Lettre d'information - no 114 mai 2017
Les 18 èmes Rencontres musicales de Seine-et-Marne proposent 10 concerts mêlant œuvres du répertoire classique et contemporain. S'inscrivant dans le cadre du 30 ème anniversaire de l'association ProQuartet, cette édition marque le retour de musiciens qui y ont fait leurs premiers pas (Quatuors Zaïde, Voce, Manfred, Varèse) et la prestation de jeunes pousses (Quatuors Yako, Akilone, Arod, Castalian Quartett ; Trio Zadig). Aux côtés des églises du département (Villiers-sous-Gretz, Moncourt-Fromonville, Fontaine-le-Port, Villecerf, Bois-le Roi....), elles seront l'occasion de réinvestir un lieu emblématique, le Château de Fontainebleau, partenaire historique de ProQuartet. Le festival fera aussi, et pour la première fois, la part belle aux ensembles amateurs et aux élèves des conservatoires qui se produiront en parallèle aux ensembles professionnels.
Renseignements et réservations : par tel.: 01 44 61 83 60 ;
en ligne : reservation@proquartet.fr et proquartet@proquartet.fr et www.proquartet.fr
Événement au Théâtre des Champs-Elysées que le concert commémorant le centenaire des trois sonates de Claude de France. C'est en effet en 1917 que furent créées tour à tour ces trois pièces emblématiques que sont la Sonate pour violoncelle et piano, la sonate pour violon et piano et la sonate pour flûte, alto et harpe. Les interprètes auront pour nom : Dominique de Williencourt, violoncelle, Marielle Nordmann, harpe, Jean Ferrandis, flûte, Gérard Poulet, violon, Bruno Pasqier, alto et Émile Naounoff, piano. Seront également donnés Syrinx pour flûte solo, et le Prélude à l'après-midi d'un faune dans la transcription d'Arnold Schoenberg et l'adaptation originale au théâtre Kyogen d'art dramatique japonais. Outre, de Naoumoff son Élégie pour violoncelle et piano, et de Williencourt la sonate pour violon et piano op. 20 « l'Attente » et sa sonate pour flûte, violoncelle et harpe op. 29. Une occasion rare d'entendre ces pièces qui ont tant marqué l'histoire de la musique de chambre française dans un singulier rapprochement
Théâtre des Champs-Elysées, le 22 mai 2017 à 20H.
Réservations, aux caisses, 15 avenue Montaigne, 75008 Paris ; par tel.: 01 49 52 50 50 ; en ligne : theatrechampselysees.fr
L'Abbaye bénédictine de Saint-Michel en Thiérache, fondée au X ème siècle, abrite depuis 1987 un festival de musique ancienne et baroque. Ce vaste lieu à une encablure de Hirson, possède une église dotée d'une acoustique exceptionnelle et un orgue de 1714, dû au facteur Boizart à Sedan, d'une haute valeur historique. La spécificité du festival est de se concentrer sur des concerts instrumentaux et vocaux, faisant appel à des ensembles reconnus (les Arts Florissants, Orfeo 55, les Cris de Paris, Vox Luminis...) ou émergents (Les Esprits animaux, Les Muffatti, Les Éléments, L'Escadron volant de la Reine...). Le festival est réparti en journées thématiques étalées sur cinq dimanches comprenant deux ou trois volets (11H30, 14H30, 16H30). Les thèmes sont évocateurs : « Aux âges d'or de Venise », explorant l'exubérance vocale d'un baroque incandescent, de Monteverdi à Vivaldi ; Les « Festes solennelles au Grand siècle » cultivant l'esprit français au service d'une esthétique du cérémonial ; ou encore « Les caractères de la nature », pour quelques alchimies baroques : ''Chaos et harmonie'', ''Clamore gallinarum'' et autres ''Odes aux forces de la nature'' ; les « Passions italiennes entre profane et sacré » ou la confusion baroque des sentiments ; ou encore « Un monde de représentation, entre cantate et opéra ». Enfin, un récital du pianiste Kit Amstrong dans sa salle de concert-église, cette fois à Hirson (Couperin, Bach et Haendel/Liszt), apportera son indispensable pointe de vedette-appeal, tout en préservant une certaine idée de retour au pays, puisque le jeune prodige a élu domicile artistique dans cette petite bourgade de Thiérache.
Renseignements et Réservations : Festival de l'Abbaye de Saint-Michel en Thiérache, BP 18 – 02830 Saint-Michel ;
par tel.: 02 23 58 23 74 ;
en ligne : www.festival-saint-michel.fr
festival.saintmichel@laposte.net
Considéré comme l'un des grands rendez-vous musical du printemps, le Festival d'Auvers-sur-Oise se veut résolument un accompagnateur de talent et un laboratoire de création.
Du baroque au contemporain, la programmation de la 37 ème édition balaye plusieurs siècles de musique. L'ouverture sera mozartienne avec l'ensemble Matheus et le Chœur de l'Opéra de Nantes, qui, emmenés par Jean-Christophe Spinosi, interpréteront la grande Messe du couronnement et le Requiem.
Le festival signe une première coproduction d'envergure avec la toute nouvelle Seine musicale de l'Île Seguin. Laurence Equilbey dirigera en effet Accentus et Insula Orchestra dans la Grande Messe en Ut de Mozart. En récital ou en musique de chambre, on entendra également les jeunes pianistes Lucas Debargue, Nicolas Giacomeli et Miroslav Kultyshev, le duo piano-marimba de Thomas Enhco et Vassilena Serafimova, le violoncelliste Henri Demarquette, le guitariste Emmanuel Rossfelder, ou encore Vladimir Spivakov et Les Virtuoses de Moscou avec le jeune prodige du violon Daniel Lozakovich.
Le baroque n'est pas en reste avec le Concert de la Loge de Julien Chauvin, La Maîtrise de Paris ou encore l'ensemble Europa Galante de Fabio Biondi. Enfin, pour clôturer en beauté le Festival, Natalie Dessay donnera un programme de Lieder et de mélodies avec la complicité de Philippe Cassard.
Renseignements et réservations : par courrier, Manoir des Colombières, 95430 Auvers-sur-Oise ;
par tel.: 01 30 36 77 77 ;
en ligne : billetterie@festival-auvers.com
www.festival-auvers.com
Pour sa 37 ème édition, le Festival de la Vézère mise sur la jeunesse et s'ouvre à de nouveaux lieux en Corrèze. En prélude aux manifestations estivales, les 23 mai, au château du Saillant, et le 24 mai, à la Halle Huguenot d'Uzerche, sont organisés deux concerts originaux, point d'orgue d'ateliers de 200 jeunes, de CM1, CM2 scolarisés à Uzerche, qui seront encadrés par l'ensemble Voce8. Un mélange qui se promet d'être détonnant avec un travail sur le rythme, le souffle et la langue anglaise, celle de leurs tuteurs britanniques ! Ce focus sur la jeunesse, on le retrouve dans la programmation du festival proprement dit avec la poursuite de la formule « Une heure avec » en compagnie des jeunes Lauréats du CNSMP et de leur professeur Philippe Bernold (21 & 22/7 à Donzenac et au Saillant). Pareillement l'accent porté sur la voix se concrétise par deux concerts de chœurs, le Chœur de l'Armée française qui interprétera « Les grands chœurs d'opéra » (18/7, Brive) et un chœur espagnol, le Coral de Cámara de Pamplona (1/8, Collégiale de Turenne ), comme par la présence de chanteurs solistes de renom, Karine Deshayes et Camille Poul (22/8, Cathédrale de Tulle), dans un programme de clôture offrant, entre autres, le Stabat Mater de Pergolèse. Et enfin avec les soirées de ''Diva Opera'' au Saillant. Cette année, deux œuvres populaires seront à l'affiche : Cendrillon de Rossini (11 & 13 août) et La Bohème (12/8).
Le piano sera de nouveau à l'honneur : Abdel Rahman El Bacha (5/8, Saillant) dans un programme Granados et Chopin, puis Pascal Amoyel pour son spectacle fétiche mêlant musique, théâtre et magie, « Le jour où j'ai rencontré Franz Liszt » ( 19/8, Saillant), et enfin le jeune Ismaël Margain, originaire de la région, qui se confrontera à l'opus 110 de Beethoven et à deux sonates de Haydn (15/7, Saillant). Côté musique de chambre, on verra se produire les jeunes et talentueuses Camille Thomas, violoncelle, et Béatrice Berrut, piano, pour jouer la Sonate de Franck et l'Élégie de Fauré (3/8, Église de Saint-Ybard)), et le Quatuor Prazak (8/8, Abbatiale d'Aubazine). Un autre nouveau lieu patrimonial, le domaine de Sédières à Clergoux accueillera un concert dit ''évènement'' réunissant le jeune prodige Kit Amstrong et l'Orchestre d'Auvergne dirigé par Guillaume Chilemme pour un programme Telemann, Bach, Mozart et Fuchs (16/8).
Tels sont les moments phares de ce millésime, festif comme toujours, associant patrimoine et musique, pour la joie de tous. Car pour reprendre le mot de sa dynamique Présidente, « la musique est nécessaire ».
Renseignements et réservations : Festival de la Vézère, 10, Bd du Salan, 19100 Brive ;
par tel. : 05 55 23 25 09 ;
en ligne : www.festival-vezere.com
La Fondation Royaumont dont la première mission est d'accompagner les artistes, chanteurs, instrumentistes, danseurs, chorégraphes et compositeurs dans le développement de leur projet professionnel individuel ou collectif, s'adresse d'abord aux nouvelles générations et à ceux soucieux d'approfondir leurs connaissances et d'enrichir et de diversifier leur expérience, d'imaginer et de créer des œuvres nouvelles. Les deux principes de son action sont l'accueil en résidence à l'abbaye et la rencontre avec d'autres artistes expérimentés ou venant d'autres horizons, ou encore des chercheurs et des penseurs. Son équipement résidentiel a été rénové et agrandi en 2016, disposant désormais de 53 chambres et de 13 salles de répétition. La Bibliothèque François Lang, comme la Médiathèque musicale Mahler de Paris avec laquelle elle est associée, offrent aux stagiaires un outil de documentaire exceptionnel.
Les formations professionnelles 2017 du Centre international pour les artistes de la Musique et de la Danse à Royaumont proposent 22 ateliers répartis en plusieurs disciplines :
− Voix (opéra, mélodie, cantates de Bach)
− Claviers (piano romantique, orgue Cavaillé-Coll)
− Voix nouvelles pour les compositeurs et interprètes (dont une masterclasse de direction d'orchestre, un atelier de répertoire vocal contemporain, une académie voix nouvelles)
− Musiques transculturelles
− Recherche et compositions chorégraphiques
Des résidences d'artistes : le dispositif des ensembles en résidence pour trois ou quatre ans a été étendu à des artistes à titre individuel. En 2017 ce sont neuf ensembles et artistes qui en bénéficieront.
Enfin un incubateur propose aux artistes, créateurs et interprètes l'espace et le temps nécessaires à la conception ou à la maturation d'un projet. Qu'il s'agisse d'un projet lié à une recherche sur un répertoire, d'un projet de création d'une œuvre nouvelle, de croisement de genres musicaux ou encore de projets transdisciplinaires. Le rôle de la Fondation est ici double : d'une part, aider l'artiste à vérifier la pertinence de son projet et à le finaliser, et d'autre part, favoriser la recherche par l'artiste de nouveaux partenaires de coproduction. 15 projets seront incubés à Royaumont en 2017.
Renseignements, dates et inscriptions :www.royaumont.com/les-formations
Contacts : Fondation Royaumont, formation professionnelle, 95270 Asnières-sur-Oise ;
par tel. : 01 30 35 59 00 ;
en ligne : formation@royaumont.com
© musique.orange.fr
Aussi incroyable que cela puisse paraitre, Nicolas Angelich (*1970) n'avait pas encore rejoint le roster de Piano****. Cette série de prestige aligne les talents confirmés et après les Pollini, Barenboim, Perahia, Freire et autre Yuja Wang, ne pouvait pas ne pas s'enorgueillir d'afficher celui du pianiste franco-américain. Il jouera un programme misant sur le thème de la variation, que n'aurait pas renié Alfred Brendel, puisque proposant les Variations en fa mineur de Haydn puis les Variations sur un thème de Paganini op. 35 de Brahms. On sait cette dernière pièce particulièrement exigeante pour les doigts de son interprète. Au milieu, on pourra entendre la sonate op. 53 « Waldstein » de Beethoven. Un récital enrichissant en perspective où, nul doute, Nicolas Angelich saura confirmer sa patte de seigneur de l'instrument.
Philharmonie de Paris, le 6 juin 2017 à 20H30
Réservations : Société des Grands Interprètes, 4 rue Georges Berger, 75017 Paris ; par tel.: 01 44 17 93 25 ou 01 44 84 44 84 ;
en ligne : ou www.philharmoniedeparis.fr
Affiche du spectacle « Votez pour moi » / DR
Cinq ans, est-ce l'âge de raison ? Toujours est-il que pour sa cinquième édition le festival parisien du Palazzetto Bru Zane Centre de Musique Romantique française s'élargit considérablement, en événements, en lieux, et bien sûr en découvertes. Trois opéras seront à l'affiche cette fois : La Reine de Chypre de Fromental Halévy, Le Timbre d'argent de Camille Saint-Saëns, et Phèdre de Jean-Baptiste Lemoyne. Le festival s'ouvrira en effet sur une rareté, La Reine de Chypre (1841), Grand opéra en cinq actes, qui, à l'époque, passait pour plus apprécié que La Juive, en particulier par Wagner et George Sand. Quoique Halévy, pour la postérité, dut céder la place à Donizetti qui traita le même sujet, deux ans pus tard, dans sa Caterina Cornaro, l'opéra doit sa notoriété à la peinture de la terreur que faisait régner au XV ème siècle la République de Venise et sa rivalité avec Chypre. Le rôle de l'héroïne sera confié, dans la version de concert présentée au Théâtre des Champs-Elysées, à Véronique Gens et la direction à Hervé Niquet qui dirigera l'Orchestre de chambre de Paris (7 juin). Le drame lyrique Le Timbre d'argent, qu'affichera l'Opéra Comique, connut une genèse difficile, puisque créé en 1877, bien après son achèvement en 1865. Le grand débat anti wagnérien faisait alors rage ! Il sera d'ailleurs ensuite plusieurs fois remanié. Pour son premier essai au théâtre lyrique, Saint-Saëns crée une œuvre atypique dont le rôle principal est dévolu... à une danseuse, et la particularité de se dérouler dans un rêve. C'est une de ses œuvres les plus étranges, utilisant les ressorts de la fantasmagorie, bien avant que la recette ne soit reprise par un certain Offenbach dans Les contes d'Hoffmann. La production très attendue de la Salle Favart aligne un cast intéressant, François-Xavier Roth et Les Siècles pour la partie musicale, et Guillaume Vincent à la régie (9, 11, 13, 15, 17, 19 juin).
On donnera encore la tragédie lyrique Phèdre de Lemoyne (1786) ) au Théâtre des Bouffes du Nord ; là encore une pièce presque inédite, resserrant l'intrigue conçue par Racine, et nous transportant aux sources du romantisme, un domaine passionnant exploré par le Palazzetto Bru Zane. Elle sera interprétée - dans une adaptation pour quatre chanteurs et dix instrumentistes de Benoît Dratwicki - par Le Concert de la Loge et Julien Chauvin, dans une mise en scène de Marc Paquien (8, 10, 11 juin). Ce même lieu abritera les autres concerts du festival : une soirée « Belle époque » réunissant la Quintette avec piano n° 2 de Fauré et la rare Fantaisie pour piano et Quintette à cordes de Fernand de La Tombelle (1854-1928), autre musicien méconnu mis à l'honneur par le Palazzetto Bru Zane cette saison (12 juin) ; le spectacle « Votez pour moi », animé par la fameuse Clique des Lunaisiens, un must en cette période électorale (13 juin) ; un récital du pianiste Philippe Bianconi jouant Saint-Saëns, Cécile Chaminade, Mel Bonis, Alkan et Debussy (14 juin) ; une « Carte blanche » à l'Académie Ravel (15 juin) ; enfin un récital de Véronique Gens qui chantera des mélodies et airs de Massenet, Saint-Saëns, Hahn, Godard et Bizet (16 juin).
Renseignements et réservations : TCE (Reine de Chypre) : Caisses, 15, avenue Montaigne, 75008 Paris ; par tel.: 01 49 52 50 50 ; en ligne : www.theatrechampselysees.fr
Opéra Comique (Timbre d'argent) : service billetterie, 5, rue Favart, 75002 Paris ; par tel.: 0825 01 01 23 ;
en ligne : www.opera-comique.com
Théâtre des Bouffes du Nord (autres spectacles) : 37bis boulevard de la Chapelle 75010 Paris ; par tel.: 01 46 07 34 50 ;
en ligne : www.bouffesdunord.com
Les Rückert Lieder regroupent un ensemble de Lieder pour voix et orchestre sans ordre de
succession imposé : il ne s'agit donc pas d'un cycle, mais d'une constellation, contrairement aux
Kindertoten Lieder qui constituent un cycle de Lieder, également sur des poèmes du poète Rückert.
Mahler a composé ces deux ensemble en même temps : entre 1901 et 1904.
Les cinq Rückert Lieder ont été créés à Vienne le 29 janvier 1905 dans la petite salle du
Musikverein, chantés par un homme, baryton. Mahler tenait à la petite salle, pour accentuer la
dimension intime de cette oeuvre.
Contexte de composition et de création
Mahler a composé quatre de ces Lieder au cours de l'été 1901, dans sa cabane,
Kompositionhäuschen, installée dans le jardin de sa villa à Maiernigg, donc avant sa rencontre avec
Alma en novembre 1901 - rencontre rapidement suivie du mariage en mars 1902. Et c'est au cours
de l'été 1902 qu'il composa son unique chant d’amour, découvert par Alma quand le 10 août 1902,
elle ouvre sa partition de Siegfried : Mahler y avait glissé le manuscrit du lied pour lui faire une
surprise...“Liebst du um Schönheit…”
La Kompositionhäuschen de Maiernigg / DR
Au moment de la composition de ces Lieder, Mahler a plus de 40 ans (il est né le 7 juillet 1860) et il
a une grande notoriété dans le monde musical viennois étant à la tête de l'Opéra de Vienne depuis
1897 ; il en démissionne en 1907, laissant le souvenir d'un chef très intransigeant tant pour les
musiciens que pour le public, ce qui lui valut d'être l'objet de maintes caricatures qui le montrent au
pupitre, gesticulant, agité par des mouvements fougueux, violents.
Le tournant de l'été 1901
Alors que Gustav Mahler possédait une vaste culture littéraire, jusqu'en 1901 il n’a retenu que des
poèmes issus du Knabenwunderhorn (Le cor enchanté de l'enfant), ouvrage découvert en 1887 dans
la maison des Weber : il s'agit d'un ensemble de poésies et de chansons populaires qui offrent tous
les types d’humeurs et de situations (cauchemars, soldats perdus, enfant meurtri, colère, jalousie,
joie…). Mahler en a retenu vingt-quatre : il en a composé neuf pour voix et piano, et les autres pour
voix et orchestre, et il a réutilisé certains de ces lieder dans ses Symphonies 2, 3, 4.
Ainsi, alors que jusqu’à l'été 1901 Mahler semble avoir abrité ses émotions derrière une culture
populaire appartenant à tous, cet héritage collectif transmis de générations en générations, en un
mouvement de renversement assez insolite, il choisit un poète qui dit « je », qui pose la question permanente du rapport de « moi et le monde », de « moi et les autres » : le poète Friedrich Rückert
(1788-1866), également orientaliste, sensible à la sonorité des mots et à la musique de la langue.
Mahler n'est pas le seul à avoir retenu des poèmes de Rückert : huit-cent-quarante deux
compositeurs sont dénombrés pour au moins dix-neuf-cent-quarante Lieder. Parmi eux, il y a
Schubert, Robert Schumann, Clara Schumann, Brahms, Wolf, Richard Strauss, etc.. Rückert est
l'auteur de quelques 25 000 poèmes (12 volumes) dont 428 écrits après la mort de ses enfants
(1833-1834) – ce thème des enfants morts a certainement suscité l'attention de Mahler, car avant
même le suicide d'un frère en 1895, nombre de ses frères et soeurs étaient morts très jeunes… (sur
les quatorze enfants de sa mère, sept sont morts en bas âge et un s'est suicidé).
Quand Mahler a-t-il feuilleté les multiples volumes de l'oeuvre complet de Rückert ? Pour ne retenir
parmi les innombrables poèmes que cinq « poèmes lyriques », ainsi que cinq poèmes dans le recueil
des 428 poèmes des Kindertotenlieder... Il est indispensable de mentionner que le moment, l'été
1901, fait suite à une prise de conscience de la fragilité de la vie : Mahler vient d'être ébranlé, au
début de l'année 1901, par une hémorragie intestinale, ce qui l'incite à se tourner vers lui-même.
L’année 1901 correspond donc à une césure dans la vie de Mahler : il dit « je » et décide de se
marier avec une jeune fille de 20 ans alors qu'il en a 40...
Les compositions antérieures aux Rückert Lieder
Quand Mahler se met à composer les Lieder sur des poèmes de Rückert, il a déjà composé plusieurs
cycles de Lieder ainsi que des Lieder isolés à partir de poésie populaire : Das klagende Lied, cantate
pour solistes, choeur et orchestre, en 1880, révisé par la suite ; les Lieder eines fahrenden Gesellen
dans la lignée de Schubert, pour voix et piano, en 1884, puis avec orchestre en 1893 ; les
Knabenwunderhorn pour voix et piano en 1887-1890, et avec orchestre en 1892-1898.
En 1901, Mahler a également déjà composé quatre Symphonies qui incorporent les voix pour
certaines (il reprend, sans ou avec les voix, des Lieder du Knabenwunderhorn et du fahrenden
Gesellen) et qui sont très différentes, mais très puissantes, grandioses : Mahler semble se mesurer,
se confronter à Dieu, au Jugement dernier, à la Nature et proclame sa foi en Dieu (Urlicht : lumière
originelle), en la vie éternelle, en l'immortalité (particulièrement dans la Quatrième Symphonie
composée juste avant les Rückert-Lieder et qui déploie une allégresse exaltée, flottante, la musique
étant la joie suprême menant à la vie éternelle, au salut, dans une climat idyllique, onirique...).
Le choix de puiser dans les poèmes de Rückert
Dans l'immense production poétique de Rückert, Mahler puise essentiellement dans deux oeuvres.
Dans les Kindertotenlieder, il retient un ensemble de cinq poèmes qui constituent une sorte de récit
halluciné qui vise au déni de la disparition des êtres chers, appelés à une existence de lumière (qui
ne sont donc pas morts !) :
1/ « Nun will die Sonn’ so hell aufgeh’n »
2/ “Nun seh’ich wohl, warum so dunkle Flammen”
3/ “Wenn dein Mütterlein”
4/ “ Oft denk’ich, sie sind nur ausgegangen”
5/ “ In diesem Wetter!”
Dans les Lyrische Gedichte, Mahler retient cinq poèmes qui ne sont pas organisés en cycle mais qui touchent aux obsessions de Mahler, créateur jaloux de son oeuvre, à l'écoute de son inspiration, et
aspirant à l’immortalité, à la reconnaissance divine.
« Ich atmet’ einen linden Duft. »
“ Liebst du um Schönheit…”
“Blicke mir nicht in die Lieder.” D’après Bruno Walter, ami proche, Mahler interdisait à quiconque
de jeter un regard sur une oeuvre non achevée.
“Ich bin der Welt abhanden gekommen”
“Um Mitternacht”
DR
« Situations musicales » des poèmes (voir les textes surlignés en fin d'article)
Pourquoi le choix de ces poèmes ?
Plus que les thèmes ou contenus littéraires des poèmes, il semble que ce soit leur “Klang” (sonorité)
qui ait retenu l’attention de Mahler, tout autant que le jeu des associations. Ainsi :
- les allitérations : linde, gelinde, lieblich, liebe, Lied (proches de la lallation) ;
- les associations par le phonème : Mitternacht, Macht, wacht, gelacht, gedacht, gebracht,
Nacht, Acht, Schlacht ;
- le champ sémantique du voir : « Blicke, Augen, schauen », associé à la trahison (« Verrat »)
et à la jouissance (« nasche du »), Lieder et Lider (paupières) ;
- l’obsession de la mort : « gestorben» répété et associé à « Himmel ».
Ainsi les poèmes retenus dessinent une constellation qui relie création, vie, amour, sensualité, mort,
élévation sous le signe du regard curieux, jouisseur et traître. Et refus de dévoiler ce qu'il fait avant
achèvement parfait.
Le traitement musical en témoigne
Ayant particulièrement à ce moment de sa vie, étudié le contrepoint à la Bach - la polyphonie joue
un grand rôle dans sa composition à partir de 1901 - Mahler combine ces « Klang », repris par la différenciation des timbres, et ces images portées par la mélodie et les motifs, par le tempo, par la
métrique et le rythme, par les contrastes d’intensité et de densité sonore.
Ainsi par-delà leur diversité, leur singularité, ces cinq Lieder sont unifiés par le traitement musical :
absence de toute déclamation, influence du Volkslied qui se caractérise par la simplicité rythmique,
la prédominance de l'élément mélodique et musical sur les paroles.
Quelques exemples :
- Même rythme initial : « Blicke » et « Mitternacht » : noire pointée, croche, blanche.
- Même mouvement perpétuel dans « Ich atmete » et dans « Blicke ».
- Même façon de s’appuyer sur des motifs et sur leur retour : « Ich bin der Welt », « Um
Mitternacht ».
- Même simplicité de la ligne mélodique : notes conjointes et saut d’intervalle qui souligne la
charge émotionnelle d’un mot ou d’une allusion (« Sonne », « Frühling »).
Ainsi, le Lied « Liebst du um Schönheit » qui est composé après les autres et qui n'a pas été
orchestré par Mahler, est très simple, en ut majeur, « Innig », « fliessend », avec une métrique qui
change 4/4, ¾, 2/4 (Mahler casse les carrures). Chacune des quatre strophes commence par « Liebst
du », et possède une musique qui n'est pas exactement la même. Un interlude repris en coda sépare
la 2e et 3e strophe. Des sauts d’intervalle soulignent « Sonne », « Frühling », « liebe » et
« Immer » ; mélisme sur « immerdar » repris comme en écho par le piano modulant.
L’orchestration introduit la harpe sur l’amour qui élève et joue sur les intensités.
La simplicité de la mélodie se retrouve dans « Ich atmete » : « sehr zart und innig ; langsam » en ré
majeur, avec un célesta, harpe, bois et cordes qui tiennent le mouvement perpétuel, ostinato lent,
durant les deux strophes de musique caressante. La transparence, le raffinement et l'économie de
l'orchestration sont remarquables, ainsi que les allitérations et les sonorités liquides. Les images font
penser à Baudelaire, au poème Correspondance (une traduction en allemand de Stefan George a été
publiée en 1899) :
« Dans une ténébreuse et profonde unité,
Vaste comme la nuit et comme la clartébr
Les parfums, les couleurs et les sons se répondent » …
Car dans la musique de ce Lied se retrouve une douce sensualité, dominée par un souvenir de
berceuse (celle de Chopin en réb majeur op.57, composée en 1844). Les effluves printaniers
immatériels sont suggérés par les envolées des harpes et le son du célesta.
D'après Mahler ce Lied dépeint « l'émotion heureuse, mais contenue que l'on éprouve en présence
d'un être aimé dont on est entièrement sûr, sans que, dans l'échange entre deux la moindre parole
soit nécessaire » : description qui suggère immédiatement une référence à l'amour maternel. L'usage
de la sixte ajoutée qui affaiblit les cadences et fonctions tonales contribue à ce climat de douceur
nostalgique.
Première page du Lied « Blicke mir nicht in die Lieder » / DR
Le mouvement perpétuel cette fois très rapide, molto vivo, C/, se retrouve dans « Blicke mir nicht in
die Lieder » en fa majeur, Lied constitué de deux strophes. L’injonction de ne pas jeter un oeil sur ce
qu'il est en train de faire est soulignée par un court motif dès le début. Le contrepoint des motifs est
très serré et la ligne mélodique plus ondulante que dans les autres Lieder. Les sonorités graves du
violoncelle et de la clarinette initient le mouvement perpétuel, qui passe au basson puis à l’alto,
avant d'être repris par le violon. La harpe souligne le regard indiscret, curieux, jouisseur. La brièveté
elliptique, impérieuse, la rapidité forment contraste avec la lenteur méditative des autres Lieder de
cette constellation.
Au contraire dans « Ich bin der Welt abhanden gekommen », le tempo est « particulièrement lent et
retenu » et le cor anglais dessine le motif qui s’énonce par palier, tandis que la harpe donne un
aspect de légèreté sublime. Ce Lied est « durchkomponiert » pour les trois strophes. Le tempo est
fluctuant, hésitant, et le contrepoint tisse les relations entre voix et orchestre : la voix entre en
reprenant le motif ascendant qui se constitue.
A la fin Mahler indique que le jeu du violon doit faire sentir la transfiguration, la transcendance :
« Verklärt / con beatitudine ». Le compositeur se retire du monde pour jouir en toute tranquillité de
ses Lieder, de ce qui a été créé par lui et qui lui procure un sentiment d'extase.
« C'est moi-même », disait Mahler de ce Lied centré sur l'isolement, insistant sur son caractère
intime et personnel, son atmosphère retenue et d'accomplissement suprême : « le sentiment qui nous
emplit et monte jusqu'aux lèvres, sans pourtant les dépasser. » Pour Mahler, il s'agit de mettre un
terme à l'intranquillité.
Enfin « Um Mitternacht » a un tempo également calme « Ruhig, gleichmässig » et joue également
avec un double motif : pointé énoncé par la clarinette ; et, l’autre, descendant dans les profondeurs
énoncé par le cor, puis les bassons et contrebassons. L’orchestre est formé uniquement de bois, de
cuivres, de timbales, de harpe et piano : il n'y a pas de cordes. Les cinq strophes d'un poème trouvé
dans le recueil Liebesfrühling, Sommer suivent le schéma : ABAAB avec alternance mineur-majeur.
Ce Lied se caractérise par son dépouillement, son intensité expressive, la régularité angoissante du
rythme et une orchestration inhabituelle. Des motifs obsessionnels soulignent les associations
autour de « acht » (attention), sorte de prière lugubre, portant l’angoisse métaphysique du moment
de la mort, jusqu’à la grande impulsion finale qui salue Dieu avec roulement de timbales, cuivres et
harpes. Confiance et profession de foi. Peu après [9] « Mit machtigem Aufschwung » : tenues des
cors, tremolos des timbales, arpèges issues des graves des harpes, piano, signalent le voeu que Dieu
soit attentif, reconnaisse son être et lui assure l’immortalité.
Ainsi Mahler, par sa démarche de composition, met en évidence ce qui l’anime, en quelque sorte les
sources de son inspiration :
/ Poésie, musique.
/ Emprise maternelle, ou retour de l’archaïque par la lallation et la sensualité de l’odeur (maternelle
douce comme le tilleul, avec le souvenir de Schubert du côté maternant).
/ L'aspiration à créer une oeuvre qui ait la perfection d'un rayon de miel.
/ L'angoisse métaphysique et le désir d’immortalité.
Mahler fait donc l’aveu de son désir, de ce qui le pousse à créer, mais qu’il ressent comme honteux :
sensualité, goût pour l'isolement, douceur maternelle archaïque, angoisse de la mort.
Il voudrait interdire que l’on plonge nos regards dans son intimité, dans son « atelier intime », alors
que son désir est de la montrer, de la laisser apparaître, dans une oeuvre qui atteigne la perfection du
travail des abeilles et lui assure l'immortalité - ce qu’il finit par mettre en oeuvre dans cette
constellation, pour le plus grand bonheur des interprètes très nombreux et des auditeurs et amateurs
mélomanes.
Gustav Mahler vers 1900 / DR
Situation musicale de chacun des cinq Lieder
Liebst du
Liebst du um Schönheit, o nicht mich liebe!
Liebe die Sonne, sie trägt ein goldnes Haar!
Liebst du um Jugend, o nicht mich liebe!
Liebe der Frühling, der jung ist jedes Jahr!
Liebst du um Schätze, o nicht mich liebe!
Liebe die Meerfrau, sie hat viel Perlen klar!
Liebst du um Liebe, o ja, mich liebe!
Liebe mich immer, dich lieb' ich immerdar.
Blicke mir nicht in die Lieder
Blicke mir nicht in die Lieder!
Meine Augen schlag' ich nieder,
Wie ertappt auf böser Tat.
Selber darf ich nicht getrauen,
Ihrem Wachsen zuzuschauen.
Deine Neugier ist Verrat!
Bienen, wenn sie Zellen bauen,
Lassen auch nicht zu sich schauen,
Schauen selbst auch nicht zu.
Wenn die reichen Honigwaben
Sie zu Tag gefördert haben,
Dann vor allen nasche du!
Ich atmet' einen linden Duft!
Ich atmet' einen linden Duft!
Im Zimmer stand
Ein Zweig der Linde,
Ein Angebinde
Von lieber Hand.
Wie lieblich war der Lindenduft!
Wie lieblich ist der Lindenduft!
Das Lindenreis
Brachst du gelinde!
Ich atme leis
Im Duft der Linde
Der Liebe linden Duft.
Ich bin der Welt abhanden gekommen
Ich bin der Welt abhanden gekommen,
Mit der ich sonst viele Zeit verdorben,
Sie hat so lange nichts von mir vernommen,
Sie mag wohl glauben, ich sei gestorben!
Es ist mir auch gar nichts daran gelegen,
Ob sie mich für gestorben hält,
Ich kann auch gar nichts sagen dagegen,
Denn wirklich bin ich gestorben der Welt.
Ich bin gestorben dem Weltgetümmel,
Und ruh' in einem stillen Gebiet!
Ich leb' allein in meinem Himmel,
In meinem Lieben, in meinem Lied!
Um Mitternacht
Um Mitternacht
Hab' ich gewacht
Und aufgeblickt zum Himmel;
Kein Stern vom Sterngewimmel
Hat mir gelacht
Um Mitternacht.
Um Mitternacht
Hab' ich gedacht
Hinaus in dunkle Schranken.
Es hat kein Lichtgedanken
Mir Trost gebracht
Um Mitternacht.
Um Mitternacht
Nahm ich in acht
Die Schläge meines Herzens;
Ein einz'ger Puls des Schmerzes
War angefacht
Um Mitternacht.
Um Mitternacht
Kämpft' ich die Schlacht,
O Menschheit, deiner Leiden;
Nicht konnt' ich sie entscheiden
Mit meiner Macht
Um Mitternacht.
Um Mitternacht
Hab' ich die Macht
In deine Hand gegeben!
Herr! über Tod und Leben
Du hältst die Wacht
Um Mitternacht!
Publications des poèmes de Rückert disponibles du temps de Mahler :
Gesammelte Gedichte von Friedrich Rückert. 6 Bde. – Erlangen: Carl Heyder 1836-1838. (Bd. 1, 2.
Aufl. u. Bd. 5).
Friedrich Rückert’s gesammelte poetische Werke in zwölf Bänden. – Frankfurt a. M.: J. D.
Sauerländer 1868/69.
Friedrich Rückert’s gesammelte poetische Werke in zwölf Bänden. – Neue Ausgabe. – Frankfurt a.
M.: J. D. Sauerländer 1882.
Après un concert magnifique à l’hôtel des Invalides où elle a interprété deux pièces de son nouvel
album « Exiles » : « Schelomo » de Bloch et le « Concerto pour violoncelle » de Korngold sous la
direction de Jacques Mercier avec l’Orchestre National de Lorraine, et juste avant un passage à
radio Notre Dame pour la promotion de son disque, elle nous a accordé une interview tout en
« avalant » des pâtes qui refroidissaient au fur et à mesure de notre discussion !
© C. Doutre
Je suis allé sur votre site qui très bien fait…
Je dirai cela à celui qui l’a fait…
Et j’ai impression que vous êtes très forte dans le service après-vente ?
Ce n’est pas moi qui m’occupe de tout ce qui se passe sur internet. Sur le site, ce qui m’importe
c’est que le contenu soit en phase avec les musiques que j’ai envie de défendre et une certaine idée
que je me fais du métier d’artiste ; c’est un métier mais surtout un engagement. Il en est le reflet.
Techniquement je suis une bille en informatique que vous ne pouvez pas vous imaginer et je serai
bien en mal de faire quoique ce soit en ce domaine.
Il y a pas mal de passages filmés, avec des interviewes : vous acceptez ce côté show off, non ?
Je pense que toutes ces techniques là ont beaucoup de travers, mais ont l’avantage de rendre
accessibles des musiques que je défends et qui ne le sont pas toujours suffisamment. Mon credo
c’est qu’à la fin de mes journées il y ait un peu plus de monde qui ne puisse plus se passer de Bach
ou de Schumann pour vivre…
En l’occurrence un des fils...
CPE bien sûr (Carl Phillipp Emanuel) et aussi des musiques parfois inconnues même des
spécialistes de notre domaine. Si ces moyens sont utilisés à bon escient pour rendre accessibles ces
musiques là, à des gens qui n’ont pas forcément le temps d’aller cinq fois par semaine au concert,
ou si cela leur donne envie d’y aller, je pense qu’ils ont un certain pouvoir, même si je préfère la
radio, et de très loin. Je suis très attachée à la qualité du son. Si on écoute les enregistrement que je
fais avec Aparté on peut s’en rendre compte. En même temps l’image a aussi une capacité de
toucher différemment et d’autres personnes. Je n’ai pas de fausse pudeur par rapport à cela
effectivement…
Vous appréciez donc qu’on vous mette en scène à travers ce média assez puissant pour faire
apprécier les oeuvres que vous aimez…
J’ai suffisamment d’humilité pour me dire que si c’est bon pour la musique, c’est bon pour les gens,
ça permet de faire un travail de popularisation. Je n’aime pas le terme de vulgarisation, et c’est tant
mieux. Le terrain des images est tellement occupé par des nullités absolues ; autant qu’il y est de
belles choses qui s’y passent.
Quitte à se mettre pieds nus en jouant du Bach !
J’assume cela aussi, je m’en fous, je joue de la musique sacrée aux Invalides, ou dans d’autres
circonstances et quel que soit le lieu, le terrain de la scène est un espace sacré pour moi et ce n’est
pas parce qu’on a des talons de 15 cm ou que l'on est pieds nus : la dimension spirituelle, la
dimension humaniste, de ces musiques ne tient pas à la hauteur du talon.
https://www.youtube.com/watch?v=poCw2CCrfzA
Vous venez de prononcer le mot "popularisation". Lorsque des gens du monde politique
prononcent eux le mot ''élitiste'' s'agissant de la musique classique, comment réagissez vous ?
Cela m’attriste. Cela me déchire en fait d’entendre cela. Cette musique aide n’importe qui dans
toutes les circonstances de la vie. J’ai fait des ateliers en prison, des ateliers croisés musique et
danse et je me suis retrouvée seule, je n’en menais pas large. Et puis arrivée dans l’atelier, un
malabar m’a dit : j’en n’ai rien à foutre de ton truc, c’est pas ma musique. Je lui ai répondu que
j’étais là pour leur apporter quelque chose et s’il ne voulait pas le recevoir il pouvait partir, mais je
lui ai dit ''écoute''. Ensuite je n’ai plus discuté avec lui ; j’ai pris un tabouret et j’ai joué du Bach,
une pièce de Gaspar Cassado que j’aime beaucoup et que j’aime jouer dans ce genre de
circonstance, « Le Chants des Oiseaux ». Ce n’est qu’une trame sur laquelle j’improvise, c’est une
pièce qui me touche énormément et qui touche beaucoup de monde. Elle a été jouée par Pablo
Casals devant l’ONU lorsqu’il défendit l’indépendance de la Catalogne. Il était autant politique
qu’artiste finalement. J’ai joué une Gymnopédie de Satie qui est orientalisante. J’ai joué ainsi
quelques minutes et ce gros malabar avec ses tatouages partout a fondu en larmes. C’était difficile
de ne pas être submergée par l’émotion. Ce n’était pas mon boulot, mon boulot c’était de leur en
procurer. Le lendemain je suis revenue et il avait écrit un poème incroyable. Donc quand on passe
par la fenêtre ou par la porte de derrière pour leur faire entendre cette musique là, et bien on est
gagnant ! C’est précieux et pour eux, et pour moi…
La musique classique serait politique ?
Je pense que c’est un acte politique d’être musicien, artiste, dans cette société consumériste, c’est un
acte citoyen qui dépasse largement la politique de la cité.
Comme l’a fait en son temps Slava Rostropovitch, ou aujourd’hui Sonia Wieder-Atherton...
Je ne sais pas si c’est un hasard. Il y a une porosité entre les qualités du violoncelle et de
l’instrumentiste. Je n’aime pas faire des caractérisations, des listes, mais je pense que c’est un
instrument qui rend très sociable. On est très fréquentable, on est habitué à être à la fois soliste ou
chambriste ou à jouer une basse continue pour un chanteur. Et ne pas se la raconter comme un
soprano ou un violon qui parfois ne joue que la première voix !
On dit que le violoncelle c’est notre voix…
Oui, mais c’est toutes les voix, c’est un des rares instruments qui épouse toutes les tessitures depuis
la basse profonde jusqu’au soprano le plus aigu. Bien sûr il y a le piano, mais qui a moins cette
vocalité dans son expression. Dans les instruments à cordes, c’est celui qui a l’amplitude la plus
large et c’est pourquoi je l’adore parce que cela me permet de jouer tous les rôles à la fois dans un
opéra.
Alors revenons à votre site. Je cite : « Vous êtes l’enfant du baroque ». Que voulez-vous dire
par cette phrase ?
Et bien je suis tombée dedans quand j’étais petite. La musique baroque, oui, pas seulement. Mais
c’est vrai que je fais partie de ce qu’on appelle la quatrième génération des instrumentistes qui
jouent sur instruments historiques. J’ai été très influencée par la première génération, par les
Harnoncourt, Leonhardt etc. J’ai eu la chance par les hasards de la vie de côtoyer la deuxième
génération des baroqueux, les Christophe Coin, Wieland Kuijken, Pierre Hantaï. Tous ces gens là,
très tôt, j’avais huit neuf ans quand je les ai rencontrés. Mes parents ne sont pas musiciens, j’ai
atterri dans une petite école de banlieue parisienne. Mon père est suisse donc j’ai la double
nationalité. Il se trouve qu’il y avait un petit réseau de profs supers et, de bouche à oreille comme
ça, je suis arrivée à voir des gens de premier plan au niveau international très tôt, et leur façon de
toujours chercher, de faire des expérimentations. Ce côté laboratoire m’a beaucoup marquée et c’est
un peu ma langue maternelle que cette musique baroque. Je n’ai pas connu, comme certains qui font
de la musique romantique et découvrent beaucoup plus tard qu’on peut jouer sur une corde en
boyau, la nécessité de faire tout un apprentissage. Moi j’ai toujours eu une double identité depuis
que je joue.
Vous passez d’un répertoire à l’autre sans difficulté ?
Oui tous les jours, dans un même concert. Cela nécessite une période d’apprentissage très soutenu,
car l’expérience de jouer sur un instrument historique demande beaucoup de temps d’assimilation,
afin d’apprivoiser le matériel que l’on interprète. Jouer sur une corde en boyau nu n’a rien à voir
avec le jeu sur du métal. Le fast food en musique ancienne, cela ne m’intéresse pas du tout. Mais
par contre c’est une pratique qui se nourrit quotidiennement et je pense que c’est tout à fait possible,
et j’incite mes étudiants à la faire et être polyvalent.
Ne pensez-vous pas que cet effet de mode est arrivé pour donner un coup de fouet à l’industrie
du disque qui ronronnait et parce qu’on jouait toujours le même répertoire ?
La première génération des baroqueux a connu l’âge d’or du disque. Le passage du vinyle au CD a
été un boom pour l’industrie de la musique. Harnoncourt en parle très bien. Il était violoncelle solo
à l’Orchestre Symphonique de Vienne et puis il s’est dit un jour que ce n’était pas possible de
s’ennuyer autant en jouant du Bach, que ce soit lisse, plat, atone. Pour lui, il y avait un truc pas
logique. Il s’est penché sur cette musique et a fondé le Concentus Musicus Wien et il a retrouvé les
saveurs, les couleurs, le potentiel d’énergie rythmique de cette musique et il en a métamorphosé
l’interprétation.
Aujourd’hui on va rechercher une sorte de vérité historique aussi dans l’interprétation de la
musique romantique...
La démarche est la même. D’ailleurs dans mon dernier disque, « Exiles », j’ai la même manière de
fonctionner dans la recherche de répertoire, de mise en lumière d’oeuvres qui sont pour moi
majeures pour le violoncelle, mais trop peu connues comme le concerto de Korngold qui n’est
jamais joué, et même le « Schelomo » de Bloch qui n’est pas connu du grand public. C’est aussi
explorer la porosité des frontières entre musiques populaires et savantes, parce que dans les sources
de la musique savante du XVI, XVIIème, on est dans l’influence entre les sources populaires, la
danse, la rythmique, et une musique très élaborée. Dans ce disque j’ai pris partie de prendre des
pièces résolument empruntées au répertoire populaire klezmer et en même temps du grand
répertoire symphonique. Pour moi c’est plus intéressant d’explorer que de construire des murs.
Il y a une dizaine d’années vous avez eu envie de monter un groupe, un orchestre de chambre,
l'Ensemble Pulcinella. Quelles ont été vos motivations ?
En fait c’est la liberté que cela procure qui m’a décidé. J’ai toujours eu un esprit d’entreprise. Avec
ma soeur, flûtiste et hautboïste, on avait monté un premier ensemble qui s’appelait Amarillis, lorsque je suis sortie du conservatoire. On a joué pendant dix ans. Ensuite j’ai voulu voler de mes propres
ailes et avoir plus de liberté de choix de programmes. Alors j’ai constitué ce groupe Pulcinella. Mais
ce n’était pas par envie de monter un groupe, comme ça, un matin. Cette liberté a un prix, c’est
extrêmement contraignant, un combat de tous les jours pour faire vivre un ensemble de ce style,
mais en même temps ça vaut le coup.
Avec l'Ensemble Pulcinella / DR
Comment est composé cet orchestre ?
Il a un noyau dur de musiciens, certains enseignent et d’autres viennent selon les oeuvres jouées. Ils
sont tous freelance, ont tous de fortes personnalités…
Aviez-vous fait un casting ?
En fait ce n’est pas moi qui ai fait le casting, ce sont les affinités électives qui font cela. On se
choisit mutuellement, il n’y a pas de direction verticale. Moi je donne une impulsion musicale, je
fédère ces énergies ; mais on est plutôt une sorte de collèges d’artistes. Les idées fusent de partout
quand on répète, chacun peut avoir le rôle de soliste. On a joué dernièrement un psaume de Bach où
l’altiste a une partie importante. On peut ainsi faire émerger une personnalité, et en même temps on
se fond dans une éthique de jeu, une volonté de faire de cette musique ensemble avec le plus de
justesse possible.
Olivier Bouley a un peu le même parcours que vous. Ancien de la banque, il a tout abandonné pour vivre sa passion et monté il y a 6 ans l’association « Les Pianissimes », qui fait des
concerts de jeunes pianistes . Envisageriez- vous de faire pareil ?
Il se trouve que le ténor de la troupe, Xavier Meyrand, est un ami proche d’Olivier Bouley qui vient
régulièrement assister à nos spectacles, et Xavier a travaillé pour cette association. De même il
m’arrive d’aller à ses concerts. Pour le moment je n’ai pas les moyens de lâcher mon boulot à la
banque. Il faut que je rembourse mon appartement, et la compagnie me coûte de l’argent. Si j’arrive
à développer l’activité on verra si c’est rentable, mais ma carrière chez HSBC me plaît. Pour
l’instant c’est un hobby qui m’occupe beaucoup et qui me coûte comme tout hobby qui se respecte !
Vous avez beaucoup d’affinité avec CPE Bach, vous en parlez dans vos interviewes avec
beaucoup de passion. Trouvez-vous qu’il a la place qu’il devrait avoir ?
Il faut savoir qu’à la mort de son père il était très connu, plus que JS Bach. Il a eu une influence
importante sur toute une génération de compositeurs comme Mozart, Haydn, et même Beethoven.
Ils se référaient à ce compositeur et non à Jean Sébastien. CPE Bach était très respectueux de son
père, il a défendu ses manuscrits, il a fait tout un travail d’édition critique, contrairement à Wilhelm
Friedemann, l’enfant terrible, qui a piqué des manuscrits de son père, publié sous son nom. CPE,
c’était la révolution tranquille. Il a touché à la symphonie, la sonate, l’oratorio, le concerto. Il a
ouvert la voie au romantisme. Il a été dans la lignée de son père et en même en rupture complète.
C’est un musicien fascinant.
https://www.youtube.com/watch?v=T5dIHc2Zr-s
Comment l’avez vous découvert ?
Il a écrit trois concertos pour violoncelle, il fait partie des références de la littérature majeure pour
l’instrument. Il y en a deux qui ne sont jamais joués, c’est la marche indispensable entre Vivaldi ou
Bach et Haydn.
Vue votre stature pouvez-vous l’imposer ?
Il y a encore des frileux. Mais je préfère les jouer avec ma phalange, ou avec un orchestre qui a les
mêmes affinités baroques ou classiques. J’arrive petit à petit à imposer CPE Bach. Le public est
plus curieux que les organisateurs. Le problème ce sont eux qu’il faut convaincre. Mais ça vient, on
le joue régulièrement en Allemagne. Il y a eu l’anniversaire des 250 ans de sa naissance ce qui a
aidé à sa reconnaissance.
Comment faites-vous vos programmes ? Faut-il se friter, comme vous dites, avec la
programmateurs ?
Il y a quelques passionnés. Par exemple ce mois-ci on fait un concert Carl Phillip Emmanuel à
Toulouse au festival des Arts Renaissants. Les gens qui veulent bien m’inviter savent que j’ai un
répertoire éclectique. Il y a plein de violoncellistes qui jouent Dvořák six fois par mois, ce n’est pas
mon profil. J’adore jouer son concerto mais s’ils m’invitent c’est pour d’autres raisons. Et puis si on
est convaincant on peut toujours argumenter !
On ne va pas parler de votre dernier disque, on en parle par ailleurs dans la revue, et vous
êtes invitée partout pour la promo. Mais ce concerto de Korngold c’est étonnant qu’il soit si
peu joué !
C’est une aventure cinématographique de Korngold, « Déception » - de Irving Rapper avec Bete
Davis 1946 - c’est la création d’une oeuvre, je n’en connais pas d’autre. Le climax du film c’est le
moment de la création du concerto. On sent dans la musique toutes les influences sérielles,
l’héritage Mitteleuropa, une écriture très viennoise, proche de Strauss, de Mahler, et en même temps
son vrai métier de compositeur de films, un sens du suspens, quand il faut ménager les choses,
placer une petite cadence, quand il faut développer une grande phrase très lyrique hollywoodienne.
C’est une oeuvre assez aboutie de ce point de vue là.
La musique de film vous intéresse-t-elle ?
Je l’apprécie sans en être spécialiste, mais je suis particulièrement attentive à ces musiques. Je les
trouve souvent mauvaises d’ailleurs, mais quand il y a une vraie adéquation entre le compositeur et
le réalisateur, ce sont des moments très intenses.
Souvent les compositeurs se servent du violoncelle en solo, pour amener des émotions...
Oui mais je ne rechigne pas devant l’émotion : les petits passages « Out of Africa » dans le
concerto de Korngold, j’assume totalement.
Les concertos de Vivaldi vous les appréciez, il en a fait de nombreux !
27, je pourrais les jouer tous mais il y en a qui ne sont pas aussi passionnants que d’autres, il y en a
qui ne sont pas connus et que je joue. Ils sont intéressants parce que Vivaldi a très bien compris les
particularités, les caractéristiques, de l’instrument, sa vocalité. Il était amoureux des chanteuses tout
prêtre qu’il était, c’était un fan de chant. Il confie au violoncelle des lignes qui sont extrêmement
vocales, lyriques, ce qui était nouveau. Car le violoncelle était à l’époque plutôt fait pour
accompagner les autres. D’autre part, il y a le côté très proche de la basse continue qui est présent.
Le violoncelle est entre ces deux univers là, et souvent il s’émancipe, dans les mouvements lents par
exemple, et puis il joue un rôle de moteur rythmique dans les mouvements rapides. Ce qui est
nouveau c'est la virtuosité qui est confiée à l’instrument.
On va faire un saut dans l’espace et le temps : y-a-t-il des compositeurs d’aujourd'hui qui ont
écrit pour vous ?
J'ai des attirances personnelles en tant qu'interprète, mais par contre j'ai pris le parti de joué tous ce qu’on me propose. Par exemple j’ai interprété une partition particulièrement moderne d’écriture
où il n’y a pas un seul son qui ne soit pas écrasé pendant 20 minutes et en fait j’ai adoré. Je joue une
pièce de Xenakis qui s’appelle Kottos, terriblement difficile. Dans le meilleur des cas, après six
mois de travail on peut espérer faire 75% des notes et encore. Elle est réputée très ardue en tant que langage contemporain, et moi j’aime la jouer. Cela casse les bras, mais il y a une vraie idée derrière,
un vrai projet de compositeur, une vraie vision. Je ne me prive de rien stylistiquement, je ne suis pas
fanatique des néoclassiques, il m’est arrivé d’en jouer souvent, mon boulot d’interprète ce n’est que
de transmettre une musique qu’on me donne ou que je découvre. Bien sûr j’ai des affinités
particulières avec Dutilleux, Dusapin, mais je ne porte pas de jugement à priori. C’est au public
d’accepter ou pas, d’apprécier diversement. Nous on est là pour donner le meilleur de ce qu’on peut
donner, pour qu’une pièce vive, et s’abstenir de tout jugement. C’est une forme de déontologie que
j’ai et que j’essaye d’avoir pour mes étudiants.
Vous parlez de vos étudiants. Je vois sur votre site qu’en espace d’un mois vous allez donner
des cours dans le Limousin puis en Corée, en Italie…en plus de vos concerts. Vous avez des
jumeaux : comment arrivez-vous à mener de front toutes ces activités ?
Et bien cela fait des bébés voyageurs ! C’est complexe à organiser mais c’est très équilibrant de
donner des cours, c’est pas mal d’énergie mais c’est très riche, c’est une autre façon de partager, qui
est plus ponctuelle pour des master classes mais à plus long terme, à Genève dans ma classe. Quand
vous semez des petites graines et que vous voyez comment elles poussent, comment un talent va
éclore, se développer, c’est très gratifiant. Pour moi c’est enthousiasmant, c’est une sacrée
responsabilité, même plus que dans un concert, où là on donne tout puis on rentre dans sa chambre
d’hôtel et la vie continue. On ne sait pas ce qu’on laisse dans l’âme des gens. Dans l’enseignement
avoir un geste qui a plus de longévité c’est plus intéressant.
Avec Louis Schwizgebel / DR
Vous parliez de Casals. Est ce que lorsque vous étiez môme, il y a des violoncellistes qui vous
ont impressionnée ?
Le premier grand que j’ai eu la chance de voir en direct c’est Paul Tortelier, j’avais 8 ou 9 ans, je
l’avais entendu plus jeune, mais là j’étais consciente, je faisais du violoncelle et ce sont mes
premiers souvenirs d’avoir écouté un grand maître. Il jouait en banlieue parisienne pas loin où
j’habitais. On était une série d’enfants sur la scène. Lui, très élégant, magnifique, avec beaucoup de
présence aussi. A la fin il est venu m’embrasser parce que j’avais dû applaudir comme une raide
dingue, comme une groupie. J’ai gardé un lien de coeur même si je ne suis pas fan de toutes ses
interprétations, notamment de ses Bach, mais cela m’a beaucoup marqué. Je l’aime bien parce qu’il
raconte des histoires et qu’il ne fait pas que du violoncelle. Et puis Casals m’a définitivement
marquée. Il y en a plein d’autres, Jacqueline du Pré : on ne peut pas vivre sans elle par exemple.
Mais aussi des musiciens pas violoncellistes, Harnoncourt comme chef. Il y a un pianiste hongrois
qui m’a marquée et auquel j’ai beaucoup pensé quand j’ai préparé « Exiles », qui lui-même s’est
exilé aux États-Unis, à Bloomington, au même endroit où était Janos Starker, le grand violoncelliste
hongrois. Il y a eu une espèce de cellule hongroise qui s’est transplantée dans les années 56 et où ils
ont créé une petite ambiance Mitelleuropa en même temps très influencée par l’Amérique,
profondément citoyen américain. J’ai été très touchée de voir cela et ce pianiste, György Sebők, qui jouait avec Janos Starker, m’a plus marquée que Starker lui-même que j’ai eu en master class. Lui
c’était une espèce de petit bonhomme avec une clairvoyance sur les gens : il vous écoutait au fond
de la salle et en deux ou trois minutes il décodait les gens avec beaucoup de bienveillance et une
lucidité sur la vie incroyable.
Vous avez fait des récitals, des concerts, des disques. Y-a-t-il des oeuvres que vous aimeriez
interpréter ?
Oui, je suis en train de travailler sur un prochain rêve à réaliser autour de Richard Strauss. Je l’ai
découvert assez tardivement parce que j’avais décidé de le blacklister, pour des raisons politiques,
excellentes d’ailleurs…
Sa présence en Suisse ?
Cela fait partie des autres blacklistages, des autres débats, que j’ai avec la Suisse. Il n’y a pas que
lui qui s’est réfugié en Suisse. Stravinsky aussi. La Suisse n’est pas aussi caricaturale qu’on veut
bien le dire, ce pays a accueilli pas mal d’artistes et a fait vivre toute une vie artistique, notamment
en Suisse Romande pendant la Deuxième guerre mondiale. Ce qui n’enlève rien qu’au point de vue
politique générale c’est un désastre. En fait ce qu’a écrit Strauss c’est trop beau pour résister. Ses
oeuvres pour violoncelle sont très peu jouées. Le Don Quichotte est une oeuvre majeure pour le
répertoire. Donc c’est un rêve que je mûris depuis quelque temps.
Vous pensez que c’est à cause des ses opéras que ses oeuvres pour violoncelle sont si
chantantes !
Je suis dingue de ses opéras, il y a la richesse de la ligne vocale, la richesse harmonique. Je pense
que le violoncelle est l’instrument à qui il a confié le plus de choses qui sont influencées par son art
de la vocalité, c’est évident.
Y-a-t-il une oeuvre contemporaine qui a été dédicacée à Ophélie Gaillard ?
Oui, il y a une Suite de Benoît Menut. J’ai créé beaucoup de partitions en fait. Actuellement, pour
Pulcinella on passe une commande pour l’année prochaine à Philippe Hersant, sur instruments
historiques dédicacée à l’ensemble. Il y a une piste avec Dusapin, à explorer avec mon ensemble. Il
n’y a pas beaucoup de compositeurs qui peuvent écrire d’une façon intéressante pour les
instruments montés historiquement. Cela donne des couleurs particulières, et pour des héritiers de la
musique spectrale cela peut être intéressant… Je travaille en ce moment avec des compositeurs
comme Raphael Cendo Yann Robin. C’est de la musique très spectaculaire qui malmène les
instruments, malmène les instrumentistes. Même cela j’ai eu du plaisir à faire des sons saturés
pendant 20 minutes au point que lui n’en pouvait plus et que moi j’avais envie de continuer. On se
prend au jeu, c’est un jeu d’être interprète, ce n’est pas très sérieux. Lorsque l’on tape sur un
instrument, je retrouve des trucs ludiques que j’avais quand j’avais 2 ou 3 ans ! Ce côté jeux -
rythmes, c’est dommage de s’en priver, cela m’amuse autant que de faire une belle phrase de
Strauss.
Donc ce sera le prochain disque, après avoir vendu « Exiles » ?
Il y a plein de projets. Contrairement à ce que l’on croit quand vous parlez de show off de tout ça
par rapport au site internet, les gens ne se rendent pas compte à quel point justement on est dans la
vie comme eux, dans un maelström permanent ; mais ce n’est pas bon, je ne peux pas avoir tous les
jours du temps, c’est la chose la plus difficile à préserver. C’est ce que j’ai le plus de mal à
préserver et que je m’acharne le plus à faire.
Prenez-vous du temps pour lire ? Votre dernier livre ?
Je n’ai pas malheureusement pas beaucoup de temps pour lire mais je suis en train de lire des essais
sur l’interprétation des dessins préhistoriques, pour la simple raison que mon père qui était
professeur aux Beaux Art sur la psychologie de l’art, a écrit une analyse dans un livre collectif sur les dessins rupestre. J’ai découvert ce sujet par Gérard Garouste, grand admirateur de l’art
préhistorique, et je viens de le finir !
Puisque vous parlez de graphisme, je vais vous lire une phrase tirée de votre site :
« Si le dessin est d’une précision calligraphique, le geste souple, direct, emporte l’auditeur dans
des mouvements qui ont la fluidité d’un torrent de montagne. »
J’avoue que j’ai du mal à saisir le sens de cette phrase par rapport à votre interprétation des
Suites de Bach ?
On parle de mon geste musical plutôt que la musique que je joue. Ce qui me plait dans cette phrase
c’est le torrent de montagne, il y a une énergie vitale, un peu canalisée mais pas trop. J’aime bien
cette idée-là.
Et la fluidité ?
Bah c’est de la rhétorique ; il fait comme il peut le monsieur qui a écrit cette phrase!
J’avoue ne pas avoir senti votre précision calligraphique dans le concert des Invalides avec le
“Schelomo” de Bloch. Il y avait un tel débordement d’émotions...
Quand je joue “Schelomo”, j’essaye de me mettre dans la peau de Salomon. C’était un animal
politique incroyable, il y a une espèce de force, de présence au monde si l’on considère que c’est lui
qui a écrit le Cantique des Cantiques. Bien sûr, c’est la légende, le personnage mythologique qu’on
a créé est un type d’une sensualité incroyable et en même temps un génie militaire, politique
hallucinant, avec une vraie vision stratégique, même si tout cela est de l’invention pure. Et dans
cette oeuvre je ressens tout cela. Dans le passage central il y a un moment où le héros, le
violoncelliste, est tracassé, cassé, dans tous les sens...
C’est pour moi le mur des lamentations…
C’est cela. Après on va plus loin dans la douleur, les tutti orchestraux, ce sont des trucs de dingue ;
de les recevoir dans le dos quand vous jouez, c’est galvanisant !
On est quand même dans un péplum !
C’est ça ! J’adore les péplums, je suis bon public au cinéma !
On est dans « Ben Hur » ou « Quo Vadis » !
Oui mais de meilleure qualité !
Miklós Rózsa c’est quand même puissant !
C’est pour cela que j’ai choisi le violoncelle. Quand je suis allée pour la première fois au concert
j’avais trois ans et demi. J’étais au premier rang, c’était Christoph Henkel qui jouait : le truc qui
m’est arrivé dans la figure était colossal. Il y a peu d’instrument qui vous font cet effet. C’est
pourquoi il est très populaire, parce qu’il touche, il va tout de suite à l’essentiel. On ne perd pas de
temps avec les préliminaires avec le violoncelle !
Et on fait des jumeaux ! (rires)
https://www.youtube.com/watch?v=nDTXGMcsIOM
Pour en savoir un peu plus sur Ophélie Gaillard : http://opheliegaillard.com
Propos recueillis par Stéphane Loison
John Storgårds © Heikki Tuuli
Un public bien clairsemé dans le grand Auditorium de la maison ronde pour cet intéressant concert
de musique franco-nordique dirigé par un éminent spécialiste du genre, le chef finlandais John
Storgårds. Dommage que le public n’ait pas répondu à l’appel, dommage de constater, avec frayeur
et inquiétude, que seules les oeuvres célèbres puissent encore bénéficier d’une large audience,
dommage pour ces compositeurs venus du grand Nord qui méritent assurément une écoute attentive
(La Fille de Pohjola de Sibelius, la Symphonie n° 2 dite « Les quatre tempéraments » de Carl
Nielsen), dommage pour la création contemporaine avec, ce soir, la création mondiale de Missing,
concerto pour violon et orchestre d’Edith Canat de Chizy. Dommage enfin pour les absents qui
auront manqué là un beau concert…
La Fille de Pohjola est une fantaisie symphonique composée en 1906 qui puise sa source dans le
Kalevala, grande épopée finnoise, au même titre que d’autres poèmes symphoniques de Sibelius
comme Kullervo ou les Quatre légendes de Lemminkainen. Sorte de conte initiatique, la Fille de
Pohjola est toute imprégnée de poésie, de violence et de mystère, mélange assez caractéristique du violoncelle, les bois, puis les cuivres sur un ostinato des cordes avant que le tutti ne reprenne tous
ces thèmes dans une animation croissante. John Storgårds, très engagé physiquement, en donna une
lecture très dynamique avec force nuances et couleurs. Une manière particulièrement convaincante
qu’on retrouvera également dans la Symphonie n° 2 de Nielsen. Une oeuvre datant de 1901-1902
inspirée de quatre gravures grotesques mettant en scène successivement, le colérique, le
flegmatique, le mélancolique et le sanguin, autant d’occasions pour le compositeur de faire montre
de sa modernité dans le traitement de la tonalité et de sa science de l’orchestration, recrutant tous les
pupitres de l’orchestre. Rythmes syncopés, transitions abruptes, sonorités puissantes font tout le
charme de cette partition très originale menée de main de maitre par le chef finlandais face à un
« National » très réactif. Seul le dernier mouvement Allegro sanguinoso put paraitre par instants un
peu confus.
Insérée entre ces deux oeuvres particulièrement puissantes et démonstratives, la création mondiale
de Missing, concerto pour violon et orchestre d’Edith Canat de Chizy (° 1950) commande de
Radio-France. Une partition un peu déroutante, assez aride par ses ruptures rythmiques, ses
fulgurances et ses embryons mélodiques. Une oeuvre sollicitant plus la raison que l’émotion qui
sembla un peu datée par ses sonorités évoquant Xenakis, Varèse ou encore Carter, explorant les
timbres et couleurs instrumentales, sous-tendue par une virtuosité se limitant presqu’exclusivement
au registres extrêmes du violon. Une oeuvre un peu décousue dont la violoniste Fanny Clamagirand
se tira avec les honneurs, aidée en cela par un orchestre très à l’écoute. Une belle soirée !
Patrice Imbaud.
Julian Prégardien © DR.
Toute droite arrivée de l’Opéra de Dijon, dépouillée de la mise en scène de David Lescot, cette
Flûte enchantée valait surtout par la grande qualité de sa distribution vocale faisant appel à de
jeunes et talentueux chanteurs. On ne reviendra pas sur l’inspiration maçonnique bien connue de ce
Singspiel s’inscrivant dans un triptyque où Mozart livre en quelque sorte son testament
philosophique comptabilisant les devoirs envers soi (La Clémence de Titus) les devoirs envers
l’humanité (La Flûte enchantée) et enfin les devoirs envers Dieu (Requiem). Point de commentaires
superflus également concernant les Talens lyriques et la direction de Christophe Rousset. Pas de
surprise dans cet effectif orchestral jouant sur instruments anciens, la sonorité est claire et la
direction dynamique. Christophe Rousset y privilégie une ligne assez solennelle au phrasé quelque
peu monolithique, où les couleurs et nuances manquent parfois, au profit de la défense attentive
d’un équilibre parfait entre orchestre et chanteurs (La grande salle Pierre Boulez de la Philharmonie
obligeant peut-être à ce choix…). Reste que, comme annoncé précédemment, tout l’intérêt de cette
version de concert résidait dans un casting vocal de haute volée. Julian Prégardien y campe un
Tamino princier enthousiasmant digne des plus grands par le timbre d’une sublime douceur, par
l’élégance de la ligne, par la puissance contrôlée et par la diction claire. Toutes qualités auxquelles
répond, sans sourciller, la Pamina de Siobhan Stagg, puissante et délicate à la vocalité facile et
ronde. Jodie Devos en Reine de la Nuit, remarquable et très attendue par le public, assume avec
crânerie sa prise de rôle, les aigus y sont nets, les vocalises limpides. Le couple Papageno (Klemens
Sander) et Papagena (Camille Poul) est également très convaincant, tant vocalement que
scéniquement tandis que le Monostatos de Mark Omvlee joue autant sur l’humour que sur sa qualité
vocale qui n’est pas mince. Reste à féliciter, l’excellent choeur et les Trois Dames (Sophie Junker,
Emilie Renard et Eva Zaïcik) séduisantes à souhait, ramage et plumage sont, ici, en adéquation.
Légèrement en dessous quant à la qualité du chant, Dashon Burton déçoit quelque peu par son
Sarastro qui manque de charisme et de voix, les graves sont quasiment inaudibles (diapason bas
oblige…) et la puissance est nettement insuffisante malgré les efforts de Christophe Rousset qui
limite au maximum l’émission orchestrale. En bref, des jeunes chanteurs à suivre et des noms à
retenir…Bravo !
Patrice Imbaud
Yuja Wang © Hiroyuki Ito / Getty images
On a pu se gausser pendant un temps de ses tenues excentriques et de son exceptionnelle virtuosité
que certains pouvaient trouver un peu vide, mais il faut bien reconnaitre qu’aujourd’hui, la
trentenaire chinoise est assurément un phénomène du piano alliant une rare vélocité digitale et un
sens musical hors du commun. Son dernier récital à la Philharmonie de Paris en étant la plus
éclatante preuve. Un programme exigeant dans lequel elle excelle : les Préludes op. 28 de Frédéric
Chopin et les Variations et fugue sur un thème de Haendel op. 24 de Johannes Brahms. Deux
monuments éprouvants du répertoire pianistique, deux climats bien différents, mais une même qualité d’interprétation. Les Préludes de l’opus 28 regroupent 24 courtes pièces reliées par des
rapports de tonalité, écrits entre 1835 et 1839 à Majorque. Dès la première pièce, Yuja Wang nous
en livre une lecture très intériorisée. Tour à tour douloureuse déployant force rubato, ou encore
gracieuse, mélancolique, rêveuse, héroïque ou rageuse, funèbre ou solennelle, utilisant toutes les
couleurs du piano, usant d’un jeu très nuancé, passant de la confidence où les notes égrenées
suspendent le temps, aux ruissellements rageurs du clavier. Un piano qui murmure, qui gronde, un
toucher enchanteur, limpide, sans dureté aucune et un phrasé proprement envoûtant qui maintient
l’auditeur sous le charme.
Si cette première partie se caractérisait par une intériorité véritablement habitée, la seconde,
consacrée à Brahms, offrait un tout autre climat par ses aspects plus extravertis. Les Variations et
fugue sur un thème de Haendel Op. 24 furent composées par Brahms en 1861, pour l’anniversaire
de Clara Schumann. A partir d’un thème extrait de la première suite pour clavecin de Haendel
(1733), Brahms compose 25 variations et termine l’oeuvre par une fugue gigantesque. Si le thème
séduit par sa grande élégance, les variations y prennent volontiers une allure orchestrale. Yuja Wang
y déploie toute sa virtuosité, sa puissance, sa bravoure, sa poésie aussi, soutenue par une
formidable scansion rythmique dans une interprétation très dynamique, très chantante où
l’enchainement sublime des nuances, des transitions et des sonorités donne au piano un maximum
de vie et de couleurs. Nullement entamée par l’épreuve physique, la jeune pianiste chinoise cédant,
avec sa générosité habituelle, aux rappels répétés du public enthousiaste, offre aux auditeurs debout
une myriade de « bis » comme autant de petits morceaux de bonheur à partager (Schubert, Mozart
revisité, Tchaïkovski, Chopin….). Une phénoménale pianiste qui confirme avec éclat son
formidable talent.
Patrice Imbaud
Frank Peter Zimmermann © Harald Hoffmann
Chacune des apparitions du jeune chef slovaque, Juraj Valčuha sur les scènes parisiennes (Orchestre
de Paris à la Philharmonie de Paris en 2016) est un gage de qualité, sa dernière apparition récente,
avec le National et le violoniste Frank Peter Zimmermann, à l’auditorium de Radio-France, en est
une preuve de plus. Un orchestre qu’il connait bien puisqu’il l’a dirigé pour la première fois en
2005 et avec lequel existe une complicité évidente. Un programme riche convoquant Richard Strauss, Prokofiev et Haydn. Don Juan de Richard Strauss (1889) ouvre la soirée, Juraj Valčuha
nous en propose une lecture sensuelle, hédoniste, dynamique, assez narrative et volontiers
jouisseuse où se distinguent tout particulièrement le cor solo de d’Hervé Joulain, ainsi que le
hautbois de Nora Cismondi, interprétation très convaincante et virtuose qui se termine dans le
drame, en totale adéquation avec le personnage de Lenau qui choisit délibérément sa fin et se
consume dans l’ivresse des plaisirs. Le Concerto pour violon et orchestre n° 1 de Prokofiev (1917)
lui fait suite. Un concerto créé à Paris en 1923 dont le discours néo romantique fait contraste avec
des oeuvres contemporaines comme le Sacre du printemps de Stravinski…Une partition d’une
extrême virtuosité dont le violoniste allemand, Frank Peter Zimmermann, donna une interprétation
d’anthologie, alliant souplesse, lyrisme et panache, sur un rythme envoûtant parfois quasi motoriste,
parfaitement en place, équilibrée permettant d’apprécier la richesse des timbres d’un orchestre
planant au dessus de la péroraison du violon (harpe omniprésente d’Emilie Gastaud). En « bis » un
très beau Prélude de Rachmaninov assure définitivement le succès de cette première partie. Après la
pause, la Symphonie n° 85 dite « La Reine » de Joseph Haydn (1785) faisant partie des symphonies
dites « parisiennes » du compositeur, commande de la « Société Olympique de la parfaite estime »,
créée par le Concert de la Loge Olympique. C’est uniquement dans cette commande que l’on
pourrait évoquer une quelconque inspiration maçonnique, Joseph Haydn n’apparaissant pas, à
l’évidence comme un maçon très zélé ! Les quatre mouvements qui la compose sont, ici, menés de
façon « classique », claire, limpide, galante, chantante, légère et gracieuse, mettant en avant les
cordes et la petite harmonie du National au mieux de leur forme. Pour conclure ce beau concert, la
Suite d’orchestre du Chevalier à la rose (1944) de Richard Strauss, tirée de l’opéra éponyme (1911)
dont elle reprend nombre d’éléments (Prélude, Présentation de la rose d’argent, Valse du Baron
Ochs, « Ist es ein Träum », et Valse) partition rutilante fortement cuivrée et dansante, chargée d’une
indicible nostalgie parfaitement rendue par le National guidé par la direction inspirée du chef
slovaque. Un magnifique concert !
Patrice Imbaud
Choeur de Radio-France © C. Abramowitz
Rarement le Choeur de Radio-France fut à pareille fête, irradiant l’auditorium de Radio-France de
tout son talent, lors de ce concert ambitieux du « National » conduit par le chef allemand Christoph
Eschenbach, associant le Te Deum d’Anton Bruckner et la Symphonie n° 9 de Beethoven. Un
programme d’exception pour un choeur d’exception ! Deux oeuvres emblématiques faisant date dans
l’histoire de la musique classique. Le Te Deum de Bruckner, hymne religieuse liturgique (1886) où
le compositeur autrichien offre ses louanges à Dieu dans un appel fervent qui ne saurait masquer en filigrane la déploration consécutive à la mort de Richard Wagner, véritable idole du maitre de Saint
Florian, d’où ce mélange caractéristique de joie et de pleurs se côtoyant dans un ciel peuplé d’anges
porteurs de trompettes. La Symphonie n° 9 (1824) de Beethoven reconnue comme l’apogée de la
symphonie. Une oeuvre qui impressionnera tant les compositeurs futurs que beaucoup d’entres eux
se refuseront à tenter l’exercice, se cantonnant pendant des années dans le poème symphonique… Il
faudra attendre plusieurs décennies pour que Gustav Mahler ne relève le défi en unissant dans ses
premières symphonies, musique et voix humaine. Monumentale, la Symphonie n° 9 est aussi une
sorte de récapitulation, héroïque comme la troisième, pastorale comme la sixième, verticale comme
la cinquième, elle se termine dans la lumière par l’Ode à la joie de Schiller, sorte d’hymne profane
à la liberté et à la fraternité traduisant l’indéfectible foi en l’homme du compositeur, sorte de
rédemption par le mot, Beethoven préférant, sans doute, la clarté du mot à la subjectivité de la
musique pour exprimer ce message de paix.
Loin des langueurs méditatives et intériorisées "celibidachiennes", la lecture donnée par le chef
allemand du Te Deum s’inscrit résolument dans une vision somme toute assez classique, dynamique
dans les tempos et l’élan des crescendos, bien nuancée, plus théâtrale que véritablement fervente,
très extravertie, voire parfois prosélyte. Eschenbach s’applique à conduire l’oeuvre de façon claire et
équilibrée, respectant scrupuleusement l’architecture face à un orchestre très concerné qui sonne
parfaitement et à un choeur splendide, bien distribué, à la diction claire et aux nuances sublimes.
Concernant le quatuor vocal, on soulignera l’excellente prestation des voix féminines (Genia
Kühmeier irréprochable) et quelques réserves à propos des hommes. Non pas tant Nicolai Schukoff
dont on pu apprécier la beauté du timbre dans le médium, mais les aigus parfois serrés, émis en
force, que la décevante interprétation de Mikhail Petrenko qui malgré puissance et tessiture étendue
(graves faciles) ne semble jamais adhérer totalement au rôle. De la même manière la Symphonie n°
9 est conduite de façon très théâtrale. L’Allegro initial, sorte de fermentation d’un monde en
devenir, voit se succéder des transitions abruptes et des nuances très marquées dans une lecture
pleine d’allant, tendue, soucieuse, là encore, de la clarté et de l’agencement des différents plans
musicaux. La petite harmonie s’en donne à coeur joie tandis que cuivres et timbales (Didier Benetti)
grondent de façon particulièrement véhémente. Le Scherzo, sorte de ronde champêtre, à la fois
paysanne et dionysiaque, est magnifiquement mené, soutenu par une rigueur rythmique sans faille.
On notera la superbe prestation des cors (Hervé Joulain et Camille Lebrequier) et le vrombissement
impressionnant des contrebasses. L’Adagio fait, quant à lui, la part belle aux cordes, lyriques,
éthérées, élégiaques dont le chant se mêle au legato envoutant de la clarinette. Le Finale récapitule
de différents thèmes précédents sur une entrée progressive de différents pupitres, violoncelles,
contrebasses, altos, puis tutti retardant au maximum l’entrée du choeur, aboutissement d’une attente
subtilement entretenue, libérant enfin le chant de cet hymne à la joie, conquis de haute lutte,
jubilatoire et extatique. Un beau concert du « National » qui connait son Beethoven par coeur pour
avoir déjà donné ces dernières années deux intégrales des symphonies avec Kurt Mazur en 2002 et
2008 et une autre encore en 2012 sous la baguette de Daniele Gatti, et un Choeur de Radio-France
qui ne fut pas le moindre atout dans la réussite de ce concert ! Bravo !
Patrice Imbaud.
Photo empruntée à une blogueuse inconnue.../ DR
Il est déjà réconfortant de voir la grande salle de la Philharmonie de Paris pleine au beau milieu des
vacances de Pâques pour écouter Sir András Schiff, si longtemps dédaigné ici par la critique et le
public. Mais de voir le public déborder d'enthousiasme à l'issue d'un concert somme toute ardu, l'est
encore plus. András Schiff n'est pas homme de l'effet, encore moins de la facilité : ses programmes,
en soliste comme avec orchestre, sont toujours soigneusement construits et le fil conducteur
mûrement réfléchi, Bach, Bartók et Brahms, cette fois. Deux Ricercar de Bach ouvraient la soirée,
extrait de l'Offrande musicale BWV 1079. Le Ricercar a 3, joué au piano - ce qui, passé la surprise
de voir l'orchestre déjà installé sur l'estrade, en vient vite à imposer le silence à une poignée de
tousseurs impénitents sans doute désorientés devant pareil sacrifice - sonne justement comme une
improvisation. Schiff montre combien il sait manier la ligne de Bach sans tomber dans la mécanique
de quelque étude rébarbative. Le Ricercar a 6, joué par deux violons, deux altos et deux
violoncelles, disposés en répons, sonne tout aussi intime, son écriture contrapuntique si dense
magnifiée par les merveilleux solistes du Chamber Orchestra of Europe. On enchaine – selon le
souhait du maestro - avec Musique pour cordes, percussion et célesta de Béla Bartók. Le contraste
est saisissant, pas tant du fait de la différence d'échelle sonore, que de l'alchimie si troublante que
créée une palette sonore atypique. Mais la volonté de continuité avec l'oeuvre précédente ne l'est pas
moins car celle-ci affiche aussi son statut de fugue à travers ses quatre mouvements. Bartók l'a
composée à la demande de Paul Sacher qui la créera en 1937. Le hongrois Schiff sait cette musique
du tréfonds et lui imprime une rare intensité dès l'andante tranquillo, pris à un tempo très retenu, ce
qui donne peut-être encore plus de poids aux fréquentes variations de rythmes. L'allegro qui suit
montre une énergie toute contrôlée pour mettre en valeur ce qui provient de quelque thème
populaire magyare. L'adagio est tout de mystère nocturne, envoûtant dans ses combinaisons
instrumentales. Magnifiées ici par un incomparable travail des cordes et la maestria des percussions,
même si le xylophone a tendance à sonner de manière trop proéminente, dureté de l'acoustique de la
Philharmonie de Paris oblige. Le finale respire un folklore détendu. Une exécution d'une rare
finesse et d'une extrême concentration.
Celle du Deuxième concerto op. 83 pour piano de Brahms allait réserver une autre surprise, puisque
dirigée du piano par Schiff. Plus exactement impulsée depuis le clavier, car à une exception près,
dans le finale, le pianiste ne se lèvera jamais pour conduire l'orchestre. Tout s'est nul doute mis en
place durant les répétitions. Et de quelle façon car le résultat est magistral ! On pense au fameux
bon mot du compositeur disant avoir « écrit un petit concerto pour piano, avec un joli petit
scherzo ». En tout cas il respire de cette interprétation une fraicheur peu commune, une volonté de
refus de brillance et un parti pris de non grandiloquence romantique. Sans que la manière générale
ne donne le sentiment de quoi que ce soit de rapetissé. Le choix de l'instrument y est pour une large
part : un Bösendorfer, et non un Steinway Grand ; autrement dit le refus du clinquant pour un son
plus sec. Une formation orchestrale de taille plutôt réduite aussi, avec 9+7 violons, 5 altos, 6 cellos
et 4 basses, ce qui autorise un effet de transparence bienvenue et une gangue sonore qui s'équilibre
naturellement avec le soliste : le dialogue est d'égal à égal dans ce qui est pourtant proche du schéma symphonique. L'exécution qu'en livre Schiff est frappée au coin de la simplicité : luminosité
plus que bravoure dans la partie soliste, aux contrastes marqués, du forte asséné au trait quasi
évanescent, accompagnement miroitant de l'orchestre, vraie symbiose avec les instruments solos, le
cor, le violoncelle au début de l'andante, justement pris allant ; et non lent comme souvent, ce qui
est en contradiction avec le ton de confidence de cette page qui n'a nul besoin d'être surlignée. Son
écriture chambriste y suffit. Les moments de pur plaisir esthétique seront légion. Comme ce passage
pianissimo des cordes, à la limite du murmure, vers la fin de ce même mouvement, alors que la
clarinette tisse sa mélopée ppp, ou l'enchainement du finale, proprement magique, qui aborde le
refrain de son premier thème grazioso, là encore dans le plus grand naturel. Une impression qui
perdurera tout au long des ces pages qui n'ont jamais mieux libéré cette manière de divertissement
typique chez Brahms, mêlant joie et nostalgie.
Fêté, András Schiff se remet au piano pour une pièce de son cher Bach, comme une dentelle dans
son écriture translucide. Puis, nouvelle surprise, il fait entonner par les musiciens d'orchestre un
Lied de Brahms, accompagné au piano à quatre mains par Denes Varjon, le pianiste de l'orchestre,
et Izabella Simon, la titulaire du pupitre de célesta. Un orchestre qui sait aussi chanter, voilà qui
n'est pas banal ! Peut-être pas si déraisonnable ! L'originalité, et l'exigence surtout, auront payé. Ce
qu'il faudrait voir émerger lors de tout concert.
Jean-Pierre Robert
© Elisa Haberer / OnP
Le troisième opéra de Nicolaï Rimski-Korsakov, La Fille de neige (1882), que présente l'Opéra
Bastille, trouve son origine dans la pièce éponyme du poète russe Alexandre Ostrovski (1823-1886).
Créée en 1873, avec au demeurant une musique de scène de Tchaikovski, ce « conte de printemps »
séduisit le musicien qui comprit le parti qu'il pouvait tirer d'un texte à la rencontre de l'imaginaire
féérique, des traditions folkloriques et de la mythologie russe. En effet, les rites agraires printaniers
sont ancrés dans la littérature populaire slave. Ne donneront-ils pas plus tard naissance au ballet Le
Sacre du printemps de Stravinsky. De même le culte du soleil qui réchauffe la nature nourricière.
Tout un univers panthéiste donc. Issue de la Fée printemps et du Bonhomme hiver, Snégourotchka
souhaite connaitre le monde des humains et posséder le don d'aimer. Si sa mère prône la liberté de
la femme, tout en assurant son soutien en cas de besoin, le père hiver est plus circonspect quant à sa
destinée ici bas et charge l'Esprit des bois de veiller sur sa fille chérie. Mais Snégourotchka ne
connait pas l'amour et le jour où elle le connaitra, elle fondra comme neige au soleil, sous les
ardents rayons de Yarilo, le dieu soleil. Projetée dans la communauté des Bérendeï, elle est vite
adoptée par un couple de paysans aussi naturels qu'empressés. Elle s'émeut à l'écoute des chansons
du beau berger Lel mais ne prend pas garde aux velléités entreprenantes du marchand Mizguir qui
sait acheter tout, même l'amour. Ce dont une femme de la communauté, Koupava, s'empresse de
bénéficier, quoique vite éconduite au profit de la Fille de neige. Le Tsar Bérendeï qui gère ce petit
royaume bercé de paix, est un sage épicurien - non sans évoquer le « Fais ce qu'il te plait » du Roi
Pausole de Pierre Louÿs - débonnaire, esprit libre, défenseur des arts. C'est lui qui proposera le
marché : quiconque parviendra à aimer Snégourotchka avant l'aube pourra l'épouser. La jeune
femme sera ballotée au gré des festivités bien terre à terre auxquelles se livrent les Bérendeï et
frustrée de l'inconstance des hommes : de l'indifférence fataliste affichée par le gentil Lel ou de
l'empressement calculé de Mizguir. Le jour où elle s'enhardit à libérer son coeur, en se tournant
finalement vers Lel, elle meurt dans un souffle, comme l'enfant qu'elle a toujours été, telle la
Mélisande de Maeterlinck et de Debussy, souffrant de ne pas avoir vraiment connu l'amour. Ce
conte printanier cèle en réalité un vrai drame humain. La musique de Rimki- Korsakov l'enlumine
d'une palette somptueuse qui fait au chant une part de choix, sans que les interprètes ne soient
jamais envahis par le flot symphonique. Un tissu de Leitmotive en parcourt la trame, subtilement
agencés et sans doute moins directement identifiables que leurs équivalents wagnériens.
© Elisa Haberer / OnP
Dmitri Tcherniakov installe l'action au sein d'une communauté hippie, qui cherche à perpétrer les
rites archaïques de ses ancêtres. Au milieu de la forêt, ils s'amusent à les singer en endossant les
costumes bariolés des anciens par dessus leurs jeans et autres casquettes modernes. Ces gens sont
jeunes et beaux, gentils, proches de la nature, prompts à la fête et à la galipette. Snégourotchka est
ballotée au milieu de ce happening permanent, ne sachant à qui se fier. Se défiant de toute
reconstitution, le metteur en scène russe joue donc avec le temps et raconte une histoire sans fard, à
bien des égards plus cruelle qu'à l'eau de rose. Des images fortes en émergent, et d'abord la
symbolique de la forêt dans un décor d'arbres gigantesques peuplant le vaste plateau de l'Opéra
Bastille ; cette forêt qui se mettra à danser au dernier acte, alors que tout vacille dans l'esprit de la
jeune fille qui en vient à appeler le secours de sa mère. La tribu de Bérendeï y a planté ses mobilehomes
et autres roulottes, et apporté tous les ustensiles d'un quotidien bien banal. Sa vision haute en
couleurs offre cette différentiation de climats nocturnes qu'autorisent des éclairages extrêmement
travaillés (Gleb Filshtinsky) car tamisés par de légères fumées. Même si le rythme imposé par une
trame non dépourvue de longueurs ne laisse pas toujours cet espace de liberté du récit qui
caractérise habituellement la manière de Tcherniakov. On pense à son Parsifal berlinois où chaque
réplique semble habitée de signification. Les figures de style littéraires qui peuplent le livret
freinent parfois le discours scénique. Mais on apprécie le naturel de la démarche, ses clins d'oeil
amusés, sa jolie faconde. Et la fine caractérisation des personnages. En particulier l'héroïne qui
connait le déchirement intérieur de devoir assumer seule sa destinée humaine, et de fait est
confrontée à un parcours chaotique. Car le don d'aimer auquel elle aspire de toutes ses forces n'est
pas exempt de toute renonciation à être soi-même et emporte inéluctablement l'extase mortelle.
© Elisa Haberer / OnP
Le volet musical est très accompli.
Malgré quelques annulations et remplacements de dernière
heure, la distribution offre une formidable cohésion. Le rôles, nombreux et pour certains exigeants,
offrent des performances de haut niveau. Aida Garifullina est une Snégourotchka d'une formidable
présence. Rarement rôle titre aura aussi bien été défendu, surtout pour des débuts parisiens. Il
émane de ce petit bout de femme en apparence réservée une force intérieure peu commune, un
drame à fleur de peau. Le soprano, si typique de la musique de Rimski-Korsakov, mêlant les
registres lyrique et colorature, est d'une vaillance à toute épreuve. Martina Serafin campe à l'inverse
une Koupova ardente, passionnée, impulsive, d'une santé vocale proche de l'incandescence. Dame
printemps, Elena Manistina, offre de son timbre corsé de mezzo contralto tous les atouts de la voix
russe grasseyante. Et on s'amuse à la voir, au prologue, diriger une sorte d'école de danse, qui met
en scène une volée de petits rats-moineaux saluant l'arrivée du printemps. De sa voix de contreténor,
préférée ici, pour plus de vraisemblance, au contralto travesti habituellement distribué, Yuriy
Mynenko offre un érotisme joliment efféminé qui colle parfaitement au parti pris de gentil hippy
lascif adopté par Tcherniakov. La voix est justement d'un lyrisme insinuant et ductile. Tout comme
celle de Maxim Paster, le Tsar Bérendeï, bien qu'un peu éteinte parfois, à l'image de ce personnage
détaché et un peu sénile. Le rôle assez ingrat du marchand Mizguir est tenu avec aplomb par
Thomas Johannes Mayer, habitué du répertoire allemand, et on admire son naturel bagarreur, son
cynisme, presque en décalage avec le milieu gentillet de la communauté. Côté des basses on
savoure de belles individualités, tel le vétéran Vladimir Ognovenko, Le père Gel, Franz Hawlata,
Bermiata, le serviteur empressé du Tsar, qui fait chanter ses troupes à la gloire d'un monarque qui
préférerait peut-être plus de discrétion, ou Vasily Gorshkov, l'Esprit des bois, aussi sûr de sa force
pour protéger Snégourotchka que de sa voix d'airain. Un grand coup de chapeau aux Choeurs de
l'Opéra. On sait la partie chorale essentielle ici, au point qu'on a pu dire que les choeurs sont « le
décor musical de l'oeuvre ». Les forces de l'OnP partagent truculence, lyrisme et mouvements
dansés, assurant un intéressant contrepoint au drame. Le jeune Mikhail Tatarnikov assure à la
partition de Rimski-Korsakov une abondance sonore et un extrême raffinement par les jeux de
timbres qui en distinguent les grandes lignes comme les infinis détails. Cela respire tour à tour le
bucolique et l'enflammé, la joie communicative ou la résignation. Le registre des bois est
particulièrement soigné : ces « Leit timbres » qui parent chaque personnage d'une aura spécifique,
le flûte pour Snégourotchka, le cor anglais pour Lel, par exemple. Et les solos instrumentaux (cello,
violon) sont pure merveille. Grâce soit rendue aux musiciens de l'Orchestre de l'Opéra qui
accomplissent une prouesse digne d'éloges.
Jean-Pierre Robert
Gabriel Fauré / DR
Dans le cadre de la série « Romantique – Authentique », les musiciennes des Pléiades, Laetitia
Ringeval et Caroline Florenville, violons, Carole Dauphin, alto, Jennifer Hardy et Amaryllis Jarcyk,
violoncelles, toutes solistes de l'Orchestre Les Siècles, et le pianiste François Dumont ont fait
entendre des compositions de Dancla, Vieuxtemps, Gouvy et Fauré. Charles Dancla (1807-1917) est
surtout connu pour ses oeuvres pédagogiques. La petite symphonie concertante pour deux violons et
piano op.109 n°3 » (1872) est un cours morceau de 6 minutes, de forme héritée de la fin du
XVIIème siècle. C’est une oeuvre charmante que les deux violonistes de l’orchestre des Siècles,
accompagnées par François Dumont, ont interprété ensemble la plupart du temps, très simplement.
Avec L’Elégie pour alto et piano op.30 de Henry Vieuxtemps (1820-1881) on était mal à l’aise, non
par le jeu de ce superbe pianiste, mais par la qualité de l’interprétation de la musicienne, l'altiste
Carole Dauphin. Ce tube pour alto qui commence par un thème expressif, lyrique - on est dans un
grand air d’opéra belcantiste - met en valeur le timbre chaleureux de l’alto puis s’achève par une
brillante coda. Ici rien n’était en place ! Le son était étriqué et le pianiste dans la brillante coda n’a
pas pu s’exprimer autant qu’il l’aurait voulu car sa partenaire peinait à tenir le rythme que demande
cette oeuvre écrite par un violoniste virtuose. Suivait L’impromptu pour violoncelle et quatuor à
cordes en ré majeur de Théodore Gouvy (1819-1898). Le quatuor est très sobre dans son
accompagnement du violoncelle solo. Les cinq femmes qui se connaissent bien étaient à l’unisson
et cette oeuvre de peu d’envergure s’écouta sans grande émotion.
Le concert se terminait avec le célèbre Quatuor avec piano op 15 de Gabriel Fauré (1845-1924).
Cette oeuvre a eu beaucoup de succès à l’époque de sa création et elle est toujours autant appréciée.
Difficile de lutter avec toutes les interprétations que l’on a entendues, mais celle-ci avait le mérite
d’être jouée avec des instruments d’époque. On retiendra le beau son de Dumont qui avait entre ses
doigts un piano Pleyel datant de 1892. L’équilibre entre les instruments était parfait pour cette
recherche « d’authenticité » que tentent de faire « Les Pléiades ».
Ce concert a permis d’entendre des oeuvres et des compositeurs rarement joués ce qui est l’apanage
du travail que fait en amont l’équipe de l’Auditorium d’Orsay. Un concert intéressant à plus d’un
titre.
Pour tout renseignement sur les concerts : auditorium@musée-orsay.fr
Stéphane Loison
Erich Wolfgang Korngold / DR
A l'occasion de la sortie de son nouvel album « Exiles », chez Aparté, la violoncelliste Ophélie
Gaillard était la soliste du concert de l'Orchestre National de Lorraine sous la direction de Jacques
Mercier. Le concert débuta avec l’oeuvre la plus populaire d'Ernest Bloch, sa rhapsodie hébraïque
« Schelomo » pour Violoncelle et Orchestre. OEuvre puissante, très descriptive, au premier degré.
Ophélie Gaillard s’y lança avec énergie et une profonde émotion. Le problème est que lorsque l’on
joue dans cette église, le son se perd, va se répercuter on se sait où et vient en retour brouiller la
musique. Seuls les auditeurs des premiers rangs, les privilégiés, purent entendre les qualités de la
violoncelliste. Quant à Jacques Mercier il tenta de limiter les dégâts avec son orchestre! La
deuxième oeuvre au programme était le pratiquement inconnu Concerto pour violoncelle, op. 37 de
Erich Wolfgang Korngold. C’est pour le film « Deception » (Jalousie) tourné en 1946 d’Irvin
Rapper, avec Bette Davis et Claude Rains, qu’il l’écrivit. Remanié pour le concert, il fut créé peu
après la sortie du film et interprété par Eleanor Aller-Slatkin. En France, c’était pratiquement une
première pour les auditeurs et une vraie belle surprise. Le concert s'acheva avec la Cinquième
Symphonie de Tchaïkovski. C’est 14 ans après la Quatrième qu’il l'écrivit. Seule symphonie à
posséder un thème cyclique qui revient dans chacun des quatre mouvements, elle symbolise,
d’après le compositeur, la providence. Tchaïkovski la trouvait superficielle, sans grand intérêt. A
l’écoute du travail accompli avec son orchestre et sa direction lumineuse et précise, Jacques Mercier
nous en donna une version très introspective, d’une intense profondeur. Peut-être est-ce aussi le lieu
qui nous a fait ressentir ces émotions et ce malgré une acoustique désastreuse.
Stéphane Loison
DR
Ce groupe - Mart Bevan, soprano, Clara Mouriz, mezzo soprano, Robert Murray, ténor, Stephan
Loges, baryton et Joseph Middleton, piano - tire son nom de la composition de Robert Schumann
offerte à Clara en guise de cadeau de mariage. Les myrtes étaient pendant des siècles le symbole
allemand du mariage. Cet ensemble explore tous les domaines de l’art et de la chanson. Il a été
fondé par le pianiste Joseph Middleton. Les oeuvres chantées sont bien sûr en rapport avec
l’exposition « La Nuit le Cosmos ». A quatre, à deux ou seul, les interprètes nous ont séduits par
leur qualité vocale et leur diction parfaite en français, en espagnol, en allemand, pour chanter
Brahms, Schumann, Chausson, Duparc, Massenet, Fauré, Mompou et De Falla. Les différents
tableaux vocaux se sont succédés tour à tour ; ce furent des scènes de séduction, de réserve
méditative, de désespoirs amoureux, tout cela baigné dans la nuit, exacerbant ainsi les humeurs de
l’âme. On eut droit à une nuit fantasmagorique avec « Walpurgisnacht», la nature métaphysique
dans « Mondnacht » de Schumann, les amants tourmentés dans « La Fuite » de Duparc,
l’atmosphère céleste de « La Nuit » de Chausson, la mélancolie intériorisé avec « Damunt de tu
només les flors » de Mompou. « Clair de lune », « Pleurs d’or », « Tarentelle » de Fauré terminèrent
ce concert en apothéose. C’est avec un bis, une « Chanson Populaire Espagnole » de De Falla, que
la mezzo d’origine basque, Clara Mouriz, élève de Felicity Lott, accompagnée par ses camarades
chanteurs, nous a bouleversé. Ce fut un flot d’émotions que nous a offert Orsay ! Un magnifique
cadeau que d'avoir programmé cet ensemble.
Stéphane Loison
DR
Un tout nouveau festival de musique de chambre vient de naître en Savoie : nouveau quant aux
dates, puisque sa première saison vient de se clore le 9 avril dernier, mais nouveau également quant
à son approche. Constatant qu’un festival, même s’il s’appuie sur un site ou une salle éponyme, fait
généralement peu de place au patrimoine régional de l’endroit où il se déroule, Romain Louveau,
son concepteur et organisateur, a voulu créer une “brèche” dans ce monde réglé des festivals dans
lesquels, quel que soit le lieu, on entend les mêmes artistes, pour le même public et dans les mêmes
programmes. Car c’est bien la variété qui caractérisait cette série de 9 concerts; une variété
comprise dans le sens des concerts au XIXe siècle, lorsque se succédaient sur scène différentes
formations, différents genres, et des artistes de différents horizons et de notoriétés diverses. C’était
bien le cas dès le premier événement du 28 mars, qui nous permit d’entendre, dans l’intimiste salon Raphaël du Casino d’Aix les bains, à la fois Elsa Dreisig (qui, après avoir obtenu une série de prix
prestigieux, fut la révélation “artiste lyrique” des Victoires de la musique 2016) et le duo Fiona
Monbet-Pierre Cussac beaucoup plus inouï, qui nous a cependant offert un extraordinaire “échange”
jazzy lors duquel les timbres du violon et de l’accordéon se mariaient avec un rare bonheur. Une
belle variété également dans ce concert du 1er avril au théâtre Charles Dullin de Chambéry, lors
duquel la flûtiste Mathilde Calderini (qui, depuis son prix Kobé, poursuit la carrière internationale
qu’on sait) côtoyait la soprano Marie Soubestre et la mezzo Eva Zaïcik. Et si les soirées suivantes
ont investi des sites aussi originaux que la piscine des anciens thermes d’Aix, la Médicée (ferme
restaurée de Marigny-St-Marcel) ou le belvédère de la Chambotte, c’est bien la qualité des
prestations qui demeure, à l’issue de ces spectacles, le cadeau de cette jeune équipe qu’a réunie et
accompagnée avec beaucoup de sensibilité et d’art Romain Louveau, avec l’appui de Suzan Manoff,
professeure au CNSMD de Paris, marraine de ce déjà prestigieux festival. D’ailleurs les nombreux
mécènes et partenaires ne s’y sont pas trompés (des commerçants d’Aix les bains aux institutions
comme le conseil régional, la banque de Savoie, France Bleue ou Télérama) qui ont généreusement
apporté leur soutien à cette Brèche régénératrice. Nous attendons avec beaucoup d’impatience la
deuxième mouture de ce festival qui complète avantageusement celui des « Nuits romantiques »,
dans cette même Savoie des sommets.
Philippe Morant
Chaya Czernowin / DR
Le 30 mars, soirée de clôture de la célébration des quarante ans de l’Ensemble Intercontemporain,
fut donné Genesis à la Cité de la Musique. Le titre le dit clairement : cette oeuvre renvoie au thème
de la Genèse et plus largement à celui de la création. Sept jours et sept compositeurs pour sept
morceaux commandés par Matthias Pintscher. Tous avaient en commun d’avoir été écrits peu ou
prou pour le même instrumentarium – cordes, vents, percussions, harpe, piano et célesta –, de durer
entre huit et dix minutes et d’être centrés sur mi bémol. Ce dernier est à la fois, pour le chef de
l’Ensemble, « la » note du milieu entre haut et bas, entre ciel et terre, et un hommage à Pierre
Boulez, « le » créateur (de l’Intercontemporain en 1976), dont la pièce Mémoriale est axée sur le
même degré. Genesis est donc une oeuvre à programme, chaque journée développant des images.
On the Face of the Deep de Chaya Czernowin illustre le premier jour, quand, du chaos originel,
émerge progressivement un ordre, ce qui s'entend au début par le long frottement des percussions et
des cordes graves ainsi que des plages de notes tenues, tout cela formant un climat
« monochrome », traduction de l'informe et du magma de forces obscures. Puis, en guise
d’épilogue, changement complet d’atmosphère avec un grand coup de percussion suivi de la même
note aiguë à la harpe, répétée indéfiniment et fortissimo, et finalement rattrapée par les violons et
les autres instruments. C’est la présence divine, ordonnatrice, qui est alors manifestée. C’est aussi la
lumière qui a jailli, laquelle a pour la compositrice une signification spirituelle, puisqu’elle permet
de voir. Marko Nikodijevic signe un dies secundus au cours duquel se séparent les eaux. Sa musique, très différente de la première, fait se succéder des moments forts : agitation de
mouvements instrumentaux à contretemps, grandes ondes caressantes, suspension dans un moment
extatique et danse syncopée. Le tout dans un brassage heurté mais harmonieux. Vayehi erev vayehi
boker de Franck Bedrossian forme un diptyque illustrant la séparation de l'eau et de la terre puis la
création des espèces végétales. Là encore, c'est le travail sur le son – métaphoriquement l'énergie
vitale – qui est au centre de la pièce.
La quatrième journée, Illumine pour octuor à cordes d'Anna Thorvaldsdottir, s'ouvre sur le
pianissimo des violons jouant des notes harmoniques. L'aigu, c'est la lumière, qui va séparer le jour
et la nuit après un combat contre l'obscurité, représentée par les graves des violoncelles et des
contrebasses. Dans cet opus plutôt lyrique et très réussi, où se joue donc un drame, alternent des
passages chaloupés et tendres à la fois, et un adagio très planant. Quant à Joan Magrané Figuera,
il se sert de la symbolique des chiffres dans son Marines i boscatges, du cinq en particulier,
musicalement représenté par la basse continue que forment les trois percussionnistes, la harpe et le
piano. Le très beau second mouvement fait entendre les sons cristallins d’une sorte de pluie très
rafraîchissante. Stefano Gervasoni a trouvé un titre drôlatique – Eufaunique – pour rendre en
musique l'harmonie voulue par Dieu entre les espèces animales d’une part et l'homme au sein de sa
Création de l’autre. Celle-ci, qui unit tout en séparant, est donc une histoire euphorique ! Mais la
musique de Gervasoni l’est peut-être moins. Enfin, Dieu bénit le septième jour ; mais, pour le
compositeur, Mark Andre, riss 1, « fissure », se réfère autant au baptême du Christ dans le
Jourdain, la vallée la plus profonde du monde, et à la Passion, épisode durant lequel le ciel se
lézarde. Aussi, temporalités et familles de sons se télescopent-elles dans une partition à la fois
complexe et chatoyante, qui s’achève sur le souffle léger du vent (le Saint-Esprit ?) produit par les
deux « éoliphones », sortes de grandes crécelles quasi silencieuses, tenues à bout de bras par les
percussionnistes debout. La salle des Concerts, pleine, a longuement applaudi un Ensemble toujours
très pro et dynamisé par un chef à la bonne humeur et à l’enthousiasme communicatifs. Cela dit,
contrairement à ce qui a pu être annoncé, les sept créateurs convoqués ce soir-là ne représentaient
pas, malgré une certaine variété, l’éventail de la création actuelle. Et justement, on peut regretter
que la musique dite contemporaine s’enferme encore dans les mêmes voies, immédiatement
identifiables, alors qu’on voudrait juste entendre… de la musique.
Patrick Jézéquel
Thomas Ospital © Mirko Cvjetko
Le samedi 8 avril, le concert annoncé dans la programmation de Radio France sous le titre « Orgue
avec orchestre » était placé sous le signe de l'Amérique, et, partant, sous celui d'un optimisme
indéfectible, tout comme l'avait été la journée, quasi estivale. En était la vedette un jeune homme à
l'allure encore pouponne : Thomas Ospital, né en 1990, qui, tel un athlète de très haut niveau, sut
exploiter toutes les ressources de la console du tout nouvel orgue Gerhard Grenzing, installée sur le
devant de la scène de l'auditorium de la Maison ronde, face au « Philhar ». Coup d'envoi avec une
Improvisation de et par Thomas Ospital sur I got rythm (1934) de George Gershwin (lui-même
auteur de Variations sur cet air), l'occasion, pour le titulaire du grand-orgue de l'église Saint-
Eustache, de montrer à la fois sa virtuosité et son réel talent d'improvisateur. De broderies dans les
sonorités de plusieurs jeux en ostinato allant crescendo, le motif principal est devenu la matière à
caprices de ce qui s'est avéré être de la musique répétitive. Les qualités acoustiques exceptionnelles
de la salle et d'un orgue conçu pour elle contribuèrent au maintien du caractère sautillant de la
célèbre mélodie. S'ensuivit Lullaby pour cordes (1919-1920) du même Gershwin, pièce de jeunesse
d’humeur primesautière, mais finalement assez mièvre et faite plutôt pour bercer un club du
troisième âge à l'heure du thé. Le réveil salutaire vint après avec Hoe-Down (1943) d'Aaron
Copland, danse symphonique dérivée du ballet Rodeo. Celui-ci avait été composé pour les Ballets
russes de Monte-Carlo, ce qui explique sans doute que l'attaque enflammée du morceau fasse penser
à Glinka, Moussorgski ou Rimsky-Korsakov. Sinon, tout est dit dans le titre, puisque hoedown est
synonyme de quadrille américain et de bal populaire, et il y a quelque chose d'incroyablement sain
dans cette composition, à la fois directe, énergique, joyeuse et irrésistible. L'origine irlandaise de la
danse est immédiatement perceptible, laquelle fait entendre de temps à autre aux basses de vrais
effets de bourdons.
Thomas Ospital revint sur scène pour interpréter le Prélude et Allegro pour orgue et orchestre à
cordes (1943) de Walter Piston. Deux mouvements contrastés, le premier d’esprit néoclassique,
lyrique et assez sucré, le second très enlevé, qui ménage de beaux moments virtuoses à l'orgue.
Puisqu’il ne dure que huit minutes, on ne s'affligera pas d'avoir dû écouter une nouvelle fois
l'Adagio pour cordes (1936) de Samuel Barber, cette tarte à la crème de la musique du XX ÈME
siècle. L'orchestre, lui, le joua ainsi que s’il découvrait la partition, et il faut saluer la qualité de son
interprétation, comme son enthousiasme, notamment lorsque les violoncelles emmenés par Nadine
Pierre reprirent le thème. Après Walter Piston, la surprise de la soirée était la pièce intitulée
Variations on America pour orgue (1891) de Charles Ives, lesquelles transportent d’emblée en...
Angleterre, puisque le chant patriotique « America » est assimilable à l'arrangement qu'en fit
Thomas Arne et qui n'est autre que l'hymne national britannique, « God save the King/Queen ».
Bien qu'étant le doyen des compositeurs de la soirée, Charles Ives l'iconoclaste en est sans doute le
plus moderne, n'hésitant pas ici à pasticher le genre de la variation en écrivant de courts
mouvements bien différenciés et en faisant sonner l'air archiconnu de manière tour à tour
magistrale, grotesque à force d'emphase, ou encore humoristique, voire désopilante, lorsque le
rythme est complètement désarticulé ou que la mélodie ressemble à un morceau de foire joué par un
orgue de barbarie assez fantomatique. Et Thomas Ospital d’offrir à l’auditoire une nouvelle leçon
d’agilité. Samuel Barber revenait avec sa Toccata Festiva pour orgue et orchestre à cordes (1960),
oeuvre paisible et confiante, qui enfle jusqu'à une certaine grandiloquence, mais sans rien perdre de
son caractère et toujours en conjuguant parfaitement l'instrument soliste et les couleurs de
l'orchestre. Ce dernier, très assuré et galvanisé par la direction de Benjamin Ellin, est resté d'une
grande netteté. Le second solo, en forme de cadence, aussi beau que brillant, est confié au seul
pédalier... et il fallait voir M. Ospital bras tendus sur le banc et regardant ses pieds danser sur toute
la largeur de cet unique clavier ! Non content d’avoir encore une fois ébloui son public par son
habileté confondante, il le régala en bis d'un Prélude et Fugue de Jean-Sébastien Bach, point
d’orgue d’une bien belle soirée.
Patrick Jézéquel
© Jean-Baptiste Millot
Après l’avoir entendu à Bagatelle en juin puis à Gaveau en janvier, François Dumont revient ce 19
avril à la salle Gaveau, mais cette fois en tant que chef et soliste. Programme exclusivement
consacré à Mozart : concertos pour piano et chant avec l’Orchestre Symphonique de Bretagne. Les
concertos annoncés, nous les avons entendus maintes fois, on sait déjà qu’on va se retrouver comme
en famille, d’autant que le n° 17 en sol majeur et le n° 23 en la majeur demeurent parmi les plus
connus. D’emblée, la disposition de l’orchestre autour du piano perpendiculaire à la scène et
découvert, nous surprend. François Dumont dirige de son piano, soit debout, soit devant son clavier.
Après le prélude orchestral tout en battements d’ailes des flûtes et des hautbois, arrive le piano, le
premier thème est clair et chantant, comme si on attendait l’entrée des personnages à l’opéra, mais
dès que le pianiste déroule ses arpèges - nous avions raison d’être surpris - le son de l’orchestre se
mélange à celui du piano et a tendance à prendre le dessus. Il devient difficile de départager les
parties de l’un et de l’autre. Les thèmes restent harmonieux mais à cause de cet “étouffement“ du
piano, l’ensemble perd un peu de sa vigueur et il faut attendre la première cadence pour retrouver le
Mozart (et le Dumont) qu’on aime. Il est limpide et sans tache.
Heureusement l’andante nous réconcilie avec le concerto, le dialogue entre l’orchestre et le piano
est rétabli. Les langueurs chromatiques s’étirent comme les vocalises d’une aria religieuse et
François Dumont joue de son piano et de l’orchestre symphonique de Bretagne avec ferveur et
solennité. Les vents, si importants dans cet andante, portent le morceau autant que le piano et
l’échange fait de phrases répétées s’interrompt toutes les cinq mesures par un silence, chacun de ces
courts silences participant au drame qui se joue tout au long de l’andante. Pour écrire le thème du
finale, Mozart s’inspira du chant d’un étourneau (on en a retrouvé la notation dans ses carnets).
Constitué de cinq variations, il ressemble à une fantaisie et François Dumont le joue justement
comme une fantaisie. Elle sonne comme une rédemption après l’andante aux accents si pathétiques.
La direction de François Dumont s’est “musclée“, l’ensemble piano et orchestre a trouvé son tempo
et son équilibre et après un court silence, (on pourrait sous-titrer ce morceau de concerto des
silences !) le dernier thème noté presto s’envole dans une belle succession de modulations et de
rythmes syncopés qu’on a qualifiés parfois d’humoristiques. François Dumont les traite avec la
légèreté qu’impose la partition et ce duel fantasque entre les vents et le piano se termine par une
belle victoire remportée par l’auditeur.
Mozart écrivit trente cinq arias pour soprano, il les considérait comme un lien entre les opéras et les
concertos pour piano. Pour respecter cette tradition, Helen Kearns vient chanter « ch’io mi scordi di
te » avant l’entracte. Morceau difficile comme toutes les arias de Mozart , celle ci est notée « scène
avec rondo pour Mademoiselle Nancy Storace et moi même », ce qui était une belle déclaration
d’amour à la demoiselle. Helen Kearns a la voix chaude et puissante – on se souvient de la version
de Janet Baker -, son phrasé nuancé s’accorde bien avec l’ensemble orchestre et piano et grâce à
cette association entre la voix et François Dumont, cette aria prend ici une belle place, on rêve d’un
opéra chanté par cette voix. Avant de quitter le plateau elle nous gratifie d’un bis, une ballade
irlandaise qu’elle chante avec beaucoup de charme et une grande sensibilité.
Le concerto N°23 en la majeur, célèbre pour son adagio, reste un des plus connus parmi les vingt sept, le plus radieux et le plus dramatique. Très classiquement, Il démarre par un prélude orchestral
tout en joie et en onctuosité, avant que le piano entre, et François Dumont se glisse avec élégance
dans le jeu de l’orchestre qu’il dirige, comme s’il jouait une sonate de jeunesse de Mozart, aux
thèmes d’abord classiques - on sent l’influence de Bach et Haendel - avant que s’annonce le
romantisme dans une succession d’arpèges à la pédale généreuse, comme le pratiquera Chopin dans
ses deux concertos.
Le fameux adagio qui démarre en fa dièse mineur, tonalité peu habituelle chez Mozart, marque la
volonté du compositeur d’entrer dans un intime poignant dès les premières mesures. Messiaen
qualifie ce mouvement “de sicilienne lente, rêveuse et affaissée, se complaisant dans le désespoir“,
les harmonies combinées du piano et des deux clarinettes sont déchirantes et se partagent l’émotion
qu’elles suscitent grâce aux dissonances et aux répétitions des thèmes joués successivement par le
piano et les vents. Des vents qui sont une des grandes qualités de cet orchestre de Bretagne et qui
s’imbriquent fort bien dans le dialogue piano-orchestre de l’andante de ce concerto. La rupture entre
l’adagio et le finale est spectaculaire, la joie et la légèreté de ce rondo explosent dès la première
mesure. L’attaque du piano semble simple, l’instrumentation semble simple, le tempo adopté par
François Dumont est idéal et le génie de Mozart, cette apparente facilité de passer du drame à la
superficialité, s’étale ici dans toute sa splendeur. Plusieurs thèmes s’enchaînent et c’est seulement
dans les gammes finales et les accords stridents de l’orchestre qu’un soupçon de drame perce à
nouveau avant de s’achever par quelques magnifiques “poussées chromatiques“. Brillante
conclusion pour ce beau concert Mozart.
Jean François Robin
© Émilie Brouchon / OnP
« Il n'est peut-être plus indispensable, après Berg, de composer des opéras ». Cette sentence du musicologue Dominique Jameux (Berg, coll. Solfèges) éminent défenseur de la « seconde école de Vienne » donne à réfléchir. Sans doute, avec Wozzeck (1925) et après Wagner, Alban Berg réalise -t-il cette œuvre d'art totale où converge en une synthèse magistrale tout ce que la voix et l'orchestre portés jusqu'à l'excès peuvent communiquer en matière d'intensité dramaturgique et d'efficacité scénique. Assister à cette œuvre monde (et monstre) est toujours une expérience à vivre dont la force submerge. Elle revient à l'Opéra Bastille dans la saisissante production de Christoph Marthaler que l'on avait beaucoup appréciée lors de sa création sur cette même scène en 2008.
Le maître Schoenberg s'était étonné que le jeune homme timide qu'était son élève envisageât d'écrire un premier opéra sur un sujet « d'un tragique extraordinaire ». C'est en 1914 que Berg assiste à la représentation de la pièce de Georg Büchner (1813-1837) Woyzeck, une œuvre de 27 scènes brèves écrite par un dramaturge engagé doublé d'un médecin spécialiste des affections psycho-neurologiques. La pièce relate un fait divers : un pauvre bougre de barbier au mental douteux assassine sa maitresse par jalousie. Déclaré pleinement responsable de son crime, alors que certains plaidaient l'irresponsabilité, il est décapité en place publique. Berg s'empare de l'œuvre inachevée, écrite sur fond de révolte sociale et de comportement névrotique, dans une langue elliptique qui préfigure l'expressionnisme. Et, pour répondre aux interrogations de son maître, Berg précise : « il y a une part de moi-même dans ce caractère de Wozzeck (le changement de l'y en z vient d'une erreur du premier éditeur que Berg décide d'intégrer à son titre sonnant ainsi de façon plus incisive) dans la mesure où j'ai passé ces années de guerre totalement dépendant de gens que je haïssais, captif, malade, résigné : en fait, humilié ».
Ce n'est qu'en 1920 que le livret de Wozzeck est achevé. Proche du « montage » cinématographique que Berg réalise à partie des 27 scènes du Fragment, l'action s'articule selon la tripartie du modèle antique : Exposition, Péripétie et Catastrophe, chaque acte étant subdivisé en cinq scènes. Elles font toutes référence à un modèle formel (Rhapsodie, Passacaille, forme Sonate, Fugue...) ou à un principe de composition répertorié (Invention sur une note, un rythme, un accord...) selon le désir toujours assumé par le compositeur de considérer la force de l'élan expressif dans les limites contraignantes d'un cadre architectonique. Ainsi « chaque scène, chaque musique d'interlude - prélude, postlude, transition et intermède - se voient attribuer une autonomie cohérente et clairement délimitée » souligne Berg (in Alban Berg, Écrits). Rappeler que l'opéra ne dure qu'une heure trente, c'est aussi souligner la concentration du propos et la fulgurance d'une trame dramaturgique qui mettent l'orchestre, les chanteurs et le metteur en scène au défi.
Joannes Martin Kränzle & Gun-Brit Barkmin © Émilie Brouchon / OnP
Le parti pris du décor unique – celui d'Anna Viebrock - de la part du metteur en scène suisse Christoph Marthaler est sans aucun doute une idée lumineuse si l'on tient compte du fait que certaines scènes – celle du meurtre de Marie par exemple - n'excède pas cinq minutes! C'est donc dans cette guinguette un brin glauque avec ses lampions donnant un vague air de fête que s'enchaîneront les quinze scènes à la faveur d'une belle direction d'acteurs et quelques trouvailles toujours en phase avec la musique : telle cette première scène entre Wozzeck et le Capitaine exhortant son barbier à la lenteur – « langsam, Wozzeck, langsam » – mise en tension par l'agitation des enfants que l'on voit jouer à l'extérieur sur leur trampoline. Le seul ressort des éclairages sans autres artifices - le noir pour la noyade de Wozzeck par exemple – suffit à signifier le contexte des différentes scènes, Marthaler laissant agir le pouvoir du son – et on lui en sait gré – à la faveur des nervures dramaturgiques imaginées par le compositeur : cet enchaînement cut entre le grand crescendo de la note Si porté à saturation (interlude de l'acte III, sc.2) et le pianino du cabaret en est un exemple des plus sidérant.
La dramaturgie passe en effet par l'orchestre - « une gigantesque symphonie de motifs » selon Dominique Jameux – dans la partition de Berg confiée ce soir au chef danois Michael Schønwandt. S'il en restitue la puissance, au risque parfois de couvrir les chanteurs, la définition du timbre, la ciselure de l'orchestration bergienne et le raffinement presque chambriste de certaines pages font défaut dans une direction que l'on aurait souhaitée plus analytique et plus soignée dans la restitution des plans sonores et l'équilibre des masses. On ne perçoit que difficilement les échos de la banda militaire (acte1 sc.3) annonçant l'arrivée du Tanbour-major! Sur le plateau, les chanteurs sont parfois à la peine, noyés par un flux orchestral par trop envahissant. Le ténor allemand Stephan Rügamer/le Capitaine et la basse autrichienne Kurt Rydl/le Docteur n'en dominent pas moins la situation, assumant leurs parties exigeantes avec l'énergie et la morgue haineuse de leurs rôles. Le ténor slovaque Stefan Margita/le Tambour major incarne avec une puissance vocale impressionnante son rôle de séducteur face à un Wozzeck, le baryton allemand Joannes Martin Kränzle, un peu en retrait, tant vocalement que scéniquement, soutenant difficilement la comparaison avec l'extraordinaire Simon Keenlyside de 2008. Déception également avec la soprano allemande Gun-Brit Barkmin à qui il manque l'envergure et l'aisance vocale pour Marie, certes un des rôles les plus périlleux de la scène lyrique, louvoyant entre la sprechstimme schoenbergienne, l'arioso et le bel canto. On aurait souhaité plus de relief et d'expressivité pour la lecture de la Bible dans la superbe scène 1 de l'acte III. Si Eve-Maud Hubeaux ne convainc pas totalement dans le rôle de Margret, le ténor Nicky Spence / Andrès ne démérite pas aux côtés des barytons Mikhail Timoshenko et Thomasz Kumiega / Erster et Zweiter Handwerksbursch qui soutiennent avec bravoure la sc. 4 de l'acte II, la plus développée de l'opéra. Berg y introduit le personnage de l'Idiot très dostoïevskien / vaillant Rodolphe Briand, dont les mots prémonitoires - « je sens du sang » - agissent comme autant de pulsions meurtrières dans la tête troublée de Wozzeck. Saisissant de beauté, le chœur sans paroles du début de la scène suivante semble traduire musicalement les paroles de Wozzeck : « L'homme est un abîme... La tête me tourne quant on regarde au fond »... Malgré des réserves certaines quant à cette reprise, le Wozzeck de Berg/Marthaler n'en conserve pas moins son indéniable pouvoir de fascination.
Prochaines représentations : 5, 9, 15 mai 2017 à 19H30 et 12 mai à 20H30.
Michèle Tosi
Cette oeuvre pour choeur mixte (SATB) et orgue est écrite sur les strophes chantées par les trois archanges au début du « Prologue dans le Ciel » du Faust de Goethe. L’auteur a médité ces strophes pendant de longues années avant d’écrire cette oeuvre. Cette méditation devant « la grandeur infinie de la Création et son insondable mystère » est donc l’aboutissement d’un long cheminement. L’auteur nous précise que « l’oeuvre ne peut être chantée que par un choeur de haut niveau, aux voix nombreuses. Quant à l’orgue, il est traité ici comme un véritable orchestre, dont tous les registres et toutes les couleurs sont mis à contribution ». L’orgue, tantôt lumineux, tantôt grandiose, tantôt lointain est exploité effectivement dans toutes ses possibilités expressives. Le texte est magnifié par la musique. Il s’agit d’une oeuvre difficile mais fort belle. Daniel Blackstone
Bien qu’écrite en principe pour un instrument à trois claviers et pédalier,
cette pièce pourra assez facilement être interprétée sur deux claviers grâce
aux combinaisons… L’oeuvre joue, comme il se doit, sur les contrastes
entre les différents plans sonores de l’instrument. Un début doux sur la
voix céleste et la gambe de 8. Puis viennent les fonds du positif avant que
n’éclate pour finir le Grand Orgue avec le plein-jeu accouplé au positif : la
lumière brille alors de toute sa splendeur. Outre son intérêt musical, qui est
certain, cette oeuvre permet aussi une pédagogie de la registration, art qui
fait si souvent défaut aux organistes…
D.B.
Nos lecteurs connaissent déjà cette excellente Série pratique pour les circonstances et temps
liturgiques (cf. Lettre d’information septembre 2016 : louange, reconnaissance, baptême et
mariage ; LI décembre 2016 pour la Réforme et LI avril 2017 pour l’Avent et Noël). Elle fournit aux
organistes une sélection d’oeuvres originales et d’adaptations destinées au culte et au concert.
Carsten Klomp termine sa série didactique Organ plus one avec un choix de Préludes de chorals
originaux ou adaptés, destinés aux musiciens d’Église débutants et organistes. Ils sont présentés
dans les tonalités des recueils : Evangelisches Gesangbuch (protestant) et Gotteslob (catholique)
actuellement en usage en Allemagne. Ce dernier volume (n°9) concerne tout d’abord l’Épiphanie :
Herr Christ, der einig Gotts Sohn (G. Fr. Kauffmann, 1679-1735) avec la mélodie planant au
soprano et accompagné par des traits de doubles croches ; Wie schön leuchtet der Morgenstern dans
les versions de Carsten Klomp (né en 1965) et de Sigfrid Karg-Elert (1877-1933) arrangée par C.
Klomp. Pour Pentecôte, il contient des invocations au Saint Esprit (Heiliger Geist) : Nun bitten wir
den Heiligen Geist dans la version de Johann Gottfried Walther (1684-1748) arrangée par C.
Klomp ; Komm Heiliger Geist, Herre Gott de Johann Ludwig Krebs (1713-1780) adaptée par C.
Klomp et son accompagnement note contre note. Il en est de même du choral Geist des Glaubens,
Geist der Stärke…). Il comporte aussi des compositions libres de musiciens français du XXe siècle :
Charles-Marie Widor (Adagio), Louis Vierne (Carillon), Théodore Dubois (Cantilène religieuse),
Eugène Gigout (Intermezzo) ainsi que d’Edvard Grieg (Canon). Soit un total d’harmonisations ou
adaptations de 8 Préludes de choral et 6 pièces libres. La partition est accompagnée d’utiles
transcriptions pour instruments solistes en do, si b, mi b et fa. L’intérêt fonctionnel de cette belle
collection n’est pas à démontrer.
Édith Weber
Placée résolument sous le signe du cinéma, cette méthode est à la fois très
progressive et très pédagogique. Elle permet un apprentissage global de
l’instrument et du solfège, laissant par ailleurs toute liberté au professeur
pour ses propres conceptions pédagogiques. L’ensemble est clair, très bien
présenté. La graphie est assez grosse pour les jeunes apprentis-guitaristes.
Elle permet l’apprentissage en cours individuels mais également en cours
collectifs et fait appel au sens de l’écoute et de l’observation des élèves.
Un deuxième volume est en préparation pour la rentrée 2017. L’auteur
fournit, sur son site, toutes ses coordonnées ainsi que le moyen d’acquérir
sa méthode.
D.B.
C’est une option prise par quelques guitaristes de faire commencer l’étude
de la guitare en cinquième position. Elle vise à éviter la fatigue et les
tensions chez les petits enfants, car les cases à cette hauteur du manche
sont plus petites et le bras gauche est plus rapproché du corps. La
méthode commence par une bonne réflexion sur la posture avec des
exercices corporels. La progression est bonne quoique un peu lente (les
rythmes étudiés ne vont pas au-delà des croches). Quelques notions de
solfège sont données, dont quelques-unes mériteraient d’être révisées, car
l’unité de temps n’est pas toujours la noire !
Le jeu de l’index et du majeur ne se fait qu’en « buté » ; le pouce, lui, travaille et en « buté » et en
« pincé ». Les trois premières leçons se font sur les cordes à vide. Le travail de la main gauche et
donc de la cinquième position débute ensuite. Les exercices en duo avec le professeur sont abordés
très vite, puis la notion de polyphonie (plus que de « contrepoint » !) . Les duos sont tous simplifiés
et transposés pour la plupart (quelques bizarreries musicales sont à noter, par exemple, leçon 14,
découpage alternativement entre les deux parties de la mélodie d’un Andante de Carulli, ou leçon
15, des octava malencontreuses brisent l’air de Figaro : se vuol ballare).
L’option prise par l’auteur entraîne deux difficultés : la pratique des changements de cordes à cet
emplacement induit des notes plus disjointes qu’en première position, donc une lecture moins aisée.
D’autre part, les recueils de musique facile pour débutants sont élaborés pour la première position.
Il revient donc au professeur de constituer lui-même un répertoire.
Sophie Jouve-Ganvert
Notre absence de pratique de Cubase (pourtant incontournable pour les
musiciens, parait-il) nous empêche de voir le lien entre le titre et l’oeuvre.
Celle-ci est construite sur un rythme obsédant tandis que les modulations
s’enchainent, créant ainsi une ambiance un peu inquiétante, envoûtante
même. Le modal n’est jamais loin et la surprise consiste en une
affirmation d’un accord de la mineur « forte » qui termine abruptement la
pièce. L’ensemble est donc attachant et original.
D.B.
Nous avons recensé les trois premiers
volumes de cette méthode dans la Lettre 107
d’octobre 2016. Ces deux nouveaux volumes
comportent les mêmes qualités : rigueur de la
démarche pédagogique et des découvertes
solfègiques, clarté et précision des
explications. On notera en particulier :
« N’oublie pas d’écouter beaucoup de
musique. » Et Lang Lang recommande
quelques-uns de ses disques… A chaque
professeur d’élargir le spectre des oeuvres à
écouter ! L’avantage de cette méthode est
précisément de fournir au professeur une sorte de squelette très bien charpenté grâce auquel il
pourra donner vie à son cours par de nombreux moyens. Il s’agit donc d’un outil tout à fait
intéressant. Comme pour les autres volumes, tous les morceaux de la méthode peuvent être
téléchargés gratuitement à partir du site de l’éditeur, interprétés par Lang Lang lui-même et enrichis
de discrètes interventions orchestrales.
Si l’oeuvre est célèbre et a été bien souvent publiée, de nouvelles
découvertes et notamment celle d’un nouveau fragment du manuscrit,
faite en 2014, ont amené les éditions Bärenreiter à réviser leur propre
édition et à refaire une nouvelle version Urtext de cette oeuvre. On lira
donc avec beaucoup d’intérêt la copieuse préface de Mario Aschauer, qui
retrace toute l’histoire des éditions de cette partition, ainsi que les
abondantes remarques sur l’interprétation faites par le même éditeur.
C’est donc dire que cette édition renouvelle l’approche d’une oeuvre qui
semblait pourtant parfaitement connue.
D.B.
Ce recueil de pièces écrites par quinze
compositeurs spécialement pour ce
projet est tout à fait remarquable à
tous points de vue. Il est d’abord en soi
un projet pédagogique : faire découvrir
dès le début de l’apprentissage de
l’instrument la musique
contemporaine. C’est aussi la
volonté d’offrir aux professeurs une
suite de deux recueils progressifs
allant du tout début jusqu’à un
niveau moyen d’instrument. Enfin, il est
intéressant de noter qu’il ne s’agit
pas d’un projet « in vitro » : la création de ces deux volumes de Musica Ficta aura lieu le samedi 20
mai 2017 à l’Auditorium de l’Espace d’Anglemont aux Lilas, dans le cadre de l’Atelier « Répertoire
et pédagogie du piano contemporain » animé par Martine Joste, sous l’égide de l’association
Musica Temporalia et en partenariat avec le Conservatoire Gabriel Fauré des Lilas. C’est dire tout
l’intérêt de ces deux volumes.
Tous renseignements sur la création de ces oeuvres sur le site de l'association : https://musicatemporalia.wordpress.com/
Que voici de jolis papillons ! La première partie est un simple bruissement
d’ailes, exprimé dans un « trois pour deux » qui va bien entendu troubler
le jeune pianiste, sans oublier la délicate descente chromatique de la main
gauche. Après quelques mesures pianissimo en accords arpégés, les voici
qui prennent leur envol, batifolent joyeusement sur des rythmes légers
puis s’élèvent en arpèges brisés vers le ciel. Après un petit retour au
batifolage, c’est l’envol définitif fortissimo vers le firmament, ponctué à la
dernière note par un « la » grave qui sonne comme un adieu.
D.B.
Ce recueil de quinze pages est composé de trois pièces de niveau assez
difficile. La première, « Jazzy litany » à 5/4, mêle swing, blues et jazz
tonal. La deuxième, « Just a few chords » a un air country et la troisième,
« Littel simple music » invite à la danse sur des rythmes de salsa.
Des grilles harmoniques sont proposées pour chaque pièce.
Sophie Jouve-Ganvert
« Quatre pièces faciles pour piano », selon l’indication de l’auteur,
dédiées à son fils. La première pièce « … à la Framboise » utilise pour la
partie de main droite une baguette en bois. La partie, à jouer sur les
touches blanches, est écrite avec notes et rythmes, avec des glissendi,
puis des rythmes frappés sur le couvercle du piano. La partie de main
gauche utilise les touches noires, effectue des clusters et parcourt bien
l’étendue du clavier jusqu’au très grave. La deuxième pièce « …au
Café » est plus simple de lecture. La mélodie en « croches pointées ssdoubles
» est soutenue par trois accords arpégés, imperturbables. « …au
Chocolat » évoque « Ce que la mouche raconte » des Mikrokosmos de
Bartok par sa modalité pentatonique et par son jeu alterné rapide des
deux mains. « … à la Mangue » (commande du Conservatoire de Combs-la-Ville) à l’écriture plus
« traditionnelle » est plus difficile sur le plan rythmique et sur le plan de la lecture des notes dans le
tempo demandé.
L’écriture contemporaine de ce recueil présente une difficulté de lecture qui peut paraître rebutante
pour des élèves de toutes premières années d’apprentissage, mais est compensée par l’aspect
« ludique », une fois que l’effort de déchiffrage et le temps de compréhension seront dépassés.
La mention senza pedal tout au long de l’ouvrage montre la destination de ces pièces à de jeunes
enfants aux jambes encore courtes !
Sophie Jouve-Ganvert
Il n’est pas étonnant qu’un compositeur président de la Fédération
Musicale de Haute-Normandie et vice-président de la Confédération
Musicale de France nous entraine dans un bourg de Normandie,
Bourgtheroulde, dont les habitants sont précisément les
Thérouldebourgeois… Cette suite de danse est aussi réjouissante que
variée et nous fait participer à l’histoire du village, dans un langage
faussement moyenâgeux… On lira avec amusement les commentaires
présentant chaque danse. Bref, on ne s’ennuiera pas à jouer cette partition
pleine d’esprit et de charme.
D.B.
Pièce dans le style concertant, d’un seul mouvement, mais de tempi variés. La première partie, après l’introduction du piano, reprend continuellement la même formule
rythmique accentuant ainsi le caractère mélancolique de la mélodie. La cadence qui la termine
introduit la deuxième partie, beaucoup plus technique. La troisième partie, à la carrure de quatre
mesures est en forme de menuet. La quatrième partie dans un tempo plus rapide alterne doubles
cordes et batteries. La cinquième et dernière partie reprend la première mais à l’octave inférieure
d’abord, puis à l’octave supérieure ensuite. Bien écrite pour le violon, (coups d’archets notés,
indications d’interprétation indiquées), elle offre toutes les difficultés techniques attendues en
troisième cycle, dont l’endurance. L’accompagnement de piano, la plupart du temps sous forme
d’accords, sert essentiellement à maintenir la rythmique et la dynamique.
Sophie Jouve-Ganvert
De couleur « jazzy » de par les harmonies de l’accompagnement (de
moyenne difficulté), cette courte pièce en un seul mouvement
permet dans sa première partie de travailler le legato et
l’expression. La deuxième partie au tempo plus rapide propose,
pour la recherche de la régularité, l’enchaînement de différentes
formules en doubles croches (doubles broderies, notes pivots) et le
travail du staccato. La dernière partie rappelle le premier thème sur
A proposer en début de second cycle.
Sophie Jouve-Ganvert
Il est toujours difficile d’écrire pour les débutants, et cette petite pièce est
très réussie : la simplicité n’empêche pas le charme. Bien sûr, la partie de
piano n’est pas pour débutant mais n’est pas non plus d’une grande
difficulté. Alto et piano dialoguent vraiment et chacun tient sa place dans
le discours. A une première partie en sol Majeur succède une partie au ton
de la sous dominante puis on termine par un retour à la mélodie initiale et
au ton principal. Nul doute que les deux interprètes trouveront beaucoup
de plaisir à interpréter cette jolie pièce.
D.B
Malicieux, il l’est vraiment ce lutin qui n’arrête pas de sautiller ou de se
lancer dans des suites de gammes montantes et descendantes suivies
d’arpèges… bref, cette oeuvre permet un véritable travail technique, mais
en situation dans une partition pleine de charme mutin. La partie de
piano est intéressante et donne vraiment la réplique à la partie d’alto.
Coups d’archet et doigtés sont laissés à l’appréciation du professeur… et
de l’élève ! Cette « pièce de genre » fait évidemment penser – en plus
facile ! – à la Danse des lutins de Bazzini à ceci près que la partie de
piano n’est pas seulement décorative… Qui s’en plaindrait ? Elle pourra
constituer, en tout cas, une « pièce de bravoure » pour les deux
interprètes.
D.B.
Cette pièce en forme de marche évoque celle du coyote. Le piano
accompagne cette marche par des accords répétés qui scandent toute
l’oeuvre. L’ensemble est martial mais expressif : il faudra respecter les
nuances, crescendos et décrescendos, ainsi que les ralentis et les rubatos
qui concourent à l’expressivité de la pièce qu’il faudra veiller à ne pas
transformer en marche militaire. Sans doute ne sera-t-il pas inutile de
rappeler aux interprètes ce qu’est réellement un coyote…
D.B.
Ce recueil de six courtes pièces est original par sa diversité de styles et par l’accompagnement d’un CD.
Dans la première pièce seulement, pièce aux couleurs indiennes « Devil’s Dance », les interventions de cloches tubulaires, sitar, tabla, autres flûtes sont indiquées. La deuxième pièce « Marine », plus classique d’écriture, mélodiquement et rythmiquement, est plus simple. L’accompagnement comprend un cor anglais, une harpe, un glockenspiel et une contrebasse. « Fleur de jasmin », accompagnée de harpe et de percussions s’inspire incontestablement de Ravel. On y retrouve l’« Impératrice des pagodes » de « Ma mère l’oye » avec ses doubles croches aigües et précipitées en mode pentatonique. C’est toute la savane que l’on imagine dans « Africa Jingle », grâce aux percussions africaines. « Rue Montmartre » est moins bien réussie, jouée avec un quatuor à cordes, une harpe et un glockenspiel. Jeu de mot pour le titre de la dernière pièce « Noël au Balkan » et jeu de rythmes (avec une indication erronée de l’unité de temps). De tempo très rapide, tout en changement de mesures, en mesures impaires aux accents irréguliers, aux détachés sur aigus, ce Noël modal évoque le folklore des Balkans avec son accompagnement de flûtes, de clarinettes, de contrebasse et de percussions.
Ce recueil est intéressant et musical. Mais, il n’en est pas moins vrai qu’entrer au bon moment sur l’accompagnement (souvent foisonnant) représente une réelle difficulté pour l’élève, même avec les indications notées sur la partition (indication de minutage pour la première pièce qui n’est pas mesurée, mesures à compter pour les autres). Ensuite, il doit être capable de suivre le tempo (la dernière pièce est particulièrement rapide : 172 à la noire).
On regrettera que les plages du CD ne soient pas détaillées, avec les versions sans et avec play-back et que la partition n’indique aucune indexation.
La difficulté de la partie de flûte seule correspond au niveau second cycle.
Sophie Jouve-Ganvert
Ce volume rassemble onze mélodies Yiddish qui possèdent la touche
mélancolique si typique de la musique klezmer. Elles sont ici enrichies
par le charme spécifique d’un trio de clarinette ou chaque partie, assez
facile, possède sa richesse mélodique et rythmique. Les interprètes les
plus exercés pourront enrichir l’ensemble en l’ornementant ou en
improvisant, à condition de rester dans le style tellement particulier de
cette musique. Il y a dans ces trios beaucoup de plaisir en perspective et
une excellente introduction à la musique d’ensemble.
D.B.
Créée à Tokyo par le quatuor « Les Franc Bassons », cette oeuvre, qui leur
est dédiée, vise à décrire les grandes avenues ensoleillées de la côte ouest
des Etats-Unis. Décrire ? En fait non. Plutôt évoquer. L’auteur nous dit
qu’il s’agit d’un « travail sur les éléments naturels ». L’oeuvre fait appel à
toutes les possibilités du basson, aussi bien dans le grave que dans l’aigu.
Tantôt planant, tantôt véloce en gammes descendantes, le basson nous fait
rêver. Mais plutôt que de décrire la partition, il vaut mieux aller l’écouter
sur YouTube où on peut l’entendre intégralement jouée par ses créateurs :
https://www.youtube.com/watch?v=QjsJBnPpGbU*
D.B.
Cette oeuvre a été composée pour le congrès mondial du saxophone
SaxOpen en juillet 2015 et créée à cette même date. Cette évocation
poétique du mythe de Séléné (déesse de la lune) rendant visite au
berger Endymon est inspirée directement du tableau de Girodet. S’il
s’agit bien d’un nocturne, on y trouve à la fois le calme du sommeil
et les élans de la passion… Orgue et saxophone entrelacent leur
discours en allant du pianissimo au fortissimo. L’ensemble est aussi
poétique que passionné. Bien sûr, l’orgue devra être un instrument
expressif. L’ensemble se joue essentiellement sur les fonds avec, à un
moment, une gambe. On y reconnait toute la délicatesse d’Eric
Lebrun. Bien sûr, l’oeuvre n’est pas particulièrement facile.
D.B.
Ce compositeur à la vie particulièrement brève (né en 1742, il meurt en
1777) a été l’un des meilleurs symphonistes de son époque. L’oeuvre
publiée ici fut jouée pour la première fois au Concert des amateurs en
1777, l’année de sa mort. Ecrite pour orchestre à cordes, flûtes et cors en
mi bémol, l’oeuvre comporte trois mouvements : Maestoso, allegro vivace
– Adagio sostenuto – Rondo moderato. Elle est remarquable par son
expressivité : les contrastes dynamiques et rythmiques foisonnent, les
recherches de style et de couleur préfigurent les grandes symphonies
romantiques. On appréciera en particulier l’adagio sostenuto,
particulièrement poignant ainsi que le rondo d’écriture très française. On
pourra lire sur le site de l’éditeur l’excellente présentation de Camille
Subiger. On pourra également y écouter des extraits musicaux du disque
Arion consacré aux Symphonies de Le Duc, mais on peut écouter également l’ouvre intégralement
sur YouTube https://www.youtube.com/watch?v=C7_Lz3tCPpg.
Daniel Blackstone
Il ne s’agit pas d’un ouvrage d’organologie ou d’un état des orgues, mais d’un roman reposant sur
des sources historiques solides : Archives de l’Hôtel de Ville de Saint-Maximin et articles
concernant cette ville, sa Basilique et son Orgue monumental qu’« un stratagème de Lucien
Bonaparte a sauvé de la folie destructrice propagée en l’An II ». Ce livre est préfacé par Louis
Napoléon Bonaparte-Wyse. L’auteur — pianiste, chanteuse, chef de choeur et professeur —projette
un éclairage neuf et à bâtons rompus sur Lucien Bonaparte (1775-1840), principal protagoniste, le
situe dans son contexte familial et aussi dans l’entourage du Cardinal Fesch, du Pape Pie VII, des
frères Robespierre qui avaient interdit les cultes. Bien qu’acquis aux idées de la Révolution, il est —
selon le préfacier — « déjà un partisan de la paix civile », un « protecteur du patrimoine et des
arts » restant « attaché aux valeurs traditionnelles… telle que la religion, la fidélité à ses principes et
son idéal républicain » (p. 11).
Michèle Bus-Caporali fait part aux lecteurs d’impressions ressenties lors de son périple en Provence
et à Saint Maximin en particulier, tout en mettant en parallèle les descriptions et réactions de Lucien
Bonaparte évoluant dans l’atmosphère régnant de 1793 à 1795. Ce véritable plongeon dans le
temps est écrit d’une plume alerte, avec des expressions très recherchées. L’auteur fait « parler »
son protagoniste, tout en y associant, au fil des pages, ses réactions personnelles et des faits
d’actualité tels que des événements récents agrémentant ses flâneries artistiques : concert à l’orgue
prestigieux — dont l’heureux titulaire est Pierre Bardon — ou interprétation du Requiem de
Giuseppe Verdi (100 choristes). Le roman concerne les itinéraires de Lucien Bonaparte
(occasionnellement de « Petit Jean ») et de l’auteur, l’orgue de Saint-Maximin avec l’organiste
Fourcade, puis — quelques deux siècles plus tard — de Pierre Bardon, le tout ayant servi de
prétexte à un contrepoint à deux personnes. Il consigne en fait un moment historique (Révolution-
Directoire) et un va-et-vient entre passé et présent. Cette flânerie artistique en Provence (aussi à
Marseille, à la découverte de Notre-Dame de la Garde, avec promenade en mer, vendanges…)
suscite des émotions semblables et des témoignages d’empathie.
Cette contribution à l’histoire de la Basilique débaptisée sous la Révolution, de lecture agréable, fait
toutefois constamment balloter le lecteur entre histoire à Saint-Maximin et vécu de l’historienne du
passé et romancière du présent : bref une rencontre totale entre « auteur-artiste-auditeur ». À finalité
moralisante, tricotant et détricotant les faits, ce roman vise à faire « oublier les querelles [et] chanter
d’un même souffle ».
Édith Weber
« Sons voisés, ou ici manière de faire jouer ensemble des sons de diverses textures, autour des
possibilités douces ou dures, sourdes, fuyantes ou vives de composer quelques figures avec
langue » (selon la dernière de couverture) : telle est la démarche des textes en prose associés à des
collages de Natalia Smolyanskaya. Ils évoquent le vent, l’ouragan, le silence de mort : C’était en
1919, mais aussi l’extase, grâce à des illustrations dynamiques pleines d’élan ou encore le souffle
de l’âme (die Seele). Textes des poèmes « intonés » (à lire à haute voix) et dessins (à admirer
conjointement) sont indissociables : l’un renforçant l’autre et vice versa, le plus impressionnant
étant Auschwitz avec ses nuances de gris, de gris violacé et barrées d’un trait noir ascendant fort
significatif. Euphonie, rythme des phrases, musique des mots convergent en un agréable bouquet de
sons et de couleurs.
Édith Weber
En 1772, dans son Traité du mélo-drame ou réflexions sur la musique dramatique (Paris), Laurent
Garcin affirme que « la musique française n’a point de rivale dans le chant composé » : c’est ce que
Sylvie Douche tend à démontrer par rapport à la « Belle Époque », à l’engouement du « public de
salons » et à la société en mutation.
Le sous-titre : Résurgences, métamorphoses et enjeux. Le cas de l’adaptation musicale sert de motif
conducteur à cette vaste étude sur ce « genre réputé hybride ». Il est en plein essor au XIXe siècle,
d’abord en Allemagne — dans le cadre de l’Empfindsamkeit autour de W. A. Mozart (Semiramis),
de Carl Loewe (1796-1869), entre autres —, puis en France. Il recoupe divers aspects : monodrame,
monologue récité proche de la pantomime ou du vaudeville, « parlé, chanté, dansé, mimé » et
implique une grande souplesse formelle.
Pour définir la problématique, Sylvie Douche — Maître de conférence habilitée (Université Paris-
Sorbonne) — prend comme point de départ la définition de René-Charles Guilbert de Pixérécourt
(1773-1844) : « Un mélodrame n’est autre chose qu’un drame lyrique dont la musique est exécutée
à l’orchestre au lieu d’être chantée » (cf. p. 11). Elle centre donc son propos sur « un transfert du
paramètre mélodique traditionnellement dévolu à la voix et, partant, bien davantage d’une technique
que d’un genre au demeurant fort peu définissable. » Elle rappelle qu’après 1830, « le terme est très
ambigu car… il désigne aussi des pièces de théâtre aux situations forcées et pathétiques. » À la
croisée des chemins : « scène théâtrale » ou « moment musical », le mélodrame pouvait alors
évoluer ou disparaître.
La prolifération des Théâtres de quartier favorisera le renouvellement du genre, mais aussi le
rapprochement entre théâtre et roman. L’apparition de l’électricité permettra de nouvelles mises en
scène au profit de la réinvention de l’espace scénique. Les « Années folles » seront marquées par
une grande demande de loisirs jusqu’à la Crise économique de 1929.
Des mélodrames conçus pour l’Odéon comme musique de scène sont composés par Ernest
Chausson, Jules Massenet ou Vincent d’Indy. Ils seront ensuite marqués, en Allemagne, par les
recherches d’Arnold Schönberg relatives à la déclamation (chuchotements, cris, Sprechstimme). Ces
observations préliminaires sont indispensables à la compréhension des études approfondies qui
constituent le corps de ce vaste ouvrage.
Les analyses minutieuses sont étayées de 43 exemples musicaux judicieusement sélectionnés : Fr.
Thomé — parfait représentant du « nouveau genre » —, G. Pierné, A. Cocquard, J. Massenet, G.
Vilain, J.-B. Weckerlin, parmi d’autres. Elles sont complétées de tableaux (listes des poètes,
dédicataires, statistiques avec répartition des pièces en vers et en prose) émanant de l’imbrication
des trois milieux (musique, poésie, théâtre), accompagnés de quelques illustrations. La
Bibliographie thématique (française, allemande, anglaise) démontrerait, à elle seule, l’ampleur de la
démarche.
Enfin, le corps du livre examine les particularités des partitions et de ce genre pour le moins
hétérogène. La première partie consiste en une tentative de définition (créateurs, statuts, mécénat,
accompagnement musical, disposition scénique, instruments, interprètes et publics). La deuxième
porte sur la tentation de théorisation : diction (sobriété, contingences prosodiques) et pose le
problème d’un équilibre à trouver entre parole et musique. La troisième concerne la dimension
dramatique, la déclamation de la voix parlée, la prononciation et la diction et, finalement, les
perspectives d’avenir du mélodrame.
En fait, l’auteur propose un état de la question prenant la suite des travaux de Jacqueline Waeber
(En musique dans le texte : le mélodrame de Rousseau à Schönberg, Paris, Van Dieren, 2005).
Sylvie Douche traite le problème de l’adaptation musicale et situe le mélodrame dans ses divers
contextes historique et politique, poétique et musical : une imposante somme d’analyses et de
réflexions pluridisciplinaires.
Édith Weber
« La question [de l’évolution de la liturgie au XX° siècle] représente
aujourd’hui dans l’Eglise catholique un sujet fréquemment polémique ». En
commençant son introduction par cette phrase, l’auteur ne cache pas la
difficulté de son entreprise. En effet, toucher à la liturgie revient à toucher au
contenu de la foi. « Lex orandi, lex credendi » : cette maxime attribuée au
Pape Célestin 1er au V° siècle a été souvent citée et reprise par de nombreux
papes jusqu’au XX° siècle. L’auteur, prêtre catholique et professeur à la
Faculté de Théologie de l’Université Catholique de Lyon, est également
historien, spécialisé notamment dans l’étude du Concile Vatican II. C’est dire
qu’il connait de l’intérieur les problèmes soulevés par cette étude. L’intérêt
évident de ce livre est d’être une étude historique remontant jusqu’à la fin du
XIX° siècle pour montrer les racines de l’évolution de la liturgie à partir de
Dom Guéranger, fondateur en 1833 de l’abbaye de Solesmes et pionnier du renouveau liturgique.
On pourra regretter que, partant de Solesmes, l’auteur n’ait pas davantage abordé le problème de la
musique liturgique et de son évolution jusqu’à aujourd’hui, mais, comme il le reconnait fort
justement, c’est un sujet qui demanderait à lui seul plusieurs gros volumes… Cette limite étant
posée, on est conquis par la clarté de l’exposé sur un sujet si touffu étant donné ses différentes
ramifications et sa complexité. L’étude prend un tour géographique qui peut surprendre au premier
abord mais qui se justifie pleinement. Après un premier chapitre consacré à faire l’état de la
question et à examiner l’action de Dom Guéranger et de Saint Pie X, nous voici entrainés en
Belgique pour y examiner l’action des abbayes bénédictines. On pourrait se demander pourquoi la
France d’avant 1914 a été peu perméable au mouvement liturgique. Ce serait oublier le traumatisme des lois laïques, notamment celle de la séparation des églises et de l'État de 1905. L'Eglise de france essayait de survivre : les moines de Solemes sont expulsés en 1880 et ne reviendront qu'en 1922...
Après la Belgique, voici le mouvement liturgique des années 1930 dans l’espace
germanique. C’est un moment déterminant avec, notamment, Romano Guardini et son ouvrage
L’esprit de la liturgie, qui, traduit en français en 1929, restera dans les séminaires français un
classique jusque dans les années 60. Vient ensuite la France de l’entre-deux guerres, où le
mouvement liturgique est porté en particulier par les mouvements de jeunesse (scoutisme et Action
Catholique). Mais c’est pendant la guerre que le mouvement prend corps avec la fondation, en
1943, du CPL (Centre de Pastorale Liturgique). La France est riche, alors dans les années d’aprèsguerre,
d’expériences multiples et parfois discutables… Nous ne poursuivrons pas plus avant ce
résumé de l’ouvrage : nous arrivons alors à l’impulsion romaine et tout ce qui tourne autour du
concile Vatican II et de la conception de la constitution sur la liturgie. L’auteur décrit alors avec
beaucoup de recul les discussions et les disputes souvent âpres qui marquent l’élaboration de ce
texte. Il était difficile, en traitant de cette partie et de la mise en oeuvre jusqu’à aujourd’hui de la
réforme conciliaire, spécialement en France, de n’être ni partisan ni irénique. Aux pages 247 et 248,
il cite Paul VI et ses mises en garde très fermes : « […] Mais ce qui est pour Nous une cause encore
plus grande d’affliction, c’est la diffusion de la tendance à « désacraliser » comme on ose le dire, la
liturgie (si encore elle mérite de conserver ce nom) et avec elle, fatalement, le christianisme. Cette
nouvelle mentalité, dont il ne serait pas difficile de retrouver les origines troubles, et sur laquelle
cette démolition du culte catholique authentique essaie de se fonder, implique de tels
bouleversements doctrinaux, disciplinaires et pastoraux, que nous n’hésitons pas à la considérer
comme aberrante ». Nous sommes en 1967… Que dire de ce qui se passera notamment en France
dans la suite des évènements de mai 1968 ! Dans un livre paru en 1968 et intitulé La décomposition
du christianisme, le Père Louis Bouyer, oratorien qui a pris une part très active à la réforme
liturgique, écrit devant ces mêmes dérives : « Il n'y a pas si longtemps que les catholiques
ironisaient de haut sur la pulvérisation du protestantisme en sectes ou en écoles rivales et
antagonistes. Il ne leur a fallu qu'un desserrement du corset de fer où ils avaient été emprisonnés
depuis la Réforme, et auquel la répression du modernisme avait donné le dernier tour de vis, pour
en arriver, en un clin d'oeil, à une situation pire encore. Chacun ne croit plus, ne pratique plus que ce qui lui chante. Mais le dernier vicaire ou le dernier aumônier d'Action Catholique, tout comme le
plus ignare des journalistes, tranche de tout avec une certitude infaillible, se scandalise quand le
pape (...) se permet d'être d'un autre avis que le sien, et juge intolérable que d'autres prêtres ou
fidèles puissent ne pas penser comme lui. » Le père Moulinet expose avec tact et sens historique
tous les changements opérés depuis cette époque et la pacification qui s’opère peu à peu. Au fur et à
mesure que l’ouvrage se déroule, on en comprend mieux le sous-titre : Croire et participer. Il fait
ressortir avec clarté les enjeux théologiques de la réforme et comment un changement liturgique
dans la célébration de la messe et des sacrements remet en question les places respectives du prêtre
et des fidèles, leur rôles respectifs et révèle l’ecclésiologie sous-jacente à certaines pratiques. Si on
est un simple lecteur, grâce à son style limpide, ce livre peut se lire comme un roman historique
passionnant. Si on est historien, on a en main tous les matériaux pour approfondir la réflexion sur
chaque point abordé. Quant au théologien, il y trouvera de quoi alimenter sa réflexion sur l’Eglise et
son devenir. Bref, il s’agit d’un ouvrage copieux, mais cependant très clair et remarquablement
documenté qui permet de faire le point sur une question cruciale mais qui a été et reste encore
souvent douloureuse.
Daniel Blackstone
Créé le 11 novembre 2016 à la Cathédrale de Reims, ce Magnificat est l’oeuvre d’un jeune
compositeur alors âgé de 28 ans : Marc Henric, dont l’arrière-grand-père avait participé à la Bataille
de Verdun. Cette composition significative — commémorant le centenaire de la Première Guerre
mondiale — sera proposée en 2017 et 2018 aux villes du front de 1914-1918, notamment : Arras,
Laon, Soissons, Verdun, Metz et Strasbourg.
Marc Henric est à la fois organiste, pianiste, chef de choeur et d’orchestre, musicologue, arrangeur ;
il s’intéresse à toutes les formes et en particulier à la musique chorale pour voix d’enfants. La
prestigieuse Maîtrise de la Cathédrale de Reims — dont les origines remontent à 1285 — est dirigée
avec autorité par Sandrine Lebec (cf. CD « La Maîtrise de Reims chante sa Cathédrale », in : Lettre
d’information n°102, avril 2016). Le Magnificat reprend les sept articulations traditionnelles avec,
en soliste, Magalie Léger (soprano), à l’orgue : Élodie Marchal. Aux questions posées à Marc
Henric : « Pourquoi un Magnificat ? Qu’est-ce qui vous a inspiré ? », il répond : « Le Magnificat est
l’une des prières les plus célèbres de la littérature mariale. Il s’agissait de célébrer la Cathédrale de
Reims… elle-même consacrée à Marie. Le texte du Magnificat s’imposait donc ». Quant à
l’inspiration, il estime qu’il est difficile de la définir « car elle est toujours pour moi un mystère. Le thème principal est venu très vite, dans la joie sans nul doute de la perspective de cette composition.
Le reste est un long processus de réflexion. Pendant des mois, les idées se mettent en place, le
morceau se construit dans mon esprit… Il faut que la musique soit assez variée et que les idées
affluent… le plaisir des interprètes et du public reste une priorité… Je veux simplement donner de
l’émotion » : c’est ce que ressentiront les mélomanes à l’écoute de cette oeuvre dans le langage de
notre temps : à découvrir et à vivre directement sans commentaire analytique fastidieux. Ce
nouveau disque des Éditions JADE comprend en outre le Requiem op. 48 (version 1893) de Gabriel
Fauré (1845-1924), bien connu, avec, en solistes : Xavier Wolfersberger et Marion Boutan, et les
Litanies à la Vierge noire [de Rocamadour] de Francis Poulenc (1899-1963) — prière que le
compositeur qualifie de « très spéciale, humble et je crois saisissante ». À l’orgue : Benjamin Steen,
titulaire des Orgues de la Basilique Saint-Rémi de Reims. Les jeunes choristes réalisent une ligne
mélodique soutenue et d’une bonne justesse (a cappella ou planant au-dessus d’un accompagnement
discret). Ils s’imposent aussi par leur excellente diction et le respect des nuances.
Cet enregistrement résulte d’une parfaite connivence entre compositeurs et chef pouvant compter
sur l’application, le goût de l’effort soutenu et l’enthousiasme des jeunes chanteurs. Une réalisation
de plus à l’actif de la Maîtrise multiséculaire de Reims, avec, entre autres, à l’occasion de son
centenaire, un émouvant hommage rendu aux morts de la Grande Guerre émanant du Magnificat de
la Paix de Marc Henric.
Édith Weber
Cette réalisation incontournable — que Jean-Pierre Ferey a dédiée à Antoine Ferey, « touché depuis
son plus jeune âge par la musique de Jean Cras » — a été enregistrée en 2015 sur un piano
Bechstein.
Musicien dans l’âme, pianiste prolifique (plus de 150 CD) dans les genres les plus divers, Jean-
Pierre Ferey est aussi le créateur d’un spectacle (créé au Qatar) et un très grand voyageur (concerts
et masterclasses en Europe et au Moyen-Orient) et, de surcroît, un éditeur discographique confirmé.
Il s’est lancé avec conviction dans la défense et la diffusion de l’oeuvre de Jean Cras, compositeur et
navigateur comme, entre autres, Paul Le Flem. Né à Brest le 22 mai 1879, il est mort dans cette
ville le 14 septembre 1922, avec le titre de Contre-amiral, Major général, commandant du port de
Brest. Formé à l’École Navale, en 1901, il a été l’élève de Henri Duparc et, l’année suivante, se met
à composer ses Poèmes intimes. Ses oeuvres respirent le grand large, évoquent les notions d’infini et
d’éternité : sources d’inspiration de cet officier de marine et « poète des sons », compositeur
indépendant et non soumis aux modes esthétiques passagères.
Jean-Pierre Ferey, par son souci d’authenticité, s’est reporté à des partitions annotées de la main de
Jean Cras. Dès les premières mesures, il galvanise les discophiles, apporte sa fidèle et émouvante
contribution à une meilleure connaissance de ce marin musicien trop tôt disparu. Elle fera date.
Édith Weber
Voici une leçon de techniques traditionnelles avec des Études bien connues par plusieurs
générations de pianistes et passage obligé permettant aussi — grâce au Label Acte Préalable — de
découvrir les musiciens polonais d’une part Grazyna Bacewicz (1909-1972) et Marian Sawa (1937-
2005) et d’autre part le pianiste Marcin Tadeusz Lukaszewski (né en 1972), diplômé de l’Académie
de musique de Varsovie, également musicologue.
La forme Étude, à finalité didactique, traite des difficultés techniques ; elle a évolué à partir de
l’avènement du pianoforte. Elle peut concerner des exercices progressifs pour l’agilité des doigts :
c’est le cas des Études de l’autrichien Carl Czerny (1791-1857), avec sa Kunst (art) der
Fingerfertigkeit, méthode qui — comme celle du hongrois Isidore Philipp (1863-1958) installé à
Paris — cultivent la haute virtuosité digitale à pratiquer quotidiennement. En revanche, les Études
de Stephen Heller (1813-1888), progressives et mélodiques, sont de vrais morceaux spéculant aussi
sur la sonorité et l’expressivité. Celles de Moritz Moszkowski (1854-1925) — à l’instar de celles de
Chopin et Liszt — sont des pièces destinées à être interprétées au concert ; c’est aussi le cas des
Concerts-études de Grazyna Bacewicz (1909-1969), en des tempos bien enlevés, entre autres
Allegro, Vivace, mais aussi Andante, giocoso. Les 4 Études de Marian Sawa (1937-2005)
s’inscrivent dans l’esthétique de notre temps.
Marcin Tadeusz Lukaszewski, pendant les 33 plages (de brève durée) se joue de toutes les
difficultés techniques avec autant de brio que de musicalité. Il propose ainsi une remarquable leçon
de technique pianistique. Cet enregistrement sera d’une incontestable utilité pour les pianistes de
tous niveaux et les professeurs. Incontournable outil pédagogique.
Édith Weber
Les transcriptions ou arrangements pour instruments différents par rapport à l’original sont
actuellement à la mode. Dans certains cas — par leurs sonorités et coloris —, ils peuvent permettre
de mieux percevoir des lignes mélodiques ou le phrasé. Après le Quatuor à cordes n°8 de Dimitri
Chostakovitch (cf. LI n°112, mars 2017) transcrit pour orgue, voici la démarche inverse avec les
Chorals du Petit Livre d’orgue pour 4 violoncelles : curiosité ou sacrilège pour les puristes ? Bach
aurait-il désavoué cette tentative didactique ? Comme le rappelait Albert Schweitzer, il « était
violoniste avant d’être claveciniste et organiste ».
Par son Orgelbüchlein, J. S. Bach voulait initier les organistes et les fidèles aux mélodies de Chorals
luthériens lancés dès 1517. Il les a classés selon l’année liturgique : de l’Avent et Noël jusqu’à
Pentecôte. Pour les fidèles germanophones, les mélodies sont dotées d’un solide pouvoir
d’association d’idées ; certaines proviennent d’une source antérieure à la Réforme, par exemple :
Veni Redemptor gentium ou Veni Creator (Pentecôte) adapté en allemand ; d’autres concernent le
Cantique de Siméon : Mit Fried und Freud ich fahr dahin ou encore les Dix Commandements et
l’Oraison dominicale, soit un total de 36 mélodies (cantus firmus) mises en vedette par rapport aux
autres voix.
Grâce à la complicité du Quatuor Ponticelli, ce qui semblait a priori un défi se révèle un pari tenu :
objectif rempli avec cette réalisation qui spécule, entre autres, sur la vibration des cordes et la
sonorité profonde des violoncelles, elle fera aussi vibrer les mélomanes.
Édith Weber
Omar Zoboli, hautboïste né à Modène, et Friedmann Rieger, pianiste, chambriste et
accompagnateur allemand, proposent en parfaite connivence une Anthologie de pièces pour
hautbois émanant de compositeurs du XXe siècle moins connus tels que Luca Mosca (né en 1957),Edward Boguslawski (1940-2003) et d’autres plus célèbres : Carl Nielsen, Charles Koechlin, Frank
Martin, Benjamin Britten. Ils ont en commun la « valorisation des sonorités » du hautbois,
l’exploitation de sa potentialité ou encore la recherche d’une musique de caractère intime : d’où le
titre de ce CD du Label GALLO, toujours soucieux de proposer des réalisations originales et sortant
des sentiers battus.
Cet enregistrement live propose des pièces d’une grande concision : choral, complainte, épitaphe
(tombeau), variations, ostinato, fantaisie, romance ou encore descriptives : Two Insect Pieces
(1935) : The Grasshopper (la sauterelle), The Wasp (la guêpe). Il s’impose comme une remarquable
synthèse cosmopolite et très instructive. Omar Zoboli et Friedmann Rieger ont signé une éloquente
et fascinante démonstration, très révélatrice des possibilités sonores et expressives du hautbois
capable d’exprimer tant d’états d’âme : douceur, tristesse, mélancolie, lyrisme, mais aussi émotion
et intimité.
Édith Weber
Yves Henry et Leonard Borwick ont été confrontés à un problème de « transcriptions pas comme les
autres » d’oeuvres très célèbres échelonnées sur une quarantaine d’années. Il s’agit de réduire une
partition orchestrale aux timbres multiples à 2 portées et 2 mains (exercice encore plus complexe
que dans le cas d’une adaptation à 4 mains ou encore à 2 pianos). Comment un piano peut-il
d’ailleurs restituer le paysage sonore d’un orchestre ?
Cette réalisation a bénéficié de la longue expérience et du travail acharné et progressif ainsi que de
tests lors de concerts, car Yves Henry a aussi dû résoudre le problème d’attaque apparentée à celle
des divers instruments formant un orchestre ; trouver les doigtés appropriés (ce qui n’est pas
évident), sans oublier la recherche du « piano-orchestre » indispensable. Pour ce faire, il a retenu un
piano de concert Fazioli s’approchant du potentiel sonore orchestral. Ces conditions étant remplies,
dans le cas d’un enregistrement discographique, une autre difficulté surgit : la prise de son,
autrement dit : le choix du preneur de son et du lieu assurant les conditions acoustiques mettant en
valeur un piano devant impérativement se substituer à l’orchestre. Le programme ad hoc inspiré par
la danse et les « Ballets russes » présente, d’une part, des transcriptions des Danses polovtsiennes
du Prince Igor (Alexandre Borodine, 1879) ; de La Valse (Maurice Ravel) ; de L’apprenti sorcier
(Paul Dukas, 1897) ; d’autre part, des oeuvres de piano : La Pavane pour une infante défunte (Ravel,
1899). À noter le climat impressionniste du Prélude à l’après-midi d’un faune (Claude Debussy,
1892-1894) transcrit par Leonard Borwick.
En conclusion, Yves Henry confirme sa parfaite maîtrise technique pianistique et son aisance dans
l’art et la science de la transcription. Six oeuvres russes et françaises archiconnues : une autre
perspective d’écoute.
Édith Weber
Le piano est roi chez FY-SOLSTICE ; après le somptueux coffret en l’honneur d’« Yvonne
Lefébure » (cf. LI n°110, janvier 2017), ce label dynamique invite les discophiles à découvrir la
pianiste bordelaise Christelle Abinasr, élève au CNR de Paris, puis au CNSM où elle s’est
perfectionnée en musique de chambre et en accompagnement, ce qui lui permet de se produire en
soliste et en chambriste. Astor Piazzolla (1921-1992), élève entre autres de Nadia Boulanger,
« revisite » le tango classique. Ce genre mélancolique, nostalgique, langoureux et sentimental par
excellence, traduit les états d’âme typiques de l’Argentine. Le compositeur fait évoluer cette danse
vers le tango nuevo, en privilégiant l’exubérance et une orchestration « luxuriante ».
Le disque propose des arrangements pour piano par Kyoko Yamamoto du Libertango (1973) :
Allegro giustoso de la Séria del Angel et de la Tangosuite (1983) comprenant trois tangos très
contrastés : 1. Decido, 2. Andante rubato, melancolico, 3. Allegro que Christelle Abinasr interprète
avec une grande finesse au piano Steinway. La troisième partie concerne des Préludes inspirés par
la danse (tango, valse) et écrits par Astor Piazzolla en 1987, vers la fin de sa vie. La pianiste, en
parfaite symbiose avec les intentions du compositeur, s’impose par son jeu précis, son sens des
tempi justes et des atmosphères subtiles. Il en est de même pour Adios Nonino concernant la
disparition de son père et Oblivion pour le film Henri IV (d’après Pirandello). Cette réalisation
illustre l’évolution esthétique du tango, ses différentes formes et atmosphères (cf. analyses de
Lionel Pons) : musique d’ambiance hors pair, haute en couleurs, baignée de tendresse et de lumière,
faisant résonner l’âme argentine dans tous ses états.
Édith Weber
Cette réalisation présente sept pièces pour clarinette piccolo en mi b et ré, dont cinq en premiers
enregistrements mondiaux. Elle permet de découvrir sa présence dans la musique de chambre au
XIXe siècle, après avoir été exploitée entre autres par Georg Friedrich Haendel, Georg Philip
Telemann, Jean-Philippe Rameau à l’époque baroque (Cantates), puis par Ludwig van Beethoven
(Marches militaires) ou encore Felix Mendelssohn (Nocturnes) à l’époque romantique.
Luigi Magistrelli — à la fois compositeur, interprète et ingénieur du son — a sélectionné des
oeuvres plus développées comme le Quatuor op. 110 en Mi b Majeur pour flûte, hautbois,
clarinettes piccolo et piano d’Amilcare Ponchielli (1834-1886), d’abord organiste fasciné par le
théâtre, ensuite professeur au Conservatoire de Milan. Cette pièce toujours en mouvement nécessite
une grande virtuosité et un phrasé précis des instruments à vent qui dialoguent ; la partie de piano
est bien enlevée. Giuseppe Pessina (1836-1904) a signé une oeuvre descriptive, incisive et
imitative : Gli Usignoli (Les Rossignols) pour flûte piccolo, clarinette en ré et piano, avec des
répliques précises entre les instruments. Giacomo Panizza (1803-1860) est l’auteur de brefs
morceaux : Gli Innamorati (Les amoureux), spéculant sur les registres aigus. Luigi Magistrelli a
aussi ajouté quelques arrangements, par exemple Le grand duo concertant de Luigi Bassi (1833-
1871) pour clarinettes en mi b et celui en si b, d’après la Somnambule, opéra de Vincenzo Bellini ou
encore celui de la Fantasy on « Due Foscari » d’après Verdi. Ce disque hors du commun se termine
avec Les anches rebelles — tout un programme — pour clarinettes en si b et piano de Jules
Pillevesse (1837-1903) ayant étudié au Conservatoire de Paris (solfège, harmonie, violoncelle,
contrepoint et fugue) et compositeur de la Cantate Jephté (pour le Prix de Rome).
Ces pages de musique de chambre dans le langage du XIXe siècle — valorisant la famille des
clarinettes piccolo — proposent une écoute active pour saisir leur coloris instrumental et les
virtualités de leur facture.
Édith Weber
Le Label polonais ACTE PRÉALABLE, dirigé avec dynamisme par Jan A. Jarnicki, a pour
vocation la promotion des compositeurs et interprètes de ce pays. Toutefois, la présente réalisation
concerne un compositeur allemand, Felix Mendelssohn-Bartholdy (1809-1847) et un compositeur
français, Ernest Chausson (1855-1899), mais des instrumentistes polonais avec, en vedettes, Robert
Kwiatkowski (violon) et Dominika Glapiak (piano), le concours du Messages Quartet et de
membres de l’Orkiestra Kameralna Progress sous la baguette experte de Szymon Morus.
Felix Mendelssohn-Bartholdy (né à Hambourg en 1809 et mort à Leipzig en 1847), à mi-chemin
entre classicisme et romantisme, a composé en 1822 son célèbre Concerto pour violon, piano et
cordes en ré mineur (MWV 0 4), oeuvre de jeunesse en 3 mouvements : Allegro, Adagio, Allegro
molto, prouvant qu’à 13 ans, le compositeur maîtrisait déjà bien les possibilités instrumentales du
violon et savait mettre le piano en valeur.
Ernest Chausson (né à Paris en 1855 et mort à Limay, près de Mantes, en 1899) a, au Conservatoire
de Paris, bénéficié de l’enseignement de Jules Massenet et surtout de César Franck, tout en
découvrant Richard Wagner. Dans l’interprétation de son Concerto pour violon, piano et quatuor à
cordes (op. 21) en 4 mouvements : Décidé-Animé ; Sicilienne : pas vite ; Grave ; Très animé,
Robert Kwiatkowski s’impose d’entrée de jeu par sa technique éblouissante, la sûreté de ses coups
d’archet et son lyrisme. La pianiste Dominika Glapiak se distingue par sa sonorité chantante, son
accompagnement tout en subtilité et en parfait équilibre avec le violon ; ils entraînent les auditeurs
dans un flot de notes ininterrompu qui ne tarit pas dans la Sicilienne. Le Grave mise encore plus sur
l’expressivité et met un comble à l’émotion. Enfin, la conclusion, Très animé, bien rythmée, exige
une virtuosité à toute épreuve.
Ces interprètes polonais rendent un vibrant hommage à ces deux compositeurs étrangers dont ils ont
perçu les moindres intentions compositionnelles. Ils ont signé deux versions de référence.
Magnifique.
Édith Weber
Thierry Épiney, musicien valaisan ayant étudié à Genève et Zurich, est titulaire d’un Master en
composition de musique de film décerné par la Haute École des Arts de Zurich, d’un autre Master
en composition et pédagogie obtenu à la Haute École de musique de Genève, également diplômé en
harmonie, solfège et percussions. À la fois compositeur et chef, il convie les mélomanes et
historiens à effectuer un parcours oscillant entre l’époque « féodale » et notre temps. Selon les cas,
il fait appel à un instrumentarium médiéval ou à un orchestre symphonique, ainsi qu’à l’Ensemble
Novantiqua et à la Schola de Sion (choeur de garçons) —notamment dans l’impressionnant tableau
Ravages de la peste, l’éthéré Chapelle de Tous-les-Saints et la puissante relation polyphonique de
l’Incendie.
La « mosaïque symphonique » (extraite du spectacle son et lumières) concernant l’histoire de Sion
en Suisse comprend, aux deux parties extrêmes : Prologue et Et aujourd’hui ; et au milieu, cinq
Mouvements : I. Décor et Légende (Collines et Marécages, Saint Théodule) 2. Les Châteaux
(Notre-Dame de Valère, Château de Tourbillon (XIIe s.), où résidait l’Évêque de Sion) III. Peste et
miracles (Ravages de la peste ; Chapelle de Tous-les-Saints (XIVe s.), havre de paix) IV. Action
(Chasse aux sorcières en Valais (XVe s.) ; Incendie du Château de Tourbillon en 1788) V. L’histoire
(c’est-à-dire Et aujourd’hui). L’accent est donc mis sur le Château de Tourbillon et surtout sur la
Basilique Notre-Dame de Valère avec son Orgue historique (XVe s.) encore en usage de nos jours.
Cette réalisation est environnée par la magie des lumières contrastées et des sons, lignes mélodiques
et rythmes de cette musique très évocatrice. Les discophiles ne se lasseront pas de réécouter cette
oeuvre si particulière à visée historique de Thierry Épiney.
Édith Weber
Remarquable disque de Louis-Noël Bastion de Camboulas où le clavier s’entend au sens large du
terme, comprenant indifféremment, ad libitum, clavecin ou orgue. Une complémentarité bien
connue au XVIIIe siècle permettant aux musiciens professionnels d’acquérir une technique soliste
ou concertante étendue, une bonne pratique de la basse continue, ainsi que les bases de
l’improvisation et de la composition. Au-delà des oeuvres proposées (Praeludium en sol mineur de
Buxtehude, Pavane Lachrimae de Scheidemann, Praeludium et Chaconne de la Suite VIII de
Johann Caspar Ferdinand Fischer, Aria Sebaldina de Pachelbel, Toccata nona de Muffat, Vater
unser im Himmelreich de Böhm, Toccata en sol mineur et Fantasia & Fugue de Bach) on est
d’emblée frappé à l’écoute de ce disque par l’élégante sonorité du clavecin (P. Humeau, copie de J.
H. Gräbner 1722) par la netteté des polyphonies ainsi que par l’ampleur et la douceur orchestrales,
chantantes et poétiques, de l’orgue de l’église de Ciboure. Un programme copieux conçu comme un
voyage à travers l’Allemagne et ses différentes écoles de clavier (Allemagne du Nord pour
Buxtehude, Scheidemann et Böhm, Allemagne méridionale pour Fischer, Pachelbel et Muffat) dont
J. S. Bach effectuera en quelque sorte une synthèse, soumise également aux influences françaises ou
italiennes. Magnifique interprétation de Louis-Noël bastion de Camboulas, tant au clavecin qu’à
l’orgue !
Patrice Imbaud
<Une curiosité que ce premier enregistrement par un ensemble baroque français de l’intégrale des
Concertos parisiens d’Antonio Vivaldi dont l’histoire n’est pas banale. En effet, Vivaldi avait
l’habitude de vendre à des voyageurs étrangers certains de ses manuscrits. Une vente directe semble
t-il plus lucrative que la vente d’oeuvres éditées. C’est probablement à un voyageur français de
passage à Venise que le manuscrit de ces douze concertos, conservés ensuite à Paris, fut vendu de
façon sans doute très avantageuse, d’autant que sur les douze concertos seuls deux sont des oeuvres
originales, les dix autres appartenant à un corpus plus ancien, datant de 1720, réarrangé pour
l’occasion. Un disque qui constituera une découverte pour beaucoup, et une très belle interprétation
par un ensemble spécialiste du genre dont ce CD constitue le premier enregistrement
discographique. Une musique pour orchestre sans soliste du Prêtre roux (l’orchestre est divisé en deux, ripieno et concertino, jouant ensemble dans les tutti) à découvrir ou redécouvrir absolument.
Patrice Imbaud
Jean-Claude Pennetier, pianiste emblématique de l’école française, nous livre, ici, une lecture de
Mozart éminemment classique où la superbe du piano le dispute à la rutilance orchestrale du
« Philhar » dirigé de main de maitre par le chef allemand Christoph Poppen. Un piano au jeu clair,
limpide, virtuose et « cantabile » auquel répond avec pertinence et équilibre un orchestre qui respire
par l’ampleur de sa sonorité et de son phrasé, libérant des bois éloquents, omniprésents, et des
cordes somptueuses. Un piano qui chante rappelant, dans cette symbiose étroite avec l’orchestre,
que la voix et l’opéra ne sont jamais loin dans les concertos de Mozart. Si le Concerto n° 21 K. 467
(1785) se caractérise par son élégance et sa poésie, notamment dans le célèbre Andante central, le
Concerto n° 24 K. 491 (1786) parait nettement plus sombre, plus richement instrumenté, peut-être
plus expressif encore que le précédent. Un très bel enregistrement qui bénéficie, sans aucun doute,
de la grande affinité de Jean-Claude Pennetier pour le divin compositeur viennois et de la qualité
superlative de la petite harmonie du « Philhar ». Superbe !
Patrice Imbaud
Fort du succès de son précédent disque consacré à Debussy, Michel Dalberto, spécialiste reconnu de
la musique française, nous présente, ici, le deuxième opus de sa tétralogie pianistique consacrée aux
compositeurs français (Debussy, Fauré, Ravel, Franck). Un album entièrement dédié à la musique
pour piano solo de Gabriel Fauré, enregistré dans l’historique salle du Conservatoire national
supérieur d’art dramatique de Paris, sur un piano Bechstein, spécialement choisi pour la qualité de
ses basses. Un programme copieux et pertinent, suivant le fil chronologique des dates de
composition, qui nous rappelle que Fauré composa pour le piano tout au long de sa vie et qui
permet aisément de juger de l’évolution musicale du compositeur, mêlant charme, lyrisme,
élégance, pour évoluer au fil des années vers une certaine austérité, expression d’une intériorité,
parfois acétique, majorée par sa surdité croissante. La Ballade Op. 19 (1877), dédiée à Saint-Saëns,
est sobre, toute en retenue, séduisante. L’Impromptu n° 3 Op. 34 (1883) est un exemple d’élan et de
délicatesse fauréenne. Les Nocturnes n° 6 Op. 63 et n° 7 Op. 74 comptent parmi les oeuvres les plus
connues du compositeur. Datant respectivement de 1894 et 1898, passionnés, émouvants, lyriques,
ils laissent poindre une inquiétude transitoire qui se confirmera dans le Nocturne n° 9 Op. 97, sorte
d’intermédiaire avant les derniers Nocturnes, n° 11 Op. 104 et n° 13 Op. 119, résolument marqués
par l’angoisse de la surdité, par une sobriété et une gravité, faites de calme et d’élégie, portant
l’émotion à son comble. Thème et Variations, Op. 73 (1895) est peut-être la pièce la plus
directement accessible à une première écoute déroulant toute une palette de couleurs tout au long de
ses 11 variations oscillant entre tragédie et héroïsme. Un disque où, comme pour le précédent, il ne
faut pas être grand clerc pour prédire un succès mérité. Une interprétation remarquable par sa
sincérité, son naturel sans aucune emphase, où le pianiste fait fi de toutes les difficultés techniques
pour maintenir la beauté et le potentiel d’évocation de la ligne. Superbe !
Patrice Imbaud
Ernest Bloch (1880-1959) et Eric Wolfgang Korngold (1897-1957) deux compositeurs exilés, ayant
dû fuir l’Europe du fait de leur judéité, deux voix étouffées par la montée du nazisme, dont les
oeuvres longtemps méconnues du grand public semblent susciter de nos jours un regain d’intérêt
totalement justifié par leur qualité musicale indiscutable. D’Ernest Bloch, Ophélie Gaillard nous
présente deux oeuvres bien différentes Schelomo, « Rhapsodie hébraïque » et De la vie juive
(Prière, Supplication, Chant juif et Danse de mariage). Schelomo fut composée en 1916 et s’inspire
du personnage de Salomon comme décrit dans l’Ecclésiaste. Une partition aux sonorités luxuriantes
et orientalisantes, requérant une grande virtuosité de la part du soliste, comme de l’orchestre. De la
vie juive (1924) initialement pour violoncelle et piano, transcrite ici pour clarinette, cymbalum et
contrebasse, est à l’inverse toute empreinte de spiritualité, ces différents chants s’élevant comme
une prière où se mêlent les voix de la clarinette et du violoncelle, deux instruments reconnus pour
leur vocalité proche de la voix humaine. Bien dissemblables également les deux oeuvres de Korngold. Le Concerto pour violoncelle en un mouvement (1946) qui emprunte ses thèmes à la
musique de film hollywoodienne (Deception) dont Korngold fut en son temps un des grands
maitres. Tendu, concentré, il s’oppose à la Chanson de Pierrot, extraite de l’opéra Die Tote Stadt
(1919) lyrique et méditative. Se rajoutent à ce copieux programme l’Ouverture sur des thèmes juifs
pour clarinette, cordes et piano (1919) de Sergeï Prokofiev, de genèse bien distincte puisque
résultant d’une commande de l’ensemble juif Zimo à New-York et s’appuyant sur des thèmes
traditionnels juifs appartenant au répertoire klezmer. Magnifique répertoire klezmer dont on
rapprochera, non pas l’émouvante Berceuse « Sarah chante une berceuse au petit Isaac » de la
chanteuse yddish Chava Albertstein, mais plutôt l’endiablé Freilechs revisité par le clarinettiste
Giora Feidmann où la clarinette et le violoncelle sont rois. Une très belle façon de conclure avec
joie ce superbe album où Ophélie Gaillard confirme son exceptionnel talent, faisant montre de
toutes les facettes techniques et expressives de son instrument, formidablement entourée par
l’orchestre de Monte-Carlo et le Sirba Octet. Émouvant et jubilatoire.
Patrice Imbaud
Encore un très beau disque par le simple plaisir que l’on prend à l’écoute de cette musique de
divertissement, à rapprocher de la musique de salon du XIXe siècle, au charme un peu suranné. Un
enregistrement original par l’association assez inhabituelle de nos jours du hautbois au timbre
acidulé et de la sonorité chaude de la guitare. Une découverte, enfin, de compositeurs peu connus
du grand public, petits maitre viennois, français ou tchèque. La Sonatine de Karl Pilss (1902-1979)
composée en 1942. La Fantaisie dramatique « Le Départ » (1856) pour guitare solo et Le
Montagnard, datant de la même époque, de Napoléon Coste (1805-1883). La Deuxième Sonate
(1942) de Ferdinand Rebay (1880-1953) professeur de Pilss à Vienne, et la Sonatine (1948) de
Barna Kováts (1920-2005). Toutes oeuvres originales pour hautbois et guitare dont Michaela
Hrabankova et Gabriel Bianco nous livrent, ici, une interprétation de haute volée où l’on regrettera,
par instants, un certain manque de nuances dans le jeu de la hautboïste tchèque, faisant contraste
avec la souplesse et la variété du phrasé de Gabriel Bianco. Si le hautbois est le plus souvent au
devant de la scène, on appréciera tout particulièrement la virtuosité époustouflante, la rigueur
rythmique, l’amplitude de la sonorité et la richesse en couleurs du jeu du guitariste français,
notamment dans la pièce pour guitare solo, le « Départ » de Coste. Plaisir, originalité, découverte et
qualité musicale, au moins quatre raisons rendant indispensable l’écoute de ce nouvel opus du label
Ad Vitam, ardent défenseur de la guitare.
Patrice Imbaud
Nouvel opus de la collection « Les Musiciens et la Grande Guerre » qui donne voix à ces
compositeurs parfois oubliés ou méconnus qui ont eu à souffrir des affres de la Grande Guerre, soit
directement, soit par l’intermédiaire de l’exil. Ensemble de voix étouffées par l’intensité du drame
et d’oeuvres ignorées que le label Hortus a décidé de remettre au jour jusqu’en 2018. Un florilège de
18 mélodies composées par nombre de compositeurs comme Schreker, Ives, Foerster, Lehar,
Puccini, Webern, Pfitzner, Parry, Leoncavallo, De Lize, Korngold, Eisler, Hindemith, Weingartner
ou encore Richard Strauss. Autant de mélodies rares reprenant les thèmes immuables de la guerre,
sous différents éclairages, patriotisme, désarroi, drame, désillusion, déploration, aspiration à la paix,
mais toujours une grande qualité d’interprétation, vocale d’abord avec Fionnuala Mc Carthy et
Klaus Häger à la diction claire et la vocalité facile et instrumentale ensuite, avec le piano très
présent de Karola Theill qui participe indiscutablement du succès certain de cet album. Un
enregistrement « live » et un livret très soigné avec textes mais sans traduction française,
dommage !
Patrice Imbaud
indirect avec la guerre. Contrairement aux volumes précédents on n’y trouve aucune trace de
militarisation, mais à l’inverse, différentes postures créatrices cherchant délibérément à s’extraire du
climat délétère et dramatique du conflit. Les compositeurs convoqués pour cet enregistrement, ayant
tous appartenu au service de santé des armées, marquent par leurs oeuvres l’ardent désir de se
rattacher au souvenir du bienheureux passé, ou à l’inverse de se tourner vers l’avenir, dans une
modernité assumée et rêvée comme un havre de paix. Refuge dans des formes anciennes, ambigüité
tonale, dissonances, accumulation, juxtaposition et fragmentation thématique, la recherche d’un
ailleurs-refuge trouve également sa place dans le folklore français et ses archaïsmes qui constituent
alors une belle opportunité (danse, cloches, carillons). Un programme dense et éclectique (Le vent
dans les ruines de Jacques Ibert, Variations sur un choral de Roger Ducasse, Petite berceuse de
Jacques de la Presle, Deuxième sonate de Jean Huré, Doute d’Albert Roussel, Prélude de Maurice
Ravel, Les Naïades et le faune indiscret de Déodat de Séverac et la Troisième sonatine de Charles
Koechlin) où le piano superbe d’Amaury Breyne parvient à répondre parfaitement à ce lourd cahier
des charges par la diversité et la beauté de son jeu reproduisant avec pertinence l’imaginaire et
l’exactitude ces différents climats. Un superbe album et un livret très didactique, ce qui ne gâche
rien ! Incontournable !
Patrice Imbaud
Après la période du puritanisme des années 1649-1660 et l'accession au trône de Charles II, l'art
reprend ses droits en Angleterre avec la création de nombreuses institutions musicales et une
démocratisation de l'accès à la musique, désormais jouée dans les théâtres, salles de concert mais
aussi les tavernes, les clubs ou les associations musicales. Cette vitalité nouvelle de la scène
musicale se traduit en particulier par la publication de nombreuses oeuvres pour le clavecin sous
forme de Suits ou Lessons. C'est dans les manuscrits conservés à la British Library que Caroline
Huyn Van Xuan a puisé le contenu du présent programme, mêlant pièces connues et vraies
découvertes, premières au disque pour beaucoup. Les compositeurs ont pour nom Purcell, Blow et
Haendel, mais aussi Anthony Yong, Jeremiah Clarke, Philip Hart, William Croft, John Barrett,
Robert King ou John Weldon, et combien encore d'anonymes dont l'auteur de « Since in vain »,
pièce qui donne son titre au CD. On y manie diverses danses, l'Allmand entrainante, le Hornpipe, et
surtout le Ground, une forme typiquement anglaise, qui ressemble à la Passacaille ou à la Chaconne,
danse lente à trois temps, reposant sur le principe de l'ostinato. Le registre est vif, bien rythmé, ou
au contraire, méditatif. Bouquet final, et inattendu bond dans le temps, que l'arrangement en forme
de Ground d'une chanson de Sting, « Moon over Bourbon Street », sorte de belle improvisation qui
ne dépare pas avec toutes ces musiques du XVII ème siècle anglais. Ce programme imaginatif et
didactique, aux enchainements agréables et judicieux, bénéficie du jeu feutré de Caroline Huyn Van
Xuan, capté dans une acoustique intimiste.
Jean-Pierre Robert
Voici encore une redécouverte due à la sagacité de Leonardo García Alarcón ! Le jeune Allessandro
Scarlatti (1660-1725) se fixe à Naples en 1683 et se voit nommer, l'année suivante, maitre de
chapelle de la Real Cappella. C'est vraisemblablement là qu'a été composée, en 1685, sa Passion
Selon St Jean. Au fil de six numéros, l'oeuvre chantée en latin suit le récit évangélique qui est ici
confié à trois personnages principaux : Testo, ou l'Évangéliste, Jésus et Pilate. La partie la plus
développée est celle du premier, dévolue à une contralto, empruntée au stile concitato. Jésus est une
basse et ses interventions sont courtes, frappées au coin de l'autorité mais aussi de la bonté. Pilate
est un contre ténor. Enfin le choeur se voit réserver le rôle de la turba, c'est à dire de la foule, et des
interventions vives. L'atmosphère est sombre à travers un schéma qui voit l'enchainement des
versets bibliques et des répliques des personnages. L'expressivité vocale est soutenue par
l'accompagnement instrumental qui intervient non pas en doublement de la ligne vocale, mais de
manière autonome, singulièrement eu égard à l'écriture très travaillée des cordes. On a ajouté à ces
six parties, Sept répons pour la Semaine Sainte, également de Scarlatti, où le choeur prolonge, sans
solution de continuité, l'intensité du récit de la Passion. Un choix arbitraire qui ne contrarie pas le
continuum de l'oeuvre principale, tout en lui assurant un répit bienvenu et une manière de digression
signifiante. L'interprétation est immaculée car Leonardo García Alarcón n'a pas son pareil pour
amener à la vie ce type de musique. Les solistes vocaux sont irréprochables, avec une mention
particulière pour Giuseppina Bridelli qui, de son timbre généreux, apporte beaucoup de densité aux
interventions de l'Évangéliste. Et au Choeur de chambre de Namur, d'une tenue impeccable, comme
toujours. A découvrir.
Jean-Pierre Robert
Voici le 4ème volume de la collection « Haydn 2032 », qui présente cette fois un généreux
programme placé sous l'égide du maitre de chapelle ou Kapellmeister que fut le Papa Haydn. On a
regroupé trois symphonies ayant en commun une manière théâtrale, et un mini opéra bouffe de son
collègue Cimarosa. La symphonie N° 60, dite « Per la commedia intitolata Il Distratto » est conçue
comme une vraie pièce de théâtre avec une ouverture, quatre entrées et un finale. L'allegro di molto,
passé son introduction lente, est mené bon train avec effets de surprise, coutumiers chez Haydn,
telles ces phrases répétées de plus en plus pianissimo et suivies attaca d'un éclat forte. L'andante
brosse des caractères bien contrastés. Le minuetto est vif et le trio introduit une sorte de bref
divertissement en forme de fandango. Le presto qui suit offre une autre action tout aussi originale.
Et de l'adagio s'exhale un moment élégiaque duquel perce comme une complainte ; à cela
s'enchaine un geste solennel avec fanfare. On est dans la plus extrême fantaisie. Le finale
prestissimo, après une entrée en feu d'artifice, livre une surprise : les instruments s'accordant
soudain dans un joyeux vacarme. La plaisanterie musicale n'est pas loin. Exécutée pour la première
fois pour la pose de la première pierre du nouveau théâtre d'Esterháza, ravagé par un incendie en
novembre 1779, la symphonie N° 70 ne renie pas non plus ses origines théâtrales comme au vivace
con brio, où le style bondissant de Giovanni Antonini fait merveille. L'andante est plutôt dans le
style galant, mais on note la subtile différentiation de la dynamique. Le minuetto offre un mélange
savoureux de jovialité et de raffinement, avec un trio en forme de refrain populaire. Le finale
s'ouvre sur une surprise avec une série d'accords pianissimo des Iers violons. S'ensuit une fugue à
trois sujets en contrepoint double, où l'art de Haydn s'exprime avec brio. Là comme dans la
précédente oeuvre, la manière vive du chef italien fait la différence, comme le soin apporté aux
écarts dynamiques. La symphonie N° 12 sacrifie au genre bouffe dans l'allegro initial et le finale.
Quant à l'adagio médian fort conséquent il adopte la forme de la sicilienne. La théâtralité est
toujours aussi présente, dans les ruptures de rythmes et les changements d'intensité.
On a ajouté une oeuvrette du contemporain Domenico Cimarosa (1749-1801) : la scène intitulée « Il
Maestro di cappella », une parodie spirituelle qui voit un maitre de musique aux prises avec des
musiciens rebelles. En six séquences, on passe du « tout va bien » (Sinfonia) au dérapage plus ou
moins contrôlé (recitativo & aria I), au nouvel essai peu concluant poussant le pauvre homme au
bord du désespoir (recitativo & aria II), enfin au bref finale sur l'air « on fera mieux la prochaine
fois »! Riccardo Navaro prête à ce jeu amusant un baryton et une verve de la trempe d'un
Alessandro Corbelli. Et les musiciens d'Il Giardino Armonico s'en donnent à coeur joie, avec une
maestria certaine dans la plus ou moins bonne fois vis à vis de leur tuteur, mais en symbiose parfaite
avec leur chef et mentor. Un CD perle, comme les précédents volumes de cette passionnante
intégrale en devenir.
Jean-Pierre Robert
Renaud Capuçon n'est pas seulement un immense musicien, il est un fédérateur d'énergies. En
témoigne le Festival de printemps d'Aix-en-Provence qu'il a créé en 2013 et qui draine le gotha des
interprètes et la jeune génération talentueuse. Il peut y cultiver son jardin secret, celui de la musique
de chambre. Lors de l'édition 2016, il avait réuni autour de lui cinq de ses amis pour interpréter les
deux sextuors à cordes de Brahms. Ce CD est le fruit d'une rencontre au sommet. Ces deux pièces
sont à plus d'un titre fascinantes. Le sextuor N° 1 op. 18, de 1860, la première grande oeuvre
chambriste de Brahms, se situe dans la lignée de ses illustres prédécesseurs Mozart et Beethoven de
par son sens des équilibres entre les voix, pourtant combinées de multiples manières. On est
d'emblée frappé par la couleur orchestrale, la densité de la texture ; comme dans l'allegro initial,
avec des associations d'instruments aussi souples que libres pour un ton heureux, au point qu'on a
parlé de « Frühlingsextett » (sextuor du printemps). Le jaillissement mélodique semble infini. Sur le
schéma de thème et variations, l'andante ma moderato offre un thème de style populaire en forme de
marche. Le travail de variations est magistral (la 3 ème avec ses mouvements de vagues des deux
cellos à l'unisson, la 5 ème, de style musette, la dernière revenant au ton doucement mélancolique
du début pour une brève péroraison apaisée). Le court scherzo est joyeux, sautillant, de plus en plus
entrainant dans sa manière répétitive, tandis que le trio contraste un thème plus mélodique. Le finale
« poco allegretto e grazioso », de forme rondo, s'articule autour de deux thèmes, l'un d'« une grâce
paysanne un peu lourdaude » (Claude Rostand), l'autre plus résolu, pour adroitement s'imbriquer
l'un dans l'autre dans le développement et l'oeuvre se termine dans une coda lumineuse.
Le Deuxième sextuor op. 36, de 1865, de caractère pastoral, est plus travaillé, quoique son lyrisme
ne soit pas si directement abordable que dans la pièce précédente. A l'aune de l'allegro non troppo
dont le ton élégiaque traduit pourtant des développements extrêmement ouvragés, menés par le Ier
violon avec de fréquents changements de climats et là encore une science rare des combinaisons
entre les six instruments. Le scherzo est plus mélodique que rythmique, la section trio, « presto
grazioso », sorte de valse rustique, encore plus agitée ; un trait que la présente exécution se plait à
souligner. Le poco adagio, là aussi bâti sur thème et variations, offre un thème tendre et rêveur,
introspectif, modulé à l'envi par une grande invention : le rêve semble se densifier (variation II),
prendre un caractère plus héroïque (variation III), ou empli de tendresse nostalgique (variation V).
Le finale est résolument rythmique et tout est ici mouvement passionné avec un travail
contrapuntique magistral.
Renaud Capuçon et son collègue violoniste Christoph Conz (du Wiener Phil), les altistes Gérard
Caussé et Marie Chilemme, Gautier Capuçon et Clemens Hagen, le celliste du fameux quatuor,
livrent des interprétations lumineuses qui traduisent le vrai plaisir de jouer ensemble, une intimité
entre musiciens férus de musique de chambre. La fini instrumental n'a d'égal que le souci d'équilibre
des couleurs, ce que traduit le caractère totalement naturel de la captation live. Cela chante vrai et
ne frôle jamais quelque sollicitation d'un romantisme exacerbé. Un grande réussite.
Jean-Pierre Robert
Ces « Trésors russes » appartiennent au répertoire du quatuor à cordes de la période romantique, pas
forcément le plus visité au concert ou au disque. A part ceux de Tchaïkovski, joue-t-on ceux de
Glinka, d'Anton Rubinstein ou de Borodine ? Et ceux des musiciens illustrés ici. Anton Ferdinand
Titz (1742-1810), violoniste allemand qui vécut à Vienne où il se lia d'amitié avec Gluck, passa une
bonne partie de sa vie en Russie où il contribua à introduire les grands maitres classiques. Son
Quatuor N° 3, dernier volet d'un ensemble de trois (1801-1803), est dédié au Tsar Alexandre Ier.
L'agencement des mouvements y est singulier : un court « Siciliano affetuoso » s'enchaine avec un
allegro agitato combinant élégance et gracilité. La « Romance » découvre une courbe mélodique
d'une grande sérénité, et la « Polonaise » finale un geste généreux, en particulier s'agissant des
cabrioles du Ier violon. Alexandre Glasounov (1865-1936) reste peu joué lui aussi. Les Cinq
Novelettes op 15 (1881) fonctionnent telle une suite de quatre danses qu'entrecoupe une section
centrale plus réflexive. Le ton est romantique et le schéma de chaque mouvement celui d'un
triptyque vif-lent-vif. Ainsi de « Alla Spagnuola », bondissant dans une manière ibérique
réimaginée ; de «Orientale », con brio, très rythmique, dont la partie centrale aux mélismes
orientaux donne son esprit au mouvement, de la « Valse », résolument dans le goût russe, et enfin
« All'Ungherese », encore plus brillant, extrêmement travaillé avec ruptures de rythmes marquées.
La section centrale apporte quelque chose de déclamatoire, proche du ton oriental de la danse
précédente alors que la coda offre un scintillement digne de l'univers de Rimki-Korsakov.
L'« Interludium », « in modo antico », apporte un moment de répit, inspiré de l'atmosphère d'une
cérémonie orthodoxe. Le Premier Quatuor op. 11 de Tchaïkovski (1871) est brillant. L'aisance
d'écriture dans un rythme inhabituel de 9/8 colore l'allegro moderato initial qui laisse entrevoir une
partie médiane intense. L'andante cantabile développe une mélodie mémorable, de celle dont le
musicien a le secret, sur un chant populaire ukrainien associant tendresse et nostalgie. Le scherzo
est vif, entraînant, à la rythmique là encore peu ordinaire, avec un trio tourbillonnant comme une
toupie. Le finale prolonge pareille excitation rehaussée par un travail contrapuntique orignal
débouchant sur une fugue complexe. On a dit, à juste titre, que cette oeuvre combinait approches
intellectuelle et divertissante. Le jeune casalQuartett, formé en 1996 auprès de Alban Berg, apporte
à ces pièces un beau raffinement instrumental et une cohésion qui leur confèrent une aura
d'authenticité.
Jean-Pierre Robert
Pour fêter leurs trente ans, les Wanderer reviennent à Dvořák et à son fameux Trio « Dumky »,
pilier du répertoire du trio pour piano, violon et violoncelle, auquel ils doivent leur premier succès
au disque, et qui, comme chez leurs aînés, les Beaux Arts, a enluminé plus d'un de leurs concerts.
Dernier de ses trios, cet opus 90, de 1891, Dvořák lui confère une forme inhabituelle en six
mouvements, autant de ''Dumky'', du nom de la danse épique de la dumka, d'origine ukrainienne.
Qui mêle la rêverie mélancolique, sorte de spleen salve, et la fièvre, l'exaltation. Ceci se traduit par
une alternance de sections lentes et vives, à l'intérieur même de chaque mouvement. A part le 5
ème, chacun de ceux-ci débute par une introduction lente qui est vite suivie d'une section fiévreuse,
à l'aune de l'entame du premier. Outre une grande liberté de ton, ce qui est « par endroits, un chant
introspectif, ailleurs une danse joyeuse », selon les mots de l'auteur, dégage un charme singulier,
celui des changements d'humeur. Cette oeuvre marque aussi, par rapport au trio précédent op. 65, un
net retour à la veine slave et possède un goût de terroir inimitable. L'interprétation des Wanderer se
refuse à toute sollicitation comme aux débordements. Elle allie justement ardeur et intimité. Elle
donne surtout ce sentiment de l'improvisation, de la spontanéité du discours, même si le côté rêveur
est ici très soutenu par des tempos lents. Les différences de dynamique sont d'autant plus marquées.
Ainsi en est-il du début poco adagio de la deuxième section, au parfum de berceuse que les trois
musiciens laissent s'épancher pour, en un tournemain, passer à l'exaltation. Ou encore du « quasi
tempo di Marcia » de la 4 ème, marche rêveuse avec force sautes d'humeur, qui fait place à une
belle animation dans la section scherzando. Le partie du piano est centrale et Vincent Coq est
magistral, comme naguère Menahem Pressler chez les Beaux Arts.
Le trio op 65, de 1883, est d'un abord plus sévère, dû à quelque tournure dramatique dans le
langage. On y a vu la partition chambriste la plus brahmsienne de Dvořák, eu égard à la densité de
l'instrumentation comme à l'ambition thématique. Là encore, les Wanderer proposent une exécution
enthousiasmante, justement emplie de contrastes : élan fougueux de l'allegro avec ses sommets de
tension, intermezzo ''grazioso'' joliment rythmé, à la saveur populaire, nanti d'un trio central aux
vrais accents brahmsiens ; climat élégiaque du poco adagio, combinant tendresse et déchirement et
exhalant un lyrisme retenu ; finale con brio exubérant, bien scandé, avec en contrepoint la danse de
''furiant'', puis un développement traversé à plusieurs reprises de passages plus méditatifs et une
coda qui s'emballe. Quelle fougue, quelle jeunesse chez nos trois français, quel savoir aussi ! Un
beau cadeau d'anniversaire à leurs admirateurs, et à tous les autres !
Jean-Pierre Robert
On sera nul doute surpris de ne voir dans l'énoncé des interprètes de cette nouvelle version du
Chant de la terre qu'une seule voix, celle de ténor. C'est que, pour la première fois, est livrée ici une
version chantée par une voix unique et non par les deux prévues par le compositeur, qui précise
comme sous titre : « symphonie pour une voix de ténor et une voix d'alto (ou de baryton) et
orchestre ». Il en a ainsi été de toutes les versions proposées au disque – et bien sûr au concert –
depuis la création de l'oeuvre par Bruno Walter en 1910 à Munich. Jonas Kaufmann, puisque c'est de
lui qu'il s'agit, a décidé de chanter les deux parties, se demandant « pourquoi deux chanteurs étaient
nécessaires » ! Et d'ajouter avoir souvent envié ses partenaires baryton ou mezzo en concert,
« surtout pour le dernier morceau », lequel, on le sait, est dévolu à l'autre voix. Il précise aussi avoir
découvert Das Lied von der Erde par l'enregistrement de Fritz Wunderlich et de Christa Ludwig,
dirigé par Klemperer (réédition Warner). Une référence incontestable. Cabotinage, chalenge ? Cette
expérience en rappelle une autre, tout aussi curieuse, à propos de cette oeuvre : le fait de ne donner,
en concert, que le fameux dernier Lied, « Abschied », qui, vue son importance, peut apparaître
comme un morceau suffisamment porteur.
Qu'en est-il de cette exécution ? Les trois pièces réservées au ténor sont vaillamment délivrées.
« Das Trinklied »/ »Chanson à boire » offre éclat - presque celui de l'interprétation de Wunderlich,
où l'on perçoit comme le soleil dans la voix, qui serait combiné avec la finesse de Julius Patzak
(chez Bruno Walter). Il en va de même dans le troisième Lied « Von der Jugend »/ « De la
jeunesse », qui nous transporte dans un bienfaisant climat de fraicheur sur le délicat pépiement des
bois. On ne résiste guère au rythme dansant libérant les volutes de la voix dans un seul souffle au fil
de la visite du « pavillon de porcelaine ». Quant à « Der Trunkene im Frühling »/« L'homme ivre au
printemps », Kaufman fait une bouchée de son écriture très tendue et de ses fins de phrases on ne
peut plus exposées. Et, paradoxalement, la couleur sombre de son timbre apporte ici quelque chose
de troublant, en particulier dans le dialogue avec le premier violon.
C'est précisément cette couleur sombre, ce timbre ''barytonant'', qui lui permet d'aborder les autres
Lieder. Et aussi l'usage bien connu de jouer du mezza voce et de distiller des notes filées
pianissimo. Sans parler d'une diction méticuleuse, presque recherchée, et d'un legato magistral,
dignes de Dietrich Fischer-Dieskau ; qui lui-même favorisait des tonalités ''ténorisantes''. Amusant
rapprochement ! Ainsi de « Der Einsame im Herbst »/« Le Solitaire en automne », où la voix
s'enlace avec le hautbois. Mais chassez le naturel... l'éclat de la dernière phrase est bien celui du
ténor. C'est peut-être dans le 4ème Lied, « Von der Schönheit »/« De la Beauté », que le registre
grave est le plus sollicité, notamment à la fin de la première partie. Et la deuxième, plus chargée
orchestralement, de son rythme rapide, ici joliment boulé par Jonathna Nott, taxe le chanteur. Le
débit se fait plus haché. Il s'en tire en truffant ces pages de moult pianissimos. Reste « L'Adieu », ce
vaste poème de fin de parcours, à l'intrumentarium proprement magique. Le legato légendaire de
l'interprète fait ici la différence : telle phrase (« Der Bach singt... »/Le ruisseau chante) caressée,
telle autre murmurée quasiment (« Die Welt schäft ein !»/ Le monde s'endort). A l'intensité du
désespoir (« Wohin ich geh? »/ Où vais-je) fait écho la douceur combinée à la force. La section
finale, le monodrame de « la coupe de l'adieu », est déchirant et le dernier couplet tout de
désespérance, à l'image des sept mots « Ewig »/« Éternellement » prononcés de plus en plus piano,
comme une chandelle qui s'éteint dans un souffle. On rend ici les armes...
La sonorité des Wiener Philharmoniker est envoûtante. Jonathan Nott, qui signe là son premier
enregistrement mahlérien à la tête de l'orchestre viennois, possède le feeling pour cette oeuvre
singulière, son orchestration scintillante, sa vaste dynamique mais aussi ses moments chambristes :
les préludes orchestraux (du 2 ème Lied) ou les postludes (du 3ème), ménagent l'atmosphère si
particulière, cette tournure exotique revisitant les vieux contes d'une Chine ancestrale. Cela se
vérifie en particulier dans la dernière pièce et le long intermède symphonique qui la traverse,
comme pour ce qui est de la véritable dramaturgie du dernier volet qui se fait plus lent, pas moins
intense. La prise de son live (juin 2016) est ample, bénéficiant de l'acoustique très claire de la
grande salle du Musikverein, et la balance voix-orchestre soignée, ménageant un effet de proximité
étonnante dans les Lieder 2 et 6. Une version qui ne détrône pas la version citée de Klemperer, non
plus que d'autres d'ailleurs, à mettre à part, et bien évidemment pour les fans de Jonas Kaufmann.
Jean-Pierre Robert
La musique de chambre pour ensemble d'instruments à vents ne compte pas beaucoup de titres...
On pense au Quintette de Mozart K 452, à celui op. 16 de Beethoven, ou au Sextuor op. 40 de
Louise Ferenc, de 1852. Aussi ce disque est-il intéressant. Car il présente deux raretés et une oeuvre
déjà bien installée dans le répertoire. Le Sextuor pour piano et quintette à vents (flûte, hautbois,
clarinette, basson et cor), d'abord, de Ludwig Thuille (1861-1907), compositeur autrichien, ami de
Richard Strauss et de son état professeur de musique à Munich, qu'il écrit en 1886/88, montre une
extrême habileté dans l'écriture pour les vents. Que ce soit dans leurs diverses et ingénieuses
combinaisons des timbres ou dans la manière de traiter les solos. A l'image de l'introduction du
deuxième mouvement larghetto dédiée au cor, ou de la Gavotte qui suit, sorte de scherzo, qui
réserve au basson la place la plus singulière. Cette section très allante est traversée d'une partie
médiane encore plus vive. Tout comme le finale renchérissant en bonne humeur. Les interprètes
saxons en livrent une lecture irréprochable. La courte pièce L'Heure du Berger de Jean Françaix
(1912-1997), pour la même formation, bien que composée en 1947, regarde du côté des années 20 :
un triptyque façon divertissement croquant des figures rencontrées dans une brasserie, plein
d'humour dans l'harmonie (« Les Vieux Beaux »), un brin lascif et ironique en diable (« Pin-up
Girls »), enfin calqué sur une marche trottinante (« Les petits Nerveux »), celle des garçons de salle
affairés, d'une cocasserie qui n'a rien à envier à Poulenc. De Francis Poulenc, précisément, le
Sextuor op. 100 (de 1932, remanié en 1939) met en avant humour et clarté toute gallique. On sait
l'appétence du musicien pour les vents. Sur le schéma vif-lent-vif, on y retrouve la verve bien
connue de l'auteur, son dilettantisme et sa manière hédoniste. Un allegro vivace enlevé, bien fidèle à
l'esprit du Groupe des Six, ouvre la pièce, conçu sur le même schéma en trois parties, celle centrale
étant d'un lyrisme intense. Le « Divertissement » offre un mélodisme de la plus pure eau
poulencquienne, légèrement mélancolique. Ici, la section centrale est rapide, sur le mode du refrain
avec clin d'oeil malicieux. Le finale, un rondo prestissimo, s'abreuve d'épisodes aussi variés
qu'originaux dans les combinaisons instrumentales. La partie de piano est, comme toujours chez le
musicien, magistralement pensée. La coda revient une dernière fois sur le mode doucement
mélancolique qui baigne plus d'une page de la pièce. L'interprétation, techniquement immaculée, de
l'ensemble des vents de la Staatskapelle Dresden élude peut-être cet ultime zest, cette façon ''pied de
nez'' consubstantielle à la patte de l'auteur des Mamelles de Tirésias.
Jean-Pierre Robert
Voici une nouvelle version du célèbre ballet de Ravel, qui possède bien des atouts. A commencer
par le fait d'être interprété par un orchestre jouant sur instruments anciens. François-Xavier Roth
s'en explique par la volonté de retrouver la sonorité de l'époque de la création - en 1912 au Théâtre
du Châtelet, sous la direction de Pierre Monteux - et la manière pour l'orchestre de ''sonner'' comme
alors. La « symphonie chorégraphique » conçue par Ravel, en rupture avec le ballet à argument que
lui proposait Diaghilev, en acquiert un chatoiement exceptionnel. Par la palette sonore d'abord eu
égard à l'usage de cordes en boyau favorisant un son cristallin avec une part d'acidité, loin du poli
associé aux formations actuelles, et le recours aux instruments à vent tels que connus au début du
XX ème siècle, dont la facture typiquement française diffère sensiblement, au niveau des perces et
tailles, de celle que nous connaissons aujourd'hui. Clarinettes, cor naturel et bien sûr flûte ont une
couleur plus proche de la volupté que de la brillance, et permettent une articulation plus aisée. Fruit
d'un méticuleux travail de retours aux sources ensuite - on sait que la partition originale comportait
nombre d'inexactitudes -, en termes de tempos soigneusement managés, au travers notamment de
fréquents changements de rythmes, et d'équilibre entre pupitres. Par l'art des transitions enfin et le
respect scrupuleux des silences, avant « Nocturne », par exemple, ou encore le léger temps d'arrêt
observé avant le passage « Chloé tombe dans les bras de Daphnis ».
La première partie, sans doute la plus délicate à amener à la vie, fait passer du mystérieux
(« Introduction ») au grotesque (« Danse de Dorcon »), de l'intimisme à l'extrême complexité de
l'image sonore d'où émergent les cuivres (« Les Pirates »). « Nocturne » possède quelque chose
d'irréel que souligne l'intervention de l'éoliphone ou machine à vent. L'« Interlude » du choeur a
cappella, au chant inarticulé, possède une aura diaphane. Au début de la deuxième partie, la battue
volontairement sèche qu'adopte Roth pour la « danse guerrière » donne un rare sentiment de netteté
dans l'articulation, presque abrupte. Comment ne pas penser ici à la passion de Ravel pour les
automates. Et l'intervention du choeur se fait plus haletante dans le tempo boulé favorisé par le chef.
La « Danse suppliante de Chloé », prise dans un tempo très retenu, a des accents voluptueux. Là
encore la différence d'ambitus sonore fait la différence avec plus d'une interprétation. Comme
l'étagement des plans dans le passage marqué « Soudain l'atmosphère semble chargée d'éléments
insolites », où le discours se pare d'étrangeté, d'effets de surprise par le surgissement des divers
groupes d'instruments à vent ou de percussions. Le « Lever du jour », par lequel débute la troisième
partie, est pris dans un tempo naturel et la grande courbe en acquiert un galbe d'une réelle
spontanéité, même si les brefs traits solistes censés figurer les cris des oiseaux ne sont pas assez
distincts. La « scène » en acquiert une aura singulière mêlant volupté et douceur. Le solo de flûte
(Marion Ralincourt) possède une suavité innée, qui surnage naturellement sur l'accompagnement
assagi des cordes, puis devenant plus martelé. Moment magistral qui fuit toute brillance inutile et
surtout tout clinquant. La « danse générale » souffre un tempo électrique, peu à peu poussé vers le
prestissimo, en rafales. Le geste se fait de plus en plus haletant dans un crescendo ultime amené de
loin.
Au final, une interprétation qui renouvelle notre perception du chef d'oeuvre de Ravel, où l'on
perçoit le « triomphe des lignes claires, des simples et fortes architectures », vanté par Roland-
Manuel. A noter aussi le tour de force ayant consisté à monter la bande son à partir de diverses
saisies live dans des lieux aussi différents que la Philharmonie de Paris, le Théâtre impérial de
Compiègne, la Laieszhalle de Hambourg (D) ou le Maltings Snape d'Aldeburgh (UK), autorisant, au
mixage, un mélange de diverses acoustiques pour sans doute coller au plus près des intentions si
précises du compositeur et de sa « vaste fresque musicale ».
Jean-Pierre Robert
Ce disque est essentiellement consacré à deux instruments et, ce
qui n’est pas si fréquent, à deux instruments récents du
facteur Richard Dott, de Sélestat. Comme l’explique Richard
Dott dans l’excellente notice jointe à cet enregistrement,
c’est une grande chance pour un facteur d’orgue de se voir
confier la réalisation d’un instrument nouveau. Alors,
deux… En 1991, un incendie détruit l’orgue de 1728 de
l’abbatiale Saint Pierre et Paul d’Ottmarsheim. C’est à
Richard Dott qu’on fait appel pour construire un nouvel
instrument, réalisé en 2000.
(http://decouverte.orgue.free.fr/orgues/ottmarsh.htm). Sollicité
d’en construire un semblable dans l’église d’Illzach, le facteur le réalise en 2004
(http://decouverte.orgue.free.fr/orgues/illzacjb.htm). Ce sont donc ces deux instruments jumeaux,
d’esthétique française que met en valeur dans ce CD l’organiste Marc Baumann, organiste titulaire
adjoint du Grand Orgue de la Cathédrale Notre Dame de Strasbourg et titulaire de l’orgue
Silbermann de l’abbatiale d’Ebersmunster. Les plages 1 à 13 sont consacrées à l’orgue
d’Ottmarsheim et 14 à 18 à l’orgue d’Illzach. Le programme, très varié, met vraiment en valeur les
deux instruments. Sur le premier, Jean-Sébastien Bach règne en maître, encadrant des oeuvres de
Louis Marchand, Georg Boehm et Johann Pachelbel. D’entrée de jeu, le 1er mouvement du
Concerto en la mineur BWV 593 fait ressortir la plénitude de l’instrument. On en découvre
également toute la richesse dans la Toccata, Adagio et fugue en ut Majeur BWV 564. Mais la Tierce
en taille de Louis Marchand permet particulièrement d’apprécier toute la délicatesse des timbres. Le
deuxième instrument est mis en valeur par des oeuvres de Johann Gotlob Schneider junior (1789-
1864), Dietrich Buxtehude et Carl Philipp Emmanuel Bach. L’ensemble est remarquablement
interprété : l’organiste sait à merveille tirer le meilleur parti de ces deux instruments jumeaux, mais
légèrement différents. L’utilisation du tremblant doux, notamment, est faite avec un goût parfait.
Bref, il ne s’agit nullement d’un CD de « démonstration », même s’il remplit parfaitement ce rôle,
mais d’un disque aussi varié qu’intéressant, contenant à la fois des oeuvres connues et moins
connues, pour ne pas dire très peu connues, mais qui méritent de l’être. Nous pensons
particulièrement au Thema mit Variationen de Johann Gotlob Schneider. La prise de son est
remarquable : on sait la difficulté d’enregistrement des orgues. La légère réverbération nécessaire à
l’épanouissement des instruments n’empêche nullement une grande clarté et une grande lisibilité, et
surtout un grand respect de la diversité des timbres et des plans sonores. Un dernier mot sur les
instruments : ils possèdent, contrairement à beaucoup de « reconstitutions » récentes, un parfait
équilibre entre des basses rondes et profondes et des mixtures très présentes sans être agressives.
C’est une heure et quart de plaisir, et qu’on ne voit pas passer !
Daniel Blackstone
Vanessa Benelli Mosell débute le piano à l’âge de trois ans, donne son premier concert à l'âge de
quatre ans et comme soliste avec orchestre à neuf ans, puis commence une carrière internationale
deux ans plus tard, en duo avec Pascal Rogé. Après une formation à l’Académie internationale de
piano d’Imola en Italie, elle entre au Conservatoire Tchaïkovski de Moscou. Les concerts avec les
plus grandes formations s’enchainent de Berlin à New York, de Londres à Turin. On a pu l’entendre
à l’auditorium du Louvre, à Montpellier, à Marseille, à Boulogne et, dernièrement, à la salle Cortot
dans un programme éblouissant d’oeuvres contemporaines, dont en bis, « les Variations sur un
thème de Corelli » de Rachmaninov que l’on trouve sur ce disque. Elle s’est fait connaître par ses
interprétations de Stockhausen avec qui elle a étudié jusqu’à la mort du compositeur. En 2015, pour
son troisième disque, elle avait enregistré des musiques d’Igor Stravinsky, Karlheinz Stockhausen et
Karol Beffa, toutes d’une grande exigence musicale. Combien de versions, et non des moindres,
existe-il du Deuxième concerto de Rachmaninov ? On dispose d'une version du compositeur luimême.
La version de Byron Janis a été pendant des années la référence. Celle de Vladimir
Ashkenazy, lorsqu’elle est sortie, a été portée aux nues, et le musicien aussi. Mais aujourd’hui c’est
la version d’Howard Shelley avec l’Orchestre National d'Écosse et Bryden Thomson qui emporte
tous les suffrages. Que dire de cette énième version ? D’abord qu'il existe un gros problème de
montage son, et pour un enregistrement fait aujourd’hui avec tous les tripatouillages que l’on peut
faire en studio, on peut être surpris. L'interprétation est quand même très intéressante. Il y a des
accents passionnés, des nuances finement amenées et qui peuvent être encore découvertes grâce au
jeu de cette remarquable interprète. Peut-être que le fait d’avoir joué le répertoire actuel lui permet
de trouver des beautés harmoniques pas toujours mises en avant. Le mariage avec le London
Philharmonic Orchestra dirigé par Kirill Karabits n’est pas totalement réussi. Une belle version
mais qui, vu la concurrence féroce, ne permet pas à cette version de se placer aux côtés des
références.
Stéphane Loison
La mélodie, le timbre, la résonance et le silence sont les quatre piliers sur lesquels repose la table
esthétique de Luca Antignani, en tout cas pour la musique qu'il signe ici. Parti d’une intuition, d’un
rêve ou de tout autre référence extérieure (un tableau, un roman, l'enfance et ses souvenirs...), ainsi
que l'indiquent les titres, chaque morceau semble y séjourner complètement, vivre dans une
insistance circulaire (comme le vol en bordure de mer de la mouette, gabbiano, présente dans le
Trio del sogno e del gabbiano). L'étincelle première donne accès à l'invention, qui est recherche
d'une direction, prise en compte de paramètres et organisation des idées musicales. Toute trouvaille
en amène une autre, et c'est fort justement qu'Alessandro Solbiati parle de réactions en chaîne pour
décrire le processus compositionnel de son ancien élève à Rome. Mais l'on ne dévie pas de l'idée
originelle : il s'agit plutôt d'explorer un environnement, une ambiance, d'insister en creusant sur
place pour exploiter les tensions en germe déjà dans la formule mélodique de départ. Il y a quelque
chose, au plan psychologique, d'obsessionnel, et, musical, d'incantatoire dans cet univers singulier.
De théâtral aussi, comme si chaque instrument était un personnage soudain éclairé sur une scène
initialement noire et qui se mettait alors à exposer son monodrame, puis à réajuster son discours
quand interviennent les autres tout en conservant son indépendance.
Azulejos baigne tout entier dans un CLIMAT particulier, dont la tonalité générale est assez sombre.
Premier fait remarquable : cette musique naît du silence, compose avec lui et y retourne. C'est une
musique à la fois très expressive et silencieuse, qui tente de s'élever et de durer, qui s'obstine, mais
dont le mélisme est incliné vers le bas. Écoutons la première phrase du violon con sordino du Trio
del sogno e del gabbiano : une voix solitaire, sortie d’un songe (sogno) et qui n’est pas sans
rappeler la cantillation du muezzin, troue le silence et appelle sur quelques notes de sa voix
monotone pour toujours retomber dans le grave. De même, la harpe soliste d'Azulejos – l’admirable
troisième pièce, qui donne son nom à l’album – s'avance assez piano, jouant plus forte et staccato
dans l'aigu puis répétant plus bas sur des degrés moins élevés, trébuchant sur des arpèges précipités
puis semblant s'écouter elle-même sur des notes prolongées et espacées. Et que dire de l'avancée
hésitante et morne de la flûte, du violon et du violoncelle à l'unisson au début de Nix et Nox ? Ils
vont connaître les affres de l’équipage du bateau qui fait voile vers les îles Anglo-Normandes et qui,
livré aux éléments, finira par sombrer… C’est le combat et le naufrage décrits très longuement par
Victor Hugo au début de L’Homme qui rit, auquel se rapporte ce « Neige et Nuit ». La même qualité
de mystère se dégage des notes rares que joue le cymbalum au commencement des Due Interludi :
certes, le contexte diffère, mais l'on avance encore à tâtons après avoir brisé le silence. Ce mystère
ambiant se colore de nostalgie dans Canto d'infanzia, quand la harpe, faisant ses premiers pas
timidement, interroge, un peu à la manière de Saint-John Perse dans Éloges : « Sinon l'enfance,
qu'y avait-il alors qu'il n'y a plus ? » C’est l’une des qualités de l’écriture d’Antignani d’être tout
sauf bruyante, au contraire ouverte et diaphane, en état de questionnement. D’où l’importance de la
résonance dans cet art du recueillement. En dehors de son pouvoir propre, qui est envoûtement, la
fonction de la résonance est l’évocation. Aussi, l’écho lointain de mélopées populaires s’entend-il
immédiatement dans certains airs, surtout quand tinte le cymbalum, qui rappelle la Hongrie,
éveillant des images de puszta et de tsiganes dans la poussière des chevaux et des carrioles.
D’autres associations peuvent surgir, ainsi la partition de James Horner dans Le Nom de la rose, qui
soutient le suspense, est électrique, très chargée. À propos de ce retentissement d’instruments
autonomes qui se propage à l’infini, convoquant les figures du double et de l’ombre, Solbiati parle
de polyphonie de timbres.
La force aussi de la musique d'Antignani tient au fait que chaque oeuvre est comme un organisme
vivant qui cherche et trouve sa FORME. Née d’une absence, d’un néant, d’un mutisme, comme on
l’a dit, elle s’engendre elle-même en une série de métamorphoses ou d'éclosions, ainsi dans l'Étude
sur « La Vie », où la formule mélodique initiale du cymbalum, qui questionne, trouve une réponse
ou, plutôt, une série de réponses dans les formulations successives des autres instruments (flûte,
clarinette et cordes). On entend se faire ce travail de transformation dans ce morceau qui se réfère
au tableau La Vie de Picasso et plus encore à ses études préparatoires. Le compositeur lui-même
parle de régénération du vieil archétype thème et variations, qui n'est donc plus ici ornemental, mais
bien organique. Un phénomène similaire se produit dans Azulejos pour harpe seule, où toutes les
variantes du timbre sont exploitées, la harpe pouvant tour à tour sonner flamenca et, comme prise
d’ébriété, connaître un rythme imprévisible, fait de précipitations, de ralentissements et de rebonds.
Mais l’art d’Antignani n’est pas pour autant pointilliste. L’apparente économie de moyens mis en
oeuvre privilégie plutôt la ligne claire, comme l’indique explicitement la référence au dessin de
Cocteau dans Les Murs de Jean, série de cinq miniatures pour flûte, clarinette, violon, alto,
violoncelle, harpe et piano.
Il faut être au plus près de ce monde particulier pour bien le servir, ce que sont et font Les Temps
modernes, ensemble dont le compagnonnage avec le compositeur de 41 ans formé aussi à l’Ircam
est relativement ancien. Leur idéal esthétique commun milite pour un art novateur qui ne soit pas
immédiatement qualifiable de contemporain. Les huit musiciens convoqués ici sont tous admirables
de justesse et d’équilibre, ce qui est d’autant plus remarquable que leur est demandé de produire
de… l’inouï.
Patrick Jézéquel
Solo Musica nous livre l’enregistrement d’un récital de piano de Martina Fijalk encore peu connue
en France, la notice du CD n’est même pas traduite. Un récital “chronologique“ qui va de Bach à
Scriabine. Le problème des transcriptions demeure éternel. Cette transcription du Prélude et fugue
pour orgue en la mineur de Bach par Liszt en est un parfait exemple. On écoute du Bach et on
entend du Liszt ? Ou l’inverse ? Pour Liszt, la voie est royale. Le matériau de base, une partition à
trois portées pour l’orgue, il doit le réduire à deux portées pour le piano, la voie est grande ouverte à
de multiples enrichissements harmoniques. La pédale de l’orgue devient des octaves jouées dans les
graves à la main gauche, les jeux de mixture, véritables parures de la note, s’évadent dans les aigus
et les 4 voix de la fugue sont intégralement respectées. C’est donc à l’interprète de choisir par son
jeu qui il favorise, Bach ou Liszt ? Il y a chez Martina Filjak, un subtil dosage des deux. Le toucher
rond, presque romantique, la réverbe comme on dit chez les rockers, nous ramène dans la maison de
Liszt, tandis que la lecture rigoureuse des sujets et contre sujets de la fugue nous installe dans celle
de Bach. Il n’est qu’à se laisser bercer par l’osmose des deux compositeurs et ne pas bouder son
plaisir.
La vie de Schumann est tellement tortueuse, qu’il est parfois difficile de départager la folle
inspiration du trouble bipolaire du compositeur. Ici, un détail nous éclaire sur ses intentions, la
sonate n°1 opus 11, sa première sonate, est dédicacée à Clara qui sera sa compagne, sa muse et son
interprète, un amour tourmenté et quasi clandestin qui fut longtemps caché car farouchement
combattu par Wiek le maître de Schumann et père de Clara. On perçoit dans le jeu de Martina Filjak
les quelques petites folies de Schumann, petites folies musicales et fantasques, prémonitoires de
l’état du compositeur qui finira sa vie à l’asile, cerné par des hallucinations jamais élucidées. C’est
toujours le rythme qui sauve Schumann de la comparaison avec ses brillants contemporains
(Chopin, Liszt) et Martina Filjak le scande d’une jolie manière comme si elle lustrait avec soin et
brio la mécanique de Schumann. Des rythmes aussi variés que le fandango qui a inspiré ce premier
mouvement ou la comptine qui inspira le second. Martina Fijalk, pianiste croate formée à Zagreb et
à Vienne, profite de ces ascendances qu’elle maîtrise fort bien pour nous régaler de la légèreté du
jeune Schumann, viennois lui aussi.
L’oeuvre de Scriabine est beaucoup plus tardive, à cheval sur le XIXème siècle et le XXème. La
première sonate écrite à dix neuf ans se nourrit de Chopin tout en annonçant les grandes
découvertes harmoniques de Scriabine, telle cette fameuse gamme acoustique, qui préfigure le
dodécaphonisme de tous les grands compositeurs du siècle qui va suivre. Tout au long de la sonate,
la main gauche prédomine, Scriabine paralysé très tôt d’une partie de la main droite inventa, avant
de retrouver l’usage de sa main, une technique de jeu très personnelle qui prenait en compte son
infirmité partielle. Scriabine rêvait d’un instrument qui donnerait à chaque note une couleur.
Martina Fijalk dépasse sa féminité et joue “en couleurs“, comme le souhaitait Scriabine, elle joue
puissamment, avec des graves bien marqués, à la manière des pianistes de l’Europe de l’Est sans
jamais perdre une élégance qui sied autant à Bach, qu’à Schummann ou Scriabine.
Ne reste à ce CD enregistré en Italie qu’à franchir les frontières et conquérir le public français, ce
qui ne sera que justice.
Jean François Robin
Onze titres composent cet album : La rue Berthe (ou le cri du coeur), (paroles et musique de Hervé Peyrard), Jo le squelette (idem), Dur comme faire…(paroles H. P., musique Sylvain Hartwick), Les sanglots du mur d’à côté (paroles et musique H. P.), Marie Pierre et Charlemagne (paroles et musique de Maxime le Forestier), Bye bye (paroles et musique H. P.), L’édifiante histoire de Lazard le lézard (paroles de H. P. musique H. P., S. H. et Laurent Chieze), Les mots de Momo (paroles H. P., musique S. H.), Le parfum des prénoms (paroles et musique H. P.), Tom Bonbadilom (paroles et musique de Jacques Higelin), Le zèbre de Troie (paroles et musique H. P.). Ces chansons veulent « aborder sans en avoir l’air et tout en s’amusant, des thèmes complexes : la dyslexie, l’absence, la mémoire, le genre, la différence ». Si l’idée est louable, est-il nécessaire d’employer un langage « vulgaire », un vocabulaire pauvre, avec de piètres rimes, sous prétexte qu’on s’adresse à des enfants ? Notons un clin d’oeil aux « amoureux » de Georges Brassens qui « s’bécotent » dans La rue Berthe, une redite du Fais pas ci, fais pas ça de Jacques Dutronc dans Dur comme faire. Les Sanglots du mur d’à côté est un texte plus intéressant et fort, car plus sobre ; il suggère la dure vie du marin et l’absence. La musique est assez uniforme et terne, plus proche de la « boîte à rythme » que rythmique et dynamique. Sophie Jouve-Ganvert
Musicien de Jazz, compositeur, arrangeur, pour orchestre, il vient de faire un deuxième album
atypique au sein du groupe Caja Negra, « Joy », chez Cristalrecords. Depuis une dizaine d’années, il
écrit de la musique pour l’image et à l’occasion de la sortie du film « Django », nous somme allé le
voir chez Just Looking, société de production, de booking et de management qui s’occupe deses
tournées. Bertrand, un musicien très occupé !
Comment va la musique et vous ?
La musique va très bien. J’aimerais en faire beaucoup plus, j’en fait douze heures par jour, ça
commence à être bien je pense.
Vous venez tout juste de sortir un album...
Il s’appelle « Joy » et on est en train de le promouvoir sur scène. Et j’ai d’autres projets que je suis
en train d’organiser et des arrangements pour des disques multiples et variés et puis un téléfilm …
Pour qui ce téléfilm ?
C’est pour F3. Une histoire de meurtres dans les Landes. Il s’appelle d’ailleurs « Meurtres dans les
Landes » de Jean-Marc Terra.
Comment vous a-t-il choisi ?
Par l’intermédiaire d’Eric Debègue de Cristal Groupe. Il est mon éditeur qui produit des CD de
musique de film entre autres et qui sert aussi comme agent [voir son ITV dans la LI d’octobre
2013]. Il aide à financer les BO.
Alors vous êtes un jazzman, donc meurtre égal jazz ? Le cliché ?
Alors là je n’ai pas composé du jazz, c’est la musique tout court. Je compose de la musique quel
que soit le style ! J’aime beaucoup la musique classique contemporaine française, je la connais très
bien et j’en écris.
Musique à thème pour ce téléfilm ?
Je n’avais pas envie de faire une musique « carte postale » des Landes où le film se passe mais de la
personnaliser un peu. Il y a des instruments basques qui sont très intéressants comme la txalaparta,
un instrument de bûcherons qu’ils tapent avec des gros morceaux de bois sur des rondins. On a aussi un méga xylophone ; cela donne un son très étonnant, et je le mixerai avec des guitares rock et
des cordes. C’est une musique assez sombre, acoustique…
Vous avez un orchestre de chambre, un quatuor ?
Pour l’instant les thèmes sont écrits, c’est un téléfilm donc on aura un orchestre de 17 musiciens.
Vous allez jouer dedans ?
J’aime beaucoup ce que faisait Mancini. Comme il était flûtiste, il mettait souvent de la flûte en sol
dans ses musiques. J’ai eu l’idée de faire quelque chose avec les flûtes étant moi-même flûtiste, ce
qui donne un côté souvent mystérieux.
Vous êtes donc flûtiste et saxophoniste de base
Exact…
Quand on écoute vos arrangements, on sent vos influences, celles des années 70, Henry
Mancini, Quincy Jones, Neal Hefti …
Depuis vingt ans je suis professeur de jazz au Conservatoire de Paris rue de Madrid, et depuis trois
ans au CNSMDP. Là ce sont des cours d’analyses du début de la musique française du XXème, et de
Bartók, Stravinsky aussi. Je l’explique pour des étudiants qui sont en classe de jazz, c’est le
classique expliqué aux jazzmen pour qu’ils apprennent l’orchestration. Le jazz agglutine le
classique. Le contraire n’a jamais donné de grandes oeuvres. Ce qu’a écrit Darius Milhaud n’est pas
concluant et, malgré tout son talent, Ravel avec son « Blues » est loin d’avoir composé un blues. On
m’engage pour écrire de la musique de film parce que j’ai une grande connaissance de
l’orchestration, de l’arrangement pour des grandes formations, que cela soit des orchestres
classiques ou des big bands ou les deux mélangés.
Vous aviez un big band à une époque ?
Beaucoup de téléfilms, un long métrage « La Grande Vie », un film basé sur le jazz, une comédie
type Vladimir Cosma, Mancini, avec un humour très fin, réalisée par Emmanuel Salinger.
Vos téléfilms n’étaient pas toujours à base de jazz si je comprends bien ?
Certains comme celui de Jacques Fansten l'avaient avec un quartet de jazz, style Coltrane, mais
comme le film parlait d’une radio amateur des années 80, pour le générique de cette radio, on s’est
inspiré du trio de Brahms pour piano. Il fallait faire un arrangement de cette oeuvre pour orchestre.
Ensuite j’ai repris des éléments mélodiques que j’ai développés, ce qui est devenu de la composition
pure.
Vous considérez-vous quand même comme un jazzman ?
Le musicien dit oui, le compositeur non. A la maison avec mon saxo je joue du Bach. C’est comme
faire un footing, prendre soin de sa santé, pour mon entretien musical. Je mets par exemple le
« Clavier bien Tempéré » interprété par Gould et je travaille la justesse. Ce pianiste avait une
approche très jazz de cette musique. Lorsqu’il joue, il a un tempo, et moi à l’alto, à la flûte ou au
soprano je transpose et je travaille ainsi sur sa musique.
Entre le jazz et le cinéma n’y a-t-il pas un hiatus?
Oui il y a le facteur chance. J’ai commencé très jeune, j’avais 20 ans et j’avais pas mal d’années de
musique classique, et de musicien de bal. J’avais 13 ans quand j’ai commencé dans les bals. J’avais
donc sept ans de métier avec une formation complète. J’écrivais les orchestrations pour les cuivres,
le rythme and blues. Tout allait assez vite et puis, à un moment, j’ai rencontré Michel Berger…
Comment l’avez-vous connu ?
Il y a des clichés sur le jazz qui viennent de notre éducation cinématographique. Par exemple, le
côté enfumé, avec un détective, un truc un peu sombre qui donne un côté assez sérieux, une
musique avec quintette Blue Note. Il y a plein de films où on l’a utilisé ainsi. Un autre cliché, un
thème avec un trombone et une contrebasse, vous avez là-aussi une ambiance détective. Mais si
vous changez totalement la rythmique, latino par exemple, avec un ou deux picolos, instrument
ridicule pour le public, on l’accélère et on a « Soul Bossa Nova » de Quincy Jones, le thème
d’ « Austin Power », ce film qui est une parodie de détective. Le jazz marche très bien pour les
comédies. Il permet d’amener une musique joyeuse par son côté improvisation. Il y a pas mal de
comédies où cette musique marche très bien, « Un Éléphant ça Trompe Énormément », par
exemple, avec une superbe rythmique et Pepper Adams, au saxo baryton, c’est magnifique.
https://www.youtube.com/watch?v=m0AnbFFkwOQ
Il y a de grandes BO de Mancini, de Lalo Schifrin. Alex North, pour « Spartacus », a écrit un des
plus beaux thèmes de l’histoire de la musique. On sent que c’est un morceau de jazz adapté pour
cordes, on met une batterie et une basse et cela devient un des plus beaux morceaux de jazz.
D’ailleurs, Bill Evans, en sortant de la projection, a tout de suite dit ce morceau est pour moi, et en a
fait une magnifique version.
https://www.youtube.com/watch?v=SYcsSZl8-_s.
Tous ces clichés ont encore la vie dure !
Moi on m’engage seulement pour faire des arrangements, des orchestrations, de musique pas
spécialement du jazz.
Lorsque l’on entend le disque de Stan Getz avec les violons, on pourrait l’employer pour
n’importe quel film, non?
Effectivement. Après il faut voir ce qu’évoque cette musique. Ce que j’aime dans la musique de
film ce n’est pas le style choisi mais de voir ce qui se passe entre la musique et l’image :
qu’apporte-t-elle comme informations qui ne seraient pas dans l’image et qui la complète ? Par
exemple, Mancini était très fort pour cela, le thème de « Days of Wines and Roses »
https://www.youtube.com/watch?v=vi0TullZ-p4 est devenu un standard de jazz mais lorsque l’on
entend la musique du générique, avec des choeurs, du cor, de la flûte en sol et des cordes, c’est
extrêmement kitch ! A l’image, cela correspond à un type en train de mourir dans le caniveau dans
son vomi avec la bouteille de scotch qui roule. La musique écrite ainsi donne un message
totalement différent. On a ici une musique hyper romantique, suave, derrière cette scène atroce.
L’effet est terrible.
Dans les musiques à l’image traditionnelles, les vents ne sont pas mis en avant…
On pourrait s’amuser avec les instruments et les clichés : le saxo est souvent associé à la séquence
d’amour !
Saxo égal sexe !
Un énorme cliché, le violon seul c’est séquence misérable !
Dans votre parcours de compositeur arrivez-vous à convaincre des réalisateurs, des
producteurs, pour que le jazz soit une musique que l’on peut mettre sur n’importe quel
sujet ?
Je n’ai pas à convaincre, car si on m’appelle c’est parce qu’on veut du jazz. Mais après il y a des
discussions. Par exemple, pour le « Boris Vian » à la télévision, de Philippe Le Guay, pour moi qui
connaît bien son histoire de trompettiste, compositeur, producteur et un des premiers critiques de
jazz, il n’était pas pensable de ne pas mettre du jazz. Le Guay avait une idée très précise sur la
musique et il avait raison. La musique fonctionnelle était du jazz, on l’a écrite avant qu’il tourne.
Mais pour mettre en valeur Boris Vian, le romancier aussi, il voulait une musique plus classique
avec des cordes, il voulait que ce qui se passe dans la tête de Vian ne soit pas que du jazz, mais une
musique plus large. Donc j’ai écrit deux types de musique.
Dans « Taxi Driver », on a des morceaux très jazzy et on n’est pas dans un polar et le
personnage principal n’est pas un musicien !
Oui bien sûr. « Anatomy of a Murder » est dans le même esprit mais on est dans un polar. Par contre
la musique de « Le Dernier Tango à Paris » de Gato Barbieri est une superbe idée, on est dans le
jazz latino de Barbieri avec son saxo qui hurle et avec Ron Carter à la basse électrique. Ce que je
cherche avant tout c’est utiliser des timbres et des instruments qu’on n’utilise pas beaucoup.
Au départ ne vouliez-vous jouer que du jazz ?
Quand j’avais cinq ans, en 1977, je suis allé à la grande parade du Jazz à Nice. J’ai vu Count Basie,
et ensuite, il y avait le groupe du professeur long hair, un pianiste boogie qui faisait un mélange
cajun, avec un voix étonnante, et il y avait deux sax ténor avec lui. Quand je les ai entendus je suis
devenu hystérique et j’ai dit c’est ça que je veux jouer ! C’est le jazz qui m’a attiré. A la maison
j’écoutais des disques de musique classique. Mes parents étaient assez éclectiques dans leurs goûts ;
mon père qui travaillait à l’aérospatiale, avait grâce au CE des places bon marché. Et toute la
semaine on allait écouter du jazz ! Vers neuf ans j’ai eu un sax et un prof classique. J’ai fait le
conservatoire et en même temps, vers 12 ans, j’ai écrit mes premiers arrangements en autodidacte.
Avec mes copains on a constitué un groupe, j’ai pris des cours de jazz et d’arrangement au
conservatoire. A 16 ans j’avais un quartet et on prospectait dans les bars de Juan, de Nice pour jouer
l’été. Donc depuis l’âge de 13 ans j’ai toujours fait de la musique. Mais j’étais aussi passionné de
musique classique, c’est ce que j’écoute le plus. Je suis collectionneur de partitions, une sorte de
boulimie. L’orchestration est une vraie passion. Le classique, par contre, je ne peux en jouer que
chez moi pour travailler. Le jazz c’est ce que je joue sur scène…
Vous gagniez votre vie en tant que jazzman ?
Non, c’est une somme de choses : j’écris de la musique, je suis musicien de studio, je fais des
arrangements de cordes et de cuivres pour les chanteurs. Je viens de faire des enregistrements big
band plus cordes pour Thomas Boissy.Il y a des commandes de toute sorte…
Et donc « Django » qui est sortie le 26 avril. Parlez-moi de ce que vous avez fait.
Le film est basé sur un épisode mal connue de la vie de Django Reinhardt : entre 42-43, celui-ci
refuse d’aller jouer à Berlin, il ne se sent pas concerné par la guerre. Mais petit à petit il va
découvrir que les manouches sont déportés et tués. Mon travail sur la musique du film s’est limité à
faire des arrangements et du développement thématique. On a reproduit une séance
d’enregistrement de Django sur « Mélodie au Crépuscule » avec quelques cordes, un trio, et une
chanteuse. Il a fallu que je retrouve le style d’arrangement de l’époque, je l’ai adapté avec trois
violons, une clarinette, un sax, une trompette, deux guitares et la basse ; les musiciens qui sont à
l’écran. Il y avait les frères Rosenberg aux guitares. Comme je suis professeur au conservatoire à
Paris, on a profité pour faire un casting pour la chanteuse parmi mes élèves. Il y avait ce qu’il
fallait, il y en a une qui a été prise. Mais finalement Etienne Comar, le réalisateur, a voulu une
comédienne ; mais c’est la voix d’une de mes élèves. Dans la séquence de fin, lorsque Django
dirige son Requiem à l’orgue, mes élèves et elle se sont retrouvés comme figurants et jouent dans la
scène.
Alors pour ce Requiem de fin, avez- vous tout inventé ?
On avait un morceau joué à l’orgue par Django mais on n’en connaissait pas trop l’origine. C’est
une oeuvre de 5 minutes. J’ai relevé cette musique, j’ai gardé les meilleurs moments, 35 à 40
secondes d’orgue, tout en respectant quelques « maladresses » d’écriture. Warren Ellis, le
compositeur, a écrit une mélodie et moi j’ai fait le lien entre cette messe et le générique. Il y a donc
une partie d’orgue originale et j’ai ajouté des cordes et des choeurs. Au début on avait pris le
« Lacrymosa » de Mozart pour le découpage, mais on a, en définitif, fait chanter en Sindhi, la
langue des manouches.
Et cet été ce sont des concerts avec « Joy » peut-être ?
On commence le 26 mai à Coutances. Puis une création à Rochefort fin septembre. On prépare le
nouvel album et là je travaille sur le téléfilm et quelques arrangements dont l’album du bassiste
Diego Imbert, un hommage à Charlie Haden.
Bonnes compositions alors !
Visitors est une succession de 74 plans muets, en noir et blanc, filmés au ralenti, sur une musique
de Philip Glass. Plans de nature, de bâtiments, de visages, d’oiseaux, de marais de Louisiane, de
décharges, et surtout de la tête d’un gorille qui nous regarde au début du film et à la fin. Nous, nous
sommes spectateurs à la salle de la Philharmonie, qui regardons dans une salle de spectacle ce
gorille, un bel effet miroir. La boucle était bouclée, comme la musique de Philip Glass qui tourne,
sans vraiment de début, sans vraiment de fin. Le film date de 2013. Il possède une poésie
majestueuse. Qui regarde quoi, se demande-t-on, en voyant tous ses visages. Il n’y a pas de
contrechamps, nous sommes spectateurs de ceux qui regardent. Pour accompagner ce film de
Godfrey Reggio, réalisateur de la trilogie des « qatsi », Philip Glass a créé une musique plus
thématique que d’habitude. Pour conduire l’Orchestre de Paris c’est le chef Michael Riesman qui
était à la baguette. Il est l’homme qui a dirigé, enregistré la plupart des oeuvres orchestrales du
compositeur. Voir les images, d’une part, et écouter la musique en direct, ajoute au charme, à
l’ambiance, même du film. Ce ciné concert avait quelque chose de magique. Bien sûr le calage
n’était pas aussi précis que sur une bande enregistrée, mais voir et entendre l’orchestre jouer cette
musique nous mettait dans un état de lévitation étrange. Visiteurs d’un soir Porte de Pantin, c’était
un beau et insolite voyage. Le disque de la musique existe.
https://www.youtube.com/watch?v=NVHADVhC4lM&index=1&list=RDNVHADVhC4lM
Parallèlement à l’exposition « Au-delà des étoiles. Le Paysage mystique de Monet à Kandisky », est
offert, à l’Auditorium, un festival de sept films, « La Nuit au cinéma » de Murnau à Spielberg. La
nuit est éminemment cinématographique, transforme et métamorphose les paysages. Et le chef
d’oeuvre de Murnau, « L’Aurore », en est la preuve. Tout le mouvement expressionnisme allemand
s’en est servi abondamment amenant les films noirs, d’horreur, à Hollywood. Murnau c’est aussi
« Nosferatu », « Faust », « Le Denier des Hommes ». Avec « L’Aurore » (1927), son premier film
américain, Murnau s’est attaché particulièrement à la photographie pour toutes les scènes nocturnes.
Film muet. C’est Paul Goussot qui a improvisé sur les images pendant ses 106 minutes. Ce jeune
trentenaire mène de front l’orgue, le clavecin, l’improvisation et la pédagogie. Il est titulaire de
l’orgue Dom Bedos de l’abbatiale Sainte-Croix de Bordeaux. L’improvisation tient une place
essentielle dans son activité. Son goût pour le cinéma muet le conduit à accompagner plusieurs
projections au musée d’Orsay et à la Cinémathèque française, à Paris. Durant la projection il a su
ajouter des émotions très fortes aux scènes entre l’homme et la femme, apporter de la légèreté dans
les scènes de la ville, de la violence pendant l’orage fatidique et la disparition de la femme. Il a fait
quelques « mickey mousing » bienvenus. Bref, il a enrichi le discours filmique de Murnau, ce qui
est le propre de tout artiste musicien.
Un autre film aux accents de Murnau nous a interpellé. C’est le très méconnu « Careful » du
Canadien de Guy Maddin (1992). Au XIX ème siècle, dans un village de haute montagne à
l’atmosphère oppressante, deux frères vivent leurs obsessions et leurs amours cachées. Ce film est
absolument ahurissant, il s’inspire de la peinture du XIX ème siècle et du cinéma muet. La
montagne est totalement artificielle, tout est en carton pâte, l’image est colorisée comme des
photographies peintes, l’histoire est complétement loufoque, surréaliste, où l’inceste, le refoulement
et les amours « coupables » sont le centre de scénario. On est dans OEdipe, Oreste, Hamlet, une
espèce de rêve avec des personnages délirants, pendant 1h30 ! La musique de John McCulloch est
aussi folle que l’histoire ! Un film insupportable, étrange, expérimental (?) mais avec des
fulgurances fascinantes ! C’est sûrement la volonté de ce réalisateur hors cadre. On peut le voir en
VOD depuis février !
Trois séances sur le thème de la nuit ont suivi avec les chefs-d’oeuvres :« Fog » de John Carpenter
et une musique du réalisateur, « Rencontre du troisième type » de Steven Spielberg avec la superbe
musique de John Williams, et « La Voce della luna » de Federico Fellini et la bande musicale de
Nicola Piovani.
Pour toutes informations sur l’exposition, les concerts et les films : www.musee-orsay.fr
Stéphane Loison
Réalisation : Jacques Deray.
Compositeur : José Giovanni.
Musique : Claude Bolling.
1CD Music Box Records MBR 113
Music Box Records présente, en CD et dans des versions intégrales, les partitions de Claude Bolling
pour les deux films produits et interprétés par Alain Delon : Le Gitan (1975) et Trois hommes à
abattre (1980).
Alain Delon et Claude Bolling se connaissent depuis la production de Borsalino et le compositeur a
retrouvé l’acteur par la suite pour Doucement les basses, Borsalino & Co et Flic story. Tous ces
films ont été réalisés par Jacques Deray. Le trio Delon-Deray-Bolling se reforme une cinquième fois
en 1980. Delon, Deray et Christopher Frank adaptent une oeuvre de l’homme qui a renouvelé le
roman policier en France, Jean-Patrick Manchette. Le Petit Bleu de la côte ouest devient Trois
hommes à abattre. Gerfaut (Delon), un homme simple vivant du revenu de ses parties de poker, se
trouve involontairement mêlé à une affaire louche de vente d’armes. Menacé de mort, il décide de
sauver sa vie en traquant ses chasseurs. Claude Bolling choisit le contrepied des musiques
traditionnelles de polars en proposant une grande partition symphonique mêlant mystère, danger et
romantisme.
Le Gitan est réalisé par José Giovanni dans la pure tradition des films de gangsters tout en faisant
passer un message contre le racisme. Alain Delon y joue le rôle d’Hugo Sénart, un gitan qui fait
vivre sa famille avec le fruit de divers cambriolages et attaques à main armée. Il est recherché
activement par la police française. Le film met en sène Annie Girardot, Marcel Bozzuffi, Paul
Meurisse, Bernard Giraudeau et Renato Salvatori. Giovanni souhaite accompagner le film d’une
bande musicale inspirée de Django Reinhardt. Lors du casting, il découvre un musicien gitan, Lick,
qui compose un chant plaintif qui servira de thème principal. Delon, producteur du film et coéditeur
de la musique, demande à Claude Bolling d’encadrer le jeune musicien et d’écrire un thème
supplémentaire pour les séquences du camp gitan.
C’est la première fois que la musique intégrale est couchée sur CD
https://www.youtube.com/watch?v=x_CNpVtwKlQ
https://www.youtube.com/watch?v=dx8JX2og1nA
Stéphane Loison
Réalisateur : David Moreau.
Compositeur : Rob.
1 CD Music Box Records :MBR 116
Réalisé par David Moreau (Ils, 20 ans d'écart), Seuls (2017) est un film fantastique, adapté de la bande dessinée franco-belge à succès écrite par Fabien Vehlmann et dessinée par Bruno Gazzotti.
Le film raconte l'histoire de cinq adolescents qui se réveillent un matin et découvrent que tous les
habitants de la ville ont disparu. Encerclés par un épais brouillard, ils sont livrés à eux-mêmes dans
un environnement devenu hostile. D'ailleurs, sont-ils vraiment seuls ?
Rob (Maniac, Made in France, Planétarium) signe ici une partition électro-orchestrale comme il
aime les faire et qui contribue à la construction de ce climat suspendu et parfois inquiétant digne
d'un John Carpenter. La musique est interprétée par le Brussels Film Orchestra.
Stéphane Loison
Réalisateur : Alain Resnais.
Compositeur : Stephen Sondheim.
1CD Quartet Records QR-271
Quartet Record ressort la musique de Stephen Sondheim, élégante, charmante qui accompagne le
film d’Alain Resnais (1974) interprété par Jean-Paul Belmondo, Annie Duperey, Michel Lonsdale et
Charles Boyer. Ce compositeur est surtout connu pour ses productions à Broadway. « Stavisky » est
une des très rares qu’il ait composé. Il a surtout participé dans des films pour des chansons (« Dick
Tracy » pour lesquelles il a obtenu un oscar : « Sooner or later », chantée par Madona, « Birdcage »
de Mike Nichols, « Reds » de Warren Beatty) et arrangea sa comédie musicale « Sweeney Todd »
réalisée par Tim Burton. La musique est une sorte de pastiche des musiques de l’époque. Elles sont
très agréables à écouter.
https://www.youtube.com/watch?v=WF6aKxrLR0I&list=PLF725933B95DB78B7
Stéphane Loison
Réalisateur : Ettore Scola-Dino Risi.
Compositeur : Armando Trovajoli.
1CD Quartet Records QR276
« La Terrazza » est un petit chef-d’oeuvre de comédie dramatique avec un casting éblouissant :
Marcello Mastroianni, Vittorio Gassman, Marie et Jean-Louis Trintignant, Serge Reggiani, Ugo
Tognazzi et Stefania Sandrelli. Des amis de longue date, appartenant au milieu de la gauche culturelle, se retrouvent pour une rituelle soirée-buffet sur la vaste terrasse romaine de l'un d'entre
eux. La caméra se promène et surprend des conversations puis, suit un personnage dans sa vie,
avant de revenir à la soirée et d'en suivre un autre. L'enthousiasme de la jeunesse a laissé place à
l'amertume et aux constats d'échecs, autant professionnels que sentimentaux. Armando Trovajoli a
écrit peu de musique pour ce film dominé par les dialogues. Trois thèmes ont été développés : un
pour piano pendant le dîner, un thème nostalgique, et un pour le générique de fin. Ils ont été
enregistrés en trois versions. Sur le CD on n’a plus de musique que celle montée dans le film.
Sur le même CD : « Telefoni Bianchi » (1976 ). C’est une comédie satirique comme celles qu’aime
réaliser Dino Risi. Le film est l’ascension et la chute d’une femme de chambre pendant le fascisme
en Italie. Trovajoli a écrit une BO en s’inspirant de musiques populaires, de jazz et des musiques de
film des années 40. Un beau CD en perspective.
https://www.youtube.com/watch?v=i5Y-4LlDqC4
Stéphane Loison
Réalisateur : Roberto Rossellini, Jean-Luc Godard, Pier Paolo Pasolini, Ugo Gregoretti.
Compositeurs : Carlo Rustichelli
1CD Quartet Records QR 278
Sorti en 1963, ce film à sketches a eu comme compositeur Carlo Rustichelli. C’est la première fois
que la partition complète est présentée en CD. La musique est écrite comme une plaisanterie. Entre
chaque sketches on entend « Rogopag Twist ». Avec le court-métrage de Rossellini c’est « Casta
Diva », Verdi et un Dies Irae, « Eclipse twist » (clin d’oeil à Antonioni) et un « Ricotta twist » pour
« La Ricotta » de Pasolini, le sketch le plus célèbre du film et qui fut interdit en Italie pour
sacrilège ! Un disque pour cinéphile.
https://www.youtube.com/watch?v=qDXqNKJRLK4
Stéphane Loison
Réalisateur : Pepón Montero.
Compositeur : Carles Cases.
1CD Quartet Records : QR 274
Carles Cases (« Mi nombre es sombra, Amic/Amat, Besos para todos, Caricias, Le grand batre, La
vida abismal ») est un compositeur catalan, prolixe, mais peu connu en France. De formation
classique, il avait un peu délaissé la composition pour l’image et y est revenu en 2016 pour « Los
del túnel », une comédie de Pepón Montero. 13 personnes ont survécu à l’effondrement d’un tunnel
et se réunissent tous les vendredis pour célébrer leur survivance. Carles Cases a écrit une délicate et
romantique orchestration avec un joli light motiv.
Réalisateur : Roman Levy.
Compositeur : Rob.
1CD IDOL-3700551782079
Le CD comporte quelques musiques pop, rap, r&b, (Tangerine Dream, Ali Bomaye, Lynyrd
Skynyrd, Gucci Mane) et un peu du compositeur « à la mode » Rob. Le CD est dans la liste de
sortie, juste pour mémoire.
Réalisateur : Richard Rich – Ted Berman.
Compositeur : Elmer Bernstein.
1CD Varése Sarabande : VSD-VCL03171180
Le grand compositeur Elmer Bernstein s’était mis à la composition pour dessin animé avec « Heavy
Metal » en 1981. Lorsqu’il a composé pour Walt Disney « Taram et le Chaudron Magique », (1985),
c’était un événement et le résultat fut à la hauteur de ce que l’on pouvait attendre du compositeur
des « Sept Mercenaires », « De la Grande Évasion »…Belle, puissante, énergique, avec des thèmes
formidables, la BO est magnifique, inventive, avec de superbes orchestrations. La ressortie de ce
CD est une opportunité à saisir !
https://www.youtube.com/watch?v=rQ-8XQyM-lo&index=1&list=PL8747078BA7A99C3E
Réalisateur : Henry Hathaway.
Compositeur : Elmer Bernstein.
1CD La-La Land : LLLCD1421
À Clearwater, au Texas, les quatre fils de Katie Elder se retrouvent pour les funérailles de leur mère.
Ils découvrent que celle-ci vivait dans la pauvreté et que leur père, assassiné, avait perdu aux cartes
le ranch familial, au profit de Morgan Hastings. Les trois plus âgés des Elder ont la gâchette facile,
surtout l'aîné John, recherché par la loi. Le cadet, Bud, voudrait suivre leur "exemple", alors que sa
mère aurait souhaité qu'il fasse des études. Les circonstances de la cession du ranch familial restant
obscures et Hastings ayant embauché un homme de main, Curley, pour éliminer John,
l'affrontement devient inévitable... Le western, Bernstein connaît très bien ce genre et il y excelle
(Les Sept Mercenaires, True Grit, The Comancheros, Les Chasseurs de Scalps…) Mais dans quels
genres n’excelle-t-il pas ? Le thème est interprété par Johnny Cash et avec la voix de John Wayne
sur « Texas is a wolans »
https://www.youtube.com/watch?v=Hyrjh0EDlss
Réalisateur : Henri Decoin.
Compositeur : Pierre Henry.
Finders Keepers LP ou en ligne, 1962
François, vétérinaire près de Noirmoutiers, est appelé pour soigner un guépard. Là, il rencontre
Myriam, une magicienne, qui souffre du mal du pays. Grâce à une statuette ensorcelée, elle tente de
garder le séduisant jeune homme auprès d'elle. Pierre Henry est un des pères de la musique
électroacoustique, de la musique concrète avec le GMRC. Il a influencé de nombreux artistes
comme Fatboy Slim, Saint Germain, Dimitri from Paris. Comme il disait avec un certain
humour :« je n’aime pas les notes ». IL considérait la musique comme un objet sonore, il
recherchait à trouver des perceptions vierges de tout bagage culturel. Qu’Henri Decoin lui demande
de faire une partition pour son film pourrait être étrange mais c’est le sujet qui le voulait. Decoin n’a jamais eu une grande idée sur les musiques de ses films et à tout le temps changé de
compositeur au gré des époques. Pierre Henry commençait à être connu. C’est quelques années plus
tard qu’il sera populaire grâce à ses musiques pour Maurice Béjart (Messe Pour le Temps Présent).
Ce CD peut être considéré comme une première car ce genre de musique, peu utilisée, était surtout
dévolue à la SF (Planète Interdite 1957)
https://www.youtube.com/watch?v=ldk7GmbbOEQ
Réalisateur : Etienne Comar.
Compositeur : Stochelo Rosenberg, Warren Ellis.
1CD
Le film est un épisode de la vie de Django Reinhardt dans les années 42-43. Très apprécié par le
public allemand, il n’y a que sa musique qui l’intéresse et il ne se rend pas compte que les nazis
sont en train de massacrer le peuple manouche. Refusant d’aller jouer à Berlin, il part dans le sud de
la France pour rejoindre la Suisse. Sur cette l’histoire vraie est mélangée une fiction, avec une
femme soit-disant sa maîtresse, et on se perd dans la vraisemblance de l’histoire. Le scénario n’est
pas crédible, mal écrit. Seule la musique est à la hauteur de l’ambition. Les frères Rosenberg,
excellents guitaristes, interprètent la musique de Django avec une dextérité étonnante. Stochelo a
composé des morceaux « jazz manouche » tout à fait dans le style. Reda Kateb, qui joue Reinhardt,
est très crédible à la guitare. Le compositeur Warren Ellis a écrit un peu de musique originale,
surtout le Lacrimosa Song du générique. Pierre Bertrand a fait des arrangements subtils qui sonnent
d’époque (voir son ITV). Le film se laisse voir, comme un télé film avec un peu plus de moyens,
mais la musique est un vrai bonheur à écouter ainsi que sur le CD
Réalisateur : Daniel Espinosa.
Compositeur : Jon Ekstrand.
1CD Milamusic 399 916-2
À bord de la Station Spatiale Internationale, les six membres d’équipage font l’une des plus
importantes découvertes de l’histoire de l’humanité : la toute première preuve d’une vie
extraterrestre sur Mars. Alors qu’ils approfondissent leurs recherches, leurs expériences vont avoir des conséquences inattendues, et la forme de vie révélée va s’avérer bien plus intelligente que ce
qu’ils pensaient… John Ekstrand a plusieurs fois travaillé avec Daniel Espinosa dont le film
« Child 44 », le thriller adapté du best seller de Tom Rob Smith avec Tom Hardy, Gary Oldman.
Avec ce thriller dans l’espace, John Ekstrand réussit une composition qui renforce la tension de cet
Alien bis. Musique essentiellement électronique (John Ekstrand est un sound designer ), rien qu’à
l’écoute de cette BO on comprend que l’on est dans un film d’horreur, dans un monde inconnu
qu’est l’espace. Musique souvent cyclique qui devient de plus en plus large avec des chants
électroniques, elle donne cette impression d’infini, d’inéluctable, de définitif. On est dans lost in
space. Elle est terriblement angoissante et magnifique à la fois. A écouter, se laisser emporter et
frémir…
https://www.youtube.com/watch?v=5FZ6Sl6Jcec
Rosario Giuliani, alto & soprano sax Luciano Biondini, accordéon Enzo Pietropaoli, doublebasse, Michele Rabbia, drums
1CD Jando MusicVVJ110
2CDs Milanmusic : 399873-2. Existe aussi en LP
Milan propose une compilation des meilleures moments des musiques de Max Richter, des extraits
de « Waltz With Bachir », excellente, « Saraks’key », émouvante, « Wadja », un peu plus faible,
« The Congress », quelconque, à part ''Out Of The Dark'' qui donne le titre à l’album, « Disconnet »
et « Testament of Youth ». Max Richeter tente, ne réussit pas toujours dans ses compositions dites
classique. On peut détester ces expériences musicales ou passer à côté. Ce compositeur éclectique
est à la mode, on l’écoute. Pour lui, la musique de film est « un liquide amniotique et que le film vit
en lui…si on l’enlevait on passerait à côté de l’essentiel » ! Dommage qu’il y aient encore des
réticences à reconnaître que les compositeurs sont de vrais auteurs, au même titre que les
scénaristes ! Message à envoyer à Monsieur Thierry Frémaux.
https://www.youtube.com/watch?v=2HiR9bBtCd8&index=3&list=PL29-ToD_Bu4-1_itNJf2TktAB5zOxe7Ku
Fatty Boucher, Fatty à la clinique, Fatty amoureux
Musique d’Arielle Besson
1DVD Lobster.
Sur ce DVD sont offerts trois courts-métrages tournés par Roscoe Fatty Arbuckle en 1917. Ce sont
des films cultes de ce phénomène acteur-réalisateur qui a été le plus grand comique de l’histoire du
cinéma et débuta chez Mack Sennett. Le lancement de la fameuse tarte à la crème, c’est sa
création ! C’est lui qui encouragea les débuts de Chaplin, qui fit découvrir Buster Keaton, qui
trouva sur son plateau son fameux costume caractéristique de son personnage. Fatty fut le premier
comédien à gagner plus d’un million de dollars par an ! La vie de luxe qu’il mena lui faisait oublier
qu’il était gros et qu’il avait eu une enfance désastreuse détruite par un père alcoolique. Malgré sa
corpulence, Roscoe Fatty Arbuckle avait une grâce naturelle et faisait des cascades et des chutes
avec une agilité stupéfiante ! D’acteur il passa de l’autre côté de la caméra et rivalisa en popularité
avec Charlot, son ami Charlie Chaplin. Comme ceux de ce dernier, ses films « comiques » étaient
empreints de critique sociale subversive. Accusé de viol et de meurtre, lavé de tout soupçon par la
justice, les rumeurs infondées et les attaques des ligues de bienséance, firent que le public se
détacha de ses films et sa carrière fut détruite. Arielle Besson, trompettiste, compositrice, arrangeur
et chef d’orchestre a réalisé la musique qui accompagne ces films. Elle a déjà composé des
musiques pour des courts-métrages de Chaplin et envisage de le faire pour le « Loulou » de Pabst.
Sur chaque film elle a écrit des musiques de couleurs différentes. Elle se fait accompagner par un
percussionniste, un accordéoniste et un DJ, mêlant ainsi des instruments anciens avec des rythmes
modernes. « Pour ces slapsticks le rythme est vital », dit-elle, et il n’y a pas besoin de développer
une longue dramaturgie. Loin de manger l’image, sa musique ajoute une légèreté et un humour
indéniables sur ces gags magnifiques et inoubliables. Ces trois films démontrent le talent que
possédait cet immense artiste pratiquement oublié, et que tout amoureux du cinéma doit avoir dans
sa cinémathèque.
Ophélie Gaillard, violoncelle, Orchestre Philharmonique de Monte Carlo, dir. James
Judd.
1CD Aparté : AP142
Que vient faire dans cette chronique un disque de cette magnifique violoncelliste « classique »
qu’est Ophélie Gaillard ? C'est que sur son CD elle interprète une oeuvre jamais jouée et
pratiquement inconnue en disque ! Il s'agit du Concerto en un mouvement pour Violoncelle et
Orchestre en Ré, op.37 de Erich Wolfgang Korngold. Ce compositeur est un des grands de l’âge
d’or Hollywoodien avec Dimitri Tiomkin, Max Steiner, Franz Waxman, Alfred Newman,… Et ce
concerto est la seule oeuvre qui soit au centre d’un film ! Son titre : « Deception » (« Jalousie », 1946) d’Irvin Rapper. Christine Radcliffe (Bette Davis), pianiste, tombe par hasard à New York sur
Karel Novak (Paul Henreid), un violoncelliste avec qui elle avait eu une histoire d'amour pendant la
guerre. Le croyant mort, elle est entre-temps devenue la maîtresse du grand musicien, Alexander
Hollenius (Claude Rains), son mentor. Elle tente d'échapper à son emprise pour pouvoir épouser
Karel. Korngold, pour ce film, a écrit ce fameux concerto. On voit ainsi la naissance d’une oeuvre.
Cette composition (remaniée pour le concert, par rapport au film) vient d’être enfin enregistrée et de
quelle manière ! On y retrouve toute la musique de ce grand compositeur comme dans son autre
concerto plus connu pour violon. « The Sea Hawk », « The Adventures of Robin Hood », ces
musiques célèbres, ne sont pas loin. Tout cinéphile devrait acheter ce disque !
Stéphane Loison
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« Connaissez-vous beaucoup d'inventeurs d'instruments de musique ? Ceux dont l'histoire a retenu les noms se comptent sur les doigts d'une main. Jean- Christophe Denner a inventé la clarinette, Adolphe Sax le saxophone. Et puis ? On connaît des facteurs d'instruments, Stradivarius, par exemple. Mais il n'a pas inventé le violon. Alors qui ? Qui le piano ? Qui a inventé le tambour, la flûte, la harpe ? Autant demander qui étaient Adam et Ève ! »
En octobre 1980 mourait accidentellement, à Paris, Maurice Martenot, musicien, pédagogue, inventeur des ondes musicales. Trois mois plus tôt, l’auteur était allé l’interviewer à sa maison de campagne de Noirmoutier.
Ce livre relate l’histoire des ondes Martenot, instrument électronique de musique exceptionnel qui a séduit des personnalités aussi diverses que Mau- rice Ravel, Rabindranath Tagore ou Jacques Brel, et des compositeurs connus, tels Olivier Messiaen, Darius Milhaud, André Jolivet, Arthur Honegger, Edgar Varèse, Maurice Jarre, Akira Tamba – auxquels se sont ajoutés, depuis la première édition de ce livre, parmi bien d’autres, Jacques Hétu, Jonny Greenwood, ou encore Akira Nishimura. (suite)
Toujours hypothétiques, les correspondances, analogies et interactions entre la peinture et la musique reposent sur un socle malaisé à définir. Rien de plus révélateur en ce sens que l’étude des problèmes posés aux peintres par la représentation d’une scène musicale, gageure supposant, en amont de l’œuvre, l’éventuelle fusion du visuel et du sonore. L’inscription de l’œuvre visuelle dans une durée étant intimement liée à l’identification de son contexte sonore, les variations de ce contexte en altèrent de facto la captation par le regard, l’effigie créant un climat musical qui, à son tour, la modèle. L’irruption de la musique au cœur de l’image forme ainsi le plus imprévisible des modèles sensibles, la force émotive de la vision dépendant avant tout des capacités synesthésiques du spectateur. Peindre la musique, c’est donc solliciter l’activité informatrice de l’esprit, en matière de style, d’histoire, d’esthétique, de sociologie, d’organologie... mais aussi chercher à provoquer le jeu des émotions par le choix d’un vocabulaire visuel favorisant cette fusion des deux expressions majeures du monde sensible.
Universitaire et écrivain, Gérard Denizeau a publié divers essais sur la transdisciplinarité artistique (Musique & arts visuels, Le visuel et le sonore, Le dialogue des arts, La Musique au temps des arts). Auteur de biographies musicales (Rossini, Wagner, Saint- Saëns) et artistiques (Lurçat, Corot, Monet, Van Gogh, Chagall), il s’est également attaché à une redéfinition du genre musical (Com- prendre et identifier les genres musicaux) et des articulations de l’histoire de l’art (Les grands courants artistiques). Collaborateur de l’Encyclopaedia Universalis, enseignant au département de musicologie de la Sorbonne et au Conservatoire à Rayonnement Régional de Paris, il a également produit plusieurs émissions pour France-Culture (Profils perdus, Une vie une œuvre...). Chez Beauchesne, on lui doit, en collaboration avec Daniel Blackstone un volume récent, Analyses musicales XVIIIe siècle.
Disparu en mars 2014 à l’âge de 86 ans, Serge Gut compte au nombre des figures majeures de la musicologie française des dernières décennies. Spécialiste de Franz Liszt, auquel il consacra deux grands ouvrages et de nombreux articles, il fut également un analyste réputé. Après une première formation de compositeur, il avait commencé sa carrière musicologique, dans les années 1960-1970, par des publications traitant surtout de questions de langage musical – un domaine qui, bien que parfois négligé par les milieux universitaires, constitue le pont naturel entre composition et théorie. Au terme de cinquante années d’une activité brillante, qui le vit notamment présider aux destinées de l’Institut de musicologie de la Sorbonne, Serge Gut devait revenir dans ses dernières années à cette passion de jeunesse. Son expérience unique, aussi bien dans les domaines de la recherche que de l’enseignement supérieur ou de la publication scientifique, lui inspira le présent ouvrage, qu’il qualifiait lui-même de testament. Théorie et histoire y tiennent un passionnant dialogue.
Resté inédit au moment de la disparition de Serge Gut, le manuscrit des Principes fondamentaux de la musique occidentale a été préparé pour la publication par Vincent Arlettaz, disciple de Serge Gut, rédacteur en chef de la Revue Musicale de Suisse Romande et professeur dans le cadre des Hautes Écoles de Musique suisses.
25.00 €.
« ConnaHarmonisés à quatre voix pour orgue et chœur par Yves Kéler et Danielle Guerrier Kœgler
Textes originaux rassemblés, mis en français et commentés par Yves Kéler
Ouverture, par le pasteur David Brown et Guylène Dubois
Préface du pasteur Alain Joly
Avant-propos d’Édith Weber
Ce recueil regroupe, pour la première fois, les 43 paraphrases françaises de chorals de Martin Luther, strophiques, versifiées, rimées, très fidèles aux intentions du Réformateur (ce qui n’est pas le cas des quelques rares textes figurant dans d’autres recueils français), et chantables sur les mélodies traditionnelles bien connues.
Il se veut un volume fonctionnel pour le chant des fidèles, avec des harmonisations à 4 voix destinées aux organistes pour accompagner l’assemblée lors des cultes et des messes. Il s’adresse également aux prédicateurs soucieux de trouver un choral pour illustrer les thèmes abordés chaque dimanche, aux organistes pour accompagner l’assistance et aux chefs de chœur pour diriger le chœur paroissial. Pour quelques harmonisations écrites en fonction des possibilités de l’orgue et, dans quelques rares cas, difficilement chantables (tessiture trop élevée ou trop grave, intercalation du texte à plusieurs des parties), (suite)
24.00 €.
Cet ouvrage paraît à l’occasion de la création à Lausanne, lors de la semaine sainte 2017, de La Passion selon Marc. Une passion après Auschwitz du compositeur Michaël Levinas. Cette création prend place dans le cadre du 500e anniversaire de la Réforme protestante. Elle entreprend de relire le récit chrétien de la passion de Jésus dans une perspective déterminée par la Shoah.
Ce projet s’inscrit dans une histoire complexe, celle de l’antijudaïsme chrétien, dont la Réforme ne fut pas indemne, mais aussi celle des interprétations, théologiques et musicales, de la passion de Jésus de Nazareth. Et il soulève des questions lourdes, mais incontournables. Peut-on mettre en rapport la crucifixion de Jésus – la passion chrétienne – et l’assassinat de six millions de juifs ? Ne risque-ton pas d’intégrer Auschwitz dans une perspective chrétienne, et du coup de priver la Shoah de sa radicale singularité ? De redoubler la violence faite aux victimes d’Auschwitz en lui donnant un sens qui en dépasserait le désastre, l’injustifiable, l’irrémédiable ? (suite)
Michaël Levinas : La Passion selon Marc. Une Passion après Auschwitz par Michèle Tosi
Ce livre, que le compositeur souhaitait publier dans sa maison d’édition à Kürten, se propose de présenter les orientations principales de la recherche de Karlheinz Stockhausen (1928-2007) à travers ses œuvres, couvrant sa vie et ouvrant un accès direct à ses écrits. Divers domaines investis par le plus grand inventeur de musique de la seconde moitié du xxe siècle sont abordés : composition de soi à travers les matériaux nouveaux ; découvertes formelles et structures du temps ; musique spatiale ; métaphore lumineuse ; musique scénique ; l’hommage au féminin de l’opéra Montag aus Licht ; Wagner, Stockhausen et le Gesamtkunstwerk, œuvre d’art total. Les témoignages des femmes qui l’ont accompagné dressent un portrait vif et saisissant de l’homme, artiste génial qui aimait plus que tout la musique et la recherche compositionnelle au nom du progrès de l’être humain...(suite)
Mozart aurait-il été heureux de disposer d'un Steinway de 2010 ? L'aurait-il préféré à ses pianofortes ? Et Chopin, entre un piano ro- mantique et un piano moderne, qu'aurait-il choisi ? Entre la puissance du piano d'aujourd'hui et les nuances perdues des pianos d'hier, où irait le cœur des uns et des autres ? Personne ne le saura jamais. Mais une chose est sûre : ni Mozart, ni les autres compositeurs du passé n'auraient composé leurs œuvres de la même façon si leur instrument avait été différent, s'il avait été celui d'aujourd'hui. Mais en quoi était-il si différent ? En quoi influence-t-il l'écriture du compositeur ? Le piano moderne standardisé, comporte-t-il les qualités de tous les pianos anciens ? Est-ce un bien ? Est-ce un mal ? Qui a raison, des tenants des uns et des tenants des autres ? Et est-ce que ces questions ont un sens ? Un voyage à travers les âges du piano, à travers ses qualités gagnées et perdues, à travers ses métamorphoses, voilà à quoi convie ce livre polémique conçu par un des fervents amoureux de cet instrument magique.
Au travers du récit que James Lyon nous fait de l’existence de Dickens, il apparaît bien vite que l’écrivain se doublait d’un précieux défenseur des arts et de la musique. Rares sont pourtant ses écrits musicographiques ; c’est au travers des références musicales qui entrent dans ses livres que l’on constate la grande culture musicale de l’écrivain. Il se profilera d’ailleurs de plus en plus comme le défenseur d’une musique authentiquement anglaise, forte de cette tradition évoquée plus haut. Et s’il ne fallait qu’un seul témoignage enthousiaste pour décrire la grandeur musicale de l’Angleterre, il suffit de lire le témoignage de Berlioz (suite)
En plein essor à l'étranger, particulièrement en Allemagne, l'hymnologie n'a pourtant pas encore acquis ses titres de noblesse en France. Dans l'esprit de la collection « Guides musicologiques », cet ouvrage se veut une initiation méthodologique. Il comprend une approche de l'hymnologie se rattachant à la musicologie historique et à la théologie pratique, et résume l'historique de la discipline. Pratique et documentaire, il offre aussi de précieuses indications : un large panorama des institutions et centres de recherche, un glossaire conséquent ou les mots clés. et les entrées sont accompagnés de leur traduction en plusieurs langues, et une bibliographie très complète (431 titres) tenant compte du tout dernier état de la question. Outil de travail indispensable, ce livre s'adresse aussi bien aux musicologues, aux théologiens, traducteurs et chercheurs, qu'aux organistes, maîtres de chapelle, chanteurs, et bien entendu, aux hymnologues.
Ce guide s’adresse aux musicologues, hymnologues, organistes, chefs de chœur, discophiles, mélomanes ainsi qu’aux théologiens et aux prédicateurs, soucieux de retourner aux sources des textes poétiques et des mélodies de chorals, si largement exploités par Jean-Sébastien Bach, afin de les situer dans leurs divers contextes historique, psychologique, religieux, sociologique et surtout théologique. Il prend la suite de La Recherche hymnologique (Guides Musicologiques N°5), approche méthodologique de l’hymnologie se rattachant à la musicologie historique et à la théologie pratique dans une perspective pluridisciplinaire. Nul n’était mieux qualifié que James Lyon : sa vaste expérience lui a permis de réaliser cet ambitieux projet. Selon l’auteur : « Ce livre est un USUEL. Il n’a pas été conçu pour être lu d’un bout à l’autre, de façon systématique, mais pour être utilisé au gré des écoutes, des exécutions, des travaux exégétiques ou des cours d’histoire de la musique et d’hymnologie. » (suite)
Cet ouvrage regroupe pour la première fois les 43 chorals de Martin Luther accompagnés de leurs paraphrases françaises strophiques, vérifiées. Ces textes, enfin en accord avec les intentions de Luther, sont chantables sur les mélodies traditionnelles bien connues. Aux hymnologues, musicologues, musiciens d'Eglise, chefs, chanteurs et organistes, ainsi qu'aux historiens de la musique, des mentalités, des sensibilités et des idées religieuses, il offrira, pour chaque choral ou cantique de Martin Luther, de solides commentaires et des renseignements précis sur les sources des textes et des mélodies : origine, poète, mélodiste, datation, ainsi que les emprunts, réemplois et créations au XVIè siècle... (suite)
L’imbroglio baroque de Gérard Denizeau
BACH
Cantate BWV 104 Actus tragicus : Gérard Denizeau - Toccata ré mineur : Jean Maillard -
Cantate BWV 4: Isabelle Rouard -
Passacaille et fugue : Jean-Jacques Prévost -
Passion saint Matthieu : Janine Delahaye -
Phœbus et Pan : Marianne Massin -
Concerto 4 clavecins : Jean-Marie Thil -
La Grand Messe : Philippe A. Autexier -
Les Magnificat : Jean Sichler -
Variations Goldberg : Laetitia Trouvé -
Plan Offrande Musicale : Jacques Chailley
COUPERIN
Les barricades mystérieuses : Gérard Denizeau -
Apothéose Corelli : Francine Maillard -
Apothéose de Lully : Francine Maillard
HAENDEL
Dixit Dominus : Sabine Bérard -
Water Music : Pierrette Mari -
Israël en Egypte : Alice Gabeaud -
Ode à Sainte Cécile : Jacques Michon -
L’alleluia du Messie : René Kopff -
Musique feu d’artifice : Jean-Marie Thill -
Publié l'année même de son ouverture, cet ouvrage raconte avec beaucoup de précisions la conception et la construction du célèbre bâtiment. Le texte est remis en pages et les gravures mises en valeur grâce aux nouvelles technologies d'impression.
Pour la première fois, le Tchèque Leoš Janácek (1854-1928), le Finlandais Jean Sibelius (1865-1957) et l'Anglais Ralph Vaughan Williams (1872-1958) sont mis en perspective dans le même ouvrage. En effet, ces trois compositeurs - chacun avec sa personnalité bien affirmée - ont tissé des liens avec les sources orales du chant entonné par le peuple. L'étude commune et conjointe de leurs itinéraires s'est avérée stimulante tant les répertoires mélodiques de leurs mondes sonores est d'une richesse émouvante. Les trois hommes ont vécu pratiquement à la même époque. Ils ont été confrontés aux tragédies de leur temps et y ont répondu en s'engageant personnellement dans la recherche de trésors dont ils pressentaient la proche disparition. (suite).
L’histoire de David et Jonathan est devenue aujourd’hui un véritable mythe revendiqué par bien des mouvements homosexuels qui croient y lire le récit d’une passion amoureuse entre deux hommes, alors même que la Bible condamne de manière explicite l’homosexualité comme une faute grave. Cette lecture s’est tellement imposée depuis quelques décennies que les ouvrages qui traitent de la question de l’homosexualité dans la Bible ne peuvent contourner le passage et l’analysent dans les moindres détails afin de découvrir si le texte parle ou non d’une amitié particulière entre le fils de Saül et le futur roi d’Israël, ancêtre de Jésus. Le texte est devenu le lieu de toutes les passions et révèle les interrogations profondes de la société sur la question homosexuelle. (suite)
Baccalauréat 2017. Épreuve de musique
LIVRET DU CANDIDAT
19 €
Version numérique distribuée par Numilog
INITIATION À L’HARMONIE ET À L’INTERPRÉTATION À PARTIR DES POLONAISES DE CHOPIN.
VOLUME 1 Les Polonaises de jeunesse en sol mineur et sib majeur.
22.00 €
INITIATION À L’HARMONIE ET À L’INTERPRÉTATION À PARTIR DES POLONAISES DE CHOPIN.
VOLUME 2 Les Polonaises de jeunesse en lab majeur et sol# mineur
22.00 €
COLLECTION VOIR ET ENTENDRE
Jean-Marc Déhan et Jacques Grindel ont réalisé, dans les années 1980, collection « voir & entendre », qui s'adressait autant aux collèges et lycées qu'aux conservatoires et écoles de musique. Il nous est apparu que cet outil remarquable pouvait, avec quelques compléments, redevenir un outil pédagogique de tout premier plan. Le parti pris a été de réimprimer à l'identique les fascicules, enrichis d'un court dossier pédagogique. Pour chaque titre, des pistes d'utilisation s'ajoutent à celles déjà mises en lumière dans les partitions elles-mêmes.
Il est possible d'utiliser ces partitions :
- pour la lecture de notes
- pour la lecture de rythmes
- pour la dictée musicale ;
- pour le chant, en faisant chanter et mémoriser les principaux thèmes
- pour la formation de la pensée musicale : les thèmes mémorisés, transposés à l'oreille, donneront lieu, le cas échéant, à des autodictées ;
- pour l'analyse musicale et l'harmonie, avec les analyses fines de J.-M. Déhan et J. Grindel reportées sur la partition
- pour l'histoire de la musique grâce aux textes de présentation ;
- enfin, pour l'écoute raisonnée des œuvres en suivant simplement la partition, quitte à faire porter l'audition sur des éléments précédemment indiqués par le professeur qui pourra adapter ces exercices au niveau de ses élèves.
Mais ces partitions sont également destinées aux amateurs éclairés pour qui la lecture des clés d'ut dans les partitions d'orchestre habituelles, ainsi que le casse-tête des instruments transpositeurs sont souvent des obstacles insurmontables.
Souhaitons que cette réédition permette une meilleure connaissance par tous, jeunes et moins jeunes, futurs professionnels ou amateurs éclairés, de quelques œuvres fondamentales du répertoire.
W.A. Mozart. Symphonie n° 40 (K550)1. Allegro Molto – 3. Menuetto
9 €
A. Borodine. Dans les steppes de l’Asie centrale
9 €
H. Berlioz. Symphonie fantastique 5e mouvement
12 €
J.-S. Bach. Cantate BWV 140« Wachetauf, ruft uns die Stimme »
10,50 €