www.leducation-musicale.com
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Mars-Avril 2011 - n° 570
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Janvier-Février 2011
n° 569
|
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novembre-décembre 2010
n° 568
|
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Supplément Bac 2011
|
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Sommaire :
1. Editorial : "Forces de joie..."
2. Sommaire du n° 570
3. Informations générales
4. Varia
5. Manifestations et concerts
6. Le marathon musical nantais
7. La semaine Mozart à Salzbourg
8. Echos de Liszt, Mahler et de la légende des siècles...
9. Recensions de spectacles et concerts
10. L'édition musicale
11. Bibliographie
12. CDs et DVDs
13. La vie de L’éducation musicale
Abonnez-vous à L'éducation musicale
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Forces
de joie…
« La
joie d’un esprit en marque la force. »
(Ninon
de Lenclos)
Est-il
musique - serait-elle la plus funèbre - qui ne soit, de par
son essence même, force de joie ? Comme en témoigne
l’extrême rareté du suicide chez les compositeurs
– cependant que les gestes désespérés
ne sont, hélas ! que trop fréquents chez les
écrivains ou les tenants des arts visuels.
Joie,
mais joie égotiste le plus souvent – et non point
accordée d’amour ou de fraternité, comme certain
angélisme bon-apôtre voudrait nous en convaincre…
Il
est cependant des musiciens pour lesquels altruisme et générosité
ne furent pas de vains mots, et Franz Liszt en est un lumineux
exemple ! Aussi cette année de célébration
nous permettra-t-elle de (re)découvrir bien des facettes d’un
artiste hors du commun, trop longtemps occultées par l’image
de l’extraordinaire virtuose qu’il fut.
Certes,
sa vie ne fut pas sans nuages : n’aura-t-il pas connu des
périodes de solitude et de doute ? Mais le grand
âge n’amoindrira pas - sinon sa prodigieuse vitalité
- du moins, dépouillées de tous les oripeaux de la
gloire, ses facultés visionnaires.
Francis
B. Cousté.
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Haut
Liszt et Faust :
constructivisme et négativité
Bruno
Moysan
Les piliers de la musique religieuse
de l’avenir selon Liszt :
le chant grégorien et la polyphonie
romaine
Nicolas
Dufetel
Franz Liszt et le poème symphonique Mazeppa
Francine
Maillard
Franz Liszt et Emilie Genast
Serge
Gut
Les fréquentations maçonniques de
Liszt à Pianopolis (1823-1833)
Pierre-François
Pinaud
Quel son pour quel piano, ou quel
piano pour quel son ?
Parcours à la suite de Nicolas Stavy
Sylviane
Falcinelli
La Troisième Symphonie de Górecki :
organisation formelle et techniques
d’écriture du premier mouvement
Karol
Beffa
***
BOEN n°7 du 17 février 2011. Programmes
limitatifs en classe terminale pour l'année scolaire 2011-2012 & pour la
session 2012 du baccalauréat. Musique : Enseignement de
spécialité (série L) et Option facultative (toutes séries).
Consulter :
www.education.gouv.fr/cid55013/mene1101397n.html
Ircam… L’expérimentation musicale et
pédagogique sur le geste (par l’Atelier des Feuillantines & l’équipe
« Interaction musicale/Temps réel » de l’Ircam). Cet article est librement accessible sur notre
site : www.leducation-musicale.com (rubrique « Les plus de la revue »).
Ircam ©Myr Muratet
Prix de l’Académie des
Beaux-Arts, 2010.
Prix de composition musicale de la Fondation del Duca : Thierry Pécou. Prix
Liliane Bettencourt pour le Chant choral : Chœur Britten, dir. Nicole Corti. Prix
Pierre Cardin de composition musicale : Ondrej Adamek. Prix Paul-Louis Weiller de
composition musicale : Christophe Bertrand.
Prix Nadia et Lili Boulanger : Philippe Leroux
& Jean-Frédéric Neuburger. Prix d’orgue Jean-Louis
Florenz : Maïko Kato.
Prix Long-Thibaud : Solenne Païdassi (violoniste). Prix d’encouragement en Composition musicale : Nicolas Mondon & Vincent Trollet. Prix Catenacci : L’histoire du quatuor à cordes (Bernard Fournier). Prix René Dumesnil : Lénine, Staline et la musique (Pascal Huynh).
Thierry
Pécou ©DR
Aribert Reimann (°1936), l’un des compositeurs allemands les plus
joués dans le monde, vient de se voir décerner le « 2011 Ernst von Siemens Music Prize », d’un montant de 200 000 euros. Aussi
prestigieux que le Nobel pour d’autres disciplines, ce Prix est attribué
à des compositeurs, interprètes ou musicologues de renom. Précédents lauréats :
Olivier Messiaen, Mstislav Rostropovich, Luciano Berio, Wolfgang Rihm, Daniel Barenboim. Renseignements : www.evs-musikstiftung.ch
Aribert
Reimann ©P. Andersen
Musique
en ligne. Les 13 engagements de la « médiation Emmanuel Hoog » (source : ministère de la
Culture et de la Communication) :
1 - Publication
des conditions générales de vente
2 -
Pérennité et stabilité des contrats
3 -
Justification des avances
4 -
Transparence des minima garantis
5 -
Prise en compte des parts de marché
6 -
Définition d'une classification des modes d’exploitation
7 -
Simplification des obligations de compte rendu (reporting)
8 -
Partage des données relatives à l’économie du secteur et état actuel du partage
de la valeur
9 -
Transparence au bénéfice des artistes interprètes
10 -
Délai de versement des rémunérations
11 -
Rémunérations au bénéfice des artistes interprètes
12 – Œuvres
d'expression originale française
13 -
Gestion collective en matière d'écoute linéaire en ligne (webcasting et
webcasting semi-interactif)
Autour
de Frédéric Mitterrand ©Farida Bréchemier
L’Ircam à l’Opéra. Cinq compositeurs sont, cette année,
en résidence de recherche & création à l’Ircam. Dans le but d’élaborer
de nouvelles productions lyriques en studio, avant leur présentation dans de
grandes maisons d’opéra. Ce sont :
- Michaël Levinas : La Métamorphose (Opéra de Lille, mars 2011)
- Luca Francesconi : Quartett (Scala de Milan, avril et mai 2011)
- Georges Aperghis : Luna Park (Ircam, juin 2011, dans le cadre du festival Agora)
- Philippe Manoury : La Nuit de Gutenberg (Opéra de Strasbourg, septembre
2011, dans le cadre du festival
Musica)
- Marco Stroppa : Re Orso (Opéra Comique, mai 2012 & La
Monnaie de Bruxelles, septembre 2012)
©Teatro alla Scala
« Regards et perspective des sciences sociales sur le rock et
le métal ».
Au cours de cette Journée d’étude seront présentés les divers travaux menés au
sein du GREMES [Groupe de recherche et d’études sur la musique & la
socialité]. Le 10 mai 2011, au Centre d’étude sur l’actuel et le
quotidien (dir. Michel Maffesoli). Renseignements : CeaQ
- 45, rue des Saints-Pères, Paris VIe. Tél. :
01 42 86 46 34. www.ceaq-sorbonne.org
Michel
Maffesoli à l’amphi Durkheim ©M.W. Dandrieux
***
Haut
Les Jeunesses musicales du Nord/Pas-de-Calais proposent à tout
groupe de jeunes, de 11 à 21 ans, de participer au Festival Music’Ado
2011. Pré-sélections :
- à
l’ARA de Roubaix, le 19 mars
- au
Poche de Béthune, le 26 mars
Renseignements : 30, rue des Fossés,
59000 Lille. Tél. : 03 20 57 20 00. www.jmf-npdc.org
« Musiques appliquées aux arts visuels ». Le Master/Pro MAAAV
de l’Université de Lyon 2, organise la première édition du CIMFA, Concours
international de composition de musique pour films d'animation. Son but
est de soutenir et d’encourager les compositeurs à développer leur personnalité
artistique, à s’épanouir dans l’écriture d’une musique originale sur des
courts métrages d’animation. Les finalistes seront produits
publiquement le samedi 11 juin 2011, à Annecy dans le cadre de son Festival
international du film d’animation. Renseignements : www.cimfa.maaav.fr
« Musiques classiques en Bretagne ». Pas moins de
30 festivals seront dédiés à ces musiques, d’avril à octobre 2011. Renseignements : www.festivals-musiques-classiques-bretagne.com
53e Grammy Awards : Neil Young vient
d’obtenir la première récompense musicale de sa carrière pour la
« meilleure chanson rock » avec Angry World. Renseignements : www.neilyoung.com
Neil
Young ©Matt Sayles/AP
in Lydie
Decobert, On n’y entend rien (« Ouverture philosophique »,
L’Harmattan, 2010) :
-
Bonjour
Mademoiselle.
-
Bonjour
Monsieur.
-
Vous
aimez la musique ?
-
Oui
Monsieur.
-
Alors
on baise ?
***
Haut
Maison de la culture du Japon à Paris : Jazz in Japan, du jeudi 3 au samedi 5
mars 2011, à 20h00. Jeudi 3 mars : Naoko Terai (violon),
Richard Galliano (accordéon), Naoki Kitajima (piano). Vendredi
4 mars : Kei Akagi (piano), Tomokazu Sugimoto (contrebasse),
Tamay Honda (percussions). Samedi 5 mars : Erena Terakubo
(saxophone), Takeshi Ohbayashi (piano), Noam Wiesenberg
(contrebasse), Mark Whitfield Jr. (batterie). Renseignements : 101bis, quai Branly, Paris XVe.
Tél. : 01 44 37 95 95. www.mcjp.fr
©DR
« Grands formats », fédération de 29 orchestres de jazz & de
musiques à improviser, propose quelque 90 concerts, de mars à août 2011. Renseignements : 3, rue Henri-Martin, 92100 Boulogne-Billancourt. www.grandsformats.com
« Viva la Musica ! » présente : Orphée aux enfers d’après
Jacques Offenbach, les vendredi 4 et samedi 5 mars (20h30) et le dimanche
6 mars (16h00). Auditorium du lycée La Fontaine (75, rue du
Général Sarrail, Paris XVIe). Renseignements : 01
42 24 59 87. www.vivalamusica.fr
Fabrice Loyal and Friends au festival
« Les Musicales de Saint-Martin »
de Sartrouville (Yvelines). Renseignements : 06 62 70 17
64. www.infoconcert.com/artiste/fabrice-loyal-80730/concerts.html
Théâtre des Bouffes du Nord. Le lundi 7 mars 2011, à
20h30 : Vita… œuvres de Claudio
Monteverdi et Giacinto Scelsi. Arrangements, conception & mise en
scène : Sonia Wieder-Atherton. Trois violoncellistes :
Sarah Iancu, Mathieu Lejeune, Sonia Wieder-Atherton. Créations
lumineuses : François Thouret. Renseignements : 37bis, bd de la Chapelle, Paris Xe.
Tél. : 01 46 07 34 50. www.bouffesdunord.com
Sonia
Wieder-Atherton
Concert-lecture : « Naissance des Préludes de Chopin à Majorque ». L’Atelier du Verbe (17,
rue Gassendi, Paris XIVe). Avec Ziad Kreidy
(piano-forte), Claire Prévost (récitante), Philippe Joly
(adaptation). Programme : Préludes
op. 28 de Chopin. Textes de George Sand, Chopin et
Nietzsche. Renseignements : 01 73 70 38 41. www.ziadkreidy.com
Ziad
Kreidy ©DR
« Concert des lycées ». Créé en 1999, le Concert des lycées devint européen en
2004, avec la participation de la cité de Völklingen. Il regroupe
désormais quelque 50 musiciens et 200 choristes français &
allemands. En 2011, il se consacrera à la redécouverte de deux cantates du
grand compositeur russe Nicolaï Miaskovsky (1881-1950) : Kirov avec nous, cantate-poème
op. 61, et Le Kremlin la nuit,
nocturne op.75. Mercredi 16 mars (19h30) : Wölklinger Hütte, Völklingen.
Vendredi 18 mars (20h00) : Le Carreau, Forbach. Mercredi 23
mars (20h00) : Arsenal de Metz. Renseignements : 01 53 80 12
30. www.chantdumonde.com
Nicolaï
Miaskovsky ©DR
Orchestre philharmonique de Strasbourg. Le jeudi 17
mars 2011, à 20h00, en la salle Érasme du Palais de la Musique & des
Congrès, seront donnés, sous la direction de Marc Albrecht, avec le
concours de Gidon Kremer : In Tempus Praesens,
concerto pour violon de Sofia Gubaidulina et la VIe Symphonie de Gustav Mahler. Renseignements : 03 69 06 37 06. www.philharmonique.strasbourg.eu
Sofia
Gubaidulina ©D. Smirnov
Le festival « Voix du printemps » se déroulera du 15
au 24 mars 2011. Compositeur invité : Thierry Escaich. Renseignements : 01 42 62 71 71. www.musiqueensorbonne.fr/festival
« Archipel 2011 », festival des musiques d’aujourd’hui, se
déroulera à Genève, du 17 au 27 mars. Renseignements : 8,
rue de la Coulouvrenière, CH-1204 Genève. www.archipel.org
Opéra Comique : Le
Freischütz, de Carl Maria von Weber, sera donné du 7 au 17 avril 2011.
Version française d’Émilien Pacini & Hector Berlioz, avec les
récitatifs d’Hector Berlioz. The Monteverdi Choir, Orchestre
révolutionnaire et romantique, dir. Sir John Eliot Gardiner.
Mise en scène : Dan Jemmett. Renseignements : 0825 01 01 23. www.opera-comique.com
« Les Détours de Babel », festival des musiques du monde contemporain (Grenoble /Isère) propose sa 1re édition
du 8 au 23 avril 2011. Renseignements : 17, rue
Bayard, 38000 Grenoble. Tél. : 04 76 89 07 16. www.detoursdebabel.fr
« Extension », festival de création
musicale (Paris / Val-de-Marne), sera consacré, du 24 avril au 24 mai
2011, à la création musicale en rapport avec l’image & la narration
(opéra-remake, cinéma pour l’oreille, ciné-concerts, vidéo & musique,
création musicale & chorégraphique…). Renseignements : La
Muse en circuit. Tél. : 01 43 78 80 80. www.alamuse.com
Festival off d’Avignon,
2011. Du 8 au 31 juillet 2011 (22h30), sera repris Le Financier et le Savetier,
opérette-bouffe en un acte, de Jacques Offenbach. Théâtre du
Bourg Neuf (7, rue du Bourg-Neuf, 84000 Avignon). Mise en
scène : Frédéric Veys. Direction musicale :
Diane Gonié. Renseignements : 04 90 85 17
90. www.colorature.fr
Francis Cousté.
***
Haut
La Folle Journée de
Nantes tient du marathon musical et sa vitalité ne se dément pas - à en juger
par le nombre faramineux de concerts offerts au choix du public durant un long
week-end dans les diverses salles de la Cité des Congrès. Pour sa 17e édition,
elle n'aura cessé d'attirer une foule réceptive n'hésitant pas à se presser en
rangs serrés dès 9 heures du matin pour glaner une belle manne sonore,
sans trop succomber au barnum médiatique ambiant - gigantisme oblige. On
y a vu aussi beaucoup de jeunes publics tout au long de la journée du vendredi,
voire de très jeunes, venus avec leurs professeurs, témoignant ainsi du
formidable effort consenti en direction de cet auditoire. Le thème de
l'année, « Les Titans, de Brahms à Strauss », couvrait certes,
un vaste territoire, quelque cent ans de musique. Mais, une fois encore,
quantité aura rimé avec qualité. On reste frappé par le vent de jeunesse
qui souffle aussi parmi les interprètes. Aux côtés des habitués,
dépositaires d'une certaine pérennité de la manifestation, les
Brigitte Engerer ou autres Trio Wanderer, que de talents plus que
prometteurs, tels les quatuors à cordes Modigliani ou Diotima ou cette pléiade
de pianistes aussi brillants que racés, les Pérez, Laloum ou Neuburger,
annonçant une sûre relève.
©Marc Roger
Parmi une cohorte
de « Titans » ayant pour nom Mahler, Bruckner, mais aussi Liszt, Berg
ou Schönberg, Brahms se taillait une place prépondérante dans la programmation
- tout comme dans notre propre choix. Le répertoire pianistique d'abord,
comme toujours dignement représenté à Nantes, aura ainsi permis d'entendre
Anne Queffélec dont le concert présentait cette originalité de juxtaposer
deux pièces de Haendel et les Variations et fugue sur un thème de Haendel op. 24,
composition austère où l'harmonie du thème prend le pas sur la mélodie, mais
combien passionnante dans sa diversité. La merveilleuse Zhu Xiao-Mei
avait choisi les Seize Variations sur un thème de Robert Schumann op. 9,
qui regorgent d'allusions à des pièces du grand romantique mais aussi de
Clara Schumann. Elle en confie le climat éminemment poétique, comme
d'ailleurs dans les Scènes d'enfants op. 15 du même Schumann,
avec cette délicatesse du phrasé et cette simplicité sereine qui la caractérisent.
Fascinante comparaison s'agissant des Trois Intermezzi op. 117,
joués tant par la pianiste chinoise que par Michel Dalberto : là où
la première mise sur une grande retenue et un climat apaisé, le Français met
l'emphase sur la construction et les écarts de dynamique qu'amplifie
l'acoustique un peu sèche de la salle. Boris Berezovsky et
Brigitte Engerer font leur miel de pièces à quatre mains : les Liebeslieder-Walser op. 52a, d'une inépuisable inventivité, ou comment
renouveler la séduction qu'exerce le rythme à trois temps de la valse, puis un
choix de Danses hongroises qui, dans cette version pianistique,
prennent un cachet particulier. Les deux complices nous font une fête de
couleurs et de rythmes exacerbés. Côté musique de chambre, l'occasion était
belle de savourer quelques morceaux choisis qu'on redécouvre avec bonheur
lorsqu'entre de bonnes mains, et de se rendre à cette évidence selon laquelle
tous ces jeunes interprètes, fins musiciens, privilégient une approche
définitivement débarrassée d'une gangue romantique appuyée au profit de la
limpidité du geste. Ainsi du Quatuor à cordes n°2 joué par les
Zemlinsky, quatuor tchèque d'une belle tenue, ou du Quatuor avec piano
op. 25, mené au faîte par quatre vétérans, immenses musiciens, Régis
et Bruno Pasquier, Roland Pidoux, Alain Planés. Le quatuor Modigliani
faisait équipe avec Jean-Frédéric Neuburger pour le Quintette avec piano
op. 34, puis avec Paul Meyer dans le Quintette avec clarinette.
Les prestations sont frappées au coin de l'intelligence et du raffinement
sonore dans l'un et l'autre cas, même si un souci d'approfondissement dans la
seconde pièce confine par endroit à la sollicitation du texte (développement
alangui du premier mouvement, adagio d’une lenteur à la limite de la rupture).
Au chapitre des Trios pour piano & cordes, le 1er est
scruté du tréfonds par le brillant Trio Chausson, et le 2e choyé par le Trio Wanderer qui, outre une patine instrumentale moirée,
sait y prodiguer un réel esprit. Le Trio pour cor, violon & piano,
curieux assemblage de sonorités, bénéficie de la présence de trois
vedettes : David Guerrier, Renaud Capuçon et Nicholas Angelich.
L'archet solaire de Capuçon et le pianisme lumineux d’Angelich donneront une
version d'un classicisme souverain de la Deuxième Sonate pour violon
& piano, assurément l’un des moments-phares de ce parcours brahmsien.
Renaud
Capuçon ©Marc Roger
Parmi les pièces
des nombreux autres musiciens affichés, plusieurs raretés étaient propres à
exciter la curiosité. Telle cette courte Sonate pour violon & piano op. 18 de Richard Strauss, œuvre de jeunesse, sorte d'adieu au
classicisme. Richement mélodique, elle reçoit une interprétation inspirée
de la part de Renaud Capuçon qui, cette fois, a choisi Frank Braley pour
partenaire. Ceux-ci abordent ensuite la Sonate pour violon & piano de Paul Hindemith, écrite en 1939, dans laquelle l'auteur de Mathis le
peintre revient à un mode compositionnel moins aventureux que dans ses
pièces chambristes des années vingt. Les deux instruments y sont traités
sur un pied d'égalité et la ligne mélodique se fait ample, comme au deuxième
mouvement paré d'une mélodie confortable au violon sur un jeu arpégé du
clavier. Autre pièce méconnue, la Sonate pour piano de Korngold
dont on a peine à croire qu'elle a été couchée sur le papier par un musicien de
12 ans, comme l'indique en exorde le pianiste Michel Dalberto :
sans être un chef-d'œuvre, elle n'en possède pas moins des qualités,
athlétiques en tout cas, tant le clavier y fait étalage de puissance. De
Zemlinsky, le Quatuor se situe encore dans la tradition
brahmsienne. Enfin l'École de Vienne aura été défendue avec brio par le
Quatuor Diotima. En une bonne heure de musique pure, ces quatre
jeunes gens bourrés de talent auront successivement joué les Cinq mouvements
pour quatuor à cordes op. 5 de Webern, où l'infinitésimal
rencontre l'elliptique, comme ses Six Bagatelles op. 9, tenant
là aussi de l'aphorisme en musique, avant de se lancer dans une exécution
fulgurante de la Suite lyrique de Berg. Ces « Six pièces
pour quatuor à cordes », que Theodor Adorno considère comme « un
opéra latent », offrent une texture formelle très ouvragée et emplie
d'allusions - qui à Zemlinsky, qui à Wagner. Le recours au dodécaphonisme
tend vers un son orchestral. Le challenge technique est ici encore
immense, frottis sur le chevalet à l'allegro misterioso, âpres
arrachements lors du presto delirando, etc. L'ultime pièce, largo
desolato, laisse l'intensité peu à peu se désintégrer et les instruments se
taire l'un après l'autre, seul subsistant l'alto. En bis, la Langsamer Satz pour quatuor à cordes de Webern sonne comme un génial hommage à un glorieux
passé, ce XIXe siècle qui a offert au monde musical tous ces titans.
©Marc Roger
Jean-Pierre Robert.
***
Le festival d'hiver
salzbourgeois que constitue la Mozartwoche dans une ville tapie sous son
manteau neigeux, loin de l'agitation touristique de la période estivale, est
une expérience qui ne manque pas de charme. Mozart, bien sûr, en est le
centre de gravité ; mais aussi ses contemporains, tel Joseph Haydn.
Et pas seulement… Depuis quelques années déjà, la manifestation s'est
ouverte à la musique d'aujourd'hui, l'occasion d'intéressantes mises en
perspective avec des compositeurs comme Heinz Holliger ou
Jörg Widmann pour cette édition. Ces concerts auront été l'occasion
aussi de mesurer combien l'interprétation des œuvres du génie du lieu connaît
de vitalité dans ses différentes approches.
©ISM/Wolfgang
Lienbacher
Ainsi de La
Flûte enchantée donnée en version concertante par René Jacobs
et l'Akademie für Alte Musik Berlin. Comme son récent disque le montre,
on a rarement assisté à une réévaluation aussi radicale. La juxtaposition
de musique et de dialogues parlés a souvent conduit à mutiler l'exécution de
cet « opéra allemand » d'un genre nouveau, au risque d'en accentuer
l'hétérogénéité. Pour René Jacobs, une interprétation de concert,
comme l'écoute d'un disque, privées du support de la mise en scène, nécessitent
d'en reconsidérer la mise en œuvre. Elle procèdera d'abord d'une
réhabilitation du texte de Schikaneder, selon cette idée que le dialogue, pensé
en musique, forme une entité avec elle. « Je veux interpréter les
dialogues comme des récitatifs » souligne le chef. Ce qui n'est pas
sans conséquence sur les numéros musicaux. Aussi les dialogues sont-ils
donnés dans leur quasi-intégralité. Surtout, la transition entre parlé et
chant est réduite ; ce qui conduit à ce qu'à certains moments, deux
personnages parlent simultanément, ou à faire s'imbriquer la fin d'une scène
parlée et le texte musical qui la suit. Les dialogues connaissent
eux-mêmes une mise en scène sonore, par l'accompagnement d'un Hammerklavier
(qui par exemple, durant la scène où Papageno détaille les traits de Pamina,
égrène le thème de l'aria au portrait de Tamino), mais aussi grâce à
l'adjonction de légers effets sonores, sorte de bruitages, dans les registres
menaçant, neutre ou rassurant. Le traitement du volet musical n'est pas
moins profondément revisité : un orchestre de proportions réduites, jouant
sur instruments d'époque, à la sonorité allégée, un travail perspicace sur la
sonorité (telle la recherche d'une tonalité éthérée de la flûte, lors des
épreuves du feu et de l'eau),comme sur les tempos, là aussi réévalués sur un
mode plus vif (l'aria « Ah, ich fülh's » est pris dans un
tempo soutenu, apte à traduire les sentiments qui agitent alors Pamina).
Au final, toute une richesse d'accents se fait jour, comme la clarté de
l'expression dramatique. On peut, certes, ne pas adhérer à tous les présupposés
de Jacobs, mais force est de constater la justesse de ses choix, leur évidence
souvent. Plus d'un personnage (Monostatos) ou d'une scène (celle des
Hommes armés) retrouve sa vraie signification au sein de cette
« œuvre mystérieuse, optimiste et utopique » (René Jacobs).
L'exécution bénéficie d'une mise en espace judicieuse sur deux aires de jeu,
devant l'orchestre et au milieu de celui-ci. Le résultat est là encore si
vrai qu'il fait oublier la contingence du concert ; tout comme l'on se
passe d'une régie scénique dont le propre est désormais souvent d'imposer une
ligne dramaturgique. La distribution est jeune et d'une sincérité
admirable : le franc bagout du Papageno, Daniel Schmutzhard - non sans
rappeler Christian Boech dans l'inoubliable production salzbourgeoise de
Jean-Pierre Ponnelle - qui n'a jamais aussi bien caractérisé le Naturmensch conçu
par ses auteurs ; la vulnérabilité mêlée d'assurance de la Pamina de
Lydia Teuscher ; la présence fière et le ténor accompli du Tamino de
Daniel Behle ; la fausse droiture du Monostatos de Kurt Azesberger ;
ou encore la sobre grandeur du Sarastro de Marcos Fink. Tout cela
est d'une vérité criante.
Marc
Minkowski ©DR
Marc Minkowski et
ses Musiciens du Louvre-Grenoble interprétaient le masque Acis et Galathée de Haendel dans la version ré-instrumentée par Mozart, en 1788. C'est au
baron van Swieten, important mécène, qu'on doit cette demande curieuse
faite au compositeur ; tout comme de réorchestrer d'autres pièces du
maître saxon dont Le Messie. L'intéressé se réservera, pour
sa part, le droit de traduire en allemand le texte anglais mis au point par
John Gay, Alexander Pope et John Hughes. L'intangibilité
de l'œuvre d'art était alors un principe loin d'être acquis. L'idée était
en l'occurrence de se passer de la partie d'orgue en la confiant aux vents, et
surtout de mettre la pièce au goût de l'époque, ce à quoi procèdera Mozart avec
son génie et la maîtrise d'écriture qui est devenue la sienne à cette époque
(ce « travail » est contemporain du merveilleux divertimento
KV 563 pour violon, alto et violoncelle), sans plus avant se préoccuper de
savoir si cette adjonction pouvait altérer la sobriété de la composition
haendélienne. La sonorité en ressort plus vigoureuse, sans pour autant
abandonner sa transparence et la sensualité de son imagerie pastorale :
l'adjonction aux cordes d'une partie d'altos, comme le fait que les vents se
voient démultiplier, flûte, hautbois, clarinette et basson, permettent de
renforcer certaines lignes et de conférer à l'original plus de profondeur et
une rondeur sonore qui le rend plus séduisant. Ainsi en est-il, par
exemple, de l'air de déploration de Galathée introduit par la mélopée de la
clarinette. La flexibilité des tempos adoptés par Marc Minkowski fait le
reste, qui confère à cette délicieuse pastorale, de style un peu hybride, une
extrême fluidité dans son invention mélodique, comme il en est du prélude de la
seconde partie, un adagio habité qu'enlumine le chant du hautbois. Le
Salzburger Bachchor fait merveille dans les interventions chorales qui tiennent
tour à tour de l'austérité de la tragédie grecque et du lyrisme poignant.
Les solistes aussi : la voix de ténor forte et large de Toby Spence, Acis,
éclate de joie, notamment dans le duo qui conclut le Ier acte
ou son air héroïque au IIe. Le soprano épanoui de Julia
Kleiter pare la partie de Galathée d'une beauté hédoniste. La basse Mika
Kares incarne avec brio le cyclope Polyphème, ce monstre plus vrai que nature,
un brin théâtral dans sa menace de l'idylle des deux jeunes amoureux, lors de
son aria accompagné de la petite flûte - que Minkowski a choisi de
conserver contrairement à la flûte utilisée par Mozart. À propos :
le chef français a ici gagné les cœurs et ses galons, puisque lui est confiée
la direction artistique de la Mozartwoche à compter de l'édition 2013.
©ISM/Wolfgang
Lienbacher
Un changement
d'équipe, chef et soliste, aura privé l'auditoire de la vision engagée de
Nikolaus Harnoncourt dans Berg et Mozart à la tête des Wiener
Philharmoniker. L'annulation de celui-ci aura en effet entraîné celle du
violoniste Gidon Kremer justifiant ne pas vouloir jouer le concerto de Berg
autrement qu'avec le chef autrichien. On devait faire appel à Herbert
Blomstedt et à Christian Tetzlaff, artiste en résidence. Le concerto de
Berg « À la mémoire d'un ange » est hanté par la tragédie de
la mort, celle de la jeune Manon, fille de l'architecte Walter Gropius et
d’Alma, la veuve de Gustav Mahler ; de la sienne peut-être aussi, au point
que d'aucuns y voient une sorte de requiem pro domo. Pour sa
dernière œuvre, contemporaine de Lulu, Berg revient à un langage fluide
qui se nourrit d'une thématique recherchée et se rapproche de la
tonalité. Faisant corps avec son instrument, Tetzlaff en livre une
exécution d'une formidable concentration qui, sous son aspect d'improvisation,
révèle combien est travaillée la construction formelle. L'œuvre se révèle
d'une extrême lisibilité et libère son étrange séduction. Les premières
mesures de l'andante initial sont prises très lentement introduisant une
section méditative où la flûte solo rejoindra un instant le soliste. Les
péripéties de cette partie qui se poursuit allegretto ont une superbe aisance
dans l'appropriation des brusques changements de rythmes. La seconde
partie, qui s'ouvre par une vision de chaos, restera plus agitée, côtoyant le
grotesque mahlérien, jusqu'à cette citation d'un choral luthérien funèbre qui
marque un moment d'apaisement. Lors du développement, le soliste se fond
parmi les premiers violons, avant de revenir à son statut de primus inter
pares pour une fin extatique en forme de transfiguration. Le dialogue
orchestral est adroitement ménagé par le chef Blomstedt et on ne peut imaginer
écrin plus esthétique que celui procuré par les musiciens viennois. La 40e Symphonie de Mozart bénéficie ensuite d'une interprétation sans surprise, non exempte
d'une certaine raideur. Certes, l'effectif est peu nombreux et la
transparence certaine, mais une énergique battue laisse peu de place à
l'imagination dans le phrasé, lors des reprises notamment. Voilà un style
d'interprétation objective, pour ne pas dire froide, qui paraît dater
maintenant. Et l'on se prend à imaginer ce qu'un Harnoncourt en aurait
fait. La suprême finesse des Viennois préserve heureusement de la
déconvenue, que ce soit les cordes menées par la Konzertmeister Albena
Danailova ou la section des bois dont se distingue la flûte sublime de Wolfgang
Schulz.
©ISM/Wolfgang
Lienbacher
Le programme
offrait aussi, dans la grande salle du Mozarteum, une soirée de musique de
chambre juxtaposant les Quintettes KV 515 et 516 de Mozart
et des compositions récentes de Jörg Widmann et Heinz Holliger. Les deux
quintettes pour cordes figurent, selon Saint-Foix, « parmi les véritables
merveilles créées par l'esprit humain ». L'ensemble formé par
Christian Tetzlaff, Antje Weithaas, violons, Tabea Zimmermann et Hanna
Weinmeister, altos, et Marie Luise Hecker, cello, en livre des exécutions
empreintes d'une irrépressible pulsation de vie, ménageant aussi bien légèreté
ineffable que troublante mélancolie, à l'aune de ces transitions où Mozart fait
passer des larmes au rire. On ne saurait imaginer contraste plus
saisissant avec les Duos pour violon & violoncelle de Jörg Widmann,
dont le second livre, joué ici, a été créé en 2008 par les frères
Capuçon : pièces hyper-virtuoses inspirées, entre autres, par le Ballet
mécanique de George Antheil, et que Tetzlaff et Hecker habitent d'une belle
virtuosité. Dans ses Trois Esquisses pour violon & alto (2006),
Heinz Holliger spécifie que pour porter l'emphase sur la brillance du timbre de
l'alto, le violon doit être réaccordé un demi-ton plus haut. À noter aussi que,
dans la dernière pièce, la sonorité des deux cordes est élargie à une mélopée
vocale requise des deux solistes. Un autre concert donné dans ce même
Mozarteum, programmait le Freiburger Barockorchester, un ensemble qui a peu
d'équivalents en termes de vivacité instrumentale, dirigé de son pupitre par
son premier violon Gottfried von der Goltz. Il était centré sur des
compositions de Joseph Haydn.
La partie
proprement symphonique présentait l'ouverture de l'opéra Armida,
brillant résumé d'un drame mêlant esprit chevaleresque et lyrisme
intense ; puis la Symphonie Hob. 80 dont une formation
instrumentale réduite, comme réunie en l'espèce, préserve la saveur des traits
saillants : un mélange de véhément et de désinvolte, du turbulent et de
l'interrogateur dans les silences ; sans oublier l'humour qui s'empare de
plus d'une page dont un finale scintillant de facéties rythmiques. Le
principal attrait de ce concert matinal résidait cependant dans le bouquet
d'arias du musicien d'Esterházy chanté par le baryton-basse Thomas Quasthoff,
et empruntées aux opéras Armida, Orlando Paladino et L'Anima
del filosofo : voix magnifique, idéalement conduite sur toute
son étendue, tout à tour héroïque, emplie de morgue ou portée par le lyrisme de
la romance. Largement ovationné, il donnera en bis une aria de La Création. Deux pièces de petits maîtres complétaient l'affiche. Ainsi de
Ditters von Dittersdorf, dont la 3e Symphonie, tirée de
ses Métamorphoses d'Ovide, se complaît dans le descriptif, proche de
l'esprit de Gluck. Tout aussi intéressante est l'Ouverture La Mort
d'Orphée de Franz Ignaz Beck qui termina sa carrière à Bordeaux pour le
Grand théâtre où il composera plusieurs œuvres, dont cette pièce un brin théâtrale
pour servir d'introduction au ballet homonyme.
©ISM/Wolfgang
Lienbacher
Jean-Pierre Robert.
***
Nouveaux épisodes lisztiens…
…par le concert
En 1999, Denis Pascal avait créé l’événement en gravant une intégrale des Rhapsodies hongroises de Liszt
(chez Polymnie) : lui, l’explorateur d’œuvres rares (on connaît ses enregistrements
d’œuvres de Joseph Marx ou de Jacque-Dupont), le cerveau épris de
réflexion sur des pans méconnus de répertoire, il s’attaquait à un monument
comptant parmi les chevaux de bataille des pianistes ! Autant dire
qu’il l’abordait avec l’intention d’en ramener au jour les trésors enfouis sous
les paillettes et la poudre aux yeux. De fait, il nous conduisait à un réexamen
radical de tout un pan du grand œuvre lisztien… et tout d’abord en lisant
scrupuleusement le texte (nouveauté salutaire, s’agissant de pièces
rebattues !). Tout ébahis, nous redécouvrions que les nuances p et pp occupent une grande place dans ces partitions, dévoilant chez Liszt une pensée intime
que les effets de cavalcade si recherchés par tant de virtuoses avaient
occultée. À suivre avec cette profondeur de jeu la chronologie des 19 Rhapsodies hongroises, on réalisait à
quel point les germes des audacieuses pièces ultimes du compositeur se développaient
déjà, précisément au long de ce cycle étalé sur quarante années (dès les si
tragiques n°3 et n°5, notamment). On imagine quel investissement physique
et mental représente l’audace de donner en un seul concert 13 des 19 Rhapsodies (en évitant soigneusement les
n°2, 6, 9 !), comme il le fit le 7 février 2011 à la Salle Gaveau.
Par une pédalisation très “rythmée”, ciblant juste ce qu’il s’agit de laisser
vibrer, ascétique parfois, complice des résonances harmoniques à d’autres
moments, Denis Pascal dessine à la pointe sèche l’exactitude d’un langage
musical sans digressions ni concessions à l’épate-bourgeois, et ce langage est
un voyage au fond des drames et nostalgies de l’âme lisztienne. Son
toucher pèse du poids des ombres les graves qui, dans maintes pages, résonnent
d’arrière-pensées funèbres – ou d’ « amertume du cœur », disait
Liszt à propos des plus tardives. Ce qui apparaît brillant dans ces Rhapsodies est un vertige où s’étourdit,
par le truchement de la danse, le souvenir inlassablement poursuivi du pays
natal. Voyage de l’âme, disions-nous ? Voyage de la
transmutation d’un horizon chimérique (pardon, Jean de La Ville de Mirmont) en recréation rêvée.
Denis Pascal ©DR
…par l’édition
Que cette commémoration
encourage des publications éclairant d’un juste regard humain une figure aussi
belle que Liszt, voilà un avantage non négligeable ! Il y a
d’ailleurs bien des parallèles entre deux livres paraissant
simultanément. Le cheminement spirituel du musicien-abbé est au cœur de
l’ouvrage d’Alain Galliari : Franz
Liszt et l’espérance du Bon Larron (Fayard, 300 p., 22 €).
On connaissait Alain Galliari, directeur de la Médiathèque Gustav Mahler, comme
biographe d’Anton von Webern et musicologue pétri de musique contemporaine
(toutes choses qui ne sont pas incompatibles avec l’élection d’un Liszt comme
génie tutélaire, bien au contraire !). Écrivant sur la quête
religieuse de Liszt, qui s’étendit du
berceau jusqu’à la tombe, l’auteur dévoile aussi sa propre foi par ce
biais, et engage une réflexion teintée de méditation personnelle sur la
relation entre religion catholique et cheminement intérieur d’un artiste.
On rit cependant à plus d’un trait, tant l’auteur, doté d’une plume
brillantissime, sait décocher ses épigrammes avec un esprit plein d’à-propos,
et c’est en habile écrivain qu’il évite ainsi à sa démonstration de sombrer
dans un esprit confit en « bondieuserie », ce qui aurait ravagé la
fermeté gouvernant sa vision. Il n’élude pas une fine touche d’esprit
polémique lorsqu’il examine avec perspicacité la dissonance à laquelle nos
sociétés du “paraître” (au XIXe comme aux XXe et XXIe siècles) exposent des vies enracinées “dans le monde“ alors que l’âme voudrait
retourner ses racines en direction de l’aspiration vers le Très-Haut. Il
montre bien que, même au cours des années l’entraînant au rythme des plus
éblouissants succès, Liszt ne perdit jamais de vue son Idéal et souffrit de cette dissonance qu’il analysait avec une
lucidité parfois teintée de désespoir. Il se réfère à de nombreuses
citations du musicien, dont certaines bien moins diffusées que d’autres, et replace
des phrases connues dans leur contexte complet, ce qui lui permet de concentrer
sur les épisodes incontournables de la biographie le rapprochement de
confidences intimes livrées par la correspondance. Fort de sa propre
connaissance des textes bibliques et pontificaux, Alain Galliari endosse le
mouvement spontané et les convictions qui conduisirent un homme, apparemment si
libre de mœurs et si sensible aux idées sociales, à s’en remettre sans
réticence à la suprématie de l’Église romaine. Il trace au passage un
tableau des débats philosophiques et sociaux du temps, en évoquant le bref
intérêt qui attira Liszt vers le saint-simonisme et la franc-maçonnerie (guère
plus de quatre ans). L’observation de quelques œuvres emblématiques
jalonne les développements sur « la folie et l’exaltation de la
Croix » (selon les mots gravés par Liszt dans son testament de 1860), sur
la présence insistante de la mort, du diable, sur la disparition de deux de ses
enfants… Un livre singulier, beau, ouvrant sur de vastes méditations.
Il n’est pas indifférent que
l’émotion, la profondeur psychologique et la haute tenue littéraire constituent
les points communs se dégageant des nouveaux livres écrits sur le musicien qui
œuvra, avec tant d’amour – humain et mystique – comme un pur chantre de toutes
les émotions. Car on est emporté par la prose superbement romantique de Jean-Yves Clément charriant dans ses
flots la totalité de l’œuvre lisztienne au bénéfice d’une vision profondément
unificatrice de ce cheminement inaltérablement voué à l’élévation de
l’âme. Quel exploit, en effet, contraint par le bref format de la
collection « Actes Sud/Classica », de ne laisser aucune œuvre
significative de Liszt sur le bord de la route, d’en profiter pour réhabiliter
des pans négligés de sa production (que ce soit la musique religieuse ou les
lieder) ; combien d’auteurs n’auraient pas même su décrire, en si peu de
lignes, le De profundis pour
piano et orchestre, l’Ode funèbre “Les Morts”, Apparitions, etc. ! L’inestimable mérite de ce livre
centré, rivé sur l’idéal (humain, mystique, artistique, le tout uniment
confondu) de Liszt, est de dégager un portrait psychologique très intense du
personnage. Il n’y a pas de zigzags, ou de “périodes”, dans l’évolution
ascensionnelle de cet homme, il y a une ligne directrice intangible, guidée par
sa générosité humaine, son empathie même, et sa foi chrétienne :
l’écrivain réussit à ne jamais se départir d’une vision pénétrante de ce qui
anime le cœur du compositeur, au-delà de l’événementiel, s’appuyant lui aussi
sur les nombreuses et bouleversantes citations de Liszt dont il émaille son
propos.
Que l’on nous permette
cependant d’ouvrir un amical débat avec Jean-Yves Clément : il s’avoue
désemparé face à ce que nous appellerons la montée au désert dans certaines
pages extrêmes ; c’est par une retraite au désert que tous les grands
prophètes sont revenus, nourris de la force d’âme leur permettant de conduire
les peuples vers des horizons nouveaux, relisons la Bible ! Que le Via Crucis lui laisse une désarmante
impression de « pauvreté » (franciscaine ?), cela peut se
concevoir tant cet opus dépend si vulnérablement de la capacité de ses
interprètes à en “habiter” les interstices : mais au fond, il est oblation, dépouillement assumé de ce qui
deviendrait inutile décoration face au mystère de la Croix ; c’est le
produit, au sens strict essentiel, de
qui s’abstrait par humilité, et nous partageons l’avis d’Alain Galliari
l’évaluant comme « l’une des partitions assurément les plus
impressionnantes » de Liszt (il faudrait ici parler des pièces religieuses
pour orgue de la dernière période, toutes méditations dénudées atteignant
l’indicible). Quant aux pièces ultimes pour piano, non, cher Jean-Yves
Clément, elles ne « ferment » pas « des horizons plutôt qu’elle
n’en ouvrent » : elles ouvrent au contraire sur tout le XXe siècle,
et ne commencent à voir leur prophétisme compris qu’au XXIe !
Non, elles ne sont pas « davantage une arrivée qu’un départ » :
cultivant dans le secret d’une sorte de journal intime (en notes plutôt qu’en
mots) quelques obsédantes tournures qui dynamitent l’édifice tonal et discursif
sur lequel avait reposé toute la musique occidentale des derniers siècles,
elles sont le point de départ des radicalismes qui transformeront le cours de
l’histoire musicale quelques décennies plus tard ! Pourtant, pris
dans une ambivalence perceptible, l’auteur n’en est pas moins fasciné par ces
pièces et sait les décrire en phrases où perce irrépressiblement un saint
effroi devant le gouffre de l’incernable.
…par le disque
Franz
LISZT : Funérailles,
Bénédiction de Dieu dans la solitude, Sonnet 104 de Pétrarque, Deux Légendes,
Au bord d’une source, Fantaisie et fugue sur B.A.C.H., Après une lecture du
Dante, Les Jeux d’eau à la Villa d’Este, Variations sur “Weinen, Klagen, Sorgen,
Zagen”, Rêves d’amour n°3, Sonate en si mineur. Dominique Merlet. 2CDs Bayard Musique :
S 447992.
Quelque avalanche de nouveautés que nous
vaille cette année commémorative, on réécoute comme des références les aînés du
piano français. Le mois dernier, nous saluions la réédition d’un
programme de Bruno Rigutto ; cette fois, la réédition de deux disques
(1986 et 1992) de Dominique Merlet nous procure d’autres bonheurs, non
moins appréciables. Dans la Sonate,
le pianiste, rompu à Prokofiev et Bartók, montre une domination souveraine du
sujet : point d’alanguissement inutile, chaque élément est projeté selon
une juste visée vers le suivant, le souffle qui ramasse la forme dessine avec
un relief admirable chaque incrustation thématique ou chaque développement dans
le plan génialement synthétisé. Le même pianiste, qui porte un regard
d’une acuité si moderniste sur la Sonate,
s’épanche avec un chaleureux romantisme dans les pages fameuses de Rêves d’amour. On mesure l’envergure
de l’instrumentiste à le suivre sur les houles déchaînées de Saint-François de Paule marchant sur les
flots, sur les crêtes grandioses de l’exaltation dans Bénédiction de Dieu dans la solitude (Rêveries-Passions, dirait Hector). Quant à Funérailles – décidément inévitables
cette saison !-, elles partent d’un travail d’accentuation et de
pédalisation très recherché sur le glas initial, puis le crescendo s’élève à un
paroxysme halluciné, annonçant un déferlement de grandeur visionnaire.
À une émouvante et fiévreuse interprétation
de Après une lecture du Dante, il
manque juste, pour nous combler, une densité de palette orchestrale dans les
profondeurs du clavier. D’autant que ces couleurs, on les trouvait six
ans auparavant dans un Sonnet 104 noblement déclamé. Organiste lui-même, Dominique Merlet a voulu intégrer
dans ses programmes les versions pour piano (très rarement jouées) de deux
œuvres plus connues dans leur majesté organistique (laquelle prima probablement
dans le processus de naissance parallèle dont accoucha Liszt) : sa double
culture – de la conduite polyphonique des plans sonores d’une part, des
traits pianistiques qui, d’autre part, tracent de notables différences entre
les solutions instrumentales adoptées par le compositeur – le rend apte à
donner une interprétation idéale des Variations
sur “Weinen, Klagen, Sorgen, Zagen”. Quant à la Fantaisie et fugue sur B.A.C.H., il y déploie un panache et un
emportement qui éperonnent les transitions de virtuosité pianistique évidemment
absentes de l’écriture pour orgue car moins utiles (rappelons que cet
instrument tient les sons). La connaissance des deux versions révèle par
certains “trous” dans les octaves descendantes combien manque au piano un
prolongement du grave pour équivaloir aux 16 et 32 pieds de l’orgue ;
c’est d’ailleurs pour jouer ses propres transcriptions d’œuvres d’orgue de
Bach, et traduire les graves du pédalier, que Ferruccio Busoni requit de
la firme Bösendorfer des notes graves supplémentaires : ainsi naquit le
fameux modèle “Impérial”. En revanche, on s’étonne que Les Jeux d’eau à la Villa d’Este ou Au bord d’une source sonnent si peu
“impressionnistes” sous les doigts d’un éminent ravélien, alors qu’il se montre
superbement évocateur dans la Légende de saint François d’Assise, la
Prédication aux oiseaux, tout le bruissement de la nature résonnant d’une
manière qui n’est pas sans faire penser au jardin des Grimaldi à l’Acte I
du Simon Boccanegra de Verdi, autre
ouvrage teinté de pré-impressionnisme.
On regrettera seulement qu’à partir d’un jeu
aussi précis, le responsable technique de l’enregistrement de 1992 ait éprouvé
le besoin de rajouter une réverbération artificielle qui frise l’absurde :
écoutez la vague improbable qui prolonge chaque son une fois les mains du
pianiste relevées, on croirait entendre l’illusion d’un piano enregistré dans
le vaisseau gothique de Notre-Dame ! La restitution de 1986 sonnait
plus naturelle. Notons l’excellent livret rédigé par Sabine Bérard,
qui constitue une introduction rêvée à l’écoute de chaque pièce. Engagez-vous
à la suite de Dominique Merlet dans un parcours où il vous guidera en maître
musicien, à la flamme étayée par une expérience puissamment pensée.
Franz
LISZT : Après
une lecture de Dante. Sonate en si mineur. Ballade n°2 en si mineur. Claire-Marie Le
Guay. Accord : 476 4244.
Après Dominique Merlet, les
ralentissements, épaississements, afféteries de Claire-Marie Le Guay
sonnent insupportablement artificiels (de la réverbération du même nom, on a,
là encore, abusé !). La Sonate dure quatre minutes et demie de plus que chez Dominique Merlet (ce que l’on
sent inéluctable dès la première exposition), Après une lecture de Dante deux minutes de plus, et en fait de
sentiments, la pianiste déclame faux. On se lasse vite de cette recherche
du “paraître”, qui semble aussi décalée par rapport à l’essence de ces
chefs-d’œuvre monumentaux que le rose bonbon (!) du disque. C’est
encore dans la Ballade n°2, de la
même année et de la même tonalité que la Sonate,
que les effets de timbre ressortent le mieux (Levez-vous vite, orages désirés..., semble dire cette musique,
comme empruntant à Chateaubriand).
On trouvera très pernicieuse la formule
« Opendisc » qui, en mettant ce CD dans l’ordinateur, permet
– paraît-il – d’accéder à des bonus et autres offres alléchantes…
mais sous condition d’entrer des données personnelles qui livreront à la firme
de quoi vous identifier et vous intégrer à ses “captures” publicitaires !
Franz
LISZT : Transcription
de la “Symphonie fantastique” de Berlioz. Chapelle de Guillaume Tell, Au
bord d’une source, Vallée d’Obermann.
Roger Muraro. Decca/Universal : 476 4176.
On joue régulièrement les transcriptions de Symphonies de Beethoven par Liszt,
mais la mise en ondes pianistiques – oserait-on écrire – de la Fantastique demeure… une fantastique
rareté ! Il est vrai qu’elle soulève nombre de problématiques :
l’orchestre berliozien, par le fait même que le compositeur ne s’aidait jamais
du piano (dont il ne savait pas jouer) pour écrire, est le seul qui demeure
aussi réfractaire, irréductible, au rendu pianistique. Même Stravinsky,
dont l’orchestration développe une stratégie de timbres si puissamment
originale, composait au piano, et a prévu lui-même des réductions à un ou deux
pianos de certaines de ses partitions orchestrales les plus célèbres. À
écouter la tentative héroïque que Liszt entreprit afin d’aider à faire
connaître une œuvre dont le génie l’avait frappé – et à sa suite, l’héroïsme du
pianiste qui, aujourd’hui, lui emboîte le pas –, force est de constater que la
mission était impossible et que l’on entend “autre chose” que la palette
timbrique voulue par Berlioz. Il faut accepter d’écouter cette
réalisation d’anthologie comme une recréation pianistique originale, à partir
du canevas berliozien ; car les solutions trouvées par Liszt sont une
œuvre en soi, et une œuvre en maints endroits à la limite de l’injouable, ou
plus exactement au-delà des limites du jouable ! Liszt n’a que
vingt-trois ans quand, apôtre déjà de la musique la plus futuriste qu’il
entend, il commet l’effort de concrétiser ce moyen de diffusion qu’il offre à
Berlioz : à cette date, il est à mi-chemin entre les deux premiers stades
de ce qui ne s’appelle pas encore Études
d’exécution transcendante, et il faut bien cela pour parvenir à vaincre les
défis qu’il se pose à lui-même. Surgit alors un autre problème pour
l’édition ou l’exécution de cette transcription de la Symphonie fantastique : probablement conscient d’être le
seul à pouvoir jouer ce qu’il était en train de jeter sur le papier, Liszt laissa
inachevées quelques pages de la transcription, ici et là, se réservant
peut-être de trouver ultérieurement des solutions et se disant que, de toute
manière, en concert, il improviserait ce qu’il n’avait pas encore réalisé.
De fait, écoutez bien le fourmillement de textures intermédiaires entre
l’espace des extrêmes aux deux mains : le pianiste aurait-il six mains
qu’il les occuperait toutes ! Il y a dans Un Bal, plus encore dans la Marche au supplice et le Songe
d’une nuit de Sabbat, des inventions de timbres pianistiques qui, en 1834
(et sur les pianos de 1834 !), durent semer la stupeur, voire l’épouvante.
En revanche, reconnaissons que l’écriture plus désertique des effets
d’orchestre de Rêveries-Passions ou
de la Scène aux champs, s’avère
impossible à rendre au piano.
Le monument berliozien est encadré par
trois extraits de l’Année de pèlerinage suisse : en portique du programme, la Chapelle
de Guillaume Tell impose sa noblesse, mais avec un art de l’émotion
contenue qui nous capte d’emblée. Car Roger Muraro ne s’abandonne jamais
à la facilité de l’effet pianistique, la vibration humaine l’intéresse plus que
l’exhibition virtuose.
Au contraire de ce que nous reprochions un
tantinet à Dominique Merlet, Au bord
d’une source, sous les doigts de Roger Muraro, sonne idéalement aquatique,
tout en gouttelettes d’éclaboussures poétiques. Quant à la Vallée d’Obermann, rarement
l’entendîmes-nous aussi rêveuse, absorbée dans une méditation reliant l’âme de
Liszt à ses souvenirs élégiaques, empreinte d’une intériorité qui nous fait
presque nous sentir indiscrets d’être admis au partage de ces confidences; et
quand le ton s’exaspère sous une poussée de fièvre, c’est comme sous la
pression de pensées menaçantes que vaincront finalement les forces spirituelles.
Ce disque, au-delà de la performance purement pianistique, représente un apport
particulièrement original et prenant à l’Année Liszt.
Robert SCHUMANN : Introduction et allegro
appassionato op.92. Concerto op.54. Franz LISZT : Concerto
n°2 en la majeur. Etsuko Hirose, piano. Orchestre de Pau-Pays de
Béarn, dir. Fayçal Karoui. Mirare : MIR 135.
Il nous fut donné, pour des
raisons géographiques, de suivre le prodigieux travail de résurrection que
Fayçal Karoui, au sortir de son poste d’assistant auprès de Michel Plasson,
accomplit depuis 2002 sur l’Orchestre de Pau qui végétait alors. Il est
donc intéressant de mesurer si celui-ci peut maintenant concourir par
l’enregistrement (terrible comparatif à échelle mondiale) dans la cour des
grands : après écoute, nous dirons qu’il faut encore persévérer dans le
travail, mais on est sur la bonne voie. Le disque s’ouvre magnifiquement,
par une grande interprétation de l’Introduction
et allegro appassionato op.92 de Schumann. La pianiste japonaise, dotée
d’un son charnu, déroule sa partie avec une merveilleuse fluidité, enlacée par
des vents palois qui se montrent ici en grande forme (les cors, notamment).
On aime les couleurs à la fois diaprées et mélancoliques de l’Introduction, puis l’énergie déployée
par le chef dans l’Allegro appassionato.
En revanche, le Concerto de Schumann
représente le maillon faible du disque : il n’est guère travaillé dans le
raffinement, et l’on souffre d’un manque de netteté dans l’articulation, tant
des musiciens d’orchestre que de la pianiste. Tous procèdent à traits
épais, l’orchestre manque de grâce dans la respiration des phrasés de l’Intermezzo, et de virtuosité pour
réussir les “coups de fouet” qui lancent le finale.
Or il est inutile d’ajouter une nième
version à la pléthorique discographie de cette œuvre si l’on n’y apporte pas
une nouvelle finesse d’éclairage : nous évoquions le mois dernier
l’infinie délicatesse de Bruno Rigutto (qui fut le maître d’Etsuko Hirose
au Conservatoire de Paris) dans les mêmes œuvres, et l’on repensait très
fortement à lui en écoutant le présent disque ! Par bonheur, le
sourire nous revient en passant au Concerto n°2 de Liszt : l’ample souffle expressif des interprètes séduit, même si les
bois ne jouent pas très ensemble dans l’introduction et si on déplore encore
trop d’approximations dans le jeu orchestral. Mais l’excellent
violoncelle solo aurait mérité d’être nommé (s’agit-il de Juliane Trémoulet,
bien connue pour sa pratique de la musique contemporaine et sa
pédagogie ?), au motif de son vibrant modelé dans le dialogue qui lui échoit
avec le piano. Sur un beau Steinway, Etsuko Hirose donne beaucoup de
poids à la virtuosité de ce Concerto mal aimé, souvent éclipsé par le premier, et elle le sauve ainsi de la
condescendance dont les commentateurs l’accablèrent parfois. Au total,
Etsuko Hirose et Fayçal Karoui nous proposent en “live” une version
assez spectaculaire du Concerto n°2 de Liszt, traversé d’effluves berlioziens et wagnériens, de charges héroïques,
mais aussi de fulgurances si caractéristiques du langage novateur en constante
évolution chez le maître hongrois.
La prise de son, très pleine et
présente, rencontre bien les choix expressifs des interprètes, même si on la
sent un peu artificiellement “gonflée” vers les graves.
Dans le livret, Brigitte
François-Sappey, éminente biographe de Schumann, trace une brillante
démonstration sur l’histoire des formes concertantes au XIXe siècle.
D’un anniversaire l’autre
2011, certes, commémore le bicentenaire de
la naissance de Liszt (comme nous le rappellent tant de Funérailles enchaînées par nos bien-aimés pianistes…), mais en fait
de convoi mortuaire, il nous faut penser à la disparition prématurée, en 1911,
d’un autre génie : Gustav Mahler. Eliahu Inbal, que l’on avait entendu au tout début de cette
saison dans une straussienne Alpensinfonie d’anthologie, nous revenait le 29 janvier 2011 avec un programme Mahler,
autant dire dans un de ses univers de prédilection, lui qui, dès ses jeunes
années, donna une intégrale marquante des Symphonies.
Cette fois, et pour ses 75 ans, le maestro dirigeait l’orchestre dont il
est depuis peu le titulaire, l’Orchestre philharmonique tchèque, une phalange
aux qualités légendaires qui se montra à la hauteur des complexes exigences
requises par les orchestrations mahleriennes… même quand elles ne sont
qu’incomplètement de Mahler ! En effet, Eliahu Inbal, fidèle à
ses opinions, dirigeait la reconstitution intégrale de la 10e Symphonie selon le deuxième stade des travaux de Deryck Cooke ; nos
lecteurs liront prochainement dans les pages de L’Éducation musicale les explications du maestro quant à ses choix
en la matière. De fait, il atteint une telle familiarité avec ces matériaux
et le style de Mahler, que – malgré nos réticences face à tout travail post-mortem qui court-circuite ipso facto les audaces imprévisibles
dans lesquelles le créateur “vivant” se serait engagé au gré de son processus
de composition anthume (pour reprendre
le mot d’Alphonse Allais) – on doit reconnaître n’avoir jamais entendu
ladite reconstitution Cooke sonner de manière si homogène. Certes, dans
le premier Scherzo, par exemple,
certains enchaînements harmoniques nous laissent perplexes car maladroitement
conventionnels et fort étrangers à l’insolite mahlerien, mais l’habile
circulation entre les blocs de couleurs et les lignes ductiles gouvernée par la
vigoureuse direction d’Eliahu Inbal réussit à unifier la logique
orchestrale des cinq immenses mouvements.
Eliahu
Inbal ©K. Miura
Donnée en première partie, et
précédant le désespoir terriblement violent de l’œuvre ultime, la vision,
pourtant aussi funèbre, des Kindertotenlieder revêtait le triste et tendre abandon d’une sensibilité alors moins éprouvée (la
composition s’étagea de 1901 à 1904). Thomas Hampson chante en son idiome, tant il est pénétré de l’œuvre
de Mahler, et son impériale projection, remplissant d’un souffle la Salle Pleyel,
lui permet de moduler à son gré chaque nuance sans que l’on perde une syllabe.
À la répétition, on voyait
Thomas Hampson y aller de ses suggestions aux musiciens de l’orchestre :
c’est qu’il connaît par une expérience plurielle les moindres détails de ces
partitions et sait ce qu’il veut y communiquer. Ce qui nous amène au
disque très innovant qu’il sort parallèlement.
Gustav MAHLER : Des Knaben Wunderhorn. Thomas Hampson (baryton), Wiener Virtuosen. DGG : 477 9289.
Cet enregistrement constitue
un document musicologique autant qu’une magistrale réussite musicale. Y
sont réunis les 14 lieder que Mahler puisa dans un recueil de chants populaires
collectés par Achim von Arnim et Clemens Brentano, pour les mettre en
musique de 1892 à 1901 (on reconnaît au passage les formes originales des deux
lieder qu’il développa parallèlement dans ses Deuxième et Quatrième Symphonies),
mais joués ici tels que Mahler les donna dans la petite salle Brahms du
Musikverein de Vienne, avec un effectif réduit reconstitué selon les documents,
matériels d’orchestre et critiques d’époque, étayés d’une lettre où Mahler
explique son objectif caméristique à
Richard Strauss en 1905. On a l’impression de redécouvrir, avec une
transparence inouïe, des musiques que l’on croyait connaître. On pouvait
craindre de perdre quelque chose de la somptuosité qu’autorise un grand
orchestre symphonique : au contraire, on découvre que les équilibres entre
vents, percussions et cordes obéissent à un tracé que seule la clarté de
l’épure fait ressortir dans tout son pertinent relief. Il est vrai que
les Wiener Virtuosen, qui ne sont autres que les chefs de pupitres de
l’Orchestre philharmonique de Vienne, jouent comme des dieux une musique dont
ils connaissent tous les secrets. Cette initiative est due à la
personnalité protéiforme et originale de Thomas Hampson, qui, loin d’être
un exhibitionniste du gosier comme tant de chanteurs, est aussi une tête
pensante, impliquée dans la recherche musicologique comme dans le travail
orchestral avec ses partenaires. Cet enregistrement repose sur la
nouvelle édition critique parue chez Universal (Vienne), dont Thomas Hampson
est un des artisans actifs en ce qui concerne les volumes consacrés aux lieder.
Sa collaboration avec la musicologue Dr. Renate Stark-Voit apparaît ici au
grand jour, que ce soit dans le texte qu’ils co-signent, ou dans la répartition
des tâches (Direction artistique : Thomas Hampson, Direction
musicologique : Dr. Renate Stark-Voit, affiche le générique).
De surcroît, la réalisation en a été financée par la Fondation créée par le
chanteur : The Hampsong Foundation (www.hampsongfoundation.org).
Toute la destinée
humaine traverse ces chants, qu’il s’agisse de comptines satiriques, de fables
populaires, de chansons dramatiques sur le sort de soldats (un sujet qui
semblait obséder Mahler, à entendre la vigueur de trait, le sens du drame tout
particulier qu’il y déploie). On est bouleversé par l’expression
poignante de la tragédie du petit tambour que l’on va exécuter (Der Tamboursg’sell) ou de la misère qui
tue l’enfant affamé (Das irdische Leben).
On sourit à la fraîcheur de Rheinlegendchen ou de Verlorne Müh’ !, à l’humour
de l’âne invité (parce qu’il a de grandes oreilles) à désigner le vainqueur
d’un concours de chant entre le rossignol et le coucou (Lob des hohen Verstands ; on ne vous dévoilera pas le choix du
juge !). Doit-on ajouter qu’avec une si longue pratique du
répertoire mahlerien, un voix si “plastique” à toutes ces intentions
dramaturgiques, une diction si attentive à la poésie germanophone, Thomas
Hampson incarne idéalement ces
lieder ? La prise de son épouse parfaitement l’équilibre restitué
par les interprètes. Voilà probablement le disque le plus original de
l’année Mahler.
D’un siècle l’autre…
…dans l’aire austro-allemande
Le bouillonnement de mutations, de
conséquences prolongeant ce qui avait précédé, ou au contraire de ruptures
esthétiques (voire les deux à la fois, chez certains), qui se joua autour des
années enjambant les XIXe et XXe siècles, rend les
programmes centrés sur cette époque passionnants et révélateurs de perspectives
infinies. En quelques jours, les concerts parisiens nous offraient de
parcourir les mêmes décennies à Vienne, en France et en Italie.
Sous la direction de Marc Albrecht, l’Orchestre national de France nous donnait un de
ses concerts les plus exaltants (27 janvier 2011), en couplant Schoenberg
à Brahms, et Brahms vu par Schoenberg. La joie de diriger irradie du chef
allemand, et elle rejaillit, non seulement sur les musiciens d’orchestre, mais
aussi sur la manière de communiquer la musique. Peut-on encore dire,
après la Musique d’accompagnement pour
une scène de film (expérience de création autour d’une scène imaginaire,
qui fut tentée par d’autres également), que Schoenberg est difficile d’accès,
voire rébarbatif ? Une page aussi expressive sur un synopsis qui, en
quatre mots, fait penser à Erwartung – « Danger menaçant, peur, catastrophe » – suscite
immédiatement l’adhésion émotionnelle du public. Rapprocher cet
expressionnisme de l’abstraction plus policée de Brahms n’est pas incongru,
comme en témoigne la défense et illustration de « Brahms le
progressiste » (titre d’un article célèbre) par le maître viennois.
Schoenberg a treize ans lorsque naît le Double Concerto pour violon &
violoncelle de Brahms, composé lors de l’été 1887, donc un an après la mort
de Liszt. Ce concerto bénéficia le 27 janvier d’une interprétation
inoubliable de chaleureuse grandeur, d’unité dans la perfection
collective : nous y découvrions deux jeunes artistes allemandes, dont
c’était la première apparition à Paris (gageons que ce ne sera pas la dernière !),
la violoniste Carolin Widmann et la violoncelliste Marie-Elisabeth Hecker.
Elles accomplissaient un merveilleux travail de symbiose chambriste entre leurs
deux parties, mais avec l’ampleur de souffle que réclamait l’orchestre emporté
d’un élan généreux par Marc Albrecht. Brahms et Schoenberg
rapprochés, disions-nous : mieux encore, fusionnés. Nous réécoutions
récemment au disque – sous la baguette de Sir Simon Rattle –
l’orchestration par Schoenberg du Quatuor
pour piano & cordes op.25 de Brahms. Autant le chef anglais
tirait cette étrange exercice vers la découpe des jeux de timbres révélant les
couleurs éclatées chères au novateur viennois, autant Marc Albrecht (pour le
plus grand bonheur des auditeurs, convenons-en !) orientait la même
orchestration vers un symphonisme brahmsien en sollicitant un riche travail des
cordes pour restituer le substrat appuyé sur des fondations profondes comme les
aimait Brahms, quelque effectif qu’il adoptât. Chauffant jusqu’à
l’incandescence la conclusion de son concert, il conduisait le Rondo final alla zingarese à un paroxysme électrisant.
L’Orchestre national demeure fidèle à la
disposition “en entonnoir” (contrebasses divisées à droite et à gauche,
violons I à gauche, violons II à droite, “barre” des violoncelles de
face, etc.) que nous avons déjà commentée, et l’on ne dira jamais assez le
fondu, l’homogénéité acoustique que cela confère à une orchestration dense.
Le 25 juin, Marc Albrecht nous reviendra à
la Salle Pleyel avec “son” orchestre (le Philharmonique de Strasbourg) pour
donner les Gurre-Lieder du même
Schoenberg : un événement à ne manquer sous aucun prétexte.
Marc
Albrecht ©Marco Borggreve
Mahler et Brahms encore pour la
« Dernière escale de la Folle Journée » à Tours le 12 février
2011 : le Quartettsatz d’un
Gustav de seize ans (encore sous influence brahmsienne) ouvrant le concert, il
incombait à Jean-Frédéric Neuburger d’installer un climat enveloppant l’auditoire dès le mystère surgi des
premières notes au pianissimo profondément timbré. Une arche, unifiant les rebondissements conflictuels
de la pièce, s’élevait alors de la passion commune au pianiste et à trois
membres du Quatuor Modigliani.
Un engagement de feu propulsait les jeunes artistes au long du vaste Quintette en fa mineur de Brahms, déchaînant l’enthousiasme du public.
Ce feu ne s’en nourrissait pas moins d’une grande maturité de pensée,
Jean-Frédéric Neuburger pesant le devenir de chaque dessin ou élément dans ces
architectures immenses ; lui répondait la plénitude du jeu des quartettistes.
Neuburger sait contrôler une gradation admirable de ses pianissimi toujours densément habités, et l’on aurait juste
souhaité que les instrumentistes du Quatuor Modigliani sachent par moments
tamiser leurs interventions, malgré le lyrisme qu’on ne saurait leur reprocher,
afin de mieux accompagner la savante dynamique du pianiste.
Les mêmes artistes viennent de sortir
l’enregistrement dudit Quintette op.34 chez Mirare (MIR 130), et l’on est ému par ce disque de référence où de
jeunes musiciens terrassent incontestablement tant de prestigieux aînés :
dès le premier mouvement nous frappent la beauté du modelé des phrasés (avec de
légers portamenti des cordes qui
romantisent, mais sans mauvais goût, le discours), la générosité du son des
quartettistes comme du pianiste, la force intérieure de l’élan qui projette
haut les voûtes d’une grandiose architecture, la vivacité des contrastes de
climats, la fougue impérieuse dont on sent néanmoins qu’elle est intelligemment
contrôlée. Écoutez comme chante avec spontanéité le thème, quasi Volkslied, du deuxième mouvement, avant
un Scherzo incroyablement cravachant,
trépidant, mais où ne faiblit jamais une impressionnante exactitude de jeu.
L’entrée, désarmante de mise à nu du cœur humain, dans le dernier mouvement, s’achemine
vers une autorité aussi souveraine que tempêtueuse. La deuxième œuvre
présente sur le disque associe deux altos, celui, instrumental de
Laurent Marfaing, et celui, vocal, de la Canadienne Andrea Hill,
épaulés par le piano de Jean-Frédéric Neuburger : il s’agit des Deux Chants op.91. Les trois
interprètes parviennent à une fusion pleinement convaincante ; ajoutons
cependant que l’atmosphère ocrée, ombrée, typiquement brahmsienne, doit beaucoup
au son si émouvant de Laurent Marfaing.
Un disque magistral, que l’on recommande
chaudement, d’autant que la prise de son est à la hauteur de la réussite
artistique. Un beau texte de Brigitte François-Sappey introduit aux
œuvres avec force notations très documentées.
On nous permettra juste une petite remarque :
alors que l’on peut remplir un disque compact jusqu’au-delà de 75 minutes,
celui-ci n’offre que 53 minutes de musique (quelles minutes, quelle
musique, j’en conviens, mais tout de même !). Que Jean-Frédéric
Neuburger soit précocément un grand brahmsien, on en avait reçu la preuve dès
ses premiers disques à Auvers-sur-Oise (les trois Sonates et le Scherzo op.4),
et l’on eût aimé qu’il apportât une touche pianistique supplémentaire à cet
édifice, la place libre permettant un opus d’assez vastes proportions.
…en France
Aujourd’hui, on tend à diversifier les
programmations de mélodies françaises, ce qui rappelle fort heureusement qu’il
y eut une vie, dans cette expression vocale, avant Fauré. Ainsi s’effectuent
des réévaluations favorables au répertoire du XIXe siècle
finissant. Accompagnant le lancement de son disque par un récital au
programme jumeau (Théâtre des Champs-Élysées, 28 janvier 2011), Stéphane Degout se distinguait par
son intelligence des textes, sa capacité à jouer en comédien des poèmes souvent
pittoresques. Sa voix de baryton sonne au mieux vers le registre aigu,
même si elle n’est pas de “baryton-Martin” (dont les derniers à transmettre la
couleur exacte furent Jacques Jansen et Camille Maurane ;
rappelons que cette dénomination emprunte à Jean-Blaise Martin, qui était à la
fin du XVIIIe siècle un ténor grave, une “basse-taille”) ;
descendant vers le registre inférieur, elle perd de la projection, ce qui
l’expose à être couverte par le piano, surtout lorsque celui-ci est magnifié
par le jeu riche et si chaud, quasiment symphonique, d’Hélène Lucas. En compagnie de Stéphane Degout, on
glissait des climats mélancoliques de Debussy (Trois poèmes de Paul Verlaine) au dramatisme de Duparc (la
fresque épique du Galop, les deux
tombes évoquées dans Lamento puis Élégie), puis on entrait dans
Saint-Saëns par une tombe aussi (Le cimetière),
avant de le montrer sous un visage enjoué (Tournoiement,
songe d’opium) : ces Mélodies persanes op.26, outre l’intérêt du compositeur pour les charmes moyens-orientaux,
peignent bien l’esprit à double facette de celui qui ne fut jamais réductible à
l’académisme corseté dans lequel on l’a (il s’est) enfermé.
L’insouciance de Chabrier culminait dans les savoureux jeux de rimes inspirés
par Rosemonde Gérard (Les Cigales,
où l’on professe que « les cigalons/Chantent mieux que les
violons ! »). La réévaluation la plus notable, ces dernières
années, concerne peut-être Reynaldo Hahn : les deux mélodies
extraites du Premier Recueil de
1896, Trois jours de vendanges et Cimetière de campagne, montrent un
compositeur capable de climats sensibles et profonds ; il en va de même de
bien d’autres œuvres de ce musicien, par ailleurs éminent critique dans la
presse de son temps, que l’on a trop souvent limité à quelques clichés le
rendant suspect aux yeux des commentateurs d’art “sérieux” : compositeur
d’opérettes, visiteur assidu des salons mondains, ami de Marcel Proust.
On ne saurait trop encourager Stéphane Degout à poursuivre dans ce filon,
par exemple avec les Études latines du même Reynaldo, et naturellement avec les somptueux cycles de mélodies de Massenet
– maître d’icelui – où sa partenaire pianiste excellerait aussi.
Revenant à des cycles célèbres, Stéphane
Degout, avant les Trois ballades de
François Villon de Debussy, se délectait (et nous régalait) des Histoires naturelles de Ravel, auxquelles
il faisait répondre, à l’heure des bis, les six premières mélodies du Bestiaire de Francis Poulenc. Il
nous quitta sur Hôtel du même Poulenc
(d’après Apollinaire), chanté avec une nostalgie douce-amère teintée
d’intentions ironiques.
Stéphane
Degout ©Cédric Roulliat
Archange de l’enjambement XIXe/XXe,
Gabriel Fauré ne sortit pas tout armé de la cuisse… de sainte Cécile :
le programme composé par l’Orchestre de Paris nous conviait à suivre la
progression de l’étudiant gravissant les marches du savoir à l’École Niedermeyer
(Psaume “Super flumina Babylonis” à
18 ans, puis Cantique de Jean Racine à 20 ans), avant d’épanouir sa création religieuse dans le Requiem à l’âge mûr. Était-ce bien
opportun, et si la grâce mélodique n’a jamais fait défaut à Fauré, une
succession de partitions somme toute assez impersonnelles ne risquait-elle pas
de mal préparer à la réception du chef-d’œuvre ? En diversions
laïques, on nous donna la Pavane pour
orchestre avec chœur postérieurement ajouté sur un poème de Robert de Montesquiou
que notre penchant pour l’univers proustien aimerait ne pas avoir à dénoncer
comme d’effroyables vers de mirliton. Puis l’Élégie pour laquelle ne fut guère requis le meilleur des
violoncelles solo de l’Orchestre : nous dûmes osciller au bord d’une
justesse pas immédiatement assurée au début de la pièce, et nous souvenir
d’illustres artistes ayant donné toute la chaleur lyrique à l’expression de
cette page fameuse. Sympathique hommage, donc, mais peut-être imprudent de
par sa volonté monographique où manquaient les contrastes stylistiques.
Quoi qu’il en soit, Paavo Järvi se distingue toujours par la grande souplesse avec laquelle il modèle le
cheminement et les réactions de ses troupes, et le Chœur de l’Orchestre de
Paris se montra à la hauteur d’un programme qui reposait largement sur ses
épaules… ou plutôt sur ses gosiers. Dans le Requiem intervenaient la soprano Chen Reiss, d’une fragile
innocence, et le Liedersänger Matthias Goerne, qui n’est peut-être
pas la voix idéale requise pour les interventions réduites du baryton. Et puis, quelque bonne âme serait bien
inspirée de suggérer à M. Goerne qu’un minimum d’élégance, tant dans la
tenue vestimentaire que dans le maintien en scène, n’est pas interdit à qui
s’expose aux feux de la rampe. Un élément, instrumental cette fois, a
désagréablement chatouillé nos oreilles : à force d’aménager des salles de
concert sans orgue dans Paris, on récolte ce que l’on a semé ! L’orgue
joue un rôle important dans le Requiem de Fauré (lui-même organiste), il apparaît même à découvert ; la grande
misère de nos salles fait que l’on nous a infligé un orgue électronique au son
“moche”, ne permettant pas la moindre coloration susceptible de répondre à la
beauté des chœurs et de l’orchestre. Quand on cessera de considérer en
France l’orgue comme un bahut encombrant tout juste bon à prendre la poussière
au fond des églises, alors qu’on inaugure sans cesse des orgues nouvellement
construits dans toutes les salles du monde, un progrès aura été accompli !
Paavo
Järvi ©Sasha Gusov
…en Italie
Comme à l’accoutumée, la programmation de
l’Amphithéâtre de l’Opéra Bastille enrichissait la connaissance du
répertoire gravitant autour de l’œuvre lyrique donnée sur scène : en ce
mois de février, Francesca da Rimini de Riccardo Zandonai. Ainsi envisagions-nous le même passage d’un siècle
à l’autre sous l’angle italien. Ce qu’on appelle la generazione dell’Ottanta désigne les compositeurs, nés autour de
1880, qui ressuscitèrent la musique instrumentale dans la péninsule toute
entière vouée à l’art lyrique : Respighi (né en 1879), Pizzetti (1880),
Malipiero (1882), Zandonai (1883), Casella (1883). Tous n’étaient pas
représentés dans ce cycle de concerts, mais veillait sur eux l’ombre du
précurseur, Giuseppe Martucci (1856-1909), plus réputé comme chef
d’orchestre ayant dirigé la première italienne de Tristan et Isolde que comme compositeur (mineur) décalquant les
canons de la musique orchestrale et chambriste allemande. On avait fait
venir de Vienne le Quatuor Aron : n’eût été la difficulté de trouver
un ensemble ayant de rares partitions italiennes à son répertoire, la dépense
des billets d’avion se serait-elle justifiée ? Justesse
approximative, hétérogénéité subsistant entre les sonorités et l’engagement des
quatre partenaires, les Viennois renvoyaient par antidote notre pensée à la
formidable richesse dont la France peut actuellement s’enorgueillir en matière
de quartettistes (citons les Modigliani, Diotima, Ébène, et la liste n’est pas
close : generazione dell’Ottanta du XXe siècle, dans un autre genre !). Le pâle reflet
de romantisme attardé dégagé par les
(respectivement) quatuor et quintette de Zandonai et Martucci ne pouvait s’en
trouver magnifié, tandis que Crisantemi de Puccini souffrait de la comparaison avec nombre de grandes
interprétations. Aujourd’hui âgé de 75 ans, le pianiste Bruno Canino prêtait son
originalité à ces exhumations, d’abord dans le susdit quintette, puis en
récital : lui qui fut acteur de tant d’épisodes de la musique
contemporaine en Italie, il proposait un panorama débordant largement le cadre
strict de la démonstration.
Bruno
Canino ©DR
Dallapiccola, Petrassi, Scelsi s’invitaient
au partage du clavier, même si les pages choisies ne comptaient guère parmi les
sommets de leur catalogue. À dire vrai, la découverte la plus originale
émanait… d’un peintre-décorateur-écrivain-musicien : Alberto Savinio
(1891-1952), frère de Giorgio di Chirico, personnage inclassable et
imprévisible, porté à taquiner plusieurs muses à la fois. En écoutant ce
soir-là Bruno Canino, tant de fois entendu dans des pages d’aujourd’hui,
d’hier, mais plus rarement d’avant-hier, on éprouvait un sentiment
mitigé : s’attaquant à la Toccata de Busoni ou s’infiltrant dans ce que l’on nomme en italien le tardo-romanticismo (expression
stylistiquement plus juste que son équivalent français, post-romantisme, qui ne veut pas dire grand-chose), il laissait
ressortir un travers qui parfois nous perturbe chez les interprètes trop
uniment voués à la musique contemporaine, à savoir un traitement du son
déconnecté de la substance qui modèle l’expression ; une pédalisation
désarmante de maigreur, un toucher certes élastique mais jamais en profondeur,
nous laissaient sur notre faim. La remise à l’honneur de ces pans trop
négligés de la musique italienne aurait nécessité plus de discernement pour lui
donner une portée significative.
Sylviane Falcinelli.
***
Si, à l'Opernhaus Zürich, Le Comte Ory laisse perplexe...
Gioacchino Rossini : Le Comte Ory.
Opéra en deux actes. Livret d’Eugène Scribe et Charles-Gaspard
Delestre-Poirson, d'après leur vaudeville (1816) et la romance « Le
Comte Ory et les nonnes de Formoutiers » tirée de la collection
« Pièces intéressantes et peu connues pour servir à l'histoire et à la
littérature » (1785) de Pierre-Antoine de La Place. Cecilia Bartoli, Javier Camarena, Carlos Chausson, Rebeca Olvera,
Liliana Nikiteanu, Oliver Widmer, Teresa Sedimair. Orchestra La Scintilla
der Oper Zürich, dir. Muhai Tang. Mise en scène :
Moshe Leiser & Patrice Caurier.
©Suzanne
Schwiertz/Opernhaus Zürich
Rarement joué aujourd'hui, contrairement au
succès retentissant qui le garda à l'affiche longtemps après sa création en
1828, Le Comte Ory occupe une place particulière dans la production de
Rossini : cet avant-dernier opéra est écrit en français ; appartenant
au genre comique, il fait figure de troisième voie entre l'opéra bouffe
italien, dont il n'a pas les récitatifs secco, et l'opéra-comique à la
française, eu égard à l'absence des dialogues parlés ; enfin, l'auteur y a
« recyclé » une large partie des numéros musicaux de son précédent
ouvrage, Le Voyage à Reims. Ainsi y retrouve-t-on, pour tenir lieu
de finale du premier acte, une forme abrégée en nombre de voix solistes du gran
pezzo concertato de cette dernière œuvre ; de même que l'air en forme
de catalogue de la basse Don Profundo est repris dans celui narrant les
exploits de Rambaud, le fidèle écuyer du comte. L'intrigue propose en fait deux
fois le même scénario : afin de séduire la belle comtesse Adèle, le jeune
comte Ory usera de la ruse du déguisement, successivement en ermite puis en
nonne. Malgré une trame dramatique relativement réduite, Rossini dispense
une musique toute en finesse et forge les situations comiques à l'aune d'un
humour raffiné.
©Suzanne
Schwiertz/Opernhaus Zürich
Le comique appuyé que favorise la
production zurichoise en est bien loin. Le tandem Patrice Caurier et
Moshe Leiser, qu'on a vu ailleurs manier avec brio une subtile vis comica - on pense à leurs productions de L'Italienne à Alger ou du Barbier
de Séville au Royal Opera de Londres -, verse ici dans le plus débridé esprit
gaulois, empilant les gags parfois à la limite du mauvais goût. Le comte
Ory, joyeux drille certes, libertin sûrement, est un obsédé sexuel dont les
mimiques confinent souvent à la pantomime grotesque. Ainsi au Ier acte,
le prétendu ermite apparaît-il sous les traits d'un faux aveugle, mi-curé
mi-gourou, attirant ses jeunes proies dans une caravane de luxure. La
cavatine de la comtesse y sera gâchée par une extravagante pitrerie dont le
résultat est de déclencher une bruyante hilarité au détriment du perlé des
vocalises de madame Bartoli. L'histoire, explique-t-on, a été mise au
goût de l'époque « soixante huitarde » de libération des mœurs.
Elle devient en fait une parodie « franchouillarde » ; ce que
souligne la décoration de Christian Fenouillat qui, abandonnant sa manière
suggestive habituelle, donne libre cours à un naturalisme de premier degré où
rien ne manque ni du détail répétitif (une théorie de drapeaux tricolores
brandis par les choristes), ni du recours aux véhicules - décidément fort prisé
à l'Opernhaus : outre la caravane XXL, une jeep, puis la deux CV
au volant de laquelle la comtesse fait son entrée en scène. Est-ce
volonté de satisfaire au goût local, car l'auditoire s'amuse
beaucoup ? Les choses fonctionnent mieux au IIe acte
qui calque plus les jeux de scène sur le rythme musical. Mais, là encore,
le délicat trio « À la faveur de cette nuit obscure », l’une des
pages les mieux venues de la partition, sera vite noyé sous la déferlante de
rires que déchaîne une scène de séduction-quiproquo virant à la
pantalonnade. Ne maîtrise pas qui veut l'art de transformer en or des
situations invraisemblables basées sur le changement d'identité. De la
direction musicale du Chinois Muhai Tang, peu habitué de la scène lyrique, on
dira qu'elle est correcte à défaut d'être inspirée. Mais la sonorité de
l'Orchestre La Scintilla, jouant sur instruments d'époque, ne manque pas de
saveur ni d'intéressantes couleurs dont s'accommode la riche instrumentation
rossinienne. Trois voix se détachent du lot : le vétéran Carlos
Chausson, qui se tire d'affaire avec un sûr métier et offre la vocalité d'une
vraie basse bouffe ; Javier Camarena, à l'aise dans une partie délicate de tenor di grazia parsemée de contre-ut aussi périlleux que savoureux dans
leur caractère inattendu ; Cecilia Bartoli surtout, qui par sa formidable
présence donne quelque poids à l'affaire, même si le rôle de la comtesse Adèle,
malgré ses prestiges, offre peu matière à démonstration vocale.
…la production de Tannhäuser possède de sérieux atouts.
Richard Wagner : Tannhäuser und der Sängerkrieg auf Wartburg. Action
musicale en trois actes. Livret du compositeur. Peter Seiffert, Nina
Stemme, Vesselina Kasarova, Michael Volle, Alfred Muff, Christoph Strehl,
Valeriy Murga, Patrick Vogel, Andreas Hörl, Camille Butcher. Chor und
Orchester der Oper Zürich, dir. Ingo Metzmacher. Mise en scène :
Harry Kupfer.
©Suzanne
Schwiertz/Opernhaus Zürich
La nouvelle production de Tannhäuser est une autre affaire. Dans cette « action musicale » tirée de
la littérature du haut Moyen Âge, Richard Wagner traite de l'homme partagé
entre des aspirations contradictoires. L'interprétation contemporaine y
voit, à juste titre, le thème du drame de l'artiste confronté, dans son ego
profond et ses aspirations vers la modernité, à une société ancrée dans le
conformiste de la tradition et la volonté de ne rien changer aux normes
établies. Aussi, pour exister, le chevalier Tannhäuser provoque-t-il. Sa
protestation a, en soi, presque quelque chose d'anarchiste. S'il échoue
finalement, c'est plus par incapacité à se faire comprendre que par
faiblesse. Dans cette œuvre Wagner rompt avec les canons de l'opéra
romantique pour élever le propos à la hauteur d'une pensée philosophique dont
Liszt saluera d'emblée la profondeur. Il offre aussi un premier exemple
de ce procédé du leitmotiv qui fera florès dans ses drames ultérieurs.
Écrite en 1845, elle sera retouchée pour la reprise parisienne de 1861.
La version de l'actuelle production zurichoise opte pour un mélange des deux
manières, celle dite de Paris pour le Ier acte, comportant en
particulier un élargissement de la scène entre Vénus et Tannhäuser, et celle
dite de Dresde pour les deux autres ; ce qui n'est pas sans comporter une
légère rupture dans la mesure où, seize ans après la création de l'opéra, le
style du compositeur a largement évolué.
©Suzanne
Schwiertz/Opernhaus Zürich
La mise en scène de Harry Kupfer actualise
le parcours d'un héros tiraillé entre deux mondes antagoniques. Il sera
ballotté entre un Venusberg qui tient du bordel de luxe aux couleurs
rougeoyantes, où se retrouve parmi les bacchantes et autres ménades la crème
d'une société dépravée, hauts dignitaires militaires et ecclésiastiques, puis
une salle d'hôpital où il échoue après avoir fui les attraits de la déesse de
l'amour, enfin le green d'un golf où aiment à se divertir le Landgrave Hermann
et ses amis. S'il rejoint, au deuxième acte, la vaste salle impersonnelle
de la Wartburg, pour une joute chantée autour d'un piano à queue, son retour de
Rome le transporte, au dernier acte, dans un vaste et froid hall de gare, tout
comme ses coreligionnaires revenus du pèlerinage au lieu saint. Sur
ces visions paroxystiques dans leur modernité, Kupfer laisse place au
théâtre. Son héros emporte quelque chose de négatif dans ses diverses
tentatives pour exister, en butte au rejet d'une société réactionnaire,
religieuse en particulier. La figure d'Élisabeth est au centre de la
magistrale composition du deuxième acte : une femme jeune que sa pureté oppose
à l'envoûtante Vénus, certes, mais qui trouve les accents vrais pour sauver
l'être chéri de la réprobation, animée de pitié et profondément aimante, plus
que vierge intouchable au sens de l'imagerie moyenâgeuse. Élisabeth vit
un déchirement qui, après une sublime prière d'agonie, deviendra
renoncement. Au final, Tannhäuser est comme canonisé, tandis que quelque
cataclysme dispersant l'assistance semble lui donner raison quant à l'avènement
d'un ordre nouveau : une fin faisant fi du triomphe de l'ordre
rétabli. À cette vision chargée de sens, dérangeante parfois, répond une
interprétation musicale qui prend le temps de scruter tous les méandres de la
partition. La direction de Ingo Metzmacher favorise en effet des tempos
mesurés, voire très lents. L'orchestre de l'Opernhaus résonne de couleurs
resplendissantes ; tout comme est valeureuse la prestation des
chœurs. La distribution convoque un panel de grandes voix. Nina
Stemme, qui s'affirme comme la grande soprano wagnérienne du moment, est une
immense Elisabeth : timbre lumineux enrichi d'un legato parfait,
composition ultra-sensible. Michael Volle propose un émouvant Wolfram,
modelant son chant avec goût (n'était le tempo étiré affectant la Romance à
l'étoile). Pour sa prise de rôle, Vesselina Kasarova triomphe de la
partie redoutablement tendue de Vénus et séduit par une composition tout en
nuances. Le Tannhäuser de Peter Seiffert tonne à la façon d'un heldentenor là où il faudrait une flexibilité toute italienne ; mais la vision ne
manque pas de panache et la réserve vocale lui permet d'assurer de tout son
impact le poignant récit de Rome.
Le Jules César de Haendel fait peau neuve à l'Opéra Garnier.
George Frideric Handel : Giulio Cesare. Opéra en trois
actes. Livret de Nicola Francesco Haym, d'après Giacomo Francesco
Busani. Lawrence Zazzo, Christophe Dumaux, Natalie Dessay, Varduhi
Abrahamyan, Isabel Leonard, Nathan Berg, Dominique Visse, Aimery Lefèvre.
Chœurs de l'Opéra national de Paris. Le Concert d'Astrée, dir.
Emmanuelle Haïm. Mise en scène : Laurent Pelly.
©Agathe
Poupeney/Opéra national de Paris
Est-il plus suprême chef-d'œuvre dans
l'immense production de Haendel que son opéra Giulio Cesare ?
Il y fait montre d'une fécondité prodigieuse aussi bien par le nombre des
personnages façonnant l'action que par la diversité des morceaux musicaux qui
leur sont dédiés. Pour être souvent épique et comporter son lot de
rebondissements, l'action n'en reste pas moins basée sur la peinture de
caractères et de leurs affects, l'angoisse, le désespoir, la déploration
tragique, la passion amoureuse. De l'épopée égyptienne de César, Laurent
Pelly, pour cette nouvelle production au Palais Garnier, joue le second degré,
pour le moins. Dans l'espace à la fois vaste et confiné de ce qui tient
de la réserve du Musée du Caire, encombrée de vestiges, statuaire et autres
colosses nubiens, l'action est conçue comme une pièce qu'improvisent des
personnages sortis d'on ne sait où, sous l'œil indifférent d'une escouade de
manutentionnaires affairés à classer, répertorier, déplacer tels objets ou
charrier d'imposantes caisses. Parfois se joindront-ils à l'action, comme
piqués par la curiosité de ce qu'on prenne pour théâtre leur lieu de
travail. L'agitation en arrière-plan est de rigueur durant le da capo des arias. Reste que cette démarche d'animation a quelque chose de
factice. Il est dommage aussi qu'on n'ait pas cherché à mieux différencier cet
entourage strict qui appartient aux figures des Romains et l'univers plus
libéré et fastueux qui est celui des Égyptiens. Certes, des images originales,
telle Cléopâtre délivrant sa première aria juchée sur le gisant d'un grandiose
colosse du Nil, ne manque pas d'impact. On sait que Pelly se plaît
malicieusement à montrer ce que les situations ont de dérisoire et se fait un
malin plaisir à démythifier ce qui, à l'opéra, participe du convenu. On le sent
pourtant moins inspiré cette fois ou désarmé devant la dimension quasi
shakespearienne de la pièce, et prisonnier d'une décoration qui n'a vite plus
grand chose à démontrer. Même la direction d'acteurs laisse
perplexe : la gestuelle est souvent banale. Ainsi du personnage de
Cornelia dont la discrétion peut confiner à la froideur, et plus encore de
celui de Sesto, bien peu habité de l'ardeur et du feu de la vengeance ;
leur bouleversant duo au final de Ier acte laisse sur une
impression de drame trop contenu. Les personnages égyptiens sont mieux
traités, l'irrésistible Cléopâtre surtout. La personnalité de
l'interprète, Natalie Dessay, rompue au style libéré du metteur en scène, est
là déterminante. Et l'on sent bien que c'est autour d'elle qu'il a
organisé sa dramaturgie.
©Agathe
Poupeney/Opéra national de Paris
Le volet musical réserve plus de bonheur,
eu égard aux prestations vocales en particulier. Bien sûr, les regards se
tournent au premier chef vers Cléopâtre. Pour son retour à la scène
baroque, dans une forme vocale éblouissante, Natalie Dessay montre combien ce
style est loin de lui être étranger : la beauté du chant rejoint une
prestation scénique irrésistible de naturel persifleur ou de tragique
assumé. Sa frêle apparence ajoute à la résolution d'un personnage qui se
met en scène, ne semble céder devant aucun obstacle, ne doutant pas un instant
de son charme, tour à tour frivole, coquette, sensuelle, stratège, vraiment
désespérée, reprenant le dessus pour retrouver ce goût du pouvoir qui n'a
jamais cessé de l'habiter. Le prestige de ses collègues n'est pas
moindre. Le César du contre-ténor Lawrence Zazzo, après un début mesuré,
fait montre d'une belle faconde vocale, comme dans l'air « Ah brises, de
grâce, emplissez ma poitrine », développant un sublime chant lié. On
saisit, ne serait-ce que pour une question de vraisemblance, combien il est
plus satisfaisant de confier le rôle à un contre-ténor plutôt qu'à un contralto
féminin. La Cornelia de Varduhi Abrahamyan, n'était le peu de noblesse
tragique qui lui est autorisé, offre une fervente déclamation lyrique.
Isabel Leonard, Sesto, déploie elle aussi un timbre de mezzo chaud et bien conduit.
Dans le camp des Égyptiens, Christophe Dumaux, Ptolémée, pur exemple de la
vitalité de l'école des contre-ténors français, campe un adolescent irascible
et sûr de lui. Le vétéran Dominique Visse, Nireno, truffe son jeu d'une
verve savoureuse, même si canalisée par Pelly. La direction d’Emmanuelle
Haïm, inscrite dans le beau galbe sonore de son concert d'Astrée, se veut
chambriste. Elle ne cherche pas l'éclat, et certains tempos paraissent à
la limite lymphatiques (premier air de Sesto), voire un brin pondéreux (aria de
César au Ier acte avec cors obligés). Mais la pâte sonore ne
manque pas d'atours, surtout lorsqu'il s'agit de peindre les diverses facettes
du personnage de Cléopâtre. La complicité avec l'interprète est alors
perceptible.
©Agathe Poupeney/Opéra
national de Paris
Francesca da Rimini à l'Opéra Bastille : une
rutilante fête sonore.
Riccardo ZANDONAI : Francesca da
Rimini. Tragédie lyrique en quatre actes. Livret de Tito
Ricordi d'après la tragédie homonyme de Gabriele D'Annunzio. Svetla Vassileva, Roberto Alagna, George Gagnidze,
Wojtek Smilek, William Joyner, Louise Callinan, Grazia Lee, Manuela Bisceglie,
Carol Garcia, Andrea Hill, Cornelia Onciou. Violoncelle solo :
Cyrille Lacrouts. Orchestre & Chœurs de l'Opéra national de
Paris, dir. Daniel Oren. Mise en scène : Giancarlo del Monaco.
©Mirco Magliocca/Opéra national de Paris
Rarement représentée, la tragédie lyrique Francesca
da Rimini fait son entrée à l'Opéra national de Paris. Son auteur,
Riccardo Zandonai (1883-1944), qui voit sa carrière éclore en plein mouvement
vériste, a cherché à s'en émanciper, tout comme il se fraiera une voie
personnelle à côté de Puccini. Grand admirateur de Richard Strauss et de
Debussy, ce fin lettré fréquentera aussi les poètes de son temps, Pierre Louÿs,
Maurice Maeterlinck ou Gabriele D'Annunzio. Il sera l’un des chantres de
l'Art nouveau musical de l'Italie à l'aube du XXe siècle.
L'opéra est une adaptation, moyennant de larges coupures, de la tragédie
homonyme de D'Annunzio, écrite en 1901 pour une célèbre tragédienne de
l'époque, la Duse, et elle-même inspirée d'un épisode de la Divine Comédie de Dante Alighieri. Le compositeur le concevra à son tour à l'attention
de celle qui devait devenir son épouse, Tarquinia Tarquini, une cantatrice
aux vastes moyens puisqu'interprète aussi bien de Salomé que de Carmen, qui
finalement renoncera peu avant la Première. Influencé par le langage
flamboyant mais aussi quelque peu emphatique du grand poète italien, Zandonai
fait voisiner, en un curieux mélange, romantisme exacerbé et impressionnisme
diaphane, déchaînements tragiques et lyrisme grandiose. Le souffle
dramatique est indéniable, même si la concision d'un Puccini n'est ici pas de
saison. D'audacieuses harmonies côtoient des pages d'un grand raffinement
dans un sens peu commun du contraste (une musique de scène, par exemple, en
surimpression de l'orchestre de fosse) et la splendeur sonore peut enfler jusqu'à
la limite de la fièvre.
©Mirco Magliocca/Opéra national de Paris
La mise en scène de l'Opéra Bastille,
signée Giancarlo del Monaco - et empruntée à l'Opernhaus de Zurich - affiche
délibérément sa fidélité à Gabriele D'Annunzio dont l'image du masque mortuaire
s'inscrit d'ailleurs sur le rideau de scène. Elle tire son originalité
d'une décoration décalquant le style ampoulé de la villa du poète au bord du
lac de Garde, le « Vittoriale degli Italiani », laquelle tient du
musée, voire du mausolée artistique. Un univers visuel résolument
naturaliste fait se succéder, entre autres, un parc luxuriant bardé de bosquets
à la flore envahissante ou une chambre encombrée d'objets hétéroclites,
statues, peintures, bibelots - le style Renaissance le disputant à l'Antique
romain. La dramaturgie reste dans l'orbite de la convention pour ce qui
relève des scènes d'ensemble et du traitement des personnages. L'épine
dorsale de l'intrigue est un triangle amoureux : un impossible amour qui
conduira au trépas deux amants surpris en flagrant délit, sous le coup fatal
donné par le mari trompé et le frère de celui-ci, son factotum des basses
besognes. Une trame qui n'est pas sans rappeler le tragique destin de
Tristan et Yseult, expressément évoqué dans le texte. Une galerie de
portraits en tout cas aux passions exacerbées, sur fond de querelles familiales
et de guerres fratricides. Zandonai a conçu sa tragédie pour des voix de
fort gabarit et surtout des acteurs possédant une vraie aura théâtrale.
Ainsi le personnage-titre est-il très exigeant, requérant une tension
soutenue. Svetla Vassileva donne beaucoup et garde même une fraîcheur
vocale étonnante au fil d'une longue soirée, lui permettant de soutenir avec
brio les assauts finaux et le duo d'amour ultime. Encore que la grande
figure lyrique de Francesca eût mérité galbe vocal plus étoffé et présence plus
assurée. Roberto Alagna, en belle condition vocale, défend le rôle de
Paolo Il Bello avec panache, mêlant habilement héroïsme et lyrisme
exalté. On lui sait gré d'avoir inscrit ce personnage à son répertoire,
même si, là encore, un régisseur plus imaginatif aurait pu l'aider à façonner
d'une dimension plus pénétrante le destin de l'amant malheureux. Giovanni, le mari disgracieux et trompé,
George Gagnidze en possède la morgue vocale, mais reste trop attaché au cliché du
traître de comédie ; tout comme le Malatestino de William Joyner. Le
brelan de rôles féminins entourant Francesca est d'une belle tenue. Le
plus grand mérite revient cependant à l'Orchestre de l'Opéra qui sous la
conduite fébrile de Daniel Oren, déploie des trésors de sonorités brillantes ou
en demi-teintes. Ils ne sont sans doute pas nombreux les chefs qui
possèdent comme lui cet idiome particulier qui, souvent en quelques phrases,
fait basculer le discours de l'extrême faconde sonore au raffinement d'une
orchestration opalescente.
La glorieuse sonorité de l'Orchestre du Concertgebouw, à Pleyel.
La venue à Paris de l'Orchestre Royal du
Concertgebouw d'Amsterdam devait faire salle comble, Salle Pleyel, dans un
programme pourtant sans surprise. Cet orchestre est célébré pour sa
sonorité unique qui le place dans le peloton de tête des phalanges européennes,
forgée par les grands chefs principaux que furent, depuis sa création en 1888, Mengelberg,
van Beinum, Haitink, Chailly. Ce qui frappe, c'est nul doute
l'homogénéité de la sonorité d'ensemble qui se nourrit d'une extrême perfection
instrumentale quels que soient les pupitres, alliant profondeur et
flexibilité. Le programme, dirigé par leur chef permanent actuel, Mariss
Jansons, relevait de l'affiche la plus classique, Rossini-Mozart-Beethoven, et
du canon rabâché qu'est le triptyque ouverture-concerto-symphonie. En guise de mise en bouche, l'ouverture de L'Italienne
à Alger, jouée par une formation très fournie, offre au maestro Rossini une
verve mesurée dont émerge un rutilant solo de hautbois. Le 24e Concerto pour piano de Mozart, là encore donné par un effectif tout sauf
chambriste, est autrement plus sombre. Le norvégien Leif Ove Andsnes en
propose une exécution d'un sûr fini, au toucher délicat, quoique d'une certaine
modestie quant à la conception générale, plus objective que pathétique.
La vraie imagination viendra dans les variations de l'allegretto final. Autant
que le soliste, on admire un fabuleux travail d'orchestre, la section des bois
en particulier dont le « concertino » qui se fait jour à plusieurs
reprises et le dialogue savant avec le piano confèrent à la pièce une saveur
qui n'est pas la moindre de ses originalités. Un bis de Chopin montrera
la belle ductilité du jeu du pianiste. La Septième de Beethoven se
voit offrir une exécution irréprochable qui n'échappe toutefois pas à quelque
monotonie dans le long premier mouvement, donné avec ses reprises, et se
complaît dans une lenteur trop calculée à l'allegretto suivant, même si le
climat est ici proche de celui d'une marche funèbre. La rythmique assurée
caractérisant les deux derniers mouvements, qui ont valu à la symphonie de se
voir décrite par Wagner comme « l'apothéose de la danse », Jansons la
voit plus martiale que dionysiaque. Certes, cela sonne de manière racée,
propre à laisser l'auditeur conquis par l'opulence du flot orchestral.
Mais, est-ce là tout ? En bis, l'ouverture des Noces de Figaro que Jansons pare - enfin - d'une subtile scansion, est emplie de cet esprit qui
annonce l'étourdissant tourbillon de la Folle journée. Au final, voilà le
type de l'excellente prestation façon concert d'abonnement - une leçon
d'orchestre à méditer pour nos ensembles parisiens - plus que la soirée
événement à laquelle l'orchestre néerlandais nous a habitués.
©Julien Mignot/Salle
Pleyel
Jean-Pierre Robert.
Magnifique Petite Sirène,
Salle Pleyel. Concert
« Jeune Public ». Orchestre philharmonique de
Radio France, dir. Andrey Boreyko. Irène Jacob
(récitante).
Heureuse initiative que cette collaboration
entre le « Philhar » et France Culture, à l’occasion de ce
concert « Jeune public » consacré à La Petite Sirène, à partir du conte d’Andersen, sur une musique
d’Alexander von Zemlinski (1871-1942) avec, en filigrane, le drame de la
rupture du compositeur avec Alma qui devait lui préférer Gustav Mahler.
Force est d’avouer que les allées de la Salle Pleyel, envahies par les
enfants, étaient le siège d’une agitation inhabituelle, bien sympathique, ce
matin-là… Mais le silence se fit dès l’arrivée sur scène
d’Irène Jacob et d’Andrey Boreyko, fixant alors tous les regards et
mobilisant toutes les attentions.
Irène
Jacob ©Brice Cauvin
Après un didactique rappel sur les
leitmotive et les différents instruments, l’histoire pouvait commencer, racontée
par la talentueuse Irène Jacob, à la voix d’une sensuelle gravité, donnant
au récit tout son potentiel émotionnel et sa profusion d’images, parfaitement
relayées par la formidable interprétation du « Philhar », sous la
direction précise, souple et inspirée du fougueux chef russe. Une
magnifique symbiose entre texte et musique, emplie de poésie, de sonorités
orchestrales faites, tantôt de scintillements tantôt d’abyssales profondeurs,
de joie, de douleur, de tristesse, remarquablement rendues par la très fine
orchestration de Zemlinski. Une ovation méritée concluait cette
matinée. Un concert entrant dans le cadre d’un programme pédagogique,
mené depuis dix ans, par l’Orchestre philharmonique et son directeur Myung-Whun
Chung. Une belle réussite, un spectacle familial, pour parents et
enfants, à renouveler, sans aucun doute. Renseignements : www.zikphil.fr
Andrey
Boreyko ©Marcel Grubenmann
Festival Présences 2011. 21e édition. Théâtre du Châtelet.
Il paraît, bien sûr, difficile de retracer
dans ces colonnes l’ensemble des concerts d’un festival consacré, cette année,
au compositeur et chef d’orchestre Esa-Pekka Salonen. Parmi les nombreux
beaux moments, quelques-uns furent particulièrement significatifs de
l’évolution et de l’esthétique du compositeur finlandais. En ce qui
concerne la musique de chambre, la série Yta qui signifie surface, une
surface particulièrement mouvante dans Yta II, création française,
composée en 1985, surface qui vous enveloppe, vous envoûte pour mieux vous
conduire à la limite de la transe et de la brisure, une musique formidable au
sens étymologique du terme, presque effrayante comme un écoulement qui vous
entraîne, avant de se tarir en s’élargissant dans le silence. Une autre
très belle composition, Second Meeting, création française, pour
hautbois & piano, composée en 1992, un duo virtuose entre les deux
instruments, comprenant deux lignes mélodiques qui s’écartent l’une de l’autre
avant de se retrouver, de s’enlacer, de se répondre avec des variations
rythmiques saisissantes donnant un sentiment d’urgence.
Esa-Pekka Salonen ©Clive Barda
Occasion de souligner la remarquable
interprétation d’Hélène Villeneuve au hautbois. Dimitri Vassilakis,
également remarquable au piano, laissera libre cours à son talent dans Dichotomie,
composée en 2000, où le piano se fera tour à tour symphonique, orchestral ou
intimiste tout au long des deux mouvements, Mécanisme et Organisme.
Une mise en miroir, particulièrement intéressante, avec le Gaspard de la
nuit de Ravel, concluait ce concert, mettant en évidence l’étonnante
modernité de la musique de Ravel ainsi que le chemin de l’Autre à Soi qui
caractérise, du moins en partie, les compositions de Salonen. Pour ce qui
concerne la musique symphonique, il convient de signaler la vertigineuse Helix,
composée en 2005, dédiée à Valery Gergiev, sorte de spirale musicale qui
conduit d’une introduction idyllique à une conclusion frénétique, évoluant d’un
seul tenant où toute ressemblance avec le dédicataire serait évidemment
fortuite, un phénoménal Concerto pour violon, composé en 2009,
magnifiquement interprété par Leila Josefowicz, poussant le violon aux
limites de ses possibilités, en quatre mouvements où le ton se fait, tour à
tour, virtuose, tapageur, agressif, méditatif, statique ou nostalgique, une
composition intitulée Wing on Wing pour deux sopranos et orchestre
(Anu Komsi, Piia Komsi et le remarquable Orchestre philharmonique de
Radio France), métaphore musicale du vent, dédiée à Frank Gehry, architecte du
Walt Disney Concert Hall de Los Angeles, où, coïncidence ou non,
l’accent est mis sur la spatialisation du son, avec des chanteuses d’abord
associées à des instruments graves, contrebasson et clarinette basse, de part
et d’autre de la scène, qui se déplacent ensuite dans différentes parties de la
salle, occupant ainsi la totalité de l’espace sonore, enfin le Concerto pour
piano & orchestre, composé en 2007, interprété par Bertrand Chamayou,
alternant lyrisme, virtuosité, méditation, magnifique trait d’union entre
tradition et modernité. Si nous connaissions déjà le chef d’orchestre,
voilà un festival qui aura permis au plus grand nombre de faire connaissance
avec le compositeur.
Orchestre philharmonique tchèque, dir.
Eliahu Inbal. Thomas Hampson (baryton). Salle Pleyel.
Un concert tout entier consacré à Gustav
Mahler (1860-1911) comprenant, en première partie, les Kindertotenlieder et, en seconde partie, la Symphonie n°10, dans sa reconstitution de Deryck Cooke. Les chants des enfants morts confirmaient la supériorité incontestable de la version orchestrale par rapport
à la version pour piano seul, témoignant, ainsi, de la richesse de
l’orchestration mahlérienne, indispensable au climat si particulier des ces
lieder : « J’ai de la peine pour le monde qui devra un jour entendre
ces lieder, tant leur contenu est terriblement triste ». Parfaitement
chantés par le baryton Thomas Hampson, on retiendra, toutefois, un manque de
précision, assez net, dans l’accompagnement de l’orchestre et notamment des
vents. La Symphonie n°10,
composée en 1910, demeurée inachevée, recomposée par Cooke et créée dans sa
version définitive, en cinq parties, en 1964 par le London Symphony Orchestra,
sous la direction de Bertholdt Goldschmidt, fut excellemment dirigée par Eliahu
Inbal, qui, retrouvant l’inspiration mahlérienne, avec précision et clarté, en
variant les tempi, en accentuant la profondeur du son et les nuances, sut
maintenir un climat de tension permanente, une atmosphère d’accablement, de
mystère et d’ironie traduisant bien le ton et l’univers mahlériens, expliquant,
de ce fait, l’adhésion d’Alma à l’écoute de cette version. Le final,
récapitulatif, concluait l’œuvre sur des accents d’une sublime beauté,
majestueuse et intériorisée comme un adieu. « Pour toi vivre, pour toi
mourir, Almschi ! ».
Eliahu
Inbal ©Jirka Jansch
Émouvant Fidelio (version de
concert), au Théâtre des Champs-Élysées. Opéra en deux actes (1814) de
Ludwig van Beethoven (1770-1827). Orchestre national de France,
Chœur de Radio France, dir. Kurt Masur. Mélanie Diener
(Leonore), Burckhard Fritz (Florestan), Mathias Goerne (Pizzaro),
Kurt Rydll (Rocco), Sophie Karthäuser (Marzelline), Werner Güra
(Jaquino).
Beaucoup d’émotion autour de ce Fidelio,
dirigé par Kurt Masur dont on connaît les liens étroits qui le lient au « National »
puisqu’il en fut, de nombreuses années, le directeur musical et qu’il en est, à
vie, chef honoraire.
Kurt
Masur
Une amitié et une complicité évidentes,
expliquant une gestique dépouillée mais précise où un regard ou un doigt tendu
suffisent à cette remarquable interprétation tant musicale que vocale.
Une exécution marquée par une homogénéité sans faille quant à la qualité de
l’orchestre, des chœurs et des chanteurs qui se retrouve, évidemment, dans la
qualité des ensembles vocaux particulièrement nombreux dans l’ouvrage. Une
interprétation qui par le jeu des nuances et des sonorités parviendra à rendre
parfaitement les différents climats de l’œuvre et la dramaturgie, sans le
secours d’une quelconque mise en situation. En ce qui concerne les
chanteurs, il convient de signaler la magnifique prestation de Mathias Goerne,
puissant sans agressivité, tout en rondeur et expressivité, la très convaincante
Leonore de Mélanie Diener au timbre chaud et à la tessiture étendue tout à
fait adaptée à ce rôle androgyne, la belle basse de Kurt Rydll, presque
trop imposante dans certains ensembles et notamment, dans le célèbre quatuor du
Ier Acte, enfin la jolie Marzelline de Sophie Karthäuser
au timbre clair, un peu acidulé.
Mathias
Goerne ©DR
Remplaçant Jorma Silvasti au pied
levé, Burckhard Fritz campa un Florestan sûr de lui et de sa voix.
Une très belle soirée et une longue ovation du public, des musiciens et des
chanteurs pour Kurt Masur.
Mahler for ever ! Berliner
Philharmoniker, dir. Simon Rattle.
Christine Schäfer, soprano.
La grande salle de la Philharmonie était
comble et le hall tapissé de photographies de Gustav Mahler pour ce
concert associant Apollon musagète d’Igor Stravinski
(1882-1971) et surtout la Quatrième Symphonie de Mahler (1860-1911) dont on fête cette année le centenaire de la mort, avec
Christine Schäfer chantant le quatrième mouvement, Das himmische Leben (La Vie céleste), lied tiré du Wunderhorn. Deux occasions
d’apprécier la remarquable sonorité de cette phalange légendaire, tant au niveau
des cordes, dans la pièce de Stravinski, qu’au niveau des vents et du
« tutti » dans l’œuvre de Mahler. Musique de ballet en deux
tableaux, quasiment néoclassique, Apollon musagète (1927-1928) est une partition pour orchestre à cordes, pour « le plaisir
de se retremper dans l’euphorie multi-sonore des cordes ».
Sir
Simon Rattle ©Fred Toulet
La Quatrième Symphonie de Mahler est la dernière des symphonies se référant au Wunderhorn, elle se démarque des symphonies précédentes par la réduction
de l’effectif orchestral (disparition des trombones), l’absence de chœur,
l’absence de programme explicite mais elle s’inscrit toutefois (rien n’est clos
chez Mahler, tout se tient…) dans la continuité par la présence du lied autour
duquel elle se construit. Elle comprend quatre mouvements : le
premier réfléchi, à l’aise, innocent mais ambigu, interprété, à l’époque, comme
un retour à Haydn ; le deuxième, inquiétant, comme si la mort conduisait
le bal, danse satanique au son du violon accordé un ton trop haut, aux allures
de crincrin ; l’adagio à la fois divinement gai et infiniment triste
confirme la figure de Janus de cette symphonie : « une paix sacrée,
solennelle, une gaîté sérieuse et tendre… mais aussi tristesse profonde… comme
des réminiscences de la vie terrestre » dont Mahler parlera plus tard en
évoquant sa mère qui savait racheter toutes les souffrances par l’amour ;
enfin la « Vie céleste » nous rappelant aussi le monde de
l’enfance : « lorsque l’homme émerveillé mais dérouté demande ce que
tout cela signifie, l’enfant répond : telle est la vie céleste ».
Mahler confirme par ce lied que l’accès au Royaume est possible, même s’il
existe plusieurs chemins pour la maison du Père. Les joies du Paradis
sont ici d’essence bien terrestre mais « aucune musique sur terre ne peut
se comparer à celle des hautes sphères ». La Quatrième Symphonie a posé bien des problèmes d’interprétation
lors de sa création (1901) ; elle correspond à la fin d’une première étape
dans la construction mahlérienne, le compositeur se retourne pour apprécier
l’ampleur du travail accompli ; comme l’affirme Max Graf, cette
symphonie doit être lue à l’envers, son programme caché se révèle : un
voyage dont le but est l’innocence. « La fin est l’endroit d’où nous
partons » (T.S Eliot). Une interprétation en tous points
remarquable, sous la direction claire, juste, complice et dépouillée de
Simon Rattle. Une réserve, toutefois, concernant la prestation de
Christine Schäfer dont la voix avait, malgré la beauté de son timbre, bien
du mal à remplir l’énorme salle de la Philharmonie.
Un surprenant Beethoven au
Théâtre des Champs-Élysées. Ensemble orchestral de Paris, dir.
Sir Roger Norrington. Patricia Kopatchinskaja (violon),
Élodie Méchain (contralto).
La surprise survint d’emblée, dès l’arrivée
de Roger Norrington sur scène, l’air nonchalant dans un costume rappelant plus
un dompteur de cirque qu’un chef d’orchestre, accompagné de Patricia Kopatchinskaja
vêtue d’une robe rouge trop longue (on en comprendra plus tard la cause, car
elle joue pieds nus, de façon à maintenir parfaitement son équilibre en
jouant), portant son violon (Pressenda, de 1834) enroulé dans un chiffon,
qu’elle jettera à plusieurs reprises par terre, lors du concert. Mais
bien vite, dès les premières notes du Concerto pour violon (1806) de
Beethoven (1770-1827), la surprise se changea en stupéfaction lorsque la magie
et l’originalité de son interprétation opérèrent. Une sonorité hors du
commun, des variations de tempi impressionnantes, des nuances poussées à
l’extrême, un toucher et une technique sans faille, des cadences somptueuses,
personnelles, originales, notamment celle du premier mouvement construite à
partir de la transcription pour piano que Beethoven fit, deux ans plus tard
(1808), pour la sœur de son ami Stephan von Breuning, un plaisir de jouer
communicatif appelant une complicité sans réserve de tout l’orchestre et de son
chef. Un triomphe mérité, une ovation de la salle et de l’orchestre,
remerciée par un « bis » époustouflant, moitié chanté, dansé et joué
avec une virtuosité à couper le souffle. Une violoniste d’exception qu’on
aime ou qu’on déteste, dont il faudra suivre attentivement les prochaines
apparitions sur les scènes françaises, rendez-vous à ne pas manquer.
Patricia Kopatchinskaja ©Pia Zanetti
En deuxième partie, Élodie Méchain nous
gratifia d’une remarquable interprétation de la Cantate n°4 pour
mezzo-soprano & orchestre à cordes (cinq violoncelles) de
Nicolas Bacri, d’après le Sonnet LXVI de Shakespeare, œuvre composée
en 1994-1995, d’inspiration romantique et d’une poignante beauté. Pour
conclure, l’orchestre dynamisé sous la direction atypique mais efficace de
Roger Norrington donna une vision en tous points convaincante de la Deuxième Symphonie (1845) de Robert Schumann (1810-1856), hommage à Beethoven et plus
encore à l’amour de Clara. Un concert exceptionnel.
Die Entführung aus dem Serail. Staatsoper (Berlin) im Schiller Theater.
Singspiel en trois actes (1782) de Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791) sur un
livret de Gottlieb Stephanie Le Jeune. Staatskapelle &
Staatsopernchor de Berlin, dir. Friedrich Haider. Mise en
scène : Michael Thalheimer. Sven Lehmann (Selim), Susan Gritton
(Konstanze), Anna Prohaska (Blonde), Kenneth Tarver (Belmonte),
Florian Hoffmann (Pedrillo), Reinhard Dorn (Osmin).
Une production qui, outre sa qualité
musicale et vocale, vaut par l’intelligence de sa mise en scène, laquelle
malgré une scénographie extrêmement dépouillée, réduite à de très beaux
éclairages, met parfaitement en valeur les deux aspects de cette œuvre
composite : opera seria et opera buffa. Représentée pour
la première fois à Vienne, le 16 juillet 1782, on lui reprocha de manquer
d’unité, mélange des genres dû aux aléas de sa composition, plusieurs fois
reprise et enrichie de nouveaux airs. Si le livret paraît assez faible,
toute l’attention du spectateur est
retenue par la qualité de la musique et de la mise en scène.
Musicalement, la Staatskapelle dirigée par Friedrich Haider sait parfaitement,
par les nuances et les sonorités orchestrales, rendre compte de la niaiserie ou
de la fureur d’Osmin, de la passion de Belmonte à laquelle répond Konstanze par
de périlleuses vocalises, de la féminité et de l’espièglerie de Blonde
brillante dans le suraigu, de la bonne humeur de Pedrillo.
Susan
Gritton ©Sarah Connoly
Des aspects comiques, d’autres sérieux,
voire tragiques, retrouvés dans la musique, vocalement exigeante, voire
virtuose, et reproduits dans la mise en scène, séparant la scène en deux
étages, faisant évoluer les chanteurs dans la salle, usant de costumes adaptés,
smoking et robe du soir blancs pour Belmonte et Konstanze, costumes de
marionnettes pour Blanche et Pedrillo, dans un souci constant de clarifier un
ouvrage qui, malgré les critiques qu’il engendra, reproduit à chaque représentation
la magie et le génie de la musique de Mozart.
Patrice Imbaud.
***
CHANSONS
Douce
France. 30 chansons des
provinces françaises. 40 p.
Le Chant du Monde (pianco@chantdumonde.com) :
VF1801. 14 €.
Sont
représentées : Alsace, Angoumois, Aunis, Béarn, Franche-Comté, Languedoc,
Limousin, Saintonge… Ces chansons concernent les thèmes de toujours :
conscrit, soldat libéré ; des personnages : roi d’Angleterre, prince
d’Orange, roi de Sardaigne… ; des métiers : papetiers, ramoneurs…, sans
oublier les chansons à succès : Ô Magali… (avec ses 8 strophes) ; Trimousset,
c’est le mai (repris par A. Honegger dans Jeanne au Bûcher) ou encore Margot,
labourez les vignes… (chœur), avec En
passant par la Lorraine (solo). Cette anthologie rendra service aux enseignants et animateurs : il est
indispensable de se souvenir de ce patrimoine.
Les plus
belles chansons russes, pour chant & piano. 32 p. Le Chant du
Monde : VO4673. 17 €.
Ce
recueil comprend deux parties : Chansons du XXe siècle /
Folklore (russe), avec adaptations françaises de divers auteurs. Elles
sont écrites à une voix avec accompagnement de piano de moyenne
difficulté. Outre les compositions de Krassev (Ne me réveillez pas, Ô bucheron, Pauvre champ, Le Tilleul),
figurent de nombreux arrangements de Julien Porret. Les thèmes sont
d’essence lyrique, patriotique… Ces chansons monodiques, généralement
assez rythmées, sont très bien gravées.
CHŒURS
Dimitri Chostakovitch : Dix chœurs sur des textes de poètes révolutionnaires, op. 88. Le Chant du
Monde : VO 4672. 22,50 €.
Cette
œuvre a été créée le 11 octobre 1951 à Moscou, dans la Grande Salle du
Conservatoire, par le chœur d’État et un chœur d’enfants sous la direction
d’A. Svechnikov. Les titres sont en français, mais les chœurs en
langue russe. Les poèmes reposent, entre autres, sur des textes de
L. Radine, E. Tarasov, A.Gmirev, A. Kotz, et comprennent également
une adaptation de Vl. Tan-Bogoraz d’un chant du poète américain
Walt Whitman (1819-1892), auteur des célèbres Leaves of grass. Écrits a cappella, généralement à 4
voix, ils sont souvent harmonisés note contre note. D. Chostakovitch
fait aussi appel à des tierces parallèles et à des passages en vocalises. Ce
recueil reflète les tendances de la musique vocale russe pendant la période
soviétique.
PIANO
Dimitri Chostakovitch : Carrousel de danses pour piano.
Le Chant du Monde : AJ23. 24,50 €.
Cette
sélection de danses, arrangée par Lev Atovmyan, comprend des Valses (lyrique, souvenir, joyeuse, des
fleurs, de printemps, sentimentale, d’adieu), Gavottes, Polkas... Le
volume commence par Chanson de bienvenue et se termine par Valse d’adieu. Il
comporte aussi des danses (paysanne, espagnole), une berceuse et des
nocturnes. Les mesures ne sont pas numérotées, les doigtés non suggérés,
mais les indications de pédale sont très précises. Pages, tour à tour, calmes,
expressives, puis bien enlevées, rythmées et syncopées, joyeuses… Leur
interprétation nécessite une bonne technique pianistique.
ORGUE
Jean-Dominique PASQUET : Six
Pièces pour orgue. Europart Music (www.europart-diffusion.com). 31 p.
Après
l’édition du Notturno et de Mosaïque de J.-D. Pasquet, ses Six Pièces pour orgue retiendront
l’attention à plus d’un titre. Ses affinités avec l’œuvre de
M. Dupré sont bien connues, et ce volume s’ouvre aux accents du Lamento in memoriam du maître décédé en
1971, avec traduction musicale de son nom. D’une manière générale, les
registrations, alternances de claviers, indications techniques (nuances, agogique,
tempi, jeu legato/non legato, avec/sans pédale) sont indiquées avec une grande
précision. Son Lamento est
dédié à S. Chaisemartin, et son Choral
varié, à M.-L. Girod-Parrot, avec un thème bien rythmé et
5 variations. Pour le Temps de
l’Avent, dédié à O. Goulon, repose sur la mélodie du Veni Redemptor gentium/Nun komm, der Heiden
Heiland, avec une judicieuse exploitation de la technique du canon (octave,
quarte), l’ensemble se terminant par une brillante Toccata. La mémoire d’A. Cellier est honorée par la Rhapsodie de Noël. Cette
publication comprend encore Supplication, Prélude au Kyrie IV. Ces 6 Pièces pour orgue prouvent la
parfaite maîtrise technique et compositionnelle de l’organiste titulaire de
l’Oratoire du Louvre. Œuvres à entendre grâce au CD : Œuvres pour orgue (J.-D. Pasquet, 2001)
et, pour le Lamento, grâce au
CD : Élégie in memoriam Marcel Dupré (C. Shuster-Fournier), et à interpréter impérativement.
Édith
Weber.
FORMATION MUSICALE
Michel
MOLLARD : Le
Voyage à Leipzig. De fugue en fugue, à la découverte du Clavier bien tempéré de Jean-Sébastien
Bach. Préface : Zhu Xiao-Mei. Présentation des textes
musicaux : Marcel Bitsch. Van de Velde : VV 399.
Fallait-il classer dans les livres ou dans
l’édition musicale cet objet bizarre et passionnant ? Sans doute
cette recension mériterait de paraître sous les deux rubriques. L’ensemble
comprend un petit volume et une partition : celle des œuvres analysées
dans le volume. Le propos de l’auteur, polytechnicien, directeur d’un grand
groupe financier et président de l'Institut technologique européen des métiers
de la musique (ITEMM), est de rendre accessible à l’amateur éclairé (et ce peut
être tout simplement les grands élèves de nos conservatoires) le Clavier bien tempéré grâce à l’analyse
de quatorze fugues et du fameux prélude en ut majeur. Cela se
fait sous forme d’un récit qui permet à un élève du Cantor d’expliquer le cœur
de ces œuvres à de jeunes admirateurs de Bach venus de France pour le
rencontrer. Cette analyse est on ne peut plus sérieuse, car ce volume a
été écrit en collaboration avec Marcel Bitsch qui a réalisé le fascicule
de partitions. Mais, en même temps, le côté « roman » permet d’être
constamment tenu en haleine dans ces analyses, rendues encore plus lumineuses
par les partitions intégrales des œuvres dans une présentation typographique
qui est déjà par elle-même une analyse. Bref, il s’agit d’un ouvrage
passionnant et à recommander chaudement tant à nos grands élèves qu’à tout
amateur éclairé.
PIANO
Henri
SAUGUET : Quatre
pièces inédites.« Musique & Patrimoine »,
Delatour : DLT 1794.
Les éditions Delatour nous permettent de
redécouvrir Henri Sauguet dont il serait temps de ne pas faire que l’auteur des Forains… Ces quatre pièces, qui ont
pour titre Carte postale,
Miss Dior, Pour lire Georges Perros et La concierge n’ont pas vraiment de lien entre elles, sinon le
style varié et personnel de leur auteur. Souhaitons que nombre de pianistes les
inscrivent à leur répertoire !
CLAVECIN-ORGUE
FROBERGER : Œuvres complètes, vol. VI-2. Bärenreiter : BA 9269.
La monumentale édition que Bärenreiter nous
propose permet de rendre justice à ce compositeur que Blandine Verlet
contribua, il y a plus de trente ans, à faire redécouvrir. Ce volume
contient essentiellement douze partitas. Parmi lesquelles se trouvent
notamment la si poignante Méditation
faite sur ma mort future. Le recueil contient également des préludes
anonymes. Il s’agit de versions nouvelles. On lira avec beaucoup
d’intérêt la préface qui explique d’où proviennent les différentes sources.
Il s’agit d’un compositeur à (re)découvrir absolument.
Max MÉREAUX : Jeu d’ombre et de lumièrepour orgue.
Armiane : EAL 488.
Cette œuvre suppose un instrument à trois
claviers, mais peut évidemment s’adapter à d’autres instruments. À un
récitatif monodique très expressif succède une partie fuguée et contrastée qui
illustre bien le titre. Peut fort bien trouver sa place dans un contexte
liturgique.
Ludwig
van BEETHOVEN : Allegretto de la 7e Symphonie. Transcription
pour orgue par Yves Lafarge. Delatour : DLT1831.
Après une période de purisme outrancier,
ces transcriptions retrouvent leur heure de gloire. Les organistes n’hésitent
plus à reprendre une tradition de transcriptions d’œuvres symphoniques.
Celle-ci est particulièrement réussie. Inutile de dire l’importance de la
registration pour ne pas trahir la remarquable mise en valeur des différents
plans musicaux et être fidèle tant à l’auteur qu’au transcripteur.
GUITARE
Celso
MACHADO : Chorata
brasileira. Lemoine : 28 511 H.L.
Ce recueil comporte six pièces variées
illustrant les différents styles de la musique brésilienne : Chorata, Pequena flor, Pastoril a la
Barroca, Gargalhada do Arlequim,
Frevo Barroco et trois pièces regroupées sous le titre : Suite Inspiração Barroca. Celso Machado a d’ailleurs sous-titré
ces pièces : « Musique brésilienne d’inspiration baroque ».
Aussi variées qu’intéressantes, ces œuvres sont assez difficiles mais fort
belles.
Jean-Félix
LALANNE : La
fille du soleil. Supérieur. Lafitan : P.L.2042.
Composée par Jean-Félix Lalanne, en 2007 en
Guadeloupe, pour sa femme, « fille du soleil », cette pièce délicate
(en toutes acceptions du terme) demande un sens affiné des timbres :
« le jeu des timbres et donc le choix des cordes font partie inhérente de
la nature même du morceau », précise l’auteur. Un travail tout en
finesse donc, pour un résultat qui récompensera grandement l’interprète.
Yves
CARLIN : Accords
à cordes. Préparatoire. Lafitan : P.L.2086.
Le style gracieux et léger de cette pièce
s’exprime dans un 3/8 conçu à un temps. L’auteur suggère une
interprétation de style « boîte à musique ». On retiendra son
sage conseil : « Pour terminer, n’oubliez pas ceci : quoi que
vous fassiez, faites-le bien ! »
Yves
CARLIN : Agathe
the blues. Élémentaire. Lafitan : P.L.2087.
L’auteur nous propose un blues en mi mineur écrit dans la plus pure tradition. Les improvisations (écrites) se
font sur les gammes pentatoniques mineures, mais - pour tirer tout le profit de
cette pièce - il faudra aussi suivre le conseil de l’auteur : « Soyez
créatif et n’hésitez pas à chercher d’autres improvisations pour cette
pièce ! »
Jacques
FÉRAL : Jasmin. Préparatoire. Lafitan : P.L.2089.
Voici
une jolie pièce un peu mélancolique par ses harmonies, qui évoque une mélodie
des années trente. Tout cela est plein de charme et de grâce.
Patrice JANIA : Comme en vacances. Élémentaire.
Lafitan : P.L.2091.
Croyons
en l’auteur : cette pièce évoque le bruit de l’océan. Flânerie,
rêverie, course sur la plage : l’interprète pourra laisser libre cours à
son imagination en oubliant qu’il n’est pas… en vacances !
Jean-Félix LALANNE : Berceuse pour un
dodo.Préparatoire. Lafitan : P.L.2041.
C’est
bien d’une berceuse « en situation » dont il s’agit puisqu’elle a été
composé pour endormir la fille du compositeur. Cette pièce délicate, avec des
imitations de harpe, demande évidemment beaucoup d’attention. Suivez les
conseils du compositeur : « Bonne berceuse, mais ne vous endormez pas
en la jouant ! ».
ALTO
Claude-Henry
JOUBERT : Passemezzo
anticode Francisco Torrentera (1630-1682) retrouvé dans la
bibliothèque d’Antonio Brocoli (1648-1743) par Claude-Henry Joubert.
Arrangement pour toute une classe d’alto amicalement dédié à Michel
Michalakakos. Lafitan : P.L.1979.
On ne peut résister au plaisir de citer
intégralement ce titre qui ne peut que mettre de bonne humeur les futurs
exécutants surtout si on complète son instruction par la lecture de l’à
propos ! Les instrumentistes seront évidemment de différents
niveaux : il y en a pour tous. Ceci dit, ce très agréable pastiche pourra
être l’occasion rêvée de faire découvrir aux élèves la musique de la
Renaissance.
VIOLONCELLE
Christine
JEANDROZ : Vision
d’un autre monde dans un nouvel universpour violoncelle seul.
Armiane : EAL 406.
C’est dans un nouvel univers
« douloureux et expressif » que nous entraine l’auteur. Mais il faut
ajouter que c’est bien beau : il s’agit d’une page lyrique et sensible qui
se termine dans une sorte d’évanouissement vaporeux débouchant sur le silence
et le rêve.
FLÛTE À BEC
Étienne
ROLIN : Tall
Orderpour flûte à bec basse en do ou flûte à bec ténor.
« La flûte à bec contemporaine », Combre : C0 6682.
Laissons parler l’auteur : « En
tant qu’œuvre contemporaine, Tall Order implique
de garder à l’esprit un phrasé très physique qui rappelle la musique
improvisée, avec des accents de cultures africaines et orientales. » La
seule lecture de la partition ne peut permettre d’en saisir toutes les
richesses. Toutes les indications d’interprétation sont présentes ou
disponibles « en ligne ». Et de plus, cette pièce figure sur un CD
monographique avec improvisations.
HAUTBOIS
Vincent
FRIBERG : Sonate pour hautbois & piano. Armiane : EAL 435.
On lira avec fruit le texte de Vincent
Friberg en exergue de sa Sonate et
intitulé « Instants magiques ». Les quatre mouvements de cette sonate
devraient, pour ses exécutants, leur faire vivre ces instants magiques que
représente l’interprétation d’une musique agréable et délicate qui passe par
une romance et se termine par un Allegro furioso mais d’une furie qui reste bon
enfant.
CLARINETTE
Pascal
PROUST : Faits
d’hiverpour clarinette & piano. Combre : C0 6717.
De niveau 2e cycle, cette pièce
conduira les interprètes de la grande plaine « blanche, immobile et sans
voix » aux glissades acrobatiques et autres occupations hivernales. Tout
cela ne figure pas sur la partition, mais la musique de Pascal Proust se prête,
par sa variété, à toutes les interprétations. Voici une musique pleine de très
agréables et mélodieuses surprises
André
TELMAN : Sur
des couleurs contrastéespour clarinette & piano. Elémentaire.
Lafitan : P.L.1967.
Le titre indique bien ce qui est en
priorité demandé au clarinettiste (et au pianiste, par la même occasion) :
une attention particulière aux timbres dans cette pièce qui se déroule comme un
chant lyrique plein de charme et de contrastes…
André
TELMAN : La
magie des boispour quatuor de clarinettes. Premier cycle.
Lafitan : P.L.1937.
Promenons-nous dans les bois… Souhaitons
que les clarinettes magiques des élèves soient inspirées par cette pièce qui
explore de façon bien agréable les notions de phrasé, d’équilibre entre les
parties, à travers des tempi variés et des couleurs changeantes.
BASSON
Pascal
PROUST : Le
basson de Gustavopour basson & piano. Combre : C06718.
S’agit-il d’une allusion au célèbre
bassoniste Gustavo Núñez ? Peu importe : cette jolie
pièce de niveau fin de premier cycle fait appel à la musicalité autant qu’à la
vélocité de l’instrumentiste. Une cadence lui permet de faire preuve de son
sens de l’interprétation. Bref, il s’agit d’un morceau original et intéressant.
MUSIQUE DE CHAMBRE
Christina
AZUMA : Trois
pièces brésiliennespour violon & guitare. Lemoine :
28 772 H.L.
Destinées à initier le fils de l’auteur,
jeune violoniste, aux charmes de la musique brésilienne, ces trois pièces, Valseane, O vizinho et Meu irmão
Jacques,
sont plus faciles pour le violon que pour la guitare mais sont pleines de vie
et répondent tout à fait au souhait de leur auteur. Souhaitons que beaucoup
d’instrumentistes s’essayent à ces duos typiques et variés.
Jean-Maurice
MOURAT & Guy COTTIN : Les classiques pour flûte & guitare. Vol. C.
Combre : C06732.
Les trente pièces qui composent ce
troisième recueil parcourent allègrement les siècles pour offrir aux duettistes
un répertoire à la fois éclectique et adapté aux deux instruments. Les
transcriptions sont faites avec beaucoup de soin et dans un souci pédagogique
évident. Les interprètes en tireront donc autant de plaisir que de profit. De
Vivaldi à Satie, voici un riche parcours à conseiller vivement. Et pour ceux
qui ne les connaissent pas, qu’ils découvrent aussi les deux premiers volumes,
tout aussi intéressants.
Jean
CASSIGNOL & Michel DEMAREZ : Dialogue
flûte-guitare. Six œuvres du répertoire classique (Bach,
Haëndel, Gossec, Schubert, Saint-Saëns, Tarrega) revisitées.
Lafitan : P.L.1943.
Voici un bien intéressant recueil, fidèle
tant à l’esprit qu’à la lettre des œuvres originales, coécrit par deux orfèvres
en la matière. Ajoutons que le recueil est précédé de notices sur les auteurs
et sur chacune des œuvres proposées, le tout illustré de photographies, qui
permettront aux professeurs une présentation plus aisée des différentes pièces.
Souhaitons que ce dialogue se poursuive longtemps…
César
FRANCK : Quatuor pour deux violons, alto & violoncelle, édité par Christiane
Strucken-Paland. Bärenreiter Urtext. Partition de poche :
TP 421. Parties séparées : BA 9421.
Comme toujours lorsqu’il s’agit de musique
française, cette remarquable édition, en plus des préfaces et notes en allemand
et en anglais nous gratifie d’une traduction française de Vincent Giroud,
remarquable de précision et d’élégance, de la passionnante introduction de
Christiane Strucken-Paland. Pour bénéficier pleinement du matériel, on
aura tout intérêt à acquérir également la partition de poche qui, seule,
comporte préface, notes et commentaire critique.
On ne commente pas ce sommet de la musique
de Franck si ce n’est pour dire que, contrairement aux autres œuvres, on dispose
de brouillons qui permettent de saisir la genèse du premier mouvement. Il est
inutile de s’étendre sur la qualité graphique, bien connue, de cette édition.
Véronique
DUFOUR : Choral
et variations « Vers la lumière »pour deux hautbois &
deux bassons. Armiane : EAL 440.
Un thème, quatre variations et un final
nous conduisent à travers les saisons vers la lumière d’été, du ton de sol
Majeur au ton éclatant de mi Majeur. Cette œuvre, sans grande difficulté technique,
devrait ravir les élèves qui auront la chance de l’aborder.
Maurice
JOURNEAU : Dialogues pour flûte & basson. Armiane : EAL 485.
Les trois courtes pièces de ce recueil
illustrent bien agréablement trois aspects possibles d’un dialogue : bavardage,
aimables propos et discussion animée. Le langage, très moderne, est fort
mélodieux. Il existe différentes versions de ces Dialogues, mais celle-ci est la version originale de 1958. Ces
pièces correspondent à la veine humoristique du compositeur.
Henri
SAUGUET : Max
Jacob de Quimper pour hautbois, clarinette & basson. « Musique
& Patrimoine », Delatour : DLT 1368.
Cette pièce en six courts mouvements est un
hommage au poète mort au camp de Drancy en 1944 et dont on connait les liens
avec les musiciens de son époque. Cette œuvre fut écrite pour le film TV de
Camille Amiel et A. de Beaumont qui porte ce titre.
Henri
SAUGUET : Fanfare pour flûte, clarinette, alto & basson. « Musique &
Patrimoine », Delatour : DLT 1367.
Cette fanfare porte bien son nom, portée
par ce mélange insolite de l’alto et des vents. Une pièce courte certes,
mais d’une tonicité et d’une jeunesse éclatantes !
Henri
SAUGUET : Septembre. Nocturne symphonique. « Musique
& Patrimoine », Delatour. Conducteur : DLT 0229.
Matériel d’orchestre : DLT 0229E.
Composé deux ans avant la mort de l’auteur,
cette pièce a été écrite pour le Collegium Musicum d’Aquitaine, orchestre
symphonique de jeunes de haut niveau et pour son chef, Michel Moureau, élève et
ami d’Henri Sauguet. Page d’un grand lyrisme, ce nocturne n’en est pas
moins fort animé. Quel orchestre nous fera la joie de l’inscrire à son
répertoire ?
Henri
SAUGUET : Pour
le vingtième anniversaire de la mort de Jean Cocteau. Pour
quatuor à cordes.
« Musique & Patrimoine »,
Delatour : DLT 1370.
On connaît les liens étroits unissant
musiciens et poètes autour de Jean Cocteau. Rien d’étonnant donc à
cet hommage. Il s’agit d’une pièce courte mais d’une grande intensité
lyrique et poétique, dans le langage si personnel de l’auteur. On en remarquera
notamment la souplesse rythmique et les trois mesures de style choral qui
concluent l’œuvre dans un pianissimo qui va se perdant dans la dernière mesure.
Davide
PERRONE : Dolce
Natal in flautopour piccolo, quatre flûtes & piano. Delatour :
DLT 1845.
« Douce nuit, sainte nuit… » :
ces variations sur ce noël si souvent adapté sont bien jolies et laissent libre
cours à la musicalité et la virtuosité des exécutants. Après une introduction
au piano, les flûtes traitent en canon l’exposition suivie de divers
développements et un tutti final triomphal.
CHANT
Philippe
SAGNIER : Véli
Vole, Élodie, Les yeux de ma bien-aimée, Féerie blanche, Ballade. Armiane :
EAL 412.
Voici un bien joli recueil de mélodies pour
baryton & piano sur des poèmes de René Coursault. Cette musique délicate,
écrite dans un langage bien personnel mais toujours lumineux, épouse les
rythmes de la langue du poète. Souhaitons à ce recueil le succès qu’il mérite,
dans la grande tradition de la mélodie française.
Henri
SAUGUET : Deux
pièces inédites.Pour voix & orgue (ou piano). « Musique
& Patrimoine », Delatour : DLT 1713.
Voilà deux pièces très simples et d’une
grande beauté. La première, intitulée Requiem, est dédiée au poète « René Laporte, in memoriam ! » La deuxième est un Pie Jesu « à
la mémoire de Christian Dior, mon ami », d’une grande densité, d’une
émotion contenue et paisible.
CHANT CHORAL
Olivier
d’ORMESSON : Tenebrae factae suntpour chœur mixte a cappella.
Delatour : DLT 1812.
Voilà une très belle œuvre pour chœur à
huit voix du jeune compositeur Olivier d’Ormesson. C’est une belle réussite
dans l’esprit à la fois du répons grégorien et de Victoria et Poulenc, pour ne
citer que ceux-là. Certes il faudra, pour l’interpréter, un chœur aguerri et
soucieux de justesse autant que d’expression. Mais cette œuvre le mérite !
MUSIQUE DE CHAMBRE
Gréco
CASADESUS : Le
passeur de brumespour saxophone alto & quatuor à cordes.
Armiane : EAL441.
Créée en août 2009 aux Rencontres musicales
de Louvesc, cette œuvre curieuse raconte une l’histoire de la rencontre
improbable entre le « passeur » et un quatuor à cordes. Pièce
attachante dont il est ici impossible de résumer le propos mais qu’on ne peut
qu’encourager à découvrir. Ce compositeur, bien connu pour ses musiques
de film, mérite de l’être également pour toutes ses œuvres.
Jacques
VEYRIER : Pastorales pour violon & alto. Delatour : DLT0618.
De niveau moyen, ces Pastorales forment un triptyque (vif, lent, vif). La première
partie enchaîne une mosaïque de thèmes qu’on peut qualifier d’agrestes pour
justifier le titre de l’ensemble. L’écriture est à la fois classique,
parfois atonale et pleine de charme… pastoral.
Claire
VAZART : En
forme de tangopour piano, bandonéon/accordéon, alto, guitare &
contrebasse. Delatour : DLT0545.
Née de la collaboration entre la
compositrice et le quintette Hora Cero de Toulouse, cette pièce, tout en
étant écrite dans un langage original, ne renie rien de l’esprit du tango et de
son balancement un peu nostalgique. Malgré un niveau assez difficile,
elle devrait séduire par son orchestration originale.
Jean-Michel
FERRAN : Saïjiki. Concerto pour basson & orchestre à cordes. Delatour :
DLT1435. Matériel d’orchestre : DLT1856.
Le Saïjiki est, pour faire bref, un agenda
poétique japonais à l’usage des haïkistes. La quatrième pièce, par
exemple, évoque l’embrasement du soleil couchant de printemps. Ce
concerto très difficile exploite, pour ces différentes évocations, toutes les
possibilités techniques de l’instrument et de l’écriture contemporaine (sons
multiphoniques, diversité des attaques), au service de l’expressivité.
MUSIQUE CHORALE
Thomas
MORLEY : Agnus
Dei. W. A. MOZART : Luci care. Jean ABSIL : Le dromadaire. Œuvres commentées par Hervé Magnan. Vol. 2. CD inclus.
Billaudot : G 8645 B.
Voilà une fort originale réalisation :
outre la partie de chœur, le recueil contient, pour chaque morceau, un guide
complet de mise en œuvre : présentation, texte (et traduction lorsqu’il y
a lieu), travail sur le texte, guide de prononciation, forme, chemins
d’apprentissage, interprétation… Un glossaire complète le recueil. Bref,
nous trouvons tous les éléments nécessaires au chef de chœur pour mener à bien
son travail. Le CD est également un très utile outil : outre l’exécution
intégrale des œuvres, il offre pour chacune les voix séparées seules ou en
combinaisons avec d’autres. Il ne comporte pas moins de 25 plages.
Rappelons que deux pièces sur trois sont pour quatre voix mixtes, celle de
Mozart étant écrite pour deux sopranos et basse.
ORATORIO
HAENDEL : Jephta HWV
70. Réduction piano & chant. D’après l’Urtext de la Hallishen
Händel-Ausgabe par Martin Focke. Bärenreiter Urtext : BA 4014a.
Voici une magnifique édition de ce dernier
oratorio de Haendel. On en lira l’histoire dans la préface, comme
toujours claire et documentée, de Kenneth Nott. Contrairement au texte
biblique, l’histoire finit bien… Que dire, sinon que cet oratorio n’a rien à
envier aux précédents. Cette édition comporte les différents changements
intervenus depuis la création. Une réalisation passionnante.
BALLET
Francis
COITEUX : Gaston
et les enfants. Argument de Jean-Noël Genest. Ballet en
30 numéros (réduction de piano pour répétitions). Delatour :
DLT1802.
Gaston
et les enfants est
un ballet pour enfants ou adolescents qui associe danse classique et danse
moderne. L’argument met en scène deux bandes rivales et un brave
clochard. La partition donne également, en introduction, des indications
pour l’interprétation et la mise en scène, ainsi que l’argument du
ballet. Tout cela est plein de bonne humeur et devrait connaître un franc
succès. Conçu pour un orchestre à composition un peu spéciale, ce ballet
peut aussi être joué à deux pianos et même à un piano, si on ne peut faire
mieux.
Daniel Blackstone.
***
Martin
BARNIER : Bruits,
cris, musiques de films. Les
projections avant 1914. Préface
de Rick Altman. 2010, « Le Spectaculaire », Presses universitaires
de Rennes (www.pur-editions.fr).
Voilà
un ouvrage qui intéressera autant les spécialistes et amateurs de cinéma que de
musique, sans oublier les historiens du théâtre retrouvant à l’écran des
acteurs qui doivent repenser leur art alors que la parole leur est ôtée :
« des images qui bougent ! » s’étonnait le grand tragédien
Mounet-Sully qui, comme son frère Paul Mounet, tourna pour le Film d’Art
et réintroduisit par ailleurs le cri dans la tradition de déclamation compassée
de la Comédie Française. Avec Martin Barnier nous partons à la découverte
de l’accompagnement et de l’environnement sonores des films projetés dans toute
la France au début du siècle dernier. Ce panorama très riche est le fruit
de longues recherches, notamment dans les archives parisiennes &
provinciales et les périodiques de l’époque ; il révèle une
impressionnante ampleur de connaissances. Mais la documentation très
vaste et diversifiée est mise au service d’une reconstitution particulièrement
vivante d’un panorama sonore (sur lequel nous ne possédions jusqu’à maintenant
que des notions lacunaires) et qui nous transporte à cette époque, nous fait
remonter le temps, nous donnant l’illusion d’entrer nous-mêmes dans ces salles
obscures ou de profiter de l’opportunité de la présence d’un théâtre ambulant.
Nous nous évadons dans le monde du divertissement, reconstitué sous toutes ses
facettes, notamment artistiques et sociologiques. Avec plaisir et
gourmandise, nous nous mettons à l’écoute, non seulement de ce que l’on appelle
la musique de film (souvent minimisée par les musicologues dans leurs
monographies de compositeurs) mais aussi de tout un univers bruissant de mille
sons - sons musicaux ou bruits. L’on pense aux recherches des
futuristes italiens, à L’Art des bruits de Russolo qui invite auditeurs et compositeurs à prendre en compte toutes les
sonorités qui les entourent, dans la rue et la nature ; à une nouvelle
esthétique française qui intègre aux instruments de l’orchestre, comme Parade de Satie, rengaines de fête
foraine, coups de revolver, machine à écrire ou roue de loterie ; à
l’expérience de « musique d’ameublement » menée par le même Satie
avec la complicité de Darius Milhaud. Il n’y a plus seulement la musique
« qui s’écoute la tête dans les mains » - dénoncée par
Jean Cocteau en 1918 dans son pamphlet Le
Coq et l’Arlequin - mais une multitude de phénomènes acoustiques qui
se mêlent, dans lesquels le spectateur se trouve immergé et auxquels il
participe lui-même. Fondé sur une érudition véritable, le livre de
Martin Barnier nous offre un foisonnement de détails tous plus
pittoresques et passionnants les uns que les autres et nous incite à remettre
en question nos idées fausses et réductrices sur un spectacle purement visuel
ou une partition que l’on aurait écoutée sagement dans un silence
« religieux ».
Anne Penesco.
Association Maurice
& Marie-Madeleine DURUFLÉ (durufle@free.fr). Hommage à
Henriette Puig-Roget + Dossier Requiem op.9 de Maurice Duruflé. CD encarté
(concert du 25 avril 1980). Bulletin n°10/2010. 368 p. 28 €.
•Hommage à Henriette
Puig-Roget
Cet
excellent Bulletin doit attirer l’attention des organistes, chefs de chœur et
musicologues, en raison de son contenu. Les lecteurs y trouveront d’abord un
remarquable hommage à Henriette Puig-Roget (1910-1992), personnalité
exceptionnelle, organiste (Oratoire du Louvre) et professeur ayant enseigné
aussi bien au CNSM qu’au Japon, après sa retraite. Cet article, ayant
bénéficié des archives familiales conservées par sa fille Pauline, présente
plusieurs facettes de sa longue carrière, avec des témoignages de ses
élèves : le professeur, le critique musical aux Lettres françaises, la compositrice (à partir d’interviews), avec
le catalogue de ses œuvres, la concertiste (piano, orgue dont des œuvres de
M. Duruflé) et une discographie.
•Dossier Requiem op.9 de
Maurice Duruflé
Ce Dossier comprend le rappel
des paroles du Requiem, une analyse
de M. Duruflé, des interviews diverses, puis l’analyse musicale par
Gilles Cagnard et différents points de vue. Le CD du concert du 25
avril 1980 à St-Étienne-du-Mont est joint à cet article avec, au
programme : le Choral varié sur le « Veni Creator » et le Prélude et fugue sur le nom d’Alain (interprétés
par Marie-Madeleine Duruflé-Chevalier), 3 motets (interprétés par la chorale Colbert dirigée par Éliane Chevalier).
Ce Bulletin de l’Association éponyme met ainsi en valeur l’apport de Maurice
Duruflé à la musique religieuse contemporaine.
Isabelle
WERCK : Franz Liszt. « Horizons », Bleu nuit (info@bne.fr). 2011. 176 p.
20 €.
Ce livre - sélectionné pour « La Folle Journée de
Nantes » - inaugure la série de publications commémoratives à l’occasion
du bicentenaire de la naissance de Liszt, mettant l’accent sur la carrière mouvementée du pianiste, chef
d’orchestre, compositeur et abbé, « mi-tzigane, mi-franciscain »,
« créateur bohême et faustien ». I. Werck ne cède pas à la
« lisztomania » - selon l’expression de H. Heine -, et révèle,
entre autres, des œuvres moins connues. Elle retrace rapidement sa
vie : enfance à Raiding, puis Vienne, adolescence à Paris (jusqu’en 1830),
histoire sentimentale, affirmation de sa personnalité grâce aux rencontres
(Berlioz, Paganini, Marie d’Agoult) et aux séjours (Suisse, Italie…), puis la
période brillante (1840-1849), jalonnée par compositions et concerts. Les
chapitres suivants abordent sa musique pour piano, sa technique éblouissante,
avec des analyses succinctes, citations musicales et documents iconographiques
très évocateurs à l’appui. (Cependant, son œuvre vocale : 2 messes,
2 oratorios, Via Crucis… n’est
abordée qu’au chapitre 8, soit après son décès…). À Weimar
(1848-1861), « haut-lieu de la musique moderne » (p.77), il participe
en tant que chef d’orchestre à des festivals dans l’entourage de la princesse
de Sayn-Wittgenstein, compose des poèmes symphoniques, concertos, les Faust- et Dante- Symphonies(objets d’analyses allant droit à l’essentiel, avec
thèmes notés). La vieillesse de l’abbé
(1861-1886), en Italie où il est « prêtre à part entière » (p.119),
époque à laquelle il se déplacera souvent, entre Paris, Rome (1866-1867)
- au couvent Santa Francesca Romana -, Triebschen où il retrouve R. Wagner
et Cosima, Weimar où, par ses cours, le virtuose transmettra son héritage.
Budapest (1885-1886) lui fait bon accueil, lui décerne une « gratification
en tant que compositeur » (p.131). Il meurt en mai 1886. Une
bibliographie commentée, une discographie, des tableaux synoptiques (vie de
Liszt/vie culturelle), un « index » (en fait catalogue)
thématique de ses œuvres, seront très utiles. Cet ouvrage, destiné à un
public curieux, présente un Liszt qui « éblouit et éveille »,
inspirant sympathie, gratitude et admiration : c’est ce que l’auteur fait
partager à ses lecteurs.
Alexis
GALPÉRINE : Le dernier Cantor de Moravie, Otto Albert
Tichy (1890-1973). « Organ Prestige »,
Delatour France (infos@editions-delatour.com),
2011, 169 p. 17€.
Personnalité
bi-nationale, O. A. Tichy, né à Martinkov (Moravie), a vécu entre Prague, Paris
et Lausanne, entre l’Est et l’Ouest, entre deux guerres mondiales, entre
l’Empire des Habsbourg et l’écrasement du « printemps de Prague ».
Initié à la musique par les chants catholiques, les danses populaires et la
pratique musicale en famille, il dirige ensuite, à Brno, le chœur du séminaire
de l’école de musique allemande. Installé en France en 1919, il y rencontre,
entre autres, la famille Bloy, V. d’Indy, Ed. Souberbielle -
qu’il remplace souvent à l’orgue. En 1920, il épouse Véronique Bloy,
passe l’entre-deux-guerres en France et en Suisse où sa vocation de Cantor se
réalise pleinement. Toutefois, en 1935, il obtient le poste de maître de
chapelle à la cathédrale Saint-Guy de Prague ; il y sera également
professeur au Conservatoire à partir de 1946. Le rideau de fer le
séparera de la France, et les artistes sont mis sous tutelle communiste.
Il meurt à Prague en 1973. Marie Tichy a fait bénéficier l’auteur d’un
carnet de souvenirs du musicien dont l’œuvre prolifique comprend 316 numéros
d’opus : musique de chambre, sacrée (messes, motets…), d’orgue... et même un
arrangement de La Marseillaise pour quintette à vents et des Chansons de
soldats tchécoslovaques, adaptées
en français par le poète suisse Edmond Pidoux. L’élève de
V. Novak et V. d’Indy « fustige le goût sulpicien et milite
aussi bien en faveur du chant grégorien que de la polyphonie vocale
classique ». Ce livre est tout indiqué pour la collection « Organ Prestige ». A. Galpérine
a le mérite d’avoir montré le destin tragique de cet organiste, « dernier
Cantor de Moravie ».
Nicole
SIMONNOT-GUEYE : L’orgue, un singulier pluriel. Approches de l’orgue à travers ses
représentations dans la littérature et le cinéma européens depuis la fin du XIXe siècle. Delatour France (infos@editions-delatour.com) :
DLT 1829. 486 p. 29 €.
L’orgue des architectes, des facteurs et organiers, des
organistes, des institutions, des historiens est présenté non pas à travers sa
facture, ses registres ou les critères d’interprétation mais, dans une optique
transdisciplinaire, à partir de sources littéraires (françaises et
étrangères) : romans, nouvelles, poésies, essais et correspondances
(A. Camus, A. Gide, M. Proust, É. Zola, V. Kandinsky,
P. Valéry) ; filmographiques (J.-L. Godard) et théoriques (de
Dom Bedos à P. Vidal). Il comporte également une bibliographie thématique
(p.475-486), structurée en fonction des différentes disciplines représentées,
et très instructive. Toutefois, les traités d’Alexandre Cellier : L’orgue moderne (1913) ; L’orgue, ses éléments, son histoire, son
esthétique (avec H. Bachelin, 1933) ; Traité de la registration à l’orgue (1957) auraient pu être cités (ces lacunes n’enlèvent rien à la valeur de
l’ouvrage). Fruit d’une large expérience et d’approches neuves, par le
biais de la littérature, du cinéma, de l’histoire des idées en Europe, N. Simonnot-Gueye
met pertinemment en relation l’architecture, la musique, la religion, les
cultures, les métiers d’organiste, de facteur et de « musicien des
cultes ». Elle tient compte de l’histoire des sensibilités
religieuses (« reconfessionalisation » catholique de l’orgue) et des
tendances (redécouverte des œuvres de J.-S. Bach ; rationalisation [cf. structure de la fugue]). Cette
approche originale, complémentaire et pluridisciplinaire, honore l’excellente
collection « Organ Prestige ».
Marie-Agnes
DITTRICH : Grundwordtschatz Musik. 55
Begriffe, die man kennen sollte, Kassel, Bâle… 2008, « Basiswissen », Bärenreiter
(www.baerenreiter.com). 120 p. 12,95 €.
La collection « Bärenreiter Basis Wissen » est l’équivalent de nos « Que sais-je ? »
Le premier volume est, en fait, un condensé de vocabulaire concernant la
musique avec 55 notions indispensables. Dans ce Navigator, les mélomanes trouveront - dans l’ordre alphabétique -
des définitions en allemand étayées d’exemples musicaux (par exemple : l’accord de Tristan, le thème du Beau Danube bleu…), les différentes
acceptions de la forme récitatif (secco, arioso), une typologie du rythme (syncopé, accentuel, quantitatif…).
L’impression noire et rouge attire immédiatement l’attention des lecteurs sur
un point important ; ils se familiariseront ainsi avec la terminologie
musicale allemande. Excellente orientation théorique, claire et
succincte, allant droite à l’essentiel.
Thomas SCHIPPERGES : Musik und Bibel. Vol. 1 :
Altes Testament. Vol. 2 : Neues Testament. 111 Figuren
und Motive, Themen und Texte. Kassel, Bâle… 2009,
« Basiswissen » (éditée par Silke Leopold & Jutta
Schmoll-Barthel), Bärenreiter (www.baerenreiter.com). 289 p. 12,95 € le volume.
La Bible peut poser des problèmes aux enseignants, commentateurs
et aux étudiants peu familiarisés avec ces textes qui ont inspiré de nombreux
musiciens.
• Le premier fascicule présente 111 éléments vétérotestamentaires
avec motifs, thèmes, textes et faits historiques mis en relation avec les
œuvres musicales (Haydn), des personnages (Moïse
et Aaron de Schönberg), le Cantique
des Cantiques (Hohelied), les
prophètes… autant d’arrière-plans indispensables à la compréhension d’une œuvre
musicale.
• Le second fascicule aborde le Nouveau Testament. Des
personnes : le Christ, le Messie (Haendel), Judas, Pierre, les Évangélistes, les
7 dernières paroles du Christ (Haydn) ; des faits : la
Passion, la Résurrection, et également des œuvres liées à la liturgie : Noël, Magnificat… L’index, très bien fourni avec de nombreux renvois
(œuvres et compositeurs), témoignerait à lui seul de la richesse de ces volumes
dus à Th. Schipperges, aux compétences pluridisciplinaires en musicologie,
théologie, philosophie, littérature.
Édith Weber.
Henry
BARRAUD : Un
compositeur aux commandes de la radio.
Essai autobiographique. Fayard/ BnF/ France Musique. 1 129 p.
40 €.
Henry
Barraud a joué un rôle déterminant dans la vie musicale de la France
d’après-guerre, époque où musique et radio faisaient encore bon ménage.
Figure emblématique de la radio française pendant quarante ans, il fut
l’homme de la musique à la radio et l’un des fondateurs de
France Culture. Exercice d’introspection, roman d’apprentissage,
chronique historique, témoignage sur la radiodiffusion, journal de voyage dans
le monde des années 1950-1960, telles sont les différentes facettes de cet
ouvrage, regroupées autour de la musique. Violoncelliste, compositeur,
homme de radio, Henry Barraud embrasse également l’ensemble de la création
artistique, notamment littérature, peinture et architecture, dont les acteurs
défileront au micro de la chaîne nationale, portant l’intime conviction qu’il
ne doit pas exister de distance entre créateurs et public. Un très beau
et très gros livre, comprenant un catalogue et une discographie des œuvres
d’Henry Barraud, parfaitement documenté, remarquablement écrit, un document
indispensable.
Maxime KAPRIELIAN
& Pierre-Jean TRIBOT : Guide des DVD de musique classique 2011. 200 références. Symétrie. 237 p.
19,50 €.
Le
DVD est devenu un acteur incontournable du marché du disque, notamment dans le domaine
de l’opéra. On dénombre, en moyenne, une dizaine de parutions mensuelles et on
peut estimer à 3 000 le nombre de programmes régulièrement disponibles à
l’achat. Dans ces conditions, un guide des DVDs semblait devoir s’imposer.
L’opéra étant le genre musical qui tire le maximum de bénéfice des possibilités
techniques du DVD, il paraît logique qu’il occupe une place de choix dans ce
guide, du Baroque à la période contemporaine ; mais y figurent aussi, avec
un pareil bonheur, le ballet, le concert et le documentaire. Un guide
remarquablement fait, clair et pratique, bien sûr contestable sur certains de
ses choix, mais indispensable.
Jules
STOCKHAUSEN : Itinéraire d’un chanteur à
travers vingt années de correspondance, 1844-1864. Lettres
réunies & annotées par Geneviève Honegger. Symétrie, « Perpetuum
mobile ». 433 p. 45 €.
Un
livre-document qui retrace, à travers vingt années de correspondance,
l’itinéraire de Jules Stockhausen (1826-1906), célèbre baryton et pédagogue
allemand, un peu oublié de nos jours. Un remarquable travail de Geneviève
Honegger qui permet d’apprécier le long et difficile cheminement qui conduira
Jules Stockhausen du Conservatoire de Paris à l’Opéra Comique, en passant
par l’Angleterre et l’Allemagne, hésitant sur sa carrière, avant de se
consacrer définitivement au lied et à l’oratorio, ainsi qu’à la direction de la
Société philharmonique et de l’Académie de chant de Hambourg. Un
témoignage sur le monde musical de l’époque, sur les rencontres du musicien avec
de nombreux artistes (Pauline Viardot, Jenny Lind, Clara Schumann,
Brahms, Liszt, Saint-Saëns, Gounod, Rubinstein) mais également un regard sur la
vie politique (Révolution de 1848) sur la vie culturelle (Exposition
universelle de 1851, à Londres) et quelques confessions plus intimes.
Clair, parfaitement réalisé et documenté : un beau livre.
Patrice Imbaud.
Michel
MOLLARD : Le Voyage à Leipzig. De fugue en fugue, à la découverte
du Clavier
bien tempéré de Jean-Sébastien Bach. Préface : Zhu Xiao-Mei (15,5 x
24 cm, 126 p.). Volume annexe : textes musicaux présentés
par Marcel Bitsch (23 x 16 cm, 48 p.). Éditions Van
de Velde (info@henry-lemoine.com).
28 € (les deux volumes).
Destiné
à un public non spécialisé souhaitant accéder à une écoute plus approfondie de
la musique, ce passionnant ouvrage - composé de 24 plaisants épisodes
mettant en regard personnages historiques et imaginaires - n’en sera pas moins
fort éclairant pour de plus érudits lecteurs. Avec notamment le concours
- pour l’analyse musicale de 14 fugues appartenant aux deux Livres du Clavier
bien tempéré - de l’éminent musicologue Marcel Bitsch. Préface
de la pianiste Zhu Xiao-Mei, inoubliable interprète des Variations Goldberg et de cette « matrice de la musique occidentale » qu’est le Clavier bien tempéré.
Gilles BOUDINET
(éd.) : Enseigner
l’Histoire des arts : enjeux et perspectives (1). La question
de l’histoire. L’Harmattan, « Arts, transversalité,
éducation ». 13,5 x 21,5 cm, 190 p.,
ex. mus. 18 €.
Alors
que l’enseignement de l’Histoire des arts s’inscrit désormais dans le cursus des enseignements primaire &
secondaire mais que - le plus souvent, hélas ! - les enseignants non
spécialisés ne se hasardent à traiter que du théâtre ou des arts visuels
(domaines ô combien propices à papotages), voilà qu’un groupe de chercheurs
affronte le problème sous l’angle, notamment, de la musique. « En
quoi les œuvres recèlent-elles un sens de l’histoire sur lequel cet
enseignement pourrait prendre appui ? » Trois parties : Des textes au terrain (Pascal Terrien, Catherine Dosso, Frédéric Maizieres), L’art comme lieu de l’histoire (Philippe Filliot, Gérard Bougert, Ruth Uscalovsky), Critique du temps & mise en récit (Claudia Reinhardt, Serge Bonnevie, Gbaklia Elvis Koffi).
En annexe : Synthèse commentée des textes officiels.
Lydie
DECOBERT : On n’y entend rien. Répétitions. Essai sur la musicalité dans la
peinture. « Ouverture philosophique »,
L’Harmattan. 13,5 x 21,5 cm, 215 p., cahier de 26
reproductions n&b de tableaux. 23 €.
« Si entendre c’est comprendre le sens, écouter c’est être tendu vers
un sens possible » nous assure Jean-Luc Nancy. Et « L’œil écoute »
disait Claudel. Domaines privilégiés de l’inouï, du sous-entendu…
La première partie de l’ouvrage est consacrée aux « fonctionnements de la
perspective dans les représentations de scènes musicales » (peinture de
genre hollandaise autour de Vermeer), puis aux dispositifs mis en œuvre dans la
peinture italienne. La seconde partie s’ouvre aux figures antagonistes et/ou
complémentaires de l’Ange et d’Éros dans les peintures habitées par la
musique. Pour, en définitive, découvrir la configuration musicale qui
réside dans la géométrie de toute peinture. En prélude de ce remarquable
essai : « Lettre à Daniel Arasse (La Leçon de musique de
Vermeer) ».
Frédéric
MARTINEZ : Franz Liszt. Texte inédit. « Folio
biographies » n°76, Gallimard. 11 x 18 cm, 380 p.,
cahier d’illustrations n&b et couleurs.
Au cœur de la présente avalanche d’ouvrages
consacrés à Franz Liszt, voilà un utile compendium. En cinq
« mouvements » : Presto, Appassionato, A capriccio,
Ostinato, A cappella.
Franck
FERRATY : Francis Poulenc à son piano.
« Univers musical », L’Harmattan. 15,5 x 24 cm,
380 p., 34 €.
Dans
le droit fil de son précédent ouvrage, La musique pour piano de Francis
Poulenc ou le temps de l’ambivalence (L’Harmattan, 2009),
Franck Ferraty approfondit ici son propos dans le domaine technique, tout
en sondant les correspondances esthétiques et explorant les voix régressives de
la mémoire. Poulenc, comme incarnation musicale des idéaux romantique,
surréaliste, androgyne… Cinq parties : Une mosaïque de
voix / Ronde des styles, mode d’emploi / Un art des correspondances,
l’appel des résonances / Enfermement et échappatoire / Clés pour un
accord psycho-phénoménologique du piano poulencquien.
Ramon
LAZKANO : La ligne de craie.
« À la ligne », éditions 2E2M (www.ensemble2e2m.fr).
11,5 x 19 cm, 150 p., photos n&b, ex. mus.
10€.
À
Ramon Lazkano (compositeur basque, né à San Sebastián en 1968), Pierre Roullier,
directeur de l’ensemble 2E2M, consacre la huitième brochure de sa collection
bilingue (français/anglais) « À la ligne ». Outre les
indispensables biographie, catalogue des œuvres & discographie, ont été réunies
cinq contributions : « In vivo, in vitro »
(Pierre Roullier), « Lazkano, la musique de l’indissociable »
(Lionel Esparza), « Matière et mémoire : Lazkano et
l’orchestre » (Martin Kaltenecker), Ortzi Isilak,
dialogue de l’océan et de la craie (Denis Laborde) « Danse des
formes et des volumes sonores : Ramon Lazkano et son Igeltsoen Laborategia [Laboratoire des craies] » (Germán Gan-Quesada).
Jean-Yves
BOSSEUR : Le collage, d’un art à l’autre.
Minerve (www.editionsminerve.com).
16 x 23 cm, 238 p., cahier d’ill. n&b et couleurs.
25 €.
Assurément
non réductible à un simple procédé technique (fixation, sur un support, de
matériaux hétérogènes), la pratique du collage s’est progressivement étendue
des arts plastiques aux autres arts. Qu’il soit critique, voire
ironiquement subversif, « l’esprit du collage » pose des questions
fondamentales sur les fonctions de l’art, aux plans notamment poïétique et
esthétique. Éminent musicologue et compositeur, mais non moins spécialiste
des relations entre disciplines artistiques, Jean-Yves Bosseur a divisé son
essai en 5 parties : Le collage & les arts plastiques / Le
collage & la création sonore / Le collage & l’écriture
littéraire / Le collage & l’image cinématographique / Le collage
& l’architecture. Une éclairante mise en abyme d’un phénomène désormais
profondément ancré dans nos pratiques et mentalités.
Alain SAVOURET : Introduction à un solfège de l’audible. L’improvisation libre comme outil
pratique. « Pédagogie », Symétrie (www.symetrie.com). 15 x
21 cm, 186 p. 25 €.
S’il
est un domaine peu « pensé », jusqu’à présent, par musiciens et
théoriciens de la musique, c’est bien celui de « l’improvisation
libre ». Depuis longtemps praticien de la chose, Alain Savouret
nous fait ici part de son expérience au sein, notamment, de sa classe au CNSMD
de Paris. Prônant une « triple écoute analytique » (fondée sur
le temps, l’espace et la mémoire), il nous propose : Récits de
cours / L’expérience réfléchie / Échos de classe / La pratique
du solfège : l’improvisation libre / Hypothèse de la triple écoute
& son lexique provisoire. De riches annexes comportent descriptions
d’exercices, textes complémentaires (signés d’anciens élèves ou collaborateurs)
et fiches pédagogiques.
Muriel
PLANA & Frédéric SOUNAC (Textes rassemblés et présentés par) : Les relations musique-théâtre : du désir au modèle.
L’Harmattan. 15,5 x 24 cm, ill. n&b, 27,50 €.
Il
s’agit là des actes du Colloque international organisé, en octobre 2007, par
l’Institut de recherche pluridisciplinaire en arts, lettres et langues (IRPALL)
de l’Université de Toulouse II–Le Mirail. Pourquoi, autour de
l’attirance réciproque entre théâtre & musique, parle-t-on de
« musicalité » de la mise en scène et de « théâtralité » de
la musique ou de son interprétation. Associant artistes & chercheurs
en littérature, études théâtrales et musicologie, l’ouvrage s’attache à
identifier, décrire, explorer l’ensemble de ces relations, à en esquisser la
généalogie.
« Volume » : What you see is what you hear, revue d’art contemporain
sur le son (n°2, décembre 2010-juin 2011) Les Presses du réel (www.lespressesdureel.com).
21 x 27 cm, 130 p., ill. n&b et couleurs.
18 €.
Cette
2e livraison de la revue Volume (publication bilingue,
anglais/français) vise à mettre en lumière combien oralité & écriture
entretiennent une réelle correspondance dans leur rapport au langage – domaines
notamment esthétiques, poétiques, voire politiques. Et ce, nonobstant les
ambivalences de la voix, langage aussi bien normé que bruitiste (cris, rires,
onomatopées)… Contributions de : Christian Alandete,
Kathy Alliou, Daniele Balit, Manuel Cirauqui,
Vanessa Desclaux, Audrey Illouz, Daniel Kurjakovic, Franck Leibovici,
Elfi Turpin.
Mehdi
NABTI : Les Aïssawa. Soufisme, musique et rituels de transe au Maroc.
« Histoire et perspectives méditerranéennes », L’Harmattan.
15,5 x 24 cm, ill. n&b, ex. mus.,
ill. n&b. 27,50 €.
La
confrérie des Aïssawa est un ordre mystico-religieux fondé, à Meknès, par Muhammad
ben Aïssa (1465-1526), dit le « Maître parfait ». Phénomène social
à la charnière du sacré & du profane, des domaines public & privé, des
cultures savantes & populaires, leurs chants sont ordinairement soutenus
par un hautbois et des percussions polyrythmiques. Danses visant à
conduire à la transe… Dans un Maroc aujourd’hui traversé par une
modernité conservatrice et une grave crise économique, les Aïssawa
cristallisent tensions et contradictions de l’Empire chérifien.
Jean-Jacques
GROLEAU, Thomas MAHLER & Patrick TCHIAKPÉ (Contributions de) : Music Game Book. Préface :
Béatrice Ardisson. Éditions Assouline (www.assouline.com).
Relié couverture souple, 15 x 21,5 cm, 380 p., ill. couleurs.
Sous-titré
« Histoire mondiale de la musique du XXe siècle », ce fort
et beau volume ne s’intéresse guère qu’aux musiques populaires, malgré quelques
incursions/alibis dans l’œuvre de Bizet (sic !), Satie, Debussy, Richard Strauss,
Prokofiev, Stravinsky… Cela dit, voilà un très ludique & instructif
ouvrage qui ne laisse pas de surprendre : brèves synthèses,
questions/réponses, jeux, anecdotes inédites, liens entre genres musicaux, le
tout illustré de quelque 400 photos couleurs. À lire en… piqué !
Francis Cousté.
***
Rolande
FALCINELLI (1920-2006) : Quatre grandes improvisations en concert. Rolande Falcinelli à l’orgue
Beuchet-Debierre de la Cathédrale aux Armées (Saint-Louis des Invalides),
Paris. IFO : ORG 7220.2 (distr. Codaex). TT :
79'32.
« Improviser,
si l'on est sincère et si l'on ne se contente pas de formules et de clichés,
est toujours une aventure, passionnante et inquiétante » disait Rolande
Falcinelli lors d'une conférence sur l'art de l'improvisation. C'est
précisément dans une aventure stupéfiante que l'on est emmené tout au long de
ce disque du label allemand IFO, proposant dans son intégralité le mémorable
récital d'improvisation, donné le 20 octobre 1983 à Saint-Louis des Invalides à
Paris. Quatre formes se succèdent : Prélude et Double Fugue, Variations, Suite symphonique (Récit
incantatoire, Scherzo, Mélopée, Final), et les Sept Sceaux, poème symphonique sur le texte biblique « L'ouverture des sept sceaux »
de l’Apocalypse selon saint Jean.
Les œuvres que
Rolande Falcinelli improvisa sur des thèmes d'Antoine Tisné démontrent le
niveau transcendant auquel était parvenue sa maîtrise de cet art périlleux :
le contrôle intellectuel de la construction du discours et l'aisance de sa
traduction dans l'immédiat sont absolus. Rigueur et souplesse, lucidité
et imagination visionnaire : tout se fond dans un équilibre parfait, animé
par un souffle dramatique époustouflant. Une grande aventure, donc,
marquée ce soir-là par un vertigineux crescendo d'intensité et par une de ces
rares et mystérieuses visitations de l'Esprit, qui se serait évanouie à jamais
si le récital n'eût été enregistré et heureusement préservé pour la postérité.
Andrea Borin.
Claude Le JEUNE : Dix Pseaumes de David. Ramée (stephanie@outhere.com) :
RAM 1005. TT : 75’28.
Cl. Le Jeune (ca 1530-1600) - musicien de la Réforme
au même titre que Cl. Goudimel - a, en 1564, « nouvellement composez
à quatre parties en forme de motets » Dix
Pseaumes de David, que révèle l’ensemble Ludus Modalis (7 voix,
ainsi que clavecin & orgue) dirigé par son fondateur, Bruno Boterf,
musicologue spécialiste aussi bien de musique médiévale que de musique baroque,
et ténor. Gagné à la Réforme et marqué par l’humanisme, Cl. Le Jeune
s’est lancé dans la musique mesurée à l’Antique dont des Prières avant et après le repas ou encore ses Pseaumes en vers mesurés édités en 1606 (donc après sa mort).
Les Dix Pseaumes reposent sur
les paraphrases de Théodore deBèze, mais ne reprennent pas les mélodies
récemment attribuées à Pierre Davantès. Son style est personnel et
son projet s’inscrit dans le contexte historique, c’est-à-dire la paix
retrouvée. Le dénominateur commun est l’action de grâce et l’invitation
au chant : Chantez... Les
amateurs de psaumes calvinistes seront curieux de connaître les nouvelles
versions de ces 10 Psaumes que Bruno Boterf et Ludus Modalis
interprètent en connaissance de cause, avec autant de force de persuasion que
de ferveur et d’intériorité.
Les chants du Pèlerin russe. Jade (jade@milanmusic.fr) : 699728-2.
TT : 60’.
Les sœurs du monastère
Sainte-Élisabeth de Minsk - l’un des centres orthodoxes les plus actifs en
Biélorussie, dont la patronne est la grande-duchesse Élisabeth (petite-fille de
la reine Victoria), convertie à l’orthodoxie - ont enregistré 16 pièces.
Selon le livret : « ces magnifiques chants de pèlerins ou Versets
spirituels relatent des histoires sacrées à partir de la musique populaire.
Il existe dans le patrimoine de la tradition religieuse russe de vieux chants
d’origine populaire, sorte de pieuses poésies à caractère légendaire qui
expriment de façon spécifique l’âme du peuple russe ». Ces
complaintes, en marge de l’usage liturgique, reprennent des thèmes
bibliques : louange de Dieu ; Consolation
de mes tristesses devant l’icône. Elles évoquent également avec
lyrisme le père Séraphin, le vénérable père Serge, la bienheureuse Xénia…, Un moine, et se termine avec Calme nuit, où « le moine dort
doucement, et l’ange de Dieu le protège… » : un concentré de calme,
de plénitude, d’intériorité, de douceur émanent de ces voix si fondues, justes
et homogènes.
Printemps. VDE Gallo (info@vdegallo.ch) :
CD-1326. TT : 57’.
Toujours à la recherche
d’originalité et de sonorités inattendues, les disques Gallo présentent, sous
le titre : Printemps, des pages
très connues arrangées pour flûte de Pan (M. Tirabosco), accordéon
(D. Fedorov) et un ensemble instrumental (l’ensemble Concordia Discors).
Les discophiles reconnaîtront aisément les accents de J. S. Bach
émanant du Double Concerto en ut mineur, de la Sonate pour flûte & clavecin, en sol mineur, des Suites
orchestrales n°2 en si mineur et n°3 en ré majeur, mais dans
un paysage sonore différent. A. Vivaldi est présent avec Le Printemps et L’Hiver extraits des Quatre Saisons.
Paradoxalement : à la fois déroutant et ressemblant.
Joseph HAYDN : Deux Symphonies parisiennes. Ludwig August LEBRUN : Concerto pour hautbois. Ricercar (stephanie@outhere.com). TT :
66’06.
Au XVIIIe siècle,
Paris est un passage obligé pour les artistes grâce à l’organisation
« Le Concert Spirituel » (1725-1791). Cette collection
éponyme a retenu des œuvres qui, à l’époque, ont rencontré un grand
succès : 2 symphonies de Joseph Haydn (1732-1809) et le Concerto en do majeur de Ludwig-August Lebrun (1752-1790), hautboïste du célèbre
orchestre de la cour de Mannheim, dans l’entourage de C. et H. Stamitz.
Son Concerto pour hautbois &
orchestre, à découvrir, comporte trois mouvements contrastés : Allegro, Adagio, Rondeau (Allegretto),
de facture classique et agréables à entendre. Le timbre du hautbois
(soliste : B. Laurent) plane sur l’ensemble. Il est accompagné
avec infiniment de musicalité par l’ensemble Les Agrémens dirigé par Guy
Van Waas. Le cycle des symphonies de Haydn, édité à Paris en 1788,
est doté du titre : « Du répertoire de la Loge Olympique, six
sinfonies à divers instruments… ». Désignées « Symphonies parisiennes »
à cause de leur commanditaire, le comte d’Ogny, les Symphonies en do majeur et ré majeur, loin d’être galvaudées, bénéficient d’une
interprétation conforme aux critères de l’époque. À retenir entre
autres : le caractère monumental de Symphonie
en do majeur, grâce aux
trompettes et timbales, l’Adagio particulièrement chantant de la Symphonie en ré majeur, et les deux Finale bien enlevés.
Récital de piano Élizabeth Herbin. VDE-Gallo (Rue de l’Ale, 31. CH-1003 Lausanne, info@vdegallo.ch) : CD 1312.
TT : 54’01.
Olivier Buttex et les disques Gallo
ont, entre autres, le mérite de promouvoir de jeunes pianistes. Élève de
Vl. Perlemuter au CNSM de Paris, où elle est entrée à 11 ans,
Élizabeth Herbin est aussi, entre autres, disciple de N. Magaloff et
d’A. Ciccolini. Elle enseigne au conservatoire J.-Ph. Rameau (Paris)
et donne des masterclasses au Canada, au Japon, en Pologne et en Chine.
Elle a sélectionné la Sonate en sib majeur, D.960 (1928) de Fr. Schubert
(1797-1828). Aucun traquenard technique ne lui résiste (accords répétés,
mise en valeur de la ligne mélodique, indépendance totale des mains).
Elle recrée à merveille l’atmosphère méditative et le caractère fervent de l’Andante sostenuto, contrastant avec
la limpidité du Scherzo (Allegro vivace con delicatezza), suivi du seul mouvement forte : Allegro ma non
troppo, se faisant plus discret vers la fin. Quant à l’œuvre de
Fr. Liszt (1811-1886) : Après
une lecture du Dante (d’après V. Hugo), É. Herbin rend cette
œuvre à la fois mystique et sublime. Wilhelm Kempf n’avait-il pas raison
en affirmant : « Élisabeth Herbin est un talent musical
exceptionnel, son jeu est d’une grande et personnelle puissance d’expression » ?
Disque très attachant, bénéficiant aussi d’un livret quadrilingue très bien
conçu.
CHOPIN : Nocturnes. GRANADOS : Œuvres
choisies. Ester Pineda. VDE-Gallo
(info@vdegallo.ch) :
CD 1325. TT :
69’49.
Pour cette jeune pianiste
espagnole de réputation internationale, la virtuosité n’est qu’un moyen, et non
une fin, au profit de la sensibilité et de la profondeur. Le volet
consacré à Fr. Chopin (1810-1849) est marqué par une sonorité
exceptionnelle, doublée d’une rare finesse. Elle interprète avec infiniment
de musicalité et de goût six de ses Nocturnes.
D’entrée de jeu, elle révèle l’esthétique hispanisante d’Enrique Granados
(1867-1916) dont elle a retenu les Valses poétiques,
des extraits des Goyescas (1911)…
Les mélomanes n’oublieront pas le charme et la discrétion se dégageant de Plaintes ou la Maja et le rossignol.
Enfin, dans l’Allegro de concert,
plus développé, son jeu perlé et ses attaques précises contribuent au dynamisme
de cette marche en avant.
Théodore DUBOIS : Concerto pour violon &
orchestre. Édouard LALO : Symphonie espagnole. BNL : 112964. Distr. Codaex.
TT : 60’.
Th. Dubois (1837-1924) n’est
pas que l’auteur d’un célèbre Traité d’Harmonie…
En tant que compositeur, il bénéficie actuellement d’un regain d’intérêt (cf. ses œuvres d’orgue interprétées par
Helga Schauerte). Son Concerto
pour violon & orchestre (1897) a été enregistré, en première mondiale,
par l’excellent violoniste Frédéric Pélassy en Slovaquie. Encore de
facture romantique, avec un plan classique en trois parties, cette œuvre
réserve la part belle au violon qui, dans l’Allegro,
s’impose par la virtuosité et la bravoure, dans l’Adagio, cède la place à la mélancolie et au pathos, contrastant
avec l’Allegro giocoso aux rythmes
martelés, incisifs, les passages staccato au violon. Décidément,
Fr. Pélassy se joue de toutes les difficultés dans les tessitures
scabreuses sur tempo rapide. La proximité avec la Symphonie espagnole (1875) d’É. Lalo (1823-1892), structurée en
5 mouvements, proche du post-romantisme, est évidente. Ce CD,
résultat de la remarquable entente entre l’éminent violoniste français et
l’Orchestre national philharmonique de Kosice, dirigé par Zbynek Müller,
est incontournable dans toute discothèque de mélomane curieux.
Jérôme BERNEY : 3 + 3. Jazz autour de Frank
Martin. VDE-Gallo (info@vdegallo.ch) :
CD 1330. TT : 46’32.
3 + 3. Jazz autour de Frank Martin : titre
aussi énigmatique qu’inattendu ? Il est présenté comme une
charade : « Mon premier est une œuvre du compositeur suisse
Frank Martin : Trio sur des
mélodies populaires irlandaises (1925). Mon deuxième est un trio
classique, piano-violon-violoncelle, qui l’interprète. Mon troisième est
un trio jazz, piano-contrebasse-batterie, faisant « effraction » à partir
de compositions de Jérôme Berney. Mon tout est une création inédite
mêlant genres et ensembles, musique écrite et improvisée, dans un esprit
festif ! Soit. Pourquoi pas ? Réussite du genre…
Édith Weber.
Umberto GIORDANO : Fedora. Plácido Domingo (Loris), Angela Gheorghiu (Fedora), Fabio Maria
Capitanucci (De Siriex), Nino Machaidze (Olga). Orchestre symphonique et
chœur de la Monnaie, dir. Alberto Veronesi. 2CDs :
DGG 477 8367.
Dès les premiers stades de sa
carrière, Plácido Domingo, travailleur acharné, se montrait volontiers
disponible pour participer à l’exhumation discographique d’ouvrages méconnus,
notamment du répertoire improprement appelé “vériste”. Il a repris son
bâton de pèlerin depuis quelques années afin de compléter ce pan de la
discographie chez DGG, en compagnie du chef Alberto Veronesi.
Cinquième volet de leur commune exploration, Fedora sort trois ans (!) après l’enregistrement effectué en
janvier 2008. Dans le catalogue d’Umberto Giordano voisinent un chef-d’œuvre, Andrea Chénier, et divers ouvrages
non dénués d’originalité (Siberia, Mese mariano, Il Re, pour n’en citer que quelques-uns). Fedora, inspiré – comme Tosca, mais le parallèle s’arrête
là ! –, d’un drame de Victorien Sardou, souffre d’un livret inintéressant.
Il est difficile de s’intéresser à quelque personnage que ce soit, tant la
psychologie sommaire, concentrée en une heure et demie (vérisme oblige :
la violence des destinées tragiques se traite en formes ramassées), prête
souvent à sourire ! L’inspiration peine à relever une écriture musicale,
certes irréprochable et par moments émaillée de trouvailles orchestrales
séduisantes. Mais, pour en tirer la substantifique moelle, il eût fallu
un chef plus imaginatif que Veronesi (et l’orchestre bruxellois ne fournit
guère un velours au discours orchestral). Quoi qu’il en soit, Plácido
Domingo, dans le rôle du ténor (il devient nécessaire de le préciser, lire
ci-dessous !), déploie une vaillance intacte et un art du phrasé sur
lequel l’âge n’a pas de prise : écoutez comme il infléchit des syllabes en
cours de mot pour faire vibrer une tension expressive ; la maîtrise
enrichie de l’expérience que l’on sent ici force l’admiration. Face à
lui, Angela Gheorghiu se veut une sensibilité à vif, mais la justesse bat
parfois la campagne. Nino Machaidze n’a pas les moyens de soprano léger
requis par le rôle superficiel d’Olga, et son timbre de serinette devient
étriqué dans l’aigu. Un telle nouveauté discographique ravira donc au premier
chef les collectionneurs domingophiles.
Frédéric
CHOPIN : Polonaise-Fantaisie
op.61, Nocturnes
op.62 n°1 et 2, Andante spianato et
Grande Polonaise op.22, 12 Études
op.10. En bis, Rachmaninov : Prélude op.32 n°5. Chopin : Prélude op.28 n°24. Nelson Goerner, piano. Wigmore Hall
Live : WHLive0039.
Parution en postlude à l’année Chopin d’un
récital donné à Londres… en prélude à ladite année, le 1er octobre
2009. Nelson Goerner est un pianiste parfois sous-estimé : doté
d’une belle sonorité, d’une virtuosité dont témoignent ici les Études op.10 (et spécialement celles “à
grande vitesse”, pour adopter un vocabulaire ferroviaire), on le qualifierait
par la notion d’énergie positive. Point de mystère dans ses
interprétations du romantisme, mais une mâle assurance diffusant une certaine
lumière, que l’on aurait tort de mépriser. On peut certes lui reprocher
d’être un peu court dans les contrastes de dynamique (de beaux p,
mais un manque de réserve dans la puissance), ce qui gomme le dramatisme et les
ténèbres de l’âme. Un esprit positif, vous dis-je ! Il n’est
pas dénué de sens poétique, comme le prouve en bis le Prélude en sol majeur de Rachmaninov, au ruissellement si évocateur. Mais, aussitôt après, en
ultime bis, le 24e Prélude de Chopin nous remet sur les rails de sa virile approche du Polonais.
Petr EBEN : Symphonia Gregoriana.
Gunther Rost, orgue. Bamberger Symphoniker, dir. Gabriel Feltz. SACD Oehms : OC643.
Le compositeur
tchèque Petr Eben (1929-2007) apporta une contribution des plus importantes au
répertoire d’orgue du XXe siècle. Sa musique fort belle, noblement
pensée, mue par des motivations humanistes, mériterait d’être mieux connue sous
nos cieux. Sa foi religieuse s’éleva comme un moyen de contestation dans
la Tchécoslovaquie communiste, et il se donna l’apparence d’entériner le cliché
de l’orgue/instrument liturgique pour avancer une forme de résistance dans
l’idéologie matérialiste qui étouffait son pays. La Symphonie concertante ici
gravée en est l’illustration, puisqu’elle s’appuie sur des thèmes grégoriens,
dont le cheminement (exemples musicaux à l’appui) est fort bien expliqué dans
le copieux livret. Il faut tout de même avertir le public qu’il s’agit
d’une œuvre de jeunesse, écrite alors que Petr Eben achevait ses études (en
1954), et que le style n’a pas encore atteint sa pleine identité.
Malheureusement, nous entendons là un organiste qui registre fort maladroitement
(la composition de l’orgue, fournie dans le livret, prouve que l’on pourrait
donner plus de présence à la partie d’orgue, mieux la dessiner), privilégiant
des anches au son enrhumé ; de plus, il joue son rôle avec une
inconsistance déplorable. La prise de son achève de noyer le tout dans
une soupe confuse, notamment lorsque l’orgue et les percussions interviennent
conjointement. Au bout d’un moment, l’attention décroche, alors même que
la partition recèle des potentialités aisées à deviner. Quel dommage de
subir ici une réalisation inaboutie, handicapant la réception d’une œuvre qui
appellerait de plus dignes efforts !
Felix MENDELSSOHN : Concerto pour violon, piano & orchestre. Quintette à
cordes n°2 (arr. pour orch. à cordes).
Alexander Lonquich (piano) Antje Weithaas (violon), Camerata Bern. Claves :
50-1102.
À quatorze ans, le jeune prodige composait
un joyau de vitalité magistralement écrit : le Concerto pour violon, piano & cordes. On l’entend ici dans une
version élargie aux vents et timbales reposant sur un matériel d’orchestre
retrouvé dans les archives de Mendelssohn. La qualité de jeu et la
vivacité de la Camerata de Berne y font merveille. Le premier mouvement
est teinté d’une verve italienne (il sonne par moments rossinien, presque
jamais beethovenien), le deuxième mouvement échappe à l’influence mozartienne
par un chromatisme qui s’infiltre passagèrement au piano, et le finale déborde d’une exubérance
débridée. Alexandre Lonquich s’y montre pétillant, rebondissant. On
déplore en revanche le timbre peu gracieux d’Antje Weithaas, là où
conviendrait le son translucide d’un Gidon Kremer, malgré la musicalité
virtuose de l’actuelle directrice artistique de la Camerata de Berne. La
prise de son a tendance à isoler les deux solistes au premier plan, ce qui
affecte le naturel de la restitution. Le Quintette à cordes op.87 de 1845 supporte – je dirai même
plus : appelle – l’extension à l’effectif d’un petit orchestre à cordes.
Là encore, la perfection de jeu de la Camerata de Berne est garante du
résultat. Écoutez le tissu volubile des parties intermédiaires dans le
premier mouvement, puis l’élégance, toute en légèreté, de l’Andante scherzando. Cet effectif amplifie encore le
dramatisme funèbre du poignant Adagio où résonnent comme des appels de la scène théâtrale (les fantômes de Don Giovanni
et du Commandeur semblent s’y tenir dans l’ombre). Quant au finale, on le croirait issu de quelque
symphonie post-mozartienne, et les instrumentistes s’y lancent avec une fougue
de haute virtuosité. Au final, un disque qui sème le bonheur.
Felix
MENDELSSOHN : Elias (chanté en
allemand). Claudia Barainsky (soprano), Franziska Gottwald
(contralto), Rainer Trost (ténor), Thomas E. Bauer (baryton). Chorus
Musicus Köln, Das Neue Orchester, dir. Christoph Spering. 2CDs
MDG Live : 602 1656.2.
Nos lecteurs savent que l’auteur de ces
lignes a une oreille très critique envers l’historicisme instrumental mis à
toutes les sauces, spécialement quand cette sauce consiste à transvaser sans
discernement des ingrédients “baroqueux” vers des ragoûts mijotés à une autre
époque, dans un tout autre état d’esprit, au point d’entrer effrontément en
contradiction avec les idéaux des créateurs concernés. Il y a pourtant
d’heureuses exceptions, et Christoph Spering est de celles-ci : en
1995, nous avions été très impressionnés par l’oratorio Paulus, qu’il avait gravé pour le défunt label “Opus 111”, de
même que la Symphonie “Lobgesang” et
la version arrangée par le même Mendelssohn de la Passion selon saint-Matthieu de Bach. En effet – et ces
particularités sont rappelées dans le livret d’Elias – Spering ne considère pas que réduire les œuvres à des
effectifs “rikiki” soit une preuve de culture historique (au contraire, on sait
les masses considérables dont ont pu disposer Haendel, Mozart, Mendelssohn,
etc.), et si, depuis ce mémorable Paulus,
les membres de son chœur (Chorus Musicus) et de son orchestre (Das Neue
Orchester) se sont renouvelés, la philosophie du travail qu’il leur insuffle
demeure la même, et vise à faire qu’une musique romantique sonne avec une
expression romantique, et non selon des postulats “fourre-tout” aveuglément
“baladés” d’un siècle à l’autre, d’une esthétique à l’autre, comme on l’entend
si souvent (le dogmatisme sans culture des sensibilités particulières peut
faire des ravages !). Son attention à des détails négligés fait que,
pour le coup, sa lecture des partitions redonne une vérité historique au son et
à la structure dynamique ainsi reconstitués : dans Paulus, par exemple, Spering avait mis en application les
registrations notées de la main de Mendelssohn sur la partie d’orgue d’une
exécution qu’il avait dirigée au Gewandhaus de Leipzig (le compositeur était
autant chef d’orchestre qu’organiste et pianiste, d’où son attention à ces détails
d’interprétation), or l’alliage entre ces registrations et l’ophicléide
révèlait des intentions insoupçonnées dans le traitement des basses. Dans
l’un et l’autre oratorios, Spering suit avec un soin scrupuleux les indications
métronomiques portées par Mendelssohn sur les partitions, et redonne vie à des
progressions dramaturgiques que le compositeur étagea très soigneusement.
Le présent Elias rejoindra donc Paulus dans les rangs des versions
chaudement recommandables pour découvrir le “vrai” Mendelssohn, et l’on
apprécie la capacité des choristes à “jouer” leur rôle dans les moments de
tension dramatique (la joute avec les prêtres de Baal, ou le déchaînement des
forces divines “Der Herr ging vorüber”
dans la seconde partie), ainsi que l’homogénéité avec laquelle les chanteurs
solistes se fondent dans la couleur vocale collective ou en émergent à bon
escient. Tout ici respire l’exigence qui donne aux réalisations de
Spering une démarche cohérente, une riche beauté sonore, un relief dramatique
qui n’a pas besoin des soufflets d’accordéon ou des brusques à-coups tenant
lieu de dynamique à tant de “baroqueux”.
DEBUSSY : Fantaisie pour
piano et orchestre.
RAVEL : les 2 Concertos.
MASSENET : Eau
dormante, Eau courante, Toccata, Papillons noirs,
Papillons blancs, Valse folle.
Jean-Efflam Bavouzet. BBC Symphony Orchestra, dir. Yan Pascal Tortelier.
SACD Chandos : CHSA 5084.
Quelle joie de découvrir un couplage
original, qui tire les conséquences historiques d’admirations non dissimulées
des célèbres cadets pour leur aîné si fameux dans le domaine de l’opéra !
Mais avant d’en venir à l’inattendu de ce programme, saluons la rencontre entre
deux “intégralistes” de Debussy et Ravel : le formidable virtuose
Jean-Efflam Bavouzet, et Yan Pascal Tortelier qui est l’un des meilleurs
chefs français, ce que l’on semble délibérément ignorer ici alors que les cinq
continents se l’arrachent ! Les mouvements extrêmes du Concerto en sol de Ravel crépitent,
emportés à toute allure par notre pianiste survolté mais ne se départissant
jamais d’un jeu extrêmement précis ; le mouvement central commence tout en
retenue du son afin que le lyrisme ne s’en élève que mieux au fil de la
progression. Beau travail du son également de la part du chef dans le Concerto pour la main gauche, auxquels
répondent au clavier les brouillards denses d’où va sourdre la cadenza.
Dans l’ensemble de ce Concerto, les
deux interprètes semblent néanmoins s’en tenir à une vision abstraite de
l’œuvre et ne point vouloir verser dans la lecture sombrement dramatique,
tourmentée, que d’autres privilégient. Quant à la Fantaisie de Debussy, qui connut un sort avorté en ne rencontrant
jamais le public du vivant de l’auteur, elle est le témoignage d’un esprit qui
se cherche, qui se trouve en maintes pages, mais ne résout pas encore ses
contradictions en une forme ramassée. Les interprètes avancent avec
beaucoup de caractère dans ces chemins tortueux, et le Lent, très expressif du deuxième mouvement est un moment sublime de
poésie éthérée. Mais que viennent faire des pièces pour piano seul de
Massenet après ces trois œuvres concertantes ? On l’a dit, Debussy
et Ravel ne cachaient pas leur admiration pour Massenet, et avaient fort bien
pénétré les arcanes de son (de ses) style(s), au point que des traces d’influence
sont aisément repérables. Pourtant, Massenet qui, toute sa vie, se
renouvela avec un bonheur d’imagination jamais tari, apporte de l’inattendu
jusque sur les touches aussi noires et blanches que ses Papillons : écoutez les étrangetés de Papillons noirs, avec leurs rythmes contrariés, puis les
élégants envols de Papillons blancs,
se terminant fort inopinément. En sens contraire, l’assurance virtuose de
la Toccata s’achève par un clin
d’œil : l’accord final est posé f comme le veut l’usage d’une telle
pièce… puis repris aussitôt pp. Les sonorités rêveuses d’Eau dormante et le jeu perlé d’Eau courante achèvent de nous
montrer Jean-Efflam Bavouzet déroulant en un seul disque un extraordinaire
panorama de son talent. Mais le plus surprenant vient à la fin : le
côté complètement déjanté de la Valse folle qui, de l’atonalisme au bastringue, semble parcourir en deux minutes et demie,
au gré de vertigineux tournoiements, des salles diverses d’où émaneraient des
probabilités de valses se juxtaposant jusqu’à une fin qui semble adresser au
dédicataire Raoul Pugno une caricature de pianiste en majesté. Eh
oui, l’auteur de Werther cachait sous
sa moustache un humour fort piquant ! Mais – malédiction ! –
cette Valse folle est l’ultime
pièce du disque, et c’est la plage 13 ! Imprudents producteurs
qui ignoraient que Massenet était viscéralement superstitieux et avait une peur
panique du chiffre 13 (ses manuscrits ne comportent pas de
page 13 !)… au point de mourir un 13 août (1912, ce qui nous
amènera au centenaire l’année prochaine) ! Quoi qu’il en soit, grâce
soit rendue à Jean-Efflam Bavouzet d’avoir eu l’idée d’un programme si
kaléidoscopique, qui met en valeur toutes les facettes de son art.
Gabriel
PIERNÉ : Concerto
pour piano en ut mineur (*), Marche des petits
soldats de plomb, Divertissements sur
un thème pastoral, Suites n°1 et 2 de
“Ramuntcho”. Jean-Efflam Bavouzet (*). BBC Philharmonic
Orchestra, Juanjo Mena. Chandos : CHAN 10633.
Il fut un temps où l’on parlait avec
condescendance de « musique de chef d’orchestre » ; cette
appellation censément dédaigneuse (on se demande bien pourquoi !)
englobant Gustav Mahler, Richard Strauss, Gabriel Pierné
(excusez du peu !), tous valeureux chefs d’orchestre au long de brillantes
carrières pluri-décennales, on en réclame notre content ! En effet,
dans les orchestrations de tels maîtres, il y a un savoir-faire qui force
l’admiration, tant il donne son exact relief à la moindre intention exprimée
par chaque voix instrumentale. Au lieu de nous assommer en donnant quinze
fois le même concerto ou la même symphonie par saison, que n’inscrit-on pas le Concerto en ut mineur ou les Divertissements de Pierné aux programmes de nos orchestres, pour renouveler le panorama !
D’autant qu’il s’agit de pièces “grand public” au bon sens du terme, et
qu’elles enthousiasmeraient les mélomanes… enfin, dans la mesure où elles
seraient jouées par des artistes du niveau de ceux-ci ! Car nous
entendons là (dans une prise de son spectaculaire) des interprétations
étincelantes, qui apportent une contribution inestimable à la remise à
l’honneur d’un compositeur injustement éclipsé depuis quelques temps. On
entre dans le Concerto (1887) par un Maestoso auquel Jean-Efflam Bavouzet
confère un poids grandiose, avant de déchaîner l’impact nerveux d’une trempe
peu commune dans l’Allegro. On
sait que le pianiste est un rythmicien intrépide, d’où l’empreinte laissée par
ses interprétations des Concertos de Bartók et de Prokofiev ; il porte
littéralement toute l’œuvre par cette faculté électrisante. Au détour du
premier mouvement surgit inopinément quelque préfiguration de Rachmaninov. L’Allegro scherzando central avoue
l’influence de Saint-Saëns, et d’un toucher rebondissant, Jean-Efflam Bavouzet
en donne le ton plein d’esprit. Le thème agitato du finale est en
effet agité d’une virtuosité ébouriffante qui alterne avec un lyrisme respirant
à pleins poumons. Pas une minute de répit pour le pianiste dans ce
Concerto, pas une minute d’ennui pour l’auditeur. Et – phénomène que l’on
a déjà vu se produire lors de concerts d’orchestre associant le pianiste breton
– les musiciens du BBC Philharmonic de Manchester sont transcendés par un
partenaire de si haut vol, ils “mouillent leur chemise”, emportés par la
contagion d’un tel dynamisme. Le chef espagnol Juanjo Mena, qui va
prendre ses fonctions à leur tête à partir de la saison prochaine, montre ses
propres qualités de virevoltante élégance tout au long de Divertissements sur un thème pastoral (1931), pièce en forme de
variations écrite pour l’Orchestre des Concerts Colonne que Pierné dirigea
pendant trente ans : partition délectable où passent des traces de Ravel,
de Puccini, et où – plus étonnant – on découvre, par le jeu de la
modalité des thèmes employés de part et d’autre, une anticipation du deuxième
mouvement des Métamorphoses symphoniques
sur un thème de Weber de Paul Hindemith (qui ne naîtront que douze ans plus
tard !), spécialement lorsque l’un et l’autre compositeurs traitent leur
thème en un choral dansant de cuivres ; rappelons que dans ce mouvement,
Hindemith reprend le thème de la “chinoiserie” écrite par Weber pour la musique
de scène de Turandot, d’où une
parenté avec le mode lydien du thème soi-disant pastoral de Pierné.
Au temps de nos grands-mères, les suites de Ramuntcho comptaient parmi les pages
les plus populaires de Pierné, peut-être à l’instar du roman de Pierre Loti
dont l’adaptation théâtrale donna lieu à la commande de cette musique de
scène : aujourd’hui, elles semblent plus datées que les œuvres
précédemment évoquées, en raison d’un pittoresque régionaliste un peu désuet.
Néanmoins, on y trouvera un plaisir d’écoute que l’on ne saurait bouder.
Voilà un disque revigorant, à consommer sans modération les jours de morosité
pour ramener le soleil dans vos existences !
Francis
POULENC : Mélodies
sur des poèmes d’Apollinaire. Holger Falk
(baryton), Alessandro Zuppardo (piano). MDG : 603 1658.2.
Les interprètes allemands s’intéressent
décidément de plus en plus à la musique française et y apportent une touche
très appréciable. Baryton, annonce-t-on pour Holger Falk : mais
baryton fort léger, fort aigu (pour le coup, plutôt dans la catégorie du
“baryton-Martin” ou “baryténor”), qui chante souvent en voix de tête et manie
son organe avec agilité. Il a choisi de regrouper toutes les mélodies
composées par Poulenc sur son poète favori, et cela donne un programme d’une
qualité littéraire et d’une diversité musicale exceptionnelles. On reste
admiratif devant la ciselure de détail que le compositeur apporta à chaque
vers, à chaque intention d’Apollinaire ; il en ressort, non un climat
général, “globalisant”, s’étendant à toute la mélodie, mais une infinité
d’éclairages, de subtilités harmoniques ou vocales sertissant un mot, colorant
un trait d’esprit, ce qui complique évidemment la tâche des interprètes,
invités à prendre de concert des virages ou des bifurcations parfois
impromptues.
Le chanteur a travaillé une excellente
diction française ; il ne lui reste comme seul défaut que de prononcer les
“ai” (terminaisons d’imparfait, par exemple) un peu trop “é”, mais il est vrai
qu’il n’y a pas si longtemps, le modèle erroné venait d’en haut, puisque ce
défaut entachait les discours de Chirac, qui nous abreuva pendant deux mandats
présidentiels de ses vœux de “pé” adressés aux “Francés” !
L’osmose entre le chanteur allemand et le
pianiste italien est parfaite, leur interprétation passe par tout le spectre de
la tendresse, de la nostalgie, de l’ironie, du burlesque surréaliste. Les
producteurs de MDG enregistrent toujours sur leur Steinway modèle D de
1901 qui, pour le coup, donne une couleur “d’époque”. La prise de son et
le livret complètent par leur excellence cette réalisation à conserver
précieusement.
Sylviane
Falcinelli.
César FRANCK : Pièces pour orgue. Lionel Avot. Hortus 083. TT :
59’09.
Une belle interprétation de Lionel Avot,
sur l’orgue Puget de Notre-Dame de la Dalbade à Toulouse, de différentes pièces
pour orgue, composées par César Franck (1822-1890), alliant avec bonheur écriture
& improvisation. Trois Pièces datant de 1878 (Fantaisie en la majeur, Cantabile, Pièce héroïque), Prélude, Fugue et Variations,
extraits de Six pièces (1859-1863) et
le Premier Choral en mi majeur (1890). Un disque
indispensable à tout amateur d’orgue.
Patrice Imbaud.
Charles-Marie
WIDOR (1844-1937) : 8e Symphonie en si majeur op. 42 n°4. Trois nouvelles pièces op. 87.
Scherzo (Allegro). Frédéric Ledroit aux grandes orgues Cavaillé-Coll
de l’église St-Étienne de Mulhouse. Skarbo (www.skarbo.fr) : DSK 1102. Distr.
France Intégral. TT : 72’20.
Grâce aux
améliorations apportés aux orgues romantiques, Charles-Marie Widor put créer la
« symphonie pour orgue », élevant cet instrument au rang de grand
orchestre. Parmi ses dix symphonies, la Huitième (version de 1887)
en constitue assurément l’un des sommets, tant par son inspiration que son
ampleur et les moyens mis en œuvre (7 mouvements : Allegro risoluto /
Moderato cantabile / Allegro / Prélude / Variations /
Adagio / Finale). Brillant organiste, internationalement reconnu,
Frédéric Ledroit restitue admirablement cette œuvre grandiose, non moins
que les Trois nouvelles pièces (Classique d’hier, Mystique, Classique
d’aujourd’hui) et le Scherzo (version de 1872-1887).
Vincent COURTOIS : L’imprévu. Vincent Courtois, violoncelle.
La Buissonne (www.labuissonne.com) :
RJAL 397010. Distr. Harmonia Mundi. TT :
Gageure
relevée - non sans panache - de consacrer tout un disque au seul
violoncelle. En douze titres, dont onze de sa plume (La Visite étant signé Louis Sclavis), le réputé violoncelliste
& compositeur Vincent Courtois (http://violoncelle.free.fr)
nous fait ici une éblouissante démonstration de son talent protéiforme.
Pour cellistes, mais point seulement !
Fabien
WALLERAND : Art of
the Tuba. Avec le concours de Maréva Bécu (piano), David Defiez
(cor), Nicolas Valade (trombone), Michel Godard &
Stéphane Labeyrie (tubas). Indésens ! (www.indesens.fr) : INDE027.
TT : 61’09.
Mille
grâces soient rendues à Benoît d’Hau qui, à la tête du label Indésens, publie
des répertoires pour le moins méconnus ! Ainsi du présent CD qui -
dans l’interprétation de l’extraordinaire tubiste Fabien Wallerand,
entouré de quelques brillants partenaires - réunit des œuvres de :
Paul Hindemith (Sonate fur Basstuba
& piano), Erich Korngold (I wish
you bliss, transcription pour tuba & piano par F. Wallerand),
David Popper (Begegnung,
transcription pour tuba & piano par F. Wallerand), John Stevens (Triangles, pour cor, trombone &
tuba / Autumn pour tuba &
piano), Roland Szentpali (Allegro fuoco,
pour tuba & piano), Aron Romhanyi (Parallels,
pour tuba & piano), Michel Godard (Deep Memories,
pour trio de tubas) et Fabien Wallerand (Viñales, pour trio de tubas). Font ici merveille la puissance
et le velouté d’un instrument par trop rarement soliste.
Jean-Marc
FOLTZ (clarinette), Matt TURNER (violoncelle), Bill CARROTHERS
(piano) : To the Moon. Ayler Records (www.ayler.com) : AYLCD-112.
TT : 50’07.
Il
s’agit là d’improvisations autour de dix poèmes extraits de ce Pierrot lunaire d’Albert Giraud
qui inspira naguère Arnold Schönberg… Sans cependant rien de comparable avec
le propos du Viennois… Libres méditations poétiques de trois merveilleux musiciens,
quelque peu oublieux ici de leur formation de jazzmen…
Threefold. Cesarius Alvim (piano),
Eddie Gomez (contrebasse), Éric Le Lann (trompette). Frémeaux (www.fremeaux.com) : LLL 329.
Il
s’agit là de la réédition d’un enregistrement légendaire (La Lichère,
1988). Avec la complicité de l’excellent trompettiste français Éric
Le Lann, il réunissait, pour la première fois, le pianiste Cesarius Alvim
et le contrebassiste Eddie Gomez. Parmi les standards interprétés : ‘Round about midnight, Time remembered, All of you, My funny Valentine, Ladies’ Blues, Lover Man…
Jours de vent. Pierre DIAZ (saxophones & voix) + Trio
ZEPHYR : Delphine Chomel (violon & voix), Marion Diaques
(alto & voix), Claire Menguy (violoncelle). La Buissonne (www.labuissonne.com) :
RJAL 397009. Distr. Harmonia Mundi. TT : 54’45.
Poignantes musiques, inspirées aussi bien
du free jazz que du flamenco, émaillées d’enregistrements du premier
discours du roi d’Espagne Juan Carlos, d’Eva Perón, de
Francisco Franco, de « la Pasionaria »
Dolores Ibárruri… Un disque d’anthologie, à écouter et écouter
encore !
Pour Jacques Tati. Michel Glasko, accordéon. Corélia (www.corelia-musique.com) :
CC874729. Distr. Socadisc. TT : 39’16.
Nostalgie, nostalgie… C’est, en effet, à
l’accordéon que ces mélodies de Jean Yatove, Alain Romans,
Franck Barcellini et Francis Lemarque trouvent leurs plus émouvantes résonances.
Sous les doigts d’un fin musicien, 15 titres sont ici empruntés à, notamment, Jour de fête, Les vacances de Monsieur Hulot, Mon
Oncle, Playtime…
Francis Gérimont.
Lettere Amorose. Airs
baroques italiens de Filipo VITALI, Sigismondo D'INDIA, Claudio MONTEVERDI,
Giulio CACCINI, Tarquinio MERULA, Biagio MARINI, Girolamo KAPSBERGER, Barbara
STROZZI. Magdalena Kožená, mezzo-soprano.
Private Musicke, dir. Pierre Pitzl. Universal/DG :
477 8764. TT : 61'34.
C'est à un intéressant récital que nous
convie Magdalena Kožená, regroupant des airs anciens italiens sous le thème du
chant d'amour du XVIIe siècle. Si Monteverdi en est un
réputé illustrateur, bien d'autres de ses contemporains s'y seront aussi
essayé, dont les noms nous sont moins familiers, tels Kapsberger, Marini,
Merula ou Strozzi. Tous dépeignent une variété d'émotions, la sensualité,
la désespérance amoureuse, la passion, l'agréable douleur de l'amour, mais
aussi sa morbidité voluptueuse. La composition musicale est variée,
apportant parfois des sonorités hardies dans leurs dissonances, d'un
« modernisme » étonnant pour l'époque. Comment ne pas être séduit
par la beauté opalescente de la Canzonetta spirituale sopra alla nanna de Tarquinio Merula, qui tient de la berceuse et de la lamentation, où la
Vierge Marie sur un rythme lancinant qui va s'amplifiant et s'animant, décrit
les tourments que subira l'Enfant Jésus. Le traitement instrumental qui
fait usage des cordes pincées ne le cède en rien à la déploration sereine de la
voix. Ou encore par cette mini-cantate de Barbara Strozzi,
compositrice issue d'une grande famille vénitienne, qui évoque une passion qui
peu à peu s'enferme dans la douleur presque avec volupté. Partout dans
ces pièces l'accompagnement musical impose sa simplicité tout comme éclate la
liberté de l'expression quant à l'ornementation, laissée à la discrétion de
l'interprète. Magdalena Kožená dit se faire plaisir à l'exécution de ces
pièces qu'elle possède de longue date et a maturées lors de tournées en
concert. Ses partenaires de Private Musicke, ensemble composé de huit
musiciens experts dans ce répertoire, lui procurent un élégant écrin.
Tout comme ils excellent dans un choix de pièces instrumentales qui complètent
harmonieusement le programme vocal.
Domenico SCARLATTI : 18 Sonates. Alexandre Tharaud, piano. Virgin
Classics : 5099964201603. TT : 68'05.
Lorsqu'on évoque les sonates de Domenico
Scarlatti, jouées autrement qu'au clavecin, on pense aux pièces hyper-virtuoses
d'une légèreté primesautière immortalisées au disque par Vladimir
Horowitz. Certes. Mais tout n'est peut-être pas dit… On découvre
qu'il y a autre chose que des morceaux proches de l'exercice, aptes à mettre en
valeur la vélocité de l'interprète et un implacable doigté, parmi les quelque
550 pièces écrites par ce maître italien qui passa une large partie de son
existence au Portugal puis en Espagne, à la Cour de Philippe V et de
Ferdinand VI. Ces courts morceaux faits d'un seul mouvement, avec un
voire deux thèmes, révèlent souvent une vraie profondeur de ton, proche de
l'air chanté. Quel instrument choisir : clavecin ou piano ?
Pour Alexandre Tharaud, il n'est pas douteux que cette musique « sonne de
manière évidente sur un piano moderne ». On peut même penser sans
exagérer qu'avec la sonorité claire et chaude de cet instrument, ces pièces
libèrent une certaine modernité. Le pianiste a sélectionné 18 sonates,
réunies autour de plusieurs thèmes : l'inspiration espagnole bien sûr, les
sonates de cour, les pièces virtuoses, les sonates au climat plus
intérieur. Aussi le programme, justement contrasté, évite-t-il l'écueil
de la monotonie. L'interprétation est un chef-d'œuvre d'intelligence et
de goût : imagination dans le phrasé, art de ménager les silences ou de
modifier imperceptiblement le débit, variation subtile de l'intensité.
D'esprit aussi : Tharaud y distille un humour discret dans l'attaque des
notes pointées ou l'exécution d'appogiatures finement dessinées, dans la façon
de ménager les gruppettos de notes délicieusement martelées. Un sentiment
de joie envahit l'auditeur à l'heure des prestes cavalcades des doigts
parcourant comme affolés le clavier. L'instrument, un Yamaha, sonne
glorieusement. Une prise de son large et d'une parfaite clarté, effectuée
dans la mythique salle de l'Heure Bleue de La Chaux-de-Fonds, complète le
bonheur de ces exécutions de référence.
Cleopatra. George Frideric HANDEL : Arias tirés de Giulio Cesare. Natalie
Dessay, soprano. Avec Sonia Prina, contralto & Stephen Wallace,
contre-ténor. Le Concert d'Astrée, dir. Emmanuelle Haïm.
Virgin Classics : 907872 2 5. TT : 65'32.
En conjonction avec les représentations de Giulio
Cesare au Palais Garnier, paraît une anthologie des airs et récitatifs qui
composent le rôle de Cléopâtre, chantés par Natalie Dessay. Si elle est
incomplète puisque, nonobstant le duo final (où César est ici incarné par la
contralto Sonia Prina), elle ne compte que six des huit airs dévolus à la reine
d'Égypte (deux de ses airs du Ier acte n'y figurent pas
curieusement), elle offre en revanche deux airs alternatifs, ou plutôt
originaux, tels que Haendel les avait imaginés pour des situations cruciales
dans l'opéra. Le rapprochement de ces pièces permet de tracer le portrait
d'un personnage royal hors du commun comme d'illustrer les diverses facettes
d'un rôle qui a peu d'équivalent sur la scène lyrique. C'est tour à tour
la femme ambitieuse, vouée à l'amour, qui met toute son énergie au service de
sa stratégie de conquête méthodique de l'empereur romain. Il n’y faudra
pas moins de trois airs, aussi tendres et lascifs que diversifiés dans
l'expression du désir amoureux (« Tutto può donna vezzosa »,
« V'adoro pupille », « Venere bella »). L'amante qui
se prend à son propre piège, celui de l'amour, résolue à défendre celui qu'elle
aime dont la vie est menacée (« Se pietà di me ») ; un être
désespéré qui pleure César qu'elle croit mort et laisse sa douleur s'exhaler
(« Piangerò », une des inspirations les plus envoûtantes du musicien
qui oppose une section centrale très agitée à une première partie et au
da capo conçus en forme de déchirant lamento) ; enfin la gagnante,
savourant son triomphe dans l'air acrobatique final où les colorature embrasent une âme enivrée de joie (« Da tempeste »).
Natalie Dessay est vraiment à l'aise dans ces habits baroques, presque plus
dans la veine de déploration tragique que dans la brillance stellaire ; ce
que confirme la représentation - même si, lors de l'enregistrement, le travail
avec le metteur en scène Laurent Pelly n'avait pas encore porté ses
fruits. La ligne de chant est immaculée, l'ornementation d'un goût sûr et
la réserve vocale sans limite. Emmanuelle Haïm la soutient généreusement,
chacune des deux complices aimant à dire que le travail avec l'autre relève du
vrai bonheur musical.
Robert SCHUMANN : Humoreske op. 20. Studien für den Pedalflügel op. 56. Gesänge der Frühe, op. 133.
Piotr Anderszewski, piano. Virgin Classics :
94 8625 2 2. TT : 63'35.
C'est à des compositions pianistiques peu
fréquentées que Piotr Anderszewski consacre ce nouveau CD.
Les six parties contrastées qui composent Humoreske op. 20 (1839)
alternent vigueur et tendresse, oscillant entre énergie et rêverie ;
quoique des indications telles que « rasch » (vif),
« hastig » (hâtif), « lebhaft » (animé) ne laissent pas de
doute quant aux intentions du musicien d'aller jusqu'à l'extrême du jeu
pianistique pour décrire ces états d'humeur indéfinissables pourtant aussi
évidents à l'âme allemande que le sont les affeti au cœur italien.
Cette voix intérieure qui se nourrit de l'amour pour Clara, livre en tout cas,
une œuvre complexe autant pour l'exécutant que pour l'auditeur. Schumann
a écrit ses Études op. 56 pour le piano-pédalier, curieux
instrument qui fit son apparition dans les années 1840 et dont il devait faire
l'acquisition. Dotant le piano d'un pédalier situé sous les pédales de
l'instrument, le système permettait d'actionner les notes les plus graves afin
de tenter de retrouver les sonorités profondes de l'orgue. Sous-titrées
« Six études en forme de canon », elles sont un hommage au vénéré
Jean-Sébastien Bach dont il cherche à illustrer le style contrapuntique.
Derrière ce qui peut sembler des exercices, s'exhale une réflexion spirituelle.
On y admire, là aussi, la variété des climats : la douceur, la rigueur
ascétique, voire l'esprit. Anderszewski en a assuré l'arrangement pour un
piano moderne. Enfin, les Gesänge der Frühe - Chants de l'aube -
op. 133, ultimes confidences livrées par Schumann au piano, ont été
composés en 1853, alors qu'il venait de rencontrer le jeune Brahms, et peu
avant son internement. Il dira lui-même de ces pièces que « plus
qu'une description pittoresque, elles sont l'expression d'un
sentiment ». Cette approche de l'aube a quelque chose de
métaphysique, au-delà du réel. D'où l'extrême sobriété d'expression qui
les caractérise, leur extraordinaire lucidité depuis les accords recueillis de
la première pièce jusqu'à la sérénité de la dernière, en passant par divers
climats d'un lyrisme débordant. Piotr Anderszewski livre de ces œuvres
des exécutions intenses, au spectre sonore très large, jouant un large écart de
dynamique avec un usage généreux de la pédale forte ; ce
qu'accentue une prise de son de concert mettant en exergue la résonance de
l'instrument dans le grave.
Charles GOUNOD : Messe de Requiem en ut majeur,
pour quatre solistes, chœur mixte & orchestre. Messe chorale sur
l'intonation de la liturgie catholique en sol mineur,
avec orgue d'accompagnement & grand orgue. Charlotte
Miller-Perrier, soprano. Valérie Bonnard, alto. Christophe Einhorn,
ténor. Christian Inmler, basse. Ensemble vocal et instrumental de
Lausanne, dir. Michel Corboz. Mirare : MIR 129. TT :
63'03.
Charles Gounod ne s'est pas seulement
illustré à l'opéra. Cet artiste profondément croyant se sera également
consacré à la musique religieuse, production qui mérite à être connue car elle
est aussi abondante que riche : une vingtaine de messes, dont quatre de
Requiem. Le Requiem en ut majeur est l'ultime
témoignage d'un musicien au faîte de la gloire qui rassembla encore une fois
ses forces pour s'épancher devant la disparition d'un petit fils chéri.
Écrite entre 1889 et 1891, il la remaniera jusqu'à son dernier souffle, en
1893, et ne verra pas sa première exécution. Elle devait connaître, à
côté de sa version d'origine pour grand orchestre, diverses transcriptions
confiées par le vieux maître à l'ami fidèle Henri Busser, dont celle intimiste,
objet de la présente exécution, pour quintette à cordes, harpe, chœur, solistes
& orgue. De ces pages souvent sublimes s'exhale une ferveur certaine,
plus près du chant d'espérance que de la déploration douloureuse, emplie d'humilité,
de sérénité aussi devant la mort. Le soutien de l'orgue qu'enrichissent
quelques cordes, la transparence de la harpe apportent au discours une
simplicité qui ne faillit pas un instant, empreinte de douceur résignée.
Même les pages plus grandioses du Dies Irae se gardent de toute
emphase. Dans sa quête consolatrice et chargée d'espérance, la pièce annonce
les climats apaisés des Requiem de Fauré et, plus près de nous, de
Duruflé. En contraste, la Messe chorale sur l'intonation de la
liturgie catholique qui appartient au style des messes dites solennelles,
marque la rencontre de Gounod avec le chant grégorien. C'est Charles
Bordes, alors directeur des Chœurs de Saint-Gervais, qui le lui fit découvrir.
D'inspiration, certes plus convenue que le Requiem en ut majeur,
elle n'en possède pas moins une forte religiosité. La qualité légendaire
de l'Ensemble vocal et instrumental de Lausanne, sous la houlette de
l'infatigable Michel Corboz, leur confère une vraie dignité d'accents.
Hector BERLIOZ / Franz LISZT : Symphonie fantastique op. 14, « Partition de piano par Franz Liszt ».
Franz LISZT : Trois extraits des Années de
Pèlerinage : Chapelle de Guillaume Tell ; Au bord d'une
source ; Vallée d'Obermann. Roger Muraro, piano.
Universal/Decca : 476 4176. TT : 63'03.
On ne pouvait imaginer pour le lancement de
l'année Liszt disque plus original. Enfin nous est offerte une version
digne de ce nom de la célèbre transcription par Liszt de la Symphonie
fantastique de Berlioz qui arrachera ce mot à Robert Schumann :
« De quelle main hardie tout cela est exécuté ». En fait, le
virtuose a transcrit la symphonie de son illustre collègue et ami français,
créée en 1830, à partir d'une révision opérée par celui-ci en 1832.
Transcription, réinterprétation ou arrangement ? De tout cela un peu
sans doute. Le titre porte clairement la mention « Partition de
piano par Franz Liszt ». Il y multiplie à l'envi les traits les plus
hardis, osés et ardus, allant jusqu'aux limites des capacités de l'instrument
pour retrouver le grain, la richesse, la fulgurance d'une pièce déjà en soi
pourvue d'une orchestration des plus complexes. Le résultat est
confondant de justesse, non seulement par la restitution de l'esprit de
fantaisie qui parcourt les cinq parties de l'œuvre, mais encore quant au
respect de la lettre d'un texte musical si chargé d'atmosphères
contrastées. La vision qu'en donne Roger Muraro laisse sans voix.
On sait la rigueur de cet interprète, formé auprès d’Yvonne Loriod, tôt plongé
dans l'univers épuré de Messiaen, mais aussi habitué des couleurs
ravéliennes. Outre la maîtrise des difficultés techniques proprement
affolantes que Liszt a accumulées, dont les brusques changements de tempo ne
sont pas la moindre caractéristique, on est frappé par la générosité d'un
pianisme qui, confronté à un flot musical luxuriant et à toute la passion que
cèle cet « Épisode de la vie d'un artiste », rassemble tous les sortilèges
de son art pour en dessiner les vastes climats et en recréer les ambiances
(ultimes pages de Scène aux champs où transpire tout le pressentiment
d'un drame proche ; phénoménal emballement du discours dans le
développement de Songe d'une nuit de Sabbat). Trois pièces de
Liszt ouvrent et concluent ce programme peu ordinaire, tirées des Années de
Pèlerinage – Suisse. Là encore, on est conquis par la manière de
Muraro dispensant les sonorités de fanfare de la Chapelle de Guillaume Tell,
le caractère quasi liquide de Au bord d'une source, ou encore le petit
drame que constitue la Vallée d'Obermann, où comme dans la grande Sonate,
les diverses séquences s'organisent comme en une arche sonore.
Johannes BRAHMS : Quintette pour piano & cordes en fa majeur, op. 34. Zwei Gesänge pour mezzo-soprano, alto & piano,
op. 91. Andrea Hill,
mezzo-soprano. Jean-Frédéric Neuburger, piano. Quatuor
Modigliani. Mirare : MIR 130. TT : 53'.
Ce qui passe pour l'une des plus belles
pages de la musique de chambre du XIXe siècle a connu une
genèse étonnante : conçue à l'origine pour le quintette à cordes, puis
remaniée en sonate pour deux pianos, il fallut les douces exhortations de
Clara Schumann et les conseils avisés de Hermann Levi pour que le
compositeur se laisse convaincre d'en livrer une forme nouvelle combinant le
quatuor à cordes et le piano. L'interprétation qu'en livrent les
Modigliani et Jean-Frédéric Neuburger est nette, loin des brumes romantiques
nordiques qui, après un début mesuré, offrent un premier mouvement décidé, bien
articulé, puis un andante d'une vraie profondeur. Le scherzo est
fiévreux, la rythmique résolue emportant les vagues successives des cordes en
une progression irrésistible. Après une ample introduction, le finale
propulse le discours crescendo jusqu'à l'ultime presto fugué, délivré presque
fiévreusement. Paramètre délicat en ce type de formation, l'équilibre
piano-cordes est parfaitement assuré ; impression que devait confirmer
leur concert à la Folle journée de Nantes. Le disque est complété par les Deux Chants op. 91 pour voix de mezzo accompagnée de l'alto et
du piano. Cette alliance de timbres, aux couleurs automnales, épouse
idéalement le dire brahmsien. Il s'agit en fait d'un duo entre la voix et
l'alto que le piano se contente de soutenir discrètement. Dans le
premier, Désir apaisé, s'épanche la mélancolie familière au
musicien, l'alto enveloppant la voix. Le second, Berceuse sacrée,
évoque une nostalgie poignante, emplie de recueillement et nantie de ce
balancement caractéristique typique de bien des œuvres de Brahms.
L'interprétation doucement émue de la jeune Andrea Hill ne le cède en rien
à ses illustres collègues et l'alto de Laurent Marfaing est un modèle de
délicatesse.
Jennifer HIGDON : Concerto pour violon (dédié à Hilary Hahn).
Piotr Ilitch TCHAIKOVSKY : Concerto pour violon op. 35. Hilary Hahn, violon. Royal
Liverpool Philharmonic Orchestra, dir. Vasily Petrenko.
Universal/DG : 477 877. TT : 68'16.
Couplage original pour ce nouveau disque de
la violoniste Hilary Hahn. La compositrice américaine Jennifer Higdon (née en
1962) a écrit à son intention, en 2008, un concerto qui ne manque pas
d'audace. D'une modernité qu'on dira tempérée, il ne cherche pas à faire
étalage de virtuosité ostentatoire. Le soliste y est au contraire traité
de manière intimiste. Le premier mouvement, sous-titré
« 1726 », introduit par une simple ligne de violon solo, développe
des atmosphères variées avec usage modéré des percussions, dans lesquelles la
partie de violon évolue entre fébrilité (glissandi) et lyrisme. Le
second, « Chaconni », d'ordre méditatif, en une lente progression, se
signale par son écriture mélodieuse, en particulier pour la section des bois
(Higdon est elle-même flûtiste) et l'intérêt porté au registre grave de
l'instrument soliste. Le finale, « Fly forward », progresse
comme une sorte de mouvement perpétuel sur un rythme jazzy dans lequel
s'inscrit la broderie du violon. La dédicataire en livre une exécution
qui semble en déjouer la complexité. Sa vision du concerto de
Tchaïkovski, par contre, ne laisse pas d'intriguer, qui se signale par une
approche feutrée, là aussi très chambriste ; ce qui, à force de recherche
de raffinement, en vient à faire perdre de sa vigueur au dialogue avec
l'orchestre. Dès son entrée, le violon est comme retenu, et la cadence du
premier mouvement bridée. Le phénomène s'accentue au suivant : la
fameuse « Canzonetta », marquée andante, devient un adagio,
ralentissement allant de pair avec l'emphase portée sur le ppp.
Les choses semblent (re)prendre un cours plus habituel au finale. Mais de
nouveau le ralentissement impose sa prégnance dès le deuxième thème.
Dommage, car la sonorité de Hilary Hahn est profonde et s'accompagne d'une
réelle finesse du trait dans le registre aigu. On ne sait qui du chef
russe ou de la soliste a imposé une telle lecture hypnotique ; impression
renforcée par l'acoustique sèche de la salle dans laquelle a été effectué
l'enregistrement. La direction de Vasily Petrenko est au demeurant plus
méticuleuse qu'inspirée.
Gustav MAHLER : Des Knaben Wunderhorn. Thomas Hampson, baryton. Wiener
Virtuosen. Universal/DG :
477 9289. TT : 67'04.
Bien des années après ses interprétations
des cycles de lieder avec orchestre de Mahler, en compagnie de Leonard
Bernstein, Thomas Hampson revient à cet univers qui le hante. Il aborde
cette fois Le Cor merveilleux de l'enfant, ensemble de lieder
dont la composition s'est étalée sur plusieurs années, et non un cycle à
proprement parler. Plusieurs thématiques s'y côtoient, le monde des
fables et paraboles, les destins guerriers, les images de la nature, l'humour
sarcastique. Fruit de méticuleuses recherches et de mûres réflexions, Thomas
Hampson en propose une version inédite, puisque confiée à une formation de
chambre. Mahler n'avait-il pas laissé entendre à Richard Strauss sa
volonté de faire jouer ces pièces avec un orchestre allégé ? Le dire
du monde de l'enfance mais aussi l'univers satirique s'y prêtent tout
naturellement. Mais ce que souligne cette approche, c'est
l'extraordinaire orchestration que le compositeur a conçue pour ces pièces dont
les climats divers ressortent de combinaisons
instrumentales originales, de la finesse du discours comme de sa
transparence. Ainsi en est-il des premières mesures du Prêche de Saint
Antoine aux poissons, mystérieux et envoûtant, ou des bois préludant le
lied Où sonnent les belles trompettes. La vision de Hampson est on
ne peut plus attachante : un timbre immédiatement séduisant qui, au fil
des ans, n'a rien perdu de ses belles harmoniques, un legato infaillible, un
art suprême d'épouser l'idiome fantastique, d'insuffler une émotion à fleur de
peau ; et ce malgré quelques sollicitations çà et là qu'on oublie vite
tant le propos est sincère et profondément musical. Il favorise aussi des
tempos plutôt retenus, par exemple dans Revelge dont la marche se veut
plus soutenue. Solistes de l'Orchestre philharmonique de Vienne, les
Wiener Virtuosen portent fièrement leur appellation, et leur jeu est un
régal, magnifié par un enregistrement d'une étonnante présence.
Jean-Pierre Robert.
POUR
LES PLUS JEUNES
L’enfant-porte. D’après un conte de Yannick Jaulin (www.lenfantporte.fr). Direction
artistique : Francis Cabrel & Michel Françoise.
Chandelle Productions : 953652. Distr. Sony Music.
Fruit de la session Jeune public des
Rencontres d’Astaffort (initiées par Francis Cabrel & organisées par
l’association Voix du Sud), ce délicieux conte - dont les musiques ont été
composées par divers participants – met en scène, au pays des Feuns, le jeune
Mute, enfant joyeux et rêveur, mais parfaitement inadapté à la société de
consommation gouvernée par les diaboliques époux Luh, qui ont pris le
pouvoir et… aboli l’école. Mais Mute - refusant d’acquérir suppositoires
à hélice, aspirateur à papillons ou autres scaphandres pour
poissons rouges – sauvera le monde. Aux côtés de Francis Cabrel
- qui interprète notamment la chanson On
est tous des Feuns -, Henri Dès & Yannick Jaulin proposent
chacun une fin différente…
Francis Gérimont.
DVDs
Giuseppe VERDI : Simone Boccanegra.
Opéra en trois actes et un prologue. Livret de Francesco Maria Piave
(version de 1881). Plácido Domingo, Marina Poplavskaya, Ferruccio
Furlanetto, Joseph Calleja, Jonathan Summers, Lukas Jakobski. Royal Opera
Chorus. Orchestra of the
Royal Opera House, dir. Antonio Pappano. Mise en scène : Elijah
Moshinsky. 2DVDs
EMI Classics : 9 17825 9 5. TT : 171'.
Ce DVD capte l'assomption du ténor Plácido
Domingo dans le rôle de Simon Boccanegra, dévolu au baryton, et ce sur la scène
du Royal Opera de Londres, lieu de tant de ses succès verdiens. Si la
production bien connue de Elijah Moshinsky date quelque peu maintenant, par son
parti pris de focalisation sur quelques tics conventionnels (le personnage de
Paolo érigé en Iago avant la lettre), elle a du moins l'avantage de dessiner
des personnages bien réels et de présenter une version lisible d'une intrigue
où le politique rencontre le drame humain. La prise de vues, quoique peu
imaginative dans l'échantillonnage des plans, capte des atmosphères dont la
force dramatique se nourrit d'une direction d'acteurs juste, alors que l'œil se
satisfait de la simplicité d'une décoration que la somptuosité des costumes
situe historiquement. Antonio Pappano livre une exécution intense d'une des
pièces les plus inspirées de Verdi, toute d'éclats épiques, de chaud lyrisme
aussi. Ainsi que l'est cette évocation palpable de la brise marine qui
introduit des passages débordants de poésie tels le premier air d'Amelia
Grimaldi ou le début de la scène finale. Les climax des scènes d'ensemble
ont un formidable impact. Plácido Domingo se coule dans le personnage du
doge de Gênes avec une aisance confondante et une voix quasi intacte. Son
timbre mordoré confère au personnage une dimension héroïque et lui arrache au
finale des accents déchirants dignes d'Othello. La sublime phrase
verdienne est distillée avec un art consommé de la nuance et cette générosité
du geste musical qui distingue toutes ses incarnations théâtrales. Il a
en Ferruccio Furlanetto, Fiesco, un adversaire à sa mesure. Les plus
belles images resteront celles qui les réunissent, où l'on côtoie vraiment le
tragique. Les autres membres du cast sont à la hauteur de l'événement,
n'était la pâle Amelia de Marina Poplavskaya, bien modeste lorsqu'on se
souvient de l'aura de ses devancières dans cette même production.
Jean-Pierre Robert.
Ida
Haendel & Misha Dacić live in Miami International Festival 2009. Robert SCHUMANN : Sonate n°2 en ré mineur op.121 pour piano & violon. George ENESCU : Sonate n°3 en la mineur op.25 pour piano & violon. Pablo de SARASATE : Airs gypsys op.20 n°1. VAI (www.vaimusic.com) : 4529.
TT : 66’ + 59’ (bonus).
Née en Pologne en 1928, mais britannique de
nationalité, la violoniste Ida Haendel fut une enfant prodige.
Magnifique vieille dame aujourd’hui, avec plus de 70 ans de concerts derrière
elle, elle interprète ici – technique intacte & splendeur de la
sonorité – Schumann, Enesco (dont elle fut notamment l’élève) et
Sarasate. Interprétations respectueuses des textes, non exemptes toutefois
de sécheresse, aux accents parfois inaboutis. Le pianiste serbe
Misha Dacić est ici en parfaite synergie avec la célèbre
violoniste. En bonus : fort émouvante conversation de
Mrs Haendel avec Giselle Brodsky, directrice-fondatrice du Festival
de Miami.
Francis Gérimont.
Giuseppe VERDI : Simon Boccanegra. Plácido Domingo (Simon Boccanegra), Marina Poplavskaya
(Amelia), Ferruccio Furlanetto (Fiesco), Joseph Calleja (Gabriele Adorno),
Jonathan Summers (Paolo), Lukas Jakobski (Pietro), Orchestre et Chœur du Royal
Opera House, Covent Garden, dir. Antonio Pappano. Mise en scène : Elijah
Moshinsky. Réalisation filmée : Sue Judd. 2DVDs EMI :
9 178 5 9 5.
Ayant eu l’immense privilège
d’être associée à la résurrection de cet opéra sous la conduite inspirée de
Claudio Abbado et Giorgio Strehler, production aujourd’hui inscrite
dans le patrimoine légendaire de l’interprétation verdienne, on s’avoue encline
à ne rien supporter d’autre que de voguer sur les sommets, dès lors qu’il
s’agit de Simon Boccanegra,
ouvrage qui connut tant de vicissitudes. Louons d’emblée les
contributions projetant le présent spectacle au rang des réussites : le
travail orchestral d’Antonio Pappano, sa gestion des phrasés et de
l’agogique, tout ce qui gouverne la puissance évocatrice et psychologique de
cette partition admirablement orchestrée, l’excellence des musiciens de
Covent Garden, n’appellent que des éloges. Et puis, et puis…
non, non, vous n’avez pas lu d’erreur dans la distribution recopiée
ci-dessus : l’homme aux 130 rôles de ténor, le grand Plácido Domingo,
a voulu réaliser une de ses dernières prises de rôle scéniques (mais pas la dernière, car il semble
infatigable !) avec le personnage du Doge de Gênes, typique du “baryton-Verdi”.
On éprouvait une certaine appréhension, tant ce rôle exige d’autorité, donc de
couleur dramatique favorisée par une puissante assise grave. Il s’y est
attelé à Berlin puis New York, et – ô stupeur – notre ex-ténor
s’impose avec une maîtrise vocale, une fermeté d’intonation intactes à
69 ans et demi (l’enregistrement a été réalisé à partir des représentations
londoniennes des 2, 5, 13 juillet 2010) ! Il est vrai qu’à
18 ans, il se présentait comme baryton : on le convainquit alors de
se convertir au registre de ténor (ce qui n’était pas idiot, à voir la carrière
qui s’ensuivit !), il se mesura plus tard avec succès au répertoire de Heldentenor wagnérien, accompagnant
sagement l’évolution de son organe avec l’âge, et il s’avère aujourd’hui
parfaitement crédible, imposant même, dans l’un des rôles les plus
emblématiques de baryton. Certes, on reconnaît la couleur solaire de son
timbre, mais il se pare d’une si riche expérience humaine que toute la
psychologie du protagoniste est portée à des sommets de présence émotionnelle,
étayée par le jeu scénique très chaleureux de l’artiste. Le contraste de couleur
n’en ressort que plus fortement avec l’autre baryton de l’opéra, le
noir Paolo, qui bénéficie de l’admirable caractérisation vocale de
Jonathan Summers ; scéniquement, on reprochera à celui-ci d’en faire
des tonnes dans le genre “traître de tréteaux” ; son sbire, Pietro, se
comporte plus sobrement sous les traits et la voix (excellente, elle aussi) de
Lukas Jakobski. La ravissante moscovite Marina Poplavskaya et
le ténor Joseph Calleja enrichissent cette distribution de leur technique
vocale parfaitement posée ; d’un point de vue visuel, ce dernier se meut…
comme un ténor, c’est tout dire, mais, bah, on en a vu d’autres… La
surprise moins gratifiante vient de Ferruccio Furlanetto en Fiesco :
ce n’est pas qu’à 61 ans, il semble plus fatigué que Domingo – encore
qu’il détonne un instant dans l’acte III -, mais, à jouer d’“intentions”
accumulées en mosaïque faisant perdre la ligne directrice de son personnage, il
ne rend pas la grandeur de cet altier patricien ; on garde un souvenir
inoubliable de l’impassibilité avec laquelle Nicolaï Ghiaurov imposait le
respect par la noblesse de son comportement scénique, autant que par sa voix au
ton irréfragable.
Venons-en à la mise en scène d’Elijah
Moshinsky : on apprécie franchement que soit respecté le cadre d’époque
d’un drame historique inspiré de personnages réels, au lieu de se voir infliger
quelque “transposition” dans (au choix) une clinique psychiatrique, un bouge
pour marlous, une caserne nazie, ou tout autre élucubration au gré des
aberrantes fantaisies de metteurs en scène en mal de créativité. On
souffre, en revanche, de la géométrie très angulaire, carrée, rigide, des
décors, qui entre en contradiction avec le souffle marin et la vibration de la
nature que communique si éloquemment l’orchestre de Verdi ; notre horizon
bute ici contre des murs, alors que la musique ouvre vers un espace ondoyant.
La mise en scène de Strehler est restée dans les mémoires, non seulement par sa
beauté, sa direction d’acteurs, mais parce que la présence de la mer et de la brise
y était “palpable”, donc en harmonie avec la musique. Quant à la Salle du Conseil, elle manque de strates
scéniques permettant d’étager les divers plans de cette action complexe et
spectaculaire ; elle condamne de ce fait le Doge à jouer au même niveau
que ses adversaires et que les masses populaires, le privant d’un atout visuel
pour imposer son autorité tour à tour désabusée, souveraine, généreuse,
menaçante. Et puis, pourquoi, à l’acte final, faire entrer Simon comme un
malade parkinsonien appuyé sur deux cannes, alors qu’il y a des moyens moins
risibles de suggérer la fièvre du poison qui le ronge ? Mais, cela
dit, l’ensemble constitue visuellement un spectacle très honorable. Au
chapitre des bonus, quelques (trop) brèves minutes d’interviews et de
répétitions nous introduisent dans les coulisses de la production.
Un dernier détail anecdotique à verser au
chapitre de la perception culturelle : si le librettiste Boïto a repris
quelques mots de la missive de Pétrarque, il n’en a désigné l’auteur que par la
périphrase « Ecco un messaggio del romito di Sorga » (l’ermite de Sorgue), allusion au fait
que Pétrarque, après ses
imprécations contre l’Avignon papale, se réfugia à partir de 1338 sur les berges de la Sorgue, menant une vie solitaire à
Fontaine-de-Vaucluse, d’où il écrivit de fameuses Épîtres. « Francesco Petrarca » comptant le
même nombre de pieds que « romito di Sorga », les responsables de la
production ont jugé plus sage de rendre l’allusion directement compréhensible
au public moderne. Inversement, ils ont laissé le mot « Duce »
(qui, tout comme « Führer », ne veut rien dire d’autre que
« chef » dans les langues respectives) lors d’une réplique de Paolo
s’adressant à Simon, alors que Strehler et Abbado avaient préféré le remplacer
par « Doge » (même prosodie, là encore), ce titre ayant,
postérieurement à Verdi, pris la connotation mussolinienne que l’on sait.
Sylviane Falcinelli.
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