Lettre d’Information – n°70 – Mai 2013



 

 

 

 

                               


À RESERVER SUR L'AGENDA

 

 

                     

9, 10, 11 et 12 /05

 

Quatuors à l'Ouest...

 


Ó DR

 

Vent de cordes toute en Bretagne, sur la presqu'île de Crozon, lieu chargé d'histoire, où peintres, poètes et musiciens ne cessent de se ressourcer et de puiser leur inspiration au contact d'une nature puissante. Pour sa troisième édition, le festival Quatuors à l'Ouest  présente sept concerts dans les sites prestigieux de l'abbaye Saint-Guénolé de Landévennec, la chapelle Notre-Dame de Rocamadour de Camaret, ou les églises Notre-Dame de Landévennec, Sainte-Anne de Lanvéoc, ou encore d'Argol. De jeunes formations talentueuses s'y produiront, tels les Quatuors Voce, Hermès, Opus 29, ou les « nouveaux », les Ruggieri ou les Equinox. Un volet pédagogique est mis en avant, par exemple, pour les élèves de 4 ème du collège Alain, à Crozon, sur l'illustration sonore, ou ceux du 3 ème cycle du primaire, autour de la découverte du quatuor à cordes.

 

Les 9 mai (Quatuor Ruggieri, à 16 H, Eglise d'Argol, et Quatuor Voce et Maxime Hochart, piano, à 20H45, cinéma Rex de Crozon : illustration du film « Safety last »  de Harold Llyod ), 10 mai (Quatuor Opus 29, à 16H, Eglise de Lanvéoc, et Quatuor Hermes, à 20 H, ND de Rocamadour de Camaret), 11 mai ( Quatuor Equinox, à 16H, Collège Jeanne d'Arc, et Quatuor Ricontro, à 20H45, église de Landévennec), 12 mai (concert des stagiaires, à 11H, salle du CCAS de Morgat, et concert de clôture, de l'Ensemble de la Belle Feuille, à 15 H, église de Landévennec)

. 

Programme et location : association Quatuors à l'ouest, 11 rue Max Jacob, 29160 Crozon; tel : 02 98 26 19 48 ; www.quatuoralouest.org

 

Jean-Pierre Robert.

 

12, 13 & 14 / 05

 

La guerre des boutons... au Théâtre de Vesoul

 



 


Dans le cadre de la 4ème édition du Mois des voix d'enfants, l'ensemble lyrique Justiniana, dirigé par sa créatrice Charlotte Nessi, aborde un nouveau projet autour des enfants. Après Siegfried et l’anneau maudit, récemment donné avec succès à l’Opéra Bastille, Charlotte Nessi monte pour la première fois depuis sa création en 1996, La guerre des boutons, adaptation de la plus célèbre querelle d’enfants immortalisée au cinéma par Yves Robert. Les 50 enfants interprètes de ce spectacle sont issus des Ateliers Voix d’enfants dirigés par Scott Alan Prouty, également directeur du choeur Sotto Voce.


Du 12 au 14 mai 2013, Théâtre Edwige Feuillère Place Pierre Renet 70000 Vesoul; Location par tel au 0384754066 ; http://www.theatre-edwige-feuillere.fr/



Laetitia Girard.

 

14, 15 & 24 / 05

 

Gaveau Intime...Suite...

 

Poursuivant sa riche saison, la Salle Gaveau et ses heures intimes convient pour mai à trois moments privilégiés. La grande Anne Sofie von Otter nous fera vivre un «  Songe baroque » mêlant des pages de Monteverdi, Cavalli, mais aussi de Provenzale ou de Rossi. Autrement dit, dans les pas de son récent disque, paru chez Naïve (cf NL de 10/2012). Un florilège de morceaux passionnants. A noter, l'accompagnement de Leonardo Garcia Alarcón et de sa Cappella Mediterranea.

 

 

Le pianiste italien Francesco Piemontesi ne s'est sans doute pas encore fait un nom ici. Et pourtant, son maître Alfred Brendel le tient en la plus haute estime. C'est qu'on tient là une nature sensible qui sait donner au piano tout son lustre, et de mirifiques couleurs, que ce soit dans Mozart (Sonate  K 533), Debussy (extraits des Préludes) ou la grande Sonate D 958 de Schubert. En attendant son premier disque chez Naïve!

 


© Marco Borggreve

 

On ne présente plus Ian Bostridge, le prince des ténors anglais, le seul à pouvoir se mesurer à un Peter Pears. Ses interprétations des personnages de Britten l'ont démontré. Ce fin musicien, extrêmement exigeant pour le texte, se livre aussi à l'exercice délicat du concert, qui exige la quintessence. Il n'en est pas avare : cette fois, ce sera celle de Schubert et de son poignant Voyage d'hiver, en compagnie d'un maître de l'accompagnement, Julius Drake.

 

 

Salle Gaveau, respectivement, les 14, 15 et 24 mai 2013, à 20 H 30.

 

Location : 45, rue de la Boétie 75008 Paris ;  par tél : 01 49 53 05 07 ; www.GaveauIntime.com

                                                                                       

Jean-Pierre Robert.

 

14, 15, 22 & 24 / 05

 

L'Olimpiade de Josef Mysliveček à Caen et à Dijon

 


© DR

 

Un des grands noms de la musique tchèque, Josef Mysliveček (1737-1781), « Il bueno boemo », disait-on, fut un musicien prolixe : une trentaine d'opéras, quelque 80 symphonies, 10 oratorios, etc.. Il rencontrera Mozart en 1770, à Bologne, et en deviendra l'ami. Son influence sur l'auteur de Don Giovanni est certaine. L'opera seria L'Olimpiade (1778) est une de ses œuvres lyriques les plus emblématiques d'un style tardif accompli. Le sujet d'amours contrariés sur fond de jeux olympiques, emprunté à l'immanquable Metastasio, plus d'un autre compositeur baroque s'en emparera, de Vivaldi à Pergolèse, et même plus tard Donizetti. C'est dire combien sa présentation au Théâtre à Caen, puis à l'Opéra de Dijon, relève de l'événement, fruit d'une tournée de l'Opéra de Prague. Il sera dirigé par Václav Luks, conduisant l'ensemble Collegium 1704, qui, en Bohème, occupe une place enviable, équivalente à celle de nos Arts Florissants. La mise en scène sera assurée par Ursel Hermann dont on connait le regard perspicace. Elle dit avoir voulu mettre en exergue les relations profondes sous-tendant l'évolution des personnages qui ne font apparemment que se confronter de manière directe.

 

Théâtre de Caen, les 14 et 15 mai 2013, à 20H

Opéra de Dijon, les 22 et 24 mai, à 20H.

Location : 125, bd du Général Leclerc, 14000 Caen ; par tel : 02 31 30 48 00 ; theatre@caen.fr

Grand Théâtre, place du Théâtre, 21000 Dijon ; par tel : 03 80 48 82 82 ; www.ticketnet.fr

 

Jean-Pierre Robert.

 

25 & 26 / 05

 

Pianoforte à la Maison de Balzac


© DR

Pour accompagner la fin de l'exposition Balzac vu d’ailleurs, la Maison de Balzac propose deux moments musicaux consacrés à des compositeurs contemporains de l'auteur de la Comédie humaine. Leurs œuvres seront interprétées sur un pianino Pleyel, ou pianoforte des années 1840, un instrument sur lequel Chopin en personne aurait pu jouer devant Balzac, dans un salon à l'atmosphère feutrée : une ambiance qui se prête au dévoilement de la subtile variété des nuances de cet instrument. Auteur du livre Les avatars du piano (Editions Beauchesnes), le pianiste et musicologue Ziad Kreidy (* 1974) s'est donné pour croisade la défense de la diversité des pianos anciens. Lauréat de prix prestigieux à maintes reprises, Ziad Kreidy se produit en France mais aussi sur la scène internationale : il a ainsi donné des concerts au Danemark, en Norvège, aux États-Unis, au Mexique et au Liban. Au Programme : les Bagatelles opus 126 de Beethoven, les Romances sans parole opus 19 de Mendelssohn, et les Vingt-quatre Préludes op. 28 de Chopin.

Les 25 et 26 Mai 2013, à 15h30, à la Maison de Balzac, 47 rue Raynouard, 75016 Paris.

Entrée libre sur réservation au 01 55 74 41 80

Ziad Kreidy.

 

25, 27, 29, 31 / 05 & 2, 3 / 06

 

Mârouf enfin de retour à l'Opéra Comique

 

 

Henri Rabaud (1873-1949) est sans doute resté dans l'ombre des géants que furent Debussy et Ravel. Son œuvre emblématique, en tout cas la moins ignorée, reste Mârouf, Savetier du Caire, opéra-comique, créé en 1914, à la Salle Favart, et repris dès 1928 à l'Opéra. C'est dire son immense succès, inespéré pour celui que la scène fascinait. Selon son ami, le compositeur Max d'Ollone, l'œuvre « réalise à merveille un équilibre difficile à obtenir avec des éléments hétérogènes : pittoresque oriental, goût français, sentiment de l'effet théâtral, habileté scénique incontestable...du rêve et de la bouffonnerie ». L'habile livret de Lucien Népoty, emprunté aux Contes des Mille et Une Nuits, nous transporte dans quelque fabuleux Orient où féérie et picaresque font bon ménage, un modeste savetier se faisant riche marchand, au point d'épouser la file du Sultan, mais aussi détrousseur des biens de l'État... Le musicien écrit une musique d'une grande distinction, même lorsque le discours se fait imagé, et le langage moderne se met au service de la forme classique. Cette nouvelle production, sur les lieux mêmes de la création, est un événement majeur ; de quoi tirer la pièce de quelque oubli coupable. Pour y remédier, on a fait appel à Alain Altinoglu, un chef qui sait parfaire de distinction tout ce qu'il touche, et à une distribution de calibre. Le maître de maison, Jérôme Deschamps, sera à la manœuvre pour mettre en scène, et nul doute que son appétence pour le cocasse trouvera là matière à nous tirer bien des sourires.

 

Opéra Comique, les 25, 27, 29, 31 mai 2013, 3 juin à 20 H & 2 juin, à 15H.

Location, 1, Place Boieldieu, 75002 Paris; par tel :  0825 01 01 23 ;  www.opera-comique.com   

 

Jean-Pierre Robert.

 

22, 23, 24, 25, 29, 30, 31 / 05 & 1er, 2 / 06

 

Un vent d'Est souffle sur le festival de l'Epau

 


© DR

 

Des compositeurs russes du XX siècle aux américains d'aujourd'hui, la 31 ème édition du Festival de l'Epau offre un panorama des musiques de l'Est et de l'Ouest, et de leurs influences mutuelles. Fidèle à sa tradition d'accueil des jeunes talents, le festival met à l'honneur la nouvelle génération des solistes et des quatuors français  et européens, tels les Quatuors Diotima et Voce, les pianistes David Kadouch, Lidja et Sanja Bizjak, l'altiste Adrien La Marca, le violoncelliste Edgard Moreau. Aux côtés de leurs aînés, les cellistes Henri Demarquette et Emmanuelle Bertrand, ou les pianistes Andrei Koroheinilov et Frank Braley, ou encore le Sinfoia Varsovia. L'abbaye de l'Epau, près du Mans, est l'emblème artistique et musical du patrimoine sarthois, et le dortoir de celle-ci, une référence acoustique pour les plus grands chambristes. A noter encore que 16 concerts sont dédiés aux « petites oreilles », qui disposent ainsi de leur propre festival de musique classique ! Sans compter sur l'esprit champêtre et convivial des lieux.  

 

Du 22 mai au 2 juin 2013, Abbaye de l'Epau, dortoir de moines, Yvré L'Evêque, ou Hôtel du département, Le Mans.

Programme et location : Centre culturel de la Sarthe, 9 place Luigi Chinetti 72100 Le Mans ; tel.: 02 43 27 43 44 ; www.festivaldelepau.com

 

Jean-Pierre Robert.

 

28,  30 / 05 & 1er / 06

 

La Voix et la quatuor : Schubert et l'esprit viennois

 

 

Les Rencontres Musicales ProQuartet à la Salle Gaveau conduiront les amateurs éclairés au cœur de la thématique « la Voix et le Quatuor », qui a irrigué depuis l’automne 2012 plusieurs manifestations parisiennes du 25e anniversaire de cette association. Hommage à Schubert, qui « fit chanter la poésie et parler la musique » (Franz Grillparzer), elles réuniront des musiciens dont la sensibilité s'abreuve de la fréquentation intime de ce répertoire caractéristique de l’esprit viennois. Les voix d’Angelika Kirchschlager et d’Elisabeth Kulman setont accompagnées par des partenaires d’exception : le violoncelliste du Quatuor Alban Berg, Valentin Erben, et les pianistes Philippe Cassard et Christoph Eschenbach, ici accompagnateur et chambriste. Ces Schubertiades sont conçues autour de Lieder qui précèdent et introduisent les chefs-d'œuvre de la musique de chambre de l’auteur du Voyage d’hiver. Certaines mélodies sont interprétées dans leur version originale, tandis que, pour d’autres, l’accompagnement au piano est transcrit pour le Quatuor à cordes. Les concerts de clôture du samedi 1er juin parachèveront cette manifestation illustrant la progression de la pensée musicale de Schubert, telle qu’elle se déploie dans les derniers pièces pour cordes, du Quatuor Rosamunde au Quintette en ut à deux violoncelles, en passant par le Quatuor « La jeune Fille et la mort ».

 

Salle Gaveau, les 28 et 30 mai, à 20H30, et 1er juin, à 15H, 17H et 20H30.

Location : Salle Gaveau, 48, rue de la Boétie, 75008  ; par tel : 01 49 53 05 07 ; www.sallegaveau.com

 

Jean-Pierre Robert.

 

   

***

 

L’ARTICLE DU MOIS

 

Haut

Un chef d'œuvre à connaître : Mârouf de Henri Rabaud

 

               « Le succès de Mârouf sera durable. Il le sera grâce à sa qualité essentielle musicale, à l'abondance, à la variété, à la solidité du style, aux charmes de la couleur » (Gabriel Fauré )  

 

Au début du XXe siècle, les empires coloniaux atteignent leur expansion maximale et sont célébrés dans les expositions universelles et coloniales. Au cours du siècle écoulé, la vogue orientaliste n’a cessé de se propager pour gagner tous les arts. C’est alors que paraît, entre 1899 et 1904, une nouvelle version des Mille et Une Nuits, dans La Revue blanche puis chez Fasquelle. La traduction de l’arabe par Joseph-Charles Mardrus (1868-1949) enthousiasme le public lettré. Poétique, drôle, coloré, le récit, présenté comme enfin intégral, est aussi plus érotique que l’ancienne version d’Antoine Galland, qui remontait au début du Siècle des Lumières. Marcel Proust, André Gide et bien d’autres vont louer cette traduction que Mardrus a dédiée à Stéphane Mallarmé, tout récemment disparu.

Medium populaire d’une image de l’Orient, les Mille et Une Nuits ont inspiré la peinture, l’édition illustrée et le théâtre. Celui-ci est féerique ou lyrique, depuis les spectacles forains qui constituent le premier répertoire de l’Opéra Comique jusqu’aux opérettes de la Belle Époque,  Ali-Baba de Charles Lecocq en tête, en passant par des ouvrages signés Grétry, Cherubini ou Boieldieu. Si le visuel a longtemps primé, le musical a trouvé une première stimulation dans les musiques turques puis une féconde source d’inspiration dans la découverte des musiques du vaste Orient par les voyageurs romantiques.

En 1910, Paris découvre Shéhérazade : la symphonie-ballet de Rimski-Korsakov, produite par les Ballets Russes, est dansée par Vaslav Nijinski dans des décors et des costumes de Léon Bakst : les Mille et Une Nuits sont désormais apparentées à l’art moderne.


© DR

Un an plus tôt, Henri Rabaud (1873-1949), qui a donné en 1904 une tragédie à l’Opéra Comique, songe à aborder le registre comique. Son ami Lucien Népoty (1878-1945) lui propose les Mille et Une Nuits et lui fait lire L’Histoire du Gâteau échevelé au miel d’abeilles, absente de la version Galand et qui constitue l’une des découvertes de la version Mardrus. Auteur dramatique expérimenté, complice de Firmin Gémier au Théâtre-Antoine, Lucien Népoty a créé son drame Le Premier Glaive aux Arènes de Béziers avec une musique de scène de Rabaud. Depuis, ils écrivent en étroite collaboration, livret et partition prenant forme en parallèle : « Vous êtes, lui écrit Rabaud, plus musicien que tous les compositeurs que je connais car tout ce que vous m'écrivez, c'est de la musique ». À Mârouf succèderont après-guerre un nouvel opéra et trois autres musiques de scène.

Après une décennie d’œuvres plutôt graves et dramatiques, alors que la menace d’un conflit avec l’Allemagne se précise, la gaîté apparaît plus que jamais nécessaire à Albert Carré, qui va bientôt laisser la direction de l’Opéra Comique à Pierre-Barthélémy Gheusi et aux frères Isola. Ces personnalités au goût sûr souhaitent favoriser les succès publics en allouant des moyens suffisants à la scène : Népoty évoquera « ce palais de féerie qu’est l’Opéra-Comique… ». Le néo-classicisme de Rabaud, chef d’orchestre à l’Opéra et disciple de Saint-Saëns, tempère les audaces de son contemporain Maurice Ravel, dont L’Heure espagnole vient d’être donnée à la Salle Favart. Et puis, admirant à la fois la Louise vériste de Charpentier et le Pelléas et Mélisande symboliste de Debussy, Henri Rabaud est un homme de synthèse providentiel.

Mârouf, Savetier du Caire est une comédie d’une certaine modernité puisqu’elle est chantée tout du long, au lieu de présenter l’alternance parlé-chanté typique de l’opéra-comique du XIXe siècle. Mais cette modernité est tempérée par sa référence constante à la tradition nationale de la turquerie. Quant à son orientalisme, il est de bon goût et offre une réponse française au choc produit par l’Orient des Russes, barbare et sensuel. L’intrigue originale est simplifiée : le livret omet l’anneau magique du conte – qui aurait été perçu comme un clin d’œil à Wagner – mais aussi les félonies du Vizir et le retour fracassant de la première épouse de Mârouf. Il procède à la synthèse intéressante du pauvre fellah avec le génie Père au Bonheur et conclut plus tôt les aventures du savetier devenu riche. Il souligne ainsi le ressort principal du conte : le « bluff » monté par Mârouf et son ami Ali. Le terme anglo-saxon désignait une tactique au jeu de poker et commençait à entrer dans le vocabulaire militaire. Le succès de Mârouf en répand l’usage courant.

La musique reprend plus d'un procédé introduit par Félicien David, au XIX ème siècle, pour évoquer l'Orient : ostinatos, modes orientaux (gamme pentatonique), mélismes divers, rythmes très contrastés, recours à une instrumentation évocatrice de l'Orient dans l'imaginaire européen, flûte, harpe, et surtout percussions, comme tambour de basque ou xylophone. Texte et musique sont dans un rapport étroit, car l'orientalisme se trouve aussi bien dans l'un que dans l'autre : le livret contient de nombreux mots arabes, et plus d'un passage musical met en image le texte. Ainsi de la tempête, contée par Mârouf à Ali, évoquée par les vents et les percussions, procédé rappelant le figuralisme typique de l'opéra baroque. Le descriptif y est ainsi en bonne place. Le merveilleux aussi, qui s'y fraie un chemin choisi à travers des accents bariolés et un climat onirique.

La création a lieu le 15 mai 1914 sous la baguette de François Ruhlmann. À 45 ans, le créateur du rôle de Pelléas, le baryton Jean Périer, interprète le rôle-titre. Il chante aux côtés de la pétillante Marthe Davelli en Saamcheddine, et de Félix Vieuille – créateur d’Arkel et « voué aux longues barbes » – en Sultan. Les cinq tableaux sont mis en scène par Pierre Chéreau et Gheusi dans des décors de Jusseaume et des costumes de Multzer, avec des ballets réglés par Mariquita. La critique, qui rassemble certains des meilleurs compositeurs de l’époque, salut la beauté du spectacle, la « philosophie souriante » du livret et le caractère bien français – c’est-à-dire ni vériste, ni wagnérien, ni russe – de la partition.

Gabriel Fauré écrit ainsi dans Le Figaro : « Le musicien qui a su faire écouter cinq actes non seulement avec plaisir mais avec joie me semble avoir accompli un brillant tour de force. C’est le cas de M. Henri Rabaud. La partition de Mârouf mérite absolument le très grand succès qu’elle a obtenu hier, succès que je crois durable et qu’elle doit à ses qualités essentiellement musicales, à l’abondance, à la variété, à l’agrément des idées, à la solidité du style, au charme de la couleur, au tour très spirituel de certaines périodes, enfin  la saine bonne humeur que d’un bout à l’autre elle dégage. Que ne doit-on pas louer dans un ouvrage à ce point remarquable et qui fait un si réel honneur à la musique française. »

 

Reynaldo Hahn loue la partition de Mârouf dans La Musique : « On n’avait pas éprouvé depuis longtemps un plaisir musical semblable à celui que nous a donné la partition de M. Rabaud, un plaisir de qualité aussi fine, aussi saine, aussi française. Dans cette musique, dont la hardiesse n’altère jamais la pureté, dont la fantaisie n’offense jamais la logique, on devine sans cesse, derrière le rêveur et le poète, un homme d’esprit et de goût qui veille. En effet, l’intelligence est l’un des traits les plus frappants de l’ouvrage de M. Rabaud, une intelligence assouplie, éclairée par la plus sérieuse culture, affinée et rompue à la sagacité par l’habitude de l’observation. Un autre mérite remarquable est ici la justesse du sens oriental. Pas une fois, au cours de ces cinq tableaux, la musique, constamment évocatrice et descriptive, ne devint « rue du Caire » ; les visions qu’elle suggère, toujours vraies et comme prises sur le vif, sont infailliblement exemptes de vulgarité et contemplées sous un angle et dans une lumière de choix. […] Mais n’allez pas croire que la musique de M. Rabaud soit uniquement littéraire et picturale ; jamais musique ne fut plus musicale que celle-là et ne dissimula plus de science et d’ingéniosité sous un plus aimable laisser-aller ; il suffit d’écouter pendant une minute ou deux l’orchestration de M. Rabaud pour en être persuadé. » La célèbre exposition  universelle de 1889  présentait l’Orient arabe dans la fameuse « rue du Caire », reconstituée avec des figurants de Ménilmontant mais qui permettait de fréquenter des cafés orientaux, d’y écouter des musiciens venus d’Égypte et du Maghreb avec leurs instruments.

 

Florent Schmitt caractérise l'orientalisme de la pièce, dans La France : « Ne boudons point devant les sensations de beauté éclatante et nouvelle que nous apporte à point – en un temps d’ennui, – l’orient révélé par les Russes. M. Henri Rabaud en a, peut-être malgré lui, subit le prestige plus ou moins direct. Sa musique n’en fut pas mal inspirée. Elle est saine et d’humeur joyeuse et pure. Comme l’amour qui, d’un bout à l’autre, illumine le vivre des Mille et une nuits, elle a une bonne saveur de fraîcheur et de simplicité. Ce n’est pas l’Orient inquiet, passionné et un peu cruel de Balakirev et de Rimsky ; c’est bien l’Orient parfumé de jasmin et plein de joies des Orientaux sans histoire. »

 

Enfin, Xavier Leroux témoigne dans Musica : « Au milieu de la vie musicale, si déconcertante parfois, mais si bizarre et si tourmentée de Paris, il vient de se produire un événement heureux : l’apparition de Mârouf sur la scène de l’Opéra-Comique. Evénement heureux pour les amateurs de la pièce tout d’abord, et pour la musique aussi. Car à la faveur de cette œuvre aimable et jolie, le public paraît se ressaisir un instant. Tandis que ceux-ci cherchaient à le persuader que la musique n’est et ne peut-être qu’étrange ; que d’autres ne la lui déclaraient admissible que cocasse,- entendez par là biscornue et grimaçante –, que d’autres, enfin, la lui présentaient discordante et incohérente jusqu'à l’aberration, M. Henri Rabaud lui a offert une partition écrite selon les plus purs et les plus sûrs principes de l’art classique. […] Mârouf est l’œuvre d’un poète musicien français, qui s’en est allé vers l’Orient sans passer ni par l’Allemagne, ni par la Russie. Il y a été tout droit et nous transmet dans une langue ensoleillée comme les jours, ou doucement lumineuse comme les nuits de ce pays de rêve, ses impressions qui nous enchantent. »

 

L’œuvre est reprise chaque année jusqu’en 1917 avec Périer, puis en 1918 avec un premier ténor, Thomas Salignac, qui part ensuite créer l’œuvre à la Monnaie de Bruxelles pour une série triomphale de 84 soirées en 1919 – la 100e sera atteinte en 1932. Tandis qu’un autre ténor, Fernand Francell, reprend le rôle à la Salle Favart, les reprises s’espacent jusqu’à la 100e, le 2 juin 1923 avec à nouveau un baryton, André-Gaston Baugé. La production s’est entre temps lentement détériorée car l’Opéra Comique, dirigé par Masson et Ricou, a investi tous ses moyens dans la création du Hulla, un conte lyrique oriental de Marcel Samuel-Rousseau qui est créé le 9 mars 1923.


Caricature de Rabaud, chef d'orchestre/DR

 

Henri Rabaud connaît bien Jacques Rouché, le directeur de l’Opéra dont il a dirigé l’orchestre pendant une dizaine de saisons. Il engage une négociation pour faire passer l’œuvre d’un répertoire à l’autre, avec l’accord de Mardrus, de Népoty et de son éditeur Choudens. Le conflit s’envenime entre le compositeur et le théâtre mais la Société des Auteurs  prend la protection de Rabaud et fait interdire l’œuvre à la Salle Favart en 1927, après 129 levers de rideau.

La « seconde première » parisienne de Mârouf a lieu le 21 juin 1928 au Palais Garnier, sous la baguette du compositeur. Le ténor Georges Thill reprend brillamment le rôle-titre au côté de Fanny Heldy en Saamchéddine. La production est spectaculaire mais les ballets sont unanimement décriés dans la presse. Bien que le texte passe au second plan et que les effets musicaux semblent forcés, l’entrée de Mârouf à Garnier apparaît comme une consécration même si, dès juillet, le Faust de Gounod donné en alternance présente des recettes doubles. Rabaud dirige la 50e en 1932 et la 100e le 4 avril 1943, avec Roger Bourdin et Renée Doria – une représentation interrompue par une alerte anti-aérienne qui oblige spectateurs et artistes à rejoindre les sous-sols de l’Opéra. L’œuvre est jouée quasiment chaque année jusqu’en 1950 où elle quitte sa deuxième scène parisienne après 116 représentations – un peu moins qu’à l’Opéra Comique.

Mârouf est donné dans de nombreuses villes de province, parfois sous la direction du compositeur, avec des productions spectaculaires qui défraient les chroniques locales. L’œuvre bénéficie aussi d’une importante diffusion à l’étranger : citons le Metropolitan Opera de New York en 1917 sous la baguette de Pierre Monteux, la création de l’œuvre dans une version allemande à Zurich en 1924 et les représentations du Caire en 1926. Le succès est tel que Rabaud se voit proposer en 1929 la réalisation de son adaptation cinématographique dans un film « muet et sonore » : sans paroles et accompagné d’un arrangement  musical pour orchestre de cinéma. Il refusera catégoriquement.

Entre temps, fort de cet extraordinaire succès, Henri Rabaud est invité à diriger l’Orchestre Symphonique de Boston dans le répertoire français pendant toute une saison. Au sortir de la guerre, il est devenu si incontournable sur la scène musicale française qu’il est élu membre de l’Académie des beaux-arts en 1918, à 45 ans. En 1920, il prend la relève de Gabriel Fauré à la tête du Conservatoire national de musique et d’art dramatique. Désormais, il dirigera l’institution tout en continuant à voyager pour tenir la baguette lors de représentations exceptionnelles de Mârouf.

À la veille de la Seconde Guerre mondiale, Mârouf, Savetier du Caire apparaîtra toujours comme l’une des plus belles réussites du théâtre lyrique français et déclenchera des manifestations francophiles dans les grands théâtres étrangers. Et Max d'Ollone, compositeur et ami de Rabaud, de conclure : « hors de nos frontières, le succès de Mârouf fut une victoire de l'art français ».

Agnès Terrier.°

 

° Agnès Terrier est Dramaturge de l'Opéra Comique.

 

 

  ***

LE FESTIVAL DE PÂQUES DE BADEN-BADEN

Haut

 

 


© Sebastian Hänel/Berliner Philharmoniker

 

Le Osterfestspiele (Festival de Pâques), fondé en 1967, par Herbert von Karajan, autour de « son » orchestre, le Philharmonique de Berlin, aura donc déserté Salzbourg pour rejoindre Baden-Baden, les bords de la Salzach pour la ville jardin, la ville musicale pour la modeste, mais riche, villégiature de cure. Et tout cas, la mutation s'est faite en douceur. Et le public a répondu présent, quoique un recentrage sur un auditoire allemand semble se faire jour. Il est habitué à venir applaudir les manifestations on ne peut plus prestigieuses du Festspielhaus de Baden-Baden, concoctées par son entreprenant directeur, Andreas Mölich-Zebhauser. Ce que Salzbourg n'avait pas réussi à mener jusqu'au bout, celui-ci l'a fait : ouvrir l'orchestre à des concerts de chambre, durant lesquels ses diverses formations sont amenées à se produire (et à des coûts vraiment accessibles) : un programme calqué sur celui de l'opéra joué par ailleurs, La Flûte enchantée, les classiques viennois donc, Haydn, Mozart, Schubert...Pour ce faire, divers lieux sont investis : Festspielhaus, mais encore église, casino, musée, et le Kulturhaus, un ancien palais fréquenté, au XIX ème par un des banquiers Rothschild, et où Edouard Bénazet se fixera également. C'est dire combien la programmation s'est enrichie, et élargie à deux semaines.

 

 

Une découverte : la Cendrillon de Pauline Viardot

 

Pauline VIARDOT : Cendrillon. Salonoper (opéra de salon) en deux actes. Texte de la compositrice. Instrumentation de Andreas N.Tarkmann. Lydia Leitner, Christian Georg, Jianeg Lu, Natasha Young, Manos Kia, Tamara Banjesevic, Deniz Uzun, Michael Laricchia, Nadine Kettler, Christian Schaefer. Membres du Berliner Philharmoniker, membres de l'Orchester-Akademie du Berliner Philharmoniker, dir. Stanley Dodds. Mise en scène : Maximilian von Mayenburg.

 


© Jochen Klenk

 

La surprise est de taille : un opéra de chambre de Pauline Viardot, la célèbre chanteuse du XIX ème ! Un peu d'histoire : Louis XVIII ayant, dès 1838, interdit les opérations bancaires juteuses, plus d'un membre de la profession franchit les frontières, dont les deux illustres Bénazet, Jacques et son fils Édouard, pour se fixer dans la riante et prospère cité du Bad Wurtenberg. La cantatrice et son époux, Louis, alors directeur de théâtre à Paris, s'y procurent, en 1863, une villa, où la belle donne des matinées, le dimanche, accueillant magnats de la finance, diplomates, figures de la politique et des arts. On dit que Wagner, Brahms et Anton Rubinstein auraient honoré de leur présence. Pauline Viardot fait alors partie de cette élite de femmes musiciennes qui, telle Clara Schumann, portent haut la veine compositionnelle. Un littérateur comme Ivan Tourgueniev lui écrira des librettos pour des opéras de chambre, dont trois seront créés à Baden-Baden, en 1867 et 1868. Le présent « opéra de salon » est plus tardif, puisque créé en 1904, dans le salon parisien de Mlle de Nogueiras, et c'est Mlle Viardot qui, cette fois, en peaufine le texte. Le fait de le recréer, à Baden, est, bien sûr, une forme d'hommage à la ville. Ce que les producteurs laissent transparaître finement. La pièce, composée pour un accompagnement de piano, requiert sept chanteurs. Pour illustrer une version édulcorée, mais pas banale de Cendrillon, n'ayant que peu à voir avec le conte de Perrault. Elle annonce le passage du romantisme a l'époque moderne, et les bouleversements que va porter la première guerre mondiale, brisant brutalement aussi ce «  rapprochement franco-allemand » dont Baden-Baden était une sorte de symbole. L'intrigue est mince, qui colle malgré tout aux épisodes essentiels de la pièce, dont les tribulations de la Fée, le bal, et la scène finale des essais de la pantoufle. Le ton général est léger, ironique, et lyrique musicalement, ce que l'ajout d'un Lied d'Alban Berg, et d'une chanson expressionniste, style « Lily Marlène », rend encore plus piquant. Mais  la fin se veut plutôt tragique : Cendrillon dans le miroir du tournant du siècle.

 


© Jochen Klenk

 

C'est comme cela que les auteurs de la production le conçoivent, dans la ravissante bonbonnière qu'est le théâtre de Baden-Baden, inauguré en 1862, où Berlioz va lui-même créer son Béatrice et Bénédict. Pour donner consistance à pièce, de fort courte durée, on a imaginé d'enchâsser les airs dans une trame explicative, dite en allemand par trois acteurs ; ce qui pour un public non germaniste, est quelque peu délicat. Mais le courant passe, grâce au talent des protagonistes diseurs, dont le « Maître », sans doute de cérémonie, inénarrable de fantaisie, conçu comme un deus ex machina, en renfort de La Fée. La partie chantée renferme quelques morceaux de choix, dont les divers airs de Marie/Cendrillon, l'ensemble endiablé qui clôt le premier acte, ou le duo qui illumine le second, entre la belle pauvre fille et son Prince charmant. Le tout jeune metteur en scène, Maximilian von Mayenburg, a de l'idée. La dramaturgie est sans temps mort et sait manier le clin d'œil. Ainsi de l'épouse du Baron de Pictordu, qui affiche un accent russe prononcé, rappelant au passage la « russophilie » du lieu, si omniprésente, ces temps, dans les rues de la ville d'eau. Si la prononciation française laisse à désirer, l'investissement des forces vives réunies est évident : une phalange de jeunes chanteurs qui s'amusent, et nous amusent. Deux ou trois sortent du lot : La Fée de Natasha Young, le Prince de Christian Georg, et le Maître de Michael Laricchia. La décoration est agréable elle aussi, avec des costumes fin de siècle fort bien dessinés, et un dispositif ingénieux et vivant, grâce à un plateau tournant autorisant des effets comiques, pas appuyés cependant. A l'original pour piano, on a préféré un arrangement pour petit orchestre de chambre, de 10 musiciens, jouant une trame inspirée de « Introduction et Allegro pour harpe » de Ravel, nous dit le jeune chef Stanley Dodds, violoniste dans l'Orchestre de Berlin. Et qui assure qu'aucune idée musicale n'a été perdue, ce faisant. Cela sonne en effet magnifiquement, flûte, clarinette, et surtout harpe apportant un zest amusant à un petit groupe de cordes, sans parler des saillies des percussions. L'un des deux violonistes, Rüdiger Liebermann, membre du Berliner Philharmoniker, nous confiera que ses jeunes collègues appartiennent à l'Orchestre-Académie, réservoir international de talents, dont quelques 30% ont vocation à rejoindre le prestigieux orchestre. Un bonheur n'arrivant jamais seul, l'Opéra Comique donnait aussi une autre interprétation de cette même Cendrillon, « opéra-comique de chambre », sous la houlette de Mireille Delunsch. Il n'y a pas de hasard, que des coïncidences!

 

 

Un concert pour Deux Titans...

 


© Monika Rittershaus

 

Le concert symphonique donné par les Berliner Philharmoniker était placé sous le moto « Zwei Titanen » (Deux titans). On pense aussitôt à Krystian Zimerman et Simon Rattle, car les réunir sur la même affiche relève de l'exploit. Mais le titre s'accorde, bien sûr, d'abord aux compositeurs. Brahms et son Premier concerto pour piano, Bruckner et sa dernière symphonie, qui utilisent d'ailleurs, la même tonalité de ré mineur. La comparaison ne s'arrête pas là : tous deux seront impressionnés par l'ombre immense de Beethoven. L'allemand luttera contre un complexe d'adulte, et n'en finira pas de modifier son projet, d'une sonate pour deux pianos à un schéma de symphonie, pour finalement opter pour la forme concertante, elle-même d'un statut particulier puisque n'ayant que peu à voir avec un morceau virtuose, et le traitement orchestral étant bien plus qu'un simple accompagnement. Anton Bruckner, à la fin de sa vie, se mesure encore au spectre de la IX ème du Maître de Bonn. Là aussi, les révisions successives du matériau ne révèlent-elles pas une crainte de ne pas «  être à la hauteur » ? Il ne parviendra d'ailleurs pas à achever cette ultime partition, car si l'adagio est terminé dès 1894, le chantre de Saint-Florian travaillera encore à un finale, jusqu'à ses derniers instants en 1896. Les esquisses et débuts d'orchestration le montrent. Et Simon Rattle vient de le révéler dans son récent CD (cf. N L de 7/2012). On peut s'interroger sur la signification du travail de ce dernier opus : regard en arrière, projection dans le futur ? La seconde hypothèse, sans doute, tant l'adagio offre un caractère étonnamment moderne, sans parler des dissonances qui affleurent çà et là avec autant de force. Une dernière réaffirmation du passé aussi, comme l'indique la citation, dans ce même Adagio, d'un Miserere de 1864. Le rapprochement des deux pièces est ainsi loin d'être fortuit.

 


© DR

 

Krystian Zimerman confère à l'exécution du Premier Concerto de Brahms une aura d'exception. On connait l'exigence, poussée à l'extrême, du pianiste polonais ; si différente de la manière libérée de son compatriote Arthur Rubinstein, dont ce morceau était un des chevaux de bataille. Son souci, non de la note, mais de l'esprit de la phrase. Le spectre est large et les contrastes accentués entre tendresse et rudesse. Après une introduction orchestrale, que Rattle voit grandiose, mais non tonitruante, poussant les longue phrases des cordes jusqu'au bout d'une lenteur expressive, l'entrée du soliste est d'un naturel confondant, introduisant ce style de ballade qui fleurira plus avant. La reprise attaca est quasi cataclysmique, que confirme une récapitulation brillante. L'adagio, ce « doux » portrait de Clara Schumann, est un modèle de rêverie, de méditation passionnée, en même temps objectivée. Le contemplatif rejoint le mystique. Au finale, rondo, la brillance s'efface devant une gaité aristocrate plus que rustique, et les passages solos, dont l'un est presque une cadence, agrémentent habilement le schéma de variations sur lequel il est construit. La péroraison sera grandiose. Une telle vision défie l'analyse, tant elle respire l'évidence. Bien sûr, les voix de l'orchestre sonnent, avec Sir Simon et ses Berlinois, on ne peut mieux peaufinées. Et on admire, au passage, les traits de la flûte d'Andreas Blau, du hautbois de Albrecht Meyer, et du cor de Stefan Dohr. On est frappé encore par l'attention que le chef porte à la section des contrebasses, une des marques de la sonorité profondément charpentée de cette phalange.

 

L'exécution de la Neuvième symphonie de Bruckner se révèle tout aussi  mémorable : pureté du langage, si souvent surchargé d'intentions dépassant le texte, mobilité du discours à travers l'enchaînement des brèves séquences, art de forger une cohérence, grâce aussi aux silences, depuis les trémolos immatériels qui ouvrent ce vaste chantier jusqu'aux climax d'une étourdissante complétude. Il faut voir ces musiciens à l'œuvre, investis jusqu'au tréfonds. On est là bien au-delà dune pure habileté orchestrale. La patine est certaine, mais sans doute pas celle d'un von Karajan ou d'un Böhm dans ce même répertoire. Rattle achève quelque chose de plus coulant, et de plus clair, et il n'y a là rien de solide, qui serait synonyme de figé ou d'épais. Les arcanes du « misterioso » initial dévoilent un monde qui semble ne pas se signaler par sa longueur. Le scherzo façonne ces traits répétitifs, topiques du compositeur, mais nullement massifs dans le martèlement des pizzicatos, et les traits des violons sont plus d'un mordant agité, démoniaque, que simplement scandés avec force. Le Ländler dévoile une danse aérienne, enrichie de la magnifique mélodie des violoncelles. L'adagio emboite les unes dans les autres les phrases qui peuvent sembler ésotériques, en réalité mystiques. Et l'unité s'établit, menant l'auditeur vers les cimes. On mesure à chaque instant à quelle sorte de qualité de son Rattle mène ses troupes. Une exécution hors du commun. 

 

 

Une Flûte enchantée entre odeur de mort et humanité flamboyante

 

Wolfgang Amadée MOZART : Die Zauberflöte. Grand opéra en deux actes. Livret de Emanuel Schikaneder. Pavol Breslik, Kate Royal, Dimitry Ivashchenko, Ana Durlovski, Michael Nagy, Annick Massis, Magdalena Kozena, Nathalie Stutzmann, José van Dam, James Eliott, Regula Mühlemann, David Rother, Cedric Schmitt, Joshua Augustin, Andreas Schager, Jonathan Lemalu, Benjamin Hulett, Dazid Jerusalem. Berliner Philharmonker, dir. Sir Simon Rattle. Mise en scène : Robert Carsen.

 

 


© Andrea Kremper

 

Il y a tant de manière de concevoir l'ultime chef d'œuvre lyrique de Mozart! Et pourtant peu de mises en scène restent gravées dans la mémoire, sauf celle d'un Jean-Pierre Ponnelle à Salzbourg dans les années 80. Robert Carsen, qui s'y était déjà confronté à Aix-en Provence, il y a deux décennies, dit avoir complètement revu sa conception. Selon lui, l'opéra est construit sur des contraires, la nuit et le jour, chanter et parler, le héros Tamino et l'homme simple Papageno, la haine et l'amour... Et le thème de la mort y est omniprésent, virant à l'obsession, au point qu'on ne saurait échapper à cette confrontation. Le cheminement de Tamino vers l'amour et la connaissance, et la question de la mortalité, participent de l'essence de l'œuvre. Aussi la composante de mort est-elle mise en avant, non seulement par le recours à l'opposition du noir et du blanc, l'ensemble des protagonistes étant vêtus de sombre, à l'exception de Tamino et de Pamina, mais à travers une dramaturgie pensée tragique. Encore que la vision ne soit, au final, pas si pessimiste que cette noirceur le laisserait présager. L'amour triomphe, bien avant l'ultime réplique du « Rayon du soleil ». Personnages et choristes entourent la fosse d'orchestre dès l'Ouverture, et reforment ce cercle à la fin. Pour Carsen, il est temps de voir les choses autrement : le côté « Handswurst » de Papageno et ses clichés convenus sont gentiment réfrénés, et de l'aspect maçonnique on fait quasiment table rase. Les arias de la Reine de la nuit perdent leur aura démonstrative, et Sarastro se défait de sa superbe et de la grandeur qui lui est coutumière. Tous deux se rapprochent de l'humain, de nous. La régie proprement dite se simplifie, en apparence du moins. Car, par exemple, les rapports entre ces deux antagonistes sont moins clairs qu'on ne le pense : la Reine de la nuit est-elle si « mauvaise » que ce que suggère le texte, s'interroge Carsen ? Elle se rapproche de son opposé, de manière étonnante, pour assurer le triomphe de l'amour des deux jeunes gens, en une sorte de réconciliation générale, où tout un chacun porte une flûte à ses lèvres. Une image pour le moins inhabituelle! Une décoration dépouillée de Nature dégageant de vastes perspectives, grâce à des projections en fond de scène, une utilisation des trois dimensions, dont les entrailles de la terre, où se déroulent les divers épreuves, des personnages démythifiés, et proches de nous, effets démultipliés par des évolutions en salle, coutumières chez le canadien, tout cela caractérise une interprétation qui ose fuir le convenu, et n'hésite pas à innover, en tout cas à chercher. Un indéniable cohérence émane de ce travail, unissant l'odeur de mort et l'humanité flamboyante.

 


© Andrea Kremper

 

Reste que cette démythification migre dans l'interprétation musicale. On a le sentiment que la direction de Simon Rattle cherche à épouser cette conception dramatique édulcorée, et ce dès l'Ouverture, dont la scansion est délibérément « arrondie ». La pulsation demeure, surtout au Ier acte, volontairement peu tranchée, très lisse, et les accents sont moins marqués, tournant le dos à quelque approche historique ; tout le contraire de la manière d'un Harnoncourt ou d'un Jacobs. Mais le rendu sonore est magique : les Berliner, dont l'effectif n'est justement pas nombreux, sonnent on ne peut plus clair, et la flûte d'Emmanuel Pahud est plus qu'enchantée. Le solo de la scène des épreuves du feu et de l'eau, curieusement banalisées par Carsen, est pure merveille de sonorité éthérée. On a réuni une distribution superlative, jusque dans les rôles épisodiques. Les trois Dames de la nuit ne sont autres que Annick Massis, Magdalena Kožená et Nathalie Stutzmann. Elles se défoulent comme des reines au début du Ier acte, et ces voix merveilleusement différenciées font des interventions desdites Dames autre chose que pur détail. L'Orateur, c'est José van Dam, tiré d'une agréable retraite pour montrer, une fois encore, ce que diction veut dire. A noter que ces quatre personnages sont associés à l'assemblée des Prêtres de Sarastro, qui ouvre le II ème acte. Le Papageno de Michael Nagy a du punch et de l'esprit, sans excès, lui que Carsen vêt en boy scout, muni d'une glacière de pic nic, pour tenir au froid les oiselles destinées à sa patronne de Reine. Sa Papagena est adorable, après avoir fait souffler un vent de vraie-fausse peur, lorsque s'extrayant, façon mort-vivante, d'un des nombreux cercueils noirs qui pavent alors le plateau. Le Sarastro de Dimitry Ivashchenko, un nom nouveau, sans doute pas pour longtemps, allie allure et grave profond requis par le rôle, et Ana Durlovski, remplaçant Simone Kermes, possède les notes aiguës, mais aussi la poigne dramatique nécessaire pour faire de cette figure autre chose qu'un oiseau mécanique. Et si le rôle ne dégage que peu d'aura, le régisseur en est responsable : une femme comme les autres. Les trois garçons, comme Monostatos, fagoté en charbonnier, et prêtres et chœurs sont parfaits. Rattle a confié les deux héros à Pavol Breslik et Kate Royal. Là encore, le choix est significatif : deux voix assurées, sortant presque du cadre feutré du chant dit mozartien. Lui, nanti d'un ténor large, bien timbré dans le registre supérieur, d'une belle ligne de chant, et d'une spontanéité enviable. Elle, plus mature que nombre de ses consœurs, large soprano, là aussi, combien bien projeté, pas seulement dans le morceau fameux « Ach, ich fühl's ». Un plateau enviable, à la hauteur de cette production événement. On la verra, au demeurant, à l'Opéra Bastille, avec un autre cast, en mars 2013.

  


© Andrea Kremper

 

 

Musique de chambre al Piacere

 


© Sebastian Hänel

 

« Connaissez-vous un musique joyeuse ? Moi pas » aurait dit Schubert. En tout cas, son Octuor, D 803, commande d'un clarinettiste en vue, Ferdinand Troyer, est calqué sur une œuvre, célèbre alors, le Septuor de Beethoven. Même formation instrumentale, avec seulement un deuxième violon, et ainsi cinq cordes et trois vents, clarinette, basson et cor ; six mouvements dans chaque cas ; enfin disposition identique de ceux-ci, alternant vif et lent. L'exécution est confiée au Philharmonisches Oktett, fondé il y a des lustres, et qui s'enorgueillit d'avoir été dédicataire de l'Octuor de Hindemith en 1958, ce dernier jouant lui-même la partie d'alto. Jouant debout, sauf le celliste, emmenés par le Premier violon solo du Berliner, Daishin Kashimoto, ces messieurs font de la fort bonne musique. L'un d'eux, le corniste Stefan Dohr, en verve, n'hésite pas à donner quelques explications liminaires, sur le pédigrée des divers participants, dont le basson, frais émoulu de l'Orchestre-Académie, et sur l'œuvre et sa date de composition, 1924. Les tempos sont plutôt sur le versant lent, ce qui laisse transparaître un esprit élégiaque. De même, la manière reste objective, sérieuse, fuyant le côté romantique exacerbé. Ainsi de l'allegretto médian du Menuet, qui restera d'une lenteur calculée. De même, l'introduction andante, du dernier mouvement ne cherche-t-elle pas le dramatisme à tout crin, malgré son climat lourd, « une plongée dans l'inconscient schubertien » estime Brigitte Massin. La patine instrumentale est, bien sûre, superbe, illuminée par la clarinette de Wenzel Fuchs.

 

Les quatre quatuors que Mozart compose pour la flûte et trio à cordes, ont été choisis en contrepoint des représentation de Die Zauberflöte, dit le flûtiste Michael Hasel, sorte de « mozartkugeln », allusion à Salzbourg perdu pour le festival de Pâques... Ils ont été composés, pour les trois premiers, à Mannheim et pour De Jean, célèbre amateur. Lequel aurait demandé des pièces « courtes et faciles ». Il ressort de sa correspondance avec Leopold, que Mozart n'éprouvait pas de sympathie particulière pour l'instrument. Mais il saura faire avec, et de quelle façon! Il s'écoule là des mélodies qui semblent tomber sous le sens, des traits piquants aussi, dans le thème et variations du K 285b, une gravité insoupçonnée au tempo di Menuetto du K 285a, des facéties encore : tel le «  Rondieaoux », rondeau final, du K 298, de 1787, où l'auteur indique « pas trop vite, pas trop lentement... cosi, cosi, com molto garbo ed espressione ». Cet opus, le dernier confié à cette formation inhabituelle, appartient à sa période viennoise, et est topique d'une manière « bouffonne ». Mozart se plait à emprunter, pour les singer, à d'autres collègues, Hoffmeister et Paisiello, et à dresser un amusant florilège, voire un caustique pot pourri. Le K 285 livre une mélancolie affirmée haut et court à travers la mélodie de l'instrument à vent, sur des pizzicatos des trois cordes. Le contraste est grand avec le ton enjoué du rondeau final. Michael Hasel, entré dans l'Orchestre en 1984, et qui des étés durant, fut solo au Festival de Bayreuth, nimbe ces œuvrettes d'une sonorité délicatement aérienne, et comme ses trois collègues, enchante par un jeu d'un remarquable simplicité.

 


© Sebastian Hänel

 

Un autre concert, dans l'immense ballroom du casino, et le vendredi Saint, devant un public  nombreux, donnait à entendre le Quatuor de Haydn, « Les sept dernières Paroles de Notre Sauveur sur la Croix ». Une sorte de Sisyphe semble porter cette œuvre, d'envergure, conçue pour l'orchestre, et transcrite presque aussitôt pour le quatuors à cordes par Haydn lui-même. Le classicisme y rencontre le quasi existentialisme. Alors que huit des neufs sections sont bâties sur des mouvements lents, il ne s'en dégage aucune uniformité. Bien au contraire : les contrastes y sont saisissants, de par l'alternance des modes majeurs et mineurs, et un dosage étonnant des tonalités, rythmes et thèmes. Cette musique n'est pas tragique, mais consolatrice. Il est de tradition de l'encadrer de textes littéraires. Thomas Quasthoff, qui a mis un point final à sa carrière de baryton, pour aborder celle de diseur, proposait des poèmes et proses de Hörderlin, Novalis, de la Motte Fouqué, Heine, Tieck, Rückert et von Eschendorff. Choix judicieux, car ces textes, de tonalité tour à tour élégiaque ou violente, collent parfaitement aux diverses séquences musicales, qu'elles enrichissent. Celles-ci ne sont-elles pas, elles-même, introduites par une citation de la Passion  ? Ainsi, par exemple, du beau texte de Ludwig Tiek précédant la « Sonata VI », « Consummatum est », certainement la « parole » la plus dramatiquement pourvue du cycle, ou celui, si doucement déclamé, précédant l'épilogue, « Il terremoto » (le tremblement de terre), ouvrant, attaca, un presto, si longuement réfréné, « con tutta la forza » est-il précisé. Le Philharmonia Quartett, fondé il y a un quart de siècle, et conduit par Daniel Stabrawa, un des Premiers violons solos de l'Orchestre, en livre une interprétation toute en finesse, extrêmement pensée : plainte affirmée de la Sonata II, grande douceur de la suivante, déclamation dans la quatrième, « Mon Dieu, pourquoi m'as-tu abandonné ? », ou encore diversité des climats parcourant la Sonata V, « Sitio » (J'ai soif), avec ses notes pizzicatos, faisant place à un cri de douleur et de désespoir, puis à un sentiment de résignation. La perfection instrumentale place cette formation très haut parmi ses collègues.

 

Jean-Pierre Robert.

 

 

***

SPECTACLES ET CONCERTS

Haut

 

Falstaff à l'Opéra Bastille

 

Giuseppe VERDI : Falstaff, comédie lyrique en trois actes. Livret d'Arrigo Boito, d'après The merry Wives of Windsor et des scènes de Henry IV de William Shakespeare.  Ambroglio Maestri, Artur Rocinski, Svetla Vassileva, Elena Tsallagova, Marie-Nicole Lemieux, Gaëlle Arquez, Paolo Fanale, Raúl Giménez, Bruno Lazzaretti, Mario Luperi. Orchestre et Chœur de l'Opéra National de Paris, dir. Daniel Oren. Mise en scène : Dominique Pitoiset.

 


© ONP/ Christian Leiber

 

Comédie lyrique, Falstaff est une œuvre toute en finesse, pas si comique qu'il n'y paraît,  même si l'on sourit aux frasques du vieux Sir John. Verdi et Boito se sont inspirés de Shakespeare, et le mélange tragique et comique est, là, plus présent qu'on le croit. C'est le triomphe des femme sur l'illusion des hommes, selon Gille de Van (« Verdi , un théâtre en musique », Fayard), la sagesse féminine tirant sa revanche sur la folie masculine. Certes, Falstaff sera plus d'une fois berné au long des deux premiers actes, son maladif pouvoir de séduction mis à mal, Ford sera décidément poussé jusqu'à l'évidence de son cocufiage, par le précédent, et le Dr Cajus privé du dessein galant qu'il entrevoyait. Les commères s'en donneront à cœur joie devant ces aveuglements virils, et pour se venger, n'hésiteront pas à précipiter le trop fier barbon dans l'onde de la Tamise. Mais il y a autre chose, car au final, c'est bien Falstaff lui-même qui triomphe, et tire les choses à son avantage, cette fois. Il livrera la morale : « Tout dans le monde est farce ». Car il y a dans l'intrigue une trame secondaire, en filigrane dès le début, celles des frais amours de la belle Nanette, pas si ingénue, et du joyeux et tendre Fenton. Ce sont eux qu'on veut marier, contre la volonté d'un père obtus, chez qui Falstaff va raviver la corde sensible. Ainsi, dans la dernière scène, tout s'articule dans la vraie logique, après que les choses aient basculé dans la plus pure poésie. C'est ce qui est délicat à illustrer et à faire saisir au spectateur. La « comédie lyrique » est bien celle qui s'achève de la sorte, après moult péripéties burlesques. C'est là que bien des metteurs en scène se cassent les dents, Dominique Pitoiset itou. Sa régie est soudain privée de ressort et de fantastique shakespearien. Elle tourne court sur une sorte de farce au premier degré. Dommage. Car les choses avaient plutôt bien commencé, dans une approche agréablement « actualisée », transposée dans les années 30, dans un Windsor dont on parcourt la rue plus que l'intérieur des maisons douillettes. Pitoiset se refuse à l'effet facile et ses dialogues ont la simplicité de la vie de tous les jours : Falstaff a du bagout, mais pas d'outrecuidance, ses deux comparses ne sont pas balourds, les commères sont agitées de vraie-fausse indignation devant le double identique mot d'amour, et Mrs Quickly n'est pas racoleuse, comme souvent. L'échange piquant qu'elle a avec le vieux chevalier sera un moment d'anthologie : on se régale d'une telle fatuité partagée, grâce à deux acteurs immenses. Il y aura une joyeuse animation chez Ford, ou plutôt devant chez lui, lors du tableau du panier, dans lequel on enferme sans ménagement le barbon. Et un bel effet de solitude habitée, du pauvre ère revenant de ses émotions aquatiques, pour soliloquer sur la rouerie du monde. La décoration unique, qui se déplace légèrement de droite à gauche, pour laisser apparaître d'autres illustrations de la rue, est ingénieuse, mais devient inconfortable à la dernière scène, même si le lieu a été annoncé en lettres affichées sur le mur : le parc royal de Windsor et son célèbre chêne de Herne...

 


© ONP/Mirco Magliocca

 

La représentation est, justement, dominée par le gigantesque Falstaff de Ambroglio  Maestri, devenu l'indispensable titulaire du rôle partout en Europe. L'homme a de l'abattage et une voix d'airain, qui fait penser à la manière d'un Tito Gobbi, poussant les aigus du baryton avec panache et force. Son incarnation n'est ni banale, ni sophistiquée. Elle est vraie, et cela suffit. Son challenger en aveuglement masculin, Ford, est défendu avec un égal brio par Artur Rucinski, vrai baryton verdien, à la voix bien placée, et qui sait quoi en faire. Le Fenton de Paolo Fanale dévoile un timbre assuré, qui lui promet un bel avenir dans le répertoire de ténor lyrique, et Raúl Giménez, Cajus, rappelle quelle grande voix rossinienne il fut. Les dames sont bien achalandées. Marie-Nicole Lemieux n'en fait pas trop, et sa  Quicky est juste, pas tant lors des inénarrables « Rerevenza », que par exemple, dans la scène du III ème acte, où avec gourmandise, elle enjôle de nouveau Falstaff. La Nanetta de Elena Tsallagova est un petit bijou de tendresse. Mais face à celle-ci, Svetla Vassileva n'est pas une Alice de calibre, et le rôle, pourtant moteur de l'intrigue féminine, est ici trop en retrait. Une impression qu'on éprouve dans la direction d'orchestre de Daniel  Oren. Ce chef, qu'on a apprécié dans les pièces véristes, est moins à l'aise pour distiller la subtilité de l'ultime Verdi : des changements incessants de tempos, du très lent à la vitesse brouillonne, privent la musique de sa naturelle coulée. On peut imaginer un autre finesse vitale et une plus nette appréhension des ensembles, si déterminants ici.    

 

Jean-Pierre Robert.

 

Vous avez dit : Café Zimmermann ?

 

© cmmons wikimedia.org

 

S'ils ont adopté cette appellation, c'est que la vingtaine de musiciens réunis autour du  violoniste Pablo Valetti et de la claveciniste Céline Frisch, se sont donnés pour mission de faire revivre le bouillonnement artistique que connaissait l'établissement de Gottfried Zimmermann dans le Leipzig des années 1730. De ce qui tenait à la fois du café et de la salle de concert, les adeptes n'étaient autres que Jean-Sébastien Bach et Telemann ! Le concert donné, Salle Gaveau, démontre de quelle manière ils savent jouer comme personne le répertoire classique ; en l'occurrence Jean-Chrétien Bach et Wolfgang Amadée Mozart : le maître et l'élève, du moins d'un point de vue chronologique. Mozart vouait une fervente admiration pour ce fils de Bach, le Bach de Londres, disait-on, pour l'avoir rencontré lors de son premier voyage dans la capitale anglaise, en 1765. Le programme rapprochait compositions instrumentales et vocales. La symphonie K 201, en la majeur, appartient aux pièces dites salzbourgeoises. Composée en 1774, elle marque avec ses deux sœurs, les K 183 et K 200, une tournant dans le production mozartienne, qui a divisé les historiens quant à sa signification exacte : abandon du style « Sturm und Drang », pour épouser la manière galante, ou affirmation d'une réponse lyrique aux exigences de son patron, l'inflexible Colloredo ? En tout cas, l'allegro moderato, qui ouvre ce petit bijou, joué ici avec  une joyeuse vivacité et bien articulé, ne laisse au charme que pure litote : le sujet rythmique et son développement révèlent quelque chose de plus profond. Ce que confirme l'andante suivant, bien allant sous des dehors de sérénité. Non que d'habiles effets de surprise n'émaillent pas le discours, tel le sensuel trio au milieu d'un Menuet à l'allure saccadée. Ce morceau, que le grand Karl Böhm aimait tant jouer, respire ici la vie même. La symphonie op 6 N° 6 (1772) de Jean Chrétien Bach formait l'autre pôle du concert. Si la distribution instrumentale adoptée par les Zimmermann est identique à celle de l'œuvre de Mozart, la tonalité est, cette fois, résolument italienne, quoique « serioso », au deuxième mouvement (andante più tosto adagio), tel que vu par les Zimmermann. L'influence du « Sturm und Drang » y est évidente. L'allegro molto final, tempétueux, semble aussi annoncer Gluck. Là encore, on admire la plénitude du son des musiciens de Café Zimmermann. Ils feront le plus fin et adroit des écrins aux interventions vocales, empruntées aux deux compositeurs. Sophie Karthäuser est actuellement une des grandes voix mozartiennes, à laquelle des chefs comme René Jacobs et Marc Minkowski n'hésitent pas à faire appel. On comprend vite pourquoi : pureté de la ligne vocale, pas fade, technique asservie à une vraie intelligence des rôles chantés, sincérité de l'émotion. Ainsi de l'aria de La Flûte enchantée, «  Ach, Ich fühl's », une Pamina comme on en rêve ; d'une scène « des marronniers » (Le Nozze di Figaro) plus que délicieuse, pour une Susanna vraie d'accents, et d'un « Padre germani », (Idomeneo), de classe, d'une belle jeunesse aimante, enchâssé d'idéale façon par cette poignée de musiciens émérites. L'air, peu connu, de Tamiri, tiré de Il Re pastore, révélera encore une colorature accomplie. De Jean-Chrétien Bach, la chanteuse belge donnera la belle aria de Celia (Lucio Silla), et celle de Rossane (Temistocle), qui après un fier récitatif, est introduite par un mini concerto pour hautbois. L'air, en deux parties, alterne moments d'agitation et de calme lyrique, et distille force vocalises sur le mot « palpitar », lui-même repris à plusieurs reprises, un terme qui en dit long sur les sentiments passionnés de la dame. Voilà le type même du concert qui ne cherche pas à épater, où la musique se fait reine.

 

Jean-Pierre Robert.

 

 

Une création bien intéressante de John Adams !

 

John ADAMS : The Gospel According to the Other Mary.Oratorio en deux actes. Livret de Peter Sellars, adapté de la Passion. Kelley O'Connor, Tamara Mumford, Russell Thomas, Daniel Bubeck, Brian Cummings, Nathan Medley. Los Angeles Master Chorale. Los Angeles Philharmonic, dir. Gustavo Dudamel. Mise en scène : Peter Sellars.

 


John Adams / DR

 

Faisant suite à l'opéra El Nino, The Gospel According to the Other Mary en est conçu comme le pendant. Après la Nativité, John Adams et Peter Sellars se confrontent à la Passion du Christ. Mais d'un point de vue singulier : à travers l'œil et la parole de l'autre Marie, Marie-Madeleine, et en empruntant un chemins autre que celui spécifique de textes bibliques. C'est que les auteurs recherchent, comme dans la pièce précédente, des résonances émotionnelles diverses et parfois contradictoires. Comme le remarque Sellars, le but est de replacer l'histoire de la Passion « dans l'éternel présent, dans la tradition de l'art sacré ». D'où une approche focalisant sur deux plans simultanés, le biblique et le contemporain. Du premier, on prend des épisodes cruciaux, la mort et la résurrection de Lazare, les souffrances du Golgotha, la mise au tombeau, etc... Au titre du second, on cherche à dépasser les événements de la Passion, pour raconter l'histoire d'une famille qui aime le Christ, celle de Marie-Madeleine, de Marthe sa sœur, et de leur frère, Lazare. La figure de Marie-Madeleine est repensée : une femme au caractère complexe, d'une grande altérité, versatile, mais de caractère. La simultanéité narrative, renforcée par la diversité des textes, espagnols, latins, antiques ou plus modernes, est un élément essentiel pour opérer une fusion entre le « passé mystique » et les images saisissantes de la vie actuelle : ainsi de ces femmes incarcérées pour avoir osé manifester en faveur des pauvres, ou de la grève qu'elles entament, face à la police, manifestant au moment même de l'arrestation de Jésus. Le moins qu'on puisse dire est que les auteurs se démarquent du traitement conventionnel de la Passion. Mais ce rapprochement avec la modernité confère au texte biblique une dramatisation intéressante. D'autant que le traitement musical est extrêmement diversifié, tout comme la vocalité. L'orchestration, typique de la manière de John Adams, offre des effets de bruissement sonore, de sensation d'espace, de scansion continuellement renouvelée, sans pour autant être lancinante. Le lyrisme est une donnée cardinale, avec emphase sur les cordes, de beaux traits de cuivres, et la couleur qu'apportent des instruments peu usités, tels la guitare basse ou le cymbalum. La percussion n'est nullement envahissante et parfaitement intégrée dans la trame. La prosodie est naturelle, pour ce qui est tant des chœurs, qui s'expriment souvent soit à bouche fermée, soit par des interjections, que des parties solistes. Une originalité réside dans le fait que le Christ n'apparaît pas en tant que personnage propre. Il s'exprime à travers le chant des autres personnages, en particulier des trois contre-ténors, qui la plupart du temps, chantent eux-même ensemble. Les deux femmes sont distribuées à des voix sombres, contralto pour Mary, mezzo-soprano grave pour Marthe.

 


Peter Sellars / DR

 

L'interprétation est, elle aussi, fidèle à la manière de Peter Sellars. On sait celui-ci mystique. Aussi est-il dans son élément ; comme on a pu le constater à bien d'autres occasions, pour Saint François d'Assise de Messiaen, par exemple. Pour cette exécution, il a conçu ce qui dépasse la simple mise en espace accolée à une exécution de concert. Ses personnages vivent intensément une histoire multiple, vêtus à la façon qu'il chérit, survêts banaux aux couleurs criardes, pieds nus, le tout enveloppé d'éclairages crus. Cela peut sembler étrange pour qui ne fréquente pas le travail du metteur en scène Protée. Mais il s'en dégage une force certaine, celle de la conviction des idées. La gestuelle, apparemment simpliste à travers le jeux des mains et la douceur angélique des attitudes, n'empêche pas la profondeur de l'analyse. Qu'agrémentent quelques mouvements de danse ; peut-être pas l'élément le plus réussi. Mais cette libre adaptation de la Passion captive par son indéniable force expressive. Nulle part mieux sentie que dans la scène « Golgotha », qui introduit le bruit de fond des chœurs, de la foule railleuse et belliqueuse, sur un orchestre assagi, lequel va croître en puissance jusqu'à un climax mêlant cris humains et débit musical fiévreux, puis déclinant en une vaste page poétique sur les mots « Femme, voici ton Fils ». Les choristes de la Los Angeles Master Chorale ont une diction et une qualité vocale à faire pâlir plus d'une formation européenne, et le cast de solistes a de la science, dont les deux femmes et le ténor. Gustavo Dudamel, qui avait créé la pièce, en mai 2012, à Los Angeles, s'empare de ce fleuve musical avec une évidente empathie, et une belle sérénité. Le Los Angeles Philharmonic est d'une plasticité  rare, quelles que soient ses sections. Personnage à part entière, contrastant lumière et ténèbres, l'orchestre, par sa constante métamorphose, est la force d'un oratorio délibérément à part des modèles habituels.

 

Jean-Pierre Robert.

 

 

Un curieux « double bill » à l'Opéra Comique

 

Ermano WOLF-FERRARI : Il Segreto di Susanna, Intermezzo en un acte. Livret d'Enrico Golisciani. Francis POULENC : La Voix humaine, tragédie   lyrique en un acte. Livret de Jean Cocteau. Anna Caterina Antonacci, Vittorio Pratro, Bruno Danjoux. Orchestre Philharmonique du Luxembourg, dir. Pascal Rophé. Mise en scène : Ludovic Lagarde.

 


©Bohumil Kostohryz

 

Que rapproche les pièces de Ermano Wolf-Ferrari et de Poulenc, si ce n'est leur commune coupe en un acte ? Rien ne prédestinait l'« intermezzo » du premier de jouxter, en un même spectacle, la tragédie lyrique du second, le vaudeville dans cas, le drame dans l'autre. Du Secret de Suzanne, on dit le plus grand bien en Allemagne, où il fut créé, par Félix Mottl, chef wagnérien s'il en fut, comme en Angleterre et aux USA, qui lui offrirent le MET et Toscanini. Mais on en fera peu de cas de ce coté du Rhin et de l'Atlantique ! L'intermezzo a pour bien mince sujet la passion cachée d'une belle pour la cigarette, au point d'intriguer le mari, qui flaire un amant d'après-midi. La musique en est facile, post-vériste, dans le veine de l'opéra-bouffe, avec des touches modernistes. Une sorte de conversation en musique, que les présents interprètes saisissent avec bonheur, Anna Caterina Antonacci en particulier, froufroutante, auprès d'un baryton d'époux, Vittorio Prato, un peu emprunté vocalement, et n'était la peu de discrétion d'un orchestre, résolument tonitruant. Le chef Pascal Rophé ne se serait-il pas laissé piéger par l'acoustique grossissante de la Salle Favart ? Un tout autre univers se découvre avec La Voix humaine (1959), pur chef d'œuvre celui-là. Par le texte de Cocteau, d'une force émotionnelle rare, le téléphone qui relie les deux amants, devenant une arme pour les détruire. Par la transmutation qu'en opère Poulenc : « un concerto pour femme seule et orchestre », dira-t-il, composé non pour Maria Callas, comme de bons esprits avaient cru devoir le lui souffler, mais pour Denise Duval, l'âme sœur. Une œuvre que caractérise son économie de moyens, car un vide habité s'empare de l'unique protagoniste, Elle, aux prises avec un amant, sur le point de rompre, et dont la présence n'est que suggérée. Mais quelle force de l'absent! Paroles et silences, musique et silence, « l'éternité des silences », tout ici doit donner le sentiment d'un drame qui se noue, et inexorablement conduit à une fin programmée. « C'est bien entendu effrayant et ultra-sensible » confessera Poulenc à Pierre Bernac. Un « cauchemar musical » où « la musique se tait dès que le personnage unique écoute son interlocuteur. L'imprévu de la réponse musicale suggère, ensuite, ce qui a été entendu », précisera-t-il. Pourtant, la partition exhale un lyrisme intense, celui du désespoir, par à une orchestration « à la fois chaude et glacée ». Fort contrastée en tout cas. On a pu comparer ce monodrame à celui de Schoenberg, Erwartung : même souci de l'expressionnisme, climat d'angoisse identique. Quoique le génie français transfigure sans doute la donne.

 


© Bohumil Kostohryz

 

Assumant cette diversité dramatique, Ludovic Lagarde a conçu une scénographie unique : un intérieur modern style, couleurs acidulées dans le premier cas, qui mue en un appartement blanc glacé dans le second. Cette approche confère au drame de Poulenc un cachet moderne, nullement gênant, car de bon goût. L'idée d'une démultiplication des lieux, chambre, couloir, salle de bains, contribue à fluidifier le soliloque de la protagoniste. Anna Caterina Antonacci s'empare de ce challenge avec des atouts bien différents de ceux de la créatrice Denise Duval, un port altier, une moindre fragilité extérieure. Mais sa culture latine lui fait appréhender sans théâtralité vaine ce « prétexte pour une actrice » (Cocteau). Elle fait siens le style arioso à la française et la simplicité permettant de donner l'exact « ton », le par-delà des mots, de ces bribes de phrases dépassant une ostensible banalité. Elle habite le déchirement à travers le silence, cet « agent d'expression » (Claude Debussy). Elle se déjoue d'une vocalité éprouvante, aux écarts quelquefois terribles. On admire la sûreté du geste (ce combiné qui s'accroche à l'oreille, même s'il n'a plus de fil), le vrai des attitudes dans cette pérégrination nonchalante, en apparence du moins, d'en endroit à l'autre, le vrai-faux calme. Tout est refus du brio, exigé d'ailleurs par Cocteau, et suprême élégance : « une femme jeune et élégante... ni d'aspect tragique, ni d'apparence frivole ». Pascal Rophé se montre plus en phase avec le langage de Poulenc, unissant tous les contraires si amoureusement mêlés, tendresse et violence émotionnelle, sensualité et cruauté.

 

Jean-Pierre Robert.

 

 

Création de Claude à l'Opéra de Lyon

 

Thierry Escaich : Claude. Opéra en un prologue, seize scènes, deux interscènes et un épilogue. Livret de Robert Badinter, d'après Claude Gueux de Victor Hugo. Jean-Sébastien Bou, Jean-Philippe Lafont, Rodrigo Ferreira, Laurent Alvaro, Rémy Mathieu, Philip Sheffield, Loleh Pottier, Anaël Chevallier, Yannick Berne, Paolo Stupenengo, Jean Vendassi. Laura Ruiz Tamayo, danseuse. Orchestre et Chœurs de l'Opéra de Lyon, dir. Jérémie Rhorer. Mise en scène : Olivier Py. 

 


© Opéra de Lyon/ Stofleth

 

Dans le cadre d'un festival adossé au thème « Justice Injustice », l'Opéra de  Lyon créait Claude de Thierry Escaich et Robert Badinter. Il est symptomatique qu'un texte écrit par l'ancien Garde des Sceaux soit à l'origine du projet. Sa passion pour l'opéra et pour Hugo, dont la lecture de la nouvelle « Claude Gueux » a été l'élément déclencheur, l'ont amené à se replonger dans le procès de celui qui fut condamné à la peine capitale par la cour d'assises de l'Aube, et à en consulter les archives au Tribunal de Troyes. Le texte a préexisté à la recherche même du musicien, en la personne de Thierry Escaich. Robert Badinter souligne le cocasse de la situation : « vous avez donc un librettiste qui n'a jamais écrit un livret et un compositeur qui n'a jamais fait d'opéra !»  Aussi lui faudra-t-il patience et abnégation pour le faire cadrer avec le format opératique. L'histoire du canut lyonnais, condamné à la prison pour avoir pris la tête de la révolte contre un employeur privilégiant la machine plus que ses ouvriers, puis à la peine capitale pour le meurtre d'un directeur de prison qui s'était juré de le casser, est un sujet d'opéra idéal : le parcours d'un révolté, comme les héros de Camus, charismatique, par son ascendant moral sur ses codétenus. On est proche aussi de l'univers de Genet, car au-delà de la perception de Hugo, les archives judiciaires révèlent l'existence d'une relation homosexuelle entre Claude et un autre détenu, Albin, « une histoire d'amour très violente entre deux détenus, dans un lieu effroyable avec un directeur cruel », commente Badinter. Claude Gueux, devenu tout simplement Claude dans l'opéra, est un « symbole de la cruauté judiciaire et pénitentiaire », qui plus est dans une des prisons les plus terribles, la maison centrale de Clairvaux. Trois personnages, au caractère trempé, dominent l'opéra, entourés d'un chœur mixte, d'un chœur d'hommes, et de quelques autres protagonistes, le surveillant général, l'Entrepreneur ou donneur d'ouvrage du travail pénitentiaire, et surtout, les deux « Personnages », sorte de narrateurs ou de Parques, apportant à la pièce une dimension exemplaire. Plus que dans Les derniers jours d'un condamné, Hugo insiste sur l'injustice sociale, dresse un réquisitoire contre la morale hypocrite d'une époque, la Monarchie de juillet, et plaide pour l'éducation, au lieu de la pure répression. Claude tue, mais agit en justicier. Robert Badinter fait sien ces prémisses, qu'il accentue même. Thierry Escaich inscrit sa musique dans cette vision, traduisant la révolte ouverte ou rentrée, la désespérance et les aspirations à la justice d'un homme qui se sait brisé ; surtout à partir du moment où le directeur le sépare de son codétenu Albin. Le musicien, lui aussi, se déclare « hugolâtre », pour avoir déjà mis en musique Djinns, dans son  triptyque Nuits hallucinées (2008), ou les mélodies Guernesey (2010). Il créé une architecture en arche où sera souligné « le côté presque rituel de l'affrontement entre Claude et le directeur » : un crescendo gigantesque et inéluctable, ménageant des paliers, à la limite de l'onirisme des fantasmes qui agitent le détenu, des « parenthèses de rêve, d'irréalité ». La musique fait la part belle à l'ostinato, à l'accord brusque, aux climax emportés, à la force massive d'un orchestre de vastes moyens, dont une section de percussions tonitruantes, censées traduire le tumulte des machines sur lesquelles travaillent les détenus. Et soudain s'allège vers un lyrisme apaisant, pour traduire « le sourire d'une enfant », aussi promptement qu'elle aura déchaîné la dureté d'un lieu destructeur. Entrera-t-elle au Panthéon des alliances texte-musique, comme celle dont Poulenc a paré La Voix humaine de Cocteau ?  

 


© Opéra de Lyon/Stofleth

 

La production est une indéniable réussite. La mise en scène d'Olivier Py construit un univers concentrationnaire angoissant et livre des images saisissantes. A travers ce qu'il définit comme «  une grille de lumière », il plaque au sol les individus ou au contraire, dilate l'espace, en apparence, pour « figurer leur liberté intérieure ». A la construction musicale en ache répond un schéma en forme de tour d'écrou, à l'instar de ce décor carcéral blafard, que les détenus font pivoter sur lui-même, où tout semble se broyer, des vies et de leurs espérances. Reste que pour qui connaît de l'intérieur cette problématique, la lecture frise un premier degré convenu et assène trop les poncifs accolés à la prison : la violence omniprésente de matons prompts à la bastonnade, plus proches de CRS, avec leurs chiens renifleurs, une homosexualité soulignée, avec scène de sodomie. Cela renforce, bien sûr, la démonstration, et le librettiste doit en être satisfait, dont on connait le combat d'une vie contre l'injustice carcérale. Claude est soutenu à bout de bras par Jean-Sébastien Bou, sa corpulence plutôt frêle apportant au personnage un paradoxe intéressant : l'aspect charismatique en ressort privilégié, un supplément d'âme en somme, plus que la force de la nature qui en impose. Encore que l'interprète ne ménage pas la fureur de sa révolte, et ne soit pas épargné par le traitement hyper agressif, voire enragé, des surveillants à la solde d'un directeur décidé à casser un homme. Jean-Philippe Lafont campe cette figure sans scrupules, résolu à en découdre, même s'il est lui-même acculé à la fermeté par plus fort que lui, l'Entrepreneur de travail pénitentiaire. Quoique, là aussi, paradoxalement, l'apparence enveloppée de l'interprète confère à son personnage moins de dureté que ne renferme le texte. Le contre-ténor portugais Rodrigo Ferreira est gêné par l'élocution française, comparé à ses partenaires dont la diction est immaculée, et le personnage d'Albin souffre, de ce fait, d'une moindre aura ; ce qui gâte quelque peu un équilibre des tessitures soigneusement pesé, et justement original, avec les deux autres voix graves. Les autres solistes et les chœurs se tirent d'affaire avec brio d'une écriture pas toujours aisée à négocier. Jérémie Rhorer, décidément sur tous les fronts, tire de l'Orchestre de l'Opéra de Lyon des ressources insoupçonnées et une coulée incandescente ou apaisée.

 

Jean-Pierre Robert.

 

Un double bill abouti : Le Prisonnier & Erwartung

 

Luigi DALLAPICCOLA : Il Prigioniero (Le Prisonnier ), opéra en un acte avec prologue. Livret du compositeur, d'après Viliers de l'Isle-Adam. Arnold SCHOENBERG : Erwartung,  monodrame en un acte. Livret de Marie Poppenheim. Lauri Vasar, Magdalena Anna Hofmann, Raymond Very, Christophe de Biase, Thierry Grobon. Orchestre et Chœurs de l'Opéra de Lyon, dir. : Kazushi Ono. Mise en scène :Àlex Ollé.

 


Luigi Dallapiccola./
© DR

 

Réunir en un même spectacle Le Prisonnier et Erwartung n'est pas illogique. Les deux textes s'inscrivent parfaitement dans le thème Justice/Injustice, initié par l'opéra Claude. On peut même avancer qu'une complémentarité existe entre les deux spectacles : la démonstration et son aspect visuel, pour ce qui est de l'opéra de Badinter-Escaich, la perception et sa composante mentale, dans le cas du « double bill », elles-mêmes déclinées en symbolique pour Le Prisonnier, et sensoriel pour Erwartung. Lui Dallapiccola s'est inspiré du récit de Viliers de l'Iisle-Adam, La torture par l'espérance, extrait des « Nouveaux Contes cruels » (1888), pour décrire l'espoir de libération d'un prisonnier qui, au moment où il croit celle-ci acquise, se retrouve face à son bourreau, dans l'Espagne de l'Inquisition, alors sous la férule de Philippe II. La dimension psychologique est évidente, au point que ce prisonnier n'a pas de nom, non plus que son geôlier. La composante archétypale, universelle l'est tout autant. Dans Erwartung, Schoenberg livre le délire d'une Femme, elle aussi non nommée, qui la nuit, découvre le cadavre de son amant, et vit une sorte de cauchemar, une torture par l'espérance aussi. Un même thème d'aliénation mentale une commune obsession, et la permanence de l'angoisse de la condition humaine. Le compositeur italien (1904-1975) créé son opéra en 1949, concentrant une action extrêmement simple, un prologue et quatre scènes, dont la dernière est la plus développée. Le récit du prisonnier n'est agrémenté que des interventions de personnages, soit narrateur, telle la Mère, soit faire valoir, le geôlier ou l'inquisiteur, dont l'interprète doit être le même. Le récit offre cette cruauté que l'homme incarcéré voit sa liberté à portée de main, la porte de sa cellule laissée entre-ouverte, lui permettant de se frayer un chemin dans le dédale des couloirs de la prison, jusqu'au moment où il croise son bourreau et la certitude du bûcher. Celui-ci lâchera cette sentence terrible « A la veille de ton salut, pourquoi donc voulais-tu nous abandonner ? ». Une texture très serrée, et là encore une construction en arche, ont raison de ce récit effroyable de torture mentale. Le monodrame de la Femme chez Schoenberg est tout aussi ramassé, encore plus linéaire peut-être. Celle-ci vit, ici, une sorte d'égarement, de parcours bloqué, comme l'endure, là, le Prisonnier : « Je cherchais... » dira-t-elle in fine. « La liberté ? » s'interrogeait Le Prisonnier. Les deux partitions sont différentes : Schoenberg assume un dodécaphonisme pur et dur. Mais Dallapiccola, à l'inverse de ses contemporains italiens, Menotti, Pizzetti ou Malipiero, ne prend pas autant qu'il y parait ses distances avec la Seconde École viennoise : son écriture est aussi serrée que celle d'un Berg, dans Wozzeck.

 


Arnold Schoenberg/© DR

 

Là encore, l'Opéra de Lyon offre un spectacle extrêmement abouti. La direction de Kazushi Ono est limpide, s'il se peut en telle occurrence, et son orchestre montre des affinités certaines avec ces idiomes. L'interprétation vocale ne souffre aucune faiblesse, dominée par le Prisonnier de Lauri Vasar, beau métal de baryton grave, acteur consommé, et par Magdalena Anna Hofmann, La Femme, déchirante de vérité, nullement taxée par une partie exposée, confinant au tour de force, et déjà La Mère passionnée dans la pièce de Dallapiccola. Tous les autres sont à l'unisson d'un cast de haute volée. Àlex Ollé, de La Fura dels Baus, a conçu un dispositif scénographique commun aux deux pièces, les unissant dans l'idée d'obsession, mais aussi de ce qui ressortit d'un fonctionnement cyclique. Surtout dans le cas du Prisonnier : une double scène tournante dévoile le labyrinthe dans lequel tente de ne pas se fourvoyer le personnage, traversant des portes successives ou se heurtant à elles. Mais pourquoi ce parti pris de placer la trame dans ce qui ressemble à une institution des Bons Pères, avec les sous-entendus homosexuels que cela peut comporter ? Cette licence est gratuite et n'apporte rien à la charge émotionnelle que comporte déjà, en soi, l'opéra. Pourquoi également avoir pris la décision de laisser clairement à penser, en conclusion d'Erwartung, que la Femme a tué l'amant dont elle découvre le cadavre lors de ses pérégrinations nocturnes ? Le meurtre de l'amant n'est nullement suggéré, encore moins explicité, par le texte, ni même par la musique de Schoenberg, dont on connaît la précision avec laquelle il a en conçu la présentation scénique. Mais la régie, qui croise habilement les deux histoires, libère des visions fortes : l'angoisse dans un univers claustrophobe et blafard dans un cas, une divagation hallucinée au milieu d'une forêt à l'aspect menaçant, partagée entre onirisme et effroi, dans l'autre. Une magistrale idée surtout emporte la mise en scène : la composante de la dilatation du temps, inhérente à l'œuvre de Schoenberg, pas moins au cœur du combat mené par Dallapiccola contre l'injustice, voire le totalitarisme.          

 

Jean-Pierre Robert.     

 

Le Jardin des Voix de Mr Christie

 


© DR

 

Le Jardin des Voix, académie fondée par William Christie, plaçait le concert annuel de sa sixième édition, sous le thème de la carte du Tendre, « pour flâner dans les allées d'un parc du XVIII ème siècle dédié aux surprises de Rameau et aux émois de Gluck ». La figure centrale de l'auteur de Dardanus était mise en miroir avec plusieurs de ses contemporains. L'occasion de découvrir des noms peu familiers, de musiciens pourtant bien inspirés. Ainsi de Michel Pignolet de Montéclair (1667-1737), et de son Jephté, dont quelques extraits du Prologue montrent comment celui-ci se dégage du modèle lulliste, pour faire allégeance au clan rival des ramistes, ou Antoine Dauvergne, violoniste, dont la comédie-ballet La Vénitienne (1768) tourne le dos aux caciques pour flairer l'air du temps, celui du renouveau. Un « air du sommeil » se révélera quasi hypnotique. L'aixois André Campra avait, un peu plus tôt, en 1697, créé la surprise avec son ballet L'Europe galante, préfigurant l'opéra-ballet, ce genre que Marmontel, dans l'Encyclopédie, définit comme « un spectacle composé d'actes différents quant à l'action, mais réunis sous une idée collective comme les sens, les éléments, l'amour ». Quelques pages du Chevalier Gluck signalent combien l'évolution se fera radicale, dès la seconde moitié du siècle des Lumières, vers l'opéra-comique et les « comédies mêlées de vaudeville » : L'ivrogne corrigé, écrit à Vienne, triomphera à Paris, où ses savoureux effets feront flores. Rameau était cependant au centre du programme. Avec des extraits de La Guirlande, d'Hippolyte et Aricie, et son aria « quels doux concerts », musique imagée s'il en est, ou encore ce cocasse canon «  réveillez-vous dormeurs». Des morceaux tirés des Fêtes d'Hébé, de Dardanus, des Indes galantes ou des Surprises de l'Amour montrent les diverses facettes du génial musicien français, jamais aussi bien servi que par le franco-américain Bill Christie. Les enchaînements sont judicieux, pour donner le sentiment d'une trame construite, celle du triomphe de l'amour. Le chef et ses jeunes pousses nous mènent par la mains à travers un univers hédoniste. Une discrète mise en espace agrémente l'austérité du continuum musical, qui, en première partie du moins, souffre d'une certaine froideur. Ils ont du talent, ces jeunes, vocal et scénique, du punch comme de l'esprit. Ils sont prêts, pour la plupart, à s'embarquer dans la carrière. Et l'on sait combien le Jardin des Voix est un tremplin assuré. Christie les gratifie de sa finesse instrumentale coutumière, et d'une sonorité délicate, un peu soft quelquefois dans ce vaisseau pas toujours amène qu'est Pleyel. Qu'importe, l'esprit est là et un vent de jeunesse emporte tout!

 

Jean-Pierre Robert.

 

Déluge musical à l'Opéra Comique

 


© DR

 

« Recréé » au Festival d'Ambronay, puis repris au disque (cf. NL de 11/2012), Il Diluvio Universale (1682) s'en est venu à l'Opéra Comique. Aux confins du drame sacré, cet « oratorio à cinq voix et cinq instruments » n'en finit pas d'étonner. C'est que le sicilien Michelangelo Falvetti (1642-1692) lui imprime une veine rencontrant la tradition musicale de Haendel et de Carissimi, en y mêlant une pointe d'orientalisme. Surtout, il fait sourdre les émotions de manière spontanée avec une naïveté qui fait mouche. Ce déluge, c'est celui qu'un Dieu courroucé par l'inconséquence humaine, déchaîne sur l'humanité, n'épargnant que Noé et sa famille. Sujet dramatique s'il en est. Falvetti s'en empare avec une rare efficacité. Après un prologue dans la manière de Cavalli, où la Justice divine dialogue avec les quatre éléments, l'air, la terre, le feu et l'eau, Falvetti alterne sections narratives et moments lyriques. Dans les premiers, Noé et sa femme Rad expriment leurs craintes, mais aussi leur confiance. Ne sont-ils pas confrontés à La Mort et à la Nature humaine ? Ils s'agit d'ariosos souvent précédés de courts récitatifs. On ne compte pas les passages de facture originale. Ainsi ceux où s'exprime La Mort, soit en forme de cavatine sur un  accompagnement à la basse, évoquant le pas boiteux du personnage, soit sur un rythme de quasi tarentelle, dans l'aria « ho pur vento », proche du madrigal. La coupe des airs est la plupart du temps en deux parties, la seconde d'aspect différent. L'écriture vocale est variée, jusqu'à l'aria di tempesta, figure obligée du baroque, en forme de ritournelle rageuse. Duos, trio, et chœurs enrichissent la gamme émotionnelle. Ces derniers se voient offrir une riche palette stylistique, à deux ou trois voix, avec recherche d'effets de timbre particuliers, comme dans « A fuggire, a morire », fresque sonore peignant l'effroi des hommes devant la montée des eaux. Seul, Mozart atteindra une telle puissance évocatrice de la peur panique, dans le chœur « Qual nuovo terrore...Corriamo, fuggiamo » d'Idomeneo. Du point de vue instrumental, la pièce se signale par sa Sinfonia introductive, très travaillée, et une « Sinfonia di tempeste », dont les diverses sections décrivent l'effroyable châtiment aquatique, de manière presque visuelle. L'exécution de Leonardo García Alarcón, et de sa Cappella Mediterranea est enthousiasmante par sa rigueur, mais aussi sa fantaisie. L'ajout d'un instrument oriental, tour à tour Zarb, Oud, Darf et Tambourin, apporte une agréable note exotique. Le chef privilégie une petite formation instrumentale et un chœur réduit : la sonorité, finement articulée, n'en est que plus immédiate. Ses solistes sont merveilleux, un brelan de jeunes chanteurs déjà aguerris. Devant le succès, Leonardo Garcia Alarcón, qui ne fait pas mystère de sa joie de se produire dans les murs de la salle Favart, gratifiera son public d'une poignée de bis, repris de la pièce, et du finale de Falstaff, cette fugue à douze voix d'une verve inouïe, magistralement détaillée par des forces chauffées à blanc. On attend avec impatience leur vision de l'Elena de Cavalli, au festival d'Aix, cet été!

 

Jean-Pierre Robert.

 

 

Une fête orchestrale avec Lionel Bringuier, Salle Pleyel

 


© Jonathan Grimbert-Barré

 

C’est bien à une véritable fête orchestrale que nous ont convié le « Philhar » et Lionel Bringuier, salle Pleyel, en nous proposant un programme incluant Carnaval  d’Antonin Dvorak, le Concerto pour piano n° 2 de Liszt, sous les doigts experts de Jean-Yves Thibaudet, et le Concerto pour orchestre de Bela Bartók. Un programme sur mesure pour mettre en évidence tout le savoir faire, l’homogénéité, la réactivité et la sonorité des différents pupitres de l’orchestre, en même temps que sa cohésion. Dès les premières mesures de Carnaval (1891), le ton fut donné : musique endiablée, engagement de la direction, vaillance des coups d’archet, une démesure que seul le carnaval autorise, un élan dionysiaque, un hymne à la danse, suspendu un temps par le merveilleux duo entre le cor anglais (Stéphane Suchanek) et le premier violon (Hélène Collerette). La fête se poursuivit  avec une excellente interprétation du Concerto pour piano n° 2 de Liszt, œuvre contemporaine du Premier Concerto, fruit d’une longue maturation, plusieurs fois révisée, de forme rhapsodique en six mouvements enchaînés, où domine l’élément mélodique, sans pour autant que la virtuosité n’en soit négligée. Une composition toute en nuances, chargée d’états d’âmes, où le jeu de Jean-Yves Thibaudet sut se  faire tour à tour confident ou orchestral, méditatif ou rageur, acceptant la joute avec l’orchestre dans un face à face parfaitement équilibré. Une interprétation ne souffrant aucun reproche, tant dans la vision de l’œuvre que dans sa réalisation technique, empreinte d’une grande complicité entre chef et soliste, faite de regard et d’écoute. Une exécution se signalant par de très beaux moments de musique, comme le sublime duo entre le piano et le violoncelle (Eric Levionnois), le duo avec le hautbois d’Hélène Devilleneuve, ou encore celui avec la flûte, le violon solo ou la clarinette, avant de conclure sur un final furieux, véritable lutte titanesque, d’une époustouflante virtuosité.  En « bis », Consolation, du même Franz Liszt, remerciera le public d’une ovation bien méritée. La soirée se conclut en feu d'artifice avec le Concerto pour orchestre (1943) de Bartók. Une œuvre en forme d’arche, comportant cinq mouvements, complexe dans son architecture, prenant pour modèle le concerto grosso, où chaque pupitre occupe, pour un temps, le rôle de soliste. Une partition chargée de thèmes folkloriques et d’ironie, affichant une orchestration éclatante, faisant la part belle aux cuivres et aux bois, dont le « Philhar » donna une exécution de tout premier ordre, étincelante, comme un dernier cadeau à Jean-Jacques Justafré, cor solo depuis plus de 35 ans, dont c’était le dernier concert avant son départ à la retraite. Une salle enthousiaste, tout comme Gustavo Dudamel, venu applaudir Lionel Bringuier, qui fut son assistant au Philharmonique de Los Angeles.

 

 


© Decca / Kasssara

 

Patrice Imbaud.

                                              

 

 

Gustavo Dudamel inconstant et son Los Angeles Philharmonic

 

Après la création française de l’oratorio de John Adams, The Gospel According to the Other Mary, la veille, c’est avec un programme de musique purement instrumentale que Gustavo Dudamel se présentait salle Pleyel, pour son deuxième concert parisien, à la tête du Los Angeles Philharmonic dont il est le directeur musical depuis 2009. Une mythique phalange américaine, un jeune chef vénézuélien de 31 ans, très médiatique, déjà considéré comme un phénomène incontournable de la direction d’orchestre, un programme varié associant une œuvre contemporaine Zipangu de Claude Vivier (1948-1983), La Mer de Debussy, et L’Oiseau de feu de Stravinsky, voila de quoi remplir la salle Pleyel, déjà conquise avant que ne retentisse la première note… Avouons le, tout de go, la prestation ne fut pas toujours à la hauteur de nos espérances ! Passons rapidement sur l’œuvre de Claude Vivier, Zipangu (1980), nom donné au Japon au XIII èms siècle, dont on se demandera longtemps le pourquoi de cette pièce de musique de chambre (7 violons, 3 altos, 2 violoncelles et une contrebasse) en ouverture de concert! Une belle composition, au demeurant, où Vivier explore toutes les couleurs et sonorités des instruments à cordes frottées, en utilisant différentes techniques d’archet, occasion d’un remarquable solo de contrebasse. Mais notre attente restait entière. Tout particulièrement pour La Mer (1903-1905) de Claude Debussy, dont on pensait bien qu’elle pouvait être un piège, sinon un naufrage ! Gustavo Dudamel en donna, effectivement, une vision d’une affligeante lourdeur, sans rien qui puisse rappeler, de quelque façon que ce fut, la légèreté, la liberté et la ciselure de l’orchestration debussyste. Après la pause, L’Oiseau de feu (1910) fut, en revanche, l’occasion d’une renaissance, permettant de retrouver à la fois la superbe de l’orchestre et l’enthousiasme du chef, avec une interprétation époustouflante, digne des plus grandes louanges, tant par la progression dramatique maintenant l’auditeur en haleine, que par la réalisation instrumentale ne souffrant aucun reproche, ou par l’efficacité de la direction, menée sans partition, précise et efficace, ne négligeant aucune entrée pendant toute la durée de l’œuvre. Une façon grandiose de conclure ce concert parisien qui souleva les applaudissements, parfois un peu hâtifs, de la salle !


© CR

 

Patrice Imbaud.

 

 

 

Jorge Luis Prats : La leçon de piano

 

Un concerts de Jorge Luis Prats est toujours un évènement tant le pianiste cubain se fait rare sur les scènes parisiennes. Son dernier récital, en 2010, alors remplaçait au pied levé Nelson Freire, avait été un grand succès. Aussi l’attendait-on avec une certaine impatience pour cette soirée totalement dédiée à Rachmaninov (1873-1943), associant le mythique Concerto n° 3 pour piano & orchestre, le Caprice bohémien et la Troisième Symphonie. D’inspiration bohémienne, le Caprice (1892-1894) est une œuvre de jeunesse, manquant peut-être d’unité, mais faisant la part belle aux percussions et aux vents, à la fois dramatique et lyrique, sombre et dansante, véritable explosion de virtuosité orchestrale. L’Orchestre de Paris, dirigé par Paavo Järvi, sut le mener sur les sommets. Vint ensuite le célébrissime Concerto n° 3 pour piano (1909) dont Jorge Luis Prats donna une interprétation limpide, lumineuse, aisée, tout à fait exceptionnelle, à la fois, par son équilibre, sa complicité avec l’orchestre, sa virtuosité époustouflante, ses couleurs, sa musicalité toute en nuances et émotion…Un pianiste, hors du commun par son jeu, sa bonhommie et sa générosité, qui offrit à la salle, totalement conquise, quatre « bis », dont une Mort d’Isolde ( Wagner/Liszt) d’anthologie. En seconde partie, la Troisième Symphonie (1936) fut l’occasion de retrouver toute la superbe de l’orchestre, très engagé, suscitant beaucoup de tension et d’émotion, dirigé par un Paavo Järvi, plus extraverti qu’à son habitude, visiblement heureux de vivre ce concert en parfaite empathie avec les musiciens. Une très belle soirée conclue par Vocalise, spécialement dédiée à l’altiste Françoise Douchet-Le Bris dont c’était le dernier concert avant son départ à la retraite.

 

 

 

 

Patrice Imbaud.

 

 

 

 

La Chute de FUKUYAMA : Un ambitieux pari !

 

Grégoire HETZEL : La chute de Fukuyama, opéra sur un livret et une vidéo de Camille de Toledo.  Jennifer Larmore, Kevin Greenlaw, Tom Randle, Isabelle Cals. Orchestre Philharmonique de Radio France & Ensemble vocal Aedes, dir. Daniel Harding. Commande de Radio France, en création mondiale salle Pleyel.

 

 


© Toledo Art Forms.

 

Lorsque Theodor W. Adorno affirmait qu’il faudrait repenser le monde après le drame d’Auschwitz, il témoignait par là de la fin de la Modernité, héritée des Lumières, et de la faillite de la raison kantienne…Il avait probablement raison. Que les attentats du 11 septembre 2001 marquent la chute de Fukuyama et de ses prédictions, voilà qui est sûr également. Francis Fukuyama (° 1952) est un philosophe, économiste et politologue américain, auteur, en 1992 d’un livre intitulé La Fin de l’Histoire et le dernier homme. Il y reprend les thèses élaborées par Hegel et Kojève, selon lesquels l’Histoire s’achèvera le jour où un consensus universel sur la démocratie mettra un point final aux conflits idéologiques. La démocratie libérale, et son modèle américain, apparaissant à Fukuyama, après la fin de la guerre froide et la chute du mur de Berlin, comme un modèle politique insurpassable ! Fukuyama donne un sens à l’histoire et ne la considère pas, à l’inverse de Huntington, comme une fatalité. Le moteur de l’Histoire est le « Thymos », le désir d’être reconnu, cette quête éperdue de la dignité, qui ne peut être obtenue que par la reconnaissance des autres, et qui est la source de toute vertu. La démocratie libérale et le capitalisme représentent le régime politico-économique seul capable d’assouvir le désir thymotique de chacun (isothymia et mégalothymia confondues). Étrange optimisme et énorme bévue, copieusement critiquée par les philosophes de la déconstruction, au premier rang desquels se situait Jacques Derrida, qui argumenta ses critiques dans Spectres de Marx. Une critique du « finisme », qui trouvera son triste aboutissement dans la chute, non pas symbolique mais bien réelle, des tours jumelles du World Trade Center de New York, comme une plaie mortelle portée à l’Amérique triomphante.

 

Pari ambitieux, on en conviendra, que de composer un opéra sur un tel sujet ! Grégoire Hetzel, compositeur de musique de film, et Camille de Toledo, vidéaste, s’y sont pourtant attelés avec intelligence, pour un résultat tout à fait probant. L’action se passe dans un aéroport-monde et fait intervenir nombre de personnages : Fukuyama lui-même, la Pythie, véritable mère universelle, un étudiant de Hambourg, musulman, qui a connu en Allemagne les auteurs de l’attentat, un technicien de surface, italien et bègue, une hôtesse de l’air, des voyageurs et des journalistes regroupés dans le chœur. Comme autant de regards posés sur le drame, autant d’éclairages différents permettant d’échapper à la caricature. Le livret est écrit en 6 langues différentes, reflétant l’universalité du drame, dans cet opéra à numéros fait d’une succession d’airs et d’ensembles avec des didascalies projetées sur l’écran en guise de récitatifs. L’introduction de la vidéo, qui tient au fait que la création, salle Pleyel, ne permettait pas de mise en scène, implique deux niveaux de représentation et de réalité, qui se superposent de façon très originale : le chanteur sur scène, et son avatar qui évolue virtuellement dans le décor, assez sommaire, de la vidéo, où apparaissent également des images d’archive. La vidéo est, ici, conçue comme une épure de la réalité, comme un état métaphysique du réel (s’agit-il d’un cauchemar ou de la réalité ?) qui prend parfois l’aspect des tableaux d’Hopper ou de Giorgio de Chirico par ses jeux d’ombre et de lumière. La musique, soumise à de nombreuses influences, parait très marquée par les minimalistes américains, comme Steve Reich ou John Adams, très pulsée, lancinante et incantatoire, maintenant un constant sentiment d’urgence, interrompu, ça et là, par la cantilène d’un instrument soliste. Le choix des voix est admirable de pertinence dans la répartition des rôles et la justesse d’interprétation, tout comme la prestation du « Philhar » et la direction sobre et efficace de Daniel Harding. Sans oublier, dans ce concert de louanges, le remarquable chœur de l’Ensemble Aedes. Une belle réalisation qui, au-delà de la musique, pourra permettre à tout un chacun de connaitre la pensée de Francis Fukuyama et de s'interroger sur sa pertinence. Sur ses erreurs aussi, dont la plus importante semble être une bien mauvaise interprétation du Thymos platonico-hégélien, limitée à une dialectique d’opposition assez fruste entre désir d’égalité et désir de supériorité, oubliant la nécessaire inféodation du Thymos au Logos.

 

 


© Toledo Art Forms.

 

Patrice Imbaud.

 

 

L'Orchestra of the Age of Enlightenment ou la catharsis

 


© DR

 

La vie musicale londonienne est d’une richesse exceptionnelle à l’instar de sa vie théâtrale. S’ennuyer dans un tel contexte relèverait de la plus pure impudence. Ce soir-là, l’Américaine Marin Alsop était, au Southbank Centre,  à la tête de l’excellent « Orchestre de l’Âge des Lumières » constitué de musiciens expérimentés et pour le moins, imaginatifs. Le programme s’annonçait particulièrement prometteur : Mozart, Beethoven, Weber et Schumann. Il s’agissait, en l’occurrence, de célébrer le bi-centenaire de la vénérable et non moins remarquable Royal Philharmonic Society qui, jadis, nommée Philharmonic Society of London, donnait son premier concert le lundi 8 mars 1813, à Argyll Rooms, Regent Street, sous la houlette du Leader, le fameux Johann Peter Salomon, avec, au pianoforte, le célèbre Muzio Clementi. Cherubini, Mozart, Sacchini, Beethoven, Haydn et Boccherini étaient interprétés à cette belle occasion. L’invitée de notre concert-anniversaire, en mars 2013, était la soprano britannique Emma Bell dont l’énergie n’a pas manqué de surprendre dans des airs extraits d’Idomeneo de Mozart, de Fidelio de Beethoven et d’Oberon de Weber. La dernière œuvre inscrite au programme était l’intense Deuxième Symphonie, en Ut Majeur, opus 61, de Robert Schumann. Avant que de commencer, Madame Alsop a cru bon de s’adresser au public. Elle aurait, sans doute, été plus avisée de s’en abstenir tant elle n’a prononcé que des banalités, voire des lieux communs. Pourtant, c’est à ce moment précis que j’ai compris pourquoi, malgré tant de talents offerts, je me sentais si mal à l’aise tout au long de ce concert. Madame Alsop ne respire pas. Son énergie correspond davantage à un essoufflement empreint d’agitation. Elle conduit le tout à une vitesse qui peut impressionner d’aucuns, mais l’émotion le paie fort cher. Le concert devrait correspondre à ce que les Grecs de l’Antiquité transmettaient dans leur théâtre, la catharsis, le choc essentiel qui fait prendre conscience au public de l’importance et de la qualité du message. Les autres soirées de ma semaine londonienne, j’étais au théâtre. J’y ai vu des acteurs, des grands et des humbles tout à la fois. Et là, j’ai été ému !

 

James Lyon.

 

 

***


L’EDITION MUSICALE

Haut

 

MUSIQUE CHORALE

 

Bernard de VIENNE : Arrêt – Images. Pour chœur. Voix d’enfants ou voix de femmes. Dhalmann : FD0381.

Cette commande de Radio France pour la Maîtrise n’est évidemment pas facile. Ecrite pour trois voix de femmes et trois solistes (deux sopranos et une alto), cette pièce dont le titre se réfère au langage cinématographique est la mise en musique de cinq haïkus rassemblés au 13ème siècle.  L’auteur explique ainsi son propos : « … Afin d’écrire une œuvre où le mouvant s’oppose au statique, la multiplicité à l’unicité, j’ai choisi des poèmes où le souffle/fracas s’opposent au murmure/lune/automne. Les retours constants sur les mêmes images poétiques font de celles-ci de véritables arrêts sur image, comme le sont, en quelque sorte, les haïkus. »

Le tout s’enchaîne sans interruption dans une musique évocatrice et poétique.

 

 

 

Jean-Christophe ROSAZ : Tova malko nechto – Un petit air de rien. Delatour. Version pour 4 voix égales : DLT2179. Version pour 3 voix égales : DLT2180.

De difficulté moyenne, la version à quatre voix se veut la plus complexe, celle à trois voix étant seulement destinée à simplifier l’exécution. Hommage à la culture bulgare, cette pièce sera interprétée de préférence en bulgare, mais une interprétation en français est également prévue. Cette œuvre est à la fois simple et belle. Que demander de plus ?

 

  

 

 

CHANT

 

Gérard HILPIPRE : « … in weitre welten ». Cycle de chants pour voix de basse et piano sur des poèmes de Stefan George. Delatour : DLT2105.

Cette œuvre difficile veut se faire l’écho sonore de l’univers visionnaire de ce grand poète symboliste allemand (1868-1933). Le texte prime donc, que la musique doit servir et magnifier.

 

 

 

ORGUE

 

Christophe MARCHAND : Six études pour orgue. Delatour : DLT 2154.

Ces six études sont précédée d’une longue préface très intéressante où l’auteur expose comment sa musique s’inscrit dans la grande tradition organistique et dans la continuité avec le passé même s’il s’agit d’œuvres résolument contemporaines. Ajoutons qu’il est possible d’écouter intégralement ces six études sur le site de l’éditeur en inscrivant tout simplement la référence de la partition sur le site. On ne peut que saluer cette initiative qui permettra à chacun de tester « in vivo » son appétence pour ces œuvres.

 

 

 

Christophe MARCHAND : Orchésographie. Cinq danses pour orgue. Delatour : DLT 2155.

Si nous n’avons pas le plaisir d’entendre, comme pour les pièces précédentes, un enregistrement du recueil sur le site de l’éditeur, nous bénéficions également d’une préface copieuse et particulièrement intéressante. Ces pièces sans pédales sont destinées en priorité à un orgue ancien, même à un seul clavier, ou en ayant le charme. Elles n’en sont pas moins authentiquement d’aujourd’hui.

 

 

 

Louis GANNE : Prière pour grand orgue. Réalisation Jean-Louis Couturier. Edition commémorative pour le 150ème anniversaire de la naissance de Louis Ganne. Sempre più : SP0047.

On n’attend pas l’auteur des Saltimbanques ou de la Marche Lorraine dans des pièces pour grand orgue… C’est oublier qu’il obtint un deuxième prix d’orgue dans la classe de César Franck. Cette Prière est une pièce tout à fait délicate et intéressante même si elle a parfois un côté un peu théâtral. Il ne faut pas se laisser impressionner par la mention « grand orgue » : un instrument à deux claviers et pédalier un peu fourni fait tout à fait l’affaire.  On retrouvera cette pièce sous la rubrique musique d’ensemble : Jean-Louis Couturier en a réalisé une transcription pour quintette de cuivre.

 

 

 

Frédéric LEDROIT : Sur l’autre rive opus 54. Pour orgue. Delatour : DLT2128.

Composées sur un coup de colère après une altercation avec un paroissien qui lui reprochait de « l’empêcher de prier », ces six prières sont à la fois l’expression de l’abattement et de la rage de leur auteur qui s’est souvenu de l’Apocalypse : « tu n’étais ni chaude ni froide, tu étais tiède et pour cela je te vomirai de ma bouche ». Ajoutons qu’une aventure semblable est arrivée il y a bien longtemps à Olivier Messiaen à la Trinité. Et le curé de l’époque, qui appréciait beaucoup son organiste-compositeur avait dû servir de tampon… Surtout, on a le plaisir, sur le site de l’éditeur, de voir et d’entendre Frédéric Ledroit interpréter lui-même ces six magnifiques prières sur son bel instrument…

 

 

 

PIANO

 

Gabriel FAURÉ : Valses-Caprices éditées par Christophe Grabowski. Urtext d’après les Œuvres complètes. Bärenreiter : BA 10843.

On lira avec beaucoup d’intérêt la préface de Christophe Grabowski qui situe très bien à la fois dans leur époque et dans l’œuvre de Fauré ces œuvres aussi délicates qu’intéressantes. On appréciera en particulier les « notes d’interprétation » avec des indications de Fauré lui-même qui sont à méditer en cette époque où le nombre de notes à la seconde remplace parfois la pensée musicale…

 

 

 

Gabriel FAURÉ : Barcarolles éditées par Christophe Grabowski. Urtext d’après les Œuvres complètes. Bärenreiter : BA 10842.

Là encore, la préface est tout à fait passionnante ainsi que le paragraphe sur l’interprétation des Barcarolles. On y retrouve bien sûr Marguerite Long mais aussi une écoute critique des rouleaux de piano pneumatique enregistrés par Fauré lui-même. Et bien sûr, l’édition elle-même est d’un soin et d’une clarté digne d’éloges, bien loin de l’édition Hamelle qui ne fut jamais corrigée malgré les demandes de Fauré lui-même.

 

 

 

David LAMPEL : 5 pièces pour piano à 4 mains. Delatour : DLT2125.

Ecrite comme un cadeau de naissance à son fils en 1999, ces cinq pièces d’un niveau deuxième cycle sont pleines de charme et de variété. Les deux parties de piano sont de difficulté égale. On trouvera sur le site des éditions Delatour une vidéo de l’ensemble des cinq pièces ce qui permet d’en goûter toute la poésie et la variété.

 

 

 

Michaël SEBAOUN : Variations sur un thème de Paganini pour piano à 4 mains. Delatour : DLT 1523.

De niveau difficile, ces variations sur le célèbre thème sont à la fois fidèles au modèle du thème et variations et font en même temps appel aux techniques d’écriture contemporaines. On lira donc avec intérêt la présentation qu’en fait l’auteur. L’œuvre a été enregistrée par le compositeur avec d’autres de ses œuvres. On en trouvera la référence sur le site et dans la partition.

 

 

 

René MAILLARD : Sonate pour piano opus 3. Delatour : DLT 2140.

Cette sonate se présente classiquement en trois mouvements et est de niveau difficile. Résolument atonale, elle séduit par son sens rythmique et mélodique : à un premier mouvement très tonique succède un adagio méditatif aux couleurs mélancoliques et parfois tragiques qu’on pourrait qualifier de « nocturne ». Vient enfin un allegro marcato martial et riche de combinaisons rythmiques. Cette œuvre de jeunesse (écrite en 1951 – il avait vingt ans) mérite pleinement d’être redécouverte. On a le plaisir de pouvoir l’entendre intégralement sur le site de l’éditeur.

 

 

 

Maurice JOURNEAU : Menuet pour piano. Fortin-Armiane : EAL529.

Cet opus 1 de Maurice Journeau a été écrit et publié dès 1922 par les éditions Maurice Sénart aujourd’hui disparues. De moyenne difficulté, il montre l’intérêt que portait ce compositeur basque à la danse, intérêt qui se retrouve dans d’autres de ses œuvres. Si on peut y discerner l’influence de Ravel, on sera surtout intéressé par le langage pleinement personnel de l’auteur. 

 

 

 

Eric FISHER : Logia et variations pour piano. Fin de premier cycle. Dhalmann : FD0378.

On pourrait penser aux « paroles » éparses (pluriel du « logion » grec). Mais l’auteur parle de « la logia ». Alors… Voici en tout cas sa présentation : « Les 9 variations ne portent pas de numéro. Elles peuvent s'agencer dans n'importe quel ordre, soit en une sélection d'entre elles, soit dans la totalité. Dans tous les cas choisis, il faut commencer et finir par la Logia.

Tout doit s'enchaîner afin de former un seul mouvement continu. (Il est possible pour la Logia finale de n'en jouer que la mélodie, soit la main droite uniquement). »

 

 

 

GUITARE

 

Maurice JOURNEAU : Promenade. Impromptu pour guitare. Fortin-Armiane.

Cette pièce assez facile et très courte a été écrite par l’auteur à la demande d’un enfant. On en aimera le côté à la fois simple et très mélodique ainsi que la délicatesse des harmonies, nullement conventionnelles.

 

 

 

FLÛTE

 

David LAMPEL : Sonatine pour flûte seule. Delatour : DLT 2124.

D’un niveau de second cycle, cette sonatine se présente sous une forme classique. Elle présente deux mouvements : un thème et variation et un allegro giocoso en forme de rondo. L’ensemble se meut dans une ambiance de ré, même si aucune tonalité n’est officiellement indiquée. Il s’agit d’une œuvre musicalement et techniquement très intéressante.

 

 

 

Piotr MOSS : Berceuses pour Hugo pour deux flûtes. Fortin-Armiane : EAL541.

Ces poétiques berceuses ont été écrites pour des parents flûtistes à l’occasion de la naissance de leur fils Hugo. Ces pièces délicates et peu difficiles devraient faire le bonheur des jeunes flûtistes ou d’heureux parents pratiquant le même instrument. Ce compositeur polonais aujourd’hui citoyen français se souvient cependant de ses origines dans certaines pièces. Comment ne pas penser à Chopin ?

 

 

 

Claude-Henry JOUBERT : Son chat Sacha (chat savant). Variations pour flûte avec accompagnement de piano. Niveau premier cycle. Sempre più : SP0055.

Notre ami Sacha, introduit au piano par un indicatif de cirque, déploie son habileté à travers différentes activités qui l’amènent à des formules musicales en rapport avec celles-ci. L’humour n’empêche pas le charme, bien au contraire. Quant au pianiste, il est invité à ponctuer par des miaulements dûment notés la présentation de l’animal…

 

 

 

Alexandre CARLIN : Au pied de la muraille pour flûte ut et piano. Préparatoire. Lafitan : P.L.2643.

Cette jolie pièce aux sonorités nettement pentatoniques fait penser évidemment à la muraille… de Chine ! Peu importe puisqu’elle est pleine de charme et de délicatesse. Le jeune flûtiste éprouvera certainement beaucoup de plaisir à y exprimer sa musicalité et son sens poétique.

 

 

 

HAUTBOIS

 

Kathryn POTTER : Illuminations. 23 pièces pour hautbois solo. Niveau facile. Collection « cent fleurs pour le hautbois ». Fortin-Armiane : EAL527.

Kathryn Potter nous offre ici vingt-trois fleurs puisque chacun des titres de ces pièces est un nom de fleur. Très courtes, ces charmantes évocations permettront au jeune hautboïste d’exprimer toute sa sensibilité et toute sa musicalité malgré la simplicité des moyens mis en œuvre.

 

 

 

CLARINETTE

 

Gérard LENOIR : Sur les bords du Danube pour clarinette en sib et piano. Elémentaire. Lafitan : P.L.2586.

Une mélancolique mélopée est enchâssée dans deux parties joueuses et rythmées qui évoquent les danses joyeuses sur les rives du fleuve. L’ensemble est plein d’un charme slave qui séduira certainement les jeunes interprètes.

 

 

 

Rémi MAUPETIT : Ritournelle pour clarinette en sib et piano. Elémentaire. Lafitan : P.L.2608.

En deux minutes, cette ritournelle dévoile de multiples facettes, tantôt lyrique, tantôt rythmique, s’épanouissant dans une cadence très libre. Bref, le jeune clarinettiste pourra y dévoiler tous les aspects de son talent sans risquer de s’ennuyer un seul instant.

 

 

 

SAXOPHONE

 

Stéphane RAULT : Pensées simples pour saxophone seul, de préférence baryton. Assez difficile. Dhalmann : FD0380.

Pas si simples, ces pensées sont cependant très poétiques. Elles s’apparentent à une sorte de monologue intérieur où se bousculent des sentiments divers, tantôt violents tantôt méditatifs. Cette pièce demande un engagement personnel très fort de l’interprète.

 

 

 

Alexandre CARLIN : Armorique pour saxophone alto et piano. Fin de 1er cycle. Lafitan : P.L.2651.

Point de folklore dans cette Armorique mais une ambiance lyrique et un peu mélancolique. Cette promenade dans la lande et les forêts bretonnes est pleine de charme et de variété. Une cadence permet au saxophoniste de laisser libre cours à son sens musical et à sa technique du phrasé. La partie de piano a une vraie place dans cette pièce et dialogue vraiment avec le partenaire. On trouve donc dans cette pièce beaucoup de charme et de variété.

 

 

 

TROMPETTE

 

Georges Kastner : Adagio et grande polonaise brillante pour cornet Bb (ou trompette) et piano. Restitution Jean-Louis Couturier. Niveau 3ème cycle. Sempre più : SP0045.

Georges Kastner (1810 – 1867) est un compositeur et théoricien dont l’œuvre est loin d’être négligeable. On lira avec intérêt la notice qui lui est consacrée dans cette partition ainsi que celle concernant le dédicataire, Jean-Baptiste Arban. Cette œuvre est bien loin d’être sans intérêt. L’adagio, sombre, en si bémol mineur, a des accents tragiques. Il débouche, après une courte cadence, sur la polonaise, en si bémol majeur, pleine de fougue et de panache. C’est de la très bonne musique qu’on gagnera à découvrir.

 

 

 

Max MÉREAUX : Cantabile pour trompette ou cornet ou bugle et piano. Préparatoire. Lafitan : P.L.2625.

Voici une œuvre dont le contenu est particulièrement conforme au titre. On se laissera charmer par ces phrases amples qui permettent de faire chanter l’instrument, y compris dans la cadence qui, si elle est un peu plus enlevée, ne déroge pas au côté chantant de l’œuvre. Le piano a également sa place dans cette œuvre pleine de charme.

 

 

 

TROMBONE

 

Benoit BARRAIL : Attente pour trombone et piano. Préparatoire. Lafitan : P.L.2558.

Voici une attente pleine de charme nourrie d’un dialogue entre le piano et le trombone par petites séquences qui semblent entretenir une véritable conversation.

 

 

 

Jérôme NAULAIS : Message personnel pour trombone et piano. Préparatoire. Lafitan : P.L.2566.

Quel joli message adressé au jeune tromboniste ! Une élégante mélodie qui n’hésite pas à moduler avec une audace mesurée serpente tranquillement. On peut espérer que les deux interprètes y trouveront beaucoup de plaisir.

 

 

 

PERCUSSIONS

 

Bruno GINER : Irae. Piano et percussion. Dhalmann : FD0387.

Cette commande du Concours International d’Orléans « Brin d’herbe 2013 » n’est évidemment pas de la plus grande facilité. Irae : allusion au « jour de colère » ou à des « colères » qui s’exprimeraient dans cette pièce tumultueuse ? Difficile de le savoir. Beaucoup de travail mais aussi beaucoup de plaisir en perspective !

 

 

 

MUSIQUE DE CHAMBRE

 

BRAHMS : Trio pour violon, violoncelle et piano opus 101 édité par Christopher Hogwood. Urtext. Bärenreiter : BA 9437.

Christopher Hogwood présente cette œuvre avec beaucoup de soin et nous livre en même temps des réflexions concernant l’interprétation de Brahms lui-même à partir de témoignages de ses contemporains. On lira en particulier le texte de Fanny Davies (1861 – 1934), élève de Clara Schumann, particulièrement précieux par son témoignage sur le jeu même de Brahms et les réflexions qu’elle en tire. Ajoutons à cela une édition particulièrement soignée… mais était-ce utile de le préciser ?

 

 

 

Gérard GASTINEL : Cinq duos complices. Violon et marimba. Difficile. Dhalmann : FD0204.

Gérard Gastinel joue avec beaucoup d’adresse et de sens des timbres des possibilités des deux instruments. Le mot « complicité » illustre bien son propos et la réussite est au rendez-vous. Ces duos demandent évidemment cette même complicité de la part de leurs interprètes qui devraient y trouver beaucoup de plaisir.

 

 

 

Louis GANNE : Prière pour quintette de cuivres. Transcription de Jean-Louis Couturier. Edition commémorative pour le 150ème anniversaire de la naissance de Louis Ganne. Sempre più : SP0048.

Il s’agit de la transcription de la Prière pour grand orgue recensée plus haut. Cette pièce se prête très bien à cette transcription : les cuivres peuvent y déployer leur richesse et leur variété de timbres pouvant évoquer les changements de couleur possibles sur un orgue. La pièce est sans grande difficulté.

 

 

 

Jean-Christophe ROSAZ : Au désert demeure la paix. Pour flûte et guitare. Delatour : DLT2176.

Cette œuvre très belle et très poétique a été « composée en hommage à la musique israélo-arabe du bassin méditerranéen. » Elle « en utilise certaines bribes de phrases et modes ainsi que la façon de faire sonner instruments à cordes pincées ou « soufflées » ». Les éditions Delatour nous permettent d’écouter l’intégralité de cette œuvre sur leur site. Il ne faut surtout pas s’en priver !

 

 

Daniel Blackstone.

 

Venez, chantons ! 72 chants inédits de 1 à 8 voix a cappella ou avec instruments. Lyon, Olivétan, 2013, 136 p. 15 €.

Par ce titre dynamique (deux verbes à l’impératif), l’UEPAL (Union des Églises Protestantes d’Alsace-Lorraine, Strasbourg) a réalisé une engageante et stimulante invitation à la participation vocale, au chant (1 à 8 voix, a cappella ou avec instruments) en une sélection de 72 pièces destinées aux chorales d’Église et un parcours chronologique allant du XVIe au XXIe siècle. Ce vaste programme concerne des chants pour Noël, Pâques, Pentecôte ; des pages d’inspiration biblique ou reposant sur des thèmes de notre temps : partage, amour et accueil de l’étranger, y compris deux chants de bénédiction : Shalom (de Gerhard Schnitter) ou encore Que l’Éternel te bénisse (2011), de John Featherstone — guitariste, chanteur, compositeur et arrangeur. Les paroles et adaptations françaises sont dues essentiellement à Danielle Guerrier-Koegler et, pour le XXIe siècle, entre autres, à Yves Kéler ; les harmonisations, à Daniel Leininger, encore Roger Trunk... Mais l’excellent poète Paul Gerhardt (XVIIe siècle) n’est pas en reste, de même que les mélodies de Melchior Vulpius, Johann Crüger, Bartholomäus Decius, sans oublier celles de Felix Mendelssohn, ou de Negro Spirituals (Were you there). À noter en particulier pour le XXIe siècle, les compositions de Jean-Jacques Werner (né en 1935) qui ne reprend pas les paraphrases françaises genevoises (1562), traditionnelles, strophiques et rimées, mais met en musique le texte (en prose) d’après la traduction de Louis Segond, ou encore les chants de Rolf Schweitzer et de Heinz Werner Zimmermann… La consultation est facilitée par des Tables : analytique (thématique), des auteurs, compositeurs, incipit, concordances. Bref : un large éventail de styles et de formes variés, à la fois assez traditionnel et pourtant dans le vent. Il retiendra l’attention des animateurs et des chefs de chœur.

 

Édith Weber.

 

  La musique atemporelle de Gérald Scordialo (* 1945)

 


© DR

 

De Gérald Scordialo, compositeur et chef d’orchestre lyrique, qui présida vingt ans durant aux destinées du conservatoire de Meylan dont il fit l’une des institutions les plus dynamiques de sa région, j’ai déjà eu l’occasion de signaler, dans les colonnes de L’Éducation musicale, les Promenades pour piano, d’une grande et simple beauté, ainsi que la Sonata breve pour guitare, pièce virtuose et élégiaque. C’est au gré d’enregistrements et de concerts récents que les mélomanes ont pu découvrir de nombreuses autres facettes de son art.

 

Ainsi des Variations pour accordéon et orchestre (2007), où nombre d’épisodes captivants, parfois troublants, conduisent à méditer sur la nécessité de maîtriser, sans le brider, l’élan compositionnel par la rigueur d’un discours éclectique (imitations, modalité, développement varié plus que variation…) en accord avec les préméditions d’un certain XXe siècle, celui de Stravinsky, Prokofiev, voire de Chostakovitch, Bartók, éventuellement Berg. Gérald Scordialo se signale par sa capacité à créer des climats harmoniques en usant d’accords relativement simples, sans surcharge, aux dissonances justifiées par la logique et la dynamique sonores, générant une sorte de lyrisme paisible et éloquent. Dans la trame complexe de ces lignes dont le mouvement perpétuel semble appeler l’art du chorégraphe, le timbre, enfin, contribue de façon directe à la réussite musicale.

 

D’une esthétique très différente, la Toccata pour piano (2010) constitue un hommage indirect au maître disparu, Pierre Sancan, empereur de la pédagogie pianistique des décennies durant. Partition, tout à la fois subtile et robuste, lyrique et percutante, racée et enlevée, voilà une belle pièce de concert doublée d’une superbe épreuve pour un prix de Conservatoire. On y observe notamment que l’exploitation des registres vaut moins par la variété des hauteurs que par les spécificités dynamiques, intuition qu’un Liszt, un Falla, avaient déjà développée en leur temps.

 

Parmi les réussites de Gérald Scordialo, la Sarabande pour violon (2004) offre une nouvelle et ingénieuse spéculation sur les notes formant le nom de Bach. La richesse de l’harmonie s’y découvre dans le développement des accords arpégés comme dans le caractère inattendu des cadences, à la source d’éclairages parfois nuancés de modalité. La Marche funèbre (2009) participe de la même ambiance, la mélancolie des bois y révélant un penchant évident pour un impressionnisme musical puisant autant à la grande leçon de vagabondage sonore dispensée par Debussy qu’à la stricte exigence harmonique d’un Ravel.

 

Le trait le plus manifeste de la musique de Gérald Scordialo reste peut-être son atemporalité. Inscrite dans le XXIe siècle, elle se réclame pourtant d’une longue tradition, notamment par la virtuosité de l’écriture. L’Allegro pour flûte à bec alto et clavecin et l’Invention pour flûte et vibraphone (2010), en témoignent au premier chef, évoluant dans une atmosphère étrange, image vibrante d’un monde qu’on interrogerait et qui ne répondrait que par le silence.

 

Je terminerai par deux pièces singulières : l’Andante et scherzo pour harpe (2011) qui, par l’exploitation des traits distinctifs mais innovants de la harpe, semble restituer les échos les plus furtifs de notre temps. Et surtout le Nocturne pour piano (2010), où la densité des voix, la prégnance de la pulsation et l’émouvante fragilité du tissu sonore créent un étrange et fascinant climat de paix sans joie et sans ombre. Une musique de musicien, en un mot.

 

         Gérard Denizeau.

 

 

 

 

***

 


LE COIN BIBLIOGRAPHIQUE

Haut

 

Frédéric  GONIN : Quatre regards sur les Quatuors de Joseph Haydn, Sampzon, Delatour France (www.editions-delatour.com), 2012,  DLT  2093, 273 p. 23 €.

Après une présentation générale du corpus en cause mettant l’accent sur la rhétorique du « thème et variations » et son influence sur les formes nouvelles, pour analyser et caractériser les Quatuors à cordes de Joseph Haydn, Frédéric Gonin, compositeur et spécialiste de l’analyse musicale, a judicieusement sélectionné quatre paramètres : la variation, l’émotion, l’humour et l’esprit, et, sur le plan technique, le contrepoint. À l’instar des 4 mouvements d’un Quatuor, ces quatre critères, s’inscrivant dans la complémentarité, permettent à l’auteur de dégager « la problématique de l’unité dans la diversité » ; de situer, sur les plans historique et esthétique, l’œuvre du compositeur par rapport au Classicisme en musique ; de souligner les « non-sens lumineux » qu’il introduit face à la musique de son temps ; et, enfin — à l’aide d’analyses musicales percutantes et étayées de nombreux exemples musicaux —, de montrer comment le musicien arrive « à fusionner l’esthétique galante de l’agréable et la complexité savante des combinatoires les plus hardies ». Ses théories semblent se situer dans le sillage de la Kombinationslehre (Combinatoire) élaborée par G. W. Leibnitz (1646-1716). J. Haydn s’appuie aussi sur des techniques empruntées à ses contemporains ou à ses prédécesseurs directs. Toutefois, selon son affirmation à G. A. Griesinger : « L’art est libre, ce qui n’est que métier ne doit pas l’entraver. C’est à l’oreille, une oreille éduquée j’entends, de juger, et sur ce plan, je m’estime  aussi habilité que quiconque à édicter des règles ».

Ces « quatre regards » susciteront de nombreuses réflexions ultérieures et faciliteront une meilleure compréhension des techniques compositionnelles, tout en apportant des réponses à l’interrogation « ars combinatoria ou ars dialectica ? » : ils affinent la typologie du contrepoint (scolastique, dialogué…) et soulignent la grande exigence intellectuelle du compositeur. Quant à l’auteur, il fait preuve d’un solide esprit d’analyse (cf. imposante Table des exemples musicaux, p. 265-268) et d’un remarquable esprit de synthèse.

 

 

 

Édith Weber.

 

Association Maurice & Marie-Madeleine Duruflé Bulletin n°12. Paris, Association Maurice & Marie-Madeleine Duruflé (www.durufle.org ), 2012, 400 p. , CD encarté, 30 €.

Cet imposant numéro double présente la Messe Cum Jubilo (op. 11) de M. Duruflé accompagnée d’un enregistrement historique de la version pour orchestre de chambre et orgue avec M.-M. Duruflé et Camille Mauranne (baryton), placés sous la direction de Stéphane Caillat, et réalisé à la Maison de la Radio (18. 12. 1969). Le CD contient également les enregistrements inédits conservés à l’INA : Requiem (op. 9), création : 2. 11. 1947 et présentation par le compositeur ; un entretien dans lequel « il parle de sa vocation de musicien, de l’orgue et de la composition » et le Choral varié sur le « Veni Creator » (Institut National des Jeunes Aveugles (INJA), 27. 12. 1947).

Dans la première partie, Alain Cartayrade situe cette dernière grande œuvre dans ses divers contextes : versions, éditions et premières auditions. Sa documentation provient d’affiches, de programmes de concerts, correspondances, critiques d’époque (presse quotidienne française et étrangère). Il comprend le texte de la pochette (ERATO) par Norbert Dufourcq et une imposante Discographie des différentes versions.

La seconde partie concerne l’analyse de l’œuvre par Aurélie Tomezzoli, sous-titrée « Une illustration musicale des textes liturgiques, construite à partir de la Messe IX grégorienne ». Elle rappelle la perspective du renouveau du chant grégorien, et souligne la difficulté inhérente à l’exploitation d’une monodie grégorienne dans une « musique d’essence harmonique », donc : le problème de l’harmonisation du plain chant et de la traduction musicale figuraliste des images et des idées des textes. Étayée de nombreux exemples musicaux et de tableaux, l’analyse subtile montre que « la monodie grégorienne [connue des mélomanes] est… utilisée de manière assez fidèle » et que l’intelligibilité des paroles est respectée. Elle conclut que cette œuvre est très religieuse et pourra encore « fasciner l’auditeur du XXIe siècle » (p. 50).

Grâce à J.-E. Filet, Fernand de La Tombelle (1854-1928) — périgourdin qui étudia au Conservatoire de Paris auprès d’A. Guilmant et Th. Dubois — sera mieux connu ou découvert. G. Jacob, D. Havard de La Montagne et A. Cartayrade évoquent ensuite l’historique, les activités et réalisations de l’UMCO (Union des Maîtres de Chapelle et Organistes), de 1920 à 1939. Pour cette étude monumentale, A. Cartayrade a exploité la presse musicale d’époque lui permettant établir la longue liste chronologique (sur 20 ans) concernant les organistes français, artistes et compositeurs, Concerts à Paris, révélant les grands noms d’interprètes, les concerts, inaugurations et concours (avec leurs lieux) ainsi que les « Amis de l’Orgue », la « Société Bach »… : une mine de renseignements (p. 79-381), année par année, émanant d’une foultitude de documents patiemment regroupés. Ce Bulletin force l’admiration.

 

 

Édith Weber.

 

Mircea Valeriu DIACONESCU, Stefan BRATSIN, Iacob COMAN : Psaltirea Renascentisma Franceza. Versificare in limba romana a psalmilor pe melodiile hughenote… Bucarest, Editura Academiei Române, 2012, 435 p. (CD encarté).

Sous le titre : Psaltirea Renascentisma Franceza, « Psautier de la Renaissance — en fait : de la Réforme — française versifié en langue roumaine sur les mélodies huguenotes… », M. V. Diaconescu a pour objectif de mettre à la disposition des chanteurs, mélomanes et fidèles roumains une édition en langue vernaculaire du Psautier genevois officiel datant de 1562. Rappelons que, la même année, à l’attention des pays germanophones, Ambrosius Lobwasser (1515-1585) avait déjà réalisé une paraphrase en rimes allemandes de ce Psautier (in deutsche Reymen gesetzt) qu’il complète en 1565 avec la version à 4 voix homorythmique et homosyllabique de Claude Goudimel. V. Diaconescu, avec S. Bratsin et I. Coman ont, eux aussi, tenté cette gageure : produire une version roumaine strophique, rimée (ou assonancée), avec le même nombre de syllabes et de notes que dans l’original et la mélodie exposée au superius. Les textes (2010-2012) — reposant sur les paraphrases des Psaumes de Clément Marot et Théodore de Bèze — sont dus à des auteurs roumains, par exemple B. Burtescu, V. Burciu, S. Bratosin, V. Anghelescu, M. V. Diaconescu… ; ils sont chantés sur les mélodies huguenotes traditionnelles de Loys Bourgeois, Guillaume Franc et Pierre Davantès, et les harmonisations de Claude Goudimel (version note contre note, 1565) ainsi qu’occasionnellement de musiciens roumains : V. Burciu, M. V. Diaconescu, C. Geanta... La Table générale, très détaillée, modèle du genre, indique, entre autres, les numéros des Psaumes, les incipit, auteurs, particularités rythmiques, schèmes métriques et structures strophiques, auteurs des mélodies, auteurs de l’harmonisation et de la paraphrase. Dans l’ensemble, le contenu théologique et biblique est respecté, tout comme la concordance entre la prosodie verbale française, puis roumaine (avec syllabes accentuées ou non) et la prosodie musicale (avec, respectivement, succession de valeurs longues : blanches, ronde conclusive, et brèves : noires). Comme le signale Veronica Anghelescu, dans son étude à propos du projet Psaltirea Româna 2012, il s’agit essentiellement d’« une recréation conforme à la pensée et à la sensibilité roumaine ».

Le CD contient des arrangements à partir des mélodies de L. Bourgeois, G. Franc, P. Davantès (mélodistes dont le dernier état de la question relative à leur attribution a été judicieusement pris en considération par M. V. Diaconescu) et des harmonisations de Cl. Goudimel (et de quelques musiciens roumains). Ce beau recueil (Psalmul 1-150), très bien gravé et présenté, résultant d’une solide collaboration interdisciplinaire, comprend en outre treize études, notamment : présentation des 150 Psaumes ; considérations sur le chant des Psaumes, leur apport dogmatique ; le Psautier dans la vie de l’Église orthodoxe, sa finalité missionnaire ; les aspects musicaux, théologiques, historiques (contexte de la Réforme)… Elles représentent un remarquable complément d’information à cette édition dont le coordinateur est M. V. Diaconescu. Ce Psaltirea roumain, paru en 2012, commémorant dignement le 450e anniversaire de la publication du Psautier huguenot/genevois (1562), est tout à l’honneur des hymnologues, musiciens et poètes roumains.

 

 

Édith Weber.

 

 

Jean-Jacques Eigeldinger : Chopin âme des salons parisiens (1830-1848). Fayard, 2013, 1vol 13,5 x 21,5 cm, 333 p, 30,- €

Cet ouvrage propose de Chopin une facette intéressante, et pour nous, français, essentielle. Pplus que l'estrade de concert, le salon a été le lieu d'accomplissement de l'art du pianiste polonais. C'est  dans ce cadre restreint, choisi, mondain, que le musicien s'épanouit. Là, est-il perçu par ses contemporains comme « une âme au piano », ce que s'attache à retracer l'essai qui conclut le livre. « Homme du monde par excellence...du monde intime, des salons de vingt personnes, de l'heure où la foule s'en va » dira George Sand. Le premier concert parisien, en février 1832, chez Pleyel, n'aura pas de meilleur retentissement que dans le commentaire des salons. De ceux-ci, la variété est étonnante, ceux de la finance, des réunions d'artistes, des ambassades étrangères, des amis, du musicien lui-même, dans ses domiciles parisiens successifs. On y joue du piano, bien sûr, mais aussi de la musique vocale. Chopin y évolue tel un dandy, et son jeu est qualifié « d'elfe et de sylphe du piano ». Il recherche l'atmosphère feutrée du petit cénacle, la compagnie du milieu féminin, aussi comme antidote à la tristesse, à la nostalgie. Surtout, dans l'intime du lieu, peut-il se livrer à un exercice favori, l'improvisation, affirmer ses capacités imaginatives, voire s'adonner à la caricature musicales, et autres « polichinades », parodies de collègues et amis pianistes, grâce à un vrai talent mimétique. « Cette inspiration spontanée était comme un torrent intarissable de matières précieuses en ébullition » dira Jules Fontana (« F. Chopin, Œuvres posthumes, 1855). Et Jean-Jacques Eigeldinger de poser la question : dans quelle mesure les œuvres de Chopin reflètent-elles des éléments de son improvisation ? Peut-on, d'un point de vue méthodologique, « renvoyer au stade de l'œuvre publiée par l'auteur comme à un Ersatz du sonore disparu..., voire faire parler l'un à la place de l'autre ? » Plus d'un indice conduit à répondre par l'affirmative, et la facture de certaines pièces le montre. A propos de la Grande Polonaise op. 44, Liszt utilise le terme d'improvisation. Elle caractérise «  la démarche novatrice de l'auteur dans la conduite de la forme comme dans le mélange des genres ». La qualité narrative d'œuvres très élaborées est, selon Eigeldinger, à « relier à une création dans l'instant ». Nul doute que la production chopinienne éditée n'est que partie d'un tout bien plus vaste, « tributaire des salons où il a joué ». L'ouvrage se complète de textes et documents, souvent inédits, de contemporains, et d'extraits de correspondances et d'article de presse.

 

Jean-Pierre Robert.

***

CDs et DVDs

 

Haut

 

 

« Je voy le bon temps venir. Polyphonies & danses autour de 1400 ». 1CD ALPHA (www.alpha-prod.com ): ALPHA 189. TT : 65’ 49.

Les Musiciens de Saint-Julien, dirigés par François Lazarevitch, avec le concours de S. Sorini, E. Sorini, M. Busnel (chant), proposent plus d’une heure de « bon temps » aux mélomanes médiévistes. Ils retrouveront avec plaisir la (ou l’une des premières) chanson pour la Nouvelle Année de Baude Cordier (1380-v.1440) : Ce jour de l’an. Les thèmes évoquent l’amour courtois : Tres gentil cuer (Solage) ; l’admiration, langueur, amour, désespoir (12. J’ay grand desespoir/J’ay grant espoir) ; l’expressivité (11. Gli atti col dançar Franceschina danse chantée de Ciconia). Les personnages légendaires sont au rendez-vous : « compains », berger, bergeronette, Robin (13, 18, 19), Ysabel et Marion, Peyronelle, Messire Simon… Pour recréer cette atmosphère typiquement festive et irrésistible (9), l’interprétation nécessite une grande virtuosité vocale (volubilité, onomatopées) et rythmique (danses instrumentales). De plus, la présentation est un modèle du genre. L’intérêt de cette réalisation est tel que chacune des pièces mériterait un commentaire laudatif ; il est encore rehaussé par la remarquable participation d’instruments anciens : harpe, luth, vièle à archet, rebec, chalemie, flûtes, trompette à coulisse, bombarde à clef, cornemuse et l’Organetto de Quentin Blumenroeder, ainsi que des percussions... Les discophiles ne résisteront pas à ce Festival de musique ancienne associant des caractéristiques de l’Ars Antiqua (Adam de La Halle) et de la fin de l’Ars Nova débouchant sur l’Ars subtilior.

 

 

Édith Weber.

 

Jean-Baptiste PERGOLÈSE :  Stabat Mater. 1CD JADE (www.jade-music.net ): 699785-2. TT : 48’ 00.

Giovanni Battista Pergolesi, musicien italien né à Jesi en 1710, mort à Pouzzoles en 1736 prématurément à l’âge de 26 ans, élève notamment de Francesco Durante, connu par son apport à l’Opéra (cf. La Serva padrona ayant joué un grand rôle dans la Querelle des Bouffons ) et à la polyphonie religieuse. En 1735 — soit un an avant sa mort —, il a composé en 1735 son Stabat Mater, œuvre de commande de son mécène, le Duc de Maddaloni. Le présent enregistrement réalisé par la Manécanterie Bodra Smyana (Maître de chœur : L. Bocheva), l’Orchestre de Chambre Studio Concertante avec, en solistes T. Genova (Soprano) et N. Bozhkova (Mezzo-soprano), tous placés sous la direction de Vassil Kazandjiev, se distingue par la fraîcheur des voix d’enfants qui n’offrent pas une vision trop dramatique, mais créent immédiatement un climat mystérieux qui débouchera sur l’émotion et la profondeur de l’expression. Après une introduction instrumentale spéculant sur l’attente, le chœur d’enfants décrit l’état d’âme de Marie en larmes, débout près de la Croix. La suite invite à la contemplation de cette douleur, du chagrin de cette mère dans une atmosphère mélodique quasi-mozartienne, puis à la question relative aux pleurs. Le texte rappelle de façon poignante qu’« elle vit l’enfant mourir seul et soudain rendre l’esprit ». Les parties suivantes interpellent les croyants afin qu’ils revivent le drame du Christ et la crainte à l’heure de la justice, en implorant sa grâce et son soutien, et la conclusion évoque la gloire du Paradis. À la différence d’A. Dvorak (cf. infra), G. B. Pergolèse fait intervenir une plus grande variété dans les tempi, allant des mouvements lents (grave, andante, largo) à des mouvements modérés (larghetto, larghetto assai), plus rapides (allegro) et, pour les dernières mesures : presto assai. Mystère et adoration planent sur ce Stabat Mater qualifié par V. Bellini de « divin poème de la douleur, ému et profond ».

 

Édith Weber.

 

Antonin DVORAK : Stabat Mater. 1CD PHI (www.facebook.com/OuthereMusic ): LPH 009. TT : 74’ 17.

L’infatigable Philippe Herreweghe, avec le Collegium Vocale Gent et le Royal Flemish Philharmonic, propose un enregistrement exceptionnel du Stabat Mater, op. 58 (créé en décembre 1880) d’Antonin Dvorak (1841-1904) dans une version transparente, saisissante dès les premières notes, faisant pressentir la douloureuse appréhension de Marie contemplant les souffrances du Christ au pied de la Croix (peut-être associée à la souffrance même du compositeur après le décès de ses trois enfants). Avec un dosage remarquable des intensités, le drame se noue dans l’Andante con moto, longue introduction traduisant tristesse et douleur, et préparant à la question : Quis est homo qui non fleret ?, Andante sostenuto confié aux solistes. Assuré par le Chœur, l’Allegro moderato fait allusion à la « Mère, source d’amour » et suscite la réaction des chrétiens à sa douleur. Les parties suivantes, confiées tour à tour à la Basse, au chœur, au Ténor solo, à un Duo, invitent les auditeurs à la compassion et aux pleurs… Le solo d’Alto (n°9) sollicite le soutien de la Vierge, lors du Jugement dernier. Enfin, le Quatuor de solistes et le Chœur concluent sur ces paroles : « Au moment où mon corps mourra / fais qu’à mon âme soit donnée / la gloire du Paradis. Amen. » Version à retenir.

 

Édith Weber.

 

Frédéric LEDROIT : Requiem, op. 50. 1CD SKARBO (www.skarbo.fr): DSK2137. TT : 54’ 46.

« J’ai toujours été attiré par les grands textes sacrés (...). Si j’ai choisi d’écrire une messe de Requiem, ce n’est surtout pas pour satisfaire une curiosité morbide, que l’on retrouvait chez quelques romantiques déprimés ou certains théologiens aux idées masochistes des temps anciens, absurdes moralistes de l’inquisition confondant la vie avec la souffrance. J’ai avant tout cherché un moyen de me rapprocher de ma foi par un pèlerinage intérieur, une quête évidente et indispensable » : c’est ainsi que Frédéric Ledroit précise ses intentions. Son Requiem, op. 50, a été créé le 24 juin 2012, à l’Église de La Madeleine, avec lui-même au Grand Orgue, François-Henri Houbard à l’orgue de chœur (pour remplacer l’orchestre), Jean-Pierre Ferey au piano et le concours du Groupe Vocal Pro Homine sous la direction de Marie-Christine Pannetier. Le texte de présentation rappelle que « le Prélude introduit à l’orgue la messe de façon tragique, presque théâtrale et qu’ensuite, le tragique se transforme en triomphe de la vie en perpétuelle création » et fait allusion « aux âmes bienheureuses pour l’éternité ». Il comprend les parties traditionnelles, avec un bref Prélude débouchant sur l’Introït, le Kyrie jusqu’à l’In Paradisum avec, en plus, un bref Ave Maria après l’Agnus Dei si redoutable techniquement dans ses passages suraigus. À noter : le rôle percutant original du piano (Dies irae) ; la voix à découvert (Pie Jesu) ; la revalorisation de l’unisson (Libera me) ; peut-être l’écriture la plus audacieuse (In Paradisum) ainsi qu’un clin d’œil à Olivier Messiaen (délicats clusters au piano…, Lux aeterna). Cette œuvre en 14 étapes —chacune dédiée à ses maîtres, amis ou collègues —, dans laquelle tradition et modernité se côtoient, exploitant tous les registres vocaux et instrumentaux, pourra déconcerter certains auditeurs, intéresser les mélomanes curieux : selon la volonté du compositeur, l’interprète « doit être délibérément mis en danger », mettant la justesse des aigus à rude épreuve… Quoi qu’il en soit, l’auditeur est tenu en éveil et en émoi, conformément à l’assertion de Frédéric Ledroit : « …écrire un Requiem, c’est écrire une œuvre monumentale pour la vie ».

 

Édith Weber.

 

« 100 Jahre Menschlichkeit ». Albert SCHWEITZER in Lambarene. 1CD RONDEAU PRODUCTION (www.rondeau.de ): ROP 6073. TT : 72’ 25.

L’année 2013 correspond au Centenaire de l’arrivée du docteur, philosophe, théologien et organiste, Albert Schweitzer (1875-1965) à Lambaréné (Gabon), où il a créé l’Hôpital bien connu. Pour marquer cet anniversaire, l’excellent organiste Ullrich Böhme a évidemment retenu l’Orgue de l’Église luthérienne Saint-Thomas (Strasbourg) rénové par Quentin Blumenroeder en 2009. Déjà, en 1979, Alfred Kern avait repris la composition de l’instrument original de Johann Andreas Silbermann (1741) qu’Albert Schweitzer connaissait bien, tout comme celui de l’Église Sainte-Aurélie (Strasbourg) et d’ailleurs, en guise de « bonus », le présent disque reproduit son enregistrement historique (1936) de l’Adagio en la mineur (BWV564, 2).

Le texte d’accompagnement présente les principaux jalons de la vie d’A. Schweitzer et met, entre autres, l’accent sur ses rapports avec Jean Sébastien Bach. Le CD permet d’entendre la célèbre Toccata en ré mineur (BWV 565) dans un tempo raisonnable, bien structurée, avec une remarquable précision d’attaque ; de larges extraits de l’Orgelbüchlein et des Chorals de Schübler bénéficiant de registrations minutieuses, ainsi que les Préludes et Fugues en Sol Majeur (BWV 541) et en do mineur (BWV 546) et la Fantaisie et Fugue en sol mineur (BWV 542). L’organiste sait tirer le meilleur parti des nombreuses possibilités de timbre, notamment pour le Prélude de choral « Wenn wir in höchsten Nöten sein (BWV 668), dont la mélodie véhicule aussi le texte du dernier Choral de J. S. Bach : Vor deinen Thron tret’ ich hiermit (BWV 668), présenté dans un arrangement de Sebastian Krause pour ensemble vocal à 5 voix, interprété par l’Ensemble Calmus de Leipzig qui en réalise une version très dépouillée et pose ainsi un point d’orgue émouvant sur cet hommage au grand humaniste.

 

Édith Weber.

 

« Eucharistia ». 1CD JADE (www.jade-music.net ) : 699786-2. TT : 39’ 11.

Cette réalisation, accompagnée d’engageantes et chatoyantes illustrations, offre un bref aperçu de la liturgie orthodoxe chantée en français (au lieu de textes grecs byzantins, grecs modernes ou slavons) — après adaptation des mélodies russes aux spécificités de notre langue, lancée par Maxime Kovalevsky (1903-1988) — et, à ce titre, constitue un document discographique particulièrement intéressant. Interprété par l’Ensemble Harmonie Géorgienne, placé sous la direction de Nana Peradze, soprano, protopsalte et chef de chœur, ce CD survole les principales formes orthodoxes : Trisagion, chant « trois fois saint » en l’honneur de la Trinité, avec la Doxologie ; Antienne (invocation au début ou à la fin d’un Psaume) ; Psaume ; Hymne ; Tropaire (courte prière chantée). Ces œuvres vocales nécessitent une alternance entre diacre/protopsalte et chœur, entre monodie et polyphonie. Les mélodies se rattachent généralement au chant obikhod russe, avec parallélisme de tierces entre l’alto et le soprano porteur de la mélodie.

Le disque s’ouvrant sur une invitation à l’adoration : Venez, adorons, mélodie du Monastère de Valaam harmonisée par M. Kovalevsky, propose, entre autres, les Béatitudes bien connues sur la mélodie de la laure de Kiev, deux anaphores eucharistiques au centre de la liturgie, mais aussi la version liturgique du Notre Père sur la mélodie composée par N. Peradze, de même que l’Hymne des Chérubins (Cherubikon) dont la seconde partie est de D. Bortnianski.

L’interprétation est un modèle du genre, car ces chants a cappella exigent sobriété, absence d’effets, justesse extrême, diction précise et fondu des 4 voix (SATB) si bien réalisés par l’Ensemble Harmonie Géorgienne fondé en 2006 réunissant des chanteurs géorgiens, russes et serbes installés en France. Indispensable initiative hymnologique.

 

Édith Weber.

 

John DOWLAND : Lacrimae. 1 CD ALPHA (www.alpha-prod.com ): ALPHA 187.

Johan Dowland (1563-1626), n’ayant pas obtenu le poste de luthiste à la Cour d’Angleterre, a d’abord été entre 1590 et 1606 au service du Roi Christian IV de Danemark, avant d’être nommé, en 1612, à la Cour d’Angleterre, au service des Rois Jacques Ier et Charles Ier. Représentant par excellence de l’école anglaise du luth, il a composé une collection de Lacrimae, Pavanes qu’il a chacune dotées d’un titre. Il s’est imposé par sa pièce Lacrimae (pl. 13), pour luth seul en sol mineur datant de 1596 et reprise, quatre ans plus tard, dans son Deuxième Livre d’Airs, sous le titre : Flow my teares, arrangement pour voix et accompagnement ayant pour dénominateur commun les mots lacrimae et teares (signifiant : larmes). Un subtil Prélude, de caractère intime sur lequel plane un certain mystère, prépare l’entrée des voix avec la chanson d’amour si mélancolique : Come again (Reviens). Des pièces se rattachant à l’esthétique élisabéthaine pour luth seul (Fortune, The King of Denmarke…) introduisent l’idée centrale : « j’ai vu ma Dame pleurer » traduisant à nouveau la douleur comme la passion. Le n°6 reprend l’idée de « larmes » suscitées par l’exil et des douleurs inextinguibles. Le n°12 fait allusion aux « larmes de cristal » (cristall Teares). Les soucis, thèmes du départ et de l’absence sont présents dans les œuvres suivantes. L’ensemble du programme baigne dans la mélancolie, la tristesse et le désespoir exprimés avec des accents justes par Th. Dunford (luth et direction), R. Hugues (soprano), R. Van Mechelen (Ténor), P. Agnew (Ténor) et A. Buet (Basse), particulièrement sensibles à l’esthétique de ces miniatures élisabéthaines. Un modèle de sonorités, de paysage vocal typiquement anglais, baignant dans la discrétion et l’émotion contenue. Pour fins connaisseurs.

 

Édith Weber.

« Marie-Claire Alain joue Albert et Jehan ALAIN ». 1 CD VDE GALLO (www.vdegallo.ch; distribué par DOM )) : 683. TT : 64’ 22.

En hommage à Marie-Claire Alain, disparue le 26 février 2013, nous rappelons le disque qu’elle a réalisé en 1992 comprenant des œuvres de son père, Albert Alain (1880-1971) et de son frère, Jehan Alain (1911-1940). Il s’agit, en fait, d’une trilogie familiale et d’un émouvant témoignage à la fois du jeu et de la technique remarquables de cette inoubliable organiste, comme il ressort du CD enregistré à l’orgue construit par Albert Alain. Ce disque est accompagné des analyses précises, percutantes et circonstanciées de Marie-Claire Alain datant de septembre 1991 à propos, entre autres, du Scherzo, de deux Carillons d’Albert Alain et de nombreuses œuvres de Jehan Alain dont les Variations sur un thème de Cl. Janequin, les Litanies, de deux Chorals (dorien et phrygien), de deux Fantaisies et d’une Aria plus développée : autant de témoignages sonores du rayonnement post mortem de cette famille si engagée au service de la musique d’orgue. Grâce aux enregistrements discographiques : « leurs œuvres les suivent »…

 

Édith Weber.

 

Laure FAVRE-KAHN (piano) : Danses. TR 167. 1CD TRANSART PRODUCTIONS (www.transartproductions.com). Diffusion : HARMONIA MUNDI (www.harmoniamundi.com ). TT : 57’ 53.

Laure Favre-Kahn, qui a étudié le piano au Conservatoire d’Avignon, puis au CNSM de Paris avec Bruno Rigutto, soliste internationale, a sélectionné un florilège de Danses en tous genres provenant de Hongrie (Liszt et Bartok), de Pologne (Chopin), d’Arménie (Khatchaturian), de Russie (Tchaikovski, Scriabine), d’Allemagne (Haendel), d’Espagne (Granados, de Falla), de France (Debussy), et d’Argentine (Piazzolla, Ginastera). Ce vaste répertoire illustre l’évolution de la danse depuis ses origines populaires jusqu’à sa finalité artistique et compositionnelle. Elle convie les mélomanes à un vrai festival de rythmes, d’atmosphères, de mélodies : bref, à un parcours à travers les formes traditionnelles ou non : Valses, Danses, Mazurka et Sarabande. Enracinées dans le folklore ou dans les rites (Danse du feu), ces Danses se rattachent à diverses ethnies. L’excellente interprète respecte les tempi d’une forme à l’autre, et propose presque une heure d’une incontournable invitation à la danse dans l’espace et dans le temps.

 

Édith Weber.

 

« Mandarine. Tout un monde ».MANDARINE (assomandarine.chez-alice.fr). 1CD L’autre Distribution : MANDA 91314. TT : 45’ 58.

Destinée aux enfants, cette réalisation commémore les 30 ans de « Mandarine » (petite cousine de « Clémentine » lancée il y a dans les années 1950 par Annie Vallotton) qui réapparaît sous un autre look, assortie d’enregistrements anciens et des inédits. Elle a tout pour ravir les yeux (irrésistibles dessins hauts en couleurs), les oreilles (accompagnement musical, sonorités instrumentales variées) et l’éveil (pour stimuler l’écoute et attirer l’attention des petits sur des thèmes d’actualité : « monde de demain », « enfants de la terre »…). Ces chansons, qui ont « tout pour plaire », invitent au partage et donnent du courage. Elles replacent Mandarine dans son environnement (maison, avec magnéto, télé, cheminée…), suscitent à la fois rêve et évasion. La nature est présente au fil des saisons (printemps, hiver, neige, vent, pluie, lune, étoiles et fleurs…). Tant d’imagination et d’irréel émane de ces textes strophiques et rimés, dans lesquels interviennent également le petit chien Patatrac, Tom et le « Bonhomme de boue ». L’intérêt est encore rehaussé par un remarquable Guide d’écoute. Document d’une rare finalité pédagogique due, entre autres, à Benoît Viquesnel (paroles et musique) et Elsa Joubert (illustrations).

 

Édith Weber.

 

Référence Harmonium, volume 3. L’harmonium de LEMMENS et de GUILMANT. 1CD GALLO (www.vdegallo.ch, distribué par DOM ). CD 1328. Diffuseur : DOM. TT : 76’ 48.

L’harmonium, instrument à deux claviers, parfois comparé péjorativement à une « pompe à cantiques » est autre chose lorsqu’il sort de la Fabrique Mustel : c’est le cas du présent enregistrement de Joris Verdin. Pour le Volume 3 de la Série : Référence Harmonium, il a sélectionné les instruments « Mustel Harmonium 1891 » et « Mustel Harmonium-Célesta 1927 ». Il propose 10 œuvres d’Alexandre Guilmant (1837-1911) — dont la 4e Sonate, op. 61, aux mouvements très variés — et des pièces de salon, par exemple : Recueillement, assez lénifiant et contrastant avec la Valse pleine d’élan, la Villageoise (Bluette) entraînante, et la Mazurka dans l’esprit de la musique de salon de la fin du XIXe siècle. Son professeur, Jacques Nicolas Lemmens (1823-1881), passionné pour les instruments Mustel, figure en bonne place avec 5 pages très diversifiées : Allegretto non troppo, Agitato, Allegro, Andante, Animato avec des titres évocateurs : Invocation, Nocturne, Berceuse, Rêverie, Walpurgisnacht. Éloquente illustration d’un répertoire révolu de salon pour harmonium, instrument typique du XIXe et revalorisé au XXe siècle.

 

Édith Weber.

 

Hector BERLIOZ : Grande Messe des Morts. Barry Banks, ténor. London Philharmonic Chorus, London Symphony Chorus. London Symphony Orchestra, dir. Sir Colin Davis. 2CDs LSOLive : LSO0729. TT.: 94'04.

S'il est un chef désigné pour conduire le Requiem de Berlioz, c'est assurément Sir Colin Davis. Cette pièce manquait, au disque, avec le LSO, à la guirlande de ses interprétations du grand musicien français, déjà légendaires. Voilà chose faite, captée live lors de deux concerts à St Paul's Cathedral, en juin 2012. Cette Grande Messe des morts, c'est l'idée même de la démesure. Qui se situe dans le droit fil, et le gigantisme, des Requiem de Méhul, Le Sueur ou Cherubini. Berlioz a cherché à utiliser le facteur espace, celui des Invalides, où la pièce finira par être jouée, en décembre 1837, après bien des vicissitudes. D'où des tempos vastes, des courbes mélodiques amples, pour s'adapter aux dimensions du lieu et à leurs contingences en termes de spatialisation sonore, mais aussi à la dramaturgie voulue par celui qui est avant tout un auteur dramatique. Il n'y a, toutefois, pas que cela : la Messe des morts est aussi l'œuvre des contraires : aux déchaînements cataclysmiques font souvent suite des moments de ferveur intime, le grandiose voisine avec le calme, tel le « Quid sum miser » faisant suite au « Dies irae », le murmure précède l'emphase, comme dans la première section, « Requiem et Kyrie », avec ses phénomènes d'ascension du son en spirales. Bien sûr, comment ne pas rester stupéfait par le déluge sonore du « Dies irae » et ses sections cuivrées, disposées aux quatre points cardinaux, comme ses rafales de timbales, et autres percussions déboulant comme des fusées. L'effet, souligne David Cairns, dans son magnifique essai accompagnant le CD, est autant architectural que spectaculaire. On est ému par bien d'autres pages : le chœur a capella de « Quaerens me », l'« Hostias » et ses grondements de cuivres graves, ou encore le « Sanctus » qu'illumine l'intervention extatique du ténor, rythmée par le frôlement des cymbales, à laquelle répondent des chœurs éplorés. La vision de Sir Colin est celle d'une vie consacrée à l'illustration du grand Génie français. On ne sait qu'admirer : de la finesse de la texture quasi transparente des cordes, des scansions non exagérées (le « Lacrymosa » et ses vagues roulantes), des sonorités comme tirées de l'au-delà, des couleurs si originales, tels les traits plaintifs du hautbois ouvrant le « Quid sum miser ». On est touché par la joie inondant le « Rex tremendae », le lyrisme serein de l '« Offertoire, ou cette fin paisible de l'« Agnus Dei ». La contribution du LSO est immaculée et le « ton » est résolument gallique. La participation chorale, le LSO Chorus et le Philharmonic Choir, est superbe, même si disposés quelque peu dans le lointain, ils pâtissent de la forte réverbération du lieu. Certes, l'écoute domestique d'un tel monument est délicate. La prise de son, dan un tel vaisseau, a dû confiner au casse-tête, mais le résultat est plus que satisfaisant : l'impact est certain, sans trop de compression, et on a privilégié l'impression d'ensemble à l'immédiateté ; encore que l'orchestre bénéficie de beaux effets de proximité.  

 

Cette interprétation sera donc le testament berliozien du chef anglais! Hommage lui soit rendu pour tant de concerts et de grands moments de musique partagée.

 

 

Jean-Pierre Robert.

 

George Friedrich HAENDEL : Giove in Argo. Opera seria en trois actes. Livret de Antonio Maria Lucchini. Reconstruction de John H. Roberts. Ann Hallenberg, Karina Gauvin, Anicio Zorzi Giustiniani, Vito Priante, Theodora Baka, Johannes Weisser. Il Complesso Barocco, dir. Alan Curtis. 3CDs Virgin Classics : 50999 7231162 2. TT.: 66'21+46'16+43'13.

Créé en 1738, au King's Theater de Londres, Giove in Argo appartient à la dernière période créatrice de Haendel. Il ne connut pas le succès, tombant dès la seconde représentation, car le saxon n'était plus en cour auprès du public londonien. Il s'agit d'un « pasticcio », ou pièce faite d'emprunts à d'autres compositions de son auteur, voire même, ce qui reste rare chez Haendel, à un collègue, le nommé Francesco Araja. On y trouve ainsi un air tiré d'Alcina, le piquant et très orné « Tornami a vagheggiar », ou cet autre, vraie « aria di tempeste », extrait de Faramondo, « Combattuta da più venti », bardé de nuances raffinées aux cordes, agrémentant une vive articulation de la voix caracolant avec mille fioritures. Haendel y propose aussi de nouvelles compositions, dont les esquisses de son futur Imeneo, une de ses deux ultimes pièces pour la scène. Ces morceaux de choix étaient destinés à donner matière à briller aux deux cantatrices fameuses de l'époque, la Francesina et la Posterla. L'emprunt à Araja, on le trouve, notamment, dans l'air « Ombra che pallida », d'une grande qualité expressive, même si quelque peu différente de la manière du maître, tant mise en valeur par ailleurs. « Spectacle mêlé de chœurs et de deux concertos à l'orgue », Giove in Argo ressortit au genre de la Pastorale. C'est une pièce dans le style de Acis et Galathée ou de Il Pastor fido. On y conte les amours de bergers et de bergères, et ceux, moins académiques, des dieux, de Jupiter en l'occurrence, amouraché de deux mortelles. Certains personnages sont traités avec une distance ironique. Surtout, on est frappé par l'importance dévolue au chœur : pas moins de huit ici, ce qui est considérable dans un opera seria haendélien. Les récitatifs sont courts et les airs plutôt conçus dans un geste lyrique. La musique, agréable, progresse naturellement, ce que restitue avec bonheur la direction d'Alan  Curtis. Non que la pulsation soit paresseuse, loin de là. Simplement, comme William  Christie, Curtis se défie d'une battue trop énergique. Sa conception est, justement, apaisée. Son orchestre, Il Complesso Barocco, nanti de quelques 23 musiciens, donne à savourer des sonorités enchanteresses. Le cast est de classe, dominé par les timbres de soprano, clair, de Karina Gauvin, et plus sombre, de Ann Hallenberg, et de la basse Vito Priante. Un nouveau venu, le ténor Anicio Zorzi Giustiniani apporte une vocalité singulièrement accomplie.

 

                                                         

Jean-Pierre Robert.

 

Wolfgang Amadée MOZART : Concertos pour piano et orchestre N ° 23, K 488 & N° 25, K 503. Rudolf Buchbinder, pianoforte. Concentus Musicus Wien, dir. Nicolaus Harnoncourt. 1 CD Sony Classics : 88765409042. TT.: 56'05.

Nicolaus Harnoncourt revient aux concertos pour piano de Mozart, quoique pour la première fois avec ses musiciens du Concentus Musicus Wien... et au pianoforte : un instrument reconstitué d'après un original d'Anton Weber, des années   1792,joué par Mozart. Il fallait trouver le pianiste idoine, dit le chef autrichien : ce sera Rudolf Buchbinder, un habitué de ce type d'instrument. Le son est bien sûr, plus étouffé et moins « rond », plus percussif, que celui, brillant, d'un Steinway Grand, ou même d'un Bechtein. Cela sonne complétement différent de ce qu'ont achevé récemment Martha Argerich et Claudio Abbado, dans le concerto K 503. La balance est tout à fait autre, quoique fort réussie : le discours orchestral tranche presque par son éclat, ici, sur une sonorité du piano plus ténue. Comme toujours, chez Harnoncourt, l'articulation saute aux yeux dès l'allegro maestoso, surtout dans l'acoustique claire de la grande salle du Musikverein de Vienne. Il y a quelque chose de fier dans les tuttis. Un même souci d'articulation préside à l'interprétation de Buchbinder, et la cadence, de son cru, est éloquente. L'andante est retenu, et le parti-pris de pulsation marquée confère au flux une couleur particulière, intimiste, résolument non romantique, moins directement attractive ; même s'il est difficile de résister à pareille vision. Il en va de même du dernier mouvement, auquel Mozart n'a pas donné d'indication spécifique de tempo. Buchbinder et Harnoncourt le jouent allegretto. Le jeu très délié du pianiste, extrêmement fin, a aussi beaucoup de séduction. Il en va tout autant du concerto K 488, qui offre le sentiment d'une vision patricienne dès l'introduction orchestrale. Ce qui ne veut pas dire que le tempo restera figé. Le dialogue piano-orchestre saura prendre de l'envol et la ré entrée de l'orchestre, après la cadence, montrera une belle énergie, en contraste avec un soliste plus serein. Buchbinder aborde l'adagio sans afféterie, et Harnoncourt le suit dans un échange simple et naturel, où les bois jouent un rôle plus déterminant qu'il n'y parait. Un souverain équilibre s'établit : la conclusion frôle cet état de grâce que tout amateur appelle de ses vœux. L'allegro assai a du zest, bois roucoulants, cordes souples, et, là encore, la tension créée par l'articulation apporte au geste un supplément d'imagination.

 

                                  

Jean-Pierre Robert.

 

« Erlkönig ». Franz SCHUBERT : Lieder choisis, vol 7. Matthias Goerne, baryton, Andreas Haefliger, piano. 1CD Harmonia Mundi : HMC 902141. TT.: 67'54. 

Matthias Goerne poursuit son exploration des lieder de Schubert avec un systématisme qui le conduit dans les pas d'un Dietrich Fischer-Dieskau. Ce septième volume s'articule autour du célèbre « Roi des aulnes » : lied mythique s'il en est, concentré de la pensée schubertienne, illustrative de cette forme strophique qui lui est chère. Une dramaturgie de l'angoisse s'établit : la peur panique du fils, la confiance, pas si rassurante, du père. La puissance du poème de Goethe est démultipliée par un traitement musical haletant, presque véhément aux dernières mesures. Bien sûr, le parcours tracé par Goerne illustre la thématique de l'errance, inhérente à la poétique du musicien romantique : « Où es-tu, ma terre chérie ? » s'interroge le narrateur dans « Der Wanderer ». Au finale d'« Im Walde » (Dans la forêt), celui-ci lance « Quand finira le voyage ? ». La recherche de la bien-aimée conduit le voyageur au bord du désespoir, souvent au terme d'une chevauchée animée (« Sur le Bruck »). L'appel de la Nature est omniprésent, dont on dresse l'éloge (« Feux du soir »), ou qu'on célèbre à travers les éléments, le lac (« Am See ») dans lequel «  tombent tant et tant d'étoiles », le fleuve, (« Der Fluss »), « masse argentée, déroulant ses anneaux ». La lune (« An der Mond »), chantée par Goethe, protège aussi bien des secrets. Que ce soit le lyrisme raffiné de « Nachtviolen » (Violettes de la nuit), si tristement égrené, ou le drame, en apparence effleuré, mais en fait bien prégnant, de « La truite », pris ici vif et très scandé, tout est asservi à la poétique de la mélancolie. On croise aussi le fantastique (« Danse des esprits »). Matthias Goerne fait sien ces épanchements discrets du l'âme avec une conviction qui rappelle son illustre aîné. Mais aussi une pudeur, un naturel de l'inflexion vocale, qui parent ces petits joyaux de mille nuances. La délicatesse et le plasticité du piano d'Andreas Haefliger, petit-fils d'un célèbre ténor, ajoutent à la fête : le toucher strict sait faire un sort à la savoureuse ritournelle, ce que l'immédiateté de la prise de son capte à merveille.

 

 

Jean-Pierre Robert. 

 

 

Anniversaire Wagner!

« Kaufmann Wagner ». Richard WAGNER : extraits de Die Walküre, Siegfried, Rienzi, Tannhäuser, Die Meistersinger von Nürnberg, Lohengrin. Wesendonck-Lieder. Jonas Kaufmann, ténor. Avec Markus Brück, baryton-basse. Chœur et Orchestre du Deutschen Oper Berlin, dir. Donald Runnicles. 1 CD Universal Decca : 478 5189. TT.: 74'.

Voici un passionnant et singulier voyage parmi les héros wagnériens, couronné par une surprise : les Wesendonck-Lieder chantés par une voix de ténor. Jonas Kaufmann séduit par la beauté du timbre, la clarté quasi italienne, la force,  l'agilité pour passer du ppp au forte dans une ligne idéalement conduite, et surtout, l'immédiateté du ton, par l'appropriation du texte, apanage des grands. Le récital fait se côtoyer quelques uns des grands morceaux réservés par Wagner au ténor, tels le Monologue de Siegmund, dit le l'épée «  Ein Schwert verhiess mir der Vater », nanti des fabuleuses interjections « Wälse, Wälse » et sa seconde partie si lyrique, la Prière de Rienzi, dernière aria de facture italienne, combien mélodieuse, ou encore le Chant de Walther, non pas celui dit du concours, mais cet autre, au Ier acte, brut de décoffrage, qui va tant intriguer le finaud Hans Sachs. Partout, le ténor allemand est à l'aise. Il l'est tout autant dans un de ses rôles favoris, Lohengrin, abordé un peu partout, à Bayreuth notamment, et depuis peu à La Sacla. Le récit « In fernem Land », enregistré ici dans sa version originale, en deux strophes, scelle un moment de pure grâce habitée : les premières phrases pianissimos, le forte glorieux sur le mot Graal, et cet art de ménager le formidable crescendo du récit. Kaufmamn aborde deux nouveaux rôles ici. Siegfried, d'abord, et ce passage, délicieux entre tous, où le héros prend enfin le temps de la réflexion, plus que du repos, et se laisse envoûter par les murmures de la forêt : l'invocation de la mère, le dialogue naïf avec l'Oiseau «  Oiseau, vois-tu, je reste sot : ton art est malaisé ». Il y a là une belle jeunesse, qui sait comprendre la nature, une voix qui maîtrise le parlando combien expressif, et a pour compagnon un orchestre de cordes frémissantes. Tannhäuser est un autre challenge : Kaufmann dit être prêt à le prendre à la scène. Le ton barytonnant et mordoré du timbre l'y prédestine certainement. Le « Récit de Rome » montre un sens aigu du texte, mélange de l'élégiaque et de la puissance, pour passer de la dépression à l'extase, du désespoir à la course folle au plaisir. On pensait les Cinq Lieder pour Mathilde Wesendonck réservés à une voix de femme, celle du grand soprano wagnérien. Le chanteur dit malicieusement que Wagner ne fait aucune référence au sexe du « narrateur ». On reste confondu devant ce qu'il en fait. « Der Angel » est paré d'un superbe legato. « Stehe still! » prend l'allure d'un morceau pur jus pour le ténor, avec son exorde affirmée, puis son développement intensément lyrique, rejoignant la poésie du Monologue de Siegmund, comme ses climax d'ailleurs. « Dans la serre » et sa désolation, celle évoquée au III ème acte de Tristan und Isolde, libèrent des pianissimos inouïs, la strophe finale annonçant le délire du héros. « Souffrance » offre une déclamation large qui n'a rien à envier à tel récit d'opéra. « Traüme », enfin, cette autre « étude pour Tristan », du IIème acte cette fois, conduit à une magique conclusion une somme en tous points magistrale.

 

Jean-Pierre Robert.

 

Anniversaire Wagner !

Richard WAGNER : Die Walküre. Opéra en trois actes. Livret du compositeur. Jonas Kaufmann, Anja Kampe, Nina Stemme, René Pape, Mikhail Petrenko, Ekaterina Gubanova, Zhanna Dombrovskaya, Irina Vasilieva, Natalia Evstafieva, Lyudmila Kannunikova, Tatania Kravstova, Ekaterina Sergeeva, Anna Kiknadze, Elena Vitman. Mariinsky Orchesrta, dir. Valery Gergiev. 4CD Mariinsky : MAR0527. TT.: 67'48+50'24+45'41+72'43. 

On se prend à s'émerveiller, comme naguère, pour le Ring de Georg Solti, devant « la » distribution de rêve, qu'on n'est pas loin de tenir ici. Mais d'abord mille compliments à celui qui est la cheville ouvrière de cette Walkyrie d'anthologie, Valery Gergiev. Sa vision est mesurée, ample, intense plus que grandiose, refusant  l'approche tranchée de son prédécesseur. Le premier acte est gorgé de lyrisme, ses silences évocateurs, les longues phrases des cordes « nursées » avec infiniment de soin. Le débit ne s'emballera qu'à l'ultime de cet acte inouï. Le formidable impact de la scène entre Wotan et Fricka, au II, n'a d'égal que la vraie confidence livrée par celui-ci à sa fille Brünnhilde. La manière a à voir avec celle d'un Barenboim. Et que dire de l'errance bouleversante de Siegmund et de Sieglinde, et du hiératisme de l'Annonce de la mort, grand moment d'un orchestre complétement apaisé! La belle excitation d'une Chevauchée, menée bon train, laissera à ces dames pétersbourgeoises peu loisir de répandre des quintes plutôt acidulées, pour faire place à l'épique grosse colère du dieu qui se sait déjà vaincu. L'Orchestre du Mariinsky est superlatif, la vraie couleur pour Wagner, aux vents en particulier, clarinette magique, « blend » du contrebasson, à faire pâlir plus d'une formation  concurrente. La pédale des cordes graves est pareillement envoûtante. Gergiev a réussi le pari de rassembler le meilleur des voix, et le tour de force de les retenir durant trois captations de concert, correspondant à chaque acte. Jonas Kaufmann s'affirme comme le Siegmund quasi idéal, alliant un héroïsme contrôlé (chant de l'épée) et un infini lyrisme (adresse à Sieglinde au II ème acte). L'absolue conviction du récit impressionne, comme la beauté insigne de la ligne de chant. Sa Sieglinde, Anja Kampe, possède les vrais medium et grave du soprano pour incarner une figure wagnérienne pas si «  blonde » qu'il n'y paraît. La sensibilité à fleur de peau distingue l'interprétation, hautement dramatique, d'un personnage que caractérise l'angoisse. Nina Stemme offre, en Brünnhilde, un timbre réunissant le medium large et assuré d'une Kirsten Flagstadt et la brillance et l'invulnérabilité d'une Birgit Nilsson. Ses « Hojotoho! » sont glorieux, avec une « patte » originale. Surtout, point ici de vibrato démesuré. L'échange avec Siegmund est frappé au coin du génie, comme la supplique finale. Le Wotan de René Pape est plus humain que beaucoup, sans démesure lors des mots cruciaux (« Was verlangs du  ?» adressé à Fricka), car ceux-ci sont sentis de l'intérieur. Le récit du II ème acte est d'une exceptionnelle énergie contenue, les nuances ménagées par le grain d'un timbre mordoré. Une telle appropriation du texte produit des moments de pur bonheur opératique. Le Hunding de Mikhail Petrenko, un indispensable du rôle, comme naguère Josef Greindl, déploie une basse claire et lisse. La morgue de ce sinistre personnage n'en ressort que plus fortement. Ekaterina Gubanova, une des grandes voix russes de la tessiture de mezzo-soprano, projette glorieusement la résolution de Fricka. La prise de son, de concert, est d'une étonnante présence, les voix non prédominantes, car les chanteurs, placés derrière l'orchestre, sont habilement captés, dans une balance équilibrée voix-orchestre. Une immense réussite, qui fait saliver à la pensée des trois autres volets.

 

Jean-Pierre Robert.

 

 

« Rhapsody in Blue ». Camille SAINT-SAËNS : concerto pour piano en sol mineur, op. 22. Le Cygne. Maurice RAVEL : concerto pour piano en sol majeur. Prélude en la mineur. George GERSHWIN : Rhapsody in Blue, version originale pour jazz band, de Ferde Grofé. Love Walked In. Benjamin Grosvenor, piano. Royal Liverpool Orchestra, dir. : James Judd. 1CD Universal Decca : 478 3527. TT. : 65'43.

Centré sur la Rhapsody in blue, le programme du présent disque ne doit pas faire oublier les deux autres morceaux. Le deuxième Concerto, op. 22, de Saint-Saëns, créé par Anton Rubinstein, en 1968, fera l'admiration de Liszt, qui en louera la « forme innovante ». Benjamin Grosvenor le porte aux nues, rappelant au passage combien le répertoire français est sous-estimé. Peut-être pas Outre-Manche! Il y a un certain dualisme entre le premier mouvement et les deux suivants, et une progression originale : du lent au rapide, et au très rapide. Pour le pianiste « la rhétorique » du premier « est vraiment touchante, mélange de grandeur et de lyrisme ». Le scherzo offre zest et vivacité, ce que la manière translucide du jeune interprète fait ressortir. Le presto contraste des tourbillons orchestraux un peu massifs avec la légèreté des trilles du soliste. Grosvenor le joue prestissime. Ce parti pris de vitesse, on le retrouve dans l'introduction orchestrale de l' « Allegramente du Concerto en Sol de Ravel. Mais dès son entrée, le pianiste en prend à son aise, avec un tempo trop mesuré et des effets appuyés. On sent la volonté d'insister sur la trame jazzy. La longue phrase solo de l'adagio assai, qui doit conserver un ton uniforme, est maniérée, comme à la recherche d'une expressivité qui n'a pas lieu d'être, et « la réserve patricienne » que le pianiste se plaît à souligner, ne transparaît que peu. Cela sonne « fabriqué », comme à l'orchestre d'ailleurs. La fantaisie débordante du finale le verra plus chez lui. Il sera tout à fait en terrain conquis avec la Rhapsody de Gershwin, jouée ici dans sa version originale, pour jazz band (1924), due à Ferde Grofé. A la différence de la version pour grand orchestre symphonique, cela sonne plus immédiat. On apprécie la vraie couleur des vents, dès lors que se confrontant au piano. Grosvenor est irrésistible de tact, de transparence, ne cherchant pas l'effet, mais plutôt l'adéquation avec une écriture étonnamment percussive. L'intégration du piano dans la texture jazzy est idéale et les soliloques de celui-ci  sont conçus comme des improvisations.

 

 

Jean-Pierre Robert.

 

Claude DEBUSSY : quatuor à cordes en sol mineur. Camille SAINT-SAËNS : quatuor à cordes N°1 en mi mineur, op. 112. Maurice RAVEL : quatuor à cordes en fa majeur. Quatuor Modigliani. 2 CDs Mirare : MIR 188. TT.: 56'20+28'25.

Décidément, le couplage fameux des quatuors de Debussy et de Ravel a de la chance au disque (cf. l'interprétation récente du Quatuor Talich ; NL de 2/2013), et les jeunes quatuors français le vent en poupe : après les Ebène, au disque, les Diotima, en  concert, à la Semaine Mozart à Salzbourg, voici le tour des Modigliani. Leur Debussy tombe moins naturellement sous le sens que celui des Ebène. La manière est plus contrastée, ce qui ne va pas sans quelque sollicitation, hésitant entre retenue et passion. Péché de jeunesse! Durant l'« animé et très décidé », l'on se prend à flâner au détour d'une phrase, puis le flux s'emballe. Ce qui est proche d'un scherzo, est avec les Modigliani, bien rythmé, avec le travail insidieux de l'alto, du 1er violon, puis du violoncelle, sur les pizzicatos des trois autres. L'andantino se veut objectif et miniaturise trop. Le finale « très modéré » poursuit sur cette approche, tandis que le « très mouvementé » se révèle fébrile. Leur Ravel offre le même souci d'objectivité. Quoique, comme souvent, les présents interprètes s'avèrent plus à l'aise dans cet idiome. Ce qu'on a pu appeler «  la sensualité par le timbre », de l'allegro moderato s'exprime, là encore, avec retenue et une remarquable finesse. Le « assez vite » est souplement rythmé, paré d'insondable mystère dans sa partie centrale, tel le trio réfléchi de quelque scherzo, et la reprise sera plus piquante encore. Le « très lent » signe une interprétation dosée avec soin, laissant à la pensée ravélienne tout son abysse. Bien timbré, à la rythmique imaginative, mais un brin étudiée, le finale parachève une vision qui ne laisse pas indifférent. Le joyau du CD est pourtant le quatuor N° 1 de Saint-Saëns. Cet opus 112, conçu en 1899, offre au 1er violon matière à briller. Ne fût-il pas dédié au grand Ysaÿe ! Il est loin d'être académique, comme se plaisaient à l'affirmer ses détracteurs, mais engagé, et fort séduisant, quoique d'une autre façon que les deux pièces quasi contemporaines. L'allegro introductif possède une fièvre qui laisse place au calme lyrisme. Le scherzo, syncopé et haletant, est un bijou d'originalité, que couronne un fugato entraînant. Le molto adagio offre beaucoup au 1er violon, dans une composition d'allure beethovénienne, sans parler de la belle mélodie de l'alto. Le Ier violon, quasi concertant, est de nouveau la vedette du finale, bien scandé. Ici, comme dans les deux autres morceaux, les Modigliani se distinguent par une haute tenue instrumentale, les quatre voix parfaitement équilibrées. Leur sincérité ne saurait être mie en doute. Une superbe prise de son les valorisent sûrement.

 

 

Jean-Pierre Robert.     

 

Richard STRAUSS : Concerto pour hautbois en ré majeur, op 144. Sérénade pour 13 instruments, op 7. Suite en si bémol majeur pour 13 instruments. François Leleux, hautbois. Swedish Radio Symphony Orchestra, dir. Daniel Harding. Ensemble Paris-Bastille. 1CD Sony Classics : 886977 48692. TT. : 57'.

Richard Strauss avait une prédilection pour les instruments à vent, et écrira pour eux des pages mémorables, tel le « Clair de lune » de son dernier opéra Capriccio, enluminé par le solo du cor. Le présent disque offre l'intérêt de rapprocher une œuvre de sa dernière période créatrice et deux pièces de jeunesse. Ce serait un soldat américain, en garnison à Garmisch, de son état hautboïste à l'Orchestre de Pittsburgh, qui, à l'été 1945, aurait suggéré à Strauss de composer un concerto pour cet instrument. Achevé quelque mois après, alors que le musicien avait gagné la Suisse, il sera créé, l'année suivante, à Zürich. L'œuvre reste très peu jouée. On se souvient pourtant d'une exécution, à Salzbourg, en août 1964, par les Berliner Philharmoniker et leur premier hautboïste solo, Lothar Koch, dirigé par Herbert von Karajan. Le premier mouvement livre la veine enjouée, volubile, d'un homme de 81 ans, remarquablement écrite pour le soliste. L'andante se fait élégiaque à la partie solo, sur un accompagnement lyrique typiquement straussien, se concluant par une mini cadence qu'agrémente un orchestre ppp. Le finale, attaca, sera vivace, de cette manière à la fois primesautière et ample, topique du musicien. Il exige du soliste délicatesse et brio ; qualités dont François Leleux n'est pas avare. Tout autre est l'atmosphère des deux pièces de chambre. La Sérénade op. 7 (1881), pour 13 instrument à vents, hautbois, flûte, clarinette et basson, par deux, un contrebasson, et quatre cors, a pour modèle Mozart. Elle est d'un seul tenant, mais révèle des sections bien différenciées. Strauss y déploie un bel élan et affirme un lyrisme généreux, et surtout un sens déjà expert de l'harmonie. Hans de Bülow en sera tant satisfait qu'il demandera au jeune compositeur d'écrire une autre pièce pour la même formation. Ce sera la Suite pour 13 instruments à vent. Le style est ici celui de la suite baroque. Elle est constituée de quatre parties : un « Praeludium » au geste affirmé et à l'orchestration aisée, une Romance d'un lyrisme contrôlé, mettant en valeur les divers pupitres, quoique la mélodie soit rythmée par les cors. Elle se pare d'un effet vocal, déjà! La Gavotte adopte un ton burlesque et sa partie centrale est contrastée, menée par le hautbois. Une Introduction et Fugue conclut la pièce, où Strauss montre un art savant du contrepoint : là aussi, le hautbois mène les débats, jusqu'à une fugue originale, introduite par le cor, et s'étendant, tour à tour, aux divers autres protagonistes. L'exécution de l'Ensemble Paris-Bastille, emmené par François Leleux, est un modèle de goût.

 

Jean-Pierre Robert.

 

Gustav MAHLER : Das Klagende Lied, pour soprano, contralto ténor, chœur mixte (version de 1898/1899).  Alban BERG : Lulu-Suite. Dorothea Röschmann, Anna Larsson, John Botha. Anna Prohaska. Wiener Philharmoniker, dir. Pierre Boulez. 1CD Universal DG : 477 9891. TT.: 64'.

Pour ce concert de juillet 2011, au Festival de Salzbourg, repris sur le présent disque, Pierre Boulez a réuni deux œuvres dissemblables, mais non sans parenté : Alban Berg admirait, de longue date, son aîné qu'il ne rencontrera qu'en 1907. Das Klagende Lied (le chant de la plainte) est donné ici dans sa version en deux mouvements, et non dans celle d'origine en trois parties, que le chef avait pourtant jouée, et enregistrée dans les années 1970. Son analyse de l'œuvre aurait-elle changée ? Cette cantate, achevée dès 1880, que son auteur considérait comme son opus 1, sera remaniée à plusieurs reprises, et substantiellement en1898/1899, pour l'amputer de sa première partie, très narrative, et créée sous cette forme en 1901. Elle inaugure une tradition essentielle, chez lui, de la mélodie : ici, l'histoire sombre d'un fratricide, l'un de deux frères, en quête d'une fleur magique pour obtenir la main d'une reine, étant tué par son aîné, après lui avoir dérobé le précieux talisman qu'il avait découvert. Les personnages ne sont ps nommés. On trouve là, en germe, les principaux éléments du langage de Mahler, intériorisé, nullement descriptif. L'orchestration est rien moins que flamboyante, pour créer la dimension épique, avec ce souci du timbre qui caractérisera bien des partitions vocales et symphoniques ultérieures, et ce mélange si original du symphonique savant et de la veine populaire. Plus que de fantastique, la musique est irriguée par l'obsession de la mort. Ce que souligne l'interprétation de Boulez, gratifiée d'un orchestre de rêve et de solistes de classe. La Suite de Lulu est un concentré de l'univers lugubre du second opéra de Berg. A propos de cette pièce, Theodor W. Adorno dira «Nulle part le lien avec le dernier Mahler n'est aussi évident qu'ici ». La ton est donné par les interventions étranges du saxophone, les effluves de musique de fête foraine, mais aussi les tempos de marche ou les brusques coups de boutoir, autrement dit une violence à peine tempérée par un pathétisme insondable. Le morceau présente les pages symphoniques topiques, le Lied de Lulu et l'ultime cri de déchirement de la Comtesse Geschwitz. Anna Prohaska en est l'interprète de choix. Quant à la direction du maître Boulez, parée des sonorités envoûtantes des Viennois, elle est tout simplement de référence.

 

 

Jean-Pierre Robert.  

 

François COUPERIN : Leçons de Ténèbres. Monique Zanetti & Françoise Masset, sopranos. Mathieu Dupouy, orgue. Jonathan Dunford, viole de gambe. James Holland, théorbe. 1CD Label Hérisson : LH09. TT : 56’17.

Voilà une magnifique interprétation des Leçons de Ténèbres à une ou deux voix, composées par François Couperin (1668-1733) pour la liturgie propre de la semaine peineuse précédant Pâques. L’office des Ténèbres se compose de leçons, tirées des Lamentations de Jérémie, désignées sous le terme de Leçons de Ténèbres, qui évoquent la première destruction du temple de Salomon et l’exil du peuple juif. L’extinction progressive des cierges au cours de l’office, pour ne laisser allumé que le dernier, laissant peu à peu l’obscurité envahir l’église, explique la désignation d’office des Ténèbres. Théâtralité certaine, mais aussi ferveur religieuse retrouvée du XVIIe siècle français, caractérisent ces Leçons du premier jour, composées par Couperin pour l’abbaye de Longchamp, véritable chef d’œuvre du genre.  L'enregistrement est remarquable à tous égards, qui, peut-être par le choix des voix, sacrifie la transcendance religieuse au profit d’une vision plus immanente et douloureuse, plus humaine, ce qui est un choix esthétique tout à fait défendable. Complété par des extraits de la Messe pour les Couvents et par la Cantate Domino de Campra (1660-1744), célébrant la joie retrouvée dans la résurrection du Christ, ce disque nous permet, par ailleurs, d’apprécier la sonorité de l’orgue « des Couperin » de Rozay-en-Brie. Une nouvelle version que l‘amateur éclairé se plaira à comparer aux nombreuses versions de référence existant déjà…

 

 

 

Patrice Imbaud.

 

 

Georg-Friedrich HAENDEL : Théâtre intime.Les Lunes du Cousin Jacques. Aurore Bucher, soprano, Frédéric Hernandez, clavecin, Diego Salamanca B, luth et théorbe, Annabelle Brey, violoncelle. Flûte & dir. Benoit Toïgo. 1 CD Editions Hortus : HORTUS 101. TT : 59’18.

Un disque, qui sous le titre un peu abscons de « théâtre intime », rassemble quatre sonates pour flûte à bec et basse continue, deux airs italiens inédits au disque « Son d’Egitto » et « Non posso dir di più », ainsi que la cantate « Nel dolce dell’oblio » de George Friedrich  Haendel. Un ensemble, un peu disparate, qui traduit bien l’ampleur et l’universalité de l’œuvre du maître saxon. Le quintette Les Lunes du Cousin Jacques, composé de Benoit Toïgo (flûte) Aurore Bucher (soprano) Frédéric Hernandez (clavecin), Diego Salamanca B (luth & théorbe) et Annabelle Brey (violoncelle), n’apporte, malheureusement, rien de nouveau dans ce répertoire, porté à son sommet par Franz Brüggen.

 

                                                                                               

Patrice Imbaud.

                            

                

Felix MENDELSSOHN : Complete works for piano and violoncello.Ferenc Vizi, piano. Laura Buruiana, violoncelle. 1CD Coviello Classics : COV 51304. TT : 61’37.

L’intégrale des œuvres pour violoncelle et piano de Felix Mendelssohn, comprenant la Sonate en Si bémol majeur, op. 45 (1838), la Sonate en Ré majeur, op. 58 (1843), les Variations concertantes de l’opus 17 (1829) et la Romance sans paroles en Ré majeur, op.119 (1845),  tel est le programme de cet enregistrement. Si la première sonate, écrite pour son frère Paul, est un modèle d’équilibre classique, quasiment mozartienne selon Schumann, la seconde est bien différente par son originalité innovante et son engagement, chargée d’intériorité et de romantisme. Les couleurs et la virtuosité des Variations ainsi que la sublime cantilène du violoncelle du « Lied ohne worte » enluminent agréablement ce disque. L’ensemble de ces œuvres illustre magnifiquement les qualités expressives des deux instruments, ainsi que la plénitude et l’équilibre compositionnels propres à Mendelssohn, toutes qualités parfaitement rendues par les deux solistes. On regrettera toutefois, par instants, la timidité du violoncelle face à l’engagement très marqué du piano, notamment dans la première sonate. Un très beau disque cependant.

 

 

Patrice Imbaud.

 

***


MUSIQUE ET CINEMA

 

Haut

 

PORTRAIT

 

Marie-Jeanne Serero, compositrice

 


© DR

 

C’est salle 233 du Conservatoire National Supérieur de Musique et de Danse de Paris. (CNSMDP), porte de Pantin, dans le 19ème arrondissement de Paris, que j’ai rencontré Marie-Jeanne Serero, une des rares femmes qui travaillent la musique pour l’image en France. C’est une belle jeune femme assez réservée, qui a passé trente cinq ans de sa vie au Conservatoire.

 

Toute jeune elle a donc fréquenté cette maison en commençant par le piano avec différents professeurs, et, entre autres, le grand pianiste Pierre Sancan. Très tôt, elle s’est intéressée à la voix, à l’orchestration, à l’arrangement. Elle s’est passionnée pour le chant et a été chef de chant à l’Opéra. Elle a eu ainsi un cursus assez large, et s’est vouée à l’enseignement pour l’orchestration, d’une part, pour les ingénieurs du son formés au Conservatoire, qui à l’origine, devenaient des ingénieurs hautement qualifiés à la Maison de la Radio pour enregistrer des concerts, d’autre part, pour les futurs compositeurs de musique de films. L’orchestration, elle en a fait de toutes sorte  : dans la variété, dans le jazz, pour le cinéma (« L’Arnacoeur », , « Enfin Veuve »…..). Elle a travaillé pendant huit ans pour les productions de Luc Besson (« Taxi4 » , « Fanfan La Tulipe »…).  Au cinéma, elle a eu quelques expériences en tant que compositeur : «  Nannerl, la Sœur de Mozart » de René Féret, en 2010, deux documentaires d’Eric Bergkraut « Lettre à Anna » sur Anna Politkovskaïa,  assassinée en 2009 à Moscou, et « Coca la Colombe de Tchétchénie », en 2006. Et tout dernièrement, en 2012, pour le film de Guillaume Gallienne, « Les Garçons et Guillaume, à Table », où elle dit avoir beaucoup souffert tant le metteur en scène, outre ses exigences, n’avait pas d'idées bien formulées, et passait son temps à faire et refaire… Mais, dit-elle c’était passionnant de travailler avec lui. C’est au  théâtre qu’elle a les plus grandes satisfactions et qu’elle peut exercer ses talents en composant pour le metteur en scène Alain Françon.

 

Au Conservatoire, en collaboration depuis le début de l’année avec le compositeur et chef d’orchestre Laurent Petitgirard (plus de 160 partitions de musique de films dont celle, célèbre, de Maigret pour la télévision), et avec une douceur extrême et une grande attention, Marie-Jeanne suit les compositions de ces jeunes compositeurs en herbe, et tente de faire éclore l’originalité de leur talent, écrasé par le formatage du Conservatoire. Elle les met en contact avec de futurs réalisateurs des écoles de cinéma pour qu’ils puissent créer ensemble. Ces metteurs en scène sont en dernière année d’études et doivent faire un court-métrage. Ces contacts sont très enrichissants pour ces artistes.

 

Avec beaucoup d’attention, Marie-Jeanne écoute le travail des compositeurs et leur donne des conseils en écoutant leur musique et en interprétant au piano des passages qui lui semblent devoir être améliorés. Il y a là plus de psychologie que de technique. Dans sa classe, elles ne sont que deux filles pour huit garçons, qui suivent ses cours ! J’ai pu entendre une musique d’un jeune compositeur, Julien Giraudet, qui se présente au concours de composition musicale au Festival d’Animation d’Annecy. Sur un court-métrage il doit écrire une musique qui corresponde à l’atmosphère, aux événements de l’histoire. Rien qu’à l’écoute on visionnait les images. Giraudet a à sa disposition un quatuor à cordes et trois bois ! Bonjour l’originalité de la formation. Nous sommes loin de Danny Elfman pour les premières animations de Tim Burton ! La composition écoutée est une musique « à la française », mais c’est un bon présage, et Marie-Jeanne Serero peut être fière du travail qu’elle accomplit avec beaucoup d’humilité.

 

Paradoxalement, elle n’aime pas écouter la musique détachée du support image. Elle fait quand même une exception pour ce qu’écrit Gabriel Yared. ( « 37°2 », « Le Patient Anglais », « L’Amant », « Camille Claudel »…). Elle vient de terminer de composer pour les deux derniers films de René Ferret, et pour un long métrage d’Eric Bergkraut. Cette femme discrète est en train de former la relève des Desplat, Rombi et autre Coulais. Espérons qu’ils trouveront leur Audiard, Ozon ou Jacquot. C’est tout le mal qu’on leur souhaite !

 

Stéphane Loison.

 

 

ENTRETIEN

 

CINEZIK

Benoît Basirico, créateur du premier site francophone de musique de film www.cinezik.org/

 

Benoit Basirico est un homme jeune, à la trentaine à peine passée. Dynamique, au verbe haut et clair, dès qu’on lui parle cinéma, et en plus musique de film, il a le regard qui brille. Inutile de lui poser mille questions, il suffit de lui demander pourquoi Cinézik et aussitôt il s’exprime sans s’arrêter et aisément sur son « bébé », qui va tranquillement sur ces huit printemps déjà !…Alors moteur ! ça enregistre :

« J’ai fait mes études à la fac de Poitiers en cinéma, théâtre, arts du spectacle et j’avais plein d’activités en dehors. J’ai créé une revue de cinéma qui s’appelait Détour, un collectif de vidéo avec lequel on avait fait « Poitiers vu par ». En 1997, j’avais une émission de radio qui m’a amené à la musique. Pendant la première année, j’avais une heure et je parlais de l’actualité du cinéma. Je n’avais pas souvent des réalisateurs. Poitiers ce n’est pas Paris, mais je me souviens d’une interview de Vecchiali, et une de Catherine Breillat…Après, j’ai demandé deux heures. Au début, je ne faisais pas que du « Talk », je passais de la musique et je faisais entendre des extraits de films que je prenais sur des cassettes vidéo. Je passais donc mixés des dialogues, des sons et de la musique. C’est comme ça que je me suis intéressé à la musique. Alors, la deuxième heure je l’ai consacrée à la musique et je faisais des spéciales polars, westerns… Je me suis vite rendu compte qu’il existait des compositeurs qui avaient un œuvre, et donc, je passais une heure de Morricone, de Williams, de Bernstein. J’avais une formation musicale. Jusqu’à l’âge de dix-huit ans j’ai fais du solfège et du saxo. Ce qui est curieux, du fait de mes études, c'est que j’étais plus passionné par le cinéma que par la musique, alors que j’avais une formation musicale ! Grâce à la radio je me suis donc intéressé à la musique de cinéma par le biais du film. J’ai eu ainsi plusieurs périodes : une plus musicale que cinéma, puis une plus cinéma que musicale ; çà s’est équilibré par la suite. Cinezik est arrivé parce qu’après mes années de cinéma, je me suis spécialisé dans le web, j’ai fais un master et du coup, dans le cursus de mes études, j’ai fais un site et un stage à la cinémathèque française, lorsqu’elle s’est installée à Bercy, en 2005. C’était ma première expérience parisienne, et j’ai pu rencontrer des journalistes, des personnalités du cinéma. J’ai pu développer Cinezik, mais il n’était pas ce qu’il est aujourd’hui, car je n’avais pas fait d’études informatiques. Je ne connaissais pas le langage, j’avais seulement appris comment être journaliste sur le web. Il a fallu que j’apprenne en autodidacte pour faire évoluer le site. De 2006 jusqu’en 2008, j’ai été journaliste à Studio Magazine à la fois sur le papier et sur le web. Je tenais la rubrique BO. Je suis parti quand ils ont fusionné avec Cinélive.

Indépendant, je me suis installé en auto entrepreneur. Je ne vis pas de Cinézik, c’est un loisir, qui me prend beaucoup de temps. Je dois le développer sur tous les fronts, informatique, éditorial, partenarial... Grâce à Studio et Cinezik, au cours des projections privées, j’ai pu rencontrer les attachés de presse qui m’ont permis d’être en relation direct avec les réalisateurs avec qui je pouvais parler musique, et  rencontrer, par leur intermédiaire, les compositeurs. C’est ainsi que j’ai pu avoir en binôme François Ozon et Philippe Rombi, Benoît Jacquot et Bruno Coulais…Aujourd’hui je fais beaucoup d’interventions dans les festivals, je vis en faisant des tables rondes, des master classes, et Cinezik profite de cela parce que je transcris tout ce que j’anime dans ces lieux. Avant Cinezik, il y a eu un site qui s’appelait Trackzone, et il y a beaucoup de blogs de passionnés ou de groupe de passionnés. Mais un site comme Cinezik avec des bases de données, des répertoires de compositeurs, çà n’existe pas ailleurs. Tous les jours, il y a des critiques de nouveautés, des infos sur l’actualité du cinéma. Je me suis toujours demandé pourquoi ceux qui s’intéressent au cinéma ne parlent que des réalisateurs, des acteurs, mais jamais de la musique. Cinezik est spécialiste par défaut. C’est parce qu’on ne s’intéresse pas à la musique de film que nous en parlons. On annonce la sortie des films en donnant aussi le nom du compositeur, et je vais interviewer les réalisateurs et les compositeurs des films à l’affiche. C’est bien le seul site du web qui s’intéresse à la sortie des films en parlant ainsi, et du réalisateur et du compositeur. Ensuite, il y a la chronique des BO qui sont dans les bacs. On est le seul site où il y a des archivages des BO par dates, par compositeurs. Tous les jours j’entre des données historiques, pour devenir le plus complet possible. A l’origine, j’ai été aidé par un ami pour la conception graphique, puis j’ai eu amicalement des aides pour des textes. En 2013, Cinezik est fait par moi et par des contributeurs occasionnels ou réguliers. Cette année j’ai trois ou quatre personnes qui m’envoient des textes régulièrement. Je ne les connais pas personnellement, je lis leur texte, je les fais réécrire, on en discute, il y a un vrai travail éditorial, de contenu. Les internautes peuvent aussi faire des commentaires. Il y a les outils sur facebook aussi.

Je suis très attentif au référencement naturel pour être dans les premiers à la rubrique musique de film. Pendant longtemps on était numéro un, maintenant on est troisième parce qu’Allo Ciné, Wikipédia, Amazon, ont fait des pages musique de films. On a 5.000 à 10.000 visiteurs par jour ! On a une régie qui s’occupe de la pub, mais qui ne rapporte pas grand chose car c’est un pourcentage par clique. Par contre, on a des échanges pour de la visibilité, mais je ne suis pas très commercial. Je fais la différence entre Cinezik et Benoît Basirico, qui fait des conférences, et est créateur de site internet pour des compositeurs. C’est ce qui me permet de vivre correctement.

Pour parler musique de film, je trouve que chaque semaine il y a des films dont la musique est adéquate. En France, il y a une sorte de schizophrénie avec, d’un côté, le monde du cinéma, Studio, Les Cahiers, Positif, qui ne parle jamais de musique, n’interviewe jamais de compositeur, et de l’autre, le monde de la musique, qui ne connaît pas la musique de film. Mais c’est lui qui va s’intéresser à la musique de film et non au cinéma. La preuve : l’expo que j’attendais depuis des années, n’a pas eu lieu à la cinémathèque mais à la Cité de la musique. Autre preuve, ma première interview, et je vous en remercie, c’est pour l'Éducation Musicale et non pour une revue de cinéma ! Il y a bien deux mondes. Que ce soit la musique qui s’intéresse à la musique de film n’est pas pour me plaire entièrement, parce que, pour moi, la musique de film à plus à voir avec le cinéma qu’avec la musique. Je m’explique. La musique de film, c’est comme un costume, un acteur, comme pour l’image : ils sont au service d’un film. C’est un langage au service d’un film. Moi, j’aime les grandes musiques, les grands compositeurs, et j’apprécie lorsque c’est bien écrit. Mais une musique mal écrite peut être bien dans un film, mieux qu’une musique bien écrite et à côté de la plaque. C’est vraiment pour un film, pour un réalisateur, et ainsi la musique a-t-elle sa place dans l'appréciation du film. Quand Martinez fait « Drive », ce n’est pas forcément bien écrit, c’est de la texture. Mais elle fonctionne vraiment bien dans le film de Refn. Le travail de Tyler Bates, par exemple, pour « Killer Joe » de Friedkin, est une des BO qui m’a beaucoup plu l’année dernière. On est dans la tête de la jeune fille. Avec cette musique, il y a quelque chose de céleste.

Je préfère écouter les musique dans les films. Je viens du cinéma, je suis un mélomane, j’adore le rock, le jazz, le classique, mais la musique de film c’est dans le film que je préfère l’écouter. Après, je peux avoir un plaisir à l’écouter toute seule parce que ça me prolonge l’expérience de spectateur, mais je ne vais pas forcément essayer de retrouver la musique sur un disque. Lorsque j’étais étudiant ou animateur de radio, c’est vrai que je passais mon temps à faire des compilations de compositeurs sur CD. Là on était plus dans le cinéma. Je collectionnais les BO de Morricone, de Goldsmith, de Bernstein. J’étais un « geek ». Je faisais toute la filmo d’un compositeur, et ça m’aide encore parfois à voir l’évolution de la carrière du musicien. Par rapport à l’évolution du public, amateur de musique de film, on est arrivé à un stade où tout est clivé. Avant on écoutait la musique d’un film de Sergio Leone, aujourd’hui les aficionados vont écouter une réédition d’une musique de Newman, d’Alex North, sans avoir vu le film correspondant. D’un côté, il y a des journalistes de cinéma qui ne se préoccupent pas de la musique de film, de l’autre, des spectateurs qui vont retenir une chanson sans savoir de qui elle est, alors qu’à l’époque, ils se souvenaient que c’était de Morricone ou de Cosma. Tout est ainsi clivé aujourd’hui. Je milite, avec Cinezik, pour que le film soit une entité, et pour dire qu’il y a un compositeur qui a fait son travail, et que le réalisateur a sa place dans la chaîne et est aussi responsable de la musique du film. Le cas Tarantino est exemplaire. C’est parce que le spectateur a vu le film que la BO marche. Il va l’écouter pour se souvenir des scènes d’actions, sachant très bien que cette musique n’est pas originale, mais de la compilation comme pour un DJ. Pour qu’une BO marche en dehors du film, il faut qu’il y ait le plaisir « tripant » dans le film. Ce n’est pas question de succès du film; mais une sorte d’alchimie entre séquence et musique. C’est le cas de Bullit et Schifrin, Drive et Martinez, Leone et Morricone. Le grand talent de Tarantino est de communiquer ce plaisir là. C’est l’adéquation entre image et musique qui fait, en fin de compte, le succès de la musique de film. Et c’est ce dont on parle, et que l’on peut trouver sur le site Cinezik.

 

Stéphane Loison.

 

 

AU CONCERT

 

 

French Touch  : Fred Pallem & Le Sacre du Tympan, à la Cité de la musique

 


© DR

 

 

Fred Pallem est un grand malade de musiques de films ! Avec ses 14 musiciens et ses deux chanteurs, il nous a transmis pendant plus d’une heure cette passion qui l’habite depuis son plus jeune âge. Il a un goût inné pour les orchestrations bien cuivrées, qui font sentir son attirance pour les films du cinéma du dimanche soir à la télé de son / notre jeunesse. C’est avec jubilation, malice, et un sens aigu des arrangements qui flirtent avec le jazz et la musique populaire, qu’il a emballé le public de l’amphithéâtre de la Cité de la Musique, en jouant des compositions de Cosma, de Roubaix, Vannier, Lefèvre, Magne, Francis Lai, Sarde, Legrand… Ce programme « french touch » a mis la salle en délire ! Quel talent, quelle précision, quelle énergie possède cet autodidacte, nourri au rock, au jazz, à la variété et à la musique de film. On aurait dû lui offrir la grande salle. Il l’aurait remplie, c’est évident ; car pour les spectateurs des premiers rangs de l’amphithéâtre, supporter les cuivres, guitares et clavier de cette ampleur devait se révéler difficile. 

 

En 2010, Fred Pallem a enregistré un disque, « Soundtrax », conçu comme une compilation de vraies-fausses musiques de films, entièrement issue de son imagination. Il interprète des thèmes qui, à l’écoute et grâce à ses arrangements, nous paraissent sortir tout droit de westerns, de séries Z, de comédies italiennes, de nanars comico-érotiques ou de science-fiction plus vrais que nature. Cette couleur des orchestrations tient pour beaucoup à l’introduction de la lutherie électronique (synthés, guitares…) qui correspond aux années 70.

 

Soundtrax  Fred Pallem 1 CD Music Unit : zzb161803399

 

 

Stéphane Loison.

 

ACTUALITE

 

Un luxe à Barbés

A deux pas de Tati, le magasin le plus « cheap » de Paris, et le plus fréquenté par une population hétéroclite, la capitale s’offre le luxe de rouvrir le Louxor, une de ses plus vieilles salle de cinéma, fermée depuis les années 80. A l’heure où le cinéma est en crise, que les multiplex sont à vendre et se vident, que la plupart des salles de quartier se sont transformées en supérettes, la ville s’offre le luxe de dépenser 25 millions d’euros pour restaurer une salle à la décoration égyptienne hyper kitch, sauce péplum hollywoodien à pleurer de rire. C’est dans cette salle, où jeune étudiant, je venais découvrir les films chantés de Farid el Hatrach ou de Oum Kalsoum. On était trois pelés dans la salle, de vieux arabes nostalgiques, et moi fana des comédies musicales orientales et ineptes, mais superbement chantés par ces deux stars. On était dans une sorte de temple funèbre en plein désert, à la gloire d’une Égypte passéiste. Alors aujourd’hui, bien sûr, on appelle la grande salle Youssef Chahine. C’est plus moderne. A l’inauguration, il y avait bien un réalisateur oriental, mais tunisien, qui a eu bien du mal à entrer, le service communication étant plutôt débordé. Pas « d’arabes du quartier », que du beau monde cultivé. On sait pertinemment que la population du boulevard Barbés, de la Chapelle, ne viendra pas voir le magnifique film chilien « No » de Pablo Larrain, ni celui intéressant de Von Trotta sur « Hannah Arendt », qui sont programmés cette semaine. La rue Trudaine viendra-t-elle remplir les quatre cents place inconfortables proposées, et assister à du cinéma Arts et Essais (il y a des subventions par le CNC pour ce genre de salle) ? Aucune étude de marché n’a été faite sur la rentabilité d’une telle salle. On travaille à la française. On est dans l’exception culturelle !

Mais nous sommes dans une rubrique musique et cinéma ! La grande salle programme « The Grandmaster », le dernier film de Wong Kar-Wai, musique du Shigeru Umebayashi, qui s’est rendu célèbre avec la musique d’« In the Mood for Love ». Ce compositeur fut l'un des leaders du groupe de rock new wave japonais EX. Il a participé à plus de 40 films, japonais ou chinois. Il a aussi composé la BO. du film « 2046 » du même réalisateur. Le célèbre thème de « In the Mood for Love », Yumeji's Theme, est extrait d'un film japonais de 1991 «  Yumeji » de Seijun Suzuki. Wong Kar Wai aime bien prendre des musiques d’autres films, et y mélanger des airs d’opéra et de variétés. Dans ce dernier film, à l’esthétisme débridé, au montage décousu, au scénario pas très clair, Shigeru Umebayashi a fait une musique puissante pour les scènes de chorégraphie plus que de lutte de Kung Fu. La plus belle scène sentimentale du film est accompagnée par un très beau thème emprunté à Morricone dans « Il était une fois l’Amérique », le thème de Deborah. Si vous voulez voir « The Grandmaster », d’une grande beauté, et écouter de la belle musique je vous déconseille le Louxor. Vous souffrirez trop dans ses fauteuils, et de plus, l’écran n’est pas au bon format. On a tout faux au Palais du Cinéma.

A noter que le français Nathaniel Mechaly a composé une musique alternative pour l'exploitation internationale, dont la projection au Festival de Berlin.

 

Je propose quelques CD, à redécouvrir ou à découvrir, dont la belle musique de Shigeru Umebayashi en compagnie du compositeur Abel Korzeniowski pour le grand film de Tom Ford « A Single Man » qui a dû titiller ceux qui ne sont pas pour le mariage pour tous !

 

A Single Man 1 CD Relativity Music Groop :RMG 1006-1

 

 

Il était une fois l’Amérique :1CD Mercury / Universal :818697-2

 

 

In the mood for love.  1CD :7243 8505422 8

 

 

 

Oum –Kalthoum :Chansons des films

 

 

Farid Atrache El Khourouj Men El Gana / El Hob El Kebir :

1CD EMI

 



Stéphane Loison.

 

EXPO 

 

Le monde enchanté de Jacques Demy à la Cinémathèque française,  Bercy, Paris - Exposition de 10 avril au  4 août 2013.

 

A la Cinémathèque de Paris est proposée une très musicale exposition sur le cinéma de Jacques Demy. Décors, costumes, photos, peintures, scripts, vidéos… sont assemblés harmonieusement pour nous permettre d’entrer dans l’univers de ce réalisateur original par ses choix esthétiques et sa conception onirique du cinéma. Stéphane Lerouge propose pour l’occasion un coffret de 11 disques avec les musiques de Michel Legrand, « le frère » de travail de Jacques Demy. A la première de l’exposition, Michel, à propos de Jacques, déclare : « C’est l'homme avec lequel j'ai passé des années de cris, de bonheur, des années mouvementées. On s'étreignait, on se disputait, on s'arrachait, on recommençait, on s'adorait ». Michel Legrand c’est « Lola - Les Parapluies de Cherbourg - La Baie Des Anges - Les Demoiselles de Rochefort - Peau D’Âne - L'Evènement le plus important depuis que l’Homme a Marché sur la Lune - Lady Oscar – Parking - Trois Places pour le 26 ». Il est indissociable des succès de Jacques Demy, même s’ils ont fait quelques films de trop. Comme il dit :  «  J’ai fait chanter les couleurs de Jacques, il a coloré mes musiques »

 

Un coffret de CDs est proposé dans le cadre de la collection “Ecoutez le cinéma”. Il comprend un livret de 60 pages, une interview exclusive de Michel Legrand, des photos rares, des enregistrements inédits… dont la version américaine des « Demoiselles », jamais publiée au disque, et des reprises et relectures  par Bill Evans, Tony Bennett, Stéphane Grappelli, Sergio Mendes, Catherine Michel, Isabelle Aubret…Un futur collector.

 

« L’Intégrale » Jacques Demy – Michel Legrand. 1 CD Universal : 5342159

 

 

Stéphane Loison.

 

 

BO en CD's


More than Honey.
Réalisateur Markus Imhoof. Musique de Petre Scherer. 1CD Milan / Universal : 399 435-2

Entre 50 et 90% des abeilles ont disparu depuis quinze ans. Cette épidémie, d’une violence et d’une ampleur phénoménale, est en train de se propager de ruche en ruche sur toute la planète. Partout, le même scénario : par milliards, les abeilles quittent leurs ruches pour ne plus y revenir. Aucun cadavre à proximité. Aucun prédateur visible.

Arrivée sur Terre 60 millions d’années avant l’homme, l’Apis mellifera (l’abeille à miel) est aussi indispensable à notre économie qu’à notre survie. Aujourd’hui, nous avons tous de quoi être préoccupés : 80 % des espèces végétales ont besoin des abeilles pour être fécondées. Sans elles, pas de pollinisation, donc pratiquement plus de fruits, ni de légumes. Il y a soixante ans, Einstein avait déjà insisté sur la relation de dépendance qui lie les butineuses à l’homme : « Si l’abeille disparaissait du globe, l’homme n’aurait plus que quatre années à vivre. » S'appuyant sur les plus récentes découvertes et grâce à des images exceptionnelles, ce film nous propose d'explorer le monde extraordinaire de ces insectes si différents et pourtant si proches de nous. Peter Scherer, le compositeur de cette musique absolument fabuleuse, a fait ses études de composition et d’orchestration à Hambourg, et a eu comme maître Ligeti et Riley. Puis dans les années 80, il a rencontré Arto Lindsay, Bill Risell, John Zorn, avec qui il a collaboré sur certains de ses spectacles. Avec Lindsay, il a fondé le groupe Ambitious Lovers, où ils ont pu mélanger différentes influences musicales. Ils ont réalisé trois albums. Dans les année 90, il a développé un nouveau style à partir de dispositifs sonores qui exploraient les potentialités de l’innovation numérique et les diverses traditions musicales. Il a ainsi participé à la composition de plusieurs films : « Never Again, Forever », « Another Road Home », de Danae Elon, « Sobras em Obras », de Michel Favre, « Aline » de Kamal Musale ».

 

La difficulté pour cette musique de film, explique Scherer, est que le bruit des abeilles est très fort, presqu’insupportable pour la musique. Il ne fallait donc pas seulement créer une mélodie, mais connecter la musique à celle des abeilles, composer quelque chose qui respecte le son de ces insectes et s’harmonise avec elles. Il a tout de suite pensé à des instruments à cordes, violon, alto, guitare, piano, avec quelques percussions et une clarinette. Le violoniste Paul Giger joue une mélodie qui pénètre un substrat musical à base de petits bruits, d’éléments brefs. Cela donne à l’ensemble, avec le son des abeilles, une grande intensité et une grande densité d’être. L’écoute du disque nous fait entendre un vrai compositeur de musique qui possède le pouvoir de dire tout ce que l’on ne peut pas dire par le dialogue et les images. Sa musique n’est pas une musique d’accompagnement. On sent toutes les influences qu’il a eu et comment il les a intégrées. On reconnaît où Scherer a butiné : dans la musique minimaliste, la musique électroacoustique, la musique de Lindsay. La BO sur le CD est comme une œuvre à part entière. C’est plus qu’une musique de film, c’est une vraie composition de Peter Scherer pour les abeilles.

 

Stéphane Loison.

 

The Croods. Réalisateurs Chris Sanders & Kirk DeMicco. Musique d’Alan Silvestri. 1 CD DreamWorks Relativity Music Group / Sony Classical : 88883700342.

Alan Silvestri est un compositeur américain prolifique de très grand talent, surtout connu pour sa collaboration avec Robert Zemeckis (A la poursuite du Diamant Vert, la trilogie de Retour vers le Futur, Qui Veut la Peau de Roger Rabbit ?, Forrest Gump…). Il a écrit des musiques aussi diverses que celle stellaire d’Abyss, pour James Cameron, aux accents d’Herrmann, pour Shattered de Wolfgang Petersen, ou celles de pure action pour les Predator ou les Avengers.  Son style est très reconnaissable malgré la diversité des films auxquels il a participé. Il passe avec autant de créativité des films d’action, de science fictions, de dessins animés, de comédies, à de films plus intimistes. A ses débuts, passionné de musique, Silvestri intègre, à Boston, l’université de  Berkley, mais il n’y ne reste pas très longtemps et préfère aller faire le guitariste dans un groupe rock à Las Vegas. Ce sera un échec total. C’est grâce au chanteur Bradford Graig, pour qui il fait des arrangements, qu’il va entrer dans le monde de la musique de film. C’est ainsi qu’il va, à 21 ans, composer sa première musique de film pour « The Doberman Gang ». Ensuite, tout s’enchaîne des feuilletons télé, à sa rencontre avec Robert Zemeckis avec la série culte des « Retour vers le Futur ». Il est lancé…

 

The Croods est un dessin animé produit par Dreamworks et réalisé par l’équipe des Madagascar. C’est une pure réussite. Un film d’action plein d’humour avec des idées à tous les plans. Le choix de Silvestri ne peut qu’être qu’une bonne idée. C’est du Silvestri pur jus, mais on ne va pas faire la fine bouche. On a l’impression de l’avoir déjà entendu : c’est le style du compositeur, mais c’est toujours différent. On y retrouve l’orchestre et les cordes qu’il affectionne, ces crescendos qui vous emportent.  Sa musique avec chœur est d’un romantisme échevelé, puis suivent quelques notes, comme dans le Retour, et l’humour pointe. Le thème, comme celui de « Forrest Gump », reste dans l’oreille à la sortie de la projection. C’est une musique simple, qui s’écoute toujours avec beaucoup de plaisir. La chanson du film (musique de Silvestri) « Shine Your Way » est une mélodie pour jeunes ados chantée par Owl City, un projet musical pop, monté par  le chanteur Adam Young. Il a aussi participé au très amusant dessin animé de Walt Disney Les Mondes de Ralph. Il est ici accompagné par une toute jeune chanteuse Malaisienne,  Yunalis Zarai, dite Yuna. Alan Silvestri est actuellement un des très grands d’Hollywood et c’est avec un réel bonheur qu’on écoute ce CD.

Stéphane Loison.

 

The Place beyond the pines. Réalisateur Derek Cianfrance. Musique de Mike Patton. 1 CD Milan / Universal : 399 466-2.

Le musicien de Faith No More, Mike Patton, reviens à la musique de film après « Hyper Tension 2 »  de Mark Neveldine et Brian Taylor, et « La solitude des Nombres Premiers » de Paolo Giordano. Musicien protéiforme, il nous offre une musique expérimentale comme il aime les faire, musique inquiétante assez envoûtante, qui par rapport au film est en adéquation avec les histoires proposées.  Elle crée un climat parallèle à la mise en scène un peu trop souvent pléonastique, chargeant les sentiments, les actions, les ressentis des personnages.  Synthé, cordes, voix, Patton propose des nappes qui se superposent aux mélodies assez simplistes du piano. La guitare électrique est souvent saturée. Le climat nous rappelle celui étrange de Badalamenti chez Lynch. C’est une musique qui à l’écoute seule est surprenante, mais se laisse découvrir. Il y a quelque chose frôlant le métaphysique dans cette BO. Les morceaux en supplément d’Ivanoff, d’Arvo Pärt, de Morricone, et, dans une certaine mesure, de Bon Iver, sont là pour le prouver.

 

                                                                                                             

Stéphane Loison.

 

BORGIA saison II. Réalisateur Tom Fontana. Musique d’Eric Neveux. 1 CD BOriginal / CristalRecords / Sony Music : BO005.

La superbe série Borgia, initiée par Canal Plus, entame sa deuxième saison avec le même souci de qualité tant au niveau du scénario, qu’à la réalisation et à la musique. Cette saison II, c’est Eric Neveux qui est le compositeur. À 15 ans, Neveux décide qu’il sera musicien, et quitte aussitôt le Conservatoire, abandonnant ses cours de piano et de solfège ! À 25 ans, il rencontre  un jeune réalisateur, François Ozon, qui termine ses études à la FEMIS. Il lui compose la musique de son premier moyen-métrage “Regarde la Mer “,  puis le thème de son premier long-métrage “Sitcom”. À la même époque, il se passionne  pour le son de Bristol, et devient Mr Neveux, nom sous lequel il signe son premier album « Tuba ». En 1997, sa rencontre avec Patrice Chéreau, sur le film “Ceux qui m’aime prendront le train”, sera déterminante pour sa carrière. Suivront les films de ce réalisateur “Intimité”, puis “Persécution”. Cette collaboration le conforte dans sa volonté de travailler pour le cinéma. Il passe facilement de l’orchestre classique aux recherches électroacoustiques, d’un film d’auteur à une comédie populaire, Éric Neveux revendique cet éclectisme dans une approche propre à chaque film, avec comme seul objectif de le servir au mieux en tant que compositeur et producteur.  Parmi les films, on peut citer, entre autres, “Just like a Woman” de Rachid Bouchareb, “De l’Autre Côté du Lit “ de Pascale Pouzadou, “Parlez Moi d’Amour” de Sophie Marceau.  Il travaille régulièrement pour la télévision sur des séries de prestige, ainsi que pour le théâtre, où il collabore avec Patrice Chéreau .

 

La musique pour la Saison II de Borgia est d’une beauté sauvage. Elle est servie par le Philharmonia Orchestra, qui a une grande densité dans les cordes. La viole de gambe est présente pour donner une couleur ancienne, mais les arrangements sont modernes, et la présence d’électronique renforce le coté contemporain. Pour chaque personnage, la musique apporte une dimension psychologique. Elle est très près des caractères complexes de cette famille de “barges”. La guitare espagnole donne des accents hispaniques, origine de la famille Borgia. Les thèmes de guerre montrent à quel point l’orchestre a de belles possibilités au niveau de ses cordes. Le travail de Cyril Morin était de belle facture dans la saison I. Celui de Neveu l’est aussi dans cette autre saison. L’écoute du CD, sans avoir vu la série, et sachant que nous sommes qu’au début de la saison, se fait avec beaucoup de plaisir. La présentation cartonnée, illustrée, du CD, offre un ravissement pour les yeux.  Un bel album.

 

Stéphane Loison.

 

WADJDA. Réalisatrice Haifaa Al Mansour. Compositeur Max Richter. 1CD Milan / Universal : 399 471-2

Quelques soient les qualités du film, voilà un acte important dans l’histoire du cinéma. Une femme saoudienne ose faire un film et de plus sur un sujet qui fâche, dans un pays où il est difficile de s’exprimer si l'on n'est pas dans la ligne d’un Islam radical. C’est un film sur l’enfance, la liberté, la volonté. Il est difficile de critiquer ce premier essai. Il a pour lui d’être un premier pas vers une liberté d’expression. Qu’il ait remporté des prix, peut paraître  suspect. Le label Milan présente la bande originale écrite par Max Richter, ce qui est à féliciter. Max Richter est ce musicien qui avait composé la belle musique de  « Valse avec Bachir », récompensée en 2008 par le prix du cinéma européen. Max Richter est un compositeur éclectique : musiques de concert, de films, de ballets, album solo. Il a travaillé avec Tilda Swinton, Robert Wyatt, Roni Zize. Elève de Luciano Berio, son travail explore de très larges courants et influences. Au cinéma, il a composé pour « Impardonnables » d’André Téchiné, « Perfect Sense » de David Mackenzie, « Elle s’appelait Sarah » de Gilles Paquet-Brenner… Ce qu’il nous propose dans « Wadjda » est une musique assez simple, à l’instar du film, et d’une écoute sympathique. Il est difficile de se prononcer, car vu le budget du film, celui pour la musique a dû être chiche. Ce sont des petites vignettes, des musiques peu envahissantes, sans prétention, qui ne servent, ni ne desservent le film. Quant à son écoute sur CD, mis à part trois morceaux dont la chanson (qui n’est pas de Richter), le reste ressemble à de la musique au mètre. Un titre, le plus long, vient d’ailleurs de chez Cavendish, une très bonne « boîte d’illustrations musicales », qui permet lorsqu'on a pas le budget nécessaire pour s’offrir un compositeur, de trouver de la musique intéressante afin d'illustrer ses images à peu de frais.

 

 

Stéphane Loison.

 

 

***


LA VIE DE L’EDUCATION MUSICALE

 

Haut

A découvrir :

 

 

YAMAHA : l’innovation Silent

 

 

 

Vingt ans après la création de son premier piano Silent™, Yamaha récidive et innove avec son nouveau piano équipé du système Silent SH : jouer en silence sur un piano, enregistrer ses créations et les partager en quelques clics.

Yamaha connu pour être le leader mondial de la technologie dédiée aux instruments  de musique créé la surprise avec deux nouveaux systèmes : Silent™ SH et Silent™SG2 (tous deux disponibles sur 24 modèles : pianos droits et à queue).

 

 

 

Le système Silent™ SH est le premier système à employer l’échantillon sonore du piano à queue grand concert Yamaha CFX. Il permet d’enregistrer en différents formats (MIDI, ou audio) et de partager ses compositions sur les réseaux sociaux en quelques clics. Le pianiste devient un musicien qui s’exprime à travers le monde en temps réel.

Il bénéficie de nombreux avantages comme un échantillonnage numérique binaural procurant un effet 3D, une polyphonie multipliée par 8 soit 256 notes, 19 sonorités proposées, un casque hifi Yamaha HPH-200, prise USB en façade …

 

   

     

Le système Silent™ SG2 utilise, lui, l’échantillon sonore du piano à queue grand concert Yamaha CFIIIS. Est doté de belles particularités comme un échantillonnage AWM, une polyphonie de 64 notes, 10 sons pour créer ses compositions et reproduire ses interprétations avec possibilité de modifier le niveau de réverbération, enregistrement en mode MIDI …

 

 

Information: fr.yamaha.com/silentpiano

 

 

 

***

 

Passer une publicité. Si vous souhaitez promouvoir votre activité, votre programme éditorial ou votre saison musicale dans L’éducation musicale, dans notre Lettre d’information ou sur notre site Internet, n’hésitez pas à me contacter au 01 53 10 08 18 pour connaître les tarifs publicitaires.  

Laëtitia Girard.
l.girard@editions-beauchesne.com

 

 

 

 

Projets d’articles sont à envoyer à redaction@leducation-musicale.com

 

Livres et CDs sont à envoyer à la rédaction de l’Education musicale : 7 cité du Cardinal Lemoine 75005 Paris

 

 

 

Tous les dossiers de l’éducation musicale

 

 


·       La librairie de L’éducation musicale

 

Ziad Kreidy parle de son livre

 

En préparation

 

·       Où trouver la revue de L’éducation musicale

Haut

Dépositaires des Dossiers de l’éducation musicale

Librairie de l’Opéra Bastille
Place de la Bastille
75011 Paris
Tel : 01 40 01 21 43

Librairie Falado
6, rue Léopold Robert
75014 Paris
Tel : 01 43 20 56 78

Librairie Monnier
55, rue de Rome
75008 Paris
Tel : 01 45 22 53 57

Librairie Woodbrass
9/15 rue du Nouveau Conservatoire
75019 Paris
Tel : 01 42 01 78 86

Librairie Ombres blanches
50, rue Gambetta
31000 Toulouse
Tel : 05 34 45 53 33

Librairie Musicalame
16, rue Pizay
69001 Lyon
Tel : 04 78 29 01 34

Librairie Bellecour Musique
3, place Bellecour
69002 Lyon
Tel : 04 72 56 27 10

 

***

 

 

·       Où trouver le numéro du Bac

Liste des dépositaires Baccalauréat 2013 :

Cliquez ici pour voir la liste