L’éducation musicale

 

Lettre d’Information – n°67 – Février 2013

http://www.leducation-musicale.com


VOTRE LETTRE D'INFORMATION FAIT PEAU NEUVE !

À RESERVER SUR L'AGENDA

L'ARTICLE DU MOIS : MESSIAEN ET L’ORIENT par Dominique Arbey

SPECTACLES ET CONCERTS

L’EDITION MUSICALE

LE COIN BIBLIOGRAPHIQUE

CDs et DVDs

LA VIE DE L’EDUCATION MUSICALE


 

 

 

 

                               


Votre Lettre d'Information fait peau neuve !

 

 

Deux orientations nouvelles se font jour : d'une part, un regard plus réactif porté sur l'actualité, avec une rubrique « A réserver sur l'agenda », enrichie, au fil de laquelle sont annoncés des évènements que la rédaction considère comme essentiels. Et pas seulement parisiens ! D'autre part, la place faite à la réflexion sur la théorie et la pratique musicales, élargissant ainsi le champ d'investigation de la Lettre d'Information électronique. Vous trouverez ainsi, dans chacune d'elle, un article de fond ou une interview de musicien, en liaison directe ou indirecte avec l'actualité. Sans préjudice de l'ouverture prochaine de nouveau(x) chapitre(s), à la musique de film, au jazz, par exemple.

 

Vous retrouverez vos rubriques habituelles : Recensions de spectacles et concerts, Édition musicale, Bibliographie, et CDs & DVDs.

 

Puissent ces informations, recensions et textes répondre, chères lectrices et chers lecteurs, à vos aspirations !

 

 

 

Jean-Pierre Robert

redaction@leducation-musicale.com


À RESERVER SUR L'AGENDA

 

 

« Gaveau Intime » : où l'on veut cultiver intensité et proximité !

 


©DR

 

La brillante saison de « Gaveau intime », série de concerts organisés en partenariat avec la firme Naïve, se poursuit, en février, avec des rencontres d'excellence. Ainsi, le 7 février, le pianiste Nelson Goerner donnera un programme Chopin, Debussy et Rachmaninov. Le 8, Isabelle Faust & Alexandre Melnikov, un duo de choc alliant finesse violonistique et piano défricheur, s'illustreront dans des sonates de Mozart, Brahms et Bartók. Enfin, le 12, Laurent Korcia jouera les six Sonates d'Ysaÿe, un sommet du répertoire du violon, auquel seuls les grands de l'archet osent se confronter. Trois événements à marquer d'une pierre blanche. Dans un auditorium à taille humaine et à l'acoustique flatteuse.

 


©DR

 

Salle Gaveau, 45, rue de la Boétie, 75008 Paris ; par tél.:  01 49 53 05 07 ; http//www.GaveauIntime.com

 

 

Actualité de Thierry Eschaich à Lyon

 


©Guy Vivien

 

En primeur de la création, le 27 mars 2013, à l'Opéra de Lyon, de son opéra Claude (cf. NL de 12/2012), Thierry Eschaich doit voir reprendre, dans la cité des Gaules, les 14 et 16 février, son Concerto pour clarinette, créé en novembre dernier à Paris. La pièce sera interprétée par son dédicataire, Paul Meyer, et l'Orchestre national de Lyon, co commanditaire, sous la direction de Alain Altinoglu. Au programme également, la Symphonie Pastorale de Beethoven, et la suite du Mandarin merveilleux de Bartók. Le concert sera encore donné à Chalon sur Saône, le 15 février.

 

Auditorium de Lyon, les 14 février 2013 à 20 H, et 16 février à 18 H ;  Espace des Arts de Chalon, le 15 février à 20 H.

Location : Auditorium de Lyon, 149, rue Garibaldi, 69003 Lyon ; par tél.: 04 78 95 95 95 ; http// www.auditorium-lyon.com

Espace des Arts, 5 bis Avenue Niepce, 711902 Chalon sur Sâone ; par tél. : 03 85 42 52 12  ; http//espace-des-arts.com

 

 

Les solistes de l'Atelier Lyrique au Palais Garnier

 


© ONP/ Mirco Magliocca

 

Les solistes de l'Atelier Lyrique de l'Opéra National de Paris, accompagnés par l'Orchestre de l'Opéra, sous la direction d'Antony Hermus, donneront un concert Mozart-Rossini, le 18 février 2013, sous les ors du Palais Garnier. Ils interpréteront des extraits de La Flûte enchantée, Don Giovanni, Les Noces de Figaro, La Clémence de Titus, Cosi fan tutte, et du Comte Ory, Sémiramide et La Cenerentola, comme du Stabat Mater de Rossini. Les études musicales de ce concert ont été confiées à Irène Kudela. L'occasion de découvrir de talentueux solistes, et le remarquable travail effectué par cette institution.

 

Palais Garnier, le 18/2, à 20H.

Location : angle des rues Auber et Scribe, 75001 Paris ;  par tél. : 0892 89 90 90 ;  http//www.operadeparis.fr

 

 

L'Académie-Festival des Arcs fête ses quarante ans

 


©DR

 

Depuis quatre décennies, l'Académie-Festival des Arcs, en pays de Savoie, offre une programmation exigeante et originale, permettant à des stagiaires venus du monde entier de se perfectionner auprès des meilleurs pédagogues. Suivant l'exemple des grandes Académies américaines, telles que Banff ou Malboro. Des noms maintenant célèbres sont passés par ses rangs, Emmanuel Krivine, Renaud et Gautier Capuçon, le Quatuor Ébène, et Éric Crambes, son actuel directeur artistique. L'édition 2013 aura lieu du 18 juillet au 4 août, l'Académie devant accueillir quelques 70 musiciens et artistes comédiens ou danseurs. Pour fêter le coup d'envoi des festivités estivales, un concert sera donné à Paris, le 27 février prochain, à la Salle Cortot. Une belle affiche retiendra l'attention : les violoncellistes Xavier Gagnepain, Éric Levionnois, Anssi Karttunen, la chanteuse Ruth Rosique, les pianistes Jean-Frédéric Neuburger, Jean-Michel Dayez, Antoine de Grolée, l'altiste Lise Berthaud, le contrebassiste Eckhard Rudolph, les violonistes Éric Crambes et Svetlin Roussev. Ils joueront Mendelssohn, Schubert et Kaja Saariaho.

 

Salle Cortot, 78, rue Cardinet, 75017 Paris, le 27 février 2013, à 20H30. Entrée libre.

 

 

Le Quatuor Borodine et Boris Berezovsky : une union pour le meilleur

 


©DR

 

Une soirée de musique de chambre inédite, et fort prometteuse, regroupera Boris Berezovsky et le Quatuor Borodine : un pianiste de talent, le plus ancien quatuor à cordes en activité, et une institution. Pour interpréter deux quintettes pour piano et cordes d'exception. L'opus 81 d'Anton Dvořák atteint une rare perfection formelle et une grande fluidité mélodique, toutes deux héritières de la tradition des classiques viennois. La veine tchèque l'enlumine de joie rythmique et d'embrasements sonores irrésistibles. Le quintette op. 57 est une des œuvres majeures de Dimitri Chostakovitch, un succès quasi unanime lors de sa création en 1940. Car très représentative de son langage, à la fois encore attaché à la tradition classique russe, et tourné vers la nouveauté. L'inventivité y paraît sans limite, tant dans la construction que dans la ligne mélodique.    

 

Salle Pleyel : le 28 février 2013, à 20H.

Location : 252, rue du faubourg Saint-Honoré, 75008 Paris ; par tél : 01 42 56 13 13 ; http://www.sallepleyel.fr

 

 

Evgeny Kissin à Pleyel

 


©Sheila Rock

 

Le pianiste russe Evgeny Kissin est de l'étoffe des très grands. On se souvient de sa fulgurante apparition sur les estrades de concert, il y une quinzaine d'années. Depuis, le jeune prodige s'est mû en un artiste sensible et réfléchi, offrant la quintessence d'un art qui ne cède pas à la virtuosité ultra-démonstrative. Encore moins à quelque manière empruntée. Son répertoire s'est diversifié, et enrichi des classiques viennois. En témoigne le programme de son récital à la salle Pleyel, le 2 mars : Beethoven, avec la monumentale 32 ème sonate, mais aussi Haydn, et sa 59 ème sonate pour clavier. Et Schubert, avec un choix d'Impromptus tirés des deux livres, de l'op. 90 et de l'op. 142. Enfin, la 12 ème Rhapsodie hongroise de Liszt, pour conclure sur une note énergique. Un concert, à n'en pas douter, d'une haute tenue artistique, et placée sous le signe de la générosité qui caractérise cet artiste. 

 

Salle Pleyel, le 3 mars 2013, à 20 H.

Location : 252, rue du faubourg Saint-Honoré, 75008 Paris ; par tél : 01 42 56 13 13 ; http://www.sallepleyel.fr

 

 

Tannhäuser se donne à l'Opéra du Rhin

 


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L'année Wagner s'illustre partout dans l'hexagone. Ainsi l'Opéra national du Rhin a-t-il programmé une nouvelle production de Tannhäuser, confiée au metteur en scène Keith Warner, déjà bien connu dans la capitale alsacienne. Gageons que l'histoire du troubadour torturé entre aspiration créatrice et quête de rédemption par l'amour, sera illustrée de manière inventive. Tous les grands thèmes wagnériens sont déjà présents dans cette œuvre charnière. La direction d'orchestre sera assurée par Constantin Trinks, et la distribution s'avère alléchante.

 

Opéra du Rhin, à Strasbourg, les 24, 30 mars 2013, et les 2, 5 et 8 avril 2013, à 19H (le 24/3, à 15H) ; à Mulhouse, les 21 (15H) et 23 avril (19H).
Location : Strasbourg,19, Place de Broglie, BP 80320, 67008 Strasbourg cedex ; par tél.: 0825 84 14 84;
caisse@onr.fr ; à  Mulhouse, La Filature, 20 allée Nathan-Katz, 68090 Mulhouse cedex ; par tél.: 03 89 36 28 29. 

 

Jean-Pierre Robert

 

 

L'Ensemble InterContemporain joue Stravinsky, Varèse et Boulez.

 


©DR

 

Dans le cadre de la saison centenaire, le TCE présente un concert rare, à la fois par la qualité des œuvres présentées, toutes emblématiques de la création musicale du XXe siècle (Huit miniatures instrumentales, Concertino pour douze instruments de Stravinsky, Le Marteau sans maître de Boulez, Octandre, et Déserts de Varèse) mais, également, par la qualité de l’interprétation. Peu de scandales auront marqué l’histoire musicale du XXe siècle autant que celui provoqué par Déserts d’Edgard Varèse, lors de sa première exécution, au Théâtre des Champs Élysées, en 1954. L’œuvre frappa et divisa profondément l’auditoire par sa force tellurique, l’âpreté de ses sonorités et son refus de tout compromis formel, poussant jusqu’à ses conséquences ultimes « l’organisation » d’un son musical élargi aux dimensions des bruits du monde. Le Marteau sans maître de Pierre Boulez, un autre classique du XXe siècle, créé en 1955, offre un contrepoint saisissant à l’univers de Varèse. Stravinsky, également au programme de ce concert, déclarait en 1957 qu’il s’agissait de « la seule œuvre véritablement significative de la nouvelle époque ». György Ligeti évoquait, quant à lui, « l’univers félin, sensuel et coloré du Marteau », qui continue de fasciner et de surprendre par son extrême raffinement, l’originalité de ses sonorités et le jeu subtil entre identité et différence. Varèse/Boulez, une rencontre au sommet de l’histoire de la musique ! Ce concert-événement sera dirigé par Matthias Pinstcher, compositeur, et nouveau directeur musical désigné de l’Ensemble InterContemporain, qui saura révéler toute la modernité de ces chefs-d’œuvre.

 

Théâtre des Champs-Elysées, 10 février 2013 à 20H.

Location : TCE, 15 avenue Montaigne, 75008 Paris. Tél. : 01 49 52 50 50. www.theatrechampselysees.fr

 

 

L’Opéra de quat’sous au Théâtre des Champs-Elysées.

 

 


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Le chef-d’œuvre de Kurt Weill sera donné en version de concert, sous la baguette de Vladimir Jurowski à la tête du London Philharmonic Orchestra, avec une distribution de qualité. C'est une plongée, haute en couleurs, dans les bas-fonds de Soho vers 1900, où brigands et bourgeois s’exploitent, rêvent et s’encanaillent. Kurt Weill (1900-1950), fils du Kantor de Dessau, grandit dans un milieu musical. A l’âge de 17 ans, il est déjà chef de chant. Avant de connaître des succès notables, il travaille comme critique à la revue Der deutsche Rundfunk. Il fait, à Berlin, la connaissance de la cantatrice Lotte Lenya, sa future épouse, et de Bertolt Brecht. A l’âge de 28 ans, il connaît un succès mondial avec cet Opéra de quat’sous. Il créé, ici, une musique volontairement populaire, influencée par le jazz, marquée par un art mélodique évocateur et une importante rythmique, et aussi par un grand savoir-faire artistique et une construction raffinée. Mélodie chantante, son divertissant et rafraîchissant, donnent à cette œuvre aboutie une place inamovible dans l’histoire de l’opéra.  Un concert à ne pas manquer !

 

Théâtre des Champs-Elysées, 28 février 2013 à 20H.

Location : TCE, 15 avenue Montaigne, 75008 Paris. Tel. : 01 49 52 50 50. www.theatrechampselysees.fr

 

 

Zubin Metha de retour à la tête de l'Orchestre Philharmonique de Vienne.

 


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Dans le cadre de leur traditionnelle résidence parisienne, les Viennois donneront un programme autrichien, avec la monumentale Symphonie n° 8 d’Anton Bruckner. Certains ont pu la considérer comme le « couronnement de la symphonie romantique ». Elle est, à l’évidence, beaucoup plus que cela. Le « ménestrel de Dieu » s’y donne pour mission de révéler une vérité divine, faite à la fois de lutte et d’espérance :  une symphonie comme une poignante prière. Composée entre 1884-1887, dédiée à l’empereur François-Joseph Ier, elle donna lieu à plusieurs remaniements, et éditions, par Robert Haas et Leopold Nowak. Quelle que soit la version que choisira Zubin Mehta, la soirée se promet d'être mémorable, à n’en pas douter !

 

Théâtre des Champs-Elysées, Le 12 mars 2013 à 20H.

Location  : TCE, 15 avenue Montaigne, 75008 Pari,; par tel. :01 49 52 50 50 ; par mail :  www.theatrechampselysees.fr

  

                                                                                                                                     Patrice Imbaud

 

 

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L'ARTICLE DU MOIS : MESSIAEN ET L’ORIENT

 

Olivier Messiaen s’intéressa très tôt aux musiques extrêmes orientales (Consulter : Olivier Messiaen, Technique de mon langage musical, Paris, Leduc, 1944, 71 et 61 p.). Il s’en inspira dans son discours musical, soit sous forme d’éléments théoriques, soit sous forme de sonorités ou de principes compositionnels. Il a transmis cet exotisme sonore et conceptuel à plusieurs de ses élèves, dont Yannis Xenakis (ainsi de l'évocation du gamelan indonésien dans Pléiades), Pierre Boulez (cf. Le marteau sans maître, Rituel…), François‑Bernard Mâche, Jean-Louis Florentz, et bien d’autres.

 

Pour lui, l’appel de l’Orient est avant tout spirituel et mystique. Compositeur croyant et idéaliste, il se montre pessimiste devant l’Occident du XXe siècle : cette Europe chrétienne en crise entre dans une ère apocalyptique. À travers des études à la fois théorique (modes et rythmes hindous), et sensibles (rencontre avec la civilisation japonaise), Olivier Messiaen revivifie son inspiration musicale et spirituelle. Cette rencontre avec l’Autre prend deux apparences chez le compositeur :

 

la première est  livresque. Il s’agit de l’étude des théories rythmiques et modales de l’Inde ;

la seconde, qu'on peut appeler « Orient vécu », est la parfaite adéquation entre la personnalité du compositeur et la civilisation japonaise.

 

 

Des principes rythmiques empruntés à l'Inde.

 

Un élément important dans la musique d’Olivier Messiaen est le rythme. La maîtrise de ce paramètre est souvent associée à une volonté de maîtriser le temps. Pour le croyant, la notion de temps renvoie à celles d’éternité et d’infini. Le compositeur des Sept Haïkï s’intéresse aux théories indiennes et hindouistes du rythme, mais ne se rend jamais en Inde. Ce cas n’est pas unique dans le monde intellectuel et artistique. En effet, l’impact de la dernière exposition coloniale de 1931 est suffisamment fort pour que certaines personnalités en subissent  l'influence. Cette manifestation est l’une des plus populaires de l’histoire moderne. Les Français sont fascinés et conscients de leur empire. Huit millions de visiteurs viennent faire le tour du monde en un seul jour. Certains artistes, comme Antonin Artaud, seront marqués de façon définitive par cette rencontre avec l’Autre. La réflexion de ce dernier dépasse la simple opposition Orient/Occident. La perception métaphysique des danses balinaises lui révèle une nouvelle approche du théâtre éliminant l’acteur au profit du metteur en scène :

 

« L’enthousiasme d’Artaud témoigne du choc de cette rencontre. Antonin Artaud ne s’est jamais rendu à Bali mais les spectacles, auxquels il assiste à l’exposition, sont une révélation qui le hante tout au long des années 30. Il écrit l’intégralité de son article « Sur le théâtre balinais » en 1931. Une première partie de ce texte paraît dès le 1er octobre 1931 dans La nouvelle revue française sous le titre « Le théâtre balinais à l’exposition coloniale » […]. Il fait une relecture en 1937 de l’ensemble de ses textes sur le théâtre qu’il envisage de réunir depuis 1935. Son livre « Le théâtre et son double » paraît dans la collection Métamorphoses chez Gallimard le 7 février 1938. Les descriptions qu’il donne, dans son style si personnel, éveillent la curiosité d’une grande partie des artistes français. » (Patrick Revol, Influences de la musique indonésienne sur la musique française du XXè siècle, Paris, L'Harmattan, 2000, p.281).

 

Tout comme Artaud n’a pas étudié les danses balinaises dans leur lieu d’origine, Messiaen n’a pas étudié la musique Indienne dans son « milieu naturel », mais uniquement dans les livres. En effet, il prend connaissance des théories rythmiques et modales indiennes, d’après l’Encyclopédie de Lavignac, parue en 1913. De ce fait, il ne s’agit pas d’un travail d’ethnomusicologue, mais d’une recherche avant tout livresque. Ce travail théorique consiste à utiliser des éléments de langage « exotiques » dans une musique contemporaine européenne. Par ailleurs, avant même de s’approprier les fondements de la musique indienne, Messiaen utilise instinctivement certains de ses éléments. Le compositeur Alain Louvier le remarque et s’en étonne fortement :

 

 « Comment ne pas être intrigué par cette étrange correspondance avec Cârngadeva, l’auteur des fameux cent vingt Deçi-tâlas. Messiaen qui déclare avoir intuitivement utilisé les principes de la rythmique hindoue avant même de la connaître, dialogue par-delà des siècles, avec Cârngadeva, « poète-musicien-rythmicien-théoricien »… esprit aussi universel que lui, et qu’il ne peut qualifier d’un seul mot. » (Alain Louvier "Olivier Messiaen, le rythme et la couleur", dans Catherine Massip (dir.), Portrait(s) d'Olivier Messiaen, Paris, Bibliothèque nationale de France, 1996, p.47-60).

 

Cette étude mystique des rythmes et des principes  rythmiques hindous sera complétée par la découverte du traité de Cârngadeva. À ce propos, le compositeur  déclare :

 

« C’est un coup de chance. J’ai eu par hasard dans les mains le traité de « Cârngadeva » et la fameuse liste des cent vingt deçi-tâlas ; cette liste fut une révélation, j’ai senti immédiatement que c’était une mine extraordinaire, je l’ai regardée et copiée, contemplée et retournée dans tous les sens pendant des années afin de parvenir à en saisir les sens cachés. […].Par une nouvelle chance, un ami hindou m’a donné la traduction de ces mots (sanskrits), ce qui m’a permis de découvrir les symboles cosmiques et religieux qui sont contenus dans chaque deçi-tâlas»(Olivier Messiaen, Musique et Couleur, Nouveaux entretiens avec Claude Samuel, Paris, Belfond, 1986, p.82-84 cité dans Pascal Arnault, Messiaen... les sons impalpables du rêve, Lillebonne Lillénaire III Editions, 1999, p.31).

 

La théorie indienne selon Lavignac, et l’instinct n’ont pas suffi à Messiaen. Le hasard lui a donc permis d’accéder à ce traité très ancien nommé le Cârngadeva. Le compositeur s’est imprégné de son contenu où sont mêlés rythmes, échelles musicales ainsi que symboles cosmiques et religieux.

 

Sans entrer dans les détails techniques de ce traité, les dimensions de cet article ne le permettant pas, on ne peut faire l’impasse sur la notion de rythmes non rétrogradables. Succombant au charme des impossibilités, le compositeur utilise, très tôt dans ses œuvres, des formules rythmiques et des structures pouvant être lues dans les deux sens. A titre d’exemple, voici la structure non rétrogradable de Couleurs de la Cité Céleste (1963) :

 

a b a   c a c   a b a

 

Ce procédé s’applique autant à de toutes petites cellules, qu’à l’architecture complète d’une œuvre. Bien sûr, l’auditeur, même averti, n’entend pas ces phénomènes structurels. Ils restent du domaine de l’intellect et du mystique. La lecture « dans les deux sens » d’une œuvre a toujours éveillé de l’intérêt chez les compositeurs croyants et mystiques. L’exemple le plus célèbre dans l’histoire de la musique reste, bien sûr, celui de Jean-Sébastien Bach dont l’œuvre regorge d’organisation symétrique de toutes sortes. Par ces tours de passe-passe assez extraordinaires, l’homme touche au mystérieux, au mystique et se rapproche du Divin. L’architecture et la symétrie occupent une place prépondérante dans la musique savante européenne, mais il est indéniable que cet aspect est plus ou moins important dans l’esprit des grands compositeurs. D’une contrainte formelle peut naître un plaisir intellectuel et/ou mystique. Olivier Messiaen appartient à cette catégorie de musiciens pour qui satisfactions formelle et mystique se rejoignent.

 


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Mais pourquoi ce grand voyageur, passionné par l’Inde et l’hindouisme, qui a largement utilisé les techniques musicales indiennes, n’a jamais cru devoir visiter ce pays ? À la lecture de sa  biographie, de nombreux voyages sont mentionnés : États-Unis, Allemagne, Italie, Japon, Argentine, Finlande, Espagne, Canada… L’objet de  ces déplacements ne se résume pas uniquement à des concerts et des conférences : Messiaen note les chants d’oiseaux et s’imprègne de la culture musicale de chacun de ces pays. Les entretiens du compositeur avec Claude Samuel (Journaliste, producteur d'émissions radiophoniques, créateur de festivals et de concours internationaux, Claude Samuel a été directeur de la musique à Radio France de 1989 à 1996) laissent entrevoir un début d’explication. Les grandes différences sociales de l’Inde le mettent mal à l’aise. En effet, face à la misère de ce pays, ce fervent catholique, cet homme de cœur, se sent impuissant :

 

« J’aurais voulu connaître l’Inde. Et l’Inde me suggère aujourd’hui une autre réflexion. Je suis compositeur de musique, j’ai écrit de nombreuses œuvres, j’ai connu des échecs et aussi des succès, mais je considère que tout cela n’est rien à côté de la mission que remplit la Mère Teresa à Calcutta. Vous savez qu’en Inde des gens meurent de faim. La mère Teresa va à leur secours, elle soigne les malades, elle console les mourants, elle relève les prostituées. C’est une action admirable. Moi qui ne suis pas doué pour cela, je ne pourrais pas être infirmier ou médecin, et je ne suis pas un saint. Mais j’aurais donné toutes mes œuvres musicales pour être la Mère Teresa. » .

 

 

Un Orient vécu, le Japon.

 

La  rencontre « physique » avec une culture orientale se fera avec un autre pays, lui aussi très riche en symboles mystiques, mais d’une qualité de vie semblant plus acceptable aux yeux de Messiaen : le Japon. Le Japon revêt deux visages, celui d’un pays riche en traditions, mais également moderne. Cette ambivalence plait à Messiaen et, contrairement à l’Inde, il se rend dans ce pays qui, à ses yeux, est à la fois un jardin d’Eden et un temple de la modernité.

 

Au cours d’un entretien avec Claude Samuel, le compositeur avoue qu’il n’a jamais fait le voyages aux Indes, et que le Japon est le pays d’Orient qui l’a le plus fasciné :

 

« Curieusement, toute ma vie j’ai désiré aller aux Indes, et je n’ai jamais fait le voyage. Je me suis contenté d’étudier les deçî-tâlas. Peut-être est-ce mieux ainsi : j’ai connu l’Inde antique dans ses manifestations les plus profondes et, sur place, je risquais d’être déçu. Mais il y a un pays d’Orient que je connais bien, qui m’a totalement fasciné dès mon premier séjour, c’est le Japon. » (Claude Samuel, op. cit., p.142.)

 

Curieusement, l’Orient pour Messiaen c’est le Japon. Nous l’avons vu, les Indes « modernes » inquiètent le compositeur. Il ne se sent pas capable d’affronter la pauvreté qui accapare ce pays et avoue également avoir eu peur d’être déçu. Par l’influence coloniale ? Le compositeur ne dit rien à ce sujet. Peut-être a-t-il peur de ne pas trouver, dans l’Inde contemporaine, l’Orient qui le fait rêver. C’est à dire son propre Orient, cet Orient mystique qu’il a rencontré en étudiant les deçï-tâlas. Cet Orient, il ira le chercher et le trouvera au Japon. 

 

Dans ce même entretien avec Claude Samuel, Olivier Messiaen explique que le Japon est un pays noble, sans ivrognes ni mendiants. Selon lui, l’homme japonais « respire la noblesse », et l’on ne peut que s’incliner devant son goût au travail. Cette rencontre « heureuse » avec cette « autre » culture semble être une réponse au malaise occidental de nombreuses personnalités du XXe siècle. En effet,  par son code moral et ses convictions religieuses, Messiaen ne peut approuver certains comportements de ses contemporains. Cette sensibilité se manifeste par le rejet de certains genres musicaux, dont l’exemple le plus connu est son aversion pour le Jazz. Son jugement, assez sévère, à propos de cette musique, n’est pas que d’ordre esthétique. Pour Messiaen, ses lieux de diffusion ne sont que des lieux de perdition, voire de prostitution. Ce n’était pas sans naïveté qu’il faisait l’amalgame : « société permissive - liberté sexuelle - drogue - boîte de nuit jazz ». (Op. cit., p.92.)

 

Cet enthousiasme pour le Japon, chez Messiaen, n’est pas uniquement d’ordre social et moral,  mais également d’ordre musical. Grand admirateur de musique japonaise, le compositeur aime particulièrement le et le gagaku. Ce dernier genre, notamment, l’interpelle. En effet, cette musique du VIIIè siècle de notre ère, présente des accords joués par l’orgue à bouche « contredisant », pour nos oreilles occidentales, une ligne mélodique jouée, elle, par le ryuteki, sorte de flûte traversière. Ce procédé fait preuve d’un modernisme audacieux comparé à la musique européenne de la même époque, qui ignore alors les règles de l’harmonie.

 

Mais l’« audace » ne s’arrête pas là. Cet ensemble est complété par deux instruments à cordes pincées, le koto et le biwa, et par trois percussions, le shoko, le taîko et le kakko. Cette section rythmique accélère progressivement le mouvement de l’œuvre jusqu’à un mouvement rapide, puis recommence à nouveau lentement pour à nouveau accélérer, et ainsi de suite, un grand nombre de fois. Sans doute difficile à concevoir pour une oreille européenne non exercée, cette pratique est cependant typique du gagaku.

 

Le dernier élément caractéristique de cette musique, extraordinaire pour nos oreilles, est l’harmonie produite par l’orgue à bouche. Celle-ci n’est pas placée au-dessous de la mélodie, comme dans la musique occidentale, mais au-dessus, comme le ciel au-dessus de la Terre. Ce dernier élément ne laissera pas indifférent Olivier Messiaen. Dans ses Sept Haïkï (1962), il s’inspirera de ce principe compositionnel en harmonisant « par le haut ». Le principe de l’orgue à bouche sera transposé à l’orchestre. Cette œuvre fut composée en France, au retour d’un voyage au Japon, comme il le confie à Claude Samuel :

 

« […] Et c’est en pensant à toutes ces choses merveilleuses que, revenant du Japon, j’ai composé mes Sept Haïkï, où l’on entend les échos du gagaku, où sont décrits le parc de Nara et le paysage de Miyajima» (Op. cit., p.144.)

 


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Ce Japon, évoqué par le compositeur, est celui des traditions. Mais il ne faut pas oublier que le Japon est aussi un pays moderne. Dans son entretien avec Claude Samuel, le compositeur évoque un Japon idyllique : un Japon des paysages, des traditions et des oiseaux. Sur le plan social, il décrit un pays parfait à ses yeux, sans pauvreté et sans oisiveté. Mais il existe un autre Japon ; celui du modernisme, des grandes villes polluées et des traditions affaiblies.

 

Messiaen, bien sûr, est conscient de ce paradoxe. Il reconnaît volontiers qu’au Japon, le Moyen Âge côtoie en permanence le XXème siècle. Mais cette double identité ne doit pas être ressentie comme un drame. Dans sa classe de composition, au Conservatoire national supérieur de musique de Paris, Olivier Messiaen a reçu de nombreux étudiants japonais. Ces jeunes compositeurs étaient souvent déchirés entre leurs traditions et la musique occidentale. Le conseil du professeur était : « Restez japonais ! » Autrement dit, « utilisez vos connaissances modernes, mais restez dans la ligne des traditions japonaises ! » (Op. cit., p.146.)

 

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De nombreux compositeurs de XXè siècle s’intéresseront aux formes musicales d’autres cultures et les intégreront dans leurs œuvres. L'impact d’une « autre » culture sur la création musicale du XXè prend diverses formes. En 1889, lors de l'Exposition universelle, Claude Debussy est émerveillé devant le gamelan javanais et la musique du théâtre annamite. Cette rencontre avec une « autre » musique aura une incidence sur son langage musical : emploi de modes pentatoniques, jeux de polyrythmie… Ce goût de l’exotisme se retrouve chez d'autres  musiciens : Maurice Ravel et ses « chinoiseries », dans Ma mère l’Oye, Béla Bartók et l’exploration, de façon plus rigoureuse et plus musicologique, des musiques d’Europe centrale. Ces compositeurs ne retiennent des musiques « exotiques » que des caractéristiques techniques étayées par des éléments musicaux assez rudimentaires (modalité, rythme…).

 

Mais ce qui différencie Messiaen de ses illustres prédécesseurs, est son rapport au religieux. Sa relation avec la musique indienne ne se veut pas « folklorisante », mais avant tout mystique. Il ne cherche pas à donner une couleur « orientale » à sa musique. Ce sont les valeurs symboliques, mystérieuses, qui lui importent avant tout.

 

Cet exemple de dialogue des cultures, Orient/Occident, tel que décrit, se limite à une vision uniquement européenne. En effet, la majorité des compositeurs occidentaux, s’inspirant des «  autres cultures », le font majoritairement dans le cadre officiel de compostions écrites et de concerts. Autrement dit, la notion d’œuvre finie, en tant qu’entité, l’emporte sur toute idée de performance liée à un besoin social. Nos usages culturels glorifient le compositeur et l’interprète, et non l’« utilité » de la musique. Des échanges plus vivants existent dans le domaine des musiques dites « improvisées » ou « libres », mais ces appellations en disent déjà beaucoup sur notre manière de catégoriser et donc de juger ce qui nous échappe…

 

 

                                                                                                                        Dominique Arbey

 

 

Dominique Arbey est Docteur en musicologie (Paris IV – Sorbonne). Depuis 1994, il enseigne le piano (classique et jazz), l’histoire de la musique, l'analyse musicale, l'harmonie et l'accompagnement. Il est l'auteur d'articles publiés dans diverses revues (L'Éducation Musicale, Euterpe, Les Cahiers de Francis Poulenc), et d’un ouvrage, Francis Poulenc et la musique populaire (Editions l’Harmattan, 2012). En tant que pianiste, il se produit dans plusieurs formations (Jazz,  chanson française, musique de chambre).

 

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SPECTACLES ET CONCERTS

Haut

William Christie illumine Belshazzar à Pleyel

 


© Anna Bloom

 

Parmi les nombreux oratorios de Haendel, Belshazzar occupe une place particulière. Il est écrit sur un livret de Charles Jennens, qui lui avait déjà fourni le sujet de Saül et du Messie. Pour cette belle tranche d'Histoire Sainte, le poète offre un texte d'une belle langue, et hautement dramatique, puisée aux sources bibliques, mais aussi aux grecs. Au point que la dramaturgie de l'œuvre, plus proche du théâtre que de la veine religieuse, a conduit naturellement à la mettre en scène. Ainsi d'une intéressante production donnée au Capitole, captée en DVD ( cf. NL de 9/2011). Dans la présente exécution de concert, la force de la trame n'est pas pour autant laissée dans l'ombre. Bien au contraire, on ressent à chaque instant combien le saxon se montre visionnaire, en particulier dans les scènes animées telles le détournement du fleuve  Euphrate, le banquet chez Balthazar, ou encore le passage où le prophète Daniel décrypte les hiéroglyphes tracées par la main divine. Descriptive, la partie musicale pourvoit en elle-même à l'imagination. Haendel a beaucoup travaillé à sa mise au point, la remaniant plusieurs fois, en fonction de ses interprètes, au fil des reprises, entre et 1744 et 1758. Elle se signale par ses vastes proportions, se composant de trois parties. Elle requiert cinq solistes, et un chœur figurant tour à tour juifs, babyloniens, et Perses, intimement partie à l'action. William Christie impose d'emblée une lecture sereine, et aristocrate. Le silence entre les diverses séquences accentue cette impression, comme les infinies nuances apportées au discours, tel l'Amen final triple pianissimo. Elle est surtout animée d'une intense vie intérieure : l'osmose avec les musiciens des Arts Florissants n'est plus un secret. Les cordes sonnent chambristes, les bois résonnent d'une étonnante limpidité. Surtout, il fait des diverses interventions du chœur des moments de pure lumière. On admire la clarté de la diction, la quasi transparence de l'élocution. L'effectif est de quelques 26 chanteurs, et comme cela sonne ! Ils sont, d'ailleurs, disposés de manière originale, hommes et femmes étant alternés, et non pas alignés en deux groupes compacts. Leurs diverses interventions sont fascinantes, dans des séquences aussi différentes que le chœur d'imploration des juifs (« O grand Dieu, toi qu'on ne connaît qu'obscurément »), ou celui, extraverti, des invités au festin royal. Les solistes sont superbes. A commencer par Rosemary Joshua, Nitocris, la reine à la fois prophétesse de la décadence de Babylone, et pathétique devant le destin tragique de son fils : interprète choisie du rôle, qu'elle défendait déjà dans la production toulousaine de René Jacobs, elle s'impose par la beauté de l'intonation, et l'émotion retenue dont elle pare ce caractère attachant. Le ténor Allan Clayton, hier Albert Herring chez Britten, s'avère lui aussi un fin handélien, de sa voix naturelle, justement ménagée avec une éloquente simplicité. La prestation de Iestyn Davies est pur régal. Ce jeune contre-ténor, à qui Christie a choisi de confier le rôle de Daniel, figure en bonne place dans la constellation nombreuse de ses pairs : son chant est aussi immaculé qu'empreint d'ébranlement intérieur. Le personnage de Cyrus, confié ici à une mezzo-soprano, trouve en Caitin Hulcup une sûre musicienne, et la basse Jonathan Lemalu apporte noblesse de ton à celui de Gobrias. Tous font des récitatifs expressifs et des mirifiques arias du saxon un florilège de chant assuré et ému.

 

 

Hänsel et Gretel entre fantasmes et saveur d'enfance

 

Engelbert HUMPERDINCK : Hänsel et Gretel. Opéra romantique en trois actes. Livret de Adelheid Wette, d'après le conte homonyme des frères Grimm. Eléonore Pancrazi, Charlotte Plasse, Paul-Alexandre Dubois, Anne Rodier, Christophe Crapez, Claire Lairy. Maîtrise des Hauts-de-seine. Ensemble Musica Nigella, dir. Akénori Némoto. Mise en scène : Mireille Larroche. 

 


© Mathilde Michel

 

Nouveau titre, nouvelle aventure, Hänsel et Gretel n'est-il pas un choix naturel pour La Péniche Opéra, qui aime tant faire voguer nos imaginations ? Un conte où une  ogresse gave les enfants de pain d'épice, comme la télé gave nos cerveaux addictifs, pour mieux les dévorer. Plus qu'un programme, une réalité ! Cet après-midi du 23 décembre, devant un auditoire remuant de jeunes pousses, on donnait la version française de l'opéra de Humperdinck. La proximité de l'histoire n'en est que plus évidente, illustrant le second degré d'un conte aussi drôle qu'effrayant : « des enfants insupportables, enfermés dans un espace trop petit », nous dit Mireille Larroche, « des adultes qui hurlent leur misère (un peu trop bruyamment cependant, du point de vue vocal), une forêt rendue stérile par une société qui n'a plus aucun respect de la nature, proche du terrain vague, habitée par une sorcière anthropophage qui règne sur un fast food de friandises ». On est près de la vision iconoclaste d'un Laurent Pelly à Glyndebourne. Mireille Larroche dit s'être inspirée du style graffiteur percutant de Basquiat, apte à « véhiculer un message spontané, à la fois enfantin et effroyablement sérieux ». A deux pas de la ville, qui s'éveille, durant l'Ouverture musicale, pour se refermer sur un intérieur étriqué, où rien ne manque de la médiocrité d'une famille de laissés pour compte, pas même le frigo, désormais vide de victuailles. Les deux gamins, fort bien appareillés, sont on ne peut plus hystériques. On les retrouve dans la forêt aux couleurs bariolées, traversée de visions oniriques, telles le marchand de sable, ou le la fée aux cheveux bleus, robe à panier transparent. Andersen revient à lui, et le surgissement d'une collection de petits Hänsel et d'adorables Gretel nous montre que le rêve n'est pas loin. Mais voilà la maison de pain d'épice, au détour d'une allée : alors le fantastique grinçant reprend ses droits. Comme Pelly, Larroche la voit telle une montagne de friandises. Celles-ci entourent un écran de télé, qui projette un visage androgyne de femme aux cheveux blondasses, costume ajusté.  Aguichante ou ensorcelante. A voir ! Les futaies alentour se font sucres d'orge scintillants comme des néons coloriés. Les deux loustics emmènent en caddy des lots de sucettes et autres sachets de gâteaux. La charge est sévère, entre fantasme et angoisse, quoique pas si féroce que cela, tous comptes faits. La poésie du conte triomphera dans le happy end joyeux d'une ronde enfantine. Cette approche créative se satisfait parfaitement de la transcription musicale : une habile réduction, opérée et dirigée par Takénori Némoto, pour une formation d'une dizaine de musiciens, dont trois bois (superbes de gracilité lors du passage du coucou/marchand de sable), et quatre cordes enjouées et épicées. Tout cela fonctionne de main de maître, les scènes parfaitement enchaînées mêlant illustratif et figuré, vérisme cru et fin clin d'œil. La troupe se dépense sans compter, dont les deux protagonistes, auxquels il n'est pas difficile de prédire un bel avenir. La salle est conquise, nous aussi ! 

 


© Mathilde Michel

 

 

Les Brigands font pétiller le champagne Offenbach

 

Jacques OFFENBACH : Croquefer ou le dernier de paladins. Opérette bouffe en un acte. Livret de Adolphe Jaime et Étienne Tréfeu. L'île de Tulipatan. Opéra bouffe en un acte. Livret de Alfred Duru et Henri Chivot. Flannan Obé, Emmanuelle Goizé, Loïc Boissier, Lara Neumann, François Rouguier, Olivier Hernandez. Compagnie Les Brigands, dir. Christophe Grapperon. Mise en scène : Jean-Philippe Salério.

 


© Claire Besse

 

Les Brigands ont encore frappé, et l'Athénée n'est qu'un immense éclat de rire. On donne un « double bill » effarant de drôlerie, puisé dans le vaste fond de l'auteur de La Belle Hélène. Celui-ci n'a pas son pareil pour trousser en un acte une intrigue déjantée, où l'anachronisme le cède à l'invraisemblable. Ainsi de l'histoire moyenâgeuse tarabiscotée de Croquefer (1857), qui met aux prises un matamore de salon, bardé de son écuyer Boutefeu, et leur ennemi Mousse-à-Mort, dont la fille est courtisée par Ramasse-ta-tête, un fidèle du premier. La bouffonnerie est si délirante qu'on a pu demander « grâce pour tant d'absurdités » ! Une scène d'empoisonnement collectif aura raison des ardeurs belliqueuses de tout un chacun : les embarras digestifs, à peine figurés, entraîneront tout le monde à terre, dans la position qu'on imagine ! Cela a du piquant, en particulier lors d'un endiablé « galop du postillon ». Les six gars et filles des Brigands se dépensent sans compter. Et si on reste, par moments, un peu à la surface des choses, la faute en revient, sans doute, à la minceur de la trame. En tout cas, l'immense miroir, disposé de biais, autorise d'amusants effets, les personnages, souvent vautrés au sol, apparaissant en pied, grâce à cet artifice visuel. Mais ce n'est rien à côté de la seconde pochade, L'île de Tulipatan. Quelques dix ans ont passé, et Offenbach, au faîte de la gloire, se prépare offrir La Périchole. Le schéma est plus rôdé, le quiproquo plus dévastateur, l'apologie du non-sens réjouissant à son meilleur : un chassé-croisé inter sexes, où une jeune fille, garçon manqué, en réalité le vrai fils du monarque Cacatois XXII, courtise un garçon si efféminé et timide, qu'il se révèle être la douce mais pas farouche fille du grand sénéchal de la cour... Un triomphe de la gente féminine, audacieuse pour l'époque, et une utilisation du travesti dans un sens inattendu ! Au-delà de l'incongruité des situations, c'est la banalité des faits et gestes de tous les jours, montés en épingle, qui déchaîne l'hilarité. Au fil de quelques morceaux d'anthologie, tels les « couplets du canard », et leurs désopilants « coins coins », en forme de refrain. Le formidable bagout des interprètes, dont Flannan Obé, dans la fille-garçon Hermosa, ou Lara Neumann, Théodorine, l'homérique maman jouant à merveille de son physique enveloppé, ne laisse pas de marbre. La régie de Philippe Salério est habile, plus resserrée ici, à travers cet incessant jeu de retournement, pas si innocent que cela. Les neuf musiciens, conduits prestement par Christophe Grapperon, démontrent que la musique d'Offenbach ne perd pas une once de son mordant, bien au contraire, exécutée de manière chambriste.    

 

 


© Claire Besse

 

 

Immersion dans le monde symphonique de Chostakovitch

 

Affluence record à la Salle Pleyel pour les deux premiers concerts de la série consacrée par Valery Gergiev aux symphonies et concertos de Dmitri Chostakovitch ! Un public de tous âges, d'une discrétion rare, complètement immergé dans un monde sonore, pourtant inhabituel. Gergiev impose le silence, dès avant de lever la baguette. En fait, il dirige sans ce sésame, pétrit la pâte sonore, en gestes amples, voire très physiques. Sa gestuelle, lisible, fait respirer la musique pour l'auditeur-spectateur. Son orchestre du Mariinsky est tout bonnement prodigieux de transparence et d'homogénéité. Il n'est que d'écouter cette pédale de basse (finale lent de la 13ème), ou ces unissons des cordes, sans parler de la brillance des percussions, tant sollicitées par Chostakovitch, pour comprendre la qualité d'ensemble de cette formation. Que de chemin parcouru depuis une 4ème symphonie du même auteur, demeurée pourtant haute dans le souvenir, donnée, il y a plus d'une dizaine d'années, au Châtelet, en contrepoint du Démon d'Anton Rubinstein ! Le travail accompli est phénoménal, car Gergiev a su exploiter au mieux le potentiel de musiciens, déjà excellents. Les bois sont pure merveille. Et que dire des cuivres ! Tous sont fascinés par leur chef, pour qui ils sont prêts à donner le meilleur, et même au-delà. Leur fréquentation de l'opéra et du ballet est pour quelque chose dans la souplesse du trait, le chant inné, lesquels ne sont pas forcément l'apanage d'autres grandes formations exclusivement symphoniques. Le chef a fait le choix de présenter les œuvres de sorte à rapprocher les premiers opus des derniers, et à confronter ainsi les différentes manières du compositeur, engagé sans relâche dans le combat d'idées : un soumis par réflexe de survie, d'abord, d'où émerge peu à peu « une personnalité influente » (V.Gergiev), qu'on ne cherchera pas à bousculer, encore moins à bâillonner.

 


© Julien Mignot/Salle Pleyel

 

La 1ère symphonie, op. 10, créée à Leningrad en 1923, démontre d'emblée l'incroyable maîtrise du jeune compositeur de 19 ans. Et déjà un style très personnel, ne serait-ce que dans l'originalité de l'orchestration. On peut imaginer l'effet que sa «  modernité » produisit sur ses premiers auditeurs. Ainsi du scherzo grotesque, où le piano joue un rôle essentiel. Gergiev en souligne toute la désinvolture. Le lento distingue une cantilène intensément lyrique, introduite par le hautbois solo, rejoint par le violoncelle, puis la trompette bouchée. Si le finale s'avère plus classique, il est d'une étonnante facture, avec les interventions du piano et du cello. Sa richesse surprenante est magnifiée par Gergiev et ses fabuleux musiciens. Pour commémorer le 10ème anniversaire de la Révolution d'octobre, la 2ème symphonie (1927), s'articule autour d'un texte d'Alexandre Bezymenski, dont Chostakovitch déplorait "l'indigence de la poésie ampoulée". Mais il fallait faire avec. Il la relèguera d'ailleurs en seconde partie. Une longue introduction orchestrale grave s'enfle en une course haletante, dominée par la stridence de la petite flûte, jusqu'à une section scherzo grotesque. Suit un fugato à 13 voix, créant un effet sonore curieux, un tutti linéaire mouvant, dont on retrouvera maints exemples ultérieurement. Le choeur intervient alors, sur une orchestration grandiloquente, pourvue de sirène d'usine. Gergiev ne cherche pas à enjoliver ce qui se veut rudimentaire, de l'ordre de la proclamation. Le Choeur du Théâtre Mariinsky s'y montre convaincant. Si le concerto pour piano N°2 ne passe pas pour une oeuvre majeure, du moins est-il un beau faire valoir pour le soliste. Ecrit en 1957, dans une période de creux créatif, par un Chostakovitch qui n'en fut jamais satisfait, il sera créé par son dédicataire, son fils Maxime. Les premier et troisième mouvements sonnent avec humour, et ce style "mécaniciste" cher à l'auteur. Le lyrisme serein du mouvement lent médian est bien différent de la manière d'un Rachmaninov. Denis Matsuev s'y révèle tout sauf affecté, lumineux, d'une superbe légèreté, et d'un humour fou. Le bis, emprunté à Rachmaninov, montre précisément tout ce qui sépare cette manière de celle de Chostakovitch. de la 15ème symphonie, créée en 1972, le maître dira que ce fut « une œuvre qui m'a tout simplement emporté ». Il y a là quelque chose de l'ordre du spirituel. Ce chant d'adieu n'est en rien triste, à peine nostalgique dans ses mouvements lents. Ceux-ci alternent avec deux allegrettos. Le premier développe un langage joyeux et concis, dont n'est pas absente la plaisanterie : il est rythmé par la citation d'un thème du Guillaume Tell de Rossini, confié aux cuivres, sonnant comme une fanfare. Le bref scherzo verra dominer de nouveau les vents. L'adagio médian, mêlant choral et thème dodécaphonique joué par le violoncelle solo, est méditatif. Il se fait pessimiste dans la vision de Gergiev. Le finale, de nouveau adagio, s'ouvre par un thème emprunté au Ring de Wagner, celui du destin, et se poursuit dans une vaste Passacaille. Sa coda est ponctuée de percussions concertantes, façon batterie légère. Si la pièce reste étrange dans l'étirement de ses deux parties lentes, ce que Gergiev ne cherche pas à amoindrir, elle marque le triomphe d'un lyrisme prenant, agissant comme quelque chose de magnétique. 

 


© Julien Mignot/Salle Pleyel

 

Le second concert présentait un choix tout aussi révélateur. La 3ème symphonie, op. 20, « Le Premier mai », commémore la fête du travail, et « entend décrire un moment pacifiste », dira l'auteur. Donnée d'un seul trait, cette demi-heure de musique apparaît telle une mosaïque de courtes séquences, qui sans cesse se font et se défont, usant du processus de renversement et de rétrogradation dans lequel Chotakovitch est déjà passé maître. Mais sans qu'aucun thème ne puisse s'accrocher à la mémoire. Un peu selon le procédé du montage cinématographique. Gergiev parvient à lui donner une unité. Il déchaîne cette étonnante pédale de percussions, mêlant timbale et caisse claire, et ponctuée de cluster de la grosse caisse et du gong. Le 2ème Concerto pour  violoncelle, op 126, dédié à et créé par Slava Rostropovitch, en 1966, est moins directement abordable que le premier. Il a été écrit en hommage à la poétesse Anna Akhmatova, décédée peu avant. D'où un sens de désolation et de mélancolie, perceptibles dès le largo introductif, où le soliste se fait plus discret qu'emphatique. Une manière qui colore les deux autres mouvements, marqués allegretto. Ils n'ont cependant pas la même signification, le premier étant, en fait, voisin d'un adagio. Le finale, en apparence plus enjoué, voire humoristique, cèle une grande nostalgie, que souligne son large lyrisme s'éteignant dans un quasi silence et un trait abrupt du violoncelle. Le morceau renferme trois mini cadences, où curieusement le soliste évolue sur un accompagnement presque incongru, respectivement, de la grosse caisse, du tambour de basque, et de la caisse claire. Mario Brunello le joue avec brio. Et si la sonorité est, nul doute, moins grandiose que celle du dédicataire, sa force toute intérieure n'est pas moins convaincante. Puis vint la 13ème symphonie (1962), sous-titrée « Babi Yar », du nom de ce village ukrainien qui vit, en septembre 1941, l'extermination de ses habitants juifs. Monument dressé à l'encontre de l'antisémitisme, c'est l'opus symphonique le plus désespéré de son auteur. Ses cinq mouvements sont tracés à partir de poèmes d'Evgueni Evtouchenko, confiés au chœur de basses et à la basse solo. La simplicité du langage frappe dans le premier mouvement, évoquant la tragédie de Babi Yar, mise en regard de celles de l'affaire Dreyfus, ou d' Anne Frank. Un scherzo fait suite, titré « l'Humeur », ou le caractère indomptable de celle-ci, malgré toute répression. « Au magasin » évoque la vie des femmes russes, piliers de la vie familiale, mais aussi économique, au fil de la mélodie, simplement évocatrice, du violoncelle solo, sur une pédale des cordes graves, et de la voix de basse s'exprimant jusqu'au murmure. « Les Peurs », qu'il faut prendre aussi bien au premier degré que, plus largement, par référence à celles du manque de courage ou du mensonge, sont l'occasion de combinaisons sonores étonnantes des vents et des percussions, d'un traitement particulier du chœur, chantant sur une seule note, ou encore du dialogue du soliste et de la clarinette basse. Le finale, « La carrière », celle de l'artiste réprimé pour ses convictions, mais demeurant fidèle à ses idéaux, est introduit par la bouleversante mélopée d'un thème joué à la flûte, relayée par les cordes ppp. Puis s'établit un climat de Pastorale, avant de s'achever en une sorte d'anéantissement pianissimo. Cette symphonie, Gergiev la soutient avec la foi de celui qui possède en lui cette narration effroyable. Les musiciens du Mariinsky la façonnent aussi comme un seul homme. La voix lisse de Mikhail Petrenko, visiblement préférée à un organe plus charnu, exprime la nostalgie insondable de ces pages mémorables.  

 

La série de concert se poursuivra la saison prochaine, l'espace de six autres concerts, donnés en deux temps : du 1er au 3 décembre 2013, et du 16 au 18 février 2014. D'autres CD sont prévus sous le label Mariinsky.

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Une grande voix au firmament des contre-ténors.

 


© DR

 

Bonheur du temps, la voix de contre-ténor passionne de nouveau les foules. Et une saine émulation se fait jour. Aux côtés du succès faramineux, et combien mérité, de Philippe Jaroussky, ou de Emmanuel Cencic, une nouvelle étoile se lève, celle de l'argentin Franco Fagioli. Comme révélé dans l'enregistrement récent de Ataserse, de Leonardo Vinci (cf. NL de 01/2013), et lors des représentations nancéennes de cet opéra (cf. NL de 12/2012), Fagioli se distingue, parmi ses pairs, par un timbre à propos duquel le mimétisme avec la voix féminine est frappant. Son récital à la salle Gaveau, devant un public dense et enthousiaste, aura confirmé un talent hors du commun, dans un programme sur mesure, intitulé, un peu facilement, « Virtuosités baroques », célébrant l'amour, bien sûr, de mille manières. Le chanteur est accompagné par un petit ensemble instrumental (violoncelle, archiluth, clavecin), de fort belle facture, qui contribue à faire de la partie purement instrumentale autre chose qu'un simple divertissement de remplissage. Un début, sagement précautionneux, qui donne à entendre un des « Arie musicali » de Frescobaldi, et un des « Scherzi musicali » de Monteverdi, laisse à peine présager de la suite : la brillance mordorée et la plénitude que Fagioli va instiller dans une aria du vénitien Benedetto Ferrari. Sur un rythme balancé, et des affetti soigneusement dosés, sont roucoulées des phrases scintillantes, enrobées d'écarts vocaux inattendus, dont d'impressionnantes « cocottes » dans le grave. A l'issue du morceau, qui manie aussi bien l'hyperbole que l'humour, le chanteur quitte la scène, suivi par chacun de ses musiciens. Comme dans la Symphonie « les adieux » ! Fagioli différencie avec tact les divers styles de chant, si notables dans l'univers baroque. Dans Haendel, par exemple, et ses cantates de chambre, si rarement jouées, Fagioli offre la quintessence de son art : une ligne immaculée, un souffle inépuisable sur la note tenue, notamment dans le pianissimo, qui n'est pas sans rappeler la manière de son illustre consœur, Cecilia Bartoli. Et, bien sûr, un festin inépuisable de fioritures. Chez Vivaldi, et sa cantate RV 676, le discours se fait autre : les contrastes, imaginés par le Prete rosso, requièrent de l'audace. Le contre-ténor n'en est pas dépourvu. Les notes délivrées pppp, avec un relief rare, les douces inflexions sont, là aussi, parfaites. Comme les longues vocalises et les trilles d'enfer, dans une sorte d'idéal. Une autre facette de la personnalité du chanteur est révélée avec une cavatine tirée de l'opéra L'amor contrasto ossia La Molinara, de Giovanni Paisiello. Introduite par le seul clavecin, alors que les deux autres instrumentistes jouent en pizzicatos, la voix se fait enjouée, et enjôleuse. Puis trois variations, quasi bel cantistes, vont conduire l'interprète à éblouir, voire étourdir, l'auditeur, devant tant de beauté. L'aria sera couronnée par une quinte aiguë, digne d'une soprano colorature. Décidément, le contre-ténor à mille cordes à son arc. Il le démontre encore durant trois bis : un expressif lamento de Monteverdi, un air de l'opéra Artaserse, chanté a capella, à la demande d'une spectatrice, décidément exigeante, avant de prendre congé par l'aria d'un Anonyme, devenu célèbre avec ce « tube », qui met en avant toutes les qualités déjà exposées, l'aisance scénique en plus.

 

 

David et Jonathas A l'Opéra Comique

 

Marc-Antoine CHARPENTIER : David et Jonathas. Tragédie Biblique en cinq actes et un prologue. Livret du Père François de Paule Bretonneau. Pascal Charbonneau, Ana Quintans, Arnaud Richard, Frédéric Caton, Krešimir Špicer, Dominique Visse, Pierre Bessière. Les Arts Florissants, dir. William Christie. Mise en scène : Andreas Homoki. 

 


© P.Victor/artcomart

 

La reprise, à l'Opéra-Comique, de David et Jonathas confirme l'excellence de la production vue à Aix-en- Provence, l'été dernier (cf. NL de 09/2012), co produite par les deux maisons, et le Théâtre de Caen. Elle l'amplifie même, car dans ce cocon acoustique qu'est la salle Favart, la musique de Charpentier respire mieux. Chère à son cœur, elle trouve chez William Christie ampleur et chaleur. C'est un plaisir de le voir peaufiner ces phrases emplies de douceur, suaves même, aborder ces transitions brusques, fortes de contrastes dynamiques, magnifier les rythmes incisifs. L'orchestre de Charpentier est riche, développant, selon le chef, « un langage à la fois plus personnel et cosmopolite » que celui de Lully, auquel on le compare, du fait de leur proximité historique. Un orchestre moyennement fourni dans les cordes, où les bois jouent un rôle décisif, les quatre flûtes, en particulier, deux traversières, deux flûtes à bec, pour des traits saisissants. L'effusion mélodique, un brin italianisante, ajoute une finesse extrême, soutenant agréablement le chant, car Charpentier possède « un sens exquis du texte ». L'ensemble des Arts Florissants en restitue idéalement toutes les facettes. Le maestro leur laissera même la bride sur le cou dans les interventions du continuo. Mais il ne lâche pas des yeux ses chers choristes, dont chacun est un soliste à part entière, au point que plusieurs d'entre eux interprètent des rôles épisodiques. L'œuvre, sortie de son caractère hybride originel, le texte de la tragédie latine, qui lui était accolé, ayant été perdu, trouve dans cette interprétation un continuum musical calqué sur la dramaturgie./ Elle ne comprend en effet que les seules parties musicales, le texte de la tragédie latine qui lui était à l'origine accolé, ayant été perdu/. Elle n'en est que plus resserrée. Dans la présente production, la musique fait fonction d'élément unificateur : la continuité entre les scènes est assurée par la symphonie. La régie conçue par Andreas Homoki enserre les diverses péripéties de l'action dans un cadre, lui-même en constante mutation : une succession de courts tableaux qui s'effacent dans le déroulement musical proprement dit, certains utilisés tels des flash back.

 


© P.Victor /artcomart

 

Elle est plus percutante qu'à Aix. On a adapté, en le façonnant aux dimensions plus restreintes du plateau de Favart, le dispositif en forme de boîte de bois, imaginé par Homoki. L'impression de dilatation de l'espace prend toute sa signification, enserrant ou libérant les personnages, dans un champ claquemuré ou au contraire élargi. Homoki voit dans cette œuvre un drame psychologique, une tragédie familiale, un conflit dû à l'incapacité de Saül à surmonter sa jalousie envers David. Il transporte l'action dans quelque contrée méditerranéenne, baignée de lumière chaude. Même si l'horizon reste limité, dans une sorte d'enfermement, on perçoit des échappées vers l'extérieur. Sa mise en scène, d'une intelligence pointue, décortique l'interaction entre les deux héros, bien sûr, mais aussi entre ceux qui, autour d'eux, vont façonner cette destinée tragique, pourtant ancrée, pour ce qui est de David, dans le triomphe guerrier. Adulé, presque à son corps défendant, David semble refuser la gloire militaire, tout comme il dédaignera finalement la couronne royale qui lui est tendue. Il est déchiré à l'idée de perdre un ami. Jonathas désespère de voir ne pas perdurer une amitié profonde. La dramaturgie est émaillée de moments de vrai théâtre : les retrouvailles des deux amis, qui se cherchent dans un jeu de colin-maillard, le dialogue crispé opposant Saül et Achis. On encore la scène de la Pythonisse, objet du Prologue, mais placée au milieu de la pièce : celle-ci évolue au milieu d'une cohorte de ses semblables, en un affolant va et vient, à travers trois pièces en enfilades. Une vision hardie, combien accomplie esthétiquement. Mais aussi la scène des adieux de David à Jonathas. Comment interpréter les rapports unissant les deux amis ? Que n'en a-t-on pas dit et fait l'exégèse ? Au XVII ème siècle, chez les jésuites qui plus est, une relation d'ordre érotique était impensable, et il est vain de vouloir reporter sur cette époque le ressenti de la nôtre. David est intègre et son amitié pour Jonathas est pure, idéale. Comme le souligne Régis Courtray, dans son ouvrage « David et Jonathas histoire d'un mythe » (Editions Beauchesne), aux termes d'une analyse fouillée des textes latins, « tout le contexte ici est poétique et théologique, et non érotique ; ce serait donc forcer les textes que de parler d'homosexualité ». L'attrait éprouvé par chacun envers l'autre, qui va jusqu'à l'élégie et les pleurs, doit être vu comme un modèle d'amitié vertueuse. L'option, assumée par Christie, de distribuer le rôle de Jonathas à une chanteuse, participe de cette analyse, et s'avère plausible ; outre le fait que l'assemblage vocal paraît homogène. Celle-ci, Anna Quintans, est d'une totale crédibilité, et son soprano, inextinguible, domine presque les débats. Pascal Charbonneau, David, renouvelle sa performance aixoise. Si les premiers moments restent précautionneux, la voix claire de ténor aigu épouse le chant de Charpentier, souvent délicat, en voix de tête notamment, comme la fragilité du jeune homme. Surtout, la juvénilité des deux personnages prend son exact relief, tandis qu'ils usent de ce que Christie appelle « l'extraordinaire sophistication du texte chanté ». La régie porte aussi l'emphase sur des interjections quasi parlées, pour renforcer l'impact dramatique. Les basses, le remarquable Arnaud Richard, Saül, le sonore Frédéric Caton, Achis, livrent un chant impressionnant. Krešimir Špicer prête à Joabel de vrais accents de dépit, et une prestation vocale assurée.  Dominique Visse renouvelle ses exploits histrions dans la Pythonisse. Une indéniable réussite !

 

 

Quand Charpentier met en musique Molière

 


© Accent Tonique

 

Dans le cadre du « festival » entourant la production de David et Jonathas, l'Opéra-Comique présentait une soirée intitulée « Musiques pour Molière », déjà offerte au Festival de La Chabotterie (cf. photo ci-dessus). Après la brouille intervenue avec Lully, mettant fin à une fructueuse collaboration, qui a donné naissance au genre de la comédie-ballet, tel Le Bourgeois gentilhomme, Molière se tourne vers Marc-Antoine Charpentier. Au sommet de son art, le grand dramaturge allait travailler avec un jeune musicien d'à peine trente, qui n'était alors connu que par sa musique sacrée. Mais Charpentier était passionné de théâtre. Il saura affronter Lully et ses édits. Et offrir aux Comédiens français de somptueux intermèdes et ouvertures, pendant une bonne décennie. Hugo Reyne, chef de la Simphonie du Marais, a eu l'idée de réunir quelques-uns de ces titres en un concert, mis en espace, présenté et commenté par ses soins. L'homme a de l'esprit tout autant qu'il est un remarquable flûtiste. Autour de lui, six collègues, deux violons, un alto, une basse de violon, un archiluth et un clavecin. Autrement dit, une formation restreinte, telle que celle fonctionnant à l'époque. Car Charpentier en était réduit à jouer avec seulement une poignée de musiciens, du fait de la vindicte de Lully qui n'avait de cesse d'obtenir du Roi une réduction, de plus en plus drastique, des effectifs alloués aux autres. Mais cela ne gêne guère la façon de jouer ces musiques délicates et vives. On commença par un hommage posthume à Molière, avec Orphée descendant aux enfers, belle cantate, pas triste malgré les circonstances de sa création. Suivaient l'Ouverture et deux intermèdes du Dépit amoureux, avec extraits chantés et parlés empruntés à la pièce, puis l'Ouverture de La Comtesse d'Escarbagnas, dans une version remaniée, par rapport à la musique naguère écrite par Lully. Il en sera de même pour celle du Mariage forcé, dont Reyne donnait les «  intermèdes nouveaux », en particulier un hilarant trio grotesque « Amants aux cheveux gris », chanté par ce fou de Sganarelle, qui la cinquantaine passée, ose convoiter le beau sexe, ou la fameuse bastonnade ; le tout couronné d'un finale titré « Ô, la belle symphonie! ». On entendra encore quelques morceaux choisis du Malade imaginaire, création, cette fois, de l'auteur de David et Jonathas, dont l'air des Archers, et la sérénade italienne, qui n'a rien à envier à quelque maître italien. Et enfin des morceaux choisis de la comédie Le Sicilien, dont Charpentier travaillera à la reprise après la mort de Molière. Avec Reyne et ses complices, on entend un Molière baigné de musique, et un Charpentier fier de son talent dramatique. Ce que démontrent les trois comédiens-chanteurs, et leur solide faconde. Au beau milieu de ces musiques dédiées à Molière, Hugo Reyne ne résiste pas au plaisir de la plaisanterie musicale, et offre un intermède d'une toute autre veine. Le beau janvier obligeant, il trousse une brève réplique du concert du Nouvel An, transporté chez quelque ami baroque français : une mini Marche de Radetsky, que la salle s'empresse derechef de scander des deux mains, comme à Vienne, suivi d'un « trio des peluches » (sic), singeant la gimmick de l'édition viennoise 2013, du chef Welser-Möst distribuant oursons et chatons à ses Viennois de musiciens. A ceci près que la chose avait bien plus d'esprit salle Favart ! 

 

Jean-Pierre Robert

 

 

Le succès de Mikko Franck à l'Orchestre de Paris

    


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Pierre Boulez souffrant, c’est au chef finlandais, Mikko Franck, pour un soir, que fut confiée la direction de L’Orchestre de Paris, dans un programme exclusivement Ravel. Programme ambitieux pour une première rencontre, puis qu'associant Une barque sur l’océan, l’Alborada del gracioso, Shéhérazade et Daphnis et Chloé. Une barque sur l’océan, composée en 1904, initialement pour piano, orchestrée secondairement en 1906, toute en balancement chaloupé et fluidité, laisse à la musique une impression de liberté, de flux et reflux, évoluant en grandes vagues orchestrales animées de chatoiements debussystes. L’Alborada del gracioso, composée également pour le piano, orchestrée en 1918, faisant partie, comme la précédente pièce, du recueil intitulé Miroir, est, sous couvert d’hispanisme, l’occasion d’un jaillissement orchestral, cru et expressif, sur une pulsation rythmique très marquée. Shéhérazade, témoignant de l’orientalisme de Ravel, a été composé en 1903, sur des poèmes de Tristan Kingsor, de prosodie difficile, sans rhétorique ni éloquence. La voix, comme une simple parole, y évolue dans un écrin musical tout en climats et raffinements. La mezzo-soprano Nora Gubisch en était l'interprète. Enfin Daphnis et Chloé, musique de ballet en trois parties, donnée sans chœur, a été commandée à Ravel par Diaghilev pour ses Ballets russes (1912). Un magnifique programme, une magnifique musique, un magnifique orchestre parfaitement en place, dégageant des timbres et couleurs ciselés,  et une magnifique direction de Mikko Franck, précise, qui sut d’emblée recueillir l’empathie de l’orchestre, adaptant le langage musical aux différents climats par un phrasé d’une rare intelligence. Seul, Daphnis et Chloé sembla, par moments, manquer quelque peu de souffle, peut-être par l’absence de chœur, mais surtout par l’absence de support visuel, dans cette version purement orchestrale. Une très belle soirée, conclue par l’hommage rendu par l’orchestre et la salle au contrebassiste solo, Bernard Cazauran, qui officia à l’Orchestre de Paris depuis son concert inaugural en 1967. Bravo Messieurs !

 

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Marek Janowski et l’Orchestre Philharmonique de Radio France ouvrent magistralement l’année Wagner !

 

   


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Une salle Pleyel comble fêtait les retrouvailles entre le « Philhar » et le chef allemand Marek Janowski, qui en fut le directeur musical entre 1984 et 2000, à l’occasion du premier concert de l’année 2013, célébrant le bicentenaire de la naissance de Richard Wagner. Un programme grand public associait l’Ouverture du Vaisseau fantôme,  le Prélude et les scènes 1 et 2 de l'acte III de Lohengrin, puis l’Ouverture et le Venusberg de Tannhäuser,  et enfin Prélude et Mort d’Isolde. Un magnifique concert, magistralement interprété par l’orchestre, au mieux de sa forme, dirigé de main de maître par un Marek Janowski qui connaît son Wagner sur le bout des doigts ! Dès l'Ouverture du Vaisseau fantôme, saisissante d’expressivité, on sentit le vent dans les voiles, la tourmente toute imprégnée d’un sentiment d’urgence, un sentiment de danger imminent, parfaitement maîtrisé par une direction claire et engagée, tenant bon la barre au milieu de la tempête orchestrale. A l’inverse, le Prélude de Lohengrin parut très intériorisé, chargé de ferveur et d’émotion. Tandis que le merveilleux duo de l’acte III, entre Elsa (Annette Dasch) et Lohengrin (Stephen Gould), s’achevait dans un climat de désolation palpable. Stephen Gould parut dans le rôle-titre tout à fait honorable, au timbre moins éthéré qu’un Klaus Florian Vogt, mais plus assuré qu’un Jonas Kaufmann, associant une présence scénique imposante, une puissance vocale et une diction de qualité. En revanche, Annette Dasch sembla un peu en-dessous dans sa vocalité habituelle, malgré une implication certaine. En seconde partie, Janowski donnait le début de Tannhäuser, dans la version dite « de Paris », révisée sur le modèle du grand opéra français, à la demande de Napoléon III, pour la création à l’Opéra de Paris, le 13 mars 1861. Une version, dont la seule concession, acceptée par Wagner, en matière de ballet, fut l’élaboration de la Bacchanale, dans la grotte de Venus, enchaînée désormais à l’Ouverture. Modèle du genre, l'interprétation, totalement inspirée, témoignait de l’importance du travail préparatoire effectué sous la direction obstinée et méticuleuse du chef allemand, ainsi que de la qualité d'un orchestre transcendé, tous pupitres confondus. Enfin, le chromatisme du Prélude de Tristan et Isolde, retrouva tout son pouvoir d’évocation dramatique, et sut maintenir les spectateurs dans une attente haletante, avant que ne s’élève, dans une salle Pleyel recueillie, la Liebestod, magnifiquement chantée par Violeta Urmana. Une très belle soirée !

 

                                                                                                                          

Lionel Bringuier, le Magnifique !

 


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A seulement 26 ans, le français Lionel Bringuier, actuel directeur musical du prestigieux Tonnhalle Orchester de Zürich, s’affirme, assurément, comme un des chefs d’orchestre les plus prometteurs et doués de sa génération. Comme tous les ans, depuis 2008, il était invité à diriger le « Philhar », salle Pleyel, avec un plaisir, à l’évidence partagé par les musiciens, et lui-même…Il avait concocté un programme particulièrement intéressant, et original, associant des œuvres de Saint Saëns (Concerto pour violoncelle & orchestre), Albert Roussel (Symphonie n° 3),  Maurice Ravel (La Valse), et  une composition contemporaine, en création mondiale (Eclipse) d’Eric Tanguy (°1968). Cette dernière, composée en 1999, à l’occasion de la dernière éclipse solaire du millénaire, est une œuvre faite d’ombre et de lumière, à la fois chatoyante, rythmée et expressive. Elle réunit une grande formation de 86 musiciens, qui déploie une masse orchestrale dense et sombre, d’où émergent, tour à tour, des solos de flûte, de hautbois, de clarinette, et du premier violon, avant que ne réapparaisse, définitivement, la lumière dans un trio à cordes d’une grande sérénité. Voilà une très belle œuvre, complexe, magnifiant l’orchestre, tous pupitres confondus. La direction limpide et juste de Lionel Bringuier y était pour beaucoup : une vraie symbiose entre chef et orchestre, et un sûr plaisir de jouer ensemble. Ce que confirmera l’interprétation magistrale, parfaitement en place, de la Symphonie n° 3  d'Albert Roussel, si peu jouée, et pourtant si attractive dans ses rythmes et ses contrastes. Comme celle La Valse de Ravel. Cerise sur le gâteau, Gautier Capuçon livra une sublime vision, à la fois intériorisée et virtuose, de l’élégiaque Concerto pour violoncelle de Saint Saëns. Un concert d’exception qui fait regretter que Lionel Bringuier n’ait pas pris la direction de ce bel orchestre…Ce sera peut-être pour un peu plus tard…

     


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Une première rencontre euphorique.

 

 


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Ce concert marquait la première collaboration entre l’Orchestre de Paris et le chef italien Nicola Luisotti, actuel directeur de l’Opéra de San Francisco, et directeur musical du Teatro di San Carlo de Naples. Un programme ambitieux réunissait des œuvres rarement jouées comme le Concerto pour violon et orchestre de Stravinski, le Capriccio Italiano de Tchaïkovski, et la Symphonie n° 3 de Prokofiev. En soliste, le merveilleux violoniste israélo-américain Gil Shaham, qui poursuit, depuis plusieurs saisons, son exploration des concertos pour violon des années 30, jouait le concerto de Stravinski, composé en 1931, d’une redoutable difficulté, où toutes les possibilités techniques et acoustiques de l’instrument sont exploitées. Gil Shaham, comme à son habitude, en livra une interprétation d’un brio extrême, témoignant d’un grand plaisir de jouer, sollicitant en permanence le chef et les musiciens ravis. Le Capriccio Italiano de Tchaïkovski, composé en 1880, est également une œuvre contrastée, pleine de charme, comme un hymne à l’Italie et à ses couleurs. Nicola Luisotti sembla parfois se perdre dans une gestique quelque peu clownesque. La Symphonie n° 3 de Prokofiev, inspirée de l'opéra  L'Ange de feu, a été composée en 1928. Elle est un des derniers témoignages de l’utopie révolutionnaire finissante, s’inscrivant dans la continuité du motorisme de la Symphonie n° 2, et du ballet Le pas d’acier. Elle fut, en revanche, l’occasion d’une direction appliquée et attentive, rendant compte de la richesse de l’orchestration, et en développant les différents climats, tels que violence, lyrisme, méditation, obsession, attirance fantastique, avant la dissolution finale dans une ambiance cataclysmique, ponctuée de sons de cloches. Une œuvre complexe, qui réalise une difficile fusion entre symbolisme, futurisme et expressionnisme, dans une atmosphère envoûtante et surnaturelle. Elle sembla un peu dérouter le public, malgré la parfaite lisibilité de l’interprétation…Une première rencontre réussie, et euphorique à en juger par le sourire permanent qui ne quitta pas les lèvres du chef italien !

 

 


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Patrice Imbaud

 

 

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L’EDITION MUSICALE

Haut

 

PIANO

 

André Mathieu : Concerto de Québec. L’œuvre pour piano vol. 5. Version abrégée pour piano solo. Anthologie de la musique québécoise. Nouveau Théâtre Musical http://www.laplanteduval.com/NTM_edi.html : NTM 1569.

Nous avons le plaisir de recenser pour la première fois des partitions provenant de cette jeune maison d’édition québécoise.

La version abrégée de ce concerto a été réalisée par le compositeur lui-même. Celui-ci, né en 1929, est disparu prématurément en 1968. Cette composition de 1942 laisse à penser ce qu’était la maturité de ce tout jeune homme. L’œuvre est lyrique et passionnée et sera, espérons-le, au répertoire de nos grands pianistes. Bien qu’il n’ait pu, dans sa courte vie, donner le meilleur de lui-même, les œuvres qui nous restent méritent amplement d’être connues et jouées.

 

 

 

Charley BOURNEL-BOSSON : Répertoire dédié à une petite histoire du Piano. 19 pièces originales, clins d’œil à la musique de la période baroque à nos jours. 1 vol. 1 CD. Van de Velde : VV 402.

Le propos est, au premier abord, assez étonnant, mais se révèle en fait fort intéressant. Souhaitons simplement que ce recueil, qui peut intéresser les amateurs éclairés mais non pianistes grâce au CD inclus, donne envie aux étudiants pianistes de découvrir l’ensemble des différents instruments, des différents styles et des différents répertoires que l’auteur illustre par des « à la manière de » assez réussis. L’auteur laisse le lecteur auditeur interprète sur sa faim, mais c’est volontaire : les « étudiants pianistes à partir de la 4ème année » considèreront peut-être ainsi le déchiffrage non plus comme le pensum obligatoire pour les examens mais comme un parcours-découverte indispensable du répertoire pour un instrumentiste qui veut devenir un vrai musicien…

 

 

 

Emmanuel CHABRIER : Habanera pour piano. Bärenreiter : BA 10839.

On ne peut que se féliciter de cette nouvelle édition d’une pièce fort belle qui a souffert d’une appréciation très injuste de Cortot. On en connait davantage la version orchestrale qui lui est légèrement postérieure. La note : « Transcrite pour le piano » apposée sur sa partition par Chabrier lui-même est trompeuse : elle veut simplement suggérer qu’il s’agirait d’une pièce originale espagnole antérieure transcrite par lui pour le piano.  Préface et notes critiques sont intéressantes. On regrettera seulement que pour une pièce française, l’éditeur ne nous ait pas donné, comme il le fait habituellement, une traduction dans la langue de Molière…

 

 

 

Ludwig van BEETHOVEN : Grande Sonate pathétique en do mineur op. 13. Bärenreiter : BA 10851.

L’intérêt de cette nouvelle édition de la Sonate Pathétique tient à la fois à la qualité de la gravure et surtout aux préfaces, commentaires et fac-similés qui accompagnent le texte. Jonathan Del Mar, qui a procédé à cette édition, a fait appel aux plus récentes recherches musicologiques et permet ainsi aux interprètes de s’approcher au mieux des intentions de Beethoven dans cette œuvre majeure.

 

 

 

Antonin REICHA : 30 fugues pour le piano-forte. Bärenreiter : BA 9541.

Cette édition des fugues d’Anton Reicha est une actualisation et une correction de celle déjà parue en 1973. On sait tout le travail sur la fugue qu’a entrepris ce musicien tchèque naturalisé français en 1829, élu membre de l’académie des Beaux-Arts et qui a eu comme élèves Berlioz, Liszt, Gounod et Franck… Le propos de Reicha est présenté en détail dans la préface. On trouvera aussi au début de l’ouvrage le vibrant poème en hommage à Haydn qu’Anton Reicha a écrit pour figurer en tête de cette œuvre.

 

 

 

Jean-Claude WOLFF : Crépuscules pour piano. Delatour : DLT0783.

Né en 1946, Jean-Claude Wolff est un compositeur aussi original qu’attachant. Ces Crépuscules nous sont proposés sous leur forme manuscrite. Comme il est parfaitement lisible, c’est certainement un choix qui confère à l’interprétation de cette œuvre un caractère particulièrement intime, intime comme cette musique qui parle au cœur. Et non pas « intimiste » : l’ensemble ne manque en rien ni de contraste ni de vigueur. Souhaitons que malgré sa difficulté cette œuvre figure au répertoire de beaucoup de pianistes.

 

 

 

ORGUE

 

Daniel ROTH : Christus factus est pour orgue. Compositeurs Alsaciens vol. 28. Delatour : DLT2117.

Ecrite pour un orgue romantique comportant deux claviers, dont un récit expressif, et pédalier, cette Fantaisie sur le Graduel de la Messe du Jeudi Saint in memoriam Albert Schweitzer est une véritable méditation qui suit de très près l’admirable pièce grégorienne. C’est une œuvre à découvrir absolument, à méditer et à faire partager…

 

 

 

CHŒUR

 

Charles GOUNOD : La liberté éclairant le monde. Réduction pour chœur mixte et piano. Editions du Nouveau Théâtre Musical : NTM 501.

Cette œuvre de 1876 écrite sur une poésie d’Emile Guiard, auteur dramatique, fut composée à l’occasion d’une campagne de financement de la statue de Bartholdi. Ecrite pour chœur d’hommes et orchestre, elle est ici transcrite pour chœur mixte. Exécutée de nouveau en 2004, en même temps que la cantate Fernand, également de Gounod, elle est disponible également dans sa version originale pour chœur d’homme et orchestre aux mêmes éditions (NTM 502 pour le chœur et 503 pour l’orchestre). Œuvre de circonstance, elle n’est pas sans contenir quelques échos de la Marseillaise…

 

 

 

Raymond DAVELUY : Noëls anciens. Vol. 1. Nouvelle édition révisée par l’auteur et augmentée. Chœur à voix mixtes et orgue. Collection : Anthologie de la musique québécoise. Nouveau Théâtre Musical : NTM 2004.

Quel plaisir de retrouver ces neufs noëls dont beaucoup sont trop oubliés aujourd’hui dans leur pays d’origine. Les harmonisations sont à la fois simples et délicates, bien dans la tradition de ces chants joyeux. La partie d’orgue tient pleinement sa part dans le concert : bien loin d’être une réduction des voix, elle forme avec elles comme un commentaire apportant sa note spécifique à l’ambiance générale.

 

 

 

Jean-Jacques WERNER : L’arbre perché pour chœur mixte (SATB) a cappella sur des poèmes de Jean-Luc Moreau. Delatour : DLT0751.

Cette allusion vengeresse à la stupide remarque de Jean-Jacques R. critiquant les fables de La Fontaine, est bien réjouissante, autant que la musique qu’a distillée notre autre Jean-Jacques sur ces délicieux et humoristiques poèmes. Si on ajoute que ces quatre chœurs sont d’un abord facile, on ne peut que conclure que, selon le souhait de l’auteur, ils « apporteront du bonheur à chanter ensemble, gaiement et de vive-voix ! ».

 

 

 

Jean-Baptiste PERGOLESE : Stabat mater. Bärenreiter : Chœur et réduction de piano : BA 7679-90, conducteur : BA 7679.

Cette nouvelle édition se justifie pleinement par les progrès faits ces dernières années dans la connaissance du texte le plus proche possible de la création. Malcom Bruno, qui a réalisé ce travail d’édition, expose ces nouveautés dans une préface et un commentaire critique tout à fait passionnants. On saluera au passage la qualité pianistique de la réduction de piano réalisée par ce même Malcom Bruno pour la partition vocale : outre sa fidélité à l’original, elle est manifestement écrite pour… piano, ce qui n’est pas toujours le cas, hélas !

 

 

 

CHANT

 

Charles GOUNOD : Fernand. Scène lyrique à 3 voix. Premier Grand Prix de Rome – 1839. Nouveau Théâtre Musical : NTM 101.

On ne peut pas dire que le poème du Comte Amédée de Pastoret soit un chef d’œuvre de littérature. On sent d’ailleurs que lui-même ne croit pas trop à cette improbable histoire… Il fallait donc beaucoup de talent à Gounod pour obtenir avec ce texte le Premier Grand Prix de Rome. Mais l’œuvre n’en est pas moins intéressante à découvrir, car la musique vaut beaucoup mieux (comme souvent dans les œuvres lyriques) que le livret. C’est déjà du vrai Gounod, avec toutes les qualités mélodiques et les inventions harmoniques que lui reconnaissait Berlioz. Cette première édition mondiale est présentée fort judicieusement par Jean-Pierre Gounod, arrière-petit-fils du compositeur. Les trois personnages sont Fernand, basse-taille,  Zelmire, soprano et Alamir, ténor.

 

 

 

Ernest CHAUSSON : Huit mélodies inédites. Chant et piano. Première édition mondiale. Nouveau Théâtre Musical : NTM 1200.

Ce ne sont pas des œuvres mineurs que ces huit mélodies sur des poèmes de Maurice Bouchor, Alfred de Musset, Charles Baudelaire (L’Albatros). Jean Richepin et Paul Fort. On appréciera beaucoup les notes biographiques et surtout la notice sur ces œuvres rédigée par François Le Roux, le baryton bien connu, directeur artistique du Centre International de la Mélodie française. Ajoutons que cette édition a été faite d’après les manuscrits originaux. Souhaitons que ces mélodies intègrent très vite les récitals de nos chanteurs.

 

 

 

Lionel DAUNAIS : Quatre poèmes de Paul Fort. Chant et piano. Ton original. Nouveau Théâtre Musical : NTM 1711.

Lionel Daunais est un chanteur, compositeur, metteur en scène québécois né en 1901 et disparu en 1982. On découvrira avec plaisir et intérêt ces mélodies pleines de charme, d’entrain et d’humour, à l’image des poèmes de Paul Fort. Francis Poulenc avait, en son temps, apprécié ces qualités.

 

 

 

Sophie LACAZE : Archéologos I pour voix et support audio. 1 vol. 1 CD. Delatour : DLT1213.

« Archèologos » est une série de courtes pièces pour instrument ou voix solo et support audio. Cette série se base sur des enregistrements effectués lors de chantiers de fouilles archéologiques aux pieds des Pyrénées. Dans « Archèologos I », la voix réagit aux sons collectés sur le chantier de fouilles. On peut y voir des rythmes de danse rituelle. L’ambiance est assez étonnante.

 

 

 

FLÛTE

 

Johann Sebastian BACH : Suite en ut mineur BWV997. Adaptation pour flûte et clavier par Gabriel Fumet. Delatour : DLT0763.

En publiant cette nouvelle adaptation de la Suite en ut mineur, Gabriel Fumet s’attache surtout à compléter les précédentes versions déjà publiées, notamment par une nouvelle répartition des voix de la fugue. On sent dans cette nouvelle édition toute l’expérience du remarquable flûtiste et musicien qu’est Gabriel Fumet, issu d’une lignée de musiciens et compositeurs trop oubliés mais qu’il s’efforce de faire redécouvrir.

 

 

 

Sophie LACAZE : Archéologos II pour flûte basse et support audio. 1 vol. 1 CD. Delatour : DLT2110.

Comme Archéologos I, cette œuvre fait partie d’une série de courtes pièces pour instrument ou voix et support audio. Elle est également basée sur des enregistrements effectués lors de chantiers de fouilles archéologiques aux pieds des Pyrénées. On en appréciera l’ambiance envoutante.

 

 

 

FLÛTE A BEC

 

Thierry BLONDEAU : Interlude. Quatre pièces pour flûte à bec : Jodel, Raksat, Pavillon bouché, Niwa. Dhalmann : FD0244.

Ces quatre interludes ne doivent pas être interprétés à la suite mais sont destinés à être intercalés dans un programme. Il s’agit, puisque nous sommes dans la collection « Musique d’aujourd’hui sur instruments anciens » de musique contemporaine utilisant toutes les ressources de l’instrument. Si Jodel fait référence à la tyrolienne, Raksat, qui signifie « danse arabe » renforce le caractère non tempéré de l’instrument tandis que Pavillon bouché, comme son nom l’indique, fait appel à un jeu tout à fait particulier. Quant à Niwa, jardin en japonais, c’est une évocation de la flûte japonaise en bambou qui porte ce nom.

 

 

 

HAUTBOIS

 

Gaston LITAIZE : Trois Pièces pour hautbois et piano. Delatour : DLT0872.

Ces trois pièces datent de 1937 (et non 1957 comme indiqué semble-t-il par erreur à l’intérieur du recueil). Le catalogue de Gaston Litaize comporte encore de nombreuses œuvres inédites et il faut se réjouir que les éditions Delatour continuent de combler cette lacune. Prélude, Menuet et Finale, telle sont ces trois pièces pleines d’intérêt et qui enrichiront significativement le répertoire du hautbois. Saluons au passage le remarquable travail effectué sur ces pièces par Olivier Latry et Yannick Merlin.

 

 

 

Gilles SILVESTRINI : Cinq Études Russes pour hautbois seul. Delatour : DLT2110.

Destinées aux étudiants confirmés, ces cinq études font suite au six déjà publiées. Hommage à Chostakovitch, Rachmaninov, Scriabine, Prokofiev et Stravinsky, elles ne répugnent pas au pastiche dans une virtuosité redoutable poussant l’instrumentiste et l’instrument à leurs limites extrême. Pour « Etudes » qu’elles se présentent, elles feront bonne figure dans une salle de concert !

 

 

 

CLARINETTE

 

Christine MARTY-LEJON : Berceuse russe pour clarinette sib et piano. Lafitan : P.L. 2208.

« Quand l’enfant vient, la joie arrive et nous éclaire » (Victor Hugo). Cette citation du célèbre poème Lorsque l’enfant paraît… traduit bien l’atmosphère de cette délicate berceuse écrite en forme A-B-A (mineur-majeur-mineur) et aux accents slaves. De niveau préparatoire, elle charmera, espérons-le, ses jeunes interprètes.

 

 

 

Marcel JORAND : Civelle-Mélodie pour clarinette sib et piano. Lafitan : P.L.2473.

Ecrite pour le niveau préparatoire, cette pièce comporte un dialogue entre la clarinette et le piano qui en fait un véritable petit mouvement de sonate. Si on veut que l’imaginaire des interprètes puisse s’exercer, il sera sans doute nécessaire de leur rappeler (ou de leur apprendre) le fabuleux voyage des bébés-anguilles… Il s’agit en tout cas d’une œuvre variée et pleine d’intérêt pour la formation à la musique de chambre.

 

 

 

Claude-Henry JOUBERT : Dagobert a perdu ses clefs ! pour clarinette avec accompagnement de piano. Lafitan : P.L.2373.

De quelles clés s’agit-il ? L’auteur ne nous en dit rien. Mais on pourra se raconter plein d’histoires en interprétant cette pièce pleine d’humour avec des parties très classiques et d’autres où le clarinettiste épanche ses états d’âme sur les accords longs du piano… En résumé, voici une œuvre faussement mélancolique et vraiment réjouissante.

 

 

 

SAXOPHONE

 

André TELMAN : Un vent de liberté pour saxophone alto et piano. Niveau préparatoire. Lafitan : P.L.2444.

Ce vent de liberté souffle vigoureusement sur toute cette pièce variée par ses mesures, ses rythmes, ses nuances et qui se termine par un fortissimo triomphant. Le piano n’a pas une part négligeable dans ces vigoureux et souvent poétiques élans.

 

 

 

Jean-Michel TROTOUX : L’infini pour saxophone alto et piano. Niveau moyen. Lafitan : P.L.2399.

D’abord soutenu par des croches, puis par des doubles croches avant de l’être par des triolets, le saxophone s’élance vers l’infini dans des phrases lyriques et berçantes par leur rythme répétitif pour aller vers les sommets, puis laisse quelque temps son partenaire chanter en l’accompagnant à son tour par des triolets. Voici une fort jolie pièce qui demandera aux interprètes beaucoup d’écoute et d’expressivité.

 

 

 

TROMPETTE

 

Pascal PROUST : Cornet surprise pour cornet en sib (ou trompette en ut ou sib) et piano. Sempre più : SP0038.

Pascal Proust nous offre une mini-sonate en trois mouvements : un C à l’allure un peu syncopée, brillant et joyeux, un Adagio où le charme de l’interprète pourra s’exprimer ainsi que sa capacité à faire de belles phrases. Quant au troisième mouvement, c’est une valse entrainante et triomphante en même temps qui se termine en apothéose. La pièce est écrite pour un niveau 2ème cycle.

 

 

 

Max MÉREAUX : Bluette pour trompette ou cornet ou bugle et piano. Préparatoire. Lafitan : P.L.2411.

Cette jolie pièce au début un peu mélancolique se termine par une page en majeur qui semble indiquer que la supplique du galant a été entendue. Une cadence ponctue cette pièce délicate tout en finesse autant pour le trompettiste que pour le pianiste.

 

 

 

Jérôme NAULAIS : A la recherche de Franz pour trompette ou cornet ou bugle et piano. Préparatoire. Lafitan : P.L.2435.

Quel Franz ? Certainement pas Liszt. Alors, devinez… La pièce se déroule comme un lied à la fois mouvementé et poétique qui demandera aux interprètes de faire la preuve de leur sens de la musique et du phrasé. Il leur demandera aussi une écoute mutuelle : de quoi les former bien agréablement à la musique de chambre.

 

 

CONTREBASSE

 

Pascal PROUST : Un accent grave pour contrebasse et piano. Sempre più : SP0037.

Cet « accent grave » est plein de tonicité et d’humour. A la treizième mesure, on a même l’impression qu’il va évoquer « Les gars d’Ménilmontant » toujours remontants. Seul l’auteur pourrait nous dire si la citation est volontaire ou non… Bref, pianiste et contrebassiste devraient prendre beaucoup de plaisir à cette pièce qui n’est difficile pour aucun des deux interprètes.

 

 

 

PERCUSSIONS

 

Bruno GINER : Mémoires de Peaux pour six percussionnistes. Dhalmann : FD0358.

Cette œuvre pour six percussionnistes utilise les instruments à peaux de base : toms échelonnés, bongos, caisses claires et grosses caisses. C’est une œuvre difficile créée à Montréal en novembre 2011 par l’ensemble dédicataire Sixtum. Elle utilise tous les procédés mis en œuvre habituellement par son auteur, notamment la spatialisation.

 

 

Daniel Blackstone

 

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LE COIN BIBLIOGRAPHIQUE

 

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François-Henri-Joseph CASTIL-BLAZE : Histoire de l'opéra-comique. Ouvrage présenté par Alexandre Dratwicki et Patrick Taïeb. Editions Symétrie & Palazzetto Bru Zane, Centre de musique romantique française, collection Symétrie Recherche, 2012, 1Vol 24x17 cm, 339 p. 47 €.

Cet ouvrage étudie le genre, et non l'institution. Encore que l'histoire du premier se confonde avec l'évolution de la seconde. Castil-Blaze (1784-1857), était un critique musical influent et un historien de la scène lyrique française. Après l'opéra et le théâtre italien, son attention devait se porter sur l'opéra-comique, des prémisses, le théâtre de foire, au vaudeville, qui cédera la place à l'opéra-comique, et s'illustrera dans des lieux tels que la Comédie italienne, l'Opéra Comique, ou le Théâtre de Monsieur. Le Bal bourgeois de Favart, sera, en 1738, une des premières de ces « pièces composées exprès par des auteurs d'un talent reconnu », à couplets sans accompagnement d'orchestre, car « quelques archets donnaient le ton à l'acteur qui gouvernait l'air à sa fantaisie ». L'histoire se décline jusqu'en 1837, le manuscrit restant inachevé. On y croise Zémire et Azor, comme Zampa, ou encore L'Amant jaloux, titres récemment tirés de l'oubli par l'actuelle direction de l'Opéra Comique ! L'intérêt du livre est de restituer un texte demeuré dans les bibliothèques spécialisées, en une édition moderne, moyennant quelques corrections, une adaptation de la ponctuation, souvent aléatoire chez Castil-Blaze, et un travail scientifique complémentaire, permettant de le resituer dans une perspective plus générale. Un texte à bien des égards irremplaçable, même si parcellaire. Sait-on que l'opéra-comique, tout comme les autres spectacles dramatiques, puise à une origine commune : la religion. Les mystères médiévaux, la pantomime, étaient déjà des opéras-comiques, où le dialogue parlé se mêle au chant et à la danse. Même si cet improbable mélange « tourmente, cahote, écorche notre oreille par l'adoption de deux langages incompatibles ». On reste stupéfait par le luxe de détails sur les œuvres, leurs caractéristiques, mais aussi par le récit menu des faits et gestes pittoresques qui en accompagnent la première exécution, de l'auditoire, des interprètes. Castil-Blaze n'a pas de mots trop durs, par exemple, pour le trial, du nom de son premier interprète, sorte de ténor très aigu, exécutant des rôles bouffes, et « glapissant à côté des ténors », ruinant de ce fait l'édifice harmonique, au détriment du registre de basse. C'est que la langue est vive, libérée dirait-on aujourd'hui, le vocabulaire fort achalandé, le trait acéré. Les descriptions croustillantes de spectacles de foire le cèdent à peine aux commentaires peu amènes sur les auteurs. Et haro sur le parolier et ses misérables versicules, responsables de ce que la musique française est réputée inchantable et son texte littéraire incompréhensible ! Que dire encore de l'autorité de décision qui, « toutes les fois qu'il s'agit de produire un drame lyrique », accumule « accrocs, barrages, arguties, empêchements, querelles, embargos, chicanes, blocus, chaînes, carcans, inhibitions et défenses, ignobles taquineries, perfidies stupides ». Ce texte foisonnant cache la modernité certaine des conceptions esthétiques de l'auteur, vilipendé par certains, dont Berlioz, porté au nues par d'autres. Des index des personnes, des œuvres, des incipit, des lieux et institutions, enfin des notions, ajoutent à l'attrait de l'ouvrage.

 

Jean-Pierre Robert

 

 

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CDs et DVDs

 

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Johann GRABBE : Madrigals. 1CD CPO (Lübecker Str. 9 – D 49124 Georgsmarienhütte) :  CPO 777 662.  TT : 77’ 34.

L’Ensemble Weser-Renaissance (Brême), évoluant depuis 1993 non seulement autour du fleuve (la Weser) mais bien au-delà, a acquis, grâce à Manfred Cordes — musicien d’Église, chanteur, musicologue spécialisé dans la musique religieuse des XVIe et XVIIe siècles — une réputation internationale reconnue de longue date. La présente réalisation est particulièrement originale : elle permet de découvrir Johann Gottlieb Grabbe (1585-1655), né la même année que Heinrich Schütz, dont M. Cordes est aussi l’ardent défenseur.

Déjà à l’âge de 11 ans, J. G. Grabbe est membre du Chœur de la Cour de Bückeburg ; formé par Cornelius Conradus, il lui succèdera comme organiste. Il obtient une bourse d’études auprès de Giovanni Gabrieli, à Venise où il publie son recueil : Il Primo Libro de Madrigali A Cinque Voci (1609). De retour dans son pays, il y est organiste, gambiste et vice-maître de chapelle, puis premier maître de chapelle à la Résidence princière. Ce programme de 24 pièces comporte des Madrigaux italiens extraits du Premier livre ; il symbolise l’Italie dans l’espace géographique de la Weser, ainsi que des pages instrumentales.

L’Ensemble Weser-Renaissance comprend 2 Sopranos, 1 Alto, 2 Ténors et 1 Basse, ainsi que 2 violons, 2 violes de gambe, Dulzian, harpe et orgue positif. Les œuvres instrumentales s’inspirant de la danse sont intitulées : Intrada (entrée solennelle cultivée notamment en Allemagne dès le XVIe siècle), Canzon a 4 (sur le modèle de Gabrieli), Paduana a 5 (Pavane, danse de cour pratiquée en Italie dès 1508), mettant les sonorités des instruments anciens en valeur. Les sujets des Madrigaux sont essentiellement l’amour, quelque peu dans la mouvance du Cantique des Cantiques, mais aussi la fidélité, la mort, la douleur, les larmes, les soupirs... J. G. Grabbe fait appel au style note contre note pour une meilleure intelligibilité du texte, aux entrées successives pour créer une certaine animation, aux dissonances et chromatismes de tension pour évoquer la misère, les larmes, la langueur (Ahi, misera mia vita). L’interprétation s’impose par la justesse et la pureté des voix, la plénitude vocale (Viva fiamma del seno), la transparence des lignes mélodiques (Felici amanti), la profondeur de l’expression (Cor mio, deh, non languire). Une excellente réalisation de plus à l’actif de Manfred Cordes.

 

 

« Früheste Orgelmusik bis J. S. Bach ». 1CD SYRIUS (Distribution  CODAEX): SYR 141459. TT : 70’ 57.

Helga Schauerte, organiste titulaire de l’Église Allemande (Paris), a, pour son dernier disque (2012) — bref panorama de la musique d’orgue des origines à J. S. Bach —, retenu l’instrument de l’Église abbatiale d’Oelinghausen (en Westphalie) fondée en 1174. Les œuvres enregistrées se situent entre 1599 et 1717, allant du Bicinium de Caspar Othmayr à celui de J. Ph. Telemann. La première partie regroupe, en outre, deux pièces dont une Estampie (extraite du Robert’s Bridge Codex) qui, avec A Hornepype de Hugh Aston (v. 1485-1558) constituen le volet anglais. L’Allemagne est représentée par deux danses : Der Zeuner Tanz (Danse des Tziganes) et Der Judentanz (Danse des Juifs) de Hans Neusiedler, ainsi que par la Toccata in e de J. Pachelbel et le Praeludium in e de Nicolaus Bruhns.

La deuxième partie, particulièrement intéressante, est conçue dans une optique comparative autour de la mélodie Vater unser im Himmelreich (Notre Père), d’après la paraphrase de Martin Luther. Ce cantus firmus bien connu est traité par C. Othmayr, J. Decker comme un choral, et par Jakob Praetorius en 7 versus (versets) pour claviers, claviers et pédalier, puis par D. Buxtehude, G. Böhm, J. Ph. Telemann et, surtout, J. S. Bach dans ses brefs Préludes de Choral pour orgue BWV 245/5, 636 et 737.

Ce disque bénéficie de l’excellent enregistrement de Bernard Neveu ; de la solide technique de H. Schauerte, de son remarquable sens du rythme (Danses, plages 6-10), de son phrasé précis et de la clarté de la structure. Représentant à la fois un document sonore historique et comparatif, ce disque a sa place dans toute discothèque de mélomane et d’organiste.

 

 

« Trésor de joie ». 1CD JADE (www.jade-music.net ) : 699772-2. TT : 45’ 10.

La Cathédrale Notre-Dame de Strasbourg possède son école maîtrisienne qui renoue avec la tradition de l’« office cathédral » remontant au IVe siècle. Affiliée à la Fédération Française des Petits Chanteurs, elle assure l’animation liturgique lors de nombreuses célébrations ainsi que des stages, des voyages et des enregistrements. Depuis 2009, elle est dirigée par Cyprien Sadek, disciple d’Ariel Alonso et de Dominique Vellard, entre autres. La présente réalisation concerne la musique religieuse du XXe siècle, avec 17 pièces, entre autres de : P. de Bréville, A. Caplet, Fr. Poulenc, M. Duruflé, J. Langlais, J. Alain, d’esthétiques très différentes à la fois très simples mais aussi très complexes, peu importe, car ces chanteurs sont rompus aux divers styles contemporains. La Fantaisie-Hommage à Frescobaldi (plage 5) de Jean Langlais est très bien enlevée à l’orgue et avec virtuosité par Gilberto Scordari. Pierre Onfroy de Bréville (1861-1949), musicien lorrain, est représenté par les Kyrie, Gloria, Sanctus, Benedictus, Agnus Dei bénéficiant des voix cristallines, pures et homogènes des jeunes choristes. À signaler un hommage local à l’ancien Directeur du Conservatoire de Strasbourg (après la Première Guerre mondiale), puis de l’Orchestre Philharmonique : Guy Ropartz qui a mis en musique la prière d’Henri Perreyve : Vierge Sainte (plage 3) ; une brève introduction à l’orgue sensibilise les discophiles à l’atmosphère discrète et mystérieuse, avec des inflexions mélodiques si typiques de Ropartz, un débit assez étal, très bien rendue par les excellentes voix si bien formées. À noter également le musicien alsacien : Pascal Reber, né en 1961, organiste titulaire du Grand Orgue Kern de la Cathédrale et compositeur d’œuvres pour orgue, chœur, piano, musique de chambre, dont l’Ubi caritas (plage 15) particulièrement émouvant, est d’un modernisme quasi classique avec une facture mélodique recherchée. Tous les interprètes contribuent largement au rayonnement liturgique et artistique de la Cathédrale de Strasbourg.

 

 

Édith Weber

 

 

Jean Sébastien BACH « Sonates & Partitas pour violon seul, volume 2 » : Sonata I BWV 1001, en sol mineur. Partita I, BWV 1002, en si mineur. Sonata II, BWV 1003, en la mineur. Isabelle Faust, violon. 1 CD Harmonia Mundi : HMC 902124. TT.: 60'22.

Les « Sei Solo â Violino senza Basso accompagnato » sont un de monuments de la musique. La fascinante beauté architecturale, la grande maîtrise de la forme, à l'intérieur d'un processus auto limité, sont synonymes de liberté, de jaillissement  inépuisable. On a pu dire que dans ces pièces, « le violon est moins utilisé comme instrument à mélodie chantante que comme interprète de l'expression harmonique et polyphonique » (Karl Geiringer), Bach utilisant pour le violon, comme il le fera aussi pour le violoncelle, dans ses Suites, des procédés techniques déjà expérimentés au clavier. Ces pièces offrent autant de difficultés à l'interprète qu'elles sont exigeantes pour l'auditeur, dont elles requièrent une extrême attention, pour ne pas dire qu'elles en sollicitent l'imagination : le triomphe de l'esprit sur la matière. Finalement, selon Isabelle Faust, « c'est le cheminement lui-même qui est le but ». Pour les revisiter, en l'occurrence les Sonates I et II, et la première Partita, elle s'en est retournée aux sources même du manuscrit, « un monde de beauté et de perfection calligraphiques...une œuvre d'art semblable à une cathédrale ». Sa vision ménage un équilibre parfait entre tension et sérénité. Les Sonates I et II, BWV 1001 et 1003, adoptent la forme de la sonate d'église, en quatre mouvements, selon le schéma lent-vif-lent-vif. La fugue, placée en deuxième position, est introduite par le prélude que constitue l'Adagio initial de la Sonata I (ou le Grave de la Sonata II). Dans cette dernière pièce, l'andante requiert de l'interprète qu'il dissocie ce qui ressort de la cantilène et de la basse figurée. La pulsation du presto final de la première Sonate est, avec Isabelle Faust, habitée d'une allégresse intérieure, et l'allegro de la deuxième Sonate, sorte de perpetuum mobile, livre d'étonnants traits grisants. La première Partita, BWV 1002, de ses huit mouvements, en fait ceux d'une suite en quatre parties, dont chacune est elle-même doublée, est un parangon de subtilité expressive. Là encore, la riche texture harmonique déploie un monde sonore inouï. La « Corrente » (Courante) dépasse de loin la véloce virtuosité, pour bondir d'une incroyable légèreté. Et on admire la souplesse du contrepoint, et la finesse des transitions, telle celle entre la Sarabande et son « Double ». La plénitude sonore, presque charnue, achevée par la violoniste, de son stradivarius « La belle au bois dormant », est tout simplement magique. Voici, en tout cas, l'indispensable et digne successeur du volume 1, regroupant les Partitas II et III, et la Sonate III, BWV 1004-1006, publié en 2010 (HMC 90 2059). Pour l'île déserte !         

 

 

« Clarinet classica ». Félix MENDELSSOHN : Concertstück op. 113 & op. 114, pour clarinette, cor de basset et piano. Geog Philip TELEMANN : Concerto en ré mineur pour deux clarinettes (chalumeaux ), quatuor à cordes et clavecin. W.A. MOZART : 4 Duos pour clarinette et cor de basset, KV 487,  Quintettsatz en fa majeur, K 580b, pour clarinette et cor de basset. Franz KROMMER : concerto pour deux clarinettes, op. 35. Philippe Berrod, Calogero Palermo, John Kruze, Michel Lethiec, Olivier Derbesse, clarinette/cor de basset. Olivier Triendel, piano. Trio et quatuor à cordes, membres de l'Orchestre de Paris. Catherine Latzarus, clavecin. 1CD Cristal records classique : CRC 1007. TT. : 63'11.

Cet intéressant CD illustre combien est attractif le répertoire de la clarinette, le plus jeune des instruments à vent de l'orchestre classique. De Mozart, qui lui a donné ses lettres de noblesse à Mendelssohn, l'illustrant de manière fort plaisante, cette anthologie ne déçoit pas, surtout jouée par d'éminents musiciens, dont plusieurs issus de l'Orchestre de Paris. Surtout, l'instrument et décliné dans ses diverses acceptions, dont le chalumeau, ou ce qui s'en rapproche en facture moderne, ou encore la petite clarinette. Ainsi le concerto pour deux clarinettes (chalumeaux) de Telemann, de 1730, transcrit ici dans une version pour quatuor à cordes et clavecin. Cette réduction permet aux deux solistes de déployer une douce sonorité dans les parties lentes, et de faire montre, dans les mouvements rapides, d'un ton vif et entraînant. Franz Kommer (1759-1831), contemporain de Mozart, est tout autant explicite dans son concerto pour deux clarinettes. Écrit selon la coupe classique en trois parties, on y savoure une belle faconde thématique, magnifiquement illustrée par les deux présents solistes, jouant en répons, à moins que les phrases ne s'imbriquent les unes dans les autres, comme si les protagonistes ne faisaient qu'un. Cela roucoule, tel le face à face de deux voix humaines, élégiaques ou enjouées. Bien sûr, Mozart est immanquable ici, quoique représenté par des œuvres plus rares que le quintette ou le concerto pour clarinette. Des 12 duos pour deux cors de basset, quatre sont offerts, joués pour clarinette et cor de basset, dont un beau larghetto, d'harmonie maçonnique. Le Quintettsatz KV 580 b, pour clarinette et cor de basset, et trio à cordes, propose un harmonieux dialogue entre le « grand frère » qu'est le second par rapport à la première. Enfin, les deux Concertstück (pièce de concert) de Mendelssohn, op 113 et op 114, écrits en 1832, à l'intention du compositeur interprète Carl Baermann et de son père Heinrich, sont des plaisanteries musicales, amusantes et pleines de charme. Sans prétention, elles sont aussi courtes que brillantes. Toutes ces pièces sont jouées avec tact, emphase et joie, par un brelan de clarinettistes talentueux, agréablement accompagnés.

 

 

Bela BARTÓK : concerto pour violon N°2 . György LIGETI : concerto pour violon. Peter EÖTVÖS : Seven. Patricia Kopatchinskaya, violon. Frankfurt Radio Symphony Orchestra. Ensemble Modern (Ligeti), dir. Peter Eötvös. 2CDs Naïve : V 5285. TT.: 89'. 

Deux artistes engagés nous entraînent dans un passionnant voyage au cœur de la  Transylvanie. C'est dans cette contrée roumaine, où les influences hongroises ont toujours été très présentes, que Bartók a mené ses recherches d'ethno musicologie, et que sont nés les compositeurs György Ligeti et Peter Eötvös. Ce dernier et la violoniste Patricia Kopatchinskaya ont eu la bonne idée de rapprocher trois pièces violonistiques représentatives  Avec son Concerto pour violon N° 2, Bartók écrit l'une de ses pièces les plus spectaculaires, de proportions quasi symphoniques. Créé en 1939, par son dédicataire, Zoltàn Szekely, quatre ans après le Concerto de Berg, il s'en rapproche par sa facture générale foisonnante et l'utilisation de la série des 12 notes de la gamme chromatique. Il s'en distingue, bien sûr, par son esprit éminemment hongrois, à travers une rythmique assurée, apparente dès l'allegro initial. S'y mêle une thématique calme et lyrique. Ces deux aspects trouvent leur résolution dans une cadence aux mélismes expressifs, et d'une grande aspérité technique. L'andante tranquillo, en forme de lied, introduit par le soliste, est constitué de sept variations d'intensité différente et de tempos variés. Tout Bartók est là, tour à tour enjoué et méditatif. Le finale s'ébroue de nouveau de rythmes d'une vitalité presque sauvage, qu'interrompent de brèves sections expressionnistes, poussées jusqu'à l'extrême par Kopatchinskaya. Là comme ailleurs, la violoniste ne cherche pas à amoindrir la rugosité, et joue à fond le ton populaire, maniant aplomb et intimité. Le Concerto pour violon de Ligeti, créé en 1992, sous la direction de Peter Eötvös, est écrit pour un petit ensemble de 23 musiciens. Ses cinq sections, selon le schéma rapide-lent-rapide-lent-rapide, nous immerge dans des mondes sonores différents. Les deux parties lentes révèlent une profondeur d'accent quasi religieux, le soliste évoluant parmi les accents curieux de la flûte lotus, dans l'Aria-Choral, ou au sein d'éclatements orchestraux dans la Passacaille, laissant ici au violon le devoir de s'imposer par des traits volontairement agressifs. Les arabesques inouïes du soliste, dans l'intermezzo central (« presto fluido »), brochent sur un tissu orchestral tout sauf aisé. Et le finale est époustouflant, notamment lors de la cadence, d'une diabolique virtuosité, laissant loin derrière elle celles hautement capricieuses d'un Paganini. Patricia Kopatchinskaya n'est nullement intimidée par cette effarante difficulté. Enfin, Seven, ou « Memorial for the Columbia Astronauts », destiné à commémorer l'accident de la navette Columbia, créé sous la direction de Boulez, au Festival de Lucerne 2007, est articulé en deux phases : une première partie animée, renfermant quatre cadences du violon, aux sonorités voilées, voire orientalisantes par un recours à un ample vibrato de l'instrument ; et une section plus réflexive, ouvrant un espace sonore encore plus vaste, inter sidéral presque, quoique traversée de violents clusters d'orchestre. L'autre caractéristique de l'œuvre réside dans son aspect formel : elle est  constituée de 7 groupes d'instruments, le soliste étant soutenu par six autres violons, eux-même répartis dans l'auditorium, et une importante section de percussions, le métallophone en particulier, dont les longues résonances établissent un climat envoûtant. La prestation de Kopatchinskaya est, là encore, impressionnante, en particulier lors de la péroraison méditative, l'intensité diminuant jusqu'au quasi silence.

 

 

Claude DEBUSSY : Quatuor à cordes en sol mineur, op. 10. Maurice RAVEL : Quatuor à cordes en fa majeur. Quatuor Talich. 1CD La dolce volta : LDV08. TT.: 52'59.

Ce couplage de quatuors français est un challenge. Les Italiano, hier, ont été une référence, et les Ebène, récemment, s'y sont révélés excellents. Le Quatuor Talich n'est pas moins passionnant. Cette formation, fondée en 1964, par Jan Talich, en est à sa deuxième génération, emmenée par son fils, Jan Talich junior, avec une équipe renouvelée. Leur vision du quatuor de Debussy, une œuvre de la première manière, écrite en 1872, est limpide, n'hésitant pas à accélérer dans le premier mouvement, « animé et très décidé ». Les effets de rétrogradation et de modulation n'en sont que plus éloquents. Si la rythmique du deuxième mouvement est sans concession, avec de superbes pirouettes de l'alto, l'andantino, marqué «  doux et expressif », n'est, ici, pas un vain mot, tant la poésie affleure à chaque inflexion. Le deuxième sujet, introduit par l'alto, s'enlace tendrement sur le balancement des trois autres voix. Là encore, la légère accélération est bénéfique. Comme le refus de toute sollicitation. Une pointe de mélancolie ne messied pas dans les premières mesures du finale, qui tranche avec la manière décidée qui va suivre, préférée, comme souvent, au « très modéré » marqué par l'auteur. Quoique le cheminement soit plus nuancé qu'il n'y paraît. Le quatuor de Ravel frappe par son évident équilibre : une approche sincère dans le moderato, qui révèle un charme un brin théâtral, notamment lors des passages ou violons et alto jouent en trio, d'un doux balancement. Au deuxième mouvement, « assez vif et très rythmé », les pizzicatos introduisent une danse fière, en même temps d'une extrême souplesse dans son expression chaloupée. Le second thème lyrique est abordé très chantant, faisant fonction du trio au milieu d'un scherzo, ses effets impressionnistes délicatement ménagés. La beauté mélodique du « très lent » ne le cède en rien à une rigoureuse construction interne. La justesse de ton est confondante : évitant le pathos, la ligne progresse naturellement, épousant les diverses séquences accidentées d'un parcours génial. L'attaca du « vif et agité » conclusif  contraste, dégageant l'énergie intérieure d'un discours resserré. Le geste se fait de plus en plus urgent, la pulsation presque rugueuse dans les forte, avant que l'ultime presto ne s'installe. Là comme ailleurs, les Talich saisissent le cœur de l'idiome gallique, et la plasticité instrumentale, dominée par la franche ligne du 1er violon et la sonorité envoûtante de l'alto, est admirable. Ils ont captés par une prise de son claire, suprêmement équilibrée, même si un brin résonnante. 

 

 

Igor STRAVINSKY : L'Oiseau de feu. Le Chant du rossignol. Transcriptions pour piano. Lydia Jardon, piano. 1CD AR RE-SE : .TT. : 63'15.

En dehors des Trois mouvements de Petrouchka, et de quelques courtes pièces, Stravinsky a peu écrit pour le piano solo. Mais il a commis des transcriptions de pièces d'orchestre, dont celle de L'Oiseau de feu. En fait, l'œuvre a été couchée sur le papier, en 1910, d'abord dans une version pianistique, sans doute pour aider les danseurs dans leur travail de préparation. Son fils Soulima transcrira aussi pour l'instrument, en 1973, trois des mouvements du ballet. Lydia Jardon a puisé à ces deux sources, qu'elle a unies dans sa propre version, destinée à être exécutée en concert. Enhardie par l'intérêt suscité, elle l'a ensuite gravée. Le résultat est, au-delà du tour de force, proprement révélateur. « Une musique solaire et régénératrice », dit-elle. Certes. Et c'est un quasi orchestre que l'on entend, au fil de traits incandescents ou d'un lyrisme habité. Le recours au spectre le plus large possible du piano traduit, avec une rare justesse de ton, les divers climats de la pièce, la fluidité du discours, comme les changements brusques de séquences ou les transitions quasi fusionnelles. La polyphonie, si dense, de la version orchestrale est restituée, non pas en usant de la technique du re recording, mais par les seules deux mains, moyennant un travail de compression du matériau et un usage extrêmement modulé de la pédale. Ce qui conduit à un nécessaire décalage, réduisant légèrement le timing de la pièce. Dans ce que l'interprète qualifie de « musique solaire et régénératrice », la magie envoûtante ne perd nullement ses droits. La « Danse infernale », dans la version de Soulima, préférée à celle d'Igor Stravinsky, est incandescente, avec un formidable travail de la main gauche (comme le montrait un concert donné récemment à l'Institut Goethe). Et les accord finaux de « l'Allégresse générale », de son judicieux balancement de volées de cloches, s'avère d'une force peu commune. Lydia Jardon a choisi d'ajouter Le Chant du rossignol, dans la transcription, là encore de Stravinsky, de la version pour orchestre. L'expérience est tout aussi fascinante, voire même plus étonnante encore, tant la maîtrise de la mécanique rythmique en perpétuel changement est asservie à une rigueur extrême du tempo. Là encore, la rutilance sonore n'est pas moindre qu'à l'orchestre. La poétique du thème mélancolique de l'oiseau prend une coloration troublante. Le « jeu du rossignol mécanique » livre une gymnastique ardue, et la péroraison, si bien chantante, est emplie de mystère. Voilà un quasi idéal complément ! On est subjugué par ce que Lydia Jardon appelle, avec humilité, « une virtuosité sereine », éminemment mise en lumière par  l'instrument joué, un piano japonais Shigeru Kawai, clair dans le médium et dépourvu d'épaisseur dans le grave, loin du son clinquant du clavier de la firme de Hambourg. Un disque  rare !   

 

 

Georges ENESCO : Intégrale des œuvres pour violon et piano. Sonates pour  piano et violon N° 1, en Ré majeur, op.2, N°2, en fa majeur, op. 6, N° 3, en la mineur, op. 25, « dans le caractère populaire roumain ». Sonate Torso, en la mineur, op. Posthume. Impressions d'enfance, op. 28. Amiram Ganz, violon, Alexandre Paley, piano. 2CDs Saphir Productions : LVC 1114. TT.: 70'10+58'.

Violoniste virtuose, Georges Enesco a composé pour son instrument diverses pièces de chambre, toutes de belles proportions. Créée en 1898, par l'auteur, et Cortot au piano, la Sonate N° 1 se situe dans l'orbite des romantiques : deux allegros, l'un fougueux mais aussi chantant, l'autre vif et fugué, aux accents brahmsiens, encadrent un quasi adagio, dont les inflexions au violon déploient un bel ambitus, déjà tourné vers le futur. La deuxième sonate, de 1899, dédiée à Jaques Thibaud, ouvre de nouveaux horizons. « A dater de cette sonate, je fus moi-même » dira-t-il à Bernard Gavoty ( in « Les souvenirs de Georges Enesco », Flammarion). La première séquence, marquée « assez mouvementé » est fantasque par la ligne sinueuse du violon, sur un accompagnement prolixe du piano. Le « tranquillement » qui suit, évoque la tradition populaire des lautari, ces violonistes ambulants de Moldavie, et leurs mélopées mélancoliques. Enfin, le « vif » tranche par sa verve et sa liberté rythmique. La Sonate N° 3 (1926), « dans le caractère populaire roumain », exactement contemporaine de la deuxième de Bartók, passe pour un des chefs d'œuvre du genre au XX ème. Elle utilise la gamme des lautari, intégrant quarts de ton et formules mélodiques ornementées, pour mettre en relief une cadence médiane. Le « moderato malinconico » réserve une étonnante fluidité des deux instruments, le violon notamment, à travers des mélismes roumains, où le violon sonne quasi tzigane. Au maestoso, le violon suraigu, rappelant la petite flûte roumaine, et le piano, avec force pédale, imitant le cymbalum, évoquent les contrées de Moldavie, par une métrique preste et une harmonie allusive. Le finale, bardé de rythmes de danses rustiques, déborde de vie, quoique y pointe quelque mélancolie. La Sonate dite Torso, inachevée, de 1911, hésite entre influence brahmsienne, là encore, et improvisation chaotique, où domine l'étrangeté. Ces pièces bénéficient d'exécutions très pensées. Par ses origines moldaves, le pianiste Alexandre Paley ressent cet idiome comme personne, et Amiram Ganz, chambriste reconnu, est un archet éloquent. Ils illuminent tout autant les « Impressions d'enfance » (1940), ultimes pièces de chambre confiées au violon par l'auteur d'Oedipe. Ces dix vignettes, jouées d'un seul tenant, certaines par le seul violon, sont des évocations de la vie domestique, où Enesco porte un regard attendri sur sa jeunesse. Le musicien revient à une écriture plus sage, simplifiée, mais combien habitée, d'une suprême poésie raffinée. Dans le ton de la musique française, qu'il chérissait tant.      

 

 

Dmitri CHOSTAKOVITCH : Symphonie N° 7, en ut majeur, op. 60, « Leningrad ». Mariinsky Orchestra, dir. Valery Gergiev. 1 CD Mariinsky : MAR 0533. TT.: 82'.

La 7 ème symphonie, dite « Leningrad », occupe une place particulière parmi l'ensemble des 15 œuvres symphoniques de Chostakovitch. Composée, pour ce qui est de ses trois premiers mouvements, en 1941, durant les premiers mois du siège de la ville, dans laquelle le musicien était resté, malgré ses efforts pour rejoindre l'armée, elle sera achevée peu après, à Kouïbychev, sur les bords de la Volga, où il avait été évacué par les autorités. Ses vastes proportions témoignent de l'ambition du dessein, un hymne à la résistance contre le nazisme. Sa création, dans cette ville, puis à Leningrad, en août 1942, en plein blocus, sera un triomphe attendu. Lequel se prolongera des années durant, en Union soviétique et partout dans le monde. Si la réappréciation contemporaine a tendance à la situer moins haut, par rapport à d'autres pièces symphoniques du maître, Valery Gergiev lui redonne assurément son lustre, dans cette nouvelle interprétation captée live, en juin 2012, à Saint Saint-Pétersbourg. Dans l'immense mouvement initial, le second thème, dit « de l'invasion », lui-même largement développé, est abordé pppp, et s'enfle au fil de diverses variations, pour atteindre un terrifiant crescendo, vrai appel à la résistance. Le douloureux solo de basson, en forme de requiem, est impressionnant, que relaie une belle courbe lyrique, en guise de péroraison. Le moderato suivant, sorte de scherzo, ne sombre pas dans le motorique d'autres compositions du même genre. Un « intermezzo lyrique, très tendre » dira l'auteur. Gergiev le suit au pied de la lettre, n'hésitant pas à ralentir le débit, et allier lent et piano. Avec lui, l'adagio a rarement autant fait figure d'hymne de foi dans l'homme. L'optimisme des accords des cordes, façon JS. Bach et du solo de flûte, le grand climax de rythmes syncopés, typiques, l'intensité de la dernière séquence, tout cela est bouleversant. On admire l'amplitude sonore extrême, en particulier dans le finale. L'originalité de ce dernier est d'introduire un nouveau matériau musical et des idées inédites, dont une sarabande. Une extrême tension unit l'épique et le méditatif, où l'on retrouve quelques réminiscences de l'opéra Lady Macbeth de Mtzensk. La fière apothéose conclut un geste qui a dû donner chaud au cœur de l'auditoire, lors de la première exécution pétersbourgeoise. Elle dispense tout autant le grand frisson, à l'écoute de cette magistrale exécution. L'enregistrement, d'une grande présence dans l'infiniment discret comme dans le déchaînement démonstratif, magnifie la plasticité d'un orchestre que le chef a conduit au premier rang des grandes phalanges mondiales. Ce qui  place cette version au-dessus de celle qu'il a réalisée, il a quelques années, avec l'Orchestre de Rotterdam combiné à celui du Kirov.

 

 

« Martha Argerich Lugano concertos » . WA. MOZART : Concerto pour trois pianos,  K 242, « Lodron ». Ludwig van BEETHOVEN : Concertos N° 1, op. 15 & N° 2, op. 19. Robert SCHUMANN : Concerto pour piano, op. 54, en la majeur. Franz LISZT : Concerto pour piano N° 1, en mi bémol majeur. Béla BARTÓK : Concerto pour piano N° 3, Sz 119. Igor STRAVINSKY : Les Noces. Serge PROKOFIEV : Concertos N° 1, op. 10 & N° 3, op. 26. Francis POULENC Concerto pour deux pianos. Darius MILHAUD : Scaramouche, suite pour deux pianos, op. 165b. W A. MOZART : Andante et Variations pour quatre mains, K 501. Franz SCHUBERT : Divertissement à la hongroise, pour piano à quatre mains, D 818. Johannes BRAHMS : Liebeslieder, op. 52, pour chœur et piano à quatre mains. Martha Argerich, piano. Avec Alexander Gurning, Paul Gulda, Rico Gulda, Akane Sakai, Alexander Mogilvesky, Gabriela Montero, Julia  Azaichkina, Karin Merle, piano. Coro della Radiotelevisione svizzera. Orchestra della Svizzera italiana, dir : Diego Fasolis, Gabriel Chmura, Alexander Rabinovitch-Barakovsky, Erasmo Capilla, Alexander Verdernikov, Ion Marin, Charles Dutoit. 4CDs Universal DG : . TT: 79+75+76+73' environ.

Voici qui sort des sentiers battus : loin des intégrales de tout poil, c'est un regard porté sur un interprète, en l'occurrence Martha Argerich. A été rassemblée une jolie collection de concertos, saisis durant son festival, « Progetto Martha Argerich », organisé chaque mois de juin à Lugano. Il s'agit de captations différentes (2004-2010) de celles effectuées, chaque année, par EMI, lors du festival, depuis sa création en 2002. Faire de la musique ensemble, entre amis, est le but de cette manifestation, comme ouvrir la programmation au spectre le plus large possible en est l'épine dorsale. Mais toujours, ou peu s'en faut, avec le concours de Martha Argerich. La présente anthologie focalise, évidemment, sur elle. De quoi éclairer toutes les facettes d'un talent immense, célébré depuis quelques 50 ans, et d'une étonnante diversité. Si Argerich a depuis longtemps délaissé le récital, fuyant son éprouvant isolement, elle privilégie la musique de chambre et le répertoire concertant, dans une poignée de lieux choisis, dont celui-ci. Pour ce faire, elle s'entoure de partenaires amis, les anciens, et surtout, les jeunes pousses, qu'elle aime à soutenir ; ses protégés, dit-elle. Mais au-delà de l'aide appréciable apportée, c'est, pour elle, l'occasion de cultiver le contact, de s'offrir une cure de renouveau. De rechercher l'émotion aussi, et la fraîcheur du geste, qui ne doit pas s'habituer à l'acquis, encore moins à la routine. Son jeu, on l'a tant décrit et loué ! Il est engagé, et en cela moderne, et non affecté, dans les pièces romantiques. Son Premier Concerto de Liszt est tout sauf bardé de clinquante virtuosité. Le Schumann, son cheval de bataille, sans cesse remis sur le métier, a la force de l'évidence de qui redécouvre, s'il se peut, de nouvelles idées. La puissance percussive du toucher, qui s'est largement apprivoisé au fil des ans, fait merveille dans Bartók. Le 3ème concerto du maître hongrois offre un équilibre quasi idéal entre ce percutant et la profondeur du toucher, comme dans l'adagio reliogoso, qui révèle une veine subtile dans sa partie médiane. Si on a pu déceler du démoniaque dans la manière de la pianiste argentine, c'est plus par référence à quelques traits, certes excessifs (illustrés ici par un Ier concerto de Beethoven d'une énergie plus que débordante, dans ses mouvements extrêmes), montés en épingle par ses détracteurs, que par une analyse spectrale de sa façon de concevoir la musique, sans s'encombrer de préjugés. Là où on ne peut que s'accorder, c'est sur la sincérité du propos, essentielle pour cette interprète. Ces quatre disques couvrent un large panorama de concertos qu'Argerich joue et rejoue sans relâche, le Schumann, en particulier, les premiers Beethoven aussi, et bien sûr les Prokofiev, dont le fameux troisième, naguère immortalisé avec le complice Abbado. Son esprit curieux lui fait aussi aborder Poulenc et son espiègle Concerto pour deux pianos, chef d'œuvre de légèreté et de mordant, mais aussi des pièces plus improbables, telles Les Noces de Stravinsky, qui alignent quatre pianistes. La musique de chambre n'est pas absente de cette anthologie, représentée par Mozart, dont la fine fluidité maintient la forme, ou Schubert et son délicat Divertissement à la hongroise, d'une douce joie teintée de mélancolie. On trouve encore Scaramouche de Milhaud, ou comment illustrer l'esprit français, tempéré de samba brésilienne ; un petit joyau sous les doigts de la pianiste et de sa partenaire Karin Merle. S'ils sont de qualité variable, Les accompagnements d'orchestre sont toujours adéquats.

     

 

« MISSION » Cecilia Bartoli chante la musique de Agostino STEFFANI. Extraits des opéras Henrico Leone, I Trionfi del fato, Tassilone, Niobe, regina di Tebe, La Libertà contenta, La superbia d'Alessandro, La lotta d'Hercole con Acheloo, Marco Aurelio, Alarico il Baltha. Stabat Mater. Cecilia Bartoli, mezzo-soprano. Avec Philippe Jaroussky, contre-ténor, et Franck Delage dans le rôle de Agostino Steffani. Coro della radiotelevisione svizzera. I Barocchisti, dir. Diego Fasolis. Réalisateur : Olivier Simonnet. 1DVD Universal Decca : 074 3604. TT.: 1H02. 

Décidément, le château de Versailles prête son cadre et ses fastes à bien des productions de prestige. C'est Cecilia Bartoli qui a eu l'idée du tournage de ce film d'hommage à Agostino Steffani (1654-1728), objet de toutes ses attentions, comme le démontre déjà le formidable CD paru il y a peu (cf. NL de 11/2012). Si le récital est le prétexte, le regard porté sur un compositeur inconnu, mais intéressant, en est le but ultime. Car le film, capté dans divers lieux du domaine de Versailles, tant en extérieur (Cour de marbre, Colonnade, Parterre du Midi) qu'en intérieur (salon de Vénus, salle des Hoquetons, Chapelle, Galerie des Glaces), est articulé autour d'une brève trame de la vie du musicien sulfureux, où celui-ci se met lui-même en scène. On a triché avec la chronologie, car si Steffani a joué, un jour de 1679, pour le Roi Soleil, ce ne le fut pas à Versailles, qui n'était pas encore sorti de terre. La mise en scène filmique, due à Olivier Simonnet, reste intimiste, misant sur la proximité des interprètes et du spectateur, en cherchant à dépasser la virtuosité requise d'une musique d'une incroyable difficulté technique. Le destin du musicien, prêtre, diplomate et espion, est enjolivée, et « self indulgent », et ce nonobstant la belle prestation de l'interprète, Franck Delage. Les différentes atmosphères de la balade poétique sont agréables à l'œil, saisies dans des perspectives chatoyantes et de beaux plans rapprochés, ou encore avec d'évocateurs contre jours. Mais cela manque de spontanéité, pour ne pas dire paraît factice. La grande Cecilia, quoique remarquablement portraiturée par la caméra, est souvent empruntée, en particulier lors des duos avec Philippe Jaroussky. Ce dernier, affublé d'un curieux costume rouge sang, la couleur de l'amoureux transi sans doute, ne paraît pas moins étudié. Tout cela est d'une froide beauté, distant, et finalement peu émouvant. Heureusement, le chant est là qui réchauffe l'âme. Et pour détailler les fabuleuses arias ornementées par Steffani, Bartoli n'a pas son pareil : modulation infinie de la voix, par exemple accompagnée du seul luth, dans « Animi, e vederai », tiré de l'opéra Niobe, reine de Thèbes, notes pianissimos, tenues à en perdre haleine, fils de voix inouïs, différenciation des climats, ou encore vocalises effrénées dans les « arias di furore », tel « Non prendo consiglio » de La superbia d'Alessandro. Philippe Jaroussky lui donne une réplique qu'on sent affectueuse. Surtout, c'est un plaisir de voir Diego Fasolis, l'âme musicale de l'affaire, tour à tour chef, tenant l'orgue ou le clavecin, voire même choriste, se mêlant au Chœur de la Radiotelevisione swizzera. Ses musiciens de I Barocchisti sont d'une folle classe.   

 

 

Jean-Pierre Robert

 

 

« Retour de Bayreuth » Onze improvisations sur des thèmes wagnériens. Loïc Mallié, orgue. 1CD Editions Hortus : HORTUS 917. TT : 63’47.

Une idée originale que cet enregistrement, sur l’orgue Cavaillé-Coll de l’église de La Madeleine à Paris, d’improvisations sur des thèmes wagnériens. Un disque qui trouvera sans doute son public parmi les amateurs d’orgue, ce que ne fut pas, semble-t-il, Richard Wagner. Mais également parmi les mélomanes curieux, qui s’attacheront à découvrir dans ces improvisations nombre de leitmotivs wagnériens, parfois évoqués de façon allusive ou fugitive. Loïc Mallié, titulaire du grand orgue de la Trinité à Paris et de Saint Pothin à Lyon, déploie, ici, tout son talent qui n’a d’équivalent que son admiration, partagée par de nombreux organistes, pour le grand Richard. Un clin d’œil musical indispensable en cette année Wagner.

 

 

 

« Musique française pour quatuor de clarinettes ». Karol BEFFA : Feux d'artifice. Thierry ESCAICH : Ground IV. Guilllaume CONNESSON : Prelude and funk. Bruno MANTOVANI : Face à face. Quatuor Vendôme. 1CD INDESENS : INDE044. TT : 46’18.

Ce disque remarquable présente quatre œuvres contemporaines pour quatuor de clarinettes, commandes du Quatuor Vendôme à quatre compositeurs actuels, enregistrées en premières mondiales. La clarinette y apparait dans tous ses états, clarinette en Sib, clarinette basse, petite clarinette en Mib et clarinette en La, dans un véritable feu d’artifice de virtuosité, mais surtout de magnifiques sonorités, changeantes en fonction des œuvres et des combinaisons d'écriture. Feux d’artifice, de Karol Beffa (°1973), développe quatre mouvements, tour à tour houleux, ténébreux, obstiné ou frénétique. Dans Ground IV, de Thierry Escaich (°1965), l’aboutissement, après maintes transformations, retrouve le bouillonnement de la passacaille. Prelude and funk de Guillaume Connesson (°1970), se vit comme une étrange symbiose entre musique baroque et musique pop. Enfin, Face à Face, de Bruno Mantovani (°1974), est probablement la pièce la moins réussie, s’épuisant dans un vain et inutile combat, aux dissonances agressives et suraiguës. Frank Amet, Nicolas Baldeyrou, Alexandre et Julien Chabod donnent au quatuor de clarinettes ses lettres de noblesse. Les œuvres sont servies, qui plus est, par une belle prise de son. Un CD original et incontournable pour tous les amateurs d’instruments à vent. Bravo et bon anniversaire, messieurs !

 

 

 

Giuseppe VERDI, César FRANCK, Charles GOUNOD; Gaetano DONIZETTI : chœurs d'opéras. Chœurs de Franz SCHUBERT, Étienne-Nicolas MÉHUL, Lili BOULANGER, Rudi GOGUEL, Camille ROBERT, William STEFFE, Anna MARLY. Chœur de l’Armée Française, dir. Aurore Tillac. Catherine Stagnoli, Jean-Christian Le Coz, Adriano Spampanato, piano. 1CD Indésens : INDE033. TT : 50’38.

Voilà un florilège de chœurs d’hommes, célèbres, comme ceux inclus par Verdi, Donizetti, ou Gounod, dans leurs opéras, et ceux composés par Schubert ou Lili Boulanger, pour le concert, mais aussi moins connus, comme ceux de Rudi Goguel (1908-1976) ou de William Steffe (1830-1890)…Sans oublier La Madelon, de Camille Robert (1872-1957), ou Le Chant des partisans, d'Anna Marly (1917-2006), ou encore celui du départ, écrit par Méhul. Il sont interprétés par le Chœur de l'Armée française, formation de la Garde Républicaine, avec accompagnement de piano. Pour les inconditionnels !

 

 

 

Patrice Imbaud

 

 

 

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