Lettre d’Information – n°105 Juillet 2016

Lettre de Juin 2016. Tirage : 61.235 exemplaires

 

L'AGENDA

Haut

9 / 7 - 21 / 8

 

Le Festival Musique & Nature en Bauges

 

 

Entre Savoie et Haute-Savoie, au cœur des vallées rurales, le Festival « Musique et Nature en Bauges » propose, de village en village, un itinéraire musical qui réunit les grandes figures du classique. Le festival a invité le claveciniste Andreas Staier le 9 juillet à ouvrir cette 18ème édition avec les « Variations Goldberg », monument incontesté dans l'immense production du cantor de Leipzig. Le festival crée aussi l'évènement, le 17 juillet : l'astrophysicien et scientifique de renommée mondiale, Hubert Reeves, partagera sa passion pour la musique avec le violoncelliste Henri Demarquette et le pianiste Jean-Frédéric Neubuger dans un programme inspiré des thèmes de la nature et débutant par un des Lieder transcrit du « Chant de la terre » de Gustav Mahler. En outre, ce concert prend place dans le cadre du château de Miolans, spectaculaire forteresse du Moyen-Âge et joyau du patrimoine savoyard. En prélude au concert, le Parc naturel régional de Massif des Bauges et la Fondation FACIM (Fondation pour l'Action Culturelle en Montagne) propose des visites guidées sur l'histoire du site et l'évolution du paysage.

 

Tout au long de cette édition, la musique de chambre est particulièrement à l'honneur avec des chefs-d'œuvre tels que l'Octuor de Mendelssohn et le Sextuor de Brahms par l'Académie of St Martin in the Fields (13/7), ou le Quintette avec piano de Brahms outre des quatuors de Haydn et Debussy, par le Quatuor Ebène et Shani Diluka (16/8). Ou encore les sonates pour violon et piano de Fauré et Franck, joyaux de la musique française, par le pianiste Nelson Goerner et le violoniste Tedi Papavrami, fidèle compagnon de route du Festival (6/8).

 

Si proche de la Savoie par la géographie et l'histoire, l'Italie trouve naturellement une place de choix dans la programmation. Concerto Köln invite à vivre et partager ses « passions italiennes »(14/8). Le violoniste Giuliano Carmignola propose un voyage à Naples (27/7) , tandis que le celliste Edgar Moreau s'associe aux musiciens d'Il Pomo D'Oro dans un programme de concertos italiens virtuoses (23/7). Le piano est omniprésent : outre Nelson Goerner, Jean-Frédéric Neuburger et Shani Diluka en musique de chambre, on retrouvera Hélène Mercier et Louis Lortie dans un duo dansant consacré à Ravel et Rachmaninov (29/7). Puis Vahan Mardirossian qui, à la tête de son Orchestre national de chambre d'Arménie, donnera le surprenant double concerto pour violon et piano de Mendelssohn (31/7).

 

La musique vocale n'est pas en reste : le contre-ténor néerlandais Maarten Engeltjes et les Folies Françoises dans de rares arias de Bach (3/8). La mezzo-soprano Blandine Staskiewicz, avec Les Musiciens du Louvre, illustre l'art des castrats,  (21/8). L'Ensemble vocal "La Tempête" présente aussi un étonnant programme conçu en hommage au 7e Art, autour des chefs d'œuvres que les réalisateurs ont utilisé dans leurs films. Presque 400 ans de musiques universelles qui expriment des sentiments extrêmement puissants (10/8).

 

Renseignements et réservations : Association Musique et Nature, Mairie de  73630 Le Chatelard ; par tel.:  04 79 54 84 28 ; en ligne : festival@lesbauges.com ou www.musiqueetnature.fr

 

 

20 / 7 – 13 / 8

 

Les 61 èmes Nuits de la Citadelle de Sisteron

 

 

Depuis l'origine, les Nuits de la Citadelle conjuguent les hauts lieux du patrimoine de Sisteron avec le spectacle vivant dans toute sa diversité. La 61ème édition se révèle plus que jamais fidèle à cette vocation foncièrement éclectique. Elle se déclinera selon trois axes. Du baroque au klezmer d'abord : La musique occupe comme toujours une place de choix et c'est à Philippe Jaroussky et à l'Ensemble Artaserse qu'il revient d'ouvrir la fête, de solaire et lyrique façon, sous le signe de l'Italie (20/7, 21H30, Cathédrale N-D des Pommiers). Attachées à la mise en valeur des nouveaux talents, Les Nuits accueillent le violoncelliste Edgar Moreau et le pianiste David Kadouch pour un intense moment de complicité chambriste (1/8, 21H30, cloitre St Dominique). La compagnie Diva Opera, fidèle depuis très longtemps au festival, est de retour avec une version « de poche » de Cosi fan tutte de Mozart (4/8, 21H30, cloitre), tandis que le grand répertoire symphonique occupe aussi l'affiche avec Roger Muraro et l'Orchestre Symphonique Ose !, dirigé par Daniel Kawka qui proposeront des œuvres de Ravel, Mahler et Sibelius (13/8, 21H30, Théâtre de la Citadelle). Quant à l'Ensemble Sirba Octet, sa venue augure d'un enivrant et dépaysant voyage à travers les musiques tzigane et klezmer (9/8, 21H30, cloitre).

 

Théâtre et comédie musicale, ensuite, avec L'entretien de M. Descartes avec M. Pascal le jeune : un magique moment de théâtre que la pièce de Jean-Claude Brisville dont les acteurs ne sont autres que Daniel et William Mesguich! Reconstitution imaginaire de la rencontre de Descartes et Pascal au couvent des Minimes le 24 septembre 1647 (29/7, 21H30 cloitre St Dominique). La comédie musicale s'illustrera avec Irma la douce, un irrésistible concentré de gouaille parisienne que distilleront Lorànt Deutsch, Marie-Julie Baup et Nicole Croisille (26/7, 21H30, Citadelle).

 

Chaque édition des Nuits comporte aussi une soirée de danse, toujours impatiemment attendue. Avec le spectacle « Rock the Ballet », celle confiée aux Bad Boys of Dance ne déroge pas à la règle. Un vent de liberté made in New York promet de souffler sur le Théâtre de la Citadelle (23/7, 21H30).

 

 

Réservations : Association « Arts, Théâtre, Monuments », Pavillon ATM, 1 allée de Verdun, 04200 Sisteron ; par tel. : 04 92 61 06 00 ; par fax : 04 92 61 29 54  ; en ligne : www.nuitsdelacitadelle.fr

 

 

18 – 21 / 8

 

Les Rencontres musicales de Vézelay

 


©François Zuidberg

 

Quelle que soit la route par laquelle il aborde Vézelay, le voyageur a le souffle coupé. Que l'on vienne d'Asquins, d'Avallon, de Saint-Père ou de Clamecy, chacun de ces accès dévoile la colline et la basilique sous un angle différent mais toujours saisissant. L'itinéraire de cette nouvelle édition a été concocté avec passion et enthousiasme. Ainsi on empruntera les sentiers balisés, des Vêpres de Monteverdi par Arsys Bourgogne et l'ensemble La Fenice de Jean Tubéry guidé cette fois par Mihály Zeke (18/8, 21H Vézelay Basilique) à la Passion selon Saint Jean de Bach donnée par Aedes, Les Surprises et Mathieu Romano (20/8, 21H Vézelay Basilique). On osera les chemins de traverse, avec Canticum Novum (19/8, 16H Église Saint Jacques d'Asquins), les Neue Vocalsolisten Stuttgart (20/8, 16H Église Notre-Dame de Saint-Père) ou le Chœur Magnificat de Budapest (19/8, 21H, Vézelay Basilique). On entendra aussi Vocaldente, groupe allemand, dans de la Pop vocale a cappella (19/8, 18H Vézelay plein air) !

 

Conduits par une boussole parfois capricieuse, l'ensemble Gilles Binchois et les Sonadori nous emmèneront de Tolède à Venise (18/8, 16H, Avallon, Église Saint Lazare), en passant par l'Occitanie de la Mal Coiffée (18/8, 18H, Vézelay, plein air). Le baroque celtique verra se produire Curious Bards, ensemble original composé d'un violon baroque, d'un flûtiste, d'un chanteur, d'un cistre, d'une harpe triple et d'une viole de gambe (19/8, 12H15, Vézelay, cour du centre Sainte Madeleine). Les vents de la fanfare Danguba pousseront le public jusqu'aux Balkans (20/8, 18H Vézelay, plein air). Quel voyage !

 

Un autre originalité de ce festival de la voix est d'organiser des ateliers quotidiens (15H, Place des Rencontres) de découverte de la voix à destination des enfants de 6 à 14, sous la houlette d'intervenants musiciens professionnels.

 

Renseignements et réservations : par tel.: 03 86 94 84 40  ; en ligne : billetterie@rencontresmusicalesdevezelay.com  ou  www.rencontresmusicalesdevezelay.com

 

 

18 / 7 – 3 /8

 

L'Académie Festival des Arcs

 


Les ''académiciens'' sur les hauteurs / DR

 

La programmation aura 3 grands axes. D'abord une thématique : « le groupe des six » qui réunissait autour de Jean Cocteau Georges Auric, Louis Durey, Arthur Honegger, Darius Milhaud, Francis Poulenc et Germaine Tailleferre. L'occasion pour le festival d'explorer ce Paris de l'après guerre et son avant-garde artistique. Puis le grand répertoire de la musique de chambre : de Bach à Schönberg, des " Schubertiades " quasi quotidiennes aux compositeurs de notre temps, le festival est l'occasion de découvrir ou de redécouvrir les chefs-d'œuvre du répertoire, interprétés par une soixantaine d'artistes de renom, lors des quelques 40 concerts gratuits. Enfin un compositeur en résidence, le pianiste et compositeur Jean-Frédéric Neuburger dont seront interprétées une dizaine de ses œuvres et une création pour piano à 4 mains, le 2/8.

 

Au titre des temps forts de cette 43 ème édition :

- la journée consacrée à Henri Dutilleux (27/7) à l'occasion du centenaire de sa naissance avec des conférences, des projections et un concert consacrés à sa musique

- la journée Bach (28/7) et ses concerts à la Chapelle des Vernettes perdue à 1900 mètres d'altitude dans un écrin naturel digne de recevoir la musique du Maître !

- une soirée consacrée aux musiques de film (24/7)

- les concerts jeunes publics, les conférences et les visites guidées de la station

- les cartes blanches d'Olivier Baumont (clavecin) et Bruno Maurice (accordéon), le 22/7.

 

De nombreuses surprises compléteront la programmation. Côté Académie, on attend une affluence record de près de 200 stagiaires du monde entier, qui viendront se perfectionner auprès de plus de 40 professeurs de renommée internationale. On pourra, lors de la journée portes ouvertes, assister à des master classes publiques et apprécier lors des concerts de l'Académie le travail fourni par ces jeunes musiciens dont certains seront les stars de demain. Enfin le pôle chant et ses 25 artistes lyriques offriront deux concerts dont une transcription de Jean-Frédéric Neuburger de L'Heure espagnole de Maurice Ravel.

 

Renseignements et location : 14, rue de Surène, 75008 Paris ; par tel : 01 40 07 11 48 ; en ligne : contact@festivaldesarcs.com ou  www.festivaldesarcs.com

Bureau de l'Académie-Festival aux Arcs (du 16/7 au 3/8) : Skishop de l'Hôtel du Golf, Arc 1800.

 

 

22 - 27 / 8

 

Sinfonia en Périgord

 


Ensemble Sagittarius / DR

 

Les grandes fresques chorales feront l'évènement à Périgueux et dans ses environs pour le 26 ème festival Sinfonia en Périgord. On entendra ainsi la Passion selon Saint Jean de JS. Bach avec l'Ensemble Les Surprises et le choeur Aedes dirigés par Mathieu Romano (24/8, 21H, Eglise de la Cité, Périgueux), ou des musiques de Tomas Luis de Victoria par l'Ensemble Sagittarius et le choeur Dordogne en Sinfonia dirigés par Michel Laplénie (22/8, 21H Eglise de Razac-sur-L'Isle). Ce même ensemble donnera des pages de Buxtehude (23/8, 21H, Abbaye de Chancelade). Le Maginificat de Vivaldi sera joué par la Maîtrise de Radio France et l'Ensemble Pulcinella dirigé par Ophélie Gaillard (26/8, 21H, Eglise de la Cité, Périgueux). Les Vêpres de Monteverdi connaîtront une version mise en espace et en lumière par la Compagnie La Tempête de Simon Pierre Bestion (27/8, 21H, Théâtre L'Odyssée, Périgueux).

 

Pour sa dernière année de résidence, le Concert spirituel et Hervé Niquet donneront deux soirées sous le signe de l'Italie, la première, autour de Vivaldi, avec les solistes de l'ensemble (24/8 , 17H, Abbaye de Chancelade), la seconde réunissant les compositeurs Marc-Antoine Charpentier, Lorenzani et Benevolo (25/8, 21H, même lieu). Se produiront encore la Chapelle Rhénane dirigée par Benoit Haller dans un programme ''La Rose des Vents'' juxtaposant Telemann, Buxtehude, Bach, Schütz et Schein (23/8, 17H, Abbaye de Chancelade).

 

La curiosité du festival envers les talents nouveaux s'exprimera comme chaque année avec la série des concerts découverte "Jeunes talents Sinfonia", du 23 au 27 août, présentant des artistes émergents, dans divers lieux du département.

 

Réservations :11 place du Coderc, 24000 Périgueux ; par tel.: 05 53 08 69 81; en ligne : www.sinfonia-en-perigord.com.

 

 

27 / 8 – 9 / 10

 

Le Festival de Royaumont

 


DR

 

Après une campagne de rénovation considérable (restauration du Bâtiment des moines, amélioration et accroissement des équipements résidentiels) le Festival de Royaumont fait peau neuve. Il renoue avec la formule d'un seul tenant, l'espace de six week end, du 27 août au 9 octobre. De la création de Carré Magique du compositeur Jean- Luc Hervé dans le Potager-Jardin (27/8) aux polyphonies de la Renaissance, "Musiques de scène anglaises au temps des Stuart", par l'Ensemble Le Caravansérail dirigé par Bertrand Cuiller (11/9) ou un programme "Dufay en Italie" par Graindelavoix (même date). Des musiques transculturelles, le week end des 17-18 septembre, avec des compositions de Lorenzo Bianchi-Hoesh sous la direction de Marc Nammour, puis une "Nuit Magic Malik", ou encore à un programme intitulé « Kit de survie », à la création chorégraphique, le week end du 24-25 septembre : ''une traversée dans le temps de la danse'' sera la clé d'une série de propositions de Daniel Larrieu, Pascale Houbin et Dominique Boivin (« En piste »), d'Eloïse Deschemin et Diane Peltier (« Étude de cas : Eloïse D. »), de Fabrice Dugied (« La collection Lise B . »), de l'ensemble les Jerks Maurice Béjart pour une chorégraphie du Grand Remix de la Messe pour le temps présent de Pierre Henry. La série « Voix Nouvelles » fait aussi peau neuve ce dont témoigne le week-end des 3 ou 4 septembre résolument orienté vers la jeunesse et l'aventure : aussi bien « Autour de Xenakis » par Stéphane Thomopoulos, piano, ou « Sideshow » de Steven Tagasaki par le Talea ensemble, qu'un programme « Humoresque » par la pianiste Imri Talgam qui jouera Asperghis, Ligeti, Nancarrow et Schumann, ou encore celui titré « Le madrigal retrouvé » par l'ensemble vocal Exaudi de James Weeks.

 

Les claviers seront à l'honneur : riche de l'exceptionnel fonds de la Bibliothèque Musicale François-Lang, auquel s'ajoute désormais celui de la Médiathèque Musicale Mahler, partenaire de la Fondation, Royaumont réserve une place de choix au piano cette année. Avec Johann Jakob Froberger dont on pourra découvrir des inédits sous les doigts d'Andreas Staier (2/10) mais aussi d'autres pièces illustrées par l'ensemble Les Cyclopes « Froberger et ses contemporains », 1er/10), et encore « Froberger ; goût français et stylus fantasticus » par La Sainte folie fantastique (2/8). Ainsi qu'à travers le piano du XIX ème siècle au cours d'un week-end consacré à l Éloquence romantique au piano », les 8 et 9/10, autour de Beethoven et de Chopin. Du premier, dans le cadre du concert « De l'art concertant au piano solo », on pourra entendre des sonates pour violon et piano et la sonate op. 109. Et lors d Une Nuit Beethoven », partagée entre Elizaveta Miller et Alexei Lubimov, un choix exhaustif de sonates. Du second, «  La vocalité au piano » sera l'occasion de se plonger dans certaines de ses pièces emblématiques mises en regard avec des morceaux de Carl Friedrich Zelter, Johann Gottlieb, Karl Spazier, Friedrich Wilhelm Rust, Carl Loewe et Robert Schumann. Et sur le thème « Chopin, plasticité et avant-garde », on savourera des pièces choisies par Edoardo Torbianelli. La grande Bernarda Fink se produira aussi dans un florilège des Lieder de Mahler (10/9) et Raphael Pichon et Pygmalion dans une soirée « La Pellegrina – Fêtes polychorales pour les Médicis » (1/10). 

 


DR

 

Renseignements et réservations : par courier à la Fondation Royaumont, 95270 Asnières-sur-Oise, et sur place à l'accueil-billetterie ; par tel. : 01 30 35 58 00 ; en ligne : www.royaumont.com

 

 

16 / 9 - 9 / 10

 

Ambronay, le nec plus ultra du baroque

 

 

Peu des festivals sont aussi attachants que celui niché dans la petite bourgade rurale d'Ambronay aux confins du Bugey. On y joue de la musique baroque depuis des lustres dans une abbatiale d'un roman épuré, et sous un chapiteau voisin permettant de diversifier l'offre. Pour cette 37 ème édition (16/9-9/10), placée sous le signe des « Vibrations : Lumières », on a voulu « éprouver les sensations si vibrantes que procurent la musique vivante et les arts du spectacle », proclame Daniel Bizeray son directeur général. On se laissera donc éblouir, au fil de quatre riches « week end », par toutes sortes de musiques de JS. Bach d'abord, mais pas seulement. Dont les pages seront déclinées par le nec plus ultra du baroque. S'ils ne sont bien sûr pas tous là, bien peu manquent à l'appel, solistes et ensembles tant appréciés céans. Ainsi des ''anciens'' : le Collegium Vocale Gent de Philippe Herreweghe, pour des cantates de Bach (16/9), les Talens Lyriques de Christophe Rousset, pour Tamerlano de Haendel (7/9), ou les Arts Florissants de William Christie, dans les cantates profanes de Bach (25/9). Les formations associées ou en résidence ensuite, qui feront jaillir la lumière des grandes œuvres sacrées baroques : la Passion selon Saint Matthieu par le Concert Étranger d'Itay Jedlin qui promet une version épurée à un chanteur par pupitre pour chaque chœur « afin de se rapprocher du côté madrigalesque » (9/10). Mais aussi The Fairy Queen de Purcell par les Nouveaux Caractères de Sébastien d'Hérin (24/9). Les musiques sacrées et profanes d'Amérique du sud seront illustrées par la Cappella Mediterranea, l'ensemble Clematis et le Chœur de chambre de Namur, dirigés par Leonardo García Alarcón (23/9). La mise en regard intéressante de pages de  Charpentier et de Purcell, à propos de « Cécile, vierge radieuse », on la devra à  Correspondances et Sébastien Daucé (18/9). Sous le motto « Bach Luminoso », Damien Guillon et le Banquet Céleste associeront des pièces de Bach (le Psaume 51 d'après le Stabat Mater de Pergolèse) et le Nisi Dominus de Vivaldi (2/10). Les nouveaux venus encore, car la spécificité d'Ambronay est de propulser les jeunes talents, et ils seront légion et engagés. On ira jusqu'à Ambérieu-en-Bugey pour entendre Les Eléments, un ballet de cour créé pour Louis XIV par Destouches et Delalande, couplé avec des extraits de la Water Music de Haendel (Ensemble Les Surprises, 28/9), et au superbe Monastère royal de Brou pour l'oratorio d'Antonio Bertali, La Maddalena, donné par Scherzi Musicali (6/10), et même jusqu'à l'Auditorium de Lyon où Jordi Savall livrera avec Hespèrion XXI un récit en musiques des voyages initiatiques de l'écrivain Ibn Battûta (3/10). La musique de chambre ne sera pas oubliée : par des sonates en trio de Bach dans une version inédite pour deux clavecins, et des fugues de Mozart et de Clementi, par García Alarcón, Jean Rondeau, et Thomas Dunford au théorbe (30/9); ou avec l'ensemble Repicco qui «  dansera vers les étoiles » sur des musiques de Stradella, Falconieri, Kapsberger ou Biber (17/9).

 


Le cloître de nuit ©Bertrand Pichène

 

La voix, on la célébrera aussi avec Philippe Jaroussky, Imaginarium et Enrico Onofri sur des musiques nocturnes (7/10). Comme par des madrigaux de Monteverdi interprétés par les Arts Florissants et Paul Agnew (8/10). Une soirée exceptionnelle « Jonas et la Tempête » permettra d'une part, de tirer un fil original entre Rameau et Purcell dont on entendra des airs et danses d'opéras, d'autre part, de découvrir un oratorio de Giovanni Battista Bassani Il Giona. Deux ensembles seront à la manœuvre : Les  Ombres et Chomie d'Oro (1/10). Sans compter bien des événements autour du festival : les ''Afters'', qu'ils soient ''métissé'', ''musique du monde'', ''déjanté'' ou encore ''baroque et pop'' ; les ateliers, d'ombres chinoises, de chant et harpe, de chant pour amateurs ou de jonglerie en musique, dans l'abbaye ou en plein air dans le parc de la mairie. Mais aussi des conférences et des ''mises en oreilles'' pour se préparer aux concerts, menées par des étudiants du département de culture musicale du CNSMD de Lyon. Le festival c'est encore le festival EEEmerging (contraction de Emerging European Ensembles) qui au long de ses trois parties, lors du denier week end, découvrira des nouvelles pépites de musiciens pour demain. Car à Ambronay, qui se veut d'abord et avant tout un centre culturel de rencontre, on travaille inlassablement à façonner la relève. En tout cas, la programmation a été conçue toute en contrastes et en clairs-obscurs. L'automne sera intense à Ambronay et en terres burgiennes. Il faut y aller pour savourer une expérience loin du stress ambiant et surtout se ressourcer. 

 

 

Renseignements et réservations : Centre culturel de rencontre d'Ambronay,  Service Location, Place de l'Abbaye, BP. 3, 01500 Ambronay ; par tel. : 04 74 38 74 04 ; en ligne : location@ambronay.org ou  www.ambronay.org. Possibilités de restauration sur place.

 

Jean-Pierre Robert.

 

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PAROLES D'AUTEUR

Haut

Le Chamber Orchestra of Europe a 35 ans

 

 

Alors tout jeune orchestre – 2 ans d'âge – la critique spécialisée Nord Américaine estimait que le Chamber Orchestra of Europe (COE) était le meilleur orchestre de chambre au monde, qualité de nouveau reconnue plusieurs décennies plus tard par la BBC.

 

Cette constance dans l'éloge n'est pas due au hasard. Plusieurs facteurs permettent de comprendre le mystère de l'exceptionnelle qualité de l'Orchestre : son origine, la réunion de musiciens ayant le souci de mettre leur talent au service de l'ensemble, leur mode de désignation assez particulier, une fidélité largement répandue parmi eux et en toute circonstance une attitude généreuse jamais prise en défaut. Il en résulte non seulement des interprétations merveilleuses, mais une appréciation de la part des solistes et chefs invités particulièrement enthousiaste pour ne pas dire plus. Il s'ensuit que nombre des interprétations du Chamber Orchestra of Europe sont marquantes et s'inscrivent dans l'histoire de l'interprétation des œuvres.

 


L'orchestre en 2015 à la Philharmonie de Paris / DR

 

 

L'origine

 

C'est en 1981 que des membres de l'Orchestre des Jeunes de la Communauté Européenne ayant atteint les 24 ans qui leur interdisaient de poursuivre l'aventure de cet orchestre décidèrent de se regrouper afin de réunir leur talent, nonobstant leur carrière naissante au sein de grands ensembles de niveau international. Il y avait donc à la fois le souhait de poursuivre une collaboration fondée sur de réelles affinités artistiques ainsi que la conviction que l'exercice du métier et sa progression ne pouvaient s'accomplir que dans la diversification d'expériences judicieusement choisies : jouer dans un grand orchestre symphonique et se retrouver dans un ensemble tel le COE, voilà qui semblait bien pouvoir répondre à cette préoccupation.

 

Il fallait bien sûr qu'une personnalité indiscutable, aimée, soutienne l'initiative, en soit même le guide, capable de mettre en valeur la qualité de chacun des musiciens, sans pour autant brider leur enthousiasme mais au contraire en les aidant à s'exprimer pour atteindre les plus hauts sommets. Cette personnalité ne pouvait être que Claudio Abbado qui déjà connaissait les initiateurs du projet pour les avoir côtoyés à l'occasion des sessions de l'Orchestre des Jeunes de la Communauté Européenne (EUYO) créé en 1978 et dont il était le Directeur musical.

 

 

Le talent au service de l'ensemble

 

Être dès le début qualifié de « meilleur orchestre de chambre au monde » ne tenait pas seulement au fait de la présence attentive de chefs comme Claudio Abbado ou Nikolaus Harnoncourt. Il y avait chez les musiciens de l'Orchestre, conscients de leur talent, le désir de mettre celui-ci en commun pour faire ENSEMBLE de la musique. Les exemples suivant illustrent cette préoccupation.

 

C'est le cas du hautboïste Douglas Boyd, un des fondateurs de l'orchestre ; virtuose reconnu de son instrument il va devenir par la suite un chef estimé, aujourd'hui directeur musical de l'Orchestre de Chambre de Paris. Quant au flûtiste Jacques Zoon, très tôt membre du du COE, il a été première flûte au Concertgebouworkest d'Amsterdam ainsi qu'à l'Orchestre Symphonique de Boston tout en conduisant une carrière internationale en tant que soliste. Marieke Blankestijn, présente dès l'origine dans l'Orchestre dont elle est toujours l'une des deux violons solos, tient la même fonction à l'Orchestre Philharmonique de Rotterdam que dirige Yannick Nézet-Séguin. Le percussionniste John Chimes, toujours en activité au COE, avait été en son temps sélectionné par Pierre Boulez au sein de l'orchestre de la BBC où il resta 39 ans ; on constate qu'il est toujours acclamé à l'issue de chaque concert. On pourrait multiplier les exemples de musiciens aussi remarquables. On peut citer François Leleux hautboïste de grande renommée qui était dans l'effectif il y a encore peu, et parmi les jeunes, Lorenza Borrani violon solo de l'orchestre, que Claudio Abbado choisissait pour intégrer l'Orchestre du Festival de Lucerne. Elle est par ailleurs à l'origine de l'étonnant projet « Spira Mirabilis ». Ellle se produit souvent au sein de formations de chambre et sera la cheville ouvrière à l'automne prochain de tout un programme Mozart au Japon avec les musiciens du COE. Il y a aussi dans l'effectif Luise Buchberger, par ailleurs violoncelliste co-soliste de l'Orchestra of the Age of Enlightenment, Simone Jandl, digne disciple de l'altiste Tabea Zimmermann, Romain Guyot, l'un des clarinettistes majeurs du moment, Clara Andrada de la Calle qui contribue à maintenir le plus haut niveau du pupitre de première flûte au COE tout en assurant le même rôle au sein du très bel Orchestre Radio Symphonique de Francfort (HR-Sinfonieorchester)...

 

Mais n'évoquant que quelques noms, on peut donner le sentiment d'être injuste pour les autres alors qu'ils ont autant de mérites. Tous les musiciens de l'orchestre, depuis le début de l'existence de la formation, sont des solistes de tout premier ordre, mais qui sont avant tout MUSICIENS, s'unissant dans une même dynamique d'ensemble mettant au service des œuvres interprétées des sonorités à la fois subtiles et puissantes. Même une oreille peu exercée peut le constater et comprendre que cela provient notamment d'un engagement total des musiciens : on le voit dans l'amplitude des gestes de la part en particulier des instrumentistes à cordes, ainsi que dans l'attention jamais relâchée de tous y compris lorsque la partition ne les sollicite pas. On peut aussi remarquer les échanges de regards qu'il y a en permanence entre eux, manifestation éclatante de leur totale complicité. D'autres fois on surprend des sourires soulignant sans doute la satisfaction d'avoir réussi un trait sur lequel les uns et les autres ont sans doute travaillé durement. En un mot, ils aiment ce qu'ils font et le font partager au public, ce qui a pour conséquence que chacun de leur concert est, certes, une expérience artistique mais aussi une expérience humaine.

 


Avec Claudio Abbado / DR

 

 

Un recrutement original et une fidélité largement partagée

 

Cette atmosphère qui règne au sein de l'Orchestre n'est pas le fait du hasard : les musiciens sont réunis selon des règles particulières et restent souvent attachés à l'ensemble pendant de longues années. A l'origine de l'Orchestre, on l'a indiqué plus haut, il y a eu une démarche volontaire des artistes issus de l'orchestre des Jeunes de la Communauté Européenne. Ils avaient un même désir de poursuivre une démarche artistique alliant excellence et affinité. Il s'agissait de ne pas « exécuter » les œuvres du répertoire sous l'autorité d'un chef omnipotent, mais de les aborder suite à une confrontation des conceptions des uns et des autres, sachant que le chef aurait in fine le dernier mot. Nous verrons plus loin l'appréciation de maîtres les ayant dirigés tout en respectant cette démarche de confrontation conçue comme un approfondissement.

 

Aujourd'hui le recrutement se fait de façon plus classique. Ainsi un candidat enverra son CV et un enregistrement qui seront réceptionnés par le directeur du personnel. Celui-ci fait parvenir ces deux documents au pupitre concerné, sachant que pour les vents ce sont tous les vents/musiciens  concernés qui en seront destinataires en vue de participer au choix. Ensuite si les musiciens le demandent, il y a audition du candidat. En cas de sélection, l'intéressé(e) sera admis(e) dans l'effectif de divers concerts, mais à l'essai, et ce autant de fois que les membres de l'orchestre le jugeront utile. Ce n'est qu'à l'issue de ce processus que le candidat est susceptible d'être inscrit sur la liste des musiciens du COE. C'est ainsi qu'on peut penser que le choix est bien sûr artistique, mais que les membres de l'Orchestre sont aussi attentifs à la capacité d'intégration du postulant dans un collectif aux caractéristiques bien particulières.

 

C'est qu'une fois intégré dans la « famille » du COE, on y reste de nombreuses années, non par obligation, mais parce que l'on adhère a une démarche esthétique originale, dans un esprit de rare complicité. On ne doit alors pas s'étonner de trouver encore une douzaine de musiciens fidèlement attachés à l'Orchestre après plus de 30 années de collaboration. On a évoqué Marieke Blankestijn, mais on doit ajouter d'autres violonistes : Fiona Brett, Joe Rappaport, Iris Juda, Elisabeth Wexler, les altistes Stephen Wright et Dorle Sommer, le violoncelliste Will Conway, le contrebassiste Enno Senft, le bassoniste Chris Gunia, le trompettiste Julian Poore, le corniste Peter Richards et le tromboniste basse Nicholas Eastop.... N'est-ce pas là une explication de l'homogénéité du COE si souvent soulignée !

 

 

Que disent les solistes et chefs qui collaborent avec le COE ; quelles preuves apportent-ils de leur véritable amour de cet orchestre?

 

Si le public et la critique reconnaissent les vertus de l'ensemble, les solistes et les chefs invités ne sont pas moins élogieux. Tout dernièrement la violoniste Patricia Kopatchinskaja a donné son sentiment sur ce qu'elle ressentait suite à son contact avec le COE : « COE is not even a dream ; it is a dream...in a dream …It starts to be a relationship for all life and all about love....It is really music-making ». Elle a dû aussi être sensible à la générosité contagieuse de l'orchestre en se fondant, le temps de la Septième Symphonie de Beethoven, dans le pupitre des cordes : il s'agissait de prendre la place d'une violoniste se trouvant dans l'incapacité d'assurer la seconde partie d'un récent concert à Bordeaux ; preuve s'il en était besoin d'une affinité profonde et d'un partage de valeurs identiques de la virtuose moldave avec le COE ! Ce concert était partie d'une tournée qui ne fut du reste pas un fleuve tranquille : elle devait être dirigée par Vladimir Jurowski ; or il tomba malade....Thierry Fischer, ancienne première flûte du COE, alors Outre-Altlantique, dut sauter dans l'avion, et étudier tout au long du vol une partition qu'il ne connaissait pas, la Symphonie de Chambre n°10 Op.98 de Mieczyslaw Weinberg. Nul doute que si le COE avait été composé d'instrumentistes imbus d'eux-mêmes, potentiellement inamicaux vis à vis des chefs, Thierry Fischer ne se serait pas engagé dans une telle aventure qui le vit dès son arrivée en France amorcer les répétitions ! On peut penser que ce qu'il a fait constitue plus qu'un témoignage d'amitié et d'admiration !

 

Rares en tout cas sont les orchestres pour lesquels un chef serait prêt à s'envoler pour les sortir d'une situation épineuse, quelles que soient les difficultés à affronter.... Mais avec le COE il sera certain de trouver plus que des partenaires, des complices. Bien d'autres éloges ont été émis, tel celui de Pierre-Laurent Aimard : « ….ce sont les musiciens les meilleurs du monde qui se sont réunis pour ce projet.....Ils sont incroyablement cultivés et cet orchestre est d'une merveilleuse pureté musicale ». Emmanuel Ax dit que les musiciens « ont pour objectif de partager leurs talents individuels et de produire une vision unifiée de la musique qu'ils jouent ». Ivan Fisher affirme que « le COE est extraordinaire, une véritable source d'inspiration ».

 


Bernard Haitink & Emmanuel Ax / DR

 

Quant à Bernard Haitink, il estime qu'avec le COE il n'a « plus le sentiment d'être un chef d'orchestre mais plutôt un musicien qui fait de la musique avec eux. Ils se respectent, ils s'aiment beaucoup, ils adorent la musique et travailler avec eux est une bouffée d'air frais. Parce que le COE est compact, on peut aller vraiment au cœur des œuvres. C'est très intéressant. Je les adore » (BBC 4- 2015). Le même Bernard Haitink déclarait au Figaro, en 2011,« en véritables chambristes, [ les musiciens du COE] sont habitués à s'écouter, sans se focaliser sur le chef d'orchestre. Cela correspond exactement à l'idée que je me suis toujours faite de la direction d'orchestre ». Quant à Claudio Abbado, à l'occasion de la parution de l'enregistrement du Voyage à Reims de Gioacchino Rossini, il déclarait, selon le/dans le numéro 1866 de Télérama d'octobre 1985 : « Pour le ''Voyage à Reims'', j'avais besoin de leur enthousiasme, plus riche que dans les grands orchestres professionnels où l'on joue souvent par obligation, plus préoccupé par les problèmes syndicaux que par la musique . Là, il n'est jamais question de discipline. D'eux mêmes, en quatuor ou en octuor, ils travaillent les passages les plus difficiles. L'Orchestre de la Communauté Européenne est une expérience et un exemple unique. Pour les jeunes comme pour moi. Toutes nationalités confondues, seul l'amour de la musique nous rassemble ».

 

Nous pouvons affirmer que cet état d'esprit est toujours d'actualité. La « relève », associée aux musiciens à l'origine du projet pérennise la démarche, et chaque concert est une affaire avant tout d'artistes unis par une même conception de la musique.

 

 

Quelle marque laisse le Chamber Orchestra of Europe à travers ses concerts et enregistrements ?

 

A première vue, on peut penser que seuls les enregistrements assurent à l'orchestre son inscription durable dans l'histoire de l'interprétation musicale. Affirmons ici que le souvenir de concerts contribue aussi à l'écriture de cette histoire.... Sinon on ne parlerait pas de concerts mémorables (lesquels aujourd'hui font de plus en plus l'objet d'édition audio et/ou vidéo). S'agissant de concerts mémorables, beaucoup gardent vivant le souvenir de ceux dirigés par Claudio Abbado ou Nikolaus Harnoncourt. Plus récemment, lors de leurs passages à Paris, on évoquera le concert dirigé par Ivan Fischer avec en soliste Julia Fischer dans une interprétation d'anthologie du Concerto pour violon de Félix Mendelssohn en 2010 à la Cité de la Musique. Rappelons-nous aussi des symphonies de Beethoven d'une totale plénitude dirigées par Bernard Haitink à la salle Pleyel en 2012. Mais tous les concerts du maître hollandais avec le COE sont une leçon de probité exemplaire, offrant à l'auditeur le sentiment de pénétrer au cœur de la création musicale.

 

En 2014, Yannick Nézet-Séguin a su rendre le romantisme de Robert Schumann dans toute sa spontanéité tout en allégeant une orchestration réputée compacte, et fin 2015 ce fut l'intégrale des symphonies de Mendelssohn qui ont enthousiasmé le public de la Philharmonie de Paris sous la direction du chef canadien. Ces deux intégrales symphoniques ont du reste été enregistrées, celle de Mendelssohn étant en attente d'être publiée alors que celle de Schumann est déjà diffusée.

 

 

Ce sont quelques 250 enregistrements qui parcourent l'histoire du COE et parmi ces 250 pierres de l'édifice, nombreuses sont celles qui constituent des étapes marquantes de l'interprétation et sont même parfois des révélations. Le premier disque publié fut déjà en son temps un événement. Il s'agissait de La Donna del Lago de Rossini dirigée par Maurizio Pollini, captée en direct du festival de Pesaro (1984), et considéré comme étant le premier enregistrement mondial de l'œuvre. Il fut suivi peu après du Voyage à Reims du même Rossini, qui fut d'une part une révélation quant à l'œuvre, d'autre part une révélation quant à la qualité exceptionnelle de l'orchestre – finesse, précision, musicalité, virtuosité.

 

On évoquera aussi les enregistrements de Nikolaus Harnoncourt qui offrent en héritage une approche novatrice des symphonies de Beethoven (début des années 90) ou des Cinq concertos pour piano avec Pierre-Laurent Aimard (2004). Bien évidemment on ne peut passer sous silence l'ensemble des enregistrements dirigés par Claudio Abbado. Retenons pourtant plus particulièrement les 5ème et 6ème Symphonies de Schubert d'une élégance et profondeur inégalées (1988). L'héritage est aussi constitué par un répertoire contemporain audacieux avec par exemple l'enregistrement du Concerto grosso n°1 d'Alfred Schnittke dirigé par Heinrich Schiff (1990) ou celui consacré à des œuvres de Salvatore Sciarrino (Autoritratto nella notte), György Ligeti (6 Bagatellen für Bläserquintett et Doppelkonzert für Flöte und Oboe) et Arnold Schoenberg (Kammersymphonie n°1) avec Claudio Abbado au pupitre (1997).

 

Nous avons conscience d'être injuste en ne citant pas tous les enregistrements du COE, alors que tous sont exemplaires et méritent de figurer au premier rang de la discothèque de l'honnête homme. Et cela comprend les toutes récentes publications qui confirment la constance de la qualité des instrumentistes : c'est le cas du CD Mozart avec le Concerto pour clarinette K.622 interprété par Romain Guyot et le Quintette K.581 qui associe le clarinettiste avec ses partenaires du COE, les violonistes Lorenza Borrani et Mats Zetterqvist, l'altiste Pascal Siffert et le violoncelliste Richard Lester.

 


Nikolaus Harnoncourt et le COE / DR

 

 

L'anniversaire

 

Un tel bilan après 35 ans ne pouvait pas ne pas être célébré ! C'est donc tout naturellement que l'orchestre se fit un devoir d'offrir au public le meilleur de lui-même au cours d'une tournée qui le vit successivement à Ferrare le 18 mai ( jour anniversaire de sa première prestation à Londres au Merchant Taylors' Hall ), Reggio Emilia, Wuppertal. Le dernier concert de la tournée, à Birmingham, était suivi d'un concert privé à Londres (Saint John's, Smith Square) le 24 mai avec tout un programme Mendelssohn : l'ouverture Les Hébrides, le Concerto pour piano n°1 et la Symphonie Écossaise, le tout dirigé et joué par Sir Andras Schiff avec énergie, mais surtout grande compréhension des œuvres et un goût très sûr. On comprend qu'il soit par ailleurs membre d'honneur de l'Orchestre, à l'instar de Bernard Haitink et de Alice Harnoncourt.

 

Lors de son discours, le président Peter Readman a su faire partager à l'audience son émotion lorsqu'il a évoqué la mémoire de Claudio Abbado, Paavo Berglund, Nikolaus Harnoncourt, mais aussi celle d'un musicien de l'orchestre fidèle parmi les fidèles, le contrebassiste Lutz Schumacher décédé il y a un an. L'évoquer au même titre que les trois chefs démontre clairement que chacun à partir du moment où il fait partie de la famille du COE, compte de la même manière.

 

Trente cinq ans est un âge de maturité. Le monde de l'art, et pas seulement celui de la musique, doit souhaiter vivement que soient fêtés d'autres anniversaires du COE. De grands moments par ailleurs sont encore attendus. Après Cosi fan tutte, Don Giovanni, L'Enlèvement au Sérail et Les Noces de Figaro, devraient encore être enregistrés, avec le même chef Yannick Nézet Séguin, les années à venir à la Festspielhaus de Baden-Baden, les autres opéras de Mozart  : La Clémence de Titus, La Flûte enchantée, Idoménée.

 


Vers de nouvelles conquêtes... / DR

 

Mais la conclusion de cette évocation du Chamber Orchestra of Europe ne sera pas à proprement musicale. Elle se veut une illustration de la sensibilité généreuse des artistes qui composent cette fabuleuse phalange. A l'occasion d'un récent concert à Bordeaux que nous avons déjà évoqué, pendant la Septième Symphonie de Beethoven un téléphone sonne. Immédiatement le public se met à huer la personne fautive qui se trouve être une dame âgée. Celle-ci affolée ne parvient pas à interrompre la sonnerie intruse et tombe en pleurs, ne supportant pas l'ire de la foule.... Les membres de l'orchestre bien sûr constatent l'incident. Dès la fin du concert plusieurs d'entre eux se précipitent dans les couloirs de la salle pour essayer de lui parler... .ce qu'ils purent faire en ces termes : « mais Madame, ce n'est pas grave et ça peut arriver » ; dans cette attitude on a l'illustration de la nature délicate de ces musiciens qui avant tout ont une sensibilité et une générosité qui les conduit à ne pas supporter ce qu'ils ont estimé être une humiliation inutile subie par cette dame. La sonnerie de son téléphone ne gênait pas le déroulement du concert, moins en tout cas que la réaction violente d'une partie de la salle. C'est cela aussi le Chamber Orchestra of Europe !

 

Q mai 

Gilles Ribardiere.

 

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REPÈRES PÉDAGOGIQUES

 

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Le Chant des Muses, la dernière création de Xu Yi

 


DR

Xu Yi est membre de la génération de la Nouvelle Vague (Xinchao 新潮) à l'instar d'autres compositeurs chinois reconnus qui tous ont été formés à l'étranger, comme Chen Yi (陳怡 1953), Zhou Long (周龍 1953), Ge Gan-ru (葛干孺 1954), Sheng Zongliang (Bright Sheng 盛宗亮 1955), Ye Xiaogang (葉小剛 1955), Tan Dun (譚盾 1957) aux Etats-Unis ; Wen Deqing (溫德清 1958) en Suisse ; Chen Qigang (陳其鋼 1951), Zhang Xiaofu (張小夫 1954), Xu Shuya (許舒亞 1961), Xu Yi (徐儀 1963) en France ; Chen Xiaoyong (陳曉勇 1955) en Allemagne etc. (1) Ils ont tous quitté la Chine après la révolution culturelle et ont rejoint le domaine de la musique contemporaine en Occident. Xu Yi en France et Chen Yi aux Etats-Unis sont deux rares compositrices de leur époque. Xu Yi arrive à Paris en 1988 et complète ses cursus IRCAM (1990-1991) et CNSMDP (1991-1995) couronnés par le Prix Villa Médicis en 1996-1998. Elle est la première compositrice chinoise à briller sur la scène française avant une autre compositrice Tian Leilei (田蕾蕾 1971) qui a également accompli le cursus de l'IRCAM et a été pensionnaire de la Villa Médicis en 2012-2013. (2)

Après Chen Qigang, Xu Yi doit être la compositrice chinoise la plus reconnue en France dans le domaine contemporain grâce à son œuvre. Le plein du Vide (1997) pour quatorze instruments et dispositif électronique a été sélectionnée pour l'épreuve de musique du Baccalauréat en 2006-2007. De nombreux articles(3) analytiques de cette pièce ont été publiés par des compositeurs et musicologues. Xu Yi conserve une certaine visibilité depuis ses premières créations depuis 1991 en France, dans un domaine quasi masculin. Cet intérêt s'explique peut-être par la profondeur de sa pensée fondée sur le taoïsme et partant en constante évolution.

Elle a développé cette pensée sous des angles tant spirituels qu'intellectuels qu'elle a inscrit dans son langage musical à travers toutes sortes de formations : écriture instrumentale et mixte, pièces solistes, ensemble et orchestre, musique de film et opéra.

Ces schémas contraints, fortement influencés par le taoïsme, qu'elle décrit comme étant « ses propre recettes" sont à l'image du système de cryptogramme utilisé plus fréquemment à partir du XIXe siècle par des compositeurs comme Maurice Ravel, Alban Berg, Olivier Messiaen et Elliott Carter… le plus célèbre étant certainement le motif sur B-A-C-H.

Elle emploie régulièrement depuis 1991 et pour la première fois son système théorique personnel issus du I Ching dans l'œuvre mixte Tui pour contrebasse et station audionumérique stéréo créée à l'IRCAM en 1992, l'image extrêmement connue des cent-quatre-vingt-douze quart de tons basés sur les soixante-quatre hexagrammes (voir l'image ci-dessous). Sa démarche compositionelle se fonde sur toutes les pratiques disponibles dans le corpus du taoïsme qui va de l'exploitation quasi mathématique des soixante-quatre hexagrammes à l'interprétation des oracles couramment pratiqués dans cette pensée propre à l'univers de la Chine.

 


L'image réalisée par Georges Ouanounou issue du manuscrit de Xu Yi
avec le marqueur sur l'ordre des six premières notes du Plein du Vide
écrit par l'auteure sur l'image.

 

Création Le Chant des Muses

Depuis son arrivée en France, Xu Yi occupe une place importante dans le monde de la composition contemporaine et est devenue une personnalité notoire pour les compositions pour voix(4) (chants a capella, choeurs d'enfants, mélodrames) qui influencent directement son écriture instrumentale liée à la recherche sur l'intonation vocale propre à la langue chinoise.

Plusieurs œuvres ont mis en valeur cette caractéristique entre instrument et voix à l'image de la dernière création Le Chant des Muses pour soprano, trois ténors, choeur et treize musiciens, commande du COSU (Choeur & Orchestre Sorbonne Universités). Cette pièce a été créée dans le Grand Amphithéâtre de la Sorbonne le 15 mars 2016 sous la direction d'Ariel Alonso au sein d'un programme présentant trois autres oeuvres de Ludwig van Beethoven (1770-1827), Etienne Nicolas Méhul (1763-1817) et Henri Tomasi (1901-1971). La création de Xu Yi répond parfaitement à cette commande du COSU, chaleureusement reçue par le public dans une salle presque comble. Il faudrait saluer comme une belle avancée à la croisée du dialogue sans frontière entre Extrême-Occident et Extrême-Orient, classique et contemporain compositeurs (au pluriel…) et compositrice (au singulier…).

Dans cette création Le Chant des Muses, Xu Yi met en regard trois poètes, présentés chacun dans leur langue : chinois pour Shang Guan Wan Er (上官婉兒 664-710), français pour Louise Labé (1524-1566), italien pour Pétrarque (1304-1374) en respectant scrupuleusement les caractéristiques vocales de ces langues.

La compositrice accorde aux voix une grande diversité d'expression qui va du chuchotement au cri, de la virtuosité du belcanto à la voix récitante, évocation lyrique de l'amour impossible, de la mélancolie et de la solitude apportant dans cette richesse et cette variété une dimension universelle à son propos.

La genèse du Chant des Muses remonte à 2014 dans l'oeuvre L'impératrice Wu Zetian - entre ciel et terre(5), drame lyrique en trois actes pour trois chanteurs, une comédienne, un choeur de jeunes filles, sept musiciens et dispositif électronique spatialisé sur un livret d'Agnès Marietta relatant l'histoire de Shang Guan Wan Er secrétaire d'état dans le gouvernement de l'Impératrice Wu Zetian durant la dynastie Tang.

Shang Guan Wan Er, est une des rares poétesses et femmes politiques chinoises de l'antiquité nommée par l'impératrice Wu Ze-Tian (武則天 624-705) de la dynastie Tang (618-907). Elle est, dans toute l'histoire de la Chine impériale l'une des rares femmes ayant atteint cette haute fonction. Les talents de Shang Guan Wan Er ont été mis au service de trois empereurs de la dynastie Tang. Disgrâciée à la suite d'intrigues politiques, elle est condamnée à mort par l'empereur Li Long-Ji (李隆基 685-762). Quelques années plus tard, pris de remords, ce dernier publiera officiellement ses poèmes qui représentent une oeuvre d'une vingtaines de recueils.

Dans le poème La plainte du livre à colorier(6) en cinq quatrains de Shang Guan Wan Er en « ü », Xu Yi en exprime la pudeur mélancolique par un plan sonore spatialisé à l'image des différents plans cinématographiques (gros plan, plan large etc.) dans un éventail qui s'ouvre du choeur au chant, du chanter-parler au chuchotement en chinois. Un plan large de fond sonore décrit l'amour et la solitude d'une femme dans sa classique image Extrême-Orientale :  la douceur de la tristesse profonde, l'émotion féminine cachée sans parole et « noyée de larmes d'amour » (7) dans l'attente du retour de son amant.

 

La plainte du livre à colorier (Le livre des couleurs amères) 

Les feuilles tombent au bord du lac Dongting
Je pense à vous à dix mille lieux d'ici
La senteur de la rosée si dense refroidit
La lune descend derrière le paravent de soie vide
Je veux jouer les airs du Sud du Fleuve
Fermer la lettre de Jibei
La lettre n'a d'autre sens
Que déplorer cette longue séparation

- Shang Guan Wan Er

 

Cette poésie remarquable souligne le contraste entre les écrits poétiques emprunts de sentiment amoureux - révélés après sa mort - et le pouvoir politique aux mains de Shang Guan Wan Er qui faisait trembler la Chine quand elle était au service de trois Empereurs successifs de la Dynastie Tang. Cet aspect de la personnalité de Shang Guan Wan Er qui grâce à son talent nous a apporté à travers les âges un témoignage bouleversant, est aussi un marqueur de la place des femmes durant cette période faste de l'histoire de la Chine et de l'expression féminine qui a reculé plus tard et jusqu'à nos jours dans la société asiatique.

A l'inverse de Shang Guan Wan Er et son évocation pudique de l'amour impossible et de la solitude, sept cent ans plus tard dans le même contexte des relations amoureuses, je vis je meurs - le huitième sonnet de Les Sonnets et Elégies(8) (1555) de Louise Labé, poétesse lyonnaise de la renaissance, influencée par les écrits de Pétrarque, est choisie par Xu Yi. Celle-ci destine ce magnifique texte à la voix soprano interprétée par Marthe Davost lors de la création. La voix de soprano exprime la poésie de Louise Labé centrée sur le plan scénique et sur l'organisation de l'espace sonore située au premier plan en solo. Cette voix est accompagnée de l'ensemble des instruments pour la plupart du temps et soutenue temporairement par le chuchotement du choeur avec le texte de Shang Guan Wan Er en chinois qui est mis en place à l'arrière plan sonore avec la nuance ppp-p pour toute l'oeuvre.

 

Je vis, je meurs ; je me brûle et me noie ;
J'ai chaud extrême en endurant froidure :
La vie m'est trop molle et trop dure.
J'ai grands ennuis entremêlés de joie.

Tout à un coup je ris et je larmoie,
Et en plaisir maint grief tourment j'endure ;
Mon bien s'en va, et à jamais il dure ;
Tout en un coup je sèche et je verdoie.

Ainsi Amour inconstamment me mène ;
Et, quand je pense avoir plus de douleur,
Sans y penser je me trouve hors de peine.

Puis, quand je crois ma joie être certaine,
Et être au haut de mon désiré heur,
Il me remet en mon premier malheur.

- Louise Labé

 

La spatialisation

Le point commun entre Shang Guan Wan Er et Louise Labé réside dans la solitude de la passion amoureuse librement exprimée par des femmes, chose rare aux deux extrémités du monde, surtout dans ces temps reculés. Loin de la distance pudique de Shang Guan Wan Er, Louise Labé dévoile une explosion de sentiments dans une écriture audacieuse à l'autre extrémité de l'expression de Shang Guan Wan Er qui évoque pourtant la même liberté de ton que la poétesse de la dynastie Tang.

Sonetto XXXV del Canzoniere

Solo et pensoso i più deserti campi
vo mesurando a passi tardi et lenti
(9)

- Pétrarque

L'extrait des Lettres amoureuses de Pétrarque écrit pour trois ténors, précise leur mise en place à l'arrière de l'audience, au milieu du premier balcon pour décrire la mélancolie, la nostalgie et l'isolement absolu du « solo » de ce poème. Ce « Solo» repris par les ténors et par le choeur soutenu par l'ensemble des instruments est un magnifique rappel de la spatialisation (voir l'image ci-dessous). L'effet spatialisé est réalisé grâce aux voix des trois ténors qui s'envolent de l'extérieur vers l'intérieur de le scène, c'est à dire du monde, et évoluant au-dessus de l'audience éveille l'écoute du public par la direction des voix et leur douceur profonde. C'est sans doute l'une des plus importantes caractéristiques musicales de la compositrice dans l'ensemble de ses œuvres instrumentale et mixte depuis 1994.


L'image présente l'installation des musiciens à l'occasion de la création Le Chant des Muses, le 15 mars 2016.
Source de cette photo prise sur le site de l'Université de Paris-Sorbonne.

La première composition spatialisée, Hundun (混沌) (10), a été créée en 1994 pour cinq groupes instrumentaux spatialisés qui évoquent la cosmologie de la pensée taoïste et le dialogue entre l'être humain et l'univers. Les compositions mixtes avec l'électronique en dispositif fixe rappellent également la place de l'humain au sein de l'univers. Chaque point de diffusion sonore installé dans l'espace est une transposition de la présence physique des musiciens. En conséquence, elle traite l'écriture de la partie électronique, contrairement à beaucoup de compositeurs avec une précision extrême à l'instar de l'écriture pour instrument.

La prédilection instrumentale

Le choix très minutieux des instruments de Xu Yi avec une prédilection pour la flûte, la clarinette, les cordes et les percussions est en rapport avec une approche du langage vocal. Cette permanence apporte à l'ensemble de son oeuvre une homogénéité dont on pourrait trouver la source dans sa familiarité avec la langue chinoise dont la musicalité est inscrite dans la locution. A cela s'ajoute sa connaissance approfondie du violon chinois Erhu (vièl(11)e à deux cordes) que la compositrice a étudié dans un premier temps en parvenant à un très haut niveau de virtuosité dans les années quatre-vingt et où elle a été sélectionnée comme la seule admise au concours d'entrée du Conservatoire de Shanghai ,avant de choisir  la voie de la composition. Pour la percussion, elle puise dans sa mémoire l'époque de sa jeunesse ou elle écoutait souvent des opéras de rue dont les rythmes et les timbres propres à ce genre irriguent sa musique. Et l'on retrouve cet équilibre entre le timbre instrumental et la voix qui exprime souvent le souffle vital dans la musique chinoise.

Le Chant des Muses est l'expression de l'amour impossible que Xu Yi choisit de montrer du rare point de vu de femmes qui comme on le sait n'ont que très tardivement pénétré les sphères des sentiments dans des œuvres écrites. Quant au texte de Petrarque, il donne le contrepoint de la pesante solitude tant spatiale que temporelle qui émane des textes des deux poétesses. La sincérité, élément fondamental de sa musique aux dires même de Xu Yi, s'exprime par le choix de ces poèmes dans un grand ambitus qui va de la plus discrète pudeur à une hystérie flamboyante et magnifique.

Cette création offre une lecture et un regard spirituels qui vont au-delà du monde réel plein de douleur, de mélancolie et d'amour impossible. Xu Yi en propose une écoute et une perception du temps basé sur les états décrits dans les textes : proches dans l'esprit, éloignés dans l'expression, lointains dans le temps mais toujours présent. De ces trois poèmes reflétant chacun un aspect de l'amour, Xu Yi en les confrontant installe à distance une mise en abîme autant spatiale que temporel le et sa composition s'empare de la profusion des sentiments qu'elle transcende pour les faire confiner à l'infini.

 

Recension, communiquée par Michèle Tosi, de Liao Lin-Ni.*

 

*Liao Lin-Ni, Compositrice chinoise, musicologue et chercheuse associée à l'Institut de Recherche en Musicologie (CNRS - Université Paris-Sorbonne - Ministère de la Culture – BNF), a publié trois ouvrages : Pensée musicale d'Edith Lejet, Fusion du temps : Passé-Présent, Extrême Orient - Extrême Occident (co-éditeur : Marc Battier) et Héritages culturels et pensée moderne – Les compositeurs taiwanais de musique contemporaine formés à l'étranger et divers articles sur l'analyse du langage musical, de l'identité et de l'héritage culturel de la musique contemporaine et le féminisme dans le domaine de création en Extrême-Orient.

(1) A l'exception de Qu Xiaosong (瞿小松 1952) et Guo Wenjing (郭文景 1960), tous deux formés en Chine ont séjourné aux Etats-Unis en court terme.

(2) Wang Ying (王穎 1976) a été sélectionnée par le Cursus IRCAM en 2011-2012, Shen Ye (沈葉 1977) en 2013-2014 et Cheng Huihui (程慧惠 1985) en 2015-2016.

(3) Les articles et les analyses sur Le Plein du Vide de Xu Yi sont très complets sur le site du Baccalauréat musique -

   http://www2.cndp.fr/secondaire/bacmusique/xuyi/presentation.htm

(4) 2015 Le ciel brûle pour mezzo-soprano et percussions / 2014 L'impératrice Wu Zetian, Drame Lyrique en 3 actes pour trois chanteurs, une comédienne, un choeur de jeunes filles, un ensemble de sept musiciens et dispositif électronique spatialisés / 2013 La joie du ciel pour 5 voix de femme à capella / 2002 Dialogue d'amour pour soprano, chœur d'enfants et 13 instruments / 1999 Crue d'automne poème scénique, pour une récitante, vidéo, 6 musiciens et dispositif électronique spatialisé / 1997 Tian yun Mélodrame, pour 1 récitant et 8 instruments / 1993 Le Roi des arbres opéra parlé en 1 acte (3 tableaux), pour un chef, 3 comédiens et 8 musiciens / 1987 Internal moving pour soprano, clarinette, alto et piano / 1985 Temple Hanshan pour soprano et 3 instruments chinois

(5) L'impératrice Wu Zetian créée au Théâtre 95 à Cergy-Pontoise en avril 2014 par Orchestre de studio et Choeur de CRR de Cergy-Pontoise avec le chef d'orchestre : Andrée-Claude Brayer.

(6) Le titre de la poésie et la traduction ont été réalisée par Guilhem Fabre en 2015 et proposé par la compositrice. L'auteure suggère ici une autre traduction concernant le titre de ce poème - Le livre des couleurs amères. Poésie originale en chinois :

   « 彩書怨 »   葉下洞庭秋,思君萬里余; 露濃香被冷,月落錦屏虛。 慾奏江南曲,貪封薊北書。書中無別意,惆悵久離居。

(7) L'image classique de femme dans la société traditionnelle du temps passé.

(8) « Les Sonnets et Elégies » comprenant vingt-quatre poèmes recueillis dans l'ouvrage en prose Le débat d'Amour et de Folie publié en 1555.

(9) Extrait de « Solo et pensoso i più deserti campi » dans Sonetto XXXV del Canzoniere (1337) de Francesco Petraca (dit Pétrarque). Traduction d'Etienne Du Tronchet en 1575 Le sonnet 27 Lettres amoureuses choisie par Xu Yi :

                Sonnet XXXV du Chansonnier

                Tout seul, et en rêvant au champ plus solitaire

   Je mesure mes pas posés appesantifs…

(10) L'oeuvre a été d'abord enregistrée pour le disque Journée de la composition 1994 par l'Orchestre du CNSMDP sous la direction de Jean-Sébastie Béreau et créée plus en mai 2000 à la cathédrale Saint-Maclou à Pontoise par l'Orchestre Symphonique de Cergy-Pontoise avec le chef d'orchestre Andrée-Claude Brayer.

(11) La vièle chinoise n'est pas un luth. Les deux cordes sont tendues entre la cheville et le sillet, passant sous une ligature puis sur le chevalet reposant sur la table. L'archet est prisonnier entre les cordes qu'il frotte par l'intérieur ou l'extérieur de la mêche. L'accord standard est D3 - A3. - François Picard, Lexique des musiques d'Asie orientale (Chine, Corée, Japon, Vietnam), Paris, Editions You Feng, 2006, p. 34.

 

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PROPOS PARTAGÉS

 

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Maurice Emmanuel (1862-1938)

 

 

« Un maître, dans tous les sens du mot. Un maître écrivain et un maître penseur, un maître critique et un maître érudit, qui distribuait autour de lui l'enseignement le plus fécond, et aussi un "créateur" qui laisse des œuvres remarquables, mais on ne s'en aperçut pas de son vivant. Des dons qui s'allient rarement : une intelligence lumineuse, un esprit d'analyse prodigieux, une extraordinaire puissance de réflexion qui dissocie les éléments de la réalité ou des créations de l'art, et en même temps ce mystérieux fonds de sensibilité et cet esprit de synthèse qui produisent les chefs-d'œuvre. »

[Paul Landormy, sur Maurice Emmanuel, in La musique française après Debussy. NRF Gallimard, 1943, p. 205-209]

 

Aussi chaleureuse que passionnée par son sujet, c'est à Antony, siège de l'Association des amis de Maurice Emmanuel dont elle est la cheville ouvrière, que m'a longuement reçu Madame Anne Eichner Emmanuel. Pour me parler du grand compositeur, son grand-père, dont elle possède un fonds considérable de partitions, lettres et autres documents. C'est donc à elle qu'est dû l'essentiel des lignes qui suivent.

 


DR

 

[L'Éducation musicale] S'il fallait, en quelques lignes, résumer la vie et la carrière de Maurice Emmanuel…

 

[Anne Eichner Emmanuel] Maurice Emmanuel (ses autres prénoms sont Marie François) est né à Bar-sur-Aube le 2 mai 1862, mais sa famille s'installe à Beaune (Côte-d'Or) dès 1869. Formé au piano par un certain Ravazzi, titulaire du baccalauréat, il s'inscrit au Conservatoire de musique de Paris en 1880 et y suit les cours de Savart (solfège), de Dubois (harmonie), de Bourgault-Ducoudray (histoire de la musique) et de Delibes (composition). Parallèlement, il mène un cursus de philologie et d'histoire de l'art à la Sorbonne et à l'école du Louvre. Delibes lui reprochant son usage des modes anciens et lui fermant la porte du Prix de Rome, il se tourne vers Guiraud et se lie avec Debussy, son exact contemporain. Docteur en 1896, avec une thèse sur les danses dans la Grèce antique, il enseigne jusqu'en 1904 dans le secondaire, œuvre également comme maître de chapelle jusqu'en 1906. Professeur d'histoire de la musique au Conservatoire de Paris en 1909, il assurera cette fonction jusqu'à sa retraite. Ses élèves, Messiaen, Dutilleux, Ibert, Jehan Alain, Migot, Yvonne Lefébure, ont rendu hommage à son enseignement au Conservatoire de Paris, où il fit découvrir l'histoire de la musique à des générations de jeunes musiciens. En tant que compositeur, il n'a conservé qu'une trentaine d'opus sur les quelque 73 sortis de sa plume. Maurice Emmanuel est mort à Paris le 14 décembre 1938.

 

Chez Maurice Emmanuel, le musicologue n'a-t-il pas trop souvent éclipsé le compositeur ?

 

Sans doute, du fait d'une certaine erreur de perspective. Il faut en premier lieu rappeler que les premières impressions musicales de Maurice Emmanuel viennent des grandes orgues de la collégiale Notre-Dame de Beaune, mais aussi des chansons des vendangeurs de la côte de Beaune. Le folklore bourguignon a éveillé le sens musical de l'enfant, mais aussi alimenté en permanence le vivier du compositeur parvenu à l'âge adulte. Nécessairement, la confrontation avec le système tonal, étudié au conservatoire, ne pouvait que provoquer chez lui une profonde réflexion sur le génie particulier d'un langage musical à renouveler. Exactement de la même façon qu'en Hongrie, un Kodály et un Bartók étaient partis à la recherche d'un art musical populaire aux richesses insoupçonnées. La découverte plus tardive des modes grecs, des factures savantes de la production médiévale, du plain-chant et de nombreux modes populaires ne pouvait qu'affermir le jeune Emmanuel dans la certitude qu'il y avait là une veine féconde, propre à le libérer des contraintes du langage tonal. C'est de là qu'est née une sorte de théorie de la continuité des langages musicaux à laquelle le compositeur devait rester fidèle toute sa vie. Il est singulier de constater que cette érudition si originale, ce goût si prononcé pour des modes exotiques et cette volonté si ardente d'y puiser une leçon de liberté ont pu troubler dans l'esprit des auditeurs l'image du compositeur, dans le même temps qu'un peu plus tard, Olivier Messiaen, l'un de ses disciples les plus émérites, fondera nombre de ses plus géniales intuitions sur l'étude attentive de modes lointains.

Il me semble qu'à l'occasion de la sortie récente du DVD La rumeur du monde, un portrait de Maurice Emmanuel (Anne Bramard-Blagny et Julia Blagny, ABB Reportages, 2012) l'excellente musicologue Anne Penesco a parfaitement résumé et défini la position de Maurice Emmanuel : « Il détestait qu'on le considère comme un savant et se définissait lui-même comme un musicien ». Mais il faut ajouter que c'est dans les leçons de la musicologie que le compositeur a puisé la certitude qu'une voie de liberté, d'inventivité et d'originalité s'ouvrait pour des musiciens indépendants et fascinés par le prodigieux univers sonore ouvert dans le même temps par Claude Debussy. Il n'est, pour s'en convaincre, que d'écouter l'allegro de la Sonatine pour piano op. 20 n° 4 "sur des modes hindous", ou encore la Sonatine op. 4 n° 1 "bourguignonne", ou enfin la Suite pour violon et piano sur des airs populaires grecs op. 10 !

 

La réputation de Maurice Emmanuel a-t-elle franchi nos frontières ?

 

Pour vous répondre, je ne puis faire mieux que citer le critique américain Steven Kruger au sujet des deux symphonies de notre compositeur : « Les œuvres symphoniques de Maurice Emmanuel provoquent certes le respect en France. Mais comme celles de Magnard ou de Vincent d'Indy, elles ne sont pas d'une séduction aussi immédiate que les compositions parentes de Franck, Ravel ou Debussy. […] L'univers musical d'Emmanuel est tout de douceur et de sincérité, kaléidoscopique sans folie, exaltant sans emphase, et inscrit dans cette belle manière française qui ne tombe jamais dans le piège de l'alanguissement » [traduction libre de l'auteur]. Il apparaît ainsi que Maurice Emmanuel se situe dans le long continuum d'une lignée française qui, sans reculer devant les plus grandes audaces (Rameau, Berlioz), se signale tout aussi bien par son inégalable délicatesse (Debussy, Ravel).

 


Cours de Maurice Emmanuel - classe du conservatoire de Paris,
avec Olivier Messiaen / DR

 

Revenons en détail sur la vie et la carrière du musicien, sur ses découvertes musicales et artistiques, sur les étapes décisives de son évolution…

 

De sa petite enfance, Maurice Emmanuel aimait à rappeler que la première et la plus puissante impression sonore avait peut-être été le martèlement de la machine de son grand-père maternel, François Jardeaux, imprimeur de son état. Mais c'est à Beaune,   sa tante Louise Jardeaux était religieuse hospitalière à l'Hôtel-Dieu et où son père, Francis Emmanuel, venait d'entrer dans la Maison Jacqueminot comme représentant en vins, qu'il a connu son initiation pianistique à partir de 1870. Puis ce seront les études secondaires, brillantes, au collège Monge, la découverte des chansons des vendangeurs bourguignons, les toutes premières compositions, le baccalauréat, le départ enfin pour Paris, en 1880, et l'entrée au Conservatoire. Hormis un projet de mariage qui, en 1885, ne verra pas le jour, la jeunesse de l'artiste est dépourvue de faits saillants, son acharnement au travail étant seul à lui permettre de réussir à mener de front les classes du Conservatoire et la licence ès lettres qu'il conduit à terme, à la Sorbonne, en 1887. Année qui le voit, par ailleurs, entamer ses recherches sur la danse grecque antique et achever sa première partition d'envergure, la Sonate pour violoncelle et piano, op. 2.

 

Comment parvient-il à se faire une place dans le monde très fermé de la création musicale en cette époque où une réaction violente contre Wagner et Brahms commence à se dessiner en France ?

 

Rompant avec son professeur de compositeur, Léo Delibes, en 1889, il rencontre Claude Debussy chez Ernest Guiraud, effectue plusieurs séjours en Bretagne, voyage en Suisse et en Autriche, multiplie ses activités jusqu'à devenir élève du céramologue Edmond Pottier à l'École du Louvre, en 1892, et à collaborer, l'année suivante, avec Etienne-Jules Marey, inventeur du chronophotographe ! Ayant brillamment soutenu en 1896 sa thèse en Sorbonne sur l'orchestique grecque, il part dès l'année suivante en mission officielle en Allemagne et en Autriche ; il en tirera un long rapport sur La musique dans les universités allemandes, publié par La Revue de Paris. C'est de ces années laborieuses, conclues par le mariage avec Anne-Marie Bergeville, en 1898, que datent notamment ses sonatines I et II.

Professeur d'histoire de l'art aux lycées Racine et Lamartine (il le restera jusqu'en 1904), il est pressenti en 1899 pour enseigner au Collège de France ; mais diverses manœuvres ayant abouti à la perte des crédits alloués à la chaire d'histoire de la musique, il doit y renoncer. Les années suivantes sont marquées par nombre d'évènements familiaux, heureux ou tragiques. Sa fille, Marthe, vient au monde en 1901, l'année même où il perd sa mère, Lucy ; son fils, Franck, naît en 1907, deux ans après la mort de son propre père. En tant que compositeur, il produit la Sonate en ré mineur pour piano et violon (op. 6) et Zingaresca, fantaisie pour orchestre réduit (op. 7) en 1902, le quatuor à cordes en si bémol (op. 8) en 1903, le chant de Pâques, O filii (op. 9) et la Suite sur des airs populaires grecs (op. 10) en 1905. Échouant une nouvelle fois au Collège de France en 1904, il assure, trois ans durant, la charge de maître de chapelle à Sainte-Clotilde (Paris). Puis, c'est à la Schola Cantorum qu'il enseigne la théorie musicale à partir de 1907, date de composition de sa Sonate en trio pour flûte, clarinette et piano (op. 11), une année avant In memoriam, poème lyrique pour voix, violon, violoncelle et piano (op. 12).

 

Quand accède-t-il à la chaire d'histoire de la musique du Conservatoire de Paris ?

 

En 1909. Il succède alors à Louis-Albert Bourgault-Ducoudray et consacre désormais un temps considérable à ses élèves et à ses publications (Histoire de la langue musicale, Laurens, 1911). Pour trouver le temps de composer (Trois Odelettes anacréontiques pour voix, flûte et piano, op. 13 - Trois pièces pour orgue, op. 14), il renonce à son enseignement à la Schola Cantorum, d'autant plus volontiers qu'il s'est brouillé avec Vincent d'Indy, directeur de l'institution, au sujet de l'interprétation du chant liturgique ! Multipliant les publications savantes (Étude sur la musique grecque antique pour "l'Encyclopédie de la Musique" de Lavignac, Traité de l'accompagnement modal des psaumes, chez Janin), il est infirmier volontaire lors du déclenchement des hostilités en 1914.

En 1915, c'est la reprise des cours au Conservatoire de Paris ; il y aura pour élèves Arthur Honegger en 1916, ou encore Yvonne Lefébure en 1917. Conservant toujours du temps pour la composition, il produit une deuxième version de son Prométhée enchaîné (tragédie lyrique en trois actes, op. 16), donne ensuite les Trente chansons bourguignonnes du pays de Beaune pour voix et piano (op. 15). 1918 est une année particulièrement prolifique avec le cycle de mélodies Musiques, (sur des poèmes de Louis de Launay, op.17), la Sonatine III pour piano (op. 19) et la Sonatine IV sur des modes hindous, dédiée à Ferruccio Busoni (op. 20). À partir de 1920, année de sa rencontre avec ce dernier, il se consacre, en tant que secrétaire de l'Amicale des Professeurs du Conservatoire, à une réforme en profondeur du statut des enseignants, occasion de se lier avec Charles Kœchlin. Dans le même temps, c'est pour satisfaire à une demande de Jacques Rouché, directeur de l'Opéra de Paris, qu'il compose une première version de sa tragédie lyrique, Salamine.

 

Peut-on parler de reconnaissance pour le compositeur parvenu à la soixantaine ?

 

1922, année des ses soixante ans, est effectivement une date importante dans la vie de Maurice Emmanuel. En premier lieu parce qu'il est frappé par la maladie et qu'il est amené à beaucoup méditer au gré de sa convalescence ; ensuite, parce que cette réflexion le conduit à prendre une décision drastique : la destruction d'une quarantaine de ses partitions. Une trentaine d'œuvres seulement survit à cet autodafé, sans que l'on sache exactement quels auront été les critères de sa sélection. Probablement au moment même où il est nommé président de l'Association pour l'encouragement des Études grecques et où il publie, avec René Moissenet, La Polyphonie Sacrée, souhaite-t-il ne laisser à la postérité que le meilleur de son œuvre, pour mieux apparaître sous son seul visage de compositeur.

Ce qui ne le dissuade d'ailleurs nullement de poursuivre ses études, donnant notamment, en 1923, année où il assiste aux Fêtes de la Jeunesse et de la Joie à Genève, son Rapport sur la chanson populaire (Le Ménestrel). Un an plus tard, c'est Le rythme et la musique, texte de réflexion essentielle, qui paraît dans le même temps que l'Académie de Dijon lui ouvre ses portes. En fait, jusqu'à ses derniers jours, Maurice Emmanuel tentera de concilier son activité de musicologue avec sa pratique de compositeur. Les Sonatines pour piano V, "alla francese" (op. 22) et VI (op. 23) datent de 1925, sa Vocalise-étude à la Sicilienne (op. 24) en 1926. En parallèle, le premier Congrès du Rythme de Genève (1926) lui permet de publier Le rythme d'Euripide à Debussy, dans le volume d'actes du congrès. Le 1er mai 1928, son texte sur La Polymodie sera édité par La Revue musicale ; en 1930, enfin, son étude sur César Franck paraîtra à Paris, chez Laurens.

Ces années fécondes sont aussi marquées par plusieurs rencontres. Jacques Copeau lui ouvre ainsi de nouvelles perspectives théâtrales en 1925, année du volume Mes avatars, son premier texte autobiographique. En 1927, il se lie d'amitié avec le sévère Paul Dukas, dont il soutient la candidature à la classe de composition du Conservatoire de Paris ; en 1928, il compte le jeune Olivier Messiaen parmi ses disciples. Quant à la reconnaissance officielle, elle se manifeste sous forme d'une Légion d'Honneur reçue en 1929, année de la création, en juin, de Salamine, sa tragédie lyrique en trois actes (op. 21), à l'Opéra de Paris, et de l'obtention du Prix Lasserre de l'Institut.

 

Les dernières années voient-elles un ralentissement de cette activité ?

 


Maurice Emmanuel dans les années 30 / DR

 

Apparemment pas, en dépit de la venue de l'âge et des inéluctables difficultés de santé qui frappent alors Maurice Emmanuel. Élu à la présidence de la Fédération Musicale de France (mouvement orphéonique) en 1935, il met, cette même année, la dernière main à sa Deuxième symphonie en la (dite « bretonne »), op. 25, et à sa Suite française, op. 26 (dédiée à Franco Alfano, compositeur italien surtout célèbre pour avoir terminé la Turandot de Puccini). Le 31 juillet, par ailleurs, il publie une Conférence à la mémoire de Paul Dukas (Le Monde Musical, 31 juillet 1935), mort le 17 mai précédent. Dans le même temps, son intérêt pour ses jeunes disciples ne faiblit pas. En 1936, année de sa retraite administrative, il compte Henri Dutilleux (qui en gardera un grand souvenir) parmi ses élèves ; parallèlement, il collabore activement à l'action du Groupe de Théâtre Antique de la Sorbonne. La composition, enfin, n'est pas oubliée, avec la Sonate pour bugle et piano, op. 29, son avant-dernier opus officiel.

Son dernier voyage en Italie, en 1937, lui permet de donner une conférence sur la création du violon. Dans le même temps, il met le point final à sa biographie d'Anton Reicha, fascinant musicien tchèque du début du XIXe siècle qui eut, au Conservatoire de Paris, Berlioz, Liszt, Franck ou Gounod pour élèves, et à qui l'on doit divers traités sur la mélodie, l'harmonie, l'instrumentation (Berlioz s'en souviendra)… ou encore la musicothérapie, domaine dans lequel il fait figure de précurseur de génie ! Maurice Emmanuel procède aussi au remaniement de sa musique de scène pour Amphitryon, destinée à la comédie homonyme de Plaute (op. 28). Avec l'aide de Jacques Chailley, à qui la musicologie française devra tant, il aménage sa partition pour le concert, confiant la rédaction du texte explicatif à son brillant cadet. Et c'est au crépuscule de l'année 1938, le 14 décembre, alors que de terribles menacent pèsent sur tout le continent, que s'éteint le musicien, qui laisse inachevée sa partition du Poème du Rhône, poème symphonique orchestré par Marguerite Béclard d'Harcourt, trentième et ultime opus du compositeur. C'est au cimetière Montparnasse, comme le grand Hector Berlioz, qu'il repose désormais.

 

L'œuvre

 

Éditée pour l'essentiel par de grandes maisons (Durand, Heugel, Lemoine et Salabert), sans préjudice des nombreux manuscrits conservés par la famille, la production musicale de Maurice Emmanuel se signale par son éclectisme et par son exigence artistique. Au chapitre des œuvres les plus réussies, on relèvera ainsi :

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¬     1886 (op. 1), Pierrot peintre pantomime en deux tableaux, pour alto, récitant et orchestre

¬     1887 (op. 2), Sonate pour violoncelle et piano

¬     1890 (op. 3), Ouverture pour un conte gai, pour orchestre

¬     1893 (op. 4), Sonatine n° 1 dite Bourguignonne

¬     1897 (op. 5), Sonatine n° 2 dite Pastorale

¬     1902 (op. 7), Zingaresca, fantaisie pour 2 piccolos, 2 pianos, tympanon et cordes

¬     1902 (op. 6), Sonate en ré mineur pour violon et piano

¬     1903 (op. 8), Quatuor à cordes en si bémol majeur

¬     1905 (op. 9), O filii pour soliste et chœur

¬     1907 (op. 10), Suite sur des airs populaires grecs pour violon et piano

¬     1907 (op. 11), Sonate en trio pour flûte, clarinette et piano

¬     1908 (op. 12, 1), In memoriam (R. Vallery-Radot) pour voix, violon, violoncelle et piano

¬     1908 (op. 12, 2), Musiques, 12 chansons (textes de Launay) pour voix et piano

¬     1911 (op. 13), 3 odelettes anacréontiques (Belleau, Ronsard) pour voix, flûte et piano

¬     1911 (première version en 1882, op. 14), 3 Pièces pour orgue et harmonium

¬     1913 (op. 15), 30 chansons bourguignonnes du pays de Beaune, d'après des chants populaires, pour voix et piano (arrangement du n° 10 pour voix et orchestre en 1936)

¬     1918 (op. 16), Prométhée enchaîné, opéra en 3 actes, livret du compositeur d'après Eschyle (création au théâtre des Champs-Élysées le 23 novembre 1959)

¬     1916 (op. 16), Prologue de Prométhée enchaîné pour orchestre

¬     1919 (op. 18), Symphonie n° 1 en la majeur

¬     1920 (op. 19), Sonatine n° 3 pour piano

¬     1920 (op. 20), Sonatine n° 4 sur des modes hindous pour piano

¬     1923 (op. 21) Salamine, opéra en 3 actes d'après Eschyle (création créé à l'Opéra de Paris le 19 juin 1929)

¬     1923 (op. 21) Ouverture de Salamine

¬     1925 (op. 23), Sonatine n° 6 pour piano

¬     1925 (op. 22), Sonatine n° 5 alla francese pour piano

¬     1926 (op. 24), Vocalise pour alto, baryton et clarinette

¬     1931 (op. 25), Symphonie n° 2 dite Bretonne en la majeur

¬     1935 (op. 26), Suite française pour orchestre

¬     1935 (op. 27), 2 chansons populaires d'après des rondes populaires pour voix et piano

¬     1936 (op. 29), Sonate en si bémol majeur pour cornet ou bugle et piano

¬     1936 (op. 28), Amphitryon, texte de Plaute (création à l'Institut d'art et d'archéologie de Paris, le 20 février 1937)

¬     1938 (op. 30), Le poème du Rhône, poème symphonique d'après Mistral (orchestration M. Béclard d'Harcourt)

 

Les écrits

 

À l'instar d'un Jacques Chailley, Maurice Emmanuel a pratiqué la musicologie avec un tel bonheur que l'érudit a fini, pour la postérité, à l'emporter sur le compositeur. Pour comprendre le cheminement intellectuel de cet esprit aussi curieux que sensible, on se référera à quelques textes capitaux :

1896, Essai sur l'orchestrique grecque (thèse), université de Paris

1911, Histoire de la langue musicale, Paris

1913, Traité de l'accompagnement modal des psaumes, Lyon

1923 (avec R. Moissenet), La polyphonie sacrée, Oullins

1926, Pelléas et Mélisande de Claude Debussy, Paris

1930, César Franck, Paris

1936, Anton Reicha, Paris

 

Bibliographie sélective

 

C'est dans l'excellente collection Horizons des Éditions Bleu Nuit que Christophe Corbier a publié, en 2007, « Maurice Emmanuel », ouvrage alerte et savant, documenté et réfléchi, référence désormais incontournable. Par ailleurs, le Bulletin des Amis de Maurice Emmanuel fait régulièrement le point sur l'activité musicale et musicologique relative au compositeur. Parmi de nombreuses autres contributions, sont encore à noter :

 

Béclard d'Harcourt M., L'œuvre musical de Maurice Emmanuel, in Revue musicale 1935, p. 22-33

Carlson E. A., Maurice Emmanuel and the Six Sonatinas for Piano, thèse, Boston University 1974

Chantavoine J., Prométhée enchaîné, in Revue de Bourgogne, 3 avril 1919

Dumesnil R., Maurice Emmanuel et la musique modale, Le Monde, 17 février 1955

Emmanuel F., Maurice Emmanuel et les musiciens suisses, in Revue musicale de Suisse romande, 1990, p. 89-95

Hoérée A. (et alii), Maurice Emmanuel, in Zodiaque, 1984, p. 2

Landormy P., La musique française après Debussy, Paris, 1943

Michel A., Modernité de Maurice Emmanuel, in L'Éducation musicale, 1977, p. 71-73

Numéro spécial de la Revue musicale (206), 1947, complété en 1988

Valette M.-C., Contribution à l'étude de l'œuvre musical de Maurice Emmanuel, thèse, université de Strasbourg, 1972

 

Discographie sélective

 

 

Deuxième Sonatine "Pastorale", Mireille Saunal, Classics MA040302, 2004

Six Sonatines pour piano, Peter Jacobs, CDD 1048, 1992

Sonate pour flûte, clarinette et piano, Marie-Catherine Girod (piano), Richard Vieille (clarinette) et Alain Marion (flûte), 1986, Grand prix international de l'Académie Charles Cros, réédition mars 2004, Accord 476 16 58

Sonate pour clarinette, flûte et piano, Paul Meyer (clarinette), Emmanuel Pahud (flûte), Éric Le Sage (piano) EMI Classics 7243 5 57948 26, 2005

Salamine, tragédie lyrique, Flora Wend, Bernard Demigny, Jean Giraudeau, chœur et orchestre de la RTF, 1958, CD Fy SOCD 301

Symphonies 1 et 2, orchestre philharmonique de Rhénanie-Palatinat, dir. Leif Segerstam, Naxos/Marco Polo 8.550889

Les mélodies, Timpani 1C1030, 1995-2014

Musique de chambre, Timpani 1CD 1167

Musique de piano, Timpani 1CD 1189

 

Association

 

Les Amis de Maurice Emmanuel, 30, rue Céline, 92160 Antony

Téléphone : 01.46.66.12.29

Adresse internautique : amis.maurice.emmanuel@orange.fr

 

Gérard Denizeau.

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FESTIVALS!

 

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Glyndebourne 2016 : Fuyez l'ordinaire !

 

 

Un festival de magie et d'espièglerie, telle pourrait être la devise de cette édition qui invite résolument à la fête. Une nouvelle production du Barbier de Séville, des reprises des Maîtres Chanteurs de Nuremberg et de La petite renarde rusée, et année Shakespeare oblige, une reprise du Songe d'une nuit d'été, enfin une présentation nouvelle (due à Laurent Pelly et dont on attend beaucoup) de Béatrice et Bénédict de Berlioz. Tout cela dans le cadre d'une autre magie, celle des jardins où on célèbre pas seulement le fameux pic nic, mais des compositions harmonieuses et rares : une sorte d'Arcadie anglaise qui fait dire à William Christie « Où ailleurs les amoureux d'opéra peuvent-ils revivre un tel mélange de jardins et de musique qui furent les marques distinctives de la plupart des opéras des 17 ème et 18 ème siècle? ».

 

Mais avant de parler opéra, il faut s'attarder sur une autre originalité. Car Glyndebourne, c'est aussi un foyer vivace d'éducation musicale. Cette année voyait le trentième anniversaire du Département Éducation. « Nous voulons attirer diverses catégories de personnes, de toutes origines, intéressées à créer, jouer et produire cette forme d'art merveilleuse » proclame Lucy Perry, chef du Education Department. La mise en place de celui-ci répondait aussi à un réel besoin d'identifier des « chanteurs qui malgré le fait de posséder des ressources vocales indéniables et un talent brut, ont manqué des études musicales ou une éducation dispensée par les moyens normaux de l'école ». Ce programme se décline de plusieurs manières. « Performances for Schools » a permis à 3815 enfants d'assister à une représentation durant le Festival Touring de 2015, qui se sont vus offrir la possibilité de connaître leur première expérience à l'opéra et surtout donner les outils de connaissance et de ressources pour apporter du sens à ce qu'ils ont connu. « Glyndebourne Youth Opera » dispense des workshops, c'est à dire des cours de technique vocale et des projets de représentation. 3000 amateurs y ont participé jusqu'à maintenant. La « Glyndebourne Academy », inaugurée en 2008, est un projet de développement de talents pour des jeunes chanteurs confrontés à des obstacles quant à l'adaptation au système habituel ou au suivi de l'enseignement d'un collège de musique, et désireux de s'investir dans une carrière professionnelle. Un schéma pilote créé en 2012 a été suivi d'une expérience en 2015 destinée à 80 participants répartis en groupes de 10 chanteurs de 18 à 26 ans.  Enfin, « Young Composer-in-Residence a permis de passer des commandes à quelques 32 compositeurs qui ont pu recevoir également des conseils de régisseurs comme Peter Sellars. Plusieurs projets ont été nominés dont Misper (1997) ou The Yellow Sofa (2010). le dernier, présenté cette année, Nothing est de David Bruce. Le Département Éducation travaille en lien avec RESEO (Experimental Network for Opera, Music & Danse Education). A noter encore le programme « Raise Your Voice », conçu pour des personnes atteintes de la maladie d'Alzheimer et leurs aidants.

 

 

Une belle et cruelle histoire d'amour, de vie et de renouveau

 

Leoš JANÁČEK : La petite renarde rusée. Opéra en trois actes. Livret du compositeur d'après une histoire de Rudolf Těsnohlídek. Elena Tsallagova, Alzběta Poláčková, Christopher Purves, Alexander Vassiliev, Sarah Pring, Colin Judson, Alexandre Duhamel, Tate Nicol, Kitty Casey, Ruby Greis, May Abercrombie, Marta Fontanals-Simons, Eliza Safjan, Rhiannon Llewellyn, Hannah Sandison, Natalia Tanasii, Michael Wallace, Shuna Scott Sendall, Angharad Lyddon, Natalia Brzezinska. The Glyndebourne Chorus. London Philharmonic Orchestra, dir. Jakub Hrůša. Mise en scène : Melly Still.

 


La famille renards...©Richard Hubert Smith

 

Cette production de La petite renarde rusée de Janáček, initiée en 2012, est due à Melly Still qui avait déjà donné à Glyndebourne une Rusalka fastueuse. De « cet extrême concentré de vie, de conscience de la vie », qui voit une curieuse coexistence entre humains et monde animal, la régisseuse anglaise offre une vision onirique, poétique, ironique, éminemment théâtrale. La trame de l'opéra qui fut inspirée à Janáček par une bande dessinée parue dans un journal local, met en avant une histoire d'amour, certes peu conventionnelle, mais bien autre chose encore : la défense de la liberté dans ce qu'elle a d'irrépressible chez les animaux autant que pour les hommes, la vitalité féminine, le souci des rejetés de la société, tous thèmes au centre de la poétique du compositeur tchèque. Et aussi, et surtout peut-être, la force du cycle régénérateur de la nature : cette renarde que le forestier va capturer puis abattre, renaitra en une autre autre jeune renarde-fine-oreille... Et l'homme en sera sans doute étonné, peut-être convaincu désormais de l'inanité de son geste, gagné par une générosité qui lui fera renoncer la prochaine fois à un geste si cruel et maladroit. C'est la morale que montre la régie de Melly Still : un forestier en proie à une joie irradiante aux derniers moments de la pièce. Avant cela que de tours ! De joyeux (la scène des poules : autant de poupées Barbie, rose bonbon, qui sous le joug du maitre coq, se voient appelées à la rébellion par notre futée renarde. D'abord interdites, bêtes, elles s'enhardissent et clouent au pilori leur géniteur trop entreprenant et sûr de lui). De délicieux, telles les évolutions des insectes et autre petit monde agile de la forêt. Des plus tristes comme cette capture sans ménagement de la  renarde et plus tard sa mise en joug mortelle. Cette vie insatiable du monde de la nature, visualisée en Technicolor, trouve sa contrepartie dans un monde des humains d'une infinie tristesse, ici en noir et blanc ; joli trait! Ils sont d'une mélancolie désespérante, tel ce maitre d'école compassé, droit comme un bout de bois, ce curé un peu à la dérive et ce forestier qui ne sait trop quoi faire de sa vie. On est confronté aussi bien au réalisme qu'à l'imaginaire. Les animaux paraissent plus ''humains'' que vrais animaux du fait de leur taille. Les renards et renardeaux agitent une énorme queue rousse terminée par un point blanc : ils la tiennent à la main, car elle sert à de multiples usages, de séduction bien sûr, de menace aussi, la lutte pour survivre ou tout simplement être reconnus les contraignant à jouer des coudes. La régie, qui s'inscrit dans le décor unique de la forêt, avec un gigantesque arbre planté au milieu de la lande et d'une vaste incurvation en spirale, de haut en bas du plateau, autorisant des plans différentiés, déploie des trésors d'ingéniosité : outre les amusantes glissades de quelque grenouille ou les acrobaties des oiseaux et autres insectes, le plateau s'anime et se dépeuple en un clin d'œil ; ou se transforme en un tournemain en une cabane trop bien humaine où nos pauvres hères passent le temps à s'ennuyer. Belle solution de continuité, celle de la vie même. Tout passe du vrai à l'irréel, du réaliste au plus poétique. Les éclairages fantastiques de Paule Constable enrichissent ces tableautins d'une extraordinaire vie et les couleurs volontairement crues avouent leur exagération et leur ironie. La mise en scène possède cette vraie fluidité qui en fait comme une chorégraphie. Et lorsque la renarde prend les devants pour convoler - « Suis-je si belle », lance-t-elle à un renard interloqué, penaud, dans un monologue qui la voit s'avantager -, il ne sera pas long à s'échauffer ; et les noces seront célébrées par toute la forêt, au son d'une musique délicieusement enlaçante.

 


Elena Tsallagova & Alzbĕta Poláč

ková ©Richard Hubert Smith

 

Cette musique qui ne cache pas ses ascendances moraves, Janáček l'a portée du plus profond de lui-même par une orchestration on ne peut plus originale, pas si confortable, explorant les registres les plus inhabituels des instruments : la petite flûte piccolo égrillarde, des percussions souvent claires, les hautbois sollicités dans le registre le plus bas et les autres de la petite harmonie dans le haut du spectre. Le chef Jakub Hrůša, natif de Brno, connait cette musique depuis l'enfance et il dit s'être rendu dans ces forêts mêmes où Janáček a conçu son opéra. Une musique dont la force de communication est immédiate même pour l'auditeur le moins averti. Car ce mélange de sonorités âpres ou douces, aiguës ou rondes, séduisent vite. Sa direction le fait ressentir et le LPO répond avec enthousiasme quels que soient les pupitres concernés. En tête de distribution deux noms : la renarde d'Elena Tsallagova d'abord, fine prestation. Cette artiste qui s'est déjà produite à l'Opéra Bastille dans ce même rôle et dans celui de Mélisande, émeut par une agréable prestance et un soprano ductile et lumineux. On n'oubliera pas son joli monologue séducteur en diable ni sa force de conviction aussi bien pour semer la pagaille dans le poulailler que pour provoquer alentour bêtes et hommes. Christopher Purves ensuite, le Forestier, voix de baryton extrêmement bien projetée, qui fait de ce personnage à priori peu sympathique une figure intéressante, un homme comme les autres qui se rachète peut-être en fin de course, troquant une basique volonté destructrice pour quelque salutaire prise de conscience du mal causé à la nature. Les autres protagonistes ne sont pas en reste : le Prêtre, Alexander Vassiliev montre une sûre voix de basse tandis que Colin Judson est un maitre d'école aussi rêveur que beau ténor clair. Remarquable encore le français Alexandre Duhamel, Harašta, qui fait beaucoup de sa courte apparition au dernier acte et possède un timbre de baryton séduisant ; un Forestier en devenir. Si le renard d'Alzběta Poláčková reste un peu sur la réserve malgré un timbre de mezzo soprano agréable, les ''petits rôles'' sont bien tenus et on les sait nombreux. Comme le Chœur de Glyndebourne fait merveille, en particulier lors de l'aubade des noces qui clôt le II ème acte. Beau succès public.

 

 

Quand un événement rompt l'ordinaire de la confrérie des Maîtres Chanteurs...   

 

Richard WAGNER : Die Meistersinger von Nürnberg. Opéra en trois actes. Livret du compositeur. Gerald Finley, Michael Schade, Amanda Majeski, Hanna Hipp, David Portillo, Alastair Miles, Jochen Kupfer, Colin Judson, Andrew Slater, Darren Jeffery, Nicholas Folwell, Alastair Elliott, Daniel Norman, Adrian Thompson, Henry Waddington, Sion Goronwy, Patrick Guetti,. The Glyndebourne Chorus. London Philharmonic Orchestra, dir. Michael Güttler. Mise en scène : David Mc Vicar.

 


Gerald Finley en Hans Sachs ©Tristram Kenton

 

La voilà donc la reprise tant attendue de la production de ce Wagner façon Glyndebourne ! Un belle réussite, comme lors de la première édition en 2011. D'abord par un cast d'une parfaite homogénéité. En tête duquel Gerald Finley, un Hans Sachs dont l'assomption dans le rôle le place désormais auprès de ses grands aînés. Noblesse du chant nursé dans le pianissimo comme assuré dans les accès de force, avec une confondante maitrise et un naturel tout aussi stupéfiant. Le rôle est, on le sait, porteur des plus pures émotions. Il est chez cet artiste une sorte d'aboutissement logique d'un parcours sans faute, depuis ses premiers pas dans les Chœurs de… Glyndebourne. Qui comme il le dit avec amusement, fut le marchepied pour successivement se voir distribuer, d'abord au ''Festival on Tour'' d'automne puis au Festival lui-même, dans un petit rôle, un rôle plus important, un rôle majeur de Mozart et enfin le rôle titre d'un autre opéra de Mozart ! Toujours animé du même souci d'excellence. Cela paie au bout du compte et dans ce rôle le plus exigeant du répertoire wagnérien, cela se sent et se voit. Le monologue « Wahn, wahn » du début du III, d'une telle profondeur d'émotion, couronné par ces mots ppp « Johannis Nacht » puis piú forte « Johannis Tag », cela ne s'oubliera pas de sitôt. Mais on ne mesure pas une interprétation, fût-elle de classe, à ce seul moment, non plus qu'à celui de l'acte II (« Flieder Monolog »), également d'un impact à vous tirer les larmes ; elle doit se lire à travers une défense et illustration du personnage au fil d'un long cheminement depuis l'acte I, si détaillé, comme du II, si précis, ou encore durant les longs échanges du dernier. Du grand art. Un ténor mozartien qui a franchi le pas des Max (Der Freischütz), Florestan (Fidelio) pour maintenant aborder Walther : Michel Schade est plutôt un choix improbable sur le papier. Pourtant son interprétation est de classe, d'un chant pourvu des nuances inhabituelles dans la préparation du chant de concours à l'acte III et lors du délivré dudit chant. Si la projection n'est pas aussi puissante et aisée que chez des ténors labellisés « wagnériens », comme Klaus Florian Vogt et maintenant Jonas Kaufmnan, cela passe la rampe, d'autant plus facilement dans l'acoustique très présente de la salle de Glyndebourne. Malgré un physique désavantageux, le naturel de la prestation est indéniable.

 

Jochen Kupfer offre un Beckmesser d'une inhabituelle allure : grand, jeune, tout juste pédant, baryton à l'articulation très détachée. En grande forme, la basse Alastair Niles campe un bien  sympathique Pogner, pas vieillot. Le jeune David Portillo propose un David aussi futé dans ses postures que lumineux dans sa voix de ténor clair. Si la Magdalene de Anna Hipp déploie un séduisant mezzo, l'Eva d'Amanda Majeski, joli minois, féminine, pas ingénue, offre une voix un peu courte, mais passe sans encombre, en particulier dans le Quintette. La Confrérie des Maîtres, sans atteindre la starisation de la production berlinoise de Barenboim, aligne d'irréprochables prestations, avec une mention particulière au Fritz Kothner de Darren Jeffery et au Vogelgesang de Colin Jutson, la veille maître d'école dans le Janáček.  Des Glyndebourne Chorus on dira le meilleur : précision, force, implication. Le fameux «  Wach auf! » du III vous tire sur le bord du fauteuil. Peut-être manquant un peu de nuances au Ier acte, la direction de Michael Güttler, un familier du Théâtre Mariinsky, s'affirme à mesure que progresse la représentation pour atteindre le sommet au dernier : depuis un Prélude d'une profondeur de ton abyssale, nanti des traits de violoncelle et surtout des altos d'un LPO en superbe verve (traduisant sur le plateau le rêve-cauchemar de Sachs), et le monologue de celui-ci extrêmement pensé, procurant un magnifique écrin au chanteur, jusqu'aux duos et ensemble (le Quintette), sa direction acquiert une force dramatique certaine. La fête culmine dans une folle excitation à laquelle tout l'orchestre, sans parler des autres participants, communique sa joie de jouer et de nous éblouir.   

 


Gerald Finley & Michael Schade ©Tristram Kenton

 

La mise en scène de David Mc Vicar n'a pris une ride. Sa vision est d'un extrême ''classicisme'', dirait-on. Pas tant que cela cependant, car truffée de traits d'une pertinence et d'une acuité remarquables. « Une scrupuleuse attention pour le détail », remarque Gerald Finley. Le chalenge auquel se voit confrontée une communauté par rapport à un outsider, Walther von Stolzing, qui souhaite l'intégrer, même si poursuivant au premier chef un dessein autre, la conquête de la belle Eva. Dès le lever du rideau on comprend que le parti sera de rester au plus près des didascalies, déjà fort précises chez le poète Wagner. Les jeux de scène seront en parfaite harmonie avec celles-ci lors de la première scène et durant celle de l'installation de la salle de réunion de MM. les Maîtres. Et tout commence par des agapes car on a dressé aussi des tables avec nappe et victuailles. Les choses prennent un tour plus sérieux lors de la lecture des règles de la ''tabulature'' (beau groupement des Maitres autour de Kothner, alors que Walther semble se joindre à eux par simple curiosité). La première intervention de ce dernier, destinée à donner un exemple de ce qu'il sait faire, déchaîne interrogation et incompréhension. Pas celle de Sachs cependant, qui l'écoute avec attention, d'abord interloqué comme les autres, puis intéressé, voire captivé par tant d'audace et de fraicheur, au point de prendre des notes au vol. Deux camps se font vite face, lutte des anciens et des modernes, quoique les premiers tiennent la corde. Le jeune homme s'enhardit et tout finit dans une amusante pagaille où l'on en vient aux mains, chez les apprentis s'entend. Et Beckmesser dans tout cela ? Pas une caricature, loin de là : un bel homme en redingote noire, calamistré, infatué mais sans excès, donc crédible pour aspirer à la main d'Eva lui aussi, lui d'abord pense-t-il. De cette approche du personnage, Mc Vicar ne démord pas ensuite, en particulier durant la sérénade interrompue du II ème acte : l'échange aigre-doux avec Sachs se situe dans le registre de la raillerie, non dans celui de l'agression convenue, bien inutile, qui souvent tourne au grotesque. Nul trace ici de pareille dérive. Et lorsqu'au final, il échoue au vrai  concours, devant toute la ville réunie, il s'en tient piteux mais digne sur son siège un peu à l'écart, tendant l'oreille au chant souverain de ce jeune loup de Walther, puis approuvant la harangue de Sachs quant au fait pour ce dernier de devoir porter plus que la couronne du vainqueur, l'insigne de Maitre. Et puis ce trait d'une délicatesse inouïe : tandis que Sachs se dirige vers lui pour lui glisser en silence « faisons la paix », il se détourne fièrement. Le premier montre sa déception devant ce choix de non réconciliation, se désolant d'avoir été dur envers un brave homme. Ainsi se trace une relation autrement plus pertinente entre les deux tenants de la tradition et de la modernité que leur sempiternel affrontement. La figure de Sachs en acquiert encore, s'il en était besoin, une noblesse étonnante.

 


Scène du concours acte III ©Tristram Kenton

 

Ce sens de l'observation des hauts et bas de la nature humaine, au centre des préoccupations de Wagner dans son opéra, trouve dans cette mise en scène un écho réel : la recherche de créativité chez un homme, Hans Sachs, qui a connu un parcours personnel difficile et se réfugie dans l'Art au-delà des préoccupations quotidiennes. L'écrin décoratif parachève le prestige de ce spectacle, que procure un lien unique unissant les trois actes : ce beau plafond blanc en ogives qui relie aussi bien l'église du 1er acte que la rue du deuxième avec sa statue de JS Bach trônant au milieu d'une fontaine, ou encore la pièce atelier-bureau de Sachs au dernier, encombrée de tant de livres et partitions – et même d'un petit bronze de Wagner! - et enfin la fête sur fond stylisé de ville médiévale. C'est d'un grand esthétisme et fonctionne à la perfection sur ce plateau de dimensions bien plus modestes que celles des grandes maisons, grâce à des astuces de présentation, pour élargir par exemple l'horizon de ladite fête avec ses acrobates, jongleurs et cracheurs de feu. On ne saurait passer sous silence non plus l'élégance des costumes cultivant le style Biedermeier. Great !

 

Jean-Pierre Robert.

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    L'ŒIL ÉCOUTE

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Rencontres Proquartet en Préhistoire

 


Le Quartetto Lyskamm peut-être dans le parc du Musée de la Préhistoire.../ DR

 

Dans le cadre des 17 èmes Rencontres musicales Proquartet en Seine-et-Marne, l'un des concerts se donnait au Musée départemental de Préhistoire de Nemours. Lieu improbable, voire insolite, pour le récital du Quartetto Lyskamm. Car se produire dans cet endroit dédié à l'Histoire d'avant l'Histoire avait de quoi surprendre, puisqu'on jouait aux côtés d'une réplique de l'Homme de Cromagnon et d'un squelette impressionnant de quelque ancêtre, sur fond d'arbres généreux à défaut d'être antiques. Mais le concert fut nul doute un moment de bonheur. D'abord du fait d'une acoustique plus hospitalière qu'on l'imaginait. L'architecte Roland Simounet conçut dans les années fin 1970 un édifice tout en béton brut, qui  avec la patine du temps prit les couleurs des rochers nemouriens, et pensa un hall qui finalement se prête bien à ce type de manifestation musicale. Ensuite parce que les musiciens sont des plus talentueux. Le Quartetto Lyskamm, fondé en 2008 au conservatoire Verdi de Milano, par quatre jeunes italiens, trois filles, un garçon, a bénéficié de l'aide de bonnes fées (les Artemis, Jacques Pernoo, Hetto Beyerle, Heime Müller...). Il a remporté le deuxième prix du concours de Graz et le prix spécial Proquartet. Il se produit déjà dans des lieux renommés tant en Italie que partout en Europe. En 2016, le Borletti Buitoni Trust lui a décerné le ''prix spécial pour la musique de chambre'' créé à la mémoire de Claudio Abbado. Ce que les caractérise, c'est leur engagement tangible dès la première phrase, et quel que soit le répertoire abordé. Le programme aussi original qu'exigeant le démontrait d'évidence : deux pièces de Stravinsky, une de Casale, pour finir par un quatuor de Beethoven. En présentant interprètes et programme, le représentant de l'association Proquartet précisa qu'ils jouaient les deux tiers de la production stravinskienne livrée au quatuor à cordes, s'agissant des Trois pièces de 1914 et du Concertino de 1920 (seule manquait donc une dernière pièce composée en 1959). Les Trois pièces montrent une sûre maitrise du matériau pour le moins raréfié que Stravinsky offre à ses interprètes, morceau répétitif essentiellement articulé à partir du violon I (pièce n°1), atonalité qui ne dit pas son nom à la deuxième et ton russe dans le droit fil du Sacre ou de Petrouchka pour la troisième, la plus développée. Le Concertino pour quatuor à cordes se situe, quant à lui, dans la lignée de L'Histoire du soldat. Les Lyskamm maitrisent le rythme, cette scansion abrupte typique du maitre. Le violon I de Cecilia Ziano se taille la part du lion dans un morceau de coupe ternaire conçu sur le modèle de la sonate a quattro baroque.

 

Le compositeur italien Emanuele Casale (*1974) qui se perfectionna, entre autres, auprès de Salvatore Sciarrino, se spécialise dans la musique électro-acoustique. Il n'en délaisse pas pour autant la composition dite traditionnelle. Son mouvement de quatuor intitulé « 7 » est, comme l'indique le celliste Giorgio Casati, un « joke » car son titre n'a pas de signification particulière... En fait, une impression de dialogue d'abord entre les violons I et II sur d'infimes petites cellules et pianissimo, la pièce progressant en vrais faux unissons et proposant des bribes qui s'enflent en un tout  impressionnant. Une attaca après un silence marqué donne le signal d'une séquence d'une folle énergie. Il y a un côté Ligeti là dedans. Ce que confirme le celliste qui nous précise « there is much of ligeti's idea of harmonization with all the pitches included in a determined interval in continous movement ». Une exécution sur le fil du rasoir et d'une fine maitrise instrumentale. Cette maitrise, les Lyskamm vont l'asseoir éloquemment avec le Quatuor op. 18 N° 5 de Beethoven. Ils s'y jettent sans fard, n'hésitant pas à prendre des risques, dans l'allegro pris à belle allure et le menuetto, qui fait figure plus de scherzo que de danse de cour, même si d'une douce rêverie . Les variations de l'andante cantabile dévoilent des trésors d'imagination dans les divers éclairages et un remarquable fini instrumental. C'est que chacune s'y révèle fort différente en termes de rythme, de mélodie et d'expression. Le finale sera on ne peut plus engagé drivant une énergie débordante avec son second thème. Voilà du fort beau travail et on ne saurait que féliciter les quatre voix de ces sympathiques italiens. En bis, ils donnent le finale du Quatuor K. 464 de Mozart dont en sait que Beethoven s'est inspiré pour la composition de son op. 18. 

 

Jean-Pierre Robert.

  

Brahms au sommet à Saint-Denis

 


Karine Deshayes / DR

 

Affluence des grands jours à la Légion d'Honneur pour le concert de musique de chambre consacré à Brahms dans le cadre du festival 2016. C'est que se produisaient le violoniste Renaud Capuçon qui, comme peu aujourd'hui, peuvent assurer une salle pleine, mais aussi le non moins réputé Nicholas Angelich au piano, et last but not least, la chanteuse Karine Deshayes. Un trio à chérir. All Brahms programm donc pour ce concert vespéral sous l'œil de Napoléon. La Sonate pour violon et piano N° 2 en la majeur, op. 100, est composée en 1886, au bord du lac de Thun où le musicien coulait des jours heureux. Contrairement à la mélancolique Première sonate, l'atmosphère est ici celle d'un rêve poétique. Qu'aucune ombre ne vient troubler. L'interprétation de Capuçon et Angelich est méditative, retenue, presque grave. Ce qui transparait dès l'allegro amabile, en particulier dans le développement. Impression que confirme l'andante tranquillo. Ce mouvement qui comme souvent chez Brahms, cumule les fonctions d'andante et de scherzo, débute par un thème heureux énoncé par le violon, repris au piano. Le mouvement se révèle quelque peu fantasque avec un épisode vivace et un usage du mode cyclique qui remet en boucle le thème d'origine. Les deux protagonistes montrent une complicité qu'on sent déjà bien établie. Le finale allegretto grazioso, un rondo en trois séquences, prolonge le sentiment de tendresse et de ballade élégiaque qui aura baigné toute la composition. Venaient ensuite les Zwei Gesänge (deux chants) op. 91 pour voix grave, alto et piano. Datant de 1884, peu après la Troisième symphonie, ils offrent une combinaison unique en son genre chez Brahms. Mais somme toute idéale pour traduire la mélancolie au cœur de sa musique. Ce sont deux duos pour voix d'alto et alto avec accompagnement de piano. Le premier, « Gestillte Sehnsucht » (désir apaisé), sur un poème de Friedrich Rückert, est un adagio espressivo évoquant la douce atmosphère d'une journée au crépuscule qui n'apaise peut-être pas les battements d'un cœur enamouré. Après une large introduction de l'alto, que joue Capuçon, la voix s'élève et ouvre un dialogue ému avec celui-ci. Karine Deshayes y sera bouleversante de simplicité, le regardant fascinée. La seconde mélodie « Geistliches Wiegenlied» (berceuse sacrée), un andante con moto sur un texte traduit de Lope de Vega, est inspirée d'un chant de Noël du XVI ème siècle et trouve son origine chez Brahms dans une pièce  « Geistliches Wiegenlied », de 1864. Là encore les entrelacs de la voix grave et de l'alto sont une merveille d'émotion. L'interprétation de Karine Deshayes dont le timbre moiré et velouté, est au plus près de cette prière intime. L'intensité du jeu de Capuçon et le perspicace accompagnement d'Angelich complètent un moment de grâce qui vaudra d'être bissé en fin de concert.

 

Il se poursuivait par la Troisième Sonate pour violon et piano op.108 (1888). La plus développée, dont la richesse thématique sans cesse se renouvelle. Ainsi de l'allegro qui va jusqu'à introduire de nouveaux matériaux dans le développement lequel présente cette autre particularité d'être bâti sur l'idée originale d'une pédale de dominante tenue par la main gauche du piano. La vision de Capuçon et Angelich est énergique, comme exprimé durant la large coda. L'adagio, une des inspirations mélodieuses les plus abouties de Brahms, les trouve au sommet de leur art : une rêverie à l'état pur. Le court scherzo formera un intermède joyeux dans sa rythmique capricieuse, le ''con sentimento'' ajoutant une note aérienne. Ils abordent le finale presto agitato on ne peut plus engagé, jusqu'à la brillante coda. La paire fonctionne décidément à la perfection et on aura admiré combien le violon solaire de Capuçon sait se tinter de belles couleurs mordorées dans le médium et le grave, et comme le piano d'Angelich est plus qu'une réplique.

 

Jean-Pierre Robert.

 

 

Oui, on aime Brahms...

 


Christian Tetzlaff, Tebea Zimmermann,

Clemens Hagen, Leif Ove Andsnes / DR

 

Un concert de la sorte se mérite : l'intégrale des trois Quatuors pour piano et cordes de Brahms par Christian Tetzlaff, Tebea Zimmermann, Clemens Hagen et Leif Ove Andsnes. Mais avec de tels interprètes, il devient un bonheur. Et ce fut le cas tout au long de cette vaste soirée au Théâtre des Champs-Elysées, dense, passionnée, lumineuse, infiniment musicale. On joue souvent le Premier quatuor op. 25 en sol mineur. Une référence, doublée d'un souvenir personnel : l'interprétation dans les années 1980, donnée dans cette même salle, pour le dernier concert parisien du Quartteto Italiano, avec un jeune pianiste du nom de Maurizio Pollini ! Mais les deux autres se font plus rares, même au disque. Aussi les entendre d'affilée est comme une sorte de révélation. L'opus 25, Brahms l'achève 1861, dans la fougue d'une jeunesse débordante d'activité. On est frappé d'emblée par la liberté de la forme, plus encore que par la combinaison inaccoutumée piano cordes. A l'aune des divers épisodes du premier mouvement et de sa richesse thématique. Ce sera un vrai jaillissement, débordant d'énergie, d'engagement, qui ne se se tarira pas au fil des trois autres mouvements. Nos quatre mousquetaires prennent cet allegro à bras le corps, d'un modernisme insoupçonné. Ce qui se confirme à l'intermezzo, aérien, rêveur, muni d'un trio ''animato'' qui s'avère fantasque dans sa tonalité nocturne. L'andante con moto, vaste cantilène en trois parties, sera tout aussi libre, le discours se faisant  presque orchestral. Du finale, un « rondo alla zingarese » bien senti, ils ménagent les diverses variations avec entrain et fantaisie et la conclusion prestissime en deviendra irrésistible. Une exécution mémorable. Le Deuxième quatuor op. 26, en la majeur, composé simultanément avec le premier, est d'une toute autre facture. Moins directement séduisant, il est de caractère plus intérieur, mais aussi moins aventureux du point de vue formel. Il complémente le précédent pourtant. Une petite cellule rythmique inonde le premier mouvement, allegro non troppo, et on admire le sens de la digression brahmsienne ; l'équivalent des fameuses ''divines longueurs'' de Schubert peut-être ! Le poco adagio offre une belle effusion en particulier dans le jeu du piano, et les dernières pages ppp sont révélatrices de tout l'art de Brahms. Du scherzo les quatre interprètes donnent une lecture fluide et magistralement proportionnée. Le finale bien scandé se partage deux thèmes, l'un fiévreux, l'autre lyrique, qui vont se mêler au fil d'un développement là encore substantiel et les toutes dernières phrases seront négociées à une vitesse vertigineuse que seuls des musiciens de cette trempe peuvent soutenir avec une telle maestria.

 

Celle avec laquelle ils abordent le Troisième quatuor op. 60 (1875) est tout aussi renversante. Avec cet ultime pièce pour la formation piano-cordes, le langage se complexifie. Et on dénote quelques solos du violon, de l'alto, du piano bien sûr. La tonalité est plus austère : c'est le Brahms de la maitrise de la maturité, comparé à celui de l'héroïsme de la jeunesse. Encore que des études ont montré que la composition de cette pièce aurait été longue et aurait débuté en 1861, en même temps que les deux autres. Une introduction précède l'entrée du premier thème de l'allegro, lequel sera passionné, exalté presque ; impression qui perdurera tout le reste de l'œuvre. Le scherzo, très libre, est léger mais non sans véhémence. Le beau cantabile de l'andante, introduit par le violoncelle et le piano, puis repris par le violon et l'alto, nous mène sur les cimes d'un Lied expressif. Du finale, d'une rare complexité, les interprètes déjouent les aspérités techniques par une exécution proprement inouïe. Ils seront justement fêtés. Quel marathon en effet ! Un concert comme il en est peu, au cœur de la musique grâce au génie et à la générosité de musiciens d'exception.

 

Jean-Pierre Robert.

 

 

« Recréation » d'Olympie de Spontini

 

Gaspare SPONTINI : Olympie. Tragédie lyrique en trois actes. Livret d'Armand-Michel Dieulafoy et Charles Brifaut, d'après la pièce éponyme de Voltaire. Karina Gauvin, Kate Aldrich, Mathias Vidal, Josef Wagner, Patrick Bolleire, Philippe Sauvagie. Chœur de la Radio flamande. Le Cercle de l'Harmonie, dir. Jérémie Rhorer. Version de concert au Théâtre des Champs-Elysées.  

 


Jérémie Rohrer / DR

 

Pour l'inauguration de son quatrième Festival à Paris, le Palazzetto Bru Zane, en coproduction avec le Théâtre des Champs-Elysées, donnait Olympie de Gaspare Spontini (1774-1851). Celui dont on ne connait bien, semble-t- il, que La Vestale, commit pourtant une vingtaine d'autres ouvrages pour la scène, comme Fernand Cortez (1809), commande de Napoléon, ou Agnès von Hauhenstanden (1829). Olympie a été créé en 1819 à l'Académie royale de musique de Paris, puis remanié deux fois : l'une pour permettre un version en allemand, grâce à une traduction de E.T.A. Hoffmann (1821), l'autre, en français (1826), doté d'un lieto fine qui n'existait pas à l'origine. Depuis lors l'ouvrage a sombré dans l'oubli, si ce n'est une production à La Scala en 1966. Aussi l'occasion était-elle remarquable de pouvoir entendre un opéra qui enthousiasma Berlioz qui y voyait « l'une des plus splendides partitions de Spontini, celle même qu'il affectionnait davantage » (27 novembre 1851). C'est que cet opéra, inspiré de la pièce de Voltaire (1761), moyennant adaptations sensibles, ne manque pas d'attraits même si le premier contact est quelque peu déconcertant. En bon élève de Piccini ou de Cimarosa, mais en musicien bien de son temps, Spontini tente d'unir ici tragédie lyrique classique issue de Gluck et tradition opératique italienne. Mais à la différence de La Vestale, Olympie forge un langage particulier, peut-être marqué par la petite musique de la tragédie éponyme de Voltaire (1761). Et son sujet à la fois héroïque et lyrique : l'union impossible d'Olympie, fille d'Alexandre le Grand et de Cassandre, meurtrier présumé de son père. À la flamboyance de certaines pages telles que l'Ouverture ou les grands finales des actes 1 et 2, fait pendant une trame éminemment lyrique. Plus : les enchainements, pour certains insolites, imbriquent les deux genres. Ainsi du passage sans solution de continuité du premier chœur à l'air de la basse. Ces enchainements créent des associations inhabituelles : le premier air de Cassandre (ténor) « Oh souvenir épouvantable », est enchâssé entre deux duos (avec Antigone-baryton). Autre exemple : au début du II ème acte, l'air de la prêtresse Statira, qui s'avèrera être la veuve d'Alexandre, est entrecoupé de courtes interventions du grand prêtre L'Hiérophante (basse) puis du chœur. On trouve ainsi là le procédé de la scena, très nouveau et moderne pour l'époque, qui annonce déjà les grands romantiques dont Weber, plus que les italiens comme Rossini. La musique offre des harmonies curieuses, ce que l'interprétation sur instruments anciens renforce : ainsi d'une extrême mouvance mélodique au fil de séquences courtes qui outre qu'elle mêlent les veines héroïque et élégiaques, déploient une instrumentation fort originale, des bois en particulier (par deux pour flûtes et hautbois, par trois s'agissant des clarinettes et des bassons) mais aussi des cuivres (trombones, cors, et ophicléides dont c'est une des premières apparitions dans le paysage musical français, donc bien avant Berlioz). On n'en finirait pas de citer les inventions dont Spontini truffe son opéra. Qui possède un indéniable ressort dramatique, à partir du moment où intervient, au Ier acte, le personnage de Statira, comme les renversements de situations, sans parler de morceaux d'une charge de passion étonnante tel le duo-confrontation Olympie-Statira  au IIème acte, débuté sur un accompagnement des seules cordes.

 

L'interprétation qu'en donne Jérémie Rhorer et son Cercle de l'Harmonie ne mérite que des éloges : mouvement allègre boustant au besoin les climats de cette vaste fresque, qui pourtant ne sonne pas grandiloquente ; comme ce duo Olympie-Cassandre à l'acte III, qui par son tempo alerte, fait presque mentir le texte désespéré que chantent des deux protagonistes en proie aux tourments de la passion contrariée ; force communicative des tempos lorsqu'il le faut, en particulier pour les finales qui ménagent les effets de répétition ou le procédé du crescendo monté par paliers successifs avec élargissement de la dynamique, préfigurant ceux de Rossini. Soin enfin apporté à l'instrumentation et ferveur de la mélodie. Les Chœurs de la Radio flamande distillent un excellent français. La distribution défend la pièce avec foi, ce qui n'est sans doute pas aisé faute d'accoutumance à cet idiome, et nul doute délicat à contrôler car les points de comparaison manquent. De l'héroïne, Karina Gauvin dresse un portrait tour à tour altier et ému et le soprano se déploie avec aisance, qui culmine dans le l'air « O saintes lois de la nature », modèle de ligne épurée. Kate Aldrich trace de la prêtresse Statira une figure grandiose, de sa voix de mezzo soprano fort bien timbrée et conduite ; qui fait penser à Anna Caterina Antonacci. Remplaçant Charles Castronovo, Mathias Vidal offre sans doute un timbre de ténor bien différent : point de brillance italienne, un timbre plus mat. Pas moins investi cependant dans ses répliques rageuses. Si la voix n'est pas large, du moins le style est au rendez vous. Le baryton Josef Wagner, Antigone, et la basse Patrick Bolleire L'Hiérophante, complètent un cast sans faille. Une bien intéressante découverte qu'on devrait pouvoir encore peaufiner plus avant à l'écoute du disque qui en a été confectionné live.

 

Jean-Pierre Robert.

 

 

Le charme discret d'une grande dame du piano

 


©David Martin

 

Voilà enfin le concert parisien que nous appelions de nos vœux lors de la Folle  journée qui voyait l'exécution par Anne Queffélec de sonates de Scarlatti. Son programme à la salle Gaveau associait le compositeur italo-espagnol et Schubert. Un rapprochement à priori curieux. Pas tant, comme on le verra. Pour débuter, la pianiste joue Toccata, adagio et fugue en ut majeur BWV 564 de Bach, arrangé par Ferrucio Busoni. Le ton de la soirée est donné, d'une profonde réflexion. Elle enchaîne avec Scarlatti dont elle donne douze sonates. On sait ce musicien cher à son cœur et combien elle est en empathie avec son langage. Et tord le cou à quelque cliché associé à des pièces originellement écrites pour clavecin : loin d'être uniquement brillantes et purement répétitives, ces « exercices », dédiés à une grande d'Espagne, véhiculent ombre et lumière à travers une foison de rythmes et de manières moyennant une incroyable liberté de la forme. Au piano, plutôt qu'au clavecin, elles changent de caractère et « acquièrent des couleurs nouvelles », dit-elle. Elle n'est d'ailleurs pas la première à faire de la sorte : on pense à Marcelle Bunlet ou plus récemment à son collègue Alexandre Tharaud. Elles véhiculent aussi le charme de la peinture des goûts espagnols et offrent des sonorités souvent solaires. On les croit modelées sur le même moule, en trois ou quatre sections accolées, et purement répétitives. Et pourtant que de différences de l'une à l'autre. Cette liberté formelle permet de substantiels changements, même dans la technique du clavier : gruppetos, phrases ouvragées à l'envi dont la répétition emporte toujours quelque chose de nouveau et d'original. La diversité des climats est tout autant étonnante : l'élégiaque, la motricité, le sémillant, le poignant. L'extraordinaire inventivité des traits en fait une source de surprise permanente. Anne Queffélec a choisi un bouquet de pièces s'inscrivant dans le cadre de réflexion initié par l'œuvre de Bach jouée en entame de son récital. On savoure le jeu d'un suprême raffinement, alerte, d'une merveilleuse fluidité, qui magnifie cette écriture lumineuse : notes piquées, trilles et autres appogiatures, sans parler des silences, des sauts d'intervalle et autres traits humoristiques. Car si exercice il y a, il ne doit à aucun prix paraître fastidieux. On admire encore la modernité de certaines sonates. Elle termine par la Sonate K 27, pièce fétiche, d'une optimiste résolution et qui « s'en va sur la pointe des pieds ». On sort de ce petit marathon revigoré et empli de bonheur. Comme de l'audition de son récent CD (Mirare : MIR 265).

 

La seconde partie du concert était consacrée à la Sonate D 960 de Schubert en si bémol majeur. Cette ultime pièce livrée au piano (1828) contient l'essence même du génie pianistique du musicien. Pas une note qui ne soit frappée au coin de la souveraine maitrise de l'instrument, pas une phrase qui ne sorte d'une absolue cohérence de la pensée. Anne Queffélec l'aborde avec humilité et recueillement presque. Ainsi du molto moderato qu'elle prend retenu, accentuant les silences entre les divers groupes du premier thème. La poésie sereine affleure, immédiate. Le spectre dynamique sera relativement restreint : des pianissimos évanescents, des forte loin d'être tonitruants. Un jeu pas si ''féminin'' que cela, qui souvent chez d'autres tonne et empoigne. Rien de cela ici. Ce qu'on perd peut-être en fluidité, on le gagne en poésie, comme aux derniers accords, d'une infinie douceur. L'andante sostenuto prend l'aspect d'une confidence émue, hypnotique, d'un tragique abyssal, certes, combien retenu. L'aisance du jeu et la gracilité du toucher font oublier les difficultés qui s'imposent à l'interprète : les passages des mains, cette rythmique aérienne exigée à la partie médiane. Cela respire et est d'une confondante simplicité. Queffélec dévoile avec le scherzo, marqué « Allegro vivace con delicatezza » un monde fantasque qui n'est peut-être pas si éloigné que cela de celui de Scarlatti. Un moment de détente presque.  Du finale, le rythme de marche est mis en relief comme toute la dramaturgie d'un mouvement qui pousse toujours de l'avant avec des pauses et des signaux (les accords forte) pour d'autres rebondissements. On perçoit aussi une pointe de mélancolie vers la fin. Une magistrale exécution hors de toute démonstration de clinquant. Non, la poésie, là encore, dans ce qu'elle a de plus secret. En bis, elle donnera d'abord un morceau de Reynaldo Hahn, Hivernale, « que Schubert aurait sans doute aimé », lance-t-elle. Le climat raréfié d'un paysage glacé mais non aseptisé, sur un schéma de variations. Elle prend congé par « Oiseaux tristes », la deuxième pièce des Miroirs de Ravel : toute une signification à l'aune de ce qui a précédé. On saisit, sous ses doigts, ce que cette pièce a à voir avec le futur Gaspard de la nuit.

 

Jean-Pierre Robert.

 

 

Quant un passionné nous découvre le Requiem de Donizetti

 


©FSD2016/C.Fillieule

 

Leonardo García Alarcón n'en est pas à son coup d'essai. Après Michelangelo Falvetti et le Déluge universel et autre Nabucco, il déniche le Requiem de Donizetti ! Que celui-ci écrivit en 1835 à la mémoire de son rival et néanmoins ami Vincenzo Bellini. La pièce ne sera jouée qu'en 1870, à l'occasion du transfert des cendres de Donizetti lui-même. Elle sombrera dans l'oubli jusqu'à sa redécouverte en 1975. Mais sera peu jouée ensuite. D'où la chance offerte par le chef argentin de l'entendre dans le cadre du Festival de Saint-Denis. Elle se compose de 17 séquences, pour la plupart assez courtes, dont plusieurs non reprises dans les autres Requiem, tel celui de Verdi. Ainsi de l In memoria » (V), confié au chœur, du « Ludex ergo », aux ténor et basse (VIII), du « Rex tremendae majestatis (IX) pour soprano, basse et chœur, de « Praeces meae » (XII) , pour alto, ténor et basse, de « Oro supplex » (XIII) pour air de la basse. Ce Requiem qui assortit les quatre voix cardinales, de soprano, mezzo-soprano, ténor et basse, ne réserve curieusement pas d'air à proprement parler aux deux femmes, mais fait la part belle à la basse et au ténor (« Ingemisco », comme chez Verdi) ; sans compter le chœur qui prend une égale importance. Il est quelque peu éloigné du propos religieux : Donizetti est d'abord un homme de théâtre. Mais la veine lyrique perce bien souvent, en particulier au « Lacrymosa » (XIV) et à la séquence finale du « Libera me » (XVII). Le sentiment donc de l'hommage d'un compositeur d'opéra à un autre maitre du bel canto. Mais ne dit-on pas de la Messa da Requiem de Verdi qu'elle est écrite plus pour le théâtre que pour l'église !

 

L'interprétation de García Alarcón ne manque pas de panache et combine habilement les deux aspects théâtral et religieux. L'empathie du chef avec cet idiome est évidente, sa passion pour le chant n'étant plus un secret. On se souvient de ses « Funérailles de Louis XIV », l'année passée au même Festival de Saint-Denis. Le geste est généreux et tente de juguler l'acoustique impossible de la basilique : un temps de réverbération énorme qui transforme certaines fins de phrases forte en bouillie sonore. Surtout lorsque le chef déchaine les timbales. Une instrumentiste   altiste, rencontrée le lendemain dans le train la ramenant à Amsterdam, confiait que lesdites timbales étaient encore plus fortes au concert qu'en répétitions. De fait, elles couvraient la moitié de l'orchestre. Cet orchestre, le Millenium, ajoute-elle a été fondé il y a un un peu plus d'un an par García Alarcón et pour quelques projets spécifiques dépassant la sphère baroque. Il est constitué de musiciens free lance venant de divers pays européens, comme il en est du Chamber Orchestra of Europe. On admire les sonores fanfares, très opératiques ouvrant l Introduzione » (I), puis le contraste tout en douceur que forme la section suivante « Requiem » (II), le duo mezzo-ténor à « In memoria aeterna » (V), la violence du « Dies irae » (VI) qui tonne de ses timbales ffff. La séquence du ''Recordare Jesu pie'' qui est incluse dans le « Rex tremendae majestatis », est introduite par la soprano dans le registre éthéré, et le ''Quaerens me'' sera défendu par la basse très legato. Deux grands moments. Comme aussi l Ingemisco » avec son solo de violon et les cordes seules au début, pour un morceau on ne peut plus bel cantiste ; ce que l'interprète Fabio Trümpy ne se fait pas faute de souligner. Autre passage lumineux : le « Lacrymosa » du chœur, beau chant religieux que conclut une vaste fugue. A l Offertorium », pour basse et chœur d'hommes, Donizetti a imaginé un solo de cor sur ''Domine Jesu Christe''. On revient vite ensuite à l'opéra. Le Requiem se termine sur une note mélancolique des quatre solistes, juste avant la reprise du « Libera me » véhément du chœur. Mais le dernier trait sera recueilli. Les solistes sont de classe : outre le ténor cité, la basse claire de Nikolay Borchev, la soprano assurée d'Ambroisine Bré et le beau mezzo de Guiseppina Bridelli. Comme magistrale la prestation du Chœur de Chambre de Namur, partenaire habituel des projets de García Alarcón.

 

En amuse bouche, il avait proposé la Sinfonia sopra i motivi dello Stabat Mater di Rossini, composé en 1843 par Saverio Mercadante (1795-1870). Ce compositeur largement ignoré aujourd'hui, quoique défendu par Riccardo Muti, écrit ici une musique elle aussi ancrée dans l'univers de l'opéra, ce qui est logique puisqu'inspirée du Stabat Mater de Rossini et alors que l'auteur du Barbier de Séville n'y fasse pas de distinction tranchée entre scène et église. Le fameux motif central plein d'élan en est un bel exemple, comme les fanfares introductives. Exécution engagée du chef et de ses forces de l'Orchestre Millenium.

 

Jean-Pierre Robert. 

 

 

La Dame de pique : une réflexion autobiographique…

 

Piotr Ilitch TCHAIKOVSKI : La Dame de pique. Opéra en trois actes. Livret de Modest Tchaikovski d'après la nouvelle d'Alexander Pouchkine. Misha Didyk, Alexey Markov, Vladimir Stoyanov, Svetlana Aksenova, Larissa Diadkova, Anna Goryachova, Andrey Popov, Andrii Goniukov, Mikhail Makrov, Anatoly Sivko, Morschi Frzanz, Olga Savova, Maria Fiselier, Pelageya Kurennaya, Christiaan Kuyvenhoven. Concertgebouworkest, dir. Mariss Jansons. Mise en scène : Stefan Herheim. De Nationale Opera Amsterdam.

 


Le décor et Tchaikovski terrassé de douleur ©Monika Forster/DNO

 

C'est à un événement considérable, de longue date mûri, que l'Opéra National d'Amsterdam aura convié son public pour le Festival de Hollande : La Dame de pique dirigée par Mariss Jansons à la tête de l'Orchestre du Concertgebouw et mise en scène par Stefan Herheim. L'idée maitresse de celui-ci est de placer le personnage de Tchaikovski lui-même au centre de l'histoire : un homme tourmenté par ses souffrances morales, partagé entre attirance homosexuelle et essai de normalisation par un mariage qui ne durera pas, et qui en finira par un suicide, un empoisonnement. Un homme exalté qui compose sous nos yeux son opéra, « une pièce épouvantable, un enfer », dont on sait que via le librettiste, son frère Modest, sont légèrement déplacés les ressorts et soulignées les contradictions par rapport à la nouvelle de Pouchkine. Qu'il va le porter ici à bout de bras, de tous ses fantasmes, à l'image de son héros Hermann, sa créature chérie, mais aussi damnée ; presque un double de lui-même. Ainsi Herheim montre-t-il le compositeur dès un prologue muet, aux pieds d'un Hermann affalé, tentant de se rassurer en activant une boite à musique qui débite un air de Papageno de La Flûte enchantée... Tout l'opéra sera habité de la présence du compositeur en proie aux affres de la création, qui tour à tour en tirera les ficelles, tentera d'en infléchir le cours, magnifiera ses plus belles trouvailles. Une lecture logique lorsqu'on sait combien est déterminante la part autobiographique dans la production du musicien russe. Au centre du plateau, qui visualise un intérieur cossu, très XIX ème, le piano à queue noir, lieu d'échange essentiel. Son couvercle soulevé ne découvre-t-il pas un envers damassé de satin blanc, là où plus tard on placera la dépouille de la Comtesse. Lieu névralgique aussi : les feuilles blanches de la partition qui s'écrit s'y entassent et chacun vient s'en emparer. Au dernier tableau - le tripot - point de tables de jeu, mais cet unique meuble autour duquel les joueurs se pressent et misent à satiété. Une idée de la cohérence de la régie.

 

Il y en a bien d'autres au soutien d'une direction d'acteurs d'une force théâtrale peu commune. A commencer par celle de l'identification du personnage imaginé de Tchaikovski à celui, bien réel, de Yeletsky qui courtise Lisa. Souvent passe-t-on de l'un à l'autre, du muet à celui qui chante, au point de s'y méprendre tant la combinaison est habile et pas seulement dans la similitude du vêtement de l'un et de l'autre. La duplication des gens du chœur ensuite : des répliques de Tchaikovski lui-même pour les messieurs, des femmes vêtues de blanc comme Lisa, ou de noir comme la Comtesse, ou encore cette théorie de Gouvernantes, multiplication de ce personnage crucial dans la trame. Le théâtre et son double, l'effet de miroir, Herheim s'en approprie le concept avec une efficacité redoutable. On voit comment l'auteur façonne ses créatures, et d'abord son soldat possédé par la quête d'un amour impossible, puis par l'argent qu'il peut entasser grâce au secret des trois cartes nécessairement gagnantes. Cet homme veule finalement s'adresse à lui souvent, non au personnage de la didascalie. Ainsi au tableau de la chambre de la caserne : son fameux monologue, Hermann l'adresse au compositeur, interloqué, dubitatif ou plein de compassion ; conférant au morceau une vie extraordinaire. Plus tôt, le premier duo avec Lisa, après qu'Hermann se soit introduit chez elle, voit un jeu de scène étonnant : le compositeur la poussant littéralement dans les bras d'un inconnu entreprenant. Ce procédé de médiation atteint son zénith lors que la Comtesse se remémore son glorieux passé amoureux sur un air de Grétry. Tandis que s'achève la deuxième strophe « Il me dit : je vous aime, Et je sens malgré moi mon cœur qui bat, qui bat, Je ne sais pas pourquoi... », Tchaikovski, au chevet du fauteuil, en savoure béat les effluves. Puis c'est par dessus elle qu'Hermann s'adresse au musicien, pour une sorte d'échange muet à trois : vertige dramatique d'une force incroyable, et au demeurant d'une beauté plastique à couper le souffle. Comme le sont bien d'autres moments, enluminés par des éclairages spectraux.

 


Yeletzky/Tchaikovski & Lisa ©Monika Forster/DNO

 

Chaque ensemble, chaque réplique poursuit le même but d'éprouver la dramaturgie et d'expliciter tel ou tel passage solo ou d'échange : tel le premier air de Lisa, une rêverie passionnée hors du temps alors qu'une nappe de cristaux pierreries Swaroski descend des cintres, brusquement balayée par l'entrée d'Hermann. Ou leur ultime duo, délivré comme s'ils jouaient désormais un rôle en lisant des bribes de la partition. Car  ils n'y croient plus, lui gangréné par son obsessionnel passion du jeu - « Qu'est-ce que l'amour ; un jeu ! » a-t-il lancé peu avant -, elle constatant l'inanité des sentiments de celui qu'elle a chéri, déjà prête au suicide. Celui-ci - dans les eaux noires de la Neva - sera stylisé par un étouffement d'hommes, les répliques muettes de Tchaikovski, comme la dévorant ; autre image saisissante. La scène finale se fera resserrée jusqu'à l'épure : cet échange entre Yeletsky/Tchaikovski et Hermann, si bref, si cinglant, de la sortie de la carte qui tue, la Dame de pique, et non pas l'As annoncé. Les hommes l'entourent fébrilement et le laissent se tirer une balle dans la tête. Plusieurs clés de lecture secondaires ne sont pas moins révélatrices, souvent annoncées subrepticement. La boite à musique du début annonce l'intermède du II ème acte. Ce moment, si délicat à mettre en scène de par son aspect ''tunnel'', est ici astucieusement traité : la pantomime est transfigurée en un échange entre les divers protagonistes (idée déjà utilisée par Lev Dodin dans sa régie pour l'Opéra Bastille) ; sans parler du ''coup'' de l'arrivée de la tsarine : les choristes déboulent dans la salle qu'on a rallumée et l'on fait lever les spectateurs pour ovationner la souveraine... qui enlevant sa couronne et son manteau d'hermine, s'avère être un Hermann éméché... Ce trait grotesque, sardonique, est contrebalancé par d'autres plus amènes telle l'apparition de Lisa en figure d'ange au prélude et au final. Herheim n'aurait-il pas réussi là une lecture aussi pénétrante et exhaustive que celle de son Parsifal à Bayreuth ?

 


Lisa & Hermann ©Monika Forster/DNO

 

On pourrait s'étendre tout autant sur le volet musical. Et d'abord sur la direction de Mariss Jansons. Retrouvant ''son'' orchestre néerlandais, Le Concertgebouworkest, il livre de la partition une vision d'une grande transparence, d'un raffinement extrême, renonçant à tout pathos, aux éclats inutiles ; mais au contraire recentrée sur la puissance intérieure de cette musique sombre, habitée. Les nuances sont inouïes : des cordes lustrées aux bois sémillants, aux cuivres retenus, non tonitruants. Une lecture intériorisée s'accordant parfaitement avec la régie. Ainsi de la scène d'Hermann qui suit sans solution de continuité celle de la mort de la Comtesse, et parée d'un douloureux mystère qu'instille le contrepoint étouffant ppp des cordes graves. La rythmique fuit l'abrupt pour une scansion autrement plus pertinente, et partant percutante. Les accents ne sont pas tranchés à l'envi comme souvent, car Jansons ne cherche pas à ''dramatiser'' une musique dont tous les pores respirent déjà le drame. Le chef est fêté dès son arrivée et ovationné aux rideaux finaux. Sa distribution est de haute tenue. Misha Didyk campe un Hermann tourmenté, pas si héroïque que bien de ses confrères, vite possédé de sa quête obsessionnelle qui tourne à l'idée fixe. Naguère Fevronia de Kitège, ici même et au Liceu de Barcelone, Svetlana Aksenova est une Lisa aux accents lyriques et sombres. La Comtesse de Larissa Diadkova est d'une présence plus vraie que nature dès sa première apparition et sa ''scène'' s'inscrira tel un morceau d'anthologie dans l'atmosphère raréfiée que créé Jansons et la poignante vision que suscite Herheim : en chemise de nuit, tassée dans son immense fauteuil, clouée d'épouvante. Le Yeletzky de Vladimir Stoyanov est un roc, superbe baryton héroïque et fin acteur ; comme le Tomski d'Alexey Markov, baryton plus lyrique. On remarque aussi la Polina d'Anna Goryachova, une habituée de l'Opernhaus de Zürich : voix large, veloutée, de mezzo qui illumine la deuxième scène du duo avec Lisa et surtout de l'air qui suit. Enthousiasmante encore, la prestation du chœur du Nederlandse Opéra dont chaque individu est façonné par la régie et dont la masse chantée est impressionnante comme elle l'avait été dans la production de La Khovantschina. Une mémorable soirée.

 

Jean-Pierre Robert.

 

Un pianisme qui ne laisse pas de marbre

 


DR

 

Pour son récital parisien à la Philharmonie de Paris, Yuja Wang n'a pas lésiné sur les moyens. Changement complet de programme : aux Chopin, Bach et autre Schoenberg annoncés sont substitués Brahms, Schumann et Beethoven. Amusante gimmick question tenue vestimentaire aussi, avec talons aiguilles et robes dernier cri, alternant le blanc à paillettes et après la pause, le noir quasi phosphorescent pour dégager une fort jolie jambe. Mais une fois au clavier quelle métamorphose ! La fluette chinoise au sourire un peu coincé se transforme en la plus avisée des interprètes. La semble-t-il timide jeune femme se mue en pianiste d'une étonnante autorité. Son programme le montre à l'envi. De Brahms d'abord les Ballades op. 10 Nos 1 et 2, deux premiers volets d'un ensemble de quatre pièces écrites en 1854, inspirées d'une ballade écossaise « Edward ». Brahms y montre son génie de la narration suggérée. La première, andante, dont Schumann louera l étrange nouveauté », est sombre, d'un puissant sous entendu tragique pour conter le dialogue d'une mère et d'un fils qui aurait tué le père, étrange et dépouillée aussi. La seconde est plus contrastée au fil de ses trois épisodes, dont le premier ppp, presque effleuré par Yuja Wang, ouvre un autre forte, comme asséné. La coda est toute de féérie. La maestria de la pianiste s'affirme d'emblée dans ces deux morceaux chargés d'atmosphère poétique. Elle va se déployer de manière encore plus topique avec les Kreisleriana op. 16 de Schumann. Un grand morceau de piano, certes, dont le titre évoque le héros sorti de l'imagination de E.T.A. Hoffmann, Kreisler, être de folie. Prémonition du mal qui l'atteindra lui aussi, ou simple exacerbation d'une pensée fertilisée par un récit fantasque, écrit en 1838, lors que traversant une phase personnelle épouvante – sa passion contrariée pour Clara Wieck -, ce cycle de huit morceaux présente un visage morcelé et pourtant d'une étonnante unité. S'y croisent les deux manières familières chez Schumann, de Florestan (les pièces vives) et d'Eusébius (celles plus lyriques). Mais cela peut être mêlé à l'intérieur d'un même morceau. Il y a quelque chose d'effrayant dans ce discours morcelé que Yuja Wang détricote avec aisance, jouant d'un ambitus extrêmement large, du murmure pppp à la poigne la plus affirmée dans les ffff. Usant ce faisant de la pédale avec largesse pour créer un enveloppement sonore. C'est le cas du premier mouvement (molto agitato), d'une grande fébrilité, du troisième, pareillement agitato, à l'ostinato rythmique très résolu dont l'épisode central plus apaisé ne relâche cependant pas la pression. Ou encore du cinquième exalté dont Wang mène l'incoercible crescendo de main de maître. Les sections plus lyriques contrastent habilement car la pianiste possède un art bien à elle de creuser le fossé dynamique : colloque intime du second volet (intimo, molto affettuoso), infinie tendresse du quatrième, façon de berceuse du sixième, d'une beauté plastique à couper le souffle. 

 

La Sonate N° 29 «  Hammerklavier » op. 106 de Beethoven formera la seconde partie du concert (en fait la deuxième comme on le verra). Autre monument de la littérature pianistique, requérant parait-il une force virile, une santé de fer pour en escalader les parois. Yuja Wang l'aborde avec humilité, mais vite affirme un tempérament de feu et là encore une poigne que bien de ses confrères masculins peuvent lui envier. Le fameux « fil à retordre » donné aux pianistes « lorsqu'on la jouera dans cinquante ans », selon la boutade de son auteur ! S'affirme sans ambages une des idées force du pianisme de la chinoise : le jeu sur la dynamique, qui se traduit par une palette extraordinairement élargie. La sonate ''au marteau'' qui, elle aussi, livre deux visages antagoniques, « soit comme combat sans pitié, soit comme un colloque apaisé », dira Romain Rolland, va en livrer moult exemples. Un début finalement assez sage dans ses premiers accords et un élan rythmique amorcé d'une bienfaisante fluidité. Les choses vont s'animer rapidement avec les octaves assénés mais aussi le bel adoucissement du deuxième thème. Le développement sera colossal pour se désagréger dans une coda immatérielle. Le scherzo voit la pianiste étaler une force, en particulier à la main gauche, proprement formidable dans le flux et reflux des thèmes ; et le trio renchérit dans sa section presto, haché, presque démoniaque avant une cadence hyper prestissimo. Vient un adagio lunaire, ''appassionato e con sentimento'', progressant au fil des méandres de la pensée beethovénienne, immense et intarissable, comme il en ira de l'adagio de la IX ème Symphonie. Il ne faut pas se perdre dans cette « profonde Confession », cette « puissante méditation passionnée » (ibid). Wang tient son monde en haleine par un discours d'une apparente simplicité, très travaillé en fait ; cela finit sur les cimes, « pour s'évanouir en arpèges - tutte le corde – ppp... », souligne encore Romain Rolland. Le largo, transition qu'on a dit labyrinthique, en tout cas étrange, comme improvisée, est impressionnant et introduit le finale sur une attaca majestueuse et subite. La ''digitalité'' tient du prodige en termes de rapidité du trait, de façonnage dynamique pour des forte impérieux, de force de frappe peu ordinaire ! Se déjouant de toutes les difficultés ici accumulés par le compositeur. Qui avoua à un proche : « Maintenant, je crois que je sais écrire ». Désormais il faut compter avec ce bout de fille qui vous construit sans vergogne, et de quelle manière, cette périlleuse sonate.

 

Une ovation sans fin ouvre une série de bis dont la longueur est digne de ceux qui concluent un concert de Sokolov. On y entend Marguerite au rouet de Schubert, la fameuse paraphrase de la Marche turque de Mozart agrémentée jazzy (déjà expérimentée au Théâtre des Champs-Elysées), un Chopin légèrement maniéré, un arrangement de thèmes de Carmen d'une virtuosité époustouflante et d'une vitesse à peine croyable lors de l'évocation de la danse frénétique qui ouvre le II ème acte, outre d'autres pièces romantiques. Elle est espiègle, généreuse et grande. Et sourit largement enfin !  

 

Jean-Pierre Robert.

 

Le romantisme musical français en quatuor

 


Quatuor Mosaïques / DR

 

La fondation  Bru - du nom des docteurs qui furent à l'origine des laboratoires UPSA - a été à l'initiative du Centre de Musique Romantique Française. Ce Centre a son siège à Venise au Palazzetto Bru Zane. Depuis 2013 il organise un festival à Paris qui permet de présenter au public chaque année un échantillon du patrimoine musical français du XIXème siècle. Deux scènes se partageaient cette fois l'aventure. Ainsi le Théâtre des Champs Elysées avait-il pu programmer un opéra de Spontini, Olympie [voir ci-dessus]; quant  à celui des Bouffes du Nord il offrait à entendre tout un florilège de musique de chambre alliant le connu - quatuor de Debussy, sonate de Alkan - au moins connu, voire l'inconnu - œuvres de Benjamin Godard, Marie Jaël, Rita Strohl... Les concerts qui se déroulaient dans cette salle bénéficiaient d'une acoustique tout à fait appropriée. Les organisateurs avaient fait appel à de remarquables musiciens comme Gary Hoffmann, Henri Demarquette, Pascal Amoyal ou le quatuor Mosaïques.

 

Ce dernier donnait un programme tout à fait intéressant, permettant la confrontation entre le Quatuor de Debussy (un de ses chefs-d'œuvre) et les seconds quatuors de Charles Gounod et de Benjamin Godard. Est-ce une interprétation magnifiquement mise en place, mais presque trop soignée du quatuor de Debussy ? Celui-ci semblait encore trop ancré dans le XIXème siècle, malgré une écriture novatrice sous bien des aspects alors que le quatuor de Benjamin Godard avait sous les archets des Mosaïques des sonorités souvent étonnantes. C'est pourtant l'œuvre la plus ancienne des trois (1878), la plus récente étant évidemment celle de Debussy (1892-1893), précédée de peu par le Quatuor de Charles Gounod (1887). En revanche ce dernier semble résolument tourné vers le passé, loin des audaces debussystes proposées seulement 5 ans plus tôt, bien que légèrement atténuées dans l'interprétation du présent concert. Le quatuor de Gounod est très lyrique, ce qui n'étonne guère de la part du compositeur des Faust, Mireille, Roméo et Juliette et autres opéras.... Le premier violon tenu par Erich Höbarth, grâce à son jeu à la fois retenu et sensible, permettait vraiment de percevoir que la voix humaine n'est jamais très loin. Œuvre agréable à entendre, ce qui faillit ne jamais être le cas, le compositeur la trouvant  « mauvaise », si bien qu'elle fut réputée perdue jusqu'à sa redécouverte en 1993 ! Ce qui manque peut-être dans cette composition, ce serait la variété des couleurs, vertu que l'on trouve en revanche dans le quatuor de Godard. Celui-ci commence par une séduisante mélodie qui se prolonge par de très belles couleurs. Le second mouvement a un début étonnant : les instruments sont à l'unisson dans une tonalité sourde qui par contraste met en évidence une suite de thèmes d'une grande richesse. Le vivace du 3ème mouvement est faussement désinvolte tandis que le dernier mouvement, bien qu'appartenant assurément à son siècle, offre des traits audacieux et se conclut avec énergie. L'ensemble constitue une réelle confirmation que Godard n'est pas un compositeur de salon comme certains ont pu l'affirmer. Son œuvre mérite une large diffusion. Les Mosaïques, très à l'aise dans l'interprétation de ce second quatuor, ont été ce soir là des avocats particulièrement éloquents.

 

Quant au Debussy, si nous émettons une certaine réserve, ce n'est pas sur la qualité du  jeu des interprètes, mais sur le parti prix sans doute de privilégier ce que le compositeur doit au passé et non pas ce qu'il annonce par ses audaces à venir. Mais ce fut tout compte fait une interprétation de belle tenue. Ainsi le premier mouvement progressait-il avec souplesse, les instruments se succédant ou se superposant harmonieusement, mais en étouffant peut être un peu trop l'originalité des timbres. Dans le second mouvement – Assez vif et bien rythmé – on notait les belles interventions du violon d'Erich Höbarth ; le troisième mouvement – Andantino, doucement expressif – était amorcé dans un tempo un peu lancinant avec en revanche une prémonition de La Mer que l'on entendait de manière assez évidente dans la seconde partie de ce mouvement. Le dernier mouvement – Très modéré. très mouvementé – fut magnifiquement introduit par le violoncelle profond de Christophe Coin. Une soirée instructive, avec la confirmation d'un compositeur à replacer sur le devant de la scène : Benjamin Godard.

 

Gilles Ribardière.

 

Stockhausen illumine la basilique Saint-Denis

 

Karlheinz STOCKHAUSEN : Luzifers Abschied (L'Adieu de Lucifer) dernière scène de l'opéra Samstag aus Licht (Samedi de Lumière), pour chœur d'hommes, orgue et sept trombones. Ensemble Le Balcon, dir. Maxime Pascal & Alphonse Cemin. Basilique de Saint-Denis.

 


Karlheinz Stockhausen / DR

 

 

Dans le cadre du Festival de Saint-Denis, était donnée Luzifers AbschiedL'Adieu de Lucifer – dernière scène de Samstag aus LichtSamedi de Lumière –, opéra de Karlheinz Stockhausen constitué d'un Gruss (Salut) et de quatre scènes. Luzifers Abschied est la seule partie à avoir été conçue pour être jouée dans une église. Composée en 1982 à l'occasion des huit cents ans de la naissance de saint François d'Assise, elle est entièrement centrée sur ses Lodi delle virtu, Éloges des vertus, et a été écrite pour voix d'hommes (un chœur de sept ténors et vingt-six basses), sept trombones et un orgue. Le concert était magnifiquement interprété par l'ensemble Le Balcon, dirigé par Maxime Pascal et Alphonse Cemin. L'auditoire, autant spectateur qu'auditeur, a assisté (voire participé, à la toute fin) à une sorte de drame religieux très original, qui conviait la musique, le théâtre et la danse. Et le cadre grandiose de la basilique convenait parfaitement à une telle représentation, éblouissante d'inventivité.

 

Au pied du grand orgue, une scène sur laquelle sont assis en demi-cercle sept religieux habillés de blanc et coiffés d'une capuche. La pièce commence sur une note tenue à l'orgue, tandis que, par le bas-côté, entrent en file indienne vingt-six autres frères qui commencent à psalmodier : « O, Regina sapienza, il Signore ti salvi con tua sorella, la pura semplicitá… » Ceux-ci portent la tenue commune des franciscains – bure marron, corde autour de la taille, mais sabots de bois aux pieds au lieu des habituelles sandales. Ils vont prendre place dans la partie basse de la nef, encadrant une partie du public en formant trois lignes qui dessineront un carré avec la scène. Ils resteront toujours debout, les moines des côtés regardant vers les verrières et ceux barrant la nef vers le chœur de la basilique et l'autre partie de l'assistance. Le premier du cortège tient dans ses mains une cage contenant un merle ou une corneille, qu'il va poser devant les moines blancs. On est immédiatement saisi par ce cérémonial et bientôt complètement ébloui par la prouesse qui se déroule sous nos yeux : ici, pas de direction apparente, mais des solistes qui ne cessent de gesticuler et de se déplacer en frappant du pied ; semblant ignorer leur partition, ils chantent par cœur !

 


Extrait de la partition / www.karlheinzstockhausen.org

 

Les vertus franciscaines – sagesse, pauvreté, charité, simplicité, humilité et obéissance – vont être égrenées avec force répétitions (le texte tient sur une page, alors que la pièce dure une heure) et selon un système d'échos qui rappelle le principe du répons dans le chant grégorien, lequel fait alterner un chantre soliste et le chœur. Mais, chez Stockhausen, nous sommes loin des mélismes du plain chant et beaucoup plus proches de la musique du théâtre nô, dont la fonction est moins de porter un texte sacré que de créer une ambiance surnaturelle. Il s'agit d'une sorte de parlé-chanté – Sprechgesang –, qui se limite chez les basses à deux ou trois notes dans le grave et l'extrême grave, ponctuées d'exclamations et de cris. Grelots et crécelles sont agités à intervalles irréguliers. Quant aux interventions de l'orgue et des trombonistes montés sur sa tribune, elles se limiteront à quelques accords « dissonants » assez identiques. Ce grand statisme musical est fait pour porter à la transe. De fait, la tension monte par moments : lorsque les moines de la nef se mettent à courir de plus en plus vite (en sabots !) sur leur allée en bois, lorsque l'un des frères blancs se lève, s'avance et harangue ses coreligionnaires, lorsqu'un tromboniste au visage couvert de suie s'élance à travers la nef en poussant une seule note fortissimo, ou lorsqu'un ecclésiastique s'empare du sac de jute descendu sur un côté de l'orgue et détale lui aussi dans l'allée centrale. La surprise culminera avec le départ des chanteurs pour le parvis, le joyeux lâcher de l'oiseau et l'éclatement du contenu du sac : des noix de coco, que les religieux, un par un ou par petits groupes, encouragés par les autres frères et finalement par le public, lèveront lentement à deux mains vers le ciel avant de les projeter violemment contre le sol. Tout cela dans un faux désordre scandé par le son monotone de deux cloches frappées alternativement. Ite missa est !

 

Luzifers Abschied est une œuvre d'art total, Gesamtkunswerk, et ce n'est pas un hasard si l'on rapproche souvent Stockhausen et Wagner. Samstag aux Licht fait d'ailleurs partie du cycle Licht, heptalogie opératique qui suit les sept jours de la semaine. À ce propos, Maxime Pascal dit du compositeur qu'il « recrée un monde à travers la musique. » (La Terrasse n° 242, avril 2016) Mais la comparaison avec les maîtres anciens doit s'arrêter là, puisque Stockhausen ne suit pas la tradition essentiellement littéraire de l'opéra et ignore la dimension téléologique du drame. On pourrait affirmer que ses œuvres, multiculturelles et pluridisciplinaires créent plusieurs mondes (d'interprétation). Sans communication verbale univoque, le texte devient matière, tout comme la musique, qui ne raconte pas davantage. Cette musique scénique novatrice, donc exigeante, requiert des interprètes virtuoses et très engagés, c'est-à-dire désireux de vivre une aventure. Pari réussi et ce soir-là et à marquer d'une pierre blanche, blanche et brillante comme la pulpe du fruit qui jonchait le parvis de Saint-Denis.

 

Patrick Jézéquel.

 

 

L'Orchestre National du Capitole de Toulouse à la Philharmonie de Paris

                                 


Tugan Sokhiev ©Marco Borggreve

 

De retour du Musikverein de Vienne, dans le cadre de sa tournée européenne, l'ONCT était de passage à la Philharmonie de Paris conduit par son directeur musical, le chef ossète Tugan Sokhiev, pour un concert très attendu comprenant le Concerto  pour violoncelle et orchestre d'Antonin Dvorak avec Gautier Capuçon en soliste et la Symphonie fantastique de Berlioz. Programme grand public, déjà donné à Vienne, et notoriété des intervenants expliquant l'affluence des auditeurs dans la grande salle de la Philharmonie. Un concert finalement en demi teinte… Gautier Capuçon et Tugan Sokhiev ne nous donnant qu'une pale vision de ce Concerto pour violoncelle de Dvorak datant de 1895, peut-être le plus célèbre des concertos pour violoncelle, tout imprégné d'amour, de nostalgie, d'accents folkloriques, de rêverie, de lyrisme, de douleur de l'exil et de tendresse pour la mère patrie… Une interprétation sans charme, confuse, et de façon difficilement explicable, constamment décalée, le vibrato excessif du violoncelliste français répondant à la lecture hachée et maniérée du chef ossète. Reste un superbe bis « Le Chant des oiseaux » de Pablo Casals qui nous permit enfin d'apprécier la sonorité et l'émotion se dégageant du Matteo Goffriler du celliste français. Une toute autre histoire nous attendait en deuxième partie avec la Symphonie fantastique de Berlioz. Pièce fondatrice du romantisme musical français, cette symphonie datant de 1830 doit beaucoup à l'amour qu'éprouva le compositeur français pour l'actrice Harriet Smithson, amour vécu mais également amour fantasmé cher au Romantisme puisqu'il s'agit du rêve d'un jeune musicien en délire. Un itinéraire en cinq étapes qui posera également les premiers jalons de la « musique à programme » dont Liszt et plus tard Strauss élargiront l'horizon. Rêverie, Bal, Scènes champêtres, Marche au supplice et Songe d'une nuit de sabbat se succèderont avec la même clarté, caractéristique de la sonorité de l'orchestre que Michel Plasson façonna pendant de nombreuses années, une limpidité et une élégance bien françaises enrichies par un lyrisme et une sensualité apportés par le chef russe. Une vision parfaitement cohérente, dynamique faisant ressortir toute la richesse de l'orchestration berliozienne en même temps que l'excellence des différents pupitres (vents, harpes, percussions) nous permettant de quitter la salle sur une heureuse impression, renforcée par deux bis empruntés à Carmen de Bizet !

 

Patrice Imbaud.

 

 

Mikko Franck dans son jardin

 


Mikko Franck  ©C. Abramowitz

 

Pour un des derniers concerts de la saison au grand Auditorium de la maison ronde, Mikko Franck retrouvait son orchestre et sa baguette dans un programme franco scandinave  particulièrement alléchant, répondant parfaitement au cahier des charges du « Philhar » associant musique française et musique dite « contemporaine ». Une affiche où il excelle, comportant des œuvres de Claude Debussy et de deux compositeurs finlandais, le maitre et l'élève, Einojuhani Rautavaara (*1928) et Magnus Lindberg (*1958) reconnus comme deux compositeurs majeurs du XXe siècle. Tous compositeurs dont le chef finlandais s'est fait le champion depuis son arrivée à la tête de l'Orchestre Philharmonique de Radio France. Une très belle soirée où l'on regrettera le peu d'affluence du public. Une fois encore les absents auront eu tort tant ce concert fut original et superbement interprété. Une pièce de Rautavaara en ouverture, Apotheosis, composée entre 1992 et 1996 dont le langage consonant et le lyrisme héritent du post romantisme. Très lyrique, avec une ampleur recrutant progressivement les différents pupitres de l'orchestre, rappelant les grands espaces du grand Nord, soulignant un travail portant plus sur la dynamique que sur les timbres, se terminant sur un chant d'oiseaux mêlant harpe et percussions. Suivaient deux compositions de Magnus Lindberg, Graffiti et Arena. Un compositeur actuellement en résidence au « Philhar » qui poursuit une activité de composition depuis une cinquantaine d'années avec un catalogue comprenant une centaine d'œuvres. Un compositeur original ayant bénéficié des nombreuses influences du sérialisme, de la composition sur ordinateur, pour trouver finalement un langage personnel fortement imprégné de dramatisme, très contrasté, très marqué rythmiquement,  associant densité sonore et rapidité de mouvement. Une expression finale qui reste fondamentalement abstraite, mettant à mal toute musique à programme et donnant raison à Debussy selon qui la musique n'exprime rien en dehors d'elle-même. Graffiti pour chœur et orchestre fut composée en 2009, s'appuyant sur des graffitis découverts dans les ruines de Pompéi, expliquant le texte en latin, mêlant insultes, slogans politiques, remarques philosophiques et description érotiques…Un œuvre chargée d'un sentiment d'attente prégnant et de ferveur, très contrastée, très rythmée, polymorphe et envoûtante (richesse des timbres, percussions et piano). Une musique instrumentale enrichie par une belle expression du chœur de Radio France, dans une même aspiration à la verticalité contrastant étonnamment avec la crudité du texte chanté.  Arena date quant à elle, de 1995. Il s'agit d'une pièce composée  pour un concours de direction d'orchestre. Particulièrement complexe et ardue dans sa réalisation comme dans sa direction, elle associe des miroitements kaléidoscopiques, de riches et complexes textures orchestrales, des agencements polyrythmiques, des épisodes de changement de mesure virtuoses, sous tendus par une ligne mélodique assurant la continuité du discours qui reste toutefois un peu chaotique. A retenir également le beau solo de violoncelle (Daniel Raclot) hélas un peu couvert par le tutti orchestral.

 

Pour terminer Mikko Franck avait choisi une pièce assez peu connue et peu jouée, les Fragments symphoniques du Martyr de Saint Sébastien de Claude Debussy. Une musique de scène écrite en 1911 pour la pièce éponyme de Gabriele d'Annunzio, faite de préludes fantastiques, religieux et voluptueux, des fanfares éclatantes, des rythmes de danse qui surprennent dans l'œuvre du grand Claude de France. Une ambiance plutôt méditative (trois mouvements lents sur quatre) toujours empreinte de délicatesse, de transparence et d'une riche orchestration que la direction claire et précise du chef finlandais réussit à rendre parfaitement. Pour mémoire un très beau solo de trompette (Alexandre Baty) et de cor anglais (Stéphane Suchanek). Encore une magnifique soirée et de la belle musique d'aujourd'hui.

 

Patrice Imbaud.

 

 

Marzena Diakun, encore un peu sur la réserve…

 


Marzena Diakun © Tamzin B. Smith

 

Rarement chef assistante n'aura été autant sollicitée que la jeune chef polonaise Marzena Diakun remplaçant une fois de plus au pied levé, Mikko Franck, directeur musical de l'Orchestre Philharmonique de Radio France. Plus d'une dizaine de concerts dirigés depuis sa nomination en début de saison et une impression favorable qui se confirme de jour en jour. Un défi de plus pour la jeune chef polonaise qui a déjà assumé de nombreux challenges ardus comme notamment le concert associant Angels and Visitations de Rautavaara et les Planètes de Holst en octobre dernier, ou des opéras difficiles comme la Ville morte de Korngold… Dans tous les cas une direction nette et précise menée avec une autorité naturelle, toutefois tempérée par une certaine réserve et une certaine difficulté à se libérer totalement…Une difficulté à trouver véritablement sa place et à positionner l'orchestre qui se fera tout particulièrement sentir dans la Symphonie concertante pour violoncelle et orchestre de Prokofiev qui ouvrait la soirée. Une partition un peu étrange se situant entre concerto et symphonie concertante résultant de la reprise d'un premier concerto pour violoncelle composé en 1938. Une partition écrite à l'intention de Mtislav Rostropovitch, crée par lui en 1952 à Moscou. Si l'on put admirer sans réserve l'exécution magistrale et l'époustouflante virtuosité de Truls Mork, c'est bien la timidité, en regard, de l'orchestre qui nous étonna, dans une œuvre où les deux entités doivent être traitées à part égale…Moins de timidité et de réserve en revanche dans le Concerto pour orchestre (1945) de Bartók où le « Philhar » put retrouver toute sa superbe sous la direction enfin libérée de Marzena Diakun. Une œuvre qui sait faire briller tous les pupitres de l'orchestre et notamment les vents dans le célèbre « jeu de couples » du deuxième mouvement. Une partition composite à la riche orchestration, aux timbres surprenants, pleine de couleur et d'allant qui fit beaucoup pour la postérité de Bela Bartók, mêlant thèmes folkloriques hongrois, réminiscences musicales, ironie grinçante et langueur élégiaque, conclue par une pyrotechnie orchestrale. Marzena Diakun sut nous gratifier d'une belle interprétation, parfaitement conduite, où l'on regrettera, peut-être, un certain manque de tension et de frissons dans le nocturne central. Comme d'habitude une prestation largement saluée par le public et les musiciens. Un succès mérité et un nom à retenir !

 

Patrice Imbaud.

 

 

Lucia di Lammermoor ou le triomphe de Diana Damrau.

 

Gaetano DONIZETTI : Lucia di Lammermoor.  Opéra en trois actes. Livret de Salvatore Cammarano d'après La Fiancée de Lammermoor de Walter Scott.  Diana Damrau, Piero Pretti, Gabriele Viviani, Nicolas Testé, Francesco Marsiglia, Daniela Valdenassi, Luca Casalin. Orchestre Teatro Regio Torino & Chœur Teatro Regio Torino, dir. Gianandrea Noseda. Version de concert au Théâtre des Champs- Elysées.

                                                                         


 Diana Damrau ©Rebecca Fay

 

Il est des soirées qui restent dans les mémoires. Celle qui nous fut offerte au Théâtre des Champs-Elysées pour cette version de concert de Lucia di Lammermoor en fera sans aucun doute partie. Un opéra, le trente sixième de Donizetti, considéré comme l'archétype de l'opéra dramatique romantique s'inscrivant dans la tradition du bel canto rossinien finissant, métamorphosé et enrichi par la modernité de la théâtralité et de l'écriture vocale du compositeur bergamasque. Une théâtralité s'appuyant sur l'amour incandescent, la mort et la folie et une modernité vocale qui annonce Verdi, notamment dans les parties vocales masculines alors que l'héroïne féminine, bien que nimbée dans une coloratura protectrice, inaugure l'ère du soprano dramatique d'agilité. Une caractérisation vocale des plus exigeantes nécessitant une époustouflante perfection vocale tout autant qu'un vocabulaire en demi teintes soulignant la profondeur dramatique du rôle. Un emploi particulièrement difficile, on l'aura compris, ne se laissant apprivoiser que par les plus grandes comme Sutherland, Callas et aujourd'hui Diana Damrau. Directement importée du Teatro Regio de Turin, cette version de concert consacra à Paris assurément la soprano allemande dans ce rôle. Perfection vocale, souplesse de la ligne, clarté des vocalises, rondeurs du timbre, engagement scénique, rien ne saurait manquer à cette interprétation d'anthologie. Si la scène de la folie du troisième acte « Il dolce sono – Ardon gli incensi » constitue pour certains le sommet de  cette interprétation, c'est également dans le legato sublime et la tendresse juvénile de la cavatine du premier acte « Regnava nel silenzio » qu'on appréciera la qualité du chant, tout autant que dans les nombreux ensembles de la partition, comme les duos multiples avec Elgardo « Sulla tomba » et « Verrano a te »  et le célèbre sextuor du deuxième acte « Chi mi frena in tal momento ». Coté masculin, la distribution ne  fut pas en reste. Gabriele Viviani (Enrico) tout en noirceur, d'une fureur parfois effrayante, autoritaire et brutal dans son premier air «  Cruda  funesta smania », nous parut plus nuancé, capable de nous émouvoir dans son duo « Il pallor funesto ». Piero Pretti (Elgardo), verdien avant l'heure, au timbre lumineux eut également son moment de gloire lors de la scène finale « Fra poco ame ». Nicolas Testé (Raimondo) resta plus réservé, conformément à son rôle. Francesco Marsiglia (Arturo), ténor lyrique au timbre léger souligna la lointaine filiation rossinienne. Gianandrea Noseda, très engagé, grondant, chantant, dansant, sautant, conformément à ses habitudes, dirigea sa phalange d'une main ferme vigoureuse, parfois à la limite de la brutalité, accentuant tous les contrastes de la partition pour valoriser une narration passant avec une extrême facilité du drame à la badinerie. L'Orchestre du Teatro Regio Torino et le Chœur se montrèrent excellents de bout en bout avec une mention particulière pour le pupitre des cors, la petite harmonie et l'harmonica de verre. Plusieurs rappels et une très longue standing ovation finale récompensèrent cette magnifique prestation.

 

Patrice Imbaud.

 

 

David Grimal et Les Dissonances ou la musique en liberté

 


Les Dissonances ©Gilles Abegg.

 

Qui aurait pu prédire, en 2004, lors de sa création par le violoniste David Grimal, le fabuleux destin des Dissonances, alors que certains regardaient naitre cette aventure d'un œil amusé. Un collectif de musiciens du plus haut niveau, appartenant aux plus grandes phalanges internationales, regroupés autour du violoniste David Grimal, décidé à faire de la musique autrement, c'est-à-dire dans un autre esprit, en dehors des circuits de la musique-business, jouant sans chef un répertoire très large allant de la musique baroque à la musique d'aujourd'hui. Une posture très originale, une soif de liberté un peu iconoclaste, quand on sait qu'il est généralement admis que la musique symphonique et concertante, à partir de Beethoven, nécessite impérativement un chef d'orchestre ! Assertion totalement battue en brèche, et avec quelle éloquence, par cet ensemble de musiciens, à géométrie variable capable de jouer excellemment tous les répertoires. Un ensemble en train de conquérir de haute lutte une notoriété, une légitimité parfaitement justifiée lui ouvrant, aujourd'hui, grandes les portes de la Philharmonie de Paris pour un concert centré autour du thème de la ''Force du Destin''. Un programme associant l'Ouverture de la Force du Destin de Verdi, le Concerto pour violon et orchestre de Tchaïkovski et la Symphonie n° 4 du même Tchaïkovski. Trois œuvres interprétées de façon véritablement enthousiasmante par leur clarté, leur dynamisme, pleines d'allant, de motivation et de plaisir de jouer… L'ouverture de Verdi (1862) fut attaquée de façon tonitruante par trois accords effrayants laissant progressivement place à un pot pourri des différents thèmes de l'opéra éponyme. Le Concerto pour violon (1878) avec David Grimal en soliste, fut également magistralement interprété, phrasé chantant, plénitude sonore et simplicité de la ligne, totalement en phase avec un orchestre faisant chanter les couleurs, articulant parfaitement les plans sonores, faisant preuve d'une complicité, d'une connivence sans faille, mené du violon par Hans Peter Hofmann. La Symphonie n° 4 de Tchaïkovski  (1877), premier volet de la trilogie du Destin du compositeur russe, refermait ce magnifique concert. Là encore une lecture très extravertie avec un début très théâtral (fanfare de cuivres), une lecture très tendue, acérée, assez âpre, avec une pulsion rythmique (contrebasses, cuivres et percussions) très marquée, presque caricaturale dans le premier mouvement et le finale (la nécessaire coordination de l'orchestre, la mise en place précise malgré l'absence de chef exigeant peut-être cela ). Une scansion caractéristique qui sait, toutefois, maintenir la continuité de la ligne, une lecture assurément d'une grande cohérence souvent marquée par un sentiment d'urgence assez fort. Une vision originale, plus dramatique que romantique, que certains auraient peut-être préférée plus intériorisée, plus tendre dans l'approche, plus sensuelle dans le phrasé…Tout cela n'étant, finalement, qu'une question de goût… Quoiqu'il en soit, et de façon non contestable, il faut reconnaitre à cet ensemble un véritable talent, un bel enthousiasme et une vraie originalité justifiant amplement son triomphe devant une salle conquise. Une belle aventure et un Destin qui s'annonce radieux.

 

Patrice Imbaud.

 

 

Bravo Maestro ! Daniele Gatti garde le meilleur pour la fin !

 


Daniele Gatti, Mathieu Gallet et le Président François Hollande / DR

 

Pour ses deux derniers concerts à la tête du « National » en tant que directeur musical, le maestro italien offrit au public parisien deux magnifiques concerts parmi les plus beaux de la saison…Un cycle marquant les adieux de Daniele Gatti, après huit années passées à la direction musicale de l'Orchestre National de France. Le temps des adieux, bien sûr, mais également le temps du bilan avec des temps forts, d'autres peut-être moins réussis, mais un travail assurément très positif que chacun s'accorde à reconnaître. Succédant à Kurt Mazur, Daniele Gatti prit les rênes du « National » en 2008. Ce seront plus de deux cents concerts donnés en France, plusieurs intégrales (Mahler, Beethoven, Schumann, Tchaïkovski), plusieurs cycles (Bartók, Brahms), de nombreux opéras en version de concert comme le Parsifal de Wagner dans la distribution vocale de Bayreuth, ou en version scénique (Falstaff de Verdi, Tristan und Isolde de Wagner pour n'en citer que quelques uns…), de nombreuses tournées en Europe ou en Amérique du Nord, nombre de créations dites « contemporaines ». Un riche bilan, à la fois dans les domaines lyriques et symphoniques, une attention constante à la musique et à elle seule, une complicité croissante avec les musiciens et le public, qui sont autant de marques d'un grand chef…comme en témoignèrent la présence et les félicitations prodiguées au chef italien par le Président François Hollande à l'issue du premier concert.

 

Un concert totalement dédié à Anton Bruckner avec la monumentale Symphonie n° 8, la dernière achevée (1887) par le musicien de Saint Florian. Une œuvre monumentale musicalement, très ambitieuse spirituellement, étape obligatoire du parcours musical de tous les grands chefs d'orchestre, sorte d'aboutissement symphonique, sommet de la symphonie romantique. Une œuvre difficile d'interprétation dont Daniele Gatti donna une lecture claire parfaitement respectueuse de l'architecture, dans des tempi assez lents, avec cette attention aux détails de la partition qui le caractérise (au risque parfois de se perdre et d'entacher la continuité du discours). Une belle lecture préférant la solennité à la ferveur, mais une vision d'une parfaite cohérence faisant valoir toutes les qualités instrumentales du National au mieux de sa forme,  en particulier le pupitre des cors et l'ensemble des cuivres.

 

Pour le deuxième concert, Daniele Gatti avait choisi un programme original associant Honegger et Prokofiev. La Symphonie n° 3 dite « liturgique » d'Arthur Honegger fut composée en 1945, au sortir de la guerre. Une œuvre s'appuyant sur les convictions philosophiques du compositeur : « J'ai figuré musicalement le combat que se livrent dans le cœur de l'homme, l'abandon aux forces aveugles et l'instinct du bonheur, l'amour de la paix, le sentiment du refuge divin ». La Symphonie liturgique est l'expression de cette quête contre toutes les formes de barbarie, une quête qui trouve sa voie dans la liturgie catholique  puisqu'empruntant ses trois mouvements à la messe de Requiem (Dies irae, De profundis clamavi, Dona nobis pacem). Tout un programme d'une étonnante modernité d'écriture, avec un premier mouvement très violent, chaotique, aux accents motoristes et obstinés, un second plus lyrique, sorte de prière élégiaque d'une époustouflante beauté teintée d'un pessimisme  angoissé et un mouvement final se développant sur une marche implacable dont on ne sait si elle nous conduit vers l'abîme ou la lumière. Une partition rarement donnée, conduite de façon magistrale à flux tendu et parfaitement mise en place, d'une orchestration  particulièrement riche et magnifiquement interprétée par le National, très complice et motivé, avec une mention particulière pour Michel Moraguès à la flûte traversière. Pour conclure en beauté ce superbe concert, la cantate Alexandre Nevsky de Prokofiev (1938). Une œuvre de propagande composée par Prokofiev, à son retour en Union Soviétique,  pour le film éponyme de Serguei Eisenstein, dans un contexte politiquement très marqué (Grandes purges staliniennes, lutte idéologique entre communisme et nazisme qui n'empêchera pas la signature du pacte germano soviétique en 1939…) Alexandre Nevsky, dans une analogie évidente, retrace la lutte des Russes contre les Chevaliers Teutoniques au XIIIe siècle. Une cantate en sept parties dressant le portrait du grand combattant, chant patriotique où les teutons sont caractérisés par des motifs rythmiques acérés s'opposant aux mélodies amples et lyriques de l'armée russe. Une cantate se terminant par la marche triomphale d'Alexandre Nevsky, après que s'élève sur le champ des morts la complainte de la jeune fille somptueusement interprétée, ce soir, par la mezzo Olga Borodina. Une occasion supplémentaire de saluer la direction et l'interprétation de Daniele Gatti, la sonorité, la précision rythmique, la subtilité du phrasé, l'articulation des plans sonores,  la douceur des transitions, le dynamisme et la qualité instrumentale du National, sans oublier la magnificence du chœur de Radio France, dirigé par Nicolas Fink. Deux concerts d'exception dont l'Auditorium gardera assurément le souvenir. Bravo et merci Maestro. Au plaisir de vous retrouver dès la rentrée au Concertgebouw d'Amsterdam ! Et bonne chance à Emmanuel Krivine qui vous succèdera.

 

Patrice Imbaud.

 

 

A Gala for St. George au Royal Albert Hall de Londres

 

 

Encore plus emblématique, plus caractéristique, m'est apparu ce concert entièrement conçu dans l'esprit revigorant de l'Englishness. Consacré à la célébration de St. George, héros vainqueur du funeste Dragon, il ouvrait la soirée magistralement avec un magnifique God save the Queen entonné par une salle aussi enthousiaste que convaincue, porté par l'inspiré chef britannique Anthony Inglis à la tête de la Royal Choral Society, créée en 1871, et le Royal Philharmonic Orchestra fondé en 1946 par Sir Thomas Beecham (1879-1961). J'ai immédiatement pensé que j'assistais à un événement bien plus marquant que la Last Night des Proms et cela n'est pas peu dire. Cet émouvant concert était, de plus, présenté avec talent et humour par le grand acteur Kevin Whately, très connu pour sa longue incarnation de l'Inspecteur Lewis, ancien collaborateur de l'Inspecteur Morse jadis interprété par le regretté John Thaw (1942-2002). La soliste invitée de la soirée était la mezzo-soprano Laura Wright, chaleureuse et imaginative. I Was Glad, anthem de Sir Charles Hubert Hastings Parry (1848-1918) inaugurait la soirée. Cette riche partition fut composée en 1902 pour le couronnement d'Edward VII (1841-1910). J'en profite, bien évidemment, pour redire l'importance de Parry non seulement en ce qui concerne la musique anglaise mais aussi la musique européenne chorale et symphonique dans son ensemble. Son langage unique mériterait davantage d'attention et de considération me semble-t-il. Suivait, The Bank of Green Willow brève pièce orchestrale, Idyll, de George Sainton Kaye Butterworth (1885-1916), tué au cours de la Grande Guerre, à Pozières dans la Somme. Voilà une musique d'une infinie délicatesse, d'une profondeur touchante imprégnée par le merveilleux folklore dont Butterworth était, aux côtés de son ami Ralph Vaughan Williams (1872-1958), un éminent collecteur et danseur. La musique de Haendel (1685-1759), considéré comme Anglais, suivait avec La Réjouissance extraite de sa Music for the Royal Fireworks composée en 1749 pour l'Angleterre de George II (1683-1760). L'ambiance traditionnelle était ensuite valorisée par le sensible et fort connu Greensleeves et la ballade Scarborough Fair célébrant cette belle ville côtière du North Yorkshire. Kevin Whately lisait, pour suivre, Margate 1940 du grand poète londonien John Betjeman (1906-1984). La fin de la première partie était encore consacrée à Handel (Zadok the Priest, 1727), à l'heureuse et mystérieuse Fantasia on a Theme by Thomas Tallis (1910/13/19) de Vaughan Williams et à Crown Imperial (1937) de l'énergique Sir William Turner Walton (1902-1983), marche destinée au couronnement de George VI (1895-1952). Quelle joie de se trouver parmi ces auditeurs concentrés et heureux, fiers de leur culture. Impossible alors de sombrer dans la dépression. Cela fait beaucoup de bien.

 

La deuxième partie reprenait largement les partitions du vénéré Haendel tout en introduisant une light music très appréciable pour un samedi soir. Ainsi, nous entendions de l'homme de radio Albert Eric Maschwitz (1901-1969) et du compositeur américain Manning Sherwin (1902-1974), le popular song, A Nightingale Sang in Berkeley Square (1939). Dans le même esprit, The White Cliffs of Dover (1941) de l'Américain Walter Kent (1911-1994), 633 Squadron Theme (1964) du compositeur et chef d'orchestre anglais Ron Goodwin (1925-2003) puis, de Eric Coates (1886-1957), Knightsbridge March from London Suite (1933). Ces musiques dites « légères » ne le sont guère au sens français du terme tant leur profondeur mélodique atteste d'un art que l'on ne trouve, en ce domaine, que dans le monde sonore anglo-saxon. Ici, jamais de vulgarité ni de mièvrerie. Entre-temps, nous avions entendu Kevin Whately lire, avec ardeur, la Scène I de l'Acte III de Henry V (1599) de William Shakespeare (1564-1616) dont l'Angleterre célèbre avec intensité l'anniversaire de la mort, nonobstant toutes les polémiques à propos de la paternité de son œuvre. Le Royal Philharmonic Orchestra avait joué, de l'étrange Frederick Theodore Albert Delius (1862-1934), le poème symphonique On hearing the First Cuckoo in Spring (1912) et le très prenant Nimrod des Enigma Variations (1898/99) de Sir Edward William Elgar (1857-1934). La fin du concert était consacrée à la remarquable trilogie nationale constituée par le Jerusalem (1916) de Parry, le Rule, Britannia ! (1740) de Thomas Augustine Arne (1710-1778) et d'Elgar, Pomp and Circumstance March No. 1 (1901). Seuls les esprits chagrins iront se moquer de tout cela. Laissons-les braire. Ce concert a le mérite de revivifier ce qui est « caractéristique », cet adjectif que Parry a exprimé à travers son riche enseignement au Royal College of Music de Londres, situé justement à quelques pas du Royal Albert Hall. Ne nous trompons pas, l'époque victorienne a surmonté, par là même, tout ce qui a pu parfois l'assombrir. Merci infiniment.

 

 

James Lyon.

 

 

A Midsummer Night's Dream : de la musique de Mendelssohn à Middle Temple Hall...

 


Middle Temple Hall de Londres / DR

 

Qu'il est rare d'entendre cet ensemble si harmonieux, la féerie shakespearienne portée par la merveilleuse musique de Mendelssohn. Ce fut le cas, à Londres, en cet endroit magique qu'est Middle Temple Hall. Ce lieu paisible, au demeurant très dickensien, situé dans le quartier de la Loi, est l'un des plus beaux exemples architecturaux élisabéthains. On peut admirer notamment le plafond en bois de chêne de Windsor Forest. L'acoustique y est donc excellente. Cette soirée était l'occasion de célébrer le 400e anniversaire de la mort de Shakespeare qui a probablement écrit sa comedy vers 1594/96. Elle a été conçue pour commémorer la Fête de St Jean du 24 juin. Mendelssohn a composé sa musique en deux temps. D'abord en 1826, à ses débuts, il concevait une Ouverture, opus 21 ; puis, en 1842, il réalisait ce que d'aucuns nomment une « musique de scène », opus 61, à l'occasion d'une production de la pièce donnée à Postdam l'année suivante. Or, il s'agit de bien plus que d'une « musique de scène ». Mendelssohn était un homme de haute culture et de grande imagination. Sa connaissance de la culture et de la civilisation anglaises lui a permis d'entrer dans ce monde extraordinaire et unique, ce « théâtre du monde » conçu par Shakespeare. L'œuvre du barde est complexe, cette « comédie », en particulier. Elle ne saurait être traitée à la légère. Elle est issue d'une longue tradition folklorique avec un riche symbolisme à travers lequel de nombreux « mondes » s'interpénètrent de même que le tragique et le comique. Mendelssohn a bien saisi cela. Les musiciens de notre soirée aussi. En l'occurrence, il s'agissait de jeunes interprètes : The Outcry Ensemble dirigé par James Henshaw, ancien étudiant de Clare College, Cambridge. Les chanteurs, excellents, étaient conduits par Aidan Oliver, Director of Music de St Margaret's Church Westminster, l'Église du Parlement. Les comédiens, également jeunes pour la plupart, ont fait preuve de talent dans cette salle où la scène était située au milieu devant l'orchestre. La mise en scène de Michael Vivian rendait justice à l'esprit d'une féerie qui, pourtant, ne doit absolument rien à Walt Disney. Le rôle de Puck est essentiel et c'est généralement là que le bât blesse. Le plus souvent, on en fait un charmant, espiègle lutin. Pourtant, c'est tout le contraire. Il est l'incarnation du mal en soi. L'acteur et marionnettiste Joe Sleight qui l'incarnait n'a malheureusement pas très bien saisi cette difficulté. Quoi qu'il en soit, cette production était remarquable et, alors, je ne me doutais pas que deux soirs plus tard, j'allais assister à une représentation détestable de cette pièce au Globe. Mais ce sera pour après …

 

James Lyon.

 

… à la pièce, au Globe Theatre

 


DR

 

Après avoir heureusement assisté à la représentation shakespearienne commentée ci-dessus, je me réjouissais d'en voir une autre tant cette pièce recèle de possibilités symboliques et narratives. Hélas, ma déception est certes à la hauteur de mon irritation. Un certain tourisme peu soucieux de profondeur semble inciter la nouvelle direction du Globe incarnée par Emma Rice à sacrifier à la vulgarité la plus déplaisante qui puisse être. J'avoue que je n'ai pas été capable d'assister à la totalité de la séance tant je me sentais indisposé par une telle approche dont l'explication du programme apparaissait pourtant comme très intéressante. En effet, Puck n'était plus le gentil petit lutin mais la véritable incarnation du mal. Il ne suffit pas de le comprendre intellectuellement encore faut-il mettre en accord pensée et actes. L'interprétation stupide et exaltée de la plupart des acteurs était en parfait accord avec la production. La musique indianisante de Stu Barker a lourdement souligné cette ambiance disco destructrice de la féerie au sens étymologique du terme, du mystère et de la véritable émotion, de celle qui, en somme, nous aide à vivre.

 

James Lyon.

 

 

Shakespeare Odes à Milton Court Concert Hall

 


L'ensemble Ex Cathedra ©Paul Arthur

 

L'anniversaire de la mort de William Shakespeare (1564-1616) suscite de nombreuses manifestations, concerts, expositions. Il réanime aussi le débat très ancien sur la paternité des œuvres. Quoi qu'il en soit, ce fut l'occasion d'assister à une soirée fort intéressante sinon émouvante. La première partie était consacrée à l'évocation du grand acteur et imprésario David Garrick (1717-1779) et sa collaboration avec le compositeur Thomas Augustine Arne (1710-1778) plus particulièrement connu pour son extraordinaire et enthousiasmant Rule Britannia (1740). En 1769, Garrick avait organisé à Stratford-upon-Avon un Jubilé au cours duquel de jeunes hommes avaient chanté dans une ambiance de véritable folklore. La Shakespeare Ode était née. Il s'agissait de la restaurer à l'occasion de ce 400e anniversaire. Ex Cathedra & Academy of Vocal Music, The City Musick de William Lyons, dirigés par le pontifiant Jeffrey Skidmore ont œuvré en ce sens. Mais pourquoi faut-il le faire avec cette pédanterie qui caractérise le manque de naturel des musiciens soucieux de « musique ancienne » ? Cela semblait d'ailleurs quelque peu gêner le grand acteur Samuel West qui incarnait David Garrick pour The Garrick Ode mise en musique par Arne. La seconde partie faisait entendre une partition actuelle de la Londonienne Sally Beamish accompagnée du texte de la Poet Laureate, Carol Ann Duffy. Cette création faisait participer les enfants avec une spontanéité rafraîchissante. L'exercice pédagogique est excellent. Au fond, c'est une façon très positive de célébrer un tel anniversaire. Si les musiciens « anciens » l'étaient moins, ce serait presque parfait !

 

James Lyon.

 

 

Sir Malcolm at his club. English music for strings by Malcolm Arnold and fellow Savile Club members

 


Sir Malcolm Henry Arnold

©George Newson / Lebrecht Music & Arts

 

J'ai commencé mon séjour londonien avec le concert dédié à St. George, je l'ai terminé avec une soirée de musique anglaise dans cette église de St James, Piccadilly, là même où le poète, peintre et graveur William Blake a été baptisé le 11 décembre 1757. Le thème principal était centré autour de l'éminente figure du trompettiste et compositeur Sir Malcolm Henry Arnold (1921-2006) et ses amis du fameux Savile Club, traditionnel gentlemen's club fondé en 1868. Le Chamber Ensemble of London conduit par Peter Fisher nous ont fait entendre les musiques de Ralph Vaughan Williams (1872-1958), Frederick Theodore Albert Delius (1862-1934), Sir Edward William Elgar (1857-1934), William Alwyn (1905-1985), Sir Charles Villiers Stanford (1852-1924), Sir William Turner Walton (1902-1983), Sir Charles Hubert Hastings Parry (1848-1918) et bien sûr, Arnold lui-même. Sa musique revêt une indéniable énergie, notamment son Concerto pour deux violons, interprété par Peter Fisher et Maya Iwabuchi. Le premier appartient à la grande école traditionnelle européenne. Fisher a étudié, entre autres, avec les grands Maîtres du violon, le Hongrois Carl Flesch (1873-1944), Ricardo Odnoposoff (1914-2004), austro-américain d'origine argentine, et l'Italien Franco Gulli (1926-2001). Il joue avec le plus grand sérieux. Hélas, la seconde, virtuose, ne se soucie guère du sens. Seule la technique et la vitesse l'intéressent. Oh, dear, dear Le programme, merveilleux, offrait des exemples rarement entendus au concert telle cette si originale, touchante et roborative Lady Radnor's Suite de Parry créée le 29 juin 1894. La March issue du Becket, opus 48 (1893), de Stanford est pour ainsi dire inédite. Stanford est injustement négligé au profit de Elgar. Il serait indispensable de rééquilibrer entre ces deux figures qui même si elles ne s'appréciaient guère personnellement ne devraient pas en subir les conséquences de nos jours. La Death of Falstaff extraite des Two Pieces from Henry V (1963) de Walton est si émouvante. Je n'ai pas retrouvé, dans l'interprétation de Fisher et son orchestre, la même intensité que lors d'une visite les jours précédents d'une exposition Shakespeare à Somerset House où l'on pouvait y entendre un enregistrement tout en admirant une carte de Londres du XVIIe siècle. William Alwyn est certainement le moins connu de tous les autres compositeurs de cette réconfortante soirée. Sa prédilection pour la dissonance ne s'est guère manifestée dans sa Love Scene, musique de film pour The Fallen Idol (1948) de Carol Reed (1906-1976). Elle témoigne d'une diversité sonore et mélodique dont nos esprits et nos oreilles ont pu heureusement bénéficier en cette dernière soirée musicale passée à Londres.

 

James Lyon.

 

 

Une chevauchée fantastique

 


DR

 

D'abord le piano, on nous annonce que Boris Gilltburg jouera sur un tout nouveau piano de concert Stephen Paulello de 102 touches, 3 mètres de long et cordes parallèles. Boris Giltburg a constitué son programme "avec soin" de façon thématique autour de la mort et autour de compositeurs russes. La Chaconne de Bach fut écrite pour violon. Busoni l'a copieusement revisitée et transcrite pour le piano à la fin du XIX ème siècle. Boris Giltburg commence lento conformément à la partition de Bach puis, comme l'a voulu Busoni, celui-ci nous inonde d'un flot de notes qui permettent à l'interprète d'affirmer d'emblée une virtuosité époustouflante. Avoir un pied dans Bach et l'autre dans Busoni peut faire un peu boiter et l'œuvre ne parvient pas toujours à départager la rigueur de l'un et le post-romantisme de l'autre. Et le jeu du pianiste ne nous donne pas la solution qui s'envole dans ce déluge avec brio au point de nous faire oublier parfois l'émotion. La technique est parfaite et ne demandons pas à Busoni de nous toucher. Après tout une chaconne était à l'origine une danse espagnole jouée avec des castagnettes !  La Ballade n°2 en fa majeur de Chopin fait le pont entre Bach-Busoni et Chostakovitch en ce qu'elle alterne parfaitement la mélancolie et le drame. Elle fut terminée à Majorque, dans une période difficile pour le compositeur, partagé entre la phtisie et George Sand ! Le morceau commence sur le ton de la confidence, à mi voix, comme s'il était improvisé, il se complaît dans ce rythme qui nous berce et si Boris Giltburg nous montre qu'il sait aussi jouer piano, c'est pour mieux nous précipiter dans la vague d'octaves et de doubles croches qui va suivre. Les modulations s'enchaînent, le drame se noue et des gammes fulgurantes balayent le clavier. L'orage culmine, Boris Ciltburg le maîtrise à la perfection, sa technique se joue des difficultés de ce presto con fuoco impétueux, son toucher net est juste et diablement précis jusqu'à ce que revienne le thème de l'exposition qu'il reprend pianissimo et que l'œuvre s'achève dans un souffle après un ouragan d'agitations et de bourrasques.

 

Boris Giltburg enchaîne par le quatuor n°8 de Chostakovitch qu'il a arrangé lui-même pour le piano. Comme Bach l'a fait avant lui, Chostakovitch fait tourner toute la pièce autour de ses propres initiales (ré, mib, do si), une pièce qu'il écrivit en quatre jours et qu'il s'était dédiée à lui même, de peur que personne ne compose d'œuvre à sa mémoire. Comme chez Chopin, le quatuor débute par une espèce de lamentation face à la mort puis il se met soudain à la repousser brutalement et la lutte entre la violence et la dépression s'annonce rude.  Arranger pour piano ce quatuor c'est un peu "charrier un chargement de poids lourd dans une camionnette" ; aussi dès que l'œuvre éclate et verse dans le drame, la violence et plus, l'agressivité, elle, commence à déborder de notes et le pianiste  se lance dans des ruptures abruptes entre l'intime et le clinquant qui soulignent à l'aide de nombreuses citations de ses propres œuvres, la douleur de la maladie (Chostakovitch était atteint de la poliomyélite) et la peur du pouvoir stalinien. Si le jeu est clair, sans failles, il est parfois difficile à suivre tellement les salves d'accords, d'arpèges et d'octaves se superposent au point que le spectateur peut se perdre facilement dans les intentions de l'interprète, malgré cette succession obsédante de deux notes, deux brèves une longue qui rythment le morceau tout entier. Puis la fugue du début revient et s'étend comme une ombre qui recouvre la fin du morceau. Le pianiste semble tellement concentré, absorbé qu'il se penche parfois vers le clavier comme s'il voulait embrasser le piano pour lui murmurer sa passion mais aussi pour en boire toute sa substance et ces moments là sont les plus forts.

 

Avec les Études-Tableaux de Rachmaninov, les choses sont claires, il les a composées comme des exercices pour travailler la technique pianistique. Boris Giltburg a donc le champ libre pour explorer les richesses évocatrices que Rachmaninov nous livre sans titre, laissant à l'interprète et à l'auditeur le choix de se raconter ses propres histoires, avec des torrents de notes fluides comme des cascades qui répondent à des chevauchées traversant des tableaux au couleurs brillantes. Boris Giltburg ne se prive pas de nous transporter avec une belle aisance de la grâce à la tempête. La Sonate n°8 de Prokoviev était considérée par Sviatoslav Richter comme la plus grande contribution du compositeur à la sonate. Composée entre 1939 et 1944, elle appartient au cycle des sonates de guerre et reçut même le prix Staline !  Cette musique, par la complexité de son écriture, nécessite une concentration intense de la part du pianiste (mais aussi de l'auditeur qui peut s'en évader si l'interprète n'est pas sous la pression de la musique ), mais heureusement Boris Giltburg nous tient en haleine par la variété de son jeu qui alterne superbement le lié et le piqué, qui fait se succéder le rêve d'Eugène Onéguine, musique de scène d'après Pouchkine et le vivace du troisième mouvement, course folle en arpèges et en accords, qui sonne comme une métaphore de la guerre de son début jusqu'à la victoire. Et après un bis de Scriabine empreint de charme et de légèreté, Boris Giltburg sort victorieux de ce combat, même si le choix de son programme fut un peu trop orienté vers une vélocité trop véhémente.

 

Jean François Robin.

 

 

Fin de partie à l'auditorium du Musée d'Orsay

 


Jonathan McGovern / DR

 

C'est avec un feu d'artifice vocal que s'est terminée la saison de l'Auditorium du Musée d'Orsay. Dans le cadre du concept musical « Musiciens d'Apollinaire », en relation avec la superbe exposition « Apollinaire, le regard du poète » à l'Orangerie, le jeune baryton Jonathan McGovern, accompagné par James Baillieu, a interprété avec élégance, force de conviction, humour et diction parfaite un florilège de mélodies françaises : « Chanson d'Orkenise, FP 107, n°1, Hôtel, FP 107, n°2, Voyage à Paris, FP 107, n°4, Le bestiaire, FP 15a, Le travail du peintre » de Francis Poulenc, puis « Six poèmes d'Apollinaire, H 12 » mis en musique par Arthur Honegger, et de nouveau « Le Bestiaire » mais mis en musique par Louis Durey et enfin « Trois poèmes » de Max Jacob, composition musicale de Georges Auric. Peu interprétées, ces œuvres, souvent courtes, même minimalistes, avaient trouvé là un digne interprète.

 

Quelques jours plus tard, la soprano Sarah-Jane Brandon et la mezzo Rosie Aldridge, accompagnées par Christopher Gglynn, ont dans le cadre de l'expo « Désirs de l'Orient », entamé leur concert par le Duo des fleurs » de Lakmé, composé par Léo Delibes. Puis Rosie Aldridge a subjugué l'auditoire par son interprétation de « Shéhérazade » de Maurice Ravel. Chacune leur tour ou ensemble elles ont ensuite donné  « Quatre poèmes hindous » assez kitch de Maurice Delage, « Gesänge des Orients, op. 77 » de Richard Strauss, « Auf flügeln des gesanges » composé par Felix Mendelssohn, et « Phänomen » de Johannes Brahms, sans grand intérêt musical. Comme elles avaient commencé par un duo des fleurs c'est celui de « Madame Butterfly » de Giacomo Puccini qui termina le récital. Le public ne voulant pas les lâcher, elles donnèrent un bis étonnant, détonnant !  Pas éprouvé vocalement par les pièces précédentes, c'est avec le superbe duo « Mira O Norma ! » composé par Bellini pour son opéra Norma qu'elles électrisèrent l'Auditorium du Musée ! Espérons que l'année prochaine Luc Bouniol-Laffont et Sandra Bernhard offriront une aussi belle saison que celle-ci.

 

Stéphane Loison.

 

 

Un concert transversal de l'orchestre Pasdeloup

 


Esteban Benzecry / DR

 

Il faut vraiment souligner l'intérêt de la démarche pédagogique que l'orchestre Pasdeloup adopte depuis 2010. Trouvant en la Philharmonie de Paris un écrin de choix, il nous a proposé un concert d'un grand mérite. Le programme « arc en ciel » concocté sous l'autorité bienveillante de Patrice Fontanarosa, son conseiller artistique, était captivant, puisqu'il proposait une transversalité entre musique populaire et musique savante : à l'hispanisme de la seconde suite du Tricorne de de Falla répondait une fantaisie de Sarasate sur Carmen ; et les airs bohémiens du même Sarasate répliquaient aux accents de l'Europe de l'est de La seconde Rhapsodie de Bartók. Nul besoin de trouver un « symétrique » à La Valse de Ravel : autant évocation que caricature, ce chef-d'œuvre comporte à lui seul toutes les nuances d'un tableau cubiste face à son modèle. Comme à chaque concert de l'ensemble, cette saison, une pièce de Esteban Benzecry (*1970) Estrellas de la Patagonia (Étoiles de la Patagonie) tirée des Colores de la Cruz del Sur (Couleurs de la croix du sud) fut donnée, dont le titre rappelle - comme souvent – l'attirance du musicien pour l'art pictural, qu'il cultiva en premier. Enfin, puisque le concert s'inscrivait dans le cadre des journées consacrées aux amateurs de la Philharmonie, l'après-midi s'achevait par ce projet mené par Gilles Apap, de folk songs avec la collaboration de 220 violonistes amateurs.  Une participation très remarquable, par la qualité de l'engagement des jeunes et moins jeunes, leur ap- et im-plication. A une époque où l'élitisme est conspué, où le nivellement par le bas est de rigueur, assister à une manifestation aussi enthousiaste et très proprement préparée réchauffe le cœur ! Et qu'importe si Gilles Apap, sous prétexte de sa grande connaissance des échelles et modes « exotiques », a du mal à jouer des quintes justes (pourtant base de toutes les pratiques, y compris extra-européennes) !  On lui pardonne, grâce à la qualité de son registre aigu et à l'émulation qu'il a su créer chez ces amateurs. La sympathie de cette « matinée » était indissociable de l'énergie communicative du chef d'orchestre, Wolfgang Doerner, dont la « chorégraphie » ne nuit jamais à la précision ; bien au contraire. Inutile enfin, un an et demi après son inauguration, de relever la qualité acoustique et esthétique exceptionnelle de cette salle de la Philharmonie de Paris!

 

Philippe Morant.

 

 

Un expatrié reçoit les honneurs soviétiques au Théâtre des Champs-Elysées

 


Denis Matsuev ©Andrey Mustafaev

 

Introduite par un message « personnel » de Vladimir Poutine - dont, je l'avoue, j'aurais pu me passer- la « journée de la Russie dans le monde » fut prétexte à ce magnifique concert de l'Orchestre philharmonique de l'Oural, sous la direction de Dmitri Liss, avec la participation du très grand Denis Matsuev. Le Concerto n°3 de Rachmaninov y fut donné avec le brio qu'on attendait d'un premier prix Tchaïkovski… Puissance, perfection technique, sensibilité : tout y était dans cette œuvre qu'on ne peut entendre sans songer au film de Scott Hicks, qui a déjà vingt ans ! Le public attendait-il avec autant d'impatience que moi la série de bis qui suivit ? Le très schumannien Carillon de Liadov, la fameuse étude en ré# mineur de Scriabine, et surtout cette fantaisie jazzistique sur Caravan où se mêlaient les ombres d'Art Tatum et de Petrucciani ! Maladresse de programmation, après une telle prestation, la deuxième symphonie de Rachmaninov me parut d'une longueur sidérale. Ce qui n'enlève rien à la qualité et la précision de ce jeune orchestre de quatre-vingt ans.

 

Philippe Morant.

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L'ÉDITION MUSICALE

Haut

Auto-édition : Nous rendrons compte désormais des œuvres de Serge Ollive, compositeur et organiste qui, sur son site, outre le téléchargement et l'écoute de ses propres œuvres publiées en auto-édition uniquement numérique sous le label Waldhorn Editions offre également un service de gravure musicale pour compositeurs. Le tout se trouve sur le site http://www.sergeollive.com/

 

 

CHANT CHORAL & FORMATION MUSICALE

 

Laurent COULOMB : Le rat de ville et le rat des champs. Micro-cantate sur la fable de Jean de La Fontaine pour chœur d'enfants à 2 voix et piano. Facile. Delatour : DLT2610.

Cette « micro-cantate » ne dure effectivement que quatre minutes. Mais pendant ce court laps de temps se déroulent toute une série de mini-scènes qui rendent l'ensemble extrêmement pittoresque et varié. L'auteur parle d'une « écriture largement tonale et fondée sur des carrures claires pour faciliter l'apprentissage » : c'est tout à fait le cas. Si le chœur d'enfant est facile, il faudra bien sûr un pianiste aguerri et plein d'humour pour soutenir et commenter l'action… Ajoutons que le texte de La Fontaine est scrupuleusement respecté.

 

 

 

CHANT

 

Jean-Pierre LEGAY : Cendres d'ailes pour voix de ténor et piano. 4 mélodies sur des poèmes de Lointain Intérieur de Henri Michaux. Lemoine : HL 29135.

Si on peut saluer au passage le merveilleux organiste, il faut ici se souvenir que cet élève d'Olivier Messiaen est un compositeur chevronné au langage bien personnel. Ces mélodies, La Jeune Fille de Budapest, pensées, Comme pierre dans le puits et Dans la nuit sont donc écrites sur des poèmes publiés en 1938. Comme le dit l'auteur : « Chant et piano, ou piano et chant ? Deux voix d'un même regard. » On retiendra aussi cette indication : « Chantez en voix de fausset quand cela permet un timbre plus velouté, et aussi de mieux observer la hiérarchie des nuances dynamiques. » On comprend que texte et musique sont très intimement liés. Tout est couleurs, ambiance, résonnances. L'utilisation continue et sur de longues plages de la pédale au piano est au service de cette atmosphère. On lira avec profit la notice de l'auteur sur le site de l'éditeur.

 

 

 

ORGUE

 

Serge OLLIVE : Prélude pour orgue. Facile. Waldhorn Editions (auto-label) :

réf. : WH-459501.

On lira en tête d'article ce que recouvre ce label. Ce premier opus de l'auteur est fort agréable, limpide et dans un langage simple. Il peut être joué « manualiter » même si quelques indications de pédale en facilitent l'exécution. On peut l'écouter sur le site de Serge Ollive.

 

 

 

Serge OLLIVE : Ciels Op. 169. Trois esquisses modales pour orgue. Difficile.  Waldhorn Editions : WH-4516169. (Pour ces éditions, voir en tête de l'article).

« Ciels » est un triptyque d'évocation, écrit pour un grand orgue symphonique à trois claviers. Il décrit trois ciels aux couleurs contrastées : « Ciel marin », « Ciel d'été » et « Ciel éclatant ».

On pourra lire en tête de la partition téléchargeable gratuitement une description très complète de l'œuvre. Disons seulement qu'elle a la particularité d'être écrite entièrement ou presque (les dernières mesures) sur le mode « Berta » (le mode 2 de Messiaen). L'auteur a donc joué sur les timbres, les rythmes pour évoquer les différentes atmosphères.

 

 

PIANO

 

Pascal SAINT-LEGER : Pékin pour piano. Préparatoire. Lafitan : P.L.3044.

Cette pièce modale s'efforce avec bonheur de créer une ambiance chinoise, encore que les trois dernières mesures soient, volontairement, bien classiques ! Tout cela est fort agréable, permet un bon travail alterné des deux mains et peut être l'occasion de découvrir des sonorités sagement exotiques.

 

 

 

Alexandre FLENGHI : les contes de la Citrouille pour piano. Assez facile. Delatour : DLT2673.

Ces contes nous promènent dans un univers onirique et macabre, mais plein d'humour. Ils ne seront donc certainement pas à mettre entre toutes les mains, ne serait-ce que pour éviter les réactions de certains parents ! Ceci dit, ces petites pièces sont pleines de finesse et, même si elles ne sont pas techniquement difficiles, il faudra que l'interprète sache y mettre tout le sel nécessaire. Du « vieux cimetière » au « loup-garou » en passant par « le fantôme de la mariée » et « le squelette qui avait perdu son bras droit », dérobé par un dogue facétieux, et d'autres, on suivra un parcours plein d'agréables surprises. On peut écouter le résultat sur le site de l'éditeur, interprété à la perfection par l'auteur.

 

 

Bernard COL : Dix grimaces. Pièces faciles pour piano. Moyen. Delatour : DLT2580.

Ces dix petites pièces sont un hommage à Prokofiev : le titre du recueil constitue une référence aux Sarcasmes op. 17 et la dixième, intitulée (révérence) pastiche Pierre et le loup. Pièces pédagogiques, elles sont aussi pleines d'un humour grinçant, de ridicule volontaire, de moquerie. Ecrites pour un niveau de deuxième cycle, elles conviendront, nous dit l'auteur, aux adolescents en crise… Acceptons-en l'augure !

 

 

 

José SCHMELTZ : Le piano imaginaire. Vol. 1. Débutant. Delatour : DLT2590.

Ce premier volume contient des pièces faciles aux titres propres à exciter l'imagination, puisque le contenu dépend vraiment du titre. Même si elles sont concises, ces dix-sept pièces sont pleines d'intérêt et visent en même temps à des découvertes techniques progressives.

Vol. 2 : DLT2591. l est écrit pour des élèves en fin de premier cycle ou en début de second cycle. Si, comme dans le premier volume, les treize pièces portent toutes un nom évocateur, elles visent cette fois-ci à faire porter l'attention sur des éléments significatifs détaillés au début du volume. De plus, elles laissent place à une improvisation maîtrisée par l'utilisation de grilles harmoniques.

Vol. 3 : DLT2592. Neuf pièces seulement, cette fois, mais écrites pour la fin du second cycle ou après… Les titres sont toujours aussi évocateurs, mais le contenu est évidemment plus ambitieux. Les découvertes mélodiques, harmoniques, stylistiques se poursuivent, ainsi que l'invitation à l'improvisation, voire à la composition. Le sommaire, qui se trouve ici en fin de volume précise le but recherché et les difficultés à découvrir. Ajoutons que l'ensemble des trois volumes contient d'abord de la très bonne et très agréable musique et que les styles abordés vont du baroque à la bossa-nova…

 

 

 

GUITARE

 

Jean-Max FRÉZIGNAC : Blues Ballade. Pièce pour guitare. Préparatoire. Lafitan : P.L.3080.

L'auteur nous indique : « comme une promenade ». Et c'est bien là la caractéristique de cette pièce fort agréable, un peu nonchalante qui nous promène effectivement dans une atmosphère de blues bien sage. Nul doute que le jeune interprète y trouvera beaucoup de plaisir.

 

 

 

Florent PASSAMONTI : 8 Petits blues pour guitare. Premier cycle. Lemoine : 29250 H.L.

Ces pièces constituent une initiation au blues sous ses différentes formes tout en restant évidemment fidèle aux harmonies du style. Il est effectivement intéressant que des élèves du premier cycle puissent ainsi habituer leur oreille à des harmonies et des sonorités aussi caractéristiques avec des pièces d'une grande facilité.

 

 

 

Claude WORMS : Cantaoras. Suite pour 2 guitares flamencas. 4 vol. Combre : CO-6800, 6801, 6802, 6803.

L'auteur, concertiste et professeur de guitare flamenca nous offre un hommage à quatre « cantaoras », quatre chanteuses de Flamenco. L'avant-propos souligne le caractère original de son projet, qui est d'écrire pour deux guitares ce qui est le plus souvent fait pour une seule. La première pièce, en hommage à Laura Vital, est intitulée Rosa sanluqueña (Alegrías), la deuxième, en hommage à Carmen Linares, se nomme Chacón-BrevaMalagueña, la troisième, en hommage à Encarnación Marín « La Sallago » a pour titre Moto perpetuoBulerías et la dernière, en hommage à Ana María Blanco Soto « Tía Anica la Pïriñaca », s'intitule « Piriñaqueando » Sigiiriya. L'ensemble de la Suite est dédié à Marcelo de la Puebla.

Outre l'avant-propos, chaque volume contient des indications très précises pour l'interprétation de ces pièces. L'ensemble est donc aussi varié qu'intéressant, mais demande évidemment une technique accomplie.

 

 

 

 

VIOLON

 

Yves BOUILLOT : Deux portraits. Pièce en deux mouvements pour violon et piano. Fin de 1er cycle. Lafitan : P.L.2976.

Ces deux portraits, l'un romantique et l'autre rustique s'appuient sur des thèmes connus. Le premier emprunte sa structure mélodique au célèbre nocturne en mi bémol de Chopin, le deuxième à à un chant populaire. L'ensemble est fort plaisant et laisse au piano une place intéressante qui fait de ces portraits de vraies œuvres de musique de chambre.

 

 

 

Youli GALPERINE : Capriccio Opus 37 n° 2 pour violon solo. Difficile. Delatour : DLT2630.

Ce capriccio mérite bien son nom : changements de caractère, changements de rythme, de mesure, il offre une variété très grande et très séduisante mais demande une technique éprouvée. A la fois lyrique et rythmé, il nous emporte dans un tourbillon plein de surprises.

 

 

FLÛTE

 

Gjovalin NONAJ : Musique des Balkans pour flûte. Lemoine : HL 29248.

Outre les pièces pour flûte seule, le recueil contient également une Rhapsodie instrumentale balkanique pour deux flûtes. Issu d'une famille de chanteurs et musiciens traditionnels, l'auteur, albanais, nous propose une série de compositions originales qui, par leur richesse mélodique et rythmique ainsi que par leur caractère souvent nostalgique, nous restituent l'ambiance de cette musique des Balkans. Les mesures, parfois à 7/8 ou 7/16, nous introduisent dans un monde rythmique dépaysant mais plein de charme.

 

 

 

Colombe ARNULF-KEMPCKE : Rhapsodie balkanique n° 1 pour flûte et piano. Elémentaire. Lafitan : P.L.3072.

Il n'est pas sûr que les origines bourguignonnes de cette jeune compositrice et interprète la prédestinait à écrire une Rhapsodie balkanique, et pourtant, il faut bien reconnaître que cette œuvre est particulièrement réussie. Peut-être l'auteur est-elle en osmose avec cette musique des Balkans comme Ravel l'était avec la musique espagnole… Toujours est-il que cette Rhapsodie balkanique n°1, pour flûte et orchestre à cordes, éditée ici dans sa version flûte et piano est tout à fait imprégnée de l'ambiance des danses de ce pays et nous y transporte immédiatement. Cette œuvre devrait faire le bonheur des jeunes – et moins jeunes – flûtistes et de leurs auditeurs.

 

 

 

CLARINETTE

 

Gjovalin NONAJ : Musique des Balkans pour clarinette. Lemoine : HL 29247.

Attention, ces pièces sont bien des pièces originales et non les transcriptions des pièces pour flûte recensées plus haut. Figure également dans ce recueil une Rhapsodie tzigane pour deux clarinettes. Les œuvres de ce compositeur albanais, issu d'une famille de chanteurs et de musiciens traditionnels, dépaysent en même temps qu'elles charment. Ce sont autant de petits portraits riches et colorés tout à fait typiques aux rythmes surprenants. Bref c'est un régal, mais ce n'est pas pour des débutants.

 

 

 

Marie-Luce SCHMITT : Allegro de Píccolo Mozart pour clarinette et piano. (Extrait de la sonate Píccolo Mozart, de Marie-Luce Schmitt P.L.1583. Supérieur. Lafitan : P.L.3090.

Nous avons rendu compte dans la lettre 14 de septembre 2007 de cette sonate dans le style de Mozart. Cet « allegro » constitue une pièce qui se suffit. Elle permettra à l'élève de se familiariser avec le style de Mozart en interprétant une œuvre originale pleine de verve et de vigueur, mettant en jeu toutes les possibilités de l'instrument. Ce pourra être l'occasion, pour le professeur, de faire découvrir les différentes œuvres où Mozart utilise la clarinette, et notamment son concerto…

 

 

 

SAXOPHONE

 

Charles Jean-Baptiste SOUALLE dit Ali Ben Sou Alle : 3 Paraphrases d'opéra réunies par Fabien Chouraki. Saxophone alto & piano. Deuxième cycle. Lemoine : HL 29234.

Précisons tout de suite que la mention « deuxième cycle » ne fait pas de ces pièces des pièces « d'étude » : elles peuvent figurer comme de très agréables « bis » au répertoire des concertistes, d'autant plus que la partie de piano, remarquablement écrite, n'est pas précisément pour débutant…

La première de ces paraphrases est une Fantaisie sur le Barbier de Séville de Rossini, la deuxième une Fantaisie sur Don Juan de Mozart et la troisième une fantaisie sur le Trouvère de Verdi.

L'édition de Fabien Chouraki est très soignée. On appréciera en particulier qu'il ait indiqué avec précision quels passages des œuvres étaient « paraphrasés » par l'auteur, ce qui permettra aux interprètes d'aller écouter les originaux. Enfin, Fabien Chouraki a écrit une passionnante préface sur ce mystérieux saxophoniste du XIX° siècle né à Arras en 1824, et dont on perd la trace après 1875, saxophoniste virtuose, compositeur… C'est dans les années 1850 qu'il abandonne la clarinette pour se consacrer au saxophone dont il s'empresse d'améliorer la facture par des perfectionnements universellement adoptés aujourd'hui… Ces trésors dormaient à la BNF… Merci à Fabien Chouraki de nous les avoir ainsi restitués.

 

 

 

BASSON

 

Bernard COL : A l'ombre du Vésuve. 5 pièces pour basson et piano. Delatour : DLT2581.

Les cinq pièces qui composent ce recueil nous reportent quelques jours avant l'engloutissement d'Herculanum et Pompéi. La première, Memento mori (Souviens-toi que tu es mortel) nous met immédiatement en situation. De niveau fin de premier cycle pour le basson, elle installe une ambiance oppressante avec ensuite un ostinato du piano pour un retour à l'ambiance du début. La deuxième pièce, Via dell' abondanza (deuxième cycle) est une promenade dans le Pompéi insouciant, la troisième Cave canem (attention au chien) rappelle certaines mosaïques trouvées dans la ville et possède une atmosphère de plaisanterie. La quatrième, Villa dei mysteri (fin deuxième cycle) évoque la troublante et sulfureuse Villa des Mystères. La pièce se termine par l'éruption du Vésuve qui interrompt brusquement le cours des plaisirs. La dernière pièce, Après l'éruption est une déploration sur la ville ensevelie dans son linceul de cendres. Précisons que la partie de piano est à la fois très importante et très difficile.

 

 

 

TROMBONE

 

André TELMAN : Alerte dans la citadelle pour trombone et piano. Fin de 1er cycle. Lafitan : P.L.2990.

On pourra facilement imaginer plein d'évènements autour de cette « alerte ». Si le début commence comme des appels de trompette, le milieu, rapide et mouvementé, fait penser à une attaque ou tout autre évènement inattendu. Une cadence non moins mouvementée conduit à un retour au calme : l'alerte est terminée ! Le langage employé, sans être déroutant, est suffisamment dépaysant pour créer une atmosphère exotique. Piano et trombone dialoguent tant dans le lyrisme que dans l'héroïsme. L'ensemble est fort plaisant.

 

 

 

Dominique DELAHOCHE – Thomas ROCTON : Le trombone dans l'imaginaire du compositeur. Choisir et écrire des sons pour les trombones. Lemoine : HL29116.

C'est une véritable somme à l'usage des compositeurs et des instrumentistes que nous offrent ici les deux auteurs, tous deux trombonistes reconnus. Partant de la facture de l'instrument, ils nous présentent la conception et les éléments du résonateur-trombone, les différents trombones et la manière de composer un pupitre de trombones, l'ensemble des paramètres du jeu de l'instrument, et bien d'autres choses solidement argumentées et expliquées avec force détails, schémas, exemples… Bref, cet ouvrage tout à fait original permettra de mettre en valeur et de tirer le meilleur parti de ce remarquable instrument dont on est loin de soupçonner toutes les ressources.

 

 

 

PERCUSSIONS

 

Denis DIONNE : La méthode Pygmalion volume 2. Dhalmann : ISMN 979-0-56024-466-2

Nous avons rendu compte dans notre lettre 68 de mars 2013 du premier volume de cette méthode. Rappelons qu'il s'agit d'une « Méthode de percussion pour progresser à la caisse claire, aux multi-percussion, à la batterie. ». Le deuxième volume suit la même démarche que le premier : il s'agit d'autonomiser le plus possible le jeune batteur. Une série d'études sont proposées, qui sont à jouer sur la caisse claire seule. Puis l'élève la recompose pour deux ou trois instruments tout en gardant la structure rythmique. Enfin on enrichit peu à peu l'étude avec des nuances, des jeux de timbres… On acquiert ainsi une véritable autonomie.

 

 

 

MUSIQUE DE CHAMBRE

 

Alain QUERLEUX : Stances pour quatuor à cordes. Elémentaire : P.L.2964.

Ces Stances commencent par un « Largo assai, sostenuto con anima » qui permet aux interprètes d'exprimer toute leur sensibilité. Mais chacun sait que, surtout pour les cordes, ce n'est pas un exercice facile… Suit alors un « andantino malinconico » puis toute une série de strophes diverses. Le tout se termine par un « largo sostenuto, maestoso e cantabile » en sol mineur avec, pour finir, la traditionnelle tierce « picarde ». C'est varié, cela sonne très bien, chaque instrumentiste a sa part du discours. C'est donc de la bonne et vraie musique de chambre.

 

 

 

Carsten KLOMP : Organ plus one. Œuvres originales et arrangements pour le service d'église et le concert. Prière et remerciement – Baptême et mariage. Bärenreiter : BA 8505.

Nous avons recensé dans notre lettre 50 de juin 2011 un recueil semblable consacré aux temps de la Passion et de Pâques. Comme dans le volume précédent, les thèmes sont ceux des chorals traditionnels.  Les pièces, qui peuvent leur servir de prélude, ont été transposées dans le ton de l'Evangelisches Gesangbuch.  Comme le titre l'indique, les arrangements ou compositions sont écrits pour orgue & un instrument mélodique, plutôt à vent.  Le volume contient la partie de l'instrument qui s'ajoute à l'orgue dans les tonalités d'ut, sib, mib et fa, pour pouvoir s'adapter à tous les instruments. Toutes ces pièces ne présentent pas de grandes difficultés. Bien sûr, l'ensemble trouvera facilement sa place au concert aussi bien que dans le culte, protestant ou catholique…

 

 

 

Antonín DVOŘÁK : Piano Trio in B-flat major. Op. 21. Bärenreiter : BA 9578.

Voici donc une nouvelle édition de ce trio composé en 1875. Celle-ci a été soigneusement revue par Antonín Cubr. Une préface très intéressante a été rédigée par David R. Beveridge, qui, grâce à de nouvelles recherches, y décrit en détail la genèse de l'œuvre et la manière dont elle a été reçue.

 

 

 

Youli GALPERINE : Partie espagnole « Echecs ». Opus 35 n° 1 pour violon et violoncelle. Delatour : DLT2631.

Ce titre, qui pourra paraître mystérieux à beaucoup est en fait le nom d'une « ouverture » du jeu d'échec, c'est-à-dire une manière spécifique de commencer une partie. Il s'agit, nous dit l'auteur de l équivalent musical imaginaire de la partie W. Steinitz – J. Blackburne. Londres, 1876. » Faut-il préciser que Steinitz et Blackburne sont des champions d'échec de la fin du XIX° siècle, l'un autrichien, l'autre britannique ? C'est dire que la lutte entre les deux instruments est une vraie partie de championnat…

 

 

Serge OLLIVE : Divertimento n° 1 Op. 152 pour hautbois, clarinette et basson. Niveau intermédiaire.  Waldhorn Editions (auto-label) : WH-4513152. (Pour ces éditions, voir en tête de l'article).

Cette charmante œuvre comporte quatre mouvements : - Andante – Scherzetto – Largo - Allegro Vivace. On peut écouter l'ensemble de l'œuvre sur le site de l'auteur-éditeur. Le langage, pour être classique, n'en est pas moins tout à fait personnel. Après un andante très sage arrive un scherzetto un peu coquin où on peut entendre des réminiscences (volontaires ?) de Claude Nougaro et de sa java. Le largo, lyrique et charmeur à souhait est suivi d'un dernier mouvement plein de verve et bien réjouissant. Les grands élèves ou les interprètes chevronnés qui joueront cette œuvre devraient donner bien du plaisir à leurs auditeurs et à eux-mêmes.

 

 

 

ORCHESTRE

 

Gérard HILPIPRE : Fragments de l'Apocalypse pour grand orchestre d'instruments à vent. Difficile. Delatour : conducteur DLT2549 – matériel DLT2549E.

Il s'agit d'une œuvre à grand effectif car aux instruments à vent, bois et cuivres, s'ajoutent quatre percussionnistes et un piano. Notons que le conducteur est écrit entièrement en sons réels à l'octave réelle sauf les piccolos et le glockenspiel. Bien qu'elle ne dure qu'à peine un quart d'heure, il s'agit donc d'une œuvre monumentale. L'auteur veut donner aux visions grandioses de l'Apocalypse (rappelons qu'il ne s'agit pas de catastrophes mais de visions qu'on pourrait appeler oniriques en particulier de la Jérusalem céleste) une dimension sonore aussi colorée que possible. L'ensemble est le plus souvent coloré, lyrique et méditatif, jouant sur les longues tenues et les couleurs qui en résultent. Ce n'est pas un hasard si on pense souvent à Olivier Messiaen, à qui l'œuvre est dédiée.

 

 

 

Alexandre OUZOUNOFF : Bosphore pour 2 bassons, orchestre à cordes et percussion. Difficile. Delatour : DLT2619.

Même s'il ne s'agit pas d'un concerto, le basson, sous une forme double pour ne pas dire doublée est tout spécialement mis en valeur dans cette œuvre qui permet ainsi à cet instrument de lutter à forces égales non seulement avec l'orchestre à cordes mais même avec les percussions, très présentes dans l'œuvre. L'ensemble évoque, de façon lyrique et passionnée ce Bosphore, lieu de passage mais surtout d'affrontements.

 

 

 

Daniel Blackstone.

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LE COIN BIBLIOGRAPHIQUE

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Johann Sebastian BACH : Luther-Lieder (Chorals de Bach pour chœur à 4 voix), Klaus HOFMANN (éd.), Stuttgart, CARUS  (www.carus-verlag.com ), 2016, CARUS 4.023 (coll.). 40 p. – 14, 90 € (achat en nombre : prix dégressif).

Dès la Réforme, Martin Luther (1483-1546) a préconisé pour les fidèles le chant en langue vernaculaire (et non plus en latin). Ce volume avec les harmonisations à 4 voix de Jean Sébastien Bach sera très apprécié des cantors, chefs de chœur, chanteurs et également des pasteurs soucieux de trouver des chants pour les concerts ou les cultes. Les harmonisations de chorals luthériens pourront même servir pour véhiculer les paraphrases françaises, strophiques, rimées chantables sur les mélodies d'origine, élaborées par Yves Kéler : Les 43 chants de Martin Luther, Paris, Beauchesne, Collection Guides Musicologiques n°7, 2013 (cf. Lettre d'information, n°75, décembre 2013).

Parmi les mélodies catholiques antérieures à la Réforme, figurent, entre autres : Christ lag in Todesbanden, d'après la séquence Victimae paschali laudes de Wipo (XIe siècle) ; Du bist drei in Einigkeit, d'après le texte : O lux beata Trinitas (IXe siècle) et la mélodie datée : Milan,  v. 650 ; Christum, wir sollen loben schon, d'après l'hymne A solis ortus cardine de Caelius Sedulius (Ve siècle) ; Komm, Gott Schöpfer, Heiliger Geist, d'après l'hymne Veni Creator Spiritus (809) de Raban Maur, adaptée par Luther en 1529 ; ou encore Nun komm, der Heiden Heiland, d'après le texte de l'hymne Veni redemptor gentium (v. 386) de Saint Ambroise de Milan et la mélodie d'Einsiedeln (XIIe s.) reprise par Luther en 1524...

Martin Luther a aussi emprunté des mélodies à ses contemporains : Ludwig Senfl, pour le Psaume 67 : Es wolle Gott uns gnädig sein (1522) ; Johann Walter, pour le Psaume 14 : Es spricht der Unweisen Mund wohl (1524). Ce volume a le mérite de proposer deux mélodies (parues en 1524) et harmonisations du Psaume 130 : Aus tiefer Not schrei ich zu dir : celle du musicien strasbourgeois Wolfgang Dachstein et celle de Luther comme, d'ailleurs, le célèbre Psaume 46 : Ein feste Burg ist unser Gott (texte et mélodie). De plus, il renvoie — sans toutefois préciser le temps de l'Année liturgique ou la circonstance — aux numéros correspondants dans le Recueil officiel : Evangelisches Gesangbuch, en usage au XXIe siècle en Allemagne.

Ces Chorals et Psaumes luthériens sont reproduits avec les harmonisations de J. S. Bach et précision du BWV, ainsi que toutes leurs strophes. Ils sont extraits de l'édition intégrale en 4 volumes : Johann Sebastian Bachs vierstimmige Choralgesänge (neue Bachausgabe, 1954-2006). Les harmonisations sont d'abord pensées pour accompagner le chant des fidèles (le cantus firmus planant à la partie supérieure), mais aussi pour les organistes  et les chefs de chœur (quelques tessitures trop graves pour la voix de basse sont signalées). L'harmonisation est : soit en contrepoint simple note contre note, avec quelques rares notes de passage expressives dans les parties médianes (ténor, alto) ; soit en contrepoint fleuri, avec de longues vocalises et des mélismes.

Ces 30 Luther-Lieder peuvent donc être interprétés à 4 voix par une chorale spécialisée ou simplement chantée à l'unisson par les fidèles accompagnés à l'orgue lors de célébrations et de concerts. Leur consultation est facilitée par la Table des matières alphabétique (p. 11), et surtout par la Table des correspondances avec le Recueil en usage (p. 36), renvoyant aux pages de ce volume très bien présenté et gravé. Son utilité n'est évidemment pas à démontrer.

 

 

Édith Weber.

 

« BERLIOZ, encore et pour toujours.. ». Actes du Cycle Hector Berlioz, Arras 2015, Paris, BoD (Books on Demand), 2016, 214 p. - 7, 99 €.

Dans ce Cycle de huit Conférences données à Arras en 2015 — à l'occasion de la Semaine internationale Hector Berlioz organisée par l'Université pour Tous de l'Artois, à l'initiative de Dominique Catteau —, différents aspects sont abordés par huit spécialistes d'horizons divers.

Marc-Mathieu Münch a signé la contribution la plus neuve. Il illustre l'effet de vie et la Symphonie fantastique, à partir de la version discographique du « Bicentenaire » par l'Orchestre Symphonique de Boston, sous la direction de Charles Münch (2003), et analyse ses réactions personnelles. Rappelons que, Professeur comparatiste (Université de Metz), il a conçu « une méthode nouvelle : la recherche d'invariants anthropologiques dans les arts poétiques des grands auteurs », également appliquée à la musique. Il aboutit à « une double découverte : le pluriel du beau, c'est-à-dire l'infinie variété des esthétiques notamment depuis le XVIIIe siècle, avec passage de l'idée d'un beau absolu et unique à un beau relatif et changeant », puis celle de l'« invariant planétaire de l'effet de vie qui permet de définir la nature spécifique de l'art » (p. 210). Il préconise une écoute naïve, en étant simplement disponible. Se prenant pour cobaye, il examine ses réactions à l'écoute du début de la Symphonie fantastique pénétrant dans le monde intérieur d'un être inquiet, dans une âme ayant de nombreuses facettes contrastées (sérénité, violence) ; il se crée ainsi « dans mon [son] corps-esprit un ensemble dans lequel il ressent la diversité des étapes » (p. 43-44). La théorie de l'effet de vie  exige un travail d'introspection sollicitant « ouïe, corps, esprit et cerveau, lors d'une démarche sur la partition dont l'idée fixe est au centre ». Cette démonstration auditive permet de dégager six corollaires : chercher le matériau incitatif (timbres pour Berlioz) ; imaginer les combinaisons de sons nouveaux ; fabriquer des formes vivantes (arche, transitions) sans rompre la formule globale ; définir la plurivalence ; constater l'ouverture de l'œuvre au récepteur (Berlioz a réussi à attirer l'auditeur) ; enfin, établir la cohérence.

Les lecteurs seront très intéressés par d'autres communications (informations, repères biographiques, p. 6-8). Anne Bongrain aborde Berlioz comme écrivain et feuilletoniste grâce à son immense culture, propose un bilan de ses écrits (y compris les rééditions) et reproduit des articles et critiques associés aux extraits musicaux correspondants. Ils sont de caractère sérieux, fantasque (cf. statistiques, p. 14), concernent aussi les voyages à l'étranger entre 1831 et 1868. Patrick Barbier cerne la personnalité exceptionnelle de Pauline Viardot qui a influencé Berlioz, fréquentait de nombreux représentants du monde de la musique, des arts, des lettres et même de la politique. Il met l'accent sur les liens et leur collaboration. Marie-Hélène Coudroy-Saghaï étudie la critique berliozienne sans concession, relative à l'Opéra Comique (cahiers des charges, dynamisme, difficultés) et fait allusion aux ouvrages de l'ancien répertoire « rhabillés à neuf ». L'influence de Berlioz est traitée par Hermann Hofer qui met l'accent sur son rayonnement universel, le situe dans son environnement à l'époque de la « déwagnerisation » en France, et conclut (p. 141) que « Berlioz a révolutionné la musique de son époque ». Katherine Kolb évoque la maturité de Berlioz vers 1820 (p. 149) et rappelle que, pour faire jouer ses œuvres, il est forcé de partir à l'étranger (p. 151). Elle cite également (p. 155) sa déclaration de foi : « J'adore et je respecte l'art dans toutes ses formes ». Suit un entretien original de Dominique Catteau avec Jean-Claude Malgoire qui signale comment il a pu passer du baroque à Berlioz (il a même joué une partie de cor anglais de la Symphonie fantastique dirigée par Charles Münch). Matthias Brzoska apporte un autre éclairage : « Berlioz, musicien d'Église ». Il cite les différentes œuvres et — à propos du Resurrexit de la Messe (1827) et du Tuba mirum du Requiem (1837) — constate que l'idée centrale de son esthétique de la musique religieuse : « c'est l'expression bouleversante, même terrifiante de l'effroi religieux face au jugement dernier qui suscite cette impression terrible décrite par Berlioz ».

Voici donc, grâce notamment à Dominique Catteau : Berlioz, encore et pour toujours, mais à travers le recul du temps et des perceptions différentes (effet de vie, citations éclairantes…) traduisant avec pertinence la fusion entre vie personnelle et création artistique.

 

Édith Weber.

 

 

Philippe CHARRU et Christoph THEOBALD : Johann Sebastian Bach, interprète des Évangiles de la Passion, Paris, VRIN (www.vrin.fr ), Coll. Musicologies, 2016, 412 p. -  30 €.

Philippe Charru, organisateur du Colloque : Le Baroque luthérien de J. S. Bach (Paris, 2005 ; actes publiés en 2007), est aussi co-auteur, avec Christoph Theobald, des ouvrages très remarqués : La pensée musicale de Jean Sébastien Bach : les chorals du Catéchisme luthérien dans la Clavierübung… (Paris, Cerf, 1993) et  L'esprit créateur dans la pensée musicale de J. S. Bach : les chorals de l'autographe de Leipzig (Sprimont, Mardaga, 2002). En spécialistes des rapports entre la théologie et la musique, les deux intrépides chercheurs ont uni leurs compétences et leurs solides expériences au service de J. S. Bach : l'un étant organiste (Saint-Ignace, à Paris), professeur d'esthétique au Centre Sèvres (Faculté jésuite de Paris) ; le second, professeur de théologie fondamentale et de dogmatique à la même Faculté. Ils proposent ainsi une approche pluridisciplinaire et herméneutique des Passions selon Saint Jean et Saint Matthieu du Cantor de Leipzig, en conformité avec la tradition leipzicoise. Leur démarche, qui ne dissocie évidemment pas le texte de la musique, a pour motif conducteur l'intériorisation du drame de la Passion associée à la puissance émotionnelle.

D'entrée de jeu, les pages liminaires démontrent déjà le sérieux de leur méthodologie  avec un Glossaire indispensable pour éviter tout malentendu terminologique ; les Abréviations et Conventions. En fin d'ouvrage, la bibliographie (thématique) rappelle les sources (Saint Augustin, Bernard de Clairvaux, B. H. Brockes, J. N. Forkel, M. Luther, Picander (Henrici), entre autres ; des documents et Biographies marquantes (Ph. Spitta, A. Basso, K. Geiringer…), ainsi que la TOB (Traduction Œcuménique de la Bible) — il conviendrait de signaler celle de Louis Segond (plus familière aux Protestants) — ; des ouvrages d'esthétique (A. Pirro, A. Schweitzer, Chr. Wolf) et sur les Passions (J. Chailley, G. Cantagrel…) : autant de références utiles aux lecteurs qui apprécieront également les illustrations (portrait de Bach ; traduction de la Bible par M. Luther éditée par A. Calov, avec annotations et signature autographe (1733) ; partitions).

La Première Partie (Chapitres I-III), de caractère historique, évoque les traditions des Passions en général, puis typiquement leipzicoise, enfin luthérienne privilégiant la prédication ainsi que les enjeux théologiques et dramatiques. Elle aborde aussi les critères d'interprétation, présente les formes spécifiques : récitatif, chœur de la turba (foule), l'impact des chorals luthériens — apanage et identité de la musique protestante allemande —, les arias, le chœur d'entrée et le chœur final et insiste sur la « médiation stylistique de la théologie de la Passion ».

La Deuxième Partie (Chapitres IV-XI), très développée, concerne la « lecture de la Passion », d'abord la Johannes Passion reconstituée (cf. édition de la Neue Bach Gesellschaft) — dans laquelle Bach honore « la spécificité de la tradition johannique » (vision dramatique de l'existence humaine) —, puis la Matthäus Passion. Elle traite judicieusement le passage du texte biblique au livret ; l'architecture sonore, placée sous l'angle symbolique (aspect très important), sans oublier la dramatique de conversion, la valeur pédagogique de l'empathie et l'incitation de l'auditeur à la pénitence (Buss und Reue), tout en rappelant les fruits de la Rédemption. La lecture continue est divisée en épisodes sous-titrés, la Passion étant, dans le contexte du culte luthérien, chantée avant et après la prédication du pasteur. Les Tableaux (en annexe) signalent les sources des textes (différentes versions de la Passion selon Saint Jean) et la structure musicale. La traduction française figure à côté du texte allemand ; quant à l'interprétation, le nombre de chanteurs — répartis sur les deux tribunes de Saint-Thomas avec le grand orgue et l'orgue de chœur — est indiqué. Au chapitre XI, la lecture continue (Saint Matthieu) est aussi étayée de citations musicales monodiques et polyphoniques significatives, par exemple le motif cruciforme de la croix relevé par le regretté Philippe Harnoncourt (p. 291). En Annexe B : 22 tableaux facilitent la compréhension des paroles et précisent les sources littéraires et mélodiques des différentes versions, l'instrumentation, la répartition des deux chœurs…

La Troisième Partie (ch. XII-XIV), très neuve — après une approche comparative des deux Passions —, est dévolue à la Theologia Crucis (Théologie — sonore — de la Croix) exposée dans les deux œuvres. Elle dégage les « voies spirituelles » diversifiées dans leurs architectures respectives. Bach s'est inspiré de prédications et de méditations dans la mouvance de l'orthodoxie luthérienne.

La conclusion, — paradoxalement mais à juste titre — intitulée : Ouverture (p. 395), est d'une richesse extrême. En fait, chaque constat, voire chaque phrase, est à même de susciter la réflexion. La démarche reste donc encore et toujours « ouverte ».  Grâce à la longue expérience et au labeur méticuleux et minutieux de Philippe Charru et Christoph Theobald, les lecteurs et mélomanes, théologiens et historiens, pasteurs et fidèles, chefs et chanteurs, bénéficient désormais de ce modèle d'exégèse croisée et transdisciplinaire rarement atteinte. Incontestablement : un monument.

 

Édith Weber.

 

BACH Magazin. Leipzig, Neue Bachgesellschaft (www.bach-magazin.de ), Printemps-Été 2016, Cahier 27,  57 p. - abonnement annuel (2 numéros), 11, 80 €.

Le numéro 27 du Magazine Bach, organe de la Nouvelle Société Bach (Leipzig), paraît sous une nouvelle formule et avec le concours de nouveaux responsables : Markus Zepf et Ulrike Utsch. Il contient des articles de fond et informations diverses concernant l'actualité (recensions, bibliographie et discographie autour de Bach, annonces des prochaines Expositions, parutions, manifestations, Journées Bach), le prochain Festival Bach à la célèbre Frauenkirche de Dresde  et — dans le cadre du centenaire de la disparition (11 mai 1916) de Max Reger — la publication par les Éditions Breitkopf, de l'intégrale de son œuvre d'orgue, en 7 volumes, ainsi qu'une biographie significative : Max Reger Werk statt Leben (542 p.) par Suzanne Popp.

Les études spécialisées gravitent autour de trois pôles : Les orgues de Bach, ses élèves et, selon l'actualité du calendrier, Bach et Reger. En effet, J. S. Bach, en tant qu'interprète et fin connaisseur de la facture d'orgue, a joué, expertisé et réceptionné de nombreux instruments, et élaboré des projets de restauration et de transformation des Orgues de Mühlhausen, d'Arnstadt, de Naumburg, de l'Église Saint Martin à Kassel et de Saint Nicolas à Leipzig… Il s'est occupé d'une soixantaine d'instruments. Markus Zepf propose ainsi un périple organistique passionnant, avec la rencontre de nombreux facteurs et musiciens. Des documents d'archives tels que des factures attestent aussi la nature et la qualité des travaux. Il signale à cet égard l'ouvrage en collaboration avec le spécialiste Christoph Wolff : Die Orgeln J. S. Bachs. Ein Handbuch (Leipzig, Evangelische Verlagsanstalt, 2/2008). Les lecteurs seront intéressés par l'interview, par Birgit Hendrich, d'Ullrich Böhme — depuis 30 ans organiste titulaire de Saint Thomas à Leipzig — à propos des Orgues que Bach a pu pratiquer, de leurs facteurs respectifs et de la rénovation de l'Orgue Sauer (d'esthétique à la fois néo-baroque et romantique tardive) dont il a entrepris la restauration, et de l'« Orgue Bach ». L'article suivant aborde Bach et la pratique de l'École d'orgue nord-allemande, ses divers voyages à Lunebourg et Hambourg vers 1700-1702 pour y retrouver des organistes célèbres (J. A. Reinecken, D. Buxtehude, G. Böhme). La contribution de Christine Blanken bénéficie d'illustrations appropriées (paysages, plans, peintures, autographes et croquis d'orgues). Enfin, une partie volontairement laconique (kurz und knapp) donne de riches informations sur les faits d'actualité (2016) : film, Médaille Bach, émissions radiophoniques, projets de recherche à propos de ses élèves, ainsi que des renseignements plus précis sur la Nouvelle Société Bach (Maison et Musée Bach, Académies en Europe de l'Est…) et présente Alexander Steinhilber, le nouveau manager.

Outre les hommages concernant le centenaire de la mort de Reger, le 125e anniversaire de la naissance de Hermann Scherchen et le 50e anniversaire de sa disparition sont rappelés par Arndt Richter, le grand chef étant replacé dans ses divers contextes artistique, esthétique et professionnel, mais aussi discographique. D'autres informations annoncent le 20e Concours international Bach et la constitution de son Jury ; le Festival Bach de Dresde 2016 (23 septembre-3 octobre), soucieux de « mobiliser toutes les ressources », à l'initiative de la Nouvelle Société Bach et de la Frauenkirche, haut-lieu de la musique, avec le concours de Roderich Kreile (Kreuzkantor, Directeur du Festival) et de Matthias Grüner (Kantor de la Frauenkirche). D'autres contributions (avec illustrations) présentent la Collection d'instruments de musique anciens de Vienne à l'occasion de son centenaire (1916-2016) et rendent un émouvant hommage au chef prestigieux, Nikolaus Harnoncourt, décédé récemment, précurseur de la pratique musicale historique (selon les sources d'archives).

Ce numéro 27 du Bach Magazin, dans la conception repensée par deux nouveaux responsables, sera très bienvenu non seulement des membres de la Nouvelle Société Bach, mais encore des mélomanes, discophiles et musicologues.

 

 

Édith Weber.

 

Marc Vignal : Ralph Vaughan Williams . Bleu Nuit éditeur, 1 vol. 2015, 176p, 20€.

 

Écrire un livre sur un compositeur aussi important que Vaughan Williams, non-conformiste notoire, implique de l'être soi-même tant soi peu. Voilà un livre remarquablement scolaire quantitativement et qui fait honneur, hélas, à une musicologie sèche, dépourvue de souffle et d'émotion … que des faits, que des faits. Voilà qui aurait bien plu à Thomas Gradgrind, ce sinistre personnage créé par Charles Dickens (1812-1870) pour son Hard Times, for these times (1854). En ce cas, l'éditeur aurait été bien avisé de veiller aux coquilles, à une présentation plus souple et aérée notamment en ce qui concerne les citations par ailleurs excellentes et fort bien choisies. Autre qualité, l'iconographie qui nous fait respirer dans ce parcours du combattant. Sur le fond, il y a d'autres objections à faire malgré une bonne introduction (p. 5-7), assez prometteuse. Bien que j'y relève une phrase qui me surprend lorsque je lis que « vers 1900 [le caractère anglais] ne disposait pas encore, pour s'épanouir, de tous les outils nécessaires ». Un tel lieu commun m'effraie tant il est injuste à l'endroit d'une culture si identifiée, si caractéristique, depuis au moins John Dunstable (ca 1390-1453). Et, lorsque, page 26 en note 12, il est écrit que Ralph Vaughan Williams aurait été sensible à « un certain impressionnisme à la française », je ne sais plus que dire. Oh que non, il en était à des années lumières ne serait-ce que du point de l'éthos. Dénigrer Sir Charles Hubert Hastings Parry (1848-1918) et Sir Charles Villiers Stanford (1852-1924) au profit de Maurice Ravel (1875-1937), p. 32, me semble de même quelque peu abusif. Avec ce dernier, Vaughan Williams a certes entretenu de très amicales relations mais sans plus. En réalité, il est l'aboutissement d'une longue aventure musicale spécifiquement anglaise qui, à l'instar de son caractère, s'est forgée envers et contre tout. Bien sûr, Marc Vignal connaît fort bien son sujet. Tout y est ou presque…

 

James Lyon.

 

 

Textes réunis par Philippe Carles et Alexandre Pierrepont : POLYFREE  : La jazzosphère, et ailleurs (1970-2015). 1vol. Paris, Outre Mesure, 2016, 352 pages, 25 €.

 

Sous ce titre insolite, paraissent, réunies dans la collection Contrepoints par Philippe Carles et Alexandre Pierrepont, quelque 29 contributions dues à autant de spécialistes, véritable ovni dans la publication musicologique contemporaine. C'est donc du jazz et de sa sphère qu'il sera question, mais selon une perspective résolument novatrice qui, tournant le dos à la nostalgie trop souvent associée à cette musique inscrite dans le "vif", ne craint pas proposer ce que les directeurs de l'ouvrage nomment eux-mêmes un "travelling panoramique sur les années 1970-2015". Loin de récuser la notion d'inventaire, les contributeurs en acceptent gaîment ses plus plaisants caractères : l'enchevêtrement, la diversité, voire l'hétérogénéité… Nulle prétention d'exhaustivité dans cette affaire ; bien au contraire, le lecteur est prié tacitement de poursuivre lui-même la réflexion sur les voies ouvertes, de contester le parti-pris de tel auteur, la recension de tel critique, la version de tel instrumentiste. En un mot, le jazz est ici traité par effet-miroir, les contributeurs opérant avec la même liberté et les mêmes contraintes que les musiciens engagés dans une performance dont on leur aurait fourni le "chemin de fer" mais non, au risque accepté et jouissif de certains déraillements, la carte des aiguillages ! D'emblée, il ne s'agit de rien de moins que de "libérer l'héritage des vivants Free", de "décoloniser le présent des grands noms du passé Free", etc. Au gré de ce périple aussi divertissant que savant, des silhouettes passent, des noms surgissent, des mouvements s'affirment, étrange ballet dont l'unité profonde ne se discerne qu'au prix d'une patiente attention, la jazzosphère calquant ici l'image de ces fourmilières, vastes usines ou partitions de Varèse (!) qui, déroutantes au premier regard, frappent progressivement l'observateur par la vigueur de leur effort unitaire.

 

Peut-être le plus grand mérite de cet ouvrage reste-t-il sa capacité à dépasser, sans l'ignorer, la dimension politique et sociale du jazz, pour en postuler l'incomparable originalité et, surtout, rappeler que loin d'offrir un simple reflet du monde, cette musique, monde en soi, offre au génie contemporain un espace unique de développement et de variation. Rien de plus éclairant, de ce point de vue que les contributions de Marc Chemillier et Christian Béthune, relatives aux musiques électroniques et au rap en regard du "champ jazzistique". Ou encore que la démonstration offerte par Ludovic Florin dans le chapitre au titre tellement explicite : Jazz(s) et… musique(s) contemporaine(s) : le continent négligé. Ailleurs, c'est le rock qui est convoqué par Guy Darol, Steve Coleman par Xavier Daverat, l'Europe Free de 1970 par Francis Hofstein ou le Jazz au Japon par Michel Henritzi ! J'ai déjà eu l'occasion, dans ces colonnes, de saluer la chère ombre, disparue mais toujours souriante, de Jacques B. Hess ; sans savoir, parmi tous ces contributeurs, lesquels seraient ses disciples, j'ai songé qu'il aurait salué le ton nuancé de gravité de Denis-Constant Martin (Afrique du sud : les incertitudes de la modernité) aussi bien que la passion militante de Jean-Paul Ricard (Jazz au féminin : la longue marche) ou que la vigueur roborative de Jean Rochard (La batterie à toute épreuve) ! Sans préjudice de tous les autres chapitres, chacun riche d'une réflexion originale. Une fois démontrée enfin, par Jean-Louis Comolli, la Nécessité du Jazz, une bibliographie et une discographie électives, suivies par les notices biographiques des contributeurs et par l'index, complètent l'information du lecteur.

 

 

Gérard Denizeau.

 

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LE BAC DU DISQUAIRE

 

Haut

 

« Pour une Cathédrale ». Messes, Hymnes et Motets de Jehan TITELOUZE, Henri FRÉMART, Artus AUX-COUSTEAUX. François Ménissier, orgue. Les Meslanges, dir. Thomas Van Essen. 1CD PSALMUS (www.psalmus.fr): PSAL 023. TT : 62'.

Ce titre global est tout un programme historique et liturgique représentant la musique typiquement composée pour une Cathédrale, dans l'optique de la Contre-Réforme. Elle émane de trois compositeurs du début du XVIIe siècle, dont les œuvres sont rarement enregistrées, sauf celles — publiées chez Ballard, à Paris, à partir de 1623 — de Jehan Titelouze (v.1563-1633), « père de la musique d'orgue française ».

En guise d'introduction (plage 1) : le Magnificat sexti toni de Jehan Titelouze (1626) alterne avec l'œuvre éponyme d'Artus Aux-Cousteaux (1641), élève de Jean de Bournonville, maître des enfants de chœur à la Cathédrale d'Amiens et maître de musique à la Sainte Chapelle, ainsi que compositeur. Le volet Titelouze est représenté (pl. 4) par l'Hymne Exultet Caelum en alternance avec le plain-chant en faux bourdon reconstitué par Volny Hostiou (*1981). L'Hymne Ave maris stella (pl. 6) est aussi interprétée en alternance avec le plain-chant en faux-bourdon de J. de Bournonville. Enfin (pl. 9), en guise de conclusion : l'Hymne A solis ortus cardine alterne avec le plain-chant en faux-bourdon de J. de Bournonville (v. 1585-1632).

Le deuxième volet comporte la Missa Verba mea de Henri Frémart ( ?-1651) — Maistre des enfants à la Cathédrale de Rouen, puis à Notre-Dame de Paris — : Kyrie (pl. 2) ; Gloria (pl. 3) ; Credo (pl. 5), Sanctus  (pl. 7) et Agnus Dei  (pl. 8). Il a le mérite d'attirer l'attention sur ce musicien célèbre de son temps, quelque peu tombé dans l'oubli, dont les 8 Messes ont été imprimées par Ballard et sont dédiées aux chapitres de Notre-Dame de Paris et de Rouen.

À l'orgue de l'Église Saint-Thomas de Cantorbery à Mont-Saint-Aignan (près de Rouen), reconstruit par Pascal Quoirin en 2001 — dont l'esthétique correspond à la facture française du début du début du XVIIe siècle et à l'univers sonore de J. Titelouze —, François Ménissier, professeur au Conservatoire de Rouen, titulaire de nombreux instruments : Fr.-H. Clicquot, à Saint-Nicolas des Champs (Paris) ; J. A. Silbermann, à Saint-Thomas (Strasbourg), de 1989 à 2003, auteur prolifique et interprète si talentueux.

L'ensemble Les Meslanges, placé sous la direction si attentive de Thomas Van Essen (qui assure aussi les intonations), bénéficie du précieux concours d'Eva Godard (cornet à bouquin et cornet muet), de Dimitri Debroutelle (sacqueboute), Christiane Bopp (sacqueboute) et  Volny Hostiou (serpent). Voici une musique de Cathédrale qui brille par sa plénitude vocale, la transparence des voix, la précision des attaques et la couleur instrumentale. Tous ces interprètes ont réalisé une version très intériorisée vraiment à l'honneur de Jehan Titelouze : une réalisation digne d une Cathédrale ».

 

 

Édith Weber.

 

« Baroque Passion ». Elisabeth Schwanda, flûte à bec, Bernward Lohr, clavecin. 1CD RONDEAU PRODUCTION (www.rondeau.de ): ROP 6107.  TT : 61' 31.

La flûte à bec (Blockflöte), en bois, est en vogue dans la production discographique actuelle. Elisabeth Schwanda — très en vue en Allemagne et souvent sollicitée à l'étranger —, spécialiste de la musique ancienne, a étudié au Conservatoire de Musique et Théâtre de Hanovre et enseigne à l'École Supérieure de Musique d'Église à Herford, tout en dirigeant des ensembles. Son accompagnateur, Bernward Lohr, a effectué ses études de clavecin et de germaniste à Hanovre, ainsi que d'interprétation historique (instruments à clavier) à Wurzbourg. Cette équipe très soudée communique irrésistiblement aux discophiles sa passion pour la musique baroque, avec deux Sonates de Georg Philipp Telemann (1681-1767) —respectivement TWV41:c5 et TWV41:e2 — ; la Sonate en mi mineur (BWV 1034) de J. S. Bach et celle de son contemporain, G. F. Haendel (1685-1756), en mineur (HWV 367a). En soliste, Bernward Lohr a le mérite de faire découvrir, d'une part, le bref Prélude en Do majeur de Johann Gottlieb Goldberg (1727-1756) qui a d'ailleurs inspiré les Variations éponymes de J. S. Bach et, d'autre part, la Sonate de clavecin en Fa majeur de Johann Adolf Hasse (1699-1783). Ils se produisent sur des instruments reconstitués : flûte à bec d'après Jacob Denner Arian Brown (1989) et flûte à bec alto d'après Paul Bressan von Ralf Ehlert (2013) ; clavecin d'après Christian Zell von Klinkhamer.

L'excellent enregistrement, coordonné par Ruprecht Langer et réalisé par Dominik Streicher, est favorisé par l'acoustique exceptionnelle de l'Église Saint-Étienne à Hanovre Kleefeld, convenant si bien pour mettre en valeur ce duo et, en particulier, les sonorités de la flûte à bec dont la technique n'a aucun secret pour Elisabeth Schwanda qui maîtrise parfaitement les théories des affects (Affektenlehre), exploite l'ornementation et fait preuve d'une belle ligne mélodique. Les instrumentistes se distinguent par le charme et la délicatesse, mais aussi la vivacité de leurs interprétations, leur sens du rythme et de la danse et notamment avec les effets berceurs (Cunando, 3e mouvement de la Sonate de Telemann en mineur), avec la flûte à bec si expressive d'abord à découvert, comportant un discret soutien du clavecin. Le titre Passion baroque est pleinement justifié par la fascination et la passion contagieuses des interprètes qui n'échapperont pas aux discophiles.

 

Édith Weber.

 

« BACH all'Italiano ». Simon Borutzki & Ensemble. 1CD KLANGLOGO (www.klanglogo.de ): KL 1517. TT : 68' 48.

Le titre accrocheur (selon la tendance actuelle chez RONDEAU PRODUCTION et KLANGLOGO) se rapporte en fait à la transcription de Concertos d'Antonio Vivaldi (1678-1741) et de Benedetto Marcello (1686-1739) effectuée par J. S. Bach, ainsi que de son propre Concerto italien (BWV 971), arrangée pour flûte à bec avec basse continue (soit violoncelle, luth, clavecin ou orgue).

Simon Borutzki diffuse avec passion le répertoire de flûte à bec (alto, ténor, soprano) accordé au tempérament : la = 416 Hz. Les adaptations d'œuvres très connues sont liées au problème et à la technique des arrangements pratiquée entre autres par Bach (ici par S. Borutzki et Cl. Flick), mais aussi par Felix Mendelssohn et Robert Schumann jusqu'à Leopold Stokowski (1882-1977) qui a orchestré des pièces d'orgue.

Ces huit Concertos de « Bach-Vivaldi », « Bach-Marcello » — dont le Concerto italien en Fa majeur de J. S. Bach (BWV 971) — sont structurés en 3 mouvements selon le schème vif-lent-vif, donc avec un mouvement central très méditatif. Dans ces arrangements, la flûte à bec plane au-dessus d'un continuo assez étoffé, assuré avec le concours de Lea Rahel Bader (violoncelle), Magnus Andersson (luth) et Clemens Flick (clavecin, orgue) réalisant la basse continue. Ces œuvres bénéficient de la sonorité moelleuse et très prenante des flûtes à bec (en bois) et des coloris spécifiques des instruments du continuo qui se marient bien avec l'instrument soliste ; des critères d'interprétation de la musique baroque. Simon Borutzki fait preuve d'une maîtrise technique à toute épreuve, d'une exceptionnelle volubilité et transparence et d'un souffle inépuisable. Cette sélection de Concertos all'Italiano s'inscrit dans le cadre et l'atmosphère d'un concerto da camera italianisant, mais made in Germany, à laquelle les discophiles ne résisteront pas. Curiosité convaincante : de quoi se laisser tenter par une autre approche de ces Concertos archi-connus.

 

Édith Weber.

 

Josef HAYDN, C. P. E. BACH : Cello Concertos. Marc Coppey, Zagreb Soloists. (www.audite.de ). 1CD AUDITE 97. 716.  TT : 67' 31.

Marc Coppey, violoncelliste de réputation internationale et chef des Zagreb Soloists, est né à Strasbourg où il a fait ses études au Conservatoire, ensuite au CNSMP, puis aux Etats-Unis. L'ensemble Zagreb Soloists a été fondé en 1953 pour Radio Zagreb. Il totalise déjà plus de 3500 concerts sur le plan international et se distingue par son sens aigu de la discipline, de la précision et par sa passion pour la musique de chambre.

Le programme, conçu comme un diptyque, associe deux compositeurs : Joseph Haydn (1732-1809) et Carl Philipp Emanuel Bach (1714-1788), symbolisant l'époque immédiatement après J. S. Bach. Les 3 Concertos reprennent la structure classique avec un mouvement central lent et expressif contrastant avec deux mouvements rapides et bien enlevés donnant au violoncelle de nombreuses occasions de prouver sa maîtrise technique et sa sensibilité au service de l'émotion. Les Concertos de violoncelle de J. Haydn, respectivement en Do majeur (n°1, Hob. VIIb : 1), œuvre de jeunesse, et en majeur (n°2, Hob. VIIb : 2), cheval de bataille des interprètes, sont parfois galvaudés, ce qui n'est certes pas le cas avec Marc Coppey qui pense doublement, en tant que chef et que soliste, et doit aussi veiller à l'équilibre de l'ensemble et restituer le caractère chantant (influence du bel canto), les accents populaires exploités par J. Haydn. Le Concerto de violoncelle en La majeur (H. 439) de C. P. E.  Bach — surnommé le « Bach de Berlin » ou « de Hambourg » — qui a, avant J. Haydn, composé des Concertos, se situe entre baroque, style galant et classicisme. Marc Coppey souligne la bonne volonté, l'énergie des membres des Zagreb Soloists aussi sensibles à l'expérimentation et très engagés. Ces facteurs garantissent une interprétation jusque dans les moindres détails, vraie symbiose entre le « chef-soliste » et son ensemble.

Le texte de présentation propose une brève analyse des œuvres et — ce qui est original — une interview de Marc Coppey réalisée par Norbert Hornig : donc aux sources-mêmes de sa motivation, de ses réactions, goûts  personnels et critères d'interprétation soulignant les rôles respectifs des intervenants. Excellente réalisation à tous points de vue.

 

Édith Weber.

 

Giovanni Battista PERGOLESI : Stabat Mater. Johann Valentin RATHGEBER : Missa brevis. Dietrich BUXTEHUDE : Klaglied. Dietrich Bednarz. orgue. Knabenchor de la Chorakademie Dortmund, dir. Jost Salm. 1CD RONDEAU PRODUCTION (www.rondeau.de ): ROP6114. TT : 48' 48.

Voici encore une remarquable performance d'un Chœur de Garçons allemands : le Knabenchor de la Chorakademie de Dortmund placé sous la direction efficace et exigeante de Jost Salm. Il fait appel à une formation réduite de chanteurs triés sur le volet qui, par leur paysage sonore, pourraient rivaliser avec les castrats de l'époque baroque. Ils proposent une version exemplaire de la Missa brevis en Fa majeur (Kyrie, Sanctus, Benedictus, Agnus Dei) de Johann Valentin Rathgeber (1682-1750) — exact contemporain de J. S. Bach —, théologien et musicien, qui a enseigné au Juliusspital de Wurzbourg et a été, à partir de 1707, musicien de chambre avant de devenir prêtre, tout en restant organiste et chef de chœur à l'Abbaye bénédictine de Banz (en Bavière). Trois jeunes solistes, Trian Geyer et Yorick Ebert (sopranistes) et Sven Wagner (alto) sont accompagnés uniquement à l'orgue par Dietrich Bednarz. Ils s'imposent par leurs voix s'élançant au-dessus de l'orgue, leur expressivité dans le Benedictus avec des vocalises en dialogue dans l'Hosanna et le caractère plus intériorisé de l'Agnus Dei, profitant d'un accompagnement discret et efficace à l'orgue. Le Klaglied (Lamentation) de Dietrich Buxtehude (v. 1637-1707) saisit l'auditeur dès les premières mesures, et suscite une indicible émotion grâce à deux voix exceptionnelles même dans le registre très aigu. Ces voix de garçons font merveille.

Enfin, la pièce de résistance, très développée, ayant conféré son titre à cette réalisation discographique : le Stabat Mater a été composé par Giovanni Battista Pergolesi (1710-1736), en 1736, peu avant sa disparition. Le texte reprend la séquence pour la fête des Sept Douleurs de la Vierge Marie. Il fait appel à deux solistes soprano et alto. Dans cette œuvre de commande construite à la manière de la cantate italienne contemporaine, solos et duos alternent. Les 4 premières strophes sont une déploration concernant la douleur de la Vierge, et les 6 dernières, une imploration où le suppliant demande à Marie de partager sa douleur avec lui.

Le Knabenchor de la Chorakademie de Dortmund, en formation réduite, réussit à exprimer la douleur profonde, le caractère sombre et l'intense émotion de cette œuvre — aussi réputée que le Requiem de Mozart. Elle est intensément vécue par ces jeunes et talentueux garçons du Chœur et, en particulier, par les deux solistes T. Geyer et S. Wagner. Placés sous la direction de Jost Salm (né en 1962), spécialisé dans la pédagogie des enfants, si souriant et sympathique (cf. photos judicieusement sélectionnées), ces garçons sportifs respirent la joie de vivre : ils ne sont pas blasés par leur succès et communiquent largement leur joie de chanter.

Édith Weber.

« Six Songs of Innocence ». Œuvres de Gregor HÜBNER, John RUTTER, Knut NYSTEDT, Billy JOEL et Kirby SHAW. Sirius Quartet New York. Collegium iuvenum, Knabenchor Stuttgart, dir. Michael Culo. 1CD RONDEAU PRODUCTION (www.rondeau.de) : ROP6210. TT : 55' 56 .

Depuis le Moyen-Âge, l'Allemagne possède de nombreux Chœurs de garçons rattachés à des Églises, sous la responsabilité du Cantor ou de l'organiste — tels que le célèbre de Chœur de Saint-Thomas : il s'agit d'une véritable institution. Le Collegium iuvenum, Knabenchor Stuttgart a été fondé en 1989 ; en fait, il est une école maîtrisienne dont le répertoire va de la musique religieuse de la Renaissance à nos jours.

Ce Chœur peut rivaliser avec les meilleures formations de sorte que les compositeurs contemporains n'hésitent pas à lui dédier des œuvres, mais il peut aussi solliciter des commandes comme, par exemple, les Six Songs of Innocence pour chœur de garçons et quatuor à cordes, (2014) de Gregor Hübner (né en 1967), compositeur, violoniste et pianiste new yorkais. Les jeunes chanteurs interprètent également, en premier enregistrement, son Purcell Project plus développé contenant notamment des fragments du Lamento de Didon, dans une nouvelle adaptation très captivante.

L'association chœur et quatuor à cordes pourrait surprendre, mais elle est justifiée dans ce contexte particulier rythmé et « jazzifiant », mais également intériorisé ou méditatif, avec des parties instrumentales improvisées et de redoutables interventions chorales. Le texte de William Blake (1757-1827) traduit d'abord la joie des enfants, puis des oiseaux, à nouveau des jeunes garçons et filles et, enfin, la joie exprimée par leurs voix si allègres. Des passages instrumentaux mettent en valeur les qualités musicales du Sirius Quartet de New York — dont le compositeur est le violoniste.

Outre Gregor Hübner, les autres compositeurs représentés sont : Knut Nystedt, né en 1915, mort en 2014 (Peace I Leave With You) ; John Rutter, né en 1945 (Une Prière à Saint Patrick, une autre prière : God Be In My Head et un arrangement par Jeremy Harman de Look At the World) ; Sherri Porterfield, né en 1958 (Agnus Dei) ; Jaakko Mantyjarvi, né en 1963 (Come Away, Death) ; Billy Joel, né en 1949 (Look At the World arrangé par Jeremy Harman).

Sous la direction avisée de Michael Culo, les jeunes garçons respirent la joie de chanter, le goût du travail bien fait et témoignent de leur intérêt pour la musique contemporaine. Prononciation anglaise précise, magnifique paysage sonore et extrême justesse garantis.

 

 

Édith Weber.

 

« Europe 1920. Violin Sonatas ». Ottorino RESPIGHI, Leoš JANÁČEK, Boris LYATOSHYNSKY, Maurice RAVEL. Gabriel et Dania Tchalik, duo violon piano. 1CD Évidence classics (www.evidenceclassics.com): EVCD024. TT.: 82' 15.

Cette réalisation discographique, originale par sa perspective, se situe vers 1920, donc dans l'histoire de la musique de chambre dans l'immédiat Après-Guerre. Autour de la forme « Sonate pour violon et piano », en trois mouvements (exceptionnellement 4), Gabriel et Dania Tchalik ont regroupé quatre compositeurs géographiquement éloignés et de nationalités italienne, tchèque, ukrainienne et française. Ils représentent des esthétiques pour le moins opposées (avant-garde, modernité d'alors…) et se rattachent à une période historique charnière. Ils sont toutefois proches par la datation de leurs Sonates, totalisant la décennie 1917-1927. Respectivement composées en 1917, 1914-1922, 1926, 1923-1927, elles traduisent aussi les partis pris des compositeurs : l'un introduit la forme ancienne de la Passacaille ; l'autre, un mouvement intitulé : Blues. Dania Tchalik évoque le « caractère international du langage » et le caractère éclectique d'Ottorino Respighi (1879-1936) dans sa Sonate en si mineur (1917). D'entrée de jeu, le violoniste s'impose par son coup d'archet et son phrasé ; le pianiste, par son toucher très délicat et sa sonorité somptueuse. Celle de Leoš Janáček (1854-1928), plus concentrée, de caractère fougueux, assez proche du romantisme et un peu à la manière expressionniste, bénéficie des mêmes qualités violonistiques et pianistiques de cet incomparable duo. Avec sa Sonate en si mineur (op. 19), Boris Lyatoshynsky (1895-1968) — ancien professeur aux Conservatoires de Moscou et de Kiev, à redécouvrir en Occident, quelque peu inspiré par le « scriabinisme » qu'il dépassera — a signé une œuvre marquante se terminant sur une marche énergique et bien rythmée. Enfin, la Sonate en Sol majeur de Maurice Ravel (1875-1937), placée sous le signe de l'élégance et du charme français, exige une grande virtuosité de la part des deux interprètes. Bilan : proximité chronologique, forme identique, mais témoignage de la diversité esthétique dans l'Europe musicale autour de 1920.

 

 

Édith Weber.

 

Émile Pierre RATEZ : Exhibition 1. Marcin Murawski, alto, Hanna Holeksa, piano. 1CD ACTE PRÉALABLE (www.acteprealable.com ): AP0358. TT : 61'49.

Ce disque du Label polonais Acte préalable, présenté sous le titre anglais : Exhibition (« faux-ami » pour les traducteurs non avisés) : c'est-à-dire, en français : Exposition (exposition de tableaux, de peintures). Jan A. Jarnicki, directeur et producteur, a le mérite de contribuer non seulement à la diffusion du patrimoine musical polonais, mais encore — grâce à de minutieuses recherches d'archives — de faire découvrir un compositeur français, Émile Pierre Ratez, né en 5. 11. 1851 à Besançon et mort le 19. 05. 1939 à Lille.

Élève de Jules Massenet a été altiste à l'Opéra Comique, pédagogue, directeur du Conservatoire de Lille et  compositeur. Son esthétique se situe à la fin du XIXe siècle (courant populaire) et au début du XXe siècle. Il a particulièrement privilégié le répertoire pour alto et piano, violoncelle et piano et les thèmes descriptifs. Les œuvres, brièvement analysées par Marcin Murawski, portent des titres évocateurs et suggestifs : Dans la forêt, (op. 5) ; Douze Pièces pittoresques (op. 8) ; Souvenir du village (op. 9) ; Deux Pièces (op. 39) : Élégie, Rondo. Ces titres traduisent l'esprit du temps : romance, tristesse, mélancolie, élégie et des thèmes tels que « doux souvenir », « joyeux retour », « adieux », exactement à l'instar d'une Exposition de peintures et de miniatures à programme (cf. les Tableaux d'une Exposition (1874) de Modeste Moussorgski). Sa Sonate pour alto et piano (op. 48) s'inscrit dans le cadre du regain d'intérêt pour l'alto ; composée en 1907, elle est de facture classique en trois mouvements : Allegro risoluto, Lento et Allegro risoluto.

Ces 19 plages sont interprétées par Marcin Murawski et Hanna Holeksa au piano ayant un rôle d'accompagnement, tout en assurant les transitions et l'assise rythmique. Ils révèlent avec bonheur ce répertoire conçu primitivement pour violon et piano, violoncelle et piano, ou cor anglais ou hautbois, mais arrangé pour alto, instrument relancé avec succès. Voici donc l'introduction à un compositeur français digne de figurer dans les histoires de la musique française et mis en valeur par Jan A. Jarnicki qui justifie son apport en ces termes : « C'est ma simple contribution pour la promotion de la musique de ma deuxième patrie, à qui je dois tellement » (p. 17). En fait, sa réalisation va bien au-delà. Merci.

 

Édith Weber.

 

« MATISSE et la musique ». Divers interprètes. 2CDs JADE (www.jade-music.net): CD 699 876-2. TT : 68' 37+ 70' 37.

Après la thématique à la mode : Les poètes et la musique, voici celle des peintres et la musique autour de Henri Matisse (1869-1954). Les Éditions JADE mettent ici l'accent sur l'aspect fusionnel relatif au lien entre peinture et musique car, comme elles le font observer : « C'est d'une manière symbiotique que, chez Matisse, la pratique et l'écoute de la musique s'unissent pour nourrir son inspiration créatrice ».

Le programme représente une véritable Anthologie : le premier disque comporte notamment des œuvres de Claude Debussy (Sonate pour flûte, alto et harpe, Syrinx permettant de retrouver les flûtistes J.-P. Rampal et M. Moyse), Henri Duparc (L'invitation au voyage avec le duo bien connu Gérard Souzay (baryton) et Jacqueline Bonneau (piano)) et Maurice Ravel (extraits de Daphnis et Chloe avec le concours du London Symphony Orchestra dirigé par Pierre Monteux, et de Tzigane avec la regrettée Ginette Neveu accompagnée au piano par Jean Neveu). Des pièces religieuses : In Paradisum de Maurice Duruflé et Salve Regina de Francis Poulenc — autres musiciens français contemporains du peintre — sont aussi interprétées. Ce CD est complété par la Chaconne pour violon de J. S. Bach, un extrait du Trio en Sol majeur de Joseph Haydn et quelques pièces de l'école russe représentée par Igor Stravinsky, Sergeï Prokoviev et Dmitri Chostakovitch. Il est impossible de détailler dans ce cadre, mais elles ont incontestablement le mérite de faire réentendre de remarquables solistes du passé : dont Jacques Thibaud, Pablo Casals et Alfred Cortot. L'audition de ces œuvres a largement stimulé l'inspiration créatrice de Henri Matisse.

D'une autre veine, le second disque s'apparente davantage au jazz et au blues que Matisse privilégiait, et rappelle des interprètes célèbres : Django Reinhardt, Joséphine Baker, Sidney Bechet, Louis Armstrong, Charlie Parker… : autres sources d'inspiration pour le peintre, toujours à la recherche d'atmosphères, d'instants suspendus, d'univers sonores dont Matisse s'est beaucoup imprégné, ou encore de souvenirs, de calme ou d'intimité, comme il résulte de cette vaste compilation originale et imaginaire marquée par les influences subies dans le cadre de la pratique alchimique de la peinture et des sons.

 

 

Édith Weber.

 

Duke Ellington : Sacred Concerts.  Claudia Burghard, mezzo-soprano, Joachim Rust, baryton, Felix Petry, tap dance). Gary Winters, récitant. Junges Vokalensemble Hannover, dir. Klaus-Jürgen Etzold. Bigband Fette Hupe Jörn, dir. Marcussen-Wulff. 1CD RONDEAU PRODUCTION (www.rondeau.de): ROP 6112. TT : 70' 51.

Saviez-vous que Duke Ellington (1899-1974), le grand maître du jazz, a aussi composé des Concert sacrés pour chœur, solistes et, bien sûr, big band ? Il les considère comme « la chose la plus importante » qu'il ait réalisée. En fait, il s'agit d'un témoignage autobiographique évoquant musicalement ses moments de bonheur ou ses coups du destin, toujours soutenu par une foi profonde et une grande confiance.

Les œuvres sont chantées avec un enthousiasme contagieux par le Junges Vokalensemble Hannover (Jeune Ensemble Vocal de Hanovre), que son chef Klaus-Jürgen Etzold a fondé en 1981. Les voix du chœur  sont associées au Bigband Fette Hupe placé sous la direction Jörn Marcussen-Wulff, spécialiste du style de Duke Ellington. Des solistes vocaux prêtent leur concours : Claudia Burghard (mezzo-soprano, chanteuse de jazz freelance), Joachim Rust (baryton, spécialiste de jazz, rock et pop), Felix Petry (tap dance) et — pour les textes parlés — Gary Winters (récitant). À leur programme, figurent, entre autres, La danse de David, Le Pardon (une invocation), encadrés par des Concerts sacrés plus développés : In the Beginning God (1965) et It's Freedom (1968)... Les jeunes et dynamiques choristes, détendus, s'en donnent à cœur joie et avec sérieux. Les amateurs de Spirituals retrouveront avec plaisir, en particulier, le célèbre Will You Be There (1965) avec son chromatisme caractéristique à finalité expressive et de beaux effets de résonance.

Incontestablement, cet enregistrement en direct — lors des Journées musicales de Saxe (2015) — est un festival de rythmes, de coloris instrumentaux, de dynamisme, mais aussi de certitude, d'émotion, d'optimisme et de joie exubérante. La présente réalisation discographique est tout à l'honneur du Junges Vokalensemble Hannover et de son chef, Klaus-Jürgen Etzold, qui dirige avec autorité et musicalité ces interprètes si enthousiastes qui se situent dans le sillage de la grande tradition des Chœurs de Jeunes en Allemagne.

 

Édith Weber.

 

Johann PACHELBEL : « Un orage d'avril » Suites, canon et songs. Hans Jörg Mammel, ténor. Gli Incogniti, dir. Amandine Beyer. 1CD Harmonia Mundi : HMC 902238. TT.: 79'55.

 

Johann Pachelbel (1563-1706) ne saurait se résumer à son (trop) fameux Canon ! Pas plus qu'Albinoni à son Adagio ou Vivaldi à ses Quatre Saisons. Mais les clichés ont la vie dure, surtout lorsque maniés par ceux qui prétendant maitriser le domaine, ne nourrissent pour autant pas la moindre considération pour la musique dite ''classique '' ou ''savante''... Aussi faut-il saluer l'initiative d'Amandine Beyer consistant à proposer des pièces instrumentales et vocales d'un musicien qui mérite à être apprécié à sa juste valeur. Autour du thème d Un orage en avril », ou la volatilité du climat de cette période si délicate, elle a organisé une suite de petites pièces tirées du Musikalische Ergötzung (Plaisir musical) de 1695, étonnant mélange des styles français, italiens et allemands, faisant la part belle au contrepoint et assurant aux violons une primauté que leur façon particulière de s'accorder selon les morceaux rend encore plus insolite. Beyer entrelarde ces pièces instrumentales de chansons. Et de souligner la « capacité de ces musiques à évoquer des images particulières de Bruegel, de Vermeer ou de Frans Hals par exemple, pour s'en tenir à la peinture hollandaise de l'époque. Ces miniatures musicales sont infiniment séduisantes. Chaque ''Partie'' est faite d'une succession de danses qui après une courte sonate introductive, s'ordonnent en plusieurs items, de trois à sept, mais plus généralement cinq (Parties I,  II, III, VI). Cela a le poids d'une plume, chante allégrement ou s'infléchit délicatement au fil des séquences. Chaque danse est caractérisée avec soin. Que ce soit celles donnant dans la vivacité : ainsi de la courante enlevée ou de la gigue guillerette ; ou celles de mode plus retenu : la gavotte qui n'est pas précieuse, l'allemande, un brin sérieuse, ou la sarabande quelque peu cérémonieuse.

 

On n'en finit pas de découvrir des trésors : la sonatine qui ouvre la « Partie a 4 » est elle-même multiforme en ses tempos dont un adagio médian débouchant sur un passage rapide à peine relayé par une fin d'un calme olympien. Ladite pièce se termine par un adagio. Les trouvailles abondent et les divers morceaux sont extrêmement variés et donnent à entendre des modes inattendus (les pizzicatos de la courante de cette même pièce) et ménagent des effets de surprise (l'extrême originalité de la gavotte de la Partie III). La triade gavotte-sarabande-gigue (Parties I ou VI) offrent un schéma vif- lent-vif irrésistible. La Partie IV offre d'autres particularités : sa chaconne finale, mais aussi sa ''sonate a due'' initiales où les deux violons jouent en écho, alors que l'Aria qui suit, dans le même tempo retenu, est quasiment vocal. Plus tard, une deuxième Aria se fait plus pressante. La Partie I contient un item intitulé « Ballet », vif, pour annoncer les sarabande et gigue finales. Les cinq morceaux vocaux, qui offrent des compositions tout aussi attachantes, évoquent la louange d'un personnage ou une lamentation funèbre ou encore sont l'occasion de fêter l'arrivée des saisons. Bien sûr, on n'a pas manqué d'inclure le célébrissime Canon à trois violons et basse continue et sa gigue : cette sorte de mouvement perpétuel est ici finement balancé. Et cet arbre ne cache pas la forêt car inséré à la fin du programme, un clin d'œil à une gloire non usurpée finalement, mais on l'aura compris, pour d'autres raisons. L'ensemble Gli Incogniti d'Amandine Beyer (trois violons, deux altos, deux gambes, théorbe, clavier/orgue) sont les serviteurs experts de ces musiques enchanteresses. Le ton chambriste, l'élasticité des tempos, la beauté des couleurs, tout cela est à porter à leur crédit.

 

Jean-Pierre Robert.

 

« Baroque splendor ». Heinrich Ignaz Franz von BIBER : Missa Salisburgensis. Motet Plaudite Tympana. Battalia. Sonata Polycarpi. Hespérion XXI. Le Concert des Nations. La Capella Real de Catalunya, dir. Jordi Savall. 1CD AliaVox : AVSA9912. TT.: 71'40.

 

Heinrich Ignaz von Biber (1664-1704), natif de Bohème, est sans doute un des plus grands compositeurs, avant Mozart, qu'ait connu la ville de Salzbourg. Ce violoniste émérite y arrive en 1679 et occupe le poste de ''violoniste de la cour'' pour devenir maitre ce chapelle en 1684. Mais il écrit beaucoup et ses œuvres sont fort diversifiées, sonates – dont les fameuses Sonates du Rosaire -, pièces religieuses, dont deux Requiem et quatre Messes. Le présent enregistrement propose l'une des plus célèbres, la Missa Salisburgensis qui est créée en grande pompe dans la cathédrale de Salzbourg en 1682, à l'occasion du onzième centenaire de la fondation de l'archevêché de Salzbourg par Saint Rupert. Le manuscrit disparaitra pour n'être retrouvé qu'en 1870 chez un commerçant de la ville! Ce vaste ensemble « à 54 voix », Jordi Savall rêvait de s'y confronter, après voir joué une autre messe d'importance, la Missa Bruxellensis (et gravé sur CD chez le même éditeur : AV 9808). Dans l'essai du livret du disque, le maitre catalan dit toute son admiration pour cette pièce et son appréhension de la jouer, eu égard à « l'extrême complexité des contrepoints à mettre en valeur ». Lesdites 54 voix sont réparties en six ''chœurs'' et deux ''chœurs de trompettes'', disposées à l'origine dans divers endroits de l'immense cathédrale salzbourgeoise (Chœur, loggias au niveau du transept, tribune d'orgue).  L'effet sonore devait être impressionnant lorsqu'on connait la jauge de l'édifice et son taux de réverbération. À l'écoute de l'interprétation de Jordi Savall, captée dans la Collégiale du Château de Cardona en Catalogne, chef d'œuvre roman, on est d'emblée baigné dans le grandiose de l'écriture polyphonique de Biber mêlant plusieurs chœurs, solistes, ensemble instrumental et fanfares, magistralement mises en valeur par une lecture aussi sobre que fouillée. On a soigné tout particulièrement l'équilibre entre voix solistes et masses chorales ; et la disposition spatiale ménageant des effets de puissance, comme lors de l'''Amen'' final du Credo. Cette même section, la plus développée - près de 16' -, déploie un habile mélange des voix solistes et des trompettes et saqueboutes. Saisissant est le contraste entre l'''Incarnatus est'', confié aux voix aiguës, et le ''Crucifixus'' aux voix graves ; ou plus tard, lors du passage intimiste de l' ''Et Spiritus'' pour voix de soprano, flûtes, contre ténors, et cuivres dans le lointain. On admire aussi le grand finale du Gloria et son ''Amen'' complexe. Ou à la section Sanctus-Benedictus, le retour des fanfares en écho inaugurant le ''Benedictus'' ; ou encore le chœur a capella du ''Miserere'' à l'Agnus dei. La belle résonance de l'église de Cardona se prête plutôt bien à une écoute domestique car la spatialisation a été adroitement ménagée. Le temps de réverbération généreux ne nuit pas à la propagation du son, même si « on peut être surpris par l'omniprésence - inévitable - de la tonalité obligée des trompettes, en ut majeur », souligne Savall.

 

Cette magistrale exécution des forces réunies de Hespérion XXI, du Concert des Nations et de La Capella Real de Catalunya est complétée par d'autres pièces. Une œuvre chorale d'abord, le motet Plaudite Tympana, lui aussi « à 54 », de la même année 1682, à deux chœurs. Puis la Sonata Sancti Polycarpi,de 1673 qui en ses trois courts mouvements, mêle aussi bien fanfares et chœurs, le dernier faisant intervenir aussi l'orgue. Et enfin la Battalia, à 10 de la même année. Cette pièce purement instrumentale, en huit séquences, est à la gloire du violoniste Biber. Et offre un parfait exemple de ces musiques de bataille très prisées au XVII siècle. La deuxième séquence « Die leiderliche Gesellschaft von allerley Humor » se signale par ses dissonances prononcées, fruit de la technique de la scordatura ou jeu désaccordé. L'effet guerrier, on le trouve essentiellement à la 7 ème séquence, « Die Schlacht » (la bataille) avec ses imitations de balles sifflantes obtenues par des pincements rageurs des cordes. La pièce se clôt par un « Lamento der Verwundten Musquetirer », (du mousquetaire blessé), un poignant adagio. Là encore l'interprétation des musiciens du Concert des Nations est un vrai régal. Comme tout ce qui adorne ce CD désormais précieux dans la discographie de H. I. von Biber.     

 

Jean-Pierre Robert.

 

Jan Dismas ZELENKA : Six sonates à deux hautbois, violon, basson et basse continue, ZWV 181. Zefiro. 2CDs Alpha  : A 394. TT.: 51'57+52'13.

 

Compositeur tchèque, Jan Dismas Zelenka (1679-1745) se forma auprès des grands de son époque, Joseph Fux, Antonio Lotti, Johann Joachim Quantz. Ses nombreux voyages à travers l'Europe le ramèneront finalement à Dresde où il remplacera Johann David Heinichen comme maitre de chapelle. Mais cette gloire finira en disgrâce puisqu'il perdra le poste. Son importante production, de pièces religieuses essentiellement mais aussi de musique instrumentale, tombera dans l'oubli. Ses six sonates pour deux hautbois, basson et basse continue ne seront redécouvertes que dans les années 1950. Elles montrent de la part de Zelenka une audace à la fois contrapuntique et harmonique et une indiscutable maitrise de la mélodie et du rythme. Elles sont bâties sur le schéma de la sonate d'église en quatre mouvements, lent-vif-lent-vif (sauf la 5 ème qui n'en compte que trois). Elles révèlent une belle exploitation des capacités expressives et techniques des deux instruments du hautbois et du basson, et un grand soin apporté à la dynamique qui peut connaître des écarts significatifs. Les deux hautbois ont le rôle de soliste, le basson se signalant par ses digressions virtuoses. Ces pièces qui constituent des morceaux de référence dans le répertoire des deux instruments, présentent de l'une à l'autre des caractéristiques bien particulières. Ainsi la Sonata N°2 offre un andante introductif se terminant par une courte cadence qui débouche sur un allegro preste, chef d'œuvre de contrepoint dans lequel les deux hautbois roucoulent à l'unisson ou en écho. Sorte de largo, le second andante est très expressif et l'allegro assai conclut dans une impulsion rythmique résolument assumée. La 1ère sonate, accompagnée à l'orgue, alterne un adagio sérieux, un vif allegro, un larghetto beau moment de réflexion et un preste finale mêlant des rythmes divers. Dans la sonate N°3, la partie de violon s'entrelace auprès des deux vents dans l'adagio puis l'allegro met en avant d'abord le hautbois relayé par le violon sur l'infatigable accompagnement du basson. Tout ce petit monde concerte à satiété. Le largo s'affirme hors de toute manière lénifiante tandis que l'allegro final se plait dans un mode alerte où chacun des solistes brille à son tour. La quatrième sonate est un modèle du genre : l'andante fonctionne comme une ouverture et l'allegro comme une sorte de scherzo animé sans pour autant être dépourvu de profondeur, les deux hautbois dialoguant avec verve. L'adagio est un largo envoûtant, raffiné dans les échanges entre les solistes hautbois, rythmés par le basson. L'allegro conclusif est pimpant. Les exécutions de l'ensemble italien Zefiro sont extrêmement vivantes, hautes en couleurs, parfaitement maitrisées, les deux hautbois de Poalo Grazzi et d'Alfredo Bernardini rivalisant d'adresse et de virtuosité teintée de douceur, et le basson d'Alberto Grazzi fort habile. Le continuo avec Rinaldo Allessandrini au clavecin ou à l'orgue positif est une merveille de goût. Comme toute cette musique divertissante. A écouter sans modération.   

 

Jean-Pierre Robert.

 

George Frederic HANDEL : Giulio Cesare. Dramma per musica en trois actes. Livret de Giacomo Francesco Bussani. Andreas Scholl, Cecilia Bartoli, Anne Sofie von Otter, Philippe Jaroussky, Christophe Dumaux, Ruben Drole, Jochen Kowalski, Peter Kalman. Il Giardino Armonico, dir. Giovanni Antonini. Mise en scène : Moshe Leiser & Patrice Caurier. Salzburger Pfingstfestspiele 2012. Haus für Mozart. 2DVDs Decca : 074 3856. TT. : 4H09'

 

Voici enfin la restitution DVD de la fameuse production de Jules César de Haendel donnée au Festival de Salzbourg 2012 ! Qui marquait la première proposition de la nouvelle direction artistique du festival de Pentecôte confiée à Cecilia Bartoli. Celle-ci avait réuni un plateau de chanteurs notoires qui assurent à cette nouvelle interprétation un indéniable prestige. Car assembler, outre elle-même, les quatre contre ténors Scholl, Jaroussky, Dumaux et Kowaleski, et last but not least, la mezzo Anne Sofie von Otter tient du prodige. Ils ne déçoivent pas, loin de là : un festin vocal que chaque aria ou ensemble ! Surtout, une vraie troupe, ce qui est une marque d'excellence à l'opéra. La production du tandem Leiser & Caurier atteint-elle le même Nirvana ? Rien n'est moins sûr ; encore que l'absence de réactions hostiles aux rideaux finaux soit une indication de la satisfaction publique. On a dit (cf. NL de 10/2012) que l'action était transposée dans l'univers hollywoodien de quelque péplum à la Cécile B. de Mille, et façon bande dessinée avec moult clins d'œil amusants ou amusés à un Orient déjanté comme à une actualité agitée, sinon guerrière, avec soldatesque de rigueur quoique évoluant souvent au pas de danse... Le plateau est encombré d'un entassement volontaire d'objets hétéroclites, disposés dans le plus grand désordre, et  paré de couleurs crues aussi bien dans les costumes que dans le décor : du rouge sang au jaune poussin, du vert pomme (d'un crocodile faussement menaçant malgré ses crocs) au bleu pervenche d'un rangée de toiles peintes lors de la scène de séduction de César par l'effrontée Lydia/Cléopâtre (aria « V'adoro, pupille »), perruque à la Tina Turner et juchée sur un missile de croisière qui l'ôtera dans les airs en un tournemain du regard d'un amant plus qu'ébloui. Le regard est distancié et se veut sans concession, mais avec une bonne dose d'ironie et dans le droit fil des machineries des temps baroques. Reste que la captation filmique est si adroite que le fatras auquel on a le souvenir d'avoir été confronté sur le vif, contraint par la force des choses de se contenter de vues d'ensemble (sauf  ''spotlighting'' par le truchement de jumelles) cède la place à une vison ramassée misant sur les confrontations entre des personnages très burinés. Les plans rapprochés, largement favorisés, sont souvent d'une beauté spectrale. Ainsi du duo à la fin de l'acte I unissant dans l'adversité Cornelia et Sesto, ou plus tard, à l'heure d'une séparation annoncée, tandis que s'interpose Achilla, alors que mère et fils se donnent la main dans un  déchirant adieu. D'autres plus osés, comme la rencontre César-Ptolémée où le premier, qui a déjoué un projet d'empoisonnement par le second, le force à signer un contrat d'exploitation de puits de pétrole peu avantageux. Et les gros plans scrutateurs sont d'un impact certain : lors de l'aria « Cara speme », Sesto/Jaroussky s'oint le visage de trainées de cendres puisées dan un fût de ferraille où a été plongée la tête de Pompée, son père ; manège qu'imitent Cornelia et la Nourrice. Regards, attitudes, postures des protagonistes sont saisis avec acuité, mettant en valeur une direction d'acteurs pointue.

 

Les portraits émergent avec force : un César fanfaron et en peu enfantin, une Cornelia d'une immense dignité et d'une aura de tragédie classique française, un Sesto passant du jeune homme bien propre au fils vengeur le plus déterminé, un Ptolémée petite frappe, antipathique, abject dans son avidité de sexe, une Nirena, la nourrice, opportuniste et maligne. Et surtout une Cléopâtre égérie hyper futée qui sait comment mettre son monde de son côté, à commencer par César, vampire à l'occasion, perverse pour les besoins de la cause. Cela rend le film captivant et donne aux rebondissements de l'action tout leur sel : jeux d'alliances et revirements de situations dignes d'un feuilleton épique. Jusqu'au happy end dont on ne dira rien pour garder l'effet de surprise... Voilà donc une version bien différente de celle du Festival de Glyndebourne due à la régie de David Mc Vicar et dirigée par William Christie (Opus Arte) ; laquelle paraît presque ''classique'' en comparaison, malgré ses propres partis pris de mise en scène. Le volet musical est lui aussi différent. La direction de Giovanni Antonini et des musiciens de Il Giardino Armonico est alerte, épousant l'élasticité du discours, même si les tempos varient du très lent au prestissime, pour mettre l'emphase sur le contenu dramaturgique des arias. Une expérience en tout cas, qui sort de tout confort visuel et remplit l'oreille de bien des félicités.

 

 

Jean-Pierre Robert.

 

 

Johann Sebastian BACH : Psaume 51 « Tilgen Höchster, meine Sünden », BWV 1083, d'après le Stabat Mater de Giovanni Battista PERGOLESI. Antonio VIVALDI : Nisi Dominus, RV 608. Céline Scheen. Le Banquet Céleste, Damien Guillon contre ténor et direction. 1CD Glossa : GCD 923701. TT.:  56'17.

 

Ce disque se propose d'explorer les relations entre JS. Bach et la musique italienne, plus particulièrement la musique napolitaine. Le Cantor s'est intéressé à ce qui se composait en Italie bien avant cette « adaptation » du Stabat Mater de Pergolèse (1736). Dans des fugues sur des thèmes de Corelli (BWV 579) ou d'Albinoni (BWV 950 & 951) ou encore des pièces vocales inspirées de Frescobaldi dont les Fiori Musicali de ce dernier. Il existe aussi des arrangements de concertos d'après Vivaldi. Mais le travail sur l'œuvre vocale phare de Pergolèse est particulièrement intéressant. Bach en fait une cantate sur le texte du Psaume 51 « Tilgen Höchster, meine Sünden » (adoucis, O Dieu, mes péchés) adaptant la pièce religieuse catholique italienne à la liturgie protestante, en utilisant le procédé dit de la parodie, substituant au texte de Lodi celui allemand dudit psaume. On constate des modifications dans le détail de l'écriture notamment pour ce qui est du rôle assigné aux altos. On pense à Pergolèse, dont la trame de l'œuvre est conservée, mais c'est tout autre chose. L'orchestration est plus dense. Comme au duo « Lass mich Freud und Wonne » (laisse-moi expérimenter joie et délice) qui perd son alacrité italienne pour un continuum certes lié mais moins ''dansant''. Le duo suivant, « Schaue nicht auf meine Sünden » (détourne tes yeux de mes péchés) est pareillement plus sérieux. Il en va de même du traitement des arias : ainsi « Dich erzürnt mein Tod und Lassen » (mes actes et omissions vous incitent à la colère) est pris à un tempo alerte. Plus significative est l'inversion des sections 11 et 12 du texte du Pergolèse afin de terminer dans un ton plus optimiste chez Bach : le pardon de Dieu portant, lors d'un duo ému, l'idée de sacrifice, au cœur du propos de Bach. L'interprétation de la soprano Céline Scheen et du contre ténor Damien Guillon est superbe, les deux timbres se mariant idéalement. La direction de ce dernier est pareillement inspirée, à la tête de son ensemble Le Banquet Céleste, transparent, expressif. Une découverte. On a rapproché le Nisi Dominus de Vivaldi  RV 608. L'influence de la musique concertante du ''Prete rosso'' s'étend ici à sa production vocale, car on entend dans cette pièce des mouvements de concertos, rapides ou lents, la voix d'alto figurant le soliste instrumental. Ses neuf sections alternent des plages vives (3, 5, et 8) et réfléchies. Dans ce dernier domaine, on peut citer le N° 4 « Cum dederit », qui est comme une berceuse délicatement tressée par les violons en sourdine sur une scansion légèrement lancinante des cordes graves. La voix d'alto s'y enlace de manière hypnotique. Autre moment particulièrement expressif : le « Gloria Patri » qui dégage non l'exaltation mais la mélancolie soulignée par la viole d'amour entourant la voix et tissant une cadence finale. Le timbre chaud de Damien Guillon fait de nouveau merveille.

 

Jean-Pierre Robert.

 

Ludwig van BEETHOVEN : Les neuf Symphonies. Annette Dasch, soprano, Eva Vogel, mezzo-soprano, Christian Elsner, ténor, Dimitry Ivashchenko, basse. Rundfunk Chor Berlin,  Berliner Philharmoniker, dir.  Sir Simon Rattle. 5 CDs +3Blue Ray. Berliner Philharmoniker Recordings : BPHR 160091 . TT.: 73'51+61'23+72'41+67'44+67'47 (CDs).

 

Une nouvelle intégrale des symphonies de Beethoven, avec les Berliner Philharmoniker, voilà qui mérite attention. La dernière remontait aux années 2000, dirigée par Claudio Abbado (DG). Sir Simon Rattle préside aux destinées de cette nouvelle lecture. Fruit de concerts donnés à la Philharmonie de Berlin en octobre 2015, avant diverses répliques à l'étranger, dont Paris. Fruit aussi de la technologie maison, du ''Digital Concert Hall'', qui nous vaut des restitutions d'une clarté exemplaire, bien proportionnées, magnifiant la vision du chef anglais et de ses forces d'exception berlinoises. L'édition utilisée est celle due à Jonathan del Mar, parue aux éditions Bärenreiter entre 1996 et 2000, un immense travail de fourmis mené à partir du fac similé du manuscrit autographe et des corrections nécessaires suite aux erreurs de copistes. Il parait incroyable que ces textes musicaux si célèbres ne soient pas encore totalement stabilisés. Il existe toujours des hésitations, notamment pour ce qui est du dernier mouvement de la IX ème! Un des articles de la plaquette des disques  recense les points sur lesquels il y a eu « correction » dans l'édition Bärenreiter. Comme déjà souligné dans les comptes rendus des concerts berlinois et parisiens, ce qui distingue cette interprétation c'est un souci d'allègement et une extrême clarté des plans, d'une part, l'emphase portée sur la danse, d'autre part. Ce qui se manifeste par des tempos plutôt rapides, voire boulés (I/3, II/4, VII/3 & 4, IX fin 4). Les contrastes dynamiques peuvent être creusés (II/4, III/2, IV/1, VIII/4) et les différences de tempos tout autant marquées, dont des ralentissements notables pour laisser chanter tel trait, quoique ne rompant pas le continuum (IV/2). Simon Rattle joue souvent des deux leviers simultanément, soit pour envelopper de tendresse le colossal du discours beethovénien, ou à dessein laisser celui-ci s'épanouir grandiosement (VII/1). Les accents sont parfois légèrement déplacés mais cela respire et ne se dépare jamais d'une belle intensité. C'est qu'est recherché, et achevé, est un équilibre naturel entre cordes et bois, que la disposition des forces instrumentales rend palpable : violons I et II de part et d'autre du chef (avec un souci particulier porté sur ces derniers), altos à droite, cellos sur la gauche et contrebasses derrière, à l'extrême gauche. On avait relevé au concert - et cela se confirme à l'écoute des enregistrements - que cette spatialisation assurait au contrepoint toute sa portée. Au final, l'épique est raisonné, la manière bien scandée sans être tranchée, et non ''à la prussienne'', comme on le disait naguère. Tout cela vaut bien sûr, d'abord par la prestation de l'orchestre : le lustré des cordes, avec les contrebasses qui enveloppent l'entier spectre en lui assurant une belle assise, le ''blend'' des bois dont chaque pupitre est un soliste (Emmanuel Pahud ou Mathieu Dufour à la flûte, Jonathan Kelly ou Albrecht Meyer au hautbois, Andreas Ottensamer ou Wenzel Fuchs à la clarinette, Daniele Damiano au basson, etc...). La pâte est toujours aérée, que ce soit dans le registre piano qui voit un ensemble d'une douceur inouïe, ou dans le forte où l'effet de masse est peu résistible, même lorsque sous la plus forte pression (VI/3). On remarquera encore la couleur claire des cuivres et le travail sur les timbales (fin IV/2). Ce qui renvoie aussi à celui particulièrement étudié des fins de phrases, que Rattle ne force ni ne plaque jamais. 

 


©Monika Rittershaus

 

Quelques remarques complémentaires symphonie par symphonie. La Symphonie N° 1, op. 21(1799-1800) se signale par le dynamisme du con brio initial, l'humour de l'andante cantabile et le savant dialogue dansé au cœur du mouvement. Par les effets de surprise au prix d'un impulse légèrement boulé au Menuetto. Et un allegro final bien pulsé, éminemment dansant dont une conclusion urgente avec ses jolis traits des timbales. La Deuxième Symphonie op. 36 dévoile au premier mouvement un contraste magistral entre la section adagio et la partie allegro con brio, le sentiment de quelque chose d'irrésistible parce que spontané. Le larghetto propose un intermède apparemment sur le même mode énergique quoique plus détendu. Rattle ménage des nuances de rythme et de tempo confortables. Le solo de flûte final n'en apparait que plus volatile. Le scherzo bondit de son tempo rapide et le trio qui s'enchaine, oppose une jolie guirlande des vents à une enroulade unisono des cordes. Rattle met en scène le finale comme une scène d'opéra avec ses séquences en un vrai festin sonore ponctué d'effets de surprise. Le tempo vif apporte une note bienvenue de fluidité que la coda prestissime achève de souligner. La Troisième Symphonie op. 55, de1804, fait éclater les proportions : 50 minutes et trois cors ! Le con brio qui l'ouvre atteint son but par un tempo très soutenu et une scansion abrupte mêlant urgence et respiration, modèle d'élasticité du discours. Le développement vient telle une digression, d'abord ménagée doucement, qui peu à peu gagne en intensité jusqu'au point d'orgue et la décélération. La coda amène la jubilation. Le deuxième thème de la « Marcia funebre », dédiée « A la mémoire d'un grand homme », est pacifié jusqu'au déchainement des cuivres et l'explosion de la dynamique. La coda, Rattle l'élève à l'incandescence. Quelques timbales déchainées et un ultime ralentissement achèvent de conter ce memento à la gloire idéalisée de qui l'on sait ! Le scherzo renoue avec la danse : un début piano magique (les altos) fait place à une allègre progression grâce à d'habiles écarts dynamiques, le trio « des chasseurs » livrant des cors royaux. Le finale et une autre merveille. Le contrepoint habilement dosé montre la qualité superlative de l'orchestre. Les transitions cèlent un raffinement extrême comme les solos (flûte d'Emmanuel Pahud). Sans parler des dissonances que Beethoven place çà et là. Majestueuse sera la coda, sans être écrasante, car le tempo libère des plages de respiration.

 

La Symphonie N° 4 op. 60 (1806) contraste sections adagio et allegro vivace de manière très marquée : après l'attaca explosive, le tempo s'avère très soutenu, comme poussé à quelque extrême d'une verdeur salutaire. L'adagio est pareillement mené sans traîner. Après un passage médian lumineux des bois, la coda sera magistrale. Le vivace du scherzo est abordé à la fois léger et bousté. Après un trio I fort contrastant, la reprise est encore plus résolue et le trio II apporte de nouveau son lot de diversion, au-delà d'une simple répétition du premier. Logiquement, l'allegro ma no troppo final ne l'est pas tant : c'est plutôt un presto muni d'une énergie débordante que rien n'arrête. Seule la différentiation de la dynamique structure la ligne et ses coups de boutoir. Le tricotage des cordes et le contrepoint à cette vitesse font la différence avec une exécution simplement réussie. De la Cinquième Symphonie op. 67, Rattle donne une interprétation haletante depuis l'allegro con brio mené à train d'enfer où l'on a à peine le temps de reprendre son souffle, soulevé (avec des moyens bien différents que ceux de Nikolaus Harnoncourt dans sa plus récente lecture chez Sony ; NL de 5/2016) par une véhémence qui laisse peu de place à l'interrogation. Le résultat est aussi exaltant, même si la manière est bien autre! Le solo du hautbois d'Albrecht Meyer, comme suspendu en l'air, donne le signal d'une coda boulée. L'andante con moto, Rattle l'appuie quelque peu dans ses accords initiaux ; mais quelle merveille que les traits des cellos. L'allegro est un scherzo qui ne dit pas son nom, la fanfare en rythmant le cours, magistralement syncopé de même que les roulades des violoncelles, alors que ceux-ci sont placés au centre de l'image sonore. Le pont qui amène le finale, piano de timbales, est subtilement ménagé et c'est l'explosion de tout un orchestre au zénith.

 


©Monika Rittershaus

 

Avec la Sixième Symphonie op. 68 (1809), Beethoven innove un schéma en cinq parties. Et semble aborder la musique descriptive. Rien de plus inexact, car il s'agit «  d'une sorte de manifeste destiné à affirmer que la symphonie peut et doit exprimer ce qui est ressenti quand on arrive à la campagne » (Élisabeth Brisson in « Qu'en est-il du rapport de Beethoven avec la nature ? », in NL de 5/2016). Il n'y a donc « pas une description de la nature mais un manifeste esthétique ». Le premier mouvement allège sans pour autant s'attarder en vaine contemplation, quoique Rattle musarde sur quelques traits des violons I. L'équilibre cordes/vents est un sujet de ravissement, la disposition des premières droite-gauche produisant un fondu idéal. La  « Szene am Bach », premier intermezzo adagio que connaisse le monde symphonique, est d'un raffinement extrême des pupitres des bois, qui trouve son apogée dans ''le trio des oiseaux'' avec effet de distance comme si ceux-ci évoluaient dans le lointain ou se rapprochaient. La section suivante offre un scherzo aux couleurs d'une joyeuse chasse qui va prospérer dans la joie générale après boire. L'annonce de la Tempête est emplie d'une atmosphère raréfiée jusqu'à un formidable lâcher de puissance. Les coups de timbales sont impressionnants sur la pédale des cordes graves. Le drive ne bascule pas dans l'hyperbole : seul le renfort de puissance pourvoit aux déchainements des éléments. La félicité après la tempête, un allegretto calme, Rattle la voit limpide, sereine avec encore un magistral travail sur les violons I et II mettant en valeur le contrepoint. La Septième Symphonie, op. 42, crie encore d'évidence la qualité superlative des cordes des Berliner dans son premier mouvement. Le vivace, qui justifie l'appellation d' « Apothéose de la danse », imaginée par Wagner, introduit un sens de l'urgence annonçant les dernières pages de la IX ème Symphonie : celui de quelque drame musical fait de rythmes différents et complexes qui concourent à établir une grandeur épique, au fil du développement et de ses crescendos amorcés de loin. La marche funèbre stylisée est un modèle de rythme dansé utilisé à des fins presque illustratives. La façon dont Rattle la ménage à la fois en rythmes et en intensité est un modèle du genre, et d'une extrême séduction instrumentale. Le presto est bondissant, c'est peu dire, et là encore, le contraste dynamique-tempo fort payant. Le trio introduit quelque grandiose page de réflexion que distinguent les bois. Le finale qui couronne ladite apothéose de la danse, conclut en une fête dionysiaque : un con brio haletant mené à tombeau ouvert. Il faut une formation de cette trempe pour que cela sonne toujours d'une souveraine beauté et ne sombre pas dans une battue hachée.

 

La Huitième Symphonie opus 73 connait une autre apologie de l'expression corporelle dès ses premières mesures : l'allegro ''vivace e con brio'' est abordé fier, le développement drivé aux accents martiaux. L'allegretto scherzando dégage quelque humour dans sa manière trottinante et les effets de surprise que réservent les bois. Le tempo di Menuetto poursuit sur une autre idée de la danse, le trio détendant l'atmosphère (cors, clarinettes et contrepoint des cordes graves). Le finale vivace voit une nouvelle apothéose dansée, la pulsation se faisant irrésistible. Les accords finaux successifs (comme dans la Cinquième) sont négociés avec imagination. Enfin la Neuvième op. 125 connait une interprétation de stature. Il n'en faut pas moins pour distinguer une exécution mettant en valeur les particularités formelles de cette œuvre, mi symphonie mi cantate : la vision de chaos qui l'entame, prise à une allure soutenue, se poursuit dans une pulsation très structurée qui laisse place à une belle fluidité. Les accords déferlants centraux dégagent un vrai tragique. Le molto vivace est pris résolu sans être cassant, même si la reprise après le trio se fait un brin plus tranchée et plus vite. Le passage des coups de timbales sur le pépiement des bois a quelque irrépressible rugosité. L'élasticité du tempo est un régal comme le travail des bassons et le dialogue cordes-bois. Le thème du trio est lumineux et là encore se fait éminemment dansant. Le bel adagio déploie un lyrisme aussi épuré (cordes pianissimo) que délicat (vents tout aussi retenus). Le deuxième thème s'épanche doucement au fil d'un discours d'une grande simplicité qui fait tout le prix de cette méditation. Plus avant, le ralentissement que ponctuent les vents sur un infime ppp des violons I et le trait de cor, s'inscrivent dans un continuum que bien des interprétations perdent de vue. La péroraison livre son lot de mélancolie. L'attaca du finale laisse présager un événement essentiel. Le lancement par les bois du thème de l Hymne à la joie » démontre l'art de contraster les effets en dynamique comme en rythmique. La contribution vocale est de qualité sans être exceptionnelle - elle fut plus remarquable lors du récent Festival de Pâques à Baden-Baden (cf. NL de 5/2016). Le passage ''guerrier'' sonne clair, le ténor se tirant d'affaire sans encombre. L'Hymne à la joie est paré de tous ses prestiges grâce au chœur de la Radio de Berlin. La coda laisse éclater l'exaltation qu'une accélération du tempo rend plus papable encore. Un silence signifiant introduit l'ultime séquence agitée, irrésistible.

 

Au final, et dans un secteur extrêmement pourvu, voilà des interprétations à la gloire d'un orchestre d'exception au mieux de sa forme, menées par un chef qui a mûrement réfléchi à la manière d'escalader cet Everest du symphonique. Des interprétations qui se placent dans le peloton de tête des versions qui comptent dans l'histoire du disque.  

 

Jean-Pierre Robert.

 

Johannes BRAHMS : Vier ernste Gesänge, op. 121. Lieder nach Gedichten von Heinrich Heine. Lieder un Gesänge op. 32. Matthias Goerne, baryton. Christoph Eschenbach, piano. 1CD Harmonia Mundi : HMC 902174. TT.: 55'49.

 

Nouveau fruit du partenariat entre le baryton Matthias Goerne et le pianiste Christoph Eschenbanh, ce disque Brahms intrigue. Par le rapprochement de trois cycles ou ensembles somme toute assez dissemblables. Les Lieder und Gesänge op. 32, de 1864, ont été composés sur des poèmes empruntés à deux auteurs bien différents : Karl August Graf von Platen et Georg Friedrich Daumer. Il ne s'agit pas à proprement parler d'un cycle - comme celui qui le précède, Die schöne Maguelone -, mais une succession de pièces que se partagent les deux poètes (5 pour von Platen et 4 pour Daumer), reliées cependant par une unité de ton : celui du fatalisme, du désespoir le plus tragique, voire du sarcasme, et du désir de mort. Alors que Daumer est encore lyrique, von Platen, grand héritier de la manière goethéenne, offre une poétique extrêmement sombre. A l'image de « Der Strom, der neben mir verrauschte » (le torrent qui grondait près de moi), marqué ''moderato, ma agitato'', aux climats désespérés alors que l'écriture pianistique est linéaire sur une ligne distincte de celle du chant. Cette dernière est exigeante pour l'interprète eu égard à la raréfaction de la mélodie et à la pression exercée sur le registre aigu du baryton. « Du sprichst, dass ich mir täuschte » (tu dis que je me trompe), plus dans le ton populaire, est le questionnement d'un amoureux éconduit. Le piano joue et conclut dans le registre grave. Les pièces sur des poèmes de Daumer offrent des climats plus amènes et un semblant de mélodie, surtout la dernière « Wie bist du, meine Königin » (que tu es belle, ma reine) : la félicité du chant romantique. Les Lieder d'après des poèmes de Heinrich Heine rapprochent en fait deux séries : l'op. 85 (1878) formant un diptyque de par la correspondance motivique et le climat serein de chacun des deux Lieder : « Soir d'été» au feeling apaisé quoique angoissé, et « Clair de lune » évoluant dans une atmosphère nocturne, presque surnaturelle. L'op. 96 retrouve la même poétique au fil de quatre morceaux (1884) : quasi hypnotique de « Der Tod, das ist die kühle Nacht » (la mort, c'est la fraîche nuit), plus claire de « Meerfarth » (en mer) sur un rythme de barcarolle, et « Es schauen die Blumen alle » (toutes les fleurs regardent), agité, amer et exalté. A noter que Goerne ne donne pas la pièce N°2 « Wir wandelten » (nous errâmes). Le programme se conclut par les Vier ernste Gesänge, op. 121. Ces quatre chants sérieux sont les ultimes Lieder de Brahms (1896). Ils sont liés au souvenir de Clara Schumann et constituent une réflexion poético-religieuse sur des textes bibliques, tirés de l'Ecclésiaste, de l'Ecclésiastique et de l'Épitre aux Corinthiens. Des « chants terriblement sérieux et mécréants à la fois », dira le musicien. La partie de piano est désormais complètement autonome du chant, lui-même extrêmement élaboré pour un parcours tour à tour éloquent  : « Denn es gehet dem Menschen wie dem Veh » (Car il en va de l'homme comme de l'animal), abstrait et dépouillé (« Ich wandte mich, und sahe »/ Je me sius mis alors à considérer), dont tout pathos est banni, ou « O Tod, wie bitter bist du » (O mort, que ta pensée est amère), évocation d'une sérénité poignante de la fin. Le dernier Lied a quelque chose de monumental dans son propos initial, « Wenn ich mit Menschen- und mit Engelszungen redete » (Quand je parlerai les langues des hommes et des anges) qui peu à peu s'avance dans le calme. Le chant de Goerne est, comme toujours, de haute tenue, nous menant par la main au fil d'un chemin souvent escarpé, et le pianisme d'Eschenbach tout autant pensé. Dommage que le son du clavier soit aussi proéminent.

 

Jean-Pierre Robert.

 

Robert SCHUMANN : Concerto pour violoncelle et orchestre op. 129. Trio pour piano, violon et violoncelle N°1 op. 63.  Jean-Guihen Queyras, violoncelle, Isabelle Faust, violon, Alexander Melnikov, piano. Freiburger Barockorchester, dir. Pablo Heras-Casado. 1CD Harmonia Mundi : HMC 902197. TT.: 54'53.

 

L'ultime volume de la trilogie Schumann voulue par Isabelle Faust, Alexander Melnikov et Jean-Guihen Queras est consacré au Concerto pour violoncelle et au Premier trio. Celui que Schumann intitulera « Pièce concertante pour violoncelle et accompagnement d'orchestre », op.129 (1850), présente des caractéristiques assez différentes du grand concerto romantique. Son schéma tripartite ne serait-il pas une façade dissimulant une composition visant à modifier le schéma formel classique par un agencement plus libre ? Ce qui se traduit par la fluidité de la narration, presque improvisée, le soliste traçant un monologue qui laisserait l'orchestre peut-être en retrait. La présente interprétation défend cette conception par une lecture tout sauf grand romantique. Le premier mouvement ''Nicht zu schnell'' (pas vite) est tout sauf démonstratif, comme on l'a souvent pensé et entendu. Le soliste déploie une mélodie nostalgique ici. Le ''Langsam'' (lent) cèle une large mélodie du soliste, un « Lied instrumental ayant absorbé l'esprit du Volkslied » (Brigitte François Sappey). Elle progresse intime, le cello s'animant peu à peu. Le finale ''Sehr Lebhaft'' (très vif) est bien scandé, laissant au soliste loisir de briller avec fougue. La cadence apporte une plage de réflexion qui se détendra vite avant que le mouvement s'achève de manière quelque peu abrupte. Cette interprétation est très différente de celle de Rostropovitch accompagné par Ben Britten, par exemple (BBC Legends), impression renforcée par une captation de prêt du soliste et laissant entendre une formation orchestrale peu nombreuse et de plus jouant sur instrument d'époque, ce qui achève de déconcerter quelque peu. Le Premier Trio op.63, de 1847, a été composé peu après le Trio op.17 de Clara Schumann. Il satisfait à la floraison du genre du trio avec piano alimentée par Beethoven, Schubert, Mendelssohn, Chopin, Moscheles, Alkan etc. Il marque un nouveau départ dans la carrière compositionnelle de Schumann. Il s'ouvre par un mouvement énergique livrant un thème d'une grande ampleur qui va l'irradier, et même tout le reste de l'œuvre, puissant et d'une unité organique annonçant Brahms. Schumann y achève une combinaison de timbres dans le droit fil  du Quintette op.44 et du Quatuor op. 47. Le développement est un modèle de variations subtiles d'éclairages, très ouvragé, foisonnant d'idées. Le scherzo '' vif mais pas trop rapide '' est tout aussi puissamment bâti en vagues déferlantes successives. Sur le même mode harmonique, le Trio contraste peu, étant plus une diversion qui amène la reprise. Le mouvement lent, ''Avec un sentiment intime'', marque l'apogée de la pièce : contrepoint serré, le violon étant d'abord à la manœuvre, cédant le rôle au violoncelle. La coda sera comme en suspens. Le ''Mit Feuer'' (avec feu) revient à la manière énergique du premier mouvement dont le thème réapparait, mais traité différemment jusqu'à la frénésie. L'exécution de Faust, Melnikov et Queyras est, comme il en était des trios N° 2 et 3 dans les précédents disques, parfaitement équilibrée et dégagée de tout pathos romantique inutile.

 

Jean-Pierre Robert.

 

Béla BARTÓK : Concerto pour violon et orchestre N° 2. Concerto pour orchestre. Augustin Dumay, violon. Orchestre symphonique de Montréal, dir. Kent Nagano. 2CDs Onyx : 4138. TT.: 41'19+40'16.

 

Le Deuxième concerto de violon de Bartók est l'un des plus beaux morceaux du répertoire de l'instrument. Achevé en 1938, il sera créé l'année suivante par son commanditaire et dédicataire Zoltan Székeky, au Concertgebouw d'Amsterdam, sous la direction de Mengelberg. Après la Sonate pour deux pianos et percussions, cette œuvre d'envergure marque un retour à un langage fortement ancré dans ces traditions populaires que le musicien appréciait tant. A l'image du premier mouvement, ''dans un tempo de Verkundos'', une mélodie populaire hongroise confortable d'une grande douceur même dans le registre aigu du violon. Cela s'anime peu à peu, truffé de ricanements, quoique le soliste ne se départisse pas de son caractère olympien dans un discours frôlant les 12 sons. Sauf pour entonner les traits tendus du développement. On admire comme la cantilène s'élargit à la fin du mouvement qui se conclut dans un autre ricanement. L'andante tranquillo marque un fort contraste : assumant une courbe simple d'abord énoncée par le soliste puis reprise par l'orchestre. Il se compose de sept variations, aussi diverses qu'envoûtantes eu égard à la présence d'instruments chargés d'atmosphère comme la harpe, le célesta, et offrant des univers sonores raffinés. Elles sont tour à tour calmes (v. 1 et 2), énergique (v. 3), en forme de choral (v. 4 ), joyeuse car scherzando (v. 5), en parenthèse d'intermède, en imitation (v. 6 ), dans le ton sardonique avec retour du thème, dans l'extrême aigu (v. 7 ). Le finale, allegro molto, offre de nouveau un schéma de variations et est conçu en miroir du Ier mouvement : très dansant, à la rythmique saccadée. Les amplifications orchestrales se font peu à peu plus nombreuses, seulement interrompues par les envolées ou les pirouettes savantes du violon, propres à mettre en valeur l'interprète.  L'on sait qu'à la demande de Székely, Bartók  réécrivit la toute fin pour permettre à celui-ci de briller une dernière fois, là où le compositeur pensait conclure par une coda dévolue au seul orchestre. La calme intériorité d'Augustin Dumay fait merveille, comme la pureté du son. Kent Nagano fait son affaire du raffinement mais aussi de la rugosité de l'orchestration bartokienne et la modification du langage que cette partition amorce par rapport aux précédentes.

 

Il livre une exécution tout aussi intense du Concerto pour orchestre. Cette autre vaste partition, créée à Boston par Koussevitzky en 1944, se compose de cinq mouvements. Charpentés autour de l Elegia » qui est entourée immédiatement de deux scherzos et de deux mouvements vifs extrêmes. C'est un des meilleurs exemples du style tardif de  Bartók, de sa manière américaine : limpide, avec une thématique facilement mémorisable. L Introduzione », bâtie sur un thème populaire, Nagano la prend lente avant de précipiter le débit. L'achalandage des diverses séquences est finement ménagé : tranquille et leurs digressions instrumentales (flûtes, hautbois) ou plus marqués comme au fugato final et ses fanfares. « Jeu de couples » est un scherzo où les instruments s'appairent : les bassons, les clarinettes puis les cuivres bouchés. Les dissonances comme la scansion si originale suscitent l'admiration car les solistes de l'OSM s'en font une fête. L Elegia », qui n'est pas sans évoquer Le Château de Barbe-Bleue et son poignant ''Lac des larmes'', est prise par le chef assez lent, pour laisser se déployer son côté nocturne et inquiétant. Les écarts dynamiques sont marqués : affolement du discours avec ses cuivres et ses percussions, justement menaçants. On croise des rythmes magyars et des épisodes tranchants (fin du mouvement). L Intemezzo interrotto », autre scherzo, est ici retenu, ce qui confère à sa métrique irrégulière tout son poids d'étrangeté. On croise ici aussi du sarcastique dans la fameuse rengaine empruntée à « La Fiancée de Hambourg » de Zsigmond Vincze, de même que des réminiscences du chant de Rákóczi si cher au cœur de tout hongrois. Le finale exubérant est entonné de manière preste, entrainante dans ses déhanchements et ses effets d'amplification. Le travail sur les bois est de nouveau splendide. La vaste et complexe fugue conclut une interprétation qui se hisse au premier rang de la discographie.

 

Jean-Pierre Robert.

 

Maurice RAVEL : intégrale de la musique pour orchestre. Yuja Wang, piano, Ray Chen, violon. Tonhalle-Orchester Zürich, dir. Lionel Bringuier. 4CDs DG : 479 5524. TT.: 55'03+62'19+72'21+53'21.

 

Nouvelles interprétations symphoniques chez DG, nouvelles signatures, enregistrements live : après Yannick Nézet-Séguin dans Schumann (et bientôt Mendelssohn), Lionel Bringuier joue Ravel et nous propose l'entièreté de sa musique orchestrale. La passion du chef niçois pour cette musique ne date pas d'hier : c'est avec La Valse qu'il gagnait en 2005, pour ses 19 ans, le Concours des jeunes chefs d'orchestre de Besançon. Il a souvent mis le musicien au programme de ses concerts et en particulier depuis son arrivée à la tête de Tonhalle-Orchester de Zürich en 2014. Voilà une nouvelle intégrale qui s'inscrit auprès de celle de ses aînés chez le même éditeur : Claudio Abbado, Seiji Osawa, bénéficiant de la belle sonorité de l'orchestre suisse. L'Ouverture de féerie Shéhérazade en son début élégiaque ne laisse pas forcément supposer le dramatisme à venir : éclats, rythme de marche déjanté sur une pédale insistante des cordes graves et sombres éclats qui pourraient reléguer l'œuvre éponyme de Rimski-Korsakov dans une aimable fantaisie de bande dessinée. Seul point commun entre les deux œuvres : leur orchestration scintillante, à l'image du finale de celle de Ravel grandiosement contrasté, et si gallique dans l'exécution de l'orchestre zürichois. Tzigane, Rapsodie de concert, a été suggérée à Ravel par la prestation en 1922 de la violoniste hongroise Jelly d'Arányi. La longue introduction solo sollicitant le violon n'est peut-être pas si diabolique telle qu'interprétée ici par Ray Chen qui y met aussi beaucoup de poésie dans ses diverses séquences. L'entrée de l'orchestre par l'entremise de la harpe est, comme toujours, un ravissement et plus tard le tempo est joliment cadencé au fil du dialogue archet et bois. Cet exercice fort virtuose est ici transcendé par une lecture imaginative. Le Tombeau de Couperin (1914-1917) connait une interprétation très sensible : « Prélude » est abordé dans un tempo très soutenu, mais les cordes du Tonhalle savent leur musique française sur le bout des doigts et cette vive ductilité ne nuit pas, loin de là. On sait la prédilection de Ravel pour tout ce qui ressortit à l'univers des automates. « Forlane » est pareillement bien articulé, sonnant sans affèterie avec des bois s'en donnant à cœur joie. On eût juste aimé une touche d'affection supplémentaire ; mais la vision est cohérente dans la manière d'associer les divers épisodes. « Menuet » sonne gracile (hautbois magique) et le crescendo finement jugé comme la fin espiègle. Avec  « Rigaudon », l'éclat reprend ses droits par ses effets de marche de petits soldats. Le tempo rapide de Bringuier signale quelque joyeuse équipée. La deuxième section apporte un contraste plein d'atmosphère et la reprise tranche par sa vivacité.

 


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Du singulier Boléro (1928), Ravel était-il  satisfait ? « Je n'ai fait qu'un seul chef d'œuvre, le Boléro ; malheureusement, il est vide de musique », avouera-t-il à Arthur Honegger. Lionel Bringuier le débute pppp et à un tempo soutenu. Le phénomène d'amplification dynamique fonctionne bien, les vents du Tonhalle faisant des merveilles, comme les violons vers le milieu, qui élargissent le propos. De même que le marquage des accents dans la reprise sempiternelle du thème et son caractère de plus en plus résolu. L'immuabilité du tempo est préservée, même dans la phase finale d'écrasement sonore avec la caisse claire doublée. Reste que l'effet hypnotique est modéré car la lecture de Bringuier se veut objective et ne cède pas ou peu à la mécanique de machine infernale. Ce qui n'est pas plus mal ! L'ascendance viennoise des Valses Nobles et Sentimentales n'est peut-être pas un vain mot : « On entend l'influence de Schubert » déclare Lionel Bringuier qui en donne une fort délicate interprétation. « Modéré » nous introduit au cœur d'une fête qui bat son plein. « Assez lent » fait contraste, que la flûte agrémente joliment, les divers thèmes s'emboitant avec une étonnante différenciation de la dynamique et une belle aura des bois. « Modéré » danse comme un jeu enfantin. L'enchainement des trois sections suivantes (Modéré, Assez animé, Presque lent) montre une habile maîtrise chez le chef. Comme le subtile distinguo ravélien « Assez vif » et « moins vif' », qui ressort d'une alchimie secrète. On savoure des traits insoupçonnés du premier violon, que révèle l'extrême clarté de l'enregistrement. L Epilogue : lent » sera aussi glorieux que perspicace dans le montage de ses divers climats mystérieux et rappelant des fêtes passées. Ma mère l'Oye (1911) connait une exécution exceptionnelle. Ce ballet en sept parties orchestré à partir de pièces pour piano de 1908, est une succession de tableaux reliés par de courts intermèdes. C'est avec Daphnis et Chloé une des partitions les plus fascinantes de Ravel. « Prélude » établit un cadre onirique, avec cors, percussions et cordes endiablées. « Danse du rouet et scène » est chez Bringuier empli de féerie et bientôt d'un petit drame caché annonçant aux contrebasses la « Pavane de la Belle au bois dormant ». Celle-ci élève sa douce mélodie dans un tempo retenu, très expressif, empli de mystérieux sous entendus. « Les Entretiens de la Belle et de la Bête » sont prétexte à une extraordinaire palette orchestrale. Bringuier conte cette histoire d'amour improbable avec naturel et l'orchestre répond en termes on ne peut plus galliques. Un pur moment de poésie que conclut le solo de violon. Introduit par quelques traits singuliers et mélancoliques, « Petit Poucet » livre sa douce petite musique et on est ému devant tel scintillement. Rarement a-t-on écrit si profondément pour l'enfance ! L'épisode « Laideronnette, impératrice des pagodes » est pur chef d'œuvre d'orientalisme imaginé et de féerie orchestrale. Le balancement de la musique est marqué d'accents acérés et de plages lentes contrastées (gong, flûtes). « Apothéose » porte bien son nom : ce « Jardin féerique » conduit cette interprétation à son incandescence à partir du délicat crescendo qui se déploie en plusieurs phases.

 

La Pavane pour une infante défunte (1899), première pièce dédiée à l'Espagne, Bringuier la dirige à un tempo confortable en ménageant subtilement le beau crescendo expressif. Menuet antique conjugue brillance et sérénité. Deuxième orchestration des Miroirs pour piano de 1885, Une barque sur l'océan déploie toute une fantasmagorie scintillante et des cordes argentées. Alborada del gracioso est plus espagnol que vrai, avec un soin particulier pour la différentiation des plans. La section centrale étale sa fantasmagorie grâce à un orchestre sonnant on ne peut plus français. La péroraison est une façon de pot-pourri magistralement pulsée. La Rapsodie espagnole (1908) est parfaitement ''atmosphérique'' : « Prélude à la nuit », délicieusement évocateur d'une soirée andalouse chargée de parfums étouffants. L'imaginaire ibérique de Ravel est ici à son apogée. « Malaguena » tournoie généreusement et s'éteint tout aussi subrepticement. « Habanera » a quelque chose de mystérieux, d'inquiétant peut-être dans son déhanchement faussement régulier. « Feria » s'envole se préparant à la fête ; celle-ci éclate joliment scandée. L'épisode médian (du solo de hautbois) sera retenu comme une célébration où tout est un peu exagéré. Le rythme reprend allègre vers un effet d'écrasement typiquement ravélien. La Valse (1919), va connaitre sa déconstruction diabolique, mais avec doigté. Bringuier insiste sur la fluidité et le charme : « Quand je dirige La Valse, je sens l'atmosphère d'une salle de bal viennoise » dit-il. Encore une fois, les cordes du Tonhalle offrent cette idéale clarté consubstantiellement française qui éclaire l'exercice. Pas de dureté dans les grands tuttis : le sens de l'urgence là encore et des rallentendos affectueux. Le détricotage final garde le souvenir d'une vraie beauté dansée. Enfin, la symphonie chorégraphique Daphnis et Chloé connait une interprétation on ne peut plus accomplie. Débutée à un tempo confortable, d'une scansion chaloupée (« Introduction et danse religieuse »), le discours se fait plus insistant, voire effrayant (« Danse grotesque de Dorcon », aux formidables tuttis), pour croiser ensuite des effets graciles, de mystère nocturne (« Danse de Lycéion »), nimbé du halo du chœur, comme la véhémence et la fébrilité qui s'empare de l'entier orchestre (« Danse guerrière »), ou encore le calme évocateur du repos (« Danse suppliante de Chloé »), au déhanchement légèrement appuyé sur le deuxième temps de la valse. La transition qui ouvre le III ème tableau est magique qui introduit le « Lever du jour », d'abord incertain, vite affirmé, sans sollicitation là où le texte parle de lui-même. On vérifie ici une des particularités de la manière de Bringuier qui est de ne rien appuyer, tel dans le grand crescendo qui ouvre comme une délivrance. La séquence des bois y est brillante (solo de le flûte amené dans un tempo retenu ; et justement capté pas de trop près). « Pantomime ou Les Amours de Pan et de Syrinx » joue sur la dynamique et le tempo. La « Danse générale » s'emballe et laisse éclater ses joyeuses pirouettes, de plus en plus rapides, irrésistible bacchanale.

  


Lionel Bringiuer & Yuja Wang / DR

 

Des deux concertos pour piano dont on avait rendu compte à leur première parution en disque séparé (cf. NL de 1/2016), on redira combien ils allient couleurs et sensualité sous les doigts de Yuja Wang et du maestro français. Un Concerto en sol doté de ce côté mécanique de précision (allegramente du Ier mouvement) dans le jeu perlé de la pianiste chinoise sur un accompagnement sobre mais coloré. La section andante est pure magie avec son thème frémissant au piano et ses trilles brillants, et la coda sera haletante. Si l'entame de l'adagio est à la limite – non franchie cependant - de la sollicitation, le développement ressortit à une poétique exceptionnelle (délicate intervention du hautbois d'Isaac Duarte) et le presto figure une course effrénée pleine de fantaisie avec ses cataractes de notes. Le Concerto pour la main gauche est pareillement de haut vol, paré d'une entrée en matière mystérieuse, le crescendo semblant venir de très loin pour se déployer irrésistible. Pour fracassante qu'elle soit, l'entrée du piano laisse apparaitre l'étonnante maitrise de Yuja Wang lorsqu'on sait la difficulté technique que cèle ce jeu d'une seule main qui doit donner l'impression que les deux sont à la manœuvre. Bringuier mise justement sur le volet motorique. La transparence du jeu de Wang sera tout au long pur bonheur. La prise de son a rarement saisi l'instrument avec autant d'impact sur l'entier registre, le grave en particulier. C'est d'ailleurs un aspect qui distingue cette intégrale ; de même que l'immédiateté et le respect des proportions, mettant en valeur des interprétations marquées par un souci de clarté, d'aération, de poésie : le naturel de la manière de Bringuier rencontre la précision millimétrique de l'orchestration de Ravel. Une réussite!  

 

 

Jean-Pierre Robert.

 

Dimitri CHOSTAKOVITCH : Intégrale des Quatuors à cordes. Quatuor Danel. 5CDs Alpha : 226. TT.: 79'53+78'34+80'05+70'02+77'48.

 

Les 15 quatuors de Chostakovitch, composés entre 1938 et 1974, tous créés, à l'exception des deux deniers, par le Quatuor Beethoven, sont des concentrés inouïs de musique qui, comme ses symphonies, jalonnent sa production et surtout le parcours d'un musicien en proie au doute que les conditions politiques ont souvent ébranlé, jamais terrassé. Leur écoute n'est pas un long fleuve tranquille et ses finales « ne nous laissent pas l'envie de nous réjouir », car ils sont tout l'inverse de ceux optimistes des quatuors de Beethoven, observe Valentin Berlinsky, le celliste des Borodine (in « Le Quatuor d'une vie », Éditions Aedam Musicae). Il ne faut pas croire que la dureté y domine, non plus que les décibels. Combien de passages assagis, à la limite du chant, caractérisent-ils ces œuvres qui souvent se concluent par un adagio. Chacune est écrite dans une tonalité différente. Le Quatuor Danel, constitué en 1991, s'est formé auprès du Quatuor Borodine et en particulier de son celliste, Valentin Berlinsky, et a même travaillé avec l'altiste des Beethoven, Fiodor Droujinne. D'où leur autorité, leur ''russité'' en la matière. Pour les citer : « Droujinne nous a appris à revenir au texte, il nous a donné une dimension plus intimiste de l'œuvre, plus intériorisée peut-être » (ITV Resmusica, 28/6/2006). Ils ont enregistré ces quatuors entre 2001 et 2003 et les captations studio sont d'une clarté et d'une immédiateté exemplaires, assurant un parfait équilibre entre les voix. Au-delà d'une fabuleuse qualité instrumentale, qu'on a pu apprécier en direct à Paris ou à la Folle journée de Nantes, les quatre musiciens s'approprient comme peu le langage spécifique de Chostakovitch, telle une seconde nature. Un ton toujours juste, un ambitus extrême autorisant des écarts dynamiques significatifs qui vont du ffff asséné mais toujours ''beau'' jusqu'au plus impalpable pianissimo. Ces pianissimos qui sont habités d'une délicatesse d'émission merveilleuse. Et bien sûr des attaques d'une précision au scalpel. Bien que les œuvres soient présentées selon un ordre arbitraire dicté sans doute par des considérations de timing, la présente recension respectera la chronologie.

 

Le Quatuor N°1, op. 49, date de 1938, juste après la Cinquième symphonie. « Il ne faut pas chercher une profondeur particulière dans ce premier quatuor. Il est gai, enjoué et lyrique » dira l'auteur. Le moderato est plus qu'un pur exercice et les Danel le prennent lent, soulignant une pensée moins simple qu'il n'y parait. Le deuxième mouvement vite s'assombrit, faisant office de séquence lente, sous forme de variations. L'allegro molto et un scherzo haletant sur un tempo de fausse valse, et l'allegro final déploie une énergie certaine que les Danel ne manquent pas de souligner. Le Quatuor N° 2, op. 68 (1944) est bien plus ambitieux. L Ouverture », de forme sonate, sur un tempo de valse, introduit une sorte de discussion animée qui s'élargit pour ne connaitre qu'un bref répit durant le développement. « Récitatif et Romance » offre une intense lamentation du violon I sur un unisson des trois autres voix. C'est un adagio d'une force désespérée à couper le souffle. « Valse » forme un scherzo sage, sans idée sarcastique comme ce sera souvent le cas plus tard. Le « Thème et Variations » final, adagio, débute dans la quiétude d'un thème russe énoncé par le Ier violon, puis tout s'anime, le rythme se diversifiant tandis que la conclusion sera intense, presque appuyée chez les Danel. Le Troisième Quatuor op. 73, de 1946, est en cinq mouvements et introduit une trame épique, comme les Symphonies 8 et 9 contemporaines. L'allegretto lance une rythmique chaloupée, typique chez Chostakovitch, muni d'un second thème plus sombre. Surviennent deux scherzos dans la veine légèrement sarcastique :  le 1er, l'air de ne pas y toucher dans un pianissimo à peine effleuré ou surligné forte, presque appuyé par les Danel ; le second cynique, plus martelé et progressant avec sa manière de batterie. L'adagio parait déclamatoire, traversé de questionnements. Au finale moderato, le thème du premier mouvement réapparait, trottinant, pour une péroraison sereine. Où excellent les Danel. Le Quatrième Quatuor op. 83 (1949, mais créé quatre ans plus tard), a été écrit en réaction au coup de semonce de 1948 (quant à la nécessité ''du respect de la forme''). On sait comment Chostakovitch réagit à pareille attaque : de façon satirique, masquant une vraie souffrance. Ainsi l'allegretto est-il paré d'un thème habilement mélodieux, ondulant. Suit un andantino triste, dans une dynamique restreinte. L'allegretto qui vient alors est dans la meilleure veine du musicien : débité pianissimo, il progresse en intensité à mesure que croît la vitesse ; son motorisme volontairement asservi est comme un pied de nez aux détracteurs officiels. Le finale convoque la veine populaire (exigée des autorités). L'ambitus sonore s'ouvre soudain en des traits d'une étonnante modernité, contrastant avec le langage jusqu'alors apparemment abordable ; mais autre volte face, le mouvement se termine dans un souffle. Les prédisposés russes des Danel sont pour beaucoup dans l'efficacité de leur exécution.

 


DR

 

Le Cinquième Quatuor op. 92 (1952) est quasi symphonique, composé peu avant la 10 ème Symphonie. A l'allegro non troppo, le premier thème enjoué alterne avec un autre plus tendu et la composition se complexifie rapidement. On y trouve des innovations essentielles, comme un langage haché et surtout l'apparition du thème signature DSCH. L'andante est lunaire avec les Danel, introduit pianissimo par le violon I. L'intervention du violoncelle élargit le spectre, d'une abyssale mélancolie. Ce mouvement, tout entier confiné dans le registre piano, à la limite du murmure, est proprement envoûtant avec les Danel. Le passage vers le finale via l'alto est un chef d'œuvre de transition, qui installe le rythme de danse, en apparence détendue, en réalité empreinte de fort tragique. Après un développement sérieux et forte, le registre de la douceur revient et tout s'éteint dans une phrase légèrement interrogative de l'alto (merveilleux Tony Nys). Le Sixième Quatuor, op. 101, de 1956, offre cette caractéristique que chaque fin de mouvement contient une cadence. Son allegretto s'ouvre par le thème DSCH en batteries d'accords et la texture est assez allégée. Le moderato con moto prolonge pareille réflexion mais les choses se complexifient avec des pizzicatos rageurs, même si la cantilène du 1er violon musarde. Le lento dessine une arabesque ramassée, en apparence sereine mais bien sombre, que le changement de rythme final bien ménagé par les Danel, éclaire particulièrement. L'allegro conclusif, qui s'enchaîne, développe cette pensée compacte, en l'élargissant. Un brusque changement dans le rythme et la thématique modifie la donne quoique se mesurant avec la vision apaisée du début de l'œuvre. Le Septième Quatuor op. 108, de 1960, est le plus bref de tous. Trois mouvements enchainés : un prélude dynamique (allegretto), un lento étalant sa mélodie chantante mezza voce ; un finale empreint de gravité avec un thème qui surgit de nulle part, agité, paroxystique. Une valse en sourdine conclut comme dans un rêve. Alexander Berlinsky parle d une réflexion philosophique sur le chemin de l'homme ».

 


Chostakovitch et le Quatuor Beethoven  / DR

 

Une des œuvres majeures du musicien, le Huitième Quatuor op. 110 a été écrit en trois jours, les 12, 13 et & 14 juillet 1960. Sa composante autobiographique a souvent été soulignée : « Je me le suis dédié à moi-même », dira le musicien, impressionné par la vision des ruines de la ville de Dresde suite aux bombardements de la Seconde Guerre mondiale. Il se compose de cinq mouvements joués sans interruption. Le largo est une sorte de requiem (rappelant un chant révolutionnaire russe). Cette sombre entrée en matière débouche sur un allegro acéré, dont émerge le motif DSCH. L'allegretto renchérit sur ce motif signature en forme de valse déconstruite, sardonique dans son crin crin. On retrouve d'autres auto citations, des Première et Huitième symphonies, du Concerto pour violoncelle, mais également des allusions à d'autres musiciens : Wagner (Marche funèbre du Götterdämmerung) et Tchaikovski (Sixième Symphonie). Les dernières phrases sont comme effleurées et tout finit dans une pirouette que les Danel esquissent joliment. Les deux largos s'enchainent : le Ier ouvert par des accords interrogateurs sur une pédale de l'alto, prélude à un crescendo tragique, débouchant sur une méditation mélancolique d'où émerge le thème poignant à l'alto du chant de Katerina au dernier acte de Lady Macbeth ; le second conclut mélodieux et rasséréné une pièce d'une exceptionnelle force expressive, que les Danel jouent avec ferveur, de manière différente des Borodine dans leur récent CD (Decca). Le Neuvième Quatuor opus 117 (1964) est lui aussi composé de cinq mouvements ininterrompus. Jamais créé du vivant du compositeur, il sera perdu de vue puis finalement joué pour la première fois en 2005 à Moscou par les Borodine, et l'année suivante à Paris par les Danel. C'est une œuvre intime, quoique de proportions symphoniques : un moderato aux relents de polka angoissée ; un adagio en forme de méditation d'une poignante retenue ; un allegretto obsédant comme un vrai scherzo typique du compositeur, sollicitant tout autant les quatre voix ; un nouvel adagio introduisant quelque plage de musique pure traversée d'éclats subits en pizzicatos et d'accords effrayants ; un finale conséquent, fugué, apportant son lot de tension, de variété thématique, de complexité instrumentale. Les Danel sont ici chez eux. Le Dixième Quatuor opus 118 (1964), est dédié au compositeur Mieczyslaw Weinberg. Ses quatre mouvements alternent lent et vif. L'andante se caractérise par sa retenue qui cache cependant une richesse thématique extrême. L'allegretto furioso - indication unique parmi les quinze quatuors - est non seulement incisif mais extrêmement dissonant. L'adagio est un lamento en forme de Passacaille douloureuse. Et l'allegretto final, qui broche sur les dernières notes de ce mouvement, introduit un climat devenant peu à peu insistant, presque sardonique. Mais reprenant la tonalité du premier mouvement, la pièce s'achève dans une atmosphère raréfiée. 

 


Quatuor Danel / DR

 

Le Onzième Quatuor opus 122 (1966) se présente en sept mouvements de courte durée, joués enchainés. « Introduzione » est d'un faux calme, pétri de sous-entendus. « Scherzo » (allegretto) est nerveux et tendu, avec des répétitions cocasses. « Recitative » est convulsif. « Étude » figure une sorte de mouvement perpétuel, d'une fluidité forcenée. « Humoresque » a une allure stravinskienne et une bonne dose d'ironie. « Elegy » (adagio), vraie fausse passacaille, déploie un beau lamento expressif qui se délite peu à peu. « Finale » (moderato) revient sur les modes déjà éprouvés plus haut dans la veine intimiste ; et tout finit là encore dans un pianissimo.  La manière de quatre mousquetaires Danel est d'une prodigieuse efficacité. Le Douzième Quatuor op. 133 (1968), en deux mouvements, voit l'apparition d'éléments dodécaphoniques. Le moderato fait office d'introduction, débuté par le violoncelle. L'allegretto se subdivise en plusieurs séquences : d'abord un scherzo affichant son sérialisme, avec un trio rageur tournoyant en tous sens, puis un épisode lent, funèbre, annoncé par le cello et préludant sur une sourdine des quatre voix d'un calme poignant. Un passage en pizzicatos mène à une conclusion où là encore la technique des douze sons est utilisée de manière originale. D'un seul tenant, le Treizième Quatuor op. 138, de 1970, s'ouvre par une longue phrase de l'alto. Ses cinq sections forment une arche selon le schéma ABCBA. Les contrastes y abondent avec des traits arrachés du violon I ou de l'alto dans des passages de type scherzo ou dans une étonnante séquence jazzy ; c'est fantomatique et agressif, alors que les quatre voix sont très sollicitées au fil d'une longue mélopée, ou bien le seul Ier violon en pizzicatos sur d'infimes frémissements de ses partenaires : un effet de danse macabre que les Danel ménagent à la perfection. La dernière section est déchirante, vision de désolation menée jusqu'à ses limites expressives. Le Quatorzième Quatuor op. 142 (1973) livre trois mouvements bien différentiés : un allegretto entre bonne humeur et dures réalités ; un adagio se signalant par un échange entre le Ier violon et le violoncelle d'une profondeur hautement pensée et structurée dans la partie de violon ; un finale enchaîné contenant une citation de l'air de Katerina Ismaïlovna outre des bribes de musique expérimentale, pour s'achever très lent, comme s'effilochant.

 

Le Quinzième Quatuor op. 144, une des dernières pièces chambristes de Chostakovitch qu'il dédie au Quatuor Taneiev en 1974, est le plus long : quelques 38' pour six mouvements enchainés. Rarement a-t-on décrit le chagrin avec un tel ascétisme. Autre œuvre autobiographique, à n'en pas douter. La longue « Elegy » est un hymne d'une noirceur irrémédiable avec ses répétitions lancinantes, évoluant dans le registre grave des instruments et conjuguant retenue dynamique et tempo assagi. « Serenade » tranche  par son caractère incisif, traits de scie aux violons I et II tandis que le violoncelle psalmodie sa réplique ou que l'alto se fait rageur. On est au-delà de tout confort d'écoute. « Intermezzo » offre un solo du violon I (faramineux Marc Danel) sur une pédale de basse. « Nocturne » s'anime quelque peu, mais quel parcours de douleur! « Funeral March » introduit une forme de déclamation prégnante au violoncelle (Guy Danel) à laquelle répond le violon I. « Epilogue » conclut adagio une pièce qui vous empoigne et aura captivé. Comme l'ensemble de ces quinze quatuors écrits par un génie de la musique du XX ème siècle et exécutés ici par quatre musiciens d'élite. Valentin Berlinsky résume sans doute : « Le langage musical de Chostakovitch est loin d'être simple. Il utilise différentes techniques d'écriture... Mais sa caractéristique principale est qu'il subordonnait toujours sa technique compositionnelle à l'idée musicale et le langage adopté était toujours celui qui, le mieux, permettait de la réaliser » (ibid.) Une somme incontournable ! 

 

Jean-Pierre Robert.

 

 

"Now Comes Beauty". Musique anglaise contemporaine. David Owen Norris, piano, Roderick Williams, baryton, Em Marshall-Luck, violon. BBC Concert Orchestra, dir. Gavin Sutherland & Owain Arwel Hughes. 2CDs EM Records  BBC Radio 3 (www.em-records.com/foundation-subscriptions.html). TT.: 49'14+65'51.

 

Le label de BBC Radio 3 EM Records vient de sortir un riche coffret de deux CD consacrés à la musique anglaise de notre temps. Il est naturellement associé à The English Music Festival de Rupert Marshall-Luck - auteur d'un magnifique et passionnant ouvrage, Music in the Landscape. How the British Countryside Inspired our Greatest Composers( London, Robert Hale, 2011), dont la mission est de valoriser les compositeurs britanniques attachés à la notion d'Englishness. De la sorte, l'héritage évoqué par Ralph Vaughan Williams (1872-1958) constitue bel et bien une longue chaîne de Thomas Tallis (ca 1505-1585) à nos jours en passant par Sir Charles Hubert Hastings Parry (1848-1918), entre autres. Gavin Sutherland et Owain Arwel Hughes sont à la tête de l'excellent BBC Concert Orchestra. Les compositeurs se nomment Matthew Curtis (*1959), David Matthews (*1943), Paul Carr (*1961), Paul Lewis (*1943), John Pickard (*1963), Richard Blackford (*1954), Philip Lane (*1950), Christopher Wright (*1954), David Owen Norris (*1953), tous, à ma connaissance, pratiquement inconnus en France. Le bel intitulé du disque – Now Comes Beauty – doit à la musique sublime et poignante de Paul Carr, homme à la riche carrière. Il s'agissait, à l'origine, d'un song pour voix et piano destiné à l'intimité familiale. Puis, il a été transcrit pour un chœur a cappella. En 2009, il est devenu une simple pièce pour orchestre à cordes. Cette musique si touchante exprime l'adieu à une partie de la vie, expression d'un amour profond. Le besoin indicible de trouver une nouvelle direction ne se fait pas sans douleur. J'ai été particulièrement ému par cette partition si singulière. Toutes les œuvres du coffret sont très attachantes.

 

Toutefois, je souhaite évoquer essentiellement celles qui m'ont immédiatement saisi. A Festival Overture de Matthew Curtis a indéniablement quelque chose de l'énergie qui rappelle celle de Sir William Turner Walton (1902-1983). C'est une commande, en 2008, de l'English Music Festival. La Norfolk Suite de Paul Lewis, connu pour ses musiques de télévision et de théâtre, se situe incontestablement dans une tradition que seule la musique anglaise a honoré de la sorte. C'est un véritable mystère. La singularité du comté côtier du Norfolk, au demeurant très dickensien, l'architecture médiévale, sont des sources d'inspiration roboratives pour le compositeur. Un château, une abbaye, le Norfolk Broads (parc national) et le marché de Norwich sont ainsi évoqués avec cette qualité mélodique jamais en panne de fraîcheur et d'intelligence. Les cinq Binyon Songs de John Pickard – professeur de composition et de musicologie à l'Université de Bristol – sont un pur joyau autant pour les textes de Laurence Binyon (1869-1943) que pour la musique. Après plusieurs étapes, ce qui est devenu un cycle en soi a été achevé en novembre 2015. Poète de la Grande Guerre, Binyon est une figure de haute stature morale et imaginative. Il y a quelque chose de stoïque dans ces poèmes que l'on retrouve aussi chez Pickard. Les derniers vers de The Burning of the Leaves (« La brûlure des feuilles ») ont été écrits à la fin de sa vie, au cœur de la Seconde Guerre mondiale. Une lueur d'espoir apparaît bien vite atténuée par la réalité cruelle de l'existence. L'interprétation remarquable de Roderick Williams est à la hauteur de l'enjeu. La conclusion, grave et solennelle, symbolise un retour aux origines, motif supérieur de consolation. Spirited de Richard Blackford, élève du Royal College of Music et de Hans Werner Henze (1926-2012), en Italie, a été composé, en 2013, pour l'English Music Festival. Il s'agit d'une Ouverture, de forme simple au contenu le plus riche, épique, touchant et encourageant qui soit. Legend de Christopher Wright a été composé en 2013. Elle exprime une atmosphère étrange qui se dégage d'un hameau côtier isolé du Suffolk, Shingle Street. L'action se passe dans les années 1940 alors que les rumeurs de l'invasion allemande se faisaient plus précises. Wright est précisément natif du Suffolk. Il comprend cette terre sublime que le peintre John Constable (1776-1837) a immortalisée. Ici, l'homme est seul face aux secrets de la nature et de la vie.

 

Enfin, je suis heureux d'évoquer à nouveau la grande personnalité musicale qu'est David Owen Norris. Son Piano Concerto, entièrement révisé, qu'il interprète lui-même avec une maîtrise extraordinairement imaginative, est une partition importante pour lui. Sa présentation, dans la pochette, est comme toujours exemplaire. N'oublions pas qu'il est également un éminent pédagogue, un musicologue pertinent et un homme de radio d'une vivacité rare. À juste titre, il considère la musique à l'instar du drame d'où l'importance évidente qu'il apporte aux tonalités, aux intervalles, etc… Norris considère le Concerto telle une dramatic form. Une authentique discussion se noue entre le soliste et l'orchestre ce qui rend désormais passionnante cette forme classique. C'est précisément le génie de Norris que de travailler sur des formes connues auxquelles il attribue en permanence de nouvelles énergies, à partir d'une réflexion qui transcende l'art. Sa culture, son imagination et son esprit de synthèse nourrissent un discours particulièrement stimulant, à la fois inédit et que l'on s'approprie spontanément. Comme si sa musique elle-même se confondait avec le mythe. Il est certain que la musique est un « mythe sonore » mais tous les compositeurs ne sont pas à la hauteur de cette exigence. David Owen Norris, oui. En réalité, ce coffret témoigne de cette qualité. Il donne à réfléchir et nous console de ce que d'aucuns, dans leur verbiage insupportable, se plaisent à nommer « musique contemporaine » laquelle, le snobisme aidant, a essentiellement pour vocation de nous déprimer. Ce coffret de BBC Radio 3 – véritable cadeau du ciel – lui, tout au contraire, nous apporte joie, réconfort, profondeur et lumière.

 

James Lyon.

 

 

André Cardinal  DESTOUCHES et Michel-Richard DELALANDE : Les Éléments. Ensemble Les Surprises, dir. Louis-Noël Bestion de Chamboulas. 1 CD Ambronay : AMY 046. TT : 75'47.

 

Après un premier disque très remarqué consacré à Rebel de père en fils, le jeune ensemble Les Surprises, révélation musicale 2014, nous présente ici son deuxième opus discographique, un opéra-ballet, Les Éléments (Le Chaos, l'Eau, L'Air, Le Feu et La Terre)  composé à quatre mains par Michel-Richard Delalande (1657-1726) et André Cardinal Destouches (1672-1749). Une œuvre composée pour le jeune Louis XV, encore inédite au disque, dans une version  d'opéra de salon adaptée par Louis-Noël Bestion de Chamboulas. Il faut en effet savoir que ces « réductions » étaient très prisées au XVIIe et XVIIIe siècles, permettant d'exporter les opéras dans des lieux plus petits que les grandes salles de Versailles  ainsi que dans les salons privés. Par ailleurs la danse très pratiquée par le Roi permettait de donner la preuve au public de la bonne santé du souverain, capable de dominer son corps, d'exercer pleinement ses pouvoirs et ainsi de gouverner au mieux ses sujets. Un opéra-ballet se situant entre les ballets légers de Campra et les ballets héroïques ultérieurs de Rameau, qui fut donné pour la première fois en 1725 à l'Académie royale de musique. Plusieurs fois remanié, il connut son plein succès au concert de la reine Marie Leczinska où il fut donné de nombreuses fois entre 1729 et 1752, à l'égal des œuvres de Lully ou Rameau. Comme attendu, voilà une interprétation digne d'éloges par la clarté de sa sonorité, par l'élégance de son phrasé, par la qualité de ses voix, timbre et diction confondus (Élodie Fonnard et Eugénie Lefebvre) ainsi que par la prise de son très présente. Un disque superbe et un document à ne pas manquer.

 

Patrice Imbaud.

 

 

Wolfgang Amadé MOZART : Quatuors à cordes K. 156 & 499. Divertimento K. 136. Quatuor Volta. 1 CD Artie's Records : AREC008. TT :  52'50.

 

Un jeune label pour un jeune quatuor à cordes plein d'énergie, constitué de musiciens chevronnés (Hugues Borsarello, Laurent Manaud-Pallas, Arnaud Thorette, Gauthier Hermann) décidés à vivre ensemble, et peut-être autrement, leur passion pour la musique de chambre. Après s'être consacrés aux derniers Quatuors de Schubert, le Quatuor Volta, constitué en 2014, se retrouve pour ce premier enregistrement autour de Mozart. Compositeur incontournable et trois œuvres retraçant le chemin effectué par Mozart depuis ses compositions de jeunesse, le premier quatuor composé en 1770 à l'âge de 14 ans, jusqu'aux derniers quatuors prussiens datant de 1790, un an avant sa mort. Une aventure musicale, un apport inestimable à la musique de chambre en 23 quatuors s'étendant sur une vingtaine d'années dont les trois œuvres présentées ici constituent des jalons importants. Le Divertimento K.136 appartenant aux symphonies pour cordes salzbourgeoises, fut composé en 1772 par un compositeur de 16 ans au retour d'une grande tournée européenne où il a pu s'imprégner de nombreuses rencontres. Cette partition appartient au style galant. Très lyrique, le Quatuor à cordes K. 156 appartient au cycle des Quatuors milanais, quasiment contemporains de l'œuvre précédente puisque composés en 1772-1773 lors du second séjour de Mozart en Italie. Enfin le Quatuor K. 499 dit « Hoffmeister » apparaissant isolé entre les Quatuors dédiés à Haydn et les Quatuors prussiens, date de 1786 et permet de juger de l'importance de l'évolution du compositeur en matière de technique et d'inspiration ouvrant la voie à Beethoven. Toute une évolution musicale certes, mais surtout un élan irrésistible dans cette interprétation où soufflent un vent de liberté, une complicité palpable, une énergie stupéfiante, une joie de jouer et une élégance qui jamais ne se démentiront. Le Quatuor Volta, un nom à retenir… 

 

Patrice Imbaud.

 

 

Franz SCHUBERT. Robert SCHUMANN. Fantasias for piano. Natalia Ehwald, piano. 1 CD Genuin : GEN 16413. TT : 79'02.

 

Un programme éminemment romantique pour ce premier enregistrement de la jeune pianiste allemande Natalia Ehwald que l'on vient d'entendre, en récital, au Goethe Institut de Paris. Un programme associant deux œuvres célèbres, la Sonate n° 18 (Fantasia) D. 894 de Franz Schubert et les Kreisleriana (Fantasias) Op. 16 de Robert Schumann. La Sonate de Schubert, datant de 1826, est une quatre dernières sonates parmi les 21 composées et achevées par le compositeur, la seule éditée de son vivant. Une sonate comme un long cheminement vers la lumière comportant quatre mouvements, le premier s'apparentant à une méditation douloureuse, suivi de deux mouvements témoignant d'une joie contenue dans un climat rêveur avant que le dernier n'apporte enfin la lumière libératrice inondée de bonheur. Une œuvre toute empreinte de poésie, de candeur et de délicatesse dont Natalia Ehwald par son jeu intense et pertinent parvient à rendre toutes les couleurs poétiques et intimistes. Composées en 1838, les Kreisleriana constituent un cycle de huit pièces, exaltant l'esprit romantique, faisant référence au Kapellmeister Johannes Kreisler d'E.T.A Hoffmann. Sans doute plus extravertie que la composition précédente, composée pour Clara et dédiée à Chopin, elle souligne une fois de plus la proximité de la musique et de la littérature dans un grand élan esthétique caractéristique du Romantisme et mêle lyrisme, complexité structurelle et contrastes, avec de violents passages entre sentiments opposés, oscillant entre le vaillant et combatif Florestan et le rêveur Eusebius, les deux facettes intimement liées du compositeur. Là encore l'interprétation de la pianiste allemande s'avère passionnante de bout en bout faisant montre d'une magnifique sonorité, d'un pianisme très abouti et d'une émouvante et expressive sincérité. Une lecture véritablement habitée ! Un superbe disque !

 

Patrice Imbaud.

Robert SCHUMANN : « Letzer Gedanke » (Dernière pensée). Soo Park, piano. 1 CD Hérisson : LH14. TT : 80'31.

 

Voilà un superbe album consacré aux dernières œuvres pour piano de Robert Schumann. Des œuvres dont la genèse, à l'instar d'autres créateurs comme Hölderlin, Nerval, Nietzsche, Wolff et beaucoup d'autres, pose le difficile problème des rapports pouvant exister entre création et autobiographie, maladie mentale notamment… Une question ardue dont la réponse n'est sans doute pas univoque. Peut-être faut-il tout simplement écouter la musique sans y rechercher un quelconque symptôme, posture mal aisée à tenir quand on sait combien la musique romantique, tout particulièrement allemande, se nourrissait d'un intime mélange de sentiments balançant entre sincérité, lyrisme, artificialité et journal intime. Si les Sechs Stücke in kanonischer Form datant de 1845, joués ici à quatre mains avec Mathieu Dupouy, apparaissent comme un hommage rendu à l'écriture contrapuntique, les Waldszenen (1848) sont toutes empreintes d'une limpidité baignant cette ballade autour du thème ambigu et consolateur de la foret où la mort rode, les Drei Fantasiestücke (1851) rappelle E.T.A Hoffmann si cher à Schumann tandis que les Gesänge der Frühe (Chants de l'Aube) composés en 1853, dernière œuvre  pour piano publiée du vivant du compositeur,  marquent l'éloignement de Schumann vis-à-vis de la représentation musicale de la nature. Alors commence une quête plus émotionnelle et intériorisée qui trouvera son sommet avec les Geistervariationnen (ou Letzer Gedanke) de 1854, date à laquelle le compositeur est en proie à des hallucinations auditives. Une partition au terme de laquelle Schumann, échappant à la surveillance de Clara, se jettera dans le Rhin, tentative de suicide et internement à Endenich qui ouvriront large la porte à la romantisation de son destin…Toute considération musicologique mis à part, l'album présenté ici brille par l'intelligence de son programme comme par l'excellence de son interprétation. Un Schumann inspiré, émouvant, poétique, clair, sincère, éloquent et intime servi par la pianiste coréenne Soo Park sur un piano Gebauhr de 1850, caractéristique de la facture germanique de l'époque, dont la magnifique sonorité est particulièrement adaptée à ce répertoire. Un très bel album !

 

Patrice Imbaud.

 

 

Felix MENDELSSOHN. Robert SCHUMANN. Violin Concertos and Phantasie. Philippe Graffin, violon. Orchestra di Padova e del Veneto, dir. Tuomas Rousi. 1 CD Cobra Records : COBRA 0043. TT : 68'35.

 

Un disque présentant trois œuvres  romantiques majeures du répertoire pour violon, avec comme particularité notable, en dehors de sa qualité d'interprétation, de présenter une toute nouvelle cadence écrite par Philippe Graffin dans le premier mouvement du Concerto de Mendelssohn. Composé entre 1838 et 1844, ce concerto fut comme celui de Schumann la dernière œuvre concertante du compositeur qui décèdera trois ans plus tard. Dédiée et créée par le violoniste Ferdinand David, il fait indiscutablement partie des quatre grands concertos allemands pour violon avec celui de Beethoven, de Brahms et de Max Bruch. Cette œuvre se démarque par son incomparable ductilité et par l'à propos de sa cadence dont l'engrenage avec l'orchestre dans le premier mouvement atteint une rare perfection. Philippe Graffin a eu l'idée et l'intention, fidèle à la tradition, de remplacer la cadence « habituelle » de Ferdinand David, par celle de son cru, pour notre plus grand bonheur amenant ainsi une touche d'originalité et rappelant un peu Bach par ses sonorités, ce qui du meilleur goût quand on connait l'admiration que Mendelssohn portait au Cantor de Leipzig. L'interprétation de Philippe Graffin nous séduit immédiatement par son allant, la souplesse de sa ligne et sa faculté à laisser s'exprimer la musique, en dehors de toute virtuosité gratuite et grandiloquente. Le Concerto de Schumann connut, quant à lui,  moins de bonheur lors de sa création en 1853. On connait l'histoire rocambolesque de ce concerto, peu apprécié par son dédicataire et créateur Joseph Joachim, expliquant une longue éclipse et remis en lumière par le régime nazi qui cherchait un concerto écrit par un pur allemand pour remplacer celui de Mendelssohn au panthéon musical du IIIe Reich, le sortant pour cela de la bibliothèque de Berlin où il sommeillait pour en proposer une récréation en 1937, à Berlin par Georg Kulenkampf, avant que d'autres violonistes ensuite ne se le réapproprient comme Yehudi Menuhin à New York ou Jelly d'Arányi à Londres. Un concerto, avouons-le, qui n'atteint pas au génie de son illustre aîné mais qui donne ici l'occasion à Philippe Graffin d'une belle lecture où la qualité d'interprétation, le legato, la virtuosité et la sonorité du Domenico Busoni de 1730 suppléent à une certaine faiblesse d'inspiration du compositeur. La Phantasie pour violon et orchestre Op. 131 complète agréablement ce beau disque qui intéressera tous les amateurs curieux et même les autres. L'Orchestre de Padoue et de la Vénétie conduit par Tuomas Rousi, soucieux des équilibres, fournit à cet album un magnifique écrin qui ne déparera pas dans votre discothèque !

 

Patrice Imbaud.

 

 

Johannes BRAHMS. Camille SAINT-SAËNS. Bernhard Henrik CRUSELL. « Works for Clarinet & Piano ». Cyprien Katsaris, piano. Katrin Hagen, clarinette. 1 CD Piano 21 : P21 053-N. TT : 59'34.

 

Pour sa dernière parution, le pianiste Cyprien Katsaris, dirigeant le label Piano 21, a choisi de nous présenter la jeune clarinettiste allemande Katrin Hagen dans un programme de musique de chambre pour clarinette et piano associant la Sonate n° 1 de Brahms (1833-1897), la Sonate de Saint-Saëns (1835-1921) et une réduction pour piano du Concerto n° 3 pour clarinette et orchestre de Crusell (1775-1838). Les deux premières sonates furent composées au crépuscule de la vie des deux compositeurs. Celle de Brahms fut écrite pour le clarinettiste virtuose Richard Mühlfeld. Elle forme un tout avec la Sonate n° 2 de l'opus 120, et utilise de préférence le registre médium de l'instrument, tout à la fois lyrique, pastorale et éminemment romantique. Celle de Saint-Saëns, peut être plus intimiste, se caractérise par une partie de piano d'une surprenante simplicité laissant le devant de la scène au chant joyeux et espiègle de la clarinette en utilisant tous les registres. Si les deux sonates précédentes font partie du répertoire bien connu de tous les clarinettistes, la réduction pour piano du Concerto n° 3 de Crusell est en revanche plus confidentielle, composée pour Pamela Theodora Watson (1921-2009). Bernhard Henrik Crusell était compté parmi les meilleurs clarinettistes de son temps, il écrivit trois concertos pour clarinette dont le troisième (1807) par son allant et sa virtuosité redoutable n'est pas sans rappeler Carl Maria von Weber, dont paradoxalement Crusell ne joua jamais les œuvres pour clarinette. L'interprétation superlative qui nous est donnée de ces trois œuvres ne souffre aucun reproche, grande complicité avec le piano, belle sonorité ronde de la clarinette aux articulations claires et précises soutenant un chant d'une remarquable beauté où la « Dame Clarinette » peut faire état de ses 45 notes et de l'étendue de sa tessiture. Le piano de Cyprien Katsaris volontiers confident dans les sonates, sait se montrer plus véhément et orchestral, avec un bel à propos, dans le concerto de Crusell. Un très beau disque en même temps que la découverte d'une jeune instrumentiste plein de talent, Katrin Hagen, un nom dont on reparlera… 

Patrice Imbaud.

 

 

« Trumpet in Chamber Music ». Georges ENESCO. Francis POULENC. Camille SAINT-SAËNS. François RAUBER. Erik SATIE. Igor STRAVINSKY. Henri TOMASI. André CHPELITCH. Pierre GABAYE. Frédéric Mellardi, trompette. Avec Éric Aubier, Alexandre Baty, Francis Orval, Laurent Wagschal. Les solistes de l'Orchestre de Paris. 1 CD INDESENS : INDE088. TT : 76'20.

 

Son visage est familier de tous les spectateurs de la Philharmonie de Paris. Assis au dernier rang de l'Orchestre de Paris, sa discrétion n'a d'égal que son exceptionnel talent de trompettiste, souvent mis à contribution dans le répertoire symphonique. Cet enregistrement rare nous permet d'apprécier sa sonorité claire, la justesse et la précision de son chant dans le répertoire chambriste, autour d'œuvres peu connues du grand public. Le Septuor de Saint-Saëns pour trompette, violons, alto, violoncelle, contrebasse et piano utilise un instrumentarium atypique pour une pièce toute imprégnée d'une gaieté radieuse où la trompette apporte une note inhabituelle et fantaisiste. La Légende pour trompette et piano de Georges Enesco nous plonge au cœur d'un pays de légende, habité de la nostalgie de l'exil parfaitement rendue par le chant élégiaque de la trompette. La Sonate pour cor, trompette et trombone de Poulenc, composée en 1922, un peu iconoclaste pour l'époque, allie bonne humeur et accents populaires, tandis que la courte Sonnerie de Satie est chargée de réveiller le bon gros roi des singes, deux pièces rappelant l'amitié qui unit pendant un temps les deux compositeurs…Humeurs pour trompette et piano de François Rauber est une réduction d'un concerto en quatre mouvements (Décidé, Plaisant, lent et Gai) dédié à Guy Touvron. La Suite Hétéroclite d'André Chpelitch, nimbée de mystère, très expressive et rythmée, est enregistrée, ici, en première mondiale, dédiée à Frédéric Mellardi, elle fut créée en 2005. La Suite pour trois trompettes de Tomasi, inspirée librement de la danse, se compose d'une Havanaise, d'un Lento Égéen et d'une Danse bolivienne. La Récréation pour trompette, cor, trombone et piano de Pierre Gabaye aux accents un peu jazzy referme ce bel album. Une réédition originale qui constituera pour beaucoup une agréable découverte.

 

Patrice Imbaud.

 

 

Karol  BEFFA. Blow up. Musique de chambre avec vents. 1 CD Indésens : INDE082. TT : 76'45.

 

Voilà un superbe enregistrement de musique de chambre avec vents qui ravira tous les  nombreux admirateurs du compositeur français Karol Beffa (*1973) et qui permettra aux autres auditeurs de découvrir un univers musical original et  très personnel caractérisé par une  profusion de timbres, un large panel harmonique, une pulsation rythmique enivrante et une ligne mélodique d'une stupéfiante beauté. Tout concourt dans cet album édité par le label Indésens à créer un climat musical singulier, oscillant entre « clouds » (harmonique et planant) et « clocks » (nerveux et rythmique), où peut se développer une musique fascinante, contrastée, hypnotique, acérée et tendue, faite de lyrisme et de cassures, parfois agressive, n'hésitant pas à emprunter au jazz, à la pop ou à la techno. Autant d'œuvres pour autant d'atmosphères différentes : le Concerto pour trompette et cordes Blow up donnant son titre à l'album pour piano et instruments à vent (2008), Éloge pour harpe solo (2005), Subway pour trompette et piano (2007), Paysages d'ombres pour flûte, alto et harpe (2008) et Fireworks pour quatuor de saxophone (2011). Les interprètes convoqués pour ce disque sont tous de renommée internationale (Éric Aubier, Vincent Lucas, Laurent Wagschal, Ensemble de vents Initium, Quatuor de saxophones de Jean-Yves Fourneau, Marie-Pierre Langlamet, Lise Berthaud et l'Orchestre de la Garde Républicaine dirigé par Sébastien Billard) participant de la réussite de cet enregistrement, lui assurant tout son éclat et tout son charme. Un disque de musique dite contemporaine aisément accessible aux oreilles profanes, à découvrir absolument. Magnifique !

 

Patrice Imbaud.

 

 

Manuel DE FALLA. Léo BROUWER. Johann Gaspard MERTZ. Astor PIAZZOLLA. Joaquim RODRIGO. Agustin BARRIOS  MANGORE. Sérgio ASSAD. Heitor VILLA-LOBOS. Francisco TARREGA. Gaspar SANZ. Erik SATIE. Franz SCHUBERT. Thibaut CAUVIN. JS. BACH. Pièces pour guitare Thibault Cauvin, guitare. 1CD Sony Classical : 88875124022. TT : 57'37.

 

« Faire le plus beau disque de guitare que l'on puisse rêver d'écouter ». Tel était, de façon un peu humoristique, le but de ce disque dont on peut affirmer, sans grand risque, que la réalisation est à la hauteur de l'enjeu. Un enregistrement de Thibault Cauvin composé d'un florilège de pièces originales ou transcriptions, la guitare classique dans sa forme actuelle n'étant apparue qu'il y a un siècle et demi expliquant que nombre de guitaristes soient devenus maitres dans l'art de l'arrangement. Un disque conçu comme une apologie de l'instrument dans une volonté de rassembler différentes pièces au-delà du temps et de l'espace, un répertoire couvrant la planète et trois cents ans de musique ! Un disque capable de montrer toutes les facettes de la guitare classique moderne. Certaines pièces surprendront sans doute certains auditeurs peu habitués au détaché des cordes pincées dans des œuvres connues pour leur legato sur des cordes frottées… Un écueil de tout arrangement ou transcription qu'on oubliera vite tant cet enregistrement se couvre dès les premières notes d'irrésistibles attraits, magnifiés par le jeu dynamique et les couleurs de la guitare de Thibault Cauvin. Un livret très didactique répondra aux questions de l'auditeur curieux concernant la biographie de chacun des compositeurs convoqués sur ce CD. Un disque qui devrait faire connaitre un peu mieux ce talentueux guitariste de 30 ans, peu connu en France alors qu'il accumule, depuis une dizaine d'années, les succès sur toutes les plus prestigieuses scènes du monde !

 

Patrice Imbaud.

 

 

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MUSIQUE ET CINEMA

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ENTRETIEN

 

 

Nicolas Errèra : Il faut que la musique touche !

Nicolas Errèra, la belle quarantaine, a une formation classique - cours de piano et de composition à  l'École Normale de Musique de Paris avec pour professeurs Serge Petigirard (pour le piano),  Max Deutsch (pour la composition) et Laurent Petitgirard (pour la composition de musique de film). Plus tard, il participe à la classe de musique acoustique au CNSMD. Il est le compositeur de "Le Papillon", du générique de "En Terre Étrangère", de la série" XIII", de "L'Outremangeur", "Nocturna", "Le Guetteur", des pièces mises en scène par John Malkovitch, et d'autres films dont il nous parle dans cet entretien.

Il a accepté, entre deux avions pour la Chine ou les USA, de nous recevoir dans son studio dans une proche banlieue parisienne.


©Stéphane Loison

 

Vous n'allez-pas être surpris si mes questions commencent par pourquoi !

J'imagine la raison !

 

Pourquoi la musique de film ?

Je ne saurais répondre à cette question…Je pense que cela vient de l'enfance. Pourquoi j'étais passionné par la musique de film ?…Pourquoi ? Parce que cela m'aidait à créer des mondes imaginaires, virtuels. J'écoutais des vinyles sur le tourne-disques et je m'endormais en entendant de la musique de film. C'était beaucoup des musiques de John Barry, je ne sais pas pourquoi, il créait des univers ; ou bien de Bernard Hermann. J'avais l'impression de plonger dans des mondes particuliers et cela m'aidait à m'endormir. A la base ça ouvre l'imagination à d'autres mondes. C'est ce que j'aime dans la musique de film. La pop musique, que j'apprécie aussi, l'ouvrait également. Et venant du classique, ces musiques contrebalançaient pas mal cette musique.

 

Ce sont des musiques descriptives qui vous attirent ?

Non, John Barry vient de la pop. La musique de film c'est un carrefour de plein de musiques différentes : on peut trouver cela dans le jazz. C'est pour moi la musique classique du XXème siècle, XXIème siècle. Il y a une sorte de liberté musicale qui va de l'expérimentation à une musique très classique, et cet éclectisme permet d'être très ouvert sur le monde. La réalité de la musique de film c'est autre chose. L'envie de cette musique vient de cette liberté imaginative.

 

Pourquoi France Culture comme première expérience de composition?

J'étais très jeune, 14,15 ans, et il y avait des dramatiques radiophoniques à l'époque sur cette radio. Ils employaient des compositeurs pour écrire des musiques originales, c'était très proche de la musique de film. Il y avait des univers assez étranges. J'adorais ce genre de  composition ; j'ai dû travailler sur cinq, six pièces. On pouvait jouer avec les musiciens de l'orchestre de la radio, c'était très intéressant.

 

Pourquoi par la suite avez-vous changé de voie ?

Je suis allé voir ailleurs effectivement. J'ai rencontré des DJ, des musiciens du Trip Hop, ils m'ont complétement déstabilisé par rapport à ce que j'avais appris dans le classique. J'aimais beaucoup ce côté abrupt, cette rupture de ton. C'était la naissance du sample. J'ai créé des groupes de musiques électroniques, Grand Popo Football Club, Rouge Rouge. Avec Jean Croc, on samplait des musiques françaises totalement inédites. Puis en 2002 je suis revenu à la musique de film avec « Cravate Club » de Frédéric Jardin.

 

Pourquoi ne me parlez- vous pas de cette expérience avec Confortés ?

C'est une autre époque de ma vie !

 

Vous n'étiez pas vieux ! « Vive les femmes » d'après Reiser, c'est en 1984 !

J'avais 16 ans. C'est tellement différent de ce que je fais maintenant, c'est pourquoi je n'en parle pas !

 

La séquence avec Roland Giraud qui drague sur la plage sur votre musique est quand même cultissime !

Cela n'a rien à voir avec mon travail d'aujourd'hui ! C'était une autre époque, c'était quand même super de rencontrer cette équipe, j'avais fait des courts-métrages avant de travailler avec Confortés. [ Dans le studio de Nicolas Errèra il y a un dessin original de Wolinski et un de Reiser dédicacés à son attention ! ] 

 

https://www.youtube.com/watch?v=uZ-su2dKvG0

 

 

Pourquoi « Le Papillon » pour votre naissance en tant que compositeur de musique de film ?

C'est le producteur du film Patrick Godeau qui m'a fait rencontrer  le réalisateur Philippe Muyl. J'avais travaillé pour ce producteur sur « Cravate Club » de Frédéric Jardin. J'avais composé la musique de son film précédent, « Les Frères Sœur ». Philippe est venu au studio, il a écouté ce que j'avais composé et il a apprécié. Il est assez dans le feeling. J'ai composé la musique de la chanson avec Michel Serrault et une petite fille.

 

Et donc la chanson ''Pourquoi'' !

Effectivement. Michel est venu dans ce studio, c'était un fou de musique, il adorait venir ici. On a passé plus de temps que prévu, il jouait du bugle ; il en joue d'ailleurs sur la chanson. On avait un projet de cirque. C'était une rencontre formidable. C'est cela qui est passionnant dans la musique de film, on arrive à la fin du processus…

 

https://www.youtube.com/watch?v=qcvglLAm_gM

 

 

C'est rare de rencontrer les acteurs !

Oui c'est lorsqu'on les fait chanter qu'on les rencontre ! La petite fille, Claire Bouanich, a été formidable, très professionnelle. La chanson a bien fonctionné et c'est grâce à elle - qui a eu un énorme succès en Chine - que le film a fait plus de 15 millions de spectateurs et que j'ai pu travailler en Chine. J'ai toujours été fasciné par le cinéma de Hong Kong que j'allais voir adolescent sur les Grands Boulevards…J'ai envoyé mes musiques à une productrice qui travaillait chez Warner à Hong Kong. Elle les a fait écouter à un réalisateur, qui les a appréciées.

 

Pourquoi le succès d'un film fait-il le succès de tout ce qui le compose et ici de la musique ?

C'est très particulier; la musique est mise en évidence par le succès du film ! Cela n'a pas un rapport avec la qualité musicale. Aujourd'hui avec des compilations, par exemple celles de Morricone, on s'aperçoit que pour des films qui n'ont pas marché, il a été écrit de superbes musiques. C'est peut-être pour les amateurs de films, qui ne sont pas encore trop nombreux ! La notoriété d'un compositeur est liée au succès d'un film !   

 

Pourquoi est-ce si différent de travailler avec des réalisateurs chinois ?

Je ne parle pas leur langue, donc tout se fait en anglais. De plus, ces réalisateurs sont très sensibles à la musque, ils vivent vraiment la musique. En Russie j'avais aussi rencontré cette sensibilité. Lorsque j'avais mes groupes de musiques électroniques, une note pouvait les faire pleurer d'émotion. En Asie la musique est très importante : c'est une musique qui doit générer un impact ; on est dans des univers très organiques. Ils n'ont pas de référence. Il faut que la musique touche ; on est dans le premier degré. Les réalisateurs avec qui je travaille ont entre 40 et 50 ans, donc ils ont vécu avec le cinéma américain.

 

Vous avez travaillé d'abord avec Benny Chan...

J'ai fait trois films à Hong Kong avec lui. Il est considéré comme un des maîtres des films d'action, des films policiers. J'ai composé en 2008 « Connected », en 2011 « Shaolin », un film d'arts martiaux avec Dany Lau et « The White Storm » en 2013 avec Nick Cheung.

 

https://www.youtube.com/watch?v=fsXZZAj_5Vo

 

De se retrouver dans cet univers cela a dû vous faire un certain effet !

Le rêve était devenu réalité ! La première fois que je suis arrivé à Hong Kong, je suis allé sur le tournage, c'était magique. C'est quand même le haut lieu du cinéma asiatique. Ils produisaient jusqu'à 400, 500 films par an pour toute l'Asie ! Maintenant un peu moins. Il y a là une vraie histoire du cinéma. Les équipes sont très professionnelles. C'était pour un film où il y avait beaucoup de cascades, c'était très impressionnant ! Les films hongkongais sont les meilleurs du monde dans l'action, bien supérieurs aux films américains, parce qu'ils sont poétiques, pas toujours avec une happy end.  Les films coréens ont des scénarios qui vont bien plus loin et il n'y a pas de happy end du tout ! Il n'y a pas la pirouette de fin énervante qu'on a dans le cinéma américain.

 

Actuellement vous travaillez sur un nouveau film chinois...

C'est un drame qui s'appelle « Mountain Cry » du réalisateur chinois Larry Yang. C'est américano-chinios parce que il est produit par Village Roadshow qui a produit MadMax. Il y a du piano solo extrêmement travaillé, presqu'électronique, et à la fois un grand orchestre qu'on a enregistré à Londres, plus classique.

 

Pourquoi vous ne dirigez pas tout le temps ?

Je me suis aperçu que c'est mieux pour suivre quand je ne dirige pas. Mais pour le plaisir j'adore le faire.

 

Pourquoi n'avez-vous pas pris un orchestre chinois ?

Ils avaient voulu, mais c'était très compliqué parce qu'en Chine ils ne font pas des prises de son avec tout l'orchestre mais par pupitres. Moi je préfère avoir tous les instruments en même temps.

 

Avez-vous reçu des récompenses pour vos compositions ?

Pour « The White Storm » j'ai reçu un prix à Changchun, un des festivals les plus importants de Chine ; une ville qui était le Hollywood des Japonais à l'époque ; maintenant c'est Pékin, c'est un festival du type Cannes. J'étais le seul européen là-bas !

 

Un  Français compositeur c'est assez unique quand-même ?

Oui. En général ce sont des compositeurs japonais et beaucoup de coréens qui sont très bons en musique. Johnnie To travaille avec un Français qui s'appelle Xavier Jamaux, qui vient du monde de l'électronique. Il n'y en a pas beaucoup mais je pense que cela va venir parce qu'ils commencent à s'ouvrir. J'ai commencé fin 2007 et j'ai vu la différence, il y avait moins de salle de cinéma à l'époque que sur toute la France, et maintenant ils construisent un Imax par semaine ! Je crois que cela devient le plus grand marché du monde !

 

Pourquoi votre production chinoise n'a-t-elle pas de résonance sur votre carrière  ?

Les films chinois, sauf auprès des cinéphiles, n'ont pas encore touché le grand public, alors qu'un compositeur qui travaille aux États-Unis est mieux considéré ! Le cinéma coréen est pourtant un des plus beaux cinémas du monde !

 

Pourquoi n'avez-vous pas encore écrit pour eux ?

Je suis en pourparlers, grâce à « Mountain Cry » qui a été projeté pour la clôture du festival de Busan en Corée. C'est le plus grand festival d'Asie. Il est à la dimension des pays asiatiques. La salle est faite pour six mille personnes, c'est impressionnant. La musique sort magnifiquement et j'ai rencontré des producteurs…

 

Et vous arrivez quand même à composer en France !

L'année dernière j'ai fait le film de Vincent Garenq « Au Nom de Ma Fille ». C'est un supervisor musical qui me l'avait fait rencontrer. Et je termine un film de Nicolas Boukhrief qui s'appelle « La Confession ». Je l'avais rencontré pour une pièce de théâtre de Gilles Gaston-Dreyfus qui s'appelait « Mon Ami Louis ». La composition pour le film est avec un quatuor un peu particulier. Il y a un piano, un aspect électronique, un violoncelle, du cristal Baschet pour montrer la fragilité des sentiments, et j'ai ajouté des ondes Martenot. La musique de film permet ce genre de mélange.

 

Pourquoi êtes-vous resté mélodique ?

Bizarrement même si j'aime faire des mélanges, je suis très attaché à un aspect mélodique. C'est toujours assez long à trouver, c'est pourquoi je ne fais pas beaucoup de musique de film. Il y a différentes manières de composer : soit on fait de la musique d'ascenseur qui est là sans être là, qui peut être très belle aussi, mais qui est moins marquante parce que la mélodie marque un peu ; soit on fait de la musique avec une vraie mélodie et dans ce cas là, on accroche un peu plus l'image. Et moi j'aime bien cela, j'essaye de travailler dans ce sens.

 

Pourquoi refusez-vous de faire des films ?

J'ai la chance de travailler suffisamment. Mais je fais aussi des téléfilms qui souvent sont intéressants

 

Vous venez d'être récompensé pour un téléfilm !

Oui, j'ai fait dernièrement un téléfilm de Xavier Durringer, « Ne m'abandonne pas » dont la musique a reçu le prix de l'UCMF. Ce film va être diffusé dans les écoles car il parle de la radicalisation d'une jeune fille… C'est un beau prix parce qu'il est donné par des gens de la profession qui ont une oreille.

 

Comment avez-vous travaillé sur ce sujet ?

Xavier Durringer est très sensible à la musique, il voulait un leitmotiv envoûtant, il n'avait pas peur de la répétition du thème. On l'a joué au violoncelle, il est émouvant, touchant. Le violoncelliste est Jean Philippe Audin

 

Pourquoi d'après vous on ne parle jamais de la musique de film ?

En France la parole prime, on est obnubilé par le texte et on perd l'atmosphérisation d'un film, contrairement à la Chine ou aux États-Unis, où la musique crée cette atmosphère. C'est tellement différent à l'étranger. C'est un supervisor qui m'a expliqué le pourquoi. Tout l'organigramme est basé sur les années 60, 70, où tout est en fonction du tournage ; la préparation, le tournage proprement dit, le making off…et après le tournage, la post production. Mais à l'époque c'était assez court ; maintenant elle dure six mois, parfois un an ! Donc bien plus long que le tournage. Il n'y a pas eu un vrai update. Il y a encore des réflexes comme le making off du montage, du mixage, de l'enregistrement de la musique. C'est bien dommage parce que le public est très sensible à la musique. C'est bien qu'on parle de la musique de film. Dans les bonus des DVD, on ne fait jamais allusion à la musique de film ! 

 

Dernière question : Pourquoi le diable et le bon Dieu?

Serrault a déjà répondu à cette question : C'est pour faire parler les curieux !

 

                             

 

 

 

Propos recueillis par Stéphane Loison.

 

Concours & Prix

 

Le Jury du concours MAI "Et si je devenais compositeur de musique de film ?" présidé par le compositeur Vladimir Cosma et composé de Anne-Claire Jaulin (scénariste et réalisatrice), Jean-Luc François (réalisateur, directeur artistique, scénariste et animateur), Josselin Jallut (Character FX artist / ESMA), François Nogueira (Enseignant / EICA), Patrick Sigwalt (Compositeur / UCMF), Sébastien Pereaux (Directeur MAI) et Gilles Tinayre (Compositeur et responsable pédagogique Film Musique Academy MAI) a décerné ses prix de composition de musique de film lors d'une cérémonie au cinéma Le Balzac, le 22 juin 2016.

 

Le concours, organisé en partenariat avec l'UCMF (Union des Compositeurs de Musiques de Films) et les écoles de cinéma IECA et ESMA, a réuni 86 candidats parmi lesquels ont été désigné, lors d'une présélection, 6 finalistes. Les participants au concours avaient été invités à composer une musique originale pour deux séquences de courts métrages dont un film d'animation : Merci Mr Jocelyn de Léo Amiot et Julien Boiteux (IECA) et Sail Away de Océane Bidou, Olivier Castelli, Hugues Chauvin, Jordy Fabra et Adrian Lan Sun Luk (ESMA).

 

Palmarès 

Premier Prix
Samuel ARNONE (Wallonie, Belgique)

Second Prix
Jérôme CARAYOL (Rhône)

Troisième Prix
Clovis SCHNEIDER (Haute-Savoie)

Finalistes
Fabien RAUCAZ (Haute-Savoie)
Nicolas BARBEDIENNE (Oise)
Johan BOURDON DUCHER (Essonne) 

 

Récompenses

Premier Prix

·         une année d'études à Musique de Film Academy (dans l'un des deux cursus proposés au choix, pour l'année scolaire 2016/2017 ou l'année suivante)  

·         un logiciel Sibelius offert par Avid

Second Prix

·         un casque studio ATH-M50x offert par Audio-Technica

Troisième Prix

·         un ZOOM Q4n offert par Mogar Music

Prix des 6 finalistes

·         un an d'adhésion à l'UCMF (Union des compositeurs de musiques de films)

·         une place pour le concert de Danny Elfman (24/09/2016 au Palais des Congrès, Paris)

 

SL.

 

 

BO EN CDs

 

 

TROIS SOUVENIRS DE MA JEUNESSE. Réalisateur: Arnaud Desplechin. Compositeur : Grégoire Hetzel. 1CD CRISTAL RECORDS : 88985312172

 

Ce film a reçu le 1er prix à la quinzaine des réalisateurs du Festival de Cannes en 2015 et a eu 11 nominations aux Césars 2016 dont celle de la meilleure musique originale. Il a reçu le César du meilleur film 2016. Grégoire Hetzel a su composer une musique à la hauteur de la dramaturgie du propos. Il s'est distingué dès le début des années 2000 pour son travail avec des réalisateurs tels que Arnaud Desplechin (« Rois et Reine », « Un Conte de Noël »), Mathieu Amalric (« Le Stade de Wimbledon ») et Emmanuel Bourdieu (« Les Amitiés maléfiques »).  Il est capable de passer d'un registre pop à des compositions électroniques, d'écrire des œuvres symphoniques autant que des morceaux folk. Ici il a écrit une très belle musique qui sert magnifiquement le propos de Desplechin. C'est un disque où l'on passe d'ambiances Hitchcockiennes à des moments wagnériens à la Parsifal. La musique est interprétée par Le London Chamber Orchestra. C'est du grand Hetzel et une fois encore on peut s'apercevoir que les votants des Césars sont sourds ! Si vous aimez la musique de cinéma ou le cinéma tout court procurez-vous cet album dont la présentation est d'une grande qualité. Dommage que Desplechin n'ait pas écrit un texte pour le CD et parlé de ses intentions musicales. En Bonus la bande originale de « La Forêt », téléfilm d'Arnaud Desplechin.

 

THE CHOICE. Réalisateur : Ross Katz. Compositeur : Marcelo Zarvos. 1CD Milanmusic 399794-2

 

Marcelo Zarvos est un compositeur d'origine brésilienne qui a fait ses études à Berkeley? la fameuse école pour les compositeurs de musique de film. Il a composé pour plus d'une quarantaine de films qui avouons-le n'ont pas été de grands succès. Certains sont connus comme « The Beaver » de Jodie Foster avec Mel Gibson, « Remember Me » d'Allen Coulter avec Robert Pattison où le passionnant et primé « Sin Nombre » de Cary Joji Fukunaga. Il a composé pour plusieurs film de Barry Levinson mais non des meilleurs ! avec Ross Katz c'est sa troisième collaboration. Piano – joué par Zarvos lui même – chante une petite mélodie simpliste,  mais le réalisateur est heureux du résultat ; elle est au niveau du film digne d'un bouquin d'Arlequin, de Nicholas Sparks. A l'écoute du  CD même les pop songs sont sans intérêt mais sûrement plairont aux adolescentes dont celle de Natalia Safran daylight. Un CD  à éviter comme le film qui n'est programmé qu'à la télé.

 

 

https://www.youtube.com/watch?v=s-bjxAu4hFg

 

 

THE CROSSING. Réalisateur : John Woo. Compositeur : Taro Iwashiro 1CD Milanmusic 299825-2 et en digital

 

« The Crossing » est un film sur les destins de trois couples originaires de milieux différents qui ont survécu au conflit sino-japonais et qui cherchent à prendre un nouveau départ alors que s'achève la guerre civile et que les armées nationalistes ne peuvent résister à la poussée communiste, et commencent à se replier sur Taiwan. C'est une fresque de cet immense réalisateur qu'est John Woo – « The Killer », « Broken Arrow », « Volte face », « Mission Impossible n°2 »…   En 2008, Taro Iwahiro, compositeur japonais, avait déjà travaillé avec John Woo pour l'impressionnant film « Les trois Royaumes » – le plus gros budget et succès en Chine - avec les stars Zhang Ziyi et Takeshi Kaneshiro ! Sa musique est romantique, lyrique, dramatique, avec un beau thème « Melody of Autumn Silver Grass » chanté en japonais par Hiromi Yaida et d'autres arrangements. Une musique très occidentalisée (une valse style Chostakovitch) mais qui s'écoute avec beaucoup de plaisir.

 

 

https://www.youtube.com/watch?v=ANOMcmXyOX8

 

 

MICROBE ET GASOIL. Réalisateur : Michel Gondry. Compositeur : Jean-Claude Vannier. 1CD Music Box Records MBR-093


« 
Microbe et Gasoil » raconte l'histoire de deux adolescents qui décident de construire une voiture-maison pour sillonner la France. Le rôle de la musique de Jean-Claude Vannier – connu notamment pour son travail avec Serge Gainsbourg (« Histoire de Melody Nelson ») ou Brigitte Fontaine – est entre autres d'accompagner le rêve des deux amis. Les guitares folk typiques du road movie, auxquelles viennent s'ajouter de nombreux instruments chers à Vannier (cordes arabisantes, célesta, mélodica, clavinet, marimba…) dominent cette partition à la fois ludique, onirique et veloutée.  Laurent Lafarge et Cyril Durand-Roger font depuis cinq ans un excellent boulot ! Ils présentent pour la première fois en CD la bande originale de ce superbe et réjouissant film et ont réunit également d'autres bandes originales de Jean-Claude Vannier : « Aux Abois » (2005), film de Philippe Collin d'après le roman de Tristan Bernard ; « Sauvage Innocence » (2001), « Les Amants réguliers » (2005) et « La Frontière de l'aube » (2008). La partition ce cette dernière est interprétée par Jean-Claude Vannier au piano et Didier Lockwood au violon. A ne pas laisser passer !

 

 

 

TRANCHES DE VIE. Réalisateur : François Leterrier. Compositeur : Jean-Claude Petit. 1CD Music Box Records MBR-092


En 1984, Jean-Claude Petit est au début de sa carrière musicale pour le cinéma. Il a écrit sa première musique en 1982 pour le film de Gérard Mordillat « 
Vive la sociale ! » (Prix Jean Vigo 1983) et vient de signer la partition de « L'Addition » de Denis Amar. « Tranches de Vie » est un film à sketches avec de nombreuses vedettes dont beaucoup viennent de la troupe du Splendid. Le long-métrage livre les déboires sentimentaux et les relations chaotiques des protagonistes traversant ces « tranches de vie ». Jean-Claude Petit s'essaye musicalement à des genres très différents A partir d'un thème central il décline de multiples arrangements tout au long du film, évoquant tour à tour l'Afrique avec ses percussions tribales (Dialogue au sommet), l'Asie par son utilisation du mode pentatonique (Paris sera toujours Paris), ou encore la Russie avec les voix d'hommes façon Chœurs de l'Armée Rouge de Place Rouge. Il écrit également pour le film les morceaux accompagnant les nombreuses séquences dansées, comme Blues inoubliable, Dancin', ou Slow de l'été.  Une BO pour ceux qui apprécient la musique de Jean-Claude Petit.

 

 

L'OUTSIDER. Réalisateur : Christophe Barratier. Compositeur : Philippe Rombi. 1CD Music Box Records MBR-097

 

Àprès « La Nouvelle guerre des boutons » en 2011, le compositeur Philippe Rombi (« Une nouvelle amie », « Dans la maison », « Bienvenue chez les Ch'tis ») retrouve le réalisateur Christophe Barratier  - « Les Choristes » -  pour un thriller inspiré de l'affaire Jérôme Kerviel. Le film raconte l'engrenage dans lequel cet ancien trader de la Société Générale est tombé en 2008, en faisant perdre plus de 4 milliards d'Euros à la banque. Pour interpréter Jérôme Kerviel, le réalisateur a fait appel au jeune, Arthur Dupont (« Bus Palladium »), à François-Xavier Demaison  Coluche ,l'histoire d'un mec) et Sabrina Ouazani (« Pattaya) ». Christophe Barratier en parlant de la musique de son film, trouve que chez Jérôme Kerviel, il y a, une part de minéral, d'eau et de terre qui se trouve transplantée dans un lieu complètement digital. Donc avec Philippe Rombi, ils ont décidé de confronter une musique très digitale, très numérique, à des frottements acoustiques. « Mais comme c'est un symphoniste, Rombi orchestre des samples comme s'il orchestrait du Wagner. » Le résultat est étonnant. Philippe Rombi mélange orchestre symphonique et sons électroniques. Une première passionnante.

 

 

 

MADE IN FRANCE. Réalisateur : Nicolas Boukhrief. Compositeur : Rob. 1CD Music Box Records MBR-096

 

Le film raconte l'histoire de Sam (Malik Zidi), un journaliste indépendant qui infiltre les milieux intégristes de la banlieue parisienne. Il se rapproche d'un groupe de quatre jeunes qui ont reçu pour mission de créer une cellule djihadiste et semer le chaos au cœur de Paris. La musique originale du film a été composée par Rob (Maniac, Horns, Populaire, Belle Épine...). Dans l'esprit des musiques de John Carpenter, le compositeur livre une partition électronique, métallique, grinçante et oppressante qui fait écho au thriller paranoïaque de Nicolas Boukhrief. Pour information…

 

 

 

MONEY MONSTER. Réalisatrice : Jodie Foster. Compositeur : Dominic Lewis. 1Cd Sony Classical Ref 88985333112

 

Lee Gates est une personnalité influente de la télévision et un gourou de la finance à Wall Street. Les choses se gâtent lorsque Kyle, un spectateur ayant perdu tout son argent en suivant les conseils de Gates, décide de le prendre en otage pendant son émission, devant des millions de téléspectateurs…C'est un film malin, une sorte de thriller qui attaque gentiment sur tous les fronts, l'argent, la télé, les stars. Le suspens est mince, on aurait aimé voir une autre fin – la mort à Wall Street un lourd cliché – mais ce n'est pas rentable en termes d'investissement…alors la musique dans tout ce show est comme le film sans climax.  Dominic Lewis, le compôsiteur, a fait ses études à le Royal Academy of Music of London en tant que violoncelliste et en composition. Aux États-Unis il a travaillé avec de compositeurs tels que Powell, Djawadi, Jackman (qui a produit la BO), et depuis il fait partie de l'écurie Zimmer. Le CD offre donc une musique électroacoustique pas originale et qui s'écoute comme se regarde le film, sans ennui.

 

 

https://www.youtube.com/watch?v=7rNKaNLu7HI

 

 

THE NEON DEMON. Réalisateur ; Nicolas Winding Refn. Compositeur : Cliff Martinez. 1CD MilanMusic (en CD, vinyle et digitale)

 

Jesse, une jeune fille souhaitant devenir mannequin, se rend à Los Angeles pour réaliser son rêve. Celui-ci tourne très vite au cauchemar lorsqu'elle réalise qu'elle est l'objet de tous les désirs de femmes obsédées par sa beauté et sa vitalité et qui sont prêtes à tous les moyens nécessaires pour s'en emparer. La bande originale du film est composée par Cliff Martinez qui avait collaboré, précédemment, avec Nicols Winding Refn, sur « Drive » et « Only God Forgives », musiques qui ont eu un énorme succès. Cette dernière est aussi passionnante que les précédentes, avec des variations électroacoustiques originales. Sia chante « Waving Goodbye », Sweet Tempest « Mine ». Une contribution de Julian Winding, le fils du réalisateur, est aussi présente.

 

https://www.youtube.com/watch?v=UgMj5WmKuDo&list=PLdFfEUZze1oHdmR1tIDI-OJy5M3LBm7fo&index=3

 

 

LOVE & FRIENDSHIP. Réalisateur : Wit Stillman. 1CD SonyClassical 88985314932

 

Adapté d'un roman de Jane Austen « Lady Susan » Love & Friendship est un film où les manigances de cette Lady, égocentrique, fourbe, manipulatrice, rancunière, machiavélique, hypocrite, déloyale, sournoise, cynique, tyrannique sont une pure jouissance à découvrir! Le réalisateur a fait un choix musical radicalement opposé à l'époque où se déroule l'histoire, fin XVIIIème. Il a pris des extraits de musique baroque qui collent parfaitement aux intrigues du film. Dès le début du film l'apparition de la troublante Lady Susan, en veuve, se fait sur un extrait de Music for Funeral of Queen Mary de Purcell. Les musiques de Vivaldi, Charpentier, Haendel, Bach, Grétry se succèdent tout au long du film. Des extraits d'œuvres de d'Agincourt, de Frémart, de Jadin, pas ou peu connus, font partie de la BO !   Un extrait de Cosi fan Tutte de Mozart donne bien l'atmosphère de ce film où sentiments et argent ne font pas bon ménage ! Benjamin Estraffo a composé un joli thème du film pour harpe. Le CD de cette compilation musicale s'écoute avec un vrai plaisir comme la vision du film.

 

 

https://www.youtube.com/watch?v=AfEjm7UtK9A

 

 

Stéphane Loison.

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LA VIE DE L’EDUCATION MUSICALE

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Si vous souhaitez promouvoir votre activité, votre programme éditorial ou votre saison musicale dans L’éducation musicale, dans notre Lettre d’information ou sur notre site Internet, n’hésitez pas à me contacter au 01 53 10 08 18 pour connaître les tarifs publicitaires.  

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VIENT DE PARAÎTRE

COLLECTION VOIR ET ENTENDRE

Jean-Marc Déhan et Jacques Grindel ont réalisé, dans les années 1980, collection « voir & entendre », qui s'adressait autant aux collèges et lycées qu'aux conservatoires et écoles de musique. Il nous est apparu que cet outil remarquable pouvait, avec quelques compléments, redevenir un outil pédagogique de tout premier plan. Le parti pris a été de réimprimer à l'identique les fascicules, enrichis d'un court dossier pédagogique. Pour chaque titre, des pistes d'utilisation s'ajoutent à celles déjà mises en lumière dans les partitions elles-mêmes.
Il est possible d'utiliser ces partitions :
- pour la lecture de notes
- pour la lecture de rythmes
- pour la dictée musicale ;
- pour le chant, en faisant chanter et mémoriser les principaux thèmes
- pour la formation de la pensée musicale : les thèmes mémorisés, transposés à l'oreille, donneront lieu, le cas échéant, à des autodictées ;
- pour l'analyse musicale et l'harmonie, avec les analyses fines de J.-M. Déhan et J. Grindel reportées sur la partition
- pour l'histoire de la musique grâce aux textes de présentation ;
- enfin, pour l'écoute raisonnée des œuvres en suivant simplement la partition, quitte à faire porter l'audition sur des éléments précédemment indiqués par le professeur qui pourra adapter ces exercices au niveau de ses élèves.
Mais ces partitions sont également destinées aux amateurs éclairés pour qui la lecture des clés d'ut dans les partitions d'orchestre habituelles, ainsi que le casse-tête des instruments transpositeurs sont souvent des obstacles insurmontables.
Souhaitons que cette réédition permette une meilleure connaissance par tous, jeunes et moins jeunes, futurs professionnels ou amateurs éclairés, de quelques œuvres fondamentales du répertoire.

W.A. Mozart. Symphonie n° 40 (K550)1. Allegro Molto – 3. Menuetto

Prix: 9 euros

A. Borodine. Dans les steppes de l’Asie centrale

Prix: 9 euros

H. Berlioz. Symphonie fantastique 5e mouvement

Prix: 12 euros

J.-S. Bach. Cantate BWV 140« Wachetauf, ruft uns die Stimme »

Prix: 10,50 euros

Baccalauréat 2016.

Épreuve de musique

LIVRET DU CANDIDAT

 

192 pages

Consulter le sommaire en cliquant ici

Consulter un extrait du Livret du Candidat

 

   

1.STOCKHAUSEN JE SUIS LES SONS

Ce livre, que le compositeur souhaitait publier dans sa maison d’édition à Kürten, se propose de présenter les orientations principales de la recherche de Karlheinz Stockhausen (1928-2007) à travers ses œuvres, couvrant sa vie et ouvrant un accès direct à ses écrits. Divers domaines investis par le plus grand inventeur de musique de la seconde moitié du xxe siècle sont abordés : composition de soi à travers les matériaux nouveaux ; découvertes formelles et structures du temps ; musique spatiale ; métaphore lumineuse ; musique scénique ; l’hommage au féminin de l’opéra Montag aus Licht ; Wagner, Stockhausen et le Gesamtkunstwerk, œuvre d’art total. Les témoignages des femmes qui l’ont accompagné dressent un portrait vif et saisissant de l’homme, artiste génial qui aimait plus que tout la musique et la recherche compositionnelle au nom du progrès de l’être humain...(suite)



 

2. ANALYSES MUSICALES VIIIè SIECLE - Tome 1

 

L’imbroglio baroque de Gérard Denizeau

 

BACH

Cantate BWV 104 Actus tragicus : Gérard Denizeau

Toccata ré mineur : Jean Maillard

Cantate BWV 4: Isabelle Rouard

Passacaille et fugue : Jean-Jacques Prévost

Passion saint Matthieu : Janine Delahaye

Phœbus et Pan : Marianne Massin

Concerto 4 clavecins : Jean-Marie Thil

La Grand Messe    : Philippe A. Autexier

Les Magnificat : Jean Sichler

Variations Goldberg : Laetitia Trouvé

Plan Offrande Musicale : Jacques Chailley

 

COUPERIN

Les barricades mystérieuses : Gérard Denizeau

Apothéose Corelli : Francine Maillard

Apothéose de Lully : Francine Maillard

 

HAENDEL

Dixit Dominus : Sabine Bérard
Water Music : Pierrette Mari

Israël en Egypte : Alice Gabeaud

Ode à Sainte Cécile : Jacques Michon

L’alleluia du Messie : René Kopff

Musique feu d’artifice : Jean-Marie Thill

3. LE NOUVEL OPERA

 

Publié l'année même de son ouverture, cet ouvrage raconte avec beaucoup de précisions la conception et la construction du célèbre bâtiment.
Le texte est remis en pages et les gravures mises en valeur grâce aux nouvelles technologies d'impression.

4. LEOS JANACEK, JEAN SIBELIUS, RALPH VAUGHN WILLIAMS - UN CHEMINEMENT COMMUN VERS LES SOURCES

Pour la première fois, le Tchèque Leoš Janácek (1854-1928), le Finlandais Jean Sibelius (1865-1957) et l'Anglais Ralph Vaughan Williams (1872-1958) sont mis en perspective dans le même ouvrage. En effet, ces trois compositeurs - chacun avec sa personnalité bien affirmée - ont tissé des liens avec les sources orales du chant entonné par le peuple. L'étude commune et conjointe de leurs itinéraires s'est avérée stimulante tant les répertoires mélodiques de leurs mondes sonores est d'une richesse émouvante. Les trois hommes ont vécu pratiquement à la même époque.
Ils ont été confrontés aux tragédies de leur temps et y ont répondu en s'engageant personnellement dans la recherche de trésors dont ils pressentaient la proche disparition. (suite).



 

5. LA RECHERCHE HYMNOLOGIQUE

En plein essor à l'étranger, particulièrement en Allemagne, l'hymnologie n'a pourtant pas encore acquis ses titres de noblesse en France.
Dans l'esprit de la collection « Guides musicologiques », cet ouvrage se veut une initiation méthodologique. Il comprend une approche de l'hymnologie se rattachant à la musicologie historique et à la théologie pratique, et résume l'historique de la discipline.
Pratique et documentaire, il offre aussi de précieuses indications : un large panorama des institutions et centres de recherche, un glossaire conséquent ou les mots clés. et les entrées sont accompagnés de leur traduction en plusieurs langues, et une bibliographie très complète (431 titres) tenant compte du tout dernier état de la question.
Outil de travail indispensable, ce livre s'adresse aussi bien aux musicologues, aux théologiens, traducteurs et chercheurs, qu'aux organistes, maîtres de chapelle, chanteurs, et bien entendu, aux hymnologues.

6. JOHANN SEBASTIAN BACH - CHORALS

Ce guide s’adresse aux musicologues, hymnologues, organistes, chefs de chœur, discophiles, mélomanes ainsi qu’aux théologiens et aux prédicateurs, soucieux de retourner aux sources des textes poétiques et des mélodies de chorals, si largement exploités par Jean-Sébastien Bach, afin de les situer dans leurs divers contextes historique, psychologique, religieux, sociologique et surtout théologique.
Il prend la suite de La Recherche hymnologique (Guides Musicologiques N°5), approche méthodologique de l’hymnologie se rattachant à la musicologie historique et à la théologie pratique dans une perspective pluridisciplinaire. Nul n’était mieux qualifié que James Lyon : sa vaste expérience lui a permis de réaliser cet ambitieux projet. Selon l’auteur : « Ce livre est un USUEL. Il n’a pas été conçu pour être lu d’un bout à l’autre, de façon systématique, mais pour être utilisé au gré des écoutes, des exécutions, des travaux exégétiques ou des cours d’histoire de la musique et d’hymnologie. » (suite)

7. LES 43 CHANTS DE MARTIN LUTHER

Cet ouvrage regroupe pour la première fois les 43 chorals de Martin Luther accompagnés de leurs paraphrases françaises strophiques, vérifiées. Ces textes, enfin en accord avec les intentions de Luther, sont chantables sur les mélodies traditionnelles bien connues.
Aux hymnologues, musicologues, musiciens d'Eglise, chefs, chanteurs et organistes, ainsi qu'aux historiens de la musique, des mentalités, des sensibilités et des idées religieuses, il offrira, pour chaque choral ou cantique de Martin Luther, de solides commentaires et des renseignements précis sur les sources des textes et des mélodies : origine, poète, mélodiste, datation, ainsi que les emprunts, réemplois et créations au XVIè siècle... (suite)

8. LES AVATARS DU PIANO

Mozart aurait-il été heureux de disposer d'un Steinway de 2010 ? L'aurait-il préféré à ses pianofortes ? Et Chopin, entre un piano ro- mantique et un piano moderne, qu'aurait-il choisi ? Entre la puissance du piano d'aujourd'hui et les nuances perdues des pianos d'hier, où irait le cœur des uns et des autres ? Personne ne le saura jamais. Mais une chose est sûre : ni Mozart, ni les autres compositeurs du passé n'auraient composé leurs œuvres de la même façon si leur instrument avait été différent, s'il avait été celui d'aujourd'hui. Mais en quoi était-il si différent ? En quoi influence-t-il l'écriture du compositeur ? Le piano moderne standardisé, comporte-t-il les qualités de tous les pianos anciens ? Est-ce un bien ? Est-ce un mal ? Qui a raison, des tenants des uns et des tenants des autres ? Et est-ce que ces questions ont un sens ? Un voyage à travers les âges du piano, à travers ses qualités gagnées et perdues, à travers ses métamorphoses, voilà à quoi convie ce livre polémique conçu par un des fervents amoureux de cet instrument magique.




9. CHARLES DICKENS, LA MUSIQUE ET LA VIE ARTISTIQUE A LONDRES A L'EPOQUE VICTORIENNE

 

Au travers du récit que James Lyon nous fait de l’existence de Dickens, il apparaît bien vite que l’écrivain se doublait d’un précieux défenseur des arts et de la musique. Rares sont pourtant ses écrits musicographiques ; c’est au travers des références musicales qui entrent dans ses livres que l’on constate la grande culture musicale de l’écrivain. Il se profilera d’ailleurs de plus en plus comme le défenseur d’une musique authentiquement anglaise, forte de cette tradition évoquée plus haut.

Et s’il ne fallait qu’un seul témoignage enthousiaste pour décrire la grandeur musicale de l’Angleterre, il suffit de lire le témoignage de Berlioz (suite).



 

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Les analyses musicales de L'Education Musicale