Lettre d'information - no 115 juin 2017
Le pianiste Michel Dalberto connait un brillant été indien comme le montre la sortie du deuxième disque de sa série sur la musique française, consacré à Fauré, chez Aparté (cf. LI 113). Il se produira plusieurs fois en juin. D'abord à Lyon, dans le cadre de « Piano à Lyon », salle Rameau, pour un programme Franck, Fauré, Beethoven (voir ci-dessous). Puis à l'Église de Saint-Maurice (Val de Marne), dans le cadre des « Huitièmes Musicales de Saint-Maurice », où il jouera Schubert, Berlioz Bizet et Wagner. De ce dernier il accompagnera Sophie Koch dans les Wesendonck Lieder (17/6). Enfin à la salle Gaveau pour une soirée éclectique associant deux sonates de Beethoven, op. 27 n° 2 ''Clair de lune'', et op. 57 ''Appassionata''), Franck (''Prélude, choral et fugue'') et Fauré : Ballade en fa dièse op. 19, Nocturnes N° 9 op. 97, N° 11 op. 104 et n° 13 op. 119 (19/6). L'occasion d'entendre un gentleman du clavier.
Renseignements et réservations : Piano à Lyon, 22 rue de l'Annonciade, 69001 Lyon ;
par tel.: 04 78 47 87 56;
en ligne : reservation@pianoalyon.com
Saint Maurice (94 ) : 59, rue du Maréchal Leclerc, 94410 Saint Maurice ;
en ligne : www.ville-saint-maurice.com
Salle Gaveau, Billetterie, 45-47, rue La Boétie, 75008 Paris ;
par tel.: 01 49 53 05 07 ;
en ligne : www.sallegaveau.com
La ville de Lille résonnera au son du piano sous toutes ses couleurs et toutes ses formes, l'espace du deuxième week end de juin. Dans la sphère ''classique'', la pianiste Elena Bashkirova se produira successivement en concert avec l'Orchestre national de Lille que dirigera Jean-Claude Casadesus (concerto pour piano N° 21 de Mozart, le 9 à 20H ), en récital au CRR (Mozart, Schumann, Scriabine, le 9/6 à 11H) et enfin comme chambriste avec Michael Barenboim (Mozart et Schumann : quatuors avec piano, le 11/6 à 17H au CRR de Lille). Trois belles occasions d'apprécier le talent de cette interprète généreuse. On pourra entendre encore Louis Lortie (9/6, 14H, CRR) Stephen Hough (9/6, 20H Nouveau Siècle), Vikingur Olafsson (pour interpréter Phil Glass, 9/6, 22H, NS), Philippe Bianconi (10/6 à 11H CRR & à 17H au Furet du Nord), Nelson Goerner (avec l'Orchestre national de Belgique, 10/6, 20H NS), Thomas Ehnco et Ismail Margain (10/6, 20H30 CRR), Mikhail Rudy (11/6, 14H, gare St Sauveur), François Chaplin (11/6, 14H, CRR), Lucas Debargue (11/6, 15H30, NS) Teo Gheorghiu (11/6, 18H30, CRR) ou encore Nicolas Angelich, Louis Lortie et Hélène Mercier pour le concert de clôture avec l'Orchestre de Lille et Jean-Claude Casadesus (11/6, 20H, NS).
Côté jazz, ce se seront : Pascal Neveu, Gustavo Beytelmann, Éric Legnini, Ludovic Fiers (le 9/6), Bruno Angelini, Yannic Seddiki, Veyrian Weston (10/6), ou le Pierre de Bethman Trio (11/6).
Il y aura encore des séances pour les plus jeunes et les familles : « Picasso pique nique », (10/6, 14H, NS), ou « le Carnaval jazz des animaux » (11/6, 11H, NS) et des expériences originales mêlant les nouvelles technologies comme « Song recycle » de et avec Denis Chouillet et Pierre Yves Macé (10/6, 22H, Palais des Beaux Arts). A explorer !
Renseignements : www.lillepianosfestival.fr et réservations : Pour les concerts à l'auditorium Nouveau Siècle, 3, place Mendes France, 59000 Lille ; par tel.: 03 20 12 82 40. Plusieurs concerts sont gratuits.
Pour les concerts au CRR, et au Palais des Beaux Arts, une heure avant chaque concert.
Renouveler l'expérience du concert, diversifier et rajeunir le public, accompagner les jeunes talents, telles sont les missions que s'assignent Les Pianissimes, au fil de leur saison, à Paris comme à Lyon. Mais le point d'orgue de celle-ci c'est bien sûr le Festival qui se déroule en juin à Saint Germain au Mont d'Or et dans les villages avoisinants, au Nord Est de la cité rhodanienne. Pour sa 12 ème édition, ce festival décidément pas comme les autres, qui cultive aussi une manière de décontraction bien sympathique, programme cette année un beau panel de jeunes pousses et de quelques talents confirmés. Ainsi de Cédric Tiberghien, pianiste aussi original qu'inspiré, pour les Préludes de Chopin et la Sonate de Liszt (24/6), ou du duo Jatekok, les championnes du piano à quatre mains, dans Borodine, Ravel, Grieg et Barber (23/6). Il sera fascinant d'écouter une autre paire de 2x2 mains : Florian Caroubi et Cédric Rainaud pour une transcription du Carnaval des animaux de Saint-Saëns – lors de deux concerts pédagogiques (22 et 23/6). Un duo flûte & piano avec David Violi et Jocelyn Aubrun illuminera un programme de musique française (23/6). Mais aussi le Trio Piketty, piano, violon et violoncelle, qui interprétera un programme à géométrie variable, en duo et en trio (24/6 ) ou le Melanie Dahan Quartet, une formation tout à fait inédite composée d'une voix, d'un piano, d'une contrebasse et d'une batterie, pour parcourir quelques standards américain, latino et français (25/6). Enfin le jeune pianiste Leonel Morales Herrero, 1er prix du concours international de piano de Lyon 2016 viendra clore le festival (25/6).
Réservations : Dièse, 5, rue des Hautannes, Saint Germain au Mont d'Or ; par tel.: 04 78 98 11 78 ou 06 09 26 38 42 ; en ligne : wwwlespianissimes.com
De la rencontre entre Igor Stravinsky et Charles Ferdinand Ramuz nait en 1918 « un espèce de petit théâtre ambulant », le mimodrame Histoire du soldat. Celle d'une jeune recrue qui rentrée en permission, rencontre le diable et lui vend son violon en échange d'un livre qui prédit l'avenir et la rendra riche. Cette comédie tragique, mi-opéra, mi-ballet, inspirée d'un vieux conte populaire russe d'Alexandre Afanassiev, et empruntant au mythe de Faust, est devenue une des œuvres les plus originales de l'auteur du Sacre. « L'un des chefs-d'œuvre le plus secret de Stravinsky », relève André Boucourechliev, qui voit ici « l'archétype du fabliau ». Tout est hors des schémas habituels : trois comédiens, le Narrateur, le Soldat, le Diable, sept musiciens, une durée modeste dépassant de peu l'heure, de très courtes scènes, un univers mêlant le cirque, le jazz, la danse... Elle sera donnée au Théâtre de Poche Montparnasse dans une mise en scène de Stéphan Druet, une direction musicale de Jean-Luc Tingaud, et Olivier Dejours ou Loïc Olivier (en alternance) dirigeant les musiciens de l'Orchestre-Atelier Ostinato.
Théâtre de Poche Montparnasse, 75 Bd du Montparnasse, 75006 Paris. Jusqu'au 16 juillet 2017, du mardi au samedi à 21H et le dimanche à 15H
Réservations : au guichet du théâtre ;
par tel.: 01 45 44 50 21 ;
en ligne : www.theatredepoche-montparnasse.com
C'est à un rare Donizetti que nous convie l'Opéra de Lyon. Une farce sous-titrée « Les conventions et inconvenances théâtrales » (1831), inspirée de la pièce d'un certain Antonio Simone Sografi. Et à une parodie de l'opéra, un opéra sur l'opéra qui caricature sérieusement le genre. Car cette ''Mamma'', Mamm' Agata – qui n'est autre qu'un baryton -, mère de la seconda donna, veut assurer à son rejeton la pleine lumière et la ravir à la Prima donna. On rencontre encore le mari de cette dernière, le primo tenore, le poète et le chef d'orchestre... Les gags et rebondissements sont légions durant cette répétition mouvementée du nouvel opéra, au point que la susdite Mamma s'offre pour chanter à la place de sa fille. Un tel sujet loufoque ne pouvait que séduire Laurent Pelly et son équipe habituelle, champions du déminage des poncifs opératiques. Le mélange identitaire, si subtil sur la scène lyrique, du castrat au baryton, de la mezzo au contre ténor, est aussi une veine porteuse. On s'attend donc à bien des tours... Pelly nous fera-t-il de nouveau perdre haleine au fil des gags comme il les amoncelait dans sa palpitante Fille du régiment du même Donizetti, une mise en scène devenue légendaire ? Au pupitre, le jeune Lorenzo Viotti, lauréat du Concours de chef d'orchestre de Salzbourg 2015, devrait l'y aider. Et une affiche alléchante avec, entre autres, Laurent Naouri, qui se calera naturellement dans ce type de personnage bouffe, et Patricia Ciofi. A ne pas manquer.
Opéra de Lyon les 22, 24, 26, 28, 30 juin & 4, 6, 8 juillet 2017 à 20H et 2 juillet à 16H
Réservations : au guichet, place de la Comédie, 69303 Lyon ;
par tel.: 04 69 85 54 54 ;
en ligne : www.opera-lyon.com
Les opéras de Giacomo Meyerbeer sortent de leur purgatoire. Après Les Huguenots, voici Le Prophète (1849), prototype du Grand opéra français. Le livret d'Eugène Scribe s'inspire de Voltaire et de son Essai sur les mœurs et l'esprit des nations (1756). L'histoire met en scène un épisode de la révolution des anabaptistes de Westphalie, au Moyen Age, et l'ascension du jeune religieux Jean de Leyde qui se fait passer pour une réincarnation du Christ et se fait couronner roi à Munster. Le personnage reste ambigu, écartelé entre une foi sincère et le cynisme de l'imposteur. On pense au faux Dimitri du Boris Godounov de Pouchkine. Le musicien dira que la pièce est « sombre et fanatique ». Le tableau célèbre et grandiose du couronnement inspirera Verdi pour des moments spectaculaires comme la scène de l'autodafé de son Don Carlo ou la scène du Triomphe d'Aïda. On y trouve aussi le fameux ballet des patineurs. C'est un chalenge que de monter une telle œuvre complexe qui outre ses dimensions considérables (près de quatre heures!), puise dans le colossal par ses nombreux changements de décors, et exige des voix puissantes et des forces orchestrales conséquentes. Le Théâtre du Capitole – qui s'est déjà mesuré à la difficulté avec le Rienzi de Wagner - relève le défi avec des atouts : Claus Peter Flor à la direction d'orchestre et Stefano Vizioli à la mise en scène. L'affiche vocale est tout autant prometteuse avec John Osborn dans le rôle de Jean de Leyde, et Ekaterina Gubanova, Fidès, sa mère - personnage créé par Pauline Viardot -, deux immenses voix pour un non moins immense opéra !
Théâtre du Capitole : les 23, 27, 30 juin 2017 à 19H30 et les 25/6 & 2 juillet à 15H
Renseignements et réservations : billetterie, place du Capitole ;
par tel. : 05 61 63 13 13 ;
en ligne : service.location@capitole.toulouse.fr ou www.theatreducapitole.fr
Le festival lillois « Clef de soleil », qui associe musique et patrimoine, transportera cet été ses auditeurs de la capitale des Hauts de France à celle de l'Autriche et de la musique, Vienne. Il s'ouvrira par un week end gratuit et un vrai Bal viennois puis un récital de Cyprien Katsaris. Tous les jeudis, de fin juin à fin août, se succéderont des concerts solo de pianistes de renom comme Michel Dalberto (24/8), Alexander Paley (10/8), Béatrice Berrut (13/7) ou Vanessa Benelli Morell (20/7), ou des soirées de duo comme celui de la violoncelliste Sonia Wieder Atherton avec pour partenaire Alexander Paley, pour interpréter Brahms et Beethoven (27/7), ou encore des formations de chambre, telle celle réunissant Maurizio Baglini, piano, Gautier Dooghe, violon, Silvia Chiesa, violoncelle, Jean-Luc Votano, clarinette, Denis Simandy, cor et Ralph Szigeti, dans un programme Schubert, Ravel et le rare Sextuor op. 37 de Ernö von Dohnányi (3/8). Ou encore l'ensemble Sturm und Drang, pour un programme associant Poulenc, Webern et Lenot (17/8). La thématique sera centrée sur Vienne, de la capitale de la Valse à la Seconde École viennoise.
Concerts à 18H30 (sauf 25/6=19H) en divers lieux : Hospice Comtesse, Couvent des Dominicains, Temple Protestant, Auditorium du CRR.
Renseignements et réservations : par tel 0891 56 20 04 ;
en ligne : festival@clefdesoleil.com ou www.clefdesoleiel.com
Paul Agnew © Philippe Delval
La 22e édition de l’Académie baroque européenne d’Ambronay est confiée pour la première fois à Paul Agnew qui en assurera la direction musicale, la direction pédagogique et la mise en espace. Le chef associé des Arts Florissants a conçu pour l’occasion un programme autour de la figure de Didon avec en guise de mise en bouche quelques extraits de l’opéra du même nom de Henry Desmarest et, en plat principal, l’opéra Didon et Enée de Henry Purcell.
L’Académie baroque européenne 2017 sera composée de 21 musiciens (9 chanteurs & 12 instrumentistes) regroupés autour de l’ensemble eeemerging Repicco (Kinga Ujszaszi – violon & Jadran Duncumb – théorbe).
La tournée européenne qui se déroulera du 8 au 25 juillet 2017, fera halte en France :
- le 13 juillet, au Festival de Sarrebourg
− le 17 à l'Estival de la Bâtie d'Urfé à Saint Galmier
− le 19 au Festival de Saintes,
− le 21 à Labeaume en musique,
− le 22 aux Musicales du Lubéron.
Ce festival qui offre 15 concerts, 15 rencontres, se plait à célébrer un territoire riche en lieux patrimoniaux, de Lisieux à Deauville, de Orbec à Honfleur, de Livarot à Pont l'Évêque, de Cabourg à La Chapelle-Yvon,.. « Un cru aussi puissant que délicat, rempli de charme et d'élégance », selon sa présidente. Car ce festival ne présente pas que de la musique mais, via le logo « Les talents réunis », y mêle les joies de la visite touristique (châteaux, églises, théâtres, villas et même couvent ou grenier à sel ; visites de villages ) voire les saveurs du palais (déambulation à travers les vignes ou cocktail), avant les concerts. L'affiche musicale est prestigieuse, avec Les Musiciens de Saint Julien, le pianiste Roger Muraro, le guitariste Thibaut Garcia, le violoniste Julien Chauvin, le Taylor Consort, le Duo Coloquintes, le Trio George Sand, le Quatuor Arod,... et bien sûr l'Orchestre Régional de Normandie.
Pour commémorer Claude Debussy, qui composa « Jardins sous la pluie » alors qu'il séjournait à Orbec en 1903, commande a été passée à Bruno Coulais, auteur de musiques de films (« Les choristes », « Himalaya »), d'une cantate pour orchestre et chœurs d'enfants qui sera créée en 2018, après avoir été travaillée tout au long de la prochaine année scolaire par les jeunes des classes de musique à horaires aménagés d'Alençon, Orbec, Lisieux...
Renseignements (Association « Culture et Patrimoine », 32 rue Victor Hugo, 14100 Lisieux) et réservations : par tel. : 02 31 31 06 00 ;
en ligne : promenadesmusicales@pays-auge-culture.org ou www.pays-auge-culture.org
Église Saint Vincent de Xaintes / DR
La pianiste Sylvie Carbonel, Présidente de l'association « Musique Vivante dans les Landes », présente un concert exceptionnel le dimanche 23 juillet 2017 à 17h en l'Église Saint-Vincent de Xaintes de Dax. Le celliste Dominique de Williencourt, un des représentants majeurs de l’école française du violoncelle, et le pianiste Maciej Pikulski, chambriste et accompagnateur de grandes voix, interpréteront l'Élégie de Fauré, la Vocalise op. 34 n°14 de Rachmaninov, Kol Nydrey de Max Bruch, la Sonate n°3 en la majeur pour violoncelle et piano de Beethoven, et de Chopin, l'Andante spianato et la Grande Polonaise brillante op. 22 (pour piano solo). Enfin Dominique de Williencourt jouera ses propres compositions : Etchemiatzine et le Mont Ararat (pour cello solo). Ce concert est le prélude au nouveau festival qui, en ce même lieu, devrait éclore à l'été 2018 ; une belle aventure qui a d’ores et déjà le soutien de la ville de Dax et d’importants partenaires économiques de la région.
Renseignements ( Association : 695, route de Taule, 40250 Laurède ) et réservations à l'Office du tourisme ;
par tel : 05 58 56 86 86 ;
en ligne : info@dax-tourisme.com
« La vie de l’œuvre […] dans l’histoire est inconcevable sans la participation active de ceux auxquels elle est destinée. »
Hans-Robert Jauss, Pour une esthétique de la réception, Gallimard, 1978.
Les conditions de création de la musique, de la danse, du théâtre, de l'œuvre visuelle, de l’architecture, de l’écrit ou du cinéma au XXIe siècle obligent les artistes à ne plus considérer la scène, le livre, l'œuvre comme un lieu de représentation fermé mais comme un domaine d’expérimentation, d’expériences, de rencontres et d'échanges : un lieu ouvert. L'œuvre elle-même devient béante, libre, disponible aux interactions diverses (milieu, environnement, public). Les autres champs de la création connaissent le même mouvement du centre vers la périphérie, depuis la fin des années soixante du siècle dernier.
D’autre part, même si l’opéra a été le domaine d’excellence précurseur depuis quatre siècles, les frontières tombent ailleurs entre disciplines, et ces expérimentations sont à l'œuvre dans le temps long de la création depuis près d’un siècle. Cette tendance s’est accélérée en gros depuis cinquante ans. La césure de 1968 peut être repérée en France – John Cage avait déjà opéré la rupture auparavant aux États-Unis - comme le déclic de cette ouverture généralisée et de sa prise de conscience du point de vue du public. Le concept de « participation » en politique comme en économie date de 1969 (France).
Alors que les témoins et théoriciens de cette « révolution culturelle », quasi copernicienne, disparaissent (Boulez, Butor, Eco en 2016...), il est intéressant de se pencher sur le processus à l'œuvre, notamment depuis ces cinq dernières décennies, et sur la relation des artistes et des œuvres avec le public.
1. L’ « œuvre ouverte », d’hier à aujourd’hui
Au siècle dernier, Karlheinz Stockhausen avec son Klavierstück XI, Luciano Berio et la Sequenza pour flûte seule, Henri Pousseur avec Scambi, Pierre Boulez avec sa Troisième sonate pour piano, rendent l'œuvre musicale ouverte. Umberto Eco a analysé cette notion, à partir de textes littéraires ou partitions musicales de ces quatre compositeurs (note 1).
Troisième sonate pour piano de Pierre Boulez / DR
Ils rompent tous les quatre avec la tradition de communication musicale : ce sont des œuvres ouvertes car l'interprète accomplit, revisite, redéfinit, redessine l’architecture de celles-ci au moment même où il en assume la médiation (ordre aléatoire des cellules musicales pour le Klavierstück XI de Stockhausen). En effet, dans ces exemples de musiques, le compositeur laisse la liberté à l'exécutant – liberté mesurée dans un cadre défini et contraint - de déterminer la durée des notes ou la succession des sons, dans un «acte d'improvisation créatrice». La partition n'est pas figée et reste pour le musicien un champ de possibilités à exploiter selon sa sensibilité.
En effet, lorsqu'une œuvre est consommée, appréhendée et vécue, il y a deux possibilités : soit l'œuvre est achevée ou « fermée » (son auteur a fixé le sens et les possibilités). Soit l'œuvre est ouverte, comme dans les exemples donnés plus haut : l'interprète de la musique, ou bien l’auditeur, le lecteur, l'amateur – éclairé ou non - en général, participe à l'œuvre, de façon active, sa collaboration est nécessaire à l'œuvre.
Ainsi, Umberto Eco indique que l'œuvre d'art est, d'un côté, un objet dont on peut retrouver la forme originelle, comme l'a conçue l'auteur : c'est la forme achevée de l'œuvre. D'un autre côté, le consommateur - l’auditeur, le lecteur, le spectateur - exerce une sensibilité personnelle et ses acquis, son expérience, sa culture, ses goûts, voire ses préjugés orientent son plaisir de réception :
« Toute œuvre d'art alors même qu'elle est une forme achevée et close dans sa perfection d'organisme exactement calibré, est ouverte au moins en ce qu'elle peut être interprétée de différentes façons, sans que son irréductible singularité soit altérée. Jouir d'une œuvre d'art revient à en donner une interprétation, une exécution, à la faire revivre dans une perspective originale ».
Conjointement à l’interprète, il y a le public. Celui-ci peut être intégré dans le processus de création, selon un processus que l’on pourrait dénommer l’ « œuvre ouverte à trois » : compositeur, interprète, auditeur. On peut donner divers exemples de cette ouverture : Patricia Dallio en France (« Flippers » musicaux de sa création Extra Ball), Martin Münch en Allemagne lors de ses concerts interactifs. Ici, le public intervient et demande ce qu’il veut entendre, ou le public vient, prend la partition à l’entrée de la salle et suit le texte intérieurement dans le silence et crée le son dans son imagination créatrice : il n’y a plus de son durant le concert, tout devient cérébral. Il n’y a plus d’interprète. La seule contemplation de la partition, essentielle, parfaite, sublimée, est le seul guide à l’écoute intérieure. L’ « auditeur », assourdi, est seul maître du flux musical imaginaire, spéculaire. A la fin du siècle dernier, Bob Wilson, avec son spectacle de plus de sept heures, Le Regard du sourd (1971), révolutionnait la mise en scène et l’opéra même au Festival de Nancy : le langage ne primait plus, le spectacle muet donnait lieu à une poésie intérieure laissant au spectateur une liberté totale, auditive autant que visuelle. Aragon évoqua à propos de ce spectacle une « extraordinaire machine de liberté ». Plus récemment, Patrick Defossez et Anne-Gabriel Debaecker dans l’écriture en cours de Cadenza Onirica – Cycle de Lieder (création en cours pour 2018) convoque la participation effective du public en direct par le biais d’interventions actives sur l'œuvre elle-même au moyen de tweets (objets scripturaux) qui se transformeront en écriture musicale (partition), eux-mêmes se muant en objets visuels (objets d’art numérique).
Dans son ouvrage le plus récent, Jean-Yves Bosseur (note 2) complète, trente ans après, les pistes ouvertes par Umberto Eco. Musicologue, esthéticien et compositeur, il approfondit la partie sur la musique (plus de cent-vingt pages sur un ouvrage qui en compte deux-cent), examinant finement les œuvres de Berio, Boucourechliev, Boulez, Brown, Cage, Donatoni, Feldman, Glass, Kagel, Lustoslawski, Pousseur, Wolff ou Xenakis, entre autres - Eco avait surtout consacré son ouvrage de 1962 à l’analyse de l’oeuvre de James Joyce-, en les mettant en relation les unes avec les autres. Il consacre trente autres pages à la littérature et aux arts de la scène, autant aux arts visuels et une dizaine de page à l’architecture. Dans la seconde partie, il revient en particulier sur les analyses du Livre de Mallarmé ou de l'œuvre de Joyce (Ulysses et Finnagans Wake surtout, livre cyclique). Il étend ses analyses à Michel Butor, Raymond Queneau ou encore Jacques Roubaud. On n’y reviendra pas ou très peu ici, les recherches de l’OuLiPo (ouvroir de littérature potentielle) ayant fait par ailleurs l’objet de nombreux commentaires. Dans la dernière partie, il étend la réflexion aux inventions des architectes, prolongeant la théorie de l'œuvre ouverte aux créations de nombreux constructeurs. Ainsi, il évoque entre autres le principe du meccano et d’éléments basiques démontables (cloisons amovibles, indétermination de certains espaces en fonction des besoins du moment, place pour l’improvisation) à l’occasion de la réalisation du Centre Pompidou par Richard Rogers et Renzo Piano. Il cite aussi l’architecte Franck Gehry qui a fait l’objet d’une exposition rétrospective dans ce même lieu : « Je n’ai aucune notion de la direction que je dois prendre. C’est seulement une fois le fait accompli que je trouve les mots pour le décrire. Je suppose que j’ai toujours été intéressé par l’inachevé (…). Nous préférons tous les bâtiments en construction à ceux qui sont terminés » (note 3).
L’inachevé a toujours fasciné le public, de L’Art de la Fugue de Bach à la Symphonie inachevée de Schubert, en passant par le Requiem de Mozart, les Esclaves de Michel-Ange (et toutes ses œuvres mettant en pratique la technique du non finito), L’Adoration des Mages ou le Saint-Jérôme de Leonardo, l’Autoportrait inachevé de Rembrandt, le Portrait de Bonaparte par David, la Dixième Symphonie « Inachevée » de Gustav Mahler, les deux bustes du compositeur, de passage à Paris avant de s’embarquer pour New York, et comme sortant du marbre, par Rodin, La Pensée de Camille Claudel, l’Arlequin de Picasso, le Livre de Mallarmé (plutôt un concept jamais entrepris, ou bien synthétisant toute l'œuvre du poète, au choix du lecteur), ou Finnegans Wake de Joyce, laissant la création définitivement indéterminée, cyclique ou bien ouverte. La raison en est peut-être que le créateur, l’interprète ou le public peut imaginer lui-même la suite et la fin de l'œuvre, au regard de sa propre vision du monde.
Esquisse du buste de Mahler par Rodin, 1910 (Musée Rodin, Paris) / DR
D’une manière générale, l’intérêt devient aujourd’hui primordial pour l’étude de la genèse de l'œuvre artistique qui privilégie l’analyse du processus créatif au détriment du produit fini. L’inachèvement peut être opéré par choix, par nécessité ou par impossibilité (cas extrême de la mort de l’artiste). Parfois, l’incertitude et l’indétermination règnent sur ces trois possibilités (voir conclusion). On le voit, l’inachevé, l’indéterminé, l’aléatoire, en somme, l'œuvre ouverte, sont loin d’être l’apanage de la seule modernité.
2. Vers une création spéculaire
L’ouverture dans le style de Bach est l’ouverture à autre chose. L’ouverture à la française est un passage obligé de certaines suites. Par définition, on attend la suite, quelque chose se cache derrière cette ouverture. Comme l’ouverture au début d’une partie d’échec, on accède au domaine de l’aléatoire. Malgré la science de l’ouverture (anglaise, écossaise, espagnole, italienne, sicilienne, indienne, russe...), de l’attaque et de la défense, tout reste possible Les dés sont jetés comme dans l'œuvre de Mallarmé où tout est polysémique – les divers sens du poème mallarméen et de la poésie contemporaine par la suite. On peut commencer Finnagans Wake (1939) de Joyce par divers chapitres, et lire le livre comme un récit à l’infini. Sur la route de Jack Kerouak (On the Road, 1957) se lit comme un long rouleau (note 4), métaphore de la route. Le manuscrit original se présentait selon un rouleau cylindrique.
Dans le domaine de l’opéra, l’ouverture en musique est en quelque sorte le résumé de l’action, et par extension « coda » de début d'œuvre, de façon cyclique. Elle donne le ton. Elle ouvre aux grands thèmes de l’opéra. « L’ouverture [...] c’est le vrai moment de rencontre entre l’opéra et l’orchestre symphonique ; il n’y a pas de voix. C’est un moment important de l’action, l’instant où le compositeur prépare le public au drame ou à la comédie qui va se dérouler sous ses yeux », écrit le chef d’orchestre Enrique Mazzola (note 5).
Visuellement, pendant ces quelques minutes d’écoute, de temps ramassé, condensé, contracté, on peut admirer, à l’instar de Baudelaire, le lustre, les cariatides (quand on est dans une salle à l’italienne), le rideau (quand c’est celui de l’Opéra de Paris ou des opéras traditionnels de région, de l’Opéra Comique, du Châtelet…). C’est souvent préférable pour l’imagination et le rêve, aux quelques bribes de ballet ou de pantomime souvent décevantes ajoutées artificiellement par le metteur en scène. C’est en effet un des rares moments de liberté visuelle pour l’auditeur-spectateur.
De l’autre côté de ce miroir, il y a le rideau de scène. « On parle des "trous du rideau" qui permettent d'espionner la salle, d'épier ses mouvements, de consulter son état. Par les "trous du rideau", on réduit l'isolement de la scène ; ils agissent comme des soupapes de sécurité. La scène peut ainsi saisir l'état du public en attente... En même temps le spectateur, lorsqu'il perçoit un œil derrière le trou découpé dans le velours cramoisi, éprouve le sentiment de son pouvoir : la scène le surveille, la scène ne l'ignore pas... Si le rideau fonctionne comme l'instrument premier de la séparation, ces trous minuscules l'atténuent. Du moment que de derrière la draperie censée être compacte on peut apercevoir l'œil de l'autre, on admet implicitement l'importance de la relation duelle au théâtre. Il y a toujours un échange, si furtif, si secret soit-il. De même qu'à travers le masque d'Arlequin, à travers les "trous du rideau", des regards peuvent se rencontrer sans se reconnaître. Si le rideau est le masque du théâtre, il en a aussi les yeux. » (note 6)
Notons que Pierre Perret (note 7) appelle ce trou « l’œil de rideau » : il est en effet le regard (« ouverture destinée à faciliter la visite, ex. à travers une maçonnerie », dit le Robert), forcément furtif, volé, éphémère (comme l’illusion théâtrale se traverse d’une transitoire lucidité, sans quoi point de plaisir) à travers le « quatrième mur » de la cage de scène. En Italie, on parle de « quatrième paroi » (quarta parete), invisible, devant la scène, et entre celle-ci et la salle, celle que Pirandello a voulu supprimer à partir des Personnages en quête d’auteur.
Le judas, quant à lui, implique la notion de trahison : il permet de voir sans être vu. Il empêche l’ « entre-soi » que requiert l’impératif contemporain du miroir et de la scène moderne. Comme dans la Cène, c’est Judas qui empêche l’entre-soi entre Jésus et les Apôtres. Il est l’ « esprit qui toujours nie », ferment de création pourtant, ajoutant la contradiction, l’opposition, la trahison de l’attendu et du convenu.
Le poème de Michel Butor Une Chanson pour Don Juan (1972) se lit à l’infini comme un puzzle à trous qui prend des formes aléatoires au gré du choix du lecteur. Ces « trous » de lecture sont comme les trous du rideau au théâtre. Butor explique le procédé dans un entretien à propos de son œuvre (note 8). Raymond Queneau, dans la tradition de l’OuLiPo, utilisait une méthode semblable dans Cent mille milliards de poèmes (note 9) livre composé de dix feuilles, séparées en quatorze bandes horizontales (correspondant aux quatorze vers de la forme du sonnet), chaque bande portant avec un recto et un verso. L’auteur du jeu rappelle dans la préface : « Comme l’a bien dit Lautréamont, la poésie doit être faite par tous, non par un ». La postface rapproche l’expérience de celles des compositeurs passés ou contemporains : « Mozart – son « jeu » musical se présentait sous la forme d’un fichier accompagné d’une notice montrant, par un système facile, « comment composer un nombre limité de valses, rondeaux et menuets » - et Stockhausen – Klavierstück XI - préfèrent introduire les permutations à un niveau plus élevé ; elles portent sur des phrases musicales dont chacune est d’intervention humaine ». Ces jeux sont proches de ceux de Queneau.
Dans son film La Flûte enchantée (1975, version filmée, initialement destinée à la télévision), Ingmar Bergman choisit pour les images de l’ouverture les visages du public, de tous âges, de toutes conditions, de toutes origines. Tout se passe comme si la caméra était placée derrière « l'œil de rideau ». Le spectateur en salle de cinéma (la production télévisuelle est devenue un film diffusé en salle) a face à lui les spectateurs de la salle d’opéra (reconstituée en studio), créant un effet miroir qui a été souvent souligné, et parfois imité.
De nombreuses chorégraphies utilisent depuis la captation vidéo en direct du public depuis le fond de scène, notamment Les Damnés spectacle mis en scène par Ivo Van Hove (note 10), dans lequel des opérateurs se déplaçant sur le plateau durant l’action filment les réactions sidérées du public face aux scènes violentes qui se déroulent sur la scène de la Cour d’Honneur du Palais des Papes, voulant montrer ainsi la passivité de la foule face à la montée du nazisme. Le public fait partie intégrante de la mise en scène : il est filmé et son image est projetée sur un grand écran en fond de plateau. La masse du public se voit en miroir, en plan général ou par groupes. On privilégie ici une fois encore l’idée d’entre-soi entre la scène et le public. Christine Angot a dénoncé au lendemain de la première (note 11), et de l’attentat du 14 juillet 2016 à Nice, cette connivence spéculaire et pour elle scandaleuse entre scène et salle, le soir même d’un massacre perpétré à quelques centaines de kilomètres, dans un contexte réel de nouvelle barbarie totalitaire.
Ariane Mnouchkine tente en 1970 « de parler de la Révolution du point de vue du peuple ». Le contexte de création a joué un rôle déterminant. « N'ayant plus d'espace fixe, la scénographie imaginée par Roberto Moscoso devait s'inscrire dans les largeurs d'un terrain de basket-ball afin de pouvoir répondre aux impératifs de tournée. De plus, le terrain de basket fournit aux « regardés » (joueurs-acteurs) une aire propice aux mouvements d'ensemble tandis qu'il permet aux « regardants » (spectateurs) de ne rien perdre de chaque action individuelle. L'aire de jeu se trouve en adéquation avec le projet de la troupe. Elle vient même renforcer le postulat de départ qui consiste à transmettre l'événement par la voix de bateleurs de 1789 (note 12). Ainsi résonne à nouveau le théâtre de foire : une multiplicité de tréteaux permet une multiplicité de scènes et de regards, le tout à travers des récits en simultané ». La pièce devient un film en 1974. L’expérience est reproduite en 1972 avec le spectacle 1793.
Joël Pommerat dans son spectacle Fin de Louis (création en 2015, tournée en 2016-2017) reprend l’idée d’une « participation des spectateurs et d’une invitation à vivre ensemble l’apprentissage, l’inventivité et les difficultés liées à la mise en place d’une structure démocratique. Les acteurs partagent la salle avec les spectateurs comme dans une vraie assemblée » (argumentaire du spectacle). Le slogan de la production s’affiche clairement : « Une Révolution française à revivre ensemble. Une fiction vraie ! ». Les comédiens sont vêtus en costumes d’aujourd’hui, tous les personnages de la Révolution restent anonymes, excepté le roi. La frontière entre salle et scène est abolie. Le rideau de scène est définitivement ouvert.
Rideau de scène, ouverture d’opéra, ouverture du rideau, « début » classique des parties de jeux d’échecs (« Bird », « Larsen », « Réti »...) aperture de la voix, etc... On montre ou l’on cache là quelque chose qui se cache derrière la toile, l’imagination du spectateur, la stratégie et la tactique du joueur, ou la voix encore absente, entrouverte, fermée ou déployée. L’ « ouverture » opératique annonce les thèmes de l’histoire, sans en dévoiler le sens en encore moins la fin. Dans l’ouverture de Don Giovanni, Mozart intègre les accords finaux du drame correspondant au retour du Commandeur. La boucle est bouclée. La figure de l'œuvre est construite en miroir. Dès les dernières notes de l’apertura, cette fois c’est l’ouverture de la gorge de Leporello et de ses comparses qui donne le ton, fait sens, trahit, conquiert, s’ouvre ou se ferme.
Bela Tarr, dans L’Homme de Londres (2009), laisse entière la liberté visuelle du spectateur par de longs fondus au noir, fermeture complète de la lumière, qui laisse pourtant toute latitude à l’imagination ouverte de celui qui regarde ou ferme les yeux, ce qui revient au même dans la salle obscure du cinéma.
Raymond Queneau : Cent mille milliards de poèmes / DR
Parlant de la réception ou de la perception musicale actuelles, on utilise fréquemment deux notions, souvent confondues, car mises en abyme et en miroir, d’«improvisation créatrice» et de «consommation». Ces comportements estompent les statuts respectifs de l'artiste et du public, de celui qui crée et de celui qui reçoit la création, chacun précisément assuré de son statut. On l'observe aussi dans l'art contemporain: la hiérarchie classique entre l'auteur, dépositaire du génie créateur et le public récepteur passif est aujourd’hui remise en cause. La Création s'est toujours exprimée sous les traits de l'artiste démiurge, considéré comme un demi-dieu vivant, ou bien artiste maudit, génie des temps futurs. La Création ne pouvait qu'être supérieure au public, lui-même nécessairement initié puis éduqué, mais passif. L’aristocratie et la bourgeoisie, appréciaient plus qu'elles n'avaient besoin de comprendre l'art. Cette tradition de l'artiste intermédiaire entre Dieu et les hommes parce que possédant le sens des formes symboliques persiste en démocratie laïque. L'auteur – ainsi que les partenaires de la création : solistes, chefs d’orchestre... - grâce à la loi sur les droits voisins de 1985, est protégé en France par un droit supérieur au copyright américain : le droit d’auteur. Le copyright favorise quant à lui celui qui prend les risques financiers. En France, l’auteur conserve son caractère sacré, parce que la création est, était, demeurera son exclusivité. Même laïc et démocratique, l'art contemporain a du mal à se départir de cette notion d'exclusivité de l'auteur. Contrairement au domaine musical, en arts plastiques, l’auteur est le plus souvent « seul » à faire œuvre. Il est inconcevable de penser à une interprétation de l'œuvre par reproduction de celle-ci, sauf à considérer son détournement, sa falsification, son imitation, son plagiat, son pastiche ou sa contrefaçon.
Dans les faits, depuis une cinquantaine d’années, ce modèle est devenu suranné. La dernière révolution technologique a aboli les frontières entre création et réception de l'œuvre.
La question est de savoir si ce miroir n’aboutit finalement pas à l’entre-soi, et au cercle restreint des amateurs d’art, de musiques savantes, de cinéma d’auteur. La Biennale des Arts (note 13) numériques de Bron et notamment l’exposition Miroirs étranges (printemps 2017) s’interrogent sur la question au sein de la révolution numérique. De l’autoportrait de Rembrandt aux selfies de Sophie Calle, naît une filiation de la représentation de soi, mais aussi de fascination narcissique. Au printemps 2017 toujours, un procédé inverse est présenté par l’artiste Philippe J. Bourcier : cette fois c’est l'œuvre qui entend déclencher un sourire de la part du visiteur. Par le prisme d’une installation savante technologique qui a nécessité six mois de fabrication, le selfie est inversé, le sourire est déclenché par l’image, puis récompensé par d’autres images. Avec l’installation Smile (note 14), l’artiste se donne pour objectif louable, humaniste, en période de crise, de « vouloir activement, concrètement, apporter un sourire, un moment de joie aux spectateurs qui contemplent ou interagissent avec ses créations ».
3. « La création artistique est libre » (France, 2016)
«La création artistique est libre» dit pourtant l'article 1 de la loi votée en juillet 2016 sur la création, et non «l'artiste est libre». Elle est donc aussi, de fait, libérée de son créateur, telle la créature de Frankenstein échappant à son inventeur. Tout individu pourrait-il donc revendiquer sa part créatrice comme un art, ou de l'art dans une nouvelle forme, sans artiste ? La face cachée de cette liberté consentie de créer pourrait aussi s’entendre aussi bien comme celle de la liberté d’entreprendre. La déconstruction du modèle ancien est inscrite depuis peu dans la loi. Sur le plan symbolique, nous sommes tous libres de créer. C’est donc bien une révolution copernicienne qu’a opérée le ministère de la Culture et de la Communication en cet été 2016. A-t-elle été ainsi comprise par les observateurs ? A-t-elle été considérée à sa juste mesure ? C’est désormais au juriste en effet de décider de la légitimité de l’art, et non plus au public, au critique, au collectionneur ou au marché. C’est de l’art ? Ou non ? Le code de la propriété intellectuelle avait déjà défini les paramètres qui font d’un ouvrage une œuvre d’art.
Cette déconstruction «horizontale» de l'art était déjà présente dans les années soixante, lorsque l’américain Carl André produisait des sculptures en trois dimensions, réduites à une largeur et une profondeur. La hauteur avait disparu. Et le public anonyme, pouvait, devait marcher dessus. Pourquoi ? Parce que déjà, l'œuvre c'était le public, l'artiste ne produisant que le socle. Hommage était rendu ici à Constantin Brancusi, l'œuvre étant révolutionnaire à l'époque. Carl André est aujourd'hui classique (exposition actuelle au Musée d'art moderne de la ville de Paris). Sans le revendiquer, André pratiquait ses performances avec le public, et plus seulement pour lui. A New York dans les années soixante aussi, Robert Rauschenberg, interprétait avec Pina Bausch de petites chorégraphies où les danseurs étaient un/multiples. Tous créateurs, tous égaux, tous ensemble. Ils avaient ouvert la voie.
Un autre exemple plus récent est celui de Tino Sehgal exposé au Palais de Tokyo à Paris (2017). Sehgal a élevé le dialogue de l'artiste et du public au rang d'œuvre. Sans que le public en soit préalablement informé, Sehgal propose d'accompagner personnellement chaque visiteur avec trois guides successifs dans une promenade/déambulation dans le Palais, en conversation. Trois médiateurs, un de quinze ans, l'autre de trente ans, le troisième de soixante ans, posent une question au visiteur: « Qu'est-ce que le progrès pour vous ? » - charge au visiteur, évidemment déstabilisé, de répondre, ou non, avec son expérience. S'engage ainsi une conversation qui peut se transformer en rencontre marquante : aucune autre matérialité que le verbe. Consommation ? Gadget ? Non, car le visiteur est saisi par l'écoute du médiateur anonyme, et non par son savoir.
Doit-on dans l'art contemporain regretter la disparition de cette verticalité ? L'art est comme la politique, où la participation directe remet en cause la notion même de représentation du pouvoir en démocratie (comme du reste dans les salles de concert et dans les musées...). On assiste pour ainsi dire à une démocratie directe, liée au concept même de démocratie culturelle. Il n’y a plus de représentants. Les plus hauts représentants des nations sont photographiés durant des heures en « selfies », plaçant sur le même rang d’égalité chefs d'État et citoyens. Dans le domaine de l’art, les intermédiaires – le « système » - sont peu à peu éliminés : critiques, galeristes, marchands, prescripteurs, financeurs... On pourrait intégrer cette nouvelle donne à l’analyse de Jeremy Rifkins qui, dans son dernier ouvrage (note 15), annonce la fin du rapport dominés/dominants des sociétés héritées des dernières révolutions industrielles et technologiques : par la baisse des prix – au gré d’une inquiétante déflation d’un nouveau style -, le financement participatif, les réseaux sociaux, le marché virtuel, l’ubérisation économique, la fin du travail et l’échange entre citoyens devenus égaux opèrent une révolution pacifique et silencieuse contre le capitalisme. C’est une option suggérée également par Michel Houellebecq (note 16) dans son roman (trop réaliste, visionnaire ou bien totalement utopique selon la lecture qu’on en fait) sur la création et la relation entre réel et imaginaire, création et réception.
Là encore, au théâtre comme à l’opéra ou au concert, devant l'œuvre d’art, la relation devient le plus souvent spéculaire. On regarde l'œuvre autant qu’elle nous regarde, à l’instar de ces portraits, de la Renaissance à l’âge classique, dans lesquels la personne représentée semble scruter le spectateur, quel que soit son angle de vue et sa position dans la pièce.
Comme pour les autres domaines artistiques, la création spéculaire prend en compte le spectateur dans l’existence de l'œuvre. Les toiles de Pierre Soulages intègrent les reflets lumineux sur les panneaux souvent striés (ces dernières années) de larges à-plats de peinture acrylique noire. Le mouvement du regard et du spectateur modifie à l’infini l’aspect plastique et la couleur de l'œuvre. Ce n’est pas nouveau : les anamorphoses de la Renaissance participaient du même processus. Imi Knoebel dans ses œuvres-miroirs (panneaux peints à l’or exposés à la FIAC de Paris 2016) intègre l’ombre du spectateur qui entre pour ainsi dire dans le tableau, et apparaît comme de l’autre côté du miroir. La série de miroirs de Gehrard Richter (note 17) participe du même processus. A la Fondation Beyeler de Bâle, un grand miroir de Richter est exposé à l’entrée du bâtiment. Le spectateur s’arrête et éprouve un étonnement à se mirer dans une œuvre d’art qui s’impose comme telle. Les formes plus rondes, en trois dimensions de Anish Kapoor relèvent du même procédé consistant à intégrer le reflet du regardant dans les formes de ses créations. Fromanger dans les années soixante transformait déjà le public en figures déformées sur ses sculptures-miroirs de plexiglass rouge (1968).
Avec Extra ball, la compositrice et musicienne Patricia Diallo (compagnie Sound Track) crée une installation événementielle autour d’un flipper des années quatre-vingt détourné en un dispositif visuel et sonore interactif conçu collectivement avec Antoine Schmitt, Malte Martin, Uriel Barthélémi, Olivier Charlet, Stéphane Buellet et Nicolas Déflache (2012).
Quant à l'ouverture de l'œuvre et à la participation des tiers, s'agissant des "installations" elle peut trouver ses limites "interactives" même si des expériences marquantes – celles précédemment citées - restent convaincantes.
« Rose », 2007, par Veronica Janssens (Centre Pompidou) / DR
4. Aperture / Aventure – la figure du labyrinthe (note 18)
Umberto Eco applique à Joyce la réponse de Barthes à Picard dans Critique et vérité : une œuvre n'impose aucun sens. Elle s'écrit encore quand elle se lit, et ne reste "classique" que dans la mesure où elle continue d'inspirer de nouvelles écritures-lectures. Toute interprétation relève en fait de cette idée qui a peiné à s'imposer au milieu du siècle dernier. Elle s'accompagnait généralement du procès en propriété de l'œuvre, problème posé entre autres par Valéry. La question reste cependant entière de la nature de l'œuvre : il faut d'abord la regarder, l'écouter, avant de la critiquer, la réécrire, l’interpréter, la relire, la traduire, etc. Il y a aussi le cas du livre inachevé pour lequel la participation du lecteur est requise, et devient même financière ! (note 19)
On peut trouver d’autres exemples littéraires d'œuvres délibérément ouvertes, et invitant à l'interaction des lecteurs : par exemple l'écriture collaborative en ligne (note 20), chez Framapad.
Le grand public a assisté dans les années quatre-vingt au succès fulgurant de ces « livres dont vous êtes le héros ». Le lecteur est ici invité à choisir à chaque chapitre la direction du récit et de lui donner sa propre dynamique. Une telle lecture d’un livre peut se prolonger ainsi des heures durant. Cet engouement s’est étendu à tous les âges, par le biais notamment des livres pour la jeunesse dont le lecteur est le héros (note 21).
Il y eut des essais finalement avortés de transposition à l’écran. Des cinéastes ont néanmoins été inspirés par cette vogue et ce concept. En 2004, Stéphane Secq réalise Le film dont vous êtes le héros et imagine un personnage de cinéma en révolte contre un scénario qui le prive de la femme qu’il aime.
Après la Seconde Guerre mondiale, en réaction sans doute à une période fermée, totalitaire et aliénante, le Nouveau roman, attend et exige un lecteur vigilant, qui puisse opérer des choix délibérés dans le labyrinthe narratif. Le plus novateur ici est sans doute Alain Robbe-Grillet : le premier paragraphe de Dans le labyrinthe juxtapose trois circonstances météorologiques du récit, « dehors il pleut… », « dehors il fait froid, le vent souffle (dans les arbres) », « dehors il y du soleil, il n’y a pas un arbre ». La fiction dénonce ici son arbitraire, mais récuse tout caractère tyrannique : le lecteur reste libre de choisir entre les trois propositions.
Au siècle précédent, l’extraordinaire passage des Bons Enfants de la comtesse de Ségur, qui annonce - cent ans auparavant - le Nouveau roman, à la fin de l'histoire des loups et des ours, reste aussi un modèle du genre. Les enfants refont cette fin, "ouvrent" littéralement ce qu'il y a de plus fermé, le fait-divers rapporté (note 22).
Et pour prendre un exemple classique, c'est Phèdre à l'acte II scène 5, réécrivant plus cadenassé encore, l'insubstituable par excellence, le mythe, par la seule force du verbe poétique qui referme à force de gravité (la même que celle d'Einstein, qui courbe l'espace) la scène autour d'elle (note 23).
La figure du labyrinthe – le terme est utilisé deux fois dans le même souffle - est au cœur de cette tirade
célèbre, construite selon plusieurs directions aléatoires, reprenant l’image du dédale.
Cette figure du labyrinthe, on la retrouve selon une autre disposition dans la Comédie de Dante, sous forme de structure cyclique (les neuf cercles de l’Enfer). Les premiers vers du Premier Chant (inspirés du Cantique d’Ezéchias de l’Ancien Testament – note 24) ouvrent sur une sorte de « patte d’oie » selon le jeu de l’oie présenté par la structure de l’oeuvre : deux voies possibles de la vie de Dante sont évoquées, entre la voie « droite » et la voie « errante » qui conduit à la forêt obscure, où l’on peut voir le chaos du monde ou bien aussi le symbole de la perdition ou de la dépression du poète, généralisant sa situation au lecteur (le « nous » collectif) comme dans toute l’oeuvre où la raison personnelle se donne en miroir de la perspective cosmique universelle (note 25). Les cercles de l’Enfer sont représentés par un entonnoir : une illustration – entre mille - de La Comédie par Sandro Botticelli restitue de façon tangible cette vision fantastique de l’entonnoir infernal, forme ouverte par excellence, même si en réalité recouverte par la croûte terrestre, seuls Enée, Paul et Dante ayant pu y entrer de leur vivant. Après diverses adaptations au cinéma (muet et naissant) au début du siècle passé, le dernier avatar de la fascination pluriséculaire pour le chef-d'œuvre de Dante date de 2016 avec le film Inferno de Ron Howard dont le scénario est sous-tendu par la première partie de La Comédie et ses hallucinations saisissantes (note 26).
Ces refontes et ces ouvertures des divers possibles sont internes à toute œuvre, participant de la nature de celle-ci. Au fond, il faut recourir au septième art, qui impose d'emblée, plus que tous les autres, son expression : le cinéma. Ici l'idée de la participation, notamment à l'œuvre ambitieuse, est ancienne, et aussi efficace que modeste dans son projet : c'est la séance de ciné-club, où l'on débat de l'œuvre après l'avoir vue. Les fins diverses et ouvertes de films sont aussi un exemple d’ouverture (les deux fins de La Belle Equipe de Julien Duvivier en 1936 proposent une fin optimiste et une fin pessimiste, cette dernière ayant été censurée par le Front Populaire). Comme dans les parties d’échec, les « ouvertures » amènent à toutes les fins possibles.
5. Démocratisation culturelle
Autrement dit, ce qu'on peut "ouvrir" (soyons clair, démocratiser, rendre accessible au plus grand nombre), c'est la critique de l'œuvre, non l'œuvre elle-même. Barthes l'avait fort bien vu, qui aussi redéfinissait l'œuvre en y incluant le discours sur elle.
Dans le champ littéraire et de la démocratisation culturelle de masse, les pièces de théâtre participatives montées par Robert Hossein, constituent des moments d’interaction avec le public. Par exemple, le procès dont vous êtes le jury : le procès de Jésus ou celui de Seznec auquel le public est invité à réagir en direct. Les « concerts-surprises » d’Ivan Fischer à Budapest sont du même ordre : le programme y est donné au public à la dernière minute. Les concerts « au choix » du public organisés par le compositeur et pianiste Martin Münch dans ses festivals des vallées du Rhin et du Neckar autour de Heidelberg et Mannheim depuis une vingtaine d’années participent de la même ouverture et de cette interaction entre artistes, interprètes et public.
Le spectacle (en tournée courant 2017) Please, Continue (Hamlet) conçu par Yan Duyvendak et Roger Bernat consiste à inventer chaque soir le procès de Hamlet. Des magistrats, des avocats, des experts-psychiatres, des huissiers, un jury populaire chaque fois différents, divers, composé de volontaires dans chaque ville de tournée acceptent d’étudier et d’instruire le dossier Hamlet, porté ensuite sous forme de procès en direct au sein d’une vraie-fausse Cour d’Assises sur scène, devant le public souvent médusé par la performance des acteurs, seuls permanents de la production, (Hamlet, Polonius et Ophélie) qui improvisent en fonction de l’interrogatoire du juge, président du tribunal, des questions de l’avocat général, des interventions des deux défenseurs, d’un expert-psychiatre et de l’huissier, des réactions des témoins, du jury, du public. Non seulement le mythe de Hamlet est réinterrogé, mais c’est aussi le parti pris des auteurs de considérer l'œuvre de Shakespeare comme continuée (c’est le titre même du spectacle) donc ouverte à une suite et une éventualité contemporaine. Le spectacle reste ouvert chaque soir, la peine encourue par Hamlet également.
L’argument du spectacle est ainsi formulé : « L'affaire dont il est question est tirée d'un fait divers : un jeune homme tue le père de sa petite amie, au cours d'une fête de mariage. Elle l'accuse de meurtre. Il déclare que c'est un accident. Trois ans plus tard, le procès s'ouvre. Afin de préserver l'anonymat des personnes mises en cause, les noms ont été changés. Le prévenu s'appelle Hamlet, la victime, Polonius et la plaignante, Ophélie... Pour juger ce suspect un peu particulier, d'authentiques représentants de la justice, magistrats et avocats, seront « recrutés » au barreau de Paris. Chacun dans son propre rôle aura à charge d'établir la vérité, dans un drame aux couleurs shakespeariennes. Plaidoiries, arbitrage, interventions d'experts : le projet rend visible les mécanismes fascinants du procès, jusqu'au verdict. L'issue, aux mains de la Cour et du jury populaire, peut varier chaque soir.
Jouant sur le fil entre fiction du récit, évocation de la pièce de Shakespeare et réalité de la procédure, Yan Duyvendak et Roger Bernat invitent chacun à interroger sa propre définition de la justice et à réfléchir à des questions essentielles de société. »
Le procédé est loin d’être nouveau. Dans Votre Faust, créé en 1969 à Milan et repris depuis 2016 par la compagnie musicale TM+ et la compagnie dramatique La Cage (en tournée courant 2017), Henri Pousseur et Michel Butor prévoient l’intervention du public à l’intérieur de l’oeuvre et le laisse libre de l’issue du spectacle, soumis à son vote, entre autres procédés interactifs. Merce Cunningham dès 1951 dans les Seize danses pour soliste et compagnie de trois (sa seconde pièce) laisse au hasard toute sa place pour la composition et l’ordre des sections de la pièce : c’est le tirage au sort qui intervient pour l’ordre des séquences. Il est fait appel à l’intelligence active du spectateur. Cunningham travailla d’ailleurs régulièrement avec des artistes tels que Robert Rauschenberg ou Jasper Johns et avec les compositeurs Earle Brown, Morton Feldman, David Tudor, entre autres, créateurs participant d’une pensée comparable.
Les « Colonnes » de Buren (Les deux plateaux, 1986) / DR
6. Exigence culturelle, liberté artistique : interprétation, relecture, transcription, traduction
Autre type d'œuvre ouverte dans la littérature et particulièrement le roman, la citation, l’allusion ou le jeu de mots apparaissent à chaque page du roman Les Fleurs bleues de Raymond Queneau, faisant appel à la culture du lecteur, et donc à sa réactivité (ou non), introduisant une multiplicité des niveaux de lecture.
Dans le roman postmoderne gigogne d’Italo Calvino (note 27) paru en langue originale en 1979, Si par une nuit d’hiver un voyageur (Seuil, 1981 ; Gallimard, coll. Folio, 2015, dans une nouvelle traduction, Si une nuit d’hiver un voyageur), des histoires commencent par des incipit dont le lecteur doit imaginer la suite et/ ou reconstituer la fin. L’incipit du roman lui-même, ouvre les diverses histoires sur un dialogue quasiment interactif (mais commandé par le narrateur) avec le lecteur (note 28). Le tutoiement remplace ici le vouvoiement du lecteur adopté par Michel Butor dans La Modification. L’allusion à l’ouvrage de Butor est patent. Calvino fait appel à la culture du lecteur. Dans son « nouveau » nouveau roman, vingt ans après, Calvino instaure un dialogue imaginaire, ouvert, entre auteur et lecteur. La magie de l’illusion interactive opère dès les premières lignes du livre. Le dernier chapitre est emblématique de toute la dynamique du récit, et poursuit le dialogue entre auteur et lecteur : « Quelle histoire attend là-bas sa fin ? ».
Ces onze débuts de roman évoluent, faisant appel à l’imagination du lecteur en interaction avec l’auteur. La même année paraît l’ouvrage plus théorique d’Umberto Eco sur le lecteur modèle, Lector in Fabula (Grasset, 1979) qui interroge les relations entre texte, auteur et lecteur.
Michel Butor a usé aussi de l’appel au lecteur, on l’a vu, par le vouvoiement dans La Modification (1954), ce qui n’est pas nouveau : Montaigne (note 29) dans l’introduction des Essais (« Au lecteur »), « ouvre » son chef-d'œuvre pas une captatio benevolentiae qui souligne ce qu’il n’est pas, propose au lecteur un voyage à travers ses pensées et ouvre par ce procédé à une modernité sans précédent en cette Renaissance française. Michel Butor quant à lui propose au lecteur divers choix, qui s’ouvrent au fur et à mesure que l’on avance dans le roman (note 30). L’écriture négligée, les phrases qui s’enchaînent souvent sans points de ponctuation sont destinées à perdre le lecteur, à lui refuser les points de repères du roman traditionnel. Au sein du récit, le « guide bleu des égarés » est un autre Guide des Indécis appelé plus communément selon une traduction plus répandue Guide des Egarés (Maïmonide). La fin du roman en donne la clef, selon la figure du dédale, telle une traduction en quelques phrases des trois-cents pages du texte. La dernière phrase du récit « Vous quittez le compartiment », est en quelque sorte la sortie du labyrinthe comparable à ceux, déjà évoqués, de Racine, Ségur ou Robbe-Grillet.
La question de la traduction, (le dit « traduttore = traditore » en italien le montre bien, réputé lui-même intraduisible (note 31), mais traduit du français du XVIème siècle, un critique de Du Bellay lui reprochant d’être plus qu’un traducteur, un traditeur), au sens premier cette fois, pose aussi la question de l’ouverture de l’interprétation, du style, de la fidélité (ou non) à l'œuvre originale. C’est la traduction vers le texte de destination qui est démocratique et collaborative, non le texte d’origine, dont seule la lecture dépend de nous. Les diverses traductions (à l’infini) participent aussi en elles-mêmes de l'œuvre ouverte, par-delà les langues du monde. Jean-Charles Vegliante le dit en connaissance de cause, auteur d’une œuvre poétique de traduction savante, l'œuvre de toute une vie (La Comédie) : « (la voix de Dante) s’exprime aussi, on l’a vu, plus loin que toute image reconnue, outre tous les styles répertoriés, indépendamment des « genres » (avec les diverses acceptions de ce terme), dans une hyperbole de la syntaxe et de la rime, une création lexicale continue, une limite/frontière de la signifiance, où le mot – sans subversion – lâche parfois son signifié (et l’on entend par exemple « résonner dans la voix et « moi » et « mien »/alors que la pensée était « nous » et « notre » », Paradis, chant XIX), pour laisser passer dans nos esprits de lecteurs modernes le grand vent fécond des espaces intersidéraux. Là où notre logique est infiniment dépassée (déjà en avant) par la pensée-en-poésie. Là où parfois, tous les cinq ou six siècles, un « verbe » se met à souffler, en une langue nouvelle ». (op. cit., p. 1244)
C’est, en peinture, la même idée de traduction et de transposition, lorsque Picasso réinterprète au-delà du XIXe siècle, les chefs-d'œuvre d’Ingres (la Maya desnuda) Goya (le Tres de mayo) ou Manet (Le Déjeuner sur l’herbe) à l’aune et au gré des pratiques et des tragédies de son temps.
Dans La Recherche du temps perdu de Proust, lorsque Bergotte, à la veille de sa mort, va revoir au musée un tableau de Vermeer, La Vue de Delft, c’est parce qu’un critique lui a révélé l’existence d’une partie inconnue de l'œuvre (note 32), qu’il n’avait pas remarquée. On pourrait en dire de même pour les autres arts, sur la critique qui révèle, revisite et découvre, ou la traduction qui restitue, transmet, transpose ou bien trahit.
7. Fugue inachevée
Si l’on revient, comme on a commencé, à la musique, Bach réalise l’ouverture de l'œuvre à travers L’Art de la Fugue. Ici, l'œuvre reste ouverte par force, du fait de la mort du créateur. Mythe ou réalité ? Les thèses récentes divergent sur ce point et sur la réalité de cet arrêt brutal et spectaculaire à chaque écoute du « dernier » contrepoint (qui ne serait de fait pas l’ultime aux yeux de nombreux musicologues). Le contrepoint XIX faisait-il réellement partie de L’Art de la Fugue ? A-t-il été interrompu volontairement par Bach bien avant sa mort ?
La Pierre Boulez Saal, Berlin (architecte Frank Gehry, 2017) / DR
Autre thèse : Bach aurait laissé intentionnellement la dernière fugue inachevée, telle une énigme musicale — soit pour inviter d'autres compositeurs à deviner ses intentions musicales, soit pour qu'ils trouvent eux–mêmes leur solution. Ces quelques mesures constitueraient ainsi une sorte de rébus musical à destination des générations futures. Première incursion de « l'œuvre ouverte » volontaire – ou non - dans la musique, signe précurseur du sérialisme en musique pour certains musicologues (tel René Leibovitz). Par ailleurs le mystère reste entier concernant l’instrument à utiliser pour l’interprétation de l'œuvre. Clavecin ? Deux clavecins ? Piano ? Piano à quatre mains ? Deux pianos ? Orgue ? Orgue à quatre mains ? Deux orgues ? Trois orgues ? Ensemble de chambre ? Consort de violes ? Quatuor à cordes ? Quatuor de flûtes ? Quatuor de saxophones ? Ensemble de cuivres, bois et orgue ? Ensemble de musiques traditionnelles (dernière adaptation expérimentale enregistrée en 2008 avec le groupe slovène Laibach) ? Le choix reste ouvert (note 33).
Comme pour ce qui concerne la traduction littéraire, le choix de l’instrument, l’improvisation (dans le champ du baroque ou du jazz notamment), l’interprétation musicale et musicologique, la critique littéraire, musicale, artistique en général, voire la transcription (c’est le cas de bien d’autres œuvres de Bach et de bien des œuvres de l’ensemble du répertoire) participent de l'œuvre ouverte. La danseuse et chorégraphe Mié Coquempot réinterprète le chef-d'œuvre de Bach de façon magistrale dans son spectacle 1080 Art de la Fugue (tournée 2017) en faisant avancer les dix danseurs, hésitants, fragiles, émouvants, par groupes, selon une « scénographie de paysages mobiles contribuant à faire de la scène une insolite peinture ». Ils intègrent l’improvisation, au gré des diverses fugues, sur l’interprétation de Evgueni Koroliov, la version que György Ligeti aurait souhaité emporter sur la fameuse « île déserte ». Mié Coquempot « pose l’énigme de cet inachèvement, en proposant à la danse de découvrir les potentiels et autres chemins poétiques que recèle la partition musicale » (argument du programme).
L’Art de la Fugue, structure abstraite purement théorique à admirer telle un objet parfait bien qu’inachevé ? Pour certains musicologues, le mythe du concept de l’Augenmusik (musique pour les yeux), concept contrapunctique non destiné à l’interprétation, mais à la réflexion et à la contemplation de la perfection mathématique, a été inventé à partir des pistes lancées par Thomas Mann dans son roman fleuve Docteur Faustus. Il n’est d’ailleurs pas sûr que Mann pensait à Die Kunst der Fuge, mais bien plutôt à L’Offrande musicale. Les diverses interprétations et même les interactions entre réalité et mythe participent en elles-mêmes de l'œuvre ouverte. Les échanges, reflets, citations, miroirs entre les époques, les champs artistiques et les créateurs procèdent aussi de cette « aperture », qui, telle la voix, modifie l’émission des signes selon la forme de l’ouverture de l’émetteur, sa polysémie, son universalité, et donc sa perfection classique, et partant, ses perspectives modernes de relecture, interprétation ou transcription.
Pouvez-vous nous présenter votre Trio, son année de formation, l'origine du nom...?
Louis Rodde : Le trio a été fondé fin 2009 début 2010 à Paris et il est né de l'envie d'approfondir un travail de musique de chambre, notamment pour entrer dans la classe du Quatuor Isaÿe. Au départ, avec Paloma, on avait très envie de travailler avec le quatuor Isaÿe. Tous les trois avec Anna Göckel on a créé ce trio et c'était vraiment une démarche spontanée et d'étude pour avoir accès à une certaine expérience, un certain savoir qui est celui de quartettistes alors qu'on fait du trio. Ensuite les choses se sont développées, on a pris la chose tout de suite au sérieux et on s'est rapidement consacré en très grande partie à ce trio. C'est comme ça qu'il est né et est devenu le centre de notre activité au fil des années. Et c'est d'ailleurs toujours le cas.
© C. Doutre
Donc on a commencé par étudier d'une manière très intense avec le quatuor Isaÿe ainsi que lors de diverses masterclasses avec différents maîtres, notamment dans le cadre d'un organisme qui s'appelle l'ECMA (European Chamber Music Academy). Celui-ci est basé à Vienne et organise des masterclasses à travers toute l'Europe avec des personnalités formidables comme par exemple Hatto Beyerle, Johannes Meissel, Avedis Kouyoumdjian, qui sont vraiment les tenants d'une manière de lire la musique, de faire la musique de chambre, de jouer ensemble, ce qui est tout à fait remarquable. Au fil des années on a aussi passé un certain nombre de concours internationaux pour se faire connaître. Dans les concours internationaux il y a quelque chose qui n'est pas très marrant et qui est par essence injuste, mais qui est une espèce de passage obligé. On en a fait pendant quelques années jusqu'à ce qu'on obtienne un prix qui nous permette de vraiment nous installer dans le paysage musical d'une manière pérenne. Ce prix, c'était en septembre 2013, le concours de l'ARD de Munich qu'on a remporté avec un deuxième prix ex-aequo et qui nous a ouvert vraiment les portes de nombreuses programmations notamment en Allemagne, sachant qu'on avait déjà commencé un petit peu à jouer en France. A partir de là on a commencé à faire de plus en plus de concerts....
Paloma Kouider : Il y a eu le changement de violoniste aussi puisque Fanny Robilliard est arrivée dans le trio, il y a un peu plus de deux ans. Cela a coïncidé avec une période où le trio commençait vraiment a être en expansion par rapport à son nombre de concerts, un an et demi après le concours de l'ARD.
Louis R. : L'arrivée de Fanny a coïncidé aussi avec le moment où on a organisé notre premier enregistrement qu'on a fait en décembre 2015 à la Philharmonie de Liège, et qui est sorti en avril 2016. Il est consacré aux deux premiers trios de Schumann. C'est le début de notre discographie que l'on va commencer à étoffer dès le mois prochain, puisque nous enregistrons le trio de Ravel, le trio de Fauré et celui de Germaine Taillefer pour une sortie dans le courant de la saison prochaine.
Vous avez chacun une carrière personnelle et par exemple, vous Louis Rodde travaillez avec les Dissonances....
Louis R. Oui et en fait le Trio se nourrit aussi d'autres pratiques. Contrairement au quatuor à cordes il ne nécessite pas qu'on se consacre, comme beaucoup de gens le pensent, de manière totalement exclusive au groupe. Et donc on travaille aussi chacun dans notre coin.
Paloma K. En fait, le trio, la formation trio et son répertoire aussi - non pas qu'il soit forcément moins riche que celui du quatuor à cordes – a un mode de répétitions qui permet au groupe une certaine liberté que le quatuor à cordes n'a pas. Compte-tenu de son expansion, du fait que le Trio Karénine commence aussi à entrer dans une phase de maturité et à être un peu plus connu qu'il ne l'était, après qu'on soit sorti des années d'études, on peut faire de belles programmations. Les gens, les collègues notamment, entendent parler du Trio, nous entendent jouer et parfois nous sollicitent aussi ponctuellement, ce qui est bien aussi.
En conséquence on peut inviter soit des copains, soit des gens qu'on ne connaît pas pour jouer avec nous. Par exemple on avait fait une résidence dans un très beau festival dont on est lauréat au nord de l'Allemagne, qui s'appelle le Festspiele Mecklenburg-Vorpommern. Nous avions pu y faire un travail autour des quintettes avec piano, et avec Alena Baeva et Yannick Clément, nous avions monté à cette occasion les deux quintettes de Schumann et de Chostakovitch.
C'est un des points forts de notre Trio, pouvoir nous élargir ; on est très ouvert à ce type de collaboration. Par exemple, cet été, on va jouer avec Raphael Severe la musique de Philippe Hersant, qui est un compositeur qu'on aime beaucoup (le Nachtgesang). Tous ces musiciens viennent enrichir notre formation et notre répertoire.
Louis R. Disons que l'on voit vraiment notre groupe comme une forme de plateforme, comme le centre de notre activité, mais qui permet à la fois d'accueillir des projets qui vont se fusionner autour de cette plateforme, ce qui va permettre de développer des amitiés, des activités complémentaires qui peuvent déboucher sur des enregistrements personnels ou à plusieurs….
Paloma K. En fait, il est important au niveau de l'oxygène musical et des idées musicales qu'on va pouvoir faire émerger au sein du groupe, de s'abreuver aussi d'autres répertoires - répertoires de sonates, violon-piano, violoncelle-piano, peu importe - ou même aller voir du côté des vents. Et pour moi en tant que pianiste, maintenir quand même une activité un peu solistique au sein du répertoire ; pas le répertoire pour le répertoire chez soi, sur son piano, mais le répertoire qui est vraiment adressé à un public, c'est très important. Quand on joue les trios de Beethoven, qui sont souvent écrits avec des parties elles-mêmes très solistiques pour le piano, on peut dire qu'elles proviennent des sonates. Tout circule dans la musique.
Peut-on dire que les Karénine ont une ligne artistique ?
Paloma K. Je dirais que pour le Trio qui fête quasiment ses 7 ans – l'âge de raison – avec le temps se développent malgré tout des affinités. Ainsi, notamment, si on a choisi d'enregistrer Schumann, c'est parce que l'on se sentait en affinité avec cette musique ; et je dois dire, oui, Schumann.
Après on a des envies. Par exemple, depuis un petit moment on caresse l'idée de faire une intégrale Beethoven. De là à dire qu'on a une ligne artistique.... Oui on est très à l'écoute des nouveautés, de compositions contemporaines, et on est en lien avec certains compositeurs dont Benoît Menut qui nous avait dédié son Deuxième Trio. Après, il faut le temps. Nous, on rêve des œuvres du grand répertoire que l'on n'a pas forcément encore à notre répertoire. C'est important de le faire aussi. Mais ce n'est pas parce qu'on s'appelle Karénine qu'on est des spécialistes de la musique russe, je tiens à le préciser. Voilà pour ce qui est de notre ligne directrice.
Pourquoi Karénine ?
Paloma K. On est tous de grands fervents de Tolstoï et de la littérature en général, et on cherchait un nom qui soit vraiment lié à la littérature. Le roman de Tolstoï- non pas seulement la protagoniste - mais le roman dans son entier, les valeurs qui sont pensées, conçues, décrites, véhiculées par les personnages sont des valeurs qui nous sont fortes, qui nous tiennent à cœur.
Est-ce que vous travaillez différemment les œuvres du répertoire et les œuvres contemporaines ?
Louis R. S'agissant d'une création contemporaine, on va s'y investir énormément dans un temps très court pour un premier concert. On va la jouer le plus possible dans un temps assez réduit, alors que par exemple pour un trio de Mendelssohn on va commencer à le travailler, on va le jouer quelques fois. Ensuite on sait qu'on va le reprendre dans un an ou deux. Même si une œuvre contemporaine aussi entre au répertoire, on la rejoue donc. On n'entretient pas avec elle le même rapport qu'avec des œuvres comme par exemple les trios de Schumann qu'on a enregistrés. Ainsi on a commencé à les travailler au bout de deux ans d'existence du Trio Karénine et quand on les a enregistrés, on était déjà bons amis avec eux. On se connaissait depuis assez longtemps. Et aujourd'hui quand on les reprend au concert, évidemment on est passé sous les micros avec, il y a tout un historique qui fait qu'on réinvente nos manières de travailler. Ensuite il s'agit toujours de rendre la musique la plus intelligible possible, la plus émouvante possible, de travailler la matière temporelle du son. Et cela ne change pas, quel que soit le langage musical.
© C. Doutre
Ce qui me frappe quand on assiste à un de vos concerts, c'est votre attention considérable les uns envers les autres; vous vous regardez, vous vous penchez les uns vers les autres...
Paloma K. Quand on est chambriste, au sein d'un groupe constitué, cela devient naturel. Mais on est là justement pour que les idées musicales circulent le mieux possible, pour atteindre le plus de fluidité possible et pour faire oublier qu'on est trois, ou pour les mettre en valeur : mais à ce moment là, on est vraiment dans un dialogue à 3. Et il est vrai que physiquement c'est une manière d'être présent à l'autre et de montrer qu'on est là, qu'on écoute. La musique de chambre c'est aussi une école de vie, d'attention. C'est important.
Le comportement des musiciens est bien différent au sein d'un orchestre !
Louis R. Au sein d'un orchestre les musiciens regardent le chef en même temps. Le rapport à l'autre est différent. Ainsi par exemple, je connais bien les musiciens du Concertgebouw d'Amsterdam. Les solistes ne bougent pas beaucoup, ils ne sont pas très mobiles. Et pourtant c'est un des orchestres où les musiciens jouent le plus ensemble. Donc le rapport au geste est quand même un peu différent à l'orchestre...
Pour un concert donné à la Maison de la Radio (Bernstein, Lili Boulanger, Barber, Ravel) vous donnez des œuvres d'un répertoire peu connu pour une grande part. Comment le travaillez-vous ?
Paloma K. Au sein d'un programme comme celui-là, vraiment conçu pour une soirée en particulier, on a bien sûr le Trio de Ravel au centre. Lors des répétitions, quand on travaille par exemple le trio de Bernstein, on va rechercher vraiment dans l'esthétique du son les résonances avec l'œuvre de Ravel, voire même des parentés dans le style, sans se démarquer totalement.
Louis R. C'était vraiment un programme de commande de la Radio, puisque dans le cadre de cette carte blanche à Jean-Yves Thibaudet il nous a été demandé sous forme de clin d'œil un programme franco-américain. On a imaginé un programme ''des deux côtés de l'Atlantique'', et en travaillant le trio de Bernstein, on s'est rendu compte que cette pièce du très jeune Bernstein devait, sur certains aspects, beaucoup à la musique française du début du XXème siècle.
Il est amusant de mettre çà en exergue, tout en mettant en valeur des aspects totalement différents de cette musique. On peut penser à la comédie musicale, et à d'autres moments au modernisme de Chostakovitch. Voilà une musique assez composite d'un jeune artiste qui est en train de se chercher. Pour le travail, dans un programme comme celui-là, on tient compte du format du concert, on privilégie une forme de bulle, comme on fait de temps en temps autour d'œuvres associées les unes aux autres pendant un temps donné.
Autre exemple, dans deux semaines, nous allons jouer un programme au Musée d'Art et d'Histoire du Judaïsme, avec Weinberg, Mendelssohn et Klein. C'est un programme complètement différent qui est aussi très thématique. Le trio de Weinberg est à notre répertoire depuis cette année, dans le cadre d'un programme russe qu'on va donner à Montréal le mois prochain, et donc ce trio de Weinberg nous accompagne depuis le mois d'octobre ; on le joue beaucoup.
Du coup, ce n'est pas pareil. On organise nos répétitions différemment, et ce sera un moment de concert qu'on va vivre différemment avec des œuvres relativement neuves, qu'on connait très, très bien. Cela fait partie des plaisirs du groupe de musique de chambre tel qu'on le conçoit, c'est à dire pouvoir travailler d'une manière très suivie et d'une manière très privilégiée, de pouvoir souvent jouer ensemble, de donner beaucoup de concerts : en fait, les concerts ne se ressemblent pas puisque on a des histoires différentes avec chacune des œuvres.
Paloma K. Chaque concert est un peu comme un kaléidoscope. Vous avez les mêmes cristaux, mais ils ne sont pas assemblés aux mêmes endroits. Vous n'avez pas les mêmes images au final. C'est très riche pour nous. Ainsi on n'est jamais lassé du Trio de Ravel, non seulement parce que c'est un chef d'oeuvre mais parce que quand on le joue à côté de Mendelssohn ou à côté de Bernstein, ce ne sont pas les mêmes émotions. C'est très riche pour çà.
Quelles sont vos perspectives d'avenir? Vous visez la pérennité de votre groupe ?
Paloma K. Il n'y a pas de divorce en cours.
Louis R. Je pense que ce qu'on cherche c'est de pouvoir faire perdurer le Trio tel qu'il fonctionne maintenant (toujours dans le développement), de considérer ce Trio comme le centre de notre activité et comme quelque chose qui va nous permettre de nous faire rayonner à trois à travers des concerts, et pourquoi pas à travers une classe de musique de chambre.
Paloma K. C'est quelque chose qui nous séduirait vraiment.
© C. Doutre
Avez-vous de grands modèles ?
Paloma K. Le Beaux Arts Trio. C'est inévitable puisqu'en fait, quand on y réfléchit, c'est le seul Trio vraiment constitué qui ait fait autant de disques, qui ait vécu si longtemps, même si des membres ont pu changer. Le fait que Menahem Pressler, lui, soit resté tout ce temps depuis la création de ce Trio jusqu'à sa fin, pour nous c'est un témoignage d'une vie de Trio qui a fonctionné. C'est incroyable. Nous avons eu la chance d'avoir des masterclasses avec Menahem Pressler, sur le Trio de Ravel notamment. Et c'est vrai que pour moi en tant que pianiste, j'ai appris énormément de choses et notamment par rapport au son du trio qu'on voulait chercher et trouver éventuellement. A titre personnel je suis très admirative de la manière dont il a pu transformer son jeu de pianiste à travers celui de ses collègues, ceux des cordes, et son écoute des cordes et ce qu'il en fait par rapport à son jeu. Un pianiste au niveau des attaques, quand il joue la note, il a des pédales. Mais on ne peut pas vibrer car on n'a pas d'archet ; c'est très différent. Et c'est çà qui est très beau dans un trio. Et c'est cela qu'enseigne magnifiquement le Beaux Arts Trio.
On a aussi d'autres modèles, les Wanderer....
Louis R. Souvent les grands chambristes m'inspirent, comme les quatuors à cordes ; les Alban Berg par exemple. Au niveau des trios, je citerais celui de Rubinstein, Piatigorski, Heifetz...
b
Paloma K. Mais aussi Cortot, Thibaud, Casals... Mais quand on lit le livre de Rémi Jacobs, qui en parle beaucoup et en détail, on voit que c'étaient de grands amis qui avaient une carrière internationale individuelle. Et çà n'a finalement pas marché. Sans doute, cela faisait tout le sel de leur activité de trio de ne pas se voir souvent, mais en même temps au niveau de leurs agendas de concerts ce n'était tout simplement pas possible.
Avez-vous le souhait d'évoquer encore un point particulier ?
Paloma K. Oui, nous voudrions que vous trouviez une place dans cet interview pour souligner combien l'émission de Gaelle Le Gallic, « Génération jeunes interprètes », a permis notre lancement. C'est cette émission, en 2010, qui nous a obligés de trouver un nom... Karénine. Pour nous, remercier Gaelle Le Gallic, c'est important !
Propos recueillis par Gilles Ribardière
Taylor consort / DR
La tradition du festival de Pâques de Deauville a toujours été d’accueillir de jeunes musiciens. Cette vingt et unième édition n’échappe pas à la règle, les interprètes sont tous très jeunes, tous ont plus près de vingt que de trente ans. Justin Taylor avec sa dégaine d’adolescent, est un jeune roi du clavier baroque puisqu’il maîtrise aussi bien le clavecin que le clavicorde. Et il nous le démontre ce soir en jouant Rameau, Bach et Mozart.
La gavotte, danse populaire de la région de Gap, Rameau l’intercale entre la gigue et la sarabande et “les doubles“ que joue ici Justin Taylor, en sont des variations. Musiques légères, musiques de salon, elles doivent prodiguer un plaisir simple à l’auditeur et c’est une jubilation de les entendre ici dans cette salle qui pourrait sembler trop grande pour un clavecin mais que l’acoustique parfaite sauve. Sans être spécialiste de lutherie, les pièces jouées ensuite par le quatuor souffrent apparemment de la qualité insuffisante des instruments à cordes. Le jeu semble irréprochable mais la sonorité peine à atteindre le niveau de pureté auquel les instruments des grands facteurs nous ont habitués. Dommage car l’écriture du concerto de Bach BVW 1052 est si rigoureuse (comme tout Bach) qu’elle exige une perfection absolue et l’effectif minimaliste de la formation demande lui aussi une ampleur que ne permet pas la seule présence de quatre musiciens. N’oublions pas que Bach jouait ses concertos avec dix ou quinze interprètes.
Justin Taylor interprète ensuite une sonate de Mozart, la sonate en ré majeur K 284, une des plus charmante, au thème léger et mélodique. Il la joue avec une sensibilité et une élégance toutes mozartiennes. La formation continue avec une autre œuvre de Mozart, le quatuor en sol mineur n°1 K 478. Curieusement, l’ensemble sonne mieux avec le clavicorde qu’avec le clavecin. Mozart n’a composé que deux quatuors avec piano. La structure : pianoforte marié au trio classique, violon, alto, violoncelle, étant selon son éditeur, trop complexe et l’ensemble ainsi constitué pas assez vendeur. Il s’agit d’une œuvre difficile, car cette pièce faite d’échanges entre les instruments, d’échos qu’ils se renvoient tour à tour, sorte de mélange d’eau et de feu, que Mozart compose paradoxalement tout en douceur, hésite trop entre l’écriture du concerto et celle de la stricte musique de chambre.
Justin Taylor est le maître d’œuvre de ce “faux concerto“. La juxtaposition de la justesse du piano en miroir avec le vibrato plus rude des cordes scelle ce ballet subtil entre les parties qui prend tout sa dimension dans l’andante où l’alto de Sophie de Bardonnèche nous livre avec délicatesse un dialogue intime avec un piano aux lignes mélodiques plus fluides. Dans le rondo final, le trio prend soudain ses libertés et le piano de Justin Taylor se plie à ces appels incessants des cordes en leur répondant par une luxuriance de traits étincelants qui courent jusqu’aux derniers accords.
Trio Les Esprits / DR
Une semaine plus tard, c’est au tour d’une autre formation, le trio “Les Esprits“, très jeunes eux aussi, de se produire dans la même salle Elie de Brignac, habituellement dédiée à la vente annuelle des jeunes chevaux, les Yearlings, une vaste salle en demi cercle à l’acoustique parfaite.
Une pièce contemporaine de Friedrich Cerha, élève vivant de Stockhausen, n’invite pas forcément à l’émotion mais par ses dissonances et son atonalité, elle laisse présager de la qualité des interprètes, de la pureté du jeu de la jeune violoniste Mi Sa Yang et celle du violoncelle de Victor Julien Laferrière.
Avec le trio pour cor, violon et piano nous rejoignons les terres plus familières de Johannes Brahms. Et ces terres, Brahms, les parcourt chaque jour : « Un matin je marchais, le soleil s’est mis à briller entre les arbres, et le trio me vint à l’esprit. » Le répertoire plutôt restreint du cor concertant lui donne là une de ses œuvres les plus abouties.
Cette marche dans la forêt devient dialogue entre cor, piano et violon. Le cor fournit le thème, le violon le développe, le piano l’accompagne de fioritures arpégées, la conversation s’installe et l’œuvre se déroule comme un ruban harmonieux fait de cette succession de thèmes repris et enrichis sans cesse. Le jeu délicat du cor de Nicolas Ramez ne cherche jamais à prendre le pouvoir et l’équilibre parfait entre les trois instruments fait planer tout au long du trio une grâce apaisante, telle que l’a voulue Brahms.
Mais c’est dans le trio n°2 en mi bémol majeur de Schubert que les trois interprètes vont atteindre leur niveau d’excellence. Ce trio célébré par Barry Lyndon de Kubrick et de nombreux autres films (l’Immortelle , La pianiste…), fut composé par un Schubert malade, il a la syphilis. Cette œuvre qu’il crée en concert avec succès ne tiendra pas ses promesses d’avenir à cause de la venue à Vienne d’un Paganini qui sera adulé.
La première exécution du trio commémora le premier anniversaire de la mort de Beethoven. Dès le début, sous l’influence du maître allemand, l’Allegro, inspiré d’une chanson populaire suédoise, impulse à l’œuvre une énergie donnée par trois phrases à l’unisson répétées tour à tour par les trois parties qui sautent d’octave en octave.
C’est avec le deuxième mouvement, l’Andante, le plus connu, que Schubert introduit le drame en faisant alterner cordes et piano, mineur et majeur, et ce thème répétitif porte en lui ce qu’on qualifiera plus tard de suspense, les sauts d’octave provoquant à la fois une “angoisse grave“ et “un désir exubérant“ qui, grâce à une espèce de ritmo ostinato continu, magistralement conduit par le piano d’Adam Laloum, mènent, selon Schuman, jusqu’à la démission finale.
Après cette montagne d’angoisse, de mélancolie et de “suspense“, les deux mouvements suivants notés Allegro semblent ludiques et presque dansants.
Il faut saluer le talent du trio Les Esprits de nous faire passer par des états si différents. Pour parvenir à une telle harmonie, combien faut-il de complicité, de connivence, d’amitié, d’intimité même. Ce terme de musique de chambre n’est pas un vain mot. La violoniste Mi Sa Yang est une équilibriste, elle saute sur son siège au rythme de son violon, elle se penche, se redresse, son corps suit son archet, elle vit sa musique avec son corps. La sonorité de son violon est parfaite, le sentiment aussi. L’ensemble, rythmé par le piano virtuose et meneur de Adam Laloum est juste, brillant et rigoureux. Cette cohérence des trois interprètes issus des mêmes conservatoires, cette sensibilité subtile, cette virtuosité jamais ostentatoire nous rappellent celle du Beaux Arts Trio qui grava une version de référence il y a plus de vingt ans.
En quittant cette salle de concert atypique, on est heureux : le festival de Pâques de Deauville demeure vingt ans après sa création par Renaud Capuçon, Nicolas Angelich et Jerôme Pernoo, un grand festival d’interprètes, un incubateur de talents, un terreau de passage entre générations et un lieu où la musique de chambre atteint son plus haut niveau, simplement, sans tapage et sans fioritures. Le Printemps de la musique peut continuer.
Jean François Robin
Jukka-Pekka Saraste © Thomas Kost
On espérait beaucoup du jeune pianiste polonais Jan Lisiecki, nouvelle étoile montante du piano, reconnu pour sa maturité exceptionnelle, sa sonorité à nulle autre pareille, pour la poésie et la sensibilité de son jeu. Un pianiste parmi des plus renommés du moment qui vient d’enregistrer pour le label jaune son quatrième CD consacré aux œuvres rares de Frédéric Chopin, c’est dire que le Concerto pour piano n° 2 (1829) qui ouvrait le concert était un moment très attendu. Des espoirs qui ne furent, hélas, pas totalement comblés par la lecture assez fade qu’en donna Jan Lisiecki, se résumant à un long monologue du piano face à un bel orchestre (petite harmonie) qui fit ce qu’il put avec ce qu’il avait à disposition, c'est-à-dire pas grand-chose compte tenu de la pauvreté de l’orchestration chopinienne. Une interprétation sans originalité, bien menée certes, virtuose et enlevée dans le Maestoso initial, poétique et éthérée dans le Larghetto central, rustique mêlant folklore et danse dans l’Allegro final, mais ne dégageant aucune émotion, laissant le public sur une impression assez mitigée qu’atténua toutefois le Nocturne en ut majeur donné en « bis », le piano de Chopin n’étant jamais aussi émouvant que lorsqu’il est joué seul.
Plus intéressante assurément la seconde partie de concert consacrée à la Symphonie n° 8 de Chostakovitch. Deuxième symphonie de guerre, après Leningrad, empreinte de douleur et d’effroi, miroir des atrocités de la guerre et de l’oppression stalinienne, sorte de requiem composé en 1943. Malgré un renforcement judicieux des cordes graves visant à assombrir le climat de l’œuvre, Jukka-Pekka Saraste s’inscrit d’emblée dans une vision très policée, presqu’apollinienne, très « occidentale » de cette symphonie parmi les plus noires écrites par le compositeur russe. La déploration des cordes dans le premier mouvement parait d’emblée par trop lyrique, le tempo lent y atténue le drame, la recherche du « joli son » y affadit l’âpreté du message, alors que nous aurions souhaité un phrasé plus haché, des transitions plus abruptes, une dynamique plus enlevée, une lecture plus chaotique, plus « russe » à la façon de Kondrachine ou Mvravinski. Une interprétation, toutefois, il faut le reconnaitre, parfaitement défendable dans la lignée des Haitink et autres Jansons, où l’on notera l’excellence de l’Orchestre de Paris, la stridence des bois, le chant plaintif du cor anglais, les élans cataclysmiques de la fanfare et des percussions. Dans le second mouvement le chef finlandais semble favoriser les nuances plus que le phrasé qui manque, là encore, de rudesse malgré les belles interventions du piccolo, de la petite clarinette et du basson. Le troisième mouvement impressionne par son caractère obstiné, voire motoriste, des cordes et tout particulièrement des altos et contrebasses suivant une pulsation rythmique implacable, mais les attaques semblent manquer encore une fois de tranchant, tandis que la passacaille du Largo fait la part belle à un lyrisme presque déplacé, avant de conclure sur un final qui manque un peu de continuité, hésitant entre sérénité et violence. Une belle prestation de l’orchestre, mais une lecture discutable qui aura su toutefois séduire le public et les musiciens. Que demander de plus ?
Patrice Imbaud
Karen Gomyo © Oregon Symphony
Il existe à l’évidence une grande complicité entre le « Philhar » et le jeune chef Jacub Hrůša lui autorisant toutes les audaces comme ce rare et périlleux programme associant Bartók, Britten et Scriabine. Une audace récompensée par la présence et l’enthousiasme d’un large public présent dans le grand auditorium. Réjouissons nous, ce n’est pas si souvent le cas ! Le mandarin merveilleux de Béla Bartók, dans sa version intégrale, ouvre la soirée, pantomime grotesque nous contant le désir croissant d’un mandarin pour une jeune prostituée qui le conduira à une mort extatique. Une œuvre composée en 1919 où le compositeur hongrois poursuit sa quête de modernité autour des thèmes qui lui sont chers comme la solitude, l’angoisse, recherche du moi, l’exaspération du désir et l’amour impossible. Le mandarin merveilleux exprime tout l’imaginaire bartokien avec une violence expressionniste parfaitement rendu par un Philhar et un Chœur de Radio France exemplaires malgré l’extrême complexité harmonique et rythmique d’une œuvre à l’orchestration foisonnante. Un remarquable exercice d’orchestre et de direction mené à bien de bout en bout, maintenant le public sous tension dès l’introduction enfiévrée associant clarinette (superbe Jérôme Voisin), cor anglais, cordes graves et cuivres simulant une terrifiante ambiance urbaine avant l’irruption du mandarin et la danse de séduction conduisant à l’acmé du désir à travers les halètements des différents pupitres, puis s’enflant progressivement dans un paroxysme de dissonances. Une partition très ramassée conduite avec une rigueur sans faille, une mise en place impeccable, des phrasés envoûtants et un sens de la narration hors du commun. Le rare Concerto pour violon de Benjamin Britten trouve ensuite, en deuxième partie, une interprète de choix en la personne de la jeune violoniste canadienne Karen Gomyo. Une œuvre datant de 1939 portant en filigrane les stigmates de la guerre d’Espagne, une partition mêlant lyrisme et fureur dans le Moderato initial, usant d’une époustouflante virtuosité violonistique se déployant sur une déploration des cordes et des cuivres dans le Vivace central, véritable danse de la mort, avant la Passacaille finale se concluant sur une fin diaphane dans l’extrême aigu du violon. Un concerto magistralement interprété par Karen Gomyo (virtuosité, sonorité, phrasé) mais une œuvre assez inégale manquant un peu d’unité. En « bis » le Tango Etude n° 4 de Piazzolla interprété de façon étonnamment fade pour cette spécialiste du genre. En tous cas, une belle découverte et un nom à retenir…
Pour conclure ce magnifique concert, place est laissée à Scriabine avec le Poème de l’extase (1905-1908) qui conclut cette palpitante soirée sur une dynamique exaltante et tendue scandée par la trompette solo d’Alexandre Baty et conduisant au final apocalyptique. Un concert comme une leçon d’orchestre qui méritait bien une telle fin. Bravo !
Patrice Imbaud
Elena Schwarz © Priska Ketterer
Dernier galop d’essai avant le départ de l’Orchestre Philharmonique de Radio-France pour une longue tournée d’une quinzaine de jours en Asie. Quel meilleur ambassadeur de la musique française que le « Philhar » dont la sonorité et la qualité des pupitres unanimement reconnues en font, sans doute, une des plus prestigieuses phalanges du moment, comme put en témoigner ce superbe concert totalement consacré à la musique de Ravel (Ma mère l’Oye, Shéhérazade et les deux Suites de Daphnis et Chloé). Somptueux programme pour une interprétation qui ne le fut pas moins, dirigé au pied levé par Elena Schwarz, cheffe assistante remplaçant Mikko Franck souffrant. La jeune cheffe suisso-australienne, prévenue quelques minutes avant le début du concert, dirigeant en tenue de ville, fut jetée ainsi sans ménagement dans le grand bain, immédiatement adoubée par les musiciens et le public du grand auditorium tant sa direction nous parut concluante et prometteuse. Ma mère l’Oye, orchestrée en 1911, avec sa Pavane de la Belle au bois dormant initiale fixe immédiatement le climat plein de charme et de poésie de cette œuvre célébrant le monde de l’enfance. Composée de cinq mouvements (Pavane, Petit Poucet, Laideronnette, Belle et la Bête et Jardin féerique) comme autant d’occasions de faire valoir la richesse et la limpidité de l’orchestration ravélienne, jeu de couleurs et de timbres parcourant tous les pupitres sous la direction souple, posée, élégante et lumineuse d’Elena Schwarz. Shéhérazade (1903) nous emmène ensuite vers un ailleurs rêvé, l’Asie, destination de circonstance (!) conduit par les vers de Tristan Klingsor alias Léon Leclère, Asie, long poème de prosodie difficile, débutant par un appel incantatoire, suivi d’évocations lyriques et secrètes, suivi de La Flûte enchantée et de l’Indifférent. Exercice périlleux nécessitant une égale perfection dans le chant et la déclamation où la mezzo Alisa Kolosova se cassa un peu le nez, non pas tant par le timbre séduisant, la tessiture adéquate, la souplesse vocale convaincante, que par une diction, avouons le, déplorable et incompréhensive même avec le texte sous les yeux ! Surprenant lorsque l’on sait que cette talentueuse mezzo fut formée à l’Atelier lyrique de l’Opéra National de Paris. Les deux Suites de Daphnis et Chloé (1911-1913), vastes fresques symphoniques d’inspiration hellénistique, tirées du ballet éponyme, véritable feu d’artifice orchestral concluent ce concert en beauté, grand moment de la soirée permettant à l’orchestre de déployer toute sa superbe autour de la flûte omniprésente de Magali Mosnier, excellente de bout en bout. La Suite n° 1, pleine d’allant soutenue par une dynamique très dansante s’appuyant sur un crescendo orchestral parfaitement maitrisé, la Suite n° 2, toute habitée d’une sensualité prégnante où timbres, rythmes se succèdent dans une partition d’un raffinement inégalable, témoignant du génie ravélien. Un chef d’œuvre du répertoire symphonique, un exercice d’orchestre et de direction dont le « Philhar » et Elena Schwarz nous livrèrent une brillante interprétation augurant d’une tournée triomphale. Un grand bravo aux musiciens mais également à Elena Schwarz, en sachant que c’est parfois par de tels remplacements impromptus que commencent les grandes carrières….C’est tout ce qu’on lui souhaite….A suivre.
Patrice Imbaud
Gautier Capuçon : DR
Traditionnel passage à Paris, dans la Grande salle Pierre Boulez de la Philharmonie, du Russian National Orchestra dirigé par son chef titulaire, le pianiste et chef d’orchestre, Mikhaïl Pletnev, associé pour l’occasion au violoncelliste français Gautier Capuçon dans un programme totalement slave. La Sérénade pour cordes de Mieczyslaw Kartowicz ouvre la soirée. Une œuvre, sans intérêt musicologique majeur mais charmante, qui eut au moins le mérite de la découverte. Celle du compositeur polonais Mieczyslaw Karlowitz (1876-1909) contemporain de Szymanowski, appartenant tous deux à l’association « Jeune Pologne », violoniste, compositeur et érudit, dont le catalogue peu fourni, du fait de sa brève existence, compte une sérénade pour cordes, un concerto pour violon, sept poèmes symphoniques fortement empreints d’un symbolisme pessimiste. Si les accents slaves de sa Sérénade (1897) sont facilement reconnaissables, la qualité de l’écriture ne saurait être comparée à celle de Tchaïkovski ou encore Dvořák. Dansante, jaillissante, lyrique et contrastée, une œuvre, somme toute mineure, qui permet surtout d’apprécier, d’entrée de jeu, la belle sonorité des cordes de l’orchestre. Le Concerto pour violoncelle n° 1 de Dmitri Chostakovitch, composé en 1959, dédié à et créé par Mstislav Rostropovitch, où se dessine en filigrane l’ombre de Prokofiev, est bien sûr d’une toute autre envergure, magistralement interprété par Gautier Capuçon. Dès l’Allegretto initial on est frappé par la sonorité très particulière assez ronflante et puissante de son Matteo Goffriler 1701. Le dialogue assez rugueux s’installe rapidement avec l’orchestre où l’on appréciera tout particulièrement le climat envoûtant engendré par le cor (excellent) et une petite harmonie de haute volée. Une lecture manquant peut-être un peu de tension mais chargée d’émotion et de mélancolie portées par le sublime legato d’un violoncelle au chant riche en couleurs, avant de conclure sur un Final dissonant et grotesque, sorte de parodie de Souliko, chanson préférée de Staline. Après la pause, la Symphonie n° 4 (1878) de Tchaïkovski, premier maillon de la trilogie du fatum dont Mikhaïl Pletnev propose une vision loin de tout épanchement sirupeux mais au contraire une lecture d’un romantisme ardent, engagé et contrasté, voire théâtral avec force de cuivres, impressionnants d’engagement. Le chef russe nous conte ici une histoire, celle de la lutte entre un bonheur impossible et un destin omniprésent qui ne se résoudra que plus tard dans la « Pathétique ». Drame, mélancolie, joie éphémère, rythmes obstinés s’y succèdent comme autant d’occasion de jeux de timbres (hautbois, basson, cordes, tuba) dans une mise en place impeccable et une dynamique soutenue. Une belle interprétation pour une soirée russe d’une rare cohérence qui ravit le public venu nombreux. Bravo !
Patrice Imbaud.
Renée Fleming © Angela Weiss /AFP/ Getty Images
Après avoir fait ses adieux à l’opéra, il y a quelques semaines lors de la dernière représentation du Chevalier à la Rose de Richard Strauss, donné au Metropolitan Opera de New-York, la célèbre soprano américaine retrouvait la scène de l’avenue Montaigne pour un court récital où elle chantait, dans un émouvant clin d’œil au passé, les Quatre derniers lieder du même Richard Strauss. Un corpus emblématique de la diva, comme le rôle de la Maréchale ou encore Rusalka, où Renée Fleming porta l’émotion à son comble, la ferveur de l’interprétation vocale et scénique gagnant ce que la voix légèrement fatiguée a perdu en brio. Un instrument aux couleurs mordorées, d’une rondeur onctueuse, chargé d’une indicible nostalgie où le chant sait parfois laisser place à une poignante déclamation le temps d’un voyage crépusculaire en quatre étapes, Printemps, Septembre, Au coucher et Au crépuscule. Si le souffle peut paraitre par instants un peu court, si les graves manquent parfois de profondeur, la ligne reste d’une souveraine et touchante beauté, magnifiée par une phalange d’exception, la Staatskappele de Dresde, que le chef allemand, Christian Thielemann, très attentif aux équilibres, fait avancer avec une retenue mesurée exaltant les timbres de la partition où le cor solo de Robert Langbeim et le violon solo de Mathias Wollong firent merveilles. Toute autre ambiance après la pause avec la Symphonie alpestre (1915) de Richard Strauss toujours. Une partition monumentale, foisonnante, aux allures nietzschéennes pour certains, très narrative nous contant une journée passée dans les Alpes bavaroises, scindée en plusieurs étapes dont les quatre principales sont la nuit, le lever du jour, l’ascension sur les cimes, la descente avec l’orage terrifiant puis le retour à la nuit. Une œuvre peut-être un peu grandiloquente dont le très germanique Christian Thielemann donna une vision d’une lourdeur accablante, la dynamique furieuse assez monolithique masquant par endroits la richesse de l’orchestration straussienne. En épaississant à dessein la texture déjà très cuivrée, le chef allemand place sous l’éteignoir bon nombre de timbres d’instruments solistes ou les splendides divisi de cordes, ôtant ainsi beaucoup de profondeur aux paysages sonores. On retiendra toutefois l’excellence des différents pupitres de cette prestigieuse phalange allemande, reconnue comme une des meilleures du monde, constituée de musiciens d’exception comme la jeune hautboïste française Céline Moinet, le clarinettiste Wolfram Groβe, le bassoniste Joachim Hans et le violoncelliste Norbert Anger. Un très beau concert.
Patrice Imbaud.
Tugan Sokhiev et l’ONCT © Patrice Nin
Après avoir embrasé la Philharmonie de Paris en mars dernier avec La Pucelle d’Orléans de Tchaïkovski à la tête de ses troupes du Théâtre du Bolchoï dont il est le directeur musical, le chef ossète revenait dans la grande salle Pierre Boulez avec l'Orchestre National du Capitole, qu’il dirige également depuis dix ans, pour un concert d’exception, véritable moment d’enchantement, construit autour du thème des Mille et une Nuits. Un concert d’une rare qualité, rehaussé par la présence de la jeune mezzo française Marianne Crebassa, lauréate des Victoires de la musique classique, reconnue comme artiste lyrique de l’année. La Suite d’orchestre Aladin de Carl Nielsen (1865-1931), composée en 1919 pour la scène, donne immédiatement le ton de cette soirée toute habitée de couleurs et de rythmes. Sept mouvements s’y succèdent, l’ample Marche de fête orientale, le très poétique Rêve d’Aladin, la lascive Danse hindoue, la mystérieuse Danse chinoise, l’orientalisante et lancinante Place d’Ispahan, la pesante et dramatique Danse des prisonniers, puis la très enlevée Danses des maures. Autant de petits bijoux orchestraux où Tugan Sokhiev nous donne à goûter toute la maitrise de sa direction. Chef symphonique mais également chef lyrique reconnu, il sait, avec un rare bonheur, faire chanter les couleurs et donner aux sons tout leur pouvoir d’évocation dans un phrasé très narratif auquel l’orchestre adhère immédiatement avec une réactivité et une grande complicité. C’est ensuite au tour de Marianne Crébassa d’occuper la scène pour Shéhérazade (1903) de Maurice Ravel. Exercice difficile, s’il en est, mêlant chant et déclamation, que la jeune mezzo chante avec un brio hors du commun. Diction parfaite, puissance, émission claire, tessiture adéquate, pureté de la ligne sans vibrato excessif, maitrise de la prosodie, pour une interprétation habitée où la beauté du timbre le dispute à l’élégance, la richesse et la délicatesse de l’orchestration ravélienne (excellente flûte de François Laurent). Après la pause, la magie orchestrale se poursuit avec la Danse des sept voiles (1903-1905) de Richard Strauss, extraite de l’opéra Salomé. Sensuelle, capiteuse, passionnée et dramatique on y apprécie, là encore, la brillance de l’orchestration (hautbois et harpe), le legato et la sonorité onctueuse des cordes, avant une coda vertigineuse.
Dans ce concert faisant la part belle aux grands orchestrateurs (Nielsen, Ravel, Strauss), Igor Stravinski trouve naturellement sa place avec la Suite n° 2 de l’Oiseau de feu (1919) incontestable pyrotechnie orchestrale, extraite du ballet intégral (1910), commande de Diaghilev pour les Ballets russes. Occasion rêvée pour l’orchestre du Capitole de faire preuve de toute sa superbe, grondement sourd introductif des cordes, pépiements jaillissants du hautbois, douce cantilène des bois, danse frénétique de Kaztcheï scandée par le basson, sonnerie de cuivres, complainte du cor et tutti s’amplifiant dans un magnifique crescendo final parfaitement maitrisé. Toute une orchestration savante et chatoyante soutenue par une rythmique d’une modernité enivrante dont la direction claire, précise, tendue et pertinente du chef fait son miel pour un triomphe final incontestable et mérité. En bis, comme un hommage à la musique française, le Jardin féérique de Ravel et l’Ouverture de Carmen. Bravo à tous ! Un concert « magique » qui restera dans les mémoires.
Patrice Imbaud
Laurence Equilbey © Agnès Mellon
Pour la deuxième série de concerts inauguraux de la nouvelle salle de la Seine Musicale de l'Ile Seguin, Laurence Equilbey avait choisi Schubert. Un Schubert sombre et nocturne, que résume parfaitement le titre du concert « Nuit et rêves ». L'Ouverture de La Harpe enchantée, un opéra qui ne connaitra qu'un très éphémère succès en 1820, et que Schubert recyclera pour ouvrir le suivant, Rosamunde, Equilbey l'aborde avec vitalité. Sa direction musclée n'élude pas cependant le lyrisme de cette page. On est d'emblée frappé par la présence sonore acoustique de la salle, avec des graves très définis, alors qu'il n'est sur le podium que trois contrebasses et quatre violoncelles. Cela se confirme dans la Symphonie inachevée qui sonne presque chambriste, en tout cas pas aussi fournie qu'avec les larges formations romantiques dont on affuble souvent la partition. Une exécution irréprochable, sans fioriture ni sollicitation dans les parties lentes, plus en pleine lumière que dévoilant des arcanes enfouies. Où les instruments d'époque d'Insula orchestra apportent une couleur spécifique patinée, aux bois en particulier, même si l'ensemble semble un peu manquer de raffinement.
Le morceau de résistance de la soirée était un bouquet de Lieder du maître viennois, orchestrés par plusieurs autres musiciens. Et chantés par un ténor, une mezzo contralto et le chœur Accentus. Plusieurs compositeurs se sont attachés à orchestrer des Lieder de Schubert : de Liszt à Webern, de Brahms à Richard Strauss, de Reger à Britten. Et même Berlioz, ou encore le compositeur français Franck Krawczyk (*1969), qui collabore régulièrement avec Laurence Equilbey et Accentus. Certains ont même été traités par différents musiciens (ainsi Reger et Berlioz pour « Le Roi des aulnes »). Pour quel résultat par rapport à l'original avec accompagnement de piano ? Car l'art de la transcription - de l'adaptation, faudrait-il dire, aux dimensions de l'orchestre - n'est pas aisé. Celle-ci peut se justifier, outre l'admiration de l'un vis à vis de l'autre musicien, par la volonté d'élargissement du potentiel dramatique renfermé dans chaque pièce. Comment, à l'inverse, faire passer à l'orchestre toute l'intensité inhérente au dialogue du chant avec le seul piano, sans remettre en cause sa part d'intimité, voire le ton de confidence contenu dans ces pièces ? Le choix opéré par Laurence Equilbey s'est porté sur quinze Lieder, là encore de tonalité sombre, mêlant le connu (« La Truite », « Le Roi des aulnes ») et le bien moins connu, distribués à l'une ou l'autre voix ou au chœur. A Stanislas de Barbeyrac, « Im Abendrot (orch. Max Reger), « Nacht und Traüme » (F. Krawczyk), hymnique sur une belle pédale d'orchestre assagi, « Ganymed » (orch. Richard Strauss) et « Die Forelle », ici agrémentée de l'originale patte de Ben Britten, enfin « Elrkönig », ce tragique Roi des aulnes métamorphosé par l'orchestration de Berlioz et ses terribles rafales des cordes graves qui décuplent l'horreur clamée par le poème. L'art de la demi-teinte du ténor français est magistral. Sa partenaire n'est pas une découverte lorsqu'on a suivi son ascension dans la troupe de l'Opernhaus de Zürich, car Wiebke Lehmkuhl est une voix rare dotée d'un large timbre mordoré de mezzo clair frôlant le contralto. Son interprétation de « La jeune nonne » dévoile une sombre intensité, comme « An Sylvia », Lied enrichi du beau dialogue avec la flûte. « Gruppe aus dem Tartarus » (orch. Brahms) et « La romance de Rosamunde » montrent une profonde empathie avec un idiome a priori non associé à ce type de timbre. Mais combien maitrisé avec autorité et élégance. Au chœur Accentus reviennent « Coronach » et l'étonnant « Gondolier », rejoint ici par les deux autres voix solistes dans un inquiétant climat nocturne.
Jean-Pierre Robert
© Vincent Pontet
C'est à une vraie re création d'Alcione que nous convie l'Opéra Comique. Car cette tragédie en musique que Marin Marais termine en 1706, et qu'il remaniera plusieurs fois ensuite, n'avait plus été jouée depuis 1771... Dernière grande tragédie lyrique du règne de louis XIV, elle promeut le genre du merveilleux à visée politique, car le prologue – du moins dans l'édition originelle – est, selon l'usage, à la gloire du souverain, qui pourtant n'assistera pas au spectacle, créé à l'Académie royale de musique. Elle est aussi à la croisée du XVII ème finissant et du XVIII ème émergent, celui des Lumières. Qui annonce une nouvelle sensibilité chez les personnages et une plus grande expressivité de l'orchestre. Marin Marais (1656-1728), célèbre violiste, puis ''batteur de mesure'' (ancêtre du ''chef d'orchestre'') compose son troisième opéra sur un sujet tiré des Métamorphoses d'Ovide que son librettiste Antoine Houdar de La Motte adapte à la scène avec la science qu'on lui connait pour avoir œuvré avec succès pour des musiciens comme Campra, Lully, Destouches ou Mouret. Deux amants, Alcione, fille d'Éole, le dieu des vents, et Céix, roi de Trachines, voient leurs projets contrariés par trois personnages : Pélée, ami du roi et amoureux d'Alcione, le magicien Phorbas et Ismène, autre sorcière. Et ce au fil de cinq actes qui nous font voyager d'une cérémonie nuptiale interrompue par un soudain cataclysme, à une lugubre scène des enfers, à des adieux pathétiques à la bien aimée, au sommeil de l'héroïne que ponctue la vision d'une terrible tempête - le morceau le plus fameux de la pièce-, et à un lieto fine : Neptune ramenant à la vie, et réunissant les deux amants morts de désespoir, et effaçant ainsi le dénouement tragique.
© Opéra national de Lorraine
Dernier opéra écrit pour l'Italie par Gioachino Rossini, Semiramide, créé en 1823 à La Fenice de Venise, est tiré de la pièce éponyme de Voltaire. Il appartient à la veine seria du musicien, dans la lignée d'Otello, Armida, Maometto II. Triomphe de la vocalité virtuose, il marque peut-être aussi un souci de renouvellement. Ainsi le recitativo secco cède la place au récitatif accompagné débouchant sur la grande scène avec cantabile et cabaletta de tel ou tel soliste, préfiguration de l'opéra romantique. De plus, l'écriture orchestrale riche et colorée le dispute aux chanteurs, et pas seulement dans l'Ouverture fameuse, brillante et vigoureuse. Emprunté à un sujet biblique, déjà traité par Metastasio, la trame adaptée par le librettiste Rossi concentre l'action sur l'inceste – la reine de Babylone Semiramide aime Arsace, qui est en réalité son propre fils - et sur la reconnaissance de celui-ci. Principale fautive de ses plans, puisque meurtrière de son époux et mère incestueuse, elle sera poignardée par erreur par ce fils. L'œuvre, tombée un peu dans l'ombre au XIX ème siècle, renait au suivant avec les prestations de cantatrices célèbres : Joan Sutherland, Montserrat Caballé, ou Marylin Horne. Et avec des productions restées dans la légende, comme à Aix, à l'été 1980.
L'Opéra de Nancy frappe un grand coup en proposant une distribution de premier plan. La soprano géorgienne Salomé Jicia campe une Semiramis d'envergure, justement en accord avec le parti adopté par la mise en scène d'une reine plus femme déchirée que souveraine cruelle. Les récitatifs sont expressifs et les aigus assurés. Surtout, le rôle d'Arsace, traditionnellement dévolu à un travesti, mezzo soprano, est confié ici à un contre ténor, Franco Fagioli, dont c'était la prise de rôle. Outre un pas franchi en terme de vraisemblance, la vocalité est formidablement assurée par un débit immaculé, en particulier dans la partie colorature et ses extraordinaires roulades, jusqu'à une quinte aiguë projetée à faire pâlir ses collègues féminines. La manière est grandiose aussi. Les grands duos, morceaux cardinaux de la partition, où chacune des deux voix s'exprime solo avant que les deux s'unissent de la plus fusionnelle façon, sont purs joyaux. Parmi les autres rôles, on citera le baryton basse héroïque de Nahuel Di Pierro et la basse Fabrizio Beggi, voix de stentor. Mais si tout cela a autant d'allure, c'est assurément aussi grâce à la direction de Domingo Hindoyan. Ce jeune chef, issu du Sistema vénézuélien, où il fit ses premières armes à six ans comme violoniste, et qui fut plus récemment assistant de Daniel Barenboim à Berlin, notamment pour Tosca (cf. LI de 11/2015), imprime à l'Orchestre symphonique et lyrique de Nancy un flamboyant élan et des couleurs insoupçonnées aux cordes et pour ce qui est du rôle si particulier attribué aux cors. La pulsation rythmique est magistralement ménagée et le chant soutenu sans faiblesse.
Franco Fagioli & Salomé Jicia © Opéra national de Lorraine
La mise en scène de Nicola Raab est utilitaire à défaut d'être totalement convaincante. On a pris le parti d'une présentation stylisée, oscillant entre ancien (costumes, éléments de décors) et moderne (espace neutre, fond noir) et de jouer le théâtre sur le théâtre. Une estrade et quelques degrés, sur la partie droite du plateau, assurent les principaux airs, comme délivrés devant un public imaginaire. Un rideau rouge tiré devant cet espace laisse à l'autre territoire sa fonction plus ''publique'', celle des chœurs ; quoique le traitement de ceux-ci soit plus conventionnel, un effet sans doute voulu. Tout cela est rehaussé d'éclairages intéressants. Le côté monstre de l'héroïne, sa dimension sanguinaire – déjà édulcorés par Voltaire et Rossi - sont ici gommés au profit d'une aspiration à quelque rédemption et au rachat moral, une sorte de sublimation du personnage ; tandis que de celui d'Arsace émanent humilité et bonté. C'est que dans une œuvre qui traite des thèmes de l'identité et de la recherche des racines, on a voulu, selon la régisseuse, « installer une sorte de labyrinthe associant fiction et réalité, scène et coulisses » - une manière très en vogue actuellement -, comme « le monde intérieur d'Arsace dans lequel il s'aventure pour découvrir sa vérité ». Dont acte. Mais si plus d'une image ne manque pas de séduire, la traduction pratique semble plus prosaïque. Et il vaut mieux mieux se laisser aller aux sortilèges mirifiques de la musique de Rossini et à son irrésistible pyrotechnie vocale.
Jean-Pierre Robert
© Jean Louis Fernandez
Quelques soixante ans après sa dernière représentation lyonnaise – au Théâtre romain de Fourvière, à l'été 1957 - l'Opéra de Lyon affiche Alceste ; dans sa version dite de Paris (1776). Pour cette œuvre, plus que dans toute autre, Gluck applique ses « Principes » c'est à dire ceux de sa réforme : « Je voulus réduire la musique à son véritable but, qui est de fortifier la poésie par une expression nouvelle », contre les débordements et ornementations bel cantistes. Tragédie de l'amour conjugal, comme le sera le Fidelio de Beethoven, cet opéra comporte une action réduite et situe son propos dans un échange aussi dense que pathétique entre Alceste et le roi Admète. La violence de la situation, encore plus resserrée dans la mouture française que dans la version italienne de 1767, centre l'intrigue, au fil de ses trois parties, successivement sur Alceste, au I er acte, Admète au II ème, et l'antagonisme séparation-retrouvailles au troisième ; selon le schéma : exposition, péripétie, catastrophe. On connait la trame, inspirée de la tragédie d'Euripide : le roi doit mourir à moins que quelqu'un ne se sacrifie à sa place. Personne n'osant relever un tel défi, Alceste s'offre par amour. Le roi, troublé par l'improbable révélation « Quel autre qu'Alceste Devait mourir pour toi ? » et bouleversé par une telle preuve d'amour, tente de l'en dissuader. Alors les dieux du ciel arrêtent l'infortunée et rendent les époux à leurs effusions. Un lieto fine quelque peu factice, certes, mais voulu par le musicien. Alex Ollé ne l'entend pas de cette oreille et ''réécrit'' l'histoire : l'ultime scène, passé un moment joyeux de retrouvailles figurées dans la prairie, montre la dépouille mortuaire d'Alceste que le roi vient embrasser affectueusement, tandis que l'orchestre achève la chaconne du divertissement final. Déjà, vers la fin de l'Ouverture, un écran laissait apparaitre une scène d'accident de voiture, sans doute causé par l'inattention de la conductrice et laissant les époux en un piteux état, surtout le roi, qui sera ensuite pris en charge fébrilement dans une sorte de chambre d'hôpital. Sans doute, le metteur en scène veut-il par là pallier le manque d'action ou souligner à travers l'état traumatique du coma, la culpabilité d'Alceste vis à vis de son époux. Reste que malgré de belles images et un professionnalisme qu'on ne peut lui disputer, cette proposition dramaturgique prend – encore une fois – ses aises avec le texte et essaie de coller à la musique tant bien que mal. Et ne peut s'empêcher de conclure sur une note pessimiste. Un décor unique de quelque palais italien enserre la narration dans une atmosphère claustrophobe nantie de quelque animation parmi le chœur. Le tableau des enfers, en particulier, avec sa vue brouillée, est fort évocateur des affres qui taraudent la reine. La direction d'acteurs est juste et l'échange musclé entre les époux au II ème acte atteint un réel paroxysme tragique, à l'issue d'une scène de retrouvailles autour d'une table de salle à manger où tout un chacun s'accorde à tenir un rôle convenu : l'amie proche, l'aïeule et son petit fils, les proches des époux, plus ou moins concernés par l'événement, etc
Julien Behr & Karine Deshayes © Jean Louis Fernandez
La pièce est centrée sur le rôle titre et à cet égard Karine Deshayes offre une incarnation sans faute : la déclamation expressive de la tragédienne classique dans le récitatif, dans la lignée d'une Régine Crespin, la noblesse de ton, et d'attitude, au long d'airs qui flattent le registre médium et exigent une quinte aiguë sûre ; le registre de mezzo de la chanteuse, légèrement taxé au début (mais cette ultime représentation, report d'une soirée annulée pour cause de grève, suivant la précédente la veille, pouvait générer quelque légitime fatigue) se teinte de beaux reflets comme lors de « Non ce n'est point un sacrifice », ou surtout « Divinités du Styx », pierre angulaire de cette déclamation gluckienne empreinte de noblesse et d'apostrophe, qui dans son débit rapide, nécessite une grande agilité dans l'émission. Lors de l'air « Ah! Divinités implacables » (III), la résignation fait place à l'humilité de celle qui sait tout espoir vain désormais. Une belle et grande interprétation à l'actif d'une artiste attachante. Julien Behr campe un Admète de belle stature, beau métal de ténor clair avec une pointe héroïque, et une présence certaine. Leurs deux confrontations, plus que des duos émus, sont des moments d'intense émotion, pas seulement vocale. A distinguer encore le Grand-Prêtre d'Alexandre Duhamel, lui aussi d'un belle hauteur de ton. Et surtout l'engagement des Chœurs de l'Opéra de Lyon. Bien que confinés dans la coulisse à plusieurs reprises, leur prestation impressionne par le souci d'une impeccable diction. C'est que dans cet opéra le chœur se fait commentateur et accompagnateur du drame, voire joue le rôle de chambre d'écho, en particulier à l'acte II où ses interventions se mêlent à celles des solistes. Stefano Montanari, rompu au baroque de par sa formation de violoniste, propose une direction à la fois vive et nuancée. Où la couleur sombre domine car, pour citer Berlioz (« A travers chants »), l'auteur « a banni tout ce qui est criard, perçant et brutal, pour ne recourir qu'aux sonorités douces ou grandioses ». À l'aune de l'Ouverture qui après des accords solennels, alterne motifs mélodieux aux cordes et tutti d'orchestre, sur une dialectique accélération-ralentissement, ou du prélude à l'acte II, sorte d'intermède symphonique pour décrire les réjouissances scellant le retour du roi. L'Orchestre de l'Opéra de Lyon, qui pour l'occasion est doté d'archets baroques et d'instruments naturels pour les cuivres et les timbales, sonne avec une acuité nouvelle et on savoure la flûte dans le grave, le frémissement des violons comme tremblements, la sûreté des cors. En un mot, une sonorité des plus raffinées.
Jean-Pierre Robert
DR
Voilà un récital, de la série des « Grandes Voix », décidément pas comme les autres. Une soirée qui se veut transcender les codes du concert soliste. Pas seulement parce qu'il s'agit d'un spectacle plus que d'une simple proposition de concert, mais aussi et surtout parce que l'artiste qui en est à l'initiative, l'américaine Joyce DiDonato cherche à communiquer une forme d'engagement. C'est sans doute dans le speech de fin de concert que s'en trouve la clé : prenant la parole – en français - au terme d'un passionnant parcours en terres baroques, la chanteuse dit son émotion, pas seulement d'être là, mais d'avoir pu concevoir ce programme, il y a près de deux ans, après les attentats de Paris de 2015, et comment elle entend lutter avec ses moyens de « chanteuse » et non de « héros » contre le désarroi ambiant. Elle qui s'affiche « une optimiste féroce, fière et volontaire », aura cette belle phrase : « Je suis fatiguée d'être triste ». « In War and Peace » est un programme de résistance au tourbillon « des tourments et du pessimisme qui semblent imprégner tous les recoins de notre vie ». Et comment mieux y parvenir que par l'art, « chemin valeureux vers la paix ». On pense à l'action d'un Barenboim et de son orchestre israélo-palestinien. Aussi cette soirée doit-elle être appréciée à l'aune de cette généreuse démarche.
Mise en espace avec projections vidéo et même quelques mouvements de danse, elle était divisée en deux parties. Pour la première « Guerre », sans le besoin d'un quelconque préambule orchestral, on entre de plano dans le vif du sujet avec une aria de Haendel, tirée de l'oratorio Jephta, juxtaposant bravoure et douceur, et une d'Andromaque, du dramma per musica éponyme de Leonardo Leo, scène de grandiose tragédie associant colère, peur et supplication. La diva s'y montre formidable tragédienne, ne se ménageant pas jusque dans des effets détimbrés. L'orchestre Il Pomo d'Oro répond avec fougue. Un intermède instrumental, extrait d'abord de la sinfonia de La Rapprasentione di anima e di corpo d'Emilio de' Cavalieri, où le chef Maxim Emelyanychev s'accompagne lui-même au cor baroque, puis de la chaconne de Purcell, introduit un deuxième temps : le Lamento de Didon « Thy hand, Belinda », délivré dans une douceur et une lenteur toute habitée. On est ému sur le « remember me », prononcé comme dans un souffle, tandis que tout est rougeoiement alentour. Tout en contraste, l'air d'Agrippina de l'opéra de Haendel ramène aux humeurs changeantes d'une héroïne assaillie par le doute. Joyce DiDonato donne tout, avec sa générosité coutumière. Un nouvel intermède, « Tristis est animam mea » de Gesualdo, distillant une insondable douleur, prélude à l'ultime section de ce premier volet : l'aria « Lascia ch'io pianga », tiré du Rinaldo de Haendel, une de pages phares du répertoire, là encore délivrée extrêmement lent tandis que la vidéo laisse à voir un tomber de feuilles mortes. Superbe moment.
Lamento de Didon / DR
La seconde partie du concert, « Paix », propose d'abord un air extrait de The Indian Queen de Purcell, puis un air de Susanna de l'oratorio de Haendel, deux moments d'accomplissement où l'interprète dans le mezza voce est à son meilleur. Une composition d'Arvo Pärt « Da pacem, Domine », commande de Jordi Savall à la suite des attentats de Madrid de 2004, forme là encore un juste intermède : une longue stance, curieusement proche du langage baroque, aux douces tonalités voilées dans la basse de l'orchestre - dans cette transcription instrumentale de l'original pour ensemble de voix. La dernière section sera plus riante : l'air d'Almirena de Rinaldo « Augelleti, che cantate », ces oiseaux dont la voix gazouille au son de la petite flûte chalumeau, magistralement tenue par Anna Fusek, par ailleurs violon II, et l'ultime aria de Cleopatra du Giulio Cesare in Egitto de Haendel, où les vocalises aériennes le disputent à une ligne de chant magistralement conduite. Joyce DiDonato montre combien sont immenses les diverses facettes de son talent, qui nous aura fait passer du mezzo rigoureux et riche en harmoniques au soprano clair tout en souplesse. En bis, pour continuer dans ce même registre, elle offre un autre air pyrotechnique, délivré sur fond de feu d'artifice vidéo... Après le speech, le Lied « Morgen » de Richard Strauss, d'une formidable intensité, vient conclure : un dernier « cadeau » que la cantatrice dispense à son public. Un public qu'elle aura tenu en haleine au long de ce programme singulier, souvent sur le versant mélancolique finalement, et de cette présentation inédite et soignée. Il faut associer à cette performance vocale celle de Il Pomo d'Oro et de son chef Maxim Emelyanychev, des musiciens hors pair, eux aussi engagés.
Jean-Pierre Robert
Cette belle prestation du 17 mai, à l’église des Blancs Manteaux, de l'Ensemble vocal Saint-Séverin et orchestre sous la direction de Joël Sibille, a rappelé la difficulté de se prononcer sur la position mystique de Franz Schubert, faiblement dévot, sincèrement croyant, auteur par ailleurs de six messes, la dernière (Grande Messe en mi bémol) datant de 1828, année de son décès. Composée de 1819 à 1822, la Messe n°5 est sans doute la plus lyrique qu’il ait jamais écrite, mais aussi, assez paradoxalement, l’une des plus pénétrées par le sentiment religieux. En rupture esthétique complète avec les quatre numéros précédents, elle se signale par une dramatisation constante, sans jamais tomber dans le travers théâtral si fréquent dans la production pieuse du XIXe siècle. Trait d’autant plus remarquable que le compositeur n’est alors âgé que de 25 ans ; il est vrai que l’extraordinaire Inachevée date de la même année et témoigne de la même maîtrise orchestrale. Sans doute le plus remarquable dans la prestation de l’ensemble placé sous la direction de Joël Sibille a-t-il été, tout au long de l’exécution, le soin apporté à l’énoncé du texte sacré, non seulement par la parfaite intelligibilité du discours (favorisée par la discrétion bienvenue de la phalange instrumentale), mais surtout par la mise en lumière expressive des mots formant la trame de ce même discours. Bien que de modestes proportions, la part des solistes est capitale ici. Aussi faut-il équitablement louer l’éloquente vigueur de la soprano Cyrielle Ndjiki et du ténor bien-nommé Christophe Ferveur, avec une mention spéciale pour le timbre cuivré, pénétrant, d’une profonde douceur, de l’alto Lucie Curé, et l’intelligence prosodique du très lyrique baryton Augustin Chemelle. En seconde partie, le Schicksalslied (Chant du Destin) de Brahms, composé presque immédiatement après le Requiem, surprend toujours par sa nature rhapsodique, sans doute justifiée par les tourments d’un texte évoquant la bienheureuse quiétude d’une éternelle clarté avant de passer aux affres ténébreuses d’une douleur sans fin ! Quoi de plus symptomatique, dans ces conditions, que l’étonnant pari du compositeur, fermant sa partition par un épilogue purement instrumental pour rappeler que le langage de la musique n’est pas réductible à celui des mots, comme l’avait déjà noté le grand aîné Schumann ?
Gérard Denizeau
Jean-Philippe Collard / DR
« Bacchanale », sous-titre du concert donné à la Philharmonie de Paris, s’articule donc autour de l’orient. La tendance, comme pour les expositions de peinture, consiste à traiter plus un thème qu’un peintre ou un musicien, ce soir celui des influences orientales subies par les compositeurs de la seconde moitié du XIX ème siècle. Sur des instruments de cette époque, les musiciens de l’orchestre Les Siècles, vont jouer Dukas, Ravel, Saint-Saëns et Lalo.
Pour Ravel, l’orchestre peut dévoiler ses fastes : plus de cinquante musiciens. Schéhérazade, Ouverture de féerie ouvre le bal. Œuvre de jeunesse jamais publiée du vivant de Ravel, elle est prévue pour ouvrir un opéra oriental qui ne verra jamais le jour. Influencé par la suite symphonique de Rimski-Korsakov, Ravel se laisse aller aux facilités de la gamme orientale, la fameuse gamme par tons et malgré une orchestration très riche où le hautbois se taille la part belle, et même si l’œuvre ne manque pas d’un charme un peu convenu, ce pauvre Ravel se fit assassiner par Willy qui le traita de « Rimsky tripatouillé par un debussyste jaloux d’égaler Satie. » Un Willy tripatouilleur et voleur de l’œuvre de Colette qui aurait mieux fait de se taire.
Pourtant les consonances orientales sont « soft » avec de belles envolées parfaitement mises en place par François Xavier Roth, chef précis aux attaques nettes, parfois à la limite de l’agression des vents contre les cordes mais la parfaite acoustique de la salle donne à l’ensemble une belle cohérence.
Arrive Jean Philippe Collard pour le 5ème concerto pour piano de Saint-Saëns, « L’Egyptien », le plat de résistance du concert. Ce concerto, il l’a enregistré il y a trente ans dans une version de légende avec André Prévin. Jean Philippe Collard se glisse dans le costume de Saint-Saëns avec une belle prestance. Il survole l’allegro animato, qui débute le concerto, avec une élégance subtile avant de se lancer dans la virtuosité extrême du deuxième thème à la fois énoncé par le piano et l’orchestre, l’un “accompagnant “ alternativement l’autre. Même si la balance n’est pas toujours parfaite entre les tutti de l’orchestre et le piano, celui-ci reste clair et lisible, ce qui fait sa force.
Le deuxième mouvement, l’andante, n’annonce pas la couleur, il commence forte mais très vite il se pimente d’épices orientales. Saint-Saëns joue des petites notes (répétées à l’aigu) à la sonorité étrange et étrangère et les accords de seconde augmentée l’aident bien à faire le voyage jusqu’en Égypte, jusqu’à Louxor où il aurait écrit les premières notes du concerto sur sa manchette, alors qu’il voguait en felouque sur le Nil. Musique très descriptive, on entend les grenouilles ou les grillons du soir, et la mélodie d’une chanson d’amour nubienne va se perdre dans le crépuscule égyptien.
Le finale molto allegro évoque le retour en France, les hélices du navire grondent, tandis qu’un second thème explose en tutti de l’orchestre, des tutti aux accents curieusement hispanisants. Avec ces chevauchées du piano toutes en arpèges, Jean Philippe Collard nous entraîne dans ce rythme vertigineux qu’on a qualifié de barbare avant de revenir à la fluidité d’une danse, pour mieux terminer sur un air de fanfare triomphant que le piano virtuose partage brillamment avec la belle variété de couleurs de “l’Orchestre des Siècles“.
Paul Dukas est surtout connu pour L’Apprenti Sorcier et ce soir François Xavier Roth dirige La Péri, poème dansé et fanfare . Un ballet que Dukas écrit pour sa maîtresse après avoir renoncé à le faire danser par les ballets russes de Diaghilev. Et aussi après avoir hésité à jeter la partition au feu - ses amis l’en empêchèrent. Dans cette musique faite pour susciter le mouvement comme dans tout ballet, on peut s’interroger pour savoir si c’est l’idée du mouvement qui a provoqué la musique ou la musique qui fait naître le mouvement. Après avoir entendu La Péri, une réponse ne s’impose pas. Les harmonies restent romantiques et très chargées, malgré l’époque (1911), et Fanfare débute comme son nom l’indique par une partie de cuivres clinquants.
Lorsque les cordes entrent en scène, la musique devient plus visuelle, plus descriptive, comme si le cinéma rejoignait le ballet. Des compositeurs comme Paul Dukas ont largement inspiré les musiques des films à venir. Quelques belles mélodies sous tendent jusqu’au bout une riche orchestration qui déploie toutes les facettes de l’orchestre.
Édouard Lalo est un peu antérieur à Dukas et son ballet Namouna est plus léger que celui de Dukas. Hué lors de sa première, Debussy écrivait un peu plus tard qu’on avait enterré cette œuvre avec une sourde férocité. “C’est triste pour la musique“, ajoutait-il. On a beaucoup reproché à Lalo son wagnérisme. Il est vrai que certaines couleurs, certaines harmonies semblent flirter avec celles du compositeur de Bayreuth.
Musique riche, claire, l’apport oriental devient flagrant dans les danses marocaines, mais cette musique de Lalo donne avant tout, grâce à la direction de François Xavier Roth, une belle image de la musique française de la fin du XIXème siècle.
Une pièce courte termine le programme, la Bacchannale de l’opéra de Saint-Saëns, « Samson et Dalila », un des opéras français les plus représentés au monde. Un régal de légèreté, une mélodie inspirée par des musiques populaires d’Algérie, contrée chère au compositeur qu’il a souvent visitée. L’orchestre donne sa pleine mesure, l’équilibre est parfait entre les cordes et les vents, ne boudons pas notre plaisir.
Pour conclure, François Xavier Roth nous rappelle combien les compositeurs de ce programme ont ouvert leur répertoire en cherchant leur inspiration hors de France, avec une volonté d’ouverture de nos frontières et non un repli sur soi comme certains voudraient nous l’imposer. Et pour mieux l’illustrer, il nous gratifie d’un bis extrait du Timbre d’Argent, un opéra de Saint-Saëns qu’il dirigera prochainement à l’Opéra Comique.
Jean François Robin
DR
Nicolas Bacri oblige à prendre parti. Son portrait en quatre œuvres, brossé en sa présence le 27 avril à la Maison ronde par l’orchestre philharmonique de Radio France dirigé par Elena Schwarz, en était la démonstration, avec, dans l'ordre (c'est important) : la Symphonie n°1 (1988), Deux visages de l'amour (2012-2015), la Symphonie concertante pour deux pianos et orchestre à cordes (1995-1996, révisée en 2006) et la Symphonie n°5 (1996-1997). À une pièce de jeunesse succédait donc une autre très récente – comme son image inversée, puisque son écriture diffère totalement – pour laisser place, après un entracte, aux deux dernières, intermédiaires dans un catalogue abondant. Disons-le d'emblée : cette abondance trahit la facilité de celui qui cultive une esthétique de l'éponge, laquelle consiste à absorber les styles précédents pour, aux dires du musicien, n'en garder que ce qu'ils ont d’éternel. Se situant entre « romantisme intemporel » et « modernisme orthodoxe », cet héritier de la tradition occidentale chercherait-il à faire revivre les époques successives en en retenant la quintessence ? Se veut-il à la fois d’hier, d’aujourd’hui et… de demain ? Ou d’un présent élastique ? Nicolas Bacri (né en 1961), c’est un peu Pierre Grassou, personnage balzacien courant les Salons de peinture dans le but de forger une œuvre personnelle de haute valeur et qui, pour ce faire, emprunte des recettes aux maîtres anciens en pensant que le génie est le produit d'une somme, qu’il s’apprécie en termes quantitatifs. D’ailleurs, le programme, rédigé par un musicien qui y fait son autopromotion, n’hésitant pas à se citer lui-même à plusieurs reprises (textes de… 1988), ouvre très complaisamment une sorte de boîte à outils de l’artiste : « Deux musiques emportées et dramatiques s’affrontent ; le diatonisme de l’une s’opposant au chromatisme de l’autre » (Symphonie n°1) ; la cantate Deux visages de l’amour affirme « un langage harmonique et mélodique d’essence romantique […]. » ; la Symphonie concertante « frôle la bigarrure stylistique de l’esthétique postmoderne […] » ; la Symphonie n°5 est « la première […] dans laquelle je tente une synthèse des éléments qui me semblent caractériser les précédentes ». Et si le lecteur n’est pas très à l’aise avec les termes techniques, il peut se cultiver agréablement en parcourant l’entretien donné par le maître et intitulé « Une rencontre savoureuse ». Tout cela est d'autant plus navrant que Nicolas Bacri est un vrai compositeur, qui sait parfaitement sculpter le temps et écrit merveilleusement pour l'orchestre. Aujourd'hui, tout le monde a évidemment le droit d'écrire de la musique tonale et de faire primer la mélodie, mais personne ne peut s'affirmer grand en ne faisant que singer les grands. L’historicisme, l’anachronisme et l’académisme de Bacri nous paraissent des coquilles vides.
De fait, la Symphonie n°1, « fondatrice de ma sensibilité musicale », qui « compte sans doute parmi mes œuvres préférées » et « constitue l'aboutissement de toutes mes préoccupations musicales placées sous le signe de l'École de Vienne et de ses successeurs » ( !), est belle, cohérente, écrite d'un seul jet. Pour tout dire, elle a sauvé notre soirée, sinon assez barbante. Très expressive, lyrique et chatoyante de la première à la dernière mesure, son écriture utilise toutes les possibilités de l’ensemble. Imperturbable, la jeune cheffe Elena Schwarz a battu la mesure et distribué les attaques aux différents pupitres, tous très sollicités. Sobriété et précision qui se traduisaient à l'orchestre par un jeu très fin.
La cantate n°7 op. 126B intitulée Deux visages de l'amour est le fruit de la réunion de deux pièces de commande : Drei romantische Liebesgesänge pour le concours de musique de chambre de Lyon et Chants d'amour pour celui de mélodies françaises de Mâcon. Deux visages de concours, en somme, à écouter poliment par une fin d'après-midi de dimanche pluvieux. Passe l'ennui, mais comment résister au mal de mer provoqué par le roulis d'un orchestre cremoso, vautré dans une sentimentalité toute... intemporelle ? Quand « romantique » n’est plus synonyme que de « sentimental », tout peut devenir romantique. On voit bien que, chez Bacri, les moyens techniques sont là et bien là, mais qu'il y a tout un impensé, et c'est peut-être cela qu'on appelle parfois « sincérité ». Pour interpréter ces deux mirages de l'amour censés exprimer, d'un côté, en français, les sentiments d'une femme, et, de l'autre, en allemand, ceux de l'homme, la soprano Marie-Laure Garnier, qui peinait à donner corps à ce qui n'est qu'emphase et ornementation. Disons-le carrément : la chanteuse semblait parfois s'étrangler en de ridicules envolées. Ce n’est pas tout : Bacri, qui se vit l'égal des meilleurs compositeurs (leur liste est longue dans le programme), convoque ici quelques grands auteurs (Gœthe, Ruckert, Chamisso, Verhaeren...), car sa musique, écrit-il dans le programme, « désire témoigner de cette double évolution » qu'ont été le fait que « depuis le xixe siècle [...], écrivains et médecins de l'âme ont tenté d'éclairer le mystère de l'attachement d'un être pour un autre. Pensons seulement à Freud et Schnitzler » et que le « langage musical [...] a été le témoin de ces découvertes ». Las… L'émotion est indéniablement présente, que provoquent l'importance donnée au phrasé et un orchestre aussi coloré que subtil (bravo au Philar !). Mais, que voulez-vous, le plaqué ne remplacera jamais l'or.
Les deux pièces suivantes, la Symphonie concertante pour deux pianos et orchestre à cordes et la Symphonie n°5 ne sont pas mauvaises en tant que telles, seulement elles cèdent à certaines facilités d'écriture et leur expressivité est creuse. L'auditeur pouvait aussi bien tuer le temps en repérant çà et là quelques réminiscences très diluées de créateurs du XX ème siècle, Chostakovitch ou Bartók par exemple. C’est que Bacri ne compose jamais seul ! Éliane Reyes et Jean-Claude Vanden Eynden furent les serviteurs très consciencieux d’une écriture à la fois complexe (difficile pour les interprètes) et à la beauté... intemporelle.
Seul un côté du Grand Auditorium avait été ouvert pour accueillir un public assez maigre quoique plutôt enthousiaste, mais qui ne pouvait ignorer en face de lui l'immense espace laissé vacant.
Patrick Jézéquel
Yeol Eum Son / DR
Le soir du 12 mai, la foule des grands jours se massait dans l’auditorium de la Maison de la Radio pour communier au Concerto pour piano et orchestre en fa de George Gershwin, au Prélude à l’après-midi d’un faune et à La Mer de Claude Debussy, œuvres interprétées par le Philar de Radio France, dirigé par Mikko Franck, et la pianiste sud-coréenne Yeol Eum Son.
Le Concerto en fa date de 1925, se situant entre deux opus bien plus connus : Rhapsody in blue, de 1924, et Un Américain à Paris, de 1928. D’ailleurs, cet ouvrage de commande constitua un véritable défi pour le compositeur, qui, alors qu’une large partie du public doutait encore de ses possibilités, allait s’aventurer pleinement dans le domaine classique en écrivant une musique absolue (sans programme) et en en réalisant lui-même l’orchestration. « So American ! so Gershwin ! » aurait pu s’écrier en chœur l’heureux public de cette soirée, car, dès les premières mesures, les timbales endiablées donnaient le ton d’une écriture maîtrisée qui respecte la grande forme tout en étant innervée ou malmenée par l’esprit jeune et jazz. Cette musique nous sort de nous-mêmes, nous rappelant qu’il est toujours bon de prendre l’air. Par l'autorité, la précision et la souplesse de son jeu, Yeol Eum Son a prouvé qu'elle possédait vraiment un concerto déjà joué par elle plusieurs fois. Brillant et luxuriant : ainsi se caractérise le premier mouvement, un allegro sur un rythme de charleston, où l’on attend le piano, lequel, après que s'est tu un charivari dominé par les percussions et les vents, fait une entrée alla Rachmaninov, qui se caractérise par un subtil et étonnant équilibre entre affirmation de soi, doute et méditation. Le compositeur russe restera d'ailleurs en mémoire assez longtemps dans ce mouvement, sans que se fasse oublier Gershwin. Plus savoureux encore, l'andante commence par mettre en valeur la trompette, puis le hautbois, avant qu'ils soient détrônés par un piano assez fantaisiste, volontaire et chaloupé, qui balance sans cesse entre le « popu » et le « bourgeois », la fête et l'introspection, le rythme vital et la sensualité des timbres. Une énergie tour à tour têtue et folâtre traverse l'allegro final, mouvement un peu moins inspiré que les deux premiers, mais beau tout de même. Là encore, la pianiste s'y est montrée d'une virtuosité sans faille, tout comme dans l'Étude n°7 op. 40, plutôt jazzy d'ailleurs, de Nikolaï Kapoustine (né en 1937), qu'elle a offert en bis à une assemblée conquise.
Comme son nom le spécifie, Prélude à l’après-midi d’un faune (1893-1894) a été composé comme devant faire partie d’un ensemble. Il n’y eut pas de suite, ce qui n’empêcha pas ce premier volet de triptyque d’une durée de dix minutes seulement d’être considéré comme le premier chef-d’œuvre du compositeur. Debussy y fait le chemin inverse de Gershwin dans son Concerto en mettant les modèles classiques à distance comme autant de carcans et en cherchant à composer le plus fluidement possible, jusqu’à donner l’impression d’une libre et infinie improvisation. Et, d’une tout autre façon que l’Américain, Claude de France captive l’auditeur d’entrée de jeu par le très fameux thème solo d’une flûte alanguie et lointaine. Une phrase au rythme ternaire, où, dans un climat chromatique et l’écart d’un triton, une note tenue dégringole puis remonte en triolets de doubles croches, qui produit cet irrésistible raffinement poétique. Béatitude du faune endormi sur une pente de l’Etna… Mais ce troublant mélange d’apparente légèreté – celle du vent berçant les feuilles – et de lourdeur d’après-midi ensoleillé ne se veut pas une illustration de l’églogue de Mallarmé, comme s’en explique le musicien : le rêve du faune de Debussy est « la possession complète de la nature entière ». Rien que ça ! Est-ce à dire que, mieux que les mots, la musique exaucerait les souhaits des humains ? Magali Mosnier à la flûte et l'orchestre de la Radio – ses violons, sa clarinette, son hautbois et sa harpe solistes – comblèrent les nôtres ce soir-là.
On ne peut se lancer dans un commentaire sur La Mer (1904-1905), si bref soit-il, que balbutiendo, tant ce chef-d’œuvre respire et subjugue. Est vivant. Et en même temps, comment (et pourquoi ?!) mesure garder avec Debussy, magicien d’un art du débordement ? Car, plus qu’un orchestre qui se soulève tout entier devant soi, c’est la vie profonde – encore la Nature ! – qui jaillit, se réinventant en permanence. On est ici aux antipodes de l’anecdote personnelle. Dans ces « trois esquisses symphoniques » (Debussy) – « De l’aube à midi sur la mer », « Jeux de vagues » et « Dialogue du vent et de la mer » –, c’est le réel lui-même – ou son image –, continu, mouvant, multiforme, à la fois complexe et évident, qui miroite par la grâce d’un procédé magique… Mikko Franck le manifesta aussi ce soir-là en descendant de son estrade, quittant la partition et sa position devant l’orchestre pour se retrouver en lui. Et il était très émouvant de le voir se promener parmi les premiers musiciens et caresser l’air à mains nues. Que de naturel, de simplicité ! On pense à Fürtwangler… De fait, même si l’on peut regretter à l’attaque un manque de mordant de la part des violons, le Philhar parlait assurément sa langue en respectant l’équilibre des pupitres comme des timbres (un amalgame où l'on entendait tout le monde très distinctement), en maintenant un rythme soutenu (sans relâchement ni précipitation) et en respectant les nuances sans rien perdre de la dynamique. Cette langue, c’est la musique française, qui est clarté. Merci et bravo à tous, encore à Mikko Franck, directeur musical bien avisé pour ce programme !
Patrick Jézéquel
Patricia Petibon & Jean Sébastien Bou © Vincent Pontet
On a tous en nous quelque chose de Pelléas ! Et c’est toujours avec beaucoup d’appréhension que l’on va assister à une nouvelle production de cet opéra qui pose souvent problème à l’écoute plus qu’à la proposition de mise en scène, disons du principe de mise en place de ce texte mis en musique par Claude Debussy pendant des années. C’est un drame poétique de chef d’orchestre, puis de chanteurs et ensuite seulement de la mise en place de cette histoire assez banale. Cet équilibre subtil est souvent difficile à trouver dans les différentes propositions que nous offrent les scènes musicales.
Pour revenir à ce que vient de proposer le Théâtre des Champs Elysées, analysons d’abord les points forts et positifs de cette production. Le chef Louis Langrée dirigeant l’Orchestre National, d'abord. La partition, le chef la connaît par cœur, il chante même le texte pendant qu’il dirige ! Cette subtilité musicale, il sait la transmettre, une flûte trop forte, un violoncelle, une harpe trop présents et le charme est rompu. La trompette de la dernière scène, quand meurt Mélisande, doit être comme un souffle qui disparaît. Cet équilibre, il a su l’atteindre. Écouter ce qu’il a proposé avec cet orchestre si souvent décrié fût un pur enchantement. C’est un drame musical, poétique, qu’il a dirigé plus qu’un opéra où les chanteurs chantent - non ce n’est pas un pléonasme -. Rameau, Debussy, même combat ? Debussy vs Wagner bien « entendu » ! La prestation de Patricia Petibon, ensuite : c’est la vraie découverte d’une superbe Mélisande, très juvénile, certes. Mystérieuse, Oui. Innocente ? Peut-être bien que non ? Subjuguée par Pelléas dès le début évidemment, pas heureuse sûrement ; mais encore une fois, c’est sans doute selon ce que chacun y voit vis à vis d'un texte si simple et si mystérieux. C’est une Mélisande moins chantante que celle que proposait une Natalie Dessay, dirigée par Bertrand De Billy, mais une conception très acceptable, plus difficile vocalement que pour tous les rôles. Patricia Petibon, peut-être grâce à son parcours baroque, arrive à tenir de bout en bout.
Le Golaud de Kyle Ketelsen est une belle surprise : un américain qui prosodie le français parfaitement, c’est un exploit. Voilà un Golaud tout d’une pièce, un rustre, qui ne sait jamais remis de la mort de sa femme et qui est jaloux de la juvénilité de son demi-frère, le chouchou de sa mère. A l’applaudimètre, il était le grand gagnant de la soirée, ex-aequo peut-être avec Petibon ! Jean Teitgen, Arkel, Sylvie Brunet-Grupposo, Geneviève, deux castings parfaits. Jean Teitgen qui avait été un Neptune impressionnant dans « Le Retour d’Ulysse » dans ce même théâtre, est, malgré son jeune âge, convaincant dans ce vieillard mourant. Il est plus vrai que nature. Lorsqu’il dit « Si j’étais Dieu, j’aurais pitié du cœur des hommes… » - vaste programme -, il est bouleversant. Sylvie Brunet-Grupposo est une superbe mezzo et dit plus qu’elle ne chante la lettre sans affect, ce qui donne à son personnage ce côté antipathique qui petit à petit se révélera face à Mélisande.
Dans la superbe Abbaye Royale cistercienne de l’Epau, dans la Sarthe, depuis 35 ans, sont organisés des concerts de musiques, en général classique ; mais le blues, le jazz ont le droit de cité, et même l’humour. C’est Marianne Gaussiat qui est en charge de la direction artistique.
Gaspard Proust, le 16 mai, avec son humour décalé, dévastateur, a présenté son spectacle « Je n’aime pas le classique mais avec Gaspard Proust j’aime bien ». On peut ne pas apprécier certaines de ses interventions, mais Eric Le Sage au piano, Fouchenneret et Pascal au violon, Salque au violoncelle, Gruneissen à la flûte, Adam à la clarinette, on ne peut qu’adorer. Les œuvres choisies sont très connues (Pavane de Fauré, extraits du Trio op.100 de Schubert, du quatuor n°16 de Beethoven, du quatuor n°8 de Chostakovitch...), de magnifiques transcriptions pour ce sextuor, de Daphnis et Chloé de Ravel, de l’allegro de la symphonie n°5 de Beethoven. Fleur Gruneissen à la flûte et Marian Adam à la clarinette nous ont impressionnées dans un arrangement du scherzo du « Songe d’une nuit d’été » de Mendelssohn dans un arrangement de Joseph-Henri Altès, flûtiste à l’Opéra de Paris au XIXème siècle et compositeur. Marian Adam, dans la romance de la Sonate pour clarinette et piano de Poulenc a conquis le public. Eric Le Sage, ce magnifique pianiste, a joué une transcription de la « Mort d’Isolde » à la perfection. Puis tout ce petit monde a traversé sous la pluie les jardins de l’Abbaye où sont exposées des photos singulières de George Pacheco au sein d’un lycée agricole, pour rejoindre une grande tente, « Magic Miror ». Là, Vincent Peirani à l’accordéon et François Salque au violoncelle ont improvisé, pour cet ''after'', sur des thèmes traditionnels d’Europe centrale : un concert original offert par deux artistes bourrés de talent.
François Salque et Vincent Peirani / DR
La découverte c’est le lendemain 18 mai, à 12h30, dans un salon de la préfecture que nous l’avons faite. Julien Martineau, à la mandoline, a offert un concert époustouflant : non pas uniquement de dextérité, mais des sonorités incroyables, des interprétations sensibles, en jouant des œuvres de Raffaele Calace et des transcriptions de Bach, de Brahms.
Musicien rare, après son récital, il a accepté de parler de son amour pour la mandoline et comment il est devenu le champion de cet instrument.
DR
A l’auditorium du magnifique Musée Dapper d’art africain, Gabriel Urgell Reyes, jeune quarantenaire cubain a interprété un programme très original, de compositions d’origine ibérique. Né à La Havane, de formation musicale russe, il a ensuite étudié au CNMDP de Paris. Bardé de prix, à 25 ans professeur à l’Instituto Superior de Arte à La Havane, il aime jouer, faire découvrir ces compositeurs latino-américains du XXème siècle peu interprétés dans les récitals. Avec verve et douceur, et un doigté sûr, il a donc joué d’Alberto Ginastera (1916-1983), « 12 Préludes américains op.12 » et « Trois danses argentines op.2 ». Cet Argentin, compositeur d’opéras, de symphonies, de cantates s’est réfugié en Suisse dans les années 70 pour fuir la dictature de la révolution de son pays. Les œuvres entendues passent de rythmiques ahurissantes à des moments d’une infinie tendresse ou contemplative. Sous les doigts de Urgell Reyes, elles paraissent d’une évidence à jouer ! « Les 12 Chansons et Danses » du catalan Federico Mompou (1893-1987), avec une écriture parcimonieuse, sont en total décalage avec les compositions de Ginastera. Mais Urgell Reyes est aussi à l’aise avec ces écriture minimalistes qui frôlent l’hermétisme. Il proposa ensuite des extraits sympathiques de « Piezas Familiares », de sa composition, dont une dédiée à sa femme qui amoureusement tournait les pages des partitions. C’est avec une fougue toute latino qu’il termina le concert avec « Danza de los Nanigos », « Ante el Escorial » et « Y la Negra Bailaba » d’Ernesto Lecuona (1895-1963). Lecuano est un compositeur cubain qui est mort aux Canaries, ne voulant pas rentrer dans son pays devenu communiste. Ses œuvres sont empreintes de la culture cubaine et ce fut un feu d’artifice de doigtés extrêmement complexes et de rythmes endiablés que Gabriel Urgell Reyes nous offrit ! Le bis fut plus européen avec une petite sonate de Scarlatti, une pure merveille.
Deux albums existent depuis peu avec des compositions de Ginastra et Mompou. Le premier a reçu un Diapason d’or !
Stéphane Loison
© Émilie Mille
Centré sur la nuit, comme toute la série de concerts offert au Musée, en parallèle à l’exposition « La Nuit, le Cosmos » (une des plus visitées de toutes celles organisées par Orsay), l’équipe de l’Auditorium a invité ce jeune pianiste qui a organisé son récital en enchaînant des pièces très courtes de compositeurs s'étant penchés sur le mystère de la nuit comme lieu d’exploitation des sentiments intérieurs, et d’introspection. Federico Mompou et ses compositions minimalistes, à la limite du silence, était au cœur de ce récital. Disons-le tout net, une musique ennuyeuse face, à Ravel « Prélude pour piano op.65 » , Satie « Gymnopédie n°1- Gnossienne n°5 », Chopin « Musica callada n°15 », Takemitsu « Pause ininterrompue n°3 », Debussy « Clair de Lune FL 82 n°3, Feux d’artifice FL 131, n°12 », Granados « Danza españolas : Oriental op. 37 ». Ce compositeur (1893-1987) devient très à la mode parmi les jeunes pianistes en mal de musiciens renouvelant le répertoire. Ce récital était intelligemment composé, bien présenté au public et superbement interprété. Les états d’âmes de ces compositeurs étaient parfaitement révélés. Guillaume Coppola partage son temps entre musiques du répertoire et compositions d’aujourd’hui. Il se sent concerné par le partage humain dans des lieux où le silence musical est de mise, prisons, maisons de retraite, hôpitaux. Est-ce peut-êtrepour cela qu’en l’écoutant, on sent que son jeu a tant de profondeur et d’authenticité ?
Stéphane Loison
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Constitué de jeunes musiciens, la Geneva Camerata propose une programmation éclectique et singulière, du baroque à la création d’aujourd’hui, en passant par le jazz, l’électro et les musiques du monde. Cet orchestre audacieux a proposé lors d'un premier concert, « Fratres » pour violoncelle et piano d’Arvo Pärt. Cette œuvre, écrite à l'origine pour violon, a été superbement interprétée par David Greilsammer au piano et la souriante, belle et magnifique violoncelliste Mara Miribung. On ne peut pas trouver œuvre plus introspective que cette composition et un compositeur plus mystique que cet Estonien. « Fragment de Parsifal », transcrit par Hermann Jacobowsky, pour quatre violoncelles, a été interprété par deux altos et deux violoncelles. Quelles couleurs que ce quatuor et quelle sonorité de ces jeunes musiciens. Là aussi le mysticisme de Wagner était sur le plateau en corrélation bien sûr avec l’exposition. Le concert a pris fin avec « La Nuit Transfigurée » pour sextuor à cordes de Schoenberg, qui a enthousiasmé le public !
Deux jours plus tard, ce magnifique ensemble, au grand complet, a accompagné la soprano Véronique Gens en grande forme. Elle a interprété des extraits des « Illuminations » op. 18 de Benjamin Britten, un chef d’œuvre vocal souvent chanté par des ténors, puis « Au Cimetière », extrait des « Nuits d’été » de Berlioz, arrangé par David Matthews pour orchestre de chambre. L’interprétation de Gens était un peu froide et on ne sentait pas trop l’effroi de ce retour des âmes, des spectres, près de cette blanche tombe. Mais quels brio et énergie dans le terrible air d’Iphigénie en Tauride de Gluck : « Non cet affreux devoir, Je t’implore et je tremble », un feu d’artifice vocal ! Ce fut un triomphe qu’a suscité cette magnifique chanteuse trop peu entendue en France. En première partie cet orchestre de chambre éblouissant avait interprété « Vers la flamme op.72 », arrangement de Jonathan Keren de l’œuvre du grand mystique Scriabine, puis la charmante « Sérénade pour orchestre à cordes » d’Elgar, grand amateur de paysages intérieurs, « La Casa del Diavolo », une petite symphonie de Boccherini qui avec Gluck, avait le culte des ténèbres. Et enfin cette œuvre incroyable de subtilités « Ramifications pour 12 cordes » de Ligeti, avec l’orchestre coupé en deux et ses instruments d’un côté, accordés un quart de ton plus haut que l’autre, donnant ainsi des constellations d’intervalles continûment changeantes, des trames sonores prodigieuses qui semblaient refléter les fêlures intimes de l’âme. L’ensemble Geneva Camerata a su par ses qualités musicales transmettre ces infinités d’émotions. Un bémol pourtant : alors qu'on était dans une sorte d’extase, le bis nous a ramené sur terre avec un arrangement pour cordes et violoncelle (belle interprétation d’Ira Givol) de « Porgy and Bess ». C’était parfait, amusant même, mais bien bien loin de ce que ces deux concerts nous avaient offert de spiritualité…Espérons retrouver cet ensemble très bientôt, tel est le souhait du public et le nôtre !
Stéphane Loison
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Comment mieux conclure le cycle en parallèle avec l’exposition « La Nuit, le Cosmos », autrement qu'en invitant l'ensemble vocal qui se nomme « Cosmos ». En 2015, ces jeunes chanteurs et musiciens en résidence à l’Abbaye de Royaumont, dirigés par Lionel Meunier, Masato Suzuki et Stéphane Fuget ont décidé de fonder leur propre ensemble. La Fondation Royaumont a eu la bonne idée de les soutenir car ils ont tous énormément de talent et un potentiel extraordinaire. Quatre sopranos, deux altos, deux ténors, deux basses et une viole de gambe et un orgue ont survolé les siècles dans un programme qui explorait le mystère de la foi. De Purcell à Taverner, Whitacre, en passant par de Victoria, Brahms, Pearsall, Lobo, Duruflè, l’ensemble a été écouté dans une silence religieux. La mise en place des voix était d’une grande précision. Les entendre passer d’un diapason à un autre avec autant de facilité était impressionnant ! Impressionnant aussi était ce motet sacré célébrant l’approche du soir, (de la mort ? ) « Abendlied op 69 n°3 », composé en 1873, par Joseph Reinbergerh (1839-1901). Ce compositeur, célèbre en son temps, était tombé dans l’oubli. Mais il y a aujourd’hui un regain d’intérêt pour ce professeur d’Engelbert Humperdinck et de Fürtwangler ! Un grand moment d’intense émotion fut le Stabat Mater à 10 voix de Domenico Scarlatti. Une œuvre des plus stupéfiante, interprétée « divinement »! L’Ensemble Cosmos a sans doute élevé l’âme…ou pas, mais a sans aucun doute placé la musique très haut.
Pour la prochaine saison et le programme de l’Auditorium :
http://www.musee-orsay.fr/fr/evenements/concerts.html
Stéphane Loison
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Lorsque l’on voit, l’on écoute, ce que propose l’Auditorium de Musée d’Orsay, on a envie de savoir qui se cache derrière cette organisation. Aussi à l’occasion de la présentation de la nouvelle saison 2017-2018, nous avons rencontré Sandra Bernhard qui s’occupe de la programmation musique au sein du service culturel et de l’auditorium dont Luc Bouniol-Laffont a pris la direction depuis trois ans.
Comment se retrouve-t-on en charge de la programmation musicale au Musée d’Orsay et depuis combien de temps la faites-vous ?
Depuis dix ans je vis cette aventure après être passée dans différents endroits. D’abord c’est une passion pour une chanteuse qui a transformé ma vie : Felicity Lott! L'avoir entendue m’a ouvert un horizon insoupçonné. J’ai, grâce à elle, débuté le chant. J’avais traduit son site en français et de fil en aiguille, on a fait connaissance et nous sommes devenues amies. J’ai travaillé chez Mezzo, en 2002, puis à l’Orchestre de Paris avec Christoph Eschenbach, où j’ai énormément appris auprès de Christopher Bayton, le directeur artistique. Je m’occupais de la musique de chambre. Les musiciens de l’orchestre donnaient des concerts à la Sorbonne et au Musée d’Orsay. C’est là que j’ai fait la connaissance de Pierre Korzilius à l’occasion de ce partenariat très enrichissant et stimulant. Christopher Bayton est parti à Radio Classique et je l’ai suivi à la programmation ce qui m’a donné la possibilité de faire de nouvelles choses, dont un portrait discographique bien sûr de Felicity Lott, et d’écrire pour le Monde de la Musique. Puis, il se trouve que Pierre Korzilius cherchait quelqu’un pour s’occuper de la programmation musicale au Musée d’Orsay et c’est ainsi que je suis entrée dans ce Musée.
Donc Luc Bouniol-Laffont est la troisième personne du Musée avec qui vous travaillez
C’est exact. Pierre Korzilius et Martine Kaufmann, et maintenant Luc qui, avant d’entrer ici, s’occupait des Arts Florissants.
Dès le départ il existait ce rapport musique-exposition...
Oui cela fait partie de l’ADN d’Orsay. Notre programmation de concerts est en lien avec les expositions, ou en tout cas avec la période des œuvres du musée qui vont de 1848 à 1914. Parfois, il arrive que nous fassions des passerelles, par exemple Bach et les compositeurs influencés par son œuvre, comme Mendelssohn. L’exposition actuelle « Au delà des étoiles » se prête particulièrement bien à l'élaboration de programmes musicaux. L’année prochaine, nous ne manquerons pas de faire un cycle autour de Debussy pour le centenaire de sa mort et parce ce compositeur a toujours été important pour notre auditorium
Connaissez-vous assez tôt les expositions pour faire la programmation ?
Plus ou moins. Il faut savoir anticiper mais être réactif pour s’adapter à l’actualité des expositions. Ainsi, nous avons pu mettre sur pied un cycle de musique balte la saison prochaine en lien avec une exposition sur le symbolisme et les pays baltes.
Principalement vous avez de la musique de chambre. Pouvez-vous avoir des petits orchestres ?
De temps en temps on le fait, rarement à midi pour une question de coût. Nous organisons quelquefois des concerts symphoniques dans la nef. On a beaucoup de chant aussi, ce que j’aime particulièrement …
Alors comment organise-t-on la musique autour d’une expo ?
La saison prochaine, par exemple, il y aura une exposition sur Degas. On sait bien sûr qu’il avait un lien très fort avec l’Opéra de Paris. J’étudie donc ses œuvres, je cherche à savoir qui sont ceux qu’il a peints…
Commencez-vous par les œuvres musicales avant les interprètes ?
Cela dépend. On est en contact avec les agents. Lorsqu’ils connaissent les thématiques, ils nous font des propositions, et si un artiste nous intéresse, on lui demande s’il serait d’accord de faire un programme en fonction de nos thèmes ou même de jouer une pièce spéciale qui aurait du sens par rapport à l’expo. Mais on a aussi le cas de l’artiste qui a un programme qui correspond à ce qu’on recherche…Nous donnons aussi l’occasion à un artiste d’interpréter des œuvres qu’il ne pourrait pas forcément jouer dans ses récitals ailleurs.
Vous avez ici un avantage de faire des programmations plus pointues que dans d’autres lieux où la question de rentabilité est une priorité...
Pour les concerts de midi, le public nous fait entièrement confiance, il prend son abonnement en se laissant guider par notre programmation. Pour les concerts du soir le public est moins certain. Il est différent de celui de midi. Un programme plus pointu exigera une tête d’affiche et vice versa une personne moins connue aura un programme plus facile d’accès. On a quand même un budget qui nous limite sur le nombre de musiciens qui viennent sur le plateau. Mais cela ne nous empêche pas de faire des concerts originaux et passionnants. Les dimensions de la salle nous obligent à avoir peu de musiciens sur scène : on n’aura pas le Philharmonique de Berlin mais des musiciens de l’orchestre qui viennent interpréter de la musique de chambre.
Comment fonctionnez-vous avec le directeur ?
Je travaille en bonne entente avec Luc Bouniol-Laffont sur les thèmes des cycles de concerts. Et il n'y a d’ailleurs pas que de la musique dans son service. Il y a d’autres secteurs d’activité sous ses ordres. On organise des séances de cinéma, des conférences, des colloques, il y a une programmation pour le jeune public.
Souvent vous nous faites découvrir des artistes, on se demande même où vous allez les chercher !
Il y a différentes manières de travailler : je passe beaucoup de temps à aller écouter ces artistes, pas dans les grandes salles, car ils n’ont pas encore une grande notoriété. Je vais aussi dans des festivals, et puis il y a des gens en qui j’ai confiance. Par exemple l’ensemble Cosmos vient de faire son premier concert chez nous et ces chanteurs étaient venus à Royaumont pour un atelier de formation professionnelle. Edouard Fouré Caul-Futy, à l'époque directeur du programme voix, et qui est aujourd’hui directeur artistique de l’Orchestre de Paris, lorsque je lui parlais des étoiles, du Cosmos, thème de notre exposition de printemps, m’a tout de suite dit le bien qu’il pensait de cet ensemble de jeunes débutants. Je lui ai fait confiance, je suis allée les entendre et c’était une belle découverte ! Il y a aussi des agents qui m’envoient des CD bien sûr.
C’est du 24h sur 24 alors !
On passe beaucoup de temps à chercher, surtout pour les concerts de midi. Il faut toujours qu’il y ait du sens par rapport aux thèmes des expos. Les artistes doivent comprendre notre démarche. On apporte un supplément d’âme à nos expositions. On n’aura jamais l’intégrale des sonates de Beethoven par exemple. Si des artistes veulent façonner un programme en adéquation avec le thème de l’expo, on est preneur, mais ils ne fonctionnent pas tous ainsi. Il y a des artistes qui vont découvrir des œuvres, les jouer pour nous, ensuite ils les mettront à leur programme.
Alors pour l’année prochaine...
Degas et Les Baltes. Et à l’Orangerie, il y aura une expo sur Dada à l’automne. On fera donc des concerts en lien avec cette expo, notamment un spectacle Satie/Cage avec une conception de jeux d’ombres de Louise Moaty et avec dialogues de Lubimov au piano.
Et Felicity revient !
Oui elle sera en résidence chez nous, c’est un tel plaisir de la recevoir. Elle vient pendant une semaine, en partenariat avec Royaumont, faire une master class sur la mélodie française et ses jeunes chanteurs viendront à Orsay pour un concert. Elle donnera un récital aussi, tout comme Ian Bostridge cette année. C’est placé sous le signe de la transmission.
Avec Degas, il y a du chant ?
Degas était très ami avec les musiciens de l’orchestre de l’Opéra, donc on a beaucoup de concerts orchestraux, et ses tableaux sont une mine pour nous. Par exemple face au guitariste Pagans, ami du père de Degas, nous aurons un concert guitare-voix avec Josep-Ramon Olivé, baryton et Thibaut Garcia, guitare. On aura également des concerts avec les musiciens de l’Opéra de Paris autour des tableaux du flûtiste Joseph-Henri Altès, du bassoniste Désiré Dihau, musiciens de l’Opéra de Paris à l’époque. On jouera des compositions de ces musiciens. Nous sommes aussi en lien avec l’école de danse de l’Opéra de Paris pour une master class d’Elisabeth Platel avec les élèves de l’école de danse ; ce sera un après midi pour un public familial.
Et pour l’expo sur les pays Baltes ?
Des découvertes de compositeurs peu connus en France, mais avec des œuvres passionnantes à entendre pour lesquelles nous recevrons Gidon Kremer ainsi que la Kremerata Baltica, le chœur Philharmonique Estonien également. Le chant dans ces pays là était très important, c’était une manière d’exister, d’entrer en résistance. Il y aura aussi bien sûr du Arvo Pärt. Pour un tel cycle, on a fait confiance aux artistes pour qu’ils nous proposent des compositeurs fin XIXème, début XXème de ces pays.
Cette année encore, on va découvrir et des artistes et des compositeurs !
Oui ! Et il n’est pas rare qu’on ait des pianistes qui ont débuté chez nous il y a dix ans et qui sont devenus célèbres, maintenant.
Il y a une chose amusante avec votre public c’est sa fidélité
Oui et il y a des gens qui se sont rencontrés là et qui forment des bandes, ils s’approprient le lieu, ils font des remarques sur la programmation. On a des contacts avec eux. Il y a une atmosphère à l’auditorium assez conviviale et les artistes à la sortie du concert sont tout de suite en contact avec le public.
Et pour 2019 vous êtes déjà sur le coup ?
La nouvelle présidente du musée d’Orsay et de l’Orangerie, Laurence des Cars, veut donner les moyens dans l’anticipation, pour avoir le temps d’imaginer de nouvelles formes, pour élargir le public, toucher des gens qui ne viennent pas souvent dans ces lieux, on y travaille…
Alors un beau succès avec ce programme alléchant pour la prochaine saison!
Pour toutes informations et le programme 2017-2018 :
http://www.musee-orsay.fr/fr/evenements/concerts.html
Propos recueillis par Stéphane Loison
L’ensemble de ce recueil accompagné d’un CD avec enregistrements et playbacks est à la fois délicat et sans prétention. Mais il rendra certainement beaucoup de services aux professeurs à cours d’idées pour développer les qualités vocales de leurs élèves. Et on n’a jamais trop d’idées pour ce genre de travail qui doit être à la fois répétitif… et le plus varié possible ! Les jeux sur les mots sont pleins d’humour et de fraicheur. De très précieux conseils de mise en œuvre sont donnés à la fin de ce recueil et permettront de tirer le meilleur profit des chansons et des playbacks. Il faut remarquer la délicatesse des harmonisations des vocalises et des chansons proposées : c’est une formation de l’oreille tout à fait remarquable. Daniel Blackstone
Les éditions Bärenreiter ont eu l’excellente idée de regrouper en un recueil de douze pièces d’airs d’opéra du répertoire allant de Monteverdi à Chabrier, le tout extrait de leurs différentes publications « Urtext ». L’ensemble est donc de grande qualité et extrêmement varié. Ce recueil rendra service tant aux professeurs de chant et à leurs élèves qu’aux chanteurs cherchant à constituer un récital. Bien sûr, chaque œuvre figure dans sa langue d’origine et le choix proposé est tout à fait judicieux. Il s’agit donc d’une initiative tout à fait intéressante.
D.B.
Ce cycle de cinq mélodies est composé sur un extrait du recueil Les fleurs du mal de Baudelaire : Spleen et Idéal. L’auteur en transcrit la « noirceur » et la « morbidité ». « Les courbes musicales répondent aux phrasés naturels de la langue parlée dans un souci très scrupuleux d’intelligibilité des poèmes ». Ciel brouillé est noyé dans une atmosphère sombre, enveloppée de pédale. Remords posthume, tantôt agité, tantôt féroce ou fiévreux est plus « construit » : trois parties en « arche ». Les tierces jouées avec la seule main gauche au début, dans l’extrême grave du piano, donnent le caractère lugubre de la troisième pièce : Les ténèbres. Psalmodie et recueillement dans le De profundis clamavi qui débute quasi recitativo. L’écriture plus légère, la tessiture plus aigüe, les mesures ternaires de l’Elévation conduisent à l’«irréel » et à l’« évanescent ».
Sophie Jouve-Ganvert
Le premier Lamento est composé sur un poème de Christofle de Beaujeu (1589).
Cette mélodie offre la particularité de pouvoir être chantée indifféremment par une voix de femme ou par une voix d’homme. L’écriture musicale en est assez « classique » et sobre, mais fait usage de modulations surprenantes. On y voit la volonté de l’auteur de transcrire la douleur du poète. L’auteur n’hésite pas à citer le Voyage d’hiver (Das Wirtshaus) pour signifier l’approche de la mort. Le deuxième Lamento, sur un poème de S.G. de la Roque est écrit pour baryton afin de souligner le caractère sombre du texte. « Les images de la nature et du Styx, fleuve mythologique, sont rendues musicalement par des formules de gammes et d’arpèges ondoyants qui doivent peu à peu engloutir le chant ». Les sonorités étranges et pleines contrastent avec le dépouillement du texte. Le troisième Lamento, aussi écrit pour baryton, sur un poème d’Agrippa d’Aubigné décrit la fatalité (par les « accords inexorables du piano ») et l’espérance (« lyrisme du chant »). Le choix des accords provoque les changements d’atmosphère et de couleur, la « polytonalité » surprend, la simplicité rythmique met en valeur la force du texte.
Sophie Jouve-Ganvert
Le titre de cette œuvre constitue un hommage à l’œuvre de même nom écrite en 1636 par Heinrich Schütz. Rappelons que la traduction en est : « Funérailles musicales ». L’auteur veut mettre en valeur et faire exprimer toute leur substance aux textes bibliques qui structurent chacune des sept parties. Il précise que si les parties peuvent être exécutées séparément, elles ne trouvent leur plein sens que dans l’exécution intégrale de l’œuvre. L’ancien Testament est représenté par deux textes de Job avec, entre les deux un extrait du psaume 73. Suivent ensuite un passage de Luc (cantique de Siméon), de Jean : « Dieu a tant aimé le monde… », des Philippiens et enfin de l’Apocalypse : « Heureux les morts qui meurent dans le Seigneur… ». Le langage utilisé est un langage harmonique tonal parfois presque archaïque, même si on reconnait sans hésiter le style du compositeur dans cette œuvre profonde et belle. C’est simplement le moyen utilisé pour mettre en valeur la polyphonie rigoureuse et l’atmosphère spécifique de cette partition. Le chœur doit être un ensemble vocal mixte de 12 à 16 chanteurs. Un chœur spécialisé dans la musique ancienne ne sera pas dépaysé dans ces pages. Bien sûr, l’œuvre doit être chantée exclusivement en allemand.
Daniel Blackstone
Saluons d’abord la qualité de cette édition. Les textes de Pierre Loti figurent en regard de chacune des sept pièces qui composent cette suite. On trouve aussi à la fin une biographie détaillée et fort intéressante de l’auteur. Le tout est illustré par les photographies prises par Pierre Loti lui-même. Est-il utile de préciser que Pierre Loti n’était pas seulement écrivain mais d’abord marin… Les différentes pièces nous emmènent donc dans l’univers de Pierre Loti, cet Orient qu’il a tant aimé. Chacune constitue un petit tableau animé au caractère très spécifique. Dans le style du compositeur transparait son amour pour la musique française du début du XX° siècle, en passant par Albert Roussel et Jean Cras. Cela donne à ces œuvres un caractère très personnel mais qui n’a rien de suranné. L’ensemble fait donc appel à l’imagination et constitue une sorte de voyage tout à la fois charmant et profond.
D.B.
L’auteur est professeur de piano et assure également dans son école de La Rochelle une formation à la pédagogie musicale Willems. On ne sera donc pas étonnée que la transposition à l’oreille soit au cœur de ses préoccupations, comme elle l’était déjà chez Marie Jaëlle et chez Madeleine, Ginette et Maurice Martenot dès le début du XX° siècle et jusqu’à nos jours. Il est donc intéressant de voir systématiser dans ce volume cet élément fondamental de l’apprentissage de l’oreille. Bien sûr, le volume en lui-même, même s’il est bien fait, ne peut faire faire le travail de mémorisation indispensable à cette pédagogie. Souhaitons simplement qu’il le favorise et qu’il donne envie à beaucoup de professeurs de pratiquer cette approche absolument nécessaire de l’apprentissage musical.
Le titre originel de ce recueil était « Douze Petites Pièces Blanches Systématiques » et donnait bien l’esprit de ce travail : le « systématique ». En effet, chaque pièce, dans l’esprit « exercice-étude » est construite sur une formule rythmique reproduite systématiquement. La première, en 5/8, est en style d’Invention avec jeu d’imitation. La deuxième joue avec les contre-temps sur un air « à la Bach ». La troisième présente la même formule syncopée sur une basse en noires. La quatrième propose une formule d’une mesure, elle aussi dans l’esprit de Bach, et répétée jusqu’ à la fin. La cinquième est un thème et variations sur une gamme en mode de sol sur do. Le 7/8 dynamise la sixième, elle, en rappel de sinfonia. La septième fait alterner le rythme deux croches noire et noire deux croches aux deux mains. Un petit air de Scarlatti pour la huitième. Arpèges pour le dessus, intervalles de septièmes et d’octaves pour le dessous, telle se présente la neuvième pièce. Neuf mesures d’accords en jeu de dissonance constituent la dixième pièce. La onzième est une gigue. La douzième, à trois voix, mélange les mesures à 3/8, 4/8 et 5/8 en imitation.
Il appartient à l’exécutant de choisir son tempo et les nuances. Le phrasé est sous-entendu par les « formules » systématiques.
La principale difficulté de ce recueil est de « tenir » la formule proposée pendant la page entière, voire les deux pages sans fléchir.
Sophie Jouve-Ganvert
Ce volume 3 de L’orgue au mille saveurs est effectivement plein de choses succulentes. L’ensemble des pièces proposées est d’un niveau relativement simple. Même divisé en deux volumes et un fascicule de musique d’ensemble, le recueil a une grande unité. Il n’a pas peur de ses « a priori » et les revendique. Loin d’être un simple recueil de pièces diverses il vise à faire de l’organiste un vrai musicien, et un musicien cultivé. Continuant d’explorer les matériaux musicaux des chansons populaires et des Noëls à travers les meilleurs compositeurs, il initie désormais aux thèmes des chorals et à ceux du chant grégorien qui sont des éléments fondateurs du répertoire de l’orgue. Cela n’empêche pas les auteurs de présenter également quelques pièces contemporaines. La polyphonie est également mise à l’honneur. On notera aussi la présence d’une partie intitulée « Au-delà de la musique écrite » qui constitue une première initiation à l’harmonie : cadence parfaite, marches harmoniques et improvisation. Conseils d’écoute et conseils pour la culture musicale figurent aussi dans ce double recueil. Quant à la musique d’ensemble, pour orgue et un instrument ou voix, ou orgue à quatre mains, elle est représentée par des transcriptions spécialement organistiques. Bref, on ne peut que recommander chaudement cet outil précieux pour les professeurs d’orgue ou tout simplement pour les organistes professionnels ou amateurs cherchant à goûter tous les plaisirs que comporte leur instrument. Sans oublier les organistes liturgiques qui y trouveront une mine de répertoire pour les offices.
L’auteur est lui-même organiste et pédagogue. On pourra trouver curieux le singulier du mot « clavier » dans le titre, car cette méthode propose assez vite de jongler avec les différents claviers… Les indications de registration ne sont données que lorsqu’elles s’imposent. Exercices et petits morceaux se succèdent avec bonheur. La présence du professeur est indispensable. Souhaitons que cette méthode qui part vraiment du début complet à l’instrument fasse naître beaucoup de vocations d’organistes. On en a bien besoin… Daniel Blackstone
Ces vingt pièces ont en commun l’art de l’écriture que possède leur auteur. Quel que soit le style, le bon goût et des enchainements harmoniques impeccables caractérisent ces différentes pièces. Le premier volume est consacré à une main gauche en basses standard dans les tonalités de Do, Sol et Fa Majeur avec essentiellement des accords Majeurs et peu de septièmes. Elles visent un bon placement des doigts et une acquisition de la rapidité, surtout à la main gauche. Le deuxième volume ajoute, dans les mêmes tonalités, les accords mineurs et davantage de septièmes. Le troisième volume emploie les tonalités Majeures et mineures et les accords avec renversements, mais sans trop d’altérations. Le quatrième fait jouer la main gauche en basses standard, en basses alternées et chants de basses et, bien sûr, avec les altérations accidentelles. L’ensemble est donc tout à fait progressif. Le tout est, comme nous l’avons dit, plein de charme et de variété, allant du Ping-pong à la Valse viennoise. Chaque pièce constitue ainsi un petit tableau évocateur qui permettra aux élèves d’exprimer leur sensibilité, et l’on sent que c’est ce qu’a voulu avant tout l’auteur : allier technique et musique indissolublement. Le pari est tenu !
Cette sonate se compose de trois mouvements. Le premier, A pleno sol (Plein soleil), se caractérise par le retour d’un allegro et se termine par un andante qui va de mf à pianissimo. Tantôt passionné, tantôt plus méditatif, il est d’une grande variété. Le deuxième mouvement, Final de jornada, est un andante où un chant se déploie sur des basses longues. Le chant passe du soprane à la basse soutenu par les croches récurrentes. Poctué par des fortés expressifs, le mouvement se termine dans un triple piano. Quant au troisième mouvement, intitulé A cara de perro, qu’on peut traduire par « sans concession », il porte bien son nom. C’est un presto aux rythmes haletants d’un bout à l’autre et qui se termine, lui, fff ! On y retrouve tout le langage du compositeur, à la fois classique et tout imprégnée des saveurs et des rythmes de la musique argentine. Bien sûr, ce n’est pas une œuvre pour débutant !
D.B.
Cette pièce allie des parties « dolente », en triolets et des parties « con moto » rythmées et dansantes. L’ensemble ne manque pas de charme et s’exprime dans un langage qui flirte certes avec le tonal mais réserve aussi de très jolies surprises. Le tout crée une atmosphère particulière qu’élève et professeur découvriront avec plaisir.
D.B.
es quinze pièces ont été écrites par un professeur pour des professeurs… et leurs élèves ! Rappelons que par ailleurs, Rose-Marie Jougla est une instrumentiste de grand talent et une compositrice reconnue. Ces quinze pièces ont pour gageure d’être à la fois facile, musicales et graduées techniquement. Partant de la maîtrise des cordes à vide, s’y ajoute peu à peu celle des 1er, 2ème, 3ème et 4ème doigt. Permettre à des débutants de faire d’entrée de jeu de la musique de chambre, et d’acquérir ainsi la stabilité rythmique indispensable den même temps que le sens de la phrase musicale et de l’expression est le souci premier de ce recueil. On y retrouve toutes les qualités musicales habituelles de l’auteur. Ce recueil fera sûrement le bonheur des professeurs de violon et, espérons-le, de leurs élèves.
D.B.
Nous avons rendu compte dans la lettre 106 de septembre 2016 du premier volume. Celui-ci comporte trois numéros : Almaviva, Quartetto et Finale. On y retrouve les mêmes qualités que dans le premier volume : fidélité aux originaux, science de la transcription et de l’enchainement des airs. Cette fois, tous les personnages y sont ! Nous sommes bien dans l’esprit des « paraphrases » du XIX° siècle mais, nous ne nous en plaindrons pas, pas plus que pour le premier volume… Au contraire, ce genre d’œuvre ne peut que donner envie d’aller écouter ou réécouter l’original.
D.B.
Saluons d’abord le fait qu’il s’agisse d’une édition trilingue. C’est d’autant plus important que la préface de Christa Jost, remarquablement traduite par Geneviève Geffray, offre des explications passionnantes sur cette transcription qui fut historiquement la première de la Sonate. Ce n’est pas le lieu de reprendre l’histoire de cette transcription. Disons que la présente édition tient compte de tous les aléas éditoriaux
D.B.
Ces petites pièces ont été conçues pour être jouées par deux instrumentistes de même niveau dans le but de découvrir et de « prendre goût à la musique de chambre sans être accompagné par un professionnel ». Piavioline est une très courte pièce de seize mesures en noires et en blanches. Vio-grognon se joue en doubles cordes à vide, avec un accompagnement à la rythmique répétitive. Piavioline danse le boléro est plus rapide et plus difficile. Suit Choral et variations pour Amandine et Étienne avec jeu en pizzicato, changement de mesures, et un petit air « jazzy ». Ces pièces utilisent les première et troisième positions ; les tempi et les coups d’archet sont indiqués.
Dans la même série : « Tu viens jouer ? Trombone et piano ».
Sophie Jouve-Ganvert
Ces quinze duos sont la réplique exacte des quinze duos pour violon recensés ci-dessus, mais adaptés à la différence d’accord des instruments. On se reportera donc pour le commentaire à la rubrique précédente.
D.B.
Comme toujours chez Schott, nous avons, et c’est bien agréable, une édition trilingue. La préface est signée des deux éditeurs et traduite par Geneviève Geffray. Elle reprend en détail l’histoire de cette œuvre d’abord oubliée de Schubert avant de devenir l’une de ses plus célèbres. L’édition présente s’appuie en règle générale sur l’autographe de Schubert conservé à la Bibliothèque Nationale de France. Il faut en louer par ailleurs la clarté notamment dans la graphie : les indications critiques ne gênent en rien la lisibilité de cette partition vraiment faite pour le confort des instrumentistes.
D.B.
On retrouve bien entendu dans cette fable tout l’humour mais aussi tout l’immense savoir-faire de Claude-Henry Joubert. Précisons tout de suite que l’entente entre le contrebassiste et son accompagnateur ou plutôt son partenaire devra être parfaite. Après une présentation de la meunière survient la truite effrontée sur un thème qui n’est pas sans évoquer quelques souvenirs. Après quelques péripéties survient Franz le pêcheur… Hélas pauvre poisson, comme on chantait jadis en français ! Bien sûr, l’histoire se termine par quatre mesures qui posent la bonne question : « Au fait, quel est le nom de famille de Franz le pêcheur ? ». L’ensemble est, comme à l’habitude, plein de clins d’œil que le professeur pourra faire ressortir. Ce pourra être aussi l’occasion de faire découvrir à l’élève le cycle de lieder Die schöne Müllerin, le lied Die Forelle, le quintette du même nom et, pourquoi pas, de Francis Blanche, Le complexe de la truite (sur un air d'un obscur compositeur autrichien)…
D.B.
Ces Caprices, écrits pour l’UGDA (Grand-duché de Luxembourg), sont au nombre de deux. Le premier, Couchant à San Giorgio, est de caractère « Sans lenteur, printanier » puis « fleuri » et enfin « Onirique, lent, quasi hawaïen. C’est dire que l’ensemble nous fait passer par toutes sortes d’ambiances et de paysages sonores dans un style lyrique et poétique avec des harmonies tout à fait contemporaines. La clarinette est traitée de façon « classique » mais virtuose… Une part non négligeable est laissée à l’improvisation. Le deuxième caprice, Maschere e personaggi stravaganti…, fait honneur à son titre. Il est plein de fantaisie et de surprises. On ne saurait décrire dans le détail cette pièce pleine de vie. Mieux vaut tout simplement aller écouter ces Caprices intégralement sur Youtube https://www.youtube.com/watch?v=0oRyAQXz0No interprétés par l’auteur et la pianiste Jessica Chan de façon magistrale. Cela vaut mieux que tout commentaire...
D.B.
Cette sonate est composée de trois mouvements : Mise en bouche, Dans mes cordes et Tu viens danser.
Le premier, à la fois répétitif et assez rythmique, à 2/4, puis 7/16 présente de longs passages de travail à l’unisson entre les deux instruments. Le deuxième Lamentant joue sur la couleur avec un long enchaînement d’accords de neuvième en guise d’introduction à la cadence de saxophone. Certaines notes sont à jouer dans les cordes du piano. Ce mouvement doit être interprété « lié, enveloppé de beaucoup de pédale ». Le duo reprend en sextolets communs, agrémentés de quartes à la partie supérieure au piano jusqu’ à la brève coda qui rappelle l’introduction. Le troisième, beaucoup plus long et très rapide, demande une grande précision rythmique entre les deux instruments.
Cette sonate très technique s’adresse à des élèves de troisième cycle, voire de cycle spécialisé.
Sophie Jouve-Ganvert
Pourquoi ce titre ? C’est que nous allons de surprise en surprise à travers les changements de rythme, de mesure et de tonalités. A peine un personnage est-il apparu qu’il se transforme en un autre dans un paysage sonore fort plaisant. Andantino, Allegretto, Andante, Allegro se succèdent, donnant lieu, à chaque fois à des passages de caractères différents. Bref, on ne risque pas de s’ennuyer dans cette pièce fort plaisante, mais où le pianiste devra être très au-dessus du niveau du trompettiste afin d’assurer l’osmose indispensable entre les deux instruments.
Daniel Blackstone
Si les parties instrumentales, tant du piano que de la trompette, ne sont pas techniquement difficiles, elles sont pourtant pleines d’intérêt. En effet, le dialogue est constant entre elles et lorsque le piano intervient seul, c’est pour un discours polyphonique qu’il faudra savoir rendre en timbrant de façon différentes les deux parties de la main droite. Par ailleurs, l’ambiance est d’abord chantante et lyrique et présente beaucoup de charme. Pour simple qu’elle soit, cette pièce demandera une mise au point soigneuse et une grande écoute mutuelle des deux interprètes.
D.B.
Ces petites pièces ont été conçues pour être jouées par deux instrumentistes de même niveau dans le but de découvrir et de « prendre goût à la musique de chambre sans être accompagné par un professionnel ». Les Seize mesures de la première pièce Le Trombiano équilibrent bien le travail entre les deux instruments. Dans L’étromphant, les deux mains du pianiste jouent à l’octave, tandis que le tromboniste travaille les doubles croches répétées, avec articulations et jeu de coulisse. Trombiano part au brésil sur un air dansant et syncopé. Tu m’attrap’ras pas, na ! fait alterner le jeu des deux instruments en petites cellules mélodiques et rythmiques.
Dans la même série : « Tu viens jouer ? Violon et piano ».
Sophie Jouve-Ganvert
Cette Amicale pensée porte bien son nom : cette jolie mélodie en ré mineur se déroule calmement et avec grâce. La partie de piano, tantôt accompagnatrice, tantôt soliste ou introductrice soutient avec une grande légèreté le propos du cor. Quelques sages modulations donnent de très agréables changements d’éclairage. Rappelons que la partie de piano est prévue pour être interprétée par un élève : ces œuvres sont destinées à la musique de chambre.
D.B.
Il y a deux aspects dans cet après-midi : nous débutons par un moderato en fa majeur qui pourrait s’apparenter à une marche tranquille mais qui n’a rien de militaire. Puis, après une cadence qui assure la transition, c’est un allegro en ré mineur qui nous attend, à la fois rêveur et batifolant, pleine de charme. Piano et cuivre dialoguent à l’envie dans un discours fluide qui ne manque pas d’intérêt. L’écriture, comme toujours avec Rémi Maupetit, est très équilibrée et contribuera à former l’oreille des deux interprètes qui devront faire preuve – mais est-il utile de le dire – de toute leur capacité à faire chanter leurs instruments respectifs…
D.B.
L’idée de cette composition est venue à l’auteur lorsqu’il a pris conscience que si le hautbois et le cor étaient utilisés pour leurs capacités expressives, ils ne l’étaient jamais pour leurs capacités rythmiques et percussives, l’un par ses attaques incisives, l’autre par les effets de renforcement et d’accentuation. C’est ce qui lui a donné l’envie d’écrire pour cette formation et de se tourner, pour son écriture, vers le continent du rythme par excellence : l’Afrique. Mais l’auteur nous prévient : « On ne trouvera nulle mélopée, nulle cellule rythmique issue de ce continent. Mais si en reprenant la formule de ces lointains ancêtres, « Un, deux et…beaucoup » qui constituait la formulation de comptage des troupeaux (entre autres), on se laisse aller à l’évocation de ces contrées, on pourra peut-être y déceler quelques moments rythmiques référencés… ». L’œuvre, en un seul tenant, est évidemment riche en changements de mesures, de rythmes et de tempi. Pleine d’intérêt, elle n’est évidemment pas particulièrement facile… Dédiée à Daniel Catalanotti, elle a été créée dans le cadre du Congrès de l’Association Française du Cor de 2016
D.B.
Ecrite pour le 13ème concours international de musique de chambre de Lyon, qui vient de se dérouler du 18 au 23 avril, cette œuvre ne comporte qu’un seul mouvement, mais très contrasté. La première partie met en relief le côté expressif et même sentimental de l’œuvre tandis que la deuxième partie consiste en « une sorte de danse énergique ». Le tout se conclut dans un retour, dans les huit dernières mesures « Teneramente », à l’expressivité du début.
D.B.
C’est avec un très grand plaisir que nous retrouvons aux éditions Bärenreiter cette œuvre majeure de Camille Saint-Saëns. Cette monumentale symphonie avec orgue fut écrite pendant les années 1885-86 et donnée en première audition à Londres le 19 mai 1886. Ce n’est qu’en 1887 qu’elle est donnée à Paris. Où ? Peut-être au Trocadéro, seule salle parisienne comportant un orgue digne de ce nom et où elle sera donnée de nombreuses fois, ainsi qu’au Palais de Chaillot. Souhaitons qu’elle retrouve sa place dans les différentes salles parisiennes enfin dotées d’orgues conséquents, ce qui ne fut pas le cas pendant plusieurs décennies… Nous nous réjouissons également que cette publication trouve place dans un projet de publication des œuvres instrumentales complètes de Camille Saint-Saëns. Cette première édition critique de cette symphonie a pour mérite d’avoir corrigé de nombreuses erreurs et incohérences qui se trouvaient dans les éditions précédentes. Comme il s’agit d’une œuvre française, on a le plaisir de trouver une préface en français traduite par Louis Delpech de l’original allemand de Michael Stegemann.
D.B.
C’est en 1901 que Fauré tire de la musique de scène écrite en 1898 une suite orchestrale en trois mouvements qui deviendra une suite en quatre mouvements en 1912 avec l’introduction de la célèbre Sicilienne comme troisième mouvement. L’édition a été faite sur celle des œuvres complètes de Gabriel Fauré parue en 2016. Bien sûr, les parties séparées d’orchestre sont également disponibles. On connait par ailleurs les qualités de clarté et de lisibilité de ces éditions.
D.B.
C’est en 1918, alors qu’il était âgé de 73 ans, que Fauré reçut du Prince Albert Premier de Monaco la commande d’une œuvre évoquant l’atmosphère de la « commedia dell’arte ». Reprenant et retravaillant des pièces écrites précédemment pour le piano, Fauré assemble le tout avec une Pastorale écrite pour la circonstance. L’ensemble, bien connu, constitue une œuvre légère et pleine de cet esprit français qui ne quitta jamais Fauré jusqu’à son dernier jour. Reprise, comme la précédente, de l’édition des œuvres complètes, elle en possède les mêmes qualités de clarté et de lisibilité, ainsi que de sérieux dans l’établissement du texte.
D.B.
Andras Farkas — ayant constaté l’absence de biographie (traditionnelle) concernant son père, le compositeur hongrois Ferenc Farkas (né en 1905 dans l’Empire austro-hongrois, mort en 2000) — a souhaité combler cette lacune en exploitant des sources directes et en quelque sorte vécues, en fait orales : « Mon père m’a raconté ». Il s’agit donc d’une démarche particulièrement fiable et « filiale ». Elle remonte à 1979, lors de vacances familiales à Balatonlelle (au bord du Lac Balaton) où Andras propose à son père de « raconter ses souvenirs sous forme d’interviews » ; Laszlo Gombos en publiera un livre dont une sélection de témoignages pris sur le vif a été traduite en français.
Au fil des pages, le récit est relaté par le compositeur à la première personne, depuis leur installation à Budapest en 1910, et complété par des illustrations significatives et de judicieuses annotations de son fils concernant les contextes, faisant également de cet ouvrage un document historique et sociologique qui reflète l’histoire mouvementée de la Hongrie. Toutefois, une chronologie sommaire, un catalogue des œuvres et un index des noms propres eussent été fort utiles. Quoi qu’il en soit, le lecteur sera informé du train de vie de la famille, de l’évolution de la carrière de Ferenc Farkas : premiers concerts, voyages nombreux, premières compositions, activités de répétiteur au Théâtre municipal de Budapest, rencontres, entre autres, en 1929 avec Ottorino Respighi lors de deux séjours à Rome, enseignement de la composition à Cluj (Transylvanie), voyage en Allemagne en 1942, à l’invitation de Richard Strauss ; genèse puis création à Erfurt de L’Armoire magique. Il a vécu la tourmente (1944-49), le siège de Budapest. Enfin, le retour de la paix lui permettra à nouveau de composer des musiques de film (11 œuvres de commande) et, entre autres, un ballet présenté au Festival d’Edimbourg. Le prestigieux Prix Kosuth lui sera décerné. Il se rendra à Prague, Berlin, en Slovaquie, Bulgarie, Tchécoslovaquie ; à Vienne, il retrouve Ernest Ansermet. Ferenc Farkas peut désormais exploiter la musique dodécaphonique interdite par les autorités communistes et retrouver sa liberté d’expression. Son Cantus Pannonicus (1959) — influencé par la musique de la Renaissance — fait aussi appel à des percussions. En 1957, il écrit un cycle de Lieder. Il rencontre György Ligeti, Friedrich Wildgans à Paris, participe au premier Congrès de la Confédération internationale des Auteurs et Compositeurs. En 1963, il élabore l’opéra populaire romantique Vidroczki pour combler le vide du genre dans son pays ; c’est aussi le cas de L’Armoire magique, opéra souvent joué. Puis il se lance dans la musique religieuse : Missa in Honorem Sancti Andreae, Missa secunda in Honorem Sanctae Margaritae (dédiée à sa femme), Missa brevis in Honorem Sancti Stephani. Il ne veut pas exploiter la tradition de la musique populaire cultivée par Bela Bartok et Zoltan Kodaly : « J’ai essayé… de réaliser une synthèse entre la musique populaire et le Novocento ». Il adopte une nouvelle esthétique : « …le style d’un compositeur ne se définit pas seulement par ses influences extérieures, mais aussi par ses méthodes de travail et sa façon de penser » (p. 94). À la fin de la Seconde Guerre mondiale, il préconise un nouveau style de « musique facile à comprendre et d’humeur constamment optimiste », et souhaite rendre hommage aux « poètes et grandes personnalités ».
Andras Farkas conclut (en 2014) : « Durant sa longue vie, mon père a beaucoup travaillé et son inspiration ne l’a jamais quitté… J’aime sa musique et j’ai souvent eu l’occasion de l’interpréter. Étant l’unique héritier de cette œuvre immense, je veux la servir. Elle représente le témoignage d’un homme qui, durant presque un siècle, a su créer un langage simultanément personnel et universel, un langage hongrois mais aussi multiculturel, une musique qui se nourrit des joies et des tristesses de toute une vie, mais qui s’adresse aussi à tous. » (p. 189).
Édith Weber
Ce titre implique une démarche philosophique et un retour vers la pensée antique centrée sur le « symbole ». L’auteur, notamment titulaire d’une maîtrise de russe et d’un DEA de Sciences de l’information et de la communication, a aussi à son actif une large expérience pratique du chant choral et du chant lyrique. En outre, elle « développe… une œuvre d’artiste conçue pour révéler la pensée symbolique » (dernière page de couverture). Forte de tant d’expériences et spéculations diverses, Caroline Regnaut, après l’indispensable arrière-plan historique et conceptuel, aborde trois grandes parties (relatives aux auteurs) : 1. Changer les choses — Lucrèce, La nature des choses ; 2. Les nouveaux champs de la pensée — Virgile, L’Énéide ; 3. La création de l’individu indivisé — l’Évangile du Christ.
Les lecteurs — conscients que, depuis ces écrits et la fondation de Rome, la pensée a considérablement évolué — ne devront pas extrapoler. Les mélomanes seront attentifs aux « choses » musicales. Au fil des pages, ils apprécieront les allusions au chœur (notamment dans la musique sacrée), au chant (et même au chant d’oiseaux) ; à l’acte de chanter ; au rôle de l’accompagnement, aux problèmes d’écoute et de perception. Ils seront intéressés par les effets (ethos) du chant : émotion, passion, extase, joie, incitation à la prière, sans oublier le rôle du silence et l’inhérent facteur de discipline. Les problèmes de la voix sont traités ainsi que la présence d’instruments (cloches, lyres, flûtes largement utilisées dans l’Antiquité gréco-latine), également la chorégraphie, le théâtre, l’opéra et la poésie musicale.
La démarche intradisciplinaire dans la longue durée associe la littérature comparée, la philosophie antique (perception des « choses »), l’exégèse biblique, la théologie, l’herméneutique, l’anthropologie et la sociologie (rôle des chœurs). La philologie atteste que carmen signifie le chant, les vers chantés ; en fait, dans la poésie antique, carmen et liber se confondent : Liber primus ayant le sens de Premier chant. Des citations latines de Lucrèce (Titus Lucretius Carus, v.-98 ; -55) et de l’Énéide de Virgile (Publius Vergilius Maro, -70;-19), judicieusement sélectionnées et traduites en français, renforcent le raisonnement multidirectionnel de l’auteur. Après l’apport de ces deux penseurs antiques, dans la troisième partie, l’Évangile débouche sur la création de l’individu indivisé.
Ce livre si dense autour de la pensée antique est centré sur le symbole. Les autres éléments non évoqués dans ce cadre contribuent aussi à faire comprendre « les enjeux » de l’homme du XXIe siècle, grâce à une analyse de textes antiques rigoureuse et inventive qui en révèle des « aspects insoupçonnés ». Peu ou prou selon Lucrèce, Virgile et l’Évangile, l’homme doit se créer et sera marqué par la prise de conscience individuelle. Cette solide étude autour du concept philosophique de la « pensée symbolique » invitera philosophes et mélomanes à une réflexion durable.
Édith Weber
Cette nouvelle publication de Caroline Regnaut ne concerne pas directement les musicologues et littéraires qui — ne connaissant pas la langue russe — ne pourront guère apprécier la musique des mots, ses sonorités et accents. Néanmoins, elle peut être considérée comme une page de l’histoire russe et une petite anthologie traduite en français, à finalité éthique.
Vladimir Maïakovski (1893-1930) est à l’origine d’une imposante bibliographie en russe. Sa production intégrale totalise 13 volumes dans divers genres : poésie (même pour les enfants), théâtre, scénarios, articles, réclames, discours et correspondance, et notamment son œuvre intitulée La 5e internationale : d’où le sous-titre.
Le poète futuriste a vécu la révolution bolchévique ; il s’est suicidé en 1930 sous le régime stalinien. Au passage, cette publication illustre la propagande et la déformation de la pensée par la censure. Le poète a pris ses distances vis-à-vis de l’idéologie dominante et — comme le rappelle Caroline Regnaut — est devenu malgré lui un « auteur classique ». Il se réfère avec insistance au Christ et a demandé à être ressuscité dans le futur. La résurrection représente sans aucun doute le véritable sens de sa démarche « révolutionnaire » qui vise la « révolution de la pensée » et « l’éveil de la conscience individuelle », non sans lien avec les idées exposées dans L’individu indivisé (cf. recension ci-dessus).
Ce témoignage historique et ses nombreuses réflexions réhabilitent l’homme et le poète. D’ailleurs, d’entrée de jeu, le texte (bénéficiant d’une présentation typographique particulière) donne le ton :
Ressuscite
au moins par ce
que moi
en poète
Je t’attendais
j’avais répété l’absurdité quotidienne !
Ressuscite-moi
au moins pour ça !
Ressuscite
je veux finir de vivre ce qui est mien !...
En les situant dans leurs contextes historique et psychologique, sociologique et politique, Caroline Regnaut a le mérite d’avoir réhabilité et ressuscité la pensée et la poésie de Maïakovski.
Édith Weber
L’organiste Matthias Grünert, souvent présenté dans la Lettre d’information, a eu l’excellente idée de reconstituer et d’interpréter le programme que J. S. Bach — chargé d’inspecter le nouvel Orgue Gottfried Silbermann (1683-1753) à la célèbre Frauenkirche de Dresde — y avait joué le 1er décembre 1736. Il s’agit donc d’un document historique (à partir de recherches d’archives), non plus interprété au nouvel orgue d’alors, mais à celui de la manufacture alsacienne Kern et Fils, après la reconstruction de l’édifice détruit lors de la Seconde Guerre mondiale.
Selon toute vraisemblance, les œuvres ont dû retentir en ce lieu, il y a 280 ans, sous les doigts du Cantor de Leipzig. Elles ne sont plus à présenter aux mélomanes et amis de l’orgue : Toccata et Fugue en ré mineur (BWV 538), si souvent galvaudée ; Sonata n°3 dans la même tonalité (BWV 527), œuvre redoutable, ainsi que le Prélude de choral (Choralvorspiel) Allein Gott in der Höh sei Ehr (BWV 663) ou encore quelques chorals provenant du Recueil de Schübler (BWV 645-650). À noter une pièce rarement enregistrée : l’Aria (BWV 988.1) extraite des célèbres Variations Goldberg. Bach était un hôte à la Frauenkirche ; Matthias Grünert, le dynamique cantor et organiste, y règne en maître.
Édith Weber
Fritz Spengler, célèbre contreténor allemand, a regroupé 9 Airs très connus de Haendel, deux œuvres de Johann Heinrich Schmelzer (1623-1680), ainsi que 4 nouveaux Airs d’Adam Krieger (1634-1666). Il est soutenu par Christian Voss (violon baroque et viole d’amour) et l’Ensemble Contrapunctus. Cette réalisation du Label Kanglogo, à l’initiative de RONDEAU PRODUCTION, datant de 2017, donne un aperçu de l’esthétique de l’air baroque — religieux et profane — cultivé en Allemagne par Haendel et ses prédécesseurs.
Johann Heinrich Schmelzer (autrichien né en 1623, mort à Prague en 1680) a été membre de la Chapelle royale à Vienne, puis vice-maître de chapelle et ensuite maître de chapelle de Léopold Ier. Lors de la peste en 1680, il s’est installé à Prague. En 1668, il a composé son ballet : Musikalische Fechtschul qui évoque en musique l’école d’escrime. Il comprend deux Airs (pétillants et bien scandés, suivis de deux brèves danses : Sarabande et Curente, puis du ballet proprement dit, descriptif et percutant (coups d’épée), et se termine par un Air misant sur l’émotion. (Il s’agit d’airs sans paroles).
Adam Krieger (né en 1634 en Pologne, mort en 1666 à Dresde), spécialiste de Lieder et Chorals, appelé en 1657 à la Cour de Saxe par le Prince-Électeur Johann Georg II, y a été organiste en 1658. Il a composé les textes et les mélodies de ses Airs profanes et spirituels (dont 2 sont enregistrés en première mondiale) ; ils ont pour thèmes l’amour, l’amitié, les dons de Dieu…
Enfin, la partie la plus importante de ce disque porte sur 9 Airs allemands de G. Fr. Haendel (HWV 202-210) composés à Londres. Il s’agit de ses dernières adaptations de poèmes allemands qui reposent sur des textes de son contemporain Barthold Heinrich Brockes (1680-1747). Une riche participation instrumentale soutient la voix du jeune contreténor allemand. Les thèmes abordés par le librettiste — bien connu par sa BrockesPassion — sont, entre autres, la gloire et la bonté du Créateur, la louange de Dieu, avec également des allusions lyriques aux buissons, à la rose, « ornement de la terre »... Fritz Spengler réussit à en traduire les moindres nuances poétiques et musicales. Anthologie d’Airs baroques : à retenir.
Édith Weber
Depuis un certain temps, les éditeurs de disques proposent une meilleure approche de timbres particuliers et de paysages sonores variés avec, parfois, des associations instrumentales insolites ou la présentation de toute une famille d’instruments (cf. notre recension du CD : No parking. Bruno Bonansea & Nicolas Nageotte (clarinettes), TRITON).
Le présent CD fait la part belle à la viola d’amore (seule), à la viola d’amore associée à la guitare et à l’alto. La viole d’amour, instrument en principe à 7 cordes frottées — dont 2 vibrant par sympathie — apparaissant vers le milieu du XVIIe siècle, sera ensuite privilégiée notamment par Jean Sébastien Bach. La guitare est un instrument à cordes pincées avec caisse de résonance. Enfin, l’alto est un instrument à cordes frottées plus grave que le violon.
Ce choix de Concerti en 3 ou 4 mouvements est illustré par des œuvres d’Antonio Vivaldi (1678-1741) et de Christoph Graupner (1683-1760) interprétées par Donald Maurice (viole d’amour), Jane Curry (guitare), Marcin Murawski (alto) et l’Orkiestra Ars Longa, tous placés sous la solide direction d’Eugeniusz Dabrowski.
Christoph Graupner (né en 1683 à Kirchberg et mort en 1760 à Darmstadt), claveciniste et compositeur allemand, est contemporain de J. S. Bach et G. Fr. Haendel. Il a été maître de chapelle à la Cour de Hesse-Darmstadt et a composé, entre autres, plus de 1400 Cantates religieuses, 80 Suites et 44 Concertos. Son œuvre, peu diffusée après son décès (faute d’un nombre suffisant d’élèves), se différencie de l’esthétique généralement en usage. Dans ses deux Concerti pour viole d’amour et alto, il traite ces deux instruments de telle manière que, tour à tour, chaque instrumentiste devient soliste ou accompagnateur de l’autre. Il crée ainsi des timbres différents qui véhiculent ses idées mélodiques un peu comme un dialogue, exploitant aussi la résonance plus douce de la viole d’amour. Celui en Ré Majeur (GWV 317) fait alterner mouvements graves et mouvements rapides. Une introduction aux accents très marqués prépare l’entrée des solistes dont le discours s’enlace, elle contraste avec le Vivace de caractère plaisant et brillant, cédant la place au Grave plus méditatif ; l’œuvre se termine par un Allegro très allant et bien enlevé. Celui en La Majeur (GWV 339) commence par un Andante assez intériorisé, suivi d’un Moderato brillant, auquel succède un Largo marqué d’une grande sensibilité, aboutissant à l’Allegro qui pose sur l’œuvre un point d’orgue joyeux.
Le Concerto pour viole d’amour et guitare en ré mineur (RV 540) d’Antonio Vivaldi (1678-1741) — bien plus célèbre que Chr. Graupner —, qui a écrit plus de 500 concertos, illustre l’apogée de la facture violonistique. Il comprend deux Allegro et un Largo central, particulièrement expressif, la guitare accompagnant la viole d’amour soliste. Son style marque la fin de l’époque baroque. Ce disque comprend encore le Concerto pour guitare en Ré Majeur (RV 93). Dès l’Allegro, la guitare soliste est soutenue par les accents incisifs de l’Orchestre polonais Ars Longa en une vaste envolée dynamique, alors que le Largo baigne dans le rêve et que l’Allegro conclusif est plein d’élan renouvelé. Enfin, le Concerto pour viole d’amour en Ré Majeur (RV 392) reprend la même structure (deux mouvements rapides encadrant un mouvement lent) et exige une grande virtuosité de la part du soliste. Le Largo est imprégné de mystère et d’une certaine tension. Il débouche sur l’Allegro fort de nombreuses marches d’harmonie mettant la viole d’amour en valeur et l’orchestre en incandescence. À écouter tant pour la perception de timbres spécifiques que pour la qualité de l’interprétation fidèle aux intentions des deux compositeurs.
Édith Weber
Ludwig van Beethoven (1770-1827) s’est lancé très tôt dans la musique de chambre, notamment avec ses 3 Quatuors avec piano (WoO 36). Dans l’esprit du concerto de chambre, le piano est accompagné par un trio à cordes. Il s’agit d’œuvres précoces composées en 1785 et publiées post mortem en 1832 à Vienne. Ces Quatuors sont très différents des Trios de la maturité.
Le Milander Quartet comprend Milana Chernyavska (piano), Lisa Schatzmann (violon), Alexander Moshnenko (alto) et Beni Santora (violoncelle) — ou Rupert Buchner dans le 1er Quatuor de l’op. 36. Ils interprètent les 3 Quatuors avec piano (WO 36, 1785) respectivement en Do Majeur (n°3 — en fait chronologiquement le premier —), en Ré Majeur (n°2) et en Mi b Majeur (n°1), structurés selon la tradition (entre autres mozartienne) en 3 mouvements contrastés. Cette équipe devra résoudre le problème de l’équilibre entre les 4 instrumentistes et le rapport entre les cordes et le clavier, ce qui sera définitivement réalisé dans les Trios avec piano composés vers la fin de sa vie.
Dans le Quatuor en Do Majeur, les exégètes discerneront certaines similitudes avec la Sonate pour violon et piano (KV 296) de Mozart et des reprises par Beethoven pour sa première Sonate de piano. L’Allegro vivace comprend un premier thème enjoué auquel succède un thème secondaire avenant et fluide. L’Adagio con espressione est de caractère plus intériorisé, et le Rondo : allegro conclusif baigne dans l’allégresse. Le deuxième Quatuor, en Ré Majeur, moins élaboré, comporte un Adagio con moto expressif encadré par un Allegro moderato et un Rondo : allegro. Dès les premières mesures, le piano sera suivi par les cordes, donnant lieu à un dialogue. Dans l’Adagio, piano et violon se répartissent le thème ; enfin, le Rondo met en valeur le piano avec un thème de valse repris au violon mais, bizarrement, il appartient aux cordes (et non au piano) de conclure cette page de jeunesse. Le Quatuor avec piano en Mi b Majeur, également tripartite, se termine non pas sur un Rondo mais sur un Thema cantabile aboutissant sur un Allegretto.
Le Trio avec piano en Mi b Majeur (WO 38 n°9), composé en 1790-1791, sera seulement publié en 1830. À l’Allegro moderato succèdent le Scherzo : Allegro ma non troppo, puis, selon l’usage : le Rondo : Allegretto. Il s’agit vraiment d’une œuvre de jeunesse.
Le Trio pour piano, violon et violoncelle en Si b Majeur (WO 39, n°8), en un seul mouvement : Allegretto, date de 1812 ; il est dédié à la jeune Maximiliane Brentano. Cette page relativement facile, éditée en 1830 à Francfort, s’apparente à la forme sonate avec coda. Elle baigne dans le charme et la douceur et a dû ravir sa dédicataire. Éloquente démonstration de l’évolution d’un compositeur de la jeunesse à la maturité.
Édith Weber
Les Wiener Symphoniker (orchestre) occupent une place prépondérante dans la vie musicale viennoise et sont, depuis la fin du XIXe siècle, à l’origine de nombreuses créations (Anton Bruckner, Richard. Strauss, Arnold Schönberg). Ils ont été dirigés notamment par Bruno Walter, Richard Strauss, Wilhelm Furtwängler et, plus récemment, par Herbert von Karajan (1950-1960) et Wolfgang Sawallisch (1960-1970). Depuis 2014, leur chef est le suisse Philippe Jordan. En 1994, il est admis au Conservatoire de Zurich et obtient le diplôme de professeur de piano. Après avoir été maître de chapelle au Théâtre d’Ulm, il assiste Daniel Barenboïm à l’Opéra Unter den Linden de Berlin, puis s’impose sur le plan international. Il est depuis 2009 directeur musical de l'Opéra national de Paris. En 2014-15, il enregistre ses versions de la Symphonie inachevée en si mineur (D 759) et de la Symphonie n°9 (8 selon le disque) en Do majeur (D 944) — appelée « La Grande » — de Franz Schubert (1797-1828).
La composition de l’Inachevée, commencée le 30 octobre 1822, a donné lieu à de nombreux commentaires. Elle comprend deux mouvements : Allegro moderato à 3/4, introduit par un thème en si mineur énoncé au violoncelle, gravé dans toutes les mémoires, avec exposition, réexposition et développement. L’Andante con moto en Mi majeur, à 3/8, comporte deux thèmes : le premier en Mi majeur, le second en ut # mineur, énoncé à la clarinette puis au hautbois. En fait, une version pianistique du Scherzo et l’orchestration de deux pages ainsi qu’un fragment mélodique pour le Trio nous sont parvenus, toutefois la partition a fait l’objet de tentatives de reconstitution. Ce CD en présente les deux premiers mouvements.
La « Grande » Symphonie a été composée en 1825-26. Elle est structurée en 4 mouvements. Andante à 2/2, avec un thème très appuyé confié aux cors à l’unisson et qui sera largement développé. L’Allegro ma non troppo privilégie le rythme pointé et un motif aux trompettes contrastant avec le second sujet très tendu, puis le motif proche de celui de l’Andante est énoncé par les trombones, suivi du rappel du thème de l’Andante. Le deuxième mouvement à 4/4 : Andante con moto, avec un thème rythmique exposé au hautbois, qui sera largement développé, se termine énergiquement. Le Scherzo. Allegro vivace en Ut majeur, très dynamique, avec Trio en La majeur, s’apparente à la forme sonate et conclut sur un appel des cors. Le Finale. Allegro vivace en Ut majeur (ton de la symphonie), de caractère très monumental, avec un grand travail mélodique, se présente comme une triomphale marche en avant. Chef-d’œuvre d’un compositeur alors âgé de 29 ans.
Les Wiener Symphoniker, sous la baguette si efficace de Philippe Jordan, selon leur tradition bien établie, s’imposent notamment par leur paysage sonore exceptionnel et leur sens du dynamisme. L’Orchestre se joue de tous les traquenards techniques en parfaite connivence avec les intentions compositionnelles de Franz Schubert. Ses deux Symphonies, par ailleurs souvent galvaudées, bénéficient d’une interprétation typiquement viennoise : Philippe Jordan a signé deux versions de référence.
Édith Weber
L’attention de nos lecteurs à propos d’Astor Piazzolla (1921-1992), musicien argentin très populaire, a été attirée dans la LI n°114 (mai 2017, cf. Astor PIAZZOLLA : La musique de Buenos Aires). Ses études musicales étant terminées à Paris, il retourne dans son pays d’origine. En 1958, après un séjour aux États-Unis, il revient en Argentine. L’écrivain Alberto Rodriguez Munoz lui ayant demandé une musique pour accompagner sa pièce de théâtre Le tango de l’ange — relatant l’histoire d’un ange qui est apparu dans un immeuble de Buenos Aires pour purifier l’âme de ses habitants —, il compose alors une Introduccion al Angel que toutefois il n’intégrera pas dans sa Trilogie de l’ange. L’œuvre définitive comprend donc Milonga del Angel, dans la mouvance du tango avec emprunts de rythmes plus légers : il s’agit de l’une des plus jolies mélodies de caractère sentimental d’Astor Piazzolla. Pour évoquer l’ange attaqué qui se défend lors d’un combat, avant de mourir, le deuxième volet de ce triptyque : Muerte del Angel est de caractère descriptif, toujours en mouvement. Il ajoutera, en 1965, Resurreccion del Angel, troisième volet d’atmosphère d’abord langoureuse, puis joyeuse et bondissante, avec réexploitation du thème de la Milonga (allusion à l’ange).
Cette compilation effectuée en 2017 par les éditions JADE comprend encore 5 autres pièces d’Astor Piazzolla, ainsi que deux œuvres de son ami Richard Galliano (né en 1950) : Aurore (poétique) et Aria (mélodique). Ce dernier précise que « la musique d’Astor Piazzolla est universelle, intemporelle, sincère et profondément humaine. » Cette musique à la fois très populaire, souvent mystérieuse, s’inspire du tango et de ses rythmes. Il a essayé de lancer un style à mi-chemin entre jazz et tango, et dépasse ainsi la conception du tango traditionnel. Contribution à l’angélologie en musique : originale et inattendue.
Édith Weber
L’organiste française bien connue, Jeanne Demessieux (née à Montpellier en 1921-décédée à Paris en 1968) est aussi pianiste, improvisatrice, compositrice et remarquable pédagogue. Installée en 1932 à Paris, au Conservatoire, elle étudie le piano, l’écriture, la composition et l’orgue (Premier Prix en 1941) auprès des meilleurs maîtres. De 1962 à sa mort prématurée, elle est l’organiste titulaire de La Madeleine (Paris) et, de 1950 à 1952, professeur au Conservatoire de Nancy puis, de 1952 à 1968, au Conservatoire royal de Liège. Avec notamment Henriette Puig-Roget, Marie-Louise Girod-Parrot et Marie-Claire Alain, elle a été l’une des premières organistes professionnelles françaises.
Le programme présente ses œuvres pour orgue les plus marquantes : CD 1 : Sept Méditations sur le Saint-Esprit (op. 6, 1947) ; Douze Chorals-Préludes sur des thèmes grégoriens (op. 8, 1950) ; CD 2 : Triptyque (op. 7, 1948) ; Prélude et Fugue dans le mode lydien (op. 13, 1962) ; Six Études (op. 5, 1946) ; Te Deum (op. 11, 1959) et Répons pour le temps de Pâques (1962-3). Elles ont été interprétées par Pierre Labric (né également en 1921) à l’Orgue Aristide Cavaillé-Coll (1890) de l’Abbatiale Saint-Ouen à Rouen (1971-2) — 4 claviers et pédale — et à l’Orgue Beuchet-Debierre de la Cathédrale Saint-Pierre à Angoulême (1972) — 3 claviers et pédale. Ce coffret se termine aux accents de son bel Hommage à Jeanne Demessieux qu’il interprète avec émotion aux Grandes Orgues de l’Abbatiale Saint-Ouen de Rouen, le 28 avril 1974. Ses œuvres pour le concert et le concert spirituel côtoient les pages liturgiques à finalité théologique. D’une manière générale, elles exigent une virtuosité à toute épreuve (difficultés techniques, usage et rôle de la pédale, synchronisation des mouvements…), maîtrise des registrations selon celles à la mode vers 1950 : jeux de mutations, fournitures et cymbales, cromorne…, tout à fait réalisables à ces deux instruments. À côté des formes classiques, Jeanne Demessieux exploite aussi des motifs grégoriens, quelque peu influencée par le style du choral dans le sillage de J. S. Bach.
Comme le précise Yvette Carbou, directrice de cette production : « paru en 1975 aux États-Unis sous la forme d’un coffret de trois disques vinyles, ce monument discographique n’avait pas fait l’objet à l’époque d’une édition française. Le voici donc de retour aux pays — bien propre à ensoleiller les 95 ans de son valeureux interprète. » Dont acte.
Édith Weber
Cet hommage à Julien-François Zbinden, compositeur suisse, est réalisé grâce à des documents d’Archives de la Radio Télévision Suisse. Né à Rolle (Canton de Vaud) en 1917, d’abord pianiste de jazz, il étudie le contrepoint et l’orchestration avec René Gerber à Neuchâtel, Régisseur de la Radio de Suisse Romande, ensuite chef de service chargé des émissions musicales, puis directeur adjoint. Son esthétique est notamment marquée par l’influence d’Arthur Honegger et de Maurice Ravel. Ce 13e album illustre son activité de compositeur, recouvre des œuvres allant de 1948 à 2014 et évoque ses nombreux centres d’intérêt, ses compositions pour l’Ensemble Romand d’instrument de cuivre (ERIC), sa participation en tant que pianiste et compositeur (émissions de Jacques Rollan, à Lausanne), « un de ses amis les plus chers », ses affinités avec le jazz et notamment Cole Porter, ou encore la musique légère en général.
Le texte de présentation rédigé par Julien-François Zbinden, est complété par un apport photographique significatif, donnant un excellent aperçu visuel de son entourage artistique (interprètes, séances d’enregistrement) et de son 97e anniversaire (en 2014). Au fil des plages, les discophiles l’entendront en tant que pianiste, compositeur : Marche La Vaudoise, ERIC Parade (3 trompettes et fanfare), de musique légère (Sentimental Blues, Montecarlo Waltz), mais aussi dans son environnement avec Les Grandes Dames de la Chanson à Radio Lausanne : Juliette Gréco, Nicole Vervil, Jacqueline François, Marianne Oswald qu’il accompagne au piano et, en outre, une Fantaisie pour 3 pianos ainsi que des œuvres de Joseph Kosma et Jacques Prévert. Une réussite du genre.
Édith Weber
Le Label Acte préalable privilégie la musique et les interprètes polonais et fait aussi connaître d’autres compositeurs, par exemple le norvégien Konrad Øhrn. Ce CD commence par les Dances reprenant la structure traditionnelle de la Suite, quelques Miniatures ou encore le Concerto pour 2 flûtes et cordes, interprété par T. Rostvik et K. Kasminska (flûtes), le CoOperate Orchestra, sous la direction d’Adam Domurat et le jeune ensemble d’élèves de l’Académie de Musique de Poznan, rompu à un vaste répertoire allant de la musique baroque à l’époque contemporaine (ensemble avec violons, altos, violoncelles et contrebasse). L’European Flute Ensemble regroupe des flûtes, flûtes alto et flûtes basse.
Konrad Øhrn, né le 22 janvier 1950, d’abord pianiste, a composé dès son jeune âge ; il a environ 200 œuvres et arrangements à son actif. Il précise qu’après avoir été tenté par le dodécaphonisme et le sérialisme, il a personnellement opté pour un plan tonal plus franc et la clarté des lignes mélodiques. Il souhaite que sa musique réconforte les auditeurs. Dances — a Suite in 7 movements, œuvre de commande, date de 2012. Son style est à la fois néoclassique et contemporain sur le plan harmonique avec des spéculations rythmiques. Sa musique, tour à tour très entraînante, mélodieuse, virevoltante, bien enlevée, un tantinet plus nostalgique, espiègle, respire la bonne humeur. Sa Scherzo-Polka met en valeur les différentes tessitures de la flûte et baigne dans la joie. Dans ses Miniatures, il démontre les nombreuses qualités timbriques des flûtes et leur possibilité d’exprimer divers états d’âme et humeurs. Son Concerto pour 2 flûtes et cordes représente une vraie gageure, car chaque partie de flûte assure à part égale un contrepoint, tout en étant associée à l’orchestre à cordes.
Voici un festival de timbres et de riches coloris pour une production soutenue par l’Université d’Agder (en Norvège) et le Centre culturØel polonais-norvégien de Poznan : un exemple à suivre et, de surcroît, une Première discographique mondiale.
Édith Weber
Si cette réalisation brille par son originalité, elle a aussi le mérite de démontrer les possibilités sonores et les coloris de clarinettes de différentes tessitures ; elle résulte d’une étroite collaboration entre les deux instruments et neuf compositeurs contemporains qui n’ont pas ménagé leurs conseils. (Voir aussi recension du CD « Chamber Music for Piccolo Clarinets… » (chez VDE GALLO, cf. LI n°114).
Le sous-titre : No parking semble être lié à la brève pièce de Bernard Cavanna (né en 1951), intitulée paradoxalement : Parking Schubert pour clarinette en si b et clarinette basse ; il précise qu’il s’agit d’« un parking imaginaire où sont convoqués à la fois l’urbanité et le classicisme. Le titre fut cependant imaginé bien avant la composition de la pièce et il sera donc bien difficile d’y reconnaître quelques parpaings ou gruppetto ; il s’agit d’un continuum à deux voix qui s’inspire d’un fragment écrit pour orgue de barbarie et un motif emprunté à un concerto pour accordéon associé à un thème ethnique de Katerina Fotinaki (son étudiante), œuvre d’une grande complexité rythmique ». Sa brièveté contraste avec les 10 Duos de Philippe Hersant (né en 1948), dont six transcriptions de ses 8 Duos pour alto et basson ; deux s’inspirent de ses Song lines ; les Duos 6 et 7 sont des pièces originales dans la mouvance de Stravinsky mais, en fait, « un folklore imaginaire ». D’ailleurs Philippe Hersant ne manque pas d’imagination. À noter, entre autres les cinq Scènes de la vie contemporaine, miniatures de Guillaume Connesson (né en 1970) : Shopping, Au Musée, Remise en forme, Dîner amoureux, Le Cauchemar, créées en 2012. Pascal Dusapin (né en 1955) ne redoute pas le pléonasme avec Duo à deux qui — selon les interprètes — sonne comme une « danse imaginaire aux accents marqués et aux sonorités évoquant le free jazz ». Cette pièce est un hommage à Michel Portal (M. P.) et Paul Meyer (P. M.). La démarche inverse se trouve dans P. M. / M. P. (initiales des créateurs de la pièce) de Michael Jarrell (né en 1958) et Metal de Bruno Mantovani (né en 1974), c’est-à-dire pour le titre : ME(yer) et (por)TAL créé en 2003.
Un incroyable condensé de rythmes, jazz, free jazz et de sonorités en tous genres, réminiscences d’orgue de barbarie et d’orgue à bouche (chinois), fruit de jeux de mots et d’une intarissable imagination compositionnelle. Bruno Bonansea et Nicolas Nageotte — dont chacun pratique plusieurs instruments — excellent dans la mise en valeur sonore des clarinettes et s’adaptent à toutes les circonstances. Inouï.
Édith Weber
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La jeune violoncelliste suisse Estelle Revaz, née en 1989, est passionnée par Jean Sébastien Bach, « père de la musique pour violoncelle seul ». Après ses études dans son pays natal, puis au CNSMD de Paris et à la Musikhochschule de Cologne, elle s’est rapidement imposée sur la scène internationale en Europe, Asie et Amérique du Sud.
L’originalité de cet enregistrement consiste — selon le principe très en vogue actuellement de l’alternance entre tradition et modernité — à insérer entre chaque mouvement des Suites n°1 et 3 (pour violoncelle solo) de J. S. Bach, de brèves compositions de notre temps, par exemple de Berndt Alois Zimmermann (1918-1970), Heinz Holliger (né en 1939), Luciano Berio (1925-2003), György Ligeti (1923-2006), Pascal Dusapin (né en 1955)… et surtout, en première mondiale, le Cantus II de Xavier Dayer, né à Genève en 1972, titulaire de nombreux Prix, ayant composé pour de prestigieuses institutions en Suisse, Allemagne et France. La démarche illustre les nombreuses possibilités de coloris, timbres, paysages sonores ainsi que la profondeur expressive du violoncelle. Sobriété et simplicité sont de mise dans l’interprétation des deux redoutables Suites pour violoncelle seul (BWV 1007 et 1009). À remarquer que, dans son Cantus II, un peu plus développé, Xavier Dayer exploite de nombreux paramètres : sonorités, lignes mélodiques, attaques. La soliste s’impose par sa justesse extrême dans tous les registres et sa grande concentration ; elle recrée avec maestria l’atmosphère mystérieuse, énigmatique et tendue de l’œuvre.
Le parti pris d’intercalation métamorphose le concept de la succession des danses, en l’occurrence : Prélude-Allemande-Courante-Sarabande-Menuet-Gigue (pour la première Suite en Sol majeur ; la Bourrée remplaçant le Menuet pour la troisième en Do majeur). Ce procédé engendre en quelque sorte une extension de la Suite. Bach l’aurait-il désavouée ? Quoi qu’il en soit, dans ce va-et-vient chronologique, Estelle Revaz passe avec une grande aisance de l’esthétique baroque à l’esthétique contemporaine, et navigue remarquablement entre tradition et modernité : jeune artiste et vraie « amie de Bach », déjà au sommet de son art.
Édith Weber
Un très bel album consacré en totalité à la musique de Girolamo Frescobaldi (1583-1643) dont le charme, la fraîcheur, l’élégance et la délicatesse sont ici exaltés par le jeu lumineux et virtuose de Yoann Moulin, qu’il s’agisse du clavecin italien Philippe Humeau de 2012, ou du virginal de Jean-François Brun, copie d’un instrument italien anonyme datant de 1626. Un programme cher à tous les clavecinistes comprenant Il primo (1615) et Il secondo (1627-1637) libro di Toccate ainsi que Recercari e Canzoni franzese (1615) qui permet de juger de toute la richesse et de toute la diversité des compositions du maître italien qui, célébré dans toute l’Italie comme maitre du clavier, fut notamment titulaire de l’orgue de la basilique Saint-Pierre de Rome. Pour son premier album solo Yoann Moulin réussit, ici, un coup de maitre. Un disque qui ravira, à n’en pas douter, tous les amateurs du genre.
Patrice Imbaud
Un disque d’une particulière force expressive que cette Passio Secundum Johannem, probablement composée par Alessandro Scarlatti en 1685 à Naples, où le drame se joue tant par la voix (déclamation et le contraste des tessitures) que par le jeu des instruments entretenant le pathos. Pour cet enregistrement Leonardo García Alarcón a intercalé, avec pertinence entre les différents numéros de cette Passion, des Responsori per la Settimana Santa du même Scarlatti, sous forme de méditations du Chœur, dont l’analogie stylistique frappante avec la Passion, témoigne de la contemporanéité des deux œuvres. Un disque parfaitement maitrisé au plan musical, tant vocalement (Giuseppina Bridelli dans le rôle de l’Evangéliste, Salvo Vitale dans celui du Christ, ainsi que le Chœur de Namur sont, ici, remarquables) qu’instrumentalement. Une interprétation ardente et sobre, une belle prise de son et un livret didactique ajoutent au succès de cet album. Que demander de mieux ?
Patrice Imbaud
Comme le titre de cet album ne l’indique pas, le programme de cet enregistrement comprend en fait les deux quintettes pour clarinette et quatuor à cordes de Mozart (K. 581) et de Weber (Op. 34). Deux pièces majeures et incontournables du répertoire de tout clarinettiste. Pièces célèbres, certes, dont les versions de référence ne manquent pas, c’est dire le niveau d’excellence qu’un tel enregistrement présuppose…Pari audacieux mais pari parfaitement réussi pour le clarinettiste français Pierre Génisson associé pour l’occasion au Quartet 212 composé de solistes du Metropolitan Opera de New York. Si le premier album de Pierre Genisson en compagnie de David Bismuth au piano (« Made in France ») avait recueilli tous les suffrages dans le répertoire français (Debussy, Chausson, Saint-Saëns, Poulenc, Massenet), il ne fait pas de doute que celui-ci récoltera les mêmes louanges tant la profondeur et la finesse de l’interprétation le dispute à la virtuosité et à la facilité technique. Il n’est pas nécessaire de rappeler, ici, les liens familiaux unissant les deux compositeurs avec toutefois une génération de décalage, l’un appartenant à la fin de l’époque classique, l’autre au début du Romantisme. Deux compositions bien différentes, profonde, pure, lumineuse et intime pour Mozart, sans doute plus théâtrale, exubérante, brillante et virtuose pour Weber, mais une même qualité superlative d’interprétation où la rondeur de la sonorité de la clarinette, la netteté et la souplesse du phrasé, le sublime du legato répond à la brillance et à la douceur des cordes dans un dialogue d’une émouvante splendeur. Un album qui ne tardera pas à s’imposer comme une nouvelle référence. Bravo !
Patrice Imbaud
Un disque superbe du clarinettiste français Patrick Messina, associé au pianiste Fabrizio Chiovetta et pour quelques pièces à l’altiste Pierre Lenert. Un enregistrement qui reprend tous les incontournables du répertoire schumannien pour la clarinette (Drei Romanzen op. 94, Fantasiestücke op. 73, Marchenerzählungen op. 132) auxquels s’ajoutent des pièces moins connues comme les Drei Romanzen op. 22 composées par Clara et dédiées au violoniste Joseph Joachim, ainsi que trois pièces résultant de transcriptions à partir des Pièces à quatre mains pour petits et grands enfants (Trauer op. 86 n° 6 et Abenlied op. 85 n° 12) ou encore de Lied comme In der Nacht op. 74 n° 4. Un CD magnifique où la prouesse technique (rondeur de la sonorité, legato, souplesse de la ligne, complicité et équilibre) le dispute à la qualité superlative de l’interprétation capable de rendre toutes les facettes de la personnalité complexe de Robert Schumann. Les Trois Romances de l’opus 94, datant de 1849, offertes en cadeau de Noël à Clara figurent les temps heureux dans un climat toutefois teinté de mélancolie, de candeur enfantine et d’élan romantique, ce clair obscur caractéristique à travers lequel semble filtrer une indicible inquiétude qu’on retrouvera par instants dans les Fantasiestücke, plus véhémentes et lyriques, incisives, et riches en couleurs. Les Märchenerzählungen, plus tardives (1853), paraissent à l’évidence plus tourmentées, féeriques voire hallucinatoires, l’anxiété du compositeur s’y affirme face aux prémisses de la maladie qui l’emportera trois ans pus tard. En contraste, les Trois Romances op. 22 dues à Clara semblent plus lumineuses et sereines. Un disque remarquable qui s’achève sur In der Nacht, Lied crépusculaire comme un adieu à la vive clarté du jour pour un retour à la douceur de la nuit, nuit d’amour si chère au Romantisme allemand. Indispensable !
Patrice Imbaud
Après le succès de son premier album (« Russian Impulse ») la jeune pianiste Fanny Azzuro nous présente, ici, son second opus discographique sous le titre un peu abscons « 1905 Impressions ». Un titre mystérieux sous lequel se cachent bien des merveilles et un programme d’une belle cohérence associant Ravel, Debussy et Albéniz pour des œuvres toutes contemporaines, datant de 1905, marquant un début de siècle riche en bouleversements artistiques, et notamment musicaux, où les compositeurs suggèrent un foisonnement d’images et de correspondances entre musique et peinture sans pour autant faire allégeance au pouvoir de la représentation (Impressionnisme). Miroirs (Noctuelles, Oiseaux tristes, Une barque sur l’océan, Alborada del gracioso et La Vallée des cloches) de Maurice Ravel nous fait pénétrer sur le versant caché de la vraie médaille et nous donne à saisir l’insaisissable. Cinq pièces où Ravel déploie toute son originalité, expression de l’âme, peinture d’atmosphère faite de fluidité, de rêve, de tristesse, de balancement, mais aussi d’humour, de tragique ou de sérénité. Le premier livre d’Images de Claude Debussy (Reflets dans l’eau, Hommage à Rameau, Mouvement) s’appuie, quant à lui, sur le contraste, la contemplation, le mystère et la féérie. Iberia (troisième cahier) d’Isaac Albéniz comprenant El Albaicin, El Polo et Lavapiès mêle avec un rare bonheur l’évocation, fascinante à l’époque, du folklore espagnol aux influences de la musique française dans un syncrétisme très bariolé et dynamique. Fanny Azzuro nous donne à entendre dans la variété de ces pièces toutes les facettes de son talent fait de clarté, de fluidité mais surtout d’une ineffable poésie. Un album remarquable et une jeune pianiste à suivre…Indispensable !
Patrice Imbaud
Voici un disque qui présente nombre d’œuvres de musique de chambre, à l’exception du quatuor à cordes Ainsi la nuit, composées par Henri Dutilleux (1916-2013) tout au long de sa période créatrice étendue sur plus de soixante ans, de 1942 à 2010. Ne boudons pas notre plaisir à l’écoute de ces quelques œuvres de jeunesse, quatre pièces (Sarabande et cortège pour basson et piano, Sonatine pour flûte et piano, Sonate pour hautbois et piano, Choral, cadence et fugato pour trombone et piano) que le compositeur renia par la suite au point de demander qu’on les retirât de son catalogue car ne correspondant pas véritablement à « sa » musique. Des pièces de concours, certes, empreintes d’une indéniable fraicheur et interprétées ici par des musiciens prestigieux comme Nora Cismondi (hautbois), Emmanuel Curt (percussions), Alexis Descharmes (violoncelle), Mathieu Dupouy (clavecin), Fany Maselli (basson), Magali Mosnier (flûte), Jonathan Reith (trombone), Axel Salles (contrebasse) et Sébastien Vichard (piano). S’y ajoutent des compositions plus tardives, non apocryphes celles-là, comme les Trois Strophes sur le nom de Sacher pour violoncelle solo et Les Citations, dyptique pour hautbois, clavecin, contrebasse et percussions qui nous permettent de retrouver le Dutilleux bien connu. Si ces œuvres du « Dutilleux avant Dutilleux » écrites entre 1942 et 1950, résultant de commandes du conservatoire, correspondent bien à une sorte d’apprentissage où se lisent les influences de Fauré, Ravel ou encore Poulenc, les pièces de la maturité, Trois Strophes sur le nom de Sacher furent écrites initialement (1e strophe) en 1976 pour le 70e anniversaire du chef d’orchestre suisse Paul Sacher, grand ami de Dutilleux, secondairement complétées (2e et 3e strophes) et créées dans leur forme définitive en 1982 par le dédicataire. Les Citations, quant à elles (For Aldeburgh 85 et Interlude-II. From Janequin to Jehan Alain), sont une sorte d’hommage rendu au ténor Peter Pears pour son 75e anniversaire ainsi qu’un regard tourné vers le passé faisant référence à la mort héroïque de l’organiste et compositeur Jehan Alain en 1940, composé sur un thème du compositeur du XVIe siècle Clément Janequin. Un disque qui vaut par la grande qualité de ses exécutants, assez anecdotique dans la fabuleuse carrière d’Henri Dutilleux dont les œuvres majeures furent essentiellement composées pour l’orchestre.
Patrice Imbaud
Philippe Jaroussky réalise un rêve : créer un mini opéra imaginaire centré sur l'histoire d'Orfeo, en empruntant à trois compositeurs qui l'ont célébrée, chacun dans leur œuvre éponyme, à des périodes différentes du Seicento : Claudio Monteverdi (Mantoue, 1607), Luigi Rossi (Paris, 1647) et Antonio Sartorio (Venise, 1672). « Une cantate à deux voix et chœur, recentrée sur les seuls personnages d'Orphée et d'Eurydice », précise le chanteur. Pour un concentré dramatique de la trame bien connue, et alors que chacun des trois compositeurs, avec son style propre, met plus spécifiquement l'accent sur un moment différent de celle-ci. Les enchainements imaginés ici se révèlent particulièrement judicieux dramatiquement et musicalement. On passe sans solution de continuité, mais dans le souci du déroulement de l'histoire bien connue d'Orphée, de l'un à l'autre au fil de solos, duos ou interventions du chœur. Surtout il est fascinant de constater l'évolution du langage musical et l'importance des changements stylistiques entre ces trois musiciens du XVII ème siècle italien : Monteverdi qui réalise à l'opéra une synthèse poético-dramatique parfaite à partir de la composante pastorale et apporte un faste instrumental jusqu'alors inconnu ; Rossi qui introduit le mélange des registres dont l'élément comique, et nous fait entrer déjà dans l'univers baroque, de par la richesse des arias ; enfin Sartorio, le « moderne », chez qui la déclamation est plus proche de l'aria telle qu'on va la connaitre bientôt à l'opéra, le récitatif expressif et le chant plus incarné aussi, presque théâtral. Rarement aura-ton mieux perçu le passage entre la Renaissance finissante et l'avènement de l'ère baroque.
Deux voix d'exception se partagent ce magnifique programme : Emöke Barath, soprano d'une grande pureté sans être désincarnée, pour donner vie à la séduction du langage de Rossi, par exemple dans l'aria « Mio ben, teco il tormento », ou de celui de Sartorio (« Orfeo tu dormi »). Philippe Jaroussky bien sûr, champion de cette déclamation ornée dans « Lagrime, dove sete ? » (Rossi) ou « Possente spirto » de Monteverdi, une des pages les plus sublimes de L'Orfeo, qui, chantée ici en voix de contre ténor, prend une tournure encore plus déchirante dans cette élocution presque magique avec ses ritornellos envoûtants en écho. Et quelle diction délicate dans ce parfait exemple du recitar cantando, ses appogiatures d'une douceur infinie, sans affectation. Ce programme doit beaucoup aussi à la direction inspirée de Diego Fasolis, tout à tour enlevée, d'un allant presque physique, ou d'un lyrisme suave. Ses musiciens de I Barocchisti sont magistraux comme les chœurs de la Radiotélévision suisse.
Jean-Pierre Robert
La pratique du concerto chez Telemann (1681-1767) s'avère d'une extrême richesse dans sa variété, procédant sans doute de bien des influences italiennes, de Corelli, de Torelli et bien sûr de Vivaldi, mais aussi des français dont il admirait la manière calquée sur la danse. Les œuvres enregistrées sur le présent disque se situent entre les années 1710 et 1720. Outre la diversité des instruments solistes choisis et leurs combinaisons pour le moins originales souvent, on est frappé par l'inventivité sans fin de la thématique. Il s'agit de pièces démonstratives pour les solistes réunis et visant à mêler des atmosphères différentes, comme l'intimisme lié à la musique de chambre et l'opulence de ce qui était destiné à des exécutions publiques, le cas échéant à l'extérieur même de toute salle de concert. D'où la singularité de pièces dont l'effectif instrumental est distribué de manière différentiée selon les mouvements. Ainsi du concerto TWV 54:D3 pour trois trompettes, timbales, deux hautbois, cordes et basse continue qui démarre dans son « Intrada-Grave », sur les fanfares des trompettes et timbales, puis s'alanguit au fil d'un largo où se distinguent les hautbois. Il en va de même du concerto TWV 53:h1 pour deux flûtes et calchedon (sorte de luth), bâti sur le schéma quadripartite lent-vif-lent-vif, et qui s'ouvre par un « Grave » adorné par les flûtes, et se poursuit par un vivace plus étoffé et ses agréables ritournelles. Un largo de caractère méditatif est au centre de plus d'une pièce, comme le concerto TWV 44:43 pour un concertino de trois hautbois et trois violons, ou le TWV 53:F1 pour mandoline, dulcimer, harpe double, extrait de la Tafelmusik II (Musique de table). Ici la sonorité acidulée de ces trois instruments ajoute quelque étrangeté à la mélodie. On citera encore le concerto TWV 54: D2 pour trois cors et violon, et son étonnant dialogue, au premier mouvement vivace, du Ier cor jouant dans le registre aigu et du violon. Là encore on passe de l'intimisme de la section centrale « Grave », au plus démonstratif des mouvements extrêmes comme le finale paré de sonorités dignes d'une scène de chasse. Toutes ces œuvres sont défendues avec brio et finesse par l'Akamus, formation berlinoise qui n'est plus à présenter.
Jean-Pierre Robert
Poursuivant l'exploration de territoires peu labourés, Les Vents Français abordent des pièces de Beethoven rarement jouées. Elle appartiennent aux années de jeunesse, partagées entre Bonn et Vienne, alors que le compositeur était influencé par la musique d'harmonie si en vogue à l'époque. Il bénéficiait des conseils de Joseph Haydn et était impressionné par la virtuosité de musiciens tels le clarinettiste Anton Stadler, le corniste Jan Vaclav Stich, dit Giovanni Punto, ou encore les hautboïstes Johann, Franz et Philipp Teimer. Le Trio WoO 37 pour piano, flûte et basson remonte à 1786 – Beethoven a seize ans -, mais publié op. posthume, voit le clavier mener la danse quoique l'écriture pour les deux bois soit habile, en particulier le joyeux babil de la flûte dans l'allegro initial. Au fil d'un adagio mélancolique, flûte et basson se partagent la mélodie tandis que le piano renforce ce dialogue original. Le finale, enchainé après une belle pirouette de la flûte, offre la première série de variations composées par Beethoven ; un thème clair ouvre la voie à sept variations mettant en valeur l'un ou l'autre des trois partenaires avant qu'ils ne s'unissent dans la dernière pour une fin en apothéose. Le Trio op. 87, de 1795, originellement pour deux hautbois et cor anglais, joué ici dans la transcription de John P. Newhill pour hautbois, clarinette et basson, montre une inédite et séduisante association des trois timbres ; en particulier au long du bel adagio cantabile et du Menuetto, plus scherzo que menuet d'ailleurs, vraiment pétillant, tandis qu'un alerte presto conclut ce qui demeure un merveilleux divertissement. La Sonate op. 17 pour piano et cor, créée en 1800 par l'auteur et Giovanni Punto, pour qui elle avait été écrite, exploite la technique éprouvée du fameux corniste, notamment dans le registre grave. C'est particulièrement significatif aux premier et dernier mouvement. Mais la partie de piano n'est pas moins magistrale. Au milieu, un bref et poignant poco adagio nimbe la pièce d'un instant de grâce. Enfin, les Variations WoO 28, sur « Là ci darem la mano », le duo Zerlina-Don Giovanni de l'opéra de Mozart, conçues pour trois hautbois, et seulement publiées en 1914, sont ici jouées dans un arrangement de Fritz Stein pour hautbois, clarinette et basson. Ce qui leur donne une tonalité haute en couleurs. Si le thème est lent, les huit variations sont plutôt sur le versant vif, sauf la cinquième. Elles sont d'une belle fraicheur dans cet arrangement et surtout au regard de la présente interprétation. C'est qu'ici, comme dans toutes les autres pièces du programme, Les Vents Français montrent une élégance vraiment gallique, une finesse et une musicalité transcendant toute virtuosité. Comme ils le dispensent chaque été au Festival de l'Empéri. Rafraichissant!
Jean-Pierre Robert
Le genre du piano à quatre mains émaille la production schubertienne depuis 1810, avec une première Fantaisie, jusqu'à 1828, année où vont éclore plusieurs pièces majeures. Jouer de la sorte – et Schubert lui-même y excellait - passait à l'époque pour une des meilleures manières de savourer le temps de la compagnie entre amis et plus encore la communion dans la musique. Andreas Staier et Alexander Melnikov se sont concentrés sur les pièces tardives. Et d'abord la Fantasie op. 103, D. 940 en fa mineur. Son thème initial inquiet, fragile, distille une infinie tristesse. Il reviendra en boucle au fil d'une pièce que caractérise son architecture libre : un seul et vaste mouvement divisé en quatre sections ; en fait, une sorte d'impromptu. Ses climats différents traduisent le parcours d'un ''Wanderer'' solitaire et nostalgique. D'après ses amis, Schubert rend hommage à celle qui restera son « amour idéal », sa jeune élève la comtesse Caroline Esterhàzy. Le moment le plus étonnant reste la troisième partie, allegro vivace, sorte de scherzo engageant, plein de verve, et son trio marqué « con delicatezza », L'œuvre s'achève par un vaste développement fugué à l'ampleur presque orchestrale, jusqu'à ce silence qui précède le retour du thème d'une douloureuse résolution et de son mystère insondable. Le Rondo D. 951, la dernière pièce à quatre mains du musicien, combine deux thèmes assez proches l'un de l'autre au long d'un allegretto quasi andantino. Là encore une thématique aisée, combien expressive, distingue un morceau aussi solidement construit qu'inventif. Le registre aigu est particulièrement ouvragé et la richesse du discours rappelle les grandes sonates contemporaines. Les Variations sur un thème original D. 813 (1824) tricotent et détricotent un thème allegretto en forme de marche. La dernière quasi héroïque se termine en feu d'artifice. On peut encore entendre Quatre Ländler D.814, destinés eux aussi à la comtesse Esterhàzy, et deux marches : la « Marche Caractéristique » D. 886 qui s'apparente à un scherzo endiablé à 6/8, contrebalancé par une section médiane plus calme, magnifiée par la présente exécution ébouriffante avec bruitage de l'instrument, et la « Grande Marche » op 40 N° 3, D. 819 qui offre une rythmique inhabituelle, avec force répétition et amplification sonore. Ou encore la Polonaise D. 824, de 1826. Andreas Staier et Alexander Melnikov, qui jouent un pianoforte Graf au son étonnement clair et doté de graves bien définis, interprètent ces musiques attachantes avec la ferveur complice d'une solide amitié artistique.
Jean-Pierre Robert
Serge Rachmaninov était un pianiste virtuose. Cela se ressent dans son écriture. Ses trois concertos pour piano agissent tel un aimant tant vis à vis des interprètes que du public. Il était immanquable que la fougueuse Khatia Buniatishvili se lance dans l'aventure. Là où on s'attendait à des débordements, il semble bien que la dame se soit assagie. Le Deuxième concerto op. 18 que Rachmaninov complète en 1901, après une longue crise dépressive, reste sans doute le plus joué et aimé du public. On en a aussi utilisé servilement bien des thèmes au cinéma et ailleurs, celui de l'adagio en particulier. C'est le prototype du grand concerto romantique finissant. Le premier mouvement découvre un monde onirique depuis ses sombres grands accords détachés du piano crescendo introduisant quelque tourbillon sonore, pour un concentré de tension dramatique et de lyrisme presque voluptueux. À l'opulence orchestrale fait écho la virtuosité tellurique du clavier. Buniatishvili et Järvi jouent les changements de climat extrêmes et l'on perçoit une volonté commune de ne pas « faire trop virtuose ». De même la rêverie qu'est l'adagio sostenuto avec son thème mémorable initié à la flûte est justement hors de tout sentimentalisme. Si le développement offre des bouffées d'adrénaline, Buniatishvili tresse la fameuse mélodie nostalgique sans verser dans la sollicitation, aidée là encore par les somptueuses couleurs que Järvi tire de son orchestre tchèque. L'allegro scherzando final, qui vient apporter sa nouvelle touche thématique, procure une joie sauvage dans l'enchainement de ses rythmes précipités ou capiteux. Ici aussi la pianiste montre qu'elle sait se tenir à distance de toute tentation d'en faire trop.
Le Troisième concerto pour piano op. 30 (1909), le plus développé, est aussi sans doute le plus symphonique, piano et orchestre jouant comme partenaires sur pied d'égalité. Un large réseau thématique récurrent parcourt l'œuvre. Dans la présente exécution, l'allegro ma non tanto est entamé aisé et sa fluidité lui confère une légèreté quasi fantomatique. Le thème dansant est pris intimiste et le jeu de Buniatishvili est aérien sans sacrifier à l'abattage nécessaire dans la cascade d'accords vertigineux forte qui suit. La longue cadence est pleine de panache. L'intermezzo introduit un climat mélancolique chanté par les cordes. D'une partie soliste très contrastée émerge une rêverie agitée. L'attaca du finale est grandiose, là où tout se libère : Khatia Buniatishvili se lâche dans un tempo soutenu. Finalement, la partie soliste s'avère dense et s'impose dans cette œuvre par ailleurs si symphonique. La coda sera fulgurante avec ses traits haletants. La conclusion solennelle emporte tout, le piano surnageant parce que percussif. Belle prise de son au Rudolfinum de Prague, proche et équilibrée piano-orchestre, même si on aurait souhaité plus de corps sur les cordes lorsqu'à pleine puissance.
Jean-Pierre Robert
Le programme de ce disque, concocté par Gidon Kremer, est centré sur le Deuxième Trio élégiaque op. 9 de Rachmaninov (1894). Sous-titré « A la mémoire d'un grand artiste », l'œuvre est née de l'immense admiration du compositeur pour son aîné Tchaïkovski et de l'émotion intense causée par sa disparition en 1893. La partie de piano, traitée avec égards, est toujours mise en avant. Une grande tristesse baigne l'œuvre au fil de ses trois mouvements. Ainsi de la plainte abyssale qui ouvre le moderato, qui va crescendo, violon et violoncelle s'épanchant à l'unisson sur un lamento du piano. Rapidement vient une section plus animée, allegro vivace, où la ton de confession se fait plus tendu, conduisant à un flot virtuose. Mais la coda reviendra à un tempo plus serein, comme l'expression d'une douleur insondable exprimée aux deux cordes de nouveau à l'unisson. Le « Quasi variazione », qui n'est pas sans rappeler le mouvement identique du Trio avec piano de Tchaïkovski, est basé sur un thème que Rachmaninov a emprunté à son poème symphonique « Le Rocher », et énoncé par le piano. Suivent huit variations, chacune traitée de manière originale dans des univers sonores très différents, intensément lyrique (var. n° 1), d'un beau spleen ( n° 7), résigné dans une manière de requiem (var. 8), ou à l'inverse, tout en lumière, presque primesautier en pareil contexte (Var. 3). Le finale allegro risoluto, entamé par un piano déclamatoire rejoint par les cordes tentant de tempérer pareille ardeur, prend l'allure d'une lutte entre souvenir glorieux et plainte amère. Le pianiste Daniil Trifonov est ici impérial et nous fait ressentir les fortes sensations. Œuvre de jeunesse, le Trio élégiaque N° 1 (1892) affirme déjà la patte de Rachmaninov. En un seul mouvement, « Lento lugubre », il offre une partie de piano très développée au milieu de la gangue frémissante des cordes, et une thématique triste et tendre, typique du compositeur. Le tempo se fait peu à peu plus pressant et le clavier plus exubérant quoique sans atteindre la proéminence qu'il aura dans le trio postérieur op. 9. « Preghiera » est le titre de l'arrangement par Fritz Kreisler de l'adagio du Deuxième concerto pour piano de Rachmaninov, un thème fameux s'il en est, et un bis qu'affectionnait le célèbre violoniste. Kremer et Tifonov sont magistraux. Dans les deux trios, avec à leurs côtés la celliste Giedré Dirvanauskaité, ils ont l'humilité de ne pas privilégier des exécutions virtuoses et de s'en tenir au vrai ton de la musique de chambre. Car, comme l'observe finement Gidon Kremer, « lorsque le brio joue un rôle bien plus grand que le message de la musique, cela menace de nous étouffer ».
Grâce aux efforts de la Fondation Bru Zane, Fernand de La Tombelle (1854-1928) sort de l'ombre, du moins pour ce qui est de ses mélodies. Ce compositeur prolifique et atypique, ami de Théodore Dubois et de Camille Saint-Saëns, qui fut aussi poète, chroniqueur, photographe et peintre, s'est, entre autres, illustré dans le répertoire chambriste et a écrit de nombreuses mélodies tout au long de sa carrière, dont le cycle « Pages d'amour » en 1912. Si elles furent essentiellement chantées dans les salons musicaux de l'époque, dont celui de son épouse, femme de lettres, en son hôtel particulier à Paris et dans sa propriété à Fayrac en Périgord, elles n'en demeurent pas moins de parfaites illustrations d'un style musical romantique français tardif qui tient sa place parmi ses contemporains. De La Tombelle se tint en effet à distance à la fois du wagnérisme envahissant ambiant et de la modernité assumée d'un Debussy, revendiquant farouchement son indépendance. Puisant chez Victor Hugo (« Hier au soir »), Lamartine (« Ischia »), Théophile Gautier (« Les Papillons », « Promenade nocturne ») ou encore Beaumarchais (« Couplets de Chérubin »), il s'adresse aussi à des auteurs de son époque, quelque peu oubliés aujourd'hui, tels La Boétie (« Sonnet ») ou André Theuriet (« Ballade »). Les thématiques abordées sont bien sûr l'amour, courtois (« Croyez-moi », « Sans toi », « La Pernette », comme une vieille chanson sur un rythme bien scandé), héroïque (« Cavalier mongol », aux effluves légèrement orientalisants), ou encore enflammé (« Veux-tu les chansons de la plaine ? »), voire nostalgique (« Souvenir »). Mais aussi des sujets plus naturalistes (« Ha ! les bœufs », là où la déclamation se fait un brin pompeuse). On citera aussi l'étonnant hommage « Chant-Prière pour les morts de France »), d'une réelle élévation de pensée.
Ces œuvres témoignent d'une partie pianistique originale, avec des débuts plutôt calmes et un discours s'animant peu à peu. On y trouve le schéma refrain-strophes ou encore des poèmes avec envoi final (« Sans toi », « Pourquoi »). L'écriture vocale qui se situe dans le sillage de Massenet, ne présente pas de difficulté particulière quoique l'ambitus soit parfois large et sollicite le haut du registre du baryton. Comme dans les précédents volumes de la série consacrée à la mélodie française chez Aparté (Félicien David, Édouard Lalo, Benjamin Godard, Camille Saint-Saëns), le baryton grec Tassis Christoyannis se révèle un idéal passeur. Il adorne ces pièces de son beau timbre clair à la fois d'une grande douceur et aux généreuses inflexions, et d'une diction accomplie. Le pianiste Jeff Cohen est un partenaire attentionné et imaginatif.
Jean-Pierre Robert
La relation artistique, fondée sur une mutuelle amitié, entre Pierre Boulez et Daniel Barenboim restera l'une des plus fructueuses de la fin du XX ème siècle et du début du XXI ème. Leur première rencontre se situe à Berlin en 1964, dans la toute nouvelle Philharmonie, alors que le jeune pianiste irsaélien interprète le 1er concerto de Bartók sous la direction du maitre français qui lui-même fait ses premiers pas à la direction d'orchestre. Depuis lors combien de projets en commun, par exemple lorsque Barenboim, alors directeur musical de l'Orchestre de Paris, passe commande à Boulez de « Notations pour orchestre », puis à Chicago, Salzbourg... Jusqu'à cette collaboration avec le West-Eastern Divan Orchestra, l'orchestre israélo-palestinien fondé par Barenboim et Edward Said, que le chef français dirigera à plusieurs reprises à partir de 2007. Ultime hommage : la construction, à Berlin, de la « Pierre Boulez Saal », la salle modulable au cadre intime dont rêvait Boulez pour Paris, et inaugurée en mars dernier. Une salle en ellipse sur les plans de l'architecte Frank Gehry, située sur la Französischestrasse... à deux pas du Theater unter den Linden. Le présent album résume les fruits de cette amitié musicale hors norme, au fil de six œuvres de Boulez, ici dirigées par Barenboim (à l'exception du Marteau sans maître, conduit par l'auteur), à la tête de son orchestre du WEDO, et captées live aux Festtage Berlin de 2010 et aux Proms de Londres en 2012. Barenboim et Boulez, l'histoire continue donc.
DR
De la chanson à la musique à l’image, ce musicien n’a pas cessé de composer. Entre deux notes, nous l’avons rencontré un jour du mois d’avril dans son studio juste avant la sortie de « Jour J », un film de Reem Kherici avec Reem Kherici, Nicolas Duvauchelle, Sylvie Testu ; une bonne comédie bien déjantée.
La musique à l’image ce n’était pas votre truc à l’origine ?
Non. C’est vrai j’ai commencé par la chanson, j’avais un groupe de musique avec ma sœur et celle qui est devenue ma femme. On faisait de la variété française. Un jeune homme à l’époque, qui est devenu un ami, écrivait les paroles des chansons. Cet ami réalisait des courts-métrages et j’écrivais la musique de ses films. Donc à la scène c’était un trio et en coulisse un quatuor.
Jouiez-vous d’un instrument ?
De la guitare et du piano.
Avez-vous commencé jeune ?
J’avais 14, 15 ans quand j’ai écrit ma première chanson. J’en avais 20 pour le groupe.
Et comment s’appelait-elle ?
« Without You ! »
Et vos influences ?
C’était entre Morricone et Michel Berger ! Et puis Elton John, Supertramp, Pink Floyd…
Si à 14 ans vous écriviez des chansons, c’est que vous aviez envie d’entrer dans ce monde…vous casser la voix !
Je n’étais pas fan de ce chanteur, ma sœur oui…Dans les fêtes j’étais celui qui se mettait au piano…
C’était pour draguer les filles !
C’est clair et ça marchait bien…(rires) ! Oui il y a eu un truc dans le fait d’écrire des chansons, qui est venu assez rapidement, avec des amis, des rencontres. J’ai passé beaucoup de temps à chanter Elton John, Berger, entre 15 et 20 ans. L’idée du groupe est venue de ces influences.
Et comment s’appelait-il ?
Atma ! L’album est toujours sur internet. C’était un album de jeunesse, qui a beaucoup de défauts. Mais à l’époque c’était très bien. Rapidement le parolier est passé du court au long. Il avait décidé de faire du cinéma peu de temps avant notre rencontre…
Alors parlez-moi de ce réalisateur...
Au départ je voulais faire de la mise en scène et de la réalisation. J’étais en fac de cinéma à la Sorbonne. J’ai fait une licence, puis des stages, de la photo. Et un jour, j’entends parler d’un poste d’assistant à la mise en scène. Je rencontre le metteur en scène et l’auteur qui était Ivan Calbérac !
D’où ce couple infernal du cinéma français : Aknin-Calbérac
Notre collaboration a commencé comme cela ! Il a écrit les paroles du trio, j’ai fait les musiques de ses courts, et depuis « Irène », je le suis sur toutes ses aventures cinématographiques !
https://www.youtube.com/watch?v=gWXUmIlUFVI
Vous en êtes à combien de films ?
Entre les téléfilms et les films on doit bien être à plus d’une dizaine de productions !
Lorsqu’on est en couple, il doit y avoir des hauts et des bas ? Comment fonctionnez-vous ?
Il n’y a jamais eu de hauts et de bas. C’est dans la continuité, dans le mouvement, qu’on a collaboré. A chaque fois qu’il partait sur une nouvelle aventure, j’y rentrais très rapidement, dès les premières moutures. J’étais donc très en amont. Pour certains films, comme « Irène », ou « L'Étudiante et Monsieur Henri », il fallait écrire des musiques, des thèmes, joués par le personnage du film, ce qui nous aidait à définir les contours musicaux, les couleurs. Et à l’écriture du score à l’image, on avait ainsi une ligne directrice. Connaissant bien Ivan, ses goûts, j’ai eu moins de difficulté à traduire ses sentiments. Lorsqu’il me parle de tristesse, de joie, je sais quelle teinte il désire. Aujourd’hui, avec d’autres réalisateurs, s’ils veulent une teinte bleue, il faut passer par plusieurs phases avant de la trouver. Avec Ivan, je ne dis pas que c’est toujours une autoroute ; néanmoins il y a une système de compréhension qui est plus fluide. Je viens de terminer un film (« Jour J ») avec une réalisatrice (Reem Kherici) pour qui j’avais composé pour son premier film (« Paris à Tout Pris »). Il a fallu trouver nos marques, qu’on se découvre. Sur le deuxième il y a eu plus de facilité pour communiquer. La musique, ce n’est que la traduction d’émotions, de sentiments, et pour bien les traduire il faut bien comprendre le réalisateur.
https://www.youtube.com/watch?v=4G6cSf_i84o
Votre ami Ivan a une grande sensibilité. Vos musiques sont très sentimentales. Il y a toujours un joli thème : « Irène » et ce thème au piano, « L’Etudiante » aussi. Les musiques doivent être assez simples pour être interprétées par les actrices. Vous ne pouviez pas vous permettre d’écrire du Prokofiev !
Non, on a essayé de faire quelque chose qui soit mélodieux et un petit peu technique car elles sont censées jouer du piano. Le but était de ne pas noyer le spectateur dans des musiques trop compliquées, là où, nous musiciens, on se fait plaisir. Si les orchestrations sont quelquefois complexes, le thème doit être simple et je m’attache à cela dans la musique. Avec Ivan on s’est bien rencontré, on a une sensibilité pour la musique à thèmes.
C’est souvent une musique très lyrique, romantique, avec thèmes et variations...
Jusqu’à présent oui…avec un peu de baroque sur « L’Etudiante » ; il y a un fil rouge, mais rien ne dit que pour son prochain film, il procédera de la même façon. Chaque film porte en soi une identité et une couleur et malgré les influences du réalisateur et du compositeur, on propose toujours de nouvelles choses. On ne s’appuie pas sur ce qui a fonctionné auparavant ! On se pose toujours la question lorsque l’on commence une collaboration.
https://www.youtube.com/watch?v=Bq6sBS5vkI8
Vous avez appris la guitare et le piano. Avez-vous pris des cours, êtes-vous passé par des conservatoires ?
Tout petit j’ai pris des cours de classique au piano chez une prof de conservatoire parce que l’on n’avait pas trouvé de place, entre six et onze ans. J’étais chez elle, avec les vieilles méthodes, ce n’était pas simple. Puis comme je saturais, mes parents m’ont proposé de changer et j’ai eu un professeur plus souple, avec qui j’ai continué à jouer du classique mais qui a aussi introduit un répertoire un peu plus moderne. Et c’est là où j’ai rencontré Elton John, les artistes qui se servaient du piano pour s’accompagner. Peut-être pas de grands pianistes mais des musiciens qui savaient se servir du piano pour le mettre au service de leur discours. C’est ce que je trouvais chez Berger, Supertramp. J’étais fasciné à l’époque par cette façon de jouer du piano. C’est ce qui m’a donné envie d’aller plus loin dans ce métier.
Pour les orchestrations, les arrangements, comment faites-vous ?
Je fais toujours une première phase, je la travaille avec les machines et les intuitions que j’ai des orchestrations, avec les cours d’harmonie que j’ai pu prendre. Comme je n’ai pas eu de formation totale, je continue de progresser d’un film à l’autre dans ce domaine et je travaille avec un orchestrateur qui m’aide, remet de l’ordre, ce qui me fait gagner du temps. C’est Nicolas Guiraud. Il travaille sur des films et sur des orchestrations pour des concerts comme pour la tournée d’Obispo. Il est percussionniste au départ et il est prix du conservatoire aux percus mais aussi prix d’harmonie et d’orchestration. C’est un mouton à cinq pattes, très calé au niveau rythmique et harmonique avec de très bonnes idées.
Vous avez aussi travaillé avec Philippe Lioret
Oui de manière assez éphémère, sur un projet « Les talents Cannes » que l’ADAMI avait mis en place. A l’époque, je faisais aussi beaucoup de dessins animés. Je continue et cela me plaît beaucoup. Je fais des séries de 13 minutes et il y a de la musique tout le temps.
Et là il faut être créatif !
Oui et en temps réel. On a peu de délais pour faire les épisodes et il y a un cahier des charges très précis pour la couleur et les thèmes à créer. On prend beaucoup de plaisir à articuler les personnages. Parfois c’est plus cartoonesque que d’autres, il faut souligner les chutes, faire des envolées. C’est un superbe exercice de travail à l’image. Je compose pour ce genre de film depuis le début de ma carrière.
Quelles sont les séries où on peut écouter votre travail ?
Il y a « Woofy », « L’apprenti Père Noël » qui repasse tous les ans.
https://www.youtube.com/watch?v=DuK86kk66lw
C’est une rente...
C’est agréable. Il y a aussi « Matt et les Monstres » qui est une création originale. La nouvelle série sur laquelle je travaille s’appelle « La Petite École d’Hélène » pour du préschool. C’est l’histoire d’une petite fille qui joue à la maîtresse avec ses jouets, lesquels prennent vie pour l’occasion. Il faut retrouver l’enfant que l’on était. Je trouve que cela complète bien mon travail cinématographique. Il faut aller à l’essentiel, trouver les bons thèmes et les jolies articulations ; alors que le cinéma fait appel à plus de réflexions.
https://www.youtube.com/watch?v=SSdQ96UpDlM
Le piano est-il votre moyen d’expression ?
Je l’utilise pour trouver ce que vont jouer les instruments. Il m’arrive aussi de faire les claviers et la guitare dans les enregistrements des musiques.
Vous avez aussi travaillé avec Boujenah...
J’ai fait aussi un Talent Cannes ADAMI avec lui. Ensuite on a travaillé ensemble sur « Trois Amis ». Il avait choisi son compositeur. Mais je lui avais proposé un thème en amont et il l’a gardé pour le générique de fin du film. On est ami et on aura sûrement bientôt une collaboration soit sur un de ses spectacles, soit sur un film.
Avez-vous travaillé pour des spectacles ?
Oui, et ma toute première musique était pour un spectacle de danse contemporaine. C’est un ami de la famille qui m’avait demandé si je pouvais lui composer trois thèmes au piano pour sa compagnie, c’est un très bon chorégraphe. A la fin il m’a tendu un chèque ; cela a été mon premier salaire ! J’ai failli l’encadrer tellement c’était surréaliste ! Et c’est ce qui m’a permis de croire qu’on pouvait gagner de l’argent en faisant de la musique. Je l’avais fait d’une manière totalement désintéressée. C’était un honneur pour moi de composer pour un spectacle. Ensuite j’ai fait de la musique pour du théâtre. Encore récemment pour Morgan Perez, j’ai composé pour la Pièce d’Anne Bourgeois « Le Plus Beau Jour », qui a été diffusée en direct à la télévision, sur F2, le soir des Molières. Et puis « L’Etudiante et Monsieur Henri » était une pièce avant d’être un film. On a fait une autre pièce avec Ivan qui s’appelle « Une Famille Modèle », et j’ai écrit la musique d’un One Man Show pour Michael Hirsch. Le spectacle fait partie des compositions que j’aime faire et c’est un exercice très intéressant.
Vous avez eu la chance que Ivan Calbérac fasse autant de films !
Oui c’est une super chance. C’est un énorme terrain de jeu qui m’a permis d’expérimenter plein de choses. On a écrit des chansons pour ses films, des chansons pour des boîtes de nuit, guitare, voix, des thèmes orchestraux. Il y a eu un champ des possibles très important, qui a été complété par des films que j’ai pu faire avec d’autres, notamment « Paris à Tout Pris », et « Jour J » avec Reem Kherici. Elle m’a beaucoup sollicité pour les chansons de ce film. C’est une comédie très à l’américaine, avec les codes de « Mary à Tout Prix », ou comme « Bridesmaids », il y a l’utilisation de chansons synchros mais aussi des chansons originales. L’écriture du score est dans la tradition anglo-saxonne. C’était un autre chalenge très intéressant…
Et là vous avez changé vos arrangements où il y a toujours ce petit piano très sentimental...
Il y est aussi, moins dans le thème que dans « L’Etudiante », plus dans l’accompagnement d’une scène. Il y a des scènes assez sentimentales, mais on est plus dans le style « Notting Hill » ou « Love Actually ». Les chansons sont plus pop et il y a des moments plus funky. C’est là sa façon de travailler, elle aime le mélange.
Êtes-vous catalogué dans le genre comédie sentimentale ?
J'espère que non. J’aimerais composer dans d’autres genres mais il y a toujours un encartage. Je suis quelqu’un de sentimental et de rigolo ; c’est ma personnalité, et ce n’est pas un hasard si je fais ce genre de film ; rien n’arrive par hasard !
Écrire pour des comédies sentimentales, ce n’est pas facile !
Oui car on n’écrit pas de la musique drôle, on fait de la musique sur des situations qu'il ne faut surtout pas paraphraser. J’ai fait dernièrement un film qui s’appelle « Baby Phone » d’Olivier Casas. C’est un huit clos avec des thèmes plus complexes, parce que les personnages se trouvent dans des situations pas simples à gérer entre eux. Il a fallu écrire une chanson qui a eu un bon succès à la sortie du film, et qui tient surtout parce que c’est le climax du film. Là aussi il a fallu travailler en amont sur le film, qu’on la conçoive et qu’on l’enregistre avant de passer sur le tournage du film. J’étais sur un terrain d’expérimentation très, très large et le dessin animé m’a beaucoup servi. Avec « Matt et les Monstres » j’étais dans des ambiances 60-70 et des instruments vintages, des riffs d’époque. Se replonger dans ce genre d’univers a été vraiment un super cadeau et avec les 52 épisodes j’ai eu le temps de m’y plonger ! Chaque projet appelle une nouvelle inspiration, il faut se remettre en question, rester très humble même sur ce que l’on a fait antérieurement. Il n’y a rien d’acquis dans ce métier, tout cela est en mouvement, et même s’il y a de l’expérience qui entre en jeu et qu’il y a des choses qui se bonifient, tout est à chaque fois une page blanche où il faut écrire les plus belles notes.
https://www.youtube.com/watch?v=6E85kzeohWw
Mais vous avez la chance d’avoir un agent. C’est aussi un plus !
C’est assez récemment que Mary Sabbah est mon agent. C’est après « L’Etudiante ». Car Mary supervisait la musique et cela s’est fait tout naturellement. J’ai eu plusieurs approches d’agents, mais ce n’était pas ce que je recherchais. Avec Mary et ses collaborateurs il y a un vrai échange, un vrai partage sur les films où je travaille, et cette équipe est très au fait de la musique et anticipe les questions.
Être à l’UCMF [Union des Compositeurs de Musiques de Films], qui défend vos droits, est-ce une bonne chose ?
Je n’y suis pas, mais il faut que je me penche sur la question car il y a des problèmes qui se posent sur la politique de la musique à l’image, des questions qui sont à la fois d’auteurs ou sur la considération de notre profession qui n’est pas reconnue dans la production aujourd’hui, soit en termes de budget, soit en termes de reconnaissance propre. En termes de récompense à Cannes, en premier lieu bien sûr. Même aux Césars elle est considérée comme un poste technique, même si ces postes sont importants. La musique, par définition et par essence, ne l’est pas. C’est un poste qui mélange la technique et l’artistique. De mon point de vue elle est très importante pour ce qui est de la création d’une œuvre cinématographique.
On ne vous donne pas toujours les moyens pour...
Souvent les budgets ne sont pas à la hauteur de ce qu’on nous demande de faire ! Il y a aussi une Omerta de la part des producteurs. Dès lors qu'ils ne reconnaissent pas la musique comme étant importante, arrivée en bout de chaîne, son budget est faible. Aux États-Unis il est plus élevé en proportion ! Lorsque l’on vous demande de faire une musique qui doit sonner comme Zimmer ou Graig Armstrong, avec des moyens comme s'il s'agissait d'un quatuor à cordes, il y a comme un problème ! Cela devient très compliqué. J’ai toujours eu de la chance, même si je sens que le chemin va de plus en plus vers une réduction des coûts. Il est assez rare qu’on vous dise : on a du budget, tu peux faire ce que tu veux !
Continuez-vous à écrire pour vous ?
Oui, j’essaye. Dès que j’ai un peu de temps je rentre dans ma créativité. Je pense que le secret de ce métier est qu’il faut être constamment en mouvement, ne jamais s’arrêter. La vie c’est le mouvement, la musique c’est le mouvement. Écrire pour soi, c’est écrire sans contrainte et être à son écoute le plus possible. Pour moi, il est fondamental de se poser cette question et de repasser par cette case là de temps en temps, quitte à ne pas exploiter ce qu’on a écrit. C’est comme un écrivain qui doit écrire quelques pages tous les jours, un peintre qui doit retourner sur sa toile tous les jours, ou un compositeur qui, quel que soit son instrument, a pour enjeu d’inventer des sons sans jugement. A force de libérer cette créativité, au moment où il faut la mettre au service d’une œuvre quelle qu’elle soit, il sera plus facile de l’exprimer. C’est ce que je ressens de mon expérience.
Les Prix UCMF ont été décernés le 20 Avril 2017, lors de la soirée annuelle présentée par Vincent Perrot.
Le nouveau Président est Eric Demarsan. Le jury était composé des journalistes : Vincent Perrot (RTL), Thierry Jousse (Radio France), Alex Jaffray (France Télévisions) et Isabelle Morini-Bosc (D8, RTL).
Ont été récompensés :
- Ennio Morricone, pour l’ensemble de sa carrière - Prix Hommage 2017
− Jacques Perrin et Bruno Coulais - Prix Spécial tandem
− Réalisateur/Compositeur : Philippe Rombi pour « Frantz » - Prix Cinéma 2017
Les autres nommés étaient : Bruno Coulais, pour « Les Saisons »
- Eric Neveux pour « Cézanne et moi » - Gabriel Yared pour « Chocolat »
− Jean Musy pour « Mon Frère bien-aimé » - Prix Audiovisuel 2017
Les autres nommés étaient : Grégoire Hetzel pour « Entre deux Mères « - Stéphane Moucha pour « Les petits Meurtres » d’Agatha Christie
- Rob pour « Le bureau des Légendes »
− Sophie Hunger pour « Ma Vie de courgette » - Prix Jeune Espoir
Les autres nommés étaient : Olivier Margerit pour « Diamant Noir »
- Marc Verdaguer pour « La Mort de Louis XIV », Zombie Zombie pour « Irréprochable »
- Vincent Courtois pour « Tantale » (fiction interactive)
- Prix Nouveaux médias
Les autres nommés étaient : Thomas Cappeau, Jean-Sébastien Vermalle, et Samuel Rehault pour « Tank » - Fabrice Mondor et Telematics pour « Vénération » - Arnaud Roy, pour « Endless Legend »
Concerts
Le 11 juin 2017 : AccorHotels Arena Paris, concert Hans Zimmer
Le 23 juin : Théâtre Antique de Vienne, concert Hans Zimmer
Le 24 juin : Arènes de Nîmes, concert Hans Zimmer
Stéphane Loison
L’auteur suit la carrière du compositeur depuis 35 ans. Il a tout vu, tout entendu et parle avec beaucoup de justesse du travail de cet immense compositeur aux 500 films et qui reste pour beaucoup l’auteur des musiques de Sergio Leone ! Par chapitres il analyse les films qui correspondent Le cinéma de genre (western, giallo, guerre, érotisme, religion..) Le cinéma de l’esprit (philosophie, romantisme, mélancolie, vengeance..) Derrière le cinéma (Rota ou Morricone ? Autour de Pasolini, opéra permanent, référence classique..), Jean-Blaise Collombin, dont c’est le premier ouvrage, montre a quel point, Morricone est un compositeur de musique dont la création artistique est une des plus fascinantes du monde contemporain et une source inépuisable d’analyses.
Stéphane Loison
Lui aussi, pour beaucoup, John Williams est seulement le compositeur de Star Wars, d’Indiana Jones, d’E.T, de Jaws, de Superman ! Mais depuis les années cinquante, il compose, du jazz, de la musique de concert, des musiques de films. Il était le dernier représentant d’un courant musical de l’âge d’or d’Hollywood. Mais des jeunes, malgré le succès de la musique électronique (moins coûteuse), ont repris le flambeau (bel article de Cécile Carayol sur « Exemple de symphonisme à la manière de John Williams dans le cinéma français contemporain »). Ce livre propose plusieurs textes d’auteurs : Stéphane Adballah, Olivier Desbrosses, Florent Groult, Stéphanie Personne, journalistes musicaux, Alan Silvestri, Mario Litwin, Jérôme Rossi, Erwann Kermovant, Bruno Coulais, Philippe Gonin, compositeurs, Michel Chion, Cécile Carayol, Alexandre Tylski, auteurs de livres sur la musique au cinéma. Cet ouvrage permet de mieux connaître, comprendre, ce grand compositeur de musique. Une musique que l’on commence à prendre au sérieux.
Stéphane Loison
Réalisation : Bill Condon.
Compositeur : Alan Menken paroles de Howard Ashman et Tim Rice
Walt Disney 050087362249
Alan Menken est un compositeur de nombreux dessins animés (« Pocahontas », « Bossu de Notre-Dame », « Hercule », ….). Au cours de sa carrière il a été nommé quinze fois aux Oscars et en a remporté huit ! Remarqué par Disney pour la musique de « La Petite Boutique des Horreurs » de Frank Oz en 1986, il rejoint les studios en 1987 pour composer la musique de « La Petite Sirène » avec le parolier Howard Ashman. Ils eurent l’oscar en 1992 pour la chanson “Under the Sea”. Ils travailleront ensemble sur « Aladdin » et « La Belle et la Bête ». Mais Ashman meurt du sida à 40 ans en 1991 avant de finir « La Belle et la Bête ». Menken travaillera alors avec Tim Rice, le parolier des comédies d’Andrew Lloyd Weber (« Evita », « Jésus Christ Super Star »). C'est grâce à la chanson du film « La Belle et la Bête » (The Beauty and the Beast), interprétée par Céline Dion, Peabo Bryson qu'ils remporteront l'Oscar de la meilleure chanson. C'était le premier Oscar du cinéma donné à titre posthume à une personnalité morte du sida.
Pour le film, Menken a réécrit quelques chansons et des musiques. Mais on retrouve celles du dessin animé. La mode chez Disney est de rendre « vivant » ses dessins animés ; on ne peut pas dire que les résultats sont satisfaisants. La trois D se sent tellement, on ne voit pas comment Bill Condon a pu travaillé sur tous ces fonds verts. Il aurait dû changer la fin car lorsque la bête se transforme en soi-disant prince, on se retrouve avec un bellâtre blond décoloré, d’un feuilleton cheap des années 70 ! Gaston a plus de gueule ! Pov’Belle, il va vite retrouver ses cornes son prince pas charmant ! Les compositions de Menken sont toujours aussi efficaces avec des arrangements plus lyriques. Le tube est ici chanté par Ariana Grande et John Legend. Disney propose deux CD avec la musique du film et les chansons. Celles-ci sont interprétées, et très bien, par les acteurs. Céline Dion chante « How does a moment last forever » avec beaucoup de conviction, comme toujours. Dans les bonus, on entend Menken chanter ses démos. Un double CD, en édition de luxe, pour les amoureux de la bête et pour les collectionneurs de musique de film.
https://www.youtube.com/watch?v=pLiiBCAYsZg&list=PL6Lccm4AnbnTsZHNCvt61WCX3mXBicARA
Stéphane Loison
Réalisateur : Mick Jackson
Compositeur : Howard Shore
Howe Records HWR 1022
Deborah Lipstadt, historienne et auteure reconnue, défend farouchement la mémoire de l’Holocauste. Elle se voit confrontée à un universitaire extrémiste, avocat de thèses controversées sur le régime nazi, David Irving, qui la met au défi de prouver l’existence de la Shoah. Sûr de son fait, Irving assigne en justice Lipstadt, qui se retrouve dans la situation aberrante de devoir prouver l’existence des chambres à gaz. Comment, en restant dans les limites du droit, faire face à un négationniste prêt à toutes les bassesses pour obtenir gain de cause, et l’empêcher de profiter de cette tribune pour propager ses théories nauséabondes ? Ce film « prétoire », comme aiment les anglo-saxons, se regarde et la musique d’Howard l’accompagne avec sérieux. Dire qu’elle nous enthousiasme, ce serait mentir. Howard Shore est un grand professionnel et a offert de superbes musiques. Le sujet ne lui laisse pas beaucoup d’espace pour qu’il puisse s’exprimer totalement. Il a fait le boulot. Dire qu’on s’extasie à l’écoute du CD serait mentir, mais ses compositions sont agréables à entendre.
https://www.youtube.com/watch?v=dflSSYf78aA&list=PLwi8kcD46XrJ5ETOjIUW50xqgGLOyxgVy
Stéphane Loison
Réalisateur : Grand Corps Malade et Mehdi Idir
Compositeur : Grand Corps Malade, Angelo Foley, …
Kallouche Cinéma 5745305
Se laver, s'habiller, marcher, jouer au basket, voici ce que Ben ne peut plus faire à son arrivée dans un centre de rééducation suite à un grave accident. Ses nouveaux amis sont tétras, paras, traumas crâniens.... Bref, toute la crème du handicap. Ensemble ils vont apprendre la patience. Ils vont résister, se vanner, s'engueuler, se séduire, mais surtout trouver l'énergie pour réapprendre à vivre. « Patients » est l'histoire d'une renaissance, d'un voyage chaotique fait de victoires et de défaites, de larmes et d’éclats de rire, mais surtout de rencontres : on ne guérit pas seul. Filmé avec beaucoup de pudeur, de tendresse et d'humilité, le premier long-métrage de Grand Corps Malade se regarde comme une leçon de vie. Ce film, comme par miracle, a échappé à tous les pièges : attendrissement, sentimentalisme, apitoiement. Tout, au contraire, y est épuré et rapide. Drôle, parfois — lorsque les handicapés se chambrent, en riant férocement de leur malheur. Cruel, aussi, parce que à vif. La BO est dans l’esprit de Grand Corps Malade. On peut ne pas adhérer à ce style de musique. Ici elle est indispensable et elle s’écoute avec beaucoup de sympathie.
https://www.youtube.com/watch?v=M-SHCNx0SCM&index=1&list=PLkInZC30bVba_EqbCup_7Ymn7qwr8A2v6
Stéphane Loison
Réalisateur : Jacques Doillon
Compositeur : Philippe Sarde
CRISTAL-88985435462
Depuis plus de quarante ans, une collaboration étroite s’est établie entre le cinéaste Jacques Doillon et le compositeur Philippe Sarde, qui a signé en une trentaine d’années les musiques de grands réalisateurs. Pour Rodin, il a réuni une petite formation constituée de solistes (violon, piano, violoncelle) qui exécutent parfaitement une partition complexe malgré une apparente simplicité (Orchestration Dominique Spagnolo). Philippe Sarde nous fait aimer sa belle musique en dessinant un œuvre délicate et envoûtante.
Stéphane Loison
Réalisateur : : Ridley Scott
Compositeurs : Jed Kurzel
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Les membres d’équipage du vaisseau Covenant, à destination d’une planète située au fin fond de notre galaxie, découvrent ce qu’ils pensent être un paradis encore intouché. Il s’agit en fait d’un monde sombre et dangereux, cachant une menace terrible. Ils vont tout tenter pour s’échapper. Il s'agit du sixième film de l'univers d'Alien et du troisième réalisé par Ridley Scott. Le premier, « Alien le Huitième Passager », avait la magnifique musique de Jerry Goldsmith, très contemporaine, atonale. Malgré les différentes visions, très conflictuelles, entre le compositeur et le réalisateur, la musique du film est devenue culte ! Le générique de fin est la 2e Symphonie « Romantique » de Howard Hanson ! Elle n’est pas sur le disque ! Le second film, « Aliens » de James Cameron, a pour compositeur James Horner, plus lyrique avec des références au ballet Gayaned d’Aram Khatchatourian et des extraits de la musique du Goldsmith, une belle BO. Le troisième, de David Fincher, « Alien 3 », a la superbe musique de ce grand compositeur qu’est Elliot Goldenthal. Elève de Copland et de Corigliano, il écrit pour les salles de concerts. Il a été « oscarisé » pour « Frida » et a composé de très belles musiques pour le cinéma. Jean-Pierre Jeunet a réalisé le quatrième de la franchise « Alien le Résurrection » avec John Frizell comme compositeur. Sa musique ne laisse pas un souvenir impérissable. Le cinquième réalisé par Ridley Scott, un épisode confus « Prometheus », tente d’expliquer le début du monstre. Il a pour compositeur Marc Streitenfeld, de l’écurie Hans Zimmer. Il avait supervisé des films de Scott (« Gladiator » « La Chute du Faucon Noir », Kingdom of Heaven, « Hannibal » ), et composé pour le réalisateur ( « Une Grande Année », « Américan Gangster », »Mensonges d’Etat », « Robin des Bois »). Sa musique est efficace et intéressante.
Ici, c’est le compositeur à la mode, chanteur et guitariste du groupe australien The Mess Hall, Jed Kurzel, lancé par son frère (« Assassin’s Creed », « Macbeth »), qui a composé la musique de ce nouvel opus. Le film se laisse regarder, les trucages sont magnifiques, le suspens est absent. On s’ennuie gentiment. Scott est passé à côté d’un film qui aurait pu avoir du lyrisme grandiose, de la beauté sombre et diabolique, comme le promettait la très belle scène d’ouverture. Bien sûr, Scott fait appel à Wagner pour sous-tendre son propos, attitude un peu caricaturale. La musique de Kurzel suit sans apporter un autre discours. On reconnaîtra à la flûte le thème du précédent Alien. Au disque elle se laisse écouter. Tout le monde n’est pas Goldsmith !
https://www.youtube.com/watch?v=rKQE9xaOpc0
Stéphane Loison
Réalisateur : Xavier Durringer, Daniel Cohen
Compositeur : Nicola Piovani
MBR-109
Né en 1946 à Rome, Nicola Piovani est l’une des gloires de la musique de film italienne. Mais il a aussi une relation privilégiée avec la France. C’est ainsi qu’il se trouve au générique de deux films très « franco-français » : d’une part, une satire de la politique intérieure, « La Conquête », réalisé par Xavier Durringer, et d’autre part, un film sur la gastronomie hexagonale « Comme un chef » réalisé par Daniel Cohen. Dans le film de Durringer, la musique de Piovani sert tout d’abord à mettre en lumière la comédie du pouvoir, à travers notamment des références à la musique de cirque, flamboyante mais boiteuse, façon Nino Rota. Dans le film de Cohen, la musique de Nicola Piovani reflète le point de vue humain du réalisateur, en particulier dans la mélodie ludique et innocente du thème principal, où un piano bastringue dialogue avec un trombone débonnaire. Avec ces deux bandes originales, Nicola Piovani fait mouche une nouvelle fois, montrant tout son humour, son art de la mélodie et de l’orchestration, mais aussi son pouvoir émotionnel basé sur des effets forts mais simples.
https://www.youtube.com/watch?v=1h2N9mXrAss
https://www.youtube.com/watch?v=ljJVGwIvTB0
Stéphane Loison
Réalisateur : Silvano Agosti, Sergio Citti
Compositeur : Nicola Piovani
Music Box Records MBR-103
« Il segreto », réalisé par Silvano Agosti, raconte l'histoire de l’industriel N.P., inventeur d'une machine conçue pour recycler les déchets dans les aliments comestibles, et qui est placé sous le contrôle du gouvernement pour exploiter sa technologie à des fins politique. Le film met en scène Francisco Rabal, Irene Papas et Ingrid Thulin. Avec « Il segreto », Nicola Piovani signait une de ses premières musiques de films. Sa partition empreinte d'ironie est basée sur un extrait de la Rhapsodie sur un thème de Paganini de Sergueï Rachmaninov naviguant entre des versions pop-rock décalées et des rythmes obsédants.
Dix ans plus tard, Nicola Piovani signe une partition légère et enjouée pour « Il minestrone », réalisé par Sergio Citti et interprété par Roberto Benigni, Franco Citti et Ninetto Davoli, qui raconte l’histoire de trois vagabonds cherchant désespérément à se nourrir. L’album, construit comme une balade champêtre et poétique, navigue entre emprunts folkloriques à la musique italienne et pastiche de musique classique.
Stéphane Loison
Réalisateur : Max Baer, Jr
Compositeur : Michel Legrand
Kritzerland KRTZ-KR200310
En 1967, « Billie Joe jumping off the Tallahatchie Bridge » était un des plus grands tubes de l’été chanté par Bobbie Gentry. L’histoire de cette chanson a donné l’idée d’en faire un film, neuf ans après. Max Baer, Jr. l’a réalisé et produit. C’est Michel Legrand qui a composé la musique de cette tragédie à partir de la chanson. Une très belle musique, romantique et lyrique à souhait. Et puis il y a cette chanson avec cette histoire étrange qui a fait pas mal fantasmer. C’est un vrai plaisir de réentendre et la chanson et la magnifique musique de Legrand sur CD.
https://www.youtube.com/watch?v=XD2i5lWVQrs
Stéphane Loison
Réalisateur : : Akira Kurosawa
Compositeur : Toru Takemitsu
Silver Screen Records SILCD1518
Décédé il y a juste 20 ans, Toru Takemitsu était considéré comme le chef de file de la musique classique japonaise. En 1971 il avait participé à la « Semaine internationale de musique contemporaine » à Paris en compagnie d’Igor Stravinsky! Il a aussi composé une très grande quantité de musiques de film, 90, telles que « Kwaïdan » de Kobayashi, « La Cérémonie », « L’Empire des Passions » d’Oshima et celle de ce très célèbre film. « Ran » est l’adaptation du Roi Lear. Au XVIe siècle, dans un Japon ravagé par la guerre, le vieux Daimyo Hidetora Ichimonji décide de partager son fief entre ses trois fils pour finir ses jours heureux et en paix. Mais les dissensions entre les trois frères plongent rapidement leurs familles, leurs foyers et la région dans le chaos. C’est le dernier film « épique » de Kurosawa. Toru Takemitsu se sentait proche des musiques de Debussy, Messiaen, Cage, mais aussi de la musique populaire, de la musique électronique et du jazz. Dans la composition pour ce film, les influences de la musique traditionnelle sont évidentes. Elles sont intégrées dans une musique plus complexes, plus contemporaines. Le tout est emprunt de nostalgie, de drames. Elle tisse un univers sombre autour de cette épopée, de ce dernier chef d’œuvre de ce grand réalisateur. La musique a été récompensée par l’association des critiques de film à LA, ainsi que par l’Académie Japonaise. L’écoute de cette musique grandiose en CD, que ressort Silver Screen, donne des frissons !
https://www.youtube.com/watch?v=E8to5vOkkXI
Stéphane Loison
10 BO éditées chez BMG
Compositeur phare du cinéma français des années 70-80, Philippe Sarde a débuté à 16 ans grâce à Claude Sautet avec « Les Choses de la Vie », musique que devait composer Eric Demarsan à l’origine… Il a signé plus de 250 musiques de films auprès des cinéastes aussi différents qu’André Téchiné, Roman Polanski, Jacques Doillon, Alain Corneau, Bertrand Tavernier, Georges Lautner, Marco Ferreri, Jean-Jacques Annaud... Il a été très aidé par d’excellents arrangeurs, orchestrateurs. Certaines de ses musiques ont été de belles réussites. Le coffret offre des compositions pas des plus connues mais dignes d’intérêt pour les amateurs de ce compositeur qui a marqué tout ce cinéma très « made in France ».
https://www.youtube.com/watch?v=pEPePf2q3hk
tps://www.youtube.com/watch?v=_T4DAnn1zsw
https://www.youtube.com/watch?v=GVJbP-qaI-w
Stéphane Loison
Réalisateur : Roger Vadim
Compositeur : Thelonious Monk, Duke Jordans
SAM Records 2CD deluxe édition
SALM Records/Saga SRS -1-CD
C’est la première et seule fois que Thelonious Monk a contribué à une musique de film ! Roger Vadim a par trois fois utilisé des compositeurs de jazz pour ses films. John Lewis pour « Sait-t-on Jamais », et Duke Jordan et Thelonious Monk pour « Les Liaisons dangereuses 1960 », la première adaptation du livre de Laclos. La musique de Duke Jordan, interprétée par Art Blakey et les Jazz Messengers, est encore trouvable mais celle écrite par Monk n’a jamais été éditée. Et c’est une première, avec ce magnifique coffret de deux CD et un livret qui explique le pourquoi et le comment de la collaboration de Monk au projet. D’après le cahier, cette participation ne fut pas chose aisée. On retrouve des thèmes connus que Monk réinterpréta pour le film et que Vadim a pu mettre là où il le voulait. Monk est accompagné par Charlie Rousse et Barney Wilen au saxophone, Sam Jones à la basse et Art Taylor aux drums. Le livret nous explique où les compositions ont été placées au cours du film. Sam Records offre trente minutes de musique qui ont été écrites par Monk pour les cent-deux que durent les « Liaisons Dangereuses 1960 ». Le 10 octobre prochain, on célébrera le centenaire de la naissance du pianiste. Voilà un superbe cadeau-hommage pour les amateurs de jazz et pour les amoureux de la musique de film. On peut l’associer aux compositions de Duke Jordan, musiques qui étaient composées pour illustrer les scènes de club. Les Jazz Messengers d’Art Blakey étaient l’orchestre le plus à la mode dans ces années 60.
https://www.youtube.com/watch?v=-oKLfjxTp3s
https://www.youtube.com/watch?v=VLnw8DbcDns&t=1040s
Stéphane Loison
Si vous souhaitez promouvoir votre activité, votre programme éditorial ou votre saison musicale dans L’éducation musicale, dans notre Lettre d’information ou sur notre site Internet, n’hésitez pas à me contacter au 01 53 10 08 18 pour connaître les tarifs publicitaires. maite.poma@leducation-musicale.com
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EN SOUSCRIPTION 44€ puis 59€ ensuite.
« Connaissez-vous beaucoup d'inventeurs d'instruments de musique ? Ceux dont l'histoire a retenu les noms se comptent sur les doigts d'une main. Jean- Christophe Denner a inventé la clarinette, Adolphe Sax le saxophone. Et puis ? On connaît des facteurs d'instruments, Stradivarius, par exemple. Mais il n'a pas inventé le violon. Alors qui ? Qui le piano ? Qui a inventé le tambour, la flûte, la harpe ? Autant demander qui étaient Adam et Ève ! »
En octobre 1980 mourait accidentellement, à Paris, Maurice Martenot, musicien, pédagogue, inventeur des ondes musicales. Trois mois plus tôt, l’auteur était allé l’interviewer à sa maison de campagne de Noirmoutier.
Ce livre relate l’histoire des ondes Martenot, instrument électronique de musique exceptionnel qui a séduit des personnalités aussi diverses que Mau- rice Ravel, Rabindranath Tagore ou Jacques Brel, et des compositeurs connus, tels Olivier Messiaen, Darius Milhaud, André Jolivet, Arthur Honegger, Edgar Varèse, Maurice Jarre, Akira Tamba – auxquels se sont ajoutés, depuis la première édition de ce livre, parmi bien d’autres, Jacques Hétu, Jonny Greenwood, ou encore Akira Nishimura. (suite)
Toujours hypothétiques, les correspondances, analogies et interactions entre la peinture et la musique reposent sur un socle malaisé à définir. Rien de plus révélateur en ce sens que l’étude des problèmes posés aux peintres par la représentation d’une scène musicale, gageure supposant, en amont de l’œuvre, l’éventuelle fusion du visuel et du sonore. L’inscription de l’œuvre visuelle dans une durée étant intimement liée à l’identification de son contexte sonore, les variations de ce contexte en altèrent de facto la captation par le regard, l’effigie créant un climat musical qui, à son tour, la modèle. L’irruption de la musique au cœur de l’image forme ainsi le plus imprévisible des modèles sensibles, la force émotive de la vision dépendant avant tout des capacités synesthésiques du spectateur. Peindre la musique, c’est donc solliciter l’activité informatrice de l’esprit, en matière de style, d’histoire, d’esthétique, de sociologie, d’organologie... mais aussi chercher à provoquer le jeu des émotions par le choix d’un vocabulaire visuel favorisant cette fusion des deux expressions majeures du monde sensible.
Universitaire et écrivain, Gérard Denizeau a publié divers essais sur la transdisciplinarité artistique (Musique & arts visuels, Le visuel et le sonore, Le dialogue des arts, La Musique au temps des arts). Auteur de biographies musicales (Rossini, Wagner, Saint- Saëns) et artistiques (Lurçat, Corot, Monet, Van Gogh, Chagall), il s’est également attaché à une redéfinition du genre musical (Com- prendre et identifier les genres musicaux) et des articulations de l’histoire de l’art (Les grands courants artistiques). Collaborateur de l’Encyclopaedia Universalis, enseignant au département de musicologie de la Sorbonne et au Conservatoire à Rayonnement Régional de Paris, il a également produit plusieurs émissions pour France-Culture (Profils perdus, Une vie une œuvre...). Chez Beauchesne, on lui doit, en collaboration avec Daniel Blackstone un volume récent, Analyses musicales XVIIIe siècle.
Disparu en mars 2014 à l’âge de 86 ans, Serge Gut compte au nombre des figures majeures de la musicologie française des dernières décennies. Spécialiste de Franz Liszt, auquel il consacra deux grands ouvrages et de nombreux articles, il fut également un analyste réputé. Après une première formation de compositeur, il avait commencé sa carrière musicologique, dans les années 1960-1970, par des publications traitant surtout de questions de langage musical – un domaine qui, bien que parfois négligé par les milieux universitaires, constitue le pont naturel entre composition et théorie. Au terme de cinquante années d’une activité brillante, qui le vit notamment présider aux destinées de l’Institut de musicologie de la Sorbonne, Serge Gut devait revenir dans ses dernières années à cette passion de jeunesse. Son expérience unique, aussi bien dans les domaines de la recherche que de l’enseignement supérieur ou de la publication scientifique, lui inspira le présent ouvrage, qu’il qualifiait lui-même de testament. Théorie et histoire y tiennent un passionnant dialogue.
Resté inédit au moment de la disparition de Serge Gut, le manuscrit des Principes fondamentaux de la musique occidentale a été préparé pour la publication par Vincent Arlettaz, disciple de Serge Gut, rédacteur en chef de la Revue Musicale de Suisse Romande et professeur dans le cadre des Hautes Écoles de Musique suisses.
25.00 €.
« ConnaHarmonisés à quatre voix pour orgue et chœur par Yves Kéler et Danielle Guerrier Kœgler
Textes originaux rassemblés, mis en français et commentés par Yves Kéler
Ouverture, par le pasteur David Brown et Guylène Dubois
Préface du pasteur Alain Joly
Avant-propos d’Édith Weber
Ce recueil regroupe, pour la première fois, les 43 paraphrases françaises de chorals de Martin Luther, strophiques, versifiées, rimées, très fidèles aux intentions du Réformateur (ce qui n’est pas le cas des quelques rares textes figurant dans d’autres recueils français), et chantables sur les mélodies traditionnelles bien connues.
Il se veut un volume fonctionnel pour le chant des fidèles, avec des harmonisations à 4 voix destinées aux organistes pour accompagner l’assemblée lors des cultes et des messes. Il s’adresse également aux prédicateurs soucieux de trouver un choral pour illustrer les thèmes abordés chaque dimanche, aux organistes pour accompagner l’assistance et aux chefs de chœur pour diriger le chœur paroissial. Pour quelques harmonisations écrites en fonction des possibilités de l’orgue et, dans quelques rares cas, difficilement chantables (tessiture trop élevée ou trop grave, intercalation du texte à plusieurs des parties), (suite)
24.00 €.
Cet ouvrage paraît à l’occasion de la création à Lausanne, lors de la semaine sainte 2017, de La Passion selon Marc. Une passion après Auschwitz du compositeur Michaël Levinas. Cette création prend place dans le cadre du 500e anniversaire de la Réforme protestante. Elle entreprend de relire le récit chrétien de la passion de Jésus dans une perspective déterminée par la Shoah.
Ce projet s’inscrit dans une histoire complexe, celle de l’antijudaïsme chrétien, dont la Réforme ne fut pas indemne, mais aussi celle des interprétations, théologiques et musicales, de la passion de Jésus de Nazareth. Et il soulève des questions lourdes, mais incontournables. Peut-on mettre en rapport la crucifixion de Jésus – la passion chrétienne – et l’assassinat de six millions de juifs ? Ne risque-ton pas d’intégrer Auschwitz dans une perspective chrétienne, et du coup de priver la Shoah de sa radicale singularité ? De redoubler la violence faite aux victimes d’Auschwitz en lui donnant un sens qui en dépasserait le désastre, l’injustifiable, l’irrémédiable ? (suite)
Michaël Levinas : La Passion selon Marc. Une Passion après Auschwitz par Michèle Tosi
Ce livre, que le compositeur souhaitait publier dans sa maison d’édition à Kürten, se propose de présenter les orientations principales de la recherche de Karlheinz Stockhausen (1928-2007) à travers ses œuvres, couvrant sa vie et ouvrant un accès direct à ses écrits. Divers domaines investis par le plus grand inventeur de musique de la seconde moitié du xxe siècle sont abordés : composition de soi à travers les matériaux nouveaux ; découvertes formelles et structures du temps ; musique spatiale ; métaphore lumineuse ; musique scénique ; l’hommage au féminin de l’opéra Montag aus Licht ; Wagner, Stockhausen et le Gesamtkunstwerk, œuvre d’art total. Les témoignages des femmes qui l’ont accompagné dressent un portrait vif et saisissant de l’homme, artiste génial qui aimait plus que tout la musique et la recherche compositionnelle au nom du progrès de l’être humain...(suite)
Mozart aurait-il été heureux de disposer d'un Steinway de 2010 ? L'aurait-il préféré à ses pianofortes ? Et Chopin, entre un piano ro- mantique et un piano moderne, qu'aurait-il choisi ? Entre la puissance du piano d'aujourd'hui et les nuances perdues des pianos d'hier, où irait le cœur des uns et des autres ? Personne ne le saura jamais. Mais une chose est sûre : ni Mozart, ni les autres compositeurs du passé n'auraient composé leurs œuvres de la même façon si leur instrument avait été différent, s'il avait été celui d'aujourd'hui. Mais en quoi était-il si différent ? En quoi influence-t-il l'écriture du compositeur ? Le piano moderne standardisé, comporte-t-il les qualités de tous les pianos anciens ? Est-ce un bien ? Est-ce un mal ? Qui a raison, des tenants des uns et des tenants des autres ? Et est-ce que ces questions ont un sens ? Un voyage à travers les âges du piano, à travers ses qualités gagnées et perdues, à travers ses métamorphoses, voilà à quoi convie ce livre polémique conçu par un des fervents amoureux de cet instrument magique.
Au travers du récit que James Lyon nous fait de l’existence de Dickens, il apparaît bien vite que l’écrivain se doublait d’un précieux défenseur des arts et de la musique. Rares sont pourtant ses écrits musicographiques ; c’est au travers des références musicales qui entrent dans ses livres que l’on constate la grande culture musicale de l’écrivain. Il se profilera d’ailleurs de plus en plus comme le défenseur d’une musique authentiquement anglaise, forte de cette tradition évoquée plus haut. Et s’il ne fallait qu’un seul témoignage enthousiaste pour décrire la grandeur musicale de l’Angleterre, il suffit de lire le témoignage de Berlioz (suite)
En plein essor à l'étranger, particulièrement en Allemagne, l'hymnologie n'a pourtant pas encore acquis ses titres de noblesse en France. Dans l'esprit de la collection « Guides musicologiques », cet ouvrage se veut une initiation méthodologique. Il comprend une approche de l'hymnologie se rattachant à la musicologie historique et à la théologie pratique, et résume l'historique de la discipline. Pratique et documentaire, il offre aussi de précieuses indications : un large panorama des institutions et centres de recherche, un glossaire conséquent ou les mots clés. et les entrées sont accompagnés de leur traduction en plusieurs langues, et une bibliographie très complète (431 titres) tenant compte du tout dernier état de la question. Outil de travail indispensable, ce livre s'adresse aussi bien aux musicologues, aux théologiens, traducteurs et chercheurs, qu'aux organistes, maîtres de chapelle, chanteurs, et bien entendu, aux hymnologues.
Ce guide s’adresse aux musicologues, hymnologues, organistes, chefs de chœur, discophiles, mélomanes ainsi qu’aux théologiens et aux prédicateurs, soucieux de retourner aux sources des textes poétiques et des mélodies de chorals, si largement exploités par Jean-Sébastien Bach, afin de les situer dans leurs divers contextes historique, psychologique, religieux, sociologique et surtout théologique. Il prend la suite de La Recherche hymnologique (Guides Musicologiques N°5), approche méthodologique de l’hymnologie se rattachant à la musicologie historique et à la théologie pratique dans une perspective pluridisciplinaire. Nul n’était mieux qualifié que James Lyon : sa vaste expérience lui a permis de réaliser cet ambitieux projet. Selon l’auteur : « Ce livre est un USUEL. Il n’a pas été conçu pour être lu d’un bout à l’autre, de façon systématique, mais pour être utilisé au gré des écoutes, des exécutions, des travaux exégétiques ou des cours d’histoire de la musique et d’hymnologie. » (suite)
Cet ouvrage regroupe pour la première fois les 43 chorals de Martin Luther accompagnés de leurs paraphrases françaises strophiques, vérifiées. Ces textes, enfin en accord avec les intentions de Luther, sont chantables sur les mélodies traditionnelles bien connues. Aux hymnologues, musicologues, musiciens d'Eglise, chefs, chanteurs et organistes, ainsi qu'aux historiens de la musique, des mentalités, des sensibilités et des idées religieuses, il offrira, pour chaque choral ou cantique de Martin Luther, de solides commentaires et des renseignements précis sur les sources des textes et des mélodies : origine, poète, mélodiste, datation, ainsi que les emprunts, réemplois et créations au XVIè siècle... (suite)
L’imbroglio baroque de Gérard Denizeau
BACH
Cantate BWV 104 Actus tragicus : Gérard Denizeau - Toccata ré mineur : Jean Maillard -
Cantate BWV 4: Isabelle Rouard -
Passacaille et fugue : Jean-Jacques Prévost -
Passion saint Matthieu : Janine Delahaye -
Phœbus et Pan : Marianne Massin -
Concerto 4 clavecins : Jean-Marie Thil -
La Grand Messe : Philippe A. Autexier -
Les Magnificat : Jean Sichler -
Variations Goldberg : Laetitia Trouvé -
Plan Offrande Musicale : Jacques Chailley
COUPERIN
Les barricades mystérieuses : Gérard Denizeau -
Apothéose Corelli : Francine Maillard -
Apothéose de Lully : Francine Maillard
HAENDEL
Dixit Dominus : Sabine Bérard -
Water Music : Pierrette Mari -
Israël en Egypte : Alice Gabeaud -
Ode à Sainte Cécile : Jacques Michon -
L’alleluia du Messie : René Kopff -
Musique feu d’artifice : Jean-Marie Thill -
Publié l'année même de son ouverture, cet ouvrage raconte avec beaucoup de précisions la conception et la construction du célèbre bâtiment. Le texte est remis en pages et les gravures mises en valeur grâce aux nouvelles technologies d'impression.
Pour la première fois, le Tchèque Leoš Janácek (1854-1928), le Finlandais Jean Sibelius (1865-1957) et l'Anglais Ralph Vaughan Williams (1872-1958) sont mis en perspective dans le même ouvrage. En effet, ces trois compositeurs - chacun avec sa personnalité bien affirmée - ont tissé des liens avec les sources orales du chant entonné par le peuple. L'étude commune et conjointe de leurs itinéraires s'est avérée stimulante tant les répertoires mélodiques de leurs mondes sonores est d'une richesse émouvante. Les trois hommes ont vécu pratiquement à la même époque. Ils ont été confrontés aux tragédies de leur temps et y ont répondu en s'engageant personnellement dans la recherche de trésors dont ils pressentaient la proche disparition. (suite).
L’histoire de David et Jonathan est devenue aujourd’hui un véritable mythe revendiqué par bien des mouvements homosexuels qui croient y lire le récit d’une passion amoureuse entre deux hommes, alors même que la Bible condamne de manière explicite l’homosexualité comme une faute grave. Cette lecture s’est tellement imposée depuis quelques décennies que les ouvrages qui traitent de la question de l’homosexualité dans la Bible ne peuvent contourner le passage et l’analysent dans les moindres détails afin de découvrir si le texte parle ou non d’une amitié particulière entre le fils de Saül et le futur roi d’Israël, ancêtre de Jésus. Le texte est devenu le lieu de toutes les passions et révèle les interrogations profondes de la société sur la question homosexuelle. (suite)
Baccalauréat 2017. Épreuve de musique
LIVRET DU CANDIDAT
19 €
Version numérique distribuée par Numilog
INITIATION À L’HARMONIE ET À L’INTERPRÉTATION À PARTIR DES POLONAISES DE CHOPIN.
VOLUME 1 Les Polonaises de jeunesse en sol mineur et sib majeur.
22.00 €
INITIATION À L’HARMONIE ET À L’INTERPRÉTATION À PARTIR DES POLONAISES DE CHOPIN.
VOLUME 2 Les Polonaises de jeunesse en lab majeur et sol# mineur
22.00 €
COLLECTION VOIR ET ENTENDRE
Jean-Marc Déhan et Jacques Grindel ont réalisé, dans les années 1980, collection « voir & entendre », qui s'adressait autant aux collèges et lycées qu'aux conservatoires et écoles de musique. Il nous est apparu que cet outil remarquable pouvait, avec quelques compléments, redevenir un outil pédagogique de tout premier plan. Le parti pris a été de réimprimer à l'identique les fascicules, enrichis d'un court dossier pédagogique. Pour chaque titre, des pistes d'utilisation s'ajoutent à celles déjà mises en lumière dans les partitions elles-mêmes.
Il est possible d'utiliser ces partitions :
- pour la lecture de notes
- pour la lecture de rythmes
- pour la dictée musicale ;
- pour le chant, en faisant chanter et mémoriser les principaux thèmes
- pour la formation de la pensée musicale : les thèmes mémorisés, transposés à l'oreille, donneront lieu, le cas échéant, à des autodictées ;
- pour l'analyse musicale et l'harmonie, avec les analyses fines de J.-M. Déhan et J. Grindel reportées sur la partition
- pour l'histoire de la musique grâce aux textes de présentation ;
- enfin, pour l'écoute raisonnée des œuvres en suivant simplement la partition, quitte à faire porter l'audition sur des éléments précédemment indiqués par le professeur qui pourra adapter ces exercices au niveau de ses élèves.
Mais ces partitions sont également destinées aux amateurs éclairés pour qui la lecture des clés d'ut dans les partitions d'orchestre habituelles, ainsi que le casse-tête des instruments transpositeurs sont souvent des obstacles insurmontables.
Souhaitons que cette réédition permette une meilleure connaissance par tous, jeunes et moins jeunes, futurs professionnels ou amateurs éclairés, de quelques œuvres fondamentales du répertoire.
W.A. Mozart. Symphonie n° 40 (K550)1. Allegro Molto – 3. Menuetto
9 €
A. Borodine. Dans les steppes de l’Asie centrale
9 €
H. Berlioz. Symphonie fantastique 5e mouvement
12 €
J.-S. Bach. Cantate BWV 140« Wachetauf, ruft uns die Stimme »
10,50 €