À RESERVER SUR L'AGENDA
07/04
Jean Guillou fête ses cinquante
ans d’activité
Ancien élève de
Marcel Dupré, Maurice Duruflé et Olivier Messiaen, pianiste et organiste, Jean
Guillou a été nommé organiste titulaire à l’église Saint-Eustache de Paris en
1963, après avoir exercé à Lisbonne puis à Berlin. Homme de vaste culture,
virtuose internationalement admiré, pédagogue recherché, il est aussi et
d’abord compositeur, auteur d’une œuvre aussi abondante que variée pour orgue
seul, musique de chambre et grandes formations, dont sept concertos pour orgue
et orchestre. À Saint-Eustache, il a fait installer une console dans la nef,
permettant aux auditeurs de voir le jeu de l’organiste, et à celui-ci de jouer
avec orchestre. Il est aussi le promoteur d’un orgue « à structure variable »,
qui pourrait être transporté et installé partout, échappant ainsi au cadre
strictement liturgique où il est généralement confiné. Il a exposé ses idées
novatrices en matière de répertoire musical et d’une facture d’orgue résolument
tournée vers le XXIème siècle, dans don un ouvrage « L’Orgue, souvenir et
avenir » (Symétrie), ainsi que dans « La Musique et le Geste »
(Beauchesne). Cet anniversaire sera
célébré par un concert en l’église Saint-Eustache, qui offrira d'entendre,
entre autres, son Concerto pour orgue et orchestre N° 2, « Héroïque »
Église Saint-Eustache, Paris,
dimanche 7 avril à 20h30 Jean-Pierre
Robert.
24/04
La Vierge de Massenet à Notre-Dame de Paris
Dans le cadre des festivités du
850ème anniversaire de Notre-Dame de Paris, un concert rare y proposera La
Vierge de Jules Massenet. Crée en 1880, cette « légende sacrée en
quatre scènes » devait vite tomber dans l'oubli. Elle est pourtant de belle
facture : en quatre tableaux y sont évoqués les principaux épisodes de la vie
de la Vierge Marie, à travers les récits bibliques de l'Annonciation, des Noces
de Cana, du Vendredi Saint, et de l'Assomption. Il faut redécouvrir cet
oratorio grandiose. Il sera servi par un plateau de plus de 250 musiciens
réunissant l'Orchestre du Conservatoire de Paris, la soprano Nora Ansellem, et
plusieurs formations chorales : la Maîtrise de Notre-Dame de Paris, dirigée par
Lionel Sow, le Chœur de l'Armée française, sous la houlette d'Aurore Tillac, et
le Chœur d'Enfants Sotto Voce. Surtout, la direction a été confiée à Patrick
Fournillier, le meilleur défenseur de la musique de Massenet, qu'il illustre,
entre autres, au festival qu'il a fondé à Saint-Étienne.
Notre-Dame de Paris, le 24 avril 2013, à 20H30.
Location : accueil de la
Cathédrale Notre-Dame de Paris, tous les jours de 9H30 à 18H ; par tel : 01 44
41 49 99 ; contact@msndp.com
Jean-Pierre
Robert.
20 et 21/04
Poursuite du cycle Brahms des solistes du
Berliner Philharmoniker.
La troisième
série du cycle Brahms des Berliner Philharmoniker sera consacrée, d'une part, à
la Sonate n° 1 pour violoncelle, au magnifique Quintette pour
clarinette & cordes, et au Quatuor pour piano & cordes n° 3 (20 avril), d'autre part, au Trio pour clarinette, violoncelle & piano,
à la Sonate pour violon n° 2 et au Quatuor pour piano & cordes n°
2 (21
avril). Magnifiques programmes s’il en
est. La musique de chambre est, chez le compositeur, une seconde nature. Voilà
aussi une occasion rêvée d'apprécier une facette moins connue du talent des
musiciens berlinois. Leurs deux premiers week end ont enchanté le public. Cette
quasi intégrale de la musique de chambre de Brahms se poursuivra les 18 et 19
Juin. Une facette peu connue du talent des Berliner Philharmoniker. A ne pas
manquer !
Salle Pleyel; les 20 et 21 avril 2013 à 20H.
Location : 252, rue du faubourg
Saint-Honoré, 75008 Paris ; par tél : 01 42 56 13 13 www.sallepleyel.fr.
Patrice
Imbaud.
20, 21, 23, 24, 26/04
Blanche neige ou l'opéra pour les enfants et toute la famille
Marius Félix lange (*1968),
compositeur éclectique, en particulier de musique de film, a déjà à son actif
plusieurs pièces vocales. Son opéra pour enfants Blanche-neige (Schneewittchen,
« ein Familienoper »), 2010, vient d'être créé au studio de l'ONR. Il
nous arrive à Paris, en tournée, au théâtre de l'Athénée. Lange dit avoir
refusé d'écrire facile, motif pris du jeune public, qui ne dédaigne pas
découvrir un monde codifié. Il faut « une complexité facile à
comprendre » dit-il. Il use du parler-chanter. Ce qui autorise la
fantaisie. Pour défendre et illustrer le beau conte aigre-doux, d'après les
Frères Grimm, on a fait appel à une jeune et dynamique équipe : Vincent Monteil
à la direction de l'Orchestre Lamoureux, Waut Koeken à la mise en scène, et une
douzaine de chanteurs acteurs. A voir en famille donc !
Athénée, les 20 (15 H et 20H),
21 (16H), 23 (19H), 24, 25 et 26 avril, à 20H. Séances scolaires, les 23, 25,
26/4, à 14H30.
Location : billetterie, square
Louis-Jouvet 7, rue Boudreau 75009 Paris ; par tel: 01 53 05 19 19; Scolaires :
01 53 05 19 39 ; athenee-theatre.com
Jean-Pierre Robert.
25, 27, 30/04 et 3, 5, 7/05
Un nouveau Don Giovanni au Théâtre des Champs-Elysées.
Pour l'édition
2013 de son Festival Mozart, le TCE propose Don Giovanni.S'annonçant
fièrement comme un « dramma giocoso », Don Giovanni précipite
le spectateur au cœur d’un délicieux
tourbillon d’ambiguïtés. Rien dans cet ouvrage n’est assuré : le libertinage y
est exalté, mais les couples se croisent et se perdent, le destin se joue des
masques jusque dans un ultime défi. A l’origine, l’idée
de libertinage ne pouvait s’entendre que dans une société où se confondaient
les domaines du séculier et du religieux. Les permissions qu’on s’octroyait
vis-à-vis des bonnes mœurs – de la sexualité s’entend – n’étaient qu’une
conséquence d’un doute philosophique. L’époque qui voit naître Don Giovanni est celle où va s’opérer un glissement de sens du mot « libertinage » jusqu’à
perdre ses attributs politiques au profit des uniques connotations « amoureuses
». Mozart rejoint Shakespeare dans la fusion
des éléments tragique et comique. Une pareille synthèse demeure inégalée dans
l’histoire de l'opéra. La direction de
la nouvelle production est confiée à Jérémie Rohrer, qui s'affirme au fil de
ses interprétations comme un chef mozartien avec lequel il faut compter, et qui
dirigera son orchestre du Cercle de l’Harmonie. La mise en scène est signée de
Stéphane Braunschweig. Un tandem qui a fait
ses preuves, comme lors d'un récent Idomeneo, et qui devrait apporter à
l'« opéra des opéras » toute sa verve interprétative. La
distribution, de qualité, réunit une
équipe de jeunes chanteurs, dont Markus Werba dans la rôle-titre, Miah Person,
Donna Elvira, Daniele Behle, Don Ottavio, Myrto Papatanasian, Donna Anna. A
voir et à revoir.
Théâtre des Champs-Elysées les 25, 27, 30 avril, 3, 7 mai à 19 H 30, et
5 mai à 17 H. Location : TCE, 15 avenue Montaigne, 75008 Paris.
Tel. : 0149525050. www.theatrechampselysees.fr
Patrice Imbaud.
2, 7, 10, 13, 17, 20, 23, 26, 31/05
La Gioconda, ou la grande fresque historique
Puisant chez Victor Hugo et son
« Angelo, tyran de Padoue », Amilcare Ponchielli cherche, dans La
Gioconda, à concilier drame historique et grand opéra. Il se situe à une
période charnière entre le drame verdien et l'école vériste, une étape
postromantique en fait. Il y a là de la flamboyance dramatique, une inspiration
aisée dans la manière de brosser le tableau efficace, une action excitante,
dans la Venise du XVI ème siècle. On y frôle la véhémence des passions et du
chant. La nouvelle production de l'Opéra Bastille est confiée à Pier Puigi
Pizzi, dont on sait le goût pour la fresque dramatique, et la direction
musicale à Daniel Oren, habitué du grand répertoire italien. Le plateau vocal
est très exigeant, alignant les types de voix cardinales, répondant aux
caractères fondamentaux, qui du ténor ardent, de la soprano éperdue, du baryton
au noir dessein, etc...Il devrait être illustré avec panache par Violeta
Urmana, Luciana D'Intino, Marcelo Alvarez, Sergei Murzaev et Orlin Anastassov.
Opéra
Bastille, les 2, 7, 10, 13, 17, 20, 23, 31 mai à 19H30, et le 26 mai à 14H30.
Location : Billetterie de l'Opéra Bastille
: 130, rue de Lyon 75012 Paris ; par
tel. 08 92 89 90 90 . operadeparis.fr
Jean-Pierre Robert.
03, 04/05
Une rareté : un office funéraire du temps de Bach
L'ensemble Ludus
Modalis, sous la direction de Bruno Boterf,
entame une tournée intitulée « Requiem, Un office funéraire du temps de Bach ». Ce projet prend appui sur une absence : Heinrich Schütz et Johann
Sebastian Bach, auteurs de génie, n'ont laissé à la postérité aucune
œuvre portant le titre de Requiem. En revanche, ils ont composé de nombreuses
pièces à vocation "funéraire". Les Musikalische Exequien de Schütz,
et plusieurs motets de Bach, en sont les témoignages. Ludus Modalis a souhaité
associer ces deux compositeurs, éloignés dans le temps, mais habités par la
même foi luthérienne, pour une évocation d'un office funéraire du temps de
Bach. Pour ce requiem allemand, les 12 voix solistes seront rejointes par les
instruments, un quatuor de vents (cornet, sacqueboutes) et un ensemble de
cordes, respectant en cela la tradition du continuo réalisé comme à l'époque de
Bach, au grand orgue. Ce projet marque l'envie de Ludus Modalis de s'inscrire
dans le jeu de la polyphonie à travers l'histoire. Schütz et Bach utilisent la
même source littéraire, "les écritures" au service de la foi
luthérienne, et la même source musicale, "le contrepoint", qui
conduisent au discours musical le plus humaniste. La culture polyphonique de
Ludus Modalis, issue d'une longue pratique des maîtres de la première
Renaissance, trouve son prolongement, son aboutissement, dans ce répertoire
riche, mais exempt de toute affectation.
Représentations
:
-
le 3 mai 2013, à la Cathédrale d'Evreux, à 20h30,
-
le 4 mai au Théâtre du Château d'Eu (76), collégiale Notre-Dame, à 20h00,
mais
aussi,
-
le 7 juin à l'Opéra de Rouen, à 20h00,
-
le 19 juillet, à 21h00, lors du festival Musique et mémoire à Lure (dpt 70)
-
en août à Courtisols (dpt 51), au festival de L'Epine,
-
le 23 août, à 20h30, lors du festival d'Arques-la-Bataille (dpt 76),
-
le 19 octobre, lors du festival Toulouse les Orgues (dpt 11).
Jean-Pierre Robert.
24, 25, 26/05
Seul concours international de chant choral
organisé en France, cet évènement se déroulera du 24 au 26 mai 2013, à
Tours et à La Riche. 17 chœurs de 10 pays (Philippines, Puerto Rico, Norvège,
États-Unis, France...) participeront à divers concours. Deux sont obligatoires
: le Concours International de chant choral (chœurs mixtes, ensembles vocaux
mixtes, chœurs à voix égales), et le Concours National de chant choral
(adultes, enfants, jeunes). Deux sont facultatifs : le concours Renaissance,
et le concours Francis Poulenc. Le Florilège Vocal de Tours a en effet, cette année, souhaité rendre un hommage
particulier au compositeur Francis Poulenc, « citoyen de Noizay », pour le 50ème anniversaire de sa mort, en proposant une
compétition spéciale ouverte à l’ensemble des chœurs participants. Tournée vers
la jeunesse, cette nouvelle édition propose, notamment, des représentations
gratuites ainsi qu'une grande diversité culturelle et vocale, dont une
incitation à la création d’œuvres. Le but poursuivie est d'encourager et de
promouvoir l'excellence et la vitalité du chant choral, mais aussi les charmes
de la belle Touraine.
Location
a/c du 23 avril : Grand Théâtre de Tours, 34, rue de le Scellerie, 37000 Tours
; par tel : 02 47 60 20 20 (et pour le programme Renaissance : 02 47 05 82 76)
; theatre-billeterie@ville-tours.fr
Jean-Pierre
Robert.
14, 16, 18, 21, 23, 26, 28, 30/05 et 2/06
Il Barbiere di Siviglia vu par Jean-Marie Sivadier à Lille
Passionné
d'opéra italien, comme l'a démontrée sa Traviata aixoise, et par le chef
d'œuvre de Beaumarchais, Jean-Marie Sivadier se confronte à l'opus magnum
bouffe de Rossini: Il Barbiere di Siviglia. A l'Opéra de Lille, en co-production
avec ceux de Caen et de Limoges. Confrontation attendue, lorsqu'on sait
l'acuité du regard du français pour la satire sociale, le drame humain. Car les
personnages de Rossini ne sont assurément pas des marionnettes, mais des êtres
de chair et de sang, et si on les surprend à ne regarder pas au-delà du bout de
leur nez, leur psyché investigue bien plus loin. N'assiste-t-on pas à une rare
conjugaison de la farce issue de la commedia dell'Arte et de la comédie de
mœurs plus moderne ? La direction est confiée à Antonello Allemandi. Une
distribution jeune devrait défendre avec panache les pages inspirées de ce qui
passe justement comme le roi de l'opéra bouffe.
Opéra de Lille, les 14, 16, 18,
21, 23, 28, 30 mai 2013, à 20H et les 26 mai, 2 juin à 16H.
Location : rue Léon Trulin
Lille ; par tel : 0820 48 9000 ; mail : billetterie@opera-lille.fr
Jean-Pierre
Robert.
***
L’ARTICLE DU MOIS
Introduction
au prix de Rome de musique (1803-1968)
« Ce serait
bien le moins que la collection complète des cantates couronnées
fût soigneusement
rangée dans un rayon spécial de bibliothèque de temps
en temps épousseté,
et que les très-rares curieux qui se présenteraient pour la
visiter pussent au
moins satisfaire leur innocente curiosité ».
[i]
Par son prestige, le prix de Rome fut,
entre 1803 et 1968, l’objet de toutes les convoitises et de toutes les cabales.
Taxé d’académisme, dénigré voire moqué, il est aujourd’hui devenu le synonyme
du mauvais goût d’un « romantisme » jugé décadent. Pourtant, un
constat s’impose : au lieu d’être borné à la répétition annuelle d’un
processus immuable, le prix de Rome s’adapte en fait souplement à des
contingences pédagogiques, politiques et esthétiques remises en question de
façon permanente. Et si l’impression première qu’il ne consiste qu’en
l’éternelle réécriture d’une cantate sur livret imposée perdure, c’est
seulement par complète méconnaissance de l’histoire de cette institution.
On fait traditionnellement de la « cantate » un principe dépassé au XIXe siècle. Le genre est perçu comme un objet décalé, hérité des Lumières, absolument en contradiction avec les aspirations du romantisme. « La cantate n’est-elle donc […] qu’un cadre prétentieux et gênant, dans lequel les jeunes musiciens ne se meuvent qu’avec peine et douleur, sous l’étreinte de mille appréhensions ? » [2] Certains répondent tout net par l’affirmative, comme Castil-Blaze qui n’y voit qu’« une pièce de vers disposée d’une manière ridicule et barbare » [3] . Tel est aussi le regard contemporain porté aujourd’hui sur la cantate du prix de Rome, regard surprenant car c’est justement au XIXe siècle que fleurissent les concours « publics » de composition de scènes lyriques : on peut signaler (de manière absolument non exhaustive) un concours de cantate en mémoire de la révolution belge en 1834 [4] , le premier concours de cantate pour une exposition universelle [5] et la création du concours de cantate « Meyerbeer » [6] en 1867, un concours « pour une cantate allégorique » en 1875 [7] , la création du concours de la Société des compositeurs de musique (proposant notamment l’écriture d’une « scène lyrique sur un sujet au choix ») [8] et un concours pour une cantate « sur Don Juan » [9] en 1876, un concours de cantate à Lille [10] , la création du concours de cantate Hérold [11] et du concours de cantate Cressent [12] en 1877, celle du concours Rossini – exactement calqué sur le prix de Rome – en 1878 [13] . Par ailleurs, les occasions de jouer des scènes lyriques qui ne soient pas seulement des exercices d’école ou des pages de concours sont légion : chaque anniversaire, chaque inauguration, chaque commémoration offre l’opportunité de pièces aux effectifs variés, mais évidemment plus proches des ambitions orchestrales de la cantate de Rome que de l’ancienne cantate française à voix seule et basse continue. Remarquons aussi que, pendant les trente premières années du XIXe siècle, existe dans les salons parisiens un répertoire parallèle à celui de la romance avec piano qui porte le nom de « scène » et épouse une structure en deux ou trois airs séparés par autant de récitatifs. Genre très en vogue, il ne diffère de la cantate romaine que par un accompagnement plus sommaire – car pianistique – qui révèle pourtant une inspiration souvent orchestrale. Et certaines cantates à une voix, comme Caïn maudit d’Onslow ou Le Dernier Moment du Tasse de Théodore Gouvy, sont indéniablement valables au piano comme à l’orchestre.
Autre
idée reçue, la cantate serait un objet purement conjoncturel que les
compositeurs renieraient aussitôt le concours de Rome passé. Pourtant, même le
plus véhément des candidats – Hector Berlioz – saura se souvenir dans sa Symphonie fantastique (1830) du thème
clef de la cantate Herminie (1828), qui devient la fameuse
« idée fixe ». Berlioz, à nouveau, étoffe sa cantate Sardanapale (1830) en lui ajoutant
« l’incendie » conclusif dont il attend les plus heureux effets.
Debussy, l’autre lauréat pourfendeur du concours de Rome, réorchestre de son
côté – avec l’aide de Caplet – L’Enfant
prodigue de 1884 (en 1906), qui n’est pas un des moindres succès
debussystes de cette époque. Ce principe de réorchestration n’est d’ailleurs
pas isolé, et il suffit de comparer la version originale d’Alcyone d’Aymé Kunc (1902) avec sa version remaniée pour découvrir un
travail minutieux et de longue haleine, qui témoigne d’un intérêt indéniable de
l’auteur pour l’œuvre. On pourrait également citer les multiples retouches que
Gustave Charpentier apporte à Didon (1887), la nouvelle introduction qu’Ernest Boulanger compose pour Achille (1835) et – découverte récente
de Jean-Christophe Branger – la présence du célèbre
« Menuet » de Manon (1884)
dans la cantate Louise de Mézières de
Massenet écrite en… 1862. Moins étudié encore que l’aspect musical, le texte
littéraire des cantates n’est pas non plus sans intérêt. Et quelques
librettistes ont eux aussi à cœur de valoriser ou de réutiliser tout ou partie
des vers qu’ils ont d’abord imaginés pour l’Institut. Ainsi cette Madone de Louis Carmouche,
dont le texte « destinée au concours de composition musicale sous la forme
de la cantate traditionnelle, […] ambitionna plus tard le théâtre »
[14]
. Toutes les tentatives
ne furent pas heureuses cependant, et en l’occurrence « la Madone de M. Carmouche est bien et dûment restée cantate comme devant, affublée, il est vrai, d’un
modeste décor et d’humbles costumes »
[15]
.
Bien entendu,
l’importance du prix de Rome pour les jeunes compositeurs – ne serait-ce qu’en
termes financiers
[16]
– les engage à consacrer toutes leurs études à l’objet « cantate »,
c'est-à-dire à la musique vocale dramatique, et encore au sens le plus
restrictif du terme : « musique d’opéra sérieux ». Car il n’est
pas question de tourner ses regards vers l’opéra-comique ou la musique
religieuse pendant les années d’apprentissage au Conservatoire :
« Leur étude ne ferait pas obtenir le grand prix de Rome aux jeunes gens
qui s’y livreraient »
[17]
. Et que dire de la
musique instrumentale, dont la connaissance semble moins encore immédiatement
utile à l’écriture d’une cantate ? Pierre Lalo déplore amèrement que
les exigences du prix de Rome, lors de sa création sous l’Empire, n’aient
jamais été actualisées par la suite :
On ne soupçonnait
pas que le théâtre n’est qu’une petite province du monde de la musique ;
que la musique pure est un royaume infiniment plus vaste, plus divers, plus
riche et plus puissant ; plus essentiellement musical aussi, et dont la
connaissance importe bien davantage aux musiciens.
[18]
Et
pourtant, en y regardant bien, c’est à nouveau simplifier caricaturalement
l’histoire du prix de Rome que de perpétrer cette croyance concernant la
musique instrumentale. Dès 1821, le règlement de la villa Médicis suggère, pour
les envois de Rome, ce que le texte officiel de 1846 imposera : à savoir
l’écriture de pièces purement instrumentales, en particuliers de symphonies, et
plus tard d’ouvrages de musique de chambre
[19]
. Parallèlement,
l’épreuve du concours définitif – la cantate – est elle-même reconsidérée sur
le plan orchestral : le nouveau règlement de 1839 stipule clairement
qu’elle « devra être précédée d’une introduction instrumentale assez
développée pour se composer de deux mouvements, un largo ou andante et allegro »
[20]
. Ce n’est pas là,
résolument, passer complètement sous silence cette partie de l’art du
compositeur.
S’il
est aujourd’hui nécessaire de reconsidérer l’histoire du prix de Rome, et – en
quelque sorte – de prendre sa défense, c’est aussi parce que la critique
s’ingénia à accabler le concours des reproches les plus excessifs et les moins
objectifs. Certes, comment voudrait-on qu’un système, par nature élitiste, ne
suscite pas la méfiance et la jalousie ? Le dispositif pédagogique
lui-même – maillage inextricable confondant professeurs du Conservatoire et
jurés de l’Académie – offre d’intarissables sujets de discordes. Et entre les
lauréats « trop jeunes » et le jury « trop âgé », les
acteurs de cette histoire prêtent facilement le flanc à la critique. Cette
critique, justement, prend corps dans d’abondants textes polémiques relayés
principalement par la presse. Les journaux musicaux, en premier lieu – qui se
doivent de juger de la qualité des candidats et de leur potentiel – mais aussi
la presse généraliste. C’est elle qui fit incontestablement le plus de tort au
concours, car les journalistes du Gaulois,
du Figaro ou de L’Illustration ne sont pas tous spécialisés en musique, loin s’en
faut. Autant leur présence à l’événement mondain que constitue la séance
publique annuelle de l’Académie des beaux-arts est inévitable, autant les
propos musicaux publiés ensuite ne sont pas forcément d’un grand intérêt. Dans
le meilleur des cas, une mention rapide du lauréat et les noms de ses
professeurs sont complétés par le titre de la cantate et un résumé de
l’intrigue. Mais à d’autres occasions, le critique se lance dans des
démonstrations polémiques qui ne tiennent pas toujours compte de réalités
économiques, matérielles, voire même artistiques, et dont les conclusions sont
bien souvent discutables sinon caduques. C’est probablement pour cette raison
que les journalistes sont plusieurs fois écartés des séances de jugement du
prix (traditionnellement au mois de juin et juillet après 1815), afin de ne pas
s’enflammer dans des prises de positions favorisant tel ou tel candidat. La
question est alors sur toutes les lèvres : « Pourquoi rendre publics
les concours de contrebasse et de trombone, et dissimuler le concours de composition,
le plus intéressant de tous ? »
[21]
Tandis
que s’élabore un discours critique bientôt figé en formules stéréotypées, la
notion d’« académisme » – finalement peu employée au XVIIIe siècle – devient l’un des termes favoris pour désigner le style musical des
cantates de Rome. Bien qu’il ne soit consacré par l’usage qu’en 1876, le mot
est largement utilisé dès le milieu du siècle, mais dans une acception de plus
en plus négative. Il se charge bientôt de la connotation péjorative qu’on lui
connaît encore. Henri Blanchard donne, dès 1842, une définition de l’académisme
associé au concours de Rome, mais sans employer précisément le mot :
« Il est une vérité fatale dans l’ordre intellectuel, à savoir que les
Académies tuent le génie, l’indépendance, l’originalité ; elles parquent
la pensée, la refroidissent, la mesquinisent ;
elles disent à l’artiste : tu feras comme nos prédécesseurs, comme tes
maîtres »
[22]
. Esthétique immuable que l’académisme ?
Pas vraiment, ironise Henri Rabaud : « plutôt quelque chose de
changeant, quelque chose comme la mode d’avant-hier accommodée au goût
d’hier »
[23]
.
Plus sérieusement, Maurice Denis définit le concept comme « un calque
fidèle de l’état d’esprit du public »
[24]
. Et il n’est pas
étonnant qu’au moment où l’on prête à la cantate « académique » une
saveur réactionnaire (qu’elle aura à certaines époques, il faut en convenir),
le prix de Rome devienne un objet de dérision abondamment caricaturé. On pense
aux premières scènes du Grand prix ou le
voyage à frais commun, opéra-comique d’Auber représenté en juillet 1831 ou
encore à l’air cocasse
[25]
du « Prix de
Rome » dans L’Amour africain de Paladilhe (1875). Les Misères
d’un prix de Rome d’Albéric Second sont une autre forme – cette fois
littéraire – de dérision
[26]
. Dans la deuxième
moitié du XIXe siècle, et jusqu’à la fin de son existence, en 1968,
la cantate ne cessera d’être montrée du doigt comme un objet artistique figé,
alors que l’histoire même du genre, dans le détail, le montre perméable à
toutes les modernités…
Ce
courant esthétique retrouve aujourd’hui son lustre et la musique romantique
française semble bien en passe de devenir un « répertoire d’avenir »,
en terme d’intérêt de la redécouverte. Le « revival » baroque des années 1980 s’étant aujourd’hui tout à la
fois imposé et étiolé, il laisse la place à d’autres découvertes, et notamment
celle du grand XIXe siècle lequel, entretemps, paraît avoir trouvé
son rang dans l’histoire des arts avec une charge négative nettement édulcorée
depuis une trentaine d’années. Le Musée d’Orsay ose aujourd’hui exposer ses
« pompiers », les théâtres parisiens affichent La Juive, Zampa et Fra Diavolo avec un taux de remplissage comparable à La
Bohème et Carmen. Il restait à
permettre d’entendre ces œuvres du prix de Rome au disque : c’est chose
faite avec la collection « Musique du prix de Rome » initiée en 2009
par le Palazzetto Bru Zane – Centre de musique
romantique française. Chacun aujourd’hui – et bien mieux qu’au XIXe siècle – peut juger de l’intérêt de toutes ces partitions.
Alexandre Dratwicki *
* Alexandre Dratwicki est Directeur scientifique du Palazzetto Bru Zane -
Centre de musique romantique française.
[1]
« L’Illustration, 8 octobre 1853, p. 235.
[2]
Paul Smith, « Académie des beaux-arts », Revue et gazette musicale, 11 octobre 1857, p. 329.
[3]
Castil-Blaze, « La cantate », Le Ménestrel, 6 avril 1834, p. 1.
[4] Le Ménestrel, 31 août 1834, p. 4. [5] Le Ménestrel, 17 mars 1867, p. 125 et Revue et gazette musicale, 26 mai 1867, p. 170. [6] Revue et gazette musicale, 18 août 1867, p. 266. [7] Revue et gazette musicale, 2 mai 1875, p. 143. [8] Revue et gazette musicale, 18 juin 1876, p. 197. [9] Revue et gazette musicale, 3 décembre 1876, p. 391. [10] Le Ménestrel, 3 juin 1877, p. 215. [11] Le Ménestrel, 25 novembre 1877, p. 415. [12] Revue et gazette musicale, 24 février 1878, p. 63. [13] Le Ménestrel, 13 octobre 1878, p. 373 puis 8 décembre, p. 14 et 15 décembre, p. 23. [14] Henri Heugel, Le Ménestrel, 20 janvier 1861, p. 59. [15] Henri Heugel, Le Ménestrel, 20 janvier 1861, p. 59.
[16]
Berlioz écrit par exemple : « Cet abominable concours est pour moi de
la dernière nécessité, puisqu’il donne de l’argent et qu’on ne peut rien faire
sans ce vil métal. » (Lettre d’Hector Berlioz à Humbert Ferrand, Paris, 15
juillet 1828, Correspondance générale,
I (1803-1832).
[17] T., « Conservatoire de Musique. Quelques mots sur le système d’enseignement suivi dans les classes de composition idéale », Revue et gazette musicale, 6 juin 1839, p. 182.
[18]
Pierre
Lalo, Le Temps, 20 août 1907,
p. 3.
[19]
Voir
à ce sujet Alexandre Dratwicki, « Les
"Envois de Rome" des compositeurs pensionnaires de la villa Médicis
(1804-1914) », Revue de Musicologie,
91, n°1, juillet 2005, p. 99-193.
[20]
Jean-Michel Leniaud (éd.), Procès-verbaux de
l’Académie des Beaux-Arts, Paris : École des Chartes, 2003, VI,
1835-1839, p. 375 (PV 28 décembre 1839).
[21]
A.
Heller, L’Art musical, 30 juin 1888,
p. 89-90.
[22]
Et
Blanchard de poursuivre : « C’est surtout dans l’art musical que se font
sentir ces fâcheuses influences. Nous avons, grâce à l’Institut, de riches
architectes, de bons peintres, d’excellents musiciens, des compositeurs
corrects, mais pas un homme fort, créateur. L’instrumentation riche et
puissante, les hardiesses de l’harmonie moderne nous viennent de Beethoven et
Meyerbeer, comme les formes mélodiques ont été renouvelées par Rossini ;
Paganini et Thalberg ont découvert des voies inconnues dans l’exécution
instrumentale : ces hommes éminents ont-ils obtenu ces brillants résultats
parce qu’ils ne sont pas de l’Institut ? Parce qu’ils n’ont point procédé
dans les formes académiques ? On serait tenté de le croire. Il est bien certain que depuis dix ou douze ans, au
moins, aucun des jeunes musiciens qui ont remporté le grand prix de composition
musicale à l’Institut, n’a prouvé des facultés éminentes dans son art. »
(Henri Blanchard, « Séance publique de la distribution des grands prix de
Rome à l’Institut (Académie des beaux-arts). Composition musicale. », Revue et
gazette musicale, 9 octobre 1842, p.
404).
[23]
Henri
Rabaud, « La défense du prix de Rome par un ancien pensionnaire », Revue de Paris, 12 juin 1905,
p. 377.
[24]
Henri
Rabaud, « La défense du prix de Rome par un ancien pensionnaire », Revue de Paris, 12 juin 1905, note 12.
[25] « Cantate » y rime avec « patate », notamment… [26] Albéric Second, Misères d’un prix de Rome, Paris : Dentu, 1868.
***
LE FESTIVAL PASCAL DE LUCERNE
Le Festival « Zu Osten » inaugure la saison des manifestations
prestigieuses du Festival de Lucerne. Désormais, un orchestre de jeunes y est
en résidence, comme l'est, au Festival d'été, le Lucerne Festival Orchestra.
Ici, c'est l'Orchestra Mozart. Mais bien d'autres formations de prestige se
mesurent devant le public. Celui-ci a bien de la chance de pouvoir entendre
Claudio Abbado et ses confrères éminents, John Eliot Gardiner ou Mariss Jansons, et des solistes
de haut vol, Martha Argerich, Isabelle Faust. Comme
les années passées, un concert était réservé à cette formation originale qu'est
le Human Rights Orchestra
Ensemble, formé de solistes européens, dont la première hautboïste de notre ONF,
Nora Cismondi. Il est dirigé par le magnétique Alessio Allegrini, corniste de
son état. Ils étaient entourés des élèves des écoles de musique du canton de
Lucerne. Leur concert dominical, en matinée, aura été un moment de joie
partagée, triomphe de la jeunesse, passage de témoin à la jeune génération. On
y donnait des extraits de pièces de Martinu (premier mouvement du Nonette, pour
quatre cordes et cinq vents), les Danses roumaines de Bartók, dans une
version pour quatuor à cordes et contrebasse, ou « Après un rève » de Fauré, transcrit pour alto et piano, et Syrinx de Debussy, joué par Paolo Taballione, soliste
flûtiste du Bayerische Staatsorchester. Deux
créations ponctuaient le concert : de Rolf Stucki-Sabeti,
« One voice für Jugend-Chor, Oboe, Streichquintett und klavier », et
de Paolo Marzocchi, « Hózhó pour chœur de jeunes, ensemble de jeunes, quintette de cordes et de
vents ». Une conclusion en fanfare d'une heure et demie de musique
sympathique!
Abbado, Argerich et les jeunes de
l'Orchestra Mozart
Pas moins de deux concerts
réuniront Claudio Abbado et l'Orchestra Mozart, et Martha Argerich ! Les programmes nous emmènent dans cette époque classique bénie, de Mozart,
Beethoven et Schubert. Deux concertos pour piano de l'auteur des Noces de
Figaro, une poignée d'Ouvertures et la Quatrième symphonie de Beethoven,
enfin, en guise de bonus, des extraits de la musique de scène pour Rosamunde. Une fête ! Et pourtant, tout autre
chose qu'un parcours de facilité. C'est que le maestro Abbado, comme les plus
grands, va chercher au-delà des notes. Il transcende l'idée même de musique qui
se fait. Loin de tout effet de chef, il se dégage un sentiment de sérénité dans
chaque morceau joué, de paix intérieure, qui emplissent le cœur et l'esprit,
plus qu'ils ne flattent ce qui chez l'auditeur ressortit encore de la surface.
La perfection sonore n'est pas un objet en soi, elle est le moyen, qui achève
bien autre chose. Ses jeunes musiciens, nullement encombrés par quelque habitude,
sont vierges de toute idée préconçue. Aussi ces interprétations sont à part, et
le bonheur qui en émane a à voir avec quelque chose de secret. Certes, les
diverses Ouvertures beethovéniennes choisies ont de la fougue. Ainsi de Coriolan,
dont le « brio » de l'histoire tragique du général romain, est
asservi, pour déboucher sur une dernière phrase des cellos,
sublime, une fin pppp, dans un souffle.
Celles pour l'opéra Leonore, qu'offre Abbado,
les N° 3 et N° 2, sont, à y regarder de près, plus que des introductions
festives. Leonore 2, en réalité la première
écrite, et qui sera emportée dans le fiasco de la Première de la pièce, est
sans doute la plus curieuse des quatre composées pour l'opéra. Sa coupe en
quatre sections, lent-vite-lent-vite, établit une sorte de modèle pour un
développement héroïque. Mais avant le finale jubilatoire, la digression prend
son temps, emplie de silences évocateurs au premier adagio, ou parée de la
mélopée de la flûte (merveilleux Jacques Zoon!) à la
troisième séquence, également adagio. La récapitulation, qui illuminera Leonore 3, n'existe pas ici. Cette autre
mouture, si connue, donnée lors du premier concert, est autrement plus
brillante, encore qu'Abbado y installe cet art de l'extrême pianissimo dont il
a le secret. Comme l'a écrit Richard Wagner, « cette pièce n'est plus une
ouverture mais le plus puissant des drames en soi ». Elle est un concentré
de celui qui va suivre : sa lente introduction évoque le donjon dans lequel est
retenu le prisonnier, puis la pulsation énergique anticipe le cours des
événements, enfin, avec le signal à la trompette dans le lointain, c'est le
moment annoncé de la libération. Cette récapitulation, qui créé un effet
dramatique si fort, est celle de la liberté même. Abbado ménage cette ascension
vers la lumière avec un magnétisme certain, et la manière n'a rien de ce
martèlement à la prussienne, qu'affectionnent bien de ses confrères.
Les morceaux de choix, et
attendus par le public, étaient les deux concertos de piano de Mozart. Ils
réunissaient les « vieux amis » Martha Argerich et Claudio Abbado. C'est émouvant de les voir arriver se tenant par la main,
presque timidement, saluer un auditoire
qui n'a d'yeux que pour deux « monstres sacrés ». Et pourtant, la première
mesure levée, la musique sera tout sauf effet démonstratif. Ils rapprochent
deux pièces dissemblables, les K 503 et 466. Le premier, ou N° 25, ne passe pas
pour le plus aisé. Ultime morceau d'une mirifique série de douze, il est plus
une manière de résignation qu'une conclusion radieuse, malgré un discours
volontariste. L'écriture presque chambriste ne cherche pas à plaire. L'allegro
maestoso semble opposer un orchestre plutôt dramatique, celui de la tonalité
d'ut majeur, à un soliste discret, ce que
signale l'entrée presque furtive de ce dernier. Le thème principal, fait de
trois notes, répétées à l'envi, les changements fréquents de rythme,
l'alternance de clair et de sombre, de majeur et de mineur, confèrent à la
conversation un caractère sérieux. L'énergie, on va la trouver dans les
échanges entre piano et flûte ; une association qui se développera plus avant.
L'andante est une affaire tout aussi grave, de ses thèmes variés et incessantes
variations rythmiques. Ce n'est qu'avec le finale, allegretto, que l'atmosphère
se déride, et devient passionnée, notamment lors de l'apparition d'un nouveau
thème au hautbois, vite relayé par la flûte. Argerich est discrète et le jeu est on ne peut plus fluide, tout sauf maniéré, adhérant
à la conception sereine de son partenaire de chef. Dès la péroraison
orchestrale achevée, elle bondit de son siège pour aller embrasser Abbado. Elle
ne lui lâchera pas la main lors des nombreux saluts. Le second concert
présentait le concerto K 466, autrement dit le fameux 20 ème.
Ce chef d'œuvre connut une genèse amusante, puisque créé lors d'un concert de
souscription, à Vienne, le 11 février 1785, alors que l'encre n'en était pas
encore sèche : achevé la veille, il ne sera vérifié chez la copiste que le jour
même. Ce qui, pour les spécialistes, explique le caractère négligé de
l'écriture de la partie soliste. La tonalité de ré mineur, celle de l'Introïtus du Requiem, est associée au tragique, à la
passion profonde, et au désespoir. Ce qui justifie peut-être son succès aux
siècles suivants, notamment au romantique XIX ème. Il
y a quelque chose de presque inconciliable, à l'allegro initial, entre le motif
sombre énoncé aux basses de l'orchestre, et le jeu du piano, presque timide,
sur le mode du récitatif. Encore que chez Argerich,
celui-ci va rapidement s'affirmer ; et surtout, lors de la cadence, dont elle
joue celle écrite par Beethoven, qui surenchérit en ce sens. La
« Romance » a la simplicité d'un arioso dans l'énoncé du thème par le
soliste. La section centrale, pathétique, est fort bien contrastée par Argerich, avec le concertato des
bois plaintifs. Une envolée d'arpèges ouvre, au finale, un élan passionné,
« un cri de triomphe », selon les Massin.
Abbado presse même le tempo et établit pour sa soliste un écrin d'une étonnante
allégresse. Là encore, la pianiste argentine montre une vraie affinité avec
l'idiome mozartien. Les applaudissements seront si nourris qu'elle jouera
encore en solo, chose rare, quelque feuille d'album de Schumann.
Outre de courts extraits de la
musique de scène de Rosamunde, qu'il
affectionne, dont l'entracte après le III ème acte,
et le court ballet, distillé peut-être plus qu'ailleurs, avec des hyper
pianissimos, tout simplement magiques, le maestro Abbado donnait deux
symphonies, de Mozart et de Beethoven. La symphonie K 319 n'a, certes, rien de
particulièrement remarquable, comme la Jupiter ou la Symphonie K 550.
Elle marque quelque transition, et démontre sans doute la maturité acquise par
Mozart, fruit de son expérience lors de ses voyages européens, celui de Paris
en l'occurrence, où il s'était confronté à la manière française du Concert
Spirituel. Les cordes dominent et les vents, en nombre restreint, sans la
flûte, ne sont là que pour donner quelques touches de couleur. La rythmique est
versatile aussi, notamment dans les mouvements extrêmes. Et pourtant, avec
Claudio Abbdo et ses merveilleux musiciens, une
cohérence s'établit, celle d'un climat paisible, par-delà les notes. Plus que
chez son jeune confrère Andris Nelsons,
quelques jours auparavant (cf. infra), coïncidence amusante, la manière se veut
intériorisée, et de cette intensité naît l'émotion. On se délecte du Menuetto et de son court trio, et d'un allegro final
radieux. Une leçon d'orchestre. Il en sera tout autant de l'exécution de la
Quatrième symphonie de Beethoven, deux jours après. Une interprétation
distinguée par son équilibre souverain, loin de tous excès martiaux ou
lénifiants, asservie à une idée : celle du drame qui sous-tend cette pièce. Il
y en a, en effet, plus qu'on croit dans cette symphonie, qui sépare l'Héroïque
Troisième et la Tragique Cinquième. La force de ce drame procède de la manière
dont Beethoven manipule les contrastes en termes de dynamique et de texture. Le
début adagio, sur le modèle de Josef Haydn, offre un profond mystère, un sens du suspense. Il faut ici
souligner la force du silence, cet « art du silence » dont parlait
Casals. Celui qui sépare les deux tempos s'avère envoûtant. Avec Abbado,
l'entrée du premier thème de l'allegro n'aura rien d'abrupt. Le mélodique
adagio, avec sa répétition quasi mécanique d'une même cellule rythmique,
progresse naturellement, et le chef ne se prive pas de diminuendos d'intensité,
en particulier dans les traits de la clarinette, menés jusque dans le pppp, mais sans que la pulsation fondamentale
ne s'en trouve modifiée. Le mouvement suivant, en forme de menuet, offre un
univers de formes syncopées ; et le trio s'avère, entre ces mains géniales,
d'une confondante sobriété. Le finale bondit, les accents restant vivaces.
L'hommage au Papa Haydn est de nouveau évident, jeux d'ombre et de lumière,
sens de l'humour. Le rendu instrumental est époustouflant : finesse
immatérielle des cordes, transparentes à un point rarement atteint, clarté
profonde des bois, flûte, hautbois, clarinette et basson, jusque dans la nuance
la plus « atmosphérique ».
Jean-Pierre
Robert.
Le beau violon de Bach ou le tour de force d'Isabelle Faust
Jouer en un seul et même
concert les Six suites et Partitas pour violon seul de Bach est
assurément un challenge. Isabelle Faust se confronte à cette somme avec
aisance, et conquiert un auditoire religieusement recueilli. Comme les Suites
pour le violoncelle, les « Sei Solo à violino senza Basso accompagnato » découvrent un monde sonore
fascinant. Plus que cela : une réflexion esthétique d'envergure, de
spiritualité et de cheminement vers la méditation. Bien au-delà d'un pur
exercice technique, et partant, de virtuosité instrumentale. Une sorte d'Art de
l'universel, où s'effectue une synthèse de l'intellect et du divertissement
musical. Un ensemble qui mène l'interprète comme l'auditeur vers quelque
sommet. Musique difficile d'accès, entend-t-on dire. Il faut tordre le cou à
cette idée fausse d'une musique « objective », froide, uniquement
intellectuelle. C'est Casals qui dit « Plus que n'importe qui, Bach est
humain ». Il y a, chez le Cantor, du sentiment, du tragique comme du
poétique, voire de la passion. Il y a de la couleur dans ces pièces aux mille
visages. Et si le dessin mélodique n'est pas toujours aisé à discerner, plus
d'un indice nous y conduisent : ces pièces ne sont pas seulement faites d'une
juxtaposition de thèmes, mais une façon de traiter, de manière évolutive, une
idée exposée au début de chacune. Et puis, il y a cette merveilleuse polyphonie
qui les sous-tend. Au fil de cette exécution immaculée, plus encore,
complétement habitée d'une force intérieure, on prend conscience de la
signification émotionnelle de chaque Sonate ou Partita. Un vaste éventail
d'expressions est transmis. Un monde de lumière et d'ombre aussi, car les
contrastes dynamiques y sont légion. Les trois Sonates, formatées sur le
principe de la Sonata di chiesa (sonate d'église), en quatre mouvements, suivant le schéma lent-vite-lent-vite,
peuvent sembler sévères. Point du tout à l'écoute de ce qu'en livre Isabelle
Faust. On se prend à s'émerveiller d'une inventivité extrême : l'adagio de la Sonate BWV 1005 évoque une profonde
douleur, le « Grave » initial de la Sonate 1003 découvre un univers
de paix, la « Siciliana » de la Sonate 1001
est presque ésotérique ; mais les fugues viendront égayer tout cela, dont cette
« fuga alla breve »
de la troisième Sonate, une vraie « signature » du Cantor, si vaste,
et calée dans le grave du violon. Les Partitas ne peuvent être plus contrastées
: c'est là le triomphe de la danse, que l'on retrouve aussi dans les Sonates
pour violoncelle seul, ou encore dans les Suites françaises ou anglaises. La
danse dans toutes ses parures : du plus lent, l'Allemande ou la Sarabande, au
plus rapide, les gigues prestes, presque rageuses, en passant par les Menuets,
les Bourrées et autres Gavottes. Casals dit encore qu'il ne doit pas y avoir
« de raideur, plutôt de la rusticité ». Les exécutions de d'Isabelle
Faust sont immenses, en même temps complétement accessibles, faisant siennes ce
mot du violoncelliste catalan « Bach doit être libre ». Il l'est ici,
et l'on savoure un son d'une beauté souveraine, un jeu délié à merveille (presto
de la Sonate BWV 1001), des pianissimos comme suspendus dans l'air. Et surtout,
un sens de l'enchaînement idéalement maîtrisé, nulle part mieux manifesté que
lors des mouvements dits « double ». Ils ont fonction de prolonger,
comme par exemple dans la Partita BWV 1002, qui de l'Allemande, dans un geste
d'une plus grande douceur, qui du Tempo de Bourrée, dans une vraie
amplification sonore. « Une bonne exécution doit être diversifiée. Lumière
et ombre doivent se confronter continuellement » rappelle Ludwig Quantz. C'est
bien de cela qu'il s'agit. Isabelle Faust conclut le cycle par la Partita BWV
1004, et par son immense Chaconne : après plus de deux heures de
musique, elle sait encore nous surprendre par ce qui est non seulement une fin,
mais un aboutissement. Voilà vraiment une exécution inouïe, dont l'apparente
simplicité cèle un immense travail de réflexion, une concentration de tous les
instants, qui laisse de temps à autre percer un léger sourire : la satisfaction
d'un trait achevé, de l'éclosion d'une idée magique plutôt, émanant d'une
musique de l'âme et du cœur.
Jean-Pierre
Robert.
***
SPECTACLES ET CONCERTS
Le prestigieux Orchestre Philharmonique de Berlin en tournée
parisienne...
Les concerts parisiens des Berliner Phil
font incontestablement figure d'événement. Et pas seulement musical, cette
fois, puisque le politique s'en est mêlé : ils étaient inscrits dans le cadre
des festivités honorant la célébration du Traité de l'Élysée, d'où ambassadeurs
et personnalités. Qu'importe, le public était là, fidèle, et très attentif.
Pour apprécier ce que l'ambassadrice d'Allemagne décrit comme « un
ensemble d'une envergure et d'une virtuosité uniques ». Sir Simon Rattle
avait concocté deux programmes exigeants, s'aventurant dans des contrées
audacieuses. Et d'abord, un hommage à Henri Dutilleux! Ce compositeur, il le
chérit, pour avoir commandé, et ainsi créé, à la Philharmonie, en 2003, Correspondances.
C'est précisément cette œuvre qui était au programme du premier concert. Première pièce écrite pour la voix, « cet
instrument si particulier et si intimidant », dira-t-il. Elle est
constituée de cinq morceaux, l'idée ayant « consisté à faire un choix de
quelques lettres émanant de différents auteurs et susceptibles d'engendrer
diverses formes d'expression lyriques illustrées par une voix de soprano et le
grand orchestre symphonique ». Et il est vaste cet orchestre, avec bois
par deux, cuivres par trois, cors en fa, trompettes en ut, outre une
impressionnante lignée de percussions. Comme on l'a remarqué à propos d'une récente
interprétation au disque (cf. NL de
3/2013), le terme de correspondance est pris dans son double sens épistolaire
et de corrélation texte-musique. Le titre se réfère au poème éponyme de
Baudelaire. L'auteur indique que chaque épisode fait l'objet d'une
orchestration particulière, privilégiant telle famille d'instruments, les
cordes et les violoncelles naturellement dans celle « A Slava et
Galina ». La poétique des séquences fait référence à des termes
signifiants de l'univers de Dutilleux, le timbre, le silence, l'espace.
L'exécution qu'en donnent les Berliner est prodigieuse de virtuosité timbrique,
de l'impalpable pianissimo à l'éclat forte. On est impressionné par les
pages agitées par lesquelles s'ouvre la lettre « de Vincent à
Théo ». Barbara Hannigan, qui est aussi la soliste du récent CD, offre une
lecture puissante, sans doute différente de celle de la créatrice, Dawn Upshaw.
Et si les paroles ne sont pas toujours distinctes, c'est que Dutilleux traite
la voix tel un instrument parmi l'orchestre. Métaboles figurait au
second concert. Commande de Georges Szell pour l'Orchestre de Cleveland, où
elle fut créée en 1965, c'est une des œuvres phares du compositeur. L'idée
sous-jacente est celle de métamorphose, où la forme musicale se libère des
« modèles préfabriqués ». Un concerto pour orchestre dont chacune des
parties favorise, là encore, ou plutôt déjà, une famille particulière
d'instruments. Les cinq pièces s'imbriquent les unes dans les autres, la figure
initiale de chacune subissant une succession de transformations, voire une
déformation engendrant elle-même une nouvelle figure, qui servira d'amorce à la
pièce suivante. On remarque la maîtrise de la matière symphonique, et la vraie
flamboyance orchestrale. On savoure combien Simon Rattle façonne les forces de
son orchestre pour en obtenir un son gallique, d'une transparence vraie. Les
violons, en particulier, sont sollicités jusqu'au bout du son. Admirable au
passage, la belle flûte de Emmanuel Pahud.
Une autre œuvre, peu fréquente,
est le concerto pour violoncelle de Witold Lutoslawsi. Dédié à Slva
Rostropovitch, qui le créera en 1971 à Londres, il est conçu pour la
personnalité de cet artiste « d'une telle puissance, non seulement dans son
champ d'action propre, mais en général ». La pièce est étrange, et son
auteur y voit quelque « histoire d'un Don Quichotte du XX ème
siècle ». Car elle témoigne d'une lutte incessante entre soliste et
orchestre. Celui-ci est d'une texture complexe, quoique très malléable en
termes d'effectifs. Lutoslawski y utilise la technique, qui lui est propre, de
l'« aléatoire contrôlé », laissant à l'interprète une marge de
manœuvre non négligeable dans le déroulement rythmique. Le langage, qui mêle ce
contrepoint aléatoire à d'autres paramètres, tels que l'organisation de la
hauteur des sons, la recherche d'harmonies spécifiques, renforce cette
impression d'étrangeté. Le compositeur dit être redevable tout autant aux
classiques viennois qu'à des musiciens comme Debussy, Bartók, voire Varèse. Les
quatre mouvements sont joués attaca : le premier « Introduction »
débute par un solo du violoncelle, interrompu par des accords
« furieux » des cuivres. Plus tard, dans « Cantilène », un
bourdonnement de l'orchestre assagi, qui se fait aussi bruissement, livre un
contrepoint paradoxal au discours du soliste. La lutte avec les forces
orchestrales, où le cello est « attaqué » par de petits groupes
d'instruments, ne tourne pas toujours à l'avantage de celui-ci. Au
« Finale », L'orchestre semble triompher dans un gigantesque climax,
sur une lamentation du soliste, mais les clusters disparaissent pour une fin
réintroduisant le climat inquiétant des premières pages de l'œuvre. Simon
Rattle n'est nullement dépaysé par ce système musical. Il couve son soliste. Le
vétéran Miklós Perényi ne cherche pas à s'imposer, et privilégie la finesse
plutôt que la bravoure.
Avec le Troisième Concerto
pour piano de Beethoven, qui ouvrait le premier concert, est livrée la
quintessence d'une exécution d'un classicisme épuré. Rattle et Mitsuko Uchida
adoptent une approche chambriste et encouragent des sonorités souvent apaisées.
La passion beethovénienne est mise de côté pour une poétique issue de Mozart.
L'introduction orchestrale du premier mouvement a du brio, et semble promettre
une certaine fermeté, mais l'orchestre se fait si transparent que l'impression
de puissance n'est pas prépondérante. L'entrée du soliste est d'une belle
clarté, et le dialogue qui s'instaure et se poursuit avec l'orchestre, montre
une suprême alchimie entre un chef et
une pianiste, immenses musiciens. Les trilles ultimes de la cadence, très
lents, ouvrent un moment de recueillement, où l'on se sent détaché de toute
contingence. Le largo, pris très lent, est empreint de sérénité, colloque
lyrique, sans effusion inutile, combien habité, sur un orchestre apaisé, d'où
se détache la mélopée de la flûte de Andreas Blau. « O temps suspends ton
vol » ! Le finale, pris preste, est plus qu'aérien : Ushida se fait elfe,
comme elle l'est au propre dans sa démarche pour rejoindre le piano ou venir
saluer. Il y aura eu beaucoup de ralentissements et de diminuendos au fil de
cette exécution. Mais se plaindrait-on d'un jeu nuancé et d'un orchestre non
bruyant ? Le jeu est d'un raffinement qui sort de l'ordinaire, nanti de notes pppp, caressées, patte de velours. Pourvu aussi d'attaques énergiques, qui
tranchent avec la fragilité, somme toute apparente, de ce bout de femme
musicienne d'élite.
Les deux symphonies médianes de
Schumann rythmaient ces concerts. Là encore, se vérifiera l'inanité du jugement
selon lequel les œuvres symphoniques du compositeur sont ingrates à jouer,
voire mal écrites. Ce qu'on avance souvent, pour excuser des interprétations
qui ne parviennent pas à se hisser au-delà du texte. « On dit qu'il
orchestre gris ; moi, il me parle à l'âme » s'exclamera Willy. Il s'agit
là de deux grands morceaux du symphonisme romantique. Et Sir Simon le saisit
bien, qui joue les contrastes, mais sans les souligner outre mesure. La
Deuxième Symphonie, op 61, créée par Mendelssohn, en 1846, offre un climat qui
n'est pas sans rappeler celui de la Grande de Schubert, également en ut.
Brigitte François-Sappey y voit une « symphonie-drame ». C'est
peut-être aussi la plus classique des quatre, de par sa limpidité. Ce que
souligne l'interprétation de Rattle. Si l'adagio en est le centre expressif, au
lyrisme maîtrisé, au chromatisme non exacerbé, tout en clair-obscur, le
scherzo, qui précède, est digne de Mendelssohn, et le finale vivace d'une belle
énergie, mais là encore maîtrisée. La Troisième symphonie, op. 97, dite
« Rhénane », de 1851, aux dires de son auteur « reflète un peu
de la vie sur les bords du Rhin ». On y perçoit un enthousiasme
communicatif, car « toute bruissante de mélodies populaires et de valses
rustiques » (ibid). Ses cinq mouvements et sa variété de climats la
placent dans la lignée de la Fantastique de Berlioz : le fameux avant
dernier mouvement, « Feierlich », occupe le même endroit singulier
que la « Marche au supplice ». Rattle ne nous prive pas de
l'exubérance de cette pièce, avec ses cuivres fougueux, ses élans jubilatoires
(premier mouvement), ses rythmes dansés au scherzo, marqué « très
modéré », son épisode réfléchi central, « nicht schnell » (pas
vite), sorte d'intermezzo, remplaçant le traditionnel mouvement lent adagio, où
se développe comme une idylle, enchantée par les bois. Le
« Feierlich », solennel, de son écriture quasi pianistique, colore
l'œuvre, et le finale, vif, conclura de manière festive. Dans l'une et l'autre
symphonies, Rattle a recours à un spectre sonore relativement restreint, comme
souvent chez lui désormais. Ce qui libère un son d'une étonnante intimité, et
d'une immédiateté peu commune. Il divise ses violons, et ne dispose que 5 contrebasses,
mais qui réchauffent comme s'il en étaient 9 ! La patine des cuivres ajoutent
cette note reconnaissable entre toutes, celle d'une excellence à laquelle peu
de formations peuvent se comparer.
…et chez lui, à la Philharmonie, Karajanplatz.
Bien sûr, retrouver l'orchestre
dans « sa » salle de la Philharmonie est une autre expérience. Sans
être désagréable, force est de reconnaître que l'acoustique de la salle de la
rue du faubourg Saint-Honoé ne saurait être comparée à celle de l'auditorium
berlinois. L'événement était la présence du chef Andris Nelsons. A en juger par
l'accueil et les saluts finaux, le jeune letton est déjà bien auréolé de gloire
ici, le public le rappelant, comme pour les grands, même après que les
musiciens aient quitté le podium! Son programme débutait par la 33 ème
symphonie K 319, de Mozart. Écrite pour Salzbourg, de retour de son second
voyage à Paris, c'est une pièce de transition, mais aussi d'expérimentation, en trois mouvements,
auxquels sera ajouté plus tard un menuet, pour le public viennois. Son
instrumentum comporte hautbois, basson et cor, par deux, mais pas de flûte. Il
y un contraste entre la gestuelle très expressive du chef et une approche faite
d'humilité, notamment à l'andante moderato, qui fait figure de mouvement lent.
Le finale déploie une fine verve, de son thème pimpant. On savoure les cordes
lustrées des Berliner. L'Ouverture de Tannhäuser, dans sa version
originale de 1845, est une autre affaire. Dès la première phrase, prise pas
trop lent, où les deux cors s'unissent aux deux clarinettes, l'alchimie opère :
Nelsons est là chez lui. Son Lohengrin, à Bayreuth, l'a déjà prouvé.
Quelle richesse, ici, avec de tels instrumentistes! L'entrée des cellos et des
altos est un ravissement, et le cheminement se poursuit jusqu'à un formidable
climax rehaussé des percussions. L'apothéose sera glorieuse avec l'entier rang
des cuivres, trombones, trompettes et cors, faisant passer une indicible
frisson. Nelsons met en évidence le sens de la progression à travers les vagues
successives d'un orchestre incandescent. L'art de monter un crescendo, il va le
chercher du tréfonds. Cette plénitude sonore, on en redemanderait! De la Sixième
symphonie de Chostakovitch, le chef en donne la substantifique moelle. Cet opus 54, créé par Mrawinski, a été écrit
durant une année de crise, 1939, qui vit pourtant éclore des chefs d'œuvres
comme Simon Kotko de Prokofiev, ou le Divertimento pour cordes de
Bartók. Il se situe entre la classique Cinquième et la Septième pathétique, Leningrad.
L'auteur la considérait comme l'une de ses meilleures. Inhabituellement courte,
selon les standards de l'auteur, elle offre une conception originale, puisqu'en
trois parties, du plus lent au plus rapide, la première durant, à elle seule,
autant que les deux suivantes. Le largo progresse telle une calme pastorale.
Ses motifs sont en perpétuels changements. Chostakovitch retourne à la
consonance et offre ces combinaisons instrumentales dont il a le secret,
piccolo et harpe par exemple. On y compte aussi d'inspirés solos de flûte
(merveilleux Andreas Blau!). Nelsons
pousse les cordes jusque dans leurs retranchements, et les ultimes pages sont
d'une douceur extatique. Le deuxième mouvement est un scherzo vivant, d'une
polyphonie étrange, différant du mode grotesque habituel chez l'auteur.
L'esprit et l'humour y règnent sans partage. Le troisième est un vif rondo,
renchérissant sur le climat du scherzo, mais dans un ton plus rageur. La
rythmique de danse s'y poursuit, cédant la place à un galop, parodique cette
fois. La coda sera tempétueuse, quoique dans une veine d'une incroyable
légèreté. Quelle orchestration! Quelle virtuosité orchestrale, nantie de
profondeur, et non de pure surface! Quel chef, en complète symbiose avec ses
musiciens plus que d'élite !
Jean-Pierre
Robert.
Le Staatsoper de Berlin conclut son Ring
Richard WAGNER : Götterdämmerung (Le
Crépuscule de dieux). Troisième journée du Festival scénique « Der Ring
des Nibelungen ». Livret du compositeur. Ian Storey, Irène Theorin, Gerd
Grochowski, Mikhail Petrenko, Johannes Martin Kränzle, Marina Poplavskaya,
Marina Prudenskaja, Margarita Nekrasova, Aga Mikolaj, Maria Gortsevskaya, Anna
Lapkovskaja. Staatskapelle Berlin, dir. Daniel Barenboim. Mise en scène : Guy
Cassiers.
L'aventure débutée à l'automne
2010, avec Das Rheingold (cf. NL 12/2010), poursuivie par Die Walküre (cf. NL 05/2012) et Siegfried (cf. NL 11/2012), s'achève donc avec Le
Crépuscule des dieux, entre les mains de Daniel Barenboim et du régisseur
belge Guy Cassiers. On a déjà relaté les idées défendues par ce dernier. Là où
Wieland Wagner, dans les années 50/60, s'attachait à un minimalisme moderne, où
Patrice Chéreau, pour le Ring du centenaire, à Bayreuth, nous
confrontait au radicalisme historique, et plus tard, en ce même lieu, Harry
Kupfer, déjà avec Barenboim, revisitait le Regietheater, Guy Cassiers illustre
la cosmogonie tétralogique au plus près d'un théâtre humain : une métaphore
dramatique faisant appel à une lecture très visuelle. Aux figures musicales de
Wagner, répétitives, et partant reconnaissables, mais pas toujours stables, du
fait des distorsions subies, Cassiers fait correspondre des leitmotivs visuels,
autant de rappels que de métamorphoses. Ceux-ci s'imbriquent avec les motifs
musicaux, achevant une délicate balance entre action et récit, ces deux pôles
de la dramaturgie wagnérienne. Il en résulte une approche tridimensionnelle :
d'une part, un élément décoratif fondateur, réplique du bas-relief de Jef
Lambeaux, intitulé « Les passions humaines » (1898), montrant une
frise aux corps déchiquetés, d'autre part, des projections sans cesse
changeantes, enfin le recours à des danseurs formant une sorte gangue autour de
certains personnages. La direction d'acteurs se veut simplement évocatrice :
pas d'emphase empruntée au Regietheater, ni de transpositions contemporaines ou
ancrées dans un passé récent, mais un discours proche du spectateur, à l'appui
de la théâtralité, déjà chargée, du célèbre « festival scénique ». Avec Le Crépuscule de dieux, de loin la pièce la moins aisée à monter au sein
du Ring, comment fonctionnent ces présupposés ? Nulle part mieux que
dans ce quatrième épisode, le récit des passions humaines n'est aussi prégnant.
Même si distillé à l'envi par Wagner à longueur de tirades, truffées de
leitmotivs ; ce « bottin des dieux », fustigé par les bons esprits
français du début du XX ème! La dramaturgie du savoir et de l'inconnu atteint
définitivement le monde des hommes, et le dernier épisode de la quête de
l'anneau par Wotan bascule dans un univers asservi aux forces du mal.
Brünnhilde n'a plus de déesse que l'esprit, et le pauvre Siegfried se perd au
jeu des calculs mesquins de Hagen et de ses épigones. Tout se déconstruit, se
déforme, se pervertit. Plusieurs strates se télescopent dans une sorte
d'« Apocalypse Now » : les Nornes ressassent les images d'un
encombrant passé, les Gibichungen
fomentent le pire, Brünnhilde est en proie aux désillusions, et les Filles du Rhin
tentent une dernière médiation, sans illusion. Las! tout est usé, les rêves se
brisent. La question de « comment finir » taraude tout metteur en
scène : Chéreau concluait en forme de question ouverte, de manière plus ou
moins positive. Le dessein est-il optimiste ou pessimiste ? La conduite humaine
n'est en aucune manière meilleure que celle des dieux. Cassiers opte pour une
issue bien sombre : la restauration de l'ex ante, un nouveau départ à zéro, ne
sont pas évidents. Aussi l'horizon restera-t-il plombé. Un regard en arrière ?
Pas si sûr ! Et cela se ressent dans la péroraison orchestrale, dont Barenboim
ne détache pas l'ultime motif ascendant des cordes. En tout cas, tout aura été,
durant ces trois longs actes, défense et illustration du fragile et de
l'incertain. La scène des Gibichungen, au Ier, une sorte de laboratoire où
s'élabore une technologie du mal, la première scène du II réunissant Alberich
et Hagen, d'une force concupiscente peu commune, le trio infernal mettant aux
prises Brünnhilde, Gunther et Hagen, d'une infernale noirceur, auront sonné des
moments de théâtre engagé. Les images sont fortes, même si pas aussi
percutantes que dans les trois précédentes Journées. C'est que le temps
théâtral est plus vaste ici. Les essaims de danseurs, qui avaient séduit dans L'Or
du Rhin, se résument à quelque parabole intéressante : ainsi des sangsues
arrachant, pour le compte de Siegfried « Guntherisé », l'anneau à une
Brünnhilde qui ne peut s'en défendre. L'œil se satisfait de ces visions
mouvantes, aux couleurs chatoyantes, qui rapprochent ou éloignent les
perspectives. Dialogues ou confrontations ont une simplicité, à des années-lumière
des mises en scène bourrées de clichés. C'est, pour Cassiers, un paramètre
essentiel que de faire jouer très proche du public - aux sens propre et figuré.
Le gain en termes de projection est énorme, et jamais une syllabe ne se perd.
On retrouve cette immédiateté des voix qui marque le son de Bayreuth.
Place à la musique, justement!
Le vaste orchestre, fort de six harpes, d'une foultitude de cordes graves, et
de ces instruments typiquement wagnériens que sont la clarinette basse, le
tuba, le cor, etc... la Staatskapelle Berlin en fait son affaire. Et opère,
encore une fois, des miracles pour leur chef. Barenboim est dans son élément,
et a bien peu de rivaux pour défendre cette matière en fusion. Les tempos
peuvent, certes, fluctuer (un Voyage sur le Rhin mené rondement), mais
on ne saurait lui dénier une sûre dramaturgie symphonique. La transition, au I,
entre l'échange animé, désespéré, opposant Waltraute et Brünnhilde, et l'effet
de solitude qui s'en suit chez cette dernière, suggère un drame annoncé,
irrévocable. Le prélude du II libère une force dramatique rare, là où la
plasticité de l'orchestre wagnérien marque de son empreinte. La Marche funèbre
du III - sur une vision de crémation de corps - découvre un monde d'ombre et de
lumière, d'une formidable dynamique : depuis un pianissimo, d'« un son
qui vraiment ne vient de nulle part », selon le chef, au déchaînement
massif d'un orchestre à force déployée. Ces contrastes exacerbés, Barenboim les
assume quant à leur valeur dramatique. Non que le débit ne soit pas assagi
ailleurs : la scène des Nornes est volontairement lente, les échanges au sein
du palais des Gibichungen mesurés, presque trop, à la limite du prosaïque.
L'appel des vassaux, au II, et leur chant véhément, ne sombreront pas dans un
inutile pathos, de bastringue germanique. La scène finale de l'Immolation a
grande allure. Elle couronne une interprétation d'une Brünnhilde de grande classe
: Irène Theorin, une des grandes interprètes du rôle, n'a sans doute pas
l'incandescence d'une Birgit Nilsson, ou d'une Nina Stemme aujourd'hui, mais la
présence est certaine et le langage puissant, non sans un large vibrato, ce qui
peut ne pas plaire. Il y a plus de force que de nuances chez le Siegfried de
Ian Storey, qui « paie » maintenant d'avoir abordé Tristan : la
ductilité n'est plus ce qu'elle était, sauf à l'ultime récit précédant la mort
du héros. La Gutrune de Marina Poplavskaya découvre un registre grave
insoupçonné dans ses incarnations italiennes, et une attitude un peu maniérée ;
sans doute une volonté du régisseur. La Waltraute de Marina Prudenskaja est la
joie d'une des plus belles scènes de l'opéra. La vraie stamina wagnérienne, on
la tient chez Gerd Grochowski, Gunther d'une rare élégance vocale, et d'un sûre
pertinence dramatique, Johann Martin Kränzle, Alberich du calibre d'un Gustav
Neidlinger, et Mikhail Petrenko, sardonique Hagen, désormais inséparable du rôle, et dont la voix lisse
ajoute au look menaçant, quoique « l'air de ne pas y toucher ».
Nornes, Filles du Rhin, distribuées à des voix venues de l'Est, accomplissent
fort bien le job, comme les chœurs du Staatsoper. La saga s'achève ainsi
grandiose. Il sera fascinant de mesurer l'impact de ce travail, dans la
continuité d'un cycle complet : ici, à Berlin, en avril, puis à Milan, en juin.
Le chalenge est en tout cas bien haut pour la production parisienne et celle du
prochain Festival de Bayreuth.
Jean-Pierre
Robert.
Barenboim en concert avec sa Staatskapelle Berlin
Le lendemain du Wagner,
l'infatigable Daniel Barenboim donnait un « concert d'abonnement » à
la Philharmonie. Et un programme mixte, comme il en affectionne la manière,
avec, en première partie, le Concerto pour violon op. 77 de Brahms. Écrit pour
l'ami Joachim, qui ne tarissant pas d'éloges sur son auteur, lui reconnait
« un feu complétement intensif, et une énergie fatale toute comme la
précision du rythme ». Un compliment venant après bien des
incompréhensions de part et d'autre, et bien que le virtuose ait déclaré le
concerto injouable ! Les choses ont bien changé depuis. Le soliste et
l'orchestre y sont dans un rapport inédit, eu égard au caractère symphonique du
morceau. L'interprète en était la jeune géorgienne Lisa Batiashvili : mince
comme un fil, élégante, racée, avenante, on ne détecte point de sensiblerie
chez elle. L'attaca du premier mouvement est franche, et le discours sera de
haute tenue. Même si le chef a tendance à bouger le tempo, elle s'adapte. La
violoniste choisit la cadence de Ferruccio Busoni, plus courte que celle de
Joachim, plus simple aussi à ses dires, et comportant, au début, un
accompagnement de timbales, puis de contrebasses. Le retour de l'orchestre ppp,
sur la mélodie de la clarinette, est magique. Voilà une musicienne qui n'a pas
froid aux yeux. Et sait maîtriser ses émotions : l'adagio, introduit par le
concertato des bois, dont émerge le hautbois (qui lui est cher puisque mariée
au hautboïste François Leleux!) est pure cantilène : « une musique si
humaine » confie-t-elle. Barenboim lui peaufine le plus évocateur des
écrins. Le finale, débuté très brusque par celui-ci, presque véhément, comme
bien souvent, alors que marqué « giocoso, ma non troppo vivace », offre
à la violoniste de belles occasions de démontrer une maitrise nullement
racoleuse. Du grand art. Liszt a imposé cette forme narrative qu'est le poème
symphonique. Les Préludes trouvent leur origine dans l'Ode de Lamartine,
tirée des Nouvelles Méditations poétiques. Liszt n'a pas cherché à
diminuer cette portée narrative, rédigeant même une sorte de précis pour en
expliciter les diverses séquences. On sait les tournures, tour à tour épiques
et lyriques, qui caractérisent la pièce, et vont jusqu'à une sorte d'appel aux
armes, dans l'allegro marziale animato. Les ultimes pages marquent un retour à
cette forme grandiose qu'affectionne le compositeur-Abbé. Barenboim se lance
dans la plus fantastique des aventures, et son orchestre répond au quart de
tour. Lui, qui dans une note de programme étudie le phénomène de l'utilisation
abusive de la musique hors de son contexte, et des associations d'images
douteuses, par exemple à dessein politique aucunement envisagée par leurs
auteurs. Ainsi du recours au thème central desdits Préludes de Liszt par
la Wehrmacht, à des fins de propagande nationale socialiste. On reconnaît là
une marque de l'engagement du chef. Les Drei Orchesterstücke (trois
pièces pour orchestre) op. 6 de Berg ne sont sans doute pas incongrues après les
envolées lisztiennes. Cette première grande pièce pour orchestre, où on a
affaire à une formation énorme, est pourtant un concentré de musique. À travers
ses trois séquences. Mais, quel que soit l'abord difficile, plus d'un parallèle
peut être fait avec d'autres musiciens, Mahler notamment, et sa 6 ème Symphonie
: la troisième pièce, « Marsch », reprend les fameux coups de marteau
du finale de celle-cil. L'affinité de Barenboim avec l'idiome bergien est
connu, notamment pour les deux opéras, Wozzeck, et Lulu. Si le
son n'est pas aussi dégraissé que celui achevé par un Pierre Boulez, il
s'impose par la variété des couleurs et sa cohérence à travers une multiplicité
de facettes accidentées, sans parler de la sûreté avec laquelle les musiciens
de la Staatskapelle Berlin abordent ce sommet de complexité.
Jean-Pierre
Robert.
Une bien étrange Walkyrie à l'Opéra Bastille.
Richard WAGNER : Die
Walküre. Première journée en trois actes du Festival scénique « Der
Ring des Nibelungen ». Livret du compositeur. Martina Serafin, Stuart
Kelton, Günther Groissböck, Thomas Johannes Mayer, Alwyn Mellor, Sophie Koch,
Kelly God, Carola Höhn, Silvia Hablowetz, Wiebke Lehmkuhl, Barabra Morihien,
Helene Ranada, Ann-Beth Solvang, Louise Callinan. Orchestre de l'Opéra National
de Paris, dir. Philippe Jordan. Mise en scène : Günter Krämer.
Pour fêter l'année Wagner, l'opéra Bastille
remet sur le métier le Ring durant le présent semestre, pièce par pièce,
avec une exécution de l'entièreté de l'affaire en juin. La Walkyrie est
sans doute la pièce la plus « détachable » du lot. Cette production,
qui globalement ne satisfait pas, comme déjà constaté lors de sa première
présentation en 2010, est sauvée par la direction de Philippe Jordan. Rarement
a-t-on entendu à Bastille un son d'une telle plasticité, dans les cordes en
particulier. L'orchestre possède le galbe wagnérien, mais avec le caractère
translucide d'une lecture française. Nul doute que le passage par Bayreuth,
pour un mémorable Parsifal, à l'été 2012 ( Cf NL de 09/2012) a ouvert la
voie à une telle interprétation. Le chef le constate lui-même. L'immédiateté du
son est un élément d'émerveillement continu. Certes, les tempos sont souvent
lents, mais tant habités qu'on y adhère sans difficulté. Sauf, peut-être, pour
celui qui n'est pas habitué à la prosodie wagnérienne, et dont l'œil n'est pas
sollicité de manière adéquate, comme on le verra plus loin. Si l'on devait
émettre un minuscule bémol, c'est paradoxalement quant au Ier acte, où la
lente, mais inexorable, progression
dramatique n'est pas assez puissante. Le deuxième est pure splendeur, et l'on
savoure le ton électrique de l'échange entre Wotan et Fricka, la clarté
translucide du monologue de Wotan, le déchirant de ce qui est un adieu pour les
deux amants jumeaux. Une Chevauchée, bien sentie, ouvrira un troisième acte,
qui laisse l'orchestre conclure en majesté. La distribution est inégale. Elle
est dominée par la Sieglinde de Martina Serafin, incandescente, rejoignant en
sympathie ses illustres devancières, dont Régine Crespin : même qualité du
médium, élan de foi comparable. Sophie Koch, Fricka, possède une voix pour
Wagner, et non une « voix wagnérienne» qui serait synonyme de figée. Tout
le contraire ici. Le Siegmund de Stuart Kelton a un timbre agréable, capable de
belles envolées, mais trop souvent peu naturelle question style. Le Wotan de
Thomas Johannes Mayer, artiste vu dans le Wanderer de Siegfried, à
Berlin, chez Barenboim, a de l'abattage vocal, mais peu de charisme. Encore que
ce ne soit pas de sa faute, mais de celle du régisseur, si les
« Adieux » n'exhalent aucune émotion, du fait d'un jeu de scène d'une
totale froideur. Alwyn Mellor campe une Brünnhilde jeune et brave fille, pas
déesse pour un sou. La voix, passées sans encombre les impossibles
interjections liminaires du II, est belle, mais manque cruellement de médium
dans une partie où le chant se fait paroles. Bon assortiment de Walkyries,
n'était leur prestation scénique insipide. Günther Groissböck est un terrifiant
Hunding, violent au point de malmener sa femme. Quoiqu'il trouvera un instant
son maître chez un brave Gi's nommé Siegmund ! Un des traits curieux de la mise
en scène.
Car c'est là que le bât blesse,
définitivement, malgré la révision à laquelle son auteur se serait attelé. La
direction va du banal (l'épée du frêne, ici fichée dans un morceau de
contreplaqué, sur l'ouverture de scène, passant presque inaperçue, et surtout
anecdotique), au très sophistiqué (le retour de Hunding au chevet de son hôte,
pour le prévenir qu'il le « retrouvera demain »), voire à
l'incompréhensible : cette redingote de Wotan, que celui-ci a laissé choir à
l'issue de la scène de ménage avec l'intransigeante Fricka, qu'endosse, quelque
scène plus tard, Siegmund, durant celle de l'Annonce de la mort, et dont il se
défait promptement. On change de décor plus qu'il n'est prévu par le méticuleux
Wagner, même si le dénominateur commun semble être une théorie d'escaliers
encombrant toute la surface du plateau. Au 1er acte, l'évocation du printemps intervient sur une
image de jardin japonais en fleurs. Les diverses séquences du II ème acte ont
pour préliminaire les lettres G E R M A N I A, brandies par de jeunes athlètes
en culottes courtes. L'allusion est trop criante pour être encore percutante.
Reste balourd du Regietheater. Mais pour celui qui n'a jamais vu la pièce, que
cela peut-il inspirer ? La Chevauchée est un sommet de grotesque, pas tant par
cette foison d'éphèbes complément nus, que par le pas de l'oie infligé à une
foule de figurants, scandant la mesure. Surtout, il n'y a pas une once
d'émotion dans ce fatras grandiloquent et inutile. Devrait-on endosser le
jugement de Claudel, qui avoue ne pas comprendre pourquoi ses compatriotes
« continuent à se régaler, à s'empiffrer, à s'empoisonner le cœur et
l'imagination de cette métaphysique hagarde..., de ce sabbat où ne pénètre
aucun rayon de joie et de vérité » (in Le Figaro, le 26 mars 1938) ?
Jean-Pierre Robert.
…..
L'opéra au cinéma : le Parsifal du MET en HD
Contrairement à la sentence du présentateur
vedette du JT de 20 H sur France 2, vous n'allez pas au cinéma « pour
éviter de payer trop cher le prix du billet d'Opéra »... mais bien pour
tenter une expérience singulière qui vous emmènera à l'Opéra ! Mais passons. La
foule se pressait au MK2 du Carrefour de l'Odéon, entre autres, pour assister à
la retransmission en direct de Parsifal du MET de New-York. Elle n'aura
pas été déçue et aura sans doute vu une sorte d'idéal, si tant est que le mot
ait encore un sens. Mais tout de même. Cette nouvelle production était
présentée par un jovial chanteur maison, qui mêlait une bonne humeur toute
américaine à un vrai sens du business : publicité pro domo, appel au dons,
outre le jute bagout pour mener des interviews minutes des protagonistes et
autres personnages importants, tel que Mr Peter Gelb soi-même, l'entreprenant
directeur du MET. De quoi entretenir le suspens au début et occuper les longs
entr'actes. On sera même mené par la main dans les coulisses du prestigieux
théâtre de Lincoln Center, pour découvrir que l'immensité des lieux du
backstage est telle que même l'armée des techniciens occupés à faire et défaire
les décors, y paraît presque lilliputienne. Et qu'il semble aisé de déplacer,
comme une plume, d'énormes portants de décors, ou de s'affairer à remplir et
dégarnir un lac de sang, celui dans lequel vont devoir évoluer les
Filles-fleurs, et Parsifal et Kundry eux-mêmes, durant le II ème acte ! Un
chalenge tout de même, reconnaît le directeur technique. Tout autant que pour
les preneurs de son, qui réalisent un travail plus qu'étonnant, favorisant un
peu les voix, sans pour autant que la balance générale orchestre-chant ne soit
perturbée.
La production, déjà vue à l'Opéra de Lyon
avec lequel elle est en coproduction, a peu changé, n'était son adaptation au
vaste plateau new-yorkais. Elle en ressort magnifiée par une prise de vues fort
pertinente, qui en accentue même la lisibilité. Le canadien François Girard
dira, dans son interview durant l'entr'acte, qu'il voit là « un voyage
au-delà même de l'opéra, qui nous ramène à nos propres souffrances, à nos
tentations ». Certes, et c'est bien celui de Parsifal et sa quête de
rédemption. Là où à la représentation, le spectateur ne peut qu'appréhender une
vision d'ensemble, la caméra scrute le détail. Avec infiniment de tact et d'à
propos dans le choix des prises. Les plans sont variés, latéralement, en vue
plongeante aussi. Pour ne citer qu'un exemple : le bref regard d'Amfortas, à
peine remis de la célébration du Graal, qui l'a aussi réconforté, vers le jeune
adolescent, sera poignant. La caméra s'attache à la disposition des
personnages, avec acuité, comme lors de la première scène de l'acte III, qui
rapproche Kundry de Parsifal, sous le regard ému de Gurnemanz. On ne s'étendra
pas en longues louanges sur la distribution : C'est bien le « dream
cast » souligné par le présentateur. Et ils sont tous à leur meilleur :
René Pape est un Gurnemanz tout simplement exceptionnel, couronnant la liste
impressionnante des figures de basses wagnériennes de cet immense chanteur.
Jonas Kaufman, Parsifal, livre la performance de sa vie, vocalement héroïque ou
distillant des fils de voix qui bouleversent par leur beauté. Et la mutation de
l'innocent vers le sauveur prédestiné est d'une justesse, qui est l'apanage des
très grands. La Kundry de Katarina Dalayman est si convaincante dans son
incarnation de la femme au double visage, et des traits périlleux du II, qu'on
se prend à se dire qu'on n'a rien entendu de tel depuis la jeune Waltraud
Meier, à Bayreuth. La révélation, c'est sans doute l'Amfortas de Peter Mattei,
superbe de passion torturée, de chant incandescent, car la longue fréquentation
de Mozart, et de son Don Giovanni, lui assure une souplesse du chant , qui fuit
tout pathos wagnérien. Nul n'en aura d'ailleurs dans cette exécution. Pas même
le Klingsor de Evgeny Nikitin, même s'il pâtit des tempos prestes, presque
boulés, du chef lors de la première scène du II, et d'une baisse de forme
passagère de le régie. Les Filles-fleurs et autres personnages, tenus par les
gens de la troupe, sont émérites eux aussi. Daniele Gatti, décidément plus
inspiré en cette occasion qu'avec le National, à Paris, livre aussi une
« great » performance, unanimement saluée, dit-on, à New-York. On le comprend à l'écoute des ces
volutes de musique « nursées » avec tant de soin. C'est que
l'Orchestre du MET est lui aussi formidablement inspiré, comme naguère avec
Jimmy Levine. Une expérience étonnante.
Jean-Pierre Robert.
Un opéra chinois : Le Pavillon aux pivoines
Le pavillon aux pivoines. Opéra
classique chinois Kunqu, d'après l'œuvre de Tang Xianzu. Mis en scène et
interprété par Tamasaburo Bando et la troupe de l'Opéra-Théâtre de Kunqu de
Suzhou-Jangsu.
Faisant une pause dans sa saga américaine,
le Châtelet propose...un opéra chinois : Le Pavillon aux Pivoines,
ou du moins des extraits. Car l'œuvre originale comporte 55 actes ! Elle est,
ici, condensée en trois actes et six tableaux. Elle appartient au théâtre Kunqu
et a été écrite en 1598, par Tang Xianzu, écrivain de l'époque Ming. Elle est
donc contemporaine de l'Orfeo de Monteverdi. C'est l'un des types les
plus importants du théâtre classique chinois, célébré tant par la beauté de sa
musique que par le caractère littéraire des textes. Classé au patrimoine
mondial par l'UNESCO, comme « chef d'œuvre de la tradition orale et
patrimoine immatériel », c'est une pièce quasi fondamentale dans le genre
de l'opéra chinois. L'histoire est celle d'une jeune femme, Du Liniang, qui
rencontre en rêve un beau jeune homme sous un prunier. Ils s'unissent en songe.
À son réveil, elle ne parvient pas à l'oublier. Elle se consumera et périra de
solitude et de chagrin. Mais le juge des Enfers autorisera son fantôme à
rechercher son aimé, et elle reviendra finalement à la vie. C'est, dans la
pensée chinoise, une traduction de la
dissociation, après la mort, de l'âme supérieure et de l'âme inférieure. Le
rêve et la réalité se confondent dans un univers fantastique. La musique est
d'une écriture très variée, dans laquelle se détache la flûte. Le chant offre
cette particularité qu'aucune mélodie ne s'y répète jamais
La production se signale par son esthétisme
: décors et lumières de tons pastels, le rose notamment, mais aussi le vert
d'eau, contribuent à définir un climat apaisé, mais pas figé, malgré le
statisme du sujet. La gestuelle se vit comme au ralenti. Il s'en dégage un
parfum de nostalgie à travers des attitudes d'une grande dignité, où la grâce
du geste rejoint celle des postures de chacun vis à vis des autres. Le piquant
est que cette mise en scène a été confiée à un japonais, spécialiste du théâtre
Kabuki : Tamasaburo Bando. Celui-ci est « trésor national vivant »,
distinction suprême au pays du Soleil levant. La démarche est originale, car
aux dires de l'artiste, Le Pavillon aux Pivoines a inspiré une
des œuvres célèbres de Kabuki. Aussi, a-t-il décidé de reprendre la trame et la
musique de l'opéra chinois pour le transposer. Il souligne aussi que la musique
tient un rôle primordial dans le genre du Kunqu, et s'être attelé à revoir
l'aspect chorégraphique. Son interprétation, nul doute une référence, éblouit
par son maintien et sa grande rigueur. Elle en impose. La petite musique,
souvent très aiguë, presque perçante, de ces chants ornés devient vite
ensorcelante. Ses partenaires sont à unir dans la même louange, comme les
musiciens du Théâtre Kunqu de Suzhou-Jiangsu. Voici un spectacle inédit, mais
de grand intérêt pour découvrir les trésors d'une culture qui ne nous est pas
familière.
Jean-Pierre Robert.
Une création qui a de la réserve : La Dispute
Benoît MERNIER : La
Dispute. Comédie en un acte, en prose et en musique. Livret de Ursel
Herrmann et Joël Lauwers, d'après l'Œuvre de Marivaux. Stéphane Degout,
Stéphanie d'Oustrac, Julie Mathevet, Albane Carrère, Cyrille Dubois, Guillaume
Andrieux, Katelijne Verbeke, Dominique Visse. Orchestre symphonique de la
Monnaie, dir. Patrick Davin. Mise en scène : Karl-Ernst & Ursel Herrmann.
Il est agréable et réconfortant de
constater qu'on peut encore écrire un opéra doté d'une belle langue française,
d'une musique ne sollicitant pas exagérément les percussions, et d'un chant ne
flattant pas le registre extrême de la soprano colorature! C'est ce à quoi
s'est attelé Benoît Mernier. Pour ce faire, et comme l'avait fait son maître
Philippe Boesmans, avec Luc Bondy, il a fait appel à Ursel Herrmann et Joël
Lauwers, à partir d'un sujet en or, La Dispute de Marivaux. Une pièce
brève, des répliques assez courtes, une trame ramassée sur l'expérience
amoureuse, sur ce qu'est l'amour véritable. Une expérience, générant la
dispute, menée à trois niveaux : quatre jeunes gens, qui découvrent les
premiers émois, sont observés à leur insu par un couple d'âge mûr, qui n'en
finit pas de chercher un second souffle à son aventure amoureuse, et lui-même
observé par les dieux, Cupidon et l'Amour, qui tirent les ficelles et
philosophent sur l'éphémère des choses. En fait, la pièce La Dispute ne
traite que des deux jeunes couples amoureux, leurs aînés n'intervenant qu'à la
marge. Aussi, dans un souci de meilleure efficacité dramatique, les auteurs
ont-ils eu l'idée de renforcer le poids de ces aînés, en s'inspirant de deux
autres petites pièce du poète français, « La réunion des Amours » et
« L'Amour et la Vérité ». Un subtil équilibre s'instaure, et un
chassé-croisé habile, entre les trois stades d'analyse. Car ces quatre
adolescents, qui ne sont pas sans rappeler ceux de Cosi fan tutte, sont
manipulés et exposés à ce qui s'appelle de la cruauté et du voyeurisme. Amour
et désir, telle est la question soulevée par des dieux, eux-même en désaccord
sur le but de l'affaire. Car l'amour fidèle est-il possible ? Le texte est
traité sur le mode de la légèreté. La musique de Mernier se place dans ce même
ordre d'idée. Elle est foisonnante,
traitée par petites touches, comme un tableau de Klimt, essentiellement
consonante, fondamentalement lyrique, avec de grandes pédales de grave,
rappelant que son auteur est organiste. Il y a même des références au baroque,
voire à la musique française du début du XX ème. L'orchestre, d'une trentaine
de musiciens, est très raffiné, avec un tapis de cordes relativement restreint,
mais des vents ingénieux, la flûte notamment. Elle est généreuse, jusque dans
ses passages de silence. L'écriture vocale n'est pas moins originale : mêlant
chanter et parler, dans une palette diversifiée, de la parole pure au quasi bel
canto. La vocalité favorise les timbres graves, pour les deux personnages d'âge
mûr, le Prince et Hermiane, et deux des jeunes amants. Par contre, les dieux
sont distribués, l'un à une voix parlée, Cupidon, l'autre à un contre-ténor,
mais dont le registre est peu utilisé, l'essentiel étant, là encore, parlé.
L'exécution est passionnante. La mise en
scène des Herrmann rencontre, par la souplesse du trait, la légèreté du texte,
et plus d'un échange s'y montre aérien. Dans un décor agreste, digne des Fêtes
galantes, va s'incruster une sorte de laboratoire, délimité par des néons,
où vont évoluer les pauvres jeunes cobayes. La régie est fluide et colle au
texte, en en prolongeant la finesse et le caractère cursif : les deux jeunes
amants n'en viennent-ils pas se mesurer l'un à l'autre, à propos de leurs conquêtes,
comme s'ébrouent deux jeunes chiots tout fous! Le contraste entre les
générations est vu de manière à bien les différencier. L'apparente désinvolture
des plus âgés, qui ont tout vu, tranche avec l'expérience toute neuve, gauche
et naïve, des plus jeunes. Quant aux dieux, il y a chez eux une bonne dose de
scepticisme, celui de l'homme Marivaux, voire de sarcasme. Ces dieux qui vont
d'ailleurs se muer en chevaliers servants de l'expérimentation. Si quelque
longueur se fait jour, cela est dû au débit lent de l'intrigue, comme lors de
la scène de crêpage de chignons des deux jeunes dames. Celles-ci, comme leurs
beaux hommes, sont défendues avec panache par des artistes tous merveilleux de
fraîcheur. Stéphane Degout, nanti d'un sourire carnassier, gratifie le rôle du
Prince d'une diction qui se fait pur régal. Et Stéphanie d'Oustrac, dont la
partie d'Hermiane n'est pas sans évoquer de manière allusive la Conception de L'Heure
espagnole, est toute séduction. Une paire rare que ces deux-là. Dans le
rôle de l'Amour et de son factotum, Dominique Visse livre une voix parlée du
registre de baryton, ce qui en ajoute au sarcastique des tribulations,
« l'air de ne pas y toucher », et à son côté percutant. L'Orchestre
de la Monnaie est en verve, ce qui doit beaucoup à la direction de Patrick
Davin, un habitué des modernes. Pour cette expérience française, Benoît Marnier
a bien de la chance!
Jean-Pierre Robert.
Le récital dépaysant d'une sympathique québécoise
Pour son premier récital à l'Opéra
Bastille, Marie-Nicole Lemieux a vu juste. D'abord par un programme des plus
originaux, loin des sentiers habituels et convenus du genre. Ensuite, par une
tenue de chant dont on lui sait gré de garder toute la fraîcheur. On sait
qu'une voix sombre, comme la sienne, ne doit pas chercher à l'assombrir encore,
au risque de perdre toute ductilité. C'est le choix de la québécoise, qui cherche à la préserver. Ainsi, le contralto
n'apparait que peu souvent, et on est plus proche du registre de mezzo,
possédant en outre une quinte aiguë d'une étonnante facilité. Enfin, la
spontanéité de la dame est amusante : elle qui n'hésite pas à dire d'entrée de
jeu, que si le concert a pris du retard, c'est à cause d'elle, qui a perdu ses
chaussures de soirée, et s'excuse de se présenter sur le podium pieds nus,
curieux paradoxe eu égard à sa belle robe ! Cela est dit tout de go, et ne sent
pas l'apprêté de la diva. Puisse un tel naturel perdurer! Un programme inédit
donc. Qu'on en juge : Chausson, certes, mais aussi Alma Mahler, Guillaume
Lequeu et Edvard Elgar. Les lieder de Alma Mahler sont peu connus, et restés
dans l'ombre de la production de son illustre époux, qui ne se satisfaisait pas
d'une gloire, fût-elle à ses côté. Et puis ces diverses pièces ont été composées
en hommage à des messieurs avec lesquels la musicienne était en relation
amoureuse, l'architecte Gropius, dans la cas des « Funf Lieder », des
années 1900-1901, ou le poète Franz Werfel, pour ce qui est de « Der
Erkennende ». L'inspiration musicale hésite entre Richard Strauss et
Zemlisky. Lemieux en distille les nuances, même si la voix est quelque peu
taxée par endroit. Il n'est pas si aisé de domestiquer un instrument d'un tel
volume. Ernest Chausson est expert en distributions instrumentales inhabituelle.
On connaît son Concert op 21. Sa Chanson perpétuelle requiert un
instrumentum aussi original : voix, piano et quatuor à cordes. Lemieux n'a pas
de difficulté à s'unir à ces forces, de surcroît utilisées avec doigté par le
compositeur. C'est une pièce proche du symbolisme préraphaélite. Guillaume
Lequeu, musicien belge, disparu à 24 ans, a à son actif plusieurs pièces
chambristes, dont une fameuse Sonate pour violon et piano, mais aussi un
mouvement de quatuor « molto adagio », superbe d'inspiration et de
raffinement mélancolique. Lemieux chante trois de ses mélodies, sur les propres
textes du compositeur. La première, « Sur une tombe », en prose, est
recueillement, la seconde, « Ronde », empruntée aux « Fêtes
galantes » de Verlaine, est d'une sûre veine gallique. Dans la dernière,
« Noctune », le quatuor à cordes rejoint le piano. La chanteuse en
déploie toute la finesse. Mais là où notre soliste fend l'armure c'est avec les
« Sea Pictures » de Elgar. Certes, pour nos oreilles cartésiennes, la
musique de Elgar et sa poétique un peu grandiloquente, peuvent surprendre. Et
pourtant, cela est remarquablement conçu pour la voix, et le piano n'est pas en
reste. Les cinq pièces alternent force et lyrisme, le pastoral et le dramatisme
affirmé. Elles sont taillées pour Maris-Nicole Lemieux, dont l'ambitus de la
voix trouve à s'exprimer sans contrainte. Leurs belles harmonies mettent en
valeur un timbre riche, sans parler d'une personnalité qu'on sait affirmée.
Tout au long de la soirée, le pianiste Daniel Blumenthal fait des merveilles,
et la complicité sourd à chaque page. En bis, Lemieux revient un terrain plus
sobre : « L'Heure exquise » de Reynaldo Hahn, et « L'invitation
au voyage » de Duparc, mettent en évidence une diction immaculée et une
ligne de chant souveraine. La salle est conquise.
Jean-Pierre Robert.
Le Chœur
de chambre O Trente à Saint-Jacques-du-Haut-Pas
Depuis sa fondation en 2006, le Chœur de
chambre O Trente se distingue des autres ensembles par sa moyenne d’âge autour
de 35 ans et ses chanteurs qui — bien qu’exerçant une activité professionnelle
non musicale — sont en fait vocalement des professionnels. De plus, ils
s’imposent par leur solide motivation, leur passion et le souci unanime du
travail en profondeur que leur insuffle Raphaël Pichon, à la fois contreténor
et chef averti. Le 19 février 2013, leurs fidèles auditeurs ont été introduits
à la liturgie orthodoxe avec les Vêpres (op. 37) de Sergueï Rachmaninov (1873-1943), sur un texte provenant d’extraits
de Psaumes, d’une méditation sur la Résurrection et du Je vous salue, Marie. Ces Vigiles
nocturnes reposent sur des sources mélodiques appartenant au chant znamenny
(chant neumatique équivalent russe du grégorien), la tradition de Kiev et les
chants grecs. Raphaël Pichon, en parfaite connivence avec ses choristes, fait
preuve d’une direction extrêmement suggestive, souple ou énergique lorsque la
partition l’exige. Il tire le meilleur parti des voix très prenantes des basses
(solistes et chœur) et lumineuses des sopranos. Il manie tous les registres
dynamiques, gère bien les volumes et les fins de phrases (cf. Alleluia). Il obtient de son Ensemble vocal si discipliné à la
fois relief, cohésion et transparence. Les mêmes qualités se retrouvent dans la
célèbre Hymne des Chérubins de Piotr
Tchaïkovsky (1840-1893) et dans la Prière acathiste à la Vigilante Mère de Dieu de S. Rachmaninov qui termina ce triptyque orthodoxe sur lequel planaient
intériorité, plénitude, mysticisme, mais aussi vigueur : bel exemple de
complicité entre chef et choristes.
Édith Weber.
Musique du XXe siècle au Théâtre des Champs-Elysées.
Le TCE, dans le cadre de son centenaire, consacrait une soirée toute entière à la musique du XXe siècle, centrée autour de trois compositeurs incontournables de cette époque : Stravinski, Varèse et Boulez. L’Ensemble intercontemporain avait fait, pour l’occasion, le déplacement avenue Montaigne, dirigé par son nouveau directeur, Matthias Pintscher. Soirée de gala, riche de souvenirs, puisque ces trois compositeurs auront marqué le siècle passé, comme l’histoire du Théâtre des Champs-Elysées : Igor Stravinski par la création du Sacre du Printemps en 1913, Edgard Varèse par celle, non moins mouvementée, de Déserts, en 1954, et Pierre Boulez, qui confirma, ici même dans un programme Stravinski en 1963, à la tête de l’Orchestre National, ses talents de chef d’orchestre, huit ans après la création du Marteau sans maître. Plusieurs œuvres emblématiques étaient au programme. Les Huit miniatures instrumentales (1952), et le Concertino pour douze instruments (1962) d’Igor Stravinski, sont des œuvres de la période néo-classique du compositeur russe, caractérisées par un retour à une ligne mélodique plus fluide, une pulsation rythmique marquée, des influences jazzy, à la fois lyriques et énigmatiques. Le Marteau sans maitre pour voix d’alto et six instruments, de Pierre Boulez, composé en 1955, en réaction à la musique sérielle, jugée envahissante, se teinte d’orientalisme, autour de trois instruments tremplins : « le xylophone qui transpose le balafon africain, le vibraphone qui se réfère au gamelan balinais, la guitare au koto japonais ». Le texte du cycle de neuf miniatures, conçu à partir de la poésie de René Char, pose le problème de la vocalité, évoluant tantôt bouche fermée, tantôt sous forme de cris, comme une parole qui ne se pourrait dire, négation de la vocalise, condamnée à des départs lyriques sans lendemain, une sorte d’archaïsme du chant, une aphasie verbale. Pascal Dusapin utilisera cette technique, notamment dans son premier Requiem, Granum sinapis (1998), où la voix, devenue bourdonnement, renaît dans la vocalité, renforcée du cri, au lieu de s’ouvrir au néant. Le chant à bouche fermée représente le lieu d’une confrontation radicale entre l’art vocal et ce qui le nie, puisqu’en plus de priver la voix de son pouvoir de verbalisation, il lui ôte son pouvoir de vocalisation, en lui interdisant toute vocalise. Celle-là même qui était la raison d’être du bel canto. La voix est ainsi réduite à n’être, désormais, qu’un simple bourdonnement, un instrument privé de souffle. Boulez se fera, dans les années cinquante, un des tenants de cette technique, utilisée plusieurs fois, notamment dans Soleil des eaux, désireux d’en finir avec le texte et sa soumission au logos, soucieux de redonner à la musique la primauté qui lui est due. Un procédé également utilisé par Luigi Nono dans Il canto sospeso, qui réalise la fusion entre texte et musique, touchant ainsi les limites de la voix, conduisant au mutisme, au refus de la parole, au silence verbal devant l’innommable d’Auschwitz. Deux œuvres d’Edgar Varèse (1883-1965) concluaient la soirée, Octandre (1924), pour huit instruments, et Déserts pour orchestre et bande magnétique. Déserts, qui provoqua le scandale lors de sa création, le 2 décembre 1954, est une œuvre en 7 parties, faite de la juxtaposition « d’interpolations » enregistrées sur bande magnétique et « d’épisodes » confiés, en direct, à l’orchestre. Les interpolations, au nombre de trois, sont faites de bruits divers d’usine, d’enregistrements instrumentaux, ou de mixage des deux, s’intercalant entre les quatre développements orchestraux. Cette structure double évoquerait, selon son auteur, conjointement les déserts extérieurs, la stérilité, l’éloignement, l’existence hors du temps, mais également ce lointain espace intérieur où l’homme est seul dans un monde de mystère et de solitude essentielle. Une musique, parfaitement interprétée par Matthias Pintscher et son EIC. Un chef particulièrement motivé, qui vient de prendre ses fonctions de directeur musical de l’EIC, crée en 1976 par Pierre Boulez. Né en 1971, à la fois compositeur et chef d’orchestre, ayant étudié la composition auprès de Hans Werner Henze et de Manfred Trojahn, ses œuvres sont jouées dans le monde entier, défendues par des chefs aussi prestigieux que Claudio Abbado ou Pierre Boulez. Voilà une soirée musicale d’exception où la musique questionne plus qu’elle n’émeut. Un concert posant, de façon ardue et pertinente, la question des rapports entre musique et silence. Problème récurrent de la musique contemporaine, depuis la création, en 1952, des 4 minutes 33 de John Cage. La musique et le silence, deux entités à la fois contradictoires et complémentaires, à l’origine d’une dialectique qui ne se résoudra que dans l’inéluctable victoire de la musique, dans un éternel retour.
Patrice Imbaud.
Un très bel Opéra de quat’ sous
au Théâtre des Champs-Elysées
Kurt
WEILL : Die Dreigroschenoper (L'Opéra de quat'sous). Pièce de théâtre
musicale en trois actes, un prologue et huit tableaux (1928). Livret de Bertolt
Brecht, d’après The Beggar’s Opera (1728). Sir John Tomlinson. Dame Felicity
Palmer, Mark Padmore, Allison Bell, Nicholas Folwell. Gabriela Istoc, Meow
Meow, Max Hopp. London Philharmonic Orchestra & London Philharmonic Choir,
dir. Vladimir Jurowski. Version de
concert mise en espace par Ted Huffman.
En composant l’Opéra de quat’ sous, Kurt Weill semblait répondre à l’injonction
de Hans Eisler, selon laquelle les œuvres d’art devaient être porteuses de
vérité humaine, engageant les compositeurs à ouvrir leurs fenêtres pour écouter
la rumeur de la rue qui n’est pas un simple bruit, mais le bruit des hommes…
Kurt Weill (1900-1950) fils d’un cantor synagogal de Dessau, rêvait de Vienne,
mais se rendit finalement à Berlin en 1918, où faute de Schoenberg, il reçut
les leçons de Busoni, s’éloignant de l’atonalité pour revenir à des formes plus
« classiques ». Une orientation artistique se résumant à une
phrase : ne craignez pas la banalité !! Banalité qui prenait
pour lui le visage de la France ou de l’Italie, loin de la seconde école de
Vienne. Son esthétique nouvelle se concentra alors sur
le « gestus », endroit mystérieux du drame où convergent
l’action scénique, la musique et le verbe. Si la rencontre avec Busoni fut
marquante, celle avec Bertolt Brecht (1898-1956) fut décisive, donnant au
« geste » sa dimension politique, tandis que Lotte Lenya, rencontrée
en 1924, lui prêtait sa voix inoubliable si caractéristique. Brecht adorait les
personnages de brute et de bandit, au point, par mimétisme, d’en prendre
l’allure et l’apparence physique. Walter Benjamin émit l’hypothèse selon
laquelle, ces brutes et malfrats qui peuplaient son œuvre, correspondaient à
autant de ferments révolutionnaires, constatant avec surprise à quel point la
contre moralité des crapules et truands se nourrissait des boniments de la
moralité officielle. Sous la République
de Weimar, cette fascination pour les génies du mal et les meurtriers était
chose courante (on se souviendra de Franz Biberkopf, héros du roman Berlin Alexanderplatz d’Alfred Döblin).
Macheath (Mackie le Surineur) en représente l’archétype, symbolisant dans sa
personne tout ce que la civilisation urbaine occidentale se refusait à
comprendre et même à nommer. La musique de Kurt Weill, à la fois populaire et
savante, mêlant des accents de jazz et de danse à des textures musicales avant
gardistes, est un habile mélange qui en fait tout le charme, l’ambigüité et
l’originalité, renforcée par un orchestre à géométrie variable : certains
musiciens jouent successivement de plusieurs instruments, et le chef se met, de
temps à autres, au piano, tandis que le pianiste joue de l’harmonium.
Force est de reconnaître que la version de
concert, proposée par le TCE, fut en tous points remarquable, sachant
concrétiser le « geste » par l’association d’une mise en espace
attrayante de Ted Huffman, bien plus percutante que nombre de mises en scène
coûteuses et absconces, et d’un orchestre parfaitement en phase, gorgé de
rythmes et de couleurs. Vladimir Jurowski prend visiblement plaisir à diriger,
jouer, voire chanter, se mêlant aux chanteurs-acteurs, dans un registre
pourtant inhabituel. Le récitant, si essentiel, Max Hopp le conçoit bien plus
qu'un fil conducteur : la formidable dramaturgie en ressort comme aiguisée, et
pas un temps mort ne vient la troubler. La distribution est du plus haut
niveau, tant vocalement que scéniquement. D'abord, un couple des
« vieux parents », John Tomlinson et Felicity Palmer, inénarrables, dont
le fabuleux métier ressort à chaque phrase. Chez les autres protagonistes, tous
d'un fort engagement, on aura un clin d’œil particulier pour Meow Meow, dans le
rôle de Jenny, chantante et chaloupante dans sa robe fourreau, qui n’était pas
sans nous rappeler la légendaire Lotte Lenya. Une très belle soirée !
Patrice Imbaud.
Au-delà des notes…le Gustav Mahler Jugendorchester dirigé par
Herbert Blomstedt.
Il est de ces moments rares où les notes,
peu à peu, s’effacent pour laisser place à l’égrégore sublime qui suspend le
temps… Le dernier concert du GMJO, de passage à Paris à l’occasion d’une
tournée européenne, dans un programme intitulé « Beethoven journey »,
appareillant le Concerto pour piano n° 4 et la Symphonie n° 7, sous la
direction d’Herbert Blomstedt, est assurément de ceux-là. Une affiche d’une
rare qualité associait, la jeune et prestigieuse phalange du GMJO, créée par
Claudio Abbado à Vienne en 1987, faite des plus talentueux musiciens européens
âgés de moins de 26 ans, le mythique chef Herbert Blomstedt, éminent
spécialiste de Beethoven, dont il grava l’intégrale des symphonies avec la
Staatskapelle de Dresde, et le pianiste norvégien Leif Ove Andsnes, parmi les
plus recherché de sa génération, tous regroupés pour un concert
d’exception ! En début de programme, le pianiste norvégien nous gratifia
d’une admirable interprétation du Concerto
n° 4 (1806), toute en délicatesse et ressenti. Dans cette partition
Beethoven semble dire adieu à la vive clarté du classicisme pour explorer, peu
à peu, les méandres tourmentés d’un romantisme naissant. Après la pause,
Herbert Blomstedt, qui connait son Beethoven sur le bout des doigts, dirigeant
sans partition avec une gestique épurée et efficace, sut mener le jeune
orchestre sur les sommets : science du phrasé et des articulations,
nuances, sonorité magnifique, enthousiasme, plaisir de jouer, virtuosité des
différents pupitres, et notamment des vents, hautbois et flûte en particulier,
audace, homogénéité, réactivité…rien ne manquait pour une interprétation
d’anthologie de la Symphonie n° 7 (1813),
dont le climat dionysiaque et jubilatoire était parfaitement rendu. Un concert
qui restera dans les mémoires du public, des musiciens et d’Herbert Blomstedt
qui fut acclamé pendant de longues minutes pour cette très belle leçon de
musique. Merci Messieurs !
Patrice Imbaud.
Le « Philhar » rend un bel hommage à Elliott Carter.
Le « Philhar » a su rendre un
bien bel hommage au plus grand compositeur américain du XXè siècle, en assurant
la création française de sa dernière œuvre, Two
Controversies and a Conversation, commande de Radio France : Elliott Carter
(1908-2012), dont l’étoile s’est levée, dans les années cinquante, au-dessus du
désert de l’Arizona où il s’était retiré, avec la composition de son Premier Quatuor (1950) une œuvre
résolument atonale marquant définitivement l’éloignement du musicien du style
néo-classique, un peu populiste et bien-pensant, qui avait marqué l’œuvre de
Copland. Une œuvre donc résolument moderne et obligatoirement suspecte en ces
années de guerre froide, où toute modernité semblait directement inspirée par
l’idéologie communiste (ironie de l’histoire !), attirant du même coup le
regard suspicieux de la CIA. Une technique de composition particulière faite de
juxtapositions, de croisements, de dialogues, d’influences jazzies et de
variations rythmiques. Plus de soixante années séparent le premier quatuor de
cette dernière composition (2011), conçue comme un concerto pour piano,
percussions et orchestre. Les instruments jouent ici une conversation, un jeu réciproque, où le piano suggère
quelque chose que les percussions commentent ou contredisent, plutôt de façon
amicale dans Conversations, mais de
manière plus agressive dans Controversies. Cette pièce est très attachante par ses associations timbriques et par ses
correspondances visuelles, évoquant, par leur légèreté et le jeu des miroirs,
les mobiles de Calder. Elle était interprétée par le pianiste pierre-Laurent
Aimard et Colin Currie aux percussions. Venaient ensuite les Mouvements pour piano & orchestre de
Stravinski (1882-1971), une œuvre, là aussi, résolument atonale (1958-1959),
probablement une des plus avant-gardistes du compositeur russe, faite de
différences de timbre, d’ambiance, de caractère, que le chorégraphe, Georges
Balanchine, reprit dans une chorégraphie, en 1963, avec le New York City
Ballet. La Suite de Danses de Béla
Bartók, composée en 1923, pour le cinquantenaire de l’unification de Budapest,
est une partition magnifique pleine de contrastes et d’ironie, tandis que la Sinfonietta de Leos Janacek (1854-1928),
datant de la même époque (1926), se vit comme un hymne à la liberté retrouvée
des peuples tchèques et slovaques, avec sa fanfare victorieuse. Ce furent
autant d’occasions de retrouver l’orchestre au mieux de sa forme, tous pupitres
confondus, dirigé de bout en bout, avec sobriété, précision et intelligence,
par Jukka-Pekka Sarastre, actuel directeur musical de l’Orchestre de la WDR de
Cologne. Parfait !! Tout simplement parfait !
Patrice Imbaud.
***
L’EDITION MUSICALE
FORMATION MUSICALE
Janine DELAHAYE et un collectif d’auteurs : Regards pour approcher
un enseignement de l’histoire des arts XXème-XXIème siècle. Arts plastiques –
Histoire – Lettres – Musique. Classe de 3ème. Van de Velde :
VV403.
Ce volume est un
livre pour le professeur. On ne peut que saluer le sérieux de
l’entreprise : à Janine Delahaye se sont unis Olivier Deshayes,
Frédéric Ducros, Sophie Guillin, Danielle Lecoq et
Anne-Marie Pialloux pour essayer de débroussailler
pour les professeurs ce qu’un programme ambitieux (irréaliste ?) propose
pour la fameuse épreuve d’Histoire des arts du Brevet des collèges. L’ouvrage
se lit avec beaucoup d’intérêt. Mais son titre même définit les limites
inhérentes à ce travail. Il ne peut à proprement parler y avoir
d’ « histoire » contemporaine : tout cela est trop proche
de nous. Mais les « Regards pour approcher » cette histoire qui nous
sont présentés ici sont clairs, précis, équilibrés (pensons entre autres aux pages
consacrées à Carl Orff et à son rapport au nazisme). C’est donc un ouvrage
dense et courageux dans ses deux-cent vingt et une pages, et qui répond au
mieux à ce qu’il était possible de faire pour une « mission
impossible » mais qui pourra intéresser vivement tout lecteur curieux avide
de se cultiver.
OPERA
Richard WAGNER : Götterdämmerung ( Le crépuscule des
dieux). Partition chant et piano. Schott : ED 20550.
Voici une
magnifique édition du Crépuscule des
dieux avec un avant-propos en allemand, en anglais et en français qui souligne
que cette édition critique est basée essentiellement sur la partition
autographe de Wagner. Que dire de plus sinon qu’il va falloir rouvrir son Lavignac pour mieux profiter encore de cette remarquable
réalisation.
Richard
WAGNER : Tristan
und Isolde. Partition chant et
piano. Schott ED 20542.
Cette monumentale
édition de Tristan et Isolde bénéficie
d’un avant-propos dans les mêmes langues et ayant le même intérêt que celui du Crépuscule des dieux. Un intérêt
particulier de cette édition est que la réduction de piano a été connue de
Wagner et que certains passages sont de sa propre main. Cette édition contient
également des variantes de Wagner lui-même ainsi que des coupures introduites
ou approuvées par lui. C’est dire tout l’intérêt de ce travail.
OPERA POUR ENFANTS
Franck VILLARD : L’Enfant et la Nuit, conte lyrique
sur un livret d’Olivier Balazuc pour solistes, chœur
d’enfants et piano. Réduction pour voix et piano. Symétrie.
Précisons tout de
suite que l’ensemble du matériel de la version complète est disponible chez
l’éditeur. Ce conte lyrique demande pour son exécution deux pianos et deux
percussionnistes à la tête d’un ensemble de percussions très étoffé. Il faut
aussi, outre le chœur d’enfants, deux solistes enfant, une soprano, un ténor,
un baryton et un comédien chanteur. Il faudra aussi prévoir ou suggérer quatre
lieux. Bref, il s’agit d’une pièce de grande ampleur mais aussi de grand
intérêt. Nous sommes dans une ambiance qui rappelle par certains aspects celle
de L’enfant et les sortilèges même si
les thèmes abordés n’ont pas vraiment de rapport. Le texte est très poétique,
et le conte plein de rebondissements. Signalons que cet ouvrage a fait l’objet
d’un enregistrement disponible chez Gallimard Jeunesse. Des extraits sont
disponibles sur le site de l’éditeur à l’adresse http://symetrie.com/fr/titres/l-enfant-et-la-nuit . Répertorié chez Gallimard dans la catégorie « 7 à 12 ans », il
mériterait de l’être plutôt, selon une formule célèbre, dans la catégorie
« de 7 à 77 ans » et même au-delà !
CHANT
CESTI, GIACOMELLI, HÄNDEL, HASSE, HAYDN, KEISER,
MONTEVERDI, ORLANDINI, PORTA : Drama Queens. 13 selected arias from early baroque to classic,
édités par Alan Curtis. Boosey & Hawkes :
BB2343.
Cet album est le
fruit de la collaboration entre la mezzo-soprano Joyce DiDonato et le célèbre musicien et musicologue Alan Curtis. Ces pièces de style très
divers et de différentes époques ont été réunies autour d’un style dominant :
des airs mettant en scène les souveraines ou les héroïnes de l’Histoire. Ces
airs, selon Alan Curtis, font « exploser les frontières du
sentiment ». Ajoutons que certains de ces airs sont publiés pour la
première fois. On trouvera l’ensemble de l’album enregistré par Joyce DiDonato et Alan Curtis chez Virgin. La présentation en est
faite – en anglais – sur Youtube :
http://www.youtube.com/watch?v=ZYbloo3XNs4
MUSIQUE CHORALE
Claude VERCHER : Simple Messe pour 3 voix égales de femmes a cappella. Delatour :
DLT2121.
Cette Simple Messe a été écrite à la demande
du trio vocal Francine Cockenpot. Elle est en tous
points fidèle à l’esprit de celle qui a inspiré le travail de ce trio, trio qui
se consacre en particulier à la mise en valeur des œuvres de cette compositrice
de chansons dont certaines sont devenues tellement populaires qu’on les croit
issues du folklore comme Colchiques
dans les prés… et tant d’autres. Cette œuvre, totalement liturgique,
comporte Kyrie, Gloria, Credo, Sanctus et Agnus. Souhaitons qu’elle vienne
rehausser dans beaucoup d’endroits une messe dominicale. Bien sûr, elle aura sa
place également en concert.
Jean-Christophe ROSAZ : Gloriapour chœur d’hommes a
cappella. Delatour : DLT2120.
Assez difficile,
cette œuvre se révèle profonde en même temps que luxuriante, joyeuse, au gré du
texte qu’elle respecte fidèlement. On part d’une intonation quasi grégorienne
pour passer par des parties jubilatoires puis par des passages en forme de
choral. Bref cette œuvre d’une grande richesse musicale et spirituelle
demandera un beau travail de la part du chœur et de son chef.
Thierry Pallesco : Hymne à Sainte
Radegonde pour chœur de femmes à 3 voix et orgue. Delatour : DLT2146.
Voici une œuvre qui
ira droit au cœur des poitevins. Souhaitons qu’elle soit chantée également
ailleurs et connaisse une véritable diffusion. Le texte raconte la vie de la
sainte et se termine par une supplication. L’ensemble n’est pas sans
difficultés et demande un chœur et un organiste aguerris, mais le résultat sera
à la hauteur de l’effort fourni.
Annie LABUSSIÈRE : Deux chœurs sur des poèmes de Charles d’Orléans pour voix d’enfants. Delatour : DLT1297.
Comme voilà une
musique qui fait du bien ! Espérons que les chefs de chœurs d’enfant vont
se ruer sur cette partition sans grande difficulté mais très belle et qui
ouvrira aux enfants les portes de deux petits chefs d’œuvre de la poésie
française. Le printemps (Le temps a
laissé son manteau…) a beaucoup de charme tandis que L’hiver (Yver, vous n’êtes qu’un
vilain...) est espiègle à souhait. Merci aux éditions Delatour de nous révéler ces deux petits bijoux.
Annie LABUSSIÈRE : Deux chœurs à trois voix égales. Delatour : DLT1298.
Auteur des paroles,
Annie Labussière évoque dans ces deux chœurs son
enfance. Le premier s’intitule Ma
chanson, le second, Le Rondeau du
petit chat. Qu’en dire, sinon que, peu difficiles, ces deux pièces ont un
charme et une fraicheur qui devrait séduire beaucoup de chefs de chœurs.
Souhaitons que ces pièces soient abondamment chantées pour le plaisir de tous.
ORGUE
Michel CORRETTE : XII Offertoires. Édités par Yves Jaffrès. Symétrie. Lyon.
Il semble bien que
ce recueil inédit et retrouvé par hasard dans des circonstances qu’on lira dans
la préface soit le dernier ouvrage de Corrette qui nous manquait. Rien qu’à ce
titre, c’est déjà un évènement. On découvrira donc avec beaucoup de plaisir ces
pièces d’un genre spécifique et qui se veut en lien avec la liturgie du jour.
Toutes les explications en sont données de façon très précise dans la très
copieuse introduction d’Yves Jaffrès qui ouvre ce
recueil. Ce sera un grand plaisir pour les organistes et leurs auditeurs de
découvrir ces pièces de Corrette qu’on croyait perdues.
WAGNER : Pilgerchor – Chœur des Pélerinspour orgue par Frantz Liszt.
Schott : ED 21321.
Il est vrai que
Liszt apporta au jeu de l’orgue des éléments spécifiques qui en font un
véritable instrument de concert et un orchestre à lui tout seul. C’est bien sûr
ce qui ressort de cette transcription que les organistes auront beaucoup de
plaisir à jouer même si, à certains moments elle est tout sauf facile !
Bien sûr, il y faudra un instrument riche en couleurs et en timbres.
Pierre-Richard DESHAYS : Petite suite française pour orgue. Elémentaire. Lafitan : P.L.2596.
Rien de plus
français que cette Petite Suite où on
est prié d’inégaliser les croches, au moins dans les
pièces où cela s’impose comme l’Ouverture et le Rigaudon. Suivent Gigue,
Sicilienne et Fermeture, aussi pimpants que non dénués d’une pointe d’humour.
Ce sera l’occasion de faire découvrir aux jeunes organistes le style français
classique pour ceux qui ne l’aurait pas encore abordé. Chaque petit tableau
peut être l’occasion de beaucoup de découvertes.
PIANO
LISZT : O du mein holder Abendstern. Récitatif et Romance de Tannhäuser de Richard Wagner. Edité par
Wilhelm Ohmen. Schott : ED 21300.
C’est en lien avec
la publication des opéras de Wagner que les éditions Schott nous proposent ces
célèbres et virtuoses transcriptions et adaptations de Liszt. On lira avec
beaucoup d’intérêt la préface – traduite en français – de l’éditeur qui
présente cette célèbre « Romance à l’étoile ».
Alexander ROSENBLATT : Wagneriana.Concert
fantaisie pour piano. Schott : ED 21639.
Ni transcription ni
paraphrase, cette œuvre du pianiste et compositeur russe Alexander Rosenblatt se veut une œuvre originale, même si elle
utilise en cours de route un ensemble de thèmes tirés de l’œuvre de Wagner. Ces
thèmes sont d’ailleurs volontairement respectés dans leurs harmonies et leurs
rythmes. L’auteur, dans sa préface, nous indique les thèmes utilisés. Il ne
cache pas qu’il s’agit d’une pièce extrêmement virtuose destinée à charmer et
impressionner l’auditoire.
*
Christine MARTY-LEJON : La sarabande des elfes pour piano. Lafitan : P.L.2594.
De niveau
élémentaire, cette pièce endiablée varie de couleurs et de mouvement, passant
du majeur au mineur mais en gardant toute sa légèreté. C’est une pièce qui
demande les touchés les plus variés pour mettre en valeur ses différentes
facettes. Mais un interprète musicien (souhaitons que ce soit un pléonasme)
devrait trouver beaucoup d’intérêt à ces recherches de timbres.
Max MÉREAUX : Zingara pour piano. Préparatoire. Lafitan :
P.L.2598.
Cette bohémienne
connait évidemment bien les gammes à deux secondes augmentées… Ce sera une
occasion de faire découvrir aux élèves un mode peut-être nouveau pour eux et de
les ouvrir à des sonorités moins classiques que celles auxquelles ils sont le
plus souvent habitués. Il y a là également un bon travail de gamme pour une
pièce pleine d’un entrain un peu mélancolique.
GUITARE
Patrick BOURNET : 15 pièces pour
guitare. Lemoine : 29037 H.L.
Destinées à des
élèves un peu avancés, ces pièces très variées vont du rock au folk en passant
par des pages plus classiques. Elles permettent d’aborder tous les styles tout
en se faisant vraiment plaisir.
VIOLON
Robert WAECHTER : 24 études pour violon. Vol. 1 pour
violon seul ou avec accompagnement. Dhalmann :
FD0383.
Précisons d’abord
que l’accompagnement dont il est question n’est pas un accompagnement de piano.
Il s’agit de développer une deuxième voix qui peut être rythmique ou mélodique
et qui peut être interprétée par un second violon ou un vibraphone par exemple.
Chaque étude possède un titre plein de poésie et d’humour. De niveau difficile,
ces études peuvent être écoutées dans leur intégralité sur le site de l’éditeur
où la partition peut également être consultée.
Claude-Henry JOUBERT : Méthode de Violon. 12 études à écrire soi-même en 1ère et 3ème position. Volume 3. Niveau 1er cycle. Combre :
CO6758.
Ne nous y trompons
pas : les études existent bel et bien. Mais elles sont accompagnées d’un
véritable cours d’analyse et de composition à la fois tout à fait
compréhensible pour des premiers cycles et opératoire pour eux. Il y a dans cet
exposé la dose d’humour habituelle de l’auteur, mais jamais de façon gratuite.
Ce volume 3 s’inscrit en complément indispensable des deux premiers
volumes : 32 leçons pour les
débutants et 32 leçons en 1ère et 3ème position. C’est, pédagogiquement et musicalement, du
plus grand intérêt.
Michel NIERENBERGER : Spleen et badinage pour violon et piano.
Supérieur. Lafitan : P.L.2374.
D’une durée de dix
minutes, cette pièce est pleine de surprises et de rebondissements, y compris
les dernières pages où la « corde de sol » devient la « corde de
fa ». L’œuvre demande certes beaucoup de travail, mais présente un grand
intérêt musical car elle allie charme, lyrisme et virtuosité.
ALTO
Davide PRRONE : Modern Bluespour alto et piano. Delatour :
DLT2122.
Assez facile, ce Modern Blues possède un charme certain.
Ses deux thèmes contrastés en assurent la variété : des moments plus
« virtuoses » alternent avec des parties mélancoliques. Il y a un
véritable dialogue entre l’alto et le piano qui a ainsi un rôle à part entière.
VIOLONCELLE
Christine MARTY-LEJON : Aquarelle pour
violoncelle et piano. Préparatoire. Lafitan :
P.L.2633.
L’auteur met en exergue
cette phrase : « Il y a dans la peinture et dans la musique quelque
chose de plus, qui ne s’explique pas ». C’est sans doute une invitation
pour les jeunes interprètes à rechercher les couleurs variées qui leur sont
proposées dans cette charmante pièce pleine de poésie.
HAUTBOIS
Ayser VANCIN : Les plaintes d’un Icare (inspiré du poème de Charles
Baudelaire) pour hautbois solo. Sempre più : SP0042.
Voici l’occasion
rêvée de rendre certains de nos élèves un peu moins incultes… Cette très belle
pièce de niveau 3ème cycle est lyrique à souhait, méditative et
expressive comme le demande l’auteur. Plus qu’une pièce d’étude, elle est avant
tout de la fort belle musique.
Francis COITEUX : Rendez-vous au bois. Deux duos pour hautbois. Facile. Delatour :
DLT2118.
Bien que présentées
dans l’ordre inverse, c’est bien, semble-t-il l’Idylle au bois qui est la première des deux pièces. Cette idylle
pleine de charme et dans un langage simple permet un dialogue soutenu entre les
deux interprètes. Au bois magique, la
deuxième pièce, est beaucoup plus surprenante tant par ses harmonies que par
ses rythmes, créant une atmosphère étrange pleine d’elfes, de fées et de
lutins. Ces deux duos forment un ensemble tout à fait délicat.
Max MÉREAUX : Historiette pour hautbois
et piano. Préparatoire. Lafitan :
P.L.2622.
Max Méreaux aime bien conter des historiettes. Celle-ci est
bien agréable, faisant la part belle au dialogue entre le hautbois et le piano.
Le hautbois, quant à lui, bénéficie d’une petite cadence. Rien n’empêche
d’imaginer le petit chaperon rouge sautillant dans le grand bois, la bobinette,
la chevillette… Il s’agit d’une pièce heureuse et pleine de charme.
BASSON
Max MÉREAUX : Cappricio pour basson et piano. Débutant. Lafitan :
P.L.2619.
Cette pièce est
pleine de vie et de jovialité. La partie de piano n’est pas très difficile. Ce
sera ainsi une occasion de faire jouer ensemble deux jeunes interprètes. Il
s’agit en fait de sympathiques variations sur une grille de deux fois quatre
mesures. Peut-être le jeune bassoniste pourrait-il être invité à trouver
d’autres variations sur la même grille ?
SAXOPHONE
Pascal PROUST : Sax colorspour
ensemble de saxophones (7 ou multiple). Sempre più : SP0040.
Il s’agit d’une
commande de Nicolas Prost pour le Festival Saxiana de
mai 2013. Cette pièce courte et sans grande difficulté déroule un joyeux
discours plein d’entrain qui peut donc être joué par un ensemble conséquent…
Signalons simplement qu’il faut, pour le jouer, l’ensemble de la famille du
soprano au baryton même s’il y a quand même quatre parties d’alto.
TROMBONE
Jérôme NAULAIS : Assemblage pour
trombone solo. Sempre più : SP0044.
De niveau 3ème cycle, cet Assemblage est composé de
trois parties enchaînées de caractère très différent. A un « bien
rythmé » à la fois chantant et un peu fantasque succède un
« modéré » en ternaire, lyrique à souhait. Un « rapide »
termine le tout, marqué par des notes répétées avec des accents rythmiques
décalés, coupées par des envolées… On pourrait penser à un « rapide »
d’autrefois tiré par une locomotive haletante. A chacun ses fantasmes. Mais
cette pièce est pleine d’intérêt rythmique et mélodique, en un mot, musical.
PERCUSSIONS
Régis FAMELART : Puissance 2. Ensemble de tambours à quatre voix. Niveau moyen-difficile. Dhalmann : FD0367.
Cette pièce peut
aussi âtre jouée sur caisse claire ou tom basses. Il s’agit d’une pièce
« tambourinaire » bien vivante et bien réjouissante qui peut servir
d’introduction à une audition ou à un spectacle et permet de faire jouer
ensemble toute une classe de percussion.
Nicolas LEFEBVRE : G.T. Pièce
visuelle pour 6 tambours et grosse caisse. Niveau moyen-difficile. Dhalmann : FD0267.
L’auteur fait de sa
pièce, dont le titre s’explique par les initiales du dédicataire, sinon une
chorégraphie, du moins une scénographie. Une nomenclature gestuelle très
détaillée fait partie intégrante de la partition. L’ensemble devrait être aussi
plaisant à regarder qu’à écouter.
MUSIQUE DE CHAMBRE
Jean-Marie MOREL : Pastel pour violon, clarinette,
violoncelle et piano. Symétrie.
L’auteur présente
lui-même son œuvre. Ecrite à la mémoire de René Leibowitz dont il fut l’élève,
elle comporte trois parties enchaînées. « La première, assez linéaire,
joue sur les rapports d’intervalles et les mélanges de timbres ;
la seconde s’attache à la recherche de sonorités plus rares, faisant parfois
appel aux nouvelles techniques de jeu ; la dernière
développe imperturbablement une articulation rythmique sur cinq temps. »
Ajoutons simplement qu’il s’agit d’une musique délicate qu’on espère promise à
une grande diffusion.
Davide PERRONE : Ailes pour
quintette à vent (Flûte, hautbois, clarinette sib, cor en fa et
basson). Delatour : DLT 1579.
Née, nous dit l’auteur, « d’une idée inspirée par un battement d’aile fugace », l’œuvre comporte deux thèmes. Le premier sort directement du « battement » et le deuxième fait entendre comme un choral à l’aspect méditatif. Cette deuxième partie, lente et expressive, donne par ses amples intervalles une grande luminosité au discours.
Daniel Blackstone.
***
LE COIN BIBLIOGRAPHIQUE
Marc-Olivier DUPIN
: Écoutez, c’est
très simple… Pour une autre éducation musicale, Tsipka Dripka.
Diffusion : Symétrie (symetrie.com ), 2007, 157
p. -18 €.
Nul n’était mieux
qualifié que Marc-Olivier Dupin pour aborder des problèmes pédagogiques et
didactiques. Le fondateur de la maison d’édition Tsipka Dripka a été à la fois
directeur du CNSMDP pendant 7 ans, conseiller musique à la Mission de
l’Éducation artistique, ancien directeur de France-Musique et pendant 6 ans
directeur général de l’Orchestre National d’Île-de-France. Grâce à sa vaste
expérience, ce remarquable enseignant, éditeur et compositeur tente d’élaborer
une « autre éducation musicale », afin de faire aimer la pratique musicale
à l’école et d’augmenter le nombre de mélomanes français. Après avoir évoqué
les splendeurs et misères de l’éducation musicale, la perte de la tradition
chorale, il s’intéresse aux enjeux de l’éducation musicale, rappelle que
« tout passe par la voix », dénonce « les meilleurs moyens de
dégoûter les adolescents de la musique… ». Il part en guerre contre
« l’analyse desséchée » ou encore les « cacophonies
instrumentales », fait découvrir le travail de l’artiste, donne un aperçu
détaillé (état en 2007) des Conservatoires et Écoles de
musique : « lieux d’apprentissage ou de loisir ? ». Ce
livre fourmillant d’idées pose, par exemple, le problème du solfège
« à la française » ou du chant choral… Un chapitre important est
consacré au futur musicien professionnel (formation, emploi, concours, stages,
risques du métier…). Il préconise « un grand courant d’air dans les
institutions et « un nouvel élan des politiques culturelles » et se
prononce en faveur d’une « pédagogie à tous les étages », selon
l’expression de Laurence Équilbey. Ces orientations audacieuses auront le
mérite de faire réfléchir élèves, étudiants, professeurs et amateurs.
Édith
Weber.
Marc-Olivier
DUPIN : Petits
secrets de musiciens, pour réussir examens et concours. Tsipka
Dripka. Diffusion : Symétrie (www.symetrie.com ), 2009, 206 p. -19 €.
Dans
l’enseignement, le processus d’évaluation est monnaie courante. Pour tous, le
problème de la préparation aux examens se pose évidemment. Ce livre, d’ordre
artistique, pédagogique et psychologique, fait le point de la question. Tout
d’abord : le problème des examens et concours, lié à leurs fréquences et
aux institutions. Marc-Olivier Dupin a le don de poser directement et fermement
les questions, associé à un réel souci d’information. Il constate, entre
autres, la difficulté de former un jury et de désigner un président, donne un
aperçu de la nature des concours d’entrée, des examens et épreuves, voir Annexes avec textes officiels (p.
189-206). Sa grande expérience et son sens psychologique aigu lui permettent de
mieux comprendre la mentalité des élèves passant un examen et leur
« course d’obstacles » ; il leur prodigue de judicieux conseils
(y compris l’habillement contribuant largement à la présentation et aux
conditions du geste instrumental). Ses observations concernent les concours,
les concours internationaux et examens, y compris le contrôle continu ; le
concours pour devenir musicien d’orchestre ou encore les épreuves du futur
enseignant. L’auteur sait se placer des deux côtés de la barrière. À ce titre,
ce livre rendant de multiples services aussi bien aux musiciens, enfants ou
adultes, qu’aux professionnels et membres de jurys, est appelé à devenir un
incontournable vademecum.
Édith
Weber.
Ernesto
NAPOLITANO : MOZART
Vers le Requiem. Les récits du bonheur et de la mort, Sampzon,
Delatour France (www.editions-delatour.com), 2013, DLT 2073, 411 p. – 28 €.
Actuellement, les préoccupations
musicologiques se tournent également vers l’histoire et les critères de
l’interprétation. C’est précisément le cas de la Collection Musique
Interprétation qui propose des présentations, traductions et analyses d’œuvres
marquantes. Ce titre implique à la fois des réflexions sur le bonheur et la
mort et évidemment les problèmes d’attribution (douteuse ou non) de certaines
parties du Requiem de Mozart. E.
Napolitano, Professeur d’histoire de la musique à l’Université de Turin, a
bénéficié d’un fac-similé du manuscrit du Requiem.
Pour éclairer son propos, il évoque d’abord quelques problèmes : de la
dramaturgie du bonheur ; du sacré, du sublime et de la mort qu’il
situe dans divers contextes, notamment maçonnique. Il rappelle ensuite quelques
circonstances de la vie de Mozart et, au chapitre 4, aborde le Requiem sous divers angles
d’attaques : conscience du passé, dramaturgie, effroi face à la
mort : Dies irae, Tuba mirum, Rex tremendae, Lacrimosa…
La conclusion, assez neuve, concerne Mozart et les réactions de
théologiens : Hans Urs von Balthassar, Karl Barth ou encore celle de
Wolfgang Hildesheimer dans sa Biographie de Mozart (1977). L’Annexe rappelle l’histoire si controversée du Requiem après la mort de Mozart avec des
textes d’époque à l’appui, des références très instructives au papier du
manuscrit. Après les tentatives infructueuses de Josef Eybler, Franz Xaver
Süssmayr a contribué à l’orchestration, révisé celle d’Eybler, terminé le Lacrimosa, composé les Sanctus, Benedictus, Agnus Dei et
adapté la Communio et le Lux aeterna d’après la musique de l’Introitus et du Kyrie, comme il ressort du Schéma
n°6 (p. 391). Cet ouvrage, très dense et très fouillé, oscillant entre le
bonheur et la mort, ne peut être résumé, toutefois « le Requiem est observé ici comme un projet
parallèle à celui de La Flûte enchantée :
la dernière fable illuminée par le bonheur et la rencontre avec la nuit de la
mort, les deux réflexions avec lesquelles Mozart prend congé de son
siècle. » : c’est là que réside l’originalité de la démarche d’E.
Napolitano.
Édith Weber.
Richard
WAGNER : Die Meistersinger von Nürnberg. Musicorum, n°12, Tours, Université
François-Rabelais de Tours, 2012, 201 p. – 35 €.
Émanant de l’Équipe
d’accueil « Histoire des Représentations » (Université de Tours),
sous la direction de Laurine Quétin et en liaison avec l’Université de Bamberg
(Allemagne), consacrée aux Maîtres
chanteurs de Nuremberg de Richard Wagner (1813-1883), cette Revue projette
un regard neuf sur cette « comédie »-opéra national. L’arrière-plan
historique avec le chant des Maîtres chanteurs (Meistergesang) dans l’entourage du célèbre Hans Sachs (1494-1576)
est évoqué ; en fait, Wagner considère la Ville de Nuremberg à l’époque de
Hans Sachs comme « le lieu d’une utopie », l’œuvre pouvant donner
lieu à des interprétations convergentes ou divergentes. Les sources se réfèrent
notamment à la philosophie d’Arthur Schopenhauer (1788-1860) dans son
ouvrage : Wille zum Leben (Le vouloir vivre). Sont abordés
tour à tour : la genèse
particulièrement longue de l’œuvre ; les théories esthétiques de Wagner
proches des conventions de la comédie traditionnelle, avec l’humour, le rire,
l’ambivalence du comique ; les connotations religieuses ; les
personnages féminins ; l’attitude du compositeur vis-à-vis du Roi
catholique de Bavière et de Bismarck ; l’apogée de la musique luthérienne,
de la Réforme à J. S. Bach ; des Opéras inconnus se référant aux Maîtres chanteurs ; la réception de
cette œuvre en France et dans les Pays Baltes ; les traductions (suédois,
hollandais, danois) plus ou moins soignées. Cette vaste rétrospective est
due à dix auteurs et à l’étroite collaboration entre les Universités de Tours
et de Bamberg, sous la responsabilité du Professeur Albert Gier. Un seul
regret : les communications en langue allemande ne sont suivies que d’un Abstract anglais (un résumé en français
eût été indispensable pour les lecteurs non germanistes). Quoi qu’il en soit,
l’apport de ce beau volume est indéniable et, à plus d’un titre, intéressera
les historiens de l’Allemagne, de la littérature, de la musique et de la
philosophie.
Édith
Weber.
Dialogisme
culturel européen au sièce des Lumières.
Relations épistolaires de P. M. Hennin avec M. P. G. de Chabanon, J. B. de La
Borde et F. Tronchin. Musicorum, n°13, Tours, Université
François-Rabelais de Tours, 2012, 201 p. – 35 €.
L’exploration des
Correspondances est toujours très révélatrice des personnes, des mentalités et
de l’esprit du temps pris sur le vif. La Bibliothèque de l’Institut de France
contient, à cet égard, de très précieuses lettres provenant du Fonds Hennin. En
revanche, celles de François Tronchin sont conservées à la Bibliothèque de
Genève (BGE, fonds Tronchin 186). Pierre-Michel Hennin (1728-1807), diplomate
français, a résidé à Genève entre décembre 1765 et mars 1778. Ces lettres —
émanant d’un homme sensible et intelligent — brossent un tableau critique de la
vie quotidienne, du statut social des habitants et de l’histoire
institutionnelle dans la petite République réformée. Foyer du Calvinisme
francophone depuis la Réforme, Genève appartient à « l’Europe
protestante » ; vers 1780, elle connaîtra des troubles politiques,
avec une crise de l’« aristodémocratie » et les revendications de la
bourgeoisie. Ces documents traduisent un attachement « à une conception
élitiste de la République des Lettres », révèlent la sociabilité
aristocratique et constituent également une histoire du goût pour la
littérature, les arts et la musique ; ils dégagent les caractéristiques de
la vie sociale, politique et culturelle, tout en contenant également des récits
de voyages et de fêtes, des pages plus intimes qui proposent un aperçu des
mœurs et des pratiques sociales de l’époque. Ces relations épistolaires
concernent Michel Paul Guy de Chabanon (1730-1792), théoricien de la musique et
homme de lettres, Jean-Benjamin de La Borde (1734-1794), éditeur de chansons,
historien de la musique et compositeur, et François Tronchin (1704-1798),
avocat, écrivain et mécène suisse. Signalons que Laurine Quétin a judicieusement
établi un nouvel ordre chronologique des lettres du fonds Hennin (ms. 1256). La
première partie de ce volume évoque le dialogisme culturel européen au siècle
des lumières ; la seconde présente, avec tout l’apparat critique
souhaitable, la correspondance échangée par ces personnalités. La généalogie de
la famille Tronchin, un utile Répertoire
biographique des principaux protagonistes et un copieux Index révèlent l’ampleur de cette publication qui s’impose par son excellente
présentation et son sérieux.
Édith
Weber
Michèle LHOPITEAU-DORFEUILLE : Brèves histoires de Chœurs.
Lormont, Éditions Le Bord de l’Eau (www.editionsbdl.com ), 2013, 180 p. – 18 €.
L’auteur, grande
voyageuse, ayant dirigé et entendu les Chœurs les plus variés et, de ce fait,
vécu des « chocs de culture », présente des histoires et anecdotes
relatant ses expériences lors d’un vrai marathon musical. Son objectif vise la
relance et la promotion du chant choral parmi les amateurs venant d’horizons et
de sensibilités divers. Son périple, de Dallas et Abidjan, à Salzbourg, passe
par l’Afrique, l’Irak, la France (Bordeaux), en compagnie de Bach, Haendel,
Mozart, Brahms, Verdi jusqu’à Britten et Kodaly. Elle aborde, à côté des
problèmes organisationnels, la confluence des religions (catholique,
musulmane…), des langues (français, anglais, espagnol), les événements
politiques (World Trade Center, Union européenne, soirée œcuménique à
Houston…). Tous ces récits, en un style enlevé, de lecture agréable, sont
marqués par un dénominateur commun : le bonheur de chanter associé au
bienfait de l’interactivité de groupes avec des rencontres de handicapés,
d’autistes, de lépreux, mais aussi de chorales internationales dont les
choristes sont avides de « chanter pour leur plaisir et celui des
autres ».
Édith Weber.
« Pelléas et
Mélisande Cent ans après. Études et documents ». Ouvrage coordonné
par Jean-Christophe Branger, Sylvie Douche et Denis Herlin. Éditions Symétrie,
en collaboration avec le Palazzetto Bru Zane Centre de musique romantique
française. 1Vol 17 x 24 cm, 609 p., 64 €.
Cet ouvrage compréhensif rassemble les
contributions d'un colloque organisé en 2002, cent ans tout juste après la
fameuse Première de Pelléas et Mélisande. Il est peu d'œuvre lyrique
ayant suscité autant de commentaires et de réactions enthousiastes comme
défavorables. L'unique opéra de Debussy - si l'on met à part l'essai Rodrigue et Chimène, et l'inachevée Chute
de la maison Usher - ne s'est jamais aussi naturellement porté dans la
paysage lyrique. Même s'il n'est pas populaire pour « les amateurs
d'opéras », commente Pierre Boulez, dans sa préface, car il est dénué de
cette performance vocale dont ils font le parangon de leur plaisir. Un siècle
après, il continue à interroger exégètes et commentateurs. Les contributions
réunies ici questionnent ce que furent la genèse de l'œuvre, son Urtext, le
« manuscrit Koch », comme sa première mise en scène, due au directeur
de l'Opéra Comique, Albert Carré, plus visionnaire qu'on croit. La réception
immédiate de l'œuvre est décryptée au fil des premières études : d'abord, ce
qui fut une vraie « bataille pour la musique française », et bien sûr
Debussy versus Wagner, jusqu'au consensus plus ou moins partagé. Le livre se
propose encore d'éclairer sous un jour nouveau le geste compositionnel de
Debussy, et le sens de la mélodie dramatique dans l'œuvre. Enfin est définie la
place que celle-ci occupe dans le répertoire et la pensée des musiciens
contemporains : de l'admiration militante vers un « debussyste malgré
lui » d'un Charles Koechlin, plus converti que « pelléastre » ;
la vraie fausse influence de Debussy sur Schoenberg, dont le Pelleas und Melisande a peu à voir avec celui de Claude de France, alors qu'il
existe « des parallèles significatifs entre Erwartung et Pelléas
et Mélisande, sur la plan de la dramaturgie et de la mise en scène
narrative ». Un chapitre essentiel s'attache à la première étude
monographique consacrée par Maurice Emmanuel en 1926. On y croise l'horreur
pour les leitmotivs wagnériens d'un Debusssy se plaignant « qu'on chante
trop » : une de ses impertinences vis à vis de l'auteur de Tristan,
tout comme sa haine « des héros casqués ». On mesure surtout
l'influence des littérateurs sur Debussy, qui a su écrire une « poésie
nouvelle » sur celle de Maeterlinck. Et surtout, on perçoit ce langage
novateur, cette « collusion du majeur et du mineur », là où Debussy
« n'a fait que débrider la musique ».
Le livre se complète, dans ses annexes,
d'un « dossier de presse » fascinant : non seulement quant au luxe de
détail qu'on y trouve, et à la belle qualité de la langue, mais plus encore
quant au soin infini avec lequel chacun défend son point de vue. On peut,
grosso modo, classer en trois groupes
les quelques 111 réactions répertoriées, écrites à chaud, au lendemain de la
Première, ou au contraire peaufinées avec quelques semaines de recul : les
mitigés, qui avouent leur incompréhension devant l'audace, voire l'insolite :
« la musique vous pénètre, par la force d'un art que j'admire plus que je ne
le comprends » avancera l'un. Selon le persifleur Catulle Mendès,
« Claude Debussy ne s'est pas montré, ce soir, le très exquis musicien que
tout le monde admire en lui ». Les opposants se montrent véhéments :
« une impression de grisaille orchestrale et de psalmodie, sans forme et
sans couleur », l'auteur n'ayant-il pas « tenté cette curieuse
aventure d'écrire un grand drame lyrique, sans mélodie, sans développement
symphonique », et « des sons harmonisés se succédant de façon ininterrompue,
sans une seule phrase,.. sans un seul contour ». Le mot d'anthologie
revient à un certain Camille Bellaigue, pour qui c'est une musique qui «
nous dissout parce qu'elle est elle-même dissolution » ! Bien sûr, les
enthousiastes portent haut les couleurs : Louis Schneider y voit « la
manière de Puvis de Chavannes », et lyrique, ajoute, dans une seconde
analyse, que la musique « a des papillotements d'aurore ». Paul
Ladmirault souligne l'adéquation avec la parole, ses inflexions et ses
modulations. Bien sûr, la comparaison avec Wagner est sur toutes les
lèvres: « cet art nouveau paraît
exsangue à qui revient de Bayreuth » lit-on. C'est sans doute Pierre Lalo
qui résume le mieux la problématique, et fustige comment le puissant et souple
développement symphonique de Wagner sera maltraité pars ses épigones français.
Alors qu'« il n'est pas besoin de l'encombrant appareil des thèmes
conducteurs et de la symphonie wagnérienne pour révéler les âmes de Mélisande,
de Golaud ou du vieil Arkel ». On laissera le dernier mot à Dukas, pour
qui c'est « une musique si rapprochée de la musique incluse sous les mots
que, dans l'impression totale produite par cette sorte de transfusion sonore,
il devient impossible de la dissocier du texte qu'elle pénètre ». On l'a
compris : plus qu'une défense et illustration, l'ouvrage fait le point de
l'attrait d'une œuvre à nulle autre pareille. Il est indispensable, de par sa
rigueur scientifique et son caractère informatif complet.
Jean-Pierre Robert.
David
Blum : « Casals ou l'art de l'interprétation ».
Buchet & Chastel, 1 vol. 262 p. 20 €
Pablo Casals ne fut pas seulement le
fabuleux violoncelliste que l'on sait. Il consacra les trente dernières années
de sa vie à une passion : enseigner les principes essentiels de son art, comme
celliste, tout comme chef d'orchestre. Comme le souligne Paul Tortelier, dans
son avant propos, cet art « si fouillé qu'il paraisse à l'analyse, ne
s'est jamais coupé des élans de l'âme et du cœur et garda toujours le caractère
spontané de l'improvisation ». Cela, l'ouvrage de Léon Blum nous le conte
par le menu. En préservant la tradition orale de l'enseignement de Casals, par
exemple dans le script, effectué par l'auteur, d'une répétition de la Symphonie
Pastorale de Beethoven. Autrement dit la mise en pratique de ses principes
d'interprétation. Le premier paraît simple : « de la technique, un son
merveilleux... mais ce n'est pas assez », car il y faut de la joie, et du
risque. La recherche du dessin mélodique n'est pas moins essentielle, pour
« donner à une mélodie sa vie naturelle », proche de l'art vocal,
disait-il. Il existe une « diction de l'instrumentiste » : l'art du
diminuendo y est central, car il est la vie de la musique, l'uniformité
engendrant la monotonie ; le naturel de l'accent l'est tout autant, et on ne
doit pas oublier la relativité de celui de piano. Casals ne refusait pas
la fantaisie : « l'art de l'interprétation consiste à ne pas jouer
ce qui est écrit » allait-il jusqu'à dire! Mais si fantaisie il doit y
avoir, ce ne saurait être que « dans l'ordre ». Sont encore abordées
la question sempiternelle des tempos, plus exactement « la manière dont
Casals comprenait l'unité de la pulsation qui exprimait le mieux le contenu de
la musique », la portée déterminante des silences, la réprobation d'habitudes
infondées, telle la vitesse systématique avec laquelle d'aucuns jouent Mozart,
ou encore le caractère insaisissable du tempo rubato, qui ressortit plus à
l'intuition qu'à une définition précise, comme il en va d'ailleurs du rythme en
général. Des leçons de direction du maître catalan, Léon Blum livre quelques
éléments fondateurs, dont l'intonation, la justesse expressive,
l'évanouissement d'une note... Le chapitre consacré à l'art de Casals dans Bach
est rien moins qu'illuminateur, et découvre plus d'un secret. Le plus profond
n'est-il pas ce « Jouez franchement. N'ayez pas peur. » L'ouvrage est
truffé d'exemples musicaux permettant de suivre au plus près la démonstration.
Une mine!
Jean-Pierre Robert.
CDs et DVDs
Passion. KLANGLOGO KL1402. Diffusion : RONDEAU PRODUCTION (www.rondeau.de).vivald
TT : 54’ 23.
Sous le
titre allemand : Passion, le
Vienna Vocal Consort, ensemble autrichien, a regroupé des œuvres sur ce thème
mis en musique par Joachim von Burck (1546-1610), Hieronymus Praetorius (1560-1629), Caspar Othmayr (1515-1553) et
Wolfgang Figulus (1525-1589). Il propose une
sélection de textes très poignants : O
vos omnes qui transitis per viam attendite et videte : si est dolor similis dolor meus ou encore : Mein himmlischer Vater
- In manus tuas, Pater, commendo spiritum meum et,
surtout : la Deutsche Passion selon
saint Jean (1567) de Joachim von Burck.
En fait, elle avait déjà été enregistrée chez Erato en 1990 par l’Ensemble
vocal Sagittarius sous la direction de Michel Laplénie. En revanche, seule la Passio Jesu Christi (Ps. 22) est une Ersteinspielung (première).
Joachim von Burck (ou a Burck) — Joachim Moller —, musicien à redécouvrir, a été Cantor et Organiste
à l’école latine de Mühlhausen, il pratique à la fois
le style franco-flamand, puis le style homophonique et homorythmique. Les 5
chanteurs du Vienna Vocal Consort s’investissent complètement, avec un relief
et un timbre extraordinaires, dans ces pages particulièrement méditatives et
intériorisées. Avec la même plénitude vocale, ils interprètent le Magnificat allemand : Meine Seele erhebt den Herrnde W. Figulus. Ce disque, réussite du genre, permet de revivre
intensément le récit de la Passion du
Christ ; il est aussi de nature à susciter la passion des discophiles…
Édith Weber.
English Royal Funeral Music. RICERCAR (www.outhere-music.com ). RIC 332. TT : 62’ 30.
Avec la
participation de l’Ensemble Vox Luminis (direction : Lionel Meunier), des Ensembles Trompettes des Plaisirs,
Lingua Franca, et de Guy Penson (virginal), cette
réalisation illustre les musiques funèbres interprétées lors des Obsèques de la
Reine Mary, épouse de William III, décédée le 28 décembre 1694 (mais aussi de
celles d’Elizabeth I, en 1603). Les Funérailles officielles n’eurent lieu que
le 27 février 1695 à l’Abbaye de Westminster. Lors de l’imposant cortège, la
foule a pu entendre des œuvres de circonstance chantées en anglais. Ce CD
commémoratif propose deux versions de The Queen’s Farewell (James Paisible (v. 1656-1721)
et Thomas Tollett (1630-1696)), se poursuit
avec : March, Anthem, Canzona, et les Funeral Sentences — qui toutefois n’auraient
pas été composées pour la Reine Mary — de Henry Purcell (1659-1695),
Compositeur de la Chapelle Royale, ainsi que 5 Anthems de Thomas Morley et les Burial Sentences de Thomas Tomkins (1572-1656).
Par leur marche, les instruments, tambours et trompettes (à la manière
versaillaise) créent d’entrée de jeu l’atmosphère solennelle et dramatique.
Comme le rappelle Jérôme Lejeune, les Funeral Sentences doivent être chantées en procession depuis l’entrée dans l’Église, puis devant
le tombeau et « après que la terre ait été jetée sur le corps ». Cet
enregistrement s’impose par son caractère grave et profond, bien rendu par les
voix si prenantes de l’Ensemble Vox Luminis,
notamment dans la Lamentation Death hath deprived me de Thomas Weelkes (bapt. 1576-1623) et Remember not Lord our offencesde H. Purcell. En fait, chacune de ces 23
pièces représente un joyau de la littérature musicale pour des obsèques
royales. Disque sortant des sentiers battus : à retenir.
Édith
Weber.
Nicolas
TULLIEZ : Harpe.
SKARBO (www.skarbo.fr ). DSK 1124. TT : 55’ 34.
Après avoir étudié
la harpe à Paris, Nicolas Tulliez (Harpe) passe
quatre ans à la Julliard School de New York, puis
étudie au Conservatoire Royal de Toronto. Il est également Master of Music de
l’Université de Yale et Première Harpe solo de nombreux orchestres. Le Label Skarbo propose un répertoire éclectique avec des œuvres de
Ginastera, Bach, Scarlatti, Spohr et Fauré. Tout d’abord, le Concerto pour harpe et orchestre, op.
25, d’Alberto Ginastera (1916-1983), compositeur argentin très en vue qui,
victime de la dictature de la Révolution argentine, s’installe en Suisse en
1941, s’intéresse surtout aux grandes formes et cultive particulièrement le
rythme, les percussions, les grands traits de harpe. Le premier mouvement Allegro giusto déploie tout le charme impressionniste de l’instrument, contraste avec le
deuxième, Molto moderato, plus
expressif. Dans le troisième, le harpiste se distingue par une très longue
cadence. Avec l’Orchestre Symphonique de Bâle, sous la direction de Marko Letonja, ils font preuve d’une virtuosité à toute épreuve
et réservent un sort royal à cette partition des plus connues. En soliste, N. Tulliez propose la transcription de F. Busoni du Choral Nun komm der Heiden Heiland de J. S. Bach, version transparente certes
éloignée du timbre de l’orgue et plus proche du clavecin. Deux Sonates de
Domenico Scarlatti (1685-1757), primitivement composées pour clavecin, sont
agréables à entendre à la harpe, aux sonorités moins métalliques. La Fantaisie op. 35 de Louis Spohr
(1784-1859) est destinée à la harpe. Gabriel Fauré (1845-1924) appréciait la
variété des timbres de cet instrument, comme il ressort de l’Impromptu op. 86 donnant libre cours au
lyrisme et d’Une Châtelaine en sa tour op.
110, de caractère plus méditatif. Belle « Défense et illustration »
de la harpe.
Édith
Weber.
Chrystel MARCHAND : Sonate « Vie et Destin » - Œuvres pour piano.
SKARBO (www.skarbo.fr ). DSK 1123. TT : 63’ 50.
Chrystel Marchand,
Directrice du Conservatoire Darius Milhaud (Paris, XIVe), Docteur en
Musicologie (Paris-Sorbonne), compositrice, s’intéresse à la didactique de
l’art. Selon S. Falcinelli : « Chrystel Marchand se définit comme en marge. De fait, son œuvre pour piano nous emmène sur des voies
en apparence divergentes qui, à l’arrivée, nous laissent l’impression d’une
voix personnelle… ». Le livret précise ses sources d’inspiration :
par exemple, sa Sonate « Vie et
Destin » pour piano (Seconde
Sonate) est redevable au « best-seller de l’écrivain ukrainien Vassili Grossmann, dans lequel celui-ci dénonce les grands
totalitarismes européens. » ; d’autres œuvres sont marquées par des
événements douloureux du XXe siècle,
expériences des camps de la mort, barbarie… En revanche, La valleuse aux fées (4 mains, 1997) s’inspire d’une légende
normande autour de l’« histoire d’un marin retrouvant l’assemblée des fées
réunies près de la mer, une nuit de la Saint-Jean et succombant aux charmes de
leur reine… ». La première des deux Pièces
narratives (2006-7) cite le premier vers d’Absence de Théophile Gauthier : Reviens, reviens ma bien-aimée… et la Marcia funebrede la Sonate en si b mineur de Frédéric Chopin. Dans sa Première Sonate pour piano In memoriam Nadia Boulanger, composée en
1980, après son décès (octobre 1979), en 3 mouvements : Gravement, Très modéré, Mouvement de
barcarolle, Chr. Marchand se souvient, en effet, des exercices de
contrepoint en canon effectués sous la direction de N. Boulanger et, dans le 3e
mouvement, de la Barcarolle de Chopin
également travaillée avec elle. Digressions pour piano (1983-4) sont influencées par les Valses nobles et sentimentales de M. Ravel ; Allégories, par l’émotion ressentie
devant les toiles de Jan Bruegel l’Ancien. Aurélien Richard, compositeur,
chorégraphe et concertiste international, a sélectionné un Piano Bechstein en raison de ses sonorités exceptionnelles. Pour La valleuse aux fées (4 mains, 1997),
avec Jean-Pierre Ferey, ils forment un duo équilibré
en parfaite connivence. A. Richard met sa virtuosité pianistique au service de
ces œuvres parfois inattendues, avec superpositions de petits motifs mélodiques
triturés et rythmiques. Il s’impose par la précision de l’attaque et son style
fluide. Son intelligence musicale a bien saisi les diverses intentions
esthétiques de Chr. Marchand : style allégé, dépouillé, assez proche du
classicisme, et pourtant original — notamment dans les sources d’inspiration —,
style personnel, entre tradition (réminiscences de Chopin, Debussy, Ravel…) et
modernité. Le caractère peut être réaliste, narratif, décoratif, allusif,
comminatoire. À offrir à tout amateur de musique pour piano.
Édith
Weber.
VALAAM.
L’Archipel des Moines. JADE 699 782-2 (www.jade-music.net ). (www.valaam-film.com ). 1DVD. 2012. TT : 52’.
Ce DVD s’inscrit en
complément des CD : Valaam. Foi et amour (JADE 699 723-2), Valaam. Ecclesia(699
734-2) et Valaam. Foi et espérance (699 727-2) (cf. Lettres d’information, avril et
sept. 2011, avril 2012). Il permettra de mieux comprendre la spiritualité et le
chant orthodoxes. Le réalisateur, François Lespés,
autodidacte passionné de cinéma, brosse un tableau très présent de l’Archipel
des Moines, illustrant les paysages exceptionnels (hiver, printemps), les
offices liturgiques et les scènes de la vie quotidienne. Il a retrouvé le Père
français Séraphim, et, dans sa cellule, a passé avec
lui une « heure spirituellement très intense » et filmé
également des offices liturgiques. Cette
communauté pratique à nouveau le chant znamenny,
équivalent orthodoxe du grégorien. Les Moines ne se laissent pas aisément
aborder, mais, comme le précise Fr. Lespés, ils «
éclairent et réchauffent tous ceux qui les approchent ». C’est le cas
des nombreux pèlerins qui peuvent ainsi renouer avec la tradition de la prière
monastique de Valaam remontant au XIe siècle et
interrompue par près d’un demi-siècle de communisme. Malgré des conditions de
tournage difficiles, cette réalisation des Éditions JADE est un modèle de
beauté (nature et édifices religieux), d’humilité, de joie et de douceur
(expressions et attitudes des Moines) et d’intériorité (liturgie et chant).
Elle témoigne de la renaissance actuelle de la spiritualité orthodoxe. À
visionner et à écouter impérativement.
Édith Weber.
Joseph HAYDN : Dans la bibliothèque des Esterhazy. HORTUS 098 (www.éditionshortus.com ).
Distribution : CODAEX/Disques
Office/Lavial. TT : 57’ 04.
Depuis peu, pour
leur sous-titre accrocheur, des éditeurs de disques se réfèrent aux fonds de
Bibliothèques connues : c’est le cas de celle des Esterhazy. Joseph Haydn
(1732-1809) était à leur service, et y disposait d’un pianoforte et d’automates
(Flötenuhren)
fabriqués par Pr. Niemecz, bibliothécaire des
Esterhazy. La pianiste franco-japonaise, Yasuko Uyama Bouvard, a été à bonne école avec Édouard Souberbielle, Michel Chapuis et Huguette Dreyfus. Elle
possède un pianoforte de Christopher Clarke (2003, copie d’après Anton Walter,
Vienne, v. 1785) permettant de réaliser des oppositions de couleurs et de
nuances. Titulaire de l’Orgue Delaunay-Micot restauré
par G. Grenzing, instrument d’esthétique baroque
française, à l’Église St-Pierre-des-Chartreux à Toulouse, elle y interprète des
œuvres de J. Haydn pensées pour Flötenuhr (c’est-à-dire horloge musicale à cylindres
contenus précisément dans une horloge, datant de 1793 et 1796). Ces Pièces — curiosités musicales — sont
rendues à l’orgue avec, tour à tour,
finesse, virtuosité et précision rythmique. Les extraits de Cinq Pièces (horloge de 1792, avec 16 ou
17 sons) bénéficient — pour l’Andante en
Ut Majeur — d’une excellente registration à l’aigu se rapprochant le plus
des sonorités de la Flötenuhr.
Le programme comprend en outre deux Sonates pour pianoforte en Mi b Majeur, de
facture classique, en 3 mouvements : Allegro-Adagio
e cantabile-Finale (Tempo di Minuet)
(Hob. XVI, 49) et en Ut Majeur (Hob. XVI, 48) à peu près
contemporaines, ainsi que des Variations
en fa mineur bien connues et faisant entendre les sonorités spécifiques du
pianoforte. Yasuko Uyama Bouvard procède à un retour aux sources, aux haut-lieux de la musique pour les
Princes, et fait ainsi découvrir et revivre un patrimoine oublié.
Édith
Weber.
Wojciech KILAR : Requiem pour le Père Kolbe.
JADE (www.jade-music.net ). 699 778-2. TT : 77’ 38.
Wojciech Kilar (né en 1932 à Lwow) a
étudié à l’Académie de musique de Katowice, puis avec Nadia Boulanger. Son
répertoire comporte des musiques de films, de chambre, des œuvres symphoniques
et pour instruments solistes. Son émouvant Requiem pour le Père Kolbe, frère franciscain polonais
mort en 1941 au camp de concentration d’Auschwitz, ayant offert sa vie à la
place d’un père de famille condamné. Il a été canonisé par le Pape Jean-Paul
II. À l’origine, ce Requiem a
accompagné le film éponyme de Kr. Zannussi. Son thème
a aussi été utilisé pour le dénouement de celui de Peter Weir : The Truman Show. L’excellent texte
d’accompagnement reproduit deux entretiens significatifs. W. Kilar résume ainsi ses intentions : « Plutôt que
d’illustrer les camps — chose impossible —, j’ai songé à une forme de prière
fondée sur un vieil air polonais, qui passe en finesse par les stades
dramatiques et tragiques avant de conclure sur l’ascension de Saint Maximilien Kolbe. » Dès les premières mesures, l’auditeur sera
envahi par les accents dramatiques introduisant un passage méditatif, puis un
genre de lamento duquel se dégage une
tristesse lancinante, suivie d’une envolée mélodique impressionnante, puis d’un
épisode rythmique implacable, aboutissant à une évocation massive de son
ascension. Ce Requiem est interprété
avec infiniment de sensibilité par l’Orchestre Philharmonique National de
Pologne que dirige K. Kord. L’Orchestre de la Radio
et Télévision Polonaise de Katowice, dirigé par Antoni Wit a enregistré les
œuvres suivantes. Son Choralvorspiel (1988) est « une pièce théâtrale postmoderniste aux styles variés » reposant
sur une mélodie modale antique, avec une allusion au Noël allemand Stille Nacht (Douce nuit). Le mot : Orawa se réfère à
un « pré en pente fauché à la fin de la saison de pâture » et où
les bergers « célèbrent la fin de leur travail avec musique et
danse ». W. Kilar en fait une œuvre descriptive
(1986), quelque peu folklorique. Le poème symphonique Koscielek (1909) est, selon
l’auteur : « l’histoire de l’homme et de la montagne, de leur attrait
mutuel et de leur rapport dramatique. C’est une apothéose et une épitaphe.
C’est le chant sur l’amour et la mort. » Krzesany, autre poème
symphonique, reposant sur 3 thèmes : Koscielek-Appel de
l’abîme-Destin, est dominé par la puissance et l’énergie. Les Éditions JADE
rendent un vibrant hommage au Père Kolbe et à Wojciech Kilar, célèbre
compositeur polonais contemporain.
Édith
Weber.
Antonio
VIVALDI : 6
Concertos pour flûte. La Simphonie du
Marais, flûte à bec & dir. Hugo Reyne. 1CD Label Musiques à la Chabotterie :
605012. TT : 60’.
Un remarquable disque qui ne surprendra pas
par l’originalité de son programme, mais bien par la qualité de sa réalisation
musicale. Hugo Reyne, comme d’autres pour une
certaine madeleine, choisit d’interpréter ces Concerti pour flûte à bec de Vivaldi, réminiscence d’une enfance
musicale marquée par l’ombre de Frans Brüggen. Un jeu
époustouflant de virtuosité et de clarté, une sonorité ronde et profonde, une
justesse jamais prise en défaut, voilà ce qui rend cet enregistrement
indispensable à tous les amateurs de musique baroque et à bien d’autres
d’ailleurs…
Patrice Imbaud.
Guillaume
COSTELEY : Mignonne,
allons voir si la Rose. Freddy Eichelberger, clavecin. Ludus Modalis, dir. Bruno Boterf. 1CD Ramée éditions : RAM1301. TT : 71’54.
Un disque qui permettra aux mélomanes
curieux de découvrir le compositeur Guillaume Costeley (1530-1606) qui écrivit, en 1570, un volume de
chansons intitulé Musique, adressé
aux chanteurs de Charles IX, dont le compositeur était « l’organiste
ordinaire et le vallet de chambre ». Un recueil
qui offre une étonnante diversité musicale et poétique, regroupant « chantz martiaux, graves, honnestes, poliz & gaillardz ».
L’ensemble Ludus Modalis, à
géométrie variable, regroupant cinq à douze chanteurs, spécialiste du
répertoire polyphonique de la Renaissance, donne à ces chansons tout leur
charme, sous la direction experte de Bruno Boterf,
bien soutenu par le clavecin de Freddy Eichelberger.
Un album qui trouvera son public parmi les amateurs de musique ancienne, et
peut être quelques autres…
Patrice Imbaud.
Le Jazz et la Pavane. Les Sacqueboutiers. 1CD
Flora productions : FLORA 2812. TT : 71’26.
Le Jazz et la Pavane, une juxtaposition
étrange qui sonne un peu comme le mariage de la carpe et du lapin… Et pourtant,
ce pari audacieux d’apparier des musiques de la Renaissance et le Jazz, autour d’improvisations, est
totalement réussi grâce aux talents conjoints des Sacqueboutiers (Ensemble de cuivres anciens de Toulouse) et du Quintette de jazz de Philippe Léogé. Chaque
pièce interprétée naît ainsi d’un original, joué par les musiciens de
l’ensemble Les Sacqueboutiers, Jean-Pierre Canihac, cornet à bouquin, Daniel Lassalle, sacqueboute, Yasuko Uyama-Bouvard, orgue et
clavecin, et Florent Tisseyre, percussions, tous
experts en matière de musique ancienne, et en particulier en ornementation dans
le style Renaissance. Le relai est alors pris par Philippe Léogé au piano et ses compères, tous virtuoses impressionnants dans leur domaine :
Claude Egéa, trompette, Denis Leloup,
trombone, Jean-Pierre Barreda, contrebasse et Fabien
Tournier, batterie et percussions. Il en résulte une musique pleine de charme
et de fraicheur, qui saura séduire les amateurs de musique ancienne et les
« acros » du jazz ! Original et
festif, à écouter absolument !
Patrice Imbaud.
Franz
LISZT : Christus. Nicolas Horvath, piano. 1CD Editions Hortus : HORTUS 100. TT : 70’15.
Christus est œuvre de la maturité, empreinte de douleur et de spiritualité, puisque
c’est à cette époque (1862-1868) que Liszt se retirera, pour quelques années,
dans le monastère Madonna del Rosario à Rome, où il
recevra les ordres mineurs. Initialement composé pour chœur, orgue et grand
orchestre, cet oratorio sera réécrit pour chœur et piano seul, dont sont
extraites huit parties pour piano solo, présentées sur ce disque. Superbe
interprétation de Nicolas Horvath qui sait laisser place à la musique, ne
sombrant jamais dans une vaine et quelconque virtuosité, exaltant par son jeu
toutes les facettes de cette partition complexe, véritable parcours
initiatique. Tour à tour orchestral ou confident, son piano, toujours juste et
expressif, sait respecter les silences et les articulations pour donner à cette
œuvre toute sa beauté, parfois aride, et sa transcendance. Un disque rare et
indispensable à tous les amoureux de Franz Liszt.
Patrice Imbaud.
Carlo
TESSARINI : Sonates
pour violon & clavecin. Marco Montanelli,
clavecin. Ensemble Guidantus, violon et dir. : Marco Pedrona. 1CD
Calliope Records : CAL1208. TT : 64’11.
Après l’intégrale des Concerti pour violon Op.1, publié l’an passé, le label Calliope
poursuit l’exploration de l’œuvre de Carlo Tessarini (1690-1766) avec, cette fois, les Sonates
pour violon & clavecin. Un disque qui a le mérite de nous permettre
d’écouter ce compositeur vénitien peu connu, qui aurait été l’élève de Vivaldi
et Corelli, avant de parcourir l’Europe, sans que ses compositions n’atteignent
au niveau de celles de ses maîtres. Une musique claire, parfaitement
interprétée par Marco Pedrona et Marco Montanelli, qui manque trop, toutefois, d’âme, d’allant et
de génie pour emporter notre totale adhésion et éveiller notre intérêt. Pour
amateurs aventureux de musique baroque ! Une curiosité, sans plus !
Patrice Imbaud.
Ludwig
van BEETHOVEN : Con intimissimo sentimento. Quatuors à cordes op. 18, n° 6, et op.
132. Quatuor Terpsycordes.
1CD Ambronay Editions. AMY037. TT : 60’07.
c'est un choix particulièrement judicieux
que d’associer, sur ce disque, le Quatuor
à cordes n° 6 de l’opus 18 et le Quatuor opus 132, de Beethoven. Deux
compositions séparées par vingt cinq années dans le
temps, mais unies par une fascinante parenté, faite à la fois d’exaltation
intense et de mélancolie profonde. Beethoven n’a abordé le genre du quatuor à
cordes que tardivement. Peut-être craignait-il l’ombre encore envahissante de
Haydn ou de Mozart ? Aussi, écrit-il en 1801, dans une lettre adressée à
Karl Amenda : « Maintenant, seulement, je sais écrire des
quatuors corrects ! ». Une longue maturation pour le résultat
extraordinaire que l’on sait, puisque Beethoven révolutionnera l’histoire du
genre, traçant, dans ses compositions, le chemin d’un classicisme parfaitement
assimilé à une vision avant gardiste d’une étonnante
modernité. Le Quatuor n° 6 est le
plus original des quatuors dédiés au prince Lobkowitz,
composant l’opus 18 (1798-1801), par la présence singulière d’un quatrième
mouvement intitulé Malincolia,
chargé d’émotion, d’accablement et de dissonances. Celui-ci fait le lien avec
le Quatuor de l’opus 132, plus tardif
(1825), où Beethoven abandonnera toutes références au passé, affirmant
délibérément une liberté compositionnelle qui lui est toute personnelle, faite
de souffrance et d’espoir, « con intimissimo sentimento ».
Le jeune quatuor suisse Terpsycordes joue pour cet
enregistrement quatre instruments des luthiers français du XIXe siècle,
Jean-Baptiste et Nicolas-François Vuillaume, montés
sur cordes en boyau, d’une magnifique sonorité. Leur interprétation ne souffre
aucun reproche : elle est brillante, sensible, homogène, équilibrée. Un
régal !
Patrice Imbaud.
Giovanni Battista PERGOLESI : Septem verba a Christo in cruce moriente prolata (Les Sept
paroles du Christ expirant sur la croix). Sophie Karthäuser,
soprano, Christophe Dumaux, contre-ténor/ alto,
Julien Behr, ténor, Konstantin Wolff, basse. Akademie für Alte Musik Berlin, dir. René
Jacobs. 1CD Harmonia Mundi : HMC 902155. TT.: 80'33.
Non, Pergolèse n'a pas écrit que le seul Stabat
Mater! On vient de redécouvrir, ou plus exactement d'attribuer avec
certitude à l'auteur, une pièce majeure vocale, que Hermann Scherchen, dans les
années 50, considérait déjà comme un chef d'œuvre. La découverte d'un nouveau
manuscrit, en 2009, dans l'abbaye de Kremsmünster,
en Autriche, a parachevé des années de
recherches. Ce disque en livre la primeur. Les sept paroles du Christ
expirant sur la croix est un œuvre puissante : un « oratorio méditatif
et didactique » souligne René Jacobs. Le cycle de sept cantates, de deux
arias chacune, le cas échéant précédées d'un court récitatif : celui de Jésus
sur la croix, confié à la basse (et dans un cas, au ténor), et de l'Anima, l'âme pieuse qui
écoute avec ferveur, distribuée ici à la soprano, à l'alto ou ténor. Il s'agit
d'un « dialogue rhétorique », dit encore Jacobs, qui discerne dans
cet ensemble une structure symétrique, en forme d'arche. L'orchestration est
riche, et offre des combinaisons inhabituelles chez Pergolèse : cor solo,
trompette en sourdine, accompagnement de violoncelle. Les arias sont bâties sur
la forme da capo, mais enrichie, dans certains cas, lors de la reprise, de
diverses sections ornées. Le « verbum II »,
« En vérité je te le dis : aujourd'hui tu seras avec mois dans le
Paradis », distribue le Christ à la voix de ténor, avec un accompagnement
de harpe, et l'aria suivante d'Anima, s'accompagne de la viole de gambe. Le
« verbum III », « Femme, voici ton
fils, voilà ta mère » offre quatre numéros, deux récitatifs et deux arias.
Celle de la soprano, avec cor solo, est puissamment charpentée à l'orchestre et
exigeante pour la voix : les première et dernière sections sont exaltées. Au
« verbum VI », « Tout est
accompli », l'aria d'Anima fait penser au Stabat Mater. On ne
saurait imaginer direction plus inspirée que celle de René Jacobs, dont on
perçoit l'empathie avec ce texte, et sonorité plus souveraine que celle de l'Akademie für Alte Musik Berlin, dont on sait l'affinité avec le
répertoire baroque. Et cette incursion, nouvelle pour eux, dans la musique
napolitaine, est tout aussi révélatrice : la qualité des inflexions, le phrasé,
y sont magnifiques. Les solistes portent haut la partie vocale. Konstantin
Wolff nimbe la figure du Christ d'une douce émotion, que son timbre de basse
noble rend encore plus poignante. Sophie Karthäuser,
de sa voix de soprano éthérée, mais aussi vaillante, apporte le sentiment de
piété qui parcourt le discours d'Anima, comme le font aussi le ténor ductile de
Julien Behr, et le brillant contre-ténor Christophe Dumaux, deux superbes voix. Une découverte majeure !
Jean-Pierre Robert.
Giovan Battista VIOTTI : Concertos pour violon et orchestre Nos 22
& 24. Meditazione in preghiera. Camerata Ducale,
Guido Rimonda, violon et direction. 1CD Universal Decca : 476 5048. TT.: 62'29.
Viotti (1755-1824), virtuose et
compositeur, ouvrit la voie à la technique violonistique moderne. Sa vie fut
emplie d'événements hors du commun. Après des études à Turin, où il devient
maître à la chapelle ducale, il parcourt l'Europe dans les années 1780, il
s'arrête à Paris en 1782, où il joue au Concert spirituel, et sera en relation
artistique avec la pianiste Hélène de Montgeroult. Il
rejoint la cour à Versailles, en 1789, et deviendra, grâce à la protection de
Marie-Antoinette, l'impresario du Théâtre de Monsieur. Pour des raisons plus ou
moins politiques, il quittera la France, en 1792, pour rejoindre Londres, où il entamera une
carrière de directeur de théâtre, dont le fameux King's Theater, et rencontrera Solomon. Exilé quelques temps
après, en Allemagne, il revient à Londres, en 1801, puis de nouveau à Paris, en
1818, où il sera le protégé de Louis XVIII, qui en fera la directeur de
l'Opéra. Sa carrière d'impresario, et de soliste, ne l'empêchera pas de
composer : on lui doit, pour son instrument, une trentaine de concertos et
quelques 70 sonates de violon, outre des duos. Le présent disque, le premier
d'une série compréhensive des œuvres du maître italien, se concentre sur deux
concertos, dont le célèbre 22 ème. Dédié à Cherubini,
daté de 1803, quoique achevé bien avant la fin du siècle, il sera porté au
succès par Joachim, et à travers celui-ci, sera connu de Brahms, qui en
appréciera la qualité. Le vaste moderato initial, longuement introduit par
l'orchestre, livre une belle inventivité et un cantabile opératrique du soliste. Sa cadence est typique du style lyrique de l'auteur. L'adagio
renchérit sur cette veine, et développe une ample mélodie, tandis que l'agitato
final contraste : bien marqué et brillant, avec de forts écarts de rythmes à
l'orchestre, favorisant des ritournelles enlevées, et chez le soliste, habité
d'un brio certain, déjà tourné vers la sensibilité romantique. On y admire une
des spécificités de Viotti : la technique d'archet dite « alla
Viotti », associée aux rythmes pointés. Le Concerto n°24 a été composé à
Londres, en 1795. Là encore, le maestoso dure, à lui seul, autant que les deux
autres mouvements. Il débute de manière solennelle et libère un grand
dramatisme. Mais le soliste est gratifié d'une large mélodie. Le discours
alterne épisodes chantants et passages de bravoure, jusqu'à une cadence
brillante emplie d’innovations techniques et de traits inattendus, trilles
arrachés, moulinets, sollicitation du registre suraigu. En forme de romance
sans paroles, l'adagio livre un chant intense du violon, quelque peu théâtral,
et l'allegretto se fait presque humoristique, proche du dire rossinnien. On admire les échanges entre le violon et la
flûte. Guido Rimonda possède une sûre technique et
avec sa Camerata Ducale, se fait l'ardent défenseur
de ce langage brillamment expressif, non exempt de bagout. L'enregistrement
saisit de très près le violon, pas toujours confortable à l'oreille, lorsque
sous tension extrême.
Jean-Pierre Robert.
Franz SCHUBERT : Sonates pour piano N°16, D
845, en la mineur & N° 21 D 960, en si bémol majeur. Maria João Pires,
piano. 1CD Universal DG : 477 8107. TT .: 83'24.
Maria João Pires revient aux classiques
viennois, et à son cher Schubert. Elle unit deux sonates d'envergure. La Sonate
D 845, de 1825, est dédié à l'Archiduc Rodolphe, pour qui Beethoven écrira plus
d'une pièce, et entre autres, son fameux trio, ou la Sonate pour piano « Hammerklavier ». Ses deux premiers mouvements sont
vastes : un moderato d'une fantaisie proche de l'improvisation, où on perçoit
comme une obsession rythmique, ponctuée de mâles affirmations ; puis un
andante, en forme de thème et variations, le seul mouvement de ce type chez
Schubert, pour ce qui est des sonates de piano. Pires le prend très lent et
délié, ménageant habilement l'alternance des passages lents et plus animés. Il
s'en dégage une profondeur abyssale. La pianiste confère au scherzo, malgré son
âpreté, une fluidité et un rien d'aérien, qui contrastent avec le trio
élégiaque. Le finale est fiévreux et allègre. La Sonate D 960, dernière de la
trilogie ultime, défie les canons habituels, même chez Schubert. La sonorité
orchestrale du piano n'a jamais été poussée à un tel point d'évidence, et le
recours aux motifs répétitifs confère au discours un dramatisme extrême, que
renforce l'usage des silences. La pensée schubertienne se fait ambivalente à
plus d'un endroit, partagée entre sérénité et drame, joie et tristesse. Le
molto moderato, de plus de 20 minutes, est un monde, que Maria João Pires
aborde avec sagesse : il y a là une immense sérénité à travers cette vaste
architecture. Le mouvement lent, qui se place dans l'orbite du Winterreise, dévoile un drame plus que sous-jacent,
malgré le dépouillement de l'écriture. Le scherzo, « con delicatezza », est on ne peut plus aérien, là encore,
sous les doigts de Pires. Le finale se partage entre allégresse et drame. Pour
citer Schumann, à propos des dernières sonates « le flot musical et
mélodieux coule page après page, interrompu de place en place par quelque
remous plus violent, vite calmé ». On est séduit par la palette de
couleurs qu'apporte à ces deux sommets la pianiste portugaise, dans des
interprétations suprêmement pensées, certes différentes du classicisme d'un
Alfred Brendel, pas moins passionnantes.
Jean-Pierre Robert.
Charles-Valentin ALKAN : Œuvres pour piano. Nocturne op.22, en si majeur.
Barcarolle op. 65, n°6. « Chanson de la folle au bord de la mer »,
op.31, N°8. Grande Sonate op. 33 « les quatre âges ». Esquisses op.
63 N°4 « Les Cloches », N° 1, « Vision », N° 11, « Soupirs ». Pascal Amoyel, piano. 1CD La Dolce volta : LDV11. TT.: 67'29.
Alkan, « le Berlioz
du piano », selon Hans de Bülow, écrit une musique exigeante, qui demande
un fort investissement physique et intellectuel. Elle paraît proche de la
manière de Liszt. Et pourtant, ce musicien demeure inclassable, et d'une
étonnante modernité. La sélection de pièces, effectuée par Pascal Amoyel, est révélatrice de ses multiples facettes. La
Grande Sonate op. 33, de dimension colossale, près de trois quart d'heure, est
sous-titrée « les quatre âges de la vie ». Chacun de ses mouvements
déroule un parcours singulier qui, telles les phases de la vie, vont du plus
vite au plus lent. « 20 ans » débute par un thème galopant, en forme
de gammes agitées, pour s'achever, après moult épisodes, victorieusement.
« 30 ans » décline le mythe de Faust en une pléiade de séquences,
telles que « sataniquement » ou « impitoyable », ou encore
« avec délices ». L'inspiration est résolument lisztienne, quasi
symphonique aussi. Le morceau, lui-même divisé en quatre parties, est une vaste
digression sur les personnages de la saga faustienne. Le gigantisme de la
coulée projette au-delà des envolées de Liszt, le grave du piano sonnant comme
l'orgue. Cela restera extrêmement nuancé
toutefois, du fait de notations méticuleuses. « 40 ans », ou « Un
heureux ménage », livre la pastorale de la vie. Le discours respire un
naturel agréable, dans l'aigu du spectre sonore, à l'aune d'indications, là
encore évocatrices, « avec
tendresse et quiétude », ou « gentiment ». Il se fait élégiaque,
la félicité des jours heureux. Avec « 40 ans », marqué extrêmement
lent, c'est la somme de toute une existence. Et sans doute plus que cela : pour Amoyel, le morceau « propose une véritable
lecture musicale de la mort ». Le mysticisme d'Alkan s'y étale, au fil de grandes interjection en accords dominateurs dans le
registre grave du clavier. Les autres pièces, courtes, forment un saisissant
contraste. Le Nocturne op. 22 est proche de Chopin et de son opus 32. La Barcarolle
op 65/6 renferme une audace harmonique, préfigurant Satie, et le sens de
l'immobilisme en musique qui le caractérise. La quête de l'étrange, autre
composante de l'univers d'Alkan, est illustrée par la Chanson de la folle au bord de la mer, et sa pédale de grave lancinante,
qui rend les traits de la main droite presque effrayants. Avec les Esquisses op 63, Alkan saisit l'instantané, le moment poétique,
dans « La Vision », le trait quasi impressionniste, avec « Les
Soupirs ». Pascal Amoyel, enthousiaste
ambassadeur du compositeur, est en empathie évidente avec un langage fascinant.
Bel enregistrement, clair et et présent, capté à
l'Arsenal de Metz. A découvrir absolument !
Jean-Pierre Robert.
'Anniversaire Verdi!'
« Viva Verdi ».
Giuseppe VERDI : Ouvertures et Préludes de I Vespri siciliani, Alzira, La traviata, Il corsaro, Nabucco, Jérusalem, Giovanna d'Arco, Aida, Macbeth, La forza del destino. Airs de ballet tiré de Jérusalem. Filarmonica della Scala, dir. Riccado Chailly.
ICD Universal Decca : 478 3559. TT.: 73'55.
Il est fascinant d'étudier le schéma du
morceau introductif qu'est, chez Verdi, l'Ouverture, auquel on ne prête
peut-être pas toujours une grande attention lors de la représentation. Riccardo Chailly, année Verdi oblige, en a réuni une poignée,
des plus connus aux moins fréquentés. Selon Gilles de Van (« Verdi, un
théâtre en musique », Fayard), on distingue en la matière deux formes : le
Prélude, court, de construction libre, souvent un pot-pourri des thèmes de
l'œuvre, et directement relié à l'opéra ; et la Sinfonia,
morceau symphonique plus long, plus structuré, nettement séparé de l'acte qui
suit. Quoi qu'il en soit, cette pièce introductive n'est, pour l'auteur Falstaff, nullement quelque chose de rajouté, encore moins de gratuit, mais
bien une « occasion théâtrale » (ibid.). Au titre des Sinfonia : celle de Nabucco introduit le thème
fameux de la fresque chorale « Va pensiero »,
celle de Giovanna d'Arco, agitée dans son tutti, hésite entre anxiété et
pastorale, à l'aune du dialogue flûte, hautbois et clarinette qui la traverse.
Dans La forza del destino, elle établit le climat romanesque qui baignera
tout l'opéra, et dans I Vespri siciliani, bâtie sur le modèle rossinien, sont
dévoilées les diverses étapes du drame. D'autres pièces, ou préludes, ont pour
fonction d'établir un climat expressif : Il Corsaro,
la tempête physique et morale, Macbeth, les deux pôles du mal et de la
soumission, La traviata, le cheminement, en
sens inverse d'ailleurs, de Violetta. Riccardo Chailly ne lésine pas sur la qualité de ces pièces, dont il joue tour à tour le
glorieux panache ou l'atmosphère suggestive. La clarté de la texture est
soulignée, comme l'impact dramatique, telle la scansion tranchée rigoureuse de
la sinfonia de Nabucco. Celle de La forza del destino est un exemple topique du drame dévastateur qui va suivre : passé les trois
accords, rapides, s'instaure un tempo soutenu, s'emballant jusqu'à un
étourdissant prestissimo final. À l'inverse, les cordes extatiques du Prélude
d'Aida introduisent un vrai climat oriental, et les tutti sont
annonciateurs des pompes à venir. A cette collection, Chailly a ajouté le ballet de Jérusalem, sorte de pot pourri dans se diverses entrées, plus convenu que celui de Macbeth par exemple. Bien que ne figurant pas au nombre des pages mémorables de Verdi,
on y trouve de belles formules : la flûte du « Pas de deux », la
harpe et le concertato des bois dans le « Pas
solo ». Est-il orchestre plus désigné pour jouer ces pièces que la Filarmonica della Scala ! À la
couleur des vents, bois savoureux, cuivres resplendissants, fait écho la « plastique » des
cordes.
Jean-Pierre Robert.
Vincent d'Indy : L'Etranger. Opéra en deux actes. Livret du compositeur.
Cassandre Berthon, Ludovic Tézier, Marius Brenciu, Nona Javakhidze,
Bénédicte Roussenq, Franck Bard, Fabienne Werquin, Pietro Palazy, Florent Mbia. Chœur de Radio France, Chœur d'Enfants Opera Junior. Orchestre National de Montpellier Languedoc-Rousillon, dir.
Lawrence Foster.
Créé en 1903, à La Monnaie, le troisième
opéra de Vincent d'Indy, L'Etranger, a vite sombré dans l'oubli, à cause
de la faiblesse de son livret, assure-t-on. Ne serait-ce pas plutôt en raison
d'un sujet ambivalent, imaginé par d'Indy lui-même : une tranche de vie, sans
action palpitante, qui bascule dans le drame sacrificiel, à connotation
mystique. Les symbolistes ne sont pas loin. Wagner non plus. Car il y a du Hollandais volant, voire du Parsifal, chez
cet Étranger, dont le splendide isolement est revendiqué, pour s'exclure
lui-même de l'amour impossible d'une jeune beauté, de loin sa cadette. Et il y
a quelque Senta dans celle-ci, qui se jette dans ses bras, obnubilée, tel le
papillon par la flamme. Il n'a pas de nom, il est « celui qui rêve »,
être à la « destinée étrange », qui lâchera « j'ai
démérité », avant de s'éloigner. Elle lui demande de se nommer, mais elle
sait qu'il est celui qu'elle attend. Ils périront tous deux engloutis par les
flots d'une mer qu'elle aura tant su invoquer. L'homme d'Indy est sans doute
proche de cette thématique, lui dont Romain Rolland souligne le
« caractère gothique », fruit de la Scola cantorum,
mystique lui-même. Le langage musical, qu'on reconnaît vite, comme celui de
Franck, est résolument symphonique. Il décrit la tempête qui s'empare des âmes,
plus que celle surgissant des éléments, fort hauts en couleurs toutefois. Il y
a là des accents wagnériens discernables. Et une riche harmonie qui
n'appartient qu'à la veine française. On pense à Koechin.
L'écriture vocale est exigeante, tendue souvent à l'extrême. La présente
exécution, captée live, en juillet 2010, au Festival de Radio France
Montpellier, est une première au disque. Elle est valeureuse. Elle est dominée
par Ludovic Tézier dans le rôle-titre, qui appartient
à cette ligne des grands barytons du répertoire français flattant une émission
claire et une coulée sombre à la fois. La diction éloquente et la justesse de
ton du chanteur apportent à cette figure tutélaire une aura de grandeur.
Cassandre Berthon se mesure avec aisance au personnage de Vita, qui subit en si
peu de temps théâtral, une mutation singulière : la jeune amoureuse promise à
la révélation, ce que mettent en exergue ses deux invocations à la mer
consolatrice, peu aisées à mettre en perspective. Le dialogue qui les réunit,
au second acte, est névralgique. Marius Benciu,
desservi par une intonation quelque peu étriquée, ne parvient pas à animer la
partie, il est vrai délicate, du jeune amoureux délaissé. Les chœurs et
l'Orchestre de Radio France Montpellier
font de prouesses pour donner vie à une partition à certains égards fascinante.
Ils sont portés à blanc par Lawrence Foster, un chef qui sait ce que musique
française veut dire, si l'on en juge par ses interprétations de la musique de
Georges Enesco.
Jean-Pierre Robert.
« Fauré &
Saint-Saëns : œuvres pour violon et orchestre ». Camille
SAINT-SAËNS : Introduction et Rondo capriccioso en la mineur op 28. Concerto pour violon et orchestre N°1, en la majeur op 20. Romance pour violon et orchestre en do majeur, op 48. Gabriel FAURE : Pelléas et Mélisande, suite op 80. Berceuse op 16. Deborah Nemtanu, violon. Orchestre de chambre
de Paris, dir. Thomas Zehetmair.
1 CD Mirare : MIR 193. TT.: 50'.
Ce CD est le premier enregistrement
effectué par Thomas Zehetmair à la tête de
l'Orchestre de chambre de Paris, dont il préside désormais aux destinées. S'y
ajoute le rôle de soliste confié à
Deborah Memtanu, violon solo super soliste. Il marque
aussi un rencontre artistique essentielle entre le maître, Saint-Saëns, et
l'élève, Fauré. Du premier, l'auteur de Pénélope dira « ce fut
Saint-Saëns qui, par ses encouragements continus, m'empêcha de
m'engourdir ». Une solide amitié artistique unira les deux hommes. On
admire dans Introduction et Rondo capriccioso, la maîtrise formelle et la suprême écriture pour le violon. Le Concerto pour
violon N°1, offre la spontanéité d'une œuvre de jeunesse. En un seul mouvement,
il focalise d'emblée sur le soliste. La partie violonistique est franche, avec
juste ce qu'il faut de brillance. La section médiane est réfléchie, dégageant
une veine mélodique simple, coulante. Les pages finales ne se départiront pas
de ce calme qui affleure tout au long d'une œuvre dont Deborah Nemtanu souligne « le caractère très touchant, à la
fraîcheur inépuisable ». On n'y trouvera pas de conclusion grandiose.
Enfin, la Romance pour violon op 48 offre équanimité et une dose de
naïveté dans les traits orchestraux sous-tendant l'envolée du soliste. La
délicatesse du jeu de Deborah Nemtanu y fait
merveille. C'est tout autant le cas dans la Berceuse de Fauré. Cet opus
16 livre une de ces mélodies dont le doux balancement ravit l'auditeur, et que
Fauré distille avec un secret plaisir, en l'enjolivant de subtiles
métamorphoses. Il écrira son Pelléas et
Mélisande, en 1898, donc avant que Debussy ne s'attèle à la composition de
son opéra. Ce fut, à l'origine une musique de scène pour la représentation de
la pièce de Maeterlinck au Prince of Wales Theater de Londres. Thomas Zehetmair l'aborde de manière très retenue. Le mystère
poétique de « Prélude » dégage un son plein. « Fileuse » a
une fluidité mettant en valeur le génial contrepoint imaginé par l'auteur. La
délicate « Sicilienne », parée de la cantilène de la flûte, est un
oasis de clarté, avant que « La mort de Mélisande » n'installe une cérémonie
funèbre, quelque peu soulignée ici dans la construction des climax.
Jean-Pierre Robert.
« Poème
mystique » Ernest BLOCH : Sonates pour violon et piano N °1,
« Poème mystique » & N° 2. Nigun, tiré de Baal Shem. Arvo PÄRT : Fratres (version pour violon et piano). Elsa Grether, violon, Ferenc Vizi, piano. ICD Fuga libera : FUG711. TT.: 64'50.
Ernest Bloch (1880-1959) a composé
plusieurs œuvres pour violon et piano. Ses deux sonates appartiennent à sa
période dite américaine, alors qu'il était directeur du Conservatoire de
Cleveland, puis de celui de San Francisco. Elles forment un diptyque
complémentaire, d'ailleurs contrasté : deux visions d'un monde, d'une part, tel
qu'il est, d'autre part idéalisé. La première, datant de 1920, est audacieuse
pour son époque, et fut incomprise, malgré le talent de ses créateurs Pavel Kochanski et Arthur Rubinstein. Bloch avouera qu'elle est
« tourmentée ». C'est en réalité peu dire. L'« agitato » initial est agressif,
traits hachés du violon, dans le grave, accords plaqués du piano dans le
médium. Diverses tentatives d'apaisement demeureront vaines, tant la course
reprend inexorablement, telle l'affirmation d'un climat fiévreux. Le
« molto quieto », qui se veut d'un calme
« tibétain », évoque un monde lointain, le discours du violon se
faisant plus amène, presque confident, quoique s'orientant vers un sommet
passionné d'intensité. Le finale, « moderato », l'est par euphémisme,
car il débute par une marche bien soutenue, d'un geste ample : le violon
parcourt les extrêmes, et son interprète soumis à rude épreuve tant la lutte
est intense. Un épilogue « lento assai » ramène enfin à la paix. Le
climat qui baigne la seconde Sonate (1924), est plus détendu. Elle possède une
dimension spirituelle, qu'annonce son sous-titre de « Poème
mystique ». D'un seul tenant, de facture rhapsodique, elle alterne en ses
quatre parties, animato et andante moderato. Le mélodisme juif de Bloch y est en évidence, comme d'ailleurs, l'utilisation du plain-chant
grégorien. La coulée du violon restera toujours ardente, souvent cantonnée dans
l'aigu de l'instrument. Cette veine « juive », caractéristique du
compositeur, qui pour autant n'utilise pas les mélodies traditionnelles
hébraïques, on la trouve de manière plus évidente dans la pièce Nigun (improvisation), deuxième volet du cycle
« Baal Shem, trois images de la vie chassidique », de 1923. Le langage y est
volontairement plus accessible que dans le cas des sonates, pas moins tendu
cependant. Cette pièce a assuré à son auteur un succès immédiat, presque
encombrant. Elsa Grether, qui dit être tombée sous le
charme de ces musiques, en assimile le style avec aplomb. La sonorité est
chaude et le trait net. Et si le registre aigu paraît de temps à autre
inconfortable, la faute en revient à l'enregistrement, et non au jeu de la
violoniste. Son partenaire, Ferenc Vizi, a tout
autant d'envergure, et de tact. Ils ont juxtaposé Fratres de Arvo Pärt (*1935),
dans la version pour violon et piano de 1980, dont l'atmosphère méditative
n'est pas éloignée de la ferveur de la seconde Sonate de Bloch. Le procédé
répétitif et les harmonies de cloches d'église sont pour beaucoup dans ce qu'on
appelle, chez ce musicien, un style de « tintinnabulation ».
Jean-Pierre Robert.
***
MUSIQUE ET CINEMA
POINT DE VUE : Dominique Lemonnier, une trafiqueuse de musiques et
d’images !
Un entretien à bâton rompu, déstructuré,
décontracté, incomplet, fait au Sélect, Boulevard Montparnasse à Paris, le 12
mars 2013 à 19h30, autour d’une bière blanche !
Pour les feignants : Dominique Lemonnier
est une femme de caractère, déterminée, volontaire, qui partage sa vie, sa
passion, pour la musique de film depuis plus de vingt ans avec le compositeur
Alexandre Desplat. Ils travaillent ensemble et ont créé en 1996 un quintette de
cordes assez original, le Traffic Quintet, (un quatuor classique avec une
contrebasse en plus), pour interpréter de la musique de film, celle du compositeur, mais aussi celles écrites par
d’autres artistes.
Regarde
les femmes monter !
« Je
suis née en Normandie, ma mère qui jouait bien du piano, m’a mise au piano très
tôt, mais à six ans j’ai voulu faire du violon et cet instrument ne m’a plus
quitté. J’étais une enfant douée… J’ai une passion pour les cordes… J’aimais
jouer dans des formations de musique de chambre. C’est toujours un grand
plaisir …Aujourd’hui j’adore mon Lupot,
un violon de 1821. Il a un son d’une telle légèreté, je ne pourrais pas m’en
passer. J’ai travaillé avec Christophe Coin, qui est aussi un normand. On est
de la même génération. J’ai participé au début de son ensemble Mosaïque. Près
de chez moi, il y avait un cinéma d’Art et Essai et je pouvais voir tout le
cinéma international, j’ai eu ainsi très tôt une culture cinématographique ».
« J’ai
étudié très jeune au Conservatoire, mais n’ai pas terminé mes études. Je
voulais prospecter tous les univers de la musique, du baroque au jazz en
passant par le tango. Je suis une aventurière, inclassable. J’ai pas mal voyagé dans ma jeunesse, suivi
l’enseignement de grands artistes comme Felix Galimir, célèbre violoniste qui
avait son propre quatuor et qui enseignait à la Julliard à New York, et aussi
Henri Temianka à Los Angeles J’ai joué
avec beaucoup de formations différentes aussi… Mais j’ai toujours refusé d’être
cantonnée dans un seul style, et lorsque j’ai commencé à faire des séances
d’enregistrement pour la musique de films, je devais avoir dix-huit ans, j’ai
aimé cette diversité. Avec des orchestres à géométrie variable, j’ai enregistré
pour Cosma, Legrand, Senia … J’étais assez mercenaire en fait. C’était une
bonne école : il fallait déchiffrer très vite, jouer avec dextérité car on ne
pouvait pas se permettre de faire beaucoup de prises. Le temps dans les studios est précieux. J’ai même joué de
la variété…violon et voix dans le tube de Morena, musique de Desplat, « Oh
Mon Bateau ! ». Je me suis bien amusé à participer à ce genre
d’exercice, même s’il n’y avait pas beaucoup d’argent. J’ai joué avec
l’Orchestre Philharmonique de Radio France très régulièrement, et pendant des
années, mais comme je n’étais pas
titulaire, ça me laissait le choix de refuser et de jouer ailleurs. C’est là
que j’ai connu certains des musiciens du Traffic, le violoncelliste Raphaël
Perraud , la violoniste Anne Villette, avec qui j’ai joué du tango et du
Jazz , l’altiste, Estelle Villotte, pendant des séances d’enregistrement
de variétés et de musiques de films, ainsi que le très prolifique contrebassiste Philippe Noharet ».
« Ma
rencontre avec Alexandre s’est faite un dimanche d’Août chez Coluche, qui très
généreux, avait prêté son propre studio d’enregistrement. C’était pour la
deuxième musique de film d’Alexandre, Le Souffleur de Franck Le Witta. Alexandre a apprécié ma sonorité, mon
énergie, ma vitesse d’adaptation, comment je pouvais changer de timbre, de
vibrato. A l’époque, il était assez craintif du romantisme excessif parfois des
cordes, et les connaissait mal. Il est flûtiste de formation , a suivi la classe d’ analyse musicale de Claude
Ballif. Les vents, il adore. A 17 ans il était flûtiste à la Fanfare des Beaux-Arts !
Il adore les spectacles des clowns, la musique burlesque, les fanfares… »
« Cette rencontre a été essentielle pour nous et nos conceptions musicales. J’ai eu avec lui un rôle d’éclaireur pour écrire sur les cordes, comment les traiter, leur tordre le cou, les déplacer de leurs fonctions initiales. On s’est beaucoup amusé à chercher, à passer des nuits à trouver le son qui allait correspondre, lui au clavier, moi au violon. Il y avait des budgets si petits que je faisais parfois dix-huit pistes de violon par exemple, et si un copain violoncelliste passait, il nous faisait une piste. La musique était écrite évidemment, mais tout cela était très expérimental, un laboratoire d’idées sonores avec lequel on a pu progresser »
« Il
a composé la musique des sketches de Karl Zéro pendant des années. Il en
écrivait de dix à trente par semaine, une école formidable, incroyable. On
allait dans des petits studios à un, à deux, à trois, musiciens, et on y
passait la nuit. On travaillait en permanence »
« Aux
États-Unis, le statut de compositeur de film est un statut de star. En France,
on n’a pas cette veine musicale qu’il y a dans les pays anglo-saxons. La
rencontre avec Jacques Audiard est assez exceptionnelle car il aime la musique,
ses films sont des films musicaux. Pour la musique d’Un Héros Très Discret, Jacques a demandé à filmer les musiciens du
quintette »
« 1996,
c’est la naissance du Traffic Quintet. Le nom de Traffic c’est pour tout
trafiquer, ne pas garder la structure des compositions pour quatuor,
transformer les rôles de chacun : le violon peut faire la basse, pas de second
violon en retrait, la basse va jouer le thème… On se permet tout, trouver des
sonorités nouvelles, aborder les thèmes sans à priori. J’avais entendu le
Kronos quartet bien avant qu’il arrive sur le marché français. J’ai eu tout de
suite beaucoup d’admiration pour ce quatuor qui a cassé les codes, je m’en suis
inspirée »
« C’est
seulement en 2005 que nous avons fait notre premier spectacle. Alexandre aimait tous ces compositeurs de la
nouvelle vague, donc notre premier spectacle s’est appelé Nouvelles Vagues avec la musique de Delerue, Duhamel et des compositeurs qui ont marqué cette époque, comme
Morricone, Gato Barbieri, avec Le dernier Tango, Jarre et aussi Desplat, les
deux films d’Audiard. Alexandre a fait les transcriptions. Celles de Barbieri
ont été faites par Frédéric Verrières »
« Pour
le spectacle, je voulais mettre des images, faire un spectacle total, innovant.
J’ai rencontré le vidéaste Ange Leccia, qui n’avait jamais travaillé avec un
musicien. On a regardé ses bandes, j’ai choisi des images. J’étais très timide
face à son travail, un peu retenu. Je ne voulais pas de référence
cinématographique, j’ai juste mis un peu Bardot en boucle. On a travaillé des
heures pour retravailler ses images, les caler sur la musique, une sorte
d’élucubration d’images nouvelles souvent abstraites. Je voulais que le
spectacle de Traffic quintet soit un échange entre musique et art contemporain.
Certains spectateurs étaient complètement perdus, ne comprenaient rien :
Pourquoi mets-tu des images ? La musique est tellement belle, elle se
suffit à elle-même. Sur ces musiques connues, ils voulaient voir Belmondo,
Bardot, Moreau. On n’aimait pas, et moi je répondais : c’est le principe du
Traffic quintet, 'vous ne les aimez pas, désolée !' On a présenté le
spectacle un peu partout… »
« Le
deuxième projet ce fut Divine Féminin,
spectacle des femmes sacrificielles, moins accessible au niveau de sa
conception, autour de Médée, quatre tableaux, chacun s’ouvrant sur un fragment
de « Medea Material » issue de l’opéra de Pascal Dusapin. Des portraits de
femmes Sharon Stones, Janet Leight, Marylin Monroe, Virginia Woolf-Nicole
Kidman et la musique de Goldsmith, Glass, Herrmann, Virgin Suicides et Air, et
puis la Callas, la Médée silencieuse de Pasolini. C’est cette figure musicale
qui constitue le fil rouge de Divine Féminin, drame en quatre tableaux. Femmes assassines, profondes, perdues…
Alexandre voue une grande admiration pour Alex North et nous a fait une superbe
transcription des Misfits. J’avais envie de décliner les toiles de Jacques
Monory. Alors avec Ange on est allé les filmer dans son atelier, puis les
transformer. J’étais là, à l’image et au son, une trafiqueuse de sons et
d’images. Les musiciens ensuite ont vu la bande image, puis on a appris à se
synchroniser à l’image seconde, ce qui parfois donne un coté magique au
spectacle, car je n’ai pas de clic ni de time code »
« Le
suivant, Eldorado, est aussi une
commande de la Cité de la musique. C’était autour du rêve américain. Là, à
cause de petits ennuis de santé, j’ai pris un film qui existait de mon ami
vidéaste, Gold, sur l’ouest américain, et on a interprété des compositeurs
américains, Greenwood, Goldsmith, Duke Ellington, Philipp Glass, Herrmann,
Miles Davis, et un extrait de L’étrange Histoire de Benjamin Button de
Desplat… »
« Le
spectacle suivant, le prochain, toujours pour la Cité de La Musique, devait
être autour du cinéma français. Mais comme nous avions déjà joué et transcrit
les grands compositeurs français, j’ai proposé une monographie autour
d’Alexandre Desplat. Le cinéma français, c’est Paris, et Paris c’est
incontournable, c’est la Seine. Avec Ange on a donc filmé en HD des heures et
des heures les quais de la Seine. Puis on a passé beaucoup de temps à monter,
retravailler l’image pour présenter une heure quinze de film. Le spectacle du
24 mars 2013, à la Cité, se nomme Quai
de scènes. C’est une ballade romanesque sur les quais de Paris, sur les
musiques les plus emblématiques d’Alexandre. Il ne voulait pas faire les
arrangements, il était très gêné de retravailler ses œuvres, ce qui est normal.
C’est Nicolas Charron, bassiste à l’Opéra de Paris, qui a fait les
orchestrations, Alexandre y a mis sa patte…il a supervisé. Il y a trois références fugitives sur le
cinéma dans ce spectacle : « Les Amants du Pont Neuf » de Leos Carax,
« Césarée » de Marguerite Duras, et « L’Eloge de L’Amour »
de Jean-Luc Godard… »
Violoniste exigeante Dominique Lemonnier
n’est surtout pas la femme dans l’ombre de son mari et compositeur Alexandre
Desplat. Elle est le violon solo de la
plupart de ses compositions, et sur les projets enregistrés à l’étranger elle
se transforme en booth producer.
« Avec
Alexandre nous sommes des Etats associés et non colonisés. On a des espaces
proches et différents ! »
Avec Traffic Quintet, elle donne à la
musique de film une autre dimension en l’associant à des projets artistiques
inattendus, une autre manière de la faire exister et connaître.
Le téléphone sonne…Que fais-tu ?
J’arrive…Alexandre s’inquiète que sa collaboratrice ne soit pas encore à la
maison? Il est près de 21heures…
« Vous allez en faire quinze lignes de tout
ça » me dit-elle en partant…en souriant…
Pour
finir en musique, on peut toujours écouter les deux disques qui ont été
enregistrés, hélas sans les images trafiquées :
TRAFFIC
QUINTET « Nouvelles Vagues » Naïve V 5093
TRAFIC QUINTET « Divine Féminin »
Galilea Music / Universal n° 476419-9
Ainsi qu’une compilation DESPLAT /AUDIARD
Play Time/ FGL Productions n°Pl 0605102
Propos recueillis
par Stéphane Loison.
EXPO
Exposition Musique & Cinéma
« Le mariage du siècle ? » à la Cité de la musique, à Paris.
Je
ne suis peut-être pas très objectif pour parler de cette exposition. Allez-y,
c’est sûr qu’elle est passionnante ! Maintenant est-ce qu’elle peut
intéresser un public lambda oui et non ? Je m’explique : savoir que Rota et
Fellini, Desplat et Audiard, Herrmann et Hitchcock, Horner et Cameron, Elfman
et Burton… sont des couples compositeur/réalisateur qui ont toujours travaillé
ensemble, est-ce essentiel ? Je ne le pense pas. Voir une partition et une
feuille de mixage pas plus, sauf pour les amoureux du cinéma, et surtout ceux
qui apprécient vraiment la musique de film. Savoir comment celle-ci est
composée, mixée, on peut très bien ne pas être intéressé, et on peut le
comprendre. Bref, je veux dire que le côté pédagogique et historique, qui est
l’axe de cette exposition, peut être rébarbatif, même vieillot et nostalgique ;
une expo pour les happy few. On sent
trop le spécialiste. Par contre, ce qui est novateur, et qui plaira, c’est le
côté interactif. Voir et entendre une scène avec une musique connue
(« 2001 Odysée de l’Espace » par exemple), puis voir cette même
séquence avec la musique originale écrite pour le film, et que le réalisateur a
refusée, là c’est passionnant. On voit comment le climat d’une séquence peut
changer grâce à l’apport d’une musique (Herrmann et le Rideau Déchiré :
Hitchcock ne voulait plus de Herrmann, et la séquence choisie est muette dans
le film). On peut, sur une séquence de « Sur mes Lèvres » d’Audiard,
jouer au mixeur et faire entrer tels ou tels sons ou musique à sa guise. La
scénographie est sympathique, les séquences vidéo intéressantes. Mais ce qu’on
entend et qui retient l’attention, c’est le montage de génériques avec leurs
musiques devenues célèbres, ou peut-être inconnues par les visiteurs, mais qui
interpellent. On va de « Breakfast at Tiffani » à
« Vertigo », en passant par « Do the Right Thing », avec un
réel bonheur. La musique envahit l’espace. Il y a beaucoup de vidéos ainsi que
des interviews. Mais le clou de l’exposition, et qui attirera du monde, se
trouve au sous-sol, là où des extraits de films et leur tube musical sont
projetés sur trois immenses écrans avec explication vidéo sur le titre du film,
le compositeur, le réalisateur et l’année. Films français, américains,
japonais, chinois, argentins, russes, coréens, italiens… une heure de musiques
originales ou classiques magnifiques ! C’est par là qu'il faut commencer
l’exposition. Puis si on a envie de comprendre comment se réalise cette magie
images /sons, il faut entrer dans l’expo
elle-même. Quand au mariage du siècle, il faut aller voir Blancanieves, toujours à l’affiche, pour comprendre le rôle important de la musique dans
l’histoire du cinéma dès ses débuts.
Renseignements :
Cité de la musique, Boulevard
Jean-Jaurès, 75019 Paris. Jusqu'au 18 août 2013.
Stéphane
Loison.
CONCERTS
Concerts à la Cité de la musique, dans le cadre de l'Exposition
Musique et cinéma.
Film
Noir : Stéphan Oliva,
piano, Philippe Truffault, vidéaste
Stephan Oliva s’est distingué comme
pianiste de jazz dans les années 90. Il a joué en solo et en trio avec des
musiciens comme Paul Motian, Marc Ducret, Bruno Chevillon. Il a apprécié
improviser sur des thèmes de musiques de film connus, et jouer ses propres
compositions. C’est en l’écoutant que Jacques Maillot lui a proposé de composer
la musique de ses films « Froid Comme l’Eté » et « Frères de
Sang ». En 2010, avec son album Film
Noir il a revisité les musiques du cinéma dit « noir » américain
comme « Laura », « La Soif du Mal », « Vertigo »,
« Le Baiser du Tueur », « Assurance sur la Mort »,
« The Asphalt Jungle »… Lors du concert du 21 mars, il a repris tous
ces thèmes au piano et a improvisé face à des séquences choisies de ces films.
Philippe Truffault a manipulé, déstructuré ces images en direct. Procédé
répétitif, doublage de l’image, floutage, ralentissement, grossissement,
recadrage, toute une palette visuelle nous est proposée par ce
vidéaste-réalisateur-directeur artistique qui s’est occupé en son temps de
l’habillage de La Sept, avant que cette chaîne devienne Arte. Les premières
quinze minutes furent lénifiantes au niveau musical, malgré les superbes thèmes
de John Lewis, Raksin, Rozsa, Tiomkin, Waxman, du « lourd »
hollywoodien. Les improvisations d’Oliva n’étaient pas très inventives, et mes
voisins somnolaient silencieusement. Avec le portrait de Robert Ryan et les
images de « La Nuit du Chasseur », le pianiste s’est révélé plus
inventif, peut-être lui fallait-il un moment pour être dans le noir ? Avec
le magnifique thème de « Vertigo », de Herrmann, et le travail sur
l’image de Truffault sur la scène du pseudo suicide face au Golden Gate Bridge,
le spectacle prenait la bonne direction, celle de nous entrainer dans un espace
onirique. Les images allant jusqu’à l’abstrait nous plongeaient dans un univers
fantasmagorique, un mash-up réussi. Le pianiste, inspiré, avait des accents à
la Bill Evans. Le mariage de la musique et de l’image fut réussi avec la
dernière séquence, un peu courte, un hommage à Gene Tierney, l’inoubliable
Laura sur une composition de Stéphan Oliva. A la sortie, certains auditeurs n’appréciaient pas ce genre
d’exercice : « Spectacle pour des connaisseurs ! »,
« Trop élitiste ! » « Pourquoi trafiquer
l’image ? » « On ne savait pas quelle musique on écoutait et
quel film on regardait ! On était perdu, ça ne nous a pas plu »,
« La Cité de la Musique n’est pas faite pour nous ». Tout n’est pas à
rejeter dans ces avis. Pour regarder ce genre de spectacle, et pour l'apprécier
pleinement, il faut effectivement une certaine éducation musicale et
cinématographique, ou alors pouvoir se laisser aller dans cet univers, cette
mise en abîme poétique. On accepte qu’en musique on puisse faire des
improvisations. On a encore du mal à accepter ce principe avec l’image. Et sur
l’écrit n’en parlons pas !
On peut écouter les deux disques qu’a
enregistrés Stephan Oliva, bien qu’ils furent édités en série limitée :
En 2007, Ghosts of Bernard Herrmann - Illusion ILL
313002
En
2010, Film Noir - Illusion ILL313005.
Stéphane Loison.
Hollywood
Mon Amour, de Marc Collin, en
concert, dans le cadre du cycle « Musique et Cinéma », A la Cité de
la Musique à Paris
Marc
Collin, direction artistique, claviers, Olivier Smith, basse, Sébastien Brun,
guitare, Liset Alea et Elogie Frégé, chant.
Marc
Collin est un électron libre, touche à tout dans la musique : il est
compositeur de pop de tous styles, de musique de film, arrangeur et producteur.
En 2008, il enregistre un album « Hollywood Mon Amour » où il reprend
les chansons les plus célèbres des années 80, et en fait des arrangements
pop-rock-cool wave. On peut y entendre Rocky,
Flashdance, Footloose, Mad Max, For your Eyes Only, Purple rain, American
Gigolo, A View to a Kill… Pour l’ouverture des concerts de musiques de films, la
Cité de la musique a choisi de demander à Marc Collin de jouer sur scène
l’album ainsi que d’autres thèmes. Pendant une heure son groupe propose ces
thèmes bien connus dans des arrangements originaux très éloignés de ceux de
l’époque. Le son est d’aujourd’hui, avec guitare saturée à la manière de Neil
Young, basse au son énorme, batterie très présente, et deux chanteuses bien en
place, vocalement et scéniquement. Le spectacle lumière est efficace, violent,
monochrome, variant à chaque morceau. Il n'y a pas de temps mort entre les
chansons et les intros guitare-clavier nous laissent pas loisir de reconnaître
les thèmes, car souvent ils ne sont pas pris dans le tempo original. « Flasdance » ou le tube
« cultissime » de « Rocky, »,
« Eye of the Tigger » pris avec un tempo lent, sont vraiment
méconnaissables de prime abord mais superbement exécutés. Le spectacle se
termine avec un arrangement délirant de « Gostbusters », où la guitare ne fait que suggérer le morceau
en jouant quelques notes accompagnées par des accords stridents. Les deux
chanteuses masquées disent les paroles et se roulent par terre. Un moment digne
d’un concert punk. Le public est ravi et en redemande. On pourra retrouver le
groupe de Marc Collin au mois d’octobre, au Louxor, ce futur grand complexe
cinématographique restauré, à Barbés Rochechouart dans le 18eme arrondissement
de Paris. Marc Collin aime le cinéma, cela se sent, et dans sa musique et dans
la mise en scène de ce spectacle. Une belle découverte pour les amateurs de BO.
Le
disque correspondant au spectacle est
sorti en 2008 : « Hollywood Mon amour », Marc Collin. Production The
Perfect Kiss. 1 CD Distribution Pias, n°135.
Stéphane
Loison.
BO en CD's
Pour
l’Oscar de la meilleure composition musicale 201, ont été nommés ANNA KARENINE de Dario Marianelli, ARGO d’Alexandre Desplat, LINCOLN de John
Williams, L’ODYSEE DE PI de Mychael Danna, SKYFALL de Thomas
Newman. Est-ce la meilleure qui
a gagné? Y’a-t-il des absents ? Tout est affaire d’écoute et de succès du
film. Les compositeurs de ces films sont tous les cinq très connus, ont déjà
reçu des prix, donc pas de grande surprise en général par rapport à leur
travail. Un trait commun : il y a de
l’exotisme dans toutes ces BO. Ces films sont faits pour l’international. Un
zest de folklore russe pour Anna Karenine, Moyen Oriental pour Argo ,
Franco- Indo-Moyen Oriental pour L’Odyssée, Chino-Oriental pour Skyfall et du
sud des E.U. pour Lincoln. Le problème
de ces musiques c’est qu’on a l’impression de déjà entendu.
ANNA KARENINE. Réalisation de Joe
Wright. Musique de Dario Marianelli. 1CD Decca Records / Universal
Dario
Marianelli est né à Pise le 21 juin 1663. Il est connu pour ses belles musiques
romantiques, il en a écrites plus d’une cinquantaine dont Les
Frères Grimm de Therry Gillian, Orgueil
et Préjugés (jouée au piano par Jean-Yves Thibaudet) et Reviens Moi de Joe Wright. Cette
dernière a reçu un Oscar bien mérité. En partant d’une valse à la manière de
celle de la suite « jazz » de Chostakovitch, Marianellei fait une
suite « thème et variations », comme souvent, selon les humeurs des
protagonistes et le déroulement de l’histoire : Variations avec grand
orchestre, petite formation, au piano, à l’accordéon, au violon en solo… Elles
passent du bonheur, aux accents tragiques, aux larmes. Le thème est beau, mais
trop ressemblant à celui du compositeur russe, ce qui gâche l’écoute du CD. Il
nous offre en plus quelques morceaux « folkloriques » chantés. Si
dans le film, la musique colle à la beauté des images et des costumes, sur un
disque le côté répétitif peut lasser. Le compositeur classique Rodion
Chtchedrine, contestable politiquement, avait fait une musique beaucoup plus
inventive dans le superbe film sur le même sujet, avec la magnifique Tatiana
Samoilova en Anna.
ARGO. Réalisation Ben
Affleck Musique d’Alexandre Desplat. 1CD
Watertower Music n°WTM39382.
Alexandre
Desplat est un des compositeurs les plus demandés aujourd’hui. Il est le
préféré de Jacques Audiard avec qui il a fait pratiquement tous ses films. La
musique de ce film est conforme à la réalisation : efficace. On est en Iran,
donc on commence avec une musique « exotique », et comme c’est un
thriller dramatique, une orchestration suggère ce qui va se passer dans la
suite du film. Le générique est parfait. « Argo » a eu un Oscar pour
le film : on peut se demander pourquoi, une affaire politique ? La musique
de Desplat, nommée, n’est pas sa plus originale. Il a eu plusieurs
orchestrateurs à son service. Elle ne restera pas comme une grande BO. Desplat
était à la cérémonie des Oscars, pensant peut–être qu’il avait une chance face
aux autres. Le jury a fait le bon choix avec celle de l’Odysée de Pi. Quand au César 2013 de la musique, pour de Rouille et d’Os, il n’y croyait pas
vraiment. Elle est tellement discrète qu’on peut se demander comment votent les
membres des Césars. Le générique du film est cependant magnifique, pas exploité
ensuite, dommage. Le moment musical avec l’orque, et Marion Cotillard, est du
grand Desplat. Il est, n’en doutons pas, un très grand compositeur, dans la
lignée des autres Français qui ont été reconnus, avant lui, à Hollywood.
LINCOLN. Réalisation de
Steven Spielberg. Musique de John
Williams.1CD Sony Classical n° 88725446852
Avec
ce genre de film à la gloire des Etats-Unis, John Williams, le plus grand
compositeur vivant de musique de film, écrit une musique dans la tradition des
studios hollywoodiens d’antan. Rien ne nous épargné dans la redondance, dans
l’explication de texte musical, surjouant la lenteur de la mise en scène, le
jeu des acteurs. John Williams, pour ceux qui connaissent sa musique, se plagie
sans cesse, nous offre une musique boursouflée, sans imagination, et ajoute à
l’ennui que procure le film. On est à l’écoute d'un mauvais Copland ! A
oublier très vite. Qu’il refasse du Tintin, où la richesse orchestrale et
thématique servait parfaitement le film. Peut-être que Lincoln ne l’inspirait
pas ?
L’ODYSSEE DE PI. Réalisation
d’Ang Lee. Musique de Mychael Danna.1CD Sony Classical n°88725477252.
Mychael Danna est un compositeur canadien.
Il obtient, en 1985, le prix de composition universitaire Glenn Gould. Il
compose pour le canadien d’origine arménienne, Atom Egoyan (magnifique musique
d’Exotica 1994). En 1997, il a déjà
travaillé avec Ang Lee sur Ice Storm, et a composé la musique de cette superbe
comédie Little Miss Sunshine de
Jonathan Dayton et Valérie Faris, et ce petit bijou de comédie douce-amère, 500 jours ensemble de Marc Webb. La musique qu’il a faite pour le
film The Imaginarium of Dr. Parnassus de Terry Gilliam est d’une grande originalité. Celle pour l’Odysée de Pi a été plusieurs fois récompensée. Elle est
intéressante à plusieurs niveaux. Par le choix des instruments et par la
conception harmonique des morceaux. On y trouve des thèmes
« exotiques » bien sûr, en premier lieu indien avec emploi de la
bansuri, cette flûte traversière caractéristique qui représente Pi, la sitar et
les percussions. Selon l’évolution du scénario, on retrouve des instruments
balinais tels que les gamelans, ou français avec l’accordéon, et pour le
Moyen-Orient, la flûte persane. Pour le côté « religieux », on entend
des chœurs, dont ceux d’enfants. Tous ces instruments sont employés avec
beaucoup d’astuce et de précision pour décrire les caractères représentés à
l’image, le déroulement des scènes et l’état d’esprit dans lequel le héros se
trouve au cours de son odyssée. Sans l’image, la puissance de la musique, les
leitmotivs représentant les personnages perdent de leur force. Le mélange
musical des thèmes « religions » est d’une grande beauté. Ce qui est attachant dans le travail de
Danna, est sa manière de mixer tous ces instruments et voix, qui procurent un
vrai plaisir auditif, même si les morceaux sont très courts. Il y aurait du
Maurice Jarre (inconsciemment) quelque part que cela n’étonnerait pas. Ensuite,
les intentions philosophiques, religieuses, sont-elles présentes à la seule
écoute du disque, on n’y crois pas. Mais le disque est très agréable à
entendre. Sur les cinq nommés, assurément la musique de Mychael Danna méritait l’Oscar.
SKYFALL. Réalisation de Sam Mendes. Musique de Thomas
Newman.1CD MGM/Columbia Pictures / Sony Classical n°88725446852.
Fils
du célèbre compositeur Alfred Newman, Thomas fait partie de la grande dynastie
Newman, musiciens d’Hollywood, avec le frère, la sœur, les cousins…La liste des
films auxquels il a participé est longue, depuis son premier film Reckless. Il a été très souvent nommé
(il est un des plus nommés), mais n’a toujours pas reçu la récompense suprême.
Il a déjà travaillé avec Sam Mendes pour American
Beauty. Faire une musique pour un James Bond est toujours un exercice de
style. John Barry y a mis son empreinte avec onze films à son actif – L'origine
du fameux thème est une chanson nommée Bad
Sign, Good Sign composée par Monty Norman pour une comédie musicale qui n’a
jamais vu le jour. Lorsque les producteurs Albert R.Broccoli et Harry Saltzman
lui proposèrent d'écrire la musique du premier film Dr.No, Monty Norman utilisa la mélodie de base de cette chanson.
John Barry était l'orchestrateur du film. Il modifia la mélodie pour en faire
le thème connu. A la suite de Barry, David Arnold est le second compositeur le
plus important de la série. Il a composé la musique de cinq James Bond, de Demain ne meurt jamais à Quantum of Solace. Ses orchestrations
combinant des éléments rythmiques électroniques ont donné l'identité musicale
des James Bond avec Pierre Brosnan.
Les autres compositeurs de la saga sont George Martin, Bill Conti, Michael
Kamen, Marvin Hamlisch, Eric Serra. Bref, du meilleur au pire. La chanson
d’Adèle a gagné l’Oscar, et le jury a eu bien raison. D’ailleurs elle sera la
chanteuse du prochain James Bond. Le travail de Newman (il n’a pas participé à
la chanson) est quelques fois intéressant, mais les thèmes dramatiques d’actions
sont peu originaux : les cordes
répétitives en crescendo, comme sait nous les infliger Zimmer. Heureusement, le
thème vient au secours de l’inspiration du compositeur. On est loin d’une
musique de James Bond. Il nous fait regretter Arnold ! Espérons que si
Nolan est le prochain réalisateur, il ne nous infligera pas Hans Zimmer, qui
devient, hélas, la référence en terme de films d’action.
LES MISERABLES. Réalisation de Tom Hooper. Musique de
Boublil et Schönberg.1CD Universal / Polydor Music n°3724585
L’aventure
de cette comédie musicale est assez impressionnante : écrite par deux
Français et boudée chez nous, elle fait un tabac Outre-Manche et Outre
Atlantique. Aujourd’hui le film bat tous les records au box-office! Quel
casting ! Deux australiens exceptionnels : Hugh Jackman, qui vient de
la comédie musicale, et Russell Crowe, pour le couple Valjean/Javert, Anne Hathaway, poignante Fantine (un oscar
pour le rôle). Le réalisateur Tom Hooper n’est pas plus inspiré que dans le Discours d’un Roi. C’est un film à écouter. Pour Hugh Jackman, connu par toute une génération pour
être Wolverine de la série Xmen, et pour le tube « I dreamed a
dream », bouleversant, on aura du plaisir à écouter ce disque. A noter qu’
Anne Dudley et Stephen Metcalfe, deux des plus talentueux arrangeurs anglais
pour la pop musique et les comédies musicales, ont fait les nouvelles
orchestrations.
BEAUTIFUL CREATURES. Réalisation de Richard LaGravenese.
Musique de Thenew. 1CD Sony Classical n°88765477152
Même
si le film n’a pas eu le succès attendu, la musique, à elle seule, vaut
l’écoute, car ce groupe a du talent. Efficace, c’est un album concept avec des
ambiances électro, rock alternatif, qui rappelle le sound anglais des années
90. Ce groupe existe depuis 2006 et a sorti déjà deux albums. La musique et les
trucages fous du film s’accordent vraiment bien. On peut considérer cet album
comme leur troisième. Le bluesman Ben Harper est présent dans un morceau
« Run To Me ». A beautiful record !
A GOOD DAY TO DIE HARD. Réalisation de John Moore. Musique de Mario
Beltrami1 CD Sony Classical n°88765437122A
GOOD DAY TO DIE HARD
Marco
Beltrami a étudié la musique sous la direction de Jerry Goldsmith à
l’Université de Los Angeles. C’est en 1996 qu’il s’est fait connaître en
devenant le compositeur de Scream, réalisé par Wes Craven, et se spécialise dans les films d’horreur et policier.
Depuis la mort de Michael Kamen il compose la musique de la série « Die
Hard », dont ce dernier opus. Sa musique est très reconnaissable par son
coté percussif, excessif. Pour ce genre de film où bastons et courses
poursuites sont l’essentiel du scénario, ce matraquage musical à base de
percussions, de cuivres, renforce et aide le montage image sans essayer d’en
donner un autre sens. De l’action, de l’action ! Le film de John Moore est
assez indigent et ce n’est pas le travail redondant de Beltrami qui va le
sauver. Le thème lent « father & son » est de belle facture, mais
il ne dure qu’une minute vingt-quatre ! Les dernières plages du disque
sont audibles et ces quelques morceaux donnent un peu de relief aux scènes dont
la mise en scène est approximative.
LE MAGICIEN D’OZ. Réalisation de
Victor Fleming. Musique d’Harold Arlen.1 CD Milan / Universal n°399468-2
Avec
la sortie du film de Sam Raimi « Le Monde Fantastique d’Oz » (musique
de Danny Elfman), les éditions Milan offrent un album avec la musique
« oscarisée » du film de Victor Fleming de 1938. La fameuse chanson
chantée par Judy Garland, « Somewhere Over the Rainbow », a fait le
succès de cette immense interprète. Judy Garland est aussi dans l’autre bande
originale que propose ce CD, celle de Star
in Born, un des plus beaux mélos, chef d’œuvre du cinéma réalisé par George
Cukor. Les chansons de Arlen, comme le tube « The Man that Got Away »
sont inoubliables. Ce « torch song », Garland l’a chanté toute sa
vie. Elle a raté l’oscar pour le rôle. Il fut attribué à Grace Kelly pour un
film oublié aujourd’hui, « The country Girl ». Ce fut un vrai
scandale à l’époque (1954), « Le plus grand vol jamais effectué »,
avait déclaré Groucho Marx ! Harold Arlen a écrit près de 500
chansons et certaines sont très célèbres. Il y a quelques succès de cet auteur
en bonus, chantés par Sinatra, Nat King Cole, Garland…Un CD
« collector » à se procurer très vite.
CLOUD ATLAS. Réalisateur Tom Tykwer, avec Lola
& Andy Wachowski. Musique de Tom
Tykwer, Johnny Klimek, Reinhold Heil. 1CD Sony Classical n° 88765411202
Tom
Tykwer est un réalisateur et compositeur allemand, connu pour des films tels
que « Run Lola Run » (1998) et Le Parfum (2006). Les Wachowski sont
devenus célèbres pour leur série Matrix. Pour la musique Tykwer est accompagné
par son équipe composée de Johnny Klimek et Reinhold. Pour la partie
orchestrale,c’est l’orchestre symphonique de la radio de Leipzig qui joue la
partition, sous la direction du talentueux Kristjan Järvi, fils de Neeme, et
frère de Paavo, le directeur musical de l’Orchestre de Paris. Cloud Atlas raconte six histoires
différentes qui se déroulent sur six périodes du XIXème siècle jusqu'à un
avenir très éloigné. La musique a un rôle essentiel dans le film. Il y a une
pièce, composée par un des héros, et qui s’appelle Cloud Atlas, un concerto
romantique pour piano et orchestre. C’est cette musique qui sert de base
mélodique pour toutes les époques, et qui donne une cohérence. Il n’y a pas de
style selon les époques. Musiques synthétisés sur base de cordes, instruments
électroniques, voix, variations sur le thème au piano, sont à la base des
orchestrations, qui permettent à l’image de passer d’une histoire à une autre.
C’est ce que l’on entend dans « All boudaries are conventions » par
exemple. L’orchestre sonne magnifiquement sous la baguette de Järvi. « Chasing Luisa Rey » est
une succession rapide entre les années 1936, 2144, 2346. Percussions, cors,
séquenceurs se mélangent au fur et à mesure de l’action avec une pulsation
apportée par les cordes, sans rupture. Les séquences « Death is only a
door » ou « Cloud Atlas Finale » sont d’un romantisme allemand
à émouvoir. C’est le but après tout de ces séquences. Ce film fleuve a la
musique qu’il mérite, et on ne va pas s’en plaindre. Elle aurait pu être un peu
plus inventive, mais le disque est quand même agréable à écouter, et permet de
retrouver les moments forts de ce film, plus étrange que la BO.
Stéphane Loison.
***
LA VIE DE L’EDUCATION MUSICALE
A découvrir :
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modèles : pianos droits et à queue).
Le système Silent™ SH est le
premier système à employer l’échantillon sonore du piano à queue grand concert Yamaha CFX. Il permet d’enregistrer en
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réseaux sociaux en quelques clics. Le pianiste devient un musicien qui
s’exprime à travers le monde en temps réel.
Il bénéficie de
nombreux avantages comme un échantillonnage numérique binaural procurant un
effet 3D, une polyphonie multipliée par 8 soit 256 notes, 19 sonorités
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