À RESERVER SUR L'AGENDA
8/10
Où se croisent œuvres chorales d'hier et d'aujourd'hui
© DR
Dans le cadre des concerts du
Musée de Cluny, organisés en liaison avec le Centre de musique médiévale de
Paris, un intéressant programme, donné dans le frigidarium des thermes
antiques, rapprochera la Messe d'Igor Stravinsky et la messe de Notre-Dame de
Guillaume de Machaut, d'une part, et les Cantigas de Maurice Ohana et des
chants médiévaux, d'autre part. Ils seront exécutés par le Chœur Luce del Canto (24 chanteurs) accompagné de 14 musiciens, sous
la direction de Simon-Pierre Bestion. Si la Messe de
Stravinsky et les Cantigas de Maurice Ohana ont été composés au milieu du XXe
siècle, ces deux œuvres majeures puisent leur source, respectivement, dans
l'Ars nova et les œuvres monodiques du XIII ème siècle. On comprend alors l'intérêt, sans compter le charme particulier, de
croiser l'œuvre de Stravinsky et la Messe de Guillaume de Machaut (1300-1377),
tout comme les Cantigas d’Ohana et les Cantigas de Santa Maria assemblés à la
cour d’Alphonse X Le Sage (1221-1284), sans parler de l'occasion de rapprocher
les deux musiciens « modernes ». Une invitation au voyage des plus
enrichissantes que permet la juxtaposition d’une cascade infinie de sonorités
contrastées, telles qu'imaginées à l'époque médiévale, et de l’approche
spirituelle de Stravinsky ou de la vision « primitive » de Maurice Ohana.
Musée de Cluny, 6, Place Paul-Painlevé, 75005 Paris, le 8 octobre
2013, à 19H.
Réservations : auprès du Choeur Luce del Canto, 106 avenue Roger Salengro, 92370 Chaville
(chèque libellés à l'ordre du Choeur Luce del Canto) ; par tél.: 06 61 89 15 22 ; en ligne : http://www.lucedelcanto.com/
16 & 17/10
Thierry Escaich interprète la symphonie
pour orgue de Saint-Saëns
© Guy Vivien
Avec sa Troisième symphonie « Avec
orgue », Camille Saint-Saëns, grand défenseur du symphonisme français face à Wagner, signe une création originale, tout à fait de son
époque, dans le goût colossal. L’intervention de l'orgue ajoute une dimension
supplémentaire pour étoffer le son, qui explose notamment dans le finale
maestoso. Thierry Escaich en sera l'interprète
naturel, tout comme Paavo Järvi dont on mesure concert après concert l'affinité avec la musique française. Non
moins ardent défenseur de Sibelius, le chef ajoutera au répertoire de l’Orchestre de
Paris la Suite Karelia,
qui offre de magnifiques climats sonores. D’abord musique de scène avant d’être
morcelée en plusieurs partitions, il s’agit d’une évocation de l’histoire de la
Carélie, à l’est de la Finlande, conquise par la Suède avant d’être annexée par
l’Empire russe. Le choix de ce thème était bien sûr l’expression du
nationalisme croissant qui mènerait à la brève indépendance finlandaise en
1917, vingt-cinq ans plus tard. Les concerts proposeront encore, sous
les doigts de Jean-Frédéric Neuburger, le Concerto pour la main gauche de Ravel
(le 16/10) et le 2ème concerto pour piano de Liszt (le 17/10) : deux immenses
partitions dans lesquelles on admirera l'art du jeune pianiste français. On
sait que la pièce de Ravel, mise en chantier peu après le Boléro, est une commande du pianiste autrichien Paul Wittgenstein,
qui avait perdu le bras droit pendant la Première Guerre Mondiale. Énergique,
rythmique, stupéfiant parce qu’il ne met en jeu qu’une main, il est, disait
Marguerite Long, « aux dimensions d’un
univers calciné ».
Salle
Pleyel, les 16 et 17 octobre 2013, à 20 H.
Location
: 252, rue du faubourg Saint-Honoré, 75008 Paris
; par tel : 01 42 56 13 13 ; en ligne : www.sallepleyel.fr
18/10
Le grand siècle français : Musique de la « liturgie
baroque »
© DR
Toulouse compte, dans ses diverses
églises, une collection d'orgues unique en Europe. Dans le cadre de son
festival international annuel Toulouse les Orgues, un concert célébrera
les 450 ans de la naissance de Jehan Titelouze (1563-1633), considéré à juste
titre comme le père fondateur de la musique d’orgue française.
Michel Bouvard, à la tribune du précieux orgue baroque de la
très intime église Saint-Pierre-des-Chartreux, partagera le programme avec
l’Orchestre Les Passions, formation baroque en résidence à Montauban, lequel
sera dirigé par son fondateur Jean-Marc Andrieu. Des pièces d’orgue de
plusieurs autres compositeurs du XVIIè siècle, tels Henry Dumont, Guillaume Gabriel Nivers et Nicolas de Grigny, alterneront avec
des motets pour trois voix d’hommes de
Marc-Antoine Charpentier, autour du thème de la Vierge : Magnificat,
Salve Regina, Beata est Maria, Litanies à la Vierge…
Église Saint-Pierre des Chartreux, 21, rue Valade,
Toulouse, le 18 octobre, à 20H30.
Renseignements et réservations : Bureau
du festival, Église du Gesu / Entrée de la billetterie rue Furgole à Toulouse ;
par téléphone : 05 61 33 76 87 ; www.toulouse-les-orgues.org -
www.les-passions.fr
18 au 20/10
Un
Week-end turbulent à la Cité avec Pascal Dusapin
© DR
Pour
inaugurer ses week-end d'expérimentations musicales, intitulés Turbulences,
et organisés à la Cité de la musique, l'Ensemble Intercontemporain a fait appel à Pascal Dusapin. « Chemins de
traverse » forme le titre générique du programme concocté, entre musique
et langage. Trois concerts, qu'on nous annonce hors norme, festifs et
conviviaux, convoqueront aussi bien Johannes Ockeghem et Josquin Desprez qu'Edgard Varèse ou Giacinto Scelsi. Histoire de mesurer ce qui sépare le
raffinement de la polyphonie vocale des XV et XVI ème siècles de l'extrême puissance sonore dont se prévalent bien des maîtres du XX ème, comme de zigzaguer entre musique instrumentale et
chant sous toutes ses formes. On y entendra aussi Janacek, Reich et Berio,
comme Boulez, Eötvös et Morton Feldman. Et bien sûr
des compositions du maître d'œuvre Dusapin, dont Quad sur un texte de Samuel Beckett. Une conférence, le samedi après midi, sur
« La musique du cerveau : du bruit qui pense ? » devrait enrichir le
débat.
Cité de
la musique : les 18 octobre à 20H, 19 octobre, à 17H30 (conférence) et de 20 H
à Minuit, et 20 octobre à 16H30.
Renseignements
et location : Cité de la musique, 221, avenue Jean-Jaurès, 75019 Paris ; par
tél. : 01 44 84 44 84 ; www.citedelamusique.fr
22/10
Le Livre de Notre-Dame : une création à multiple visages
© DR
Pour célébrer le Jubilé des 850 ans de la
Cathédrale, Musique Sacrée à Notre-Dame de Paris a passé commande, pour son
chœur d'enfants, à quinze compositeurs d'une messe brève et de douze motets
réunis dans le Livre de Notre-Dame. Ces derniers, écrits pour certains en
latin et pour d'autres en français, forment un bouquet d'œuvres qui couvrent
toutes les thématiques principales de l'année liturgique. Volontairement, ces
pièces sont écrites par des compositeurs d'esthétiques très variées, formant
ainsi un florilège de la musique sacrée du début du XXIe siècle. Elles seront
exécutées pour la première fois lors d'un concert donné le 22 octobre prochain,
par la Maîtrise de Notre-Dame de Paris et le chœur d'enfants, sous la direction de Emilie Fleury et de Lionel Sow.
Yves Castagnet tiendra l'orgue de chœur.
Le
programme est le suivant:
- Jean-Baptiste Robin En clara vox
- Bruno Ducol Au premier commencement
- Jean-Pierre Leguay Du fond de l’abîme
- Caroline Marçot Lapis revolutus est
- Eric Lebrun Aujourd’hui
le créateur des jours
- Benoit Menut Un
grand vent s’est levé
- Yves Castagnet O notre Dame du soir
- Michèle Reverdy Femme revêtue de soleil
- Thomas Lacote Sancta et immaculata
- Vincent Bouchot Vers toi Seigneur
- Pierre-Adrien Charpy Voici le sacre du Royaume
- Vincent Paulet De fructu
- Edith Canat de Chizy Messe brève, Kyrie
- Thierry Escaich Messe brève, Sanctus
- Nicolas Bacri Messe brève, Agnus Dei
Notre-Dame
de Paris, 22 octobre 2013, à 20h30.
Renseignements et
location: accueil de la Cathédrale Notre-Dame de Paris ; par tel : 01 44
41 49 99 ; ou contact@msndp.com ou http://www.musique-sacree-notredamedeparis.fr/spip.php?article276
12/10 – 21/12
Les
Dialogues de Carmélites en trois propositions
© DR
Est-il
texte plus poignant dans sa retenue, son dénuement que les Dialogues des Carrmélites de Georges Bernanos ? Dans
son opéra, Francis Poulenc s'identifie totalement à ce sujet austère, proche
d'une tragédie intérieure, loin des passions habituellement traitées sur la
scène opératique, et coule sa musique sur cette belle prose nette et précise.
« J'ai pu écrire les Dialogues parce que ma vie a été à ce moment-là
traversée d'une tristesse profonde, j'ai pu les écrire sans inventer aucun
sentiment, ayant éprouvé totalement tout ce que je composais », dira-t-il.
De fait, l'adaptation sur la scène lyrique s'opère naturellement avec cette
même évidence qu'on décèle chez Debussy dans le Pelléas et Mélisande de Maurice Maeterlinck. L'écriture vocale, d'une grande liberté, triomphe d'un orchestre
pourtant nombreux, eu égard à son
absolue transparence. Mettre en scène cet opéra singulier n'est sans doute pas
aussi aisé qu'on le pense.
En cette année
anniversaire, par ailleurs plus chiche que prodigue pour le compositeur, trois
propositions sont offertes aux mélomanes : à l'Opéra de Lyon, du 12 au 26
octobre, sous la direction de Kazushi Ono et dans une
mise en scène de Christophe Honoré ; et simultanément à l'Opéra de
Nantes-Angers, du 15 octobre au 17 novembre, mis en scène par Mireille Delunsch et dirigé par Jacques Lacombe. Enfin, à Paris, au
Théâtre des Champs-Elysées, en décembre, du 10 au 21, avec une distribution
somptueuse, la régie étant assurée par Olivier Py et
la direction par Jérémie Rhorer.
Opéra de Lyon, les
12, 14, 16, 18, 22, 24, 26 octobre 2013, à 20H, et le 20 à 16H.
Location : Place de
la Comédie, 69001 Lyon ; par tel.: 04 69 85 54 54 ; en
ligne : opera-lyon.com
Angers Nantes
Opéra. A Nantes, Théâtre Graslin, les
15, 17 Octobre, 5, 7 novembre 2013, à 20H, et le 20 octobre à 14H30. A Angers, Le Quai, les 15 (20H) et 17
(14H30) novembre 2013.
Location : Théâtre
Graslin, 1, rue Molière, 44000 Nantes ; par tel : 02 40 69 77 18.
Le Quai, Forum des
Arts Vivants, Cale de la Savatte, 49000 Angers ; par tel.: 02 41 22 20 20 ; en ligne :
angers-nantes-opera.com
Théâtre des
Champs-Elysées, les 10, 13, 17, 19, 21 décembre 2013, à 19H30, et le 15 à 17H.
Location : 15,
avenue Montaigne, 75008 Paris ; par tel.: 01 49 52 50 50 ; en ligne : theatrechampselysees.fr
Jean-Pierre Robert.
***
L’ARTICLE DU MOIS
Haut
Le
centenaire du Théâtre des Champs-Elysées : L’histoire d’une fabuleuse
aventure…
Comme le Sacre du Printemps qui y est né, le Théâtre des Champs-Elysées fête
en cette année 2013 le centenaire de sa naissance, le 31 mars 1913. Une
naissance née du rêve d’un entrepreneur visionnaire Gabriel Astruc qui sut faire appel, sur les conseils de Gabriel Thomas, grand amateur d’art,
aux plus grands artistes de son temps - les frères Perret, Antoine Bourdelle,
Edouard Vuillard et Maurice Denis, pour ne citer que les principaux - afin de
construire son « palais philharmonique » où se trouveront réunis le goût
français, le confortable anglais et la technique allemande. Un lieu unique dans
son architecture et sa programmation qui se donna comme but d’accueillir tous
les genres musicaux, de l’opéra au ballet, de la musique classique à la
variété, tous réunis sous la bannière conjointe de l’excellence et de la modernité.
Après une saison inaugurale en forme de feu d’artifice, c’est la banqueroute
qui obligera Astruc à fermer le théâtre de l’avenue
Montaigne avant que la belle endormie ne se réveille quelques années plus tard
pour accueillir, parfois de façon tumultueuse, les gloires et les avant gardes
que chaque époque vit passer. Une histoire vieille de cent ans qui est d’abord
la formidable épopée d’une construction révolutionnaire, avant de se confondre
avec l’histoire de la musique et de la création artistique du XXe siècle.
1913 : Entre espoir
et désenchantement. Une année témoin…
Une
année marquée par une extraordinaire floraison artistique, littéraire et
philosophique. Il suffit de rappeler Le
Grand Meaulnes d’Alain Fournier, Jean
Barrois de Martin du Gard, Du Coté de
chez Swann de Proust, Stèles de
Segalen, Alcools d’Apollinaire, La Prose du transsibérien et de la petite
Jeanne de France de Cendrars, Eve et L’Argent de Péguy ; mais également,
la fondation du Théâtre du Vieux Colombier par Jacques Copeau et de la Roue de bicyclette par Marcel Duchamps.
Rajoutons, pour mémoire, la structuration de la psychanalyse, la scission de
Jung, la publication par Freud de Totem
et Tabou. Parallèlement, Albert Einstein devient incontournable, le cinéma
prend son essor à Hollywood, la bande dessinée est reconnue, succédant aux comics. 1913, l’année
de l’entrée dans la modernité, l’année qui verra s’ouvrir des expositions qui
feront date comme Der Sturm à Berlin
ou l’Armory Show à New York, sans oublier une
effervescence générale où différents courants artistiques s’entremêlent et se
disputent, tels le futurisme italien, l'expressionnisme allemand, l’imaginisme londonien, l’acméisme russe, le cubisme et le simultanéisme
à Paris. Alors que Debussy, Fauré, Ravel composent des œuvres
majeures…Schönberg fait scandale à Vienne le jour même du concert inaugural du
Théâtre des Champs-Elysée, le 31 mars (Esteban Buch : Le cas
Schönberg). Quelques mois plus tard, Le Sacre du Printemps de Stravinsky et Nijinski exalte la vie,
valeur dominante chez Nietzsche et Bergson, tandis que s’opposent encore les
tenants du positivisme et ceux du spiritualisme, laissant cette année chargée
d’espoir et lourde d’interrogations… (Liliane Brion-Guerry : Les formes esthétiques de l’œuvre
d’art à la veille de la Première Guerre mondiale). 1913, une
année qui pourrait pour certains (Pascal Ory : Tout le XXe siècle était-il dans 1913 ? Colloque de Cerisy, juillet 2013) résumer l’ensemble du XXe siècle
culturel en devenir. 1913, année de la naissance du Théâtre des Champs-Elysées,
théâtre emblématique du modernisme triomphant dont nous évoquerons quelques
aspects dans une optique culturaliste et trans-artistique.
Une naissance compliquée…
Gabriel Astruc/DR
A
l‘origine, un homme, Gabriel Astruc (1864-1938), dit Astruc le Magnifique, dont les bureaux de la société
musicale étaient installés au premier étage du Pavillon du Hanovre. Derrière la
fenêtre du balcon se trouvait le somptueux cabinet en rotonde de l’homme qui,
pendant plus de vingt ans, avait réussi à imposer au public et aux artistes, la
dictature de son génie des spectacles fastueux, les « Grandes
Saisons » dont seul il réglait seul l’ordonnance. De forte corpulence,
d’allure assyrienne, généralement vêtu avec l’élégance qu’on nommait alors,
celle du boulevardier. A la belle saison, il coiffait hardiment le chapeau
melon ou le haut de forme gris des turfistes. Son goût inné des bijoux se
révélait à la perle de sa cravate, aux lourdes bagues qu’il portait au petit
doigt velu de chacune de ses mains, aux émeraudes de ses manchettes et à
l’épaisse gourmette en or qui entourait son poignet droit. Sa boutonnière était
invariablement ornée d’un œillet pourpre qu’il abandonna dès qu’il put le
remplacer par un ruban de la Légion d’Honneur, longuement convoité ! Tel
est le portrait que nous en donne Désiré-Émile Ingehelbrecht (Mouvement Contraire) à qui Astruc demanda de constituer l’orchestre et le chœur du
nouveau théâtre.
Un
projet qui débute en 1906. Initialement prévu sur l’esplanade des
Champs-Elysées, avant que la Ville de Paris, en 1909, ne décide de rompre ses
engagements de mise à disposition du terrain ! Obligation alors pour
Gabriel Thomas, le financier, et Astruc, l’imprésario, de trouver un nouvel emplacement. Ce
sera, plus à l’ouest, avenue Montaigne, dans le quartier de l’Alma,
relativement excentré à l’époque, mal desservi par les transports en commun,
quand la vie théâtrale battait son plein dans son quartier historique, celui de
l’Opéra et des Grands Boulevards…
Une architecture
novatrice : Le triomphe des frères Perret.
Auguste
Perret/DR
Après
les premiers projets architecturaux un peu passéistes de Henri Fivaz et Roger Bouvard, comme la contribution passagère
mais essentielle d’Henry van de Velde, c’est finalement aux frères Perret,
Auguste (1874-1954) et Gustave (1876-1952), qu’échut la réalisation du théâtre
dont la structure en béton armé était totalement novatrice à l’époque,
autorisant la disparition des colonnes et améliorant d’autant la vision et
l’acoustique. Une architecture nouvelle qui suscita louanges et dénigrements.
Rappelons la célèbre boutade de Cocteau : « C’est une caserne avec
des bourdels tout autour ». Après la Grande
Guerre, le Théâtre des Champs-Elysées devint une référence très souvent citée
pour son style sobre empreint de grandeur, la beauté de ses proportions, la
pureté de ses lignes, l’équilibre de ses masses, la réussite de sa décoration
avec les bas reliefs d'Antoine Bourdelle et la coupole de Maurice Denis.
Certains en feront l’exemple d’un classicisme moderne, fleuron de la Belle
Époque, modèle d’Art Déco, d’autres, comme Le Corbusier, y verront un bâtiment
précurseur du courant architectural avant gardiste,
avant qu’il ne soit classé monument historique en 1957 !
La beauté plane :
Reliefs et fresques d’Antoine Bourdelle.
Antoine
Bourdelle, élève de Falguière et de Rodin fut sollicité par Gabriel Thomas pour décorer
l’atrium et la façade du théâtre. Travaillant de concert, Bourdelle et Perret
proposèrent une nouvelle scansion de la façade, basée sur une verticalité
permettant une lecture facilitée des registres compartimentés. Le marbre
masquait le béton, s’associant dans une esthétique nouvelle et convaincante. La
frise, intitulée Apollon et sa
méditation, est traitée en demi relief, dégageant une impression d’harmonie
et de cohérence, magnifiée par l’élan chorégraphié des muses, toutes inspirées
de la figure obsédante de la danseuse Isadora Duncan qui inspirera, avec un
même bonheur, Maurice Denis pour la réalisation de sa coupole.
La coupole de Maurice
Denis : « L’Histoire de la musique ».
La
frise ornant la coupole du Théâtre des Champs-Elysées est la plus imposante des
œuvres monumentales profanes de Maurice Denis (1870-1943), fondateur du
mouvement Nabis, réalisant une sorte d’aboutissement entièrement dédié à la
musique. Véritable chef d’œuvre qui témoigne de l’inspiration chrétienne de sa
peinture, de l’importance de son entourage (famille et amis) ainsi que de ses
goûts musicaux. Quatre médaillons - La
Sonate, Le Chœur, L’Orgue et L’Orchestre - s’intercalent entre les quatre
principaux panneaux - L’Orchestique
grecque, L’Opéra, La Symphonie, Le Drame Lyrique - où Maurice Denis
illustre, par un personnage ou un interprète célèbre, les compositeurs et leurs
œuvres, qu’il nomme clairement sur les esquisses datant de 1911. « Quelque
chose de son cœur y habite » affirma Henry Cochin, « on est là comme
en famille ». En effet, le peintre aime à représenter dans sa frise les
visages aimés de sa famille (son épouse Bernadette joue du violon dans L’Orchestre et sa fille Madeleine chante
dans Le Chœur) ou de ses amis
(Blanche Selva est au piano dans La
Sonate). Une Sonate qui pourrait être la Sonate de César Franck ou celle de
René de Castéra, appartenant toutes deux à
l’esthétique symboliste. Le programme musical est élaboré avec l’aide de
Vincent d’Indy. Le choix des œuvres et leur organisation dans la frise
correspondent à certaines idées prônées par le maitre de la Schola Cantorum dans son Cours
de composition musicale, développant les formes à travers leur
évolution présentée comme une continuité issue d’une source commune. La frise
de Maurice Denis est fondée sur cette idée : les différentes formes
musicales constituent des maillons d’une même chaîne…reliant le passé au
présent. L’art n’a pas de fin. Maurice Denis fut conforté dans cette notion de
continuité musicale par Maurice Emmanuel (1862-1938) qui fit paraître son Histoire de la langue musicale en
1911, dans laquelle il retrace
l’évolution du langage musical de l’Antiquité jusqu’au début du XXe siècle,
fortement influencé par le positivisme de Spencer. La rencontre des deux hommes
se fit probablement à Saint Germain en Laye, au cénacle des Franciscaines où
peintre et compositeur se croisent fréquemment lors des répétitions et concerts
de la chorale, défendant ardemment les travaux de Georges Houdart dans l’interprétation de la musique grégorienne. De cette rencontre et de cette
amitié naîtra une correspondance alimentée par des échanges théoriques et
esthétiques. Maurice Emmanuel s’avère être un lecteur passionné des écrits de
Maurice Denis. Dans Théories,
datant de 1912, le peintre redéfinit sa position, affirmant son retour à
l’imitation de la nature et à la discipline classique. Le tableau contient les
symboles d’une émotion que l’artiste traduit par des déformations subjectives,
en restant toutefois fidèle aux exigences classiques. La nature doit être
suggérée, interprétée mais rester identifiable. L’heure n’est plus à la
peinture des impressions, mais plutôt à celle des symboles de l’âme.
DR
Même
après la disparition des Nabis, Maurice Denis restera fidèle à la voix
symboliste, soutenu en cela par ses proches amis, comme la pianiste Blanche
Selva : « Représenter, symboliser nos émotions, c’est travailler sur
notre fond le plus intime, c’est dégager les mystères de la vie intérieure, la
claire figure de notre foi… ». La définition symboliste et religieuse de
l’œuvre d’art semble répondre aux préoccupations idéalistes et spirituelles des
deux artistes se trouvant réunis autour des valeurs humaines et esthétiques que
véhiculent le chant grégorien, la musique traditionnelle et l’art antique. Au
plus profond de leurs convictions L’Orchestique
grecque rythme la pensée des deux artistes » (Sophie Douche : Maurice Emmanuel). Maurice Denis,
dans sa frise, tente de relier tous les panneaux à leur origine, l’Orchestique grecque. Dans ce même
esprit, on retrouve dans le panneau consacré à L’Opéra, Orphée et Eurydice, rattachant
l’opéra à la tradition orphique. Maurice Emmanuel et Maurice Denis sont, par
ailleurs, des admirateurs de Camille Saint-Saëns et de Puvis de Chavannes, tous deux modèles d’un art qui valorise l’expression de l’idée et
du sentiment. Le panneau Le Drame
Lyrique, comme un hommage, représente Samson et Dalila (opéra de Saint-Saëns) par une jeune fille nue, assise dos
au spectateur, exactement comme dans Vision
Antique de Puvis de Chavannes. Maurice Denis
construit sa frise autour de deux compositeurs qu’il vénère : Richard
Wagner et César Franck (Delphine Grivel : Maurice Denis et la musique).
Autour de la nuée de la verrière centrale se dessine une histoire de la musique
en forme de croix. La lecture de la frise n’est donc pas circulaire comme le
laisserait prévoir la forme de la coupole, mais elle suit une ligne diamétrale
tendue de la scène à la salle. Elle se termine par le triomphe de Wagner dans
le panneau Le Drame Lyrique avec
l’image tutélaire de Parsifal élevant le Graal
au-dessus de la salle. La partie centrale de ce panneau est symboliquement
occupé par les héros wagnériens : Brünnhilde casqué et son cheval Grane sur lequel est étendue Sieglinde, Wotan portant sa lance, Tristan et Isolde,
Siegfried, les Filles-Fleurs, auxquels s’associent Salomé faisant danser son
voile (opéra de Richard Strauss), Manon et le Chevalier Des Grieux (opéra de Massenet), entourant Parsifal. Alors qu’il
peint sa frise, Maurice Denis assiste, en juin 1911, à la première exécution
intégrale, à l’Opéra Garnier, de L’Anneau
du Nibelung de Richard Wagner, dirigé par Félix Weingartner. Il en sort
très ému. Mais plus encore, c’est l’image de Parsifal qui l’impressionne. Achevée en 1882, l’œuvre qui s’inspire de la légende du
Graal est, pour lui, l’aboutissement musical et spirituel de Wagner, entièrement
liée à la philosophie et à la vocation religieuse de l’œuvre d’art, symbole de
la quête artistique, mystique et chrétienne dans laquelle il se retrouve. Une
inspiration déjà ancienne dont on retrouve trace en 1893, alors que le peintre
réalise le premier des trois plafond qu'il réalisera
pour son ami Ernest chausson. Il cite à cette occasion le dernier vers du Parsifal de
Verlaine : « O voix d’enfants chantant dans la coupole ! ».
Élevant la coupe du Graal, Parsifal se situe dans la
frise en face du panneau présentant l’origine de la musique, entre les deux
médaillons La Sonate et L’Orgue.
Le
peintre semblait tenir beaucoup à cette disposition spatiale en forme de croix,
d’un coté, Apollon représentant Harmonie et Paganisme, en face, diamétralement
opposé, Parsifal symbolisant l’Expression et le
Christianisme. Outre Wagner, Maurice Denis voue une admiration toute
particulière à César Franck qu’il considère comme le plus mystique de nos
musiciens, dont les Béatitudes sont
représentées par une muse à la main levée, située entre Mélisande (opéra de
Debussy) et Louise (opéra de Gustave
Charpentier) et accompagnée des « figures d’âme » aux robes blanches
qui s’envolent symboliquement vers le centre de la coupole, en écho aux
« jeunes filles flottantes » de Puvis de
Chavannes. Nombre de compositeurs et d’amis ont prêté leurs traits aux
différents personnages de la frise. Citons par exemple : Yvonne Lerolle en Mélisande, Vincent d’Indy et Ernest chausson en
muses, et bien d’autres encore…
Une formidable saison
inaugurale
En
cette soirée du 31 mars 1913, le faisceau lumineux tendu depuis le sommet de la
Tour Eiffel illuminait, de façon exceptionnelle, la façade du nouveau théâtre.
Soirée exceptionnelle, en effet, que cette soirée inaugurale où le Tout Paris
politique, artistique et mondain se pressait avenue Montaigne. Au programme Benvenuto Cellini de Berlioz, jamais
repris à Paris depuis sa création en 1838. Lui succèderont pendant cette première,
et dernière, saison un véritable feu d’artifice musical. Pour ne citer que quelques fleurons : concert de musique française
contemporaine le 2 avril, où se succéderont au pupitre toutes les gloires
nationales qui viendront y diriger leurs œuvres, Saint-Saëns, d’Indy, Dukas,
Fauré et Debussy. Concert du 15 mai qui marque le coup d’envoi de la huitième
saison des Ballets Russes de Serge Diaghilev, avec la création de Jeux de Debussy. Puis, quelques jours plus tard, le scandale de la
création du Sacre du printemps de Stravinsky (Cf. L’Education musicale : lettre
d’information n° 72, juillet 2013). Pendant prés de quatre mois, Astruc assure une programmation qui enchaîne concerts
symphoniques, spectacles lyriques et chorégraphiques. Les éloges sont unanimes
de la part du public, des musiciens et des compositeurs et Debussy d’affirmer : « La musique y est
vraiment chez elle et n’a plus cet air d’invitée.. ». Mais, hélas, si la
réussite artistique est totale…Le bilan financier, en revanche, est catastrophique.
Après un printemps éblouissant, l’automne est sombre et Astruc ne peut éviter la faillite. L’unique représentation de Boris Godounov (opéra de Moussorgski), en français, sera son chant
du cygne, le 6 novembre 1913. Une fin malheureuse parfaitement décrite pat D.E
Inghelbrecht (Mouvement Contraire).
Les représentations de Boris Godounov et
de La Khovantchina devaient alterner avec celles des ballets. Le Sacre du printemps fit scandale et Jeux choqua le public par le parti pris licencieux de la chorégraphie
de Nijinski. Ce fut la plus grosse déception d’Astruc,
habitué à réaliser, chaque année, les plus fortes recettes avec les Ballets
Russes, d’autant qu’il avait dû consentir à d’importants, et peut être
imprudents, sacrifices financiers pour conserver l’exclusivité des
représentations de Diaghilev, qui menaçait de se produire à l’Opéra ou au
Châtelet. « Voici l’homme qui vient de m’étrangler ! » s’écria Astruc en sortant de son bureau accompagné de Diaghilev.
Les recettes des représentations de Boris Godounov et de La Khovantchina (opéra de Moussorgski) avec Chaliapine n’atteignirent pas trois mille francs,
tandis que la célèbre basse exigeait plus du double pour son cachet, avant même
son entrée sur scène ! Le retour de vacances fut le moment du désenchantement, Astruc fit appeler Inghelbrecht pour lui annoncer la
triste nouvelle, la nécessité d’arrêter les spectacles…Inghelbrecht lui
proposa, alors, de finir en beauté par une représentation de Boris, qui devait être donné pour la
première fois en français. Représentation exceptionnelle que tout le personnel,
chanteurs, choriste, musiciens, machinistes, contrôleurs et ouvreuses
acceptèrent de donner gratuitement ! Les répétitions furent
émouvantes… « En montant au pupitre, j’aperçus Debussy…Puis le rideau
tomba lentement, ensevelissant les espoirs et les illusions… » Et Debussy
de conclure : « Une aventure infiniment triste et désobligeante pour
l’art ! ». Le palais philharmonique d’Astruc le Magnifique s’endormit, alors, pour quelques années, avant de renaître après
guerre avec le succès que l’on sait… Mais cela est
une autre histoire…
Une renaissance : Un
siècle d’histoire et de création musicale.
Si
la naissance et le déclin soudain du Théâtre des Champs-Elysées, en 1913,
participe du mythe, sa renaissance à compter de 1920 s’apparente à un grand
livre où s’inscrira la grande et la petite histoire musicale du XXe siècle.
Nous en retiendrons quelques événements marquants.
1920-1925 : Les
Ballets suédois.
Bien
que la modernité dans la danse fut amenée par les Ballets russes, les Ballets
suédois participant de la renaissance du théâtre TCE, ont pu apporter un esprit
plus novateur dans les domaines de la danse, de la peinture (Bonnard, Steilen, Laprade, Mouveau, Lagut, Dardel, Léger, Picabia) et
de la musique, dans le climat de l’après guerre propice à la remise en question
de toutes les valeurs, tant esthétiques que métaphysiques. (L’éducation musicale n° 559, janvier
2009). Créés par Rolf de Maré et Jean Börlin,
les Ballets suédois donnent neuf premières mondiales entre le 25 octobre et le
18 novembre 1920, soumettant le ballet classique à l’expression plastique libre
et moderne. Jean Börlin prend son inspiration dans la
peinture contemporaine. L’irruption de cette compagnie au Théâtre des
Champs-Elysées fera sensation, siège d’une aventure extraordinaire réunissant
danseurs, poètes, peintres et musiciens français. Entre Paul Claudel et Jean Börlin, les affinités sont grandes et Jean Börlin danse lui-même le rôle principal dans L’Homme et son désir. Blaise Cendrars, à
partir de son Anthologie nègre,
proposera au chorégraphe suédois un récit scénique sans parole qui donnera lieu
à La Création du Monde le 25 octobre
1923. Jean Cocteau, avec Les Mariés de la
Tour Eiffel, sera le troisième écrivain à rallier les ballets suédois. La
danse libre s’appuie sur les mouvements naturels de l’homme pour exprimer sa
vérité intérieure, elle réalise l’expression plastique de la poésie
contemporaine en mettant l’accent sur le pouvoir métakinétique du mouvement lui-même, pour emporter le spectateur (Martin John : La danse moderne). Mais c’est
surtout dans le domaine musical que les ballets suédois ont laissé trace à la
postérité. Les œuvres sont composées par les membres du Groupe des Six (Auric, Taillefer, Milhaud, Poulenc, Honegger, Durey)
dont Les Mariés de la Tour Eiffel offre un bel exemple de composition collective. Réagissant contre
l’impressionnisme et le wagnérisme, les compositeurs font appel au music hall
et au jazz, au bal musette et aux danses de salon. Les ballets suédois ouvrent
une nouvelle brèche dans la modernité. Le ballet devient autre chose que des
hommes qui dansent, pour devenir un art à part entière.
DR
1928-1934 :
« Les saisons Straram »
Elles
marquent indiscutablement ces années. Walter Straram fut l’une des figures parisiennes les plus en vue pendant plus de dix ans.
Violoniste de formation, élève de Richard Strauss pour la direction
d’orchestre, il créa son orchestre et
devient directeur artistique du Théâtre des Champs-Elysées en 1928, sur la
demande de son amie et élève, la soprano Ganna Walska, propriétaire du théâtre. Dés lors l’aventure
pouvait commencer… Une aventure prestigieuse qui conforta le théâtre dans son
rôle de passeur de la musique moderne internationale. Les concerts, dirigés par
leur chef fondateur, ont lieu le jeudi soir et lors de chacun d’entre eux, est
donnée une création, précédée d’une pièce ancienne (Bach, Monteverdi, Haendel,
Gluck, Vivaldi), d’un classique (Mozart, Haydn, Beethoven, Schubert, Schumann…)
avant de se conclure par une pièce contemporaine (Ravel, Debussy, Schmitt,
Fauré, Roussel, Stravinsky…). Outre ses fonctions de chef, Walter Straram fut à l’origine de nombre d’évènements musicaux de première importance,
comme la Symphonie de Psaumes et Oedipus Rex de Stravinski, ou Le Chant de la terre de Mahler dirigé par Oscar Fried, ou encore la
venue de Richard Strauss ou d'Arturo Toscanini. D’autres événements encore,
comme l’anniversaire du Groupe des Six, la célébration du 70e anniversaire de la naissance de Debussy, où Gaubert, Pierné, Toscanini, Inghelbrecht se succèdent au pupitre, la Tétralogie de Wagner, pour la première
fois en langue allemande, dirigée par Franz von Hoesslin,
habitué de Bayreuth, et de nombreux enregistrements discographiques pour
Columbia.
1934-1944 : Le Grand
Orchestre de Radio-Paris
Il
est la voix de l’occupation allemande pendant trois saisons 1942-1944. Les
chefs allemands dirigent à Paris, dont le grand Mengelberg. Les compositeurs
sont allemands pour l’essentiel (Mozart, Beethoven et Wagner).
1944-1952 : l’heure
de la réconciliation.
L’Orchestre
National, fondé en 1934 par Inghelbrecht, puis dirigé par Manuel Rosenthal, s’installe en résidence au Théâtre des Chqmps-Elysées. Il y restera jusqu’à présent ! C’est le
temps du renouveau où l’on rejoue le répertoire banni pendant les années de
guerre et où l’on découvre les symphonies de Gustav Mahler. Parallèlement
apparait une jeune génération qui a pour noms Messiaen, Dutilleux, Boulez.
L’autre hôte permanent du théâtre est l’Orchestre de la Société des Concerts du
Conservatoire, fondé en 1828, le plus vieil orchestre français, dirigé par
André Cluytens, qui succède à Charles Munch en 1946.
La liste des chefs invités est impressionnante (Herbert von Karajan, Erich Kleiber, Eugen Jochum, Hans Knappertsbusch…) tout comme celle des solistes (Yehudi Menuhin, Marguerite Long, Nathan Milstein,
Wilhelm Kempff, Kathleen Ferrier, Maria Callas…)
tandis que l’Opéra de Vienne (Joseph Krips et Karl Böhm) visite désormais
chaque saison le théâtre de l’avenue Montaigne, avec notamment la création
française du Wozzeck d’Alban Berg,
conduit par Karl Böhm, le 2 mai 1952.
1952-1959 :
« L’œuvre du XXe siècle ».
Grandeur
et misère de la guerre froide : à l’initiative de Nicolas Nabokov, et
commanditée par la CIA, se tient au Théâtre des Champs-Elysées le festival
international de musique moderne en mai 1952. Stravinsky fit, à cette occasion, son premier retour à Paris, sur
l’invitation de Nicolas Nabokov qu’il avait connu chez Diaghilev. Fort du titre
de secrétaire général du Congrès pour la liberté de la culture, Congress for Cultural Freedom,
Nabokov, qui avait intégré quelques années plus tôt la CIA, s’employait, par
tous les moyens, à contrer la percée communiste en Europe, en organisant nombre
de colloques et festivals destinés à mettre en avant la culture des démocraties
occidentales (Alex Ross : The Rest is Noise). Le clou
des festivités devait être Œdipus Rex, mais
Nabokov coupla cette œuvre avec Erwartung de Schoënberg. Il s’en suivit
un nouveau scandale, causé par les
admirateurs du maître viennois, qui obligea Stravinsky à quitter une nouvelle
fois le théâtre sous les huées ! Cette fois-ci, au lieu de le trouver trop
radical, on le trouvait trop tiède ! La jeune génération était représentée
par Olivier Messiaen et son élève Pierre Boulez. Boulez qui, avec son mépris et
son intransigeance habituels, ne mâcha pas ses mots, affirmant, quelques années
plus tard, que ce festival organisé par Nabokov avait été un véritable
« folklore de la médiocrité ». Une opinion à rapprocher de l’article
paru dans La Revue Musicale intitulé : « Eventuellement.. », au cours duquel, Boulez
affirmait que tout musicien qui n’a pas ressenti la nécessité du langage
dodécaphonique est INUTILE, visant par ces mots tout particulièrement
Stravinsky. Outre « L’Œuvre du XXe siècle » dont il serait trop long
de détailler le programme de façon exhaustive, l’élément majeur de la modernité
en marche est la création de Déserts d’Edgar
Varèse, le 2 décembre 1954, avec encore une fois, un nouveau scandale. Mais un
moment fondateur dans la musique concrète !
1960-1967 : Le
cinquantenaire du TCE.
Les
générations se croisent :
Inghelbrecht est toujours présent au pupitre pour défendre, cinquante ans après
sa création la Pénélope de Fauré,
tandis que la jeune garde confirme Messiaen comme compositeur avec sa
monumentale Turangalila Symphonie, et Boulez comme chef, en
dirigeant le Sacre.
1968-1975 :
Renaissance de deux formations orchestrales majeures.
Ce
sont, d'une part, l’Orchestre de Paris qui succède à la Société des Concerts du
Conservatoire. Après l’abandon de Charles Munch, malade, le passage éclair de
Karajan, la brouille avec Solti, c’est le début de
l’ère Barenboïm qui prend la direction de l’Orchestre de Paris pour une
quinzaine d’années. S’en suivront nombre de soirées marquantes, mais surtout la
trilogie Mozart/Da Ponte, mise en scène par Jean-Pierre Ponnelle,
qui fait référence encore aujourd’hui. D’autre part, l’Orchestre Philharmonique
de Radio France, qui après ses premières années de demi sommeil, prend un
nouvel essor sous la direction du chef allemand Marek Janowski.
Perdant peu à peu sa vocation première de création contemporaine, le « Philhar », comme l’Orchestre de Paris, s’installe
salle Pleyel et ne se produit que de façon épisodique avenue Montaigne.
Cependant, en 1986, Janowski et son « Philar » triomphent en y donnant un Ring complet en version de concert.
1976-1990 : Champs
baroques ou le renouveau de la musique ancienne.
La
constitution des ensembles baroques jouant sur instruments d’époque (Kuijken, Leonhart, Hogwood, Pinnok, Goebel, Savall, Heereweghe, Gardiner et autre Christie ou Malgoire…) marque véritablement le début, dans les années
1980-90, de l’épopée baroque. Au cours des années suivantes et des différentes
programmations, le Théâtre des Champs-Elysées devient le temple de la musique
du XVIIe et XVIIIe siècle, de Lully, Haendel, Vivaldi…à Mozart.
1990-2013 : A l’aube
du XXIe siècle…
Le
Théâtre des Champs-Elysées poursuit sa route entre tradition et modernité. La
musique ancienne triomphe, les versions de concert des grands opéras attirent
de plus en plus le public. La présence des plus prestigieux orchestres
s’intensifie. La place de l’opéra scénique, notamment belcantiste, progresse
d’années en années. Après le véritable feu d’artifice de cette saison du
centenaire, Michel Franck, actuel directeur général, relève le défi, dans
l’innovation et la continuité : « Pour
moi la saison 2013-14 est presque plus belle que celle du centenaire, avec
notamment de nouvelles collaborations avec les metteurs en scène de théâtre
Eric Lacascade (qui met en scène La Vestale de
Spontini en octobre prochain) et Jacques Osinski (qui
signera la mise en scène de Tancredi au printemps),
mais aussi le retour tant attendu sur cette scéne de
Cecilia Bartoli dans Otello(de Rossini ) ». Une évolution toujours marquée par l’exigence permanente de qualité qui
entraîne avec elle son cortège de musiciens talentueux, confirmés, ou en
devenir, ouvrant les portes de ce deuxième centenaire sous les meilleurs
auspices… Une affaire à suivre !
Patrice Imbaud.
***
L'ENSEIGNEMENT MUSICAL
Haut
Actualité de la
méthode Kodály
« Que devons-nous faire ? Enseigner
à l’école le chant et la musique de telle façon que l’enfant les considère
comme une source de joie et non pas de peines, joie qui l’accompagnera durant
toute sa vie, suscitant en lui la soif de musique. On ne peut pas saisir la
musique par l’intellect, aussi ne doit-elle pas apparaître devant l’enfant
comme une notation algébrique, comme une écriture chiffrée, un langage qui lui
est indifférent. Il faut que nous préparions pour l’enfant la voie d’une
perception directe et intuitive ».(1)
Zoltán Kodály
La méthode de Zoltán Kodály (1882-1967)
continue à être enseignée dès le plus jeune âge en Hongrie, et ce depuis plus
de six décennies. Unique au monde, ce procédé explique en partie l’excellence
de nombreux musiciens issus de ce pays, mais aussi la culture musicale
particulière des Hongrois. Il nous a semblé utile de revenir sur les origines,
la philosophie, la technique et la portée de cet enseignement qui n’a suscité
que de rares ouvrages approfondis en France, et qui reste encore peu diffusé
dans les pays francophones.
I.
Les fondamentaux : à l’origine d’une philosophie et
d’une pédagogie de la musique
Les idées de Kodály concernant la musique et son enseignement sont
directement inspirées des écrits de Jean-Jacques Rousseau (1712-1778) et
Johann Heinrich Pestalozzi (1746-1827) sur l’éducation. Pédagogue éducateur et
penseur suisse, pionnier de la pédagogie moderne, Pestalozzi a cherché à appliquer
les principes de l'Émile de Rousseau. Inspiré par ces deux philosophes, Kodály s’intéresse également à l’enseignement et à la
pédagogie de la technique musicale. Il découvre à ce propos lors d’un séjour en
Angleterre le système de l’échelle mobile inventé par John Curwen (1816-1880). Ce procédé (voir infra : II et III) était utilisé au
Royaume-Uni au sein des chorales.
Kodály découvre alors que
l'échelle mobile développe le sens modal des élèves et leur capacité à lire la
musique. Il pense aussi que l'échelle mobile des sons dans l’espace devait
précéder l'écriture des notes sur une portée, en développant une sténographie
musicale spécifique qui mobiliserait des rythmes simplifiés. La méthode Kodály utilise un système de solmisation à échelle mobile
par lequel, durant le déchiffrage oral, les degrés de l'échelle sont chantés
avec le nom des syllabes correspondantes (do, ré, mi, fa, so – notre sol -, la, et ti – notre si). Les syllabes désignent la fonction de la note dans son mode. Une
distinction est ainsi faite entre hauteurs absolues d'une part – nommées avec
la notation anglo-saxonne (A,B,C…) – et fonctions des
notes à l'intérieur du mode (la, si do…) d’autre part.
Les mouvements de
la main sont utilisés comme aide visuelle lors du chant. Cette technique donne
à chaque degré de l'échelle un signe qui montre la fonction tonale du degré.
Par exemple, do, mi et so (sol)
sont d'apparence stable tandis que fa et ti (si) pointent respectivement dans la direction de mi et de do.
De même, parallèlement, le signe de main vers ré évoque la direction du
geste vers do, et celui de la vers celui de so. Kodály ajoute aux signes de main mis au point par Curwen un mouvement vertical ascendant/descendant qui
permet aux enfants de visualiser la hauteur de la note. Les signes sont
effectués devant le corps par les enfants face au professeur, do se
situant au niveau la taille et la à celui de l'œil. La distance dans
l'espace correspond à la dimension de l'intervalle concerné.
Enfin Kodály a assimilé les techniques mises au point par le
professeur suisse Émile Jacques-Dalcroze (1865-1950).
Déplorant les lacunes de ses élèves dans le domaine du rythme, ce pédagogue
imagine un enseignement prenant en compte la perception physique de la musique,
la rythmique, fondée sur la musicalité du mouvement (pas, danse, battements,
jeux…). Jaques-Dalcroze utilise les danses folkloriques dans son enseignement.
La pratique pédagogique est collective. Il s’interroge sur les rapports entre
musique et mouvement à travers les interactions entre les trois pôles :
« temps – espace – énergie ».
Ces divers
prémisses de la méthode en Suisse expliquent que par un juste retour des
choses, les préceptes pédagogiques de Kodály fassent
aujourd’hui l’objet d’un enseignement dans ce pays (voir par exemple le site du
« Studio Kodály », école de musique à
Genève : www.studio-kodaly.net).
La « méthode Kodály » s’adresse tout d’abord aux enfants entre
trois et six/sept ans. Pour Kodály, le chant est à la
base de tout enseignement musical, avant même l’étude du langage verbal et
littéraire. Kodály est persuadé que l’esprit de
l’enfant peut acquérir au mieux les fondamentaux musicaux par des méthodes
amusantes, avec l’aide de mouvements du corps et des jeux de rythmes. Kodály était aussi convaincu que l’étude d’un instrument
devait être précédée par l’apprentissage ludique du chant dans le but de
distinguer l’assimilation naturelle, intérieure et physique de la musique, du
mécanisme et de l’apprentissage liés à la technique propre de l’instrument.
Pour résumer, on
peut énumérer en dix grands principes (dix points établis par lui-même)
l’enseignement et les idées générales de Zoltán Kodály en vue de la mise en place de sa méthode dans les
écoles :
·
Le
rôle de la musique dans l’éducation devrait être aussi important qu’il l’était
dans la Grèce antique, et doit être au centre du système scolaire, parmi les
« fondamentaux », au même titre que les mathématiques ou les arts du
langage. Elle ne doit pas être considérée comme accessoire ou superflue
puisqu’elle favorise l’acquisition des autres disciplines précitées qui lui
sont intimement liées.
·
L’analphabétisme
musical est l’obstacle principal à l’accès à la culture musicale.
·
L’enseignement
de la musique doit être radicalement amélioré dans les écoles de formation des
maîtres.
·
Il
faut systématiquement éviter de faire écouter aux enfants de la
« mauvaise » musique.
·
L’école
doit donner accès à la musique, dès le plus jeune âge, pour tous.
·
Le
chant doit devenir une pratique quotidienne et être enseigné aux enfants.
·
Le
chant choral en particulier doit être développé, comme toute pratique
collective.
·
Une
éducation musicale digne de ce nom doit commencer entre l’âge de trois et six
ans. Pour reprendre la boutade de Kodály, cet apprentissage
devrait idéalement commencer « neuf mois avant la naissance de la
mère » !
·
Les
expériences capitales de la vie d’un enfant en musique se déroulent entre l’âge
de six et seize ans, soit durant la période capitale de la scolarité.
·
L’écoute
des chefs-d'œuvre de la musique doit être encouragée et suivie sur le long
terme.
Conservatoire
de musique Franz Liszt de Budapest / DR
II.
Les cheminements et les étapes d’une méthode
À partir de 1905, Kodály enregistre et rassemble avec d’autres des milliers
de chants traditionnels sur le territoire du royaume de Hongrie d’alors, en vue
d’éditer des cahiers pédagogiques toujours utilisés aujourd’hui. On trouve
encore actuellement ces petits livrets, répartis par niveaux, dans les
librairies musicales de Budapest, toujours utilisés dans le cadre des
programmes d’enseignement musical. Cette collecte de chansons traditionnelles
participe de cette vogue du tournant du siècle pour la recherche – en particulier
pour l’ethnomusicologie - en vue de constituer les collections très diverses du
Musée d’Ethnographie de Budapest (musiques, mais aussi textes, photographies,
artisanat, instruments de musique, mobiliers, vêtements, objets quotidiens
divers…). Ami et collègue de Kodály à l’Académie
Liszt de Budapest, Béla Bartók (qui est de la même génération, étant né en
1881) participa également à cette recherche musicale. Il émigra ensuite aux
États-Unis (1940) et y demeura jusqu’à sa mort en 1945. (2)
Kodály part de la
notation musicale mise au point par le moine toscan Guido d’Arezzo (990-1050) –
de do à si ou « ti » – dans le souci de donner une échelle relative
aux sons. Cette notation fut adoptée par les autres pays latins dans la seconde
moitié du Moyen Age. Dans les pays germaniques et anglo-saxons, on lui préféra
la notation par les lettres (de A à G). La première notation est conservée par Kodály dans le premier apprentissage de la musique. La note
chantée (do-ré-mi…) se distingue de la note écrite (C-D-E…), comme on l’a vu
(en I). Au premier stade d’apprentissage, des mouvements précis et codés par
les mains permettent de noter verticalement les sons dans l’espace, en
valorisant les espaces entre eux (du niveau de la taille à celui de l’œil). À
partir du moment où l’enfant acquiert l’écriture et la lecture, cet
apprentissage est complété par l’étude du solfège traditionnel. Cette méthode
en deux phases et selon deux approches, permet une grande aisance par la suite
pour transposer dans tous les tons, pour libérer les dons d’improvisation du
futur musicien, et donner très tôt à l’enfant le sentiment d’une incarnation et
d’une intériorisation très précoces de la musique par le chant, le mouvement et
le rythme.
En 1925, Kodály prend conscience des carences de l’enseignement
musical dans les écoles primaires de Hongrie. Il constate notamment la mauvaise
qualité de la transmission du chant choral qui lui tient particulièrement à
cœur. Selon lui, le choix des chansons apprises par les enfants n’était pas non
plus adapté à la voix et au niveau des jeunes. Il commence dès lors à écrire
des articles polémiques sur ce sujet. Ce n’est qu’en 1950, après plus de vingt
ans de militantisme et d’efforts qu’est mise en place la première école
primaire musicale où la musique fait l’objet d’un enseignement quotidien. Au
milieu des années soixante, 50 % des écoles primaires recevaient un
enseignement musical à la hauteur des ambitions de Kodály.
La méthode Kodály n’a été adoptée officiellement par
la Hongrie que plusieurs années après la Seconde Guerre mondiale, à partir de
des préceptes, des expériences et des écrits du maître. La première
présentation exhaustive de la « méthode » n’eut lieu que dans
les années cinquante.
Depuis plus de
soixante ans, et dans un souci de démocratisation musicale(3) (dont la mise en
place est liée au départ à l’idéologie dirigiste des régimes des démocraties
populaires après guerre, et au-delà, maintenue par la suite malgré une érosion
ces dernières années, selon le recteur de l’Académie Ferenc Liszt), et pour
permettre au plus grand nombre d’avoir accès à la musique, quel que soit l’âge,
le solfège n’est plus contraignant ni limité à de simples règles écrites. Pour
l’immense majorité d’entre eux, les enfants n’ont pas l’oreille absolue. Ils
peuvent néanmoins être initiés très tôt (trois ans) à la musique en se référant
aux deux gammes élémentaires de do majeur et de la mineur, la hauteur n’ayant pas d’importance à ce stade de l’apprentissage.
Ainsi, on développe l’oreille relative, c’est-à-dire la capacité à apprécier et
repérer naturellement les intervalles – les espaces entre les notes – même si
l’on n’a pas l’oreille absolue qui est un don de naissance.
Cette méthode de
l’ « échelle mobile » et de la « solmisation
relative » permet à l’enfant de découvrir intelligemment la musique de
façon ludique, orale (le chant), sensorielle, avant l’étude des notes et d’un
instrument. Ainsi, des mouvements très précis des mains sont un moyen de
« noter » dans l’espace les hauteurs des sons (et non plus seulement
des « notes »), en une mimique des sons, imitation des sons dans
l’espace, à travers le mouvement du corps. L’enfant pourra par la suite, au
moment où il acquiert la lecture et l’écriture, compléter cet apprentissage de
sympathie et d’écoute par le solfège traditionnel. C’est aussi après sept ou
huit ans que les adultes décèlent les capacités, facilités et dispositions d’un
enfant pour la musique (en amateur, mais aussi en professionnel). Cette méthode
a le mérite de pouvoir être enseignée universellement, sans dépense excessive
et parfois prématurée d’un instrument coûteux pour les parents, et de se
poursuivre sans solution de continuité ni traumatisme pédagogique, avec
l’enseignement traditionnel et la pratique d’un instrument jusqu’à un niveau
professionnel.
Les capacités du
futur musicien à transposer dans tous les tons s’en trouvent renforcées,
et les dons d’improvisation sont libérés par cette ouverture qui n’a
d’équivalent dans aucune autre méthode d’apprentissage de la musique.
L’enseignement se poursuit au niveau de l’Université (Académie Ferenc Liszt),
avec une ouverture possible à d’autres méthodes d’enseignement et une
expérience internationale pour les musiciens, compositeurs et chefs invités
dans le monde entier.
III.
Musique et système scolaire, effets sur les autres
compétences pédagogiques. Qu’en est-il de l’enseignement Kodály en terre francophone et en France ?
Kodály déclare :
« la musique appartient à tous », elle doit être présente dès l’école
maternelle pour permettre à l’enfant d « acquérir une véritable
culture musicale », il ajoute qu’« au lycée il est déjà trop
tard ». Enfin, il précise que « l’enseignement ne doit pas forcément
commencer par l’étude d’un instrument mais par le chant, seule véritable base
de toute culture musicale approfondie »(4). Au lycée, il est « trop
tard » pour rallier des adolescents récalcitrants à la « bonne »
musique. C’est de plus l’âge des abandons et décrochages quant aux
enseignements artistiques et à la pratique d’un instrument par ailleurs. Kodály ponctue ses préceptes de mises en garde contre la
« mauvaise » musique (dont il ne précise d’ailleurs pas les critères
de définition). Dans ses consignes données aux enseignants, il développe les
techniques de mémorisation, de déchiffrage et d’apprentissage des chants,
d’audition intérieure, l’improvisation, la transposition à vue par
l’apprentissage des tonalités relatives à do et la.
Statue de Zoltán Kodály à Pécs / DR
Une des nombreuses
études réalisées par l’Institut Zoltán Kodály de Kecskemét (ville de naissance du compositeur)
permet d’analyser l’effet à long terme, sur plusieurs décennies, de cette
méthode musicale. Dans l’enseignement de la langue, les progressions sont
considérables en ce qui concerne l’intonation, la capacité à séparer les sons
d’un ensemble de mots, l’articulation et la prononciation, l’accroissement du
vocabulaire, la compréhension et la distinction visuelle et auditive,
l’attention pour les détails de la langue, la précision dans l’écriture, la
capacité de grouper, la reconnaissance des relations, la distinction des causes
et des conséquences, la manipulation de concepts abstraits, la reconnaissance
des formes, des unités et des symboles auditifs ou visuels ainsi que leur
interprétation, etc.
Dans le domaine des
mathématiques, les progrès suivants sont constatés : la reconnaissance des
chiffres en calcul, après audition, et la reconnaissance des symboles.
Pour ce qui est de
la mémoire et de l’attention, on remarque le renforcement et l’interaction de
la mémoire cinétique, visuelle et auditive, ainsi qu’un prolongement de la
durée de l’attention.
En ce qui concerne
le mouvement, l’enseignement prodigué par cette méthode permet de perfectionner
le développement et la coordination (pas, marche, course, danse), le
développement de la motricité fine (main, ce qui est important pour la pratique
d’un instrument, la direction de chœurs ou d’orchestres) et les mouvements dans
l’espace (jeux, danse, sport...).
Enfin, les
résultats de l’enquête montrent chez les enfants une prédisposition à
l’autodiscipline, à la conscience positive de soi grâce aux succès remportés,
au développement du travail individuel en autonomie, à de meilleures relations
interpersonnelles dans le groupe, mais aussi à la curiosité pour les autres
cultures et leur connaissance plus approfondie.
Le projet de Kodály n’est autre que de rétablir la place de la musique
au premier plan de l’éducation, en Hongrie, mais on peut imaginer que cet
objectif pourrait être transposé en d’autres lieux, notamment dans les pays de
la francophonie, et très certainement en France, en lançant une politique sur
le long terme de formation des maîtres notamment dans le domaine du chant
choral.
L’éducatrice
française Jacquotte Ribière-Raverlat(5) a réalisé une
adaptation autorisée des principes de Kodály. Elle prend
la tête d'une initiative expérimentale au Québec en 1968, à l'instigation de
Marcelle Corneille(6) du couvent Villa Maria de Montréal. Il s'agit de cours
d'apprentissage pour les enseignants et de suivi pédagogique d'étudiants
enseignants. Par la suite, ce cours se transforme en projet pilote au niveau
élémentaire à la Villa Maria. Le projet débute en 1970 et consiste à mettre en
place une période quotidienne d'instruction musicale selon les principes de Kodály, mais adaptés au folklore français et québécois.
Gabrielle Létourneau continue l'œuvre entreprise par
Jacquotte Ribière-Raverlat au Québec.
La version
canadienne-française de Thomas Legrady du concept Kodály(7) à l'usage des professeurs et de leurs élèves, Lisons
la musique, est publiée en quatre volumes (Ottawa 1967, Montréal 1970). En
1973, un spécialiste hongrois de Budapest, Miklós Takács(8), poursuit les réalisations de Jacquotte Ribière-Raverlat, ajoutant une dimension chorale intégrée.
En France, Jack
Lang, ancien ministre de la Culture, interrogé par l’auteur de cet article à
Budapest (été 2008), nous confiait avoir demandé en 1982 à Maurice Fleuret, son
directeur de la musique, si cette méthode était transposable en France.
Celui-ci lui aurait répondu par la négative, pensant que cet apprentissage ne
pouvait être réalisé qu’en langue hongroise. M. Lang reconnaît aujourd’hui
n’avoir pas à l’époque poussé l’hypothèse plus systématiquement, ce qui aurait
pu être fondamental en vue du développement de l’éducation musicale et du chant
en France, sachant que la mise en place d’un tel système nécessite plusieurs
décennies pour connaître des effets à terme pour une population donnée (chant,
culture musicale, pratique d’un instrument, compréhension des œuvres...) et
alors que l’on relance aujourd’hui les enseignements artistiques à l’école. Sur
toutes ces questions, Florence Spire a consacré son mémoire de maîtrise à
l’adaptation en France de cette pédagogie universelle qu’est la
« méthode » Kodály(9).
À Lyon,
l’association « La Voix de Kodály en
France »(10), mène un travail important pour développer et valoriser les
principes de Kodály à l’enseignement de la musique et
du chant choral en particulier. Formée entre autres grâce à cette association,
Laure Pouradier-Duteil, responsable de la formation
musicale à la Maîtrise de l’Opéra de Lyon, pratique l’enseignement Kodály pour former et diriger ses chanteurs. Grégory Hérail, élu président de « La Voix de Kodály en France » en février 2013, a ouvert une école
« Bouge et chante » dans les locaux de la Maison franco-hongroise de
Lyon pour y enseigner selon les concepts de Kodály.
« Concept »,
« enseignement », « pédagogie », « principes »,
« philosophie », on le voit bien : la « méthode » Kodály n’est pas contenue en ses diverses composantes dans
un manuel. Elle fut inspirée par de nombreux textes du compositeur et mise en
place par d’autres, sous le contrôle de son auteur certes, par les acteurs
musicaux du système scolaire dans les années cinquante en Hongrie. Elle a
ensuite essaimé dans le monde entier, comme le montre l’intéressant site de
l’Institut Kodály (Kecskemét) qui donne les liens
internet des diverses associations internationales(11).
La
longévité physique et politique de Kodály,
par-delà les régimes autoritaires successifs subis par la Hongrie au XXe siècle (voir la note 2), mais aussi le dirigisme constant de ceux-ci expliquent
le maintien imposé d’une continuité dans l’enseignement de la musique dans ce
pays.
C’est aussi, dans
un autre ordre d’idées et dans un autre contexte que le « Sistema » a été mis en place au Vénézuela (le « Système » musical des orchestres
de jeunes défavorisés de José Antonio Abreu) dès
1975. Là encore, il aura fallu trente ans pour que ce système offre à toute une
jeunesse une éducation musicale solide, dans un but tant amateur que
professionnel, et forme en nombre des solistes, musiciens et chefs d’orchestre
d’envergure internationale.
Après la lecture de
cet article, une visite à Budapest ne saurait être programmée sans la visite du
très riche musée Kodály qui vient d’ouvrir ses portes
à Budapest (adresse : « Kodály körönd » ou « rond-point Kodály »,
au numéro 89 de l’Avenue Andrássy, les
« Champs-Elysées de Budapest »). Cet établissement a été réalisé en
coopération avec l’Institut de Kecskemét et l’Académie Liszt de Budapest. Il
est installé dans la maison occupée par le compositeur de 1924 à sa mort en
1967 et rassemble, outre divers objets (collections d’affiches ou programmes de
concerts, de partitions anciennes, notamment de chansons et d’airs populaires
hongrois, de portraits, de tapis, tissus et vases de Transylvanie…), plusieurs
instruments du monde entier, mais aussi ses pianos, sa bibliothèque et ses
archives. Un auditorium d’une centaine de places accueille des concerts, des
cours, des classes de maîtres et des projections de films (kodalymuzeum@lisztakademia.hu ; www.kodaly-inst.hu).
En guise de
conclusion
Pour clore cette
rapide mise au point, on citera un extrait de la dernière intervention de Zoltán Kodály, qui résonne comme
un bilan de la mise en place du système musical en Hongrie, et comme un
véritable testament pédagogique adressé aux générations à venir :
« Nous avons
aujourd’hui cent-trois écoles primaires, dont vingt-trois dans notre capitale
Budapest où les élèves reçoivent une leçon de chant par jour à côté du
programme général. Cela signifie un surcroît d’étude de quatre heures par
semaine et on a, naturellement, crié au surmenage. Mais l’expérience de quinze
ans a démontré que le progrès de ces élèves est plus rapide et plus aisé dans
toutes les autres matières car il est évident que cette petite dose de chant
journalier éveille, anime l’esprit des enfants et les rend plus réceptifs pour
toutes les autres tâches. Ce n’est qu’un jeu amusant pour les enfants, mais un
jeu où ils recueillent inconsciemment de précieux trésors pour leur vie
future. »(12)
Jérôme Bloch.*
*Agrégé d’Histoire,
Inspecteur et Conseiller pour la Musique au Ministère de la Culture et de la
Communication, musicien, Jérôme Bloch a effectué diverses missions culturelles
et diplomatiques (directeur d’Instituts français, attaché culturel ou consul)
pour le Ministère des Affaires Étrangères, en Allemagne, en Italie, en Hongrie
et au Maroc. Il a fondé, dirigé ou présidé plusieurs festivals internationaux
et a écrit La cause des musiciens, puis Music’Quizz – Quel mélomane êtes-vous ? (Res Publica, 2009 et 2010).
xxx
Entretiens
préalables à cet article et remerciements à : Sarolta Kodály (Budapest), Laure Barthel, Professeur certifié d’éducation musicale et de
chant choral et Docteur en musicologie (Lyon), Chantal Bigot-Testaz, Présidente de l’association « La Voix de Kodály en France » de 2006 à 2010 (Lyon), Catherine Horel, directrice de recherche au CNRS (Paris), András Batta, Président et
Recteur de l’Académie Ferenc Liszt / Université de Musique (Budapest), László
Norbert Nemes, Directeur de l’Institut Kodály (Kecskemét, Hongrie), Gilbert De Greeve,
Président de l’International Kodály Society de 1999 à
2011 (Budapest, voir : www.iks.hu), Tamás Vásáry, pianiste et
chef d’orchestre (Budapest), et divers musiciens hongrois éduqués dès leur
enfance selon la méthode Kodály en Hongrie
(compositeurs, chanteurs, solistes, musiciens de jazz, chefs de chœurs et chefs
d’orchestre).
1. Z. Kodály, Gyermekkarok (Choeurs d’enfants), Viszatekintés (Un regard en arrière), articles publiés sous la direction de Ferenc Bónis, Zenemükiadó, Budapest,
1964.
2. Béla Bartók quitte en effet la Hongrie en 1940, manifestant ainsi
son opposition au régime de Miklós Horty allié au nazisme. Bartók meurt en 1945 à New York. Sa
famille refuse le retour de ses cendres en Hongrie tant que le régime
communiste reste en place. Elles ne seront rapatriées à Budapest qu’en 1988. Kodály quant à lui s’adapte tant bien que mal aux deux
régimes totalitaires que la Hongrie subit coup sur coup, fasciste puis
communiste, et ne sera pas inquiété
durant toutes ces décennies, ce qui permettra à sa « méthode » d’être
enseignée dans les écoles dès le plus jeune âge, faisant sentir ses effets et
sa philosophie jusqu’à l’Université (Académie Liszt).
3. « Aucune vie spirituelle n’est complète sans la musique. Elle
est une partie indispensable de la connaissance humaine universelle (…). Ceux
qui ont du talent doivent le développer au maximum afin d’être le plus utile
possible à leurs semblables. En effet, chacun de nous n’a de valeur que dans la
mesure où il est utile à autrui (…). L’art authentique est l’un des moyens les
plus efficaces d’assurer l’essor de l’humanité, et celui qui le rend accessible
au plus grand nombre est le bienfaiteur de l’humanité (…) ». Z. Kodály, Gyermekkarok (Choeurs d’enfants), Viszatekintés (Un regard en arrière), articles publiés sous la direction de Ferenc Bónis, Zenemükiadó, Budapest,
1964.
4. Z. Kodály, Gyermekkarok (Choeurs d’enfants), Viszatekintés (Un regard en arrière), articles publiés sous la direction de Ferenc Bónis, Zenemükiadó, Budapest,
1964.
5. J. Ribière-Raverlat, L'Éducation musicale en Hongrie, 2e éd.,
A. Leduc, Paris, 1977 ; Chant-Musique, adaptation française de la
méthode Kodály, Paris, Leduc, 1975-1980, 5
volumes ; Un chemin pédagogique en passant par les chansons, 500 chansons
folkloriques de langue française choisies et classées progressivement pour
servir de base à une adaptation française de la méthode Kodály,
Paris, Leduc, 1974-1981, 4 volumes ; Développer les capacités d’écoute
à l’école, Ecoute musicale, écoute des langues, PUF, 1997.
6. www.thecanadianencyclopedia.com/articles/fr/emc/marcelle-corneille
7. www.thecanadianencyclopedia.com/articles/fr/emc/thomas-legrady
8. www.thecanadianencyclopedia.com/articles/fr/emc/miklos-takacs
9. F. Spire, L’adaptation en France
de la méthode Kodály, mémoire de maîtrise,
Université de Paris IV-Sorbonne, Département de musicologie, 1997.
10. www.kodaly.fr
11. www.kodaly-inst.hu
12. Z. Kodály, Forum sur l’éducation musicale
dans le monde, 20e congrès de la Fédération Internationale des Jeunesses
Musicales, Paris, UNESCO, 12 avril 1966, in Arts et Musique, Journal des
Jeunesses Musicales de Suisse, N°60, février 1967.
***
LE FESTIVAL DE LUCERNE FÊTE SES 75 ANS
Haut
© Lucerne Tourisme
C'est le 25 août 1938 qu'Arturo Toscanini
organise à Tribschen, dans les jardins de la villa
Richard Wagner, un concert de gala qui devait marquer les débuts d'une grande
aventure musicale. Il dirige un orchestre ad hoc, composé de musiciens d'élite
et de solistes de renom. Une sorte d'acte fondateur du Festival de musique de
Lucerne, dont la signification n'est pas fortuite. L'Europe, alors en proie à
des convulsions politiques, devait connaître, peu après, l'invasion de
l'Autriche par les forces nazies. Ce concert se voulait donc bel et bien un
acte d'affirmation de l'éminente force de l'Art, de résistance contre les
velléités guerrières. La fabuleuse histoire du festival au bord du Lac des
quatre cantons débutait. Elle sera constellée d'événements : les débuts
d'Herbert von Karajan en 1948, qui y dirigera
régulièrement durant pas moins de quatre décennies, les prestations de chefs de
légende tels qu'Ernest Ansermet, Wilhelm Fürtwangler,
Bruno Walter, Igor Markevitch, George Szell... La
première apparition, en 1964, d'un orchestre nord-américain, le Pittsburgh Symphony Orchestra. Mais aussi, les débuts, en 1966, de
Claudio Abbado qui y reviendra, lui aussi régulièrement, à la tête de l'Orchestre
Philharmonique de Berlin, avant de pendre les rênes de l'Orchestre du Festival
en 2003. C'est donc un autre anniversaire qu'on fêtait cet été : les dix ans
d'une collaboration entre un chef charismatique et une phalange à nulle autre
pareille. Comme encore celui de la Lucerne Festival Academy,
confiée à Pierre Boulez. Bien qu'ayant indiqué qu'il ne pourrait pas diriger,
celui-ci était présent cette année auprès des jeunes espoirs de la baguette.
Lucerne, c'est donc le rendez-vous incontournable de l'excellence musicale, qui
peut encore s'enorgueillir d'un auditorium magnifique, le KKL, chef d'œuvre de
technologie architecturale, unanimement célébré pour la qualité de son
acoustique.
« Viva la revolución » fournissait le mot de passe de cette édition,
thème un peu ambitieux, car il s'agissait plus de parler d'innovation et
d'expérimentation que de révolution à proprement parler. Et de fédérer un
nombre d'événements considérables, essentiellement dans la domaine symphonique. Même si les orchestres alignés étaient moins nombreux que
d'autres années, en dehors des incontournables, bien sûr, que sont l'Orchestre
du Festival, les Berliner et les Wiener Philharmoniker, ou encore le Royal Concergebouw Orchestra. Un Ring en concert, dirigé par Jonathan Nott,
et pourvu d'une distribution prestigieuse, à faire pâlir Bayreuth, devait
honorer l'hôte de Tribschen. Sans parler des diverses
prestations de Mitsuko Uchida,
« artiste étoile », en passe d'atteindre désormais les plus hautes
marches de la gloire pianistique. Un mot enfin sur la réceptivité du public
dont la capacité d'écoute est en soi une leçon.
Claudio Abbado, l'Orchestre du Festival et deux inachevées...
© Peter Fischli/Lucerne Festival
C'est presque un lieu commun de
dire que les concerts dont Claudio Abbado, à la tête de l'Orchestre du
festival, gratifie le public de Lucerne, sont des moments, plus que
privilégiés, merveilleux. Il n'est que de comparer avec n'importe quel autre
concert, fut-il du plus haut niveau, pour le vérifier. Ce que le maestro achève
avec cette phalange d'élite tient tout simplement du prodige : un son clair,
d'une absolue transparence, le nombre impressionnant de musiciens n'en
affectant pas la limpidité, tant chacun fait figure de soliste et tous
agissent, dans les cordes notamment, comme un seul instrument. Un jeu
partageant une extrême flexibilité et surtout une totale spontanéité. Des
nuances instrumentales proprement incroyables dans la section des bois. Leur
second programme de l'édition 2013 réunissait la symphonie N° 7 de Schubert et
la 9 ème symphonie de Bruckner. Deux inachevées en
somme. De celle de Schubert, on a glosé sur son inachèvement, au point de
penser qu'il y avait là comme une métaphore de la propre existence du
compositeur, sa maladie, sa mort prématurée, sa brève vie, si courte, non
achevée. Mais il faut replacer la pièce dans le cours de l'œuvre, en 1822,
alors que Schubert, qui traverse une période difficile, va bientôt être happé
par d'autres tâches, dont un projet d'opéra, Fierrabras,
le cycle vocal de La Belle Meunière et sa grande Wanderer Fantaisie pianistique. Ces deux mouvements figurent au nombre des plus
émouvants condensés symphoniques de l'histoire. Abbado, dont l'affinité avec le
langage schubertien n'est pas nouvelle, en livre la quintessence. Qui semble
rendre presque vain tout commentaire, tant on est aux confins de l'épure. Que
de bonheur au long de ces pages : la phrase contemplative qui ouvre l'allegro
moderato, jouée dans un pianissimo envoûtant, une sorte d'abysse, dans laquelle
Brigitte Massin voit « un de ces motifs
d'ensevelissement chers au génie schubertien », et qui prend une signification
particulière dans le tempo retenu qu'adopte Abbado ; puis le second thème de ländler, ici tendre et doucement mélancolique ; et le développement
qui se veut sourdement dramatique avec l'appel des trombones. Au second
mouvement, andante con moto, Abbado déchaîne des explosions passionnées,
traversées soudain de ce solo, proprement magique, de clarinette qui ouvre le
deuxième thème, vite relayé par le hautbois et la flûte. Abbado libère des
contrastes dynamiques étonnants, pas tant dans les forte que dans des
pianissimos extatiques, où frémissent les cordes. Il ménage aussi de longs
silences évocateurs qui projettent sur cette partie un autre ombre dramatique,
pas moins saisissante de gravité.
Anton Bruckner n'a pas achevé
sa Neuvième Symphonie, son ultime message, débouchant sur rien moins que
l'éternité. Là aussi, on a disserté sur les raisons de l'inachèvement : peur de
se confronter à l'ombre de Beethoven, forces vitales déclinantes. Là aussi, la
disposition, en trois mouvements cette fois, n'emporte pas moins un sentiment
de complétude, plus peut-être que dans le cas de la symphonie en si mineur de
Schubert. Si l'univers sonore est bien différent, le rapprochement avec l'Inachevée est fascinant. Abbado adopte, ici, une large palette dynamique pour rendre
compte de ce paysage souvent colossal, quoique le forte tonitruant,
favorisé par bien des chefs, soit banni au profit d'une manière plus centrale.
Ce message de spiritualité, ces moments terrifiants de doute, le chef italien
les ménagent comme si le temps devenait espace. Il organise les méditations
suprêmes, que sont les deux mouvements extrêmes, autour d'un scherzo qui en
forme la plus vivifiante des transitions. Le premier mouvement, là encore,
semble voir sourdre la musique de quelque ailleurs. Le scherzo prend l'allure
d'une sorte de danse macabre, avec sa fameuse scansion primaire qui a à voir
avec l'élément cosmique, et même le barbare, comme, plus tard, l'imaginera un
Stravinsky dans Le Sacre du printemps. Il est traversé d'un trio soudain
quasi bondissant. L'adagio final nous ouvre les portes du paradis : ce
sentiment de perfection hors de portée, soudain entrevu. On est enivré par ces
majestueux crescendos et ces grands climats d'exaltation sonore. Ce qui frappe
aussi c'est la manière de ménager les transitions abruptes et les pauses
soudaines, a priori incongrues, en réalité voulues, ou ces figures harmoniques
qui révèlent un paysage où la tonalité s'éloigne de sa certitude. Comme dans la
symphonie de Schubert, la gravité du propos ne saurait échapper, quoique non
pesante. Le souffle de la vie plutôt ! Et une expérience musicale mémorable,
qu'une salle, debout dès le deuxième rappel, n'en finira pas de saluer.
Quant Mitsuko Uchida se fait accompagnatrice de Liederabend
© Peter Fischli/Lucerne Festival
Artiste étoile de cette édition, Mitsuko Uchida était aux côtés de
la cantatrice Dorothea Röschmann pour une soirée de lieder réunissant Schumann et Berg. Mozartienne accomplie - on se souvient de sa vibrante incarnation de Donna Elvira à Salzbourg et
ailleurs - la chanteuse ne délaisse pas pour autant le répertoire exigeant de
la mélodie, comme ses illustres devancières, et la pianiste ajoute cet exercice
délicat à sa couronne. Le Liederkreis op. 39
de Schumann est un hommage à Clara, composé en 1840, année faste chez lui, au
moment où les choses vont se débloquer du côté du Papa Wieck quant à l'union de sa fille avec le musicien. Ces douze lieder sur des poèmes
de Joseph von Eichendorff passent pour un sommet de
l'art romantique. On y croise ces climats de légendes, ce pressentiment
omniprésent de la mort, et le langage des voix intérieures, qui conduisent le musicien
à adopter un ton général feutré, dans le registre piano en majeure
partie. La coulée pianistique évolue entre ombre et lumière. La première partie
est assez avenante, un brin nostalgique, évocatrice de la légende de la Loreley, ou hymne à l'amour. Alors que la seconde est plus
sombre. Schumann a trouvé dans la poésie d'Eichendorff ce type de formulation
directe qu'il voulait exprimer dans sa musique. La voix de soprano peut étonner
ici, tant on reste sur le souvenir d'exécutions par celle de baryton. Mais Dorothea Röschmann fait montre de
doigté, même si quelques passages dans le haut du registre la contraignent à
forcer le trait. Uchida est discrète, mais séduit par
la transparence de son jeu. La chanteuse est plus à l'aise dans le cycle de L'amour
et la vie d'une femme. Cet opus 42 suit de peu le précédent cycle. Comme
dans le cas du Lierderkreis, l'écriture
pianistique ressortit plus d'un commentaire instrumental que d'un simple
accompagnement. Elle se distingue par son autonomie par rapport à la ligne de
chant, à la différence de la manière de Schubert, et priorité est clairement
accordée au texte. La poésie, aujourd'hui un peu démodée, de Adelbert von Chamisso, sur la
psychologie féminine petite-bourgeoise, n'en exprime pas moins des sentiments authentiques
et donne lieu à un cycle structuré qui, à la différence du Liederkreis,
déroule une action : le destin de la femme aimée, à travers les belles étapes
de la vie, et qui sur ses vieux jours, en vient à célébrer le bonheur des
souvenirs du passé. Schumann pare cette action d'une unité thématique, comme
naguère Beethoven dans A la bien-aimée lointaine, dont au demeurant une
citation se fait explicitement jour au sixième lied. Le piano se fait plus
présent, presque épique. La conclusion restera d'ailleurs au clavier, au fil du
postlude du huitième et dernier lied, épilogue instrumental bouleversant. Les Sieben frühe Lieder (Sept lieder de jeunesse) de Berg, placés au milieu du récital, forment un
contraste intéressant et trouvent Dorothea Röschmann à son meilleur. Écrits dans les années 1905-1908,
ils ne seront publiés qu'en 1928, à la fois dans la version avec piano et dans
celle pour orchestre. Là encore, le musicien a voulu adresser un message secret
à sa femme Hélène. Puisant dans la poétique d'auteurs contemporains, à
l'exception de Lenau, Berg s'y montre lyrique. Musicalement, le parallèle avec
Schumann est évident. Un large panorama de thèmes montre que Berg se situe bien
au-delà d'exercices d'apprentissage. Le langage du futur est déjà là, bien présent.
L'ensemble offre ceci de particulier de réunir des manières différentes, voire
disparates, et pourtant de donner le sentiment de continuité : le romanesque,
la façon impressionniste, les reflets d'une lumière fanée annonçant l'univers
particulier de Wozzeck. Uchida, familière de
l'idiome du compositeur et de sa mouvance harmonique incessante, offre à la
chanteuse plus qu'un simple accompagnement, un vrai partenariat. Un long bis de
Schumann conclut une soirée de qualité.
Les Berlinois interprètent Mozart
©
Priska Ketterer/Lucerne Festival
Les Berliner Philharmoniker
entretiennent un lien plus qu'étroit avec le Festival de Lucerne. Depuis leurs
débuts, en août 1958, avec Herbert von Karajan, leurs concerts, chaque été,
constituent un moment phare. Reprenant le flambeau, Simon Rattle poursuit cet
extrême niveau d'excellence. Les deux pogrammes, donnés au fil d'une tournée
les ayant menés aussi à Salzbourg et à Paris, ne pouvaient être plus opposés
stylistiquement. C'est peut-être avec les trois dernières symphonies de Mozart
que le thème de la « révolution », imaginé pour cette édition, prend
son sens. En tout cas quant à leur charge innovante dans le domaine
symphonique, car cette somme écrite en un court laps de temps, durant l'été
1788, est assurément non seulement un sommet d'achèvement créatif chez Mozart
le symphoniste, mais encore un jalon important dans l'histoire symphonique.
L'exécution en un même concert, sans doute pas prévue par Mozart, est
fascinante, chacune évoquant une atmosphère bien distincte. Comme il l'avait
fait lors de la Semaine Mozart en janvier dernier (cf. NL de 03/2013 ), Simon
Rattle en donne une vision profondément charpentée, mue par une force
intérieure. La comparaison avec un orchestre jouant sur instruments anciens,
tel que l'Orchestra of the Age of Enlightenment, et une formation
« moderne » comme les Berliner Philharmoniker, est riche
d'enseignements. Une phalange, pourtant réduite dans le cas présent, de
laquelle Rattle tire une élasticité étonnante dans les cordes et une douceur
quasi magique chez les bois. Cela est d'emblée évident dans la 39 ème symphonie
: le premier mouvement, abordé de manière retenue, progresse sans hâte, pour
s'achèver fièrement. Le concertino des vents à l'andante est un modèle de sérénité,
et si le menuetto ne cherche pas à charmer, son court trio, confié aux bois
émoustillés, est là encore pure merveille, que l'enchaînement, directement avec
la reprise, rend encore plus palpitant. Le finale est frappé au coin d'un
dynamisme frôlant le dramatique, ménageant des effets de surprise. L'impression
est d'une légère rusticité cependant, là où l'exécution avec l'orchestre
anglais sonnait plus engagée. La Quarantième symphonie, déjà inscrite au
programme du fameux concert de Toscanini de 1938, offre ce même souci de
dramatisme dans un miracle d'équilibre, en particulier à l'andante, nanti de
ralentissements inhabituels, mais usuels chez Rattle lorsqu'il sagit de mettre
en exergue quelques traits géniaux, ceux des deux clarinettes en l'occurence. La
symphonie Jupiter n'est pas moins pur joyau, d'une majesté olympienne,
rappelant la grandeur des pages d'ouverture de la 39 ème. Là aussi, une énergie
toute théâtrale émane de la battue du chef, apportant quelque chose d'héroïque,
et rarement a-t-on perçu une telle affirmation de l'idée de liberté, se
concluant dans un finale mené preste, jusqu'à une péroraison toute en
apothéose. Bien sûr, le Mozart de Rattle peut n'être pas du goût de tout un
chacun, par sa dose d'arbitraire dans le choix des tempos, en particulier. Mais
le chef peut être fier de ces exécutions qui ne sont pas seulement parfaites,
mais bien plus que cela. Il ira, bien justement, féliciter ses musciens, la
phalange des bois en particulier.
Et les Berliner se confrontèrent au Sacre
du printemps
© Peter Fischli/Lucerne Festival
L'histoire du Sacre du printemps au
Festival de Lucerne débute en 1945, avec Ernest Ansermet, qui voyait dans cette œuvre un « monde cosmique »,
par opposition « au monde féérique de L'Oiseau de feu » et
« au monde humain de Petrouchka ». L'œuvre, frileusement
accueillie, sera redonnée moult fois ensuite, dont en 1951, sous la baguette
énergique du jeune Igor Markevitch, et avec Karajan et les Berliner trois fois, en 1963, 1972 et 1978. Sous la conduite de Simon Rattle, ce spécimen de « musique objective »
acquiert une élégance barbare qu'apporte la patine unique d'une formation de
rêve. Tous les premiers pupitres sont à la manœuvre, les deux premiers Konzertmeister en particulier, et le festin sonore est d'une
beauté à couper le souffle. Le Prélude, joué, selon le vœu de l'auteur,
« sur mezzo forte toujours égal », au basson, que relaient ses
confrères de la petite harmonie, introduit un parcours d'une rare puissance où
le rythme va régner sans partage pour atteindre un relief saisissant. Avec une
précision de rasoir, Rattle mise sur l'exacerbation
du spectre sonore, entre nuances ppp et fff,
et sur la tension qui procède du transfert des schémas rythmiques d'une section
à l'autre, libérant la force tellurique des blocs sonores. La discontinuité de
ce qui est « une série de cérémonies de l'ancienne Russie », n'est
qu'apparente : la mosaïque trouve son unité de dessin dans une syntaxe
orchestrale que Rattle veut sous haute tension. Par
contraste, le début de la seconde partie sera habité d'un lyrisme expansif. Au
final, une vision certes moins « objective » que celle d'un Boulez.
Qu'on peut encore mesurer à la différence de la gestuelle de direction, battue
d'une énergie colossale ici, en regard de ce qui apparaît relever de la simple
mise en place chez le maître français. Une interprétation pas moins stupéfiante
dans sa plastique sonore, extrêmement engagée, qui évoque celle d'Esa-Pekka Salonen, récemment au
Théâtre des Champs-Elysées. La Nuit transfigurée, op. 4 de Schoenberg,
pièce par laquelle débutait le concert, est donnée dans la version pour
orchestre à cordes. Malgré le nombre des forces en présence, l'exécution reste
d'une étonnante opalescence. On y admire le travail sur la section des altos,
comme sur celle des contrebasses, rien moins que ronflantes. Des pianissimos
ténus, à la limite de l'impalpable, marquent les transitions. Les Drei Bruchstücke aus Wozzeck (trois fragments de l'opéra Wozzeck)
ont une histoire singulière. Cette suite conçue par Alban Berg, en 1922, tout
juste après la fin de la composition de l'opéra, était destinée à constituer
une introduction au nouveau monde sonore de celui-ci, qui ne sera créé que
trois ans plus tard. Ces trois morceaux se concentrent sur le personnage de Marie
et le fameux interlude du dernier acte : autrement dit les moments les plus
« abordables » de l'œuvre, ceux par lesquels il est sans doute le
plus aisé de « pénétrer » un univers sonore singulier, et que l'on
conseille d'écouter à qui cherche à le découvrir. Le premier morceau, qui
débute par l'interlude entre la deuxième et la troisième scène de l'acte 1, est
centré sur l'émouvante berceuse « Eia popeia » que Marie chante au fils qu'elle a eu de
Wozzeck. Le deuxième fragment reprend l'essentiel de la première scène de
l'acte III, où Marie, à voix basse, lit une page de la Bible, celle de la femme
adultère, et enchaîne une sorte de conte déchirant « il y avait une fois
un pauvre enfant ». Enfin, le dernier combine les quatrième et cinquième
scènes de ce même acte, séparées par l'interlude symphonique, pour conclure sur
la brusque transition de l'épilogue du drame : ces pauvres lambeaux de mot,
« Hopp, hopp » de
l'enfant, désormais orphelin. Du large orchestre de Berg, Rattle tire des sonorités d'un éclat inouï, sans doute plus brillantes que celles
émanant de la fosse de n'importe quelle maison d'opéra. Et mise sur une
expressivité maximum, à la limite de l'exacerbation : ainsi les trois accords
de l'interlude sont-ils assénés fortissimo, rutilants. Barbara Hannigan paraît un choix
naturel pour incarner le personnage de Marie. Même privées de la scène, ces
quelques répliques montrent un investissement palpable, et la performance
vocale est incandescente, ce qui ne surprend pas chez une interprète rompue au
répertoire contemporain.
Des concerts « Débuts » plus que prometteurs
© Georg Anderhub/Lucerne Festival
Nonobstant leur intitulé, les concerts de
le série « Début », donnés dans l'ambiance feutrée de la Lukaskirche, révèlent des talents déjà plus que confirmés.
Tel est le cas du violoncelliste Maximilian Hornung,
né en 1976, qui peut s'enorgueillir d'une carrière déjà flatteuse, puisque
détenteur de plusieurs prix et titulaire du poste de Ier celliste du Symphonieorchester de la Radio bavaroise, de 2009 à 2013,
voire partenaire de collègues éminents tels qu'Anne-Sophie Mutter,
Christian Tetzlaff ou Maria João Pires. Son
programme, fort bien construit, réunissait Beethoven, Webern, Schumann et
Richard Strauss, entre pièces de jeunesse et œuvres tardives. La Sonate pour
violoncelle et piano op. 102 N° 2, la dernière écrite par le maître de Bonn, en
1815, exige une concentration de tous les instants, particulièrement en
évidence dans le mouvement central, marqué « adagio con molto sentimento d'affetto ». Le finale, allegro fugato, se
termine en une fugue sur un thème de danse qui frôle les dissonances.
L'interprétation de Maximilian Hornung déploie une
belle profondeur d'accent et une mâle assurance. L'idée était fort originale de
rapprocher deux compositions d'Anton Webern aussi disparates que les Zwei Stücke, de
1899, et les Drei kleine Stücke op. 11, de 1914. Les premiers, tombés dans
l'oubli et redécouverts en 1965, se meuvent dans l'orbite des Romances sans
paroles de Mendelssohn : deux mouvements lents d'un beau lyrisme. Les
seconds, véritables aphorismes musicaux, chacun condensé en seulement quelques
mesures, le tout ne dépassant pas quatre minutes, sont d'une incroyable
difficulté pour l'exécutant : glissandos, écarts vertigineux. Ils vérifient
cette remarque de l'auteur selon lequel « aucun motif ne sera développé ».
Ce sommet d'extrême concision, Maximilian Hornung et
le pianiste Benjamin Engeli en maîtrisent les infimes
palpitations comme les silences. Les Fünf Stückze im Volkston op. 102, de Robert Schumann (1849), nous ramènent en territoires plus avenants : des miniatures
lyriques dans le style populaire. Les deux interprètes ménagent avec flair
poésie et humour, sans chercher le charme à tout prix. La Sonate pour
violoncelle et piano op. 6 de Richard Strauss peut sembler un choix
curieux. Composée en 1881-1883, elle appartient aux œuvres d'apprentissage de
l'auteur du Chevalier à la rose, qui y fait montre pourtant d'une
étonnante maturité. On est saisi par cette aisance mélodique qui sera toujours
la sienne, l'art de la modulation, et surtout le fini sonore. L'allegro con
brio ouvre la pièce avec panache, de ses thèmes bien sentis et un dialogue
vivant entre les deux instruments. Une belle et douce rêverie pare l'andante,
qui culmine dans un majestueux fortissimo, avant que le finale, allegro vivo,
n'ajoute ce type d'humeur avec attaques staccato que Strauss utilisera souvent
par la suite. La pièce est-elle influencée par Brahms que Strauss venait de
côtoyer à Vienne ? La fière sonorité de
Maximilian Hornung lui confère un impact qu'on ne
soupçonnait pas, et Benjamin Engeli lui donne une
réplique aisée.
© Georg Anderhub/Lucerne Festival
Le récital du violoniste australien,
quoique né à Taipeh, Ray Chen (*1989) offrait cette particularité de donner des
morceaux transposés. Ainsi de la Partita pour violon seul de JS. Bach,
BWV 1006, jouée dans la version pour violon et pianoforte que Robert Schumann
réalisa dans les années 1852/1853, et « créée » par Joseph Joachim et
Clara Schumann en 1854. Il s'agit d'une tentative d'ornementation, dans la
mesure où les phrases d'accompagnement du piano restent volontairement
discrètes. Curieux assemblage, néanmoins, auquel l'auditeur moderne, soucieux
d'authenticité, n'est pas spécialement habitué. Le résultat est au mieux
décoratif, au pire alourdissant inutilement la pureté de la ligne de chant,
surtout sur un Steinway moderne bien résonant. Quoi qu'il en soit, passé
l'effet de surprise, on apprécie la sonorité immaculée du violoniste qui se
fraie adroitement un chemin parmi ces danses françaises de la suite baroque, en
particulier dans la Gavotte en Rondeau et les deux Menuets. Le Divertimento
qu'Igor Stravinsky a tiré, en 1934, de son ballet Le Baiser de la Fée,
avait été arrangé en une version pour violon et piano, en collaboration avec
Samuel Dushkin, violoniste americano-polonais. La double transposition, du grand orchestre à
l'orchestre de chambre, puis au duo violon-piano n'enlève rien à la magie de
cette œuvre. Les quatre mouvements sont dotés de l'élégance qui marque la
période classique du musicien russe. S'en détachent un capricieux scherzo et un
finale en forme de Pas de deux dont le tempo adagio se meut en une suite de
brèves variations pleines d'esprit. Ray Chen et son pianiste français, Julien
Quentin, en livrent une exécution subtile et vivante. Le morceau de résistance
restera cependant la Sonate pour violon et piano op. 94a de Serge
Prokofiev. Là encore, fruit d'une transposition, celle de la Sonate pour
flûte, op. 94, effectuée par le musicien à la demande de l'ami David Oïstrach, et créée par celui-ci et Lev Oborin à Moscou, le 17 juin 1944. Le célèbre violoniste obtint même du compositeur
qu'il réécrive certains passages, ce à quoi celui-ci se plia de bonne grâce, en
modifiant même quelque peu le climat de la pièce. Ainsi du premier mouvement,
qui d'« andantino » dans la version pour flûte, devient ici
« moderato » : alternance de deux thèmes très mélodieux, le premier,
à la sonorité bucolique, revenant en boucle, ce que Prokofief a le secret de rendre mémorable. Le scherzo, marqué presto, et joué ici le plus
rapidement possible, illustre une danse joyeuse, à la fois fantomatique et très
rythmée, soudain interrompue par un bref trio, avant que la coda ne s'enflamme,
encore plus brillante. L'andante, empreint d'un soupçon de mélancolie, assume
un lyrisme aux fines arabesques. Et l'allegro con brio final met un terme à une
pièce pétillante, emplie de péripéties ; ce que Ray Chen et Julien Quentin ne
se font pas faute de souligner non sans humour dans les accords plaqués du
piano et les envolées extravagantes du violon. Le jeune violoniste, vainqueur
en 2008, du concours Yehudi Menuhin pour jeunes
violonistes, et déjà titulaire d'un contrat chez Sony, pour lequel il a
enregistré deux CD, joue un magnifique Stradivarius, « Lord Newlands », de 1702, et se guide d'une tablette
numérique en guise de partition. On n'arrête pas le progrès !
Jean-Pierre Robert.
***
SPECTACLES ET CONCERTS
Haut
Le Chœur de Chambre Les Temperamens Variations. À l'Église des Billettes
© DR
Sur le thème : La Nature comme miroir de l’âme, le Chœur de Chambre Les Temperamens Variations a proposé un programme de musique a cappella romantique et
d’aujourd’hui, sous la direction de Thibault Lam Quang qui a le don de faire passer le courant et de transmettre immédiatement
l’émotion aux auditeurs. Ce brillant concert a été introduit par le Pasteur
Alain Joly qui — s’inspirant de Chateaubriand et de son ouvrage
apologétique : Le génie du
Christianisme (1802) — a dégagé des réflexions sur la beauté de la nature
et la proximité de Dieu. Le sentiment de la nature se prête, bien entendu, au
lyrisme : c’est le cas des Sechs Lieder im Freien zu singen (Chants pour le plein air) de Félix
Mendelssohn-Bartholdy (1809-1847) marqués, tour à tour, par un souffle
romantique, l’expressivité, le recueillement, la fraîcheur, le dynamisme et l’opposition
tension/détente, sans oublier l’aspect descriptif et la peinture d’atmosphère.
Les Quatre Chansons polyphoniques de
Camille Saint-Saëns (1835-1921) sont, en fait, des hymnes à la nature
éternelle, plus intimistes appartenant aux joyaux de la littérature et de la
musique françaises à découvrir. Avec les Six early part-songs, œuvre
de jeunesse de Frederick Delius (1862-1934), la facture mélodique, avec un
dosage adéquat de la dissonance, se fait plus moderne, l’atmosphère s’avère
étrange ou encore heureuse et joyeuse. L’événement de cette manifestation
musicale — en présence du compositeur, Alain Kremski — a été la création parisienne de son œuvre pour chœur a cappella : Que s’éveille mon extase, sur le texte
du théologien Gottschalk d’Orbais (IXe siècle) au
tragique destin, avec questions, réponses et invocation au « Dieu
mystère ». Ces paroles d’une beauté poignante sont marquées par un lyrisme
naturel. Toutes les nuances et inflexions du poème, interrogations,
lamentation, invocation, extase… ont été vivement ressenties par le chef et
aussitôt transmis à l’auditoire particulièrement attentif. Au cours de cette
inoubliable soirée, Thibault Lam Quang a
merveilleusement rendu, selon ses propres termes, « cette idée d’une
Nature consolatrice de nos âmes [qui] induit l’existence d’un exil, le nôtre,
dans ce monde hostile dans lequel nous sommes projetés à notre
naissance ». Tant imprégné de lyrisme et de mysticisme, ce concert
thématique comptera dans les annales de l’Église luthérienne des Billettes et
restera gravé dans la mémoire à la fois des fidèles auditeurs et des choristes
si motivés de l’Ensemble Les Temperamens Variations.
Edith Weber.
Célébration aux Proms
© Marco Borggreve
Les Proms du Royal Albert Hall de Londres, fondés en
août 1895 et conduits par Sir Henry Joseph Wood (1869-1944), constituent un
événement exceptionnel de la vie musicale européenne. Tout l’été, pratiquement,
il est possible d’assister à des concerts de la plus haute qualité. J’ai eu le
bonheur d’être l’un des nombreux auditeurs, mardi 6 août, d’un moment
artistique fort consacré à deux compositeurs anglais, William Walton
(1902-1983) et Edmund Rubbra (1901-1986), et deux
compositeurs de langue allemande, Max Bruch (1838-1920) et Erich Wolfgang Korngold (1897-1957). L’excellent BBC Philharmonic était dirigé par l’énergique Finlandais John Storgårds.
La March ‘Orb and Sceptre’ (1952/53) du roboratif Walton ouvrait le
concert. Cette partition était destinée au couronnement d’Elizabeth II, le 2
juin 1953, à Westminster Abbey, dont on célèbre
l’anniversaire cette année. La fanfare initiale témoigne non seulement de la
dignité de l’emblème mais féconde aussi un état d’esprit où les sons de
l’orchestre font alterner la densité rythmique et l’émotion mélodique la plus
originale. L’Ode to the Queen, opus 3
(1952), est relative au même événement. Rubbra, l’un
des plus grands compositeurs anglais de sa génération, élève de Gustav Holst
(1874-1934), complètement ignoré de l’autre côté de la Manche, mettait ainsi en
musique trois magnifiques poèmes de Richard Crashaw (ca 1612-1649),
« le divin », de William D’Avenant (1606-1668), également dramaturge,
et du compositeur, poète et médecin Thomas Campion (1567-1620). La
mezzo-soprano britannique Susan Bickley les a
entonnés avec une rare intelligence, dépassant en quelque sorte la
commémoration pour la transcender. La violoniste norvégienne Vilde Frang jouait ensuite, avec une étonnante assurance, le
fameux Concerto n°1 en sol mineur (1864/68) de Bruch. La seconde partie
du programme était entièrement consacrée à la belle et intense Symphonie en fa dièse, opus 40 (1947/52), de l’Autrichien Korngold,
particulièrement connu pour sa musique de film. Le sommet de cette œuvre est,
indéniablement, l’Adagio central, sublime, dont certains pensent qu’il
est proche de l’esprit mahlérien. Il est toujours impressionnant de se trouver
dans ce vaste Royal Albert Hall, entouré d’auditeurs concentrés, pour lesquels
la musique relève non seulement de la beauté esthétique mais aussi de l’esprit
en tant qu’il participe, en ce cas, à l’évolution de la pensée.
James Lyon.
Reprise de Lucia di Lammermoor à l'Opéra
Bastille
Gaetano DONIZETTI : Lucia di Lammermoor. Dramma tragico en trois actes.
Livret de Salvatore Cammarano d'après le roman de
Walter Scott La fiançée de Lammermoor. Sonya Yoncheva, Michael Fabiano, George Petean, Orlin Anastassov, Alfredo Nigro, Cornelia Onciu, Éric Huchet. Orchestre et Chœur
de l'Opéra national de Paris, dir. Maurizio Benini. Mise en scène : Andrea Serban.
© ONP/Mihaela Marin
Cette reprise du chef d'œuvre de Donizetti
remet en selle la production qu'Andrea Serban réalisa
en 1995. Pour lui, « Lucia n'est pas folle ». Dotée d'une sensibilité
extrême, elle voit seulement la face cachée des choses. Et se meut plus dans
l'irrationnel que dans la pure réalité. Aussi lorsqu'elle comprend avoir été
trahie par un père peu scrupuleux des sentiments profonds de sa fille, se
réfugie-t-elle dans une sorte d'ailleurs. Pour creuser le contraste, Serban imagine un univers froid et cruel, masculin à
l'excès, où se rencontrent à la fois les expérimentations de la Salpêtrière et
les exercices gymniques des Cadets de Saumur. La scénographie est envahissante,
enchevêtrement de passerelles suspendues, encombrant matériel de salle de
gymnastique, avec cheval d'arçon, barres parallèles, anneaux et cordes lisses.
Le chœur est rangé en haut d'un amphithéâtre, comme pour mieux savourer les
déconvenues de la pauvre fille. Les visions s'imposent plus qu'elles ne
suggèrent. Mais Serban professe que l'opéra romantique
n'appelle pas nécessairement un décor léché, et que créer un
« heurt », pour ne pas dire « une contradiction », entre ce
qui est vu et entendu créé la dynamique. C'est peu
dire qu'on est loin des collines de Lammermoor,
parsemées de ruines de quelques châteaux écossais. Reste que l'idée
d'enfermement en un lieu unique et clos, comme l'aspect menaçant d'un
environnement naturel peu amène, voire hostile, produisent un sentiment
d'oppression certain. Ce qui ne messied pas dès lors qu'on veut dépasser l'imagerie
convenue pour une approche visant à décortiquer la psychologie d'un personnage
singulier. Plus d'un trait capte l'attention, telle la cavatine que Lucia
chante sur une balançoire, contraste saisissant entre une apparente insouciance
et le tragique de ce rêve éveillé d'un amour déjà impossible. La scène de la
folie la conduira à errer au milieu d'un assortiment d'objets bien peu
féminins, après s'être aspergé le visage à l'eau des lavabos métalliques de la
caserne, et avant de se vautrer dans la paille... D'autres sont encore plus
dérangeants, comme le tableau de la noce qui voit Lucia martyrisée par son
entourage : chantage du père lui brandissant le portrait de sa mère, pour en
appeler à la compassion, vindicte des femmes de son propre entourage, qui
l'affublent sans ménagement de la robe de mariée. Au final, une présentation
qui ne manque pas d'allure, pourvue d'éclairages fort sophistiqués, et qui
soumet les protagonistes, Lucia et Edgardo en
particulier, à de périlleuses exigences physiques qui tiennent souvent de
l'acrobatie. Mais l'extase vocale n'est pas toujours des plus aisées à
appréhender.
© ONP/Éric Mahoudeau
Elle est pourtant bien présente, et la
jeune distribution rend justice à la virtuosité et à la puissance expressive de
la musique de Donizetti. Abordant le rôle-titre, Sonya Yoncheva fait montre d'une témérité peu commune et
d'une aisance remarquable. Le timbre est clair et la puissance ne manque pas.
Son souci est de ne pas vouloir « faire du beau chant » à tout prix. Ainsi en est-il de l'air de la
folie, qui se veut tout le contraire d'un morceau purement virtuose. Pour une
première approche, la caractérisation est déjà fort élaborée, nulle doute influencée par la minutie de la régie. Le ténor
américain Michael Fabiano sait, de par sa formation new-yorkaise, ce que
chanter dans un vaste auditorium veut dire. La voix est bien placée, l'émission
nette et justement sonore, les nuances pas moins bien senties. Il réussit à
maintenir la tension à la dernière scène, et l'émotion est réelle. L'un et
l'autre portent la spontanéité de la jeunesse trompée, qui rend d'autant plus
crédible le funeste guet-apens dans lequel on précipite leurs personnages.
George Petean est un Enrico plus conventionnel, dans
sa morgue affichée, mais la ligne de chant flatte par son envolée et sa
puissance. Tout comme le Chapelain Raimondo de Orlin Anastassov, solide et caverneux dans la basse, quoique un
peu monolithique pour défendre un personnage ambigu il est vrai. Les seconds
rôles sont bien tenus, mis à part Alfredo Nigro, bien
pâle dans l'amoureux éconduit Arturo. Le chœur, ravalé au rang de
spectateur-voyeur du drame, n'en est pas moins hautement efficace. Maurizio Benini, qui s'est fait une spécialité de cet opéra, qu'il
dirigea naguère aussi à l'Opéra de Lyon, fait plus qu'assurer le chant : il
déploie avec l'Orchestre de l'Opéra une belle palette de sonorités italiennes
et conduit les ensembles à leur point d'incandescence dramatique, notamment
lors du vaste sextuor concluant le deuxième acte. A noter aussi la prouesse des
solistes instrumentaux, la harpe, et surtout la flûte qui enlumine le grand air
de la soprano.
Jean-Pierre Robert.
Une tragédie lyrique en noir et blanc
Christoph Willibald GLUCK : Alceste. Tragédie lyrique en
trois actes. Livret de François-Louis Gand Le Bland du Roullet, d'après Ranieri de Calzabigi. Sophie Koch, Yann Beuron, Jean-François
Lapointe, Frank Ferrari, Stanislas de Barbeyrac,
Marie-Adeline Henry, Florian Sempey, François Lis,
Bertrand Dazin. Chœur et Orchestre des Musiciens du
Louvre Grenoble, dir. Marc Minkowski. Mise en scène :
Olivier Py.
© ONP/Agathe Poupeney
Inspirée de la tragédie d'Euripide, l'Alceste de Gluck fut d'abord confiée au librettiste Ranieri de Calzabigi et créée en italien, à Vienne, avant
de passer entre les mains du bailli François-Louis du Roullet pour sa version française. Ce faisant, la pièce a connu d'importants changements
pour être adaptée au goût français, au nouveau goût, prôné par la Réforme de
l'opéra voulue par le musicien : rupture avec la tragédie française classique
rigide, de Rameau en particulier, recherche de plus grande vérité dramatique et
d'une élocution plus naturelle, simplification de l'intrigue, loin des trames
complexes de Métastase. Celle d'Alceste est simple : pour sauver son
époux Admète, que les dieux vouent à la mort, à moins
que quelque autre ne s'offre pour prendre sa place, Alceste décide d'offrir sa
vie. Apprenant la terrible décision, Admète ne peut
s'en satisfaire et adjure le ciel de le laisser mourir. Alors qu'Alceste
s'apprête à franchir la porte des enfers, surgit Hercule, qui, bravant les
dieux, dénoue la situation, permettant à Apollon de rendre les époux à la
félicité. Hercule en sera récompensé et gagnera sa place auprès des phénix de
l'Olympe. Cette tragédie de l'amour conjugal et du dévouement féminin connait
ainsi un dénouement quelque peu artificiel. Est-ce la raison pour laquelle Olivier Py fait de l'habile Hercule une sorte de
prestidigitateur, qui après avoir tiré de son chapeau quelque blanche colombe,
extirpe les deux protagonistes des rets d'une mort assurée, et défie l'horrible
Caron, gardien des enfers ? Sa mise en scène modernise et objective, ne
cherchant pas à transposer : elle dissèque l'âme des deux personnages. Et,
n'était le parti pris décoratif du noir et blanc, offre la vision d'une
succession de brefs tableaux épurés que découvre le va et vient des
praticables, procédé récurrent chez le décorateur Pierre-André Weitz. Elle affiche dans son esthétisme froid, une
tristesse insondable, même dans les passages de réjouissances ou de
divertissements, il est vrai bien peu crédibles en eux-même quant à la liesse populaire véhiculée.
L'atmosphère sera résolument lugubre, qu'une animation répétitive ne parvient
pas à éclaircir. Dès avant que le spectacle ne commence, le plateau découvre un
vaste tableau noir sur lequel une escouade de dessinateurs s'affairent à
croquer la façade du Palais Garnier, qu'ils vont vite effacer pour figurer
d'autres images censées illustrer l'action. Ce ballet incessant de croquis
exécutés à la craie, d'abord intriguant, car inventif, devient à la longue
lassant, car il a tendance à capter l'attention. Choristes et personnages sont
pareillement vêtus de noir, et le blanc ne ressortira que du lit nuptial,
éclairé d'un néon aveuglant, alors que des herses de lumière de ce type barrent
souvent l'horizon. Les protagonistes eux-même couchent aussi sur le tableau noir quelques sentences, au fil de la progression
du drame, en forme de points de repère, comme « Seule, la musique
sauve ».
© ONP/Agathe Poupeney
On les prend au mot, car le réel bonheur de
ce spectacle procède plus de sa composante musicale que de sa présentation
scénique. A commencer par l'Orchestre des Musiciens du Louvre qui projettent
sur la belle partition de Gluck des tonalités, certes tristes pour exprimer la
désolation et le deuil, mais combien habitées. Le fini sonore est rien moins
que somptueux, qui « fait de l'orchestre un personnage », selon le
laudateur Hector Berlioz. L'articulation adoptée par Marc Minkowski est un
modèle de raffinement. Et le mot du même Berlioz, à propos de la scène de
l'Oracle, du premier acte, « c'est de la musique de géant », prend
toute sa saveur. Il est, dès lors, curieux que l'orchestre déserte la fosse en
seconde partie, pour gagner le plateau, derrière l'aire de jeu, où on l'entend
moins distinctement. Et gagne-t-on beaucoup à voir les furies infernales surgir
du contrebas de la fosse, ou Alceste descendre quelques degrés en cette
direction pour s'apprêter à fréquenter les enfers ? Yann Beuron,
remplaçant un Roberto Alagna ayant déclaré forfait, est un Admète stylé, à la voix glorieuse et à la noble déclamation. Chez lui, le naturel
procède aussi bien du chant que de la prestance. Le drame n'en ressort que plus
vrai. L'Alceste de Sophie Koch se place-t-elle dans le sillage de ses illustres
prédécesseurs, Germaine Lubin ou Régine Crespin ? Pas si sûr. Car malgré une
élocution admirable et un port convaincant, voulu sans grandiloquence ni
maniérisme par Olivier Py, pour traduire l'héroïsme
du sacrifice d'Alceste, la caractérisation vocale surprend par son
incomplétude. Le rôle convient-il à sa tessiture de mezzo-soprano ? Malgré la
conviction affichée, quelques passages aigus marquent l'effort et,
paradoxalement, les notes graves en arrivent à être détimbrées. Dommage, car
cette artiste nous avait habitués à un parcours sans faute, dans Wagner et
Richard Strauss, sans parler de sa Charlotte de Massenet. Les autres rôles
entourant cette paire essentielle au point de dominer, sont de qualité :
Jean-François Lapointe, le Grand Prêtre, et Florian Sempey,
Apollon, sachant distiller l'effroi, comme François Lis, sonore Oracle, et
Franck Ferrari, cocasse Hercule. Le Chœur des Musiciens du Louvre, dont les
membres savent jouer tout autant que
chanter, sont encore une fois parfaitement en situation, malgré quelques
petites imprécisions d'attaques.
Jean-Pierre Robert.
Les
Wiener Philharmoniker en fanfare au Théâtre des
Champs-Elysées
© DR
Une bien belle affiche pour le concert
d’ouverture de la saison au TCE : l’Orchestre Philharmonique de Vienne, en
résidence ici depuis plus de vingt ans, dans un programme viennois, sur mesure,
la monumentale Symphonie n° 8 d’Anton
Bruckner, dans sa version définitive de 1890, et un chef légendaire, Lorin
Maazel. Une œuvre bien connue de l’orchestre puisque donnée, à Paris, dans une interprétation mémorable, en 1995,
par Bernard Haitink, et plus récemment, en 2007, par
Christian Thielemann, deux moments de pure grâce.
Lorin Maazel occupait donc, ce soir, le pupitre que tenait Hans Richter, lors
de la création de l’œuvre à Vienne, en
1892. Aujourd’hui âgé de 83 ans, dont plus de 70 années consacrées à la
direction d’orchestre, Lorin Maazel est,
lui aussi, un fidèle de cette œuvre qu’il donna ou enregistra plusieurs fois
avec différentes phalanges prestigieuses, comme le Philharmonique de Munich ou
l’Orchestre de la Radio bavaroise. Tout s’annonçait donc pour le mieux…Hélas,
si la qualité superlative de l’orchestre n’est pas, ici, en cause, c’est bien
l’interprétation qu’en donna le chef qui ne parvint pas à nous convaincre
totalement. Trop lourd et trop lent pour que cette vision ne réussisse jamais à
nous intéresser complètement : fanfare furieuse à la limite de la
saturation, ruptures rythmiques, manque de tension, discours heurté, manque de
clarté des différents blocs sonores pour un résultat assez confus.
Grandiloquence quand nous attendions ferveur, l'exécution rapidement se réduira
à quelques beaux moments, comme le magnifique adagio qui s’élèvera vers le
Graal de Maurice Denis, comme une prière. Mais ne boudons pas notre plaisir et
sachons profiter de l’exceptionnelle qualité musicale, tous pupitres confondus,
de cette mythique phalange, à laquelle le public nombreux réserva un
triomphe ! La suite des aventures des Wiener Philharmoniker,
cette saison, se jouera en janvier 2014, sous la direction de Riccardo Chailly… Mais ceci est une autre histoire.
Patrice Imbaud.
Yannick Nézet-Seguin, en grand capitaine
au Théâtre des Champs-Elysées
Richard
WAGNER : Der fliegende Holländer (Le
Vaisseau fantôme). Opéra en trois actes (1843). Livret du compositeur. Evgeny Nikitin, Franz-Josef Selig, Emma Vetter, Frank van Aken, Agnes Zwierko, Torsten Hofmann. Chœur du Nederlandse Opera. Orchestre
Philharmonique de Rotterdam, dir. Yannick Nézet-Seguin. Version de concert.
© Hans van de Woerd
Pour la reprise de ses très attendues
versions de concert, le TCE proposait Le
Vaisseau fantôme de Richard Wagner. Premier opéra traduisant la véritable
esthétique wagnérienne et première étape sur le chemin de la rédemption, quête
qui hantera le compositeur pendant toute sa vie. « Wagner n’a jamais
réfléchi aussi profondément qu’à la rédemption : son opéra est l’opéra de
la rédemption ». (Nietzsche : Le
cas Wagner). Pourquoi la quête de la rédemption est-elle omniprésente dans
le drame wagnérien au point de constituer un véritable leitmotiv retrouvé dans
tous ses opéras depuis le Vaisseau
fantôme jusqu’à Parsifal ? La notion de rédemption, chez Wagner,
doit être prise dans le sens moral, c'est-à-dire qu’elle présuppose une faute
originelle : la question de la paternité pourrait constituer cette faute
originelle et impliquer la nécessité d’un rachat toujours présent sous
différentes formes dans ses opéras. Si la question des origines juives de
Wagner (par l’intermédiaire de Ludwig Geyer), affirmées par Nietzsche, n’est
plus crédible aujourd’hui et prête plutôt à sourire, la quête de l’identité
paternelle, dont on peut toujours se poser la question de la réalité factuelle,
semble avoir été une préoccupation maintes fois affirmée dans les opéras
wagnériens. Wagner ne parvenait pas à se rassurer quant au problème de la
paternité. Le doute enfoui dans son inconscient réapparaît dans toute son
œuvre : c’est la question de Siegfried : « comment était
mon père ? ». Dans tous les drames musicaux se pose la question du père :
Walther von Stolzing,
Tristan, Siegmund, Siegfried, Parsifal n’ont pas connu leur père. Cette question, maintes fois posée, reste sans
réponse, aboutissant à une profonde détresse existentielle dont Wagner ne
pouvait se libérer que par la quête rédemptrice. Pour d’autres auteurs, la
rédemption chez l’auteur de Parsifal aurait une origine plus sociologique et moins
psychanalytique, en trouvant ses fondements dans une influence maçonnique
familiale et historique. Enfin, la philosophie, par le biais de Schopenhauer,
pourrait peut-être expliquer la permanence de cette quête rédemptrice. (Cf.
« Wagner ou la quête de la rédemption », in L’Education musicale, 2007, n° 547/548). Dans Le Vaisseau Fantôme, Senta, personnage central du drame, ne
délivrera le Hollandais de son blasphème, le condamnant à une errance
interminable sur les flots, que par la promesse d’une éternelle fidélité : plus
que d’amour, il s’agit ici d’un sacrifice. « Ce désir de sauver le damné se
manifeste en elle comme une folie pleine de force, qui ne peut appartenir qu’à
des natures vraiment tout à fait naïves », dira Richard Wagner. La limite
entre la réalité et l’idéalité reste floue. Senta reste un personnage mythique
qui trouvera plus tard toute sa maturité dans les personnages d’Elsa, Elisabeth
et enfin Brünnhilde.
Au plan musical, la conjonction d’un
orchestre talentueux, comme le Philharmonique de Rotterdam qui ne cesse de nous
séduire, d’un jeune chef enthousiaste et d’un casting vocal de qualité avait de
quoi attirer le chaland avenue Montaigne. Force est de reconnaitre que
l’ensemble fut à la hauteur de nos espérances. Le chef québécois sut maintenir
le navire toutes voiles dehors quelles que soit les circonstances, dramatiques
ou apaisées. L’orchestre magnifique malgré quelques dérapages des cuivres,
offre des cordes somptueuses et un ensemble très réactif, plein d’énergie et de
plaisir de jouer. Une direction complice, précise, pertinente dans l’expression
du récit et le service des chanteurs sachant, si nécessaire, diminuer la voilure
pour mieux servir les voix. Un casting vocal dominé par les personnages de
Senta, Emma Vetter, parfaitement convaincante dans la ballade du 2e acte, et d’Erik, où Frank van Aken, à la vocalité facile et ronde, confirme toutes ses capacités de ténor héroïque. Un peu en dessous, le Hollandais de Evgeny Nitikin, parfois à la
limite de la justesse, au chant un peu rigide, manquait d’émotion, notamment
dans le duo du 2e acte, et Franz-Josef Selig, Daland, dont le chant n’a plus l’ampleur ni la
profondeur d’antan. Au chapitre des félicitations, il convient de signaler l’excellence et la justesse du Chœur de l'Opéra néerlandais. En bref, une belle
soirée, saluée, comme il se doit, par une ovation triomphale du public.
Patrice Imbaud.
Un éblouissant concert de rentrée au National
Honorant sa résidence au Théâtre des
Champs-Elysées, le « National » proposait, pour son concert de
rentrée, un programme rare et copieux, intéressant et éclectique, associant
Verdi et Dutilleux. Avec des pièces rares, à commencer par la Sinfonia de Aïda, composée pour la première
italienne à la Scala, le 8 février 1872, soit peu après la création, au Caire,
le 24 décembre 1871. Cette Sinfonia de la version italienne, mal aimée de Verdi,
disparut rapidement, laissant place au prélude de la version initiale que nous
connaissons aujourd’hui. Ce n’est que grâce à la recréation qu'en fit
Toscanini, en 1940, que nous pouvons encore écouter cette composition rare et
magnifique à l’orchestration raffinée. Occasion pour l'Orchestre National de
faire montre, d’entée de jeu, de la richesse de ses couleurs, de l’excellence
de ses pupitres, cordes et vents, guidés par la gestique élégante de Daniele Gatti. Vinrent ensuite les Huit romances pour ténor & orchestre, orchestrées par Luciano
Berio, et chantées avec un rare bonheur par Joseph Calleja. Rien n’y manquait,
beauté du timbre, vocalité facile, large tessiture, souplesse de la ligne de
chant, legato somptueux, présence scénique. Pour conclure cette première
partie, un hommage à Dutilleux avec le Mystère
de l’instant pour cymbalum, cordes et percussions (1989) : Une pièce
surprenante dans l’œuvre du maître, conçue comme une libre réminiscence du
silence habité des bruits de la nuit, entendus par un soir de juin à Candes Saint Martin, en Touraine. Une pièce faite d’une
série d’instantanés relevant d’un jeu de spatialisation des sons, à l’image
d’un mobil de Calder. La seconde partie du concert s’ouvrait avec le poignant
« Ave Maria » extrait d’Otello, où le soprano angélique de Leah Crocetto fit merveille, avant d’aborder le Libera
me Domine extrait de la Messe pour Rossini (1869), œuvre collective qui ne
fut jamais donnée, mais réutilisée par Verdi dans son Requiem en 1874. Enfin, les Quatre
pièces sacrées (1887-1898) s’opposant deux à deux, Ave Maria et Laudi, utilisant le chœur
solo dans un moment de recueillement ou, à l’inverse, Stabat Mater et Te Deum, utilisant l’ensemble de la masse orchestrale et des chœurs dans un déferlement
instrumental et vocal, grandiose et effrayant. Toutes occasions de juger la qualité
superlative du Chœur de Radio France. Une soirée, donc, marquée du sceau de
l’excellence !
© DR
Patrice Imbaud.
***
L’EDITION MUSICALE
Haut
FORMATION
MUSICALE
Gilles
TREILLE : Polyrythmies. Textes
et rythmes à parler, chanter, jouer, frapper. Fin de 1er cycle, 2ème cycle, 3ème cycle. Billaudot :
G9182B.
Ces polyrythmies sont bien
originales et pleines d’intérêt et font en même temps appel à la culture
musicale et littéraire des élèves… et de leur professeur. Réparties sur trois
niveaux, ces lectures rythmiques comportent des rythmes frappés à une voix,
mains alternées, des prosodies rythmiques à une voix parlée, des prosodies
rythmiques avec une ligne d’accompagnement rythmique frappée dans les mains ou
avec des instruments de percussion, comportant parfois une part d’invention. La
méthode de travail est indiquée dans la préface. Il s’agit d’un ouvrage riche
qui peut être exploité de multiples façons.
Anthony
GIRARD : Le langage musical de Ravel
dans le Quatuor à cordes. Billaudot :
G9308B.
C’est toujours un plaisir
que d’ouvrir un de ces cahiers d’analyse qui permettent de cerner un
compositeur à partir d’une de ses œuvres et dont Anthony Girard a le secret. A
travers le quatuor, c’est toute la personnalité si complexe de Ravel qui se
dévoile. L’analyse, par ailleurs très pointue de l’œuvre débouche sur une
vision d’ensemble particulièrement passionnante. C’est un ouvrage à recommander
tant aux élèves un peu avancés qu’aux amateurs éclairés.
Jean-Clément
JOLLET : Tour de chants. Livre
de mélodies de divers auteurs, recueillies par Jean-Clément Jollet.
Volume 8, cycle 2, 4ème année. 1 vol. 1 CD. Billaudot :
G8633B.
On ne présente plus cette
remarquable collection de mélodies comportant pour chacune une mise en voix qui
est en même temps une mise dans l’ambiance. Les conseils pédagogiques sont
particulièrement intéressants et importants pour une mise en œuvre fructueuse de ces textes musicaux fort divers mais d’un très grand
intérêt. C’est en même temps une occasion de développer la culture musicale,
historique et littéraire des élèves, si souvent lacunaire pour ne pas dire
plus. Le CD comporte non seulement le play-back des œuvres mais aussi celui des
exercices préparatoires de mise en voix.
Nancy BACHUS – Tom GEROU : Great
Music & Musicians. An Overview of Music History. 1 vol. 1 CD. Alfred :
39060.
Bien sûr, l’ouvrage est
entièrement en anglais… Mais même s’il est difficile de s’en servir en France
en dehors d’une école bilingue, ce « survol » de l’histoire de la
musique peut donner bien des idées aux professeurs pour en tirer leur propre
programme, aidés par le CD qui, lui, n’a pas besoin de traduction ! De
l’époque gréco-romaine à nos jours, en 56 pages, l’ouvrage plante des jalons
qui pourront ensuite être nourris mais qui permettent de mettre en place un
schéma clair des principaux repères historiques et musicaux. Les illustrations,
fort réussies, sont, elles aussi, internationales…
Jacques
PETIT : Manuel d’Harmonie. Livre
pratique et exercices enregistrés. 1 vol. 1 CD. Cité de la musique :
ISBN : 978-2-906460-76-8.
Certes, il ne s’agit pas
d’une nouveauté puisque cet ouvrage date de 1995. Nous en avions d’ailleurs
rendu compte en son temps. Mais cette nouvelle édition nous donne l’occasion
d’en reparler. Pourquoi avoir classé ce livre dans la Formation Musicale alors
que tout se passe au piano ? L’auteur y répond dans sa préface-mode
d’emploi : « - Comment se faire une « oreille
harmonique » ? – En s’aidant du piano. Cet ouvrage a été rédigé en
pensant surtout aux non-pianistes : beaucoup de détails concernent ces
malheureux. -… et si on est déjà pianiste ? – On est avantagé, mais il reste
de nombreux chapitres qui pourront intéresser ces privilégiés… ». C’est
dire qu’il ne s’agit pas d’un énième ouvrage théorique mais d’un ouvrage
éminemment pratique et fort bien fait qu’on ne saurait trop recommander. Le
copieux CD qui l’accompagne permettra une mise en œuvre fructueuse de ce volume
qui est, en fait, le premier d’une série de quatre : un livre théorique,
un répertoire de thèmes bien utile et un dernier volume consacré à
l’improvisation et l’invention. Terminons par la remarque faite par
Claude-Henry Joubert en postface : « [Ce livre] sera évidemment utile
à beaucoup, mais on ne peut que souhaiter, en faisant confiance à l’avenir de
l’enseignement, qu’il devienne le plus vite possible inutile… ».
Ironique ?
MUSIQUE
CHORALE
Jean-Christophe
ROSAZ : Passion de Notre Seigneur
Jésus-Christ selon Saint Luc pour solistes, chœur, violoncelle et orgue.
Schola Cantorum : SC 8744. http://www.schola-editions.com
Cette Passion selon Saint
Luc fait partie d’une commande de trois passions pour la célébration des
Rameaux en la cathédrale d’Autun, commande passée par la Maîtrise de la
cathédrale qui a aussi créé ces œuvres. Les autres Passions sont selon Saint
Matthieu et selon Saint Marc. Dans un langage à la fois moderne et accessible,
J.C. Rosaz retrouve la structure des passions
anciennes, en particulier de Bach. Le texte de l’évangile, réparti entre
solistes et chœur est ponctué à trois reprises par une intervention de la
foule, à l’unisson, sur l’air du Vexilla Regisgrégorien, avec un texte rappelant celui des
chorals qui ponctuent les passions de Bach. Ce n’est certainement pas un hasard
si la dernière intervention commence par les mots « Repose en
paix… » qui sont également ceux du début du
dernier chœur de la Passions selon Saint Jean de Bach…
Luciana PENNA-DIAW : Chants Wolofs du Sénégal pour chanter
ensemble de 8 à 14 ans. 1 vol. 1 CD. Cité de la musique : ISBN
978-2-914147-49-1.
Ce volume constitue en
fait toute une initiation à l’ensemble de la culture Wolof. La mise en œuvre
des chants ne survient qu’après tout un parcours pédagogique très détaillé
permettant une interprétation pleinement raisonnée des chants proposés. Le CD
est également très détaillé et constitue un élément essentiel pour la pédagogie
de ce recueil. Le dépaysement est garanti, mais les jeunes – et les moins
jeunes – y trouveront le plaisir de la découverte d’un monde culturel et
musical nouveau.
PIANO
Wilhem KRAMER : Glockenspiel Polka pour piano à 4 mains. Transcription de
Jean-François Pailler. Difficulté moyenne. Delatour :
DLT2171.
Transcription d’une œuvre
à six mains de ce musicien de la fin du XVIII° siècle, cette polka est bien
réjouissante et est ainsi plus facilement accessible. On trouvera sur le site
de l’éditeur l’interprétation intégrale de l’œuvre et sur You Tube une
interprétation à six mains. On peut cependant être dubitatif sur l’attribution
de l’œuvre, mais qu’importe : le plaisir est là !
Claude-Henry
JOUBERT : Les aventures de Némorin. 14 pièces pour piano. Niveau première année.
Editions Fertile Plaine, 87, rue de Neuilly, 93250 Villemomble. www.fertile-plaine.com FP1554.
Comme nous le redirons
plus bas, saluons d’abord cette maison d’édition qui se consacre à la
publication d’œuvres ayant un projet pédagogique original.
Certes, on peut se
contenter de faire jouer les pièces telles qu’elles existent, mais ce serait un
non-sens pédagogique que d’en rester là. L’auteur présente toute une série de
pistes à explorer et d’expériences à mettre en œuvre. Quant aux pièces
elles-mêmes, elles sont porteuses de tout l’humour parfois ravageur qu’on
connait à C.-H. Joubert. Souhaitons beaucoup de plaisir et de profit à ceux qui
mettront en œuvre ces propositions.
ORGUE
Andrew
AGER : Première suite op. 31.
Pour orgue. Delatour : 2137.
Cette œuvre de moyenne
difficulté comporte cinq parties qui suivent les mouvements traditionnels de la
suite française pour orgue : « Procession », pièce brillante
d’ouverture, « Duo », dialogues entre les deux claviers sur les
principaux et les mutations, « Flûtes », sur les flûtes de 8’ et 4’,
« Basse de trompette », « Musette », qui joue sur les
timbres et enfin « Sortie joyeuse » à jouer, selon l’auteur, « avec
panache et liberté de tempo ». L’ensemble ne demande pas forcément un
instrument très important, mais surtout un orgue riche en timbres.
Robert
SCHUMANN : Album d’orgue pour la
jeunesse. Pièces extraites de l’opus 68 Album für die Jugendadaptées
pour l’orgue sous forme de Méthode progressive par Georges Guillard. Cahier 1.
Premier cycle – Début du deuxième cycle. 1 vol. 1 CD. Schola Cantorum : SC 8741. http://www.schola-editions.com/
Nous sommes heureux de
rendre compte des nouveautés des éditions de la Schola Cantorum.
Georges Guillard nous propose ici un album novateur à bien des égards. Adapter
le célèbre Album pour la jeunesse de
Schumann à l’orgue pouvait paraître incongru. Et pourtant, le CD montre que ce
ne l’était pas tant que cela. En faire une méthode d’orgue n’était pas évident
non plus. Et là encore, le pari est gagné. Il ne faudra pas lancer, cependant,
les jeunes élèves dans ces pages sans avoir lu avec attention et fait lire aux
élèves l’ « Avant-propos à l’intention des professeurs – mais aussi
des élèves ». Georges Guillard y publie intégralement les « Conseils aux
jeunes musiciens » rédigés par Schumann en 1850 et traduits par Liszt. Or
ces conseils devraient être la bible de tout professeur de musique, tous
instruments confondus, et de tout élève…
CHANT
Jay ALTHOUSE : Sings of the British Isles pour chanteurs solistes et piano. 1 vol. 1 CD. Alfred : 39750 et
39747. http://alfreduk.fabermusic.com
Saluons ce recueil de
chansons traditionnelles des îles britanniques qui sont toutes plus attachantes
les unes que les autres. Les accompagnements sont réalisés avec un goût
parfait. Le recueil existe en deux tessitures. Le CD fournit l’intégrale des
accompagnements de piano joués avec beaucoup de délicatesse. Ce recueil devrait
être adopté par beaucoup de classes de chant mais ces chansons méritent surtout
d’être chantées en concert.
VIOLON
George
A. SPECKERT : Folk pour deux
violons. Collection « Ready to play ». Bärenreiter : BA 10624.
La collection « Ready to Play » permet à des instrumentistes encore
peu expérimentés de découvrir par eux-mêmes les joies de la musique d’ensemble.
La préface fournit à la fois des explications historiques et des indications
très précises d’interprétation. Ajoutons qu’elle comporte également le
« matériel » (ici, deux partitions complètes) pour l’exécution. Ces
douze pièces de folk-musique comprennent entre autres « Halleluja » et « Oh ! Happy
Day ! »…
Vladimir
BODUNOV : Classic Hits pour violon et alto. Collection « Ready to play ». Bärenreiter : BA 10626.
On retrouve dans ces duos
les mêmes qualités que celles énoncées plus haut à propos de « Folk ». Ajoutons seulement qu’il
s’agit cette fois-ci de duos classiques : arrangements de J.S. Bach,
Vivaldi, Mozart, Beethoven Grieg… réalisés avec beaucoup de goût. Ce pourra
être, pour les élèves, l’occasion d’aller écouter les œuvres originales et
ainsi de se les approprier.
Claude-Henry
JOUBERT : 6 Etudes pour un ou
deux ou trente violonistes ! Editions Fertile
Plaine, 87, rue de Neuilly, 93250 Villemomble. www.fertile-plaine.com FP1637.
Saluons d’abord cette
maison d’édition qui se consacre à la publication d’œuvres ayant un projet
pédagogique original. C’est bien le cas ici pour ces six études qui sont en
réalité des variations de chorals puisés dans l’œuvre de J.S. Bach. Abordables
pour le deuxième cycle, on peut les exploiter de nombreuses façons expliquées
par l’auteur. On pourrait également s’en servir en cours de Formation Musicale.
Bref, il s’agit d’un recueil d’une grande richesse musicale et pédagogique.
Claude-Henry
JOUBERT : 6 concertos minuscules pour
violon, avec accompagnement ad libitum. Niveau premier cycle.
Fertile-Plaine : FP1572.
Là encore, l’intérêt est
moins dans ces textes que dans l’usage pédagogique qu’on peut en tirer.
Composés sur le même schéma harmonique, ces six concertos pourront donner lieu
à de multiples exercices d’harmonisation et d’improvisation. Aux élèves, aidés
par leur professeur, d’en extraire toute la substantifique moelle. Une
collaboration avec le professeur de FM serait hautement souhaitable et
profitable !
Bruno
GINER : Oxphale pour deux violons. Difficile. Dhalmann : FD0384.
Cette œuvre est écrite dans
un langage tout à fait contemporain. Les procédés de jeux sont minutieusement
indiqués. On connait assez le sens des couleurs et des timbres de l’auteur pour
avoir envie de découvrir cette œuvre.
ALTO
Pascal
PROUST : Lune rousse pour alto
et piano. Sempre più : SP0070.
Pascal Proust nous propose
pour la fin du premier cycle une œuvre attachante en trois parties, deux
adagios au centre desquels un poco più vivo anime l’ensemble. On y trouve
beaucoup de délicatesse dans l’harmonie : le jeune altiste devra y
développer des qualités de phrasé et d’expressivité qui ne pourront que
développer son audition et son sens musical.
Vladimir
BODUNOV : Classic Hits pour violon et alto. Collection « Ready to play ». Bärenreiter : BA 10626.
Reportez-vous à la rubrique
« violon » pour voir tout le bien qu’on peut penser de ces duos et de
cette collection.
VIOLONCELLE
Piotr
MOSS : Jeux aléatoires pour
violoncelle et piano, violoncelle seul ou piano seul. Collection Violoncelle
mon ami. Niveau supérieur. Fortin-Armiane.
Utilisant la technique de
« l’aléatoire contrôlé », cette pièce, qui peut donc être jouée dans
trois versions, dépend en bonne partie, pour sa forme, des exécutants. Toutes
les indications d’interprétation sont très bien détaillées sur la partition.
HAUTBOIS
Kathryn
POTTER : Visions. 10 pièces pour
hautbois solo. Niveau supérieur. Fortin-Armiane :
EAL543.
De la glycine au nénuphar
blanc, ces dix pièces portent des noms de fleurs. Mettant en œuvre toutes les
possibilités expressives et de timbres du hautbois, elles sont destinées, de
l’aveu même de l’auteur, « à des musiciens virtuoses » ou qui
aspirent à le devenir. « Chaque œuvre est un fidèle portrait de la beauté
unique de chaque fleur ».
SAXOPHONE
Rémi
MAUPETIT : Voile sur les flots pour
saxophone alto et piano. Préparatoire. Lafitan :
P.L.2607.
C’est à un bien agréable
voyage que nous invite cette Voile sur
les flots ! Une première partie mineure à trois temps à l’allure
modale et un peu mélancolique se termine par une cadence qui conduit à un
quatre temps swing en fa majeur qui fait penser plutôt au bar du port. Bref, il
s’agit d’une œuvre aussi variée qu’agréable.
André
TELMAN : Au clair de lune pour
saxophone et piano. Préparatoire. Lafitan : P.L.
2606.
Put-on parler de ballade,
ou de nocturne ? Toujours est-il que nous sommes invités à nous promener,
au fil de nombreuses modulations, à un duo fort joli où piano et saxophone
dialoguent et se répondent quasiment à part égale. On aimera la délicatesse du
parcours, jamais mièvre : la diversité des rythmes y contribue beaucoup.
C’est une excellente initiation à la musique de chambre.
Sam
SADIGURSKY : 12 Intervallic Etudes pour tous saxophones. Niveau moyen à assez difficile. Delatour : DLT1854.
L’auteur, saxophoniste
bien connu, présente lui-même son œuvre dans une préface détaillée. Il s’agit,
à travers des « études d’intervalles » d’élargir en même temps
l’horizon musical des interprètes. Ces études peuvent aussi servir de base pour
les saxophonistes improvisateurs. La préface se trouve également sur le site
avec l’interprétation de l’une des études. Saluons ici le travail des éditeurs
qui permet ainsi une approche détaillée de l’œuvre.
Michael
ALIZON : Promenade Latine. Saxophone
alto et piano. Dhalmann. ISMN: 9790560244136
Bien sûr, la latinité
proposée ici est celle d’Amérique du Sud. Cette promenade pleine de charme est
abordable pour un niveau facile à moyen. A travers différents rythmes, le
saxophoniste fera un très agréable parcours dans des ambiances variées et typiques.
BASSON
Marc
LYS : Anecdotes pour trombone et
piano. Deuxième cycle. Sempre più : SP0071.
La première pièce est un
Andante très chantant mais non sans caractère. La deuxième est un allegro à
l’allure de valse fort agréable. Piano et basson dialoguent quasiment à
égalité. L’écriture évoque Fauré dans une ambiance poétique qui n’exclut pas
une pointe d’humour. C’est de la très bonne musique.
TROMBONE
Alexandre
CARLIN : First blues pour
trombone et piano. Débutant. Lafitan : P.L.2637.
Si le tromboniste peut
être débutant, il n’en sera pas de même du pianiste chargé de communiquer le
rythme de blues à l’ensemble de la pièce. Ne doutons pas que les deux
interprètes trouveront beaucoup de plaisir à interpréter ce « premier
blues » fort bien venu. Ce sera bien sûr l’occasion de faire découvrir aux
élèves la fameuse « note bleue »…
Max
MÉREAUX : Douce souvenance pour
trombone et piano. Elémentaire. Lafitan :
P.L.2600.
Ce charmant souvenir n’a
rien de mélancolique. Il déploie des facettes variées et se termine par une
cadence et une courte coda. L’ensemble est plein de grâce et devrait séduire
les jeunes interprètes. Partie de piano et partie de trombone dialoguent à
l’envie.
Marc
LYS : Anecdotes pour trombone et
piano. Deuxième cycle. Sempre più : SP0068.
Il s’agit de la version
pour trombone des mêmes pièces écrites également pour basson et recensées plus
haut.
SAXHORN-EUPHONIUM-TUBA
Yves BOUILLOT : Waltzing pour saxhorn basse/euphonium/tuba et piano. Débutant. Lafitan :
P.L.2630.
Après une courte
introduction à quatre temps, on entre dans le vif du sujet grâce à un rythme noire deux croches noire qui passe du piano au saxhorn avec
beaucoup d’obstination. Une partie médiane, plus poétique, permettra aux
interprètes de montrer leurs qualités de phrasé, puis le thème du début revient
et le tout se termine en feu d’artifice. Il est inutile de préciser que la
partie de piano n’est pas pour débutant…
Rémi
MAUPETIT : En regardant la lune pour
saxhorn basse/euphonium/tuba et piano. Préparatoire. Lafitan :
P.L.2612.
Cette jolie pièce lyrique
invite effectivement à la contemplation. Le saxhorn développe une jolie phrase
soutenue par les triolets du piano qui égrènent une sorte de choral paisible et
délicat. Le thème s’orne peu à peu et le tout se termine très délicatement par
un decrescendo conduisant à un piano.
MUSIQUE
D’ENSEMBLE
Laurent
JACQUIER : Impressions pour
piano et orchestre d’harmonie. Dhalmann :
FD0282.
Le mieux, pour se faire
une idée de la richesse et de la beauté de cette œuvre, est tout simplement
d’aller l’écouter sur le site de l’éditeur. Le langage original de Laurent
Jacquier se situe dans la continuité de Stravinsky et Ravel, pour la science de
l’orchestration et le sens rythmique. Bien sûr, ce n’est pas pour débutants…
Richard WAGNER : Wesendonck-Lieder. Fünf Gedichte von Mathilde Wesendonck. Transcription d’Alain Bonardi pour voix, quatuor à cordes et piano.
Symétrie : ISMN 979-0-2318-0728-8.
Partant de la partition
originale pour chant et piano et de l’orchestration réalisée par Wagner pour le
cinquième des lieder, Alain Bonardi se livre à un
véritable travail d’orchestration, n’hésitant pas à inclure par moment des
figuralismes instrumentaux. Cette réécriture de ces œuvres célèbres est donc à
découvrir.
Cindy LAUPER, Harvey FIERSTEIN : Kinky
Boots. Extraits
de la comédie musicale, arrangés par Stephen Oremus.
Alfred : 41393.
Kinky Boots est une comédie musicale écrite, paroles et musique, par Cyndi Lauper sur un livret de Harvey Fierstein.
L’œuvre a été tirée du film éponyme sorti en 2005, lui-même inspiré d'une
histoire vraie. Ceux qui auront aimé le film et la comédie musicale auront
plaisir à retrouver ces airs et ces ensembles remarquablement présentés de
cette comédie musicale qui fait une tournée américaine avant de se lancer à la
conquête du vieux continent.
Daniel
Blackstone.
***
Haut
Ludovic
Florin (dir.) : Carla Bley L'inattendu-e,
Paris, Naïve livres, 2013, 160 p, 28 €.
Dirigée (pardon, “coachée” !) par
Ludovic Florin, c’est toute une équipe, aussi talentueuse qu’éclectique, qui
s’est penchée sur le cas de l’extraordinaire Carla Bley,
compositeur, chef d’orchestre, instrumentiste, productrice. De cette artiste,
américaine, unanimement considérée comme l’une des plus inventives et des plus
originales de l’univers du jazz, les quatre auteurs proposent un tableau
saisissant, fondé sur la rencontre, sur l’analyse, sur l’histoire, en un mot
sur tout ce par quoi se crée un destin. Si Ludovic Florin et Jean-Michel Court
approfondissent la part purement musicale de son apport, ils n’oublient jamais,
puissamment soutenus en cela par les contributions de Jean-François Mondot et d’Alex Dutilh, la
femme, témoin et acteur de son siècle. Aux antipodes du caractère ordinairement
sinistre par quoi se signalent les actes de colloque (péché dont n’est pas absous
l’auteur de ces lignes !), cet ouvrage se lit comme le beau roman d’une
femme singulière, dont la vocation puiserait au vivier universel du geste
musical : jazz historique, folk, rock, musique de cabaret, d’église,
classique, “ethnique”… sans jamais céder, en styliste hors pair, une once de
son originalité. Inattendue, inclassable, voire incontrôlable, Carla Bley ne s’apparente à aucune autre figure de la musique
mondiale, en dépit d’une célébrité précoce, considérable même depuis son opéra Escalator Over the Hill. Le tour de
force de nos quatre auteurs reste d’avoir su solliciter, auprès et au loin
d’elle, les personnalités les plus insolites (John Cage, Don Cherry, Charlie Haden, Robert Wyatt, Jack Bruce, etc.) sans jamais rompre
l’unité de leur chronique artistique, nuancée de chaleur et d’enthousiasme. De
ce point de vue, peut-être le chapitre le plus saisissant de cet ouvrage est-il
dû à Ludovic Florin qui, parti à la recherche des « erreurs fécondes de
Carla Bley », démontre brillamment comment l’erreur,
pensée en tant que telle, finit par devenir formant organique de l’œuvre, au
même titre, par exemple, que l’ornement chez Schubert ou que le silence chez
Debussy. Tout en soulignant que ces “erreurs” sont avant tout le fruit d’un
long cheminement à travers toutes les galaxies du jazz, des plus
traditionnelles aux plus séditieuses. Si l’on ajoute à cela une présentation
impeccable de l’iconographie, du texte, des exemples musicaux, et un appareil
documentaire (discographie, bibliographie) d’une rare précision, nul doute que
ce superbe ouvrage ne s’inscrive rapidement parmi les contributions capitales à
l’histoire de la musique d’aujourd’hui, reflet sonore de notre monde tourmenté,
mais intensément vivant.
Gérard Denizeau.
Beat FÖLLMI : Othmar Schoeck. Éditions Papillon (www.editionspapillon.ch), Collection Mélophiles (27), Drize-Genève, 2013, 223 p.
Les Lieder (mélodies) des musiciens
allemands et autrichiens sont généralement largement diffusés en France ;
toutefois ce n’est pas le cas du suisse Othmar Schoeck (né à Brunnen en 1886 et décédé le 8 mars 1957 à
Zurich). Beat Föllmi, musicologue et théologien,
professeur à l’Université de Strasbourg, vient de lui consacrer une monographie
qui, en fait, s’ajoute à la biographie allemande et anglaise plus détaillée.
Abondamment illustré : cadre de vie à Brunnen, Zurich ; photographies
de ses parents, de la fratrie et de ses camarades de classe ; documents
divers (décors, œuvres musicales manuscrites ou éditées, interprètes et
mécènes, représentations…), ce livre bien documenté fait honneur à la
réputation de la Collection « Mélophiles »,
il permettra enfin aux lecteurs francophones de découvrir ce musicien suisse,
« le maître du Lied »
(selon le sous-titre). En fin connaisseur, l’auteur, spécialiste d’O. Schoeck — éditeur, puis directeur de l’édition critique de
l’œuvre complète et organisateur de deux Colloques internationaux —, présente
d’abord son contexte familial, le rôle de la musique dans sa vie, ses années de
formation et d’études à Zurich et Leipzig et ses amis musiciens et
librettistes, jusqu’à sa nomination comme chef d’orchestre à Saint-Gall. Il
brosse ensuite un tableau éloquent, entre autres, de ses voyages (Italie,
Salzbourg, Paris…), de ses rencontres notamment avec Arthur Honegger, mais
aussi des « années noires » (1928-1932) placées sous le signe de la
résignation et, à partir de l’année suivante, sa prise en charge par
l’Allemagne hitlérienne, suivie d’une grande solitude, d’une convalescence
difficile et d’un processus de « dénazification » en Suisse.
Reprenant son Catalogue établi en 1997, B. Föllmi évoque la genèse et la création de ses compositions pour piano ; pour
chœur et orchestre ou autres instruments ; musique de chambre, œuvres dramatiques
et nombreux cycles de Lieder... En
guise de conclusion, il jette un regard en arrière (1953-1987), puis aborde
finalement le thème : « Schoeck après Schoeck ». L’ouvrage est judicieusement complété par
un Catalogue thématique, une Bibliographie, une Discographie sélective, un
Tableau synoptique (chronologique) et un Index qui seront très utiles. Avec une
rare pénétration psychologique, B. Föllmi présente
les états d’âme : espoir, déception, misogynie, misanthropie… et situe
dans le contexte de l’Entre-Deux-Guerres les faits
marquants de la carrière artistique de ce chef de chœur, chef d’orchestre et
compositeur suisse.
Édith
Weber.
***
CDs et DVDs
Haut
Léon BOËLLMANN : Intégrale de l’œuvre d’orgue, vol. 3.1 CD FESTIVAL
CALLINET (www.festivalcallinet.fr) : FCBOE 3. TT :
56’ 49.
Léon Boëllmann — musicien alsacien né à Ensisheim en 1862, ayant
fait carrière à Paris, où il est mort en 1897 — est surtout connu par sa
célèbre Toccata en si mineur, ses Heures mystiques... Ce 3e volume de
cette Première Intégrale mondiale est réalisée à l’Orgue historique Joseph Merklin (1861, 2 claviers, pédalier, 20 jeux), qui se
trouve à l’Église Saint-Laurent de Wintzenheim. Il comprend notamment 27 Versets posthumes pour orgue ou harmonium (édités en 2002), 5 Versets sur le même
sujet pour le Magnificat du 5e Ton en Fa Majeur pour Grand-Orgue et l’Offertoire sur des Noëls (dédicacé à
Eugène Gigout) interprétés par l’organiste et
musicologue bien connu, Cyril Pallaud.
L’enregistrement commence par la majestueuse Fantaisie en la mineur interprétée par Klemens Schnorr,
organiste titulaire de la Cathédrale et professeur à la Hochschule de Fribourg, qui plonge immédiatement l’auditeur dans les diverses atmosphères
à la fois classiques et romantiques, puis Cyril Pallaud spécule sur les contrastes d’atmosphères et de nuances, de timbres et de
sonorités et — grâce à ses registrations minutieusement élaborées et sa
parfaite connaissance des possibilités de l’instrument — réussit à restituer à
chaque Verset son caractère propre.
Il conclut ce 3e volume par l’Offertoire
sur des Noëls, qui pose un lumineux et énergique point d’orgue sur ce bel
hommage du Festival Callinet.
Édith
Weber.
Alfred KOERPPEN : Choralfantasien. 1 CD RONDEAU PRODUCTION (www.rondeauproduction.de ) : ROP 6081. TT : 72’ 24.
Pour ce disque, le
compositeur Alfred Koerppen (né en 1926) et l’organiste Ulfert Smidt ont étroitement
collaboré. Ce remarquable enregistrement a été réalisé par son titulaire à
l’Orgue de la Manufacture suisse Goll (Lucerne) à
l’Église du Marché, à Hanovre, en conformité avec les intentions de l’auteur
concernant l’esprit et la registration des œuvres. Sous le titre
générique : Choralfantasien,
ce CD présente, en fait, les formes suivantes : Préambule, Passacaille, Fantaisie chorale… destinées à divers
temps de l’Année liturgique. L’enregistrement démontre comment Alfred Koerppen traite ces mélodies luthériennes allemandes bien
connues dans le langage musical de notre temps, sans toutefois perdre de vue le
principe du Choral harmonisé (en style note contre note, en contrepoint fleuri)
avec des commentaires décoratifs, selon J. S. Bach. Ce programme se situe dans
le contexte de la musique d’orgue allemande en usage dans la seconde moitié du
XXe siècle, entre la finalité fonctionnelle de la musique au culte (à l’office)
selon les Luthériens et la finalité expérimentale contemporaine misant sur le
caractère méditatif. Le musicien mise sur les dissonances à but expressif, les
entrées massives, quelques effets impressionnistes, spécule sur l’extrême aigu,
les oppositions de claviers, les brusques contrastes
de nuances. Les discophiles écouteront avec intérêt des œuvres plus
élaborées : O Lamm Gottes unschuldig pour
le temps de la Passion — traité aussi en Passacaille avec O Traurigkeit, o Herzeleid —, et Komm, Heiliger Geist, Herre Gott pour Pentecôte, page incisive et impressionnante. Quelques pièces expriment la
joie : Lasst uns erfreuen herzlich sehr - Freu dich, du Himmelskönigin ;
la louange pour le temps de Noël : Lobt Gott, ihr Christen allzugleich(genre
de Préambule, à la fois pastoral, idyllique et brillant) et Nun singt ein neues Lied dem Herren(vraie Fantaisie chorale avec insistance sur
l’incipit), entre autres. Sans renier la grande tradition organistique
protestante remontant à J. S. Bach, A. Koerppen a le
mérite de cultiver une esthétique portant bien la marque de notre temps. Les
choristes et les fidèles ne seront pas dépaysés grâce aux associations
d’idées véhiculées par les mélodies traditionnelles (parfois à découvert) ;
quant aux mélomanes, ils apprécieront à juste titre les résultats de cette
fructueuse collaboration entre compositeur et interprète.
Édith
Weber.
« BACH, HAENDEL, VIVALDI » : pièces pour basson . Kim Walker, basson. Ironwood
Ensemble.1 CD VDE GALLO (www.vdegallo.ch ): 1405. TT : 50’ 14.
Le basson,
instrument en vogue à l’époque baroque, a souvent donné lieu à des
transcriptions. Pour cette Anthologie — en fait une trilogie : Bach,
Haendel et Vivaldi —, Kim Walker a retenu un basson moderne mais, pour assurer
un caractère d’authenticité stylistique, l’Ensemble Ironwood a privilégié la sonorité des cordes en boyaux et l’emploi d’archets baroques.
Anticipant sur la musique à programme, A. Vivaldi (1678-1741) compose des genres
de petits poèmes symphoniques. Son deuxième mouvement Largo du Concerto n°4 en fa
mineur, dont la mélodie se déroule au-dessus d’un accompagnement discret,
transporte les mélomanes dans un paysage sonore connu. Il en sera de même de
son Concerto en Sib Majeur « La Notte » spéculant sur les mouvements lents (Largo, Andante) contrastant avec Presto-Adagio.
J. S. Bach est représenté par ses Concerto
en ré mineur, BWV 1056 et Concerto en
Sol Majeur, BWV 1055 (initialement prévus pour clavecin) qui bénéficient de
la chaude sonorité de l’instrument, ce qui est aussi le cas dans l’arrangement
pour basson du Prélude de choral (pour orgue) Nun komm, der Heiden Heiland (Viens
maintenant, Sauveur des païens), BWV 659. Quant à G. Fr. Haendel
(1685-1759), il figure avec des arrangements de Rinaldo (dont la mélodie a d’ailleurs fait l’objet d’un cantique
protestant français) et de Julius Cesar, bien enlevé par les cordes et faisant appel à la
virtuosité du basson. L’excellente soliste est accompagnée avec discrétion par
l’Ensemble Ironwood (violons, alto, contrebasse et
clavecin). Une réussite du genre : ces arrangements ne décevront pas les
amateurs d’authenticité.
Édith
Weber
Jacques LENOT : Suppliques. 1 CD INTRADA (www.intrada.fr ): INTRA056. TT : 68’ 29.
Jacques Lenot (né en 1945), compositeur indépendant, autodidacte,
« ni instrumentiste, ni chef d’orchestre », préconise une esthétique
tourmentée, spéculant sur l’inattendu, mais aussi sur les nuances, les
attaques, les rythmes complexes et la virtuosité. C’est le mérite de
Jean-Christophe Revel, spécialiste de musique ancienne et esprit très ouvert,
d’avoir réalisé le premier enregistrement mondial de Suppliques, à l’Orgue de la Cathédrale Saint-François de Sales, à
Chambéry (3 claviers de 56 notes : positif de dos, grand orgue, récit
expressif, avec, entre autres, flûtes en bois, gambes en étain, transitoire
imitant le coup d’archet, jeux d’anches et pédalier 32 notes — dont un jeu de
basson 32’). Les discophiles liront avec profit le Journal de création par J.-Chr. Revel, évoquant sa découverte de
l’œuvre, donnant des précisions sur la dédicace à la mémoire d’Anne Deren ; en fait, il s’agit d’« un hommage : un
tombeau baroque, morceau de musique destiné à faire revivre la mémoire d’un
être aimé aujourd’hui absent ». Au fil des jours, ils seront renseignés
sur les matériaux, les images, la démarche rhétorique : Narratio-Refutatio-Digressio (faisant appel à des duos et à une
registration ciblée, avec notamment 4’ et flûtes, puis basson 16’ ;
l’ensemble se présente un peu comme une Élévation)-Transitio-Confirmatio-Peroratio (se démarquant de la parodie, avec rappel des
figures précédentes). L’interprète évoque aussi les difficultés techniques, les
figures de style (notes en suspens) ; il se pose la question :
« vers quels chemin cela doit-il nous mener ? » et en conclut que le
chemin de la grâce est possible grâce
aux Anges qui, selon lui, « sont des présences qui volent au-dessus
de ma tête ; des êtres qui ont disparu ou qui sont encore de ce monde,
mais physiquement absents. Parfois ils se disputent avec violence », comme
l’expriment, par exemple, les batteries et tremolos opposés à la voix angélique
et au carillon. L’organiste spécule sur la logique de la registration, la résonance
en tant que « lieu de la mémoire » et la variation des timbres ;
il a toujours à l’esprit « le jeu comme timbre et non comme couleur
» et considère sa réalisation comme une aventure. Les auditeurs également.
Édith Weber.
Divertissements
Tyler BATES : The Way. Musique originale du film
éponyme. 1 CD JADE (www.jade-music.net ) :699 795-2. TT : 57’
24.
Ce CD reproduit la
musique composée par Tyler Bates pour le film d’Emilio Estevez,
intitulé : The Way (La route ensemble) associant 21
chansons de James Tayor, David Gray, Alanis
Morissette et Nick Drake... Il s’inscrit dans la tradition des Road movies(films
en américain, correspondant aux pictures en anglais). L’argument concerne l’histoire de Tom,
médecin américain en route vers Saint-Jean-Pied-de-Port, « afin de
récupérer le corps de son fils, tué dans les Pyrénées lors d’une tempête, alors
qu’il était en pèlerinage » sur le chemin menant à
St-Jacques-de-Compostelle. Ce drame familial traduit les émotions des
protagonistes, fait appel à des sonorités locales spécifiques. Pour rendre
l’atmosphère hispanique, le réalisateur a judicieusement sélectionné des
chansons. Parmi les thèmes essentiels, figurent : aventure, les pèlerins,
le voleur bohémien, la solitude de Tom ; mais aussi le matin en Espagne,
la route campagnarde, des allusions à des lieux géographiques (Pampelune,
St-Jacques-de-Compostelle…). À noter les interrogations implicites sur la vie,
la marche, la vérité… Dans ce mélange entre phonétique anglo-américaine et
paysage sonore plus mexicain qu’hispanique, grâce notamment à la guitare, aux
voix et percussions, il y en a pour tous les goûts : peinture d’atmosphère
(Ventura) ; mélancolie (Daniel), calme avec exploitation de
l’extrême aigu (A Higher Place), luminosité (This must be the place) ; attente languissante (Santiago di Compostela),
mais aussi grande animation, virtuosité vocale et percussion constante (Ali ali oh),
entrain et perpetuum mobile (Fusco)... Même sans le contexte
visuel (personnages, paysages) : dépaysement assuré.
Édith Weber.
Octavians : Goldene Zwanziger. The
Roaring Twenties. 1 CD RONDEAU PRODUCTION (www.rondeauproduction.de ) : ROP 6080. TT : 76’ 36.
Toujours à l’affût
de nouveaux défis, l’Ensemble vocal Octavians avec 8
jeunes gens résidant à Iéna (Allemagne), publie son deuxième CD. Il s’agit d’un
enregistrement life de leur concert (octobre 2012), avec applaudissements et
entrecoupé de libres commentaires en allemand. Des accents populaires (cf. la valse An der Saale hellem Strande (Sur les bords de la Saale) à la
manière de Strauss) créent l’atmosphère irrésistible. Des arrangements de
standards du jazz côtoient des titres pop. Le groupe très uni (cf. Ein Freund, ein guter Freund, Un ami, un bon ami) et homogène
interprète des arrangements des Comedian Harmonistsretenus comme modèles. Bref : un
mélange de swing, de Negro Spirituals (Swing low, swing Chariot) de
« jazz classique » (cf. I am a Train d’Albert Hammond et Take five de Paul Desmond) de pop (Africa) très
communicatif.
Édith Weber.
Arcangelo CORELLI : Sonates
opus V (I, III, IV, VII, XI et XII « Follia »).
Bernardo PASQUINI : Toccatas seconda, quarta & ottava.
La Simphonie du Marais : Hugo Reyne,
flûte à bec et direction, Jérôme Vidaller,
violoncelle, Marc Wolff, archiluth, Yannick Varlet, clavecin et orgue. 1CD
Continuo : CR107. TT.: 74'02.
La production d'Arcangelo Corelli (1653-1713) est très peu importante : six opus seulement, de musique
instrumentale. C'est que le musicien, perfectionniste, cultiva l'art du violon
à son plus haut degré technique. Protégé par de grands mécènes romains, tels
que le cardinal Ottoboni, il sera violoniste attaché
à l'Église Saint-Louis des Français, haut lieu musical de la capitale italienne,
célèbre aussi pour ses toiles du Caravage. Les 12 Sonates pour violon et basse
continue de l'opus V datent de l'année 1700. Elles connurent un succès immédiat
et tel qu'elles seront par la suite adaptées pour d'autres instruments
solistes, dont la flûte, bénéficiant d'ornementations et d'embellissements
divers. Hugo Reyne, qui en a réalisé la transposition
pour flûte à bec, a choisi de les illustrer en retenant six pièces, dont trois
sonates d'église et trois sonates de chambre. Elles sont généralement
constituées de cinq parties, lentes et rapides, pas nécessairement structurées
en alternance. Ainsi la sonate XI se termine-t-elle par une gavotte après un
mouvement vivace ; de même que la troisième sonate fait suivre deux allegros en
guise de conclusion. Ces pièces sonnent parfaitement bien à la flûte baroque.
Surtout jouées avec l'élégance aérienne de Hugo Reyne. Parmi les joyaux que réserve cette interprétation,
on relève la belle Sonate VII qui après un bref prélude, reprend trois des
mouvements d'une suite française, courante, sarabande et gigue gracile. Ou
encore la XII ème sonate, dite « Follia », qui se compose de 23 variations à partir
d'un thème original. Le langage est ici plus charnu. On considère cette pièce
comme le sommet de l'art corellien. Le CD comporte encore quelques pièces de
clavecin de Bernardo Pasquini (1637-1710), organiste de son état, attaché lui
aussi à Saint-Louis des Français. L'enregistrement, en concert, dans ce même
lieu, est, en quelque sorte, un événement émouvant.
Jean-Pierre Robert.
Orazio MICHI DELL'ARPA « E Che vuoi più? » : Airs. Pièces pour la harpe triple de
Giovanni Maria TREBACI, Girolamo FRESCOBALDI, Stefano LANDI, Girolamo
KAPSPERGER, Giovanni PRIULI, Giovanni de MACQUE. Françoise Masset,
soprano. Ensemble La Gioannina, Rémi Cassaigne, luth, théorbe, guitare. Nanja Breedijk, harpe triple. 1 CD agOgique : AGO013. TT :72'49.
Ce CD tout à fait particulier permet de
découvrir un inconnu, Orazio Michi dell'Arpe (1595-1641), qui napolitain, se mettra vite au
service des princes de l'Église, à Rome. Virtuose de la harpe, unanimement
célébré par ses contemporains, il compose pourtant essentiellement de la
musique spirituelle vocale, et ne laissera aucune pièce pour son instrument. Le
programme ici rassemblé propose des pièces pour voix accompagnée à la harpe ou
au luth, presque toutes inédites. Un portrait intime d'un musicien qui se plait
à chanter les affres de l'amour mondain, l'horreur du spectacle de la Passion,
les tourments à cœur ouvert d'une âme repentie et l'espoir d'une rédemption.
Ces petites cantates morales préfigurent ce que sera la cantate italienne.
Elles sont mises en regard de pièces instrumentales des maîtres du musicien,
Frescobaldi et Landi, mais aussi Giovanni Maria Trebaci (1575 1647), Girolamo Kapsberger (1580-1651), Giovanni Priuli (1575-1626) et Giovanni
de Macques (1550-1614). Dans un continuum savant fort agréable à l'oreille,
mais nécessitant, pour s'y repérer, et rendre à chacun ce qui lui revient, de
bien suivre le sommaire du disque. La harpe triple, harpe chromatique à triple
rangée de cordes, procure une sonorité proche du luth. Grande spécialiste de la
pratique de l'instrument, Nanja Breedijk livre des exécutions sans doute de référence. Son collègue de l'ensemble La Goannina, Rémi Cassaigne, joue
luth, théorbe ou guitare tout autant. Quant à la soprano Françoise Masset, son talent de diseuse confère tout leur poids à ces
morceaux singuliers.
Jean-Pierre Robert.
« Jaroussky Farinelli
Porpora Arias ». Nicola PORPORA : airs
extraits de Arianna e Teseo, Semiramide Riconosciuta, Semiramide Regina d'Assiria, Polifemo, Mitridate, Ifigenia in Aulide, Orfeo. Philippe Jaroussky,
contre ténor ; avec Cecilia Bartoli, soprano. Venice Baroque Orchestra, dir. Andrea Marcon.
1CD Erato Warner Classics : 50999 9341302 2. TT.:
70'11.
L'intérêt de ce CD ne réside pas seulement
dans l'attrait de la voix de Philippe Jaroussky. Il
est peut-être d'abord d'ordre musicologique. Les airs assemblés par le
contre-ténor ont été écrits par un compositeur, Nicola Porpora (1686-1768), le maître de l'école de chant napolitaine, à l'intention
d'un interprète, Farinelli (1705-1782), son élève, enfant de Naples lui aussi,
et l'un des plus célèbres castrats de l'histoire. Une rencontre des plus
singulières entre l'initiateur et le serviteur, dans un rapport fusionnel
étonnant, au point de se demander si le musicien, pour asseoir sa réputation,
n'utilise pas l'art phénoménal de son protégé, qu'il a lui-même forgé à cette
fin. Et quand le vent du goût aura tourné, c'est le maître qui aura besoin de
l'élève pour qu'on se souvienne de lui. Il est certain que, comme le souligne
Philippe Jaroussky, « Porpora a entièrement
façonné le goût musical et la technique du jeune castrat ». Dans un long
article, fort documenté, le musicologue Frédéric Delaméa retrace pas à pas cette formidable aventure musicale, qui débutée dans le sud
de la péninsule, se développe à Rome, Florence et bien sûr Venise ; mais
connaîtra aussi d'autres heures de gloire à travers l'Europe, à Vienne, en
Allemagne et en Angleterre. L'épisode vénitien sera sans doute le plus fécond,
avec les rivalités entre le compositeur et cette autre célébrité qu'y était
Antonio Vivaldi, et la phase londonienne, la plus agitée, du fait des joutes
homériques entre deux troupes rivales, celle du King's Theatre, menée par Haendel, et celle de l'Opera of the Nobility,
créée en réaction, mais qui sut s'acquérir les services de Porpora et de
Farinelli. Les musiques écrites par le premier pour son illustre élève sont
extrêmement abouties et façonnent une vocalité de l'extrême. Philippe Jaroussky dit avoir longtemps attendu pour les aborder. A
juste raison, car s'il y était tout naturellement prédestiné, le développement
récent de sa voix et de sa technique d'interprétation lui permettent
aujourd'hui d'en embrasser complètement les exigences. Et elles sont grandes et
variées : foisonnement de l'ornementation qui, à travers les plus folles
acrobaties, traitent la voix tel un instrument, longues notes tenues en fin de
phrases, en messa di voce, vocalises tendues au large
ambitus, portées par un accompagnement orchestral brillant. Ainsi de la
fabuleuse cadence concluant l'aria « Alto Giove »,
tirée de l'opéra Polifemo, où la voix se
mesure à la trompette. On dit que Farinelli parvenait même à essouffler son
trompettiste ! Au fil de ces pages qui embrasent le chant d'incroyables effets
dans l'aigu, mais flattent aussi une tessiture plus centrale, Philippe Jaroussky, dont le registre grave s'est étoffé, fait montre
d'une impressionnante maîtrise, que ce soit dans les arias de fureur ou les
morceaux élégiaques, et d'un vrai sens de la dramatisation des affects. Deux
duos avec Cecilia Bartoli parachèvent l'immense bonheur que procure ce disque.
L'accompagnement d'Andrea Marcon et de l'excellent Venice Baroque Orchestra y est aussi pour beaucoup, juste
faire valoir d'une voix d'or. La rencontre artistique unique entre un
compositeur et son élève connaît désormais sa traduction moderne avec cet
interprète de choix.
Jean-Pierre Robert.
Anton DVOŘÁK : Symphonie N° 8.
Johannes BRAHMS : Symphonie N° 1. Czech Philharmonic Orchestra (Dvořák),
Swiss Festival Orchestra (Brahms), dir. George Szell. 1CD Audite :
95.625. TT.: 81'06.
Le festival de Lucerne dévoile ses
archives. Parmi des trésors, se détachent ces interprétations du légendaire
chef George Szell. D'origine hongroise, Szell, pianiste prodige, fit d'abord carrière en Europe.
Dans les années 1940, il se rend aux USA où sa carrière va désormais se
poursuivre : il y dirigera plusieurs formations, dont le Cleveland Orchestra,
où succédant à Erich Leinsdorf, il prend le poste de
directeur en 1946, qu'il occupera jusqu'à sa mort, en 1970. C'est à la tête de
cette prestigieuse phalange qu'on le
connait, en particulier à travers les nombreux disques qu'ils ont gravés, du
grand répertoire. C'est pourtant avec deux orchestres du vieux continent qu'on
peut l'entendre ici. Une occasion rare. La Huitième symphonie de Dvořák, captée en août 1969 - son dernier concert à
Lucerne - offre cette idéale alliance entre un vieux maître habitué des
classiques tchèques et une formation qui possède comme personne cet idiome.
L'approche se veut quasi chambriste et frappe par le mezza voce imprimé à
l'orchestre. Tout le contraire de ces exécutions sonores et flambantes souvent
associées à cette œuvre dont la réputation pâtit de l'ombre de la Neuvième. Les
traits saillants de cette exécution sont l'élasticité des tempos, la douceur
des cordes pianissimo dont peuvent émaner des crescendos majestueux, l'art de
la construction, et la délicatesse avec laquelle sont tracés les thèmes
populaires tchèques véhiculés par la symphonie. En particulier à l'allegretto
grazioso qui livre une douce mélancolie, et dont la ritournelle finale apparait
bondissante. Et, bien sûr, au finale et son apothéose brillantissime. Ce que
restitue un enregistrement superbe dans sa spatialisation. La prise de son de
la Première symphonie de Brahms, de 1962, est moins flatteuse, alors qu'on
décèle quelque congestion sonore, dans les violons en particulier. Mais là
encore, l'interprétation saisit par son volontarisme : pulsation déterminée
ouvrant le premier mouvement, rythmique presque impétueuse. Par contraste, le
début de l'allegretto grazioso sera coulant, et l'andante sostenuto d'une
beauté placide. Du vaste finale émane une force intérieure, le chef n'hésitant
pas à précipiter le tempo, presque haletant, développant un vrai sens de
l'urgence. La coda surenchérira sur une coulée progressant tel un tourbillon, pour conclure en une vision jubilatoire. Si l'Orchestre suisse
du festival n'est pas du même braquet que l'orchestre praguois, et en tout cas
ne saurait atteindre la finesse de son lointain successeur, Szell en tire le maximum d'engagement.
Jean-Pierre Robert.
Anniversaire Verdi
Giuseppe VERDI : Scènes et airs tirés de Macbeth, Giovanna d'Arco, I Vespri Siciliani, Don
Carlo, Il Trovatore. Anna Netrebko, soprano. Avec Rolando Villazón, ténor. Chœur et et Orchestre du Teatro Regio Torino, dir. Gianandrea Noseda. 1CD Universal DG : 479 1736. TT. : 57'15.
Bien que n'étant pas adepte de
la starmania, en particulier de la médiatisation
outrancière entourant la diva autrichienne au nom russe, force est de constater
que ce récital Verdi est une formidable affaire. Pour ce parcours parmi
quelques unes des grandes héroïnes verdiennes, on n'a, justement, pas cherché à
empiler une succession d'airs, mais plutôt favorisé la cohérence dramaturgique
en retenant des scènes entières. Le programme illustre l'évolution de cette
artiste, aussi bien vocale que scénique. Anna Netrebko,
hier Traviata brillante et championne du bel canto effréné, a mûri. Elle est
armée désormais pour Elisabetta, Leonora, et surtout
Lady Macbeth, autrement dit le grand soprano lyrico-dramatique. Le timbre a
acquis ampleur et rondeur, et cette couleur sombre dans le bas medium qui
permet de souligner le trait dramatique. Il s'est enrichi d'accents d'une rare
vérité expressive, au point qu'on perçoit, au fil de chacune des plages du
disque, plus un moment théâtral qu'un simple morceau de beau chant. Les pages
de Giovanna d'Arco livrent encore, à travers la belle romance de
l'héroïne, les effluves du grand soprano lyrique, encore que les pages finales
de l'air annoncent le Verdi de la maturité. De même l'Elena, des Vêpres
Siciliennes, offre-t-elle une extrême délicatesse, comme dans la sicilienne
de l'acte V, pourtant résolument tendue puisque se développant sur deux
octaves. Mais les choses basculent avec le grand air du dernier acte de Don
Carlo, « Tu che le vanità... », ici un chef d'œuvre de vocalité glorieuse et assumée,
judicieusement nuancée dans ses divers épisodes, brillants et lyriques. La
scène de l'acte IV du Trouvère, enchâssant le célébrissime
« Miserere » (avec un sonore Manrico,
interprété par l'ami et ex partenaire obligé, Rolando Villazón), réserve, là
aussi, des trésors d'intelligence théâtrale : récitatif résolu, cavatine
redoutable, que Netrebko joue d'évidence avec un
legato enviable, « l'art de la semplicità »,
dira-t-elle ! La séquence « Miserere » est, par contraste, d'un
dramatisme plus senti, et l'aria finale enlevée avec un panache irrésistible.
Elle doit aborder prochainement le rôle à Berlin, avec Barenboim.
Mais le joyau de cette anthologie reste les trois extraits de Macbeth.
Avec lesquels Netrebko accède à la grande tragédie
verdienne. Quelle impérieuse Lady, en effet ! Voix d'une insolente puissance,
qui vit le drame du dedans, depuis la scène de la lettre et la cavatine du
premier acte, puis l'aria « La luce langue », vraiment effrayante par son assise dans le bas medium, jusqu'à
la scène du somnambulisme, terrifiante dans sa sobriété d'accents, et couronnée
par un contre mi magique. Là encore, le rendez-vous avec la scène est sur
l'agenda, en 2014, au festival de Munich. Gianandrea Noseda est le partenaire de choix : couleur verdienne quasi
idéale, sombre, mais aussi limpide, et immensément idiomatique dans l'art de
bâtir un climat, comme constaté, l'été dernier, avec son interprétation de Rigoletto à Aix.
Jean-Pierre
Robert.
Anniversaire Wagner
Richard WAGNER : Das Rheingold. Prologue en un acte et quatre scènes
de la Tétralogie « Des Ring des Nibelungen ». René Pape, Ekaterina Gubanova, Nikolai Pulitin, Stephan Rügamer, Evgeny Nikitin, Mikhail Petrenko, Andrei Popov, Alexei Markov, Sergei Semishkur,
Viktoria Yastrebova, Zlata Bulycheva, Zhanna Dombrovkaya, Irina Vasilieva,
Ekaterina Sergeeva. Mariinsky Orchestra, dir. Valery Gergiev. 2 CDs Mariinsky : MAR0526. TT.: 72'21+75'21.
Doit-on avouer avoir été moins séduit par
cette exécution de L'Or du Rhin que par celle de La Walkyrie (cf.
NL de 05/2013). Non pas tant par la direction de Gergiev,
aussi engagée dans l'un et l'autre cas, que par la distribution, quelque peu
problématique ici. De cette fabuleuse partition, Gergiev assure l'épique avec, à l'occasion, des accélérations fulgurantes (ultimes
mesures de la malédiction d'Alberich, à la scène 4,
ou peu après, durant l'empilement de l'or devant Freia).
Le ressort interne, la fluidité de la coulée s'accompagnent d'une articulation
incisive (scène 3), ou au contraire, d'effets volontairement massifs et pesants
(entrée des géants). Partout, les traits originaux sont ménagés avec minutie, tel
le cor anglais figurant la transformation d'Alberich en crapaud, de par la ruse de Loge. L'orchestre du Théâtre Mariinsky apporte un lustre instrumental certain à cette lecture. La captation en
concert, en plusieurs prises, peut celer des différences d'atmosphère, mais peu
gênantes en vérité. Là où la comparaison avec d'illustres interprétations au
disque s'avère cruelle c'est au niveau des solistes. Le sentiment appert vite
d'une curieuse couleur dans le discours, pas toujours des plus germaniques. A commencer
par le rôle d'Alberich que Gergiev a choisi de confier à l'un des piliers de la troupe du Mariinski, Nikolai Pulitin. Mais qui,
dans la première scène, délivre un chant inconfortable, proche du sprechgesang,
et flirtant avec la justesse. Les choses s'améliorent ensuite, à la scène 3, où
aboyant sa noirceur, le personnage paraît plus crédible, et à la scène 4, lors
qu'il crie son venin. La tendance à surjouer ajoute à
l'inconfort. Il en va de même du Mime, pleurnichard, de
Andrei Popov, et de la paire de géants : un Fafner gros méchant loup, Mikhail Petrenko,
un Fasolt à peine moins caricatural, Evgeny Nikitin, nonobstant la
qualité vocale. Une lecture à la limite du mélodramatique, qui à la seule
écoute, privée de l'appui scénique, laisse perplexe. A part la superbe Fricka de Ekaterina Gubanova, et
la voix sombre, quoique exagérément saisie de manière
résonante, de l'Erda de Viktoria Yastrebova,
les dames sont peu à l'aise. En particulier les filles du Rhin. Là encore, le
timbre russe, si particulier, apporte une note exotique, peu compatible avec
l'idiome wagnérien. Mais, il y a le Loge de Stephan Rügamer,
que Gergiev s'en est allé chercher dans le cast assemblé par Daniel Barenboim pour son Ring berlinois, et qui pare ce diable de dieu du feu d'une sinuosité
vocale digne de l'élément qu'il incarne : une voix de tête, sans vibrato, qui
se fait insinuante et propose un chant proche du lied. Et surtout le Wotan de
René Pape. Dès les premières phrases de la deuxième scène, on est saisi par la
rectitude du ton wagnérien, la beauté du timbre de baryton basse, aux belles
moirures et la flexibilité de l'intonation, sans nulle trace de dureté.
L'interprète se joue du vaste ambitus du rôle, du forte puissant au subtil pianissimo, au service d'une vision hautement pensée. C'est
là une interprétation frappée au coin de la grandeur qui, plus que tout,
distingue cette version.
Jean-Pierre Robert.
Anton BRUCKNER : symphonie N° 1 (version
dite « de Vienne »). Lucerne Festival Orchestra, dir.
Claudio Abbado. 1 CD Accentus music : . TT.: 50'08.
C'est en 1866 qu'Anton Bruckner écrit sa
première symphonie. Il la reprendra à plusieurs reprises, en 1877 et 1884,
avant de la remanier complètement à l'époque de la révision de la VIII ème, en 1890/91. Cette ultime version, donnée à Vienne en
décembre 1891, par Hans Richter, diffère sensiblement de celle dite de Linz,
créée en 1868. Elle s'est imposée, la première mouture étant peu à peu
délaissée par les chefs, jusqu'à sa « redécouverte » par le
musicologue Leopold Nowak qui en a réalisé une édition en 1935. Claudio Abbado joue la version de Vienne,
peut-être plus proche des volontés de son auteur, légendaire insatisfait, se
remettant sans cesse en question. Ce n'est pas la plus abordable de ses œuvres
symphoniques, car, paradoxalement, le musicien vient directement au fait, sans
les circonvolutions ni la graduation des effets qui marquent ses opus plus
tardifs. On est loin des grands dessins de ces derniers. Mais il est fascinant
de constater combien la manière de Bruckner est déjà là, en germe. Claudio
Abbado et son fabuleux Orchestre du Festival de Lucerne le démontrent
péremptoirement. Ainsi de l'agitation permanente de l'allegro, en forme de
marche décidée, pulsant littéralement un orchestre nombreux où les cuivres se
font tranchant, conférant au discours quelque
dramatisation. L'adagio, qui débute dans une tonalité indéfinie, se trouve vite
un thème chantant aux cordes et un beau soliloque des bois, et surtout cette
vibrante progression qui trouvera son apogée dans les dernières symphonies :
tout s'envole fièrement, pour culminer dans une belle brassée de cuivres et une
retombée des cordes pianissimo. Le bref scherzo inaugure, de manière encore
plus évidente, ces mouvements scandés, véritable signature brucknérienne. Il
prend ici la forme d'une danse campagnarde, menée énergiquement par Abbado. Le
trio, encore plus bref, fait diversion par son cheminement audacieux. Au cours
du finale, « animé et avec feu », on perçoit, au fil de multiples
épisodes, cette alternance de phases de tension et de plages de répit,
d'affirmation et de réflexion, qui définit une dramaturgie que le musicien va
tant éprouver dans les pièces subséquentes. Abbado transcende cet apparent
disparate pour asseoir une vision d'ensemble, parée de grands climats
majestueux, vite réfrénés dans un quasi silence. Cette interprétation, pourvue
de solistes magnifiques, est tout simplement passionnante.
Jean-Pierre Robert.
Georges BIZET : Carmen. Opéra en quatre actes. Livret de Henri Meilhac et Ludovic
Halévy, d'après la nouvelle de Prosper Mérimée. Anne Sofie von Otter, Marcus Haddock, Lisa Milne,
Laurent Naouri, Mary Hagerty, Hans Voschezang, Jonathan Best, Christine Rice,
Quentin Hayes, Antony Wise, Colin Judson, Franck
Lopez. Glyndebourne Chorus. London Philharmonic Orchestra, dir. Philippe Jordan. 3CDs Glyndebourne : GFOCD 016-12. TT.: 52'24+47'55+59'45.
Saisie à l'été 2002, cette Carmen marquait à Glyndebourne aussi bien la prise de rôle
d'Anne Sofie von Otter que
les débuts britanniques de Philippe Jordan. La première livre un impressionnant
portrait de la gitane, mélange de résolution farouche, avec juste ce qu'il faut
de suggestion du texte, et de fantaisie enjôleuse. La force du personnage ne
tient pas seulement dans les airs, dont une Séguedille d'anthologie et un trio
des cartes d'un formidable noirceur, mais bien dans
ces passages de récitatif, où la suédoise montre à quel point elle fait sienne
la destinée de l'héroïne de Mérimée. Ce qu'on retrouve dans le texte parlé, la
version d'Ernest Giraud étant jouée ici. Le naturel d'une tirade comme
« Tu me tuerais peut-être » n'a d'égal que son juste impact, comme il
en est des échanges vifs et sentis avec José, à la fin du III ème acte. La scène
finale est d'une justesse de ton rare, suffisant, à elle seule, à rendre
mémorable cette assomption dans un rôle fétiche. Au surplus, dans le cadre à
échelle humaine du théâtre de Glyndebourne, la
chanteuse n'a nul besoin de forcer. Elle usera d'un timbre de mezzo-soprano
tour à tour clair et corsé, et d'une diction française éprouvée pour dessiner
d'infinitésimales nuances. Elle est secondée par un Don José, Marcus Haddock
qui s'il n'a pas la « pèche » de quelques autres ténors en vue, n'en
campe pas moins le pauvre soldat avec vaillance et engagement. Lisa Mile est
une émouvante Micaela, justement pas palote, et Laurent Naouri un Escamillo dont le panache ne frise pas l'hidalgo, ce que confirme une élocution d'une
légendaire précision. Celle des chœurs est plus qu'irréprochable, apportant une
aura d'authenticité à la prestation. Pour ce qu'on en perçoit, la régie est
fort animée, car David McVicar ne lésine pas sur la
couleur locale, voire l'effet franchouillard : de gaillards soldats, des gamins
piaillant comme une volée de moineaux, la foule tapageuse des supporters du
fier Toréador de Grenade. Toutes choses qui peuvent s'avérer un peu bruyantes à
l'écoute aveugle. Mais c'est le tribut à payer à la captation en direct, fort
réussie au demeurant. La direction de Philippe Jordan n'a, certes, pas encore
atteint le degré de raffinement que lui connaîtront ses interprétations
ultérieures, dont celle donnée dix ans plus tard, à l'Opéra Bastille (cf. NL de
01/2013), mais le sens du drame, la passion irrépressible sont déjà là. Une
tendance à précipiter le tempo, presque boulé par moment (bagarre du Ier acte,
chez les esprits échauffés de ces dames, fin de l'air des sistres du II ème, scandé rageusement), est tempérée par l'adresse avec
laquelle il bâtit chaque climat, et un lyrisme assumé (entracte de l'acte III).
Les instrumentistes du LPO répondent avec un sens de l'articulation expressive
et une vraie couleur gallique. Il n'empêche, cette version se distingue
essentiellement de ses nombreuses rivales par la vision suprêmement aboutie
qu'apporte Anne Sofie von Otter au personnage titre.
Jean-Pierre Robert.
Maurice RAVEL : L'heure espagnole. Opéra en un acte, sur un livret de Franc-Nohain. L'enfant et les sortilèges. Fantaisie lyrique en deux
parties, sur un livret de Colette. Stéphanie d'Oustrac,
Elliot Mardore, François Piolino, Alek Shrader, Paul Gay ; Khatouna Gadelia, Elodie Méchain,
Julie Pasturaud, Kathleen Kim, Natalia Brezinska, Hila Fahima, Kirsty Stokes. Glyndebourne Chorus. London Philharmonic Orchestra, dir. Kazushi Ono. Mises en scène
: Laurent Pelly. 1DVD Fra musica : FRA 008. TT.: 53' & 50'.
Voici la captation du spectacle
« Ravel double bill » qui avait enchanté le festival de Glyndebourne 2012 (cf. NL de 09/2012). Laurent Pelly est à la manœuvre et imprime à chacun des deux volets
son imagination débordante, mais pour des visions quelque peu différentes :
dans un cas, le clin d'œil permanent que l'héroïne, Concepción, se donne à
elle-même durant une journée particulière où, une fois le mari expédié à ses
travaux de réglage des horloges municipales, il s'agit de profiter des
bienfaits de l'amour libre ; dans l'autre, une succession de scénettes mettant
aux prises un gamin rebelle avec tout ce qui l'entoure, mais gagné peu à peu
par la solitude et le désir de faire le bien. Autant L'heure espagnole va jouer d'un espace restreint et surchargé de mille accessoires, un bric à brac d'automates, que n'aurait pas renié Ravel, autant L'enfant
et les sortilèges libère quelque lieu sans limite, où apparaissent des
objets choisis et se succèdent des visions mystérieuses. Ici, la démonstration,
là, la suggestion. Le travail filmique de l'équipe de François Roussillon est
judicieux et restitue adroitement l'atmosphère de chaque spectacle. L'heure
espagnole nous vaut de savoureuses images, en particulier des états d'âme
de la dame, finement saisis. Il faut dire que Stéphanie d'Oustrac assimile à merveille la manière tranchante de Pelly,
tirant de chaque posture comme du plus petit geste un maximum de saveur. Le
ballet des soupirants, transitant dans les fameuses horloges comtoises, est
agrémenté de touches mordantes pour montrer ce qui oppose ces amants
hebdomadaires : Gonzalve, le poète, délirant de
fantaisie dans sa façon hippie, mais
hors du monde, Don Inigo Gomez, l'homme installé, justement appareillé en
costume trois pièces, pressé de satisfaire sa libido. Reste celui qu'on
n'attendait pas, le muletier Ramiro, prompt à saisir l'aubaine. Le film fait
sans doute mieux percevoir que la représentation le côté ravi et sympathique,
pas faiseur pour un sou, de ce jeune hidalgo. Tout autre est l'atmosphère de L'enfant
et les sortilèges, une histoire de rêve, où Pelly joue le registre à la fois onirique et poétique, dans l'imagerie comme à
travers la gestuelle. Là encore, le petit héros est diablement saisi, et Pelly joue pour nous émerveiller des différences de taille
: tout ce qui sépare le monde des adultes de celui de l'enfance. Les courts
tableaux se succèdent avec une extrême mobilité, baignée de vraie fausse
naïveté (les deux chats) ou d'une pointe de mélancolie (la fée). La malice est
ici bien autre que dans la pièce de Franc-Nohain, allusive, et le trait n'est
jamais appuyé. Le jardin au clair de lune, peuplé d'animaux mirifiques, nous
ramène dans l'univers des contes de Perrault. La distribution est valeureuse,
illuminée par une incarnation de l'enfant, confondante de naturel. Kazushi Ono et le London Philharmonic illuminent les deux partitions.
Jean-Pierre Robert.
Béla BARTÓK : Concertos pour violon N° 1, Sz 36, op posth. & N° 2, Sz 112. Isabelle Faust, violon. Swedish
Radio Symphony Orchestra, dir. Daniel Harding. 1CD Harmonia Mundi : HMC 902146. TT.: 57'57.
Le premier intérêt de ce CD est de présenter
les « deux » concertos que Bartók a écrit pour le violon. Le premier,
en réalité publié à titre posthume, et créé seulement en 1958, a été écrit en
1907, pour la première muse du compositeur, la violoniste Stefi Geyer, dont il était éperdument amoureux. Celle-ci refusera de le jouer, non
sans en avoir réclamé la partition, avant de rompre, au désespoir de Bartók.
L'œuvre ne comporte que deux mouvements, très contrastés. C'est un véritable
portrait double de la dédicataire : « le premier est la jeune fille, dont
il est amoureux, le second est la violoniste, qu'il admire »
confiera-t-elle. Partout, s'affirme la primauté donnée au soliste, au point de
lui assigner l'ouverture en solo de la première séquence. La seconde est plus
vive, presque espiègle, le soliste gambadant au milieu d'un orchestre joyeux.
Encore que le discours soit de nouveau traversé par des passages plus lyriques
et de savoureux dialogues entre le violon et les bois. La partie soliste se
fait tour à tour brillante ou sur le ton de la confidence. Ainsi en sera-t-il
du dernier trait avant que l'orchestre ne conclut pétaradant. Isabelle Faut en
livre une vision d'une belle pureté, misant sur la fragilité de l'écriture du
jeune compositeur. Le Concerto N°2, de 1938/1939, commandé par le virtuose
Josef Székely, est l'une des œuvres majeures du
musicien. Isabelle Faust le pare d'un spectre expressif large, que ce soit à
l'allegro initial, d'une étonnante richesse, mêlant grande forme et souci du
détail, rythme et extase, ou au lyrique deuxième mouvement, « d'une beauté
époustouflante » confie-t-elle, qui progresse dans un climat nocturne
jusqu'à ce qu'une brusque rupture ne vienne en interrompre le cours. La fin de
cette partie est proprement extatique. Le finale, joué ici dans sa version originale,
avec coda symphonique, et sans l'ultime trait brillant du soliste, réclamé par Szekely, confirme une débordante inventivité, Bartók
singeant la thématique du premier mouvement, métamorphosée. Là, comme dans la premier
concerto, Faust cultive une approche extrêmement nuancée, et un art souverain du jeu mezza voce, aux
pianissimos envoûtants. Daniel Harding, à la tête de l'Orchestre de la radio
suédoise, dont il est directeur musical, prodigue un accompagnement
imaginatif.
Jean-Pierre Robert.
Dom
Clément JACOB (1906-1977) : Œuvres pour piano.
Bernard Arbus, piano. 1CD CALLIOPE : CAL1315. TT : 53’54.
Premier enregistrement mondial des œuvres
pour piano de Maxime Jacob. Un échantillon, certes limité, dans l’importante
production du compositeur, qui permet, toutefois, d’avoir un aperçu de cette
œuvre magistrale, en même temps que de connaitre cette personnalité hors du commun.
Jeune dandy parisien fréquentant les salons, apprécié des plus grands
compositeurs français, au premier rang desquels on peut citer Darius Milhaud et
Maurice Ravel, avant que de se convertir au catholicisme et d’entrer au
monastère d’En Calcat, dans le Tarn, en 1930 sous le
nom de Dom Clément, Maxime Jacob est le digne dépositaire d’une tradition
française néo classique. Les œuvres présentées, ici, Sonates 5 &14, Nocturnes 2&3, Barcarolles 3&4, sont des
compositions de la maturité, toutes postérieures à 1930. Empreintes d’une
clarté cristalline, pleines de charme, parfois voilées d’une méditation
mélancolique, ces œuvres laissent une large place à la mélodie et à la
spiritualité. Le jeu pianistique de Bernard Arbus sait parfaitement rendre
compte de cette fraicheur lumineuse, comme une prière, tandis qu'une prise de
son de qualité nous rend plus proche encore ce compositeur au parcours
atypique. Une très belle découverte que ne sauraient ignorer tous les amateurs
de piano.
Patrice Imbaud.
Jean-Sébastien BACH : The Goldberg
Variations. Transcription pour deux guitares. Duo Mélisande. 1CD PARATY : 113215. TT : 52’49.
Un disque qui, au premier abord, nous
interroge, avant secondairement, de nous enchanter à son écoute : pourquoi une
telle version pour deux guitares des célèbres Variations Goldberg ? A
priori, peu d’arguments en faveur d’une telle initiative…Encore que cette attitude
négative semble faire peu de cas des nombreuses transcriptions que le Cantor de
Leipzig fit de ses propres œuvres en variant l’instrumentarium!
Au demeurant, il suffit de rapprocher les cordes pincées du clavecin de celles
de la guitare pour entrevoir une nouvelle pertinence, justifiant cet admirable
enregistrement. A partir de la transcription de Benedetto Montebello, Sébastien Linarès et Nicolas Lestoquoy proposent cet
arrangement pour deux guitares, totalement inédit, d’une limpide clarté, chantant,
brillant, amenant de nouveaux
éclairages, de nouvelles couleurs qui d’abord déroutent…avant de nous charmer!
Un disque qui enchantera tous les amateurs de guitare ainsi que tous les
auditeurs curieux. Une initiative risquée…totalement réussie. Un jeu
éblouissant qui respire de façon unique, et une prise de son remarquable.
Superbe !
Patrice Imbaud.
Gilbert
AMY : Litanies
pour Ronchamp. Solistes XXI, dir. Rachid Safir. 2CDs Soupir Editions : S224. TT.: 41’50+41’30.
Un enregistrement de musique sacrée contemporaine,
dédié à la Chapelle Notre-Dame du Haut, située à Ronchamp, en Franche Comté.
Une chapelle qui a une histoire puisque édifiée sur un ancien site datant du
Moyen Age, plusieurs fois détruite, puis reconstruite entre 1950 et 1955 par Le
Corbusier, à partir de réemplois de matériaux anciens, associés à une ossature
en béton armé. Réemploi de matériaux pour la reconstruction de la chapelle et
réemplois musicaux (extrait de la Missa
cum jubilo, antiennes de plain chant, polyphonie
primitive et même d'un quatuor de Beethoven !) pour ces Litanies, composition atonale, datant de
2005, du compositeur français Gilbert Amy (°1936), élève de Pierre Boulez. Une
œuvre conçue comme un itinéraire liturgique et sonore où les langues
traditionnelles de la tradition occidentale, grec et latin, alternent avec le
français, sorte d’errance langagière, comme une lointaine réminiscence des
pèlerinages médiévaux. Une œuvre exigeante, à l’image de la construction de Le
Corbusier, qui pourra déconcerter certains auditeurs, mais dont la prétention
va bien au-delà de la forme, nous introduisant dans le domaine de l’intemporel,
dans la ferveur de la foi et le goût du mystère. Un disque comme une
incantation moderne, un voyage initiatique. Beau et émouvant !
Patrice Imbaud.
***
MUSIQUE ET CINEMA
Haut
EDITH ET LE CINEMA
Le 10 octobre 1963 meurt Edith Piaf. En ce mois
d’octobre 2013, cela fera donc cinquante ans qu’elle n’est plus. Mais sa voix
est toujours très présente. Plusieurs manifestations médiatiques sont prévues
et quelques ouvrages sont édités sur la « môme ». On rappellera
qu'Édith Piaf a participé à quelques films qui n’ont pas laissé un souvenir
impérissable, même si elle avait un talent certain pour la comédie. Mais les
chansons de ces films sont de toute beauté. On se souvient surtout de sa courte
présence, en 1954, dans « Si
Versailles m’était conté » de Sacha Guitry. En révolutionnaire,
accrochée aux grilles du château, elle « beugle » avec conviction
« Ça ira ! ça ira ! ». Les
réalisateurs qui l’ont employée sont pour la plupart aujourd’hui oubliés et
leurs scénarios sont d’une pauvreté affligeante.
En 1936, elle tourne « La Garçonne » de Jean Limur,
réalisateur de films dits légers. Ses amitiés politiques ont mis fin à sa
carrière à la Libération. Arletty et Marie Bell sont les actrices principales
de ce film et la musique est de Jean Wiener. Piaf joue le rôle d’une chanteuse
et interprète « Quand Même », paroles de Louis Porterat.
En 1941, elle joue dans « Montmartre
sur Seine » d’un réalisateur plus connu, George Lacombe, qui avait
fait « L’appel du Destin »
avec le jeune prodige qu’était Roberto Benzi,
dirigeant en culotte courte le 5ème Concerto de Beethoven, avec Jean Marais au
piano ! Au cœur de Montmartre, Piaf, alias Lily, est amoureuse d’Henri
Vidal, accordéoniste, alors que Jean-Louis Barrault, lui, est amoureux de
Lily ! Elle deviendra une star de la chanson. Malheureuse, elle se
consolera dans les bras du tout jeune premier Barrault. La musique du film est
de la grande compositrice Marguerite Monnot qui
écrira bon nombre de succès pour Piaf et la fameuse comédie Irma la Douce pour Colette Renard. Lily interprète « J’ai Dansé avec l’Amour »,
« L’Homme des Bars », « Tu es Partout », « Un Coin
tout Bleu ». En 1946, Monnot va écrire deux chansons
pour Piaf dans le film « Étoile sans Lumière » de Marcel Blistène :
« C’est Merveilleux » et « Mariage », paroles d’Henri Contet, l’amant avant Montant. Ce sont les débuts de ce
dernier, pas encore à l’aise devant la caméra, et d'un jeune débutant
talentueux, Serge Reggiani. En 1959, le dernier film de Blistène sera un autre grand mélo avec Piaf : « Les Amants de Demain », sur un scénario de Pierre Brasseur,
avec Michel Auclair et Armand Mestral. La musique du
film et les chansons sont aussi de Marguerite Monnot.
Les chansons du film Les Amants de Demain feront partie de celles
souvent interprétées par Édith Piaf.
En 1947, Piaf chantera avec les Compagnons de la
Chanson dans « Neuf Garçons et un
Cœur » de Georges Friedland. Une histoire de chanteurs qui ne trouvent pas
d’engagement, mais où tout finira bien et par des chansons, dont la célèbre
« Les Trois Cloches », et d’autres, comme « La Vie en
Rose ». A cette époque Piaf avait une liaison avec Jean-Louis Jaubert, le
créateur des Compagnons, juste avant que Marcel Cerdan ne se distingue…En 1952
Piaf interprète son propre rôle dans le film de Pierre Montazel « Paris Chante Toujours ».
Une pléiade de chanteurs de l’époque participeront au
film. Piaf chante « Je t'ai dans la Peau », musique d’un débutant
nommé Gilbert Bécaud. C’est avec Jacques Pills, son
mari de l’époque, qu’elle fait un duo, « Pour qu'elle soit Jolie ma
Chanson », dont elle a écrit
elle-même les paroles. En 1954, elle fait une apparition dans « Boum Sur Paris » de Maurice de Canonge, et dans « French
Cancan » de Renoir où elle interprète le rôle de la chanteuse Eugénie
Buffet.
On ne peut pas dire que Piaf se soit révélée au cinéma, comme la plupart des chanteuses françaises. Elle jouait juste mais
on ne lui a jamais proposé des rôles passionnants.
Ses
films peuvent se retrouver sur DVD chez René Château, SNC ou Gaumont. Pour
certaines chansons des films il existe un CD chez Trema / Sony Music avec les enregistrements originaux dont « L’Hymne à
l’Amour », « Paris Chante
Toujours », et la « Sérénade du Pavé » de « French Cancan ». On trouve, dans la
même collection, « Chansons des films », Tino Rossi et Charles
Trenet, dont on fête le centième anniversaire de la naissance.
Stéphane Loison.
Interview
d'Éric de Begue, de Cristal Groupe
Comment
êtes-vous venu à produire des CD de musiques de films ?
En 1996, à Cristal, on a commencé à faire d’abord de la
production de jazz. On a produit des gens totalement inconnus, comme Pascal Ducourtioux. Le premier groupe c’était Ronald Baker
Quintet. On en est aujourd’hui à leur sixième album. On était producteur et
éditeur de musique. Je vivais à La Rochelle où j’ai créé une structure pour
développer ma carrière, car j’ai commencé comme comédien et danseur dans les
années 90. J’avais un groupe, « Tap Dance », de danseurs de rue. Comme je ne voulais pas monter à Paris pour
les castings, j’ai développé mes projets pour ma compagnie, ici à La Rochelle,
et puis j’ai rencontré un musicien de jazz, Pascal Ducourtioux qui m’a demandé de m’occuper de lui, de produire son premier album. Je ne
connaissais rien, je n’étais pas prédestiné à monter un label. J’ai appelé le
label Cristal production qui s’occupe aussi des spectacles de scène. Puis on a
créé Cristal Publishing, Cristal Record. Aujourd’hui
on parle de Cristal Groupe qui englobe les différentes structures. C’est une
marque commerciale pour s’y retrouver.
C’était
assez osé de créer ainsi un label de jazz !
Oui, mais cela s’est fait autour d’une table, avec des
rencontres de hasard, autour d’un verre. On fait un projet, on le mène au bout,
puis on en fait un deuxième, un troisième, et on continue parce qu’on
s’aperçoit qu’il y a tellement de choses à faire que c’est stupide de s’arrêter
en chemin…J’ai laissé tomber la mise en scène, la création, mis ma carrière
artistique en veilleuse, et me suis tourné plus vers la production. Et puis
j’ai eu très envie de revenir à l’image et, comme la structure s’est
développée, en 2003 j’ai produit ma première musique de film. Cette année, au
bout de dix ans, nous avons dû produire 60 musiques de films, téléfilms,
documentaires !
Quelle
était la première ?
La première c’était pour un téléfilm qui n’ai jamais
sorti en France, produit par GMT, et qui s’appelle « La Colère du
Diable », de Chris Vander Stappen, avec Julien Boisselier et Marie Bunel, et une musique de Ionel Petroï. On a perdu
beaucoup d’argent avec ce CD. Depuis on a continué avec GMT. On estime que la
musique a matière à être entendue par
une majorité de spectateurs et c’est important qu’elle puisse avoir sa propre
vie. On a eu des musiques qui marchent bien : « Familles d’Accueil »,
« Ali BaBa », « Clem »,
« Boulevard du Palais », « Robinson Crusoé »
avec Pierre Richard, la série « Odysséus »,
« les Borgias », « Clémentine »,
On vient de faire « Délit de Fuite » avec Cantona, qui a eu un
prix de la fiction TV.
Comment travaillez-vous avec ces sociétés de production
qui font ces téléfilms ?
Soit
ce sont les compositeurs qui nous appellent et nous disent qu’ils aimeraient
qu’on sorte leur musique, et on prend contact avec les producteurs, soit ce
sont les producteurs eux-mêmes qui nous contactent, comme GMT, Mascaret Films, Tajma, les films du Poisson…On gère toutes les musiques des
films de CinéTv. On a créé un label pour les BO,
qu’on a appelé Boriginal, et on a un contrat
d’exclusivité avec Sony Music. On tire en général entre 300 et 500 CD de BO. Il
faut dire que des labels indépendants avec une activité aussi importantes que la nôtre, il n’y en n’a plus beaucoup. On ne
parle pas trop de rentabilité dans ce genre de musique. Quand on sort « La
Grande Vie » des Films du Poisson, c’est parce que le compositeur, Pierre
Bertrand, fait partie de la maison depuis des années et qu’on espère qu’un
producteur lui fera faire un autre film. C’est notre rôle d’éditeur de
promouvoir des artistes. C’est un investissement de communication.
Avec quoi alors
arrivez-vous à faire vivre votre label ?
C’est
une bonne question et j’avoue qu’on se la pose. Les droits d’auteur, d’édition,
sont en baisse et c’est un vrai problème de trésorerie. L’équilibre est très
fragile.
Vous travaillez
depuis peu avec Philippe Rombi ?
C’est
Mandarin Films qui nous avait contacté et comme j’aime
beaucoup le travail de Philippe, j’étais très heureux de travailler avec lui.
Nous avons produit deux de ses compositions : « Dans la Maison » qui a été nommé aux Césars
2012. On a fait un bon score pour une BO, de l’ordre de 800 ventes. Puis, cette
année, on a sorti « Jeune et Jolie ».
On est en discussion pour le prochain film d’Ozon.
J’espère travailler sur du long terme avec lui.
Est-ce que vous
participez à l’enregistrement ?
Cela
dépend. Avec Rombi non, mais ça arrive. Bien sûr,
aujourd’hui avec les machines on donne l’impression d’orchestre mais par
exemple sur un documentaire comme « Vauban » de Pascal Cuissot,
musique de Renaud Barbier, on a enregistré dans notre studio à Rochefort avec
un orchestre à cordes, l’OPC. On sent la différence. On essaye de se battre
pour enregistrer en France.
Quels sont vos plus
gros succès ?
Aujourd’hui
ce sont « Robinson Crusoé » musique
d’Angélique et Jean-Claude Nachon et « Ali
Baba » musique de Christophe La Pinta. En France, la musique c’est le
parent pauvre des budgets de production, à l’inverse des USA. D’où le succès
des musiques des séries américaines.
Comment voyez-vous
le futur ?
Il
est de plus en plus difficile de produire de la musique de films, les droits
étant de plus en plus en baisse. Il y a des producteurs qui créent leur propre
maison d’édition pour souvent spolier les droits des compositeurs, d’où la
diminution des productions indépendantes de musique de films. De plus, ils ne font
pas cet accompagnement que nous faisons avec les musiciens. C’est devenu très
compliqué pour de jeunes compositeurs de rentrer dans ce cercle très fermé de
la musique pour l’image. Au cinéma, on accompagne Philippe Rombi,
Bernard et puis Nathaniel Mechaly (« Taken », « The Grandmaster »…).
On essaye de faire des classes de composition de musique de film avec Gréco Cassadesus. Quant au jazz on continue à en produire
(Antonio Faraò, Pierre Bertrand, David Enhco…).
Propos
recueillis par Stéphane Loison.
ACTUALITE
BRIGITTE FONTAINE : Reflets & Crudités.
Documentaire de 58 minutes. Réalisation Benoit Mouchart / Thomas Bartel/La Huit
Sortie le 2 octobre 2013-09-18
Non,
ce n’est pas un documentaire ! Ce sont des morceaux de vie de Brigitte Fontaine
qui déclame sans pitié vérités et absurdités avec la même force. C’est un
espace d’interventions de 58 minutes sans contrôle, mais paradoxalement sans
imprévu, sans chronologie, où le temps passe et où elle nous offre des reflets
inattendus de sa personnalité. Non, elle n’est pas déjantée, elle aime, comme
dans ses chansons, passer du coq à l’âne, avoir une narration éclatée. Elle a
des phrases qui la situent bien, où elle dit se sentir vivante autour des gens
dits normaux, mais qui sont « des morts », ou que les libertés ne
sont plus de mises - « bientôt on aura plus le droit de parler tout seu l», et qu’elle vit dans la peur, sauf lorsqu’elle est
en scène, de ne pas se reconnaître dans le miroir, et d’être une dingue des
fringues. Elle ne se livre pas, elle est. Son espace vital est l’Ile
Saint-Louis au cœur de Paris où elle habite, vit, boit, fume, regarde les gens
passer. Et si elle meurt, ce sera de joie. Ce film est trop court. Merci pour
cet extrait, Brigitte, de vos reflets toujours inattendus…et « crus »
dit-elle !
Un
DVD du documentaire existe et son dernier album en 2013 est « J’ai
l’Honneur d'Être ».
Stéphane Loison.
BO en CD
STABAT MATER. Stefano
Lentini, compositeur. Wong Kar Wai, réalisateur. 1CD Milan Music / Universal n°399 503-2.
Qui
a vu « The Grandmaster »
de Wong Kar Wai, se souvient d’une des plus belles scènes du film où Tony Leung
(Yip Man) rencontre la sublime Zhang Ziyi (Gong Er) sur une musique totalement en décalage par
rapport à l’ambiance. C’est le début d’un « Stabat Mater » écrit par
un musicien italien,Stefano Lentini, et interprété par la soprano espagnole Sandra Pastrana .
Ce jeune compositeur peu connu a écrit pour de nombreux documentaires, pour le
théâtre et pour quelques films. Cette musique romantique à souhait n’a pas été
composée pour le film et c’est par pur hasard que Wong Kar Wai l’a découverte.
On sait que ce réalisateur aime mettre de l’opéra italien, de la variété
américaine dans ses films pour augmenter le pathos de certaines des séquences.
Grâce à cet extrait de cette œuvre, qui n’est pas de la veine du Stabat
Mater de Rossini ou de celui, sublime, de Pergolèse, utilisé dans de
nombreux films (Amadeus, Jésus de Montréal, Miroir… ), Lentini va se faire connaître, c’est évident. Il a eu
un gros succès à Berlin. De là à dire que c’est le nouveau Rota ou Morricone
parce qu’il a un nom italien, c’est une autre histoire. L’écoute du CD est
agréable et le début de Stabat Mater évoque cet esthétisme
forcené de Wong Kar Wai qui va jusqu’à l’affèterie, le péché mignon de ce grand
cinéaste.
LA DOLCE VITA – CABIRIA. Federico Fellini, réalisateur. Nino Rota,
compositeur. 1CD Milan Music / Universal n° 399 487-2
A
l’occasion de la sortie du film la « La
Dolce Vita » remastérisé, Milan Music
propose la célèbre BO originale de ce film avec en bonus celle de « Le Notti di Cabiria » et des chansons d’après la musique de
Rota, interprétées par Katyna Ranieri.
Tout cela a la saveur d’une époque où le cinéma italien était un des plus
inventifs du monde tant au point de vue scénario que musical. Avec un Sorrentino et « La Granda Bellezza »
(La Dolce Vita, 2013), la renaissance est là. Hélas il n’a pas encore trouvé
son Rota. Ce CD des deux musiques de ce grand compositeur doit être dans toute
bonne discothèque.
CERTAINS L’AIMENT CHAUD. Billie Wilder, réalisateur.Adolph Deutsch-Matty Malneck,
compositeurs. 1CD Milan Music / Universal n°399 486-2
« Some like it hot », « Runnin’Wild », « I Wanna be Loved For You », « I'm Through With Love » les tubes de Marilyn Monroe, le jazz
blanc à la Paul Whiteman des années 30 (Matty Malneck a été violoniste dans son orchestre et a écrit
"I'm Through With Love"), voici une BO époustouflante pour un film
ébouriffant et osé pour l’époque, et encore aujourd’hui (lire le livre de Tony
Curtis sur la genèse et le tournage du film). C’est une musique qui donne rend
optimiste. « Everything is perfect !» dans ce film et sa musique. En bonus,
la BO de la comédie musicale « Irma
la Douce » écrite par Marguerite Monnot avec des
musiques additionnelles d’André Previn. Encore un CD
pour la discothèque idéale.
PERCY JACKSON « Sea of Monsters ». Thor Freudenthal,
réalisateur, Andrew Lockington, compositeur. 1CD Sony Classical n°88883758272
Un
réalisateur peu connu, un film à effets spéciaux délirants, une histoire qui
mélange le triangle des Bermudes, la Toison d’or, les dieux de l’Olympe, des
demi-dieux ou humains avec des pouvoirs, des monstres en 3D, bref du cinéma qui
est fait par les grosses usines d’Hollywood. Quant à la musique, elle suit et
colle au film sans y apporter autre chose que d’être efficace. Andrew Lockington, peu connu, a composé pour des grosses machines
telles que « Voyage au Centre de la
Terre » ou « City of Ember », produites par Tom Hanks,
ou pour des films plus confidentiels de peu d’intérêt. Ce compositeur canadien
a été assistant et orchestrateur de Michael Danna (Oscar 2013 avec « l’Odysée de Pi ») et on en sent l’influence. Si les
thèmes lents sont agréables à l’écoute ( « Thalia’s story », le thème du film), les autre
compositions pour les scènes d’action, dans le style Zimmer sont d’un ennui mortel. Tous les compositeurs aujourd’hui font ce genre
d’arrangements pour les cordes avec des rythmes semblables, à croire qu’il n’y
a plus qu’une manière d’aborder les scènes de combats, d’actions pour les
blockbusters. Peut -être est-ce une exigence des studios ? IAMEVE, une
belle voix à la Kate Bush, chante « Feel Alive », une chanson très agréable pour Thalia, la fille de Zeus à qui on
veut du mal ! « My songs Know What You Did in the Dark », par Fall Out Boy et
« Cameo Lover » par Kimbra qu’on entend dans le film, ne sont pas sur le disque. Un CD pour ceux qui ont
apprécié le film : même s’il y a eu plus d’un million de spectateurs en France,
ils ont été nombreux à être déçus par ce second opus. Pour IAMEVE écoutez son
album « Temptress »
: « Feel Alive » y est à peine
suggéré (0.50 secondes !).
CONCERTO DE VARSOVIE. Richard Addinsell, compositeur. 1CD Milan n°399476-2
Ce
fameux mini concerto a été écrit pour « Dangerous Moonlight », film sur la résistance
polonaise pendant la seconde guerre mondiale. Il date de 1941 et a été réalisé
par Brian Desmond Hurst. Le personnage principal est un pianiste. Le
réalisateur avait demandé au compositeur d’écrire un concerto romantique dans
la veine de ceux de Rachmaninov. Par la suite cette musique est devenue un
classique et de nombreux pianistes l’ont interprétée. Richard Addinsell, musicien britannique, a composé de nombreuses
musiques pour des films aussi célèbres que « Les Amants du Capricorne » d’Hitchcock, « L’invincible Armada » avec le couple
Olivier/Leigh, « La Belle
Espionne » de Raoul Walsh, ou « Le Prince et la Danseuse » avec Laurence Olivier et Marilyn
Monroe. Ce concerto dit de Varsovie est devenue sa plus célèbre musique. Il est
interprété sur ce CD par Herbert Heinemann sous la direction de Wilhelm Schüchter avec le Nordwestdeutsche Philharmonie (version originale). En bonus, « Rhapsody In Blue » de Gershwin et deux œuvres de Morton Gould,
compositeur de musique pour Broadway et pour le cinéma : « Boogie Woogie Etude » et « Spirituals
for Strings, Choir and Orchestra ». Cette œuvre est connue des
spectateurs d’un certain âge, car un passage a été le générique d’une fameuse
émission de télévision : « Les
Dossiers de l'Écran ». Jean Pierre Melville s’en est servi pour le
thème de « L’Armée des Ombres ».
Plus près de nous, Gould a écrit la musique de la série « Holocauste », qui a lancé l’actrice
Meryl Streep. Un beau CD de musiques romantiques.
OH BOY. Jan Ole Gester, réalisateur. The Major Minors
& Cherilyn Macneil, compositeurs. 1CD de Milan Music
/ Universal
Meilleur
film, meilleur réalisateur, meilleur acteur, meilleur scénario, meilleur second
rôle et meilleure musique aux « César » allemands ! Tout un
programme ! Le film est sympathique. La musique aussi. Elle est d’un jeune
orchestre de jazz que le réalisateur a rencontré par hasard. Il a demandé à
quatre musiciens de l’Institut de jazz de Berlin de composer la musique de
« Oh Boy » après avoir
essayé toutes sortes de musiques. Il ne voulait pas de compositeur de bande
originale. En à peine deux semaines ils ont improvisé la musique un peu comme
Miles Davis. Dire qu'elle va bien avec le film, oui quelquefois, mais elle ne
raconte pas grand chose : elle soutient certaines scènes. On l’entend et elle
ne laisse pas indifférent. Par contre, l’écoute du CD est agréable et ce disque
peut avoir une vie sans que les auditeurs aient vu le film. C’est un disque de
jazz sympa !
Stéphane Loison.
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