ?

En fait, je suis toujours sur plein de chantiers en même temps : à la fois monter des programmes, travailler du répertoire de manière plus large et aussi travailler sur l'instrument juste pour travailler sur l'instrument. C'est toujours un perpétuel fatras de partitions qui s'empilent et il faut essayer de faire un tri.


DR

Si on parlait du temps des études qui n'est pas si éloigné que cela ?

Quand je parle des études je parle toujours de mon apprentissage avec Blandine Verlet, donc lorsque j'étais assez jeune, entre 6 et 18 ans. En gros l'apprentissage à ce moment là c'est la musique, l'instrument. On se plonge dedans pour essayer de toucher le son, de se familiariser avec. Aujourd'hui le travail est différent, c'est une approche plus technique. Blandine laisse beaucoup de place à l'élève, beaucoup de liberté. En fait, elle n'impose rien, elle essaye d'attiser la passion de l'élève, son amour. Elle essaye de comprendre ce qu'il entend… C'est pour cela qu'elle est très souple, très à l'écoute. Elle a un finesse qu'on ne trouve pas partout du point de vue du positionnement pédagogique, elle est une vraie pédagogue. Elle arrive à faire grandir la musique chez quelqu'un et ça c'est quelque chose de très fort. La manière académique on s'en fiche, ce qui est important c'est la transmission, le goût de l'amour pour cette musique, sur cet instrument précisément. Cela, elle arrive à le faire et donc pour moi elle est une réelle pédagogue.

L'aventure a réellement commencé à 6 ans ? Déjà l'amour du clavecin ?

En fait j'ai entendu du clavecin à la radio. J'ai eu un vrai coup de foudre pour le son de l'instrument. Ce qui est sympa avec cette histoire c'est que je ne suis pas tombé amoureux de l'apparence de l'instrument ni du répertoire ni de la personne qui jouait parce que c'était des trucs qui m'échappaient complètement à cet âge là (j'avais 5 ans). C'était le SON juste le son de l'instrument qui me séduisait. C'est un contact assez direct. A partir de ce moment j'ai demandé à mes parents de jouer du clavecin.

Je ne sais absolument pas ce que j'avais entendu. Ce qui est intéressant c'est que seul le son m'attirait. C'était détaché de toute association avec une façon de jouer ou un répertoire, juste un CONTACT avec l'instrument.

Le clavecin a l'avantage de ne pas laisser indifférent. Soit il y a des gens qui en sont épris, totalement épris ; soit il y en a d'autres qui n'aiment pas du tout, qui peuvent être rebutés par le son, allant jusqu'à le trouver un peu agressif. C'est un instrument qui a du caractère et qui ne laisse pas indifférent. Ma démarche d'enfant ne peut pas s'expliquer rationnellement comme le ferait un adulte. Quand l'enfant tombe amoureux de quelque chose c'est une vraie passion et la passion d'un enfant est vraiment pure. Au contraire de l'adulte qui se pose un tas de questions, quand on est enfant il s'agit d'un élan.

Blandine a été un professeur exemplaire. C'est une grande artiste, une grande musicienne. Grâce à sa démarche assez humble elle cherche à développer quelque chose chez quelqu'un, elle recherche les envies de l'autre. Pas les siennes. A aucun moment elle ne met un pas de trop dans la sphère de l'élève. En cela elle porte l'amour et c'est assez exemplaire. Je n'ai jamais été déçu. Jamais… J'aurais été déçu si elle m'avait imposé de jouer telle ou telle pièce parce que justement c'était lié à cet élan passionnel qui consistait à dévorer de la musique, à jouer comme un enfant avec un jouet. Quand on retire son jouet à un enfant il pleure ! Si on est malheureux je ne sais pas ce qui sert le plus la musique…

Comment se faisait le choix des programmes alors ?

Je déchiffrais énormément. J'entendais une pièce et je voulais la jouer…Elle disait d'accord. Ce n'était pas académique, elle ne m'imposait pas de programme.

Faisais-tu de l'improvisation ?

Non, pas à ce moment là. J'ai commencé l'improvisation vers 12 ans au piano. Vers cet âge là aussi j'ai commencé la basse continue. C'était lié, c'était dans la continuité. Cela m'a tellement intéressé que j'ai commencé l'écriture et j'ai eu d'autres professeurs. Après deux ans de piano au conservatoire (qui ne m'avaient pas vraiment plu) j'ai rencontré un professeur extérieur à la structure qui m'a vraiment fait aimer l'instrument. Avec lui j'ai réellement eu l'impression de rentrer dans le piano par le biais de l'improvisation. Il retournait tout l'enseignement théorique par la pratique pour retrouver l'essentiel. Je me souviens qu'il m'enseignait à faire des « phrases » ce qui est essentiel. Je remarque que beaucoup de grands interprètes ne savent pas forcément taper dans leurs mains…


DR

C'est un joli plaidoyer pour les Méthodes Actives….

En tous cas j'ai lu quelque chose sur l'axiome d'Emerson qui dirait que tu  n'apprendras  jamais mieux qu'en dehors de l'institution.

Quelle différence d'investissement y a-t-il entre un concert en soliste et la réalisation d'une basse continue dans un orchestre ?

C'est clairement une différence matérielle mais en revanche il n'y a pas de différence de positionnement. C'est une autre forme d'oreille. En orchestre on est là pour écouter les autres mais ce qui guide c'est qu'on fait de la musique. Cela fonctionne aussi bien pour le jazz que pour la musique de chambre ou l'interprétation soliste. Je ne deviens pas quelqu'un d'autre quand je joue quelque chose d'autre avec quelqu'un d'autre et d'ailleurs même au sein de mon travail en tant que soliste, que je me retrouve devant 3 ou 1000 personnes mon engagement sera le même.

Cette remarque me fait penser à la prestation des Victoires de la Musique retransmise à la télévision…

Je ne peux pas dissocier la musique des autres. Je ne fais pas cela pour moi sinon je resterais chez moi. Les autres sont essentiels. Le public est le premier lieu de réflexion mais cela n'a rien à voir avec les Victoires de la Musique qui sont encore autre chose. C'est de la télé. Ce n'est pas la réalité. C'est une idée de représentation, une image, du spectacle… J'ai joué deux minutes trente ! Cependant ce qui reste au centre de tout c'est la musique. Au moment où je joue mon engagement reste le même. Il est vrai que c'est extrêmement mal fait, extrêmement kitch et pas très beau. Ils souhaitent représenter les clichés. Ce n'est pas la représentation de la réalité, c'est du faux de faux. Là je suis assez pessimiste mais ce n'est pas grave. En même temps c'est une bonne chose. J'ai découvert le clavecin par hasard à la radio et peut-être qu'il y a des gens qui ont ouvert leur télévision et qui ont peut-être découvert…Évidemment que c'est bien ! Il ne faut pas réserver le clavecin à des connaisseurs. Je pense que la carrière et la musique ne jouent pas sur le même terrain de jeu. Souvent l'une utilise l'autre et parfois, encore pire, inversement ; mais en fait ça n'a rien à voir et c'est pour cela que se créent deux mondes : celui de la production musicale et le monde de la musique en soi (pas toujours mais c'est souvent le cas). C'est assez compliqué en fait de comprendre que la musique a besoin de tout sauf de commercial. Elle n'a rien à voir avec une démarche commerciale, elle transcende le commerce, la mode, l'époque. On a quand même pas mal d'exemples de compositeurs qui n'étaient pas forcément à la mode à leur époque !

Lors du récital au théâtre des Champs-Elysées un spectateur est intervenu verbalement entre deux morceaux parce que un reflet de ta montre le gênait. Sans te démonter tu as retiré la montre puis avec humour demandé si tu devais aussi retirer tes souliers vernis, indiquant au passage que si quelque chose était de nature à gêner il fallait le dire…Personnellement j'ai admiré le calme, l'à propos, l'humour et la gentillesse de la réplique face à la violence que peut représenter une telle intrusion dans la concentration du moment.

En fait, j'ai beaucoup aimé. Quelque chose gênait ce monsieur, il l'a dit.

C'est rarissime une interpellation au cours d'un concert classique, non ?

Cela ne devrait pas être exceptionnel. Les lieux de théâtre un peu guindés sont un héritage bourgeois mais en fait la musique n'a pas besoin de chemin sinueux. Elle est la plus forte. On vit dans un monde qui se veut rapide mais si on s'arrête deux minutes et qu'on se pose la question de notre court passage sur terre on a vite fait d'abandonner les histoires de pouvoir et de rapports de force et on finit par se bouger les fesses vraiment pour quelque chose qui a du sens et qui a un impact direct et concret sur l'homme. L'apparition de l'homme sur terre reste quand même infime par rapport à l'existence de l'univers. Déjà le passage de l'homme est très court mais alors le nôtre en tant qu'individu…il est invisible.

Tu as fait de la philosophie ?

Oui. J'ai fait cela à la Catho qui a un très bon département de philosophie avec d'excellents professeurs. La philo me passionne mais je n'ai plus de temps.

Que se passe-t-il quand tu passes du clavecin au piano ?

Cela reste du clavier mais c'est différent parce que c'est une autre façon de gérer le poids du corps et le lien corporel avec l'instrument. Le jazz c'est encore différent mais la respiration liée à la musique est censée rester la même.

Est censée ?

C'est le travail de toute une vie. Trouver la respiration juste et le geste juste… Le premier qui me dit qu'il a trouvé…

Propos recueillis par Laurence Renault Lescure.

Le programme de Jean Rondeau est chargé pour l'automne 2015 :Milan, Kiev, Cambrige, Utrecht,Varsovie, Poznan. Puis La fondation Bettencourt, le festival Terpsichore (22/11), La Lituanie. Et retour en France à l'Hôtel de Ville de Neuilly le 12 décembre.

On peut suivre son parcours sur internet. Il faut aussi suivre le parcours de ses improvisations avec Thomas Dunford au luth et la percussion de Kevin Benguigui.

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    L'ŒIL ÉCOUTE

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Le frisson d'un orchestre d'exception

 


©Boston Symphony Orchestra

 

Pour ce concert de rentrée, la Philharmonie de Paris connaissait l'excitation des grands soirs. C'est qu'on y entendait le Boston Symphony Orchestra, au nombre des « big five » des formations symphoniques nord américaines. Pour l'une des étapes de leur première tournée européenne sous le direction d'Andris Nelsons, qui de Londres à Berlin, leur faisaient donner quelques 12 concerts en 15 jours. Le programme copieux de cet unique concert parisien réunissait Don Quichotte de Strauss et la 10 ème Symphonie de Chostakovitch. Richard Strauss achève Don Quichotte en 1897, peu après Till Eulenspiegel dont il se situe dans le droit fil. Car ces « Variations fantastiques sur un thème chevaleresque » op. 35 en reprennent l'esprit frondeur, pour ne pas dire picaresque, loin des redondances pseudo philosophiques de Also Sprach Zarathustra. Presque sujet opératique, cette illustration musicale du Don Quichotte de Cervantès nous plonge dans le théâtre et son monde imaginaire. Le Chevalier à la longue figure s'abime dans la déraison à la lecture de quelque roman de chevalerie et va mettre en scène sa propre trajectoire d'évènements en compagnie de son fidèle Sancho Pensa. Cette partition n'est autre que le récit de ses aventures  invraisemblables qui pourtant ont la senteur de la vie, car le personnage est bien de chair et de sang tout comme son double Sancho, au point qu'on a pu dire que les deux ne formaient qu'une seule entité, comme il en va de Don Giovanni et de Leporello. Strauss pare son orchestre de mille feux et ses deux héros des traits finement dessinés, qui au violoncelle, qui à l'alto. L'interprétation d'Andris Nelsons est frappée au coin de l'amour d'une musique à la fois démonstrative et recueillie. Si dans les premières pages on perçoit quelque sollicitation textuelle, voire la recherche de l'effet (évocation du « combat victorieux contre les armées de l'empereur Alifanfaron », autrement dit le drôle de combat contre un troupeau de moutons, dont les bêlements sont soulignés), le discours va vite prendre une forme serrée et livrer de ces séquences pathétiques ou naturalistes une moelle peu résistible. Grâce à un orchestre d'une sonorité proprement inouïe. Et que dire de ces passages en forme de triple concerto qui unissent cello, alto et premier violon ! Yo Yo Ma, dont on salue le retour à Paris, livre une exécution d'un goût extrême : au fil des épisodes on savoure tout à tour l'épique mais aussi la retenue et une poétique raffinée, comme lors des échanges avec l'alto (merveilleux Steven Ansell), montrant les liens indissolubles qui unissent les deux personnages. Aux saluts, le celliste s'efface devant ses partenaires qui, il est vrai, lui auront dessiné le plus précieux des écrins. Suivait la 10 ème de Chostakovitch, un monument et un challenge pour un orchestre. Que Nelsons prend à bras le corps. Dès les premières phrases, la tension s'installe. L'auditeur est submergé de tutti faramineux, des crissements des cordes emballées, de stridences des vents, de ce sentiment de masse écrasante, ou plongé dans le ravissement de solos envoûtants de la clarinette basse (William R. Hudgins), de la flûte ( Elisabeth Rowe) ou du cor (James Sommerville). La vision est oppressante au moderato, mécaniciste et effrayante à l'allegro suivant, envoûtante au troisième mouvement allegretto qui se conclut sur des cordes enfin assagies parmi lesquelles s'élève un trait éthéré de la flûte, moment proprement magique. Un frisson d'enivrement parcourt le finale où le pessimisme cède enfin la place à une bouffée d'air frais. Alors ce ne seront que cavalcades et climax incandescents. Nelsons joue à fond la formidable palette de la pièce et son substrat provocateur. L'orchestre répond au quart de tour et distille des nuances qui clouent l'auditeur au fauteuil. Et c'est un plaisir sans mélange de pouvoir enfin entendre ces torrents musicaux sonner comme ils le doivent, dans une acoustique ouverte rendant justice aussi bien à la ténuité d'un solo instrumental qu'aux déferlantes d'un orchestre lâché à pleine puissance.

 


Yo YO Ma ©Boston Symphony Orchestra

 

Jean-Pierre Robert.

 

Un grand chef mahlérien

 


Michael Tilson Thomas dirigeant le San Francisco Symphony (courtesy SFS)

 

Autre phalange américaine à fouler le sol parisien cet automne, le San Francisco Symphony était dirigé par son charismatique chef Michael Tilson Thomas, MTT pour ses familiers. A la tête de l'orchestre depuis vingt ans, il a fait de celui-ci un instrument des plus performants. Deux œuvres on ne peut plus dissemblables en apportaient la preuve. Le Quatrième concerto pour piano de Beethoven était joué par Yuja Wang. On sait le magnétisme de cette filiforme jeune femme qui en quelques années a conquis le cœur de mélomanes, l'espace d'une poignée de disques et de concerts. S'attaquer à l'un des concertos les plus emblématiques du maître de Bonn était assurément un challenge. Voilà un Beethoven plutôt aérien, transparent, allégé. Trop peut-être à qui attend ici une pâte solide, en particulier au rond final. La manière de la pianiste chinoise (*1987) est indéniablement à rebours des idées reçues. Mais que de qualités : une aisance virtuose transcendée par un jeu perlé (allegro moderato), une expressivité qui n'a rien à envier à bien de ses collègues (andante médian), grâce à une volonté de clarté, un intéressant alliage d'alacrité presque ludique et de calme étonnamment maitrisé dans les divers épisodes du rondo final. On remarque combien la pédale de violoncelle est à peine soulignée par le chef. L'accompagnement prodigué par Michael Tilson Thomas, empreint d'équilibre, ne s'attarde pas sur le terrain de l'héroïsme. Au final, une interprétation à part, d'une indéniable rigueur. Yuja Wang se lancera en bis dans une transposition de la Marche turque de Mozart, façon jazzy, en complète rupture ; souci d'étalage de virtuosité - et elle est sensationnelle - ou goût pour l'humour ? Un second bis plus romantique nous ramènera dans le droit chemin... Le plat de résistance était l'exécution de la Première symphonie de Gustav Mahler. Un compositeur cher au chef américain qui le programme souvent et dont il a enregistré l'entier corpus symphonique pour le propre label de l'orchestre (SFS). Lors d'une interview, ne déclarait-il pas que « ces grandes symphonies sont comme les parcs nationaux » et avouait intact son plaisir de les travailler encore et toujours avec le même émerveillement. De fait, la relation de confiance avec l'orchestre est évidente à chaque phrase. Pour une interprétation qui à l'occasion prend ses aises avec les tempos. Mais une vision d'une parfaite cohérence magnifiant les ressorts dramatique de cette musique aux multiples facettes. Le feeling est là dans la longue introduction lente du premier mouvement avec ses interventions des bois bien détachées. Cet éveil de la nature est certes moins mystérieux que parfois, mais la progression vers les grands climax ne manque pas son but. Du scherzo, marqué « énergique et animé, pas trop rapide », MTT prend le rythme de valse sans appuyer sur son coté grotesque. On trouve là une des caractéristiques de sa direction : le souci de bannir la recherche de l'effet, que ce soit dans l'impulsion rythmique ou dans le travail instrumental. Ce qui fait figure de mouvement lent, « solennel et mesuré, sans traîner », déploie une magie sonore certaine, celle de l'univers des Lieder du Wunderhorn. Le thème de marche funèbre « Frère Jacques », magistralement exposé à la contrebasse solo, prélude à une vaste digression tour à tour obsessionnelle et mesurée dans ce morceau de genre si typique de la manière de Mahler. La séquence de la chanson tzigane apporte un contraste justement parodique. Sans doute le temps fort de cette exécution. Le finale sera grandiose, nanti de formidables écarts de dynamique. La volonté de ménager les crescendos avec doigté est certaine, quoique un peu emphatique. La science orchestrale des musiciens du San Franciso Symphony est indéniable, même si moins aboutie que celle de leurs collègues de la côte Est, en particulier au registre des bois.

 


Yuja Wang / DR

 

Jean-Pierre Robert.

 

Comment vraiment bien jouer Mozart

 


Fazil Say / DR

 

Pour son concert de rentrée, l'Orchestre de Chambre de Paris affichait un programme Mozart sous la direction de Sir Roger Norrington, et en vedette le pianiste Fazil Say. Aussi bien interprète que compositeur, le pianiste turc offrait une de ses compositions chambristes, la Sonate pour violon et piano op 7. Confortant une tradition de cet orchestre de livrer des pièces de style et de forme différents. Cette pièce, écrite en 1997, mélange les esthétiques et se souvient des classiques. On y devine des références à Debussy, perçoit des traits empruntés au Jazz, et bien sûr devine des climats du pays natal. En cinq mouvements, sa modeste durée, un quart d'heure, n'en est pas le moindre paradoxe, car sa richesse est grande : atmosphère éthérée de l'introduction, où le balancement du piano berce la mélodie du violon, section scherzando (« Grotesque ») jazzy, puis séquence presto à l'arraché en forme de perpetuum mobile, ou encore andante aux tonalités orientales, là où le piano est joué sur la résonance des cordes, et enfin « Epilogue », qui revient au thème initial en l'élargissant. Belle exécution du compositeur et de Deborah Nemtanu. Retour à Mozart : un court Divertimento et la Sérénade Posthorn encadraient le 23 ème concerto de piano. Dès les premières phrases du K 138, on perçoit combien pour Norrington cette pièce de jeunesse est une affaire sérieuse : travail sur les accents, charpentés à l'andante médian et au presto final d'une verve communicative. Il en ira de même dans la vaste Serenade dite du « cor du Postillon » K 320. Ses sept mouvements et sa riche instrumentation l'apparentent plus à la symphonie qu'à la pièce de divertissement galant. L'exécution qu'en donnent Norrington et les talentueux musiciens de l'OCP le prouve : cette fine articulation, ce travail minutieux sur les coups d'archet, ces climats construits tour à tour graves et apaisés, sont dignes de la manière de grand Sandor Vegh. Comme lui, Roger Norrington place ses violons I et II de part et d'autre pour en tirer le meilleur effet phonique, ses trois contrebasses à l'extrême gauche et, au fond, comme couvant les cordes, sa ligne des vents dont les instrumentistes jouent debout. La mini symphonie concertante qui forme le deuxième mouvement révèle l'éclat du Mozart de la Symphonie concertante K 297b et annonce tel passage du II ème acte de Cosi fan tutte. Le premier menuet offre de savoureux contrastes, notamment lors du passage en duo flûte-hautbois. Une gravité proche d'accents funèbres pare l'andantino : Mozart à son plus poignant. Du second menuet, on signalera les deux Trios, le premier mené par la flûte piccolo et le deuxième par les interventions impromptues du cor. Exubérant, le finale est éblouissant de verve contenue. Qui sera bissé d'ailleurs. Au milieu, l'exécution du concerto N° 23, K 488, aura livré d'égales félicités : un son ouvert, un dialogue expert entre bois et piano. Celui-ci, Fazil Say l'aborde avec une simplicité qui fleure le bonheur de jouer. En particulier à l'andante central, l'une des plus belles inspirations de Mozart, qu'il prend avec une expressivité empreinte de pudeur pour en souligner le pathétique, l'insondable inquiétude. Quelques singularités n'entravent pas une exécution sensible, hautement pensée, souveraine. L'allegro assai final est radieux et dispense une joie d'abord contenue qui peu à peu dégage un vrai feu opératique. Les variations « Ah vous dirais-je Maman » prolongent un plaisir intense. Il y a bien longtemps qu'on n'avait pas entendu à Paris jouer Mozart de la sorte.   

 

Jean-Pierre Robert.

 

Un Wozzeck d'anthologie

 

Alban BERG : Wozzeck. Opéra en trois actes. Livret d'après « Woyzeck » de Georg Büchner. Christian Gerhaher, Gun-Brit Barkmin, Brandon Jovanovich, Mauro Peter, Wolfgang Ablinger-Sperrhacke, Lars Woldt, Pavel Daniliuk, Cheyne Davidson, Martin Zysset, Irène Friedli. Allesandro Reinhazrt, Tae-Jin Park. Chor & Kinderchor der Oper Zürich. Philharmonia Zürich, dir.: Fabio Luisi. Mise en scène : Andreas Homoki. Opernhaus Zürich. 

 

 

Il est à l'opéra des moments qui se gravent dans la mémoire durablement. Assurément la nouvelle production de Wozzeck que présente l'Opernhaus de Zürich est de ceux-là ! Puisé dans le drame de Büchner, Wozzeck a été pensé pour la scène et Alban Berg en a fait un morceau virtuose où drame et musique sont liés à un rare degré de fusion. On ne reviendra pas sur la conception formelle des trois actes, joués ici sans interruption, bâtissant au long de quinze scènes, un schéma musical serré, sur le schéma Exposition, Péripétie, Catastrophe, formellement condensé successivement en cinq pièces de caractère où sont présentés chacun des personnages principaux (acte Ier), puis une symphonie en cinq mouvements (II ème acte), enfin six inventions au troisième. La perfection dramaturgique, une des plus réussies que comporte le répertoire, est on ne peut plus inspirante pour un metteur en scène. Andreas Homoki, le directeur de l'Opernhaus, conçoit une régie d'une fabuleuse inventivité et d'une absolue cohérence. Le soldat Wozzeck est prisonnier des circonstances dans un monde où finalement personne n'est libre, où tout un chacun agit sous la contrainte. Et la catastrophe devient inéluctable, car il n'est pas un moyen d'en réchapper. Une composante grotesque s'empare de tous les individus, à l'aune du monde folie qui est celui de Wozzeck. D'où le choix de raconter son histoire à travers la propre perception qu'il a des événements, dans une approche surréaliste, « chaque scène exposant une incertitude existentielle du personnage », dit Christian Gerhaher. Et de la situer dans l'univers impitoyable du théâtre de marionnettes, comme naguère un Stanilawski. La composante décorative s'impose d'emblée, avec sa dominante jaune passé :  une construction répétitive en perspective (Michael Levine, le décorateur de Carsen, et adepte des effets en trompe l'œil), qui va s'échafauder ou se défaire au fil des scènes, et qui emprisonne les personnages dans ses diverses strates. Ainsi ceux-ci apparaissent-ils au premier plan puis s'évanouissent comme à Guignol, ou s'installent à  califourchon sur le rebord. On savoure les divagations du Docteur (Acte1, sc. 4) vaticinant sur la relativité des choses. Une escouade de mandarins, vêtus de noir comme leur maître, envahit alors l'espace, s'emparant du pauvre hère pour le faire tourner en bourrique. Plus tard ( Acte II, sc. 2), Capitaine et Docteur vont assaisonner de leurs propos plus sournois qu'aimables leur souffre-douleur en une course-poursuite s'étalant sur plusieurs plans. Ceux-ci autorisent la mise en perspective de groupes aux allures effroyables. Ainsi la scène de l'auberge verra-t-elle une armée de de bonshommes s'agiter au pas de l'oie et peupler l'imaginaire du soldat pour mieux l'assommer. La scène de la caserne qui clôt l'acte II, avec ses soldats, leurs oreillers collés sur l'oreille, vous arrache une larme d'émotion tant on perçoit combien la torture est insupportable pour Wozzeck, alors que le Tambour-major dont on a perçu l'immense égo et l'appeal sexuel débordant, va s'appliquer à détruire son simple soldat dont il a volé l'épouse. La violence est loin d'être éludée. On la reçoit de plein fouet par exemple durant l'interlude qui suit la scène de l'auberge et l'intervention du fou, car une orgie collective quasi tellurique s'empare de l'assistance ; ce qui rend le contraste avec la placidité du début du tableau de la chambrée encore plus impressionnant. Une infinie douceur appert aussi. On n'oubliera pas de sitôt la scène de la lecture de la Bible (Acte III,  sc. 1) qui au-delà des didascalies, introduit Wozzeck : Wozzeck et Marie, blottis l'un contre l'autre, enchâssant leur pauvre gosse, puis Wozzeck reprenant le livre sacré qu'elle a posé, pour sembler y puiser lui aussi quelque chose d'essentiel. Là comme au détour de chaque scène, chaque personnage est détaillé avec une force exceptionnelle. Autre trait inouï : à l'ultime scène, chacun des enfants sera une réplique de chaque personnage principal, et pour celui d'entre eux qui annonce au petit orphelin la mort de Marie («  Du, dein Mutter ist tot »/ Toi, ta mère elle est morte), un sosie de celle-ci. On touche ici le génie dramaturgique.

 

 

La puissance de cette production se vit à travers l'interprétation qui épouse cette régie comme un second soi-même, tant chacun y est littéralement sculpté par elle. La distribution, qui ne connaît pas la moindre faille, comprend plusieurs prises de rôle, gage de renouvellement et remède contre la routine. Au premier chef, celle du rôle titre par Christian Gerhaher. On sait tout l'intérêt qu'il y a à le distribuer à un interprète familier du domaine du Lied, comme jadis Dietrich Fischer-Dieskau ou plus près de nous Matthias Goerne. Le dire expressif en bénéficie à chaque instant et la balance entre Sprechgesang et approche chantée bascule en faveur de cette dernière, comme le confie l'intéressé qui dit aborder le rôle avec respect devant l'immensité de l'entreprise. Et il est heureux que cette première prise de contact ait lieu dans une salle à taille humaine comme celle de l'Opernhaus. Tout est là: les couleurs infiniment variées, les inflexions les plus subtiles, la pénétration du caractère, sans doute exacerbée par l'approche de Homoki, mais combien émouvante. Le côté grotesque dont sont nantis les autres personnages, semble mettre à nu la folie intérieure dont est atteint le soldat : effroi, peur, puis enhardissement, rage longtemps couvée, interrogation puis résolution et passage à l'acte. Gerharher le vit on ne peut plus intensément. La voix d'une beauté à couper le souffle, dispense un large spectre, depuis le plus fin pianissimo jusqu'au tonitruant forte. Un coup de maître ! La Marie de Gun-Brit Barkmin, hier une fabuleuse Katerina dans Lady Macbeth de Mtsenzk, fait son affaire des aspérités du rôle et détaille toute l'ambivalence du personnage qui se reflète dans son aspect presque caricatural (sa longue chevelure rousse) : une femme moins soumise que souvent qui trahit son soldat de mari comme malgré elle. Le docteur, Lars Woldt, est d'une vérité qui vous cloue sur place, comme ses théories fumeuses sur le destin du monde. Wolfgang Abliger-Sperrhacke, dont on connait la passion pour les rôles de composition, offre du Capitaine un portrait lui aussi saisissant et vocalement sur le fil du rasoir. Il en va de même du Tambour major de Brandon Jovanovich, que son allure de brigadier d'opérette plus vrai que nature rend encore plus effrayant. Mauro Peter, Andres, Irène Friedli, Margret, et les deux compagnons de la taverne, complètent un ensemble vraiment remarquable. La direction de Fabio Luisi maintient la tension constamment à son maximum, non pas tant par des déchaînements orchestraux que par une approche chambriste et une recherche d'expressivité. Cette musique qui produit un choc émotionnel, agissant sur la sensibilité de l'auditeur comme peu d'autres œuvres du théâtre lyrique. Il obtient de l'Orchestre Philharmonia Zürich des sonorités d'une plastique enviable. Un spectacle mémorable !

 

 

Jean-Pierre Robert.

 

 

Paavo Järvi et l'Orchestre de Paris fêtent le 80e anniversaire d'Arvo Pärt

 

Arvo Pärt (circa 2013) ©Universal Edition/Eric Marinitsch

 

La Philharmonie de Paris consacrait, pour l'occasion, tout un week end à l'œuvre du compositeur estonien dont on fêtait le 11 septembre le 80e anniversaire. Il faut dire qu'au-delà de l'événement, c'était, en filigrane, le témoignage d'une amitié ancienne entre le compositeur et la famille Järvi. En 1968, Neeme Järvi dirigea la création du Credo d'Arvo Pärt, partition fondée sur des extraits de l'Évangile selon Saint Matthieu. L'œuvre provoqua les foudres du régime soviétique, qui prohibait les références religieuses. Las des pressions exercées par le pouvoir, le compositeur et le chef d'orchestre décidèrent en 1980 de s'exiler avec leurs familles. Après avoir séjourné à Vienne, Pärt s'installa à Berlin, Järvi aux États-Unis. Depuis, Neeme Järvi n'a cessé de défendre la musique de son compatriote et de la diffuser dans le monde entier. Ses fils Kristjan et Paavo, actuel directeur musical de l'Orchestre de Paris, poursuivirent cette belle entreprise. Reconnu comme un des compositeurs contemporains les plus importants, l'œuvre d'Arvo Pärt est assez caractéristique d'une certaine musique contemporaine, épurée, inspirée, profondément spiritualisée, d'inspiration religieuse voire mystique. Passé par différentes périodes, sérielle, collages, plain chant grégorien, il est le promoteur du style « tintinabuli », minimaliste, utilisant un matériau primitif sonnant comme des cloches, d'où son nom. Les deux concerts au programme de ce week end présentaient un florilège de ses œuvres, emblématiques de l'homme et de son évolution musicale, des compositions courtes, où on notera la prédilection du compositeur estonien pour les cordes, la musique chorale et les percussions.

 

Le premier de ces concerts présentait huit de ses œuvres. Summa pour orchestre à cordes (1991) est une pièce lancinante et très intériorisée, sorte de chant sans paroles faisant référence à la Summa theologica de Saint Thomas d'Aquin. Passacaglia pour violon, vibraphone et orchestre à  cordes (2007) dédiée à Gidon Kremer, jouée ce soir par la violoniste Viktoria Mullova, consiste en une partie de violon qui progressivement s'étoffe avec une cadence en pizzicato, évoluant sur un ostinato de cordes. Da pacem Domine pour chœur et orchestre (2008) impressionne par son ampleur, sa verticalité, sa profonde inspiration et son caractère tragique. Les circonstances de composition (après l'attentat de Madrid en 2004) s'accordent avec la propension de Pärt à l'élégie et à la méditation spirituelle qui suspend le temps. La Sindone (2005) en référence au suaire de Turin, recrute un grand orchestre. Débutant sur une sublime langueur ondoyante des cordes graves et percussions, elle se poursuit par un violent appel des cuivres conduisant au chaos final. C'est une longue méditation sur la douleur, la mort et la résurrection. Credo pour piano, chœur et orchestre est la plus ancienne des pièces présentées ce soir, elle déclencha la censure communiste lors de sa création en 1968, avec pour conséquence l'exil du compositeur. Plus complexe et dissonante, typique de la période des collages, elle emprunte au Premier Prélude du Clavier bien Tempéré de Bach, avant d'évoluer vers une musique hachée et chaotique aux accents jazzy du piano (Romain Descharmes) saturant l'espace sonore, avant de retourner au calme et à la sérénité.

 

Silhouette pour orchestre à cordes et percussions (2009) dédiée à Paavo Järvi et à l'Orchestre de Paris, est une commande effectuée lors de la prise de fonction du chef estonien à la tête de l'orchestre. Aérienne, épurée, laissant s'élever le chant du violoncelle sur des pizzicati des cordes, elle est un hommage à Gustave Eiffel, toute empreinte de gaieté, d'invitation à la danse et d'élégance à l'image de la « vieille Dame ». La Symphonie n° 3 (1971) évolue en trois mouvements enchainés, mettant en avant les vents et la petite harmonie. Elle chemine vers la simplicité marquée par la limpidité, la clarté des rythmes et des textures, inspirée du chant grégorien. C'est une œuvre de transition d'où émergera le style « tintinabuli » caractéristique du compositeur. Cantus in Memory of Benjamin Britten pour orchestre à cordes et percussions (1977) est emblématique de ce style employé depuis 1976 apportant une conclusion idéale à ce magnifique concert. Une œuvre en canon où s'exprime toute la déploration du compositeur face à une rencontre souhaitée qui n'aura jamais lieu, dont le principe fondamental consiste à utiliser les notes d'une gamme pour écrire une mélodie qui se déploie tout au long de la composition, en lui adjoignant une seconde voix fondée uniquement sur les notes de l'accord parfait, d'où une écriture qui tinte comme des cloches d'église produisant une assise sonore. Un très beau concert, en présence du compositeur, devant un public venu nombreux pour écouter cette superbe musique chargée de sens. Bon anniversaire et longue vie Monsieur Pärt !

 

Patrice Imbaud.

 

 

Le Freischütz : Une histoire sans paroles…

 

Carl Maria von WEBER : Der Freischütz. Opéra en trois actes. Livret de  Johann Friedrich Kind, d'après un conte populaire germanique. Véronique Gens, Nicolai Schukoff, Christina Landshammer, York Felix Speer, Miljenko Turk, Franz-Joseph Selig, Dimitri Ivashchenko. WDR Rundfunkchor Köln & NDR Chor Hamburg. NDR Sinfonieorchester Hamburg, dir Thomas Hengelbrock. Version de concert. Théâtre des Champs-Elysées.

 


Thomas Hengelbrock ©Gunter Glüklich

 

Foule des grands soirs avenue Montaigne pour ce premier opéra en version de concert de la saison nouvelle. Le Freischütz de Carl Maria von Weber,  un opéra assez rarement donné de nos jours, ayant pourtant une réelle importance historique puisque constituant la pierre fondatrice du grand opéra allemand, emblématique de l'opéra romantique, s'appuyant typiquement sur un sujet fantastique où surnaturel et magie occupent une place importante. Un opéra, héritier du Singspiel mozartien, enrichi d'accents italiens et français, qui connut une carrière éclatante dans le monde entier depuis sa création à Berlin le 18 juin 1821. Wagner, Mahler, Berlioz ou Debussy en reconnaitront tous les mérites, lui témoignant une admiration qui jamais ne se démentit. On ne peut que regretter que la production présentée ce soir ait choisi de remplacer les dialogues parlés initiaux par un texte de Steffen Kopetsky, déclamé par un récitant (Graham F. Valentine dans le rôle parlé de Samiel) au demeurant peu compréhensible, ce qui eut pour effet de nuire grandement à la compréhension du livret, altérant l'unité de l'opéra en opérant une véritable césure entre verbe et musique, réduisant du coup le Freischütz à une histoire sans paroles…Musique sublime d'un coté et logorrhée pseudo poético philosophique de l'autre !  Dommage car cette production fut, par ailleurs, en tous points remarquable. L'orchestre conduit avec allant, contrastes et nuances, par un Thomas Hengelbrock totalement investi, précis et pertinent dans sa lecture. La scène de la « Gorge aux Loups » fut, de ce point de vue, un véritable morceau d'anthologie, effrayant à souhait. Un sans faute également des différents pupitres du NDR Sinfonieorchester Hamburg, avec une mention spéciale pour les cors, très sollicités, l'alto solo dans son dialogue avec Annette ou le violoncelle solo dans sa romance avec Agathe. Au plan vocal, une distribution dominée par le Gaspard noir et puissant de Dimitri Ivashchenko totalement habité par le rôle. Citons encore la grâce et l'élégance de Véronique Gens en Agathe, le magnifique legato de Nicolai Schukoff qui campa un Max plein de charme et de doute, le timbre acidulé de Christina Landshammer donnant au personnage d'Annette toute sa crédibilité et son humour piquant. Sans oublier dans ce concert de louanges le grand Franz-Joseph Selig (L'Ermite), Miljenko Turk (Ottokar), et le superbe chœur très réactif. Bref, une bien belle soirée !

 

Patrice Imbaud.

 

                

Concert d'ouverture de l'Orchestre National de France : Sergey Khachatrian exemplaire

 


Sergey Khatchatrian / DR

 

 

Pour le concert d'ouverture de cette saison, qui sera pour Daniele Gatti la dernière à la tête de l'Orchestre National de France, le public était venu nombreux dans le grand auditorium de la maison ronde. Un programme bien connu, le Concerto pour violon de Beethoven et la Symphonie fantastique de Berlioz. Deux occasions d'apprécier la direction précise et toujours pertinente du chef italien capable du meilleur comme du pire…Daniele Gatti est assurément un des plus grands chefs actuellement sur le circuit, sa nomination récente à la tête du Concertgebouw d'Amsterdam et sa présence sur la short liste de postulants pour la direction musicale du Gewandhaus de Leipzig en sont deux preuves indiscutables. Sa science musicale, son travail important sur les partitions, sa lecture très analytique des œuvres mettent souvent en évidence des éclairages passés jusque là inaperçus. Mais à trop s'attacher aux détails, on en perd parfois le fil conducteur, d'où une impression quelquefois d'inabouti… C'est précisément ce qui se passa pour ce concert d'ouverture. Le jeune violoniste Sergey Khachatrian  donna une interprétation en tout point magistrale du Concerto pour violon (1806) de Beethoven, inspirée, très intériorisée, virtuose sans excès, dans une symbiose totale avec l'orchestre mené de façon assez épurée par le chef italien, soulignant ici et là un fragment d'orchestration visant à valoriser l'œuvre et le soliste. Cet égrégore, si difficile à établir, entre orchestre et soliste fut un véritable moment de grâce salué unanimement par le public. En revanche, la Symphonie fantastique (1830) de Berlioz, par sa complexité  structurelle allait faire retomber Daniele Gatti dans ses mauvais penchants. Une symphonie romantique nourrie d'influences littéraires (Goethe, Hugo, Thomas de Quincey, Hoffmann), placée sous l'ombre tutélaire de Beethoven, construite sur un programme en cinq mouvements que Berlioz lui-même détailla, inspirée d'amour déçu (Harriet Smithson) et d'hallucinations morbides. Certes, Daniele Gatti sut mettre en valeur toute la richesse de l'orchestration berliozienne, mais des tempi trop lents, une lecture trop analytique et parfois trop appuyée, en entama le charme, laissant sur une impression d'inachevé et de manque de liant, notamment dans le premier mouvement (Rêveries et Passions), ainsi que dans le troisième pastoral (Scène aux champs). Le Bal, la Marche au supplice et le Songe d'une nuit de sabbat furent en revanche conduits de manière convaincante, très alerte et dansante pour le premier, très expressive et très engagée pour les derniers, faisant souffler l'effroi dans la salle. Une interprétation qui ne restera peut-être pas dans  toutes les mémoires mais qui permit de juger de la qualité musicale irréprochable et de la forme impressionnante de dynamisme du « National » au seuil de cette saison nouvelle jalonnée de rendez vous importants avec notamment un Tristan et Isolde très attendu où Daniele Gatti devrait donner son meilleur, étant reconnu comme un grand chef wagnérien, habitué du Festspielhaus de Bayreuth.

 

Patrice Imbaud.

 

 

Un Enlèvement au sérail sans éclat

 

Wolfgang Amadé MOZART : Die Entfhürung aus dem serail.  Singspiel en trois actes. Livret de Johann Gottlieb Stephanie d'après Christoph Friedrich Bretzner. Jane Archibald, Norman Reinhardt, Mischa Schelomianski, David Portillo, Rachele Gilmore. Christoph Quest. Chœur Aedes. Le Cercle de l'Harmonie, dir. Jérémie Rohrer. Version concertante. Théâtre des Champs-Elysées.

 


Jérémie Rohrer ©Yannick Coupannec

 

Débarrassé de l'encombrante et contestée mise en scène de Martin Kusej, donnée au festival d'Aix-en-Provence cet été, Jérémie Rohrer retrouvait son Cercle de l'harmonie au Théâtre des Champs-Elysées pour un Enlèvement au sérail de Mozart, en version de concert cette fois. Orchestre différent, mais distribution vocale sensiblement identique, à l'exception, malheureuse s'il en est, du remplacement du ténor Martin Behle dans le rôle de Belmonte par le ténor américain Norman Reinhardt. En revanche, un nouveau venu dans ce casting vocal,  aux lieu et place de l'immense Franz-Joseph Selig, le baryton-basse russe, Mischa Schelomianski, fut l'heureuse surprise de la soirée. Au plan orchestral, Jérémie Rohrer, à la tête de son orchestre, confirma son statut de chef mozartien conduisant sa phalange avec un brio incontestable, maintenant une ligne conductrice faite de souplesse, d'élégance et de cantabile comme il se doit dans ce répertoire. Toutefois, cette prestation fut, il faut bien l'avouer, lourdement pénalisée par la méforme vocale du couple vedette. Roman Reinhardt (Belmonte) ne trouva jamais ses marques, émission limitée, vocalises empâtées et timbre engorgé ! Jane Archibald (Constance) peina à trouver les siennes, forçant les aigus et amputant les vocalises. En revanche le couple Pedrillo/Blonde se montra plus convaincant par la beauté du timbre et l'aisance vocale de Rachele Gilmore (Blonde), même si la projection reste limitée chez David Portillo (Pedrillo). L'indiscutable succès de cette soirée fut à mettre au crédit de Mischa Schelomianski, Osmin, aussi à l'aise vocalement, large tessiture, puissance, phrasé, diction, que scéniquement, assumant totalement son rôle de méchant bouffon.

 

Patrice Imbaud.

 

 

Le parc floral de Paris ou le Parc musical !

 


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Au cœur du bois de Vincennes, à deux pas du Château des Rois maudits, sur 28 hectares, fleurs, arbres, de toutes les espèces, sont offerts à ceux qui ont besoin d'avoir la campagne à la ville ; le rêve d'Alfred Jarry y est réalisé! Mais ce n'est pas un cours d'horticulture que nous voulons vous faire partager, mais parler de culture, celle qui passe par les oreilles. Tout l'été et jusqu'à la fin de septembre, pour seulement 6 euros, des jazzmen et des musiciens dit classiques sont venus s'éclater au milieu des gazouillis des enfants, des vols de canards (eux en principe ils n'en font pas) sur une scène couverte – l'espace delta - et ouverte à tous les vents (la pince à linge est aussi importante que la partition). Depuis 1993 du beau monde est venu offrir des moments d'anthologie, surtout en jazz. Cette année, entre autres, le pianiste Jason Moran, le saxo Steve Potts, le chanteur guitariste Boubacaré Traoré, le tromboniste funky Nils Landgren, l'organiste Rhoda Scott en compagnie de la trompettiste Airelle Besson ont fait bouger un public, souvent âgé, et peu habitué à ce style de musique. Les piqueniqueurs, plus jeunes, ceux qui offrent les gazouillis de leurs progénitures, allongés sur les pelouses, une mousse et chips à portée de main, apprécient cette musique, mais plutôt en fond sonore.

 

Beethoven, Bartók, Brahms, Mozart, Schubert, … dès le mois d'août, ont remplacé les standards de jazz.  Là aussi on a pu entendre des gens connus des spécialistes mais en général pas du tout du public du parc. François Salque, violoncelle, Jean Rondeau, clavecin (Victoire de la musique de l'année), Hortense Cartier-Bresson, piano, Juliette Hurel, flûte traversière….ont participé aux week-ends « Classique au Vert ». Cette manifestation on la doit bien sûr à la Mairie de Paris mais surtout à l'énergie de Marianne Gaussiat et d'Isabelle Gillouard. Si vous n'allez pas écouter la musique classique, la musique classique viendra à vous, tel est le credo de « Classique au Vert ».

 

Cette année l'événement était l'intégrale des concertos pour piano de Beethoven. La découverte devant des sièges à moitié pleins, à l'heure de la sieste, était Robin Stephenson, un excellent jeune pianiste amateur. Il a interprété le Quatrième avec une décontraction assez impressionnante lorsqu'on connaît la difficulté de le jouer. Ah ce terrible premier accord qui va donner tout le sens à la suite ! Comment le faire sonner face à son piano ! Il était accompagné par un tout jeune orchestre, l'Ensemble Nouvelles Portées, et un chef, Victor Jacob, tout aussi jeune. C'est plus facile de jouer de la musique que de faire de la recherche mathématique nous a avoué ce normalien ! Le soir, on était dans une performance plus physique avec l'énergique François Frédéric-Guy au piano et à la direction de l'Orchestre de Chambre de Paris. Diriger et jouer en même temps des concertos tels que le Troisième et le terrible Cinquième est de l'ordre de la prouesse. La veille il les avait tous interprétés dans un festival, donc pas de soucis, les notes étaient là. Le lendemain, c'était plutôt concerto pour éventails et orchestre que l'on pouvait entendre, en raison d'une chaleur excessive. On a quand même apprécié la connivence entre la première violon Anne-Estelle Médouze de l'Orchestre National d'Ile de France et Nicolas Angelich, très concentré, qui avec seulement quelques gestes et regards très discrets, a dirigé et offert une magnifique interprétation des deux premiers concertos.

 

L'été était toujours à l'affiche au parc avec un « Viaggio a Napoli » joué et chanté par Les Paladins sous la direction de Jérôme Correas. Le fameux « Funiculi Funiculà » a été repris en chœur et en battements des mains par les spectateurs enthousiastes, ravis d'entendre ces canzone napolitaines de la Renaissance au XIXème siècle. Le dimanche suivant, l'excellente violoncelliste Emmanuelle Bertrand a accompagné un fougueux quatuor de jeunes musiciens, le Quatuor Hermès ; Hermès comme le messager des Dieux - c'est ce qu'il veut faire entendre dans sa conception -  et non comme la marque bon chic bon genre, à la calèche. Il a interprété le chantant « Quatuor Américain » de Dvořák et le périlleux Quintette à deux violoncelles D 956 de Schubert. Ce quintette a été créé dix ans après la mort du compositeur. Il est vrai que l'espace delta n'est pas le lieu idéal pour entendre toutes les subtilités de l'interprétation du Quatuor Hermès. Il a pourtant enchanté le public et on peut espérer que des spectateurs iront l'écouter dans de meilleures conditions. C'est la vertu d'un tel festival.


Quatuor Hermès / DR

Le dernier week end musical, les 12 et 13 septembre, était très humide mais le public a quand même bravé la pluie. Le Secession Orchestra sous la direction de Clément Mao-Takacs a fait voyager les auditeurs de Dvořák à Howard Shore, le compositeur du « Seigneurs des Agneaux », en passant par Mahler, Debussy et Wagner. L'orchestre est à géométrie variable et pratiquement tous les musiciens sont des jeunes sortis du Conservatoire soit de Paris soit de Lyon. Clément Mao-Takacs a commencé très tôt, à 15 ans,  sa carrière de chef d'orchestre. Il a assisté Janos Komives à Budapest, et Gianluigi Gelmetti à Rome qui lui avait confié la direction d'un Tristan et Isolde. C'est en 2011-2012 qu'il a fondé l'orchestre Sécession avec lequel il a joué dans de nombreux festivals. Son éclectisme l'emmène à diriger des œuvres du répertoire romantique, des opéras, et des œuvres du XXIème siècle. C'est avec une belle énergie qu'il a dirigé ce cycle « On the road », un voyage passionnant de pièces à la frontière entre musiques populaire et savante. Il présenta en outre les œuvres de ce voyage musical avec simplicité et poésie. Un beau concert que la pluie n'a pas altéré. Le lendemain, Quai N°5 a dû lutter non seulement contre le vent, la pluie, mais aussi contre un concert techno qui se donnait au Château ! Grâce au travail de l'ingénieur du son qui sonorise les spectacles du parc, le bruit de fond des basses se mélangeait fort bien avec les œuvres jouées par cet orchestre de 5 musiciens qui ne se prennent pas au sérieux mais très en place. Le bassiste Stéphane Logerot s'est saisi du répertoire classique et comme à son habitude l'a arrangé à la sauce musique pop. Une soprano, Valérie Yeng-Seng, chantait les « tubes » d'opéras, accompagnée quelquefois par Rémy Poulakis, accordéoniste de talent, et de temps en temps ténor au timbre chaud et ensoleillé ; un plus pour cette après midi pluvieuse. C'est ainsi que les Variations de Mozart « Ah vous dirais-je maman » passent par le jazz, le tyrol, qu'un air de Carmen est à la sauce « Walk on the Wild Side » de Lou Reed, ou que le célèbre tube de Samson et Dalila se retrouve être un tango argentin, ou encore que La Rondine de Puccini est chantée en bossa nova…. Ceux qui connaissaient les versions originales de ces airs d'opéra s'amusaient de penser qu'après tout, « Una furtiva lagrima » (L'Elixir d'Amour), chanté en duo et en tango, n'est pas si éloignée de la musique populaire italienne ; tout est question de point de vue. Pour la majorité du public c'était un beau concert de jazz manouche, de tangos, de bossa nova, de pop, de rocks, d'énergie et d'humour sur de belles mélodies de Bach, Berlioz, Verdi, Haendel. On avait eu les Beatles à la sauce baroque, classique, romantique ; ici c'était le contraire. Un joli pied de nez qu'a offert « Classique au Vert » pour terminer la saison 2015.

 

Stéphane Loison.

 

 

Kullervo de Sibelius aux Proms de Londres

 


Sakari Oramo dirigeant le BBC Symphony Orchestra / DR

 

Le 28 avril 1892, Jean Sibelius (1865-1957) (1) – dont les Proms célébraient cette année l'anniversaire de la naissance(2) – dirigeait, à Helsinki, dans la grande salle de l'Université, sa Symphonie Kullervo pour soprano, baryton, chœur d'hommes et orchestre, opus 7. Pour cette extraordinaire et émouvante partition en cinq mouvements(3), le compositeur s'inspirait des Chants XXXI-XXXVI du Kalevala, la grande épopée des Finnois telle qu'elle avait été recueillie et « poétisée » par le collecteur Elias Lönnrot (1802-1884) (4). Ce jour-là, emblématique pour la culture d'une nation en devenir, les quelque quatre-vingt-dix minutes de l'œuvre ont transporté le public qui y a vu l'acte de naissance de la musique finnoise. Saluée, honorée avec un tel enthousiasme patriotique, elle sera reprise mais disparaîtra complètement de l'affiche du vivant de Sibelius qui n'en était ni satisfait, ni désireux de la réviser. Pourtant, le compositeur et organiste Frans Oskar Merikanto (1868-1924), alors critique musical de Päivälehti, écrivait aussitôt : « Sibelius caresse nos oreilles de sonorités finlandaises que nous reconnaissons comme nôtres, même sans les avoir entendues auparavant exactement sous cette forme ». Le 29 août 2015, à Londres, dans le sublime Royal Albert Hall, notre attente était largement comblée par l'interprétation inspirée et dynamique du chef finlandais Sakari Oramo(5) à la tête du Polytech Choir(6), du BBC Symphony Chorus(7), du BBC Symphony Orchestra(8) aux côtés des solistes Johanna Rusanen-Kartano, pour la sœur de Kullervo, et Waltteri Torikka, incarnant Kullervo, le héros du cycle le plus tragique de l'épopée. Une interview très intéressante, émouvante, de Johanna Rusanen-Kartano, incorporée dans le riche programme du concert, témoigne de l'intelligence et de la finesse de sa compréhension d'une musique aussi complexe qu'admirable. Elle vit sans conteste avec intensité le patrimoine de son pays. En première partie, nous avions le privilège d'entendre une musique rare de Sibelius, son poème symphonique, opus 9, En saga (« Un conte de fées »), conçu au cours de l'été et de l'automne 1892, puis révisé en 1902. Le compositeur appréciait particulièrement les contes selon la conception qu'en avaient les frères Jacob Ludwig Carl (1785-1863) et Wilhelm Carl (1786-1859) Grimm lesquels valorisaient le mystère de la nature, empreint de religiosité. En saga est l'expression poétique du Märchen par excellence à laquelle s'ajoute harmonieusement la dimension d'essence historique de la légende. Néanmoins, Sibelius ne fixe pas de « programme » au sens conventionnel de ce concept. Il exige de l'auditeur qu'il fasse travailler son imagination. Ce faisant, il propose un voyage intérieur à travers un paysage étonnant illuminé par la haute qualité de l'orchestration. La seule référence concrète nous conduit vers le peintre symboliste bâlois Arnold Böcklin (1827-1901) et son « Île des Morts » (1880). Tout l'esprit des Eddas nordiques est condensé dans ces vingt minutes de musique. Sibelius révélait, pour ainsi dire, son être profond. Le concert était introduit, au Royal College of Music tout proche, par une présentation radiophonique publique de BBC 3, tout à fait remarquable, du producteur Martin Handley et ses invités Daniel M. Grimley, professeur à Merton College, Oxford, et spécialiste de Sibelius(9), et du critique musical Andrew Mellor. On ne peut qu'admirer à la fois la compétence, l'intelligence, l'humour et la maîtrise du discours de ces personnalités. Tout le contraire d'une musicologie aussi pédante qu'arrogante telle qu'il est trop souvent possible, hélas, de la subir.

 

 

 

James Lyon.

 

 

« La Petite Renarde Rusée » de Janáček au Peacock Theatre de Londres(10)

 


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L'excellente troupe du British Youth Opera de Sadler's Wells(11), fondé en 1987 par Denis Coe (1929-2015), présentait une version anglaise(12) du chef-d'œuvre de Leoš Janáček (1854-1928) (13) dans le beau Peacock Theatre situé entre Holborn et Aldwych. En m'y rendant, je me demandais ce que le concept janáčekien de « mélodies du langage parlé » (nápĕvky mluvy) allait donner dans la langue de Shakespeare. Je n'ai pas été déçu tant cette dernière possède d'indéniables qualités mélodiques. Cette soirée fut un véritable enchantement tant du point de vue des chanteurs, que du Southbank Sinfonia dirigé par le remarquable Lionel Friend, jadis assistant du regretté Sir Charles Mackerras (1925-2010), et de la très poétique et humoristique mise en scène de Stuart Barker, par ailleurs diplômé en astrophysique de l'Université de Londres. Le moment, au premier acte, où les stupides et irrésolues poules, tyrannisées par le coq, hésitent face aux propositions révolutionnaires de la petite renarde était tout à fait irrésistible. L'orchestre, dans sa formation réduite, sonnait admirablement et rendait fort bien ce climat si particulier, si spécifique conçu par Janáček. Le forestier de Kieran Rayner, jeune baryton néo-zélandais et étudiant du Royal College of Music, n'avait pas cette brutalité banale que certains chanteurs prêtent parfois à ce rôle populaire. Tout au contraire, il se montrait touché par cette foison animale avec laquelle il partage le cycle inéluctable de la vie et de la mort. De son côté, la petite renarde de Hazel McBain, jeune soprano écossaise issue du Royal Conservatoire of Scotland et par ailleurs excellente interprète de Bach, était merveilleuse de spontanéité et de clarté mélodique. La multitude de chanteurs incarnait tous les rôles avec jubilation et concentration dans cette belle et touchante production. Les décors et costumes colorés et drôles de Simon Bejer, diplômé de l'Université de Melbourne, valorisaient une authentique ambiance féerique.

 

James Lyon.

 

 

La Last Night des Proms ou le feu d'artifice musical...

 


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Quel privilège et quelle joie de pouvoir assister à un tel événement, conclusion du festival de musique le plus extraordinaire au monde, au Royal Albert Hall. Il a été conçu en 1895 par le chef d'orchestre, compositeur et organiste Sir Henry Joseph Wood (1869-1944). Les mots sont impuissants à traduire ce que l'on peut vivre, ressentir lors de cette célébration qui tient autant de la cérémonie que de la liturgie. Tout musicien, toute personne aimant la musique devrait pouvoir y assister au moins une fois dans sa vie. Pour ma part, je compte bien renouveler l'expérience. Marin Alsop(14) – que j'avais jadis critiquée vertement dans cette même Newsletter – m'a semblé cette fois-ci être tout à fait à la hauteur de la gageure. Sous sa houlette, s'exprimaient avec enthousiasme les BBC Singers(15), le BBC Symphony Chorus, le BBC Symphony Orchestra, les solistes étant le jeune et remarquable pianiste britannique Benjamin Grosvenor, la soprano australienne Danielle de Niese et le ténor allemand Jonas Kaufmann. Pour ce qui concerne ce dernier, il s'agissait vraiment d'un défi car il est le premier de sa nationalité à entonner, dans le cadre de cette Last Night, le répertoire « national » anglais, tel l'énergique et émouvant Rule Britannia ! (1740)(16). Le concert, proprement dit, constitue, bien évidemment, le noyau de la soirée. Pour autant, il ne faut pas négliger ce qui précède : ainsi, cette véritable fourmilière qui se prépare, fait patiemment la queue, dîne sur les escaliers qui relient le Royal College of Music au Royal Albert Hall. Les costumes, les drapeaux attestent de cet humour, de cette extraordinaire capacité imaginative propre au monde anglophone, si différent au demeurant de certaines attitudes continentales en forme de bonnets de nuit. La joie la plus naturelle, la plus simple, se trouve au rendez-vous, indéniablement. Le programme débutait avec une commande d'Eleanor Alberga (1949-)(17) donnée en première mondiale. Arise, Athena ! pour chœurs et orchestre (2015) exprime merveilleusement l'état d'esprit que je viens de décrire par la référence à la fille de Zeus, combative et sage. Le mouvement lent (Andante) du Concerto pour piano n°2 en Fa Majeur (1956/57) de Dimitri Chostakovich (1906-1975) est d'une grande délicatesse émotive. Grosvenor l'a interprété avec une belle retenue et dignité. La première exécution aux Proms du Credo (1968) pour chœurs et piano de l'Estonien Arvo Pärt (1935-) apportait un ton particulier, propre à ce compositeur. Le conflit entre l'harmonie et la disharmonie y est maîtrisé de manière mythologique. C'est une partition d'une grande intensité qui contraste singulièrement avec les facéties du Till Eulenspiegels lustige Streiche (1894/95) de Richard Strauss (1864-1949) qui suivait. La première partie concluait avec quelques extraits d'opéras de Giacomo Puccini (1858-1924) entonnés non sans vergogne par Jonas Kaufmann. Le public germanique lui a offert une belle ovation. Après l'interval, deux parties distinctes : des musiques diverses et contrastées de James P. Johnson (1894-1955), Aaron Copland (1900-1990), George Gershwin (1898-1937) arrangé par Percy Grainger (1882-1961), Morton Gould (1913-1996), Franz Lehár (1870-1948), Edvard Hagerup Grieg (1843-1907), Léo Delibes (1836-1891) et Richard Rodgers (1902-1979) adapté par Chris Hazell (1948-). Personnellement, j'attendais – en tant qu'amoureux de la musique anglaise – les œuvres emblématiques et caractéristiques de Sir Edward William Elgar (1857-1934) (18), Henry Wood(19) et Thomas Arne(20) déjà cités, le Jerusalem (1916) de Sir Charles Hubert Hastings Parry (1848-1918) orchestré par Elgar en 1922. Toutes ces partitions sollicitaient le concours de l'auditoire qui connaît ce répertoire par cœur. Je n'ai pas manqué d'y participer. The National Anthem, adapté par Benjamin Britten (1913-1976), et l'émouvant Auld lang syne (1788) du poète écossais Robert Burns (1759-1796) sur une old folk melody arrangée par Cedric Thorpe Davie (1913-1983) marquaient la fin d'une soirée semblable à un rêve. Je me suis pincé plusieurs fois. J'y étais bien et je ne l'oublierai jamais.

 

James Lyon.

 

Anne Boleyn's Songbook : Music and Passions of a Tudor Queen au Shakespeare's Globe

 

 

Le Théâtre du Globe, à Londres, reconstitué d'après l'original de l'époque shakespearienne, situé sur les bords de la Tamise face à la Cathédrale St Paul, s'est récemment vu doté d'une salle supplémentaire : le Sam Wanamaker Playhouse, en hommage à l'acteur qui a contribué à la renaissance de ce lieu mythique à la fin du siècle dernier. Ce théâtre jacobéen contient un nombre très limité de places. Il est éclairé aux chandelles et présente, outre les pièces de Shakespeare, celles de ses contemporains ainsi que plusieurs concerts thématiques. Dimanche soir, il était consacré au répertoire que la seconde malheureuse épouse d'Henry VIII, Anne Boleyn (ca 1507-1536) appréciait. Outre de nombreux anonymes, s'y trouvaient les noms de Jean Mouton (ca 1459-1522), de Loyset Compère (ca 1445-1518), Antoine Brumel (ca 1460-1512/13), Claudin de Sermisy (ca 1490-1562), Antoine de Févin (ca 1470-1511/12) et Josquin Desprez (ca 1450/55-1521). L'influence française de ce corpus, abstraite et esthétique, est indéniable. Il faut dire que les interprètes – nonobstant la perfection technique de leur interprétation – ont sensiblement exagéré ce type de discours. L'ensemble Alamire, composé de neuf chanteurs et deux instrumentistes, conduit par le musicologue David Skinner se trouve plus ou moins à l'aise face un public qui se trouve si proche de lui. La froideur, par exemple, de l'Américain Jacob Heringman, luthiste, et de la harpiste Kirsty Whatley laisse perplexe et nourrit un ennui auquel je ne suis guère habitué en tant que spectateur régulier du Globe. Il est vrai que les acteurs shakespeariens, également chanteurs et musiciens, sont faits d'une autre trempe. Décidément, que les interprètes de la musique « ancienne », tout comme ceux de la musique dite « contemporaine », manquent singulièrement de chaleur. Leur effroi pathologique du Romantisme et leur pédantisme est véritablement aussi redoutable que décourageant. Et ce n'est pas l'humour convenu des présentations savantes du professeur Skinner – entre les pièces – qui satisfera davantage notre esprit. À trop vouloir imiter les comportements continentaux en la matière, certains musiciens anglais en viennent curieusement à perdre ce qui peut s'appeler la « chaleur d'âme ».

 

 

James Lyon.

 

(1) James LYON, Leoš Janáček, Jean Sibelius, Ralph Vaughan Williams. Un cheminement commun vers les sources, Paris, Beauchesne, 2011, p. 225-289.

(2) Avec celui du Danois Carl August Nielsen (1865-1931).

(3) Introduction (Allegro moderato) – La jeunesse de Kullervo (Grave) – Kullervo et sa sœur (Allegro vivace) – Kullervo part en guerre (Alla marcia) – La mort de Kullervo (Andante).

(4) James LYON, op. cit., p. 231-234.

(5) Chef de l'Orchestre philharmonique royal de Stockholm et du BBC Symphony Orchestra.

(6) Le Polyteknikkojen Kuoro, fondé en 1900, est un chœur universitaire de voix d'hommes issu de l'Université Aalto en technologie d'Helsinki.

(7) Fondé en 1928.

(8) Fondé en 1930, il est l'un des piliers des Proms.

(9) Daniel M. GRIMLEY, (éd.), The Cambridge Companion to Sibelius, Cambridge, Cambridge University Press, 2004.

(10) James LYON, Leoš Janáček, Jean Sibelius, Ralph Vaughan Williams. Un cheminement commun vers les sources, Paris, Beauchesne, 2011, p. 203-224.

(11) Associé à l'English National Opera.

(12) James LYON, Leoš Janáček, Jean Sibelius, Ralph Vaughan Williams. Un cheminement commun vers les sources, Paris, Beauchesne, 2011, p. 165-224.

(13) The Cunning Little Vixen.

(14) Actuellement à la tête du Baltimore Symphony Orchestra.

(15) Fondé en 1924.

(16) Extrait d'Alfred, masque de Thomas Augustine Arne (1710-1778).

(17) Née à Kingston, Jamaïque. Elle a étudié le chant et le piano à la Royal Academy of Music de Londres. Sa musique est très appréciée au Royaume-Uni.

(18) Pomp and Circumstance March N° 1 en Majeur, « Land of Hope and Glory » (1901).

(19) Fantasia on British Sea-Songs (1905) : mise en musique de Jack's the Lad (Hornpipe) et du merveilleux Home, Sweet Home (1821) la fameuse ballade de Sir Henry Rowley Bishop (1786-1855) tant appréciée par Dickens.

(20) Arrangé par Sir Malcolm Sargent (1895-1967).

 

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L'ÉDITION MUSICALE

Haut

 

MUSIQUE CHORALE

 

Charles BALAYER – Marie-Claire DAULHAC : Enfantines  pour chœur mixte SATB et piano (ou section rythmique). Moyen. Delatour : DLT2470.

Nous ne pouvons qu'inviter nos lecteurs à se rendre immédiatement sur le site de l'éditeur ou sur You Tube pour écouter dans son intégralité l'œuvre interprétée merveilleusement par l'ensemble Artie Shaw. La difficulté réside non pas tellement dans les notes mais dans le style… Il faudra un chœur rompu au style jazz pour rendre justice à cette œuvre poétique et tendre pour laquelle il vaudra mieux respecter l'orchestration originale. Un vrai bonheur !

 

 

 

Charles BALAYER – Marie-Claire DAULHAC : Dodeca(co)phonia  pour chœur mixte SATB et piano (ou section rythmique). Assez difficile. Delatour : DLT2540.

On retrouvera sur le site de l'éditeur et You Tube l'ensemble Artie Shaw pour l'écoute intégrale de ce swing absolument délicieux. Que dire d'autre sinon que le titre est évidemment humoristique, car les harmonies sont, elles, extrêmement recherchées et mouvantes. Là encore, on essaiera de respecter autant que possible l'orchestration originale. Ajoutons qu'il s'agit de vrai jazz et qu'il faudra que les interprètes soient capables de « chorus » : l'improvisation est au rendez-vous !

 

 

ORATORIO

 

Jean LEGOUPIL : Requiem pour tous les temps  pour récitant, solistes, chœur, orchestre et orgue. Texte de Jean-Paul Bouland. Delatour : DLT2531.

Cette œuvre monumentale suit les quatre parties de l'actuelle liturgie catholique des défunts : le temps de l'accueil, le temps de la mémoire, le temps de l'action de grâce et le temps de l'espérance. Les trois premières parties sont subdivisées en cinq séquences, la dernière en comportant six. Texte français de Jean-Paul Bouland et texte latin de l'office des défunts alternent tandis que le récitant cimente le tout. L'écriture est d'une grande sobriété. L'ensemble, sans être facile, n'est pas d'une difficulté technique insurmontable. Souhaitons que cette œuvre d'un compositeur et organiste bien connu soit rapidement jouée et enregistrée.

 

 

 

ORGUE

 

Karl-Peter CHILLA : Enjoy the organ 3. Sélection de pièces faciles à jouer. Bärenreiter : BA11209.

Ce recueil sera apprécié par les organistes amateurs ou de niveau moyen car il permet de se constituer un répertoire pour l'office à partir d'œuvres de compositeurs de qualité transcrites pour orgue avec beaucoup de goût et de fidélité par Karl-Peter Chilla. Ces pièces sont facilement adaptables à tous les types d'instruments.

 

 

 

Pascale ROUET : Bien commencer… l'orgue. Répertoire pour les premières années. Delatour : Volume 1 : DLT2535. Volume 2 : DLT2537. Volume 3 : DLT 2539.

Voici un ouvrage bien intéressant puisqu'il permet une initiation à l'orgue à un âge où on commence plutôt le piano. Pièces anciennes adaptées et pièces contemporaines se succèdent de façon graduée. Les explications pour la mise en œuvre sont parfaitement claires. Une présentation de l'instrument précède le répertoire : bien sûr, le professeur devra illustrer et compléter le tout. On sent que l'auteur a longuement pratiqué cette initiation des plus jeunes (à partir de six ans) et maîtrise parfaitement cette pédagogie. Les volumes deux et trois suivent la même progression et la même alternance entre pièces anciennes et contemporaines, mais avec une augmentation en longueur et en difficulté. De même, les indications laissent de plus en plus de place à l'autonomie de l'interprète. Précisons que les pièces anciennes sont exclusivement des pièces d'orgue souvent simplifiées, parfois transposées et souvent utilisées partiellement. Mais tout cela a été réalisé avec un tact parfait. Cet ouvrage est donc à recommander chaudement…

 

 

 

Pascale ROUET : Pour continuer… l'orgue. Répertoire de pièces avec pédalier. Volume 1. Delatour : DLT2533.

Dans le même esprit que dans les recueils recensés ci-dessus, Pascale Rouet présente un florilège de pièces anciennes et contemporaines qui constituent une véritable méthode d'orgue. La première partie est axée sur l'acquisition progressive des difficultés les plus courantes au pédalier, la deuxième partie mélange les difficultés. On ne serait trop remercier les compositeurs contemporains, qu'on ne peut tous citer ici, d'avoir composé spécialement pour cet ouvrage.

 

 

 

PIANO

 

DVOŘÁK : Aus dem Böhmerwalde / Ze Šumavy pour piano à quatre mains op. 68. Bärenreiter : BA9565.

Écrites autour des années 1883-1884, ces « pièces de caractère » forment le troisième recueil publié par l'auteur après le succès des Dances slaves et des Légendes. Il est inutile d'en préciser l'intérêt. Cette édition est établie d'après l'édition complète des œuvres de Dvořák et inclut une nouvelle présentation tout à fait intéressante d'Ivan Rentsch et Hans-Joachim Hinrichsen ainsi que des doigtés remis à jour.

 

 

 

Jean-Charles GANDRILLE : Quatre Préludes-Poèmes  pour piano. Delatour : DLT2453.

Ne demandant pas de virtuosité, ces œuvres peuvent donc être abordées par des amateurs de bon niveau ou des élèves avancés. Mais ce n'est pas pour cela qu'elles en sont moins intéressantes ! « Doux, rêveur », « Tendre », « Onirique », « Tendre et mélancolique », ces indications en tête de chacune des pièces indiquent bien l'esprit dans lequel elles ont été composées. L'auteur a l'art d'enchainer des harmonies subtiles sous des mélodies attachantes dans un discours qui, pour être compréhensible, n'en est pas moins contemporain.

 

 

 

CHOPIN –LISZT – HILLER : Pièces faciles pour piano  choisies et annotées par Nils Franke. Wiener Urtext Edition, Schott/Universal Edition : UT 52010.

Voici une collection très intéressante par l'éclectisme et la pertinence du choix présenté. Chaque œuvre est par ailleurs l'objet d'une présentation très intéressante. Et on rendra grâce à l'éditeur de ne pas avoir oublié de donner de cette présentation un texte en français. L'auteur de la collection justifie le but de celle-ci et ses choix en tête de son commentaire. Ce volume est le n° 5 d'une série qui propose dans le n° 1 des œuvres de Bach, Haendel et Scarlatti (UT52001) ; dans le n° 2, nous trouvons Haydn, Mozart et Cimarosa (UT52002), dans le n° 3, Beethoven, Schubert et Hummel (UT52003) et dans le n°4, Schumann, Brahms et Kirchner (UT52007).

 

 

 

Franz SCHUBERT : Impromptus op. 90 et op. post. 142 – Moments musicaux  op. 94.  Wiener Urtext Edition, Schott/Universal Edition : UT50297.

Certes, si l'on considère les œuvres publiées, il ne s'agit pas vraiment d'une nouveauté, mais en réalité, cette nouvelle édition vaut par le soin qui y a été apporté et par les spécialistes qui l'ont préparée et commentée. Edité d'après les sources par Ulrich Leisinger, elle comporte des notes sur l'interprétation de Robert D. Levin, particulièrement judicieuses, et les doigtés ont été établis par Paul Badura-Skoda. Dans les notes sur l'interprétation, on notera spécialement le premier paragraphe sur le piano à l'époque de Schubert. Il est fondamental en effet de comprendre ce qu'était la facture de l'époque pour interpréter ces œuvres dans l'esprit de leur auteur. Ajoutons que cette édition est trilingue, ce qui est bien agréable et permet de comprendre toutes les explications données.

 

 

 

Stéphane DELPLACE : Préludes & Fugues dans les Trente Tonalités  pour clavier, premier livre, se succédant dans la plus grande alternance de bémols et de dièses, chaque tonalité majeure étant suivie de sa relative mineure. Ut, seule tonalité pouvant revêtir les trois formes, bémol, bécarre et dièse, est placée au centre. Delatour : DLT2207.

Si cela ne vous rappelle rien… L'auteur, dans sa présentation ne cache pas la filiation, même s'il précise bien qu'il ne s'agit en rien d'un pastiche. Chacune des pièces est présentée par l'auteur de façon succincte mais précise. Techniquement, cela reste abordable, du même niveau que son modèle. Avouons que l'entreprise est originale et mérite d'être écoutée… et jouée !

 

 

Jean-Sébastien BACH : Eighteen little preludes  pour piano. Edités par Dr. Hans Bischoff. 1 vol. 1 CD. Kalmus : K02000X. (Alfred éditions).

Comme dans les autres volumes de la collection, un CD  contenant l'intégralité des pièces complète l'album, non pour servir de modèle mais pour être un point de départ pour une réflexion sur l'interprétation. L'enregistrement de la pianiste Kim O'Reilly est fort intéressant par les partis-pris inévitable dans ce genre d'œuvres, mais qui permettent précisément de réfléchir avec profit.

 

 

 

Johann Friedrich Franz BURGMÜLLER : Twenty-five easy etudes op. 100 pour piano. 1 vol. 1 CD. Kalmus : K03274X. (Alfred éditions).

Ces délicieuses études (mais oui, il y en a, et pas seulement chez Chopin) devraient faire le bonheur des jeunes pianistes. Les titres attirants correspondent bien au contenu. On sait que ce compositeur allemand du XIX° siècle fit toute sa carrière à Paris où il connut un succès certain. Le CD joint fait de ces études une lecture très vivante et très délicate. S'il n'est pas fait pour servir de modèle, il faut avouer qu'il est cependant bien remarquable et qu'il sera difficile de ne pas s'en inspirer. Il est interprété par la pianiste américano-canadienne Valery Lloyd-Watts.

 

 

BEETHOVEN : Konzert Nr. 5 in Es  pour piano et orchestre op 73. Bärenreiter : BA9025.

Bärenreiter termine sa monumentale intégrale des concertos pour piano de Beethoven édités par Jonathan Del Mar par l'emblématique cinquième. Nous ne redirons pas ici toutes les qualités de cette édition, et notamment l'importance du copieux commentaire critique publié séparément (BA9025-40) sans oublier, bien entendu la pertinente préface. Rappelons nos commentaires des autres concertos (N° 1 – Lettre 72, n° 2 – 80, N° 3 – 84, N° 4 – 88).

 

 

 

Thierry DELERUYELLE : Il était une fois  pour piano. Débutant. Lafitan : P.L.2885.

Ce joli conte badin permettra de donner libre cours à l'imagination de l'interprète. Il permettra aussi au professeur de disserter sur les différentes sortes de broderies…C'est en tout cas tout à fait charmant et montre comment, avec des moyens simples, on peut former le goût des jeunes élèves.

 

 

GUITARE

 

Arnaud DUMOND : Prélude et toccata pour guitare. Lemoine : 29191 H.L.

Cette œuvre a été composée par le guitariste et compositeur Arnaud Dumont pour le quatrième concours international Robert Vidal. C'est dire qu'elle fait appel à toutes les ressources de l'instrumentiste et de l'instrument. Mais c'est d'abord et avant tout de la très bonne musique. Un court prélude intitulé « Oublier Venise » précède la Toccata, qui demande à la fois une grande virtuosité mais surtout une grande sensibilité et un sens musical très fin. Bien plus qu'une pièce de concours, c'est une œuvre qu'on souhaite entendre souvent en concert.

 

 

 

VIOLON

 

Claude-Henry JOUBERT : Quatre contes des frères Grimm. 1 – Blanche Neige – librement adaptés pour violon avec accompagnement de piano. Première année. Sempre più : SP0176.

L'auteur, comme à son habitude, sait admirablement manier l'humour et la musique. Le conte, ici, est très simplifié et permettra au professeur de doser sans difficulté le degré d'angoisse généré par la méchante reine.

 

 

Claude-Henry JOUBERT : Quatre contes des frères Grimm. 2 – Haensel et Gretellibrement adaptés pour violon avec accompagnement de piano. Deuxième année. Sempre più : SP0177.

Comme nous sommes en deuxième année, le conte peut être un peu plus développé. Le violoniste, aidé du pianiste, pourra jouer plus facilement sur les différents registres de son instrument pour évoquer l'histoire et les réactions des divers personnages. L'invention de l'auteur fait, comme d'habitude, merveille.

 

 

 

Claude-Henry JOUBERT : Quatre contes des frères Grimm. 3 – Les musiciens de Brême  librement adaptés pour violon avec accompagnement de piano. Troisième année. Sempre più : SP0178.

Cette fois, nous voici en troisième année. Le conte se développe, les paysages et les effets sonores sont encore plus variés que dans les contes précédents avec toujours la même inventivité redoutable !

 

 

Claude-Henry JOUBERT : Quatre contes des frères Grimm. 4 – Le Joueur de flûte de Hamelin – librement adaptés pour violon avec accompagnement de piano. Fin de 1er cycle. Sempre più : SP0179.

Et voici le sommet. L'histoire, fort développée, donne lieu à toutes les possibilités d'expression des deux instrumentistes. L'ensemble des quatre pièces pourrait être l'occasion, dans une classe de violon, de monter un véritable spectacle avec mise en scène où ceux qui ne joueraient pas de leur instrument pourraient s'exprimer autrement. On pourrait aussi envisager des alternances… et pourquoi pas des improvisations ! Soyons sûr que l'auteur serait sûrement pleinement d'accord avec ces propositions…

 

 

 

VIOLONCELLE

 

Max MÉREAUX : Rêverie  pour violoncelle et piano. Préparatoire. Lafitan : P.L. 2894.

Sur les arpèges rêveurs du piano, le violoncelle chemine lentement, mélodieusement, en valeurs longues qui permettront d'apprécier la qualité du son et du phrasé de l'instrumentiste. L'ensemble module doucement pour revenir à la tonalité délicate de fa Majeur. Simplicité et grâce, telles sont les caractéristiques essentielles de cette pièce.

 

 

FLÛTE

 

André TELMAN : Le songe de l'instant  pour flûte et piano. Début de 1er  cycle. Lafitan : P.L.2824.

Rêveuse à souhait, cette pièce se déroule dans une atmosphère onirique où le piano développe d'abord de larges arpèges sous la mélodie un peu mélancolique de la flûte, puis prend à son tour la parole dans un dialogue où chacun a sa part. C'est donc une fort jolie pièce où les deux interprètes devront s'écouter et montrer leur musicalité.

 

 

 

HAUTBOIS

 

René POTRAT : Habanera  pour hautbois et piano. Elémentaire. Lafitan : P.L.2944.

Même si cette habanera n'est pas franchement typique, cela ne l'empêche pas d'avoir beaucoup de charme… Classée dans la rubrique de l'éditeur « musique de chambre », elle sollicite donc autant le hautboïste que le pianiste, et ce n'est pas le moindre de ses mérite. Les couleurs se modifient au rythme des changements de tonalité, ce qui renouvelle à chaque fois l'intérêt.

 

 

CLARINETTE

 

Josiane DIEFFERDING : Souvenir d'amour.  Tango pour clarinette et piano. 2ème cycle. Sempre più : SP0158.

Que voilà un agréable tango, bien dans le style, mais cependant varié. Si la première et la dernière partie sont d'incontestables tangos, le milieu, en majeur, a plutôt un air de samba. Quant à la cadence, c'est… une cadence qui permettra au clarinettiste de briller et de revenir peu à peu au tango final. C'est donc une pièce variée, très réussie, et qui devrait donner beaucoup de plaisir à ses interprètes et à leurs auditeurs.

 

 

 

Pascal PROUST : Couleurs du ciel  pour clarinette et piano. Fin de 1er cycle. Sempre più : SP0160.

Ce titre correspond bien à la diversité de l'œuvre. Il correspond bien aussi à la diversité des couleurs et des rythmes que le jeune clarinettiste devra tirer de son instrument. Commençant par une cadence enchainant avec un « très modéré » lyrique, les couleurs et les rythmes les plus variés se succèdent alors. Une dernière cadence et un retour au « Maestoso » initial terminent cette jolie pièce.

 

 

SAXOPHONE

 

Michel NIERENBERGER : Feria à Glenac  pour saxophone alto et piano. Elémentaire. Lafitan : P.L.2926.

A l'écoute de la pièce, au caractère plus espagnol que breton, on peut douter qu'il s'agisse bien de la commune du Morbihan qui porte ce nom. Mais, après tout, le Festival Interceltique nous a habitués à ce genre d'échange. Bref, cette Feria est en tout cas fort bien venue et fort réjouissante et devrait donner envie de danser à ceux qui entendront cette musique espagnole à souhait.

 

 

 

Jean-Claude AMIOT : Les Pélicans du Park  pour saxophone alto et piano. Débutant. Lafitan : P.L.2933.

Ces pélicans dégagent une atmosphère à la tonalité fluctuante qui crée une atmosphère un peu exotique mais fort agréable. Le jeune saxophoniste pourra y mettre en valeur sa sensibilité et sa capacité à faire chanter son instrument. La partie de piano développe un contrepoint qui demandera beaucoup d'écoute entre les interprètes. Cette pièce ne manque donc pas de charme.

 

 

Alain FLAMME : Transitions.  Pièce en trois mouvements pour saxophone alto et piano. Supérieur (3ème cycle). Lafitan : P.L.2885.

Par le déhanché des rythmes et certains enchainements harmoniques, on peut penser parfois à Dave Brubeck. Mais bien sûr, cela n'ôte rien à l'originalité et l'intérêt de cette œuvre, bien au contraire. L'atmosphère en est fort agréable et l'ensemble pourrait fort bien figurer dans un concert. Le tout présente beaucoup de charme, mais les interprètes devront faire preuve d'un sens du rythme certain !

 

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TROMBONE

 

Jacques TOULON – Marcel JORAND : Saltimbanques.  Suite pour trombone et piano. N° 2. Diabolos. Préparatoire. Lafitan : P.L.2953.

Les diabolos volent dans les airs, sautent, rebondissent… Les deux interprètes devront eux-mêmes faire preuve d'une grande dextérité. Cette pièce possède un aspect réjouissant mais et parfois aussi un peu inquiétant, ce qui n'exclut pas une partie plus lyrique. L'ensemble est aussi varié que plaisant.

 

 

COR

 

André TELMAN : Le réveil du volcan  pour cor en fa ou mib et piano. Deuxième cycle. Lafitan : P.L.2948.

Ce volcan fait plus que se réveiller : il éructe ses flots de lave avec une belle vigueur. L'atmosphère est sauvage et inquiétante. On n'est pas loin de « La nuit sur le mont chauve »… Bref, pianiste et corniste devront rivaliser de tonus pour mettre en valeur cette pièce qui se termine certes dans un certain retour au calme, mais toujours inquiétant et qui laisse présager un nouveau réveil.

 

 

 

MUSIQUE DE CHAMBRE

 

Jean-Charles GANDRILLE : Nox-Trio  pour violon, violoncelle et piano. Delatour : DLT2193.

D'une durée d'un peu plus d'un quart d'heure, cette œuvre comporte deux parties presque égales. La première, intitulée « Cantus », évoque la nuit dans son mystère, privilégiant le chant du violon et du violoncelle. La deuxième, « Contrapunctus » « évoque la danse, la jeune génération qui danse la nuit sur des rythmiques nerveuses », le tout sur une rythmique obstinée du piano. L'ensemble est fidèle au langage habituel de l'auteur, plein de charme et de mystère.

 

 

 

Jean-Charles GANDRILLE : Trois pièces  pour violoncelle et piano. Delatour : DLT2458.

Ces trois belles pièces, qui peuvent être jouées séparément se caractérisent par leur lyrisme et la délicatesse de leur écriture. La première, « Très intense, véhément », exprime comme un cri, comme une demande instante et tient en haleine d'un bout à l'autre. La deuxième (calme) et la troisième (très calme, nostalgique) constituent chacune une sorte de méditation ou de contemplation et se déroulent avec un discours d'une grande ampleur et d'une grande beauté. On pourra en prendre toute la mesure en écoutant ces pièces sur le site de l'éditeur ou sur You Tube.

 

 

 

Jean-Charles GANDRILLE : Pop-Trio  pour violon, violoncelle et piano. Delatour : DLT2452.

Née de la volonté d'écrire une musique très pulsée, sur le modèle de la pop-music, cette œuvre comporte trois mouvements : « Energique », « Calme » et « Intense ». Le langage est compréhensible par tous mais sans aucune concession à la facilité. On y retrouve la science de l'auteur pour créer des ambiances harmoniques et mélodiques rares et envoutantes. Ce Pop-Trio  devrait, comme le dit l'auteur, permettre à beaucoup d'apprécier cette forme de trio.

 

 

 

Robert SCHUMANN : Fantasiestücke op. 73  pour clarinette et piano. Wiener Urtext Edition, Schott/Universal : UT50286. La même pour violoncelle et piano : UT50285.

Il s'agit bien des trois mêmes pièces pour lesquelles Schumann a écrit préférentiellement une version pour clarinette mais dont la version pour violoncelle est également de Schumann lui-même. Le tout est fort bien expliqué dans chacun des volumes, édités tous deux d'après les sources par Michael Kube. La version pour clarinette comporte des notes sur l'interprétation par Elizabeth Eichenberg pour la clarinette et Peter Roggenkamp pour le piano qui a également doigté la partie de piano. La version pour violoncelle a été annotée et doigtée par Ji-Eun Noh. L'édition est très soignée et les copieuses préfaces et annotations aussi pertinentes que passionnante.

 

 

 

ORCHESTRE

 

Romain DUMAS : Concertino  pour violon et orchestre à cordes. Niveau élémentaire. Lafitan : P.L.2911.

Saluons tout particulièrement cette œuvre écrite pour orchestre d'élèves, qui a obtenu le Premier Prix – bien mérité – du  concours de composition de l'orchestre symphonique du Loiret. Trois mouvements se succèdent, d'une écriture à la fois très personnelle et très classique. Le premier mouvement s'intitule « Melopedia », le deuxième, lyrique à souhait, « Romanza ». Le « Finale baroque » clôt avec conviction cette œuvre à la fois originale et de facture classique.

 

 

Daniel Blackstone.

 

ORGUE

 

BRET (Julien) : Hévélius, pour orgue. Paris, Le Chant du Monde (www.lechantdumonde.com ), OR 4947, 2015, 22 p. – 15, 95 € (hors frais de port).

L'illustration ci-dessous : Uranographia, argo navis, Johannes Hevelius révèle que l'auteur est un astronome polonais auquel Hervé Désarbre, organiste du Val de Grâce (Paris), a rendu hommage en créant, le 24. 06. 2015 : Hévélius, cette œuvre de Julien Bret, au Grand Orgue de la Cathédrale d'Oliwa en Pologne, comme il se doit. Jan Heweliusz (28. 01. 1611-28. 01. 1687), alias Hevelius, est né dans une famille de riches brasseurs. Après ses études à Leyde et des voyages en Europe, il s'est installé à Danzig sur la Baltique où il a été bourgmestre, a construit des instruments et compulsé des cartes d'étoiles. Fondateur de la topographie lunaire, il a présenté de nouvelles constellations australes ; il a aussi entretenu une vaste correspondance avec les érudits de son temps entre 1611 et 1667. C'est ce personnage qui a inspiré Julien Bret (né en 1974), organiste et compositeur français.

Cette œuvre se présente en deux parties : Vif et léger et Valse. Comme il le précise, la première (mesure 1 à 116) symbolise le soleil (observé par Hevelius). Il s'agit donc d'une pièce descriptive, de « caractère scintillant » évoquant les étoiles et les comètes, avec une ligne mélodique (à la main droite) comprenant de nombreuses altérations, reposant sur un support rythmique complexe contrasté, avec des contretemps entrecoupés de silences et syncopes (au pédalier et à la main gauche), toujours en mouvement. La seconde partie (mesures 117 à 280), en forme de Valse, représente, par l'alternance du mode majeur et mineur, l'« aspect changeant, clair et mystérieux de l'astre lunaire » agrémentée de quelques petites notes d'ornement à la partie supérieure, de traits de croches, mais aussi de passages en valeurs longues et de pédales supérieures ; le rythme de valse est bien scandé à la pédale. Pour conclure, à un pp et une mélodie chromatique, succèdent trois accords fff bien ponctués et accentués. Démarche originale et intéressante. Toutefois, malgré la clarté de la typographie — en raison de sa complexité rythmique et de certaines difficultés de lecture — sur le plan technique, cette partition est destinée à des organistes expérimentés.

 

 

Édith Weber.

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LE COIN BIBLIOGRAPHIQUE

Haut

 

Ludovic Florin et Jean-Michel Court (dir.): Rencontres du jazz et de la musique contemporaine. 1 vol, Toulouse, PUM, 2015, 184 pages, 20€.

 

Il y a aura quatre ans le 9 décembre prochain, disparaissait Jacques B. Hess qui, "professeur de jazz" du département de musicologie de Paris IV au temps jadis, a laissé un grand souvenir à tous les étudiants ayant eu la bonne fortune de suivre ses cours. En lisant cet ouvrage, tout à la fois si savant et si ouvert, il m'est revenu que cet excellent maître déplorait régulièrement le caractère prétendument inconciliable de la musique "contemporaine" et du jazz, deux visages si marquants du génie musical de son siècle. Sans doute eût-il été particulièrement heureux de cette magnifique contribution qui se signale, au-delà de son sérieux et de son éclectisme, par un équilibre exceptionnel dans la qualité. Il n'est rien question de prouver ici, non plus que de régler on ne sait quel différend esthétique. L'ambition supérieure des contributeurs, dirigés par Ludovic Florin et Jean-Michel Court, ne ressortit pas à l'incantation, mais à l'argumentation. À mesure que les pages ajoutent au discours, le lecteur prend conscience que la dissociation du jazz et de la création "contemporaine" (qui me donnera la définition satisfaisante d'une création "non-contemporaine" ?) relève plus de la convention paresseuse que de la réflexion esthétique. Aussi les auteurs, sans jamais tomber dans le piège d'un scientisme qui fit les beaux jours d'une certaine musicologie surannée, n'hésitent-ils pas à solliciter les leçons de l'histoire, de l'ethnologie, de la sociologie… mais aussi, avant tout, de la musique ! Car il ne suffit pas de nommer les catégories pour les apparier et c'est au prix d'un effort saisissant que l'on voit ainsi surgir les passerelles reliant, de façon parfois troublante, inattendue, ces deux hypostases de la création musicale de notre temps. Il fut un temps où l'auteur de ces lignes entendait ses camarades de l'orchestre de jazz de la Sorbonne lui affirmer gaîment que pour un musicien classique, « la partition fermée, il n'y avait plus personne » ! À quoi il répondait, avec la même gaîté, que pour un musicien de jazz, c'est quand la partition était ouverte qu'il n'y avait plus personne ! Heureuse époque où les propos les plus inconséquents passaient pour de bons mots ! Qui s'avisera aujourd'hui de parler de jazz et de musique contemporaine sans postuler que le jazz est musique contemporaine ? Il faut lire cet ouvrage remarquable ; certains passages, c'est vrai, sont ardus, presque toutes les contributions exigeant une pratique solfégique raisonnable. Mais au total, quel bonheur que cette mise en lumière méthodique des postures et des stratégies de la création sonore, de ses pratiques, de ses archétypes, ou encore du caractère irréductible de l'écrit au non-écrit ! Et comment, en propos terminal, ne pas recommander la brillante contribution de Ludovic Florin et Jean-Michel Court dans leur introduction-synthèse (tirée du colloque ayant donné son nom au volume) ainsi que celle, tout aussi captivante, de Cécile Auzolle sur l'apport du jazz dans l'opéra Wintermärchen de Philippe Boesmans ? Double démonstration d'une évolution radicale de la pensée musicologique dans la dernière décennie.

 

Gérard Denizeau.

 

 

Alfred BRENDEL : L'Abécédaire d'un pianiste. 1 vol Christian Bourgois, Paris, 2015, 154 p, 15 €

 

Alfred Brendel (*1931) a toujours été pédagogue autant que pianiste. Bien qu'ayant mis un terme à sa carrière d'interprète, il poursuit son inlassable croisade pour la promotion du piano. Son humour en coin est tout autant légendaire comme son goût pour l'aphorisme («  la phrase ''il n'y a pas de mauvais pianos, juste de mauvais pianistes'' pourrait avoir été inventée par un diable déguisé en marchand de piano », p. 125). Ce petit opuscule est une mine pour les amoureux de l'instrument comme pour tous les autres d'ailleurs. Avec un mélange de simplicité teintée de cette réserve amusée qui le caractérise et de l'autorité du professeur, il nous indique dès l'avant-propos, le dessein : « Ce livre distille ce que j'ai à dire, arrivé à un âge avancé, sur la musique, les musiciens et ma profession ». Il l'articule selon les entrées d'un dictionnaire qui en 27 lettres et 87 propositions, passe en revue quelques mots essentiels. Leur choix est bien sûr arbitraire et ne vise pas l'exhaustivité, mais est significatif d'une certaine idée de ce qu'est jouer du piano et interpréter des morceaux de piano. On remarquera que la lettre C comme chef d'orchestre est la plus fréquentée tout juste après la lettre S, comme silence. On pourrait classer ces remarques selon un triple schéma. En premier lieu, les réflexions fondamentales : « une clef importante pour jouer Mozart est le chant d'opéra », p 88 ;  ou encore, à propos de l'item Fin, «  la fin d'une œuvre... peut fermer, mais aussi, dans bien des cas, ouvrir le silence... J'implore donc à genoux que l'on ne sépare pas artificiellement les accords finaux de ce qui les précède », p 61). Puis les indications essentielles : « l'interprète est un rhéteur; il doit donner des normes au public, et non jouer vers lui en abaissant le niveau », p 73 ; et la distinction à opérer entre tempo métronomique, tempo psychologique et tempo d'improvisation. Enfin les traits d'humour. Ces derniers sont nombreux et revigorants. Ainsi à la rubrique Attaque : « On peut avoir un grand jeu, et même un jeu immense, sans enfoncer le son à travers les touches comme avec un couteau » (p 20), ou encore à Humour : « On concède le soupir à la musique, on ne lui accorde pas le rire ». Ou cette autre, à la limite du provocateur : « Les règles sont là pour être remises en question. On ne devrait les respecter que dans le cas où elles résistent à un examen plus détaillé – et même dans ce cas, ne le faire qu'avec des réserves », (p 111).  Et que dire de l'entrée Toux : «  Si vous devez vraiment tousser, faites-le je vous prie lors des passages doux ou pendant les pauses générales. Vous serez assuré de remporter la médaille du ''Tousse-donc-là'' (p  132). Les dessins de Gottfried Wiegand sont aussi ludiques que l'est le contenu de ce livre. Alors n'hésitez pas : il faut se procurer ce bréviaire du parfait pianiste...

 

 

Jean-Pierre Robert.

 

 

Jessye NORMAN. Tiens-toi droite et chante ! 1 Vol Fayard, 2015, 350 p. 20,90€.

 

Sans remettre en cause notre admiration pour la chanteuse et notre respect pour la femme, il faut bien reconnaitre que ce livre n'apporte rien de plus à la gloire de la chanteuse américaine. Un livre qui n'intéressera que les admirateurs inconditionnels de Jessye Norman, où la chanteuse d'origine afro-américaine nous conte son enfance en Géorgie dans le sud des États- Unis, son milieu familial très aimant, sa foi solide, son fabuleux parcours musical, ses émotions, ses combats, notamment contre la ségrégation raciale, ses rencontres, son métier. Un témoignage, hélas, fait de beaucoup de lieux communs bien pensants, tout que de très respectable mais de peu d'intérêt pour qui n'est pas très soucieux de la vie  personnelle de la diva, préférant s'en tenir à sa vie musicale, exemplaire s'il en est, et déjà si bien remplie.

 

Patrice Imbaud.

 

 

BIRGER PETERSEN (éd.) : Johann Sebastian Bach und der Choralsatz des 17. und 18. Jahrhunderts, Hildesheim,  Olms, 2013, 122 p. 24 €.

 

La Hochschule für Musik und Theater de Rostock a organisé, en décembre 2006, un Colloque sur les techniques compositionnelles exploitées par Jean Sébastien Bach. Il a été inauguré par le regretté Professeur Dr. Martin Petzoldt, Président de la Neue Bachgesellschaft. En effet, depuis la Réforme, le répertoire de Chorals luthériens allemands reposant sur de remarquables textes poétiques (Martin Luther, Paul Gerhardt…) notamment dans la mouvance du Piétisme, a été exploité par de nombreux compositeurs. Il concerne tout particulièrement les chanteurs et les organistes, les hymnologues, musicologues et spécialistes du langage musical.

Ce volume regroupe les communications d'éminents spécialistes. Karl Heller présente les modèles compositionnels dans l'exploitation du choral ; Oliver Korte, le modèle du faux bourdon : Robert Rabenalt, le traitement du contrepoint par Jean Sébastien Bach ; Johannes Kreidel, l'aspect analytique et stylistique. Birger Petersen étudie le rôle de la cadence parfaite et le chant pour enfants. Jan Philip Sprick attire l'attention sur l'Evangelisches Musicalisches Liederbuch (Hambourg, 1730), recueil de Chorals, intéressante source historique compilée par G. Ph. Telemann et ayant d'ailleurs fait l'objet d'un facsimilé (Olms, 1977), déjà épuisé. Dans son étude significative concernant « L'école d'orgue [Orgelschule] de Johann Christian Kittel », Benjamin Lang propose une approche pratique du Choralsatz (procédé compositionnel reposant sur un choral) et son éventuelle réception par l'enseignement théorique. La publication mentionne aussi la Collection Neumeister, avec ses adaptations et développements de Chorals (entre autres par J. S. Bach) pouvant servir à l'enseignement de la composition. Ces textes démontrent combien le Choralsatz est un élément essentiel favorisant la participation liturgique active, individuelle et collective, dans une finalité exégétique, et assume un rôle d'édification renforcé par l'intervention de l'organiste. Édité avec tant de soins par Birger Petersen et étayé d'exemples musicaux renforçant les démonstrations, ce volume souligne les objectifs d'ordre rhétorique et l'application de la théorie des affects (Affektenlehre). Il s'imposera comme une remarquable synthèse entre méthodologie et pédagogie,  théorie et pratique compositionnelles.

 

 

Édith Weber.

 

 

Association Beethoven  France et Francophonie :  Beethoven, sa vie, son œuvre. Dossier : Egmont, ouverture et musique de scène, Ablis,  ABF (19,rue de l'Étang, 78660 ABLIS, www.Beethoven-France.org ), n°17, 1er semestre 2015, 132 p. 10 €.

 

L'Association Beethoven France et Francophonie (ABFF) publie un bulletin semestriel avec des informations concernant l'homme, le compositeur, l'œuvre et un dossier plus ponctuel. Son rédacteur-en-chef, Dominique Reniers a judicieusement fait appel à des membres de l'Association afin de relancer l'intérêt pour ce grand musicien, de le situer dans ses divers contextes psychologiques et sociologiques, au milieu de ses amis, notamment : Nicolaus Zmeskall, célibataire, domestique puis ami et dédicataire du Quatuor (op. 45) Quartetto serioso. Le dossier concerne l'Ouverture d'Egmont, le souhait de Goethe qui confère à la musique un rôle important ; la genèse, le plan de l'œuvre ; son contenu émotionnel ; enfin, une analyse musicale fouillée avec citations musicales à l'appui, constitue une excellente préparation à l'écoute. L'information est complétée par quelques réactions de Franz Liszt, du critique Adolphe Bernhard Marx ou encore la révélation ressentie par Richard Wagner, des lettres de Beethoven à propos de son œuvre et des « fantômes de Bettina » d'ailleurs devenue la « favorite du maître Goethe ». La partie analytique de ce numéro concerne la suite de la présentation de la Missa Solemnis  avec le Sanctus, sa problématique religieuse et musicale, son rôle dans la Messe et l'évolution historique de cette forme de l'époque baroque à Liszt ; finalement, Beethoven voit le Sanctus « en croyant qui cherche à donner une authenticité religieuse à chacun de ses gestes musicaux » (p. 71). Une contribution originale traite « Beethoven et l'humour » (le Witz), le rire et leur traduction musicale illustrée par des exemples appropriés. La dernière partie est dévolue à l'apport phonographique : Tous les enregistrements du XIXe siècle, c'est-à-dire les premiers cylindres français. Répertoriés avec une méthodologie exemplaire (cotes, références usuelles… et, parfois même, incipit…), ils sont extraits des catalogues (Pathé, Gramophone records, entre autres). L'article suivant : Beethoven au théâtre (2) introduit et commente Le calvaire de Ludwig van Beethoven, action dramatique autour de Beethoven « sourd, rebelle et génial comme notre Goya », selon les termes de son compositeur Louis Capdevila. Le résumé de l'œuvre suivi d'une analyse mettent en valeur cet hommage d'un musicien espagnol à Beethoven avec le recul du temps.

 

Ce numéro 17, bénéficiant d'une excellente présentation typographique, est étayé d'illustrations et de documents d'époque (autographes, dessins, portraits, affiches, lieux…). La dernière de couverture contient le plan d'une Exposition : Ludwig van Beethoven, sa vie, son œuvre, déjà accueillie par de nombreuses institutions médiatiques (festivals, conservatoires, lycées). Outre son incontestable intérêt documentaire, elle a l'avantage d'être louée gracieusement. Elle contribuera aussi à une meilleure connaissance de Beethoven et au rayonnement de l'ABF. Tant par son enthousiasme, sa curiosité intellectuelle que par la vitalité de ses activités, cette Association « pas comme les autres » et son Bulletin rédigé par ses membres (donc sans apport extérieur) méritent les plus vifs éloges. À encourager sans réserve.

 

 

Édith Weber.

Un livre et sa démonstration discographique 

Martha COOK : L'art de la Fugue. Une méditation en musique, 1 volume, Paris, Fayard (www.fayard. ), 2015, 271 p.  17 €.

Jean Sébastien BACH : Die Kunst der Fuge. Martha Cook, clavecin. 1CD Passacaille :  1014 (www.passacaille.be ).

La claveciniste et musicologue américaine Martha Cook lance une autre « clé de lecture » suscitant une autobiographie et une autre conception de L'art de la Fugue dont l'ordre de succession des Contrepoints a intrigué tant de spécialistes, par exemple Jacques Chailley qui — dans sa « mise en ordre » des quatorze fugues et quatre canons — a davantage prôné une logique d'ordre musical et philologique. Après avoir examiné à fond la partition dans ses états successifs : manuscrit autographe, édition posthume datant de 1751-1752 (p. 259 sq.) réalisée dans la précipitation et Annexes du MS. P 200 (canons…, choral), elle suggère une approche absolument inédite s'appuyant sur la Théologie de la Croix élaborée par Martin Luther.

Son raisonnement, fondé sur la Rhétorique classique, comprend explicatio autour de la question : « L'Art de la Fugue, une genèse biblique ? », puis applicatio et, en conclusion, elle avance qu'il s'agit d'une « cantate imaginaire » spéculant également sur l'allégorie des nombres. Martha Cook considère L'Art de la Fugue comme une « méditation en musique » autour de l'Évangile de Luc, chapitre 14, versets 27 à 35. Cette démarche très approfondie sur les plans littéraire, biblique et exégétique permet de restructurer l'œuvre autrement en rétablissant les contrepoints selon une logique textuelle.

L'auteur précise l'origine de ses investigations en ces termes : «… j'ai découvert l'essai d'un poète et éditeur connu pour son travail sur Hölderlin, qui, commentant le premier contrepoint de L'Art de la Fugue, y entendait résonner, dans l'allemand de la Bible de Luther, la voix du Christ prédicateur et, plus précisément, le passage de l'Évangile de Luc : Wer nicht sein Kreuz trägt, und mir nachfolgt, der kann nicht mein Jünger sein » : Celui qui ne porte pas sa croix et ne me suit pas, ne peut pas être mon disciple (p. 16-17). Elle se réfère donc à la « théologie de la Croix » tant prônée par le Réformateur allemand. De nombreux traits de l'œuvre confirmant l'hypothèse, fondée sur toutes ces réflexions (cf. p. 17sq). Ces explications probantes sont encore confirmées par le fonds à dominante théologique et herméneutique de la bibliothèque personnelle de Bach qui contenait, par exemple, la Bible de Calow (Wittenberg, 1581, récemment découverte aux États-Unis) qu'il avait annotée notamment pour ses Cantates pour le choix des textes (c'est nous qui soulignons). Ce livre très circonstancié fournit donc tous les supports nécessaires à l'appréhension des intentions de Bach. Toutefois, à côté de l'exégèse biblique, le travail didactique du Cantor de Leipzig peut aussi se situer dans la mouvance de la combinatoire (Kombinationslehre) lancée par Gottfried Wilhelm Leibniz (1646-1716).

Pour une meilleure compréhension, tout en écoutant le disque, les mélomanes gagneront à suivre conjointement cette démarche complexe : dans l'Annexe I avec extraits de l'Évangile de Luc (14, 27-35) en allemand (p. 256) dans le texte de Martin Luther (1545) un peu modernisé ou dans la traduction française (p. 257) de Port-Royal (1657-1700), puis dans la partition des Contrepoints correspondants (selon le nouvel ordre de succession) et, enfin, dans les analyses et commentaires de Martha Cook étayés d'exemples musicaux significatifs. Ils pourront ainsi additionner (selon la notation alphabétique allemande : première note A = La…) les nombres traduits par sa signature et ceux correspondant aux versets bibliques :

 

       B A C H        2+1+3+8     = 14                                  

       J. S.               9+18            = 27                                                 

       Luc 14, 27    1+4+2+7      = 14

       soit                27+14          =  41  (correspondant à J. S. BACH).

 

Cette association BACH-LUC ressort donc d'une triple démarche tenant compte de la signature de Bach, des références bibliques de l'Évangile de Luc, des analyses et justifications par Martha Cook associant également les Contrepoints, la Fugue inachevée et le célèbre Choral Wenn wir in höchsten Nöthen sein (Au plus profond de la détresse).

Grâce aux talents de musicologue avisée et d'excellente claveciniste, ayant parfaitement décrypté les intentions du Cantor de Leipzig et grâce à cette démarche sonore, spirituelle et théologique, voici, « au-delà des notes », une autre écoute méditative au service de l'émotion et du message de J. S. Bach dans L'Art de la Fugue.

 

                                                                          

 

Édith Weber.

        

 

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LE BAC DU DISQUAIRE

 

Haut

 

Antonin DVOŘÁK : Requiem, op. 89.  Maria Stader, soprano, Sieglinde Wagner, alto, Ernst Haefliger, ténor, Kim Borg, basse. Chœur des Chanteurs Tchèques. Philharmonie Tchèque, dir. Karel Ancerl. 1CD JADE (www.jade-music.net ) : CD 699 866-2. 2 CD. TT : 49' 35 ; 39' 46.

Le Requiem en Si b mineur, B. 165 (op. 89) d'Antonin Dvořák (1841-1904) est bien moins connu que sa célèbre IXe Symphonie dite « du Nouveau Monde » (1893), et pourtant… Rappelons qu'il a composé de nombreuses œuvres religieuses (Messes, Te Deum, Chant biblique, Oratorio…) qui gagneraient absolument à être plus largement diffusées. En 2015, les Éditions JADE ont remasterisé l'enregistrement historique (1959), dirigé par le célèbre chef, Karel Ancerl qui, à la tête du Chœur des Chanteurs Tchèques et de la Philharmonie Tchèque (de Prague), a fait appel au concours de quatre solistes internationaux exceptionnels : Maria Stader (soprano), Sieglinde Wagner (alto), Ernst Haefliger (ténor) et Kim Borg (basse). Ébauché en 1890, puis créé au Festival de Birmingham en 1891, le Requiem s'impose d'emblée par ses accents sincères et son intense émotion. Les mélomanes seront ravis de réentendre ou de découvrir cette œuvre. Après l'atmosphère chargée de l'Introït et l'expression douloureuse du Requiem aeternam, le Dies irae et le Tuba mirum sont très impressionnants. Dans le quatuor avec chœur Qui sum miser (Lento), Dvořák cultive volontiers les timbres des instruments ; les solistes proclament la majesté terrifiante de Dieu dans le Rex tremendae majestatis. L'ambiance, à nouveau sereine dans le Recordare, s'assombrit avec le chœur Confutatis maledictis qui se termine par la prière Voca me. Le Lacrymosa, quatuor avec chœur, est suivi de l'Offertoire comportant le remarquable solo d'alto : Domine Jesu Christe, Rex gloriae d'abord pathétique sur Libera animas, puis, après un fugato alla breve, le Quam promisisti se fait triomphal et éclatant. Les chanteurs se distinguent dans l'Hostias. Le Sanctus est serein, puis véhément, alors que l'atmosphère devient lumineuse dans le quatuor pour chœur Pie Jesu. Enfin, l'Agnus conclusif affirme la lumière éternelle du « Lux perpetua ». Dvořák excelle dans la peinture d'atmosphère et une certaine sobriété. Grâce aux Éditions JADE : révélation d'un Requiem en une version historique n'ayant, de surcroît, rien à envier à d'autres œuvres éponymes.

Édith Weber.

 

Œuvres de Marcel Dupré. Alain Bouvet, orgue. 1 CD TRITON (www.triton.fr ) : TRI 331198. TT : 51' 32. 

Depuis 1990 organiste titulaire de l'Orgue Cavaillé-Coll de l'Abbatiale Saint-Étienne de Caen, Alain Bouvet avait, en 1985, déjà enregistré son premier disque à cet Orgue inauguré le 3 mars 1885 — soit un an avant la naissance de Marcel Dupré (1886-1971). L'instrument comporte 3 claviers (avec appels, anches - mixtures et mutations) et pédalier ; il est accordé au diapason 435 Hz.François Lemanissier a signé l'excellent texte de présentation d'œuvres marquantes de Marcel Dupré, accompagné d'une chronologie significative. Le programme comprend Évocation (3e mouvement), op. 37, très élaboré, toujours en mouvement, dont Alain Bouvet dégage à merveille le ton décidé, émanant de nombreuses répétitions de notes. Cortège et Litanie, op. 19 n°2, se présente comme un « décor avec figurines » dans une vaste progression dynamique, et aboutit à l'affirmation tonitruante d'un choral. Le 3e Prélude et Fugue en sol mineur, op. 7, œuvre de jeunesse datant de 1912, Vivace, fait tournoyer un Choral combiné avec le sujet de la fugue. Enfin, sa Symphonie-Passion, op. 23, en 4 parties, composée en 1924 à partir d'une improvisation lors d'un concert en 1921, reprend la vie du Christ depuis l'attente de sa venue jusqu'à sa Résurrection. Apparenté à un poème symphonique (comme Évocation), le chef-d'œuvre traduit d'abord énergiquement le chaos (Allegro agitato ma non troppo vivo) avec des accords dissonants, poussifs et staccato qui introduisent l'hymne de Noël Jesu Redemptor omnium, débouchant sur la lumière : Tu lumen et splendor Patris, comme le rappelle Fr. Lemanissier. Cette œuvre descriptive se poursuit avec l'épisode de la Passion : la marche au Calvaire, la mort du Christ, puis « la mère des douleurs » (Stabat Mater). Enfin, la Résurrection, symbolisant le Christ vainqueur du chaos et de la mort, donne lieu à un mouvement perpétuel avec des modulations reposant sur l'hymne Adoro te devote, concluant l'œuvre aux accents d'un carillon du meilleur effet. Alain Bouvet confère à cette vaste fresque son caractère à la fois émouvant et grandiose. Il a signé un bel hommage à Marcel Dupré.

Édith Weber.

 

« Two Generations. Choral and Organ Works by Zoltan Gardonyi and Zsolt Gardonyi ».  Rudolf Müller, orgue. Kammerchor de Bad Homburg, dir. Susanne Rohn. 1CD RONDEAU PRODUCTION (www.rondeau.de) : ROP6118.  TT : 75' 42. 

Cet enregistrement de musique hongroise et protestante (pour chœur et orgue) est une entreprise originale,  à l'actif de RONDEAU PRODUCTION qui a eu l'idée de réunir deux générations de compositeurs hongrois : le père, Zoltan Gardonyi (1906-1986) et le fils, Zsolt Gardonyi (né en 1946), qui ont marqué la musique d'Église de notre époque. Élève de Zoltan Kodaly, Paul Hindemith et Arnold Schering, le premier a transmis ses talents au second. Ce disque est réalisé par le Kammerchor de Bad Homburg que dirige Susanne Rohn avec le précieux concours de l'organiste Rudolf Müller à l'Orgue Wilhelm Sauer (1908, à 4 claviers et pédalier). Il bénéficie de la remarquable acoustique de la Erlöserkirche. Les deux compositeurs adaptent des mélodies de Chorals extraits des Recueils officiels (luthérien et réformé) actuellement en usage en Allemagne, ainsi que la mélodie de l'Hymne Veni Creator Spiritus.

Le père, né à Budapest, également musicologue, a été professeur à l'Académie Franz Liszt de 1941 à 1967, et Directeur de la Faculté de Musique religieuse protestante jusqu'à sa fermeture par les communistes en 1949. En 1972, il s'est installé en Allemagne où il est mort à Herford, peu avant ses 80 ans. Ce CD permet de découvrir un chant de louange d'après le Psaume 45 pour chœur et orgue, assez développé, spéculant sur l'unisson, les oppositions de nuances et les entrées successives. Sa Partita pour orgue, très élaborée, reprend la mélodie du Veni Creator Spiritus. Enfin, pour ses 3 Motets pour chœur a cappella, il s'inspire d'un chant de repentance finlandais : Finnisches Buslied ; de la mélodie du Psaume 23 : Der Herr ist mein Hirte qui s'élève des profondeurs et bénéficie d'une dynamique contrastée. Son bref motet : Du schöner Lebensbaum des Paradies, d'abord énigmatique, utilise les voix à découvert ainsi qu'une ligne mélodique ascendante, puis descendante. Son style est proche des tendances esthétiques autour des années 1960.

Son fils, Zsolt Gardonyi (prénoms à ne pas confondre), musicien également né à Budapest, a fait des études d'orgue, de musique sacrée et de théorie. Il a séjourné en Allemagne, à Wurzbourg où il a enseigné la théorie musicale au Conservatoire. Concertiste de renom international, il a composé, entre autres, pour orgue, les Sept Paroles du Christ en Croix (paroles énoncées successivement pendant le déroulement de l'œuvre), dans l'idiome contemporain ; le Preludio con Fuga est plus massif et mouvementé ; il est suivi de Trois Hommages (pour orgue) tout d'abord à Jean Sébastien Bach, avec évocation de son Prélude en Sol majeur (BWV 54) et, noblesse oblige, citation des 4 lettres B. A. C. H. formant le motif traditionnel Sib, La, Do, Si bécarre, l'œuvre se termine sur un genre de passacaille. Le deuxième hommage, à Franz Liszt, fait allusion à ses œuvres : Sonnets de Pétrarque, Funérailles et Préludes ; le troisième, à Max Reger — paraissant en premier enregistrement mondial — fait allusion à sa Fantaisie chorale sur le Choral Wachet auf, ruft uns die Stimme. Ce CD propose également Trois motets pour chœur et orgue : Gott, unser Schöpfer (d'après un chant hongrois de reconnaissance), le Psaume 8 (d'après le Psautier de Genève, 1562), œuvre de commande pour le 25e Kirchentag, grand rassemblement protestant à Munich (1993). Outre les sources luthériennes et calvinistes, il traite aussi un texte à partir d'un Negro Spiritual : Erd und Himmel sollen singen, attestant son ouverture sur la musique de notre temps.

Un excellent hommage est rendu — par le remarquable Kammerchor de Bad Homburg, sous la direction avisée de Susanne Rohn, et l'excellent organiste Rudolf Müller — à ces « deux générations » de compositeurs protestants hors du commun, respectant les sources mélodiques anciennes (Psaumes, Chorals, Hymne) et s'exprimant dans l'idiome de la deuxième moitié du XXe siècle. Révélation à découvrir impérativement.

 

Édith Weber.

 

Arvo PÄRT : Magnificat. I Am the True Vine. Nunc dimittis. Sept Antiennes du Magnificat. Prière Gebet nach dem Kanon. Chœur de chambre Aquarius, dir.: Marc Michael de Smet. 1CD JADE (www.jade-music.net): CD 699 850-2 .TT.: 58' 47. 

Le Chœur de chambre Aquarius (fondé en 1995) dirigé par Marc Michael de Smet et les Éditions JADE ont tenu à marquer les 80 ans du compositeur estonien, Arvo Pärt (né en 1935 à Paide), avec cette synthèse de sa musique religieuse gravitant autour du Magnificat (1989), I Am the True Vine (1996), Nunc dimittis (2001) ; de sept Antiennes du Magnificat (1988) et de la prière Gebet nach dem Kanon. Ils chantent dans les quatre langues de prédilection du compositeur : latin, anglais, espagnol et vieux slavon. 

Le programme commence par le Magnificat, d'abord écrit pour chœur de garçons, se poursuit avec un genre de motet : I Am the True Vine (Matthieu 15, 1-14), exploitant le symbolisme : séries de notes répétées six fois pour évoquer la solidité du cep de vigne. Le Nunc dimittis (Cantique de Siméon, Luc 2, 29-32), composé à l'attention de la Cathédrale Épiscopale Sainte-Marie d'Édimbourg, a été créé à la BBC pour l'Office anglican du soir. Le compositeur estime que « le latin est beau parce que ce n'est pas une langue de tous les jours. Quand j'écris de la musique, je tiens à maintenir une distance avec le langage du quotidien ». Ses sept Antiennes du Magnificat (1988, 1991), œuvre liturgique de commande du RIAS Kammerchor, pour la semaine avant Noël, reposent sur des textes bien connus relatifs à la sagesse, au Dieu d'Israël O Adonai, à la Racine de Jessé, ou encore à l'Étoile du matin, au Roi de tous les peuples, à Emmanuel, au Christ. La Prière après le canon, dans la mouvance de sa Passion, s'adresse à Jésus, évoque ses souffrances, les larmes de compassion, invite à l'intercession.

Bravant toutes les difficultés d'exécution, le Chœur Aquarius, qui avait eu l'occasion de travailler avec le compositeur, s'impose par sa parfaite justesse, son homogénéité, sa diction et son intelligence musicale, car Arvo Pärt mise sur la sobriété, la sincérité, l'impact émotionnel et la profondeur de l'expression. Marc Michael De Smet et ses choristes rendent « magnifiquement » au compositeur estonien si exigeant un authentique et fidèle hommage.

 

Édith Weber.

 

 

Johann Sebastian BACH : Concertos pour clavecin (intégrale) : N°1 BWV 1052, N°2 BWV 1053, N°3 BWV 1054, N°4 BWV 1055, N°5 BWV 1056, N°6 BWV 1057, N° 7 BWV 1058. Andreas Staier, clavecin. Freiburger Barockorchester, dir. Petra Müllejans. 2CDs Harmonia Mundi : HMC 902181.82. TT.: 1H49.

Les concertos sont au centre de la production de JS Bach, ceux de clavier en particulier, dont on peut avancer qu'ils constituent les vrais débuts du genre du concerto pour piano qui connaitra l'essor que l'on sait. Les sept concertos pour clavecin, écrits à Leipzig durant les années 1738/1739, ne sont pas tous des partitions originales, Bach ayant « recyclé » du matériau antérieur, dont celui de concertos de violon, dans trois cas (BWV 1052, 1054 et 1058), la partie de violon étant confiée à la main droite du claveciniste, et d'un des Concertos Brandebourgeois, le quatrième, pour ce qui est du concerto BWV 1057. Quoi qu'il en soit, l'entreprise est enrichissante car l'art de l'adaptation pour le clavier, souvent avec une partie de basse enrichie, conduit à une écoute différente, surtout richement dotée comme dans la présente interprétation, modèle d'intégration du soliste dans l'accompagnement des cordes. Ainsi du concerto BWV 1052, dont on ne peut pas ne pas savourer l'origine violonistique. Mais le résultat n'est pas moins clair et vigoureux à l'allegro expansif, grave à l'adagio de par l'accompagnement ostinato, et preste à l'allegro quasi jubilatoire. Seule la cadence finale marquera un instant de réflexion. Le concerto BWV 1054 reprend le matériau du concerto de violon BWV 1042, mais Bach introduit des modifications dans le détail de la partie soliste, comme à l'adagio « piano e sempre », un beau largo plaintif, et au rondeau final dansant dans lequel le clavier tresse sa guirlande. Le concerto BWV 1058, inspiré du concerto de violon BWV 1041, ne messied nullement au clavecin notamment à l'andante ample dans son rythme marqué à la basse, et au finale, allegro assai, rapide ici, une gigue fuguée puissamment articulée dans laquelle le soliste joue une partie virtuose dont une cadence endiablée. Le concerto BWV 1053, est de facture plus intime, l'accompagnement étant réduit aux quatre cordes du quatuor et à la contrebasse, ce qui permet, au premier mouvement, un dialogue serré avec le clavier. Le « Siciliano » qui suit se déroule comme une aria initiée par les cordes alors que le soliste, dans un climat détendu, va égrener sa partite au milieu de soupirs de l'orchestre. Le concerto BWV 1055 débute par un allegro bondissant pour ce qui est de l'accompagnement, dans lequel le clavier s'inscrit avec aisance. Le larghetto tendrement mélancolique est distingué par le soliloque du clavecin. Un menuet rapide clôt la pièce. Le concerto BWV 1056 se signale par son largo médian qui laisse la prééminence au soliste, l'accompagnement étant réduit au minimum, des pizzicatos en particulier, et le presto final déclamatoire est paré d'accords surprises. Sorte de transcription du 4 ème Brandebougeois, le concerto BWV 1057 remplace la partie de violon par le clavecin tout en conservant les deux petites flûtes et l'idée de faire du soliste le continuo de ces deux vents. Par son alacrité, le clavecin s'accommode de cette combinaison. Andreas Staier se montre un coloriste idéal et la claire sonorité de son instrument, copie de d'un clavecin d'Albrecht Hass, de 1734, ajoute au bonheur de l'écoute. On admire une fluidité du jeu et la finesse des traits rapides. Malgré la dizaine de cordes utilisées, on est saisi par la générosité de l'accompagnement. C'est qu'une idée de fusion avec le soliste préside à ces interprétations, magnifiquement captées.

 

Jean-Pierre Robert.

 

Franz Joseph HAYDN : « Il filosofo ». Symphonies N° 46, Hob. I:46, N° 22, Hob. I:7, N° 47, Hob. I:47. Wilhelm Friedmann BACH : Symphonie pour cordes FK 67. Il Giardino Armonico, dir. Giovanni Antonini. 1CD Alpha : Alpha 671. TT.: 75'18.

Voici le deuxième volume de l'édition « Haydn 2032 », qui partage sa monumentalité avec « L'Edition Vivaldi » chez un autre éditeur, consistant à enregistrer, d'ici à l'année Haydn de 2032...  ses 107 symphonies, outre quelques compositions de ses contemporains. De quoi se mesurer à l'intégrale Haydn réalisée naguère par Antal Dorati. L'âme du projet est Giovanni Antonini qui dirige son orchestre Il Giardino Armonico, savoir une formation d'une vingtaine de musiciens jouant sur instruments anciens. Ce qui d'emblée donne une idée de la facture des interprétations. Il a été décidé de construire chaque étape, non en respectant l'ordre chronologie, mais par thème, en recourant aux appellations des symphonies. Le procédé n'est pas nouveau. Mais aussi de mettre l'accent sur une particularité commune à la série enregistrée : ici l'originalité des traits compositionnels. Ce volume est donc intitulé « Il filosofo », du titre plus ou moins apocryphe de la symphonie N°22, de 1764. L'ordre de ses mouvements est pour le moins surprenant puisqu'elle débute par un adagio, sorte de trame sévère ponctuée d'interventions des cors naturels et des cors anglais sur des violons en sourdine. Suit un presto, fort trottinant, marque de l'humour du compositeur. Le menuetto propose une sorte de concerto pour cor dans le trio médian. Et le finale presto est allègre quoique sans excès. C'est qu'Antonini signale son interprétation plus par un souci d'allègement de la texture que par une volonté de rythmique forcenée. La finesse instrumentale prime sur la puissance et c'est tant mieux, laissant émerger des couleurs insoupçonnées. Il en va de même des deux autres symphonies. La manière décontractée retenue par le chef convient à la symphonie N°46, pour cordes et deux cors : un vivace  décrivant une belle agitation, un poco adagio tout en contraste, sur un rythme de sicilienne, joué piano, dont émane une grâce contenue, un menuet allegretto progressant dans le même esprit de retenue, et un finale, presto e scherzando, caractérisé par l'irrégularité de son débit, offrant des effets de surprise dont celui introduit impromptu par les cors. L'opus 47 offre lui aussi quelques traits originaux, dont les fanfares de vents colorant une entame de cordes d'abord paisibles puis se chargeant de tragique, un poco adagio subtil, suite de variations graves, et surtout un « minuet al reverso », où le motif est joué tel quel  puis dans un ordre inversé, sorte de palindrome. Le presto assai final apporte une conclusion festive à cette composition d'un musicien de 40 ans au faîte de ses moyens. Il en va ainsi de l'exécution d'Antonini et de ses forces. En appendice, la symphonie pour cordes de Wilhelm Friedmann Bach, qui appartient à sa période de Dresde (1733-1746), s'épanouit sur le mode de la sinfonia d'opéra italien avec un menuet en sus. Elle offre une facture baroque très travaillée, en particulier à l'allegro (3ème mouvement) d'une démarche syncopée d'un bel effet théâtral.

 

Jean-Pierre Robert.

 

Wolfgang Amadé MOZART : Quatuors pour flûte et cordes (intégrale) K 285, 285A, 285B, 298. Juliette Hurel, flûte. Membres du Quatuor Voce. 1 CD Alpha : Alpha 204. TT.: 57'41.

Les quatuors pour flûte et trio à cordes que Mozart écrit l'hiver 1777/1778, pour les deux premiers, puis en 1781 et en 1786, se situent dans la ligne des compositions de ce type alors en vogue au XVIII ème siècle. C'est lors de son voyage à Mannheim, en route pour Paris, fin 1777, que Mozart découvre le célèbre et talentueux flûtiste Johann Baptist Wendling qui lui permet d'obtenir la commande de plusieurs pièces pour l'instrument de la part d'un amateur hollandais fortuné De Jean. Ces pièces sont de facture concertante et fort agréables à l'oreille par leurs dessins mélodiques. Ainsi du premier, K 285, dont l'allegro développé est mené par l'instrument à vent. Celui-ci s'épanche à l'adagio, modèle de mélodie, la flûte planant sur des pizzicatos des cordes jusqu'à cette péroraison comme suspendue dans le temps. Un rondeau joyeux et sans façon s'y enchaîne directement. Le quatuor K 285A, en seulement deux mouvements, s'ouvre par un andante ample, un brin pathétique. La flûte semble mieux intégrée parmi les cordes et l'alto prend le flambeau de temps en temps. Le tempo di menuetto marque le triomphe du style galant, au sens noble du terme. Un peu plus tardif, le quatuor K 285B, quoique la parenté avec les deux précédents ne fasse pas de doute, lui aussi en deux parties, contraste un allegro, là encore de belles proportions, qui progresse avec élan de son rythme ternaire, parfaitement concertant, surtout dans son second thème fort original, puis un andante gracieux sur un schéma de thème et variations. Juliette Hurel et ses compagnons du quatuor Voce le prennent avec une sûre joie de vivre : chaque  instrument prend tout à tour part à la fête, le violon dans la 2 ème variation, le cello à la troisième, l'alto à la 4 ème. La 5 ème est quasi tragique, un adagio magnifiquement jugé ici. Et tout en contraste, l'ultime s'avère pleine de gaité : des larmes au rire ! Le dernier quatuor, K 298, que Mozart compose en 1786, offre cette originalité que chacun de ses trois mouvements est construit sur un air : l'andantino, sur un Lied de Hoffmeister, traité sous plusieurs éclairages différents, une vieille chanson française pour le menuetto, et un air d'opéra de Paisiello dans le rondeau final, célèbre pour ses indications loufoques. Le style galant est là déjà dépassé. On savoure au fil de ces interprétations la finesse du phrasé et les tempos naturels adoptés par Juliette Hurel et les Voce dont les cordes sont merveille de douceur, dans une acoustique bien présente.

 



Jean-Pierre Robert.

 

Robert SCHUMANN : concerto pour piano op. 54 en La mineur. Trio N° 2 pour piano, violon et violoncelle en Fa majeur op. 80. Alexander Melnikov, pianoforte, Isabelle Faust, violon, Jean-Guihen Queyras, violoncelle. Freiburger Barockorchester, dir. Pablo Heras-Casado. 1CD Harmonia Mundi : 902198. TT.:  57'10.

Voici le deuxième volume de l'intégrale promise par Harmonia Mundi des concertos de Schumann sur instruments d'époque. Il est centré sur le Concerto pour piano op 54, une œuvre clé du répertoire, tant de fois enregistrée par les plus grands. Cette exécution est bien différente car jouée sur un pianoforte Erard de 1837, au son sec et épuré avec une résonance claire, loin de la séduction immédiate procurée par un Steinway grand ou même un Bösendorfer, et dans l'écrin sobre du Freiburger Barockorchester, favorisant une sonorité moins massive et enveloppante que ne le fait un grand orchestre symphonique moderne. Mais la surprise passée, la séduction opère vite : on tient là une vision dégraissée où le rapport piano-orchestre signale une vraie intégration du soliste et ne confine pas à quelque lutte entre les deux protagonistes. On a dit que Schumann avait conçu un concerto sans soliste... C'est aller un peu vite en besogne, car si l'allegro affetuoso initial, qui tire son origine d'une Fantaisie antérieure, morceau indépendant, insère le piano au point de le faire concerter à part égale avec l'orchestre, le dernier mouvement lui fait bel et bien tenir le rôle de primus inter pares. La fluidité de l'allegro est admirable ici, les attaques sèches du piano d'Alexander Melnikov qui privilégie la simplicité du jeu, répondant à celles puissamment charpentées de chef Pablo Heras-Casado qui ne dédaigne pas une certaine fébrilité à l'occasion. Le développement prend le terme d'« affetuoso » avec objectivité (clarinette) et coule de source, juste retenu, romantisme oblige. La ligne pianistique fuit l'affectation, ce qui ne veut pas dire froideur. L'andantino est sous les doigts de Melnikov un vrai intermezzo, naturel dans le premier thème alors que le second, introduit par les violoncelles, fuit l'emphase qui lui traditionnellement assigné. La transition toute en confidence laisse à l'attaca du finale toute ses vertus de surprise. Le vivace, pris confortable par le chef, sans précipitation, permet au pianiste une belle articulation. Le deuxième thème est là encore retenu et la section fuguée  un modèle de simplicité. Tandis que la péroraison est admirablement balancée. Une interprétation originale, loin du pathos romantique comme de la grande virtuosité, qui restitue peut-être une idée de celle des débuts de l'œuvre, jouée par Clara. C'est aussi pour elle que Schumann a composé son Deuxième Trio pour piano, violon et violoncelle, op 80 (1849). Il est typique de la dernière période créatrice du musicien : un premier mouvement fougueux, presque robuste, où les trois instruments sont intimement mêlés, une romance fervente maniant un savant contrepoint, un intermezzo alternant soupirs et sursauts d'énergie, et un finale exubérant, affirmatif d'une foi amoureuse déterminée. Clara qui dira qu'« il fait partie des œuvres de Robert qui, du début à la fin, me réchauffent l'âme et me ravissent ». L'exécution d'Alexander Melnikov, Isabelle Faust et Jean-Guihen Queyras confirme cette pensée. La sonorité particulière du piano joué, un Streicher de 1847, apporte une note de clarté, détachant l'interprétation de toute impression pesante.

 

Jean-Pierre Robert.

 

Mikhail GLINKA Kamarinskaya, Valse-fantaisie, Capriccio sur des thèmes russes, Trot de cavalerie Nos 1 & 2, Polka Initiale. Piotr Ilyich TCHAIKOVSKI  : 50 Chants populaire russes. Cyprien Katsaris, Alexander Ghindin, pianos à quatre mains. 1CD Piano21 : P21 046 – N.TT.: 59'40.

Une intéressante découverte que ces pièces pour piano à quatre mains ! Ce genre a fait florès tout au long du XIX ème. Mikhail Glinka (1804-1857), dilettante, esprit fantasque, n'est pas seulement l'auteur des opéras Ivan Soussanine et Rouslan et Ludmila. Il a investigué bien d'autres domaines : symphonique, musique chorale, mélodie. Son empreinte sur la musique russe est essentielle et le Groupe des Cinq lui doit beaucoup. Kamarinskaya, « fantaisie sur deux airs russes », de 1848, est une de ses pièces symphoniques les plus célèbres. Faite de deux morceaux contrastés (« air de noces », « air de danse »), empruntés au folklore russe. La transcription pour piano à quatre mains, jouée ici, est de Mily Balakirev (1902), un des membres du Groupe des cinq. C'est ce même compositeur qui, cette fois, orchestrera la Polka Initiale de Glinka (1852), un morceau d'un charme insouciant. La Valse-Fantaisie, également  conçue pour l'orchestre (1845), est inspirée d'un poème de Pouchkine et offre une valse mélancolique aux couleurs orientalistes. Sa transcription pour quatre mains est de Sergueï Liapounov. Le Capriccio sur des thèmes russes, revu et corrigé pour sa publication posthume par Balakirev (1834), offre une thématique typiquement russe, annonçant le langage de Rimski-Korsakov. La musique de piano de Tchaikovski est sans doute moins célébrée que ses opéras, ses symphonies ou sa musique de chambre. Et pourtant on y trouve des merveilles là aussi. Les 50 Chants populaires russes, composés pour piano à quatre mains en 1868 à la demande de son éditeur, offrent l'occasion de découvrir, s'il en était besoin, le superbe folkloriste qu'est l'auteur de La Dame de Pique. Celui-ci s'inspire de recueils existants, tel celui de Balakirev, et ouvre la voie à d'autres pièces telles que les 100 Chants populaires russes de Rimski-Korsakov (1877). Tout au long de ces pièces dont la plus courte dure 16 secondes et la plus développée 1'50, on savoure des inspirations tour à tour naïves et grandioses, des climats dansants ou élégiaques. Tchaikovski puisera lui-même dans ce corpus pour alimenter plusieurs autres de ses œuvres, comme le Premier Quatuor, la Deuxième Symphonie « Ukrainienne », la Sérénade pour cordes. D'autres compositeurs s'y référeront aussi comme Stravinsky pour ses ballets Petrouchka et L'Oiseau de feu. Cyprien Katsaris et son collègue Alexander Ghindin non seulement font œuvre de découvreurs, mais aussi et surtout conjuguent leur talent pour notre plaisir.

 

Jean-Pierre Robert.

 

Sergei RACHMANINOV : Rhapsodie sur un thème de Paganini op. 43 ; Variations sur un thème de Chopin op. 22 ; Variations sur un thème de Corelli, op. 42. Daniil TRIFONOV : Rachmaniana. Daniil Trifonov, piano. The Philadelphia Orchestra, dir. Yannick Nézet-Séguin. 1CD Universal DG : 479 4970. TT.: 68'

Au sein de la musique pour piano de Serge Rachmaninov, « tendre et agitée » confie Daniil Trifonov, « très russe », habitée de « nostalgie à la fois douloureuse et chaleureuse mêlée d'une espèce de fatalisme », le genre de la variation est cultivé à plusieurs reprises. Aussi l'idée de réunir ces pièces sur un même disque est-elle bienvenue. Les Variations sur un thème de Chopin, op 22 (1904), offrent monumentalité  et passion au long de 22 morceaux encadrant l'énoncé du thème, lequel est repris en forme de conclusion. Les transitions y sont judicieuses provoquant d'intéressants changements d'atmosphère. On admire le sens du phrasé dans les passages lyriques : «  l'élégance de Chopin à la rencontre de la passion de Rachmaninov ». Les Variations sur un thème de Corelli, op 42, de 1931, a priori sur celui du concerto « La Folia », sont plus denses, très concentrées avec une énergie explosive souvent. Quant à la Rhapsodie sur un thème de Paganini, op. 43, de 1934, inspirées du 24 ème « Caprice pour violon », c'est un grand morceau de bravoure pianistique, mis en valeur par l'accompagnement orchestral. Le thème est exploité de moult manières, valse, fox trot, boston, de la tradition à la modernité, sans parler des aspects philosophiques sous sous-jacents : le motif du Dies irae qui apparaît au centre de l'œuvre, revient de manière allusive lors de la conclusion. C'est « un ballet miniature – une danse avec le destin au-dessus de l'âme de Paganini » dit joliment Trifonov. Les contrastes abondent dans son interprétation. Un clin d'œil : l'enregistrement a été fait avec l'Orchestre de Philadelphie, celui même qui, en 1934, créa l'œuvre avec  le compositeur. Le disque comprend encore une pièce inédite, de Trifonov lui-même, Rachmaniana, Suite pour piano seul, écrite en 2009. Cet hommage à son illustre prédécesseur, le pianiste russe l'a conçu en cinq parties, s'inscrivant dans le pianisme démonstratif de celui-ci : transparence (andante improvizato), nostalgie (andante nostalgico), expressivité (allegro con fuoco),  proche de l'aura du romantisme tardif (dolce romantico et finale) et utilisant toutes les possibilités de l'instrument. Là comme ailleurs, Daniil Trifonov montre une belle aisance, lui qui est rompu à cet idiome exigeant, empruntant à la fantaisie ou proche de l'improvisation. Le Steinway grand sonne on ne peut plus opulent. Trifonov appartient à cette race de jeunes virtuoses qui outre une technique à toute épreuve, sont capables des nuances les plus raffinées.

 

Jean-Pierre Robert.

 

« Belle Époque ». Henriette RENIÉ : concerto en ut mineur pour harpe et orchestre. Théodore DUBOIS : Fantaisie pour harpe et orchestre. Gabriel PIERNÉ : Concertstück pour harpe et orchestre. Camille SAINT-SAENS : Morceau de concert pour harpe et orchestre. Emmanuel Ceysson, harpe. Orchestre Régional Avignon Provence, dir. Samuel Jean. 1CD Naïve : V5419. TT.: 65'57.

Comme Edgard Moreau au violoncelle, Jean Rondeau pour le clavecin, Emmanuel Ceysson est l'enfant terrible de la harpe. Il est aussi de la trempe des grandes figures de l'école française de harpe qui depuis Llily Laskine, en passant par Marielle Nordmann, a produit tant de solistes émérites. Premier harpiste de l'Orchestre de l'Opéra National de Paris, il a déjà à son actif un beau palmarès international et enseigne à l'École normale de musique de Paris. Pour son nouveau disque il a choisi un bouquet d'œuvres concertantes parmi celles qui fleurirent au début du siècle précédent, considéré comme l'âge d'or de l'instrument. Les deux facteurs rivaux Pleyel, avec sa harpe chromatique, et Érard qui proposait une harpe à pédales, créaient alors l'émulation parmi les compositeurs. Debussy écrira ses Danses pour harpe et orchestre. Le Concerto pour harpe de la harpiste Henriette Renié (1875-1956), qui fut le professeur de Lily Laskine, a été créé en 1901. Il est conséquent, puisque ses quelques 24 minutes dévoilent quatre mouvements, magnifiquement écrits pour l'instrument : lignes mélodiques séduisantes à l'allegro risoluto et à l'adagio, flattant le registre grave de la harpe, manière encore plus inventive aux deux derniers mouvements, exploitant une veine un brin fantastique. La pièce exhale un parfum légèrement suranné, mais une transparence très française. Dans la Fantaisie pour harpe et orchestre de Théodore Dubois (1903), un thème dansant cyclique irrigue trois mouvements enchaînés. L'écriture pour la harpe est plus classique, pas moins intéressante : une séquence allegro, sur le versant hymnique, est suivie d'une autre plus pensive, livrant un beau dialogue flûte et harpe, toujours du meilleur effet, et le finale livre forces pirouettes exigées du soliste ; ce qui ne gêne nullement Emmanuel Ceysson dont la technique est vraiment bluffante. Le Concertstück de Gabriel Pierné (1903), là encore en trois parties enchainées, allie finesse d'écriture pour la harpe et transparence de l'orchestration. Ainsi de la dramaturgie du premier mouvement qui voit un dialogue serré entre harpe et orchestre, de la section centrale d'un ample lyrisme qui peu à peu s'anime, et du finale encore plus ardent dans son thème coulant. Saint-Saëns a écrit son Morceau de concert pour harpe en 1918, une de ses dernières compositions. L'instrument soliste est fort mis en valeur grâce à une orchestration habile qui agit plus en fond de tableau que comme moteur, encore que l'inspiration réserve des trouvailles intéressantes (registre extrêmement aigu de la harpe exploité en trilles). La partie conclusive offre une belle animation et au soliste l'occasion de briller. Emmanuel Ceysson l'aura fait tout au long de ces pièces par une habileté magistrale.

 

Jean-Pierre Robert.

 

« Yes ! ». Airs extraits d'opéras et d'opérettes. Maurice YVAIN  : Yes !.  André MESSAGER : L'amour masqué. Francis POULENC : Les mamelles de Tiresias. Arthur HONEGGER : Les aventures du Roi Pausole. Maurice RAVEL : L'enfant et les sortilèges. Casimir OBERFELD : La Pouponnière.  Hervé CHRSTINÉ : Phi-Phi. Reynaldo HAHN : Ô mon bel inconnu, Ciboulette. Vincent YOUMANS :  No, No Nanette. Kurt WEILL : L'Opéra de quat'sous. Franz LEHÁR : La Veuve Joyeuse. Nikolai RIMSKI-KORSAKOV : Le Coq d'or. Julie Fuchs, soprano. Avec : Stéphane de Barbeyrac, ténor, Anaïk Morel, mezzo. Orchestre national de Lille, dir. Samuel Jean. 1CD Universal DG : 481 200. TT.: 56'49.

Alors qu'elle triomphe sur la scène du Palais Garnier dans La Folie de Platée, Julie Fuchs sort son premier album solo. Un voyage à la fois dans le répertoire « Belle époque » et parmi ces musiciens de l'entre deux guerres qui ont si joliment chanté l'amour et ses facéties. On pense bien sûr à Reynaldo Hahn dont le Bel inconnu ne l'est pas tant (sur un livret de Sacha Guitry), et Ciboulette encore moins. Julie Fuchs y savoura ses premiers triomphes parisiens, à l'Opéra Comique. Cet air de ne pas y toucher avec une once de tendre nostalgie vous va droit au cœur (« C'est pas Paris, c'est sa banlieue ». Mais aussi à André Messager, dont L'amour masqué, encore emprunté à Guitry, est un chef d'œuvre d'humour coquin. A Poulenc bien sûr, et ses Mamelles de Tirésias : la pochade de la femme à barbe est désopilante. Le récital offre encore des grands classiques du genre, comme la « Chanson de Vilja » et l'« Heure exquise » de La Veuve Joyeuse de Lehár, dans sa version française. On est tout autant séduit par les raretés que nous propose Julie Fuchs. Elles ont pour nom Phi Phi de Henri Christiné (« Ah ! Cher monsieur excusez-moi »), Yes de Maurice Yvain, engageant, Les aventures du Roi Pausole d'Arthur Honegger, dont le « Trio des baisers » est un morceau joliment facétieux. Ou encore La Pouponnière de Casimir Oberfeld, charmeur, et No, No Nanette de Vincent Youmans, où l'on découvre le face à face de jeunes amants swinguant un « Thé pour deux ». On y a ajouté l'air du Feu de L'enfant et les sortilèges de Ravel et l'hymne au soleil du Coq d'or de Rimski-Korsakov, deux morceaux de vocalises colorature fameux. Deux extraits de L'Opéra de quat'sous de Kurt Weill complètent un panorama finalement fort large. Le programme est judicieusement composé pour mettre en valeur les qualités de la chanteuse : le charme du timbre de soprano léger qui sait se mouvoir avec adresse dans un registre plus médian, son souci d'articulation et d'une diction toujours irréprochable, un goût sûr et tout un art de ne pas trop en faire ; ce qui ne veut pas dire absence d'abattage. Les pièces de Weill et de Poulenc sont là pour le prouver. La voix est toujours magistralement conduite et offre une fraîcheur de tous les instants. Samuel Jean, à la tête de l'Orchestre national de Lille, et comme pianiste à l'occasion, lui offre un accompagnement racé et sensible.

 

Jean-Pierre Robert.

 

John ADAMS. Absolute Jest. Grand Pianola Music. St Lawrence String Quartet. Orli Shaham, Marc-André Hamelin, pianos. San Francisco Symphony Orchestra, dir. John Adams, Michael Tilson Thomas. 1CD SFS media : SFS 0063. TT.: 57'34.

L'intérêt de ce disque est de rapprocher une œuvre récente de John Adams (*1947) d'une pièce plus ancienne. Grand Pianola Music pour deux pianos, trois voix de femme, bois et cuivres par deux et percussions, a été composé en 1982 et quelque peu chahuté lors de sa création tant à New York qu'à Paris. On en critiquait l'audace d'avoir malmené le principe minimaliste alors porté au pinacle. On en est revenu depuis et l'autre reproche d'américanisme matérialiste s'est quelque peu assagi. Presque un classique de la musique instrumentale d'Adams ? E tout cas, rien de bien « non audible » ici car on reste dans la tonalité. Et les réminiscences de chemins déjà empruntés, par Debussy pour ce qui est des voix de femmes, traitées ici plutôt en solo qu'en groupe compact comme dans « Sirènes », ou les répétition incessantes chères à Philip Glass, paraissent plus amusantes qu'exotiques. Le climat souvent presque pastoral de la « Part I », se transforme en un court passage lent jusqu'à un cluster de l'ensemble instrumental, en forme d'explosion fortissimo, puis les deux pianos distillent dans le registre aigu comme des gouttes, soutenus par une pédale de cuivres. La seconde partie se meut sur un mode plus généreux, dont semble se détacher un thème de mélodie populaire américaine rythmé par la percussion et les voix, qui va s'élargissant selon le procédé d'amplification et de démultiplication typique du minimalisme, proche de la transe. C'est John Adams lui-même qui dirige cette exécution, et on doit en déduire qu'on tient sans doute le nec plus ultra de sa pensée mélangeant humour américain et volubilité. Absolute Jest, composé en 2012, et révisé en 2013, est selon son auteur « l'œuvre d'un compositeur sexagénaire qui revisite et réimagine des partitions majeures qui ont marqué sa jeunesse – en l'occurrence Beethoven -  à travers le prisme d'un langage compositionnel plus évolué et – je l'espère – plus subtil ». Ce « colossal scherzo de 25  minutes » s'approprie en effet des bribes de thèmes beethovéniens, empruntées au scherzo de la Neuvième  Symphonie ou à divers mouvements des Quatuors op 131 et 135 et à la Grande fugue ou encore à la Sonate Waldstein. La pièce est écrite pour quatuor à cordes et grand orchestre, « une idée risquée », dira-t-il. Et déroule six parties enchaînées alternant lent et vif. Plus que la séduction, elle provoque l'admiration devant la prouesse technique. La direction habile de Michael Tilson Thomas révèle l'astuce de la combinaison des masses sonores et les différents climats qu'elle offre, dont un moment élégiaque (4 ème séquence : meno mosso ) ou de vertigineuses séquences, comme le vivacissimo et le prestissimo finaux qui s'élancent tel «  un riff furieux sur la progression harmonique initiale de la Sonate Waldstein » (J. Adams). Le côté obsédant et brillant de la manière minimaliste est dépassé par une approche moins intellectuelle, voire émouvante.

 

Jean-Pierre Robert.

 

« Joyce & Tony ». Live at Wigmore Hall. Joseph HAYDN: Cantate Arianna a Naxos. Francesco SANTOLIQUIDO : I canti della serra. Ernesto De CURTIS : « Non ti scordar di me! ». Mélodies américaines de Stephen FOSTER, Jerome KERN, Havelock NELSON, Celius DOUGHERTY, Jerome MOROSS, William BOLCON, Heitor VILLA-LOBOS, Richard RODGERS, Irving BERLIN, Harold ARLEN. Joyce  DiDonato, mezzo-soprano, Antonio Pappano, piano. 2CDs Warner classics : 0825646107896. TT.:  41'49+47'37.

Ce CD est la captation du concert d'ouverture de la saison 2014-2015 du Wigmore Hall de Londres. Soirée mémorable car réunissant une chanteuse très en vue au charisme certain et un pianiste chef d'orchestre, directeur musical du Royal Opera House. La première partie du programme, classique, propose la cantate Arianna a Naxos de Haydn (1789). Joyce DiDonato mise sur la dramatisation du récitatif et une approche qui, souvent à pleine voix, souligne la fureur, l'indignation, la vitupération et un quasi délire, entre désespoir et abandon. Dans l'aria, elle n'hésite pas à lâcher toutes les forces, à la limite de l'accent opératique. Elle est en territoire plus connu avec les pièces de Rossini, telle « Beltà crudele », mélodie voluptueuse de passion amoureuse là encore, ou « La danza », extraite des Soirées musicales (1835), qui sur un rythme de tarentelle, magnifiquement jouée par Pappano, distille une franche faconde. Les mélodies de Francesco Santoliquido (1883-1971) sont une découverte car ses Canti della serra (Chants du soir) ont des accents pucciniens librement adaptés. Joyce DiDoato, là encore, se donne à fond et pousse la quinte aiguë à un maximum de tension. La pièce d'Ernesto De Curtis « Non ti scordar di me! », écrite pour Benjamino Gigli, est aussi pur joyau. Changement complet d'atmosphère avec la seconde partie consacrée à des mélodies américaines (dont hélas le livret ne fournit pas les textes ). La chanteuse est définitivement chez elle dans ce « Great American Song-book ». Car ces « chansons préférées » révèlent un talent aussi bien vocal que théâtral et l'occasion de briller autant par le chant que par l'esprit. On se délecte de la rythmique irrésistible de « The Siren's Song » de Jerome Kern, tiré de Show Boat (1927), et de « Life Upon the Wicked Stage » ou la vraie gouaille cockney de la comédie américaine. Du même Kern, on signalera aussi «  Can't Help Lovin' Dat Man » qui sur un accompagnement swinguant, déploie une mélopée envoûtante. On navigue dans la chanson folklorique et ses suaves accents : ainsi de « Beautiful Dreamer » de Stephen Foster, de « Lovely Jimmie » de Havelock Nelson, ou de « Love in the Dictionary » de Celius Dougherty. Et surtout de « Lazy Afternoon » de Jerome Moross, extrait de The Golden Apple (1955), dont le style paresseux prête à cette Hélène des temps modernes une immanquable force de séduction. Avec « Amor » de William Bolcon, DiDonato met le public dans sa poche car dans le déhanchement de la voix on sent le clin d'œil coquin ; de même avec « My Funny Valentine » de Richard Rodgers ou comment accrocher indéfectiblement l'auditeur. Parmi les bis, judicieusement choisis, on relève « I love a Piano », d'Irvin Berlin, vraie déclaration d'amour à l'accompagnateur du soir, et « Over the Rainbow » de Harold Arlen, hommage au Kansas natal de la chanteuse, mélodie nostalgique et entraînante. Ces tunes américains mettent en valeur le charme coloré de la voix de DiDonato, en particulier dans le medium, et une présence pétulante peu résistible, celle de la vraie « bête de scène ». Un coup de chapeau à Antonio Pappano pour son flair et son goût.

 

Jean-Pierre Robert.

 

Richard WAGNER : Der Ring des Nibelungen. Das Rheingold, Die Walküre, Siegfried, Götterdämmerung. Festival scénique musical en un prologue et trois journées. Livret du compositeur. René Pape, Stephan Rügamer, Johannes Martin-Kränzle, Wolfgang Ablinger-Sperrhacke, Doris Soffel, Kwangchul Youn, Marco Jentzsch, Jan Buchwald, Timo Rilhoren, Anna Samuil, Anna Larsson, Aga Mikotaj, Maria Gortsevskaya, Marina Prudendskaya (Das Rheingold) ; Simon  O'Neill, Waltraud Meier, Nina Stemme, Ekaterina Gubanova, John, Tomlinson, Vitalij Kowaljow, Carola Hoehn, Ivonne Fuchs, Anaik Morel, Susan Foster, Leann Sandel-Pentaleo, Nicole Piccolomini, Simone Schroeder (Die Walküre) ; Lance Ryan, Nina Stemme, Peter Bronder, Terje Stensvold, Johannes Martin-Kräntzle, Alexander Tsymbalyuk, Rinat Moriah (Siegfried) ; Lance Ryan, Irene Theorin, Waltraud Meier, Anna Samuil, Gerd Grochowski, Johannes Martin-Kränzle, Mikhail Petrenko, Margerita Nekrasova, Aga Mikolaj, Maria Gortsevskaya, Anna Lapkovskaja (Gotterdämmerung). Orchestre et Chœurs  du Teatro alla Scala Milano, dir. Daniel Barenboim. Mise en scène : Guy Cassiers.  7 DVDs Arthaus musik : 101 693, 101 694, 101 695, 101 696. TT.: 163'+238'+253'+292' (enregistrements : La Scala, mai & décembre 2010, octobre 2012, juin 2013).

Voici la captation du Ring dans la mise en scène conçue par Guy Cassiers à la fois pour le Schiller Theater de Berlin et la Scala de Milan. Elle a été réalisée dans ce dernier théâtre entre 2010 et 2013. Un Ring pour le XXI ème siècle ? En tout cas, Guy Cassiers s'inscrit dans la continuité de la vision mythique d'un Wieland Wagner (Neu Bayreuth, 1951-1965) sans renier l'approche historiciste de Patrice Chéreau (1976-1980). Il se démarque de ses autres collègues, qui de Bayreuth (Kirchner, Kupfer, Flimm ou Castorf) à Valencia (Fura dels Baus), Londres (Johns) ou Aix (Braunschweig) ont tenté, pas toujours avec bonheur, de renouveler l'illustration de cet Himalaya de la scène lyrique. Tout en recourant aux techniques les plus avancées, la manière y est respectueuse du mythe. Les symboles sont préservés (Wotan est toujours doté de sa lance), juste modernisés (la forge de Siegfried), voire proche du littéral (l'estrade surélevée-catafalque où est endormie Brünnhilde). Mais foin de transposition dans quelque univers contemporain avec ce que cela peut entraîner d'exagération. Elle est basée sur le concept de projection au sens premier, photographique, du terme : un maelström d'images colorées en fond de scène déchaine une stimulation visuelle continue, d'un esthétisme certain : flammes entourant Brünnhilde au 3ème acte de La Walkyrie, revêtant diverses apparences à chaque réapparition, scintillement de la forêt, luminescence écarlate de la scène de la forge (Siegfried), chevauchée fantastique entourant celle des compagnes de Brünnhilde au début de l'acte 3 de La Walkyrie, projetant les corps dénudés des guerriers-héros, etc... Le concept est également appréhendé sur le plan psychologique, d'« externalisation d'expériences intérieures » (Richard P. Steinberg, dans le livret) vécues par les divers personnages, Wotan au premier chef. Le parti décoratif reste de l'ordre de l'abstraction pure (Ier acte de La Walkyrie) ou réinterprétée (l'enchevêtrement d'épées brisées formant une sorte de cage au Ier acte de Siegfried). Quelques points cependant l'émaillent, dont le bas relief imité de la frise dite des « Passions humaines », réalisée en 1889 par le sculpteur belge Jef Lambeaux à Bruxelles, qui visualisé à la fin de L'Or du Rhin, réapparaitra au fil des trois journées. Agissant comme un leitmotiv visuel à l'appui de ceux de la musique de Wagner, et fonctionnant sur le principe de la répétition, et pour le spectateur, de la reconnaissance. Ces passions humaines qui envahissent peu à peu le champ dramatique de la Tétralogie à mesure que s'évanouit l'autorité des Dieux. L'autre élément essentiel de la régie de Cassiers est la composante chorégraphiée, prodiguant là encore une forme d'animation par des groupes humains multiformes. Elle fonctionne également comme un moyen de conceptualisation. Ainsi  de la velléité de puissance d'Alberich dont le personnage est durant L'Or du Rhin construit à partir de groupements évocateurs. Extrêmement présents dans le prologue, ces passages mimés le sont moins dans La Walkyrie, mais réapparaissent dans Siegfried (scène du réveil de Fafner) et surtout dans Le Crépuscule où ils accompagnent plusieurs scènes.

 


Das Rheingold scène 3 / DR

 

Qu'apporte la captation filmique au spectacle tel que présenté, en particulier à Berlin (cf. NL de 12/2010, 5/2012, 11/2012, 4/2013). Beaucoup de ''plus''. A commencer par un sentiment de proximité avec les personnages (Ier acte de La Walkyrie, Ier acte de Siegfried, narration d'Erda au III ème, scène de Waltraute au Ier acte du Götterdämmerung). L'éparpillement perçu parfois sur scène (sans doute encore plus sensible à Milan que sur le plateau de moindre dimension du Schiller Theater berlinois), est tenu en respect par une prise de vues habile alternant plans d'ensemble, rapprochés ou de très près. Quelques performances d'acteurs en bénéficient particulièrement. Cette vision « rapprochée » permet surtout de saisir des détails quelque peu distanciés à la représentation. Ainsi des maquillages, proches du masque. C'est notamment vrai de Mime dont le visage est émacié de crevasses, ou encore d'Alberich qui vrai hâbleur, se voit doté d'une bouche comme élargie par de fausses agrafes. Quant à celui de Wotan, il est peu à peu noirci et habité de rictus, ce qui achève de le rendre peu sympathique dès la fin de La Walkyrie. A l'inverse, celui de Hagen est étrangement lisse. On perçoit aussi les détails des costumes, fort chargés, rapiécés par des collages d'éléments différents, fourrures, plumes, étoffes diverses, créant une sensation d'étrangeté. Aux redingotes approuvées par Chéreau on a préféré, côté messieurs, les fracs usés, défraichis, vision grotesque d'une splendeur passée. Le film utilise largement le fondu enchaîné, émancipant le système de projections et démultipliant la gestique des personnages, en particulier par le procédé des ombres chinoises. C'est que la direction d'acteurs de Cassiers est affûtée, fouillée, avec une mention spéciale pour les personnages maléfiques (Mime, Alberich), ou diaboliques (Loge, Hagen). Là encore les didascalies sont respectées. Autre avantage du film : l'œil porté sur le chef en début et à la toute fin de chaque acte. En regard, les inconvénients sont peu nombreux. Certes, la caméra impose ses choix, que le spectateur est libre d'opérer autrement. C'est vrai dans L'Or du Rhin, pièce prolixe, voire bavarde s'il en est : si la focalisation sur l'élément aquatique reste intéressant, en particulier quant à la vision finale, assez paradoxale, de Loge piétinant rageusement dans les flaques d'eau, l'attention portée à l'élément chorégraphié peut lasser.

D'une exécution globale de haut vol, se détachent quatre performances de référence, où interprète et personnage ne font qu'un. Stephan Rügamer, Loge (Das Rheingold), conseiller juridique de Wotan, calculateur au-delà du commun de ses semblables, manipulateur expert, usant de sa voix de ténor claire et tranchante avec la plus extrême dextérité. Waltraud Meier, Sieglinde (Die Walküre), tour à tour inquiète, émue, épanouie (acte I ), déchirante (actes II & III). Il n'est pas un mot, pas un geste, pas une expression qui ne sonne juste et qui ne passe par un chant souverain. Et quelle beauté de l'expression chantée. Peter Bronder, Mime (Siegfried), retors, pitoyable, loin de tout ce qui souvent rend le personnage histrion ou assommant. Là aussi la caméra saisit des expressions d'une vérité criante. Waltraud Meier encore, Waltraute (Götterdämmung), bouleversante, véhémente dans ses vaines tentatives de sauver ce qui peut encore l'être. Cette scène, une des plus saisissantes du Ring, trouve là une interprète hors pair. A leurs côtés, on signalera le Wotan de René Pape (Das Rheingold), merveilleusement chanté. Dommage qu'il ne soit pas distribué dans La Walkyrie, car son « successeur », quoique vocalement assuré, ne possède pas le charisme requis de ce dieu alors encore grandiose, non plus que dans le Wanderer dont le titulaire quoique aguerri, offre une figure fatiguée. L'Alberich de Johannes Martin-Kräntzle rejoint ses illustres prédécesseurs au panthéon de l'interprétation idéale de ce sulfureux personnage. De celui plus radieux de Brünnhilde, Nina Stemme offre le meilleur dans La Walkyrie et Siegfried, quinte aiguë royale, phrasé majestueux, là où  dans Le Crépuscule, Irene Theorin propose un portrait de diva wagnérienne par trop coutumier. Simon O'Neill, malgré un look peu phonogénique, livre pourtant l'interprétation de sa vie dans le Ier acte de La Walkyrie, tandis que Lance Ryan, Siegfried, façon beau gosse américain, est d'une amusante candeur dans ses réactions incrédules aux historiettes de Mime et garde une certaine distance quant aux événements qui s'en suivent. Il sera paradoxalement moins à l'aise dans le Götterdämmerung. Filles du Rhin et Nornes sont à la hauteur, les Walkyries un peu moins. Quelques castings de luxe complètent le tableau, comme John Tomlinson, Hunding, hier un fameux Wotan, ou Anna Larsson, impressionnante Erda. Daniel Barenboim apporte son immense expertise de l'idiome wagnérien à ces quatre parties d'un même tout. L'Orchestre de La Scala révèle une empathie insoupçonnée avec ce langage à mille lieux de son répertoire habituel, car l'entente avec le chef est plus qu'évidente. La pâte sonore est riche, pas épaisse pour autant, que des fluctuations de tempos achèvent de rendre presque transparente : lent et combien expressif dans les grands monologues, tel celui de Siegmund, « Ein Schwert... », ou pressant le débit dans celui de Wotan, ou lors de l'Annonce de la mort (Die Walküre), puis à la scène de la forge ou lors de l'interlude du « Voyage de Siegfried sur le Rhin » (Götterdämmerung). Les fins d'actes sont précipitées comme le faisait Karl Böhm à Bayreuth. Au final, une interprétation à placer aux côtés des intégrales célèbres, filmée avec discernement, rendant justice à une vision qui dans son parti de recours aux techniques modernes, est respectueuse du sens d'une œuvre hors du commun.

Jean-Pierre Robert.

 

 

William BYRD. Walsingham. Jean-Luc Ho, Orgue & Clavecin. 1 CD Encelade : ECL 1401. TT : 70'.

 

William Byrd (1543-1623) est un compositeur charnière entre les styles Renaissance et Baroque, parmi les plus importants représentants de l'école anglaise pour clavier. Né probablement à Londres vers les années 1540, il fut élève du compositeur Thomas Tallis, organiste de la cathédrale de Lincoln, nommé Gentilhomme de la Chapelle Royale d'Elisabeth 1ère en 1572. Il composa nombres d'œuvres vocales religieuses (messes et motets) et un important corpus de musique pour clavier (Clavecin, Virginal et Orgue). L'essentiel des œuvres présentées dans cet enregistrement appartiennent à deux recueils parmi les plus connus du musicien, My Ladye Nevells Booke et le célèbre Fitzwilliam Virginal Book dont Walsingham constitue la première page. Outre l'intérêt de remettre au gout du jour les œuvres de ce compositeur important, quelque peu oublié de nos jours, ce beau disque nous donne à entendre la superbe interprétation et la maitrise absolue, tant au clavecin qu'à l'orgue, de Jean-Luc Ho, sur l'Orgue Renaissance de l'Abbaye de Saint-Amant-de-Boixe d'après Koblenz (1511) et sur  le clavecin italien Ryo Yoshida d'après Trasuntino (1531). Après son disque précédent consacré à Bach et Couperin, Jean-Luc Ho confirme, ici avec brio, tout son talent, sa curiosité et sa passion pour la musique ancienne.

 

Patrice Imbaud.

 

Georg Friedrich HAENDEL. Nicola Francesco HAYM. Trio Sonatas. Ensemble L'Aura Rilucente. 1 CD AMBRONNAY. Collection Jeunes Ensembles : AMY304. TT : 55'19.

 

Encore un très joli enregistrement à mettre au crédit du label Ambronnay. Un disque découverte puisque consacré en partie au compositeur Nicola Francesco Haym (1678-1729) et interprété par le très jeune ensemble L'Aura RilucenteNicola Francesco Haym est né à Rome de parents allemands, et s'est installé à Londres dès 1701 pour y mener une carrière de violoncelliste, de librettiste et de compositeur. Sa collaboration avec Haendel (1685-1759) débute en 1713, un travail en duo d'où naîtront nombre d'œuvres célèbres comme les opéras, Giulio Cesare in Egitto, Rodelinda et Tamerlano. Pour l'heure les sonates en trio présentées sur ce disque résultent de la découverte qu'en fit l'ensemble L'Aura Rilucente en 2012 à la Bibliothèque Royale de La Haye, deux livrets quasiment inconnus qui viennent immédiatement compléter le répertoire de cette formation consacré à Haendel. Ce  programme Haendel/Haym, associant dans une mise en miroir pertinente sonates et arias, interprétés avec élégance et dynamisme, incarne l'esprit musical du XVIIIe siècle soulignant la complémentarité des genres instrumentaux et vocaux. Un premier disque original, intelligent dans sa conception, et parfaitement maitrisé dans sa réalisation…Que demander de plus ? Une découverte à ne pas manquer.

 

Patrice Imbaud.

 

 

Ludwig van BEETHOVEN : Concerto pour violon et orchestre, Symphonie N° 8. Johannes BRAHMS. Sextuor à cordes N°1. Sinfonia Varsovia, Kansai Philharmonic Orchestra. Augustin Dumay, violon & direction. 2 CDs ONYX 4154. TT : 70'01 + 37'24.

 

Très beau coffret de 2 CDs, au contenant luxueux et au contenu de belle facture, consacré à Beethoven pour le premier disque (Concerto pour violon et Symphonie n° 8) et à Brahms pour le second (Sextuor n° 1). Un programme sans surprise présentant des œuvres célébrissimes, ici, parfaitement exécutées par Augustin Dumay, à la fois violoniste et chef d'orchestre (Sinfonia Varsovia et Kansai Philharmonic Orchestra) entouré d'autres musiciens talentueux et prestigieux comme Svetlin Roussev, Miguel da Silva, Marie Chilemme, Henri Demarquette et Aurélien Pascal. Pièce incontournable du répertoire, cheval de bataille de tous les violonistes, le Concerto pour violon de Beethoven fut composé en 1806, contemporain de la Quatrième symphonie, des quatuors dits « Razumowsky », dans un climat de bonheur correspondant aux fiançailles secrètes du compositeur avec Thérèse de Brunswick, expliquant peut-être son aspect extraverti, virtuose et enjoué. Augustin Dumay en donne, ici, une lecture parfaitement juste, d'une grande limpidité, sincère sans effets excessifs, dans une ambiance plutôt chambriste. Sur le même disque la Symphonie n° 8 confirme cette atmosphère heureuse. Couramment appelée « Symphonie humoristique » elle fut composée rapidement en 1812, là encore  inspirée par l'inclination du compositeur pour la cantatrice berlinoise Amélie Sebald. A l'image de la chanteuse qui l'inspira, cette symphonie, quelque peu dédaignée, est toute empreinte de dynamisme, de gaité, sans mouvement lent, remplacé par un Allegretto Scherzando où Beethoven semble par son rythme sautillant et mécanique se moquer de son ami Johann Maelzel, inventeur du chronomètre, aïeul du métronome. L'interprétation qu'en donnent le Kansai Philharmonic Orchestra d'Osaka et son actuel directeur musical, Augustin Dumay ne souffre aucune critique, fidèle à l'œuvre dans le ton comme dans la note. Le second disque du coffret est entièrement dévolu à la musique de chambre avec le Sextuor n° 1 de Brahms. Une œuvre grandiose, chef d'œuvre absolu, achevée en 1860, créée par Joachim, à la fois poignante et lyrique, qui conclut magnifiquement ce superbe coffret.

 

 

Patrice Imbaud.

 

 

Franz SCHUBERT. Quartettsatz D 703. Quatuor N° 15 D 887. Quatuor Terpsycordes. 1 CD Ambronnay : AMY044. TT : 57'31.

 

Un enregistrement d'une belle intelligence dans sa conception et d'une grande maturité dans son accomplissement musical. Le Quartettsatz (mouvement de quatuor) est une œuvre inachevée correspondant au seul mouvement Allegro assai du Quatuor n° 12, composé en 1820. Il ouvre la série des grands quatuors à cordes de la maturité dont le Quatuor n° 15 constitue l'opus ultime. Ces œuvres marquent indéniablement une rupture dans la production des quatuors à cordes schubertiens antérieurs tant ils frappent par leur modernité, la profondeur de leur inspiration et leur complexité d'écriture faite d'instabilité tonale et de ruptures rythmiques. Le Quatuor n° 15 date de 1826, composé en une dizaine de jours, il se caractérise par sa durée d'exécution, son ampleur polyphonique et ses contrastes marqués. Le Quatuor Terpsychordes, jouant sur instruments anciens, poursuit, ici avec talent, son exploration du répertoire chambriste romantique pour quatuor à cordes, dans une vision enflammée et audacieuse qui ne manquera pas de séduire. Bravo !

 

Patrice Imbaud.

 

« Invitation française ». Camille SAINT-SAËNS. Claude DEBUSSY. Gabriel FAURÉ. Maurice RAVEL. Georges BIZET : transcriptions pour guitares. Quatuor Eclisses, guitares. 1 CD Ad Vitam : AV 150715. TT : 53'37.

 

Un programme de musique française de la fin du XIXe siècle, une grande pertinence dans le choix des œuvres et une interprétation éblouissante procurent à ces transcriptions pour quatuor de guitares toute leur légitimité et tout leur intérêt. L'Alborada del gracioso (1905) de Maurice Ravel rappelle que la guitare est toute désignée pour servir de support à cette aubade grotesque, soulignant l'importance de l'univers espagnol chez le compositeur basque. De même parvient-elle dans la Suite Bergamasque (1890) de Claude Debussy, toute en délicatesse et en chatoiement de timbres, à retranscrire parfaitement l'élégance et le ciselé de la composition. La Danse macabre de Saint-Saëns (1875) est l'occasion d'une démonstration époustouflante de virtuosité sur un rythme haletant et répétitif. Les extraits de Carmen (1875) mettent en avant toutes les sonorités authentiquement espagnoles et flamencos qui inspirèrent Georges Bizet. Enfin la Barcarolle n° 1 de Gabriel Fauré referme sur un clapotis d'eau et sur un balancement romantique ce bel enregistrement qui ravira, à l'évidence, tous les amateurs de guitare. Un disque qui confirme, avec éclat, l'opinion de Berlioz selon laquelle « la guitare est un petit orchestre ». Avec cet enregistrement, le quatuor Eclisses (Gabriel Bianco, Arkaïtz Chambonnet, Pierre Lelièvre et Benjamin Valette), Premier Prix FNAPEC 2013, permet, sans nul doute, à la guitare ne reprendre un nouveau souffle en sortant des sentiers battus….Original et convaincant !

 

Patrice Imbaud.

 

 

Serge PROKOFIEV, Carl REINECKE, Georges ENESCU, Paul INDEMITH, Ernst von DOHNANYI : Works for Flute and Piano. Daniela Koch, flüte & Olivier Triendl, piano. 1 CD Indésens : INDE074. TT : 71'42.

 

Un programme éclectique visant à nous faire entendre la flûte traversière dans tous ses états, mais quelle que soit l'œuvre, une même sonorité magnifique, un phrasé souple et élégant, une virtuosité qui jamais ne se trouve en défaut, une interprétation témoignant d'une grande implication dans la compréhension des œuvres, une émotion et un charme envoûtant, tels sont à l'évidence les caractéristiques du jeu de la jeune flûtiste autrichienne, Daniela Koch, lauréate du prestigieux concours de l'ARD à Munich. Des œuvres très différentes comme l'ondoyante Undine de Reinecke, la plus sombre et ambiguë Sonate de Prokofiev où l'humour quelque peu grinçant semble faire pendant à la tragédie de la seconde guerre mondiale, puisque composée en 1942, ou encore le très virtuose Cantabile et Presto d'Enescu, la Sonate d'Hindemith, puissante et originale, et l'Aria d'Ernst von Dohnanyi, lyrique et pourtant si rarement jouée. Un bien beau disque, une flûtiste à suivre ….

 

Patrice Imbaud.

 

 

Martial CAILLEBOTTE: Dies Irae. Une Journée. Psaume 132. Chœur régional Vittoria d'Ile de France & Orchestre Pasdeloup, dir. Michel Piquemal. Karine Deshayes. Clémentine Margaine. Philippe Do.  Boris Mychajlizyn. Rudi Frenandez-Cardenas. Eric Génovèse. 1 CD HORTUS 117. TT : 77'29.

 

Un disque superbe et original marquant une deuxième étape dans l'exploration de l'œuvre de Martial Caillebotte (1853-1910) entreprise par Michel Piquemal et son Ensemble Vittoria. Après un premier disque permettant la découverte de la Messe Solennelle de Pâques, voici un nouvel album contenant trois œuvres nouvelles du « frère oublié ». Martial Caillebotte, compositeur, frère de Gustave, peintre pionnier du mouvement impressionniste, frère également d'Alfred, curé de Notre Dame de Lorette où seront créés la Messe de Pâques et le Dies Irae. Le Dies Irae, composé vers 1880,  est une œuvre grandiose pour grand orchestre, chœur et deux voix solistes (Karine Deshayes, soprano et Philippe Do, ténor). Une Journée est une succession de scènes pour orchestre et chœur, mêlant poésie (Eric Génovèse, récitant) et musique, dans le genre du mélologue. Les textes ouvrant chaque tableau musical sont d'Édouard Blau, librettiste célèbre de Massenet, Offenbach, Franck et Lalo. Le Psaume 132 est bien sûr un chemin mystique vers Dieu, mais c'est également un hymne au bonheur fraternel, à la joie de vivre ensemble comme l'ont fait les frères Caillebotte pendant de nombreuses années, une sorte d'hommage à la vie commune. Trois œuvres bien différentes qui permettent à l'auditeur d'apprécier, tout à la fois, la technique compositionnelle et la sensibilité du compositeur. Une découverte à ne pas manquer d'autant que l'interprétation vocale et instrumentale est à la hauteur de l'intérêt musicologique. Magnifique !

 

 

 

Patrice Imbaud.

 

 

Anthony PLOG. Arkadi NESTEROV. Ryamond LOUCHEUR. François TASHDJIAN. Ellen Taafe ZWILICH : Great Trumpet Concertos. Thierry Gervais, Trompette. Moscow Symphony Orchestra. Ensemble de Cuivres et Percussions de Solistes de Paris. Paris Clarinet Sextet. Utopia. 1 CD Indésens : INDE068. TT : 62'32. 

 

Le trompettiste normand, membre de l'Orchestre des Gardiens de la Paix, Thierry Gervais continue son exploration méthodique du répertoire injustement méconnu de la trompette avec ces œuvres toutes composées au XXe siècle. Anthony Plog (*1947) Arkadi Nesterov (1918-1999) Raymond Loucheur (1899-1979) François Tashdjian (*1974) et Ellen Taafe Zwilich (*1939) y trouvent très naturellement leur place, permettant de plus au trompettiste français  de faire montre de tout son savoir faire musical, alliant lyrisme, expressivité, virtuosité et une superbe sonorité. Bravo à Thierry Gervais et un grand merci au label Indésens pour son indéfectible acharnement à défendre les vents français qui le méritent bien.

 

Patrice Imbaud.

 

 

Wolfgang RIHM. Et Lux. Huelgas Ensemble & Minguet Quartett, dir. Paul van Nevel.  1CD ECM New Series Universal Music 481 1585. TT : 61'32.

 

Voilà un très beau disque de musique sacrée contemporaine. « Et Lux » est une œuvre composée en 2009, par le compositeur allemand né en 1952 à Karlsruhe, Wolfgang Rihm. Compositeur très prolifique avec plus de 400 œuvres à son catalogue, compositeur important, sorte de pont tendu entre les univers créatifs du 20e et 21e siècle, Wolfgang Rihm a su refuser la radicalité outrancière pour s'inscrire dans la lignée des nouveaux romantiques associant dans un syncrétisme parfaitement réussi, héritage du passé, regard autobiographique et travail très abouti sur la forme. Il s'agit, ici, d'une œuvre pour petit ensemble vocal et quatuor à cordes, sorte d'errance musicale sur des textes éclatés de la liturgie romaine du Requiem. Mêlant méditation et mémoire, espoir et inquiétude, la musique se fait souvent évanescente ouvrant des espaces jusqu'à présent inconnus où l'austérité des voix le dispute aux fulgurances incisives des cordes. Une musique des ténèbres qui ne cesse de faire entrevoir la Lumière. Magnifique !  

 

Patrice Imbaud.

 

 

Pierre BARTHOLOMÉE :  Œdipe sur la route. Opéra en quatre actes.  Livret d'Henry Bauchau. José van Dam. Valentina Valente. Jean-François Monvoisin. Hanna Schaer, Ruby Philogene Orchestre Symphonique & Chœurs de la Monnaie, dir. Daniele Callegari. 2CDs Evidence Classics : EVCD011. TT : 73'27 + 52'28.

Ce coffret de 2 CDs présente en première mondiale le premier opéra du compositeur belge Pierre Bartholomée (*1937) d'après le roman éponyme du poète Henry Bauchau (1913-2012). Enregistrement « live » capté lors de la création mondiale de l'opéra en mars 2003 au Théâtre Royal de la Monnaie à Bruxelles. Pierre Bartholomée, compositeur wallon, est assurément une figure majeure de la musique contemporaine, fondateur avec Henri Pousseur du groupe Musiques Nouvelles. L'argument nous conte ce qu'il advint d'Oedipe entre les deux tragédies de Sophocle, Œdipe roi et Œdipe à Colone. L'histoire du douloureux chemin qui conduira le héros de Thèbes à Athènes, en compagnie de sa fille Antigone et d'un brigand de rencontre, Clios qui décide de les accompagner. Après avoir sculpté une vague immense dans la falaise, invité par Diotime, puis guéri par Calliope, il reprendra son chemin pour se perdre dans la couleur d'un tableau, sur une route que Clios lui a peinte. C'est bien en fait la question de la possibilité d'échapper à son destin et l'accession au salut qui représentent le cœur de l'œuvre. Un long et douloureux chemin, véritable parcours initiatique vers la rédemption dans et par l'art, vague réminiscence des propos d'André Malraux affirmant en son temps la fonction anti destin de l'art. Un vaste programme, une réflexion profonde et intime, chaotique à l'évidence, se faisant pas à pas, au rythme d'une errance laborieuse où la progression des pas marque la progression de l'être vers la lumière et l'acceptation de soi. La musique atonale et abrupte de Pierre Bartholomée transcrit admirablement cette  difficile quête de soi, par son archaïsme, sa rudesse, ses ruptures entretenant un climat constamment oppressant et dramatique. La distribution vocale est dominée par l'immense baryton José van Dam qui trouve, ici, un de ses derniers grands rôles. L'appréciation demeurera plus réservée concernant le reste du casting vocal du fait d'une diction parfois défaillante pénalisant la compréhension de l'œuvre. Un opéra d'accès un peu difficile, à la beauté rude et tragique.

 

Patrice Imbaud.

 

 

Gérard GASTINEL : Lune, conte musical. Raconté par Daniel Mesguich et joué par les élèves des conservatoires de la Ville de Paris, en classe de piano et percussions. Réalisation Bruno Raymond-Damasio. 1DVD La Mandarine Production. TT.: 90'.

 

Quelle belle initiative de créer ainsi une œuvre pour des jeunes élèves des conservatoires ! Gérard Gastinel (*1949), compositeur prolixe, original, élève de Messiaen, Berio, Stockhausen, Kurtag, Jolas…a écrit ce conte percussif en 1993. Le texte est dit par le célèbre comédien Daniel Mesguich qui a une grande habitude du micro. La captation, très simple, nous montre ces élèves, jeunes, très appliqués, tout de blanc vêtus, heureux de jouer à trois, quatre, six, sur un piano, des petites parties de musique très percussives qui, au final, font une œuvre de plus de trente minutes très agréable à écouter. Cette aventure, dans le DVD, est accompagnée par des interviewes de Gastinel, Mesguich, et on assiste aussi aux répétitions avec les professeurs. Cette expérience a été faite dans des conservatoires de l'Ouest de Paris (15, 16, 17ème). Il serait intéressant de voir une telle action dans des lieux où la culture musicale « classique » est peut-être moins favorisée. Avec ce DVD c'est un bon vecteur pour la faire aimer.

 

 

Stéphane Loison.

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MUSIQUE ET CINEMA

ENTRETIEN

 

Ronan Maillard : La relève !

 

© Julien Duhem

 

 

Il est jeune, il a une solide formation musicale, il n'est pas encore connu, il a du talent. Il a accepté cet entretien, le premier, à l'occasion de la sortie du film de Xavier Giannoli, « Marguerite », pour lequel il a écrit une musique de grande qualité.

 

Comment êtes-vous arrivé sur le film « Marguerite » de Xavier Giannoli ?

 

En fait j'ai rencontré Xavier Giannoli sur son film précédent qui s'appelle « Superstar » sur lequel j'étais orchestrateur ; je n'étais pas compositeur. C'était Sinclair, avec qui j'ai déjà travaillé sur d'autres films, qui l'était. Il avait besoin d'orchestration.

 

C'est vous qui faisiez le boulot en fait ?

 

Disons que nous sommes complémentaires : lui il est plus pop, et lorsqu'il a besoin de musique orchestrale il fait appel à moi ! On a travaillé de concert avec Xavier Giannoli, on s'est retrouvé, le même trio, sur une publicité pour le Club Méditerranée, l'année dernière, avec la chanson des Bronzés « Darla Dirladada » et Thierry Lhermitte. Il fallait lui donner un air classique parce que cette publicité est un ballet dans un opéra. C'était un exercice intéressant. J'ai eu un peu plus de contact avec Xavier à ce moment là. Xavier pour « Marguerite » n'avait pas besoin d'un compositeur, il avait besoin de quelqu'un qui ait un bagage classique important, qui puisse l'aider et puisse aussi écrire un peu de musique pour les transitions, donc un peu de musique originale.

 

Hélas il n'y a pas les 50% pour être éligible au César et vous le mériteriez !

 

Non, il y a onze minutes de musique originale et plus du double en musique de répertoire.

 

Donc si on reprend votre participation sur la bande son du film, il y a des arrangements de musiques classiques additionnelles, mais surtout un travail énorme par rapport aux arrangements des airs que chante la comtesse. Les critiques parlent surtout de la performance de Catherine Frot mais pas du tout du travail impressionnant que vous avez réalisé. Arriver à chanter faux sur des airs et être dans le rythme, c'est un travail extraordinaire.

 

Oui la performance de Virginie Gatino, la voix de Marguerite, est assez extraordinaire. Je ne la connaissais pas, elle a été découverte par casting, ce n'est pas une professionnelle mais une très bonne amateur, capable de chanter juste et faire cette voix terrible pour les cordes vocales, c'était un sacré exploit !

 

Comment avez-vous travaillé avec elle ?

 

On a travaillé en plusieurs fois. Les voix de Marguerite ont été faites en République Tchèque pour faire les play-backs. Quelques modifications ont été refaites en studio, au moment où je suis arrivé sur le projet. Je suis arrivé une fois le film tourné, ils débutaient le montage en janvier. Lorsqu'on a commencé les airs du répertoire on a vu qu'il y avait des petites rustines de voix à faire sur l'air de Chérubin par exemple.

 

Est-ce à partir des voix de Virginie Gatino que vous avez dû faire les enregistrements orchestraux ?

 

Ils ont tourné avec une version de référence que Xavier aimait beaucoup, mais à cause des problèmes de tournage elle ne pouvait être gardée. J'ai dû reprendre et relever les tempi qui correspondaient à la version du tournage, pour être synchrone et adapter l'orchestration à l'univers qui régnait sur le plateau du tournage. On a réenregistré sans avoir la voix dans l'oreille, ce qui a été très compliqué pour l'orchestre afin de se caler sur un tempo qui était extrêmement changeant.

 

Vous travailliez donc au clic comme pour un dessin animé ?

 

Oui, il y avait une cinquantaine de musiciens qui jouaient au clic. Marguerite chantait de manière très instable, et c'était quelque chose de très compliqué. L'orchestre était très réactif, c'était faisable mais ce n'a pas été le plus facile.

 

Alors il y a des morceaux classiques que vous avez réenregistré et arrangé avec un orchestre belge.

 

Oui, King Arthur de Purcell, l'air du duo des fleurs de Lakmé de Léo Delibes…

 

Et vous avez quand même écrit de la musique originale qui est à mon avis très originale et décalée par rapport à l'histoire. Comment avez-vous travaillé avec le réalisateur ?

 

Xavier Gianolli est un artiste qui s'implique totalement dans la musique. Il a fait d'énormes recherches musicales de tous les styles en amont du tournage, et il avait très envie d'insuffler une direction musicale pour le compositeur qui allait travailler avec lui. Il avait choisi plusieurs morceaux qui correspondaient à l'univers musical qu'il voulait. J'en ai pris bonne note tout en gardant une certaine distance parce que je n'allais pas refaire la même musique qu'il avait choisie pour son montage. C'est un travail de ping pong qui s'est fait entre les compositions que je lui ai proposées, en essayant d'apporter une certaine vision que je pouvais avoir. Il me demandait de faire des contre propositions, ce n'était pas évident par rapport aux musiques qu'il avait mises pour monter.

 

Vos musiques ont des accents très contemporains...

 

J'avais très envie de rester globalement dans le XXème siècle, ce qui veut dire que je me suis nourri un peu de tout ce qu'il avait mis lui-même dans la vie musicale du XXIème siècle. L'important c'était aussi de retranscrire par certains côtés l'univers sonore dans lequel pouvait vivre Marguerite. On ne sait pas ce qu'elle entendait. On a l'impression qu'elle vit dans un monde très particulier, donc j'ai fait un choix avec des dissonances, des notes décalées par rapport à certaines harmonies, pour instaurer ce climat de bizarrerie d'une certaine manière, et puis, petit à petit, pouvoir donner une certaine sensation de folie peut-être, une folie douce bien sûr, intérieure, sonore, qui puisse retranscrire ce qui se passe à l'image aussi.

 

Retour en arrière : vous avez fait des études classiques, vous avez fait des arrangements pour de la variété. Comment avez-vous commencé dans ce milieu ?

 

J'ai fait pas mal d'arrangements. En sortant de mes cours j'avais déjà travaillé sur des courts-métrages, sur des projets de chansons autoproduits, mais je voulais surtout faire de la musique de film, même avant d'entrer au conservatoire. A l'époque, le conservatoire trouvait que cette musique était de la sous musique.

 

Comment avez-vous débuté dans ce domaine ?

 

J'ai rencontré au sein du conservatoire un arrangeur, Joseph Racaille, lors d'un atelier d'arrangement de chansons françaises. Il a travaillé avec Alain Bashung, Vincent Delerme, un très grand arrangeur. Il m'a rappelé plusieurs années après mes études pour me proposer un projet d'arrangement qu'il ne pouvait pas faire : des arrangements pour de la musique de film, juste comme cela ! C'était vraiment incroyable. Il s'agissait d'arrangements de cordes pour un film, le premier film d'Olivier Baroux qui s'appelle « Ce soir je dors chez toi », une comédie romantique. C'était en 2007. Le compositeur était Martin Rappeneau, le fils du réalisateur Jean-Paul, qui vient de la musique pop, un chanteur, auteur, compositeur. J'ai débuté ainsi et ça continue.

 

Vous avez fait une classe sur la musique du XVIème siècle...

 

Oui sur la polyphonie du XVIème avec Olivier Trachier. Mais j'ai passé plus de temps en classe d'harmonie avec Jean François Zygel, et pour la fugue et la forme avec Thierry Escaich, un très grand musicien. Ce fut une formation que j'ai adorée !

 

Vous dites que vous avez toujours voulu composer de la musique de film, vous avez des souvenirs des premières que vous avez écoutées ?

 

J'ai toujours baigné dans la musique classique. Mon père était altiste au Philharmonique de Radio France. Il vient juste de prendre sa retraite. J'étais souvent au studio 104 de Radio France, et à Pleyel. Cela m'a formé l'oreille, à l'orchestre. En tant que pianiste, j'étais plus intéressé par l'improvisation au piano, je n'étais pas un grand pianiste et je me suis assez vite tourné vers la composition.

 

C'était du jazz alors ?

 

Non c'était classique. Le jazz, à l'époque, je ne le connaissais pas trop. C'est par mes recherches personnelles que je l'ai découvert et par une petite initiation au CNSMDP. J'étais plus orienté classique, plus symphonique, musique à thème, harmonique, comme les musiques de John Williams, « ET », « Indiana Jones », elles m'ont donné envie de composer pour le cinéma.

 

Les réalisateurs de courts-métrages pour qui vous avez composé ne sont pas passés au long ?

 

Certains ont pris des chemins différents, d'autres comme Nolwenn Lemesle, avec qui j'avais fait son premier court, m'a rappelé, il y a trois ans, pour son long «Des morceaux de moi», où il y avait un peu de musique originale. Elle en prépare un deuxième en ce moment et on est en contact assez régulièrement. J'ai travaillé aussi avec un réalisateur chilien que j'aime beaucoup, Nicolas Lasnibat, et que j'ai rencontré en traînant à La FEMIS. Lui aussi prépare un long.

 

C'est une bonne idée d'aller à La FEMIS ?

 

Quand on commence c'est une bonne école car tout le monde a à apprendre de tout le monde. C'est là où l'on rencontre les futurs grands. A l'époque, il fallait se débrouiller. Aujourd'hui il y a plus de transversalité entre conservatoire et écoles de cinéma.

 

Vous avez donc surtout travaillé comme arrangeur et orchestrateur pour le cinéma. C'est un peu frustrant. C'est quand même vous qui êtes le vrai compositeur, non ?

 

C'est un travail qui n'est pas toujours évident.

 

Vous êtes le ''nègre'', vous amenez la substance...

 

On peut le penser ainsi. C'est quand même trop négatif. C'est pour moi comme un exercice d'entraînement par certains côtés, qui est très enrichissant en fait, car on peut apporter beaucoup de choses…

 

D'accord, mais ce n'est pas vous qui signez !

 

Non, mais parfois on cosigne, ça peut arriver. Mais de temps en temps les compositeurs avec qui je travaille sont des gens qui m'apportent une structure totale avec une mélodie et des arrangements bien ficelés.

 

Lorsqu'on écoute « Marguerite » on n'a pas l'impression que vous avez fait de la variété !

 

Non, parce que « Marguerite » c'était un nouvel exercice, c'est vraiment marginal par rapport à ce que j'avais fait. La majorité des arrangements que j'ai composés sont plutôt pour orchestre. J'ai posé de temps en temps des cordes sur de la variété mais ça reste marginal.

 

On arrive à en vivre ?

 

Ce n'est pas très évident, c'est la première fois que je suis vraiment compositeur sur un film, ce qui veut dire que je n'ai pas beaucoup d'expérience pour savoir si je peux en vivre ou pas. En tant qu'arrangeur, j'ai réussi à en vivre jusqu'à maintenant, mais ça n'a pas toujours été le cas. J'ai été professeur de composition, d'harmonie, d'arrangement à Clamart pendant quelques années, de 2004 à 2010,  pour les adolescents, pour les initier à l'écriture, à la composition. A partir de 2007 c'est devenu trop compliqué de mener de front les deux activités et je ne me suis consacré qu'à la musique de film qui est ce que je voulais faire à la base.

 

Quelle est votre actualité ?

 

Je travaille sur un nouveau film en tant qu'orchestrateur, le prochain film d'Olivier Baroux avec Martin Rappeneau encore. On est un tandem qui marche bien depuis 2007.

 

Vous êtes payé correctement ?

 

Oui, correctement ! Sur sept ans on peut en vivre, mais il y a eu des moments où c'était plus compliqué ; ça s'équilibre. C'est un métier où il faut savoir donner beaucoup. J'ai travaillé souvent gratuitement, pour des projets où j'ai eu des coups de cœur et j'espère le faire encore. C'est un moyen de rencontrer de nouvelles personnes.

 

Ce CD sur « Marguerite », qui vient de sortir, me pose problème : c'est dommage que votre superbe musique ne soit pas plus mise en valeur.

 

La musique originale dans « Marguerite » reste un pourcentage assez faible.

 

On peut écrire une sublime musique de quelques minutes et faire du Zimmer sur deux heures !

 

Je suis d'accord avec vous, mais lorsqu'on a pensé à faire ce disque, j'avais très envie d'en faire pratiquement un film sonore, revoir le film se dérouler dans notre tête une fois qu'on l'a vu. C'était impossible de mettre d'un côté la musique originale et de l'autre les musiques additionnelles. C'était celle aussi de Marie Sabbah qui a été superviseuse musicale. Je voulais que l'on retrouve la continuité du film,  avec un peu de dialogue.

 

Les musiques additionnelles sont-elles  les choix du réalisateur ?

 

Oui totalement. Le Nyman ne se trouve pas dans le film et compte tenu des problèmes que pouvait poser cette musique, j'avais écrit un morceau à la Mozart, en cas. C'était une manière de rappeler que la première fois qu'on  entend Marguerite, c'est sur du Mozart. J'utilise la petite cellule de La Flûte enchantée puis on s'en démarque pour rester dans l'esprit, au sens lourdaud du Nyman, pour lequel il est utilisé.

 

Avez-vous une idée sur la musique du film mise sur un support, loin de l'image pour laquelle elle a été composée ?

 

J'y vois un intérêt. Elle peut donner des réminiscences du film, elle peut aussi apporter une certaine émotion qu'on n'avait peut-être pas avec les images. Je suis ravi que ma musique soit sortie en CD. Je l'ai pensée comme une musique pure.

 

Et nous nous sommes ravi de pouvoir l'écouter !

 

Propos recueillis par Stéphane Loison.

 

 

BO en CDs

 

 

SON OF A GUN : Réalisateur : Julius Avery. Compositeur : Jed Kurzel. 1CD Milan 399 623-2

Le réalisateur et scénariste australien Julius Avery (vainqueur à Cannes, Sundance et Berlin pour « Jerrycan », en 2008) sort son tout nouveau thriller, avec Ewan McGregor et Brenton Thwaites. Emprisonné pour un délit mineur à l'âge de 19 ans, JR apprend vite les dures réalités de la vie carcérale. Un monde dans lequel la protection est vitale pour survivre et JR se retrouve très rapidement sous l'œil vigilant du criminel le plus célèbre d'Australie, Brendan Lynch. Mais sa protection a un prix : Lynch et son équipe ont des plans pour leur jeune protégé. Après sa libération, JR doit aider Lynch à mettre en œuvre une évasion audacieuse. En récompense, il intègre son gang et se retrouve en première ligne d'un hold-up à haut risque. Les choses tournent mal…La musique originale de « Son of a Gun » a été composée par Jed Kurzel, le leader du groupe australien The Mess Hall. Le groupe a souvent été comparé aux White Stripes et aux Black Keys. Sa musique électronique expérimentale porte à merveille l'incroyable tension du film. L'album contient également l'onirique « Enter One » de Sol Seppy.

 

 

https://www.youtube.com/watch?v=GwvgTUcVh-Y&list=RDGwvgTUcVh-Y

 

 

THE LONGEST RIDE : Réalisateur : George Tillman Jr.. 1CD Milan Music 399 707-2

The Longest Ride (« Chemins Croisés » en français), adapté du best-seller de Nicholas Sparks du même nom, est l'histoire d'amour entre un champion de rodéo (incarné par Scott Eastwood, le fils de Clint Eastwood) en plein come-back, et une étudiante (Melissa Benoist) sur le point de s'embarquer pour le job de ses rêves à New York, dans le monde des arts. Alors que les épreuves se mettent en travers de leur relation, le couple fait la rencontre inattendue d'un vieil homme qui leur raconte sa propre histoire d'amour, forte de plusieurs décennies… Traversant les générations, « Chemins Croisés » explore les difficultés et les récompenses de la passion. La musique de « Chemins Croisés » est la compilation parfaite de pop, rock et country qui porte l'intrigue du film à merveille : Ben & Ellen Harper, Black Pistol Fire, Ryan Adams…

 

 

https://www.youtube.com/watch?v=R4MLTyRMVSg&list=PL5Qpj_lxi9tvIhz6fE0acokcUhOBN4CtV

 

 

NORTHMEN : Réalisateur : Claudio Fäh. Compositeur : Marcus Trumpp.  1CD Milan Music : 399 592 -2

Menée par Asbjörn, une bande de guerriers Vikings partie piller la Bretagne fait naufrage non loin des côtes écossaises. Coincés en territoire ennemi, ils vont tenter d'attendre la place forte de Danelag alors que le Roi d'Écosse lance des mercenaires sanguinaires sur leurs traces. Des chasseurs qui vont bientôt devenir les proies des Vikings...Ces dix dernières années, Marcus Trumpp a écrit, orchestré et enregistré la musique de nombreux films, séries TV, publicités et multimédia aux États-Unis, en Allemagne, en Angleterre et en Chine. Depuis son arrivée à Hollywood en 1998, on a pu entendre sa musique dans « I, Robot », « Underworld : Evolution » ou encore dans le jeu vidéo « Medal of Honor ». Il a composé pour « Northmen » une musique orchestrale magnifique qui porte l'action et l'héroïsme du film. L'album contient également le titre « Warriors of the North » du groupe de Death Metal mélodique suédois Amon Amarth.

 

 

https://www.youtube.com/watch?v=Wg_j5iJAyPo&list=PLcu2mQ8t2yieBZ7pSCRMJYp6HLKeEWN9P&index=3

 

 

Dr No : Réalisateur : Terence Young. Compositeur :Monty Norman  - John Barry. 1CD Milanrecords : n°399 740-2

Milan réédite le CD de la musique du premier James Bond avec le thème mythique écrit par Monty Norman, arrangé par John Barry qui composera les films suivants.  L'ambiance de la Jamaïque où se déroule l'histoire est dans cette musique. Et puis il y a le fameux thème qu'Ursula chante en sortant de l'eau avec son érotique maillot blanc, « virginale » ! Toute une époque, toute une musique, qu'on peut écouter encore et encore. My name is Bond, James Bond ! Un Indispensable for ever !

 

 

https://www.youtube.com/watch?v=mj7rZRKrJ-c

 

 

MARGUERITE : Réalisateur : Xavier Giannoli. Compositeur :Ronan Maillard. 1CD BOriginal n°BO-020

A Paris, dans les années 1920, Marguerite, une aristocrate vieillissante et mélomane, est une passionnée de musique. Persuadée que sa voix est un don de la nature. Elle a plaisir à chanter devant ses amis, mais elle chante excessivement faux, et ses amis et sa famille n'osent lui dire la vérité. Un jour elle décide de chanter à l'Opéra...Voilà une tragi- comédie où la musique est au centre du propos. Lumière, décor, costumes et Catherine Frot sont parfaits. Une mise en scène classique. Si les airs que chante Marguerite sonnent faux, il faut reconnaître que le travail exceptionnel de Virginie Gattino, la voix, est juste. Le compositeur Ronan Maillard a arrangé et dirigé les « tubes » classiques de Purcell, Delibes…. Il a écrit des thèmes originaux magnifiques. Il a une place aussi importance à prendre dans ce film que les autres « arts » cités par la critique. Mais comme d'habitude, celle-ci est sourde et césarise déjà l'actrice, parce qu'elle chante faux, un comble ! Dans le disque on se rend compte encore mieux de la qualité de la musique de Ronan Maillard. C'est un compositeur que l'on connaît peu mais qui a fait beaucoup d'arrangements, d'orchestrations. Le CD pose le problème de la continuité musicale. L'éditeur a choisi l'ordre du film. Bien sûr on s'amuse à entendre les airs chantés faux, mais il aurait fallu mettre plus en valeur la musique de Ronan Maillard et insérer « les musiques additionnelles » à la fin du disque, ainsi que les inécoutables, ceux chantés faux. On trouve aussi des morceaux classiques, non arrangés, de Bach, Vivaldi, Mozart, Honegger, et même un extrait de « Meurtres dans un Jardin Anglais » de Nyman …Voilà un disque pour ceux qui ont envie de retrouver les moments plus ou moins comiques de Marguerite. C'est quand même une torture. Il faut écouter les compositions originales de Ronan Maillard perdues au milieu des fausse notes ; il mériterait d'être césarisé, foi de critique !

 

 

 

U.N.C.L.E. : Réalisateur :Guy Ritchie. Compositeur : Daniel Pemberton. 1CD Sony Classical : n°88875127472

En pleine guerre froide, les agents secrets de la CIA et du KGB, Solo et Kuryakin, sont contraints de faire une trêve et d'unir leurs forces pour une mission commune : déjouer les plans d'une organisation criminelle internationale déterminée à propager l'arme nucléaire au niveau mondial. Avant tout, ils doivent retrouver un scientifique allemand porté disparu.  On se souvient de la série pour le petit écran dans les années 60-70, avec Robert Vaughn et David Mc Callum, où l'humour british était très présent. Ici, on a aussi tous les clichés du film d'espionnage dans la veine de « Spy », « Kingsman » ; point d'effets spéciaux à tout va, l'esprit de James Bond souffle sur cette aimable comédie. Guy Ritchie est un bon faiseur. Pour la musique c'est une bonne surprise. Le réalisateur a abandonné Zimmer pour ce compositeur qui réussit à nous faire oublier ce qu'il avait écrit pour Ridley Scott. Peut-être ce film l'a-t-il inspiré. Sa musique apporte énormément à l'ambiance désuète, drôle, et fort bien mise en scène. L'écoute du CD est même suffisante pour apprécier le style de ce compositeur. Une réussite anglaise pour ce musicien connu pour ses musiques de séries et de documentaires. En bonus, « Compared To What » de Roberta Flack, « Jimmy,Renda Se » de Tom and Valdez, le « Cry to Me » de Solomon Burke, le « Five Months… » de Louis Prima, « Che Vuole Questa Musica Stasera» de Peppino Gagliardi, « Il Mio Regno » de Luigi Tenco et le « Take Care Of Business » de Nina Simone.

 

 

https://www.youtube.com/watch?v=2y-NaW-WK3E

 

 

SOUTHPAW : Réalisateur : Antoine Fuqua. Compositeur : James Horner. 1CD Sony Classic : n°88875099352.

« La Rage au Ventre » - titre français – est un drame soutenu par les poings et la musculature étonnante de Jake Gyllenhaal alias Billy Hope. Il est champion du monde de boxe, il est marié à une femme superbe, est père d'une ravissante fillette et gagne beaucoup d'argent. Mais lorsque sa femme est tuée, tout s'écroule autour de lui. Il perd sa fortune, sa maison, et la garde de sa fille. Au fond du trou, il fait une rencontre qui va tout changer : grâce à Tick Willis, un ancien boxeur, Billy reprend l'entraînement. La musique de James Horner, une des dernières avant son accident d'avion, est méconnaissable. Lui qui mettait souvent une teinte irlandaise dans ses arrangements, propose ici une musique carrément électronique avec un accord de piano et percussions ;  une musique minimaliste, comme une spirale d'où le héros n'arrive pas à s'en sortir. Une musique tragique qui sous-tend le drame que vit Billy Hope. Cette musique planante en CD est, soyons franc, pour les collectionneurs de BO et plus particulièrement ceux de James Horner. Peut-être était-elle une nouvelle expérience musicale de James Horner ? Qui pourrait nous répondre ? Il faudrait poser la question à Antoine Fuqua qui vient de tourner le remake des « Sept Mercenaires » avec l'ultime musique de Horner.

 

 

https://www.youtube.com/watch?v=t89XQIdKim8

 

 

TESTAMENT OF YOUTH : Réalisateur : James Kent. Compositeur :Max Richter. 1CD Milanrecords : n°399687-2

Printemps 1914. Jeune femme féministe à l'esprit frondeur, Vera Brittain est résolue à passer les examens d'admission à Oxford, malgré l'hostilité de ses parents particulièrement conservateurs. Décidée à devenir écrivain, elle est encouragée et soutenue par son frère et sa bande d'amis – et notamment par le brillant Roland Leighton dont elle s'éprend. Mais les rêves de Vera se brisent au moment où l'Angleterre entre en guerre et où tous les jeunes hommes s'engagent dans l'armée. Elle renonce alors à écrire pour devenir infirmière. Tandis que la jeune femme se rapproche de plus en plus du front, elle assiste avec désespoir à l'effondrement de son monde. Préparez vos mouchoirs ! C'est le premier film de ce réalisateur plus connu pour ses documentaires et c'est une réussite. Tout est en place pour suivre le chemin de Vera magnifiquement interprété par la superbe suédoise Alicia Vikander qui nous avait ému dans un autre drame « Royal Affair ». Si nous n'avons pas souvent été tendre avec les BO de Max Richter, il faut reconnaître qu'il offre ici une magnifique bande son. Le succès de ses arrangements des quatre saisons de Vivaldi est incompréhensible. Il vient d'écrire une musique « soporifique » interprétée à Berlin : « Sleep » qui dure huit heures ! C'est un artiste qui sait faire parler de lui, qui sait faire du copier coller, comme le font de nombreux artistes actuellement, avec aussi bien Bach que les Beatles. Il écrit de la musique minimaliste dans le style américain ou bien de l'électro. Il compose pour l'opéra, pour des installations d'art contemporain, la télévision, le cinéma... Il a compris le système et sait s'en servir. Par contre, ici, il a composé une musique simple, inspirée, minimaliste, avec un éclairage romantique, qui ne mange pas l'image. Il a compris que l'histoire est forte et qu'il est inutile de la surligner. James Kent y est sûrement pour beaucoup. Cette histoire germano-britanique, comme ses origines, l'a peut-être inspiré. A l'écoute du disque, les images de ce beau film nous reviennent en mémoire. Une bien belle BO pour un bien beau drame.

 

 

https://www.youtube.com/watch?v=tMqaQiOQ8kY&list=RDtMqaQiOQ8kY#t=17

 

 

ROBOCOP : Réalisation : Paul Verhoeven. Compositeur : Basil Poledouris. 1CD Milanrecords / n°399 715-2

« Conan le Barbare », « L'Adieu au Roi », « A La Poursuite d'Octobre Rouge», « Con Air » ce sont quelques BO remarquables de ce compositeur disparu il y a une dizaine d'année. Pour cet iconoclaste de Paul Verhoven – il faut lire son livre fascinant sur la vie de Jésus qu'il a écrit pendant trente ans ! – il lui a composé des musiques passionnantes : « La Chair et le Sang »,  « Starship Trooper » et ce film à charge sur la société américaine « Robocop ». Voilà près de trente ans que ce film existe et il n'a pas pris une ride (le remake est totalement nul). Varèse avait sorti un CD de la BO, Milan édite un nouveau avec beaucoup plus de titres que le précédent et c'est tant mieux; « Main Title » est un petit bijou de musique de film. Le style de Polédouris, puissant, épique, est reconnaissable entre tous. Il faut réécouter ses musiques – « Conan Le Barbare » est un des chefs d'œuvres de la musique de film et « Robocop » est un bel exemple de BO que des jeunes compositeurs devraient écouter en boucle. Ce Cd tombe à pic ! Une belle réédition à mettre dans toutes les discothèques !

 

 

https://www.youtube.com/watch?v=wCr9WodM-Vo&list=PLFA0945E98E5394B6

 

Stéphane Loison.

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LA VIE DE L’EDUCATION MUSICALE

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Si vous souhaitez promouvoir votre activité, votre programme éditorial ou votre saison musicale dans L’éducation musicale, dans notre Lettre d’information ou sur notre site Internet, n’hésitez pas à me contacter au 01 53 10 08 18 pour connaître les tarifs publicitaires.  

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Baccalauréat 2016.

Épreuve de musique

LIVRET DU CANDIDAT

 

192 pages

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Consulter un extrait du Livret du Candidat

 


La librairie de L’éducation musicale

   

1.STOCKHAUSEN JE SUIS LES SONS

Ce livre, que le compositeur souhaitait publier dans sa maison d’édition à Kürten, se propose de présenter les orientations principales de la recherche de Karlheinz Stockhausen (1928-2007) à travers ses œuvres, couvrant sa vie et ouvrant un accès direct à ses écrits. Divers domaines investis par le plus grand inventeur de musique de la seconde moitié du xxe siècle sont abordés : composition de soi à travers les matériaux nouveaux ; découvertes formelles et structures du temps ; musique spatiale ; métaphore lumineuse ; musique scénique ; l’hommage au féminin de l’opéra Montag aus Licht ; Wagner, Stockhausen et le Gesamtkunstwerk, œuvre d’art total. Les témoignages des femmes qui l’ont accompagné dressent un portrait vif et saisissant de l’homme, artiste génial qui aimait plus que tout la musique et la recherche compositionnelle au nom du progrès de l’être humain...(suite)

2. ANALYSES MUSICALES VIIIè SIECLE - Tome 1

 

L’imbroglio baroque de Gérard Denizeau

 

BACH

Cantate BWV 104 Actus tragicus : Gérard Denizeau

Toccata ré mineur : Jean Maillard

Cantate BWV 4: Isabelle Rouard

Passacaille et fugue : Jean-Jacques Prévost

Passion saint Matthieu : Janine Delahaye

Phœbus et Pan : Marianne Massin

Concerto 4 clavecins : Jean-Marie Thil

La Grand Messe    : Philippe A. Autexier

Les Magnificat : Jean Sichler

Variations Goldberg : Laetitia Trouvé

Plan Offrande Musicale : Jacques Chailley

 

COUPERIN

Les barricades mystérieuses : Gérard Denizeau

Apothéose Corelli : Francine Maillard

Apothéose de Lully : Francine Maillard

 

HAENDEL

Dixit Dominus : Sabine Bérard
Water Music : Pierrette Mari

Israël en Egypte : Alice Gabeaud

Ode à Sainte Cécile : Jacques Michon

L’alleluia du Messie : René Kopff

Musique feu d’artifice : Jean-Marie Thill

3. LE NOUVEL OPERA

 

Publié l'année même de son ouverture, cet ouvrage raconte avec beaucoup de précisions la conception et la construction du célèbre bâtiment.
Le texte est remis en pages et les gravures mises en valeur grâce aux nouvelles technologies d'impression.

4. LEOS JANACEK, JEAN SIBELIUS, RALPH VAUGHN WILLIAMS - UN CHEMINEMENT COMMUN VERS LES SOURCES

Pour la première fois, le Tchèque Leoš Janácek (1854-1928), le Finlandais Jean Sibelius (1865-1957) et l'Anglais Ralph Vaughan Williams (1872-1958) sont mis en perspective dans le même ouvrage. En effet, ces trois compositeurs - chacun avec sa personnalité bien affirmée - ont tissé des liens avec les sources orales du chant entonné par le peuple. L'étude commune et conjointe de leurs itinéraires s'est avérée stimulante tant les répertoires mélodiques de leurs mondes sonores est d'une richesse émouvante. Les trois hommes ont vécu pratiquement à la même époque.
Ils ont été confrontés aux tragédies de leur temps et y ont répondu en s'engageant personnellement dans la recherche de trésors dont ils pressentaient la proche disparition. (suite).



5. JOHANN SEBASTIAN BACH - CHORALS

Ce guide s’adresse aux musicologues, hymnologues, organistes, chefs de chœur, discophiles, mélomanes ainsi qu’aux théologiens et aux prédicateurs, soucieux de retourner aux sources des textes poétiques et des mélodies de chorals, si largement exploités par Jean-Sébastien Bach, afin de les situer dans leurs divers contextes historique, psychologique, religieux, sociologique et surtout théologique.
Il prend la suite de La Recherche hymnologique (Guides Musicologiques N°5), approche méthodologique de l’hymnologie se rattachant à la musicologie historique et à la théologie pratique dans une perspective pluridisciplinaire. Nul n’était mieux qualifié que James Lyon : sa vaste expérience lui a permis de réaliser cet ambitieux projet. Selon l’auteur : « Ce livre est un USUEL. Il n’a pas été conçu pour être lu d’un bout à l’autre, de façon systématique, mais pour être utilisé au gré des écoutes, des exécutions, des travaux exégétiques ou des cours d’histoire de la musique et d’hymnologie. » (suite)

6. LES 43 CHANTS DE MARTIN LUTHER

Cet ouvrage regroupe pour la première fois les 43 chorals de Martin Luther accompagnés de leurs paraphrases françaises strophiques, vérifiées. Ces textes, enfin en accord avec les intentions de Luther, sont chantables sur les mélodies traditionnelles bien connues.
Aux hymnologues, musicologues, musiciens d'Eglise, chefs, chanteurs et organistes, ainsi qu'aux historiens de la musique, des mentalités, des sensibilités et des idées religieuses, il offrira, pour chaque choral ou cantique de Martin Luther, de solides commentaires et des renseignements précis sur les sources des textes et des mélodies : origine, poète, mélodiste, datation, ainsi que les emprunts, réemplois et créations au XVIè siècle... (suite)

7. LES AVATARS DU PIANO

Mozart aurait-il été heureux de disposer d'un Steinway de 2010 ? L'aurait-il préféré à ses pianofortes ? Et Chopin, entre un piano ro- mantique et un piano moderne, qu'aurait-il choisi ? Entre la puissance du piano d'aujourd'hui et les nuances perdues des pianos d'hier, où irait le cœur des uns et des autres ? Personne ne le saura jamais. Mais une chose est sûre : ni Mozart, ni les autres compositeurs du passé n'auraient composé leurs œuvres de la même façon si leur instrument avait été différent, s'il avait été celui d'aujourd'hui. Mais en quoi était-il si différent ? En quoi influence-t-il l'écriture du compositeur ? Le piano moderne standardisé, comporte-t-il les qualités de tous les pianos anciens ? Est-ce un bien ? Est-ce un mal ? Qui a raison, des tenants des uns et des tenants des autres ? Et est-ce que ces questions ont un sens ? Un voyage à travers les âges du piano, à travers ses qualités gagnées et perdues, à travers ses métamorphoses, voilà à quoi convie ce livre polémique conçu par un des fervents amoureux de cet instrument magique.

8. CHARLES DICKENS, LA MUSIQUE ET LA VIE ARTISTIQUE A LONDRES A L'EPOQUE VICTORIENNE

 

Au travers du récit que James Lyon nous fait de l’existence de Dickens, il apparaît bien vite que l’écrivain se doublait d’un précieux défenseur des arts et de la musique. Rares sont pourtant ses écrits musicographiques ; c’est au travers des références musicales qui entrent dans ses livres que l’on constate la grande culture musicale de l’écrivain. Il se profilera d’ailleurs de plus en plus comme le défenseur d’une musique authentiquement anglaise, forte de cette tradition évoquée plus haut.

Et s’il ne fallait qu’un seul témoignage enthousiaste pour décrire la grandeur musicale de l’Angleterre, il suffit de lire le témoignage de Berlioz (suite).



 

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Les analyses musicales de L'Education Musicale