L'ARTICLE DU MOIS : TOUS LES PROFESSEURS DE CHANT DEVRAIENT CONNAÎTRE L'ANATOMIE DE LA VOIX L'ENSEIGNEMENT MUSICAL : SYNTHESES HARMONIQUES
À RESERVER SUR L'AGENDA
21 / 1 Rival Queens Simone Kermes & Vivica Genaux DR Deux divas d'aujourd'hui
ressuscitent deux des
plus grandes cantatrices du XVIII ème siècle,
Francesca Cuzzoni (1696-1778) et Faustina
Bordoni (1697-1781), qui firent les beaux soirs de la
scène anglaise. La première fut l'une des interprètes privilégiées de George
Friedrich Haendel, créant la plupart de ses opéras londoniens, à partir d'Ottone en 1726, la seconde se fera le chantre du
compositeur Johann Adolph Hasse, qu'elle épousera après son départ
d'Angleterre. Elles possédaient l'une et l'autre un beau timbre de soprano d'agilitá, plus corsée pour ce qui est de la Bordoni, dit-on. Elles devinrent rivales lorsqu'elles
furent engagées au King's Theater. Cette rivalité connut
un pic mémorable lors d'une représentation de l'Astianatte
de Bononcini, le 6 juin 1727, puisqu'elles en vinrent aux mains sur scène,
devant leurs supporters respectifs, rangés en deux clans et déchaînant un
indescriptible chahut. Sifflets et bronca d'aujourd'hui, lors des soirées
houleuses de Bastille, semblent peu de chose à côté de cette débauche
d'enthousiasme et de vindicte ! Simone Kermes et Vivica Genaux les feront revivre
à travers leur répertoire : de Haendel (Scipione,
Alessandro, Giulio Cesare) à Porpora (Adelaïde, Orfeo), de Hasse (Cleofide,
Artaserse, Issipile)
à Vinci, ou encore les moins connus Bononcini, Ariosti
ou Torri. Elles seront accompagnées par la Cappella Gabetta, dirigée par Andrés Gabetta.
De la pyrotechnie vocale en perspective ! Théâtre
des Champs-Elysées, le 21 janvier 2015, à 20H Réservations
: 15, Avenue Montaigne, 75008 Paris ; par tel.: 01 49
52 50 50 ; en ligne : www.theatrechampselysees.fr 21, 25, 31 / 1 Deux oratorios de Michelangelo Falvetti en
tournée
Le Chœur de Chambre de
Namur & La Cappella Mediterranea sous
la direction de Leonardo García Alarcón présenteront lors
d'une tournée européenne deux œuvres majeures de Michelangelo Falvetti
(1642-1692) : l'oratorio Il Diluvio Universale et Nabucco, créés respectivement en 1682 & 1683 à Messine. Cette
tournée européenne s'arrêtera à Paris, Metz (Il Diluvio
universale) et à Versailles (Nabucco).
Véritable explorateur des temps modernes, Leonardo García Alarcón,
féru de recherches musicologiques, n'a de cesse d'arpenter les idéaux
esthétiques propres aux musiques baroques et de les faire rayonner. Inspiré par
l'un des épisodes les plus célèbres de l'Ancien Testament, Il Diluvio universale (le Déluge
universel) relate le Déluge et la dérive de Noé sur son arche. Ce « dialogue à
cinq voix et cinq instruments » destiné à l'église, a pourtant tout d'une œuvre
théâtrale tant les passions violentes et les effets cataclysmiques sont
nombreux. Grâce à Leonardo García Alarcón, ce n'est
plus un simple concert qui est proposé mais un véritable panorama d'émotions
humaines dans lequel les trombes d'eaux ne réussissent pas à éteindre la flamme
animant les solistes. Encouragé par le succès remporté avec la réhabilitation,
en 2010, de cet oratorio, au Festival d'Ambronay,
Leonardo García Alarcón s'est attelé à la création
d'une autre œuvre inédite, composée en 1683 par Michelangelo Falvetti pour la cathédrale de Messine : Nabucco.
Préfiguration de l'opéra de Giuseppe Verdi, écrit 130 ans plus tard, cette œuvre
est à mi-chemin entre l'oratorio historique et le dramma
per musica. L'une de ses grandes figures est
Nabuchodonosor, Roi de Babylone qui envahit Jérusalem et en déporta la
population. On peut d'ailleurs voir dans ce Nabucco un outil politique
de résistance des siciliens à l'oppression espagnole. Théâtre
du Châtelet, Paris, le 21 janvier 2015 à 20 H Arsenal
de Metz, le 25 janvier 2015 à 16 H Chapelle
royale du Château de Versailles, le 31 janvier 2015 à 20 H. Réservations : Châtelet : Caisses, 17 Avenue
Victoria, 75001 Paris; par tel : 01 40 28 28 40; en
ligne : www.chatelet-theatre.com. Arsenal de Metz : Caisses, 3 avenue Ney,
57000 Metz ; par tel.: 03 87 74 16 16
; en ligne : bill@metzenscenes.fr Château de Versailles : par tel. : 01 30 83
78 89 ; en ligne : www.chateauversailles-spectacles.fr
26, 27, 29, 30 / 1 & 1, 2 / 2 Les fêtes vénitiennes de Campra L'opéra-ballet, genre si typiquement
français, a trouvé son modèle avec André Campra (1660-1744), et tout
particulièrement ses Fêtes vénitiennes, dont la création eut lieu en
1710 à l'Académie Royale de musique. L'œuvre connut un succès immédiat, car
elle répondait à un mouvement d'intérêt en réaction à la tragédie lyrique et à
son caractère empesé, en faveur d'un spectacle plus vivant et somptueux dans sa
présentation. D'autant que sa construction en diverses « entrées »,
pourvues chacune d'une intrigue autonome, autorisait la diversité et la plus
grande fantaisie. Campra et son librettiste Antoine Danchet
devaient d'ailleurs imaginer plusieurs types d'entrées, au goût du jour, le
seul lien entre elles étant de dérouler quelque intrigue ayant pour unique lieu
la Sérénissime. Ces Fêtes vénitiennes seront données à l'Opéra Comique
dans une version en un prologue et trois
entrées, « Les Sérénades », « Le Bal » et
« L'Opéra ». Qui mieux que William Christie pour faire revivre ce
génial mélange de danse, de comédie, d'intrigues galantes sur fond de carnaval
vénitien ! Et il ne faudra pas moins que l'imagination débordante de Robert Carsen pour en assurer la mise en scène. Un spectacle très
attendu. Opéra
Comique, les 25, 27, 29, 30 janvier, 1er février 2015, à 20 H, et le 2/2 à 15H. Réservations : Billetterie, 1 place
Boieldieu, 75002 Paris ; par tel.: 0825 01 01 23 ; en ligne : www.opera-comique.com 31 / 1 – 8 / 2 Les 40 ans de l'auditorium de Lyon
L'auditorium de Lyon fête ses
quarante printemps. Le bâtiment à l'architecture moderniste, du moins en
extérieur, typique des années 1970, fit beaucoup jaser lors de son inauguration
; car Guignol n'est pas tendre, même à la Part-Dieu ! Les diatribes se sont
éteintes depuis longtemps et cet événement anniversaire sera célébré par une
semaine de festivités, concerts, conférences, exposition, visite des coulisses,
et même jeu de piste dans la quartier... Côté
concerts, l'Orchestre national de Lyon donnera trois programmes : d'une part,
une soirée, sous la direction de Leonard Slatkin,
réunissant le Premier concerto pour piano et orchestre de Brahms, sous les
doigts d'Hélène Grimaud, son cheval de bataille, Ma mère l'Oye de Ravel,
et Posludium de Bruno Mantovani (30 janvier à 20H, et 31/1, à 18H), d'autre part,
la 7 ème symphonie de Beethoven, Taras Bulba de Janacek et une création de Mantovani,
« In and Out, pour timbales et orchestre », commande de l'orchestre
de Lyon (5 février à 20H). Sylvain Cambreling
dirigera son frère Benoît, aux percussions. Et enfin la Symphonie
Fantastique de Berlioz, sous la baguette de Serge Baudo
qui, le 14 février 1975, inaugurait les lieux avec cette même œuvre (le 8/2, à
16H). Un soirée de jazz cubain sera offerte par le
pianiste icône Chucho Valdés (le 2/2 à 20H). Vincent Warnier donnera un récital d'orgue, de Bach à Vierne, de Fanck à Duruflé, de Liszt à Dupré (le 7/2 à 18H). A noter
encore une matinée associant le Pierrot lunaire de Schoenberg et une
création à Lyon de Mantovani, son Trio pour
clarinette, piano et violon (8/2 à 11H), et le festival « Aire de jeu de
Subsistances » qui honorera le compositeur finlandais Kalevi
Aho, avec des extraits de sa Sinfonia per organo et son Quintette à vents, associés à diverses
pièces d'orgue de Marcel Dupré et à deux pièces de Poulenc, le Trio pour
hautbois, basson et piano, et le Sextuor, interprétés par des musiciens de
l'Orchestre de Lyon (1er/2, à 16H). Auditorium de Lyon, du 31 janvier au 8 février 2015. Réservations : Billetterie, 149
rue Garibaldi, 69003 Lyon ; par tel.: 04 78 95 95 95 ; en ligne :
www.auditorium-lyon.com 5, 6 / 2 La lueur visionnaire du Requiem de Berlioz
S'il est une œuvre frappée au coin du
gigantisme c'est bien celle-là. Hector Berlioz a mis dans sa Grande Messe
des morts, créée en 1837 aux Invalides à Paris, un
souffle à la mesure de l'idée qu'il s'en faisait. Les qualificatifs se
bousculent à l'audition : grandiose, monumentale, emplie d'un souffle inouï. On
pense au déluge cataclysmique du Dies Irae ou du Tuba mirum avec leurs batteries d'accords de timbales et
leurs fanfares de cuivres. Cette glorification du Jugement dernier hantait
Berlioz. Par son dramatisme sans doute, quoique peut-être pas aussi théâtral
qu'il n'y paraît : terrifiant, certes, mais d'abord empreint de grandeur et
d'austérité. En un mot une « lueur visionnaire » qui est aussi
humanité et espoir. Dans le cadre de leur résidence parisienne, l'Orchestre
national du Capitole de Toulouse et Tugan Sokhiev seront à la manœuvre. On sait l'empathie du chef
ossète pour le répertoire français. Le chœur Orfeón Donostiarra les rejoindront, comme, à l'heure du Sanctus,
le ténor Bryan Hymel qui s'est déjà taillé une belle
réputation dans le rôle d'Enée des Troyens au Royal Opera
de Londres. Une belle occasion de tester les voûtes de la toute nouvelle
Philharmonie de Paris. Le concert du 6 janvier sera précédé la veille d'une
exécution à la Halle aux grains de Toulouse dans le cadre de la saison
symphonique de l'orchestre. Philharmonie
de Paris I Grande salle, le 6 février 2015 à 20H30, Halle
aux grains, Toulouse, le 5 février 2015 à 20H Réservations : A Paris, par tel : 01 44 84
44 84 ; en ligne : www.philharmoniedeparis.fr A
Toulouse, par tel.: 05 61 63 13 13
; en ligne : service.location@capitole.toulouse.fr
ou www.onct.toulouse.fr 5/ 2 & 20, 21 /3 Prades au Champs-Elysées
Le festival Pablo Casals de
Prades est un des rares événements en Europe initié dès son origine selon les
valeurs humanistes et philosophiques d'un homme, célèbre musicien, engagé
contre toutes formes de totalitarisme. Cet homme, Pablo Casals, a quitté
l'Espagne en 1939 pour s'installer à Prades et y créer en 1950 son propre
événement, seul endroit au monde où l'on pouvait entendre le Maître en
compagnie de ses amis musiciens, Isaac Stern, Dietrich Fischer-Dieskau, Yehudi Menuhin, Rudolf Serkin et
tant d'autres. Depuis 1983, Michel Lethiec, directeur
artistique de cette manifestation, n'a cessé de la développer d'un point de vue
artistique (création en 2009 d'un concours international de composition), mais
aussi géographique, Prades à Tokyo,
à New-York, à Jérusalem, à San Paolo, mais aussi en Angleterre, en
Allemagne, et depuis 22 ans à Paris, au Théâtre des Champs- Elysées. Prades
aux Champs-Elysées reconstitue l'expérience unique du festival d'été dont
l'une des signatures est de constituer de grands groupes de musique de chambre. On y
mêle les générations et découvre de jeunes talents internationaux déjà bien
affirmés. Cette saison, les trois concerts permettront de les entendre dans des
répertoires emblématiques. Le 5 février, le Quatuor Talich, Nobuko Imai, Michel Lethiec,
Jean-Philippe Collard joueront
Mozart, Brahms et Dvořák. Le 20 mars, Fumiaki Miura,
Boris Brovtsyn, Vladimir Mendelssohn, Hartmut Rohde, Arto Noras, Jurek
Dybal, Michel Lethiec,
André Cazalet, Giorgio Mandolesi,
Itamar Golan joueront Haydn, Mendelssohn et Schubert. Le 21 mars, Fumiaki Miura,
Boris Brovtsyn, Vladimir Mendelssohn, Hartmut Rohde, Arto Noras, Jurek
Dybal, Michel Lethiec,
André Cazalet, Giorgio Mandolesi,
Itamar Golan et la mezzo-soprano Allison Cook
joueront Richard Strauss, Mahler et Brahms. Théâtre des Champs-Elysées, les 5 février, 20 et 21 mars 2015, à
20H Réservations : 15 avenue
Montaigne. 75008 Paris ; par tel.: 01 49 52 50 50 ; en ligne :
www.theatrechampselysees.fr 6, 8, 10, 12, 15 / 2 Double bill russe à l'Opéra de Nancy
Serguei Rachmaninov a composé trois courts
opéras, Aleko, Le Chevalier misérable,
et Francesca da Rimini. L'Opéra de Nancy Lorraine présente en un même
spectacle le premier et le troisième
; laissant de côté la pièce médiane, sur
le thème de l'Avare de Molière. Aleko,
est une œuvre de jeunesse puisque Rachmaninov la compose en 1892, alors qu'il
est encore au conservatoire, et pour le concours final, sur un livret inspiré
du poème « Les Tziganes » de Pouchkine. En un acte, l'opéra est resté
célèbre par la fameuse cavatine de la basse, immortalisée par Chaliapine. Sa
musique est souvent flamboyante et traduit l'influence de Tchaikovski.
Francesca da Rimini (1904/1905) décrit les amours maudits de Paolo
Malatesta et de Francesca, sur un texte s'inspirant directement de
« l'Enfer » de La Divine Comédie de Dante. La pièce comporte
deux parties, un prologue et un épilogue, mais sa durée excède de peu l'heure.
La partie purement symphonique la distingue, en particulier durant le long
prologue purement instrumental, seulement agrémenté de chœurs à bouche fermée,
qui se seraient imposés au musicien du fait de
l'incapacité de son librettiste, Modest Tchaikovski,
frère du compositeur de « La Pathétique », à écrire un texte digne de
ce nom. La production nancéenne est confiée à Silviu Purcǎrete, dont la mise en scène de
Artaserse de Vinci fit sensation il y a
deux ans en ce même lieu, et à Rani Calderon, 1er
chef invité à l'Opéra de Lorraine.
Opéra
de Nancy Lorraine, les 6, 10, 12, février 2015, à 20H et les 8, 15/2 à 15H. Réservations : billetterie, 1 rue Sainte
Catherine, 54000 Nancy ; par tel : 03 83 85 33 11 ; en ligne : www,opera-national-lorraine.fr La Folle Journée 2015 : Passions de l'âme et du cœur La Folle Journée de Nantes se lance dans un
nouveau concept thématique. Après les éditions consacrées à un compositeur ou à
un groupe de compositeurs, voire à un mouvement musical, le programme de
l'édition 2015 est articulé autour d'un thème largement transversal : la
passion en musique. On se propose d'explorer la contagion émotive qui très tôt
a gagné l'Europe, pour traverser toutes les époques, baroque, classique,
romantique et moderne. Vaste sujet ! Qui permet d'embrasser plusieurs siècles
d'un coup comme les genres les plus divers, et en ratissant large, de
multiplier l'offre de concerts à l'envi, comme l'aime son fondateur René
Martin. Qui souligne le caractère fédérateur de la chose, permettant même de
faire se rencontrer les passionnés de classique, de jazz, de musique de film ou
de musique électronique ! Qui dit « passion », dit affects et
sentiments, joies de l'intellect et préférences du cœur, au centre même de
l'acte créateur. Musiques sacrées et profanes seront au rendez vous comme le
seront à peu près tous les genres musicaux, du symphonique au récital, de la
musique de chambre au lyrique. Aussi la liste des compositeurs convoqués
est-elle pratiquement sans fin, puisque cela va de Gesualdo à Monteverdi, de
Mozart à Beethoven, de Schubert à Brahms, en passant par Schumann, de Berlioz à
Chopin ou à Liszt, sans oublier les représentants des écoles nationales, russe,
Borodine, Tchaïkovski, ou tchèque, Dvořák et
Janacek, ou encore de Mahler à Schoenberg en passant par Berg, et plus près de
nous, Chostakovitch et l'incontournable Gorecki...
Gageons que l'inédit sera osé et que l'élan de curiosité, consubstantiel à la
manifestation nantaise, et à son « preview »
en région les jours précédents, sera là bien présent. Les innombrables concerts présentant des
interprètes jeunes ou confirmés, en tous cas renommés, selon le schéma
désormais institutionnalisé à Nantes de séances de ¾ d'heure à une heure,
ouvriront l'offre à l'infini, permettant un choix sans équivalent ailleurs. Le
volet didactique sera tout aussi attractif, illustré par un brelan de
conférenciers émérites, férus d'analyse musicale. C'est que rien n'est ici
négligé pour attirer de nouveaux mélomanes et fidéliser les habitués, de plus
en plus nombreux, de ce grand événement populaire à haute exigence artistique.
Enfin, la dimension pédagogique sera de nouveau en exergue. Ainsi en
partenariat avec le rectorat et la Délégation Académique de l'Action Culturelle
seront organisés des ateliers et parcours pédagogiques pour les jeunes des
établissements scolaires, permettant de croiser les disciplines artistiques,
ainsi que mis en place des projets spécifiques à destination de l'enseignement
supérieur. Alors, tous à Nantes pour de longues journées pas comme les autres,
encore plus enivrantes que délirantes !
Centre
des congrès, Nantes, du 28 janvier au 1er févier 2015. Locations : aux guichets de la Cité, à
partir du 10 janvier 2015, à 8H, le 11 janvier à partir de 14H, et à compter du
12/1, tous les jours de 13H à 19H, sauf samedi et dimanche ; par tel. : 0892
705 205, à partir du 10 janvier 2015 à 10H ; en ligne : www.follejournee.fr à partir du 10 janvier 2015, à 10H Région des Pays de la Loire, du 23 au 25
janvier 2015 : à Saint-Nazaire, Cholet, Saumur, Fontevraud,
Laval, La Flèche, Sablé-sur-Sarthe, La Roche-sur-Yon, Challans,
Fontenay-le-Comte et l'Ile d'Yeu. . Jean-Pierre Robert.
***
L'ARTICLE DU MOIS
Tous
les professeurs de chant devraient connaître l'anatomie de la voix L'experte en anatomie du
mouvement Blandine Calais-Germain propose des formations sur l'anatomie vocale,
depuis de nombreuses années. Son dernier livre était très attendu :
il est consacré lui aussi à ce sujet.
Cette spécialiste atypique témoigne ici de son parcours, de sa méthode et de
son credo, en la matière… Blandine
Calais-Germain, votre dernier livre a pour titre « Anatomie pour la
voix », et vous animez de longue
date des stages sur cette thématique. Est-ce le fruit d'un cheminement
« médical » ? Blandine
Calais-Germain : Non, plutôt celui d'un itinéraire
atypique, dont le médical fait partie. Au départ, j'étais danseuse et
professeure de danse. Puis je suis devenue kinésithérapeute, ce qui m'a amenée
à me lancer, il y a 33 ans, dans des formations axées sur l'anatomie. La
première avait pour thématique l'anatomie du mouvement et est toujours à
l'ordre du jour. Elle voulait combler un manque de connaissance que j'avais
moi-même ressenti, en tant que danseuse, et que les professionnels qui bougent,
dans le cadre de leur métier, vivent souvent douloureusement « dans leur
chair ». Je veux parler ici aussi bien
des musiciens, des danseurs ou des artistes de cirque, que des sportifs
exerçant dans le domaine des arts martiaux ou du Yoga, par exemple. Avoir cette
connaissance conduit au contraire à répéter un acte physique précis, jusqu'à ce
qu'il devienne virtuose, tout en évitant les conséquences pathologiques qui
peuvent en résulter… Bref, à effectuer un geste à la fois performant et
sain ! D'ailleurs, Mon premier
stage a résulté d'une demande dans ce sens, formulée par des danseurs. Ces
personnes avaient déjà suivi des cours d'anatomie, mais hélas sans lien avec
leurs besoins. La plupart des kinésithérapeutes ignorent, dans leur propre
corps, la succession des actions qui pose problème aux professionnels du
mouvement. Ils n'en ont qu'une connaissance théorique. Mon expérience hors
norme m'a permis, en quelque sorte, de créer une passerelle entre les deux types de
métiers, pour prévenir plutôt que
guérir, et optimiser les gestes.
Alors
comment en êtes-vous arrivée à l'anatomie de la voix ? J'ai
très vite développé mon activité d'enseignante d'anatomie pour le mouvement,
car cette proposition répondait - et répond toujours - à un grand besoin. Du
coup, j'ai rapidement dû travailler et présenter ma démarche, de façon nomade,
loin de chez moi. Je cumulais les heures de voyage en avion et les temps
d'intervention, sans tenir compte de ma fatigue… et ma voix ne suivait pas.
Elle se « cassait » en plein milieu d'un stage. C'était très angoissant.
Alors j'ai mené une enquête auprès d'une trentaine de professionnels de cet
instrument. Je voulais tout savoir. A quoi servent le diaphragme et le larynx ?
Pourquoi la voix résonne-t-elle ? Comment faire pour qu'elle porte
davantage sans épuiser les cordes vocales ? Comment éviter ces angines à
répétition qui, à l'époque, me sautaient à sans arrêt à la gorge ? J'étais
et suis encore une marathonienne de la voix. Il fallait donc que j'apprenne à
fortifier, à rendre « endurant »
l'endroit où se situent les cordes vocales. J'ai fait cette
investigation notamment en prenant des séances d'orthophonie, durant lesquelles
je posais toutes les questions nécessaires pour comprendre « l'envers du
décor ». Je vous parle de cela en particulier, mais chacun de mes
interlocuteurs m'a fait cadeau d'une pépite, et tout cela a débouché sur mon premier
stage d'anatomie de la voix, en 1995.
Depuis, mes connaissances en la matière se sont tellement étoffées que
cette formation se compose dorénavant de trois volets. Comment ces stages d'anatomie de la voix se
déroulent-ils, aujourd'hui ? Tout d'abord, pour ceux qui veulent les suivre tous, je
préconise de le faire, si possible, dans un ordre précis : en premier le
volet sur la respiration, ensuite celui qui zoome sur le larynx, et enfin la
session consacrée à la « boîte à résonner » formée par le pharynx et
la bouche. Ces trois formations sont chacune faites de parties théoriques,
consacrées à l'anatomie, et d'exercices pratiques, pour intégrer et « incorporer »,
au sens fort du terme, les connaissances à son profit. Comme je ne suis pas
chanteuse de métier, j'anime ces sessions en m'entourant systématiquement de
deux autres spécialistes, aux profils très différents du mien. Ce sont, d'une
part, le médecin phoniatre Guy Cornut, qui est
également chef de chœur de longue date et, d'autre part, le professeur de voix
et d'art dramatique hors du commun Vicente Fuentès.
Le premier donne accès à des vidéos passionnantes, grâce auxquelles on peut
voir les mouvements qui se déploient à l'intérieur du corps, lorsque l'on
chante. Il a pu réaliser ces documents auprès de patients en difficulté, mais
aussi de chanteurs performants, du point de vue de l'instrument. Leur
visionnage et les commentaires de Guy Cornut sont
très instructifs. Ce chef de chœur propose également des exercices aux
stagiaires, de quoi faire un point sur leur état vocal et, le cas échéant, leur
faire dépasser certains de leurs blocages. Quant à Vicente, il met tout
simplement « en corps et en voix », de la tête aux pieds, à raison
d'au moins 4 h par jour, les connaissances théoriques que je déploie
auparavant, durant les plages ou j'interviens en personne. Les progrès vocaux
qu'il obtient sont carrément saisissants ! Enfin, pour ce qui me concerne,
j'assure bien entendu l'enseignement théorique de l'anatomie, et des phases
d'incorporation pratique de ces connaissances.
Photo reproduite avec l'autorisation de Blandine
Calais-Germain. Tous droits réservés En quoi consistent vos interventions,
plus précisément? Pendant
les séances théoriques sur l'anatomie,
je fais découvrir les os, les muscles et les autres tissus ou organes concernés
par la voix, essentiellement à l'aide de
moulages destinés aux étudiants en médecine, et de grands dessins que j'ai faits
moi-même. J'explique toutes les façons dont ces éléments peuvent bouger
et interagir, en fonction des gestes respiratoires et vocaux que l'on veut
mettre en route. J'invite également les participants à colorier des
illustrations anatomiques de grand
format, dont des reproductions de
mes dessins, en associant « définitivement » des couleurs précises à
chaque type d'organe concerné. Cette étape me permet
de valider que les stagiaires ont compris, et d'installer une mémorisation
visuelle. Durant ces séances, je réponds aux nombreuses questions des
participants. Le fait que ces stages rassemblent aussi bien des professeurs de
yoga, que des acteurs, des formateurs en management, des chanteurs, des orthophonistes
ou des boulangères en reconversion, engendre une palette de demandes d'une
richesse extraordinaire. C'est éclairant pour tous. Durant
mes interventions « pratiques »,
je fais faire, en conscience de ce qui se passe sur le plan anatomique,
des mouvements abordés précédemment, de façon théorique. Je recours pour cela à
des gestes inhabituels, effectués lentement, avec parfois quelques accessoires,
tels des coussins parallélépipédiques en mousse. Ces éléments externes
s'avèrent utiles pour appréhender, au niveau physique, des muscles dont les
gens n'ont généralement aucune idée, parce qu'ils les sollicitent au quotidien
sans faire appel à leur volonté. Tous ceux qui apprennent à
chanter devraient-ils suivre vos stages d'anatomie vocale? Non.
Il y en a que cela pourrait perturber, comme certaines femmes peuvent l'être
par la quantité d'informations reçues sur leur accouchement à venir, au lieu de
pouvoir y puiser la confiance dont elles ont besoin. En revanche, tous les
professeurs de chant devraient connaître l'anatomie de la voix. Ils seraient
ainsi en capacité de repérer, lorsqu'ils observent un élève en train de
chanter, la ou les parties de la structure vocale qui pourraient être améliorée
chez lui. Ces enseignants pourraient alors proposer des exercices pointus pour
enlever ou ajouter de la pression sous la glotte, mobiliser les côtes ou libérer les tensions du cou… Et je ne cite là
que quelques uns des facteurs qui entrent en ligne de compte. Cette
connaissance les amènerait à sortir du système habituel, qui est limitant.
Faute de formation suffisante, ces pédagogues ont bien du mal à mettre en œuvre
des techniques différentes de celles qu'ils ont adoptées
pour résoudre leurs propres problèmes. Or non seulement ces solutions ne sont
pas toujours transposables, mais elles n'ont généralement aucune prise sur les
autres types de difficultés rencontrées par les élèves. Dans ce contexte, les
maîtres ne sont pas en situation d'imaginer les obstacles qui n'ont pas barré
leur route, quand ils étaient en période d'apprentissage. Diagnostiquer ces
entraves et amener ceux qu'ils sont censés
guider à s'en libérer est donc hors de leur portée. Quel dommage !
Photo reproduite avec l'autorisation de Blandine
Calais-Germain. Tous droits réservés. Qu'est-ce que votre livre
sur l'anatomie de la voix, publié fin 2013, apporte de plus? Mon
ouvrage est le seul à présenter la structure vocale dans son ensemble, de façon
très illustrée, détaillée, simple et exhaustive. Par exemple, pour rendre mes
dessins significatifs des mouvements qu'ils évoquent, je les ai multipliés en
changeant d'angle. Lorsque cela a un intérêt, on peut ainsi observer un même os
vu de dessus, de dessous, de trois-quarts, en perspective… Et tous ces dessins
se renvoient les uns aux autres, pour former un immense puzzle. J'ai par
ailleurs réussi à mettre les explications au plus près des schémas concernés,
avec des fléchages courbes, au besoin,
pour un maximum d'efficacité. Je rends grâce à la graphiste avec
laquelle j'ai pu mettre cela au point ! Le côté « bande
dessinée », ainsi obtenu, évite des kilomètres de textes indigestes. Il
rend le sujet accessible au béotien, sans pour autant tomber dans la vulgarisation
imprécise. J'ai du reste pris soin de faire valider toutes les pages comportant
des notions de physique par l'ingénieur en biomécanique (et cosignataire de la
publication) qu'est mon fils. De la sorte, ces passages sont à la fois
irréprochables, sur le plan scientifique, et compréhensibles par
« Monsieur et madame tout le monde ». Pour les personnes qui suivent
mes stages, ce recueil est un précieux support de mémorisation et
d'approfondissement. De plus, il renvoie à des exercices décrits dans d'autres
de mes livres, à faire ou à faire faire, et pour certains testés durant le
stage… Il peut donc constituer, soit une sorte d'entrée en matière, soit le
socle d'une connaissance solide, étayée à partir des stages. Avez-vous encore d'autres projets
concernant la voix ?
Photo reproduite avec l'autorisation de Blandine
Calais-Germain. Tous droits réservés. Oui…
l'écriture d'un livre pratique sur « l'appogio
du souffle ». Ce terme traduit une façon particulière d'engager le souffle
et la pression vocale. Cette technique a été mise au point, de manière
progressive et totalement empirique par les chanteurs classiques, et j'ai eu
l'opportunité d'acquérir ce savoir. Il
m'intéresse, en tant que kinésithérapeute, car l'intégrer, y compris
pour les non-chanteurs, a des effets bénéfiques sur l'ensemble du corps,
relativement à la position debout. Aujourd'hui,
je ne veux pas m'avancer plus sur ce sujet : je ne sais pas du tout quand
je vais pouvoir concrétiser cette intention, car je suis actuellement en plein
développement d'autre chose. Je suis en fin de carrière, et j'ai l'immense
bonheur de pouvoir transmettre mes contenus et ma méthode, dans le domaine du
mouvement, à une équipe d'enseignants que je suis en train de former. Depuis
5 ans, j'ai créé une méthode : j'ai
écrit des « partitions de mouvements », toutes rassemblées sous le
nom de « Geste anatomique® ». J'ai appelé l'une d'elles
« Périnée et mouvement® ». Je vous en parle, parce que dans ce cycle de
10 h de formation, je consacre l'une de ces heures au lien – considérable - qui
existe entre la voix et le périnée… Et je constate que cela donne fort envie à
mes « apprentis » de se former également à l'anatomie de la voix. La
boucle est bouclée ! Propos
recueillis par Françoise
Nowak * * Françoise Nowak est accoucheuse de voix et journaliste
(http://www.francoisenowak.com) Pour
en savoir plus http://www.calais-germain.com/ Anatomie pour la voix,
Blandine Calais-Germain et François Germain, Éditions désIris. La voix,
Guy Cornut, PUF, collection Que sais-je. Moyens
d'investigation et pédagogie de la voix chantée, coordination
Guy Cornut, Éditions Symétrie. Atlas video-stroboscopique
des principales pathologies
laryngées et bénignes, Guy Cornut, De Boeck.
***
L'ENSEIGNEMENT MUSICAL
Synthèse
harmonique… Une nouvelle façon de voir l'analyse musicale ! Synthèse N° 1 : Qui a dit que les octaves parallèles étaient
interdites en harmonie? Tenez : en voici une série prise dans une grande
œuvre… Écoutez le fichier midi synthèse 1
Debussy ? Ravel ? Répartissons la
sur trois portées, et allongeons le premier accord : Écoutez le
fichier midi synthèse 2
Ajoutons une pédale de do# Écoutez le fichier midi synthèse 3
Avez-vous reconnu ? Oui ? Vous avez une bonne oreille harmonique! Non ? pas de souci, tout va bientôt
s'éclairer ! X X X Synthèse n°2 Puisque nous avons laissé la pâte reposer.. Il est temps de laisser dans notre descente les échappées
faire leur apparition ! Écoutez le fichier midi synthèse 4
La voix du bas s'arpège, Écoutez le fichier midi synthèse 5
Puis celle du milieu Ecoutez le fichier midi synthèse 6
Ça y est ? Vous avez reconnu ? Oui, il s'agit
bien des premières mesures de la Barcarolle de Chopin ! Laissons simplement les échappées apparaitre également
dans la voix du haut ! Écoutez le fichier midi synthèse 7
Enfin quelques notes de passage appoggiaturées.. Écoutez le fichier midi synthèse 8
Et le tour est joué : ce Chopin ! Quel
magicien… Dissimuler à ce point une simple descente conjointe d'accords
parfaits ! On savait déjà que le polonais utilisait
ses ornements de manière très judicieuse ! Pour ceux qui ne voyaient pas
en lui un vrai précurseur de Debussy ! Philippe
Morant. ***
Hommage au Professeur Serge Gut Le mardi 9 décembre 2014, un vibrant
hommage a été rendu au regretté Professeur Serge Gut dans les Salons de la
Présidence de l'Université Paris-Sorbonne, à l'initiative de Jean-Jacques Velly qui, en
présence de Madame Inge Gut, a accueilli les collègues, amis et admirateurs de
la carrière et de l'œuvre de Serge Gut, « figure éminente de la
Musicologie française » ayant publié une dizaine de livres et participé à
de nombreux Colloques en France, Allemagne et Hongrie, également compositeur et
collaborateur de L'Éducation musicale pendant
de nombreuses années. D'autres interventions de son collègue Jean-Pierre
Bartoli, de son ancien étudiant si fidèle Vincent Arlettaz,
de sa nièce Catherine Grevelinck ont brossé un
émouvant portrait de l'homme, de son enthousiasme et de son engagement. Cette réception a
été suivie d'un Concert-Hommage à l'Amphithéâtre Richelieu où Jean-Jacques Velly, pour « connaître Serge Gut », a évoqué la
place de la musique et de la poésie dans son œuvre, et proposé en quelque sorte
son testament musicologique. Des projections de diapositives : le
Professeur au travail (en Amphi, dans son bureau ou encore lors de la remise de
sa Légion d'Honneur), en vacances… le rendaient encore plus
« présent ». Avant l'audition, les œuvres ont été commentées par la
lecture des analyses de l'auteur. Le programme comprenait des pièces de Serge
Gut, mais aussi de ses musiciens préférés Claude Debussy, Franz Liszt et
Richard Wagner. Comme de juste, l'audition a débuté par des extraits de Trois Préludes fluides pour piano (1960)
de Serge Gut, interprétés par François Henry, soliste et accompagnateur avisé,
suivis de deux Mélodies sur des
textes de Théophile Gautier : Les
Papillons et Plaintive tourterelle
composées en 1955, chantées par Marie Soubestre
(Soprano) mettant en valeur l'intérêt de Serge Gut pour la poésie française. Ce
fut aussi le cas de ses Trois Mélodies :
Barcarolle (Théophile Gautier), Le Songe d'une nuit d'été (Paul Fort) et
Un baiser (Paul Andreu)
interprétées avec sensibilité par Annabelle Cardron.
Claude Debussy était représenté par Canope
(extrait de ses Préludes pour piano)
dans l'interprétation de François Henry ; et Franz Liszt, par Chapelle de Guillaume Tell (extrait des Années de Pèlerinage) bénéficiant de la
technique éblouissante de Fumiko Sonegawa,
pianiste et également accompagnatrice hors pair des Wesendonk-Lieder. Deux points culminants ont marqué ce concert.
L'intervention très remarquée de Marion Gomar, Soprano si bien formée à la Hochschule für Musik und Theater de Leipzig,
chanteuse typiquement wagnérienne qui, avec émotion et grande musicalité, a su
traduire chaque nuance de la partition et, en particulier, La mort d'Isolde (Isoldes Liebestod). Enfin, Trois
Mélodies de la revue Sensations de
Paris de Serge Gut, dans l'arrangement de Jean-Jacques Velly
pour soprano, violon, piano et contrebasse : Viens tout contre moi, Pour
être star et Sensations de Paris interprétées
avec décontraction et bonhomie par Annabelle Cardron
(Soprano), Viviane Waschbusch (violon) et Régis
Prudhomme (Contrebasse), accompagnées au piano avec assurance par Jean-Jacques Velly. Composées en 1954, ces œuvres de jeunesse — tour à
tour mélancoliques ou très animées, jazzifiantes avec
des rythmes syncopés et percutants — tiennent un peu du music-hall des années
1950, à la fois sentimentales, enjouées et d'une très belle envolée. Elles
reflètent le caractère enthousiaste et l'humour du compositeur et ont posé un
point d'orgue en feux d'artifice sur ce remarquable hommage rendu par
l'Université Paris-Sorbonne et l'UFR de Musique et Musicologie au très regretté
Serge Gut. Édith Weber. Rameau, maître à danser Jean-Philippe RAMEAU : Daphnis
et Églé. Pastorale héroïque en un acte
sur un livret de Charles Collé. La Naissance d'Osiris. Acte
de ballet sur un livret de Louis de Cahusac. Élodie Fonnard, Magalie Léger, Reinoud Van Mechelen, Sean Clayton,
Arnaud Richard, Pierre Bessière. Chœur et Orchestre
des Arts Florissants, dir. William Christie. Mise en scène
: Sophie Daneman.
Rafraîchissante soirée que
celle à laquelle nous conviait William Christie, dans le cadre d'une tournée
célébrant Rameau, qui après Caen et Dijon, en passant par Luxembourg et même
Moscou, se concluait à la Cité de la musique. Prétexte à l'exhumation de deux
pièces tardives, empruntées au genre de l'acte de ballet. Au faîte de la
gloire, mais affecté par les rivalités artistiques et politiques, Rameau
compose de moins en moins, se consacrant essentiellement à ces actes de ballet
à l'occasion d'évènements officiels. La pastorale héroïque Daphnis et Églé a été créée en octobre 1753 à Fontainebleau pour
fêter la naissance de Xavier Pierre Joseph, duc d'Aquitaine. L'auteur du livret
est Charles Collé, qui ne passait pas pour un admirateur du musicien, quoiqu'il
ait pris le parti de celui-ci contre les lullistes dans la querelle des
Bouffons. L'œuvre compose un divertissement sans autre prétention que celle de
célébrer le passage de l'amitié à l'amour chez deux jeunes bergers. L'influence
de la manière italienne est forte dans cette succession de morceaux dont
plusieurs sont de forme concertante et où la danse occupe une place de choix.
Les deux héros, rejoints par l'Amour, un grand Prêtre et Jupiter, endossent une
partie vocale pas moins intéressante au fil de duos de plus en plus développés
à mesure que l'amitié fait place à l'amour. La Naissance d'Osiris, ou la
fête de Pamille, sur un livret du fidèle Louis de
Cahusac, a été créée le 12 octobre 1754, pareillement
à Fontainebleau, dans le cadre des célébrations de la naissance du duc de
Berry, futur Louis XVI. L'atmosphère y est plus bucolique que dans la pièce
précédente et les figures dansées plus développées. C'est que Cahusac y met en pratique ses théories sur la danse,
développées dans son tout récent traité « La Danse ancienne et
moderne », et ce qu'on appelle ballet figuré ou danse d'action. Une des
plus topiques est celle décrivant l'épouvante des bergers surpris par l'orage
déchaîné par Jupiter. On y trouve aussi plusieurs musettes, tambourins, rondeau
et une longue contredanse qui clôt l'opéra avec le chœur. Le chant n'est pas
pour autant négligé, dont la partie du dieu Jupiter qui bien que second rôle,
se voit gratifié d'une longue séquence introduite de manière grandiose par un
orage effrayant avec tonnerre et éclairs.
William Christie donne de ces
pièces une lecture suprêmement équilibrée, et les musiciens des Arts
Florissants distillent des sonorités envoûtantes, d'une infinie douceur aux
cordes, et d'une fine couleur dans les bois, basson et hautbois en particulier.
Sans parler de la note agréablement archaïsante qu'apportent des instruments
originaux comme la musette ou le tambour de basque. La sonorité reste
chambriste, car Christie choisit une formation réduite. Si la disposition en
fond de plateau, derrière les solistes, chœurs et danseurs, ne favorise pas le
déploiement sonore, du clavecin et de la basse continue notamment, du moins
l'effet de proximité entre toutes ces forces est-il un avantage indéniable. Ses
jeunes chanteurs, Christie les couve du regard. Au premier chef les deux rôles
titres dans Daphnis et Églé, la soprano Élodie
Fonnard et le haute-contre Reinoud Van Mechelen, tous
deux lauréats du Jardin des Voix en 2011 : voix d'une aérienne fraicheur et
d'une expressivité étonnante dans l'exigeante déclamation ramiste
et ses appogiatures. Magali Léger, qui campe un Amour espiègle à souhait auprès
des deux héros, puis Pamille dans la seconde pièce,
déploie un chant vif argent. Le Jupiter de Pierre Bessière
est bien sonore. La mise en scène à été confiée à Sophie Daneman.
Elle dépasse la simple mise en espace dictée par une exécution en salle de
concert : façon théâtre de tréteaux, elle parvient avec une belle économie de
moyens mais une riche inventivité, à donner vie à ces deux pochades. L'idée,
fort lumineuse, étant de les unir en une seule et même histoire : le rejeton
Osiris dont on fête la naissance dans la seconde, étant le fruit des amours de
Daphnis et Églé, révélées au fil de la première !
Autrement dit une variation en deux séquences sur le triomphe de l'Amour, thème
emblématique de l'opéra baroque s'il en est. La chorégraphie de Françoise Denieau est agréable, sans modernisme inutile, épousant
rythmes et volutes musicales. Le Brahms lumineux de Bernard Haitink
A l'automne d'une carrière bien
remplie, Bernard Haitink sait nous faire toucher du
doigt le pouvoir revigorant de la musique. De celle de Brahms en l'occurrence.
Pour son second concert parisien, il proposait le Deuxième concerto pour piano
et la Quatrième symphonie. Le concerto op. 83 trouve ici une interprétation
d'un grand classicisme et fort nuancée, plus que romantique et virtuose. A la
différence de la manière opulente de Christian Thielemann
accompagnant Maurizio Pollini dans leur récent CD
(cf. NL de 5/2014), Haitink affiche d'emblée une
approche éprise de clarté. La formation orchestrale est réduite, avec des cordes
pas trop nombreuses, dont seulement six violoncelles et quatre contrebasses,
les premiers et seconds violons étant divisés, ce qui libère un spectre sonore
d'où l'effet de masse est résolument
absent. Dans cet écrin de choix, le soliste Emanuel Ax
n'a pas de difficulté à se faire entendre et n'a nul besoin de lutter au fil de
ce qui reste une œuvre proche de la symphonie concertante. Le choix des tempos
révèle un souci de vérité, de transparence aussi. L'allegro initial, qui voit
le piano entrer immédiatement et s'investir dans une brillante cadence et un
dialogue avec les cors, ne cherche à
être imposant, mais vrai. Et Emanuel Ax
déploie ainsi une belle fluidité. L'appassionato suivant offre un scherzo,
certes passionné et fantastique, mais qui sait raison garder dans sa vigueur,
le piano et l'orchestre y étant intimement mêlés dans l'épisode central, un
trio sur le mode d'une danse populaire. Le refus de toute sollicitation se
confirme avec l'andante dont le tempo est pris assez allant dans le solo du
violoncelle, ce qui ne nuit en rien à son caractère de confidence, mais déplace
simplement la charge expressive : le duo qui s'instaure entre piano et cello s'écarte de l'épanchement, pour favoriser un lyrisme
plus contrôlé et empreint de naturel. Haitink
contraste la partie centrale du mouvement par un ralentissement du tempo et un
abaissement du volume sonore, créant un moment de poésie magique duquel le
soliste tire amplement profit. On mesure là, et plus qu'ailleurs, combien
Emanuel Ax s'en tient à une approche objective, sans
affèterie déplacée ni virtuosité affirmée ; ce qui peut déconcerter les tenants
d'une vision hyper romantique de l'exécution du concerto. Le finale progresse
avec un naturel enviable, à la fois joyeux et nostalgique. La Quatrième
symphonie, op. 98, la dernière confiée par Brahms à l'orchestre, n'était le
Double concerto pour violon et violoncelle à venir, affirme le même souci de
rigueur des plans, d'aération de la structure, de luminosité sonore. Haitink et ses merveilleux musiciens en donnent une lecture
suprêmement équilibrée, ce que, là encore, le recours à une formation moins
nombreuse que souvent achève de distinguer. Les couleurs automnales de cette
œuvre, son aspect méditatif, ses moments élégiaques en ressortent avivés.
L'allegro moderato, conçu dans l'esprit de la chaconne, est tout de clarté dans
ses diverses et si nombreuses composantes. L'andante établit une atmosphère
proprement magique, d'une profonde gravité, quoique non excessivement
mélancolique, pleine de tendresse plutôt. L'allegro giocoso est, soudain, d'une
belle effervescence, presque tumultueux. La battue du chef, si simple,
dévoilera ici des trésors d'énergie. Quant à l' « energico
e passionato » final, il séduit par son
architecture aérée, celle de sa vaste Passacaille et de ses variations
multiples, menant l'œuvre à une glorieuse péroraison, là encore non imposante.
L'osmose entre le chef et ses jeunes
musiciens fait plaisir à voir, comme la qualité des solistes de la petite
harmonie, flûte, hautbois et clarinette. Patricia Petibon est La Belle excentrique
Susan Manoff, Olivier Py,
Christian-Pierre La Marca, David Venitucci / DR Avec Patricia Petibon le récital prend une autre dimension, voire
acquiert une signification différente, loin du dialogue formel, voire un peu
compassé souvent, entre chanteur et pianiste. Plutôt que de donner quelques
mélodies d'un même compositeur, elle en invite plusieurs, mêle leurs pièces à
des chansons et s'entoure d'amis musiciens, pianiste, violoncelliste,
accordéoniste, percussionniste... Elle choisit d'illustrer une manière, la
fantaisie sérieuse, sous la bannière de La Belle Excentrique d'Erik
Satie, et ne se contente pas de chanter mais théâtralise chaque pièce. La
référence à ce musicien original, pour ne pas dire en marge, donne le ton d'une
soirée qui se veut hors des sentiers battus. Le besoin de rire,
souligne-t-elle, est inhérent à chacun de nous, le besoin d'absurde aussi, ce
jeu avec les décalages et la surprise d'associations improbables, mais appelant
le sous entendu. Aussi le programme va-t-il osciller entre comique et sérieux,
fantaisie et gravité, même si pour une large part porté sur le versant
nostalgique. La grande ritournelle de La Belle Excentrique, jouée à
quatre mains par Susan Manoff et David Levi, ouvre le
bal et donne le ton. Un ton d'abord plus retenu que fantaisiste avec Poulenc,
Manuel Rosenthal ou Fauré. Ce dernier, Patricia Petibon le sent naturellement. Puis vient, sans crier gare,
Satie et ses extravagances (« La Statue de bronze », « Daphénéo » ou son désopilant « Allons-y,
Chochotte »). Des intermèdes purement instrumentaux auront rythmé le
discours. La seconde partie s'ouvre par « On s'aimerait » de Léo
Ferré, Petibon faisant duo avec Olivier Py, façon caf' conc', avec une
belle efficacité : un morceau d'anthologie. Vont ensuite alterner des pages
lyriques de Fauré ou de Francine Cockenpot
(« Colchiques dans les prés ») et des scénettes au ton badin de Reynaldo Hahn (« Pholoé »
et « A Chloris »), ou de Manuel Rosenthal,
celui des Chansons de Monsieur Bleu, dont elle donne trois mini
caricatures loufoques, « Fido, Fido », « L'Éléphant du Jardin des Plantes »
et « Le Vieux chameau du Zoo », avec force déhanchement démonstratif.
Car ces mélodies sans-gêne furent créées dans les années 1930 par Marie Dubas, illustre figure du music-hall. Elles ouvrent ici la
voie à Fernandel et à ses deux pièces impayables, « C'est un dur » et
« Le Tango corse » : le duo avec Py, où
chacun en remet dans le genre grivois ou lascif, est délirant. Le programme
s'achève par une incursion en territoire espagnol, avec « Granada » de Agustin Lara, plus ibérique que
nature. Patricia Petibon mène gentiment, mais
sûrement, les auditeurs par la main durant ce parcours inhabituel, aux
associations osées. Elle prend des risques, mais les assume avec aplomb et
grâce. Car Petibon donne tout, et va très loin dans
l'expression, mais jamais ne frôle la faute de goût.
Le chant est souverain avec un medium désormais plus développé qui confère au
timbre un supplément de chaleur, sans parler de ces notes tenues sans vibrato
qui n'appartiennent qu'à elle. Elle gratifiera le public conquis de deux bis,
dont un « Jolie môme » de belle gouaille, entourée de ses compères musiciens,
qu'elle fera justement un à un acclamer.
On retrouve l'essentiel de ce
programme, quoique dans un ordre différent, dans la CD que vient de publier le
label Universal DG ( 479
2465 ). Les musiciens de la Grande Guerre
Dans le cadre de la saison
musicale du Musée des Armées aux Invalides, en parallèle à l'exposition
« Vu du Front Représenter la Grande Guerre » et avec le soutien du
label discographique Hortus, était proposé un concert
au programme aussi inédit qu'enrichissant. Inédit par son architecture, tour à
tour récital et partie symphonique, comme par les compositeurs à l'affiche.
Enrichissant, car permettant d'entendre des pièces presque jamais jouées. Le
pianiste Nicolas Stavy donnait d'abord deux extraits
du cycle Les Heures dolentes de Gabriel Dupont (1878-1914), composition
décrivant les réflexions d'un malade alité observant la situation alentour.
« Épigraphe », qui ouvre le cycle, décrit une atmosphère sombre, et
« La mort rôde », la onzième, oppose deux thèmes, l'un violent et
sombre, l'autre plus calme, rare moment de répit, encore que ce soit le premier
qui l'emporte finalement. La Cathédrale blessée de la compositrice
Mélanie Bonis (1858-1937) offre un pianisme agité,
bardé de grands accords plaqués et répétés qu'entrecoupe une section médiane
d'un calme relatif. L'écriture est magistrale, ce que Nicolas Stavy restitue avec tact. Le triptyque dramatique Les
Croix de Bois d'Alex de Taye (1898-1952), inspiré
du roman éponyme de Roland Dorgelès, se joue de manière enchaînée. La partie
centrale « Bataille » explose littéralement comme s'il pleuvait des
éclats d'obus : un passage d'une puissance rare auquel l'excellent Orchestre
Symphonique de la Garde Républicaine, dirigé par Sébastien Billard, apporte
tout son éclat. Débuté dans un calme précaire (« Veillée d'armes »),
l'œuvre se termine dans un apaisement trompeur (« Morne plaine »).
Edward Elgar a écrit Polonia, pour orchestre,
en 1915, en hommage au sacrifice des soldats polonais, et dédia l'œuvre à Ignaz Paderewski. Requérant des forces immenses, elle sonne
curieusement équivoque, à la fois hymnique et apaisée, sa partie centrale avec
solo de violon apparaissant presque suave, ce qui ne laisse pas d'étonner dans
un tel contexte. Diversions for piano and orchestra, op. 21, de Benjamin
Britten est le fruit d'une commande du pianiste autrichien Paul Wittgenstein
qui ayant perdu le bras droit durant la Première Guerre, avait demandé à
plusieurs compositeurs d'écrire pour lui. Ravel composera ainsi son Concerto
pour la main gauche, comme Prokofiev son Quatrième concerto pour piano.
Paul Hindemith, Erich Korngold, Richard Strauss et
Franz Schmidt en feront de même. La pièce (1940) est construite sur le schéma :
thème (exposé par l'orchestre) et variations, au nombre de dix extrêmement
contrastées. Si l'écriture orchestrale reste relativement sage, encore
qu'annonçant les audaces à venir, la capacité virtuose pour la seule main
gauche n'a rien à envier à Ravel en termes de vélocité. Britten déploie un
arsenal de techniques pianistiques des plus ingénieuses, tout en préservant
l'unité thématique. Les courts morceaux varient les climats : sarcastique
(« Marche »), lyrique (« Nocturne »), ludique
(« Badinerie »), voire humoristique (« Burlesque » dont le
solo de saxophone parmi un étalage des vents est digne de Stravinski). L'œuvre
culmine dans deux Toccatas successives, la première pour un vrai feu d'artifice
de l'orchestre, la seconde en forme de cadence du piano, presque improvisée.
Nicolas Stavy empoigne ce maelström sonore avec
aplomb et triomphe de tous ses traits saisissants. L'orchestre lui peaufine le
plus brillant des écrins. Une prouesse, qui vaudra au soliste une juste
ovation. Il remerciera le public de la cathédrale Saint-Louis des Invalides par
une longue pièce de Schumann. Les Caprices de Marianne font salle comble à l'Opéra de Massy Henri SAUGUET : Les
Caprices de Marianne. Opéra-comique en deux actes. Livret de
Jean-Pierre Grédy, d'après la pièce d'Alfred de
Musset. Aurélie Fargues, Cyrille Dubois, Marc Scoffoni,
Thomas Dear, Julie Robard-Gendre,
Carl Ghazarossian, Xin
Wang, Tiago Matos, Jean-Vincent Blot. Orchestre de
l'Opéra de Massy, dir. Gwennolé
Rufet. Mise en scène : Oriol
Tomas.
Deuxième étape d'une vaste
tournée qui, sur deux ans et dans 15 maisons d'Opéra à travers l'hexagone, va
proclamer haut et fort le travail magistral accompli par le Centre Français de
Promotion Lyrique, le spectacle des Caprices de Marianne s'est arrêté à
l'Opéra de Massy devant une salle comble. Inspiré directement de la pièce
d'Alfred de Musset, l'opéra-comique d'Henri Sauguet (1901-1989), créé au
Festival d'Aix en 1954, était à peu près tombé dans l'oubli depuis lors,
n'étaient un disque, en 1959, dirigé par Manuel Rosenthal
avec Michel Sénéchal, Andrée Esposito et Camille Mauranne (chez Solstice), et des productions, plus
récemment, à Dijon et à Compiègne. Il y a là pourtant bien des trésors à (re)découvrir. A commencer par une adaptation finement
pensée de la comédie douce amère de Musset par un librettiste avisé :
Jean-Pierre Grédy épouse à merveille l'ambivalence de
la poétique de Musset, le jeu apparemment badin des sentiments amoureux, cruel
en réalité, entre comique et tragique, fantaisie et émotion, et ce côté
déconcertant oscillant entre rêve et réalité, lyrisme et réalisme. Chez quatre
personnages, une femme et un triangle amoureux, le mari, l'amant, et l'ami de
ce dernier désigné comme porte-voix, dont la belle finit par s'éprendre, sans
écho de la part de celui-ci. Une musique fort inventive et attachante traduit ces volte faces, par un débit qui fuit les schémas convenus,
au fil d'une suite ininterrompue de courtes scénettes incluant à l'occasion un
petit air plus développé. De ses maîtres, Satie et Koechlin,
Sauguet a retenu les leçons : faire simple, voire ascétique, et ne jamais
renoncer au souci de garder le texte compréhensible. D'où une orchestration
originale à la polytonalité raffinée, utilisant un panel de timbres extrêmement
variés, à la rythmique complexe, emplie de trouvailles inattendues. Aussi la
symphonie est-elle chatoyante dans sa franche diversité, jamais épaisse. Et le
chant reste celui d'une conversation musicale, déclamation lyrique claire, de
style arioso, toujours intelligible. On pense à la prosodie debussyste, dont Sauguet
avait découvert la lumineuse beauté, à Pelléas
et Mélisande bien sûr.
Tout cela, la production de
l'OFPL l'intègre avec doigté. La mise en scène du québécois Oriol
Tomas est fluide et portraiture des personnages spontanés, sans jamais
souligner, encore moins appuyer : un marivaudage qui tourne au jeu cruel et
vire au drame, presque sans qu'on le sente venir. Le mari un brin sérieux, un
peu raide aussi, obsédé par ces amants qui rôdent alentour, qui va user de
l'appui d'hommes de l'ombre pour tailler en pièce un amant encombrant ; un
jeune amoureux romantique, au spleen gros comme çà, dont l'authenticité vous
fait fondre de compassion ; un ami fantasque, à l'abord clownesque, qui le
masque tombant, endosse vite l'habit tragique
; enfin une jolie femme esseulée, un peu détachée, qui peu à peu va se
découvrir de vrais sentiments et se prêter au jeu de l'amour. Mais badine-t-on
avec l'amour ? Ils côtoient une poignée de personnages burlesques qui plus que
de jouer les utilités, les font se révéler en creux. La pièce s'inscrit dans
une décoration sobre, celle d'une grande galerie napolitaine, lieu d'échanges
mais aussi d'oppression, cette unité picturale étant agréablement colorée par
des éclairages changeants, et agrémentée de quelques fumées fugaces émanant
subtilement du Vésuve voisin. La petite troupe évolue avec aisance dans cette
ambiance de frivolité sérieuse. On admire la parfaite diction de chacun. Une
mention particulière au beau ténor clair de Cyrille Dubois, Coelio,
prototype du jeune et sombre romantique, prêt à braver la mort par amour, et à
Marc Scoffoni, Octave, qui dans le rôle ingrat de
l'ami porte-flamme, précipite la chute d'Icare, et
délaisse l'indécise Marianne. La direction avisée et fort attentive pour ses
chanteurs de Gwennolé Rufet
fait un sort enviable à cette partition délicieusement mélancolique, qui n'a
rien perdu de son pouvoir d'attraction. Comme il en est de ces autres pochades
opératiques bien françaises que sont L'Heure espagnole de Ravel, Les
Mamelles de Tirésias de Francis Poulenc ou les mini
opéras de Germaine Tailleferre. Jean-Pierre
Robert. Un américain à Paris : le souffle de Broadway George & Ira GERSHWIN : Un
Américain à Paris. Musical d'après le film éponyme de Vincente Minnelli (1951).
Livret de Craig Lucas. Arrangements musicaux : Rob Fischer. Orchestration :
Christopher Austin. Robert Fairchild, Leanne Cope, Brandon Uranowitz, Jill Paice, Max von Essen, Veanne Cox. Ensemble
instrumental du Châtelet, dir. Brad Haak. Mise en scène et chorégraphie : Christopher Wheeldon.
Parmi les nombreuses comédies
musicales de George Gershwin on ne trouve pas trace de « Un américain à
Paris ». Ce titre est celui d'une pièce pour orchestre de 1928 et aussi
d'un film culte réalisé en 1951 par Vincente Minnelli, avec Gene Kelly, et
Leslie Caron. Aussi était-il inédit d'adapter le film à la scène et ainsi
d'imaginer le musical que l'auteur aurait pu écrire. Pari lancé par
l'équipe du Châtelet en coproduction avec Broadway. Et nul doute gagné, en tout
cas de ce côté-ci de l'Atlantique ! Un travail considérable a été fait pour
recréer une trame accrocheuse, tout en se détachant du film. A commencer par la
décision de la situer, non plus en 1949, mais au sortir même de la guerre.
Ensuite et surtout, en concevant un spectacle qui mêle chansons et morceaux
orchestraux, installant un florilège des grands tubes des frères Gershwin. Le
choix s'est porté bien évidemment d'abord sur le poème symphonique An
American in Paris. Mais ont aussi été retenus le Concerto pour piano en
fa et la Seconde Rhapsodie pour piano et orchestre de 1931. Tous
extraits symphoniques entrelardés d'un certains nombre de chansons telles que
« I Got Rhytm »,
« 's Wonderful » ou « But Not For
Me ». Le spectacle s'articule autour de l'histoire de la mystérieuse et
séduisante française Lise Dassin, courtisée par trois hommes : l'américain
Jerry, ex GI, le français de bonne famille Henri Baurel,
mais aussi le compositeur Adam Hochberg. Ce dernier
prend les traits de Gershwin lui-même composant un musical qui doit être donné
au Théâtre du Châtelet à Paris... Car en fait ce qui réunit tout ce petit
monde, c'est la création du nouveau show. On croise encore une riche américaine
sur le retour, Milo Davenport, dotée de cette énergie débordante qui
n'appartient qu'à cette caste. Elle va jouer les mécènes de l'entreprise qui
voit Lise être la prima bellerina, Jerry le
décorateur, et Adam l'auteur de la musique. On passe des rues d'un Paris
fraichement libéré, aux Galeries Lafayettes, des quais
de Seine au foyer de la danse du théâtre parisien. Pour corser l'intrigue, on a
imaginé que Lise était juive, cachée durant l'Occupation, ce qui rend encore
plus crédible l'attirance éprouvée par le musicien juif Adam pour la jeune
fille. Dans cette atmosphère de liberté retrouvée, les personnages
s'affranchissent des tabous et conventions des années de guerre, pour célébrer
la joie reconquise, le retour à la vie, dans une débauche de rythmes de danses.
Le spectacle est huilé au
millimètre près comme savent le concocter les américains dans leurs musicals, toujours habités du plus grand
professionnalisme. Aucun temps mort, même si entre les numéros dansés, le
cheminement de l'histoire exige des pauses d'explication parlées. Heureusement
pas trop longues, elles sont habilement ménagées. Les courtes scènes se
succèdent sans solution de continuité dans une décoration suggestive aux tons pastels, qui associe projections en fond de scène et
accessoires rapidement installés, tels que colonnes Morris, bribes d'intérieurs
bourgeois, jeux de miroirs. Cela va du figuratif à l'abstraction (comme une
toile cubiste lors de la scène du Pas de deux opposant Lise et Jerry), de la
revue de music hall balayée par des éclairages extravagants, au climat tamisé
d'un cabaret parisien. L'entertainment laisse
constamment sur le qui vive, en particulier dans les ensembles menés à train
d'enfer et les duos à l'allure aérienne. Un souci d'esthétisme domine le
spectacle, encore mis en exergue dans les costumes, et il s'en dégage une
impression de légèreté, celle d'une chorégraphie où cohabitent avec bonheur
plusieurs styles, classique et moderne. C'est que tous les protagonistes se
dépensent sans compter. On a confié les deux rôles principaux à des danseurs
chevronnés, gage d'aisance et de fluidité. Car tant Robert Fairchid,
premier danseur du New York City Ballet, athlétique et romantique à souhait,
que Lanne Cope, danseuse
étoile au Royal Ballet de Londres, joli cœur à saisir et d'une impressionnante
présence, font plus qu'assurer le show : ils chantent comme ils dansent !
L'Adam de Brando Uranowitz est fort sympathique,
mélange de fonceur et de timide, en butte aux incertitudes de la création, et
la Milo de Jill Paice est plus vraie que nature dans
le genre « j'ai encore quelques atours, j'ai de l'argent pour faire le
bonheur des jeunes ». Musicalement, la soirée offre les sonorités
bariolées de la musique combien attachante de Gershwin, grâce à un orchestre
peu nombreux rehaussé de piano, percussions et d'une once d'accordéon et de
claquettes. On savoure un mélange de musique noire américaine, de jazz et de
musique savante européenne, de thèmes mémorables et de rythmes endiablés,
subtile alliance entre « french touch » et
« american tunes ». Et une orchestration
habile, même si insistant un peu trop sur la répétition de thèmes connus. Et l'on découvrit Christophe Colomb... Félicien DAVID : Christophe
Colomb ou la découverte du nouveau monde. Ode-symphonie en
quatre parties. Poème de Méry, Chaubet
et Sylvain Saint-Étienne. Chantal Santon-Jeffery,
Julien Behr, Josef Wagner. Jean-Marie Winling, récitant. Chœur de la Radio Flamande. Les Siècles,
dir. François-Xavier Roth.
Félicien David (1810-1876) sort
peu à peu de l'ombre, grâce à la perspicacité de la Fondation Bru Zane Centre
de musique romantique française. Après des exécutions de concert de son
Ode-symphonie Le Désert et de ses opéras Herculanum, et Le
Saphir, voici qu'est présenté Christophe Colomb ou la découverte du
nouveau monde, dans le superbe écrin de l'Opéra Royal du château de
Versailles. Écrite en 1847, l'œuvre marque l'aboutissement chez le musicien du
genre de l'Ode-symphonie, mêlant oratorio et mélodrame. Le récitant y occupe en
effet un rôle déterminant, plus qu'un simple narrateur, mais intervenant pour
commenter l'action à des moments clés et renforcer l'aspect descriptif de
l'environnement. Ses quatre parties composent
une succession de tableaux indépendants : « Le départ » marque l'adieu
et la prière, « La nuit des tropiques », les mystères de la mer, « La
révolte », les affres du découragement de marins s'enfonçant dans la
mutinerie, enfin « Le nouveau monde » l'arrivée en rive féconde,
destination tant attendue. L'œuvre s'inscrit aussi dans l'héritage du mouvement
Saint Simonien dont Félicien David fut le compositeur officiel en 1831, avant
que celui-ci ne soit dissout l'année suivante. Au confluent des idéaux de
philanthropie, de fraternité et d'universalisme, la composante religieuse n'est
pas absente : le départ pour les Amériques, c'est l'idée d'évangélisation
prônée par le Père Barthélémy Prosper Enfantin, dont Colomb est le porte parole
et les marins ses disciples. La pièce décrit ainsi le voyage et les épreuves
initiatiques auxquelles ils sont soumis, et au-delà de l'idée de conquête,
celle de la rencontre avec les indigènes. Elle s'achève d'ailleurs dans une
harangue du héros, dont la portée humaniste est en avance sur son temps :
« Respectons tous leurs droits, rendons leurs jours prospères, et
n'oublions pas qu'ils sont aussi nos frères ». L'écriture orchestrale est
raffinée, convoquant un effectif fort vaste et un instrumentum
original, avec cuivres renforcés, ophicléide et brelan de percussions dont se
détachent la grosse caisse et le tambour de basque. La partie vocale exige un
chœur mixte et trois solistes. Plusieurs pages font montre de trouvailles
ingénieuses incluant en particulier la donnée fantastique chère au XIX ème siècle. Comme la deuxième section dont le prélude
décrit le calme presque hypnotique de la mer, moment de pure contemplation,
voire d'extase romantique. Ou la « Chanson du mousse », belle rêverie
du ténor, qui n'est pas sans anticiper l'air du jeune marin phrygien Hylas, au
dernier acte des Troyens de Berlioz. La tempête qui surgit, déchaine les
éléments dans la meilleure veine des cataclysmes baroques, par un orchestre
fortissimo ponctué de coups secs de grosse caisse. L'introduction de la
troisième partie décrit le calme quelque peu effrayant d'une mer d'huile sous
un ciel dardant de tous ses feux, « Grand désert de saphir qu'aucun
souffle ne ride », et installant parmi les matelots un sentiment de perte
d'espoir et de désolation. Ce lourd climat va en précipiter la révolte, savamment
reprise en main par Colomb. La dernière partie couvre en fait plusieurs
épisodes : un prélude symphonique très élaboré décrit la découverte de la terre
nouvelle, suivi d'une danse des sauvages animée, qui offre par anticipation la
vision naïve des indigènes telle que les arrivants vont l'éprouver.
François-Xavier Roth, infatigable découvreur de musiques méconnues, insuffle à
cette fresque épique une vie de tous les instants et les Siècles déploient des
sonorités riches et diaprées. Le Chœur de la Radio Flamande et les solistes
enrichissent cette exécution de leurs talents, dont le ténor Julien Behr et la baryton Josef Wagner.
Une enrichissante expérience ! Jean-Pierre
Robert. La Clémence de Titus au Théâtre des Champs-Elysées : Une première bien classique. Wolfgang
Amadé MOZART : La Clemenza di Tito. Opera seria en deux actes. Livret de Caterino
Mazzola d'après Pietro Metastasio.
Kurt Streit, Karina Gauvin, Julie Fuchs, Kate
Lindsey, Jule Boulianne, Robert Gleadow.
Ensemeble vocal Aedes. Le
Cercle de l'Harmonie, dir. Jérémie Rohrer. Mise en scène : Denis Podalydès. © Vincent Pontet Pour cette première production en version
scénique de La Clémence de Titus,
depuis l'ouverture du TCE en 1913, Michel Franck avait bien fait les choses,
confiant la direction musicale à son complice habituel, mozartien reconnu,
Jérémie Rohrer et la mise en scène au comédien,
metteur en scène, sociétaire de la Comédie Française, Denis Poladylès,
tous deux associés à une distribution vocale de tout premier ordre. La mauvaise
réputation de cet opéra de Mozart, composé l'année de sa mort en 1791, explique
sans doute ce long silence de plus d'un siècle. Un opéra, qualifié par
l'impératrice Marie Louise, sœur de Leopold II, de
« grosse cochonnerie allemande » qui aurait été écrit d'après la
légende en quelques jours par un compositeur pressé, travaillant parallèlement
sur la Flûte enchantée. Un opéra
pâtissant d'une intrigue assez pauvre et d'une césure qui va croissante entre
la noblesse voulue du propos émanant des Lumières et la faiblesse de la
dramaturgie, mettant à jour la mollesse du personnage principal, Titus, dont on a l'impression que
la clémence résulte plus de la fuite en avant que d'une attitude résolue
politique ou spirituelle. Et pourtant, il semble bien que Mozart dans cette
œuvre ait voulu laisser un message qui lui tenait à cœur puisque s'inscrivant
dans un testament maçonnique en trois points : Devoirs envers soi (La Clémence de Titus), envers l'humanité
(La Flûte enchantée), envers Dieu (Requiem). Peut-être moins évidente que
dans la Flûte enchantée, la trame
maçonnique est cependant incontestable valorisant le pardon, la tolérance et la
sérénité face à la mort. Dès l'ouverture les trois roulements en témoignent,
comme l'utilisation du cor de basset et de la clarinette, instruments fétiches
des Colonnes d'Harmonie. Il semble également que la commande de la Clémence de Titus ait été favorisée par
différents membres de la Loge « Vérité et Unité aux trois colonnes couronnées »
que Mozart fréquentait à Prague, ville où eut lieu la création le 6 septembre
1791.
Denis Poladylès a
choisi de faire commencer l'action à partir de la scène des Adieux de la Bérénice de Racine : « Je vivrai, je suivrai vos ordres absolus. Adieu, Seigneur, régnez, je ne vous verrai plus. » Idée pertinente, vers admirables déclamés
dans le silence et la pénombre, précédant les premières notes de l'ouverture.
Un fantôme de Bérénice qui hantera sans cesse l'esprit de Titus, lui rappelant
le sacrifice d'un amour à la raison d'état et les nécessités du devoir de
monarque, une apparition que Denis Poladylès fera
déambuler régulièrement sur le plateau, aperçue du seul Titus, comme un souvenir
qui vous hante, comme un regret, peut-être un remord.
L'action romaine est ici transposée dans un
hôtel cossu des années trente où semble réuni tout le gouvernement exilé de
Titus. Les décors en bois sombre d'Eric Ruf ajoutent à cette atmosphère confinée. Une mise en scène
finalement assez sage, peu dérangeante, sobre, mais sans génie, se limitant à
un jeu d'acteurs, qui ne délivre pas de message nouveau, ni d'éclairage
particulier, qui se contente de suivre l'action comme si son auteur, dont on
connait pourtant l'acuité de la vision théâtrale, était constamment comme
empêché par la musique, par l'atmosphère particulière de l'opéra. Une certaine
réserve déjà remarquée lors de ses prestations précédentes sur cette même
scène. Au plan musical en revanche, pas de réserves. Jérémie Rohrer dirigeant son Cercle de l'Harmonie assume avec brio
sa réputation de chef mozartien. Le discours est fluide, la lecture dynamique,
mais on regrettera que les instruments anciens, notamment les vents (cor de
basset et clarinette), n'aient pas le brio nécessaire pour l'accompagnement
concertant des célèbres airs de Sesto et Vitellia avec clarinette ou cor de basset obligés. Quant à
la distribution vocale, si l'on excepte le Titus vieillissant de Kurt Streit, elle parait globalement homogène dans sa qualité,
dominée par le beau Sextus de Kate Lindsey,
androgyne au timbre un peu métallique.
Karina Gauvin campe une Vitellia de belle facture assumant
crânement les difficultés de sa partition s'étendant du sol grave au contre-ré. Julie Boulianne (Annius) et Julie Fuchs (Servilia)
sont également très convaincantes vocalement et scéniquement, tout comme Robert
Gleadow, parfait dans le rôle de Publius.
Bref, une belle production, très attendue, classique dans sa facture, qui a su répondre à nos attentes, surtout par sa
qualité musicale superlative qui lui valut l'ovation sans réserves de la salle. Nul n'est prophète en son pays !
Stéphane Denève
fait indiscutablement partie de ces musiciens français mal aimés dans leur
pays, peu présents sur les scènes françaises, alors que leur intelligence et
leur talent sont unanimement reconnus ailleurs ! Actuellement directeur
musical de l'Orchestre de la Radio de Stuttgart, premier chef invité du
Philadelphia Orchestra, dirigeant régulièrement les phalanges mondiales les
plus prestigieuses, Stéphane Denève semble un peu
boudé par les organisateurs de concerts parisiens. C'est dire si son passage à
Paris, à la tête du « National », dans le nouveau Grand Auditorium de
la Maison de la Radio, avait valeur d'évènement. Un public nombreux,
probablement plus curieux de la nouvelle salle que mélomane averti, attiré par
le superbe programme proposé ce soir. La Symphonie
n° 5 dite « Réformation » de Felix
Mendelssohn (1809-1847), créée à Berlin en 1832, mal aimée du compositeur, où
les successeurs de Mendelssohn firent de nombreux emprunts comme Wagner,
Bruckner ou Mahler. Une composition se concluant sur le Choral luthérien « Ein feste Burg ist unser Gott », déjà
utilisé par J.S. Bach un siècle auparavant, un finale qui couronne avec éclat
cet hymne instrumental à la gloire de la Réforme. Stéphane Denève
en donna une narration solennelle, claire et pleine d'allant qui fit valoir
l'orchestration riche et les très belles sonorités du « National » au
mieux de sa forme, lequel trouvait là, dans cette superbe salle, un écrin à la
hauteur de ses ambitions. Une deuxième partie de concert consacrée à la musique
française avec le Concerto pour deux
pianos (1932) de Francis Poulenc que Frank Bradley et Eric Le Sage
interprétèrent de manière fusionnelle et aboutie rendant à cette œuvre toute sa
poésie, sa pétulance et son humour ; du « pur Poulenc» donc, comme aimait
à le souligner le compositeur. Pour conclure, la Symphonie n° 3 (1930) d'Albert Roussel, probablement la plus
réussie de ses quatre symphonies, un des jalons essentiels de la musique
française du XXe siècle, à la fois dynamique et sereine, une musique pure
affranchie de tout pittoresque et de toute velléité descriptive, où l'art du
phrasé, l'intelligence de direction et la complicité de Stéphane Denève avec les musiciens firent encore une fois merveille.
Une très belle soirée où devant les applaudissements soutenus du public et des
musiciens, Stéphane Denève exprima avec pudeur et
émotion, tout le plaisir qu'il éprouvait à se trouver là, sur cette scène, avec
ce bel orchestre….Une déclaration comme une prière…Puisse-t-elle être
entendue ! En attendant, revenez quand vous voudrez Monsieur Denève ! Le succès d'Adrien Perruchon
Les viroses hivernales auront fait le
malheur des uns, mais le bonheur des autres… Lionel Bringuier,
puis Mikko Franck ayant déclaré forfait pour cause de maladie, c'est en
définitive au percussionniste, timbalier solo de l'orchestre, Adrien Perruchon qu'échut la baguette pour ce concert associant
Brahms et Dvořák, dans le nouvel auditorium
de la Maison de la Radio. Un début de carrière impromptu pour ce jeune chef en
formation, sous la haute surveillance de Mathieu Gallet, président de Radio
France, devant une salle pleine comme un œuf, le concert faisant l'objet d'une
retransmission en direct…. Voilà pour le contexte ! C'est parfois comme
cela que commencent les grandes aventures ! On ne s'attardera pas plus
avant sur le Concerto pour piano et
orchestre n° 2 de Brahms dont l'interprétation du pianiste
François-Frédéric Guy ne restera pas dans les mémoires. Un soliste un peu
fantasque difficile à suivre qui mit
souvent le jeune chef en difficulté, des décalages nombreux, des
attaques floues, un piano dur, un discours haché qui entacha gravement
l'exécution de cette symphonie concertante. Un début de concert assez
calamiteux dont la responsabilité est directement imputable au pianiste comme
la suite le prouvera ! Car c'est bien lors de la deuxième partie de
concert consacrée à la Symphonie n° 8
d'Anton Dvořák que le jeune Adrien Perruchon prit son envol… Libéré, soutenu par une
complicité inaltérable de ses condisciples du « Philhar »,
le jeune chef nous en livra une lecture d'une belle maturité, parfaitement en
place, dynamique faisant magnifiquement sonner tous les pupitres et notamment
les vents particulièrement sollicités dans cette œuvre, conçue comme un hymne à
la Nature. Une composition qui enthousiasma le public par sa richesse
mélodique, ses aspects dansants, une partition qui semble s'éloigner de Brahms
pour regarder du coté de Tchaïkovski. Une soirée au début hésitant et incertain
qui se conclut sur le triomphe d'Adrien Perruchon. Ovation de la salle et de l'orchestre saluant
talent et courage. Bravo Monsieur Perruchon! A suivre…
Patrice Imbaud. Back to Bach au Musée d'Orsay
Immense virtuose du piano en même temps que
compositeur Ferrucio Busoni avait une passion
débordante pour JS. Bach auquel il aimait s'identifier. Dans ce concert que
nous offre le magnifique pianiste Maurizio Baglini,
on peut s'imaginer, à travers les œuvres jouées, l'éventail des interventions
de Busoni dans les œuvres de Bach. Avec les œuvres pour orgue, l'enjeu consiste
avec un seul clavier à faire entendre une pièce pour deux claviers ! La
fameuse Toccata en ré mineur BWV 565, dans sa transcription pour piano de 1920,
est traitée comme une grande œuvre de concert exigeant une technique de haut
vol et de larges mains. Baglini s'en joua des
difficultés avec panache. On n'oublie le violon dans la transcription de la
Partita BWV 1004, effectuée par Busoni en 1897, et on est plus près d'une œuvre
pour clavier. A l'écoute, on peut se demander si ce ne sont pas des œuvres de
Busoni que l'on entend plutôt que des œuvres de Bach. C'est une pièce originale
que nous offre le pianiste en interprétant avec fougue la Sonatina
super Carmen, composée par Ferrucio Busoni en
1920. Ici point de transcription mais plutôt une paraphrase comme savait
le faire Liszt. C'est d'ailleurs une paraphrase de la fameuse
« Campanella » de Paganini, par Liszt, que Maurizio Baglini a joué en bis ainsi que très belle sonate de
Scarlatti. Mais tant de brio, de technicité ahurissante nous entraînèrent dans
un maelström sonore où la sensibilité de Maurizio Baglini,
qui est un pianiste époustouflant dans ce répertoire, n'avait pas droit de
cité. Seule l'interprétation de la sonate nous a fait entendre un artiste
sensible. Reste que le programme était intelligent et tout à fait dans l'axe du
programme fixé par Orsay. Bach/Busoni is Back ! Alain Laloum, entre Bach et Schumann
Ce jeune pianiste de 27 ans a déjà une
belle carrière derrière lui. Entre
récital et concerto, son répertoire est assez large. Beethoven, Brahms, Mozart,
Schumann sont les compositeurs qu'il interpréta et interprétera en 2014 et
2015. Pourquoi avoir associé Bach et Schumann dans cette série de concert
« Back to Bach » ? Parce que pour Schumann Bach était « son pain
quotidien ». Chacune de ses compositions porte de manière plus ou moins
affirmée la marque du Cantor. Donc c'est avec Bach et la Partita n°6 BWV 830
qu'Adam Laloum commença son récital dans l'auditorium du Musée d'Orsay. Les
Partitas pour clavier, au nombre de six, occupent une place importante dans
l'œuvre pour clavecin de JS. Bach, non seulement parce qu'il s'agit de l'opus I
mais aussi parce que ce recueil est le fondement de l'édifice de la
« Clavier Übung » qui constitue, avec le
« Clavier bien Tempéré » et « l'Art de la Fugue », la
synthèse de l'œuvre pour clavecin de Bach. L'ordre des tonalités des Partitas
n'a pas été choisi au hasard. Il apparaît que chaque Partita s'éloigne de la
précédente, par intervalle croissant, tantôt de façon ascendante, tantôt de
façon descendante. L'ordre, comme souvent chez Bach, a été savamment pensé.
Ainsi la première étant en si bémol majeur, la sixième sera en mi mineur !
Ces partitas se composent de mouvements traditionnels de la suite pour clavier
qu'on trouve au XVIIème siècle : Allemande, Courante, Sarabande, Gigue.
Chacune possède un Prélude ainsi que « d'autres galanteries ». La
sixième commence par une Toccata, une pièce dans le style fantasticus.
Ces pièces « galantes » ne cachent pas la complexité polyphonique qui
atteint son point culminant dans la gigue fuguée. Les Partitas sont une
démonstration de la virtuosité de Bach au clavier. D'après le biographe Forkel, les Partitas ont fait grand bruit dans le monde
musical car on n'avait rarement entendu d'aussi excellentes compositions pour
le clavecin. La problématique aujourd'hui est de savoir comment jouer Bach au
piano et de plus sur un Steinway Grand, l'instrument qui a réussi aujourd'hui à
normer le son des claviers internationaux. Comment
faire sonner sur un piano cette musique écrite pour le clavecin et qui est si
souvent interprétée magnifiquement par des clavecinistes. La discussion est
toujours ouverte. Musique intemporelle, elle peut être jouée sur un piano parce
que cet instrument est plus moderne diront certains. Alors pourquoi refuser les
synthés et autres instruments électroniques à clavier ? La querelle est
sans fin. L'interprétation est, dirons-nous, question de mode. Glenn Gould a
ouvert la voie. Commercialement il a réussi à devenir une sorte de référence,
mais qui aujourd'hui est souvent battue en brèche. Alors quand on a 27 ans et
qu'on se trouve face à un tel monument comment fait-on ? On se lance et on
verra bien. Ce qu'on peut dire de l'interprétation d'Adam Laloum c'est que son
jeu était propre : il a joué les notes avec toute la dextérité qu'ont tous les
jeunes pianistes actuels. Tout cela sonnait juste, impeccable, souvent avec
trop de pédale, le péché mignon de toute une génération. Il faut que ça sonne,
pour paraphraser Boris Vian. Gould est passé par là. A vrai dire, à l'écoute de
cette Partita on s'ennuyait un peu. Il faut peut-être vieillir pour jouer cette
œuvre ? La concurrence est rude dans les interprétations de cette pièce
importante pour clavier. Ce répertoire n'est pas dans sa sensibilité
actuellement. Mais avec Schumann Laloum a montré toute la palette de son
talent. Cette œuvre brillante que sont les « Études Symphoniques » op.13,
permet une interprétation très colorée, très expressive qui mêle rêverie,
mélancolie et fougue. Elle commence avec un thème en do dièse mineur puis
suivent onze variations sur un thème appelé « études », chacune
faisant appel à des difficultés techniques complexes. Le finale est un
« allegro brillante », une sorte de feu d'artifice pianistique. C'est
une œuvre dont raffolent les pianistes. Adam Laloum a réussi à exprimer toute
la poésie et l'expressivité que requiert cette œuvre et qui exige une grande
dextérité. Il était avec Schumann dans son élément ce matin-là à Orsay. Un
jeune artiste à suivre et à écouter grandement. Le Bach de Café Zimmermann
L'ensemble Café Zimmermann réunit des
solistes de haut niveau s'attachant à faire revivre l'émulation artistique
portée par l'établissement de Gottfried Zimmermann dans le Leipzig du XVIIIème
siècle. Le projet est né en 1999 sous l'impulsion de la claveciniste Céline
Frisch et du violoniste Pablo Valetti. Le concert
était placé sous la splendeur des voix, la beauté de l'interprétation de
cantates de JS Bach où Emmanuel Laporte au hautbois et Hannes Rux à la trompette ont apporté leur soutien talentueux. La
soprano Sophie Karthaüser se jouait des difficultés à
chanter la Cantate BWV 51 si célèbre avec ce magnifique Choral « Sei Lob und Preis
mit ». La BWV 82 pour basse était de toute beauté grâce au timbre
chaleureux de Christian Immler. Le concert se termina avec la Cantate BWV 32
où les deux chanteurs nous ont une deuxième fois séduit.
On peut retrouver cet excellent ensemble chaleureusement conseillé les 3 et 10
février prochains à 12h30 dans un programme Mozart et Bach, toujours à
l'Auditorium du musée d'Orsay où la programmation est d'un haut niveau. Stéphane Loison. ***
L'EDITION MUSICALE
FORMATION
MUSICALE Salvatore
GIOVENI : Précis d'harmonie
tonale. Delatour :
DLT2450. Il faudrait bien plus que
quelques lignes pour dire tout le bien qu'on peut penser de cet ouvrage. Outre
que la présentation en rend la lecture et l'étude fort agréables, le contenu
répond pleinement à ce qu'on peut attendre d'un tel traité : une visée
d'abord musicale de l'harmonie… Les exemples sont extrêmement bien choisis,
bien expliqués et compréhensibles immédiatement, la progression à la fois logique
et historique, bref, nous ne pouvons que conseiller à chacun d'utiliser ce
volume et de s'en pénétrer sans modération. C'est un régal ! OPERA
/ FORMATION MUSICALE Claire
VAZART : Le Tour du Monde en 80
jours. Opéra pour 3 voix égales ou 3 voix mixtes. Livret adapté du roman de
Jules Verne. Delatour : DLT2166. Que voilà une réalisation
passionnante ! D'une durée d'une heure environ et entièrement chantée,
l'œuvre est constituée de 19 numéros de 1'30 à 7' comportant une ouverture, un
intermède et 17 parties chantées (la première et la dernière étant identiques). Destinée à des Classes à
Horaires Aménagés Musique de collège ou à des chorales d'Ecoles de Musique, il
est composé : - d'un chœur à 1, 2, ou 3
voix intervenant dans chaque numéro à la façon d'un chœur antique (narrateur,
commentateur, foule) - de 13 parties solistes
qui interviennent sur 1 ou 2 scènes afin qu'un nombre important d'enfants ait
un moment de mise en valeur et de responsabilité individuelle. - de 4 parties solistes
plus importantes éventuellement destinées aux élèves chanteurs ou comédiens. - L'intermède peut
facilement être joué par un élève de cycle II, piano solo. - Certains numéros, pour
chœur uniquement, peuvent être exécutés seuls dans un autre contexte que celui
de l'opéra. On
voit l'ambition du projet. Le langage est tonal ou modal, tenant compte des
différents pays traversés et de l'ambiance XIX° siècle que l'auteur a voulu
très explicitement préserver également dans le texte. En plus de l'intérêt
musical et pédagogique évident, cette œuvre permettra peut-être de redonner le
goût d'une certaine littérature pour la jeunesse qui n'avait rien d'enfantine. CHANT Anthony
GIRARD : Paysages de l'âme sur des poèmes de Heather Dohollau. Symétrie : ISMN 979-0-2318-0745-5. Il y a une concordance
parfaite entre la musique poétique d'Anthony Girard et la poésie si musicale de
Heather Dohollau, cette poétesse anglaise qui s'est
si bien approprié la langue française la plus poétique. On ne manquera pas de
savourer ces cinq délicats paysages brossés par l'auteur dans son langage si
personnel. C'est une très belle œuvre ! CHANT CHORAL Graham BUCKLAND :
33 spirituals for upper voices. Accompagnement de piano.Bärenreiter :
BA 7572. Tous les plus célèbres
« spirituals », de Go down
Moses à O happy day
en passant par Johua, Little David et
tous les autres, figurent dans ce recueil destiné aux chœurs de femmes avec ou
non une soliste. Ils peuvent être utilisés à l'unisson avec accompagnement de
piano et conviennent également aux chœurs d'enfants. Ils sont sans grande
difficulté, mais tout résidera dans le style de l'interprétation… Ces
spirituals sont en tout cas remarquablement harmonisés, avec une simplicité qui
est tout le contraire de pauvreté. ORGUE
et PIANO Frédéric
LEDROIT : Oppositions op.48 pour piano et orgue. Delatour : DLT2141. Exploitant à l'extrême les
possibilités de puissance et de timbres des deux instruments, l'auteur les
oppose dans un duel qui les pousse aux limites de leurs possibilités. Trois
mouvements dans ces oppositions : « Fusion »,
« Volcanique » et « Cristal ». Inutile de dire que les
interprètes doivent, eux aussi se donner à fond et que ni le piano ni l'orgue
ne peuvent être de petite dimension ! PIANO Davide
PERRONE : Improvisation pour
piano. Assez difficile. Delatour : DLT2368. Voici une très jolie pièce
pleine de poésie. Après une première partie tout en arpèges soutenant un chant
très lyrique dans un « tempo rubato », une deuxième partie plus
rythmique aux accents sud-américains anime le discours. La troisième partie
revient au premier thème et à ses arpèges en amplifiant encore le propos. Il y
a donc beaucoup de facettes diverses dans cette pièce colorée. Henri-Jean
SCHUBNEL : Première Sonate opus 10 pour piano. Delatour : DLT2446. Les éditions Delatour publient en même temps les trois sonates pour
piano de ce compositeur, élève de Tony Aubin à qui cette première sonate est
dédiée. Datée de 1965, cette oeuvre est en quatre
mouvements, le mouvement lent étant le troisième. L'écriture, sans concession,
est à la fois lyrique et contrastée. Souhaitons que les pianistes s'emparent de
ces trois œuvres pour nous les faire découvrir en concert. Henri-Jean
SCHUBNEL : Deuxième Sonate opus
20 pour piano. Delatour : DLT2447. C'est en 1999 que l'auteur
écrit, plus de trente ans après la, première, cette deuxième sonate. Le premier
mouvement bien que « Modéré », déroule un discours en doubles croches
qui soutient un thème récurrent. Le deuxième mouvement est constitué par un
choral qui encadre deux variations. Le Final allegro met en valeur un thème
rythmique et interrogateur développé tout au long du mouvement sous des formes
diverses, le tout se terminant par une sorte de feu d'artifice fortissimo. Henri-Jean
SCHUBNEL : Troisième Sonate opus
30 pour piano. Delatour : DLT2448. Ce compositeur, à la fois
grand scientifique et grand musicien, organiste, élève de Tony Aubin, nous
offre ici, quatre ans seulement après la deuxième, sa troisième sonate pour
piano. Elle comporte trois mouvements. Le premier est un moderato expressivo, plein de contraste, à la fois lyrique et
passionné. Le deuxième est une Cantilène qui fait penser à certains thèmes de
Ravel. Quant au troisième mouvement, un allegro marcato,
il déroule des aspects très variés et se termine par un Allegro Appassionato
aussi fougueux que passionné. C'est une belle œuvre à découvrir, mais qui
demande un excellent niveau d'instrument. A quand un récital regroupant ces
trois sonates ? Gilles
MARTIN : 10 petits amusements pour piano. Fin de premier cycle. Sempre più : SP0136. On aurait pu appeler
cela : « 10 petites études », mais le titre n'a pas bonne
presse… Et pourtant, il n'y a pas que celles de Chopin qui sont de la vraie
musique ! Gilles Martin nous en donne ici la preuve avec ces pièces
explorant sans en avoir l'air et, précisément, comme s'en amusant, les
différentes difficultés et les différents styles de la musique de clavier. Ce
sont des pièces d'audition ou de concours, certes, mais elles sont d'abord de
la musique, tout simplement. Gilles
MARTIN : 10 amusements pour piano. Fin de second cycle. Sempre più : SP0137. Après les
« petits » amusements, voici les amusements
tout court ! On pourra se reporter à la recension ci-dessus qui est
tout à fait valable pour ce recueil. On y trouvera autant de variété et de
musique que dans le précédent. Souhaitons-lui donc beaucoup de succès ! Alexandre
DESPLAT : Argo. Extraits de la bande originale du
film. Alfred : 40966. Très fidèles à l'original,
et en même temps d'une grande simplicité, ces trois extraits de la musique du
film Argo devraient plaire aux pianistes qui ont
vu le film. Edgar KNECHT :
Dance on deep waters. Bärenreiter : BA 8772. Voilà une œuvre tout à
fait intéressante. Certes, la partition est explicitement pour piano, mais à la
fois par les indications portées sur la partition (chiffrage détaillé des
accords) et par l'écoute des enregistrements disponibles (deux vidéos sur YouTube en lien avec l'éditeur, et l'ensemble de l'album
sur Deezer), on se rend vite compte qu'elle gagnera à
être enrichie par un petit ensemble de jazz. Car c'est bien de vrai jazz qu'il
s'agit, très attachant, très prenant. On ne peut qu'être séduit par ces pages
très poétiques mais dont l'apparente simplicité demande cependant un « métier »
et une sensibilité d'interprètes ayant une longue fréquentation de ce style de
musique. Mais après tout, ce peut très légitimement être l'occasion de
commencer ! Bien sûr, les interprètes allemands y reconnaissent des thèmes
familiers, mais cette culture n'est pas indispensable pour goûter ces ballades
délicatement jazz. Ludwig
van BEETHOVEN : Concerto n° 4 en sol majeur pour piano et orchestre op.
58. Bärenreiter : Conducteur : BA 9024,
Réduction pour piano (deux pianos) : BA 9024-90. Les éditions Bärenreiter continuent de publier l'intégrale des concertos
pour piano de Beethoven. On retrouve dans ce quatrième concerto toutes les
qualités que nous avions signalées pour les trois premiers : intérêt de la
préface de Jonathan Del Mar qui réalise cette édition, et de la réduction pour
piano de Martin Schelhaas. Il s'agit d'une future
intégrale en tous points remarquable. VIOLONCELLE Sophie
LACAZE : Variations sur quatre
haïkus pour violoncelle. Moyen
avancé. Delatour : DLT2408. Composées en 2009 pour
Florian Lauridon, ces quatre petites pièces furent
créées en 2010 au cours d'un concert de l'Itinéraire. Il s'agit de quatre
haïkus de Buson, le grand poète japonais du XVIII°
siècle :«Pluie de printemps… », « Après avoir
contemplé la lune... », « Ondulante serpentante… » et « Au milieu de la plaine... ». L'écriture, contemporaine,
traduis les ambiances de ces quatre poèmes. Charles-Marie
WIDOR : Moderato cantabile extrait de la 6ème symphonie
pour orgue. Transcription pour violoncelle et orgue de Jean-Paul IMBERT. Delatour : DLT2326. Le transcripteur, lui-même organiste, est donc
orfèvre en la matière. On pourra craindre simplement que le violoncelliste
n'interprète de façon trop romantique ce thème qui parcours l'œuvre et ne donne
quelques malencontreux « coups de boîte » (expressive, bien
entendu !) Mais faisons confiance aux interprètes. Après tout, pourquoi
pas ? FLÛTE
TRAVERSIERE Pascal
PROUST : Piccolo divertimento pour piccolo et piano. Fin 2ème
cycle. Sempre più : SP0140. Ce petit divertissement
comporte trois petites pièces : I – Classico, II – Romantico,
III – Giocoso. Le moins que l'on puisse dire, c'est que ces pièces pleines de
fraicheur n'engendrent pas la mélancolie. Ne boudons pas notre plaisir, qui
devrait être celui des jeunes interprètes. Leonello CAPODAGLIO : Élégie
pour flûte et piano. 2ème cycle. Sempre
più : SP0127. Comme celle de Fauré, si
elle commence de façon… élégiaque, cette pièce s'anime en son milieu et termine
même de façon « épique ». C'est dire combien son lyrisme possède de
multiples facettes. Elle met donc en valeur aussi bien les capacités musicales
que techniques des interprètes, car le pianiste n'est pas en reste pour les
difficultés et constitue un véritable partenaire. Max
MÉREAUX : Madrigal pour flûte seule. 3ème cycle. Sempre più : SP0103. Il y a beaucoup de poésie
et de charme dans cette pièce où le flûtiste devra faire oublier la difficulté
technique pour en exprimer toute la substance musicale, tout le lyrisme, en un
mot toute la beauté. Francis
COITEUX : Petit clown pour flûte ut et piano. Préparatoire. Lafitan : P.L.2891. On trouvera bien du
plaisir à découvrir ce petit clown sautillant, virevoltant puis un peu
mélancolique dans un « cantabile » débouchant sur une cadence qui
ramène aux pirouettes du début. Les interprètes devraient y trouver beaucoup de
plaisir. Signalons que l'éditeur regroupe maintenant toutes ses productions
pour instrument et piano dans une rubrique « musique de chambre »
pour indiquer qu'il s'agit bien de partitions écrites pour deux élèves. Alain
FLAMME : Babyl One pour
flûte en ut et piano. Supérieur. Lafitan :
P.L.2886. Nous n'épiloguerons pas
sur les différentes interprétations dont ce titre est susceptible. Le
compositeur et flûtiste belge nous offre ici une œuvre peine de lyrisme et de
dynamisme. Après une longue introduction mettant en valeur l'aspect poétique de
la flûte, un allegro sautillant et charmeur donne une vie intense avant que ne
revienne une fin poétique dans l'esprit du début de l'œuvre. Le pianiste est un
acteur à part entière de l'œuvre et sa partition, fort intéressante, est à la
hauteur des difficultés rencontrées par son partenaire… CLARINETTE Marc-Antoine
DELATTRE : Chante et danse pour clarinette et piano. Elémentaire. Lafitan : P.L.2941. Le titre est un reflet
fidèle du contenu de cette pièce qui d'un « andante espressivo » à un
« allegro moderato » plus dansant revient à la fin au « tempo
primo », qui se termine sur un feu d'artifice de deux mesures. Le langage,
classique, a beaucoup de charme et de finesse. Sylvain
KASSAP : Silver eye pour ensemble de clarinettes. Commande de
la communauté d'aglomération Argenteuil-Bezons. Dhalmann : FD0463. Saluons cette œuvre, née
d'une résidence du musicien et compositeur Sylvain Kassap,
œuvre qui permet à un ensemble de clarinettes de niveaux distincts, allant du
premier au troisième cycle, d'interpréter une œuvre destinée à une classe de
clarinettes et d'une durée d'environ un quart d'heure. L'objectif était
ambitieux, mais il est pleinement rempli car l'œuvre a remporté le Prix de
l'enseignement musical 2014, Prix de la résidence d'un compositeur. Pour la
mise en œuvre, on fera spécialement attention à la spatialisation,
particulièrement importante pour un bon « rendu » de l'œuvre.
Souhaitons beaucoup de succès à cette œuvre passionnante. Max
MÉREAUX : Badinerie pour saxophone alto et piano. Moyen. Lafitan : P.L.2741. Commençant par une partie
plus rythmique dont le côté syncopé devrait causer quelques difficultés aux interprètes,
la pièce se poursuit par un solo en « tempo libre » qui s'enchaine
avec une partie plus lyrique avant que la rythmique et les chromatismes du
début ne reviennent pour conclure ce très agréable morceau. Les pianistes
apprécieront que, pour une fois, le saxophone, sur leur partie, soit noté en
« effet réel »… Ce serait un bon exemple à suivre pour tous les
instruments dits transpositeurs (car en fait, eux ne « transposent »
pas, ce sont les malheureux accompagnateurs qui transposent… !). TROMPETTE Max
MÉREAUX : Cantabile pour trompette ou cornet ou bugle. Moyen.
Lafitan : P.L.2625. Une très jolie mélodie se
déroule sur un accompagnement très doux et très harmonieux du piano, mélodie
qui débouche sur une cadence plus rythmée pour revenir au thème du début, mais
dans le ton homonyme mineur, ce qui confère un côté mélancolique à la fin de ce
cantabile fort bien venu. SAXHORN
BASSE/EUPHONIUM/TUBA Jean-Jacques
FLAMENT : Leçon de danse pour saxhorn basse, euphonium ou tuba et
piano. Lafitan : P.L.2704. Du galop à la valse, cette
« leçon de danse » destinée à la fin du premier cycle sera à la fois
réjouissante et excitante pour ses interprètes en même temps qu'elle pourra
parfois leur donner du fil à retordre. Mais au final, le plaisir sera au
rendez-vous ! Rémi
MAUPETIT : Bernard le canard pour saxhorn basse ou euphonium ou tuba
et piano. Préparatoire. Lafitan : P.L.2769. Canard, vous avez dit
canard ? C'est certainement ce que cherchera à éviter l'interprète de
cette pièce réjouissante qui a un petit air de fanfare campagnarde, de
promenade bonhomme, bref, qui justifie son titre par son allure champêtre. Quoi
qu'il en soit, l'ensemble est bien agréable à entendre et certainement à jouer. René
POTRAT : Un monde à toi pour saxhorn basse ou euphonium ou tuba
et piano. Elémentaire. Lafitan : P.L.2765. Il faudra que les
interprètes s'approprient ce monde très chromatique et souvent heurté.
L'ambiance semble parfois être plutôt celle d'une fin du monde (ou d'un
monde ?). Bref, il s'agit d'une pièce attachante mais exigeante pour les
élèves. PERCUSSIONS Thierry DELERUYELLE :
Bingo star. Pièce
en 4 mouvements pour percussions et piano. Fin de 1er cycle. Lafitan : P.L.2861. Chaque mouvement est
interprété par un type de percussion. Le premier est un joyeux allegro dévolu
au xylophone, le deuxième est une valse pour caisse claire, le troisième un
mouvement chantant destiné au vibraphone et le dernier, un allegro martial pour
timbales. Le tout forme un bien réjouissant ensemble pour une audition ! David
LEFEBVRE : Xylotude n0° 4
pour xylophone et piano. Préparatoire. Lafitan :
P.L.2928. Cette petite pièce nous
laisse longtemps dans une incertitude tonale qui lui confère un côté un peu
exotique, mais qui ne manque pas de charme. Le rythme, également, contribue à
ce climat un peu étrange. Mais c'est pour notre plus grand plaisir. Christian
HAMOUNY : Tokatotung. Ensemble
pour 6 percussionnistes. Facile-moyen. Dhalmann FD
0249. Précisons tout de suite la
nomenclature : 4 bongos, 4 congas, cinq cloches à vaches, 4 timbales, 6
toms, marimba, wood block, cabassa,
guiro, vibraslap, claves, 1
crotale, 5 cymbales. L'œuvre, qui comporte une part d'improvisation (avec
modération, demande l'auteur), peut également servir pour une chorégraphie et
donner lieu à des reprises, indiquées par l'auteur, et, selon son conseil, à ne
pas trop multiplier. MUSIQUE
DE CHAMBRE Timothy
HAYWARD : Quatuor à cordes n° 1. Delatour : DLT
2165. On s'accorde en général
pour dire que l'écriture d'un quatuor à cordes est une entreprise à la fois
exaltante et périlleuse, réservée à la maturité. Timothy Hayward, dont
l'activité de compositeur, classique et jazz, n'a cessé de s'accroître, possède
cette maturité. Ces trois mouvements ont été accueillis avec un grand succès
lors de leur création en 2010. Souhaitons que nous puissions bientôt, par le
disque et le concert, connaître mieux cette œuvre. ORCHESTRE Claude
DEBUSSY : La Mer. Trois esquisses
symphoniques. Edité par Douglass Woodfull-Harris.
Esition de « poche ». Bärenreiter
Urtext : TP 780. Conducteur (BA 7880) et
matériel d'orchestre sont également disponibles à la vente. Que dire de cette
excellente édition sinon qu'elle tient compte de toutes les recherches faites
jusqu'à ce jour. Et qu'il est agréable d'avoir une édition trilingue… La
préface est tout simplement passionnante et touche à tous les aspects de
l'œuvre. CANTATE Anthony
GIRARD : Chemins couleur du
temps. Cantate pour double chœur à
deux voix égales, harpe et quatuor à cordes. Symétrie : ISMN
979-0-2318-0735-6. Cette œuvre est composée
sur des poèmes français et anglais de Heather Dohollau.
Sur les sept poèmes proposés, un seul est en français. Cette poétesse née au
pays de Galles avait trouvé en France et avec le français, et par confrontation
des deux langues, « le chemin de l'indicible », comme le dit Anthony
Girard. On connait la qualité poétique et mystique des œuvres d'Anthony Girard.
Celle-ci, par la délicatesse et l'originalité des moyens sonores mis en œuvre,
ne déroge pas. Poèmes et musiques semblent indissociables. Il s'agit d'une
œuvre qui mérite d'être connue et aimée… VOIX Graham
BUCKLAND : 33 Spirituals for upper Voices, Kassel, Baerenreiter (www.baerenreiter.com ), 2014. BA 7572, 79 p. - 17, 95 €. Ce
recueil regroupe 33 Spirituals (pour
tessitures aigües), c'est-à-dire pour 3 voix de femmes. Ces chants, bien
adaptés aux voix féminines, peuvent être interprétés avec ou sans
accompagnement au piano. Graham Buckland (né en 1951
à Weymouth, en Angleterre) — à la fois compositeur,
chef d'orchestre, musicologue et pianiste — a réalisé ces 33 versions en
conformité avec l'esthétique spécifique des Negro
Spirituals : mélodie planant à la partie supérieure, fréquentes syncopes,
quelques dissonances... Le piano assure des introductions, un support rythmique
souvent en accords plaqués ; les paroles sont entrecoupées d'interjections
(O), de répétitions (Amen, Hallelujah) ; la structure
est proche de celle de l'hymn.
Les arrangements sont fidèles à l'esprit de cette forme musicale depuis leur
genèse au XIXe siècle. Ils comprennent des chants très connus, tels que : Were You There When They crucified my Lord (n°11), Nobody Knows the Trouble I've seen (n°17) si poignant ; Go Tell it on the Mountain
(n°9), Mary Had
a Baby (n°8) (pour Noël), ou encore des pages historiques avec des
personnages bibliques : Go Down,
Moses (n°3), Joshua Fought the Battle of Jericho
(n°6), énergique et animé ; Little David, Play on your Harp (n°7), répétitif et
scandé par Hallelujah ;
Jacob's Ladder (L'échelle de Jacob, n°1) et les
incontournables O When
the Saints Go Marchin'
in (n°15), bien scandé, Amazing Grace
(n°24) — l'une des hymnes chrétiennes les plus célèbres dans le monde
anglophone sur les paroles du prêtre anglican John Newton écrites vers 1760 —
ou encore O Happy Day (n°33). À côté
de ces pages à succès depuis plusieurs décennies, figurent des Spirituals à découvrir : O Sinner Man, Where you gonna
run to ? (n°21), de caractère interrogatif ; affirmatif :
He is King of Kings (n°14) ; au conditionnel : If
I could, I surrely would (n°5)… Ces
33 Spirituals avec Préface bilingue
(allemande, anglaise — une Préface française
eût été bienvenue… —), sont destinés aux chorales d'enfants, aux ensembles
d'adultes comme aux chœurs d'Églises ; ils peuvent être chantés à l'unisson, la
mélodie étant soutenue au piano (ou à l'orgue). À coup sûr, ils seront appréciés par les chefs,
les chanteurs et les publics de tous âges. Édith Weber
***
LE COIN BIBLIOGRAPHIQUE
Jean-François
ALIZON : Aborder
le répertoire baroque sur la flûte. 1 vol. Paris, L'HARMATTAN
(www.harmattan.fr), 2014, BDT0002, 316 p. - 33 €. Après ses études — notamment de flûte à bec — au Conservatoire de Strasbourg, ensuite auprès de Hans-Martin Linde à la Schola Cantorum de Bâle, et après avoir participé à des stages de Bartold Kuijken, Jean-François Alizon propose un remarquable bilan de sa vaste expérience tant artistique que pédagogique. Ses propos si judicieux concernent les flûtes traversières modernes et baroques, la flûte à bec et d'autres instruments à vent. Il souligne tout particulièrement le travail technique et stylistique, les problèmes d'interprétation tels que l'ornementation ; les sources et éditions, sans oublier l'entretien et l'accord des instruments. Fait rare : il prend largement en considération « la personnalité de chaque musicien face aux difficultés qu'il peut rencontrer », selon la Préface de Marie-Claude Ségard, Directrice du Conservatoire de Strasbourg. En 11 chapitres, il évoque la technique, les problèmes qui peuvent surgir pour l'interprète (par exemple la justesse et le trac). Il pose la question cruciale : comment « aborder la musique baroque » (passé, présent, rhétorique, rythme, esthétique) ; s'interroge sur les sources constituées par les partitions et les traités (sans oublier leur « lecture intelligente »), les ouvrages modernes de référence et les monographies. Le Chapitre IV : « Écriture baroque et interprétation » est d'une importance capitale ; elle est traitée notamment sous l'angle mélodique, harmonique, en insistant également sur l'ornementation improvisée et sur l'ornementation française, ainsi que sur les formes. Il met aussi l'accent sur « le cadre rythmique et la danse », la nécessité du travail avec le corps, mais aussi les problèmes d'inspiration et de respiration. D'autres chapitres traitent l'embouchure sous ses divers aspects ; l'articulation et les liaisons en tant que nécessité et travail technique. Le Chapitre X, très instructif, concerne les diverses techniques de sonorité. L'excellent interprète et remarquable pédagogue accorde une large part à la virtuosité et, par ailleurs, n'oublie pas d'expliquer les soins et précautions à apporter aux instruments. Sa conclusion résume l'origine des données de son livre : rencontres avec d'éminents musiciens et maîtres, connaissance du passé, y compris son travail personnel « de recherche sur les instruments, dans la tradition des flûtistes qui tournaient et perçaient le bois ». Il a aussi récolté des éléments « sur le terrain, avec les élèves » et dans sa pratique et de la flûte et de la danse. Il définit ainsi la finalité de sa publication faisant état d'une si vaste expérience : « Pour que le langage baroque retrouve sa mission initiale, être au plus près de l'émotion pour la représenter, mais aussi la faire partager, et magnifier l'instant ». Contrat bien rempli. Édith Weber. Michaël ANDRIEU : Le Conservatoire de
musique : l'art et la manière…, 1vol. Rennes, HISTOIRES
ORDINAIRES ÉDITIONS (www.histoiresordinaires.fr), 2014, 138 p. - 10 €. Après, entre autres, les travaux bien connus de Pierre Constant au
tout début du XXe siècle, dès le sous-titre, Michaël Andrieu révèle ainsi sa démarche
et son propos : Réflexions sur
l'évolution des établissements d'enseignement spécialisé de la musique. Il
s'interroge sur l'avenir de cette institution, car ce problème est aussi
ressenti par les directeurs, collègues, élèves et élus. Il rappelle que la
danse et l'art dramatique y sont aussi enseignés, et que le Conservatoire
National (Paris) existe à côté des CNR ou encore des institutions municipales
ou autres associations. Le livre concerne « ceux qui vivent le
Conservatoire au quotidien » (p. 13). Le « Conservatoire » peut
être un « lieu d'élitisme », un « lieu d'excellence »
ou « le meilleur instrument pour dégoûter à tout jamais de la
musique », ou encore un « lieu de concert ». Après ces
préalables, Michaël Andrieu s'intéresse aux rapports entre musique et société.
Il est à la fois Docteur en Musicologie et professeur de culture musicale,
formateur, chef d'orchestre, compositeur et chercheur : cette diversité
d'activités artistiques et administrative (directeur de Conservatoire) lui a donc
permis de projeter un regard neuf (après avoir été élève). Ses réflexions
partent de son vécu. Après un bref rappel historique insistant aussi sur la
dimension politique, l'auteur traite les composantes du Conservatoire :
directeurs, professeurs, élèves, mais aussi parents, élus et, en général,
responsables de la culture. À la suite de Marcel Landowski et de Maurice
Fleuret, il s'agit donc de redéfinir les politiques culturelles et les
nouvelles filières spécialisées : DEM, CFMI, musiciens intervenants en milieu
scolaire ou ceux actifs dans les Conservatoires (CEFEDEM). L'auteur décrit, non
sans humour, les acteurs, leurs fonctions respectives et l'évolution de leurs
métiers d'artiste et de pédagogue, le lancement de nouvelles méthodes, tout en
évoquant leurs nombreuses difficultés pédagogiques. Le titre du Chapitre III
est truculent : « Au secours, mon fils veut faire de la
musique… ». M. Andrieu observe que, dans l'optique de la démocratisation de la musique, le
Conservatoire doit rester « pleinement en phase avec cette société qui
évolue ». La seconde partie survole « des pratiques
controversées : le cours de formation musicale et l'évaluation »
(contrôle continu, évaluation continue, auto-évalution
et même celle des enseignants). Elle soulève la question : quelle
pratique, Musique ou Musiques avec rock, jazz, slam,
chansons de Brassens… ? pouvant aller jusqu'à
l'oubli de Jean Sébastien Bach. C'est une gageure de concilier musique
classique et improvisation, informatique musicale et nouvelles pratiques. Heureusement,
les cours rébarbatifs de solfège ont été relayés par la formation musicale
(FM). À cet égard, deux conceptions peuvent se dégager : cours en tant que
préparation à la pratique instrumentale ou enseignement en tant que façon
de comprendre la musique dans sa complexité et sa richesse. À propos de la
musique, le Chapitre VIII pose les questions : Un « loisir amateur » ? La musique doit-elle rester un
loisir ? La pratique doit-elle « être libératoire,
gratuite » ? Par ailleurs, le Conservatoire ne doit pas être vécu
comme un « temps de contrainte ». La Coda est
intitulée : « Et demain ? ». Michaël Andrieu constate
l'accumulation (sans sélection) de nouveaux cours, départements, publics,
lieux… et conclut que « le renouveau du Conservatoire passe par l'implication
de tous… Tous travaillent pour faire vivre la réalité de l'art et de la culture
dans la cité… Tous travaillent à l'invention, la construction et la
réalisation de l'avenir de la société dont ils partagent les visions. »
(p. 124). Conscient que certaines de ses réflexions pourront choquer, Michaël
Andrieu a le mérite de brosser un tableau réaliste à partir du vécu, de
soulever des problèmes voire des polémiques et d'ouvrir des voies vers
l'avenir. Édith Weber. ***
CDs et DVDs
Jean-Philippe RAMEAU. Nouvelles
Suites de Pièces pour clavecin Troisième Livre : Suite en la - Suite en sol.
Alexandre Paley, clavecin. 1CD LAMUSICA(www.lamusica.fr), Distribution
Harmonia Mundi : LMU002. TT : 79’ 18. Le pianiste
Alexander Paley, fanatique de l’œuvre de Rameau, est
né à Kishniev, en Moldavie ; il a commencé le piano à
l’âge de six ans, donné son premier récital à treize ans, et effectué ses
études au Conservatoire de Moscou. En 1988, il émigre aux États-Unis, vit entre
New York et Paris, et voyage beaucoup pour ses tournées de récitals et de
concerts avec orchestre. Comme il le précise : « lors de ma première
rencontre avec Rameau, j’avais sept ans » et il ajoute : « Grâce
à lui, je suis à mon tour tombé amoureux de la France, et de Rameau en
particulier, Rameau qui ne m’a plus jamais quitté par la suite. » Dans le
cadre du 250e anniversaire de la mort de Jean-Philippe Rameau, Alexander Paley a
enregistré deux Suites extraites du Nouvelles Suites de Pièces pour Clavecin,
1728 (Troisième Livre) comprenant, d’une part, des Danses et d’autre part,
des œuvres aux titres particulièrement évocateurs. Influencé par Glenn Gould,
il recherche dans son interprétation les couleurs compatibles avec Rameau,
soigne particulièrement le tempo qui « doit être la vitesse d’exécution
qui permet à l’interprète de tout énoncer musicalement ». Il se réclame
aussi de Wanda Landowska à propos des ornements qui, à ses yeux, sont
« comme un vaste champ qui permet d’introduire ce qui existait autour de
Rameau en son temps ». Dans sa Suite
en la, le pianiste applique les
principes de tempi différenciés, par exemple pour les danses
traditionnelles : Allemande, Courante, Sarabande, Gavotte, avec
ses six doubles. Le titre : Les trois mains concerne leur croisement
et les sauts de la main gauche par-dessus la main droite, innovation technique
lancée notamment par Rameau. Dans la Suite
en sol, il restitue l’aspect descriptif, voire pittoresque des pièces
intitulées Les Tricotets (dans
laquelle Rameau superpose des rythmes à 3/4 et 6/8), La Poule (page descriptive entre toutes, avec ses 5 croches
répétées pour figurer le cri de la poule : Co co co co codaï avec, pour finir, de
puissants accords et des arpèges déchaînés), Les Sauvages ou encore L’Égyptienne
(qui n’est pas sans rappeler l’écriture de Scarlatti et conclut dans
l’agitation et avec des traits de virtuosité cette Suite). Alexander Paley, par sa
remarquable technique pianistique, son toucher délicat, son sens de la construction,
ses recherches concernant les tempi, les couleurs et l’exploitation des
ornements, a signé une authentique Défense
et illustration de la musique de clavecin de Jean-Philippe Rameau. Selon
ses propres termes, il tente « simplement de partager cette immense beauté
qui naît devant moi et devant l’auditeur ». Objectif atteint. Édith Weber. « La
boutique fantasque ».
Maria Graf, harpe. 1CD RONDEAU PRODUCTION (www.rondeau.de) : ROP6093. TT : 60’ 22. Maria Graf a
entrepris des études de harpe à Munich, sa ville natale, puis a été l’élève de
Pierre Jamet, entre autres. Elle a acquis son expérience de l’orchestre avec
les Münchner Philharmoniker
dirigés par Sergiu Celibidache, puis comme harpe solo
à la Philharmonie de Berlin sous la baguette de Herbert
von Karajan. Elle fréquente les salles de concert du
monde entier. Son vaste programme souligne la diversité de son répertoire pour
la harpe, l’un des plus anciens instruments dans l’histoire, à la fois
instrument, mais aussi orchestre permettant de combiner la mélodie et
l’harmonie, de rendre des sons doux et mystérieux au grave, et cristallins et
fulgurants à l’aigu. Le titre de ce disque n’est autre que celui du Ballet d’Ottorino Respighi (1879-1936), dont il permet d’entendre
des Valses. Il comprend, en outre, la
Fantaisie en do mineur pour harpe seule (op.
35) de Louis Spohr (1784-1859), des Variations
en Mi b Majeur sur un thème de La
flûte enchantée de W. A. Mozart, par Michail Glinka (1804-1857), ainsi que de
nombreux arrangements : Introduction
et Variations sur des thèmes extraits de l’Opéra Norma de V. Bellini composées
par Elias Parish Alvars (1808-1849) ;
la Fantaisie sur un thème extrait de
l’Opéra Eugène Onéguine
(Piotr Tchaikovski) réalisée par Ekaterina Adolfovna Walter-Kühne
(1870-1931) ; la Sérénade du Ballet Roméo et Juliette de Sergei Prokoviev (1890-1953). Parmi les thèmes plus connus,
figurent, entre autres, des adaptations de la Danse espagnole n°1 extraite de La
vida breve de Manuel de Falla (1876-1946) ; Vltava (La Moldau) — extrait du Cycle Ma
Vlast (Ma Patrie) — de Bedrich
Smetana (1824-1884) et, plus proche de nous, la Pavane pour une Infante défunte de Maurice Ravel (arrangement de
Maria Graf. Au cours des 9 œuvres
enregistrées, l’excellente harpiste fait preuve d’une grande finesse, d’une
adaptabilité à des musiques et esthétiques si variées, nécessitant des
sonorités spécifiques et une parfaite maîtrise des possibilités de
l’instrument. Son interprétation est fidèle aux intentions des compositeurs
venant d’horizons divers : Allemagne, Russie, Italie, Angleterre,
République tchèque et France. Elle s’impose par sons sens dans les réparties
aux deux mains, par sa précision dans le maniement des pédales. Elle brille par
son tempérament, mais aussi son calme. Elle a signé une belle démonstration de
la polyvalence expressive de la harpe. Édith Weber. « Vocalise
Ave Maria ».
Ellen Giacone, soprano, Pierre Quéval,
orgue, Daphné Lallemand de Driesen, harpe, Fabien
Roussel, violon, Paul Ben soussan , violoncelle. 1CD MONTHABOR MUSIC (www.monthabor.com) : S552276. TT : 46’ 48. La soprano
italo-néerlandaise Ellen Giacone a commencé le chant
lyrique à l’âge de 17 ans. Elle est spécialiste du répertoire baroque, du Lied,
mais aussi de la musique du XXe siècle. Depuis 2012, elle est membre du
Monteverdi Choir placé sous la direction de Sir John Eliott Gardiner et
entreprend de nombreuses tournées en Europe. Sa première production
discographique gravite autour de l’exploitation du thème de l’Ave Maria et est réalisée avec le
concours de Pierre Quéval (à l’orgue), Daphné
Lallemand de Driesen (à la harpe), Fabien Roussel (au
violon) et Paul Ben soussan (au violoncelle). Le
titre générique « Vocalise Ave Maria » regroupe
judicieusement 13 versions reposant sur la mélodie de l’hymne bien connue Ave Maria ; 2 versions du Pie Jesu (selon
les derniers vers de la prose du XIIIe siècle, souvent intégrés à la Messe de
Requiem). L’audition sera particulièrement instructive pour la comparaison des
versions de Franz Schubert, César Franck, Camille Saint-Saëns, Jules Massenet,
et, plus proches de nous, Pietro Mascagni (1863-1945), Jehan Alain (1911-1940),
Henri Potiron (1882-1972), Vladimir Vavilov
(1925-1973) — avec son pastiche « Ave
Maria de Caccini » (publié
en 1972) — et Éric Lebrun (né en 1967). Cette réalisation thématique et
mélodique commence par la Vocalise
op. 34 n°14 Ave Maria de Sergeï Rachmaninov (1873-1943). À noter, sortant des
sentiers battus : la découverte de l’Ave
Maria de Henri Potiron (publié en 1947), discrètement soutenu à
l’orgue ; le motet éponyme d’Éric Lebrun, extrait des Quatre motets à la Vierge (parus aux Éditions Delatour
France en 2009), véritable prière mariale. Ellen Giacone
—tout en étant titulaire d’un Master en Biologie et d’un Master of Business Administration, absolument polyglotte — se
consacre à la musique. Elle s’impose d’ores et déjà par sa voix claire et
cristalline, son extrême justesse dans l’aigu, convenant parfaitement à ce
répertoire qu’avec le concours des quatre instrumentistes, elle restitue à
merveille. Édith
Weber. « 28 Juillet 2014 à
Saint Thomas ».Daniel Leininger, orgue, Leandro Marziotte, conte-ténor, Clémence Schaming, violon. www.saint-thomas-strasbourg.fr. 1CD
VOC 5315.
TT : 53’ 08. Comme le démontre
ce disque, enregistré les 27, 28 (live) et 29 juillet 2014, la tradition lancée
par Albert Schweitzer, le 28 juillet 1909, à Strasbourg, en l’Église
luthérienne Saint Thomas, pour commémorer la mort de Jean Sébastien Bach à
Leipzig, 28 juillet 1750, vers 21 h., véritable institution locale, est
toujours cultivée avec ferveur. Pour le concert du 28 juillet 2014, Daniel Leininger — organiste titulaire de l’Orgue historique Jean
André Silbermann (1741) —, a fait appel au concours
de Leandro Marziotte
(contre-ténor) et de Clémence Schaming (violon
baroque). Comme il nous l’a écrit : il avait « envie de graver et de
publier ce moment unique », et c’est pour cette raison que trois Chorals
soulignent l’atmosphère réelle de ce récital (enregistrement live). Le programme de circonstance
commence par la confession de foi : Wir glauben all… (Nous croyons tous en un seul Dieu) et se termine par une invocation
à la grâce divine et une préparation à l’au-delà (Vor deinem Thron tret’ ich hiermit).
En parfait connaisseur, Daniel Leininger exploite les
nombreuses possibilités de registration de cet instrument prestigieux (1741),
dont il détient tous les secrets. L’Orgue a été restauré en l’état d’origine
par Alfred Kern en 1979, et relevé par la
Manufacture d’orgues Quentin Blumenroeder de
Haguenau, en 2008/9. Il comprend 3 claviers : Positif de dos (49 notes),
Grand Orgue (49 notes), Écho (49 notes + 24 ajoutées par A. Kern
en 1979) et Pédale (27 notes + 2), et est accordé en tempérament égal. Pour le Prélude de
choral in Organo
con pedale (BWV 680) : Wir glauben all an einen Gott (Leipzig, 1739), page massive et affirmative,
l’excellent organiste a retenu un tempo tenant bien compte des possibilités
acoustiques de l’Église. Il est suivi du Choral Herr Jesu Christ, dich zu uns wend (BWV 709, Weimar,
autour de 1710), assez lumineux, avec des commentaires décoratifs. Il
interprète la célèbre Toccata et Fugue en
Fa majeur (BWV 540, Cöthen, autour de 1720) avec
notamment une grande maîtrise de la pédale (en solo) et un solide sens de la
structure, avec une exposition précise du thème de la double fugue comprenant
un premier sujet grave, puis un second vigoureux, symbolisant la mort puis la
résurrection. Le Choral Von Gott will ich
nicht lassen est
d’abord chanté par le contre-ténor Leandro Marziotte qui, avec une grande sensibilité, en restitue le
caractère mystérieux ; il est suivi par le Prélude de choral éponyme pour
orgue (BWV 658), avec cantus firmus à la pédale, de caractère plus sombre, mais
éclairé par le rythme dactylique d’habitude utilisé par J. S. Bach pour
exprimer la joie. Pour conclure, Leandro Marziotte, avec une diction et une musicalité parfaites,
expose la mélodie si prenante du choral traduisant l’attitude de l’homme face à
son Créateur : Vor deinem Thron tret’
ich hiermit (BWV 668)
précédant le Prélude de Choral pour orgue, très intériorisé et méditatif, avec
des entrées successives ; comme le précise judicieusement Daniel Leininger, il s’agit d’un « Chant du matin de l’éternité,
danse mystique, où chaque partenaire est parfaitement complémentaire de
l’autre, comme la nuit et le jour, la terre et le ciel… », et de son œuvre ultime dictée à son gendre, Johann Christoph
Altnickol. Ce concert a été encore rehaussé par un
arrangement de l’Air Agnus Dei,
extrait de la Messe en si mineur (BWV
242), dont Leandro Marziotte,
soutenu à l’orgue par la basse continue et accompagné par Clémence Schaming au violon baroque, traduit l’atmosphère si
prenante. Ce disque propose encore le Concerto
en ré mineur (BWV 596), transcrit à l’époque de Weimar (vers 1715) — où
Bach découvre la musique italienne dont il apprécie la construction claire,
l’élégance des lignes mélodiques et l’harmonie simple — d’après L’Estro armonico d’Antonio Vivaldi, op. 3/11 (Venise 1711), en
cinq mouvements très contrastés : Allegro
initial brillant ; Grave
introduisant la Fuga à 4 voix, influencée par le style
italien ; Largo e spiccato de
caractère plus poétique, à 12/8 ; Allegro
conclusif baignant dans la jubilation. Ce chef d’œuvre est magistralement servi
par Daniel Leininger avec un enthousiasme
communicatif. Bref : un programme autour du Cantor de Saint Thomas (à
Leipzig), remplissant parfaitement les objectifs d’un Concert commémoratif en
l’Église Saint Thomas (à Strasbourg) qui, depuis plus d’un siècle, pérennise la
tradition instaurée en 1909. Réalisation discographique exceptionnelle. Édith Weber. « Christmas at Downton
Abbey ». 2CDs WARNER MUSIC TV (www.warnermusic.fr) : CAT NO. WMTV241
LC14666. TT : 74’10+ 64’ 48. À partir de la
série télévisuelle Downton Abbey,
accompagnée d’un livret illustré par une vue de l’Abbaye de Downton
sous la neige et l’ensemble des protagonistes, le Label WARNER MUSIC TV a
réalisé un florilège de 45 pièces représentant la tradition de Noël en
Angleterre, où la fête est célébrée avec tant de ferveur. L’atmosphère festive
est créée d’emblée par la Downton Christmas
Suite (première partie) interprétée par le Budapest City Orchestra et
l’ensemble Budapest Choral Voices. Parmi des arrangement de Christmas
Carols très connus, figurent : O
Holy Night (J. Ovenden,
Ch. Blake), Silent Night (J. Ovenden),
In dulci jubilo bilingue — latin/anglais— (chanté par le Chœur
de Kings College Cambridge), le Kyrie eleison de la Messe de Minuit pour Noël de Marc-Antoine Charpentier (dir. W. Christie)… sans oublier le 1er mouvement du Concerto de Noël d’Antonio Vivaldi, tout
à fait de circonstance. Le second CD commence par la seconde partie de la Downton Christmas
Suite, et contient, entre autres, évidemment le célèbre Hallelujah extrait du Messie de G. Fr. Haendel (Nikolaus Harnoncourt) et le Gospel song : Go, Tell It On The Mountain (Thomas Hampson) annonçant
la Bonne Nouvelle ; Tannenbaum
évoquant le traditionnel sapin de Noël. Il se termine avec le 3e mouvement du Concerto de Noël d’Arcangelo
Corelli. L’ensemble contient encore de nombreux Noëls, interprétés, entre autres, par le remarquable Chœur de Kings
College de Cambridge, par exemple : le Carol O Come, All Ye Faithful arrangé vers 1700 par John Reading d’après
l’hymne pour le temps de Noël Adeste fideles,
attribuée à Saint Bonaventure ; While Shepherds Watched ; Angels, From The Realms Of Glory (Noël
français : Les anges dans nos
campagnes), avec de souples vocalises sur Gloria in excelsis Deo. À noter
également, parmi d’autres, The Three Kings, intéressante composition dans laquelle le
baryton solo relate l’événement, tandis que le chœur énonce en
contrepoint la mélodie de Philipp Nicolaï (1599)
Wie schön leuchtet der Morgenstern (Brillante étoile du matin). Cette remarquable compilation
discographique s’impose comme une authentique Anthologie de Christmas Carols, avec un clin d’œil
mélodique international. Elle illustre à la fois la célébration de la fête de
Noël Outre-Manche, tout en formulant (CD 1, plage 8)
le souhait traditionnel : We Wish
You A Merry Christmas. Édith Weber. « ADVENT ». Junger Kammerchor Rhein-Neckar, dir. Mathias Rickert. 1CD RONDEAU PRODUCTION (www.rondeau.de) : ROP6098. TT : 62’ 32. Mathias Rickert,
chef du Junger Kammerchor Rhein-Neckar (Jeune Chœur de Chambre), a placé son disque
pour le temps de l’Avent sous le signe : Une lumière dans l’obscurité. Cette réalisation regroupe au total
19 antiennes, chorals, chants et motets allant du XVIe siècle à notre époque.
Parmi les mélodies bien connues, figurent : l’antienne latine Alma Redemptoris
Mater dans la version de Tomas Luis de Victoria (1548-1611) ; Rorate Caeli de
William Byrd (1543-1623), le choral
allemand Es kommt
ein Schiff geladen — sur le texte (v. 1626) de Daniel Sudermann,
d’après un chant marial strasbourgeois du XVe siècle et publié à Cologne en
1608 — interprété dans la version de Jan Wilke (né en
1980), de même que Macht hoch die Tür, die Tor’ macht weit d’après Georg Weissel
(1590-1635), annonçant la venue du Sauveur. Plus proches de nous, le choral Der du die Zeit in
Händen hast d’Erhard Mauersberger
(1903-1982) — quatorzième Cantor de Saint Thomas (à Leipzig) après J. S. Bach —
sur le texte de Jochen Klepper ; O
Rex gentium (chanté la semaine avant Noël, lors
des Vêpres), dans l’arrangement de Bob Chilcott (né
en 1955), invocation au Roi des nations et Pierre d’angle, afin qu’il libère
les hommes qu’il a formés ; O
Emmanuel, Rex et legifer noster (B. Chilcott), invocation à Emmanuel
(« Dieu avec nous ») afin qu’il nous sauve ; ou encore O Heiland reiss die Himmel auf (Cologne, 1623) dans l’arrangement d’Ole Schützler (né en 1976),
invocation au Sauveur, « Étoile du matin » et chant de
reconnaissance. Les voix jeunes, claires et lumineuses du Chœur de chambre
chantent a cappella avec une remarquable justesse d’intonation et un fondu
exceptionnel. Elles sont dirigées avec autorité et musicalité par Mathias
Rickert, professeur au Sankt Raphael Gymnasium et
professeur de direction chorale à la Staatliche Hochschule für Musik de Mannheim. Grâce à l’heureuse initiative de Ruprecht Langer, ce disque, enregistré en avril 2014 sous
le Label leipzicois RONDEAU PRODUCTION, est très
représentatif des liturgies célébrées en Allemagne pendant les quatre Dimanches
de l’Avent et — loin de l’agitation de nos villes — de leur atmosphère
bienfaisante et si lumineuse. Édith Weber. « Flûte de
Pan et Orgue. Airs. Grandes œuvres classiques ». Philipe Husser,
flûte de Pan, Pierre Cambourian, orgue. 1CD (http//philippehusser.weebly.com ) : PH&PC1.
TT : 71’ 02. Comme le précise Philippe Husser à propos de la sortie de son nouvel album : il
« est né suite à la demande insistante de bon nombre d’auditeurs, témoins
de nos concerts flûte de pan et orgue ces dernières années, toujours déçus de
ne pouvoir rentrer chez eux, après un concert en notre compagnie, avec un
souvenir sonore correspondant au programme. » Voilà chose faite… Philipe Husser (Flûte de Pan) et Pierre Cambourian (Orgue
Cavaillé-Coll de l’Église Saint-Vincent-de-Paul, Paris) ont prévu un programme
adapté aux deux instruments dont les sonorités se marient à merveille. Il comprend un arrangement du Concerto pour hautbois en la mineur
d’Alessandro Marcello (1673-1747), composé vers 1708 ; le Concerto pour orgue en ré mineur (J. S.
Bach/A. Vivaldi). Les deux interprètes proposent également deux Airs de J. S. Bach (de Phoebus et de
Pan), ainsi que l’Air de Papageno de
La Flûte enchantée de Wolfgang Amadé Mozart. La
deuxième partie de cette réalisation concerne particulièrement des œuvres
d’Edward Elgar (1857-1934) dont Chanson
du matin, Chanson de nuit et Pump and Circumstance.
La Roumanie — où la flûte de Pan, très prisée, est enseignée de longue date —
est représentée par une Suite. Plus
proche de nous, le thème du film The
Mission (Roland Joffé, 1986) sur la musique
d’Ennio Morricone : Gabriel’s Oboe sert de
conclusion. Ce parcours historique interprété en parfaite connivence — avec les
qualités d’équilibre, de sonorités spécifiques, déjà soulignées dans nos deux
dernières recensions (cf. L’EM, 10/2014) — constitue une convaincante réponse à
la demande non seulement des auditeurs de leurs concerts, mais aussi des
discophiles : tous seront ravis. Édith Weber. Hans Leo HASSLER : Geistliche Chormusik
aus dem Hohen
Dom zu Mainz. Mainzer Domchor, Domkantorei
St. Martin, dir. Karsten Storck.
1CD RONDEAU PRODUCTION (www.rondeau.de) : ROP6097. TT : 58’ 32. Le Label leipzicois RONDEAU PRODUCTION a voulu commémorer en 2014 le
450e anniversaire de la naissance de Hans Leo Hassler (1564-1612). À la
charnière entre la polyphonie de la Renaissance tardive et le début du baroque
vénitien, Hassler (né à Nuremberg en 1564 et mort à Francfort-sur-le-Main en
1612) s’est rendu pour ses études à Venise auprès d’Andrea Gabrieli. Vers 1586,
il est organiste de la Chambre d’Octavian II Fugger
puis, en 1600, directeur de la musique municipale d’Augsbourg. Puis il
s’installe à Ulm et, après 1608, il est organiste de la Chambre du
Prince-Électeur Christian II de Saxe, à Dresde. Si Hassler est surtout connu
par ses Madrigaux, il a aussi composé
des Messes, Psaumes et Chorals
généralement à 4 voix sur des mélodies traitées en fugue, ainsi que des Chansons spirituelles sur des mélodies
traditionnelles « simpliciter gesetzet »,
c’est-à-dire en contrepoint simple à 4 voix et homorythmiques pour faciliter
l’intelligibilité du texte. Après une Intrada interprétée par les Mainzer
Dombläser (cuivres), page
solennelle avec des effets d’échos selon l’usage italien, le Mainzer Domchor (Chœur de la
Cathédrale de Mayence) interprète le bref choral pour le temps de Pâques :
Christ ist erstanden von der Marter alle affirmant la
Résurrection ; les remarquables chanteurs sont bien soutenus par les
cuivres. Quatre Messes sont
interprétées : la Missa Ecce quam bonum, la Missa Octo vocum, la Missa
super Dixit Maria, chacune avec Kyrie, Gloria, Agnus Dei ; la Missa Come Fuggir, plus développée, comprenant Kyrie, Gloria, Sanctus, Benedictus et Agnus Dei. Les interprètes en sont le Mainzer
Domchor, la Domkantorei St.
Martin, tous placés sous la direction avisée de Karsten Storck.
Ils donnent un aperçu de la pratique musicale dans cette Cathédrale millénaire
avec alternance d’un chœur de garçons, d’un ensemble vocal mixte et des
cuivres. Dans l’ensemble, la musique de Hassler revêt un caractère énergique,
festif, assez proche du madrigal et soucieux de la compréhension des paroles.
Au centre de cette production discographique, figure une Suite pour Cuivres en 5 parties, privilégiant les mouvements lents,
proche de l’esprit madrigalesque, transcrite par K. Storck
et B. Fitzgerald d’après le recueil Neüe teütsche Gesäng nach Art der welschen Madrigalien und Canzonetten (Nouveaux chants allemands à la manière des
madrigaux et canzonettes italiens, 1596) ; elle est interprétée avec élan
par les Mainzer Dombläser.
Ce disque comprend également le Motet Dixit
Maria ad Angelum
et le Choral œcuménique, intense invocation à la paix : Verleih uns Frieden gnädiglich (sur
le texte allemand et la mélodie de Martin Luther, 1529, d’après
l’antienne Da pacem,
Domine, in diebus nostris).
Comme de juste, ce bel hommage à Hans Leo Hassler, retentissant à la Cathédrale
de Mayence, se termine aux accents jubilatoires du Psaume 100/99 : Jubilate Deo omnis terra
interprété par les Cuivres de la Cathédrale de Mayence. Il projette un
éclairage neuf sur sa musique religieuse. Voici encore une remarquable
réalisation qui, plus de quatre siècles après la mort du compositeur, rend sa
musique vivante et si présente. Édith Weber. « Sound in Search of a Past ». Ambra &
Fiona Albek. 1CD VDE-GALLO (www.vdegallo-music.com) : CD 1415. TT : 66’
54. Les jumelles :
Ambra (violon et alto) et Fiona Albek (piano),
« à la recherche du passé », rendent hommage à la musique
norvégienne, tchèque, hongroise, suisse et anglaise. Elles se produisent en duo
ou en solistes, non seulement en Suisse, mais également en Europe, aux
États-Unis, en Amérique du Sud, en Australie et en Chine. À part la forme
classique de la sonate, les autres œuvres se réclament, entre autres, du folkore d’Europe de l’Est, de la musique suisse
d’inspiration juive... Edvard Grieg (1843-1907) a composé sa Sonate pour violon n°2 en Sol Majeur, op. 13, en 1867, alors âgé de 24 ans. Il puise
son inspiration dans le patrimoine national ; son esthétique est placée
sous le signe des grands maîtres du XIXe siècle, Schubert en particulier. Fiona
s’impose d’emblée par son accompagnement précis créant l’atmosphère douloureuse
(Lento doloroso)
et ses accords énergiques, et Ambra, par ses coups d’archets précis, puis
son envolée mélodique dans l’Allegro vivace. Le deuxième
mouvement : Allegretto tranquillo est suivi d’un Allegro animato conclusif bien enlevé. Bedrich
Smetana (1824-1884) est représenté par From my Homeland (Ma
Patrie) (1874-79) , aux accents lyriques ; Leos Janacek (1854-1884), par sa Sonate pour violon et piano
composée entre 1921 et 1931 ; Bela Bartok (1881-1945), par ses Danses populaires roumaines dans l’arrangement pour alto et piano
d’Alan Arnold. Ces œuvres sont solidement marquées par le folklore, alors
qu’Ernest Bloch (1880-1959), Suisse naturalisé américain, de formation
française, s’est particulièrement intéressé au répertoire juif : c’est le
cas de la prière Abodah pour la grande Fête de Yom Kippur (fête
de la repentance). Le programme se termine par une œuvre composée en 2010 — à
l’attention de l’Albek Duo — par William Perry (né en
1930) : The Nightingale in the Park,
évoquant le chant d’un rossignol dans un parc, en présence d’un vieux couple,
d’un poète plongé dans ses pensées, alors que des enfants jouent et que des amoureux
s’y promènent. Comme le souligne Stefano Bazzi, cette
page descriptive, exempte de religiosité
ou de résonance patriotique, est un hommage discret au style pastoral de Ralph
Vaughan Williams, précurseur de l’école nationale anglaise. L’Albek Duo, sensible à tant de nuances et de styles si
divers, propose ainsi un éloquent panorama du répertoire pour violon
(respectivement alto) et piano à la fois cosmopolite, attachant et très
original. Édith
Weber. Hermann SUTER : Sämtliche Streichquartette
(intégrale de quatuors à cordes).
Beethoven Quartett. 1 CD MUSIQUES SUISSES (www.musiques-suisses.ch ) : MGB
CD 6279. TT : 77’ 05. Hermann Suter est
né à Kaiserstuhl (Allemagne) en 1870 et mort en 1926
à Bâle. Issu d’une famille de musiciens, il a étudié, entre autres, avec Hans
Huber et Carl Reinecke. Installé à Zurich en 1892, il
a été organiste et chef de chœur ; puis en 1902, professeur à la Schola Cantorum de Bâle. À
la fois interprète et compositeur d’œuvres vocales (Oratorio, Cantates, Chorlieder…) et de musique de chambre (3 Quatuors
et 2 Sextuors), son esthétique se rattache dans l’ensemble au postromantisme.
Comme le rappelle Georg-Albrecht Eckle dans son
judicieux texte de présentation, Hermann Suter s’est imposé sur la scène
internationale avec son Premier
Quatuor à cordes en Ré Majeur, op. 1 (1901), structuré en « quatre
mouvements très différents les uns des autres : deux mouvements rapides et
expansifs… [qui] encadrent deux morceaux qui pourraient
être décrits comme des pièces de caractère. » Il commence par l’Allegro brioso permettant
immédiatement à l’excellent Beethoven Quartett de s’imposer à la fois par la précision de son
jeu et sa sonorité si prenante. Hermann Suter a intitulé le deuxième mouvement Moderato con svogliatezza,
quelque peu « morose », les interprètes en recréent l’atmosphère
voulue. Il est suivi d’un Larghetto
cantabile particulièrement expressif, avec un Fugato très décidé. L’Allegro
conclusif se veut très agité. On y sent la proximité de Wagner et de Brahms. Dans son Quatuor à cordes n°2 en Do# mineur, op.
10 (1910), Hermann Suter s’est inspiré de Beethoven. Ce deuxième Quatuor commence par un Moderato malinconico
servant quelque peu de fil conducteur et contrastant avec l’Allegro impetuoso
et le Molto moderato ma con grazia avec Variations.
Les interprètes y privilégient absolument le facteur émotionnel, les sonorités
chantantes et, comme le fait observer Georg-Albrecht Eckle, la
polyphonie qui accorde une « indépendance maximale aux voix
individuelles ». Le Quatuor à cordes
n°3 en Sol Majeur « Amselrufe », op.
20, a été composé en 1918, vers la fin de sa vie. Merian
fait allusion à un « style décontracté auquel Hermann Suter s’était déjà
essayé en 1916… Le compositeur se détourne ici de toute expérimentation
formelle à grande échelle pour retourner à la joyeuse liberté des formes
classiques… » La démarche est intéressante, car le premier thème n’est
autre que le chant d’un merle (Amselrufe), faisant l’objet d’un travail thématique solide.
Suter spécule sur les oppositions de mouvements : Comodo – Allegro ; Allegretto
vivace e grazioso (Reigen
— c’est-à-dire : Ronde) ;
Adagio-Presto. Matyas
Bartha et Laurentius Bonitz (violons), Vahagn Aristakesyan (alto) et Carlos Conrad (violoncelle)
traduisent excellemment les nombreuses intentions du compositeur. Cette
remarquable formation se distingue par son équilibre et sa cohésion. Elle a
signé une belle Défense et illustration de l’intégrale des Quatuors de Hermann Suter : c’est tout à l’honneur de la
Collection « Musiques Suisses ». Édith Weber. « Jewish Songs ». Pierre-Luc Bensoussan, batterie, Pierre Diaz, saxophones,
Patrice Soletti, guitare électrique et objets
sonores. 1CD Éditions de l’Institut Européen des Musiques
Juives (www.iemj.org ) : IEMJ CDD 001. TT : 49’ 26. L’Institut Européen
des Musiques Juives (IEMJ), créé en 2006 par la Fondation du Judaïsme Français,
en partenariat avec l’Association Yuval, a pour mission de recenser, préserver
et diffuser le patrimoine musical juif en France par des enregistrements audio
et vidéo, des partitions, monographies… La Collection « Découvertes »
invite les discophiles à un « Voyage instrumental et poétique sur les
traces des musiques juives ». Hervé Roten,
Docteur en Musicologie de l’Université Paris-Sorbonne, Directeur de l’IEMJ, a
regroupé 7 pièces de Chants juifs
typiques, évoquant l’histoire et les vicissitudes du Peuple d’Israël, par le
biais de la musique et du chant qui, grâce à la mélodie, suscitent
« l’émotion de l’exil, mais aussi celle des jours heureux ». Cette
réalisation est accompagnée d’un bref commentaire français et anglais. La
première pièce : Bith Aneth plonge immédiatement l’auditeur
dans l’atmosphère nostalgique et langoureuse si caractéristique de l’âme juive.
La célèbre chanson : Dona Dona, selon le texte d’accompagnement écrite en yiddish
par Aaron Zeitlin sur la musique de Sholom Secunda, décrit la
condition d’un petit veau ligoté mené à l’abattoir, parallèle avec la situation
des Juifs pendant la Seconde Guerre mondiale. La Fête de Hannouka
commémore la réinauguration de l'autel des offrandes
dans le second
Temple de Jérusalem, lors de son retour au culte judaïque, après son
interdiction, elle est associée à l’allumage des chandeliers à neuf branches,
et le chant Ochos kandelikas
fait allusion aux huit bougies ; malgré son atmosphère judéo-espagnole,
cette composition moderne (1983) est due à Flory Jagoda. La poésie religieuse Tsur Michelo est chantée avant la bénédiction
de la fin du repas ; d’origine vraisemblablement française, remontant à la
seconde moitié du XIVe siècle, elle s’est répandue dans la diaspora. Cet
enregistrement reprend aussi une chanson d’amour du folklore judéo-espagnol. Il
en sera de même du traditionnel : Dos
Amantes. Le folklore ashkénaze russe est représenté par Tumbalalaïka (habituellement
chanté en yiddish). Le chant traditionnel
judéo-espagnol : Cuando el rey Nimrod évoque l’histoire de la naissance d’Abraham. Ce
CD — entièrement instrumental,
interprété par Pierre-Luc Bensoussan (batterie), Pierre Diaz (saxophones) et
Patrice Soletti (guitare électrique, objets sonores)
— réussit à rendre sensible et à recréer
l’atmosphère mélancolique typique des chants juifs. Il contribue à la diffusion
et à la mémoire du patrimoine musical juif.
Édith
Weber. « AZAFEA.
Une odyssée espagnole ». Lev-Yulzari Duo. Frank London, trompette, John Hadfield,
percussions. 1CD Éditions de l’Institut Européen des Musiques Juives (www.iemj.org), Collection Découvertes : CDD-0002. TT :
63’ 45. Le Lev-Yulzari Duo se compose du contrebassiste Rémy Yulzari (diplômé du Conservatoire de Lyon et du CNSM de
Paris, spécialiste d'improvisation et de créativité) et du guitariste Nadav Lev (né au kibboutz Nachshon,
titulaire de nombreux Prix de Concours internationaux, compositeur à mi-chemin
entre classique, rock, jazz et improvisation). Ils se sont assuré la
participation de Frank London, trompette, John Hadfield, percussions.Cette réalisation intitulée : Une odyssée espagnole comprend 14
pièces, dont des œuvres de musiciens connus, tels que Manuel de Falla (1876-1946) avec
Jota ; Homenaje ; Nana et Polo (des Siete canciones populares espanolas) ;
d’Érik Satie (1866-1925) : arrangement de Gnossienne « à la sauce marocaine mâtinée de klezmer et de jazz ». Comme le relève Hervé Roten, producteur
exécutif, la musique séfarade s’est enrichie au contact des différents pays
dans lesquels les Juifs d’Espagne se sont installés. Elle est illustrée par 4 Canciones sefardies Joaquin Rodrigo (1901-1999) : Respondemos ;
Una Pastora Yo Ami ; Nani, Nani et Morena me
llaman. Elle a aussi emprunté à la Turquie des
modes et thèmes musicaux pour Avinu Malkenu/Terk in Amerika, plus développé. La pièce : Besame Mucho de
Consuelo Velazquez (1924-2005), pianiste et
compositrice mexicaine, est de caractère langoureux. La dernière œuvre : Ma Omrot Einayich de Mordechai Zeira (1905-1968), compositeur israélien d’origine
ukrainienne, servant de conclusion, est très connue en Israël. Au fil des
plages, ces interprètes — qui s’investissent parfaitement dans l’âme de la
musique juive, à la fois énigmatique, mélancolique, envoûtante, secrète,
nécessitant une grande maîtrise vocale — convient les discophiles à un périple
dans le temps et dans l’espace. Grâce à l’initiative de Hervé Roten : dépaysement garanti. Édith
Weber. « Yiddishe Fantazye ». Amit Weisberger,
violon, chant, Gaëlle-Sara Branthomme, violoncelle et
chant, Mihaï Trestian,
cymbalum et cymbal, Simon Nicolas, percussions. 1CD Éditions de l’Institut Européen des Musiques Juives (www.iemj.org), Collection Découvertes : CDD-0003. TT :
54’ 19. Sous le
titre : Yiddishe Fantazye,
l’Institut Européen des Musiques Juives a regroupé 17 pièces chantées en
yiddish : langue dérivée du haut-allemand (parlée entre autres par les
Juifs alsaciens) avec un apport de vocabulaire hébreu et slave. Les interprètes
sont Amit Weisberger
(violon, chant) — également comédien et danseur israélien installé en France —,
Gaëlle-Sara Branthomme (violoncelle et chant) —
auteur et compositrice, spécialiste de musique khmer et de chanson française —
et Mihaï Trestian (cymbalum
et cymbal, petit cymbalum) — Prix de Concours
internationaux, en France depuis quelques années —, associés pour la percussion au musicien
invité Simon Nicolas (pour les 3 morceaux Sholem Aleikhem/Karahod ;
Lemish sher ; Fun der Khupe).
Le Prologue extrait d’archives historiques propose, chantée par Roza-Leya Kiselgof
à Leningrad en 1920, une ronde intitulée : Redele sur laquelle se superpose
la mélodie d’une prière turque (Terkish gebet) d’influence orientale (quarts de ton), comme le
précise le texte joint au CD. La deuxième pièce provient du Recueil Yiddishe folks-lieder de Moyshe
Beregovski, ethnomusicologue russe, avec les paroles
émouvantes invitant « mes bien-aimés petits musiciens, si gentils et si
doux, jouez pour moi encore un peu avant que je ne meure ». La Romanian Fantaisie n°2 évoque les Carpates et le
« violon d’un trait fin dessine les silhouettes délicates des sommets. Les
sons du cymbal (petit cymbalum) sont comme des
clochettes au cou des brebis alors que le violoncelle évoque les profondeurs de
la forêt. » Vers 1970, le revival
de la musique klezmer se manifeste aux
États-Unis : c’est le cas de Sirba de Leon Schwartz. Parmi
d’autres pièces, figurent la Prière pour
Mendel Beilis, Juif ukrainien ; une autre Fantaisie roumaine, au rythme très
précis ; la chanson Sholem Aleikhem et deux danses biélorusses Karahod ;
une berceuse : Der bobes mayse reposant sur
l’histoire truculente d’une grand-mère ; un Taksim (longue introduction
instrumentale), ainsi qu’une danse de mariage du XIXe siècle (quadrille où les
couples se croisent et s’entrecroisent), intitulée : Sher (ciseaux), se rattachant à
la musique klezmer de tradition orale. Une mélodie
hassidique (Khsidishe Hopke) est
suivie d’une valse Der Farzorgter Yid… (Le Juif
anxieux). L’ensemble se termine par la berceuse chantée : Shlof Mayn Sheyne Feygale (Dors, mon bel oiseau) extraite des
Archives de M. Beregovski, enregistrée en 1938. Ces Yiddishe Fantazye
illustrent la variété des thèmes traités, les diverses influences, entre autres
turque et klezmer, ainsi que la fantaisie et la
diversité des atmosphère si typiques de la musique
juive cultivée en Israël et restituée grâce à des interprétations d’époque.
Documents sonores authentiques. Édith
Weber. « Juifs et Trouvères.
Chansons juives du XIIIe siècle en ancien français et hébreu ». Ensemble Alla Francesca, dir.
Brigitte Lesne, Pierre Hamon. Éditions de
l’Institut Européen des Musiques Juives (www.iemj.org), Collection Patrimoines musicaux des
Juifs de France. 1CD BUDA MUSIQUE (www.budamusique.com ) : CD 860261. TT :
60’ 12. Coproduit par le
Centre de Musique Médiévale de Paris et l’Institut Européen des Musiques
Juives, ce disque permet de découvrir des chansons juives pour diverses
circonstances (liturgie, Nouvel An, Pâque, mariage), ainsi qu’une complainte et
une chanson de Jacob, chantées en ancien français et en hébreu. Brigitte Lesne résume ainsi son « projet
passionnant » : « restituer un corpus de huit chansons relevées
par la paléographe Colette Sirat dans des manuscrits
hébraïques, copiés à la fin du XIIIe dans le nord de la France. Le défi :
pas d’écriture musicale dans ces manuscrits… ». « Spécificité
exceptionnelle de ces chansons : elles ont toutes été copiées en
caractères héraïques ; cependant quatre d’entre
elles sont une transcription phonétique de la langue d’oïl…, et deux autres
présentent une alternance de l’hébreu et de la langue d’oïl, parfaite
illustration de l’intégration de cette communauté ». En guise
d’introduction : un poème liturgique anonyme noté sur les marges droite et
inférieure d’un folio d’un manuscrit hébraïque (conservé à la British
Library) copié à Troyes vers 1280, « le copiste a ajouté à la fin du
poème une note indiquant que l’on doit chanter le texte sur la mélodie d’une vadurie — chanson
d’amour… identifiée avec un poème du trouvère Moniot
de Paris (actif en Île-de-France probablement après 1250) Lonc tens ai mon tens
usé : il s’agit donc de compilations de versets évoquant l’oppression
des Juifs par Louis IX (1214-1270) et leur appel à la vengeance divine — : Shalfu tzarim. » Belle prouesse de restitution d’une
pièce liturgique juive avec refrain. Brigitte Lesne signale son objectif : « pour élargir
l’évocation du répertoire musical de cette communauté à la fois imprégnée des
chants de la synagogue et de ceux qu’elle pouvait entendre — et partager — en
côtoyant au quotidien ses voisins chrétiens, j’ai choisi de compléter le
programme de ce disque avec quatre autres chansons de trouvères, et de le
ponctuer de pièces instrumentales », c’est-à-dire les deux motets polytextuels : L’autrier par un matinet/Au nouveau
tens et A
une ajornee/Quant je oie chanter l’aloete, ainsi que le Lai des Puceles. La fête de Roch hachana (Nouvel An) est représentée par Roi de poer —
roi puissant qui reçoit ma louange au son du shofar — de Joseph Tov Elem (XIIe siècle), consigné
dans un livre de prières de rite français copié au XIVe siècle, et par Les anfanz des avot. La chanson de mariage anonyme : El-givat ha-levona (À la
colline d’encens, notre hattan est arrivé…)
provient d’un des plus anciens recueil de prières
juives connus : le Mahzor Vitry (XIe siècle) concernant des
règles de pratique religieuse. L’emploi de l’hébreu et de la langue vulgaire
est pratiqué par les Juifs dans de nombreux pays. Deux pièces sont consacrées à
une complainte et à une chanson de Jacob : Las, las, las, que ferai et Ne
puis ma grant joie celer. Le chabbat
fait l’objet de la chanson Deror yiqra, page à succès. Enfin, la fête de Pesah (Pâque) conclut cette Anthologie avec La nuit de Pesah (Leil Shimurim), d’un auteur
inconnu. Selon les commentaires joints au disque, elle commémore en hébreu la
sortie d’Égypte, se trouve dans les livres de prières en ashkénaze dans le Nord
de la France ; elle est lue en hébreu, puis transcrite en langue d’oïl,
enfin chantée en hébreu sur le contrafactum : En mai la rousee. L’Ensemble
Alla Francesca comprend les pupitres suivants : chant, harpes, flûtes,
vielle et luths, et est dirigé soit par Brigitte Lesne,
soit par Pierre Hamon. Spécialistes de la lyrique médiévale, tous se sont
surpassés pour révéler également ces pièces typiques du répertoire vocal juif.
La réception et l’originalité de ce programme en ancien français et en hébreu
sont incontestables. Édith
Weber. Carl Philipp
Emanuel BACH : Concertos pour violoncelle et cordes Wq
170, 171 & 172. Konstantin Manaev, violoncelle. Camerata Berlin, Dir. Olga Pak. 1CD CLASSICClips : CLCL 129.
TT.: 74'48. Le celliste Konstantin Manaev (*1983), formé à la fois dans sa Russie natale, en
Allemagne et en Suisse, compte déjà à son actif un palmarès enviable côté
concours et apparitions publiques à travers le monde. Mais sa carrière de
soliste ne l'empêche pas de se livrer à sa vraie passion, la musique de
chambre. Il s'attaque dans ce CD aux concertos pour violoncelle et cordes de
CPE Bach (1714-1788) ), avec cette double
particularité de les jouer au sein d'un ensemble de six musiciens, et d'enrichir
les cadences de compositions modernistes. Composés entre 1750 et 1753, alors
que CPE Bach est à Berlin au service de Frédéric le Grand, grand amateur de
musique et excellent flûtiste, les trois concertos pour violoncelle
s'inscrivent dans la grande tradition du concerto italien, de Vivaldi et des
ses contemporains, mais affirment un style tout personnel au musicien. Ils
ouvrent la voie au renouveau, annonçant les compostions de Joseph Haydn. Ainsi
en est-il de l'exubérance des mouvements extrêmes, empreints d'un dynamisme
qu'on ne sent pas bridé, comme au finale du concerto Wq
170, entraînant, presque piquant, ou à celui du concerto Wq
172, très enjoué. Les séquences lentes médianes livrent des trésors
d'expressivité, tel le largo du concerto Wq172, vérifiant ce mot du compositeur
selon lequel « la musique doit avant tout toucher le cœur » : d'un profonde émotion, le soliste déployant sa douce
cantilène sur un accompagnement de cordes jouant en sourdine. Les exécutions de
Konstantin Manaev sont profondément pensées et ses
six partenaires, deux violons, alto, violoncelle, contrebasse et clavecin,
apportent cette touche d'intimité qui confère à cette vision toute sa
signification. On est moins enthousiaste quant à la manière d'élargir les
cadences de traits modernistes, fort dissonants par moment, comme celle du
deuxième mouvement du concerto Wq 172, où la
variation en perd de sa cohérence, malgré les efforts de l'auteure, la
compositrice ouzbèque Aziza Salikova.
Ailleurs, comme dans le concerto Wq 171, les choses
sont moins perturbantes et s'inscrivent mieux dans la continuité du morceau, et
dans l'esprit de CPE Bach. Quoi qu'il en soit, voilà d'excellentes lectures
solistes, et fort bien managées par les musiciens émérites de la Camerata Berlin.
Jean-Pierre
Robert. Antonio VIVALDI : « Pietà ».
Pièces sacrées pour voix d'alto, dont Stabat Mater, RV
621, Gloria, RV 589, Salve Regina, RV
618. Concerto pour cordes et continuo, RV 120. Philippe Jaroussky,
contre-ténor. Ensemble Artaserse. 1CD Erato :
0825646257508. TT.: 78'30. Philippe Jaroussky
revient à la musique sacrée de Vivaldi. Pour des motets écrits pour la voix
d'alto. L'une des premières compositions de ce type conçues par le Prêtre roux
est le Stabat Mater, écrit en 1812 pour
la congrégation des Oratoriens de Brescia. Pour sa seconde
interprétation au disque, Philippe Jaroussky, qui
dirige son propre orchestre, Artaserse, en livre une
exécution recueillie, méditation bouleversante et intimiste, comme dans le
verset « cuius animam
gementem » où le temps semble s'arrêter, ou le
« Eia Mater », lors qu'après une courte
mais sensible introduction instrumentale, la voix du falsettiste
semble émerger du néant, le chant progressant ensuite dans une atmosphère
raréfiée. Partout la voix et l'orchestre s'enlacent délicatement car outre la
maîtrise suprême de la ligne de chant, Jaroussky mise
sur des tempos habités dans le lent et le ppp, et d'une ampleur mesurée
dans le plus allant, tel l'Amen final radieux qui après cette belle
déploration, ouvre les portes du ciel. Le CD présente encore des pièces
écrites alors que Vivaldi s'était vu proposer les fonctions, outre de maestro
di violini, de maestro di coro,
à partir de 1713 à l'Ospedale della
Pietà de Venise : le Gloria, dont est donné ici le « Domine deus »,
moment de douce réflexion, où Jaroussky déploie son
angélique timbre sur un simple accompagnement du hautbois et de la basse
continue. Puis deux motets, bâtis sur un même schéma de deux airs séparés par
un récitatif, couronnés par un Alleluia brillant, ces
morceaux développant une virtuosité vocale qui n'a rien à envier à celle d'une
aria d'opéra. Ainsi de « Clarae stellae, scintillate »
(1715), d'une lumineuse beauté, s'achevant dans un tempo digne des morceaux les
plus vifs des Quatre saisons ; ou du fascinant « Longe mala, umbrae, terrores »,
de 1720, enchaînant des vocalises qui ne laissent pas d'étonner dans un tel
contexte religieux. Enfin, le motet « Filiae maestea Jerusalem », conçu
comme une introduction au Miserere, d'une inspiration puissante,
contraste une section centrale développée sur un rythme pointé des cordes
pianissimo, avec deux mouvements extrêmes plus expansifs. Le programme se
conclut par le Salve Regina, pièce plus tardive (après 1720), d'une
étonnante richesse mélodique, construite sur un orchestre « a due cori », savoir deux petites formations jouant en
répons. Ses six versets alternent le contemplatif et le déclamatoire, pour
finir dans un souffle. Philippe Jaroussky dont le
timbre a pris des teintes mordorées , insuffle à toutes
ces pages une foi ardente.
Jean-Pierre Robert. Georg Friedrich HAENDEL. « Music for Queen Caroline » :
« The King rejoice », HWV 260. Te Deum, HWV 280. « The
ways of Zion do mourn », HWV 264. Tim
Mead, contre-ténor, Sean Clayton, ténor, Lisandro
Abadie, baryton-basse. Les Arts Florissants, dir.
William Christie. 1CD Arts Florissants Editions : AF.004. TT.: 72'17. Caroline von
Brandenburg-Ansbach (1683-1737) épouse en 1705 le
prince Georg August de Hanovre, puis devient princesse de Galles lors de
l'accession de son beau-père, Georges Ier, au trône d'Angleterre, et enfin
reine de Grande Bretagne à celle de son époux, le roi Georges II, en 1727.
Grande intellectuelle, lectrice de Voltaire, amie de Newton, elle a toujours
favorisé les arts et les lettres. Rencontrant Georg Friedrich Haendel, elle en
deviendra rapidement la protectrice. Celui-ci lui dédiera, entre autres, son Giulio
Cesare, et composera plusieurs pièces chorales à son intention dont les
trois pièces réunies sur ce disque, qui ponctuèrent son règne. Le Te Deum
est écrit en 1714 pour marquer l'arrivée en Angleterre de celui qui devient le
roi Georges Ier. Mais il sera aussitôt rejoué pour celle de Caroline quelques
jours plus tard, d'où son nom de « Te Deum pour la reine Caroline ».
Il est distribué à un chœur mixte et à trois voix solistes, contre-ténor, ténor
et basse. On y admire le climat intimiste dans les solos du contre-ténor, en
particulier au cours du verset « Quand tu as pris sur toi de sauver
l'homme ». L'hymne « The King shall rejoice » a été créé pour le couronnement de George
II. Son ouverture flamboyante donne le ton, qui ne se démentit pas au cours des
diverses séquences, dont un passage fugué, et jusqu'à l'Alleluia final
non moins grandiose, illustrant la maîtrise contrapuntique du musicien. Enfin,
pour les funérailles de la reine, en 1737, à l'abbaye de Westminster, Haendel
présente avec l'antienne « The ways of Zion do mourn » un vibrant
mémorial à la défunte souveraine. Loin de la tristesse d'un requiem, la pièce
évoque plutôt la reconnaissance des traits de caractère de la souveraine
combien aimée et honorée. La présence de chorals luthériens n'est pas sans
évoquer les origines germaniques aussi bien de la reine que du musicien. Une
courte Ouverture symphonique introduit un ton recueilli. Puis s'enchaînent
divers morceaux choraux évoquant tour à tour la déploration du décès et
l'évocation des récompenses accordées aux âmes vertueuses, et partant, les
nombreuses vertus de la reine Caroline, sa bonté, sa mansuétude, sa générosité.
Les chœurs sont, là aussi, traités dans une grandiose ampleur, quoique de
manière différenciée. Mais l'œuvre se conclut dans l'apaisement. William
Christie et ses forces, chœurs et orchestre, livrent de ces trois pièces des
exécutions d'une absolue beauté plastique et d'une grande profondeur de ton.
Ses solistes dans le Te Deum sont de classe. Un disque qui par son
ingénieux programme enrichit la discographie haendélienne. Jean-Pierre
Robert. Franz SCHUBERT : Winterreise, D. 911. Poèmes de Wilhelm
Müller. Matthias Goerne, baryton, Christoph Eschenbach, piano. 1CD Harmonia Mundi
: HMC 902107. TT.: 74'54 . Les versions du Voyage
d'hiver se font nombreuses au disque ces temps. Mais celle-ci, nul doute, est au dessus du lot. Est-il poétique plus prégnante que
celle que Schubert a portée dans ce cycle sur les poèmes de Wilhelm Müller ?
Cette délectation du pessimisme, à travers la solitude et l'errance, cette
glorification de la désespérance, par le truchement de métaphores simples mais
si parlantes, cette succession de paysages désolés, que rien ne semble chercher
à embellir ! Est-il actuellement interprète plus inspiré pour le chanter que le
baryton Matthias Goerne ? Depuis Dietrich Fischer Dieskau on n'avait plus été empoigné par pareille épure,
pareille force. Lied après Lied, au fil de cette double série de douze, de
« Gute Nacht » à
« Der Leiermann », et avec la complicité du
pianisme incandescent de
Christoph Eschenbach, le chanteur va nous guider dans
un voyage envoûtant. Celui d'un héros au cœur meurtri, se racontant son
désespoir, qui ne renonce à aucune voie pour forger son mal, sans répit, et
sceller ce destin : un cheminement inéluctable vers la mort. Qu'admirer le plus
? La science du mot, comme chez l'illustre aîné, mais aussi une simplicité
toute naturelle qui place le texte à notre portée, sans abandonner la moindre
parcelle de profondeur, comme naguère aussi il en fut de l'approche de cet
autre géant qu'était Hans Hotter. Un timbre envoûtant, tour à tour caressant le
mot ou projetant de véhéments accents, effrayants (« Auf
dem Flusse/ Sur la
rivière » et son rythme de marche) ou haletants (« Rückblick/Regard en arrière »). C'est que Goerne recourt à un spectre très large, du murmure à
l'éclat, de la touche ténorisante à la faconde du registre de basse. Qu'il
ménage dans de formidables crescendos. Dès lors, la poésie schubertienne est
restituée à vif : déchirante (« Einsamkeit/Solitude »),
vibrante (« Der greise Kopf/La
tête blanche »), d'une insondable nostalgie (« Der Wegweiser/Le Poteau indicateur»), ou d'une tristesse
résignée (« DasWirtshaus/L'auberge » et ses
sinistres lieux, puisque le voyageur visite un cimetière). Même les pages de
climats pittoresques prennent une tonalité sinistre. Comme « Die Wetterfahne/La girouette » et son ironique message, ou « Die Krähe/ La corneille » et ses étranges pressentiments.
Le piano de Christoph Eschenbach est à l'unisson : un
jeu lié et perlé, comme il en est du balancement de « Sur le
fleuve » ou du flux faussement gambadant de « Die Post/La
poste ». Les contrastes et les ruptures de rythmes sont ménagés avec
flair. Ainsi des passages syncopés inquiétants de « Im Dorfe/Au
village ». Avec les quatre dernières pièces, on atteint une émotion d'une
force indicible, s'achevant par un « Der Leiermann/Le
Joueur de vielle » d'un bouleversant statisme, comme si les mots et les
notes s'envolaient vers l'infini. Les deux interprètes sont captés dans une
acoustique de concert, apportant au dialogue voix-piano toute sa substance et
une admirable présence. Un rare achèvement qui semble conclure en apothéose une
série schubertienne d'exception commise par Matthias Goerne
au fil d'une douzaine de disques mémorables. Jean-Pierre
Robert. Felix
MENDELSSOHN : Ouverture « les Hébrides ».
Symphonie N° 3, « Écossaise » op.
56. Robert SCHUMANN : Concerto pour piano et orchestre op. 54. Maria João Pires, piano. LSO, dir. John Eliot
Gardiner. 1CD LSOlive : LSO0765. TT.: 79'17. Ce généreux CD présente un vrai
programme de concert, en l'occurrence celui donné à Paris en janvier dernier
(cf. NL de 2/2014), puis au Barbican de Londres, où
l'évènement fut capté à la fois en version audio et pour la vidéo (le présent
CD s'accompagne d'un DVD Blu-ray). Ce programme a du
sens car il rapproche deux compositeurs amis et chantres de l'imagination
musicale, Mendelssohn et Schumann. Les paysages écossais, Felix
Mendelsshon les découvrit lors de son séjour de 1842
et les idéalisa en deux compositions remarquables, l'Ouverture « Les
Hébrides » et sa troisième symphonie. De la première John Eliot Gardier propose une interprétation forte de contrastes,
dans ses diverses phases, ondoiement marin, tempête déchainée, retour au calme,
nouvelle bourrasque. Cette même approche caractérise la symphonie dite
« écossaise », partagée entre vivacité et relâchement, agitation
fébrile et apaisement bienfaisant. A l'exemple du premier mouvement : une
longue introduction plantant le décor à la fois visuel, les landes des
Highlands, et figuré, la poétique romantique d'Ossian, puis le déploiement
d'épisodes tempétueux que le chef ne cherche pas à amoindrir, mais au contraire
truffe de rythmes martelés. Le vivace suivant, sorte de scherzo nocturne, si
typique de la manière de Mendelssohn, est abordé dans un tempo d'une
ébouriffante vitesse, presque boulé, ce qui dans les passages ppp lui
confère un aspect fantastique. On retrouve pareille vivacité au finale,
tourbillon haletant débouchant sur une péroraison majestueuse, dépourvue de
grandiloquence. Malgré l'allure endiablée et la pression mise par le chef sur
ses musiciens, le discours ne perd pas une once d'articulation. Peu avant,
l'adagio aura distillé une cantilène mélancolique des violons dont un deuxième
thème solennel ne sera pas parvenu à interrompre le cours. Une exécution
débordante de vie, qui renouvelle notre vision de ce petit chef d'œuvre. Le
Concerto pour piano op. 54 de Schumann, créé par Clara Wieck,
en 1845, après une longue maturation, occupe une place particulière parmi les
grands concertos romantiques par ses audaces d'écritures et son caractère
novateur. Il est, sous les doigts de Maria João Pires, un modèle d'équilibre :
un pianisme ni maniéré ni ostentatoire, d'une belle
alacrité, sans ce trop plein de vigueur que lui confèrent certains de ses
confrères ou consœurs. Comme ce fut le cas lors du concert parisien, on se
laisse bercer par la fine adéquation de l'interprétation à la poétique de la
pièce : délicatesse et intériorité de l'« affetuoso » initial, ton
chambriste dont est exécuté l'intermezzo central, comme un chant intime,
sérénité transparaissant dans le finale enjoué, jubilatoire, sans brillance
superfétatoire. Jean-Pierre Robert « A 90 th Birthday celebration ». Anton DVOŘÀK : Quintette pour piano et
cordes en la majeur, op. 81. Franz SCHUBERT :
Quintette pour piano et cordes « La Truite », D 667. Menahem Pressler, piano, Benjamin Berlioz, contrebasse, Quatuor
Ebène. 1CD Erato : 46259649. TT.: 75'39. 1DVD (TT.: 116'30) contenant
l'intégralité du concert, dont en outre : 4 Lieder extraits du Winterreise et « Die Forelle »,
D 560, de Schubert, l'Andantino du Quatuor à cordes de Debussy et le Nocturne
en ut dièse mineur, op. posthume de Chopin. Ce CD est la captation du concert du 7
novembre 2013, salle Pleyel, durant lequel fut fêté le 90 ème
anniversaire de ce géant du piano, de la musique tout court, qu'est Menahem Pressler. Ce fut une fête en effet. Qu'on salua bien bas
(cf. NL de 12/2013). Et sans doute des exécutions hors concours, qu'il ne faut
pas tenter de comparer à d'autres. La Quintette op. 81 pour piano et cordes de Dvořàk montre peut-être des ralentissements qui, à
l'écoute aveugle, peuvent surprendre, par exemple au fil du premier mouvement.
Mais quel engagement de tous les instants, quel jaillissement mélodique à
travers ses climats tour à tour élégiaques et prestes ! Après tout,
l'indication de tempo est « allegro ma non tanto ».
Il y a là un sentiment d'urgence qui aux dernières phrases, emporte tout, au
point de déchaîner les applaudissements de l'auditoire ! L'andante suivant est
pareillement distillé avec amour sur le rythme un soupçon mélancolique d'une
danse de Dumka, et s'il vire à l'adagio
quelquefois, sa profondeur abyssale est bouleversante par le jeu perlé du
pianiste et le répondant tout en finesse des Ebène. Ils vont se déchaîner au Furiant, d'une vivacité aérienne, alors que le trio
médian explore les contrées de l'âme. Un allegro enjoué conclut cette exécution
magistrale. Il en va de même du Quintette « La Truite » de Schubert
qui respire le bonheur de jouer ensemble, nimbé de la douceur miraculeuse du
jeu de Menahem Pressler, et cultive un art consommé
de la transition. Le vivace initial, certes modéré, notamment en son deuxième
thème contenu dans un pianissimo bienfaisant, est d'un suprême naturel. Ce
nuancier on le retrouve à l'andante qui chante comme jamais et, sans jeu de
mot, coule de source, tout en côtoyant les tréfonds. Le scherzo introduit un
joli presto d'une vigueur tempérée dans sa scansion tournoyante, qu'entrecoupe
un trio empreint d'un sentiment d'apaisement. Le merveilleux thème de
l'Andantino, calqué sur celui du Lied « Die Forelle »,
est pris aux cordes avec infiniment de douceur, avant que le piano ne donne le
signal des variations. Celles-ci seront subtilement différenciées, en
particulier celle mettant en scène le violoncelle, d'une lenteur habitée. La
joie sans ombre du finale Allegro giusto,
merveilleusement balancé, conclut une exécution là encore mémorable. La prise
de son ménage un équilibre très satisfaisant entre piano et cordes. Le DVD nous plonge au cœur même de cette
leçon de musique, grâce à de superbes images, en particulier du héros de la
fête dont les doigts collent au clavier comme pour mieux modeler la musique.
Son attention de tous les instants vis à vis de ses
jeunes confrères est un régal, comme ce sourire furtif échappé au vol. Il
permet aussi de savourer encore quelques moments magiques : un bouquet de
Lieder de Schubert, chantés par le ténor Christoph Prégardien,
et tirés du Voyage d'hiver, outre celui de « La Truite »,
annonçant judicieusement le Quintette du même nom, ainsi que les bis : le
mouvement lent du Quatuor de Debussy, présent fait par les Ebène à celui qui
remporta naguère le Concours du même nom et voue depuis lors une passion pour
le compositeur, et un Nocturne de Chopin, joué comme en apesanteur par Menahem Pressler. Hors concours décidément ! Jean-Pierre Robert. Johannes BRAHMS : Sonates pour
violon et piano, N° 1, op. 78, N° 2, op. 100, N° 3, op. 108. Scherzo en ut
mineur (Sonate « F-A-E »). Augustin Dumay,
violon, Louis Lortie, piano. 1CD Onyx : ONYX 4133.
TT. : 77'01. Augustin Dumay
n'en est pas à sa première exécution des trois Sonates pour violon de Brahms,
même au disque. La plus récente le fut avec Maria João Pires, pour Universal DG. Cette nouvelle version surprend par sa
tonalité automnale, son austérité, sa sévérité même. Elle est le fruit
d'intenses réflexions, de recherches, de remises en question sans doute. La
Sonate op.78 tourne le dos au caractère lumineux qu'on lui attribue
généralement, en raison de tempos retenus, voire lents, dans le vivace initial,
empreint de mélancolie, que soulignent des ralentissements constants. Ils
affectent tout autant l'adagio, qui s'enfonce dans l'immobilité, et l'allegro
moderato final manque de ce charme immédiat associé à cette première pièce. Une
approche très personnelle, à mille lieux des bretteurs d'estrade. La Sonate op.
100, « plus classique et plus heureuse », selon le violoniste, est de
même marquée par un débit retenu : l'allegro amabile qui l'ouvre est nanti, là
encore, de ralentissements extrêmes qui confèrent à ce qu'il est convenu de
considérer comme une romance sans parole, une sérénité refusant tout
épanchement romantique. Le lyrisme ne se libère pas aisément aux deux autres
mouvements, et le souffle brahmsien est fermement contenu dans des limites
objectives. L'opus 108 s'avère plus proche des interprétations « centrales
» et fait montre d'une jeunesse d'esprit communicative, vérifiant ce bon mot de
Picasso de qui aurait « mis du temps à devenir jeune ». Les tempos,
quoique là encore plus lents que ceux adoptés, par exemple, par Leonidas Kavakos et Yuja Wang dans leur
récente version (Decca ; cf NL de 6/2014), sont
justement passionnés, voire fiévreux au finale, et d'une poignante expression à
l'adagio. Dumay joue le superbe Guarneri del Jesù ayant appartenu à Leonid
Kogan, et un archet de Pierre Putigny
qu'utilisait Arthur Grumiaux, son maître vénéré. La
sonorité chaude et sombre, comme confidente, accentue l'austérité de la vision,
comme y contribue une prise de son intimiste. Jean-Pierre Robert. Georges BIZET : Carmen.
Opéra en quatre actes. Livret de Henri Meilhac et Ludovic Halévy. Maria Callas,
Nicolai Gedda, Andrea Guiot, Robert Massard, Nadine
Sautereau, Jane Berbié, Claude Cales, Jacques Mars,
Jean-Paul Vauquelin, Jacques Pruvost. Chœurs René
Duclos. Chœurs d'enfants Jean Pesneaud. Orchestre du
Théâtre National de l'Opéra de Paris, dir. Georges
Prêtre (enregistrement : juillet 1964 ; remastered :
2014). 2 CD Warner Classics : 0825646341108. Cent fois sur le métier... L'héritage
Callas semble être voué à une réactivation permanente, aubaine pour le label.
Pour les collectionneurs et les amoureux de l'art de la Diva assoluta aussi, le bénéfice étant pour eux avant tout
artistique. Entre autres parutions, son interprétation légendaire de Carmen
revient dans un nouveau transfert. La remastérisation
a été effectuée, dans les fameux studios londoniens d'Abbey
road, à partir, cette fois, des bandes-mères originales. Le gain sonore est
indéniable, la dynamique enfin restituée dans sa quasi entièreté, et non plus
affectée de l'effet de compression qui en limitait le spectre, dans les tuttis
notamment. Car la salle Wagram, où eut lieu l'enregistrement en juillet 1964,
pour ce qui devait être l'avant-dernière intégrale d'opéra léguée par Callas,
offrait une acoustique ouverte et idéalement aérée, ce dont le producteur
(Michel Glotz) et l'ingénieur du son (Paul Vavasseur)
usèrent avec leur habileté coutumière. La présence est étonnante, des voix
comme de l'orchestre, avec une naturelle spacialisation
des diverses sections, cordes, bois, cuivres, et l'accent porté sur les graves,
aux percussions en particulier. La clarté des plans est tout aussi saisissante,
comme la discrète mais efficace mise en espace (chœurs d'enfants au Ier acte,
placement des voix lors de la scène des cartes au III). Seuls, les chœurs ne
profitent pas toujours de cette cure de rajeunissement, captés souvent trop en
arrière plan, en particulier lors de la Habanera, où la voix de Callas
est fortement privilégiée. C'est que cette radiographie sonore ne passe rien.
Les fêlures de la voix de la diva, bien sûr, et cette tendance à privilégier le
registre de poitrine. Mais combien d'avantages en comparaison ! Car
l'interprétation est grandiose, envoûtante, avec ces traits fulgurants, cette
manière de jouer de la morgue (Séguedille, échange avec José lors du retour de
celui-ci), de la fatalité (scène des cartes), d'une inflexibilité totalement
assumée (scène finale, jusqu'à ce « tiens » détimbré, instillant
le froid dans le dos). Le sens du texte, la diction admirable rendent ce
portrait captivant, où sont illustrés tous les registres de la séduction.
Chante-t-on encore aujourd'hui avec l'intelligence suprême qu'apporte Nicolai Gedda à Don José ? Une
élégance dans la passion, une vraie clarté de l'émission, un art du phrasé, là
aussi devenus légendaires, pour une incarnation ardente, vaillante, avec le
soleil dans le timbre. De même, Robert Massard est un
Escamillo doté d'une distinction dont peu de ses
successeurs, van Dam excepté, surent user. Et Andrea Guiot
offre une Micaela de calibre, prouvant que ce rôle
est plus proche des héroïnes italiennes que d'une soubrette souffreteuse.
L'impact dramatique de l'interprétation doit beaucoup à la direction enflammée
de Georges Prêtre, et à ses excès : une certaine sécheresse du trait, des
accélérations incroyables (bagarre des cigarières, Entracte du II ), et un discours pas toujours des plus subtils, mais
diablement efficace. Peut-être pas la version idéale du chef d'œuvre de Bizet.
Une interprétation électrisante certainement, encore embellie. Seule ombre dans
cette captivante entreprise : aucun texte de présentation sur l'opéra, fût-il le plus joué au monde, comme l'absence du livret. N'y
a-t-il pas encore un public à conquérir
? Jean-Pierre
Robert. Émile GOUE : « Musique
de chambre vol. 3 » Sextuor à cordes, op. 33. Duo pour violon et violoncelle,
op. 34. Trio pour violon, alto et violoncelle, op. 32. Fleurs
mortes pour violon et piano. Trois Mélodies pour voix et quatuor à cordes,op. 36. L'Amitié.
Elmira Darvarova, Kristi Helberg, violons. Ronald Carbone, David Cerutti, altos. Samuel Magill, Wendy Sutter, violoncelles. Damien Top, ténor. Linda Hall, piano. 1CD Azur classical. : AZC120. TT.: 73'03. Émile Goué
(1904-1946) mena de front sa carrière d'enseignant et une intense activité de
composition. Dans le domaine de la musique de chambre en particulier. Formé sur
le tas, il sera encouragé par Albert Roussel et Charles Koechlin.
L'association du Festival international Albert-Roussel et les éditions Azur classical tirent peu à peu de l'ombre sa riche production.
Après la Sonate pour violon et piano, les quatuors, le quintette (Cf. NL de
1/2014) voici, pour ce troisième volume, d'autres pièces non moins
passionnantes. A propos desquelles s'applique si bien le mot de Koechlin « c'est infiniment sérieux, âpre souvent,
étrange même, parfois assez austère, tragique aussi ». Car l'écriture de Goué, si elle reste ancrée dans la tonalité, l'élargit en
des harmonies denses et complexes. Le Trio à cordes op. 22, de 1939, déploie
une belle veine mélodique et une sûre architecture. Débutant par un presto, à
la verve digne du style de Roussel, il offre un adagio dont le parcours
mélodieux s'inscrit dans une rythmique assurée, ce qui lui confère une
étonnante résonance grave, mais nullement triste. L'allegro final, sur un
rythme de tarentelle, distille une joie sans mélange, celle d'un air populaire.
Le Sextuor à cordes op. 33, écrit en 1942, durant la longue période de
captivité du musicien au nord de l'Allemagne, s'avère plus charnu et laisse
percevoir les sentiments partagés du musicien durant cette période difficile.
Une introduction lente prélude à un mouvement vivement rythmé. Une profonde
cantilène rompt ce climat enjoué pour des accents presque lugubres. Ce climat
semble perdurer dans le deuxième mouvement « très animé ». Le sens de
l'urgence ne laisse pas beaucoup d'espoir quant à la désolation qui parcourt
ces pages. Le thème du « Lent » est tiré du Poème symphonique de
1933 : la thématique est là encore résolument sombre, aux altos notamment, mais
empreinte d'une vraie délicatesse. Le finale, « vif », est comme un
manifeste d'espoir. Le Duo pour violon et piano op. 34, de 1943, qui s'inscrit
dans un genre déjà expérimenté par Ravel et Honegger, se signale par une vraie
osmose entre les deux instruments, au fil de ses trois mouvements,
« animé », « très lent », belle médiation, et « très
vif », dégageant quelque optimisme en l'existence. Le CD présente une autre
composition pour violon et piano, inédite : « Fleurs mortes », de
1934, évoquant comme la nostalgie des souvenirs d'enfance dans ses deux
séquences, la première au balancement typiquement gallique, la seconde au
parfum de comptine populaire. Enfin, les « Trois Mélodies pour voix et
quatuor à cordes » op. 36, de 1943, de tonalité
automnales, sont écrites sur des textes de Jean de La Ville de Mirmont et de Rainer Maria Rilke. La mélodie isolée
« L'Amitié », sur un texte de Christiane Delmas (1935) offre pareil
climat austère. Les solistes de l'Orchestre du MET de New-York et le ténor
Damien Top apportent leur talent pour nous faire découvrir ces compositions. Jean-Pierre
Robert. « L'Heure
romantique ». Mélodies et Lieder de Purcell, Mahler, Schumann, Bizet,
Caplet, Ravel, Canteloube, Paul Ben Haim, Alexander Boskovitch. Airs d'opéras de Mozart et de Meyerbeer. Varda Kotler,
soprano, Israel Kastoriano, piano. 1CD Forlane : FOR 16878. TT.:73'12. La soprano Varda Kolter, native de Tel Aviv,
poursuit une belle carrière aussi bien à la scène qu'en récital. Pour son
nouveau CD elle réunit un programme fort éclectique aussi bien anglais
qu'allemand, français ou yiddich, du plus connu à
quelques raretés. Pour « un voyage musical révélant la grande humanité
enfouie dans ces courtes pièces », souligne-t-elle. De la mélodie
« Music for a while » de Purcell, à
quelques Rückert-Lieder de Mahler, dont « Ich atmet einen Linden Duft », si empli d'atmosphère, ou encore à Schumann et
son délicat « Der Nussbaum », la pudeur de
la manière de la chanteuse fait merveille, comme la simplicité avec laquelle
elle aborde « Erstes Grün » de ce dernier. Elle
est à l'aise dans le répertoire français, même si çà et là quelques intonations
s'avèrent délicates, dues à la difficulté de prononciation d'une langue
terriblement exigeante. Le « Sonnet » de Bizet, sur un poème de
Ronsard, révèle sa fine mélancolie, et « Tarentelle » est enjouée et
virtuose dans ses insouciantes vocalises, enfin « Guitare » déploie
une belle énergie, sur un rythme espagnol qui confère au texte de Victor Hugo
une saveur insoupçonnée. Quelques pièces des Chants d'Auvergne de Joseph
Canteloube lui conviennent encore mieux car elle en distille l'esprit et
l'originalité. La Vocalise-Étude de Ravel, donnée avec ce zest d'abandon
indispensable, prélude à deux chansons sans paroles du compositeur israélien
Paul Ben-Haim (1897-1984). Au chapitre des raretés,
une pièce de Alexander Uriah Boskovitch
(1907-1964), « Que tu es belle, ma bien-aimée », tirée du Cantique
des Cantiques, nous immerge dans la poétique du chant juif. Comme Ben-Haim, ce musicien né en Europe, se rendra en Israël.
D'André Caplet (1878-1925), Varda Kotler donne
« Le corbeau et le renard », mise en musique de la célèbre fable de
Jean de La Fontaine, pleine de mystère et d'esprit, d'inspiration plutôt
moderniste, qui fait penser à Schoenberg. En guise de bis, viennent deux airs
d'opéra de Mozart et de Meyerbeer. De La Clemenza
di Tito, le « Parto, ma tu ben mio » du jeune Sesto est
finement ménagé dans le récitatif comme dans l'aria. Et « Nobles
Seigneurs, Salut! », tiré des Huguenots, fait montre de
panache. Jean-Pierre
Robert. « Chansons
perpétuelles ». Guillaume LEQUEUX : Trois poèmes. Hugo WOLF : quatre
Lieder extraits de l'Italienisches Liederbuch. Gabriel FAURE : 5 mélodies « de
Venise ». Serge RACHMANINOV : mélodies extraites de Chest
Romansov op. 4 et de Dvenadtsat
Romansov. Charles KOECHLIN : extraits de « Cinq
mélodies » op. 5 et de « Sept Rondels » op. 8. Ernest CHAUSSON :
Chanson perpétuelle, op. posthume 37.
Marie-Nicole Lemieux, mezzo-soprano. Roger Vignoles, piano. Quatuor Psophos. 1CD Naïve : V 5355. TT.: 63'17. Pour son nouveau récital,
Marie-Nicole Lemieux reste dans la sphère mélancolique. Le disque emprunte son
titre à La Chanson perpétuelle d'Ernest Chausson, que la chanteuse avait
inscrite au programme de son concert à l'Amphithéâtre Bastille en 2013, et
propose un voyage à travers l'Europe de la fin du XIX ème
siècle qui, souligne-t-elle, marque « l'apogée de la mélodie française ».
Elle est entourée dans cette pièce d'un quintette instrumental et la voix
s'épanouit admirablement, s'enroulant dans leurs volutes, et la diction
impressionne. Les Trois Poèmes de Guillaume Lequeu
(1870-1894) exhalent pareille veine mélancolique, même dans « Ronde »
malgré une apparente nonchalance de ton, tandis que « Nocturne »,
avec le renfort du quatuor à cordes, révèle mystère et langueur. Les
« Mélodies de Venise » de Gabriel Fauré (1891) découvrent une manière
tout sauf aseptisée. La fine poésie de Verlaine y palpite de sensualité. A
l'inverse de beaucoup d'interprètes, Marie-Nicole Lemieux privilégie une
approche plus dessinée, gourmande du mot, et « Mandoline » ou
« Green » en acquièrent une densité nouvelle, alors que « C'est
l'extase » n'a rien de vaporeux. Le pianisme de
Roger Vignoles est à l'unisson. Marie-Nicole Lemieux offre aussi quelques
pièces de Charles Koechlin, tirées des « Cinq
mélodies » op. 5, et des « Sept rondels » op. 8. Des premières,
« Si tu le veux » est un régal, la voix évoluant sur l'ondoiement du
piano, tandis que « Menuet » est tout de nostalgie. Des Sept rondels,
sur des poèmes de Théodore de Banville, elle propose, entre autres, « La
lune », seul vrai trait d'esprit du récital. Hugo Wolf la montre à l'aise
en territoire germanique. Les pièces de Serge Rachmaninov lui conviennent
encore mieux car le timbre grave y trouve matière à s'épanouir naturellement,
proche de l'effusion opératique. Ainsi en est-il du très célèbre « Ma
belle, ne chante pas devant moi ». La déclamation est expressive et le
legato superbe, tout comme l'accompagnement démonstratif. Sa grande voix,
Marie-Nicole Lemieux sait la dompter pour la mettre au diapason de la
confidente récitaliste, tout comme elle canalise son
tempérament expansif pour se faire patte de velours. Roger Vignoles est un sûr
partenaire pour installer à chaque instant le juste climat et donner vie à ces
belles miniatures. Jean-Pierre
Robert. « Les Ombres Heureuses ». Les
organistes français de la fin de l’Ancien Régime. Olivier Baumont,
orgue & piano. 1CD Éditions Radio France, Collection Tempéraments :
TEM 316053. TT : 63’31. C’est probablement au XVIIIe siècle que la
musique pour orgue s’anoblit, s’embellit et s’enrichit, période où compositeurs
et facteurs d’instruments se réunissent dans une symbiose étroite tout au
service de la musique, au service de la sonorité, miracle de la musique qui
naît d’une altérité chaque fois renouvelée et partagée qui produira ces pièces
peu connues que nous propose Olivier Baumont dans cet
enregistrement. Des compositeurs de l’Ancien Régime, Claude Balbastre
(1724-11799), Michel Corrette (1707-1795)h Jean-Jacques Beauvarlet-Charpentier
(1734-1794), Armand-Louis Couperin (1727-1789), Josse-François-Joseph Benaut (1741-1794) et Guillaume Lasceux
(1740-1831). Des maîtres aujourd’hui oubliés et des œuvres qu’Olivier Baumont a judicieusement choisies comme un journal d’orgue
qu’on feuillette avec plaisir et nostalgie. Des instruments exceptionnels comme
l’orgue Dom Bedos-Quoirin (1748) de l’église
Sainte-Croix de Bordeaux et le pianoforte-orgue, insolite piano organisé
Erard-Frères (1791) conservé au musée de la Cité de la Musique à Paris. Un
disque, on l’aura compris, tout à fait exceptionnel par le choix de œuvres, par
la nature de l’instrumentarium et par la qualité de
l’interprétation d’Olivier Baumont. On regrettera
toutefois une prise de son qui parait parfois un peu plate. Un disque original
et didactique. Patrice Imbaud. Carl
Maria von WEBER. Johann Nepomuk HUMMEL. Early
Romantic Concertos for Clarinet & Trumpet. Philippe Cuper, clarinette.
Éric Aubier, Trompette. Orchestre Symphonique de Bretagne, dir.
Claude Schnitzler & Vincent Barthe. 1 CD Indésens :
INDE067. TT : 73’45. Réédition par le label Indésens
de quatre œuvres emblématiques du répertoire pour clarinette et trompette, les Concertos n° 1 & n° 2 et le Concertino pour clarinette de Carl Maria
von Weber (1786-1826) et le Concerto pour trompette de Johann Nepomuk
Hummel (1778-1837). Des concertos incontournables, joués, ici, par des figures
reconnues des vents français, le clarinettiste Philippe Cuper
et le trompettiste Éric Aubier. Weber composa en 1811, à l’intention de son ami
le clarinettiste virtuose Heinrich Baermann,
l’aimable concertino et les deux concertos, des œuvres qui exploitent au mieux
toutes les possibilités expressives et techniques de la clarinette. Hummel
reste encore inscrit dans les mémoires par ce concerto pour trompette datant de
1803, dédié au trompettiste Weidinger. Des œuvres
maîtresses où l’on peut juger de la proximité des instruments à vents avec la
voix, de la complainte de la clarinette aux accents plus soutenus de la
trompette. Des compositions qui font la transition entre classicisme et
romantisme, qu’il est bon d’écouter et de réécouter surtout quand
l’interprétation est d’une telle qualité. Patrice
Imbaud. « Romance oubliée ».
Hermine Horiot, violoncelle. Ferenc Vizi, piano. 1 CD Collection 1001 Notes :
1001notes 05. TT : 64’16. Un premier disque pour la jeune
violoncelliste Hermine Horiot, mais un coup de
maître. Associée au pianiste Ferenc Vizi dans un
programme éminemment romantique, Dvořák, Schumann, Chopin
et Liszt. Un bel enregistrement qui ravira tous les amateurs de musique de
chambre. Une sélection de pièces connues, jouées par les plus grands, des
ambiances différentes, mais une même poésie portée par la sonorité superbe du
violoncelle, Waldesruhe
et Sonatine de Dvořák,
Trois Romances de Robert Schumann, la
grande Sonate de Chopin et Romance oubliée de Liszt. Une très belle
interprétation toute en ressenti, en nuances, construite avec intelligence
autour de la sonate de Chopin qui explore à elle seule tous les méandres de
l’âme romantique, de sa part d’ombre, de sa romance oubliée comme une mélodie
perdue qu’on a de cesse de retrouver. Bravo ! Un pari audacieux totalement
maîtrisé. Une violoncelliste à suivre… Patrice Imbaud.
Gabriel
FAURÉ. Quatuor
avec piano n° 1, Op. 15. Mel BONIS.
Quatuor avec
piano n° 1, Op. 69.
Quatuor Giardini. 1 CD Evidence :
EVCD004. TT : 56’45. Le Quatuor Giardini
(du nom d’un des premiers compositeurs du genre quatuor avec clavier) nous
présente ici un enregistrement d’un grand intérêt musical, par le choix des
œuvres et par la qualité de leur réalisation. Le genre quatuor avec clavier
remonte au milieu du XVIIIe siècle, époque ou le clavecin s’émancipe, devient
instrument soliste et où se développe parallèlement le genre concertant,
faisant d’abord appel aux cordes exclusives, avant de s’enrichir de l’effectif
des vents. Mozart lui donna ses lettres de noblesse, bientôt secondé par les
compositeurs romantiques et post romantiques. Il serait vain de présenter
Gabriel Fauré (1845-1924), sans nul doute un des plus fameux musiciens
français, maitre reconnu en matière d’harmonie et de mélodie. Son Quatuor avec piano n° 1 appartient à sa
première période compositionnelle puisqu’écrit entre 1876 et 1879. En revanche,
Mélanie Bonis (1858-1937) est probablement moins connue du grand public.
Condisciple de Debussy au Conservatoire de Paris, son œuvre, souvent entravée
par sa vie personnelle et le conservatisme ambiant, comprend environ trois
cents pièces, tous genres confondus, musique de chambre, musique pour piano,
musique vocale et orchestrale. Son Quatuor
avec piano n° 1 fut composé entre 1900 et 1905. Deux œuvres bien
différentes. Si le Quatuor de Fauré
révèle immédiatement toute sa plénitude musicale, chargée de lumière, de
tumulte et de drame, celui de Mel Bonis parait plutôt en demie teinte, empreint
de nostalgie, d’une certaine pudeur dans l’expression qui en fait tout le
charme. Un disque remarquable qui frappe d’emblée par la cohésion du Quatuor Giardini, par la sensibilité musicale de chacun de ses
membres et par la qualité de la prise de son. Un disque qui fera référence !
Un Quatuor original et talentueux à suivre… Patrice Imbaud. Ralph VAUGHAN WILLIAMS. Paul HINDEMITH. Florent SCHMITT. Charles KOECHLIN : Les altistes engagés. Vincent Roth, alto. Sébastien
Beck, piano Erard. 1 CD Editions Hortus.
Collection « Les musiciens et la Grande Guerre. Vol VII ».
HORTUS 707. TT : 60’53. Septième volume de cette magnifique
collection que le label Hortus consacre aux
« Musiciens et la Grande Guerre ». Comme pour les précédents opus, un
choix pertinent d’œuvres originales et des interprètes de qualité qui feront, à
n’en pas douter, le succès de ce disque. Loin d’entraver la progression de
l’avant-garde musicale, initiée notamment par Stravinski et son Sacre du Printemps datant de 1913, la
Grande Guerre semble avoir toutefois modifié la donne, par l’enrôlement et
l’expérience du front que connaitront nombre de jeunes compositeurs français,
allemands ou anglais. Ralph Vaughan Williams (1872-1958) s’engage comme
brancardier, sa Romance pour alto et
piano, aux accents tragiques, date de 1914. Paul Hindemith (1895-1963) porte
dès l’âge de 19 ans le deuil de son père tué dès le début du conflit dans les
Flandres. Altiste hors pair, sa Sonate
Op. 11 n° 4, de 1919, post romantique, s’inscrit dans la tradition
allemande, à la fois lyrique et expressionniste. Florent Schmitt (1870-1958)
compose sa Légende en 1918, malgré sa
profonde tendresse, elle reste chargée d’angoisse. Charles Koechlin
(1867-1950) s’engage comme infirmier et continue de défendre l’avant-garde
cosmopolite par le biais de la Société Indépendante de Musique face à la très
nationaliste Société Nationale de Musique, émanant de la Schola Cantorum. Sa Sonate
Op. 53, écrite en 1915, est une partition déchirante empreinte de
désolation. Un disque marqué par le sceau de la guerre, par ses atrocités, par
ses drames, où la complainte de l’alto est ici résignée et désolée, ailleurs
agitée et vindicative, mais toujours magnifiquement expressive et émouvante
comme la voix venue d’ailleurs d’une humanité souffrante qui n’aspire qu’au
repos. Beau et émouvant ! Patrice Imbaud. Jean-Louis
FLORENTZ : De Cire et Or. Thomas Monnet, orgue.
1 CD Editions Hortus : HORTUS 114. TT :
86’20. Un disque comme un hommage au compositeur
Jean-Louis Florentz disparu il y a dix ans.
Compositeur et organiste, musicien atypique, avide de découvertes sonores,
ancien élève d’Olivier Messiaen, Jean-Louis Florentz
(1947-2004) fut un homme de foi dont la musique encore trop méconnue s’adresse
à l’orgue, à la voix ou au violoncelle. Une œuvre ayant réussi le difficile
syncrétisme entre musique africaine, proche orientale et tradition debussyste,
une œuvre toute imprégnée de spiritualité et de symbolique religieuse. Une
musique puissante, parfois dérangeante qui ne laisse pas indifférent,
apocalyptique, onirique, véhémente quasi militante, évoluant par grands plans
sonores, par clusters et répétitions. Une musique qui invite à découvrir la
face cachée de la vraie médaille, une musique au service de la foi, une musique
qui vous transporte dans un autre monde, celui de la méditation et de la
prière. Thomas Monnet, sur l’orgue de Roquevaire, nous propose dans cet
enregistrement un véritable parcours initiatique à travers quatre compositions
emblématiques, constituant l’intégrale de la musique pour orgue de Florentz, Les Laudes comme
des icônes de la Vierge Marie pleurant la persécution de l'Éthiopie, l’Enfant noir, conte symphonique
inachevé d’après le roman éponyme de Camara Laye, Debout sur le soleil, chant de résurrection ouvrant la voie des
ténèbres vers la lumière, et la Croix du
Sud, poème symphonique inspiré d’un poème touareg célébrant la rencontre
avec Dieu. Un disque de musique sacrée contemporaine, un document rare, servi
magnifiquement par Thomas Monnet. Une découverte à ne pas manquer ! Pour
ceux qui voudraient en savoir plus sur Jean-Louis Florentz,
signalons la sortie prochaine du livre que lui consacre l’organiste Michel
Bourcier. A suivre…. Patrice Imbaud.
Laurent
LEFRANÇOIS. Balnéaire.
Chamber Music. 1 CD Evidence Classics/ Little tribeca : EVCD005. TT : 49’30. Ramage et plumage font ici bon ménage. A la
qualité des compositions répond la qualité superlative des interprètes, pour
cet enregistrement de musique de chambre contemporaine regroupant dix ans de
composition de Laurent Lefrançois utilisant des
effectifs chambristes à géométrie variable. Sextuor
mixte pour fluûte, clarinette, violon, alto,
violoncelle et piano, Padouk Phantasticus
pour marimba et clarinette, Toccata sesta pour quatuor à cordes, Approaching a city pour hautbois, clarinette et basson, Erinnerung pour quatuor à cordes
et Le Nouveau Balnéaire pour piano à
quatre mains. Des interprètes de renommée internationale comme Paul Meyer à la
clarinette, Magali Mosnier à la flûte, le quatuor Parisii, François Meyer au hautbois, Gilbert Audin au basson, Ria Ideta au
marimba, Nima Sarkechik et Cyril Guillotin au piano.
Des œuvres superbement construites, centrées sur le rythme, la mélodie,
l’alchimie des timbres et le plaisir de l’écoute où Laurent Lefrançois
affirme clairement sa différence, son attachement à l’héritage du passé, son
lyrisme et son talent de compositeur. Un disque coup de cœur . Patrice
Imbaud. « La
trompette de Noël ». Eric
Aubier, trompette. 2 CDs Indésens : INDE072. TT :
78’20 + 56’51. Georges Gershwin, Michel Legrand, Claude Bolling, Guy-Claude Luypaerts,
Spiritual, Georges Bizet, César Franck, Bach, Gounod, Mozart, Jeremiah Clarke
et Tomaso Albinoni, tous ces compositeurs réunis dans
un large florilège de différentes pièces pour trompette. Musique classique,
comédie musicale, musique de film, jazz et variétés qui raviront petits et
grands. Des œuvres profanes et religieuses que le trompettiste Eric Aubier
conduit avec sa maitrise habituelle, avec la complicité du compositeur et
organiste Thierry Escaich pour les arrangements. Un
disque comme un hommage rendu à Maurice André. A savourer comme une friandise
en ces fêtes de fin d’année. Patrice Imbaud.
***
MUSIQUE ET CINEMA
Vu et à Voir
Le Festival de La Baule vient de vivre sa première édition. Le palmarès décerné est le suivant :
Ibis d'or du meilleur film : Abd Al Malik pour son film « Qu'Allah Bénisse la France » Ibis d'or de la meilleure musique de film : « Eden » de Mia Hansen-Love avec une musique de DaftPunk. Ibis d'or décerné par le public : « Swim Little Fish Swim » de Lola Bessis et Ruben Amar. Deux Ibis d'or ont été également remis à Claude Lelouch et Francis Lai pour couronner cinquante ans de collaboration.
La Musique à l'Image au Conservatoire National Supérieur de Musique et de Danse de Paris
Jeudi 18 décembre 2014 au Conservatoire porte de Pantin, devant une salle comble, l'Orchestre du Conservatoire de Paris sous la direction de Laurent Petitgirard a interprété deux pièces de 2 minutes 30 composées par chacun des neuf élèves de la classe de composition de Musique à l'image de Laurent Petitgirard. C'est sur deux séquences du film de « Monsieur Hire » de Patrice Leconte (Hire regarde par la fenêtre la femme d'en face - Hire sur le toit et sa chute) que ces jeunes compositeurs – moyenne d'âge 23 ans - ont exercé leur talent en présence du réalisateur. Cet exercice était passionnant à écouter et Patrice Leconte à tour à tour donné son avis avec beaucoup de gentillesse, d'acuité, d'émotion, sur ces musiques qui remplaçaient l'originale, celle de Brahms et de Michael Nyman. Tous ces styles, du plus romantique au plus contemporain, ont montré la richesse d'écriture et d'orchestration de ces compositeurs en devenir. Certains de ces jeune gens ont déjà écrit pour des courts-métrages ou pour des jeux vidéo. La relation entre ces compositeurs et les écoles de cinéma commence à peine à voir le jour. On sait que les compositeurs connaissent mal le cinéma et que les réalisateurs ne connaissent rien de la musique. On espère que ces contacts donneront des résultats sur le plan artistique. Benjamin Attahir, Maël Oudin, Axel Nouveau, Naraé Chung, Stéphane Gassot, Thomas Chabalier, Julien Giraudet, Robin Melchior et Arthur Ouvrad sont sûrement les Georges Delerue, Antoine Duhamel ou Alexandre Desplat de demain. C'est ce qu'on leur souhaite.
De nombreux concerts sont donnés au Conservatoire (Classique, jazz, et même de la danse) ainsi que des entretiens passionnants. Pour tous renseignements, faire www.conservatoiredeparis.fr
Rueil-Malmaison et le ciné-concert annuel
Le 24 novembre 2014, la sixième édition de la semaine du court-métrage au Théâtre André Malraux s'est achevée avec la remise du prix international du court métrage et un ciné-concert avec l'Orchestre Symphonique des élèves du Conservatoire de Rueil-Malmaison dirigé par Jean-Luc Tourret. Cette année, c'est Costa Gavras qui était à l'honneur. En première partie on a pu voir ou revoir deux courts-métrages qu'il avait réalisés. L'un à l'occasion du centenaire du cinéma « Lumière et compagnie » et l'autre pour Amnesty International, « Contre l'Oubli ». Arrangés pour le concert par Gilles Tinayre, Kirsten Harma et Anne-Sophie Versnaeyen on a ensuite entendu des extraits de la célèbre musique de « Z » composée en prison, à l'époque de la dictature grecque, par Mikis Théodorakis, de « L'Aveu » de Jacques Météhen, de la belle musique de Sarde pour « Music Box », du curieux score de Vangelis Papathanassiou pour le magnifique film « Missing », un paso doble de Pascal Marquina et un passage de la musique de Jean Musy pour « Claire de Femme ». On a pu aussi se rendre compte, à l'écoute de l'orchestre et à la vision des extraits de films, que les musiques d'Armand Amar, le compositeur actuel des derniers films de Costa Gavras, sont de style passe partout. Qu'elles soient écrites pour « Amen », « Le Capital » ou « Le Couperet », elles pourraient être interchangeables car peu inventives. C'est le risque d'un tel concert. Le réalisateur a été interviewé par Yves Alion, le rédacteur en chef de l'Avant-Scène Cinéma, sur l'exposition photos qui se tenait en même temps que le concert, et bien sûr sur son parcours cinématographique. C'est une bien belle et passionnante manifestation qu'offre chaque année le Théâtre et la Ville de Rueil-Malmaison.
https://www.youtube.com/watch?v=jbaS5o_yBME
L'Orchestre Symphonique de Bretagne, sous la Direction d'Aurélien Azan Zielinski, interprétera les plus belles musiques de film françaises sur scène,
le dimanche 11 janvier à 17h A
ARRADON dans le Morbihan à La Lucarne le mardi 13 janvier à 20h30 A CESSON-SEVIGNE en Ille-et-Vilaine à Le Carré
le
samedi 17 janvier à 20h30
Au
Programme : Antoine Duhamel Ridicule, Alexandre Desplat
La Jeune fille à la perle, et Michel Portal Docteur Petiot Gabriel Yared Camille Claudel, Philippe Rombi Joyeux Noël, Robert Fienga La maison démontable Olivier Calmel L'Art des Thanatier, Jacques Davidovici Full Frontal, Serge Perathoner Ushuaia Eric Serra Arthur et les Minimoys, Pascal Le Pennec Le Tableau ,Francis Lai Un Homme et une Femme
Entretien
Rob, un musicien atypique...
De son vrai nom Robin Coudert, alias Rob, est né en 1978 à Caen. Ce musicien atypique nous a accordé un entretien dans son studio Porte des Lilas au milieu d'une multitude d'instruments « vintage ».
Comment êtes-vous venu à la musique de film ?
Au départ la musique de film n'était pas une volonté, même si rétrospectivement tout m'y amenait. Ce que j'écoutais enfant c'était pratiquement que de la musique pour l'image. Les belles musiques de dessins animés, comme « Les Cités D'or» de Shuli Levy et Haim Saban, avec beaucoup de synthés, ont marqué toute ma génération. Cadet d'une fratrie de quatre enfants, j'entendais ce qu'écoutaient mes frères. Je me souviens ainsi de la musique du « Bal des Vampires », de « Mission ». J'ai vu « Dune » à six ans avec la superbe BO de Toto. Un autre des traumatismes musicaux de mon enfance a été la musique de Nyman pour « Meurtres dans un Jardin Anglais ». Elle me perturbe encore aujourd'hui. La musique de film c'est une musique en fait qui me hante inconsciemment depuis que je suis enfant.
Vous baignez donc dans un univers musical ?
A huit ans j'étais au conservatoire et je jouais de la trompette. C'est un instrument très ingrat. J'ai joué de cet instrument parce qu'on n'avait pas besoin de passer par la classe de solfège. Mais en fait je ne l'ai jamais apprécié. Comme j'étais d'une constitution fragile, je n'ai pas pu continuer et mon père m'a acheté un synthé, et là ça été la révélation. Je devais avoir 11ans et c'était fantastique. Mon grand frère était guitariste et son univers c'était plutôt gothique, hard rock et films d'horreur. Il a fait mon éducation musicale. Il a commencé par Thiéfaine, puis hard rock, jazz rock, jazz funk, et jazz, tout cela dans une musique assez haut de gamme. Aujourd'hui il est très connu par les collectionneurs de disques à « La Dame Blanche » à Paris, un des magasins de vinyles les plus pointus de la capitale. C'est lui qui m'a initié à la musique de genre. Comme il était guitariste, c'est lui qui m'a appris à jouer dans un groupe, il a amené toute sorte d'instruments à la maison ce qui m'a permis d'en jouer plusieurs. Ma mère a une sensibilité musicale très poussée, elle chantait dans une chorale et je me souviens qu'elle avait participé à un spectacle Xenakis. Ca m'a élargi mon spectre musical.
Vous vouliez en faire votre métier?
La musique c'était le plaisir d'en faire, de l'amitié, de jouer en groupe. J'ai eu plusieurs groupes, un de hard rock, puis de funk. On s'est retrouvé à être douze sur scène, avec une section cuivres, percus, et c'est à ce moment que j'ai commencé à m'amuser avec les synthés. J'avais un Rhodes, un MS20, le groupe sonnait assez bien. Cela s'est fini dans l'amour et le sang à la fin de l'adolescence… Le conservatoire m'avait dégoûté, j'avais arrêté le solfège rapidement, je me voyais plutôt faire de l'histoire de l'art, appendre les techniques de la peinture, de la phogravure, de la photo… Je voulais être peintre. J'ai fait les Beaux-Arts de Paris. J'y suis entré très tôt, à dix neuf ans. C'était pour moi un monde où je ne me sentais pas bien, c'était trop grand. J'avais une vision naïve, la vie de bohème de l'artiste. L'atelier où j'étais, n'était pas fait pas pour moi. Le seul où je me suis senti bien c'est celui de la photogravure. J'ai eu de graves ennuis de santé et j'ai tout abandonné sur place, mes peintures, mes pinceaux, et je me suis mis à faire de la musique underground. J'ai vécu à ce moment là la vie de bohème comme je me l'imaginais, celle des peintres ! Jour et nuit dans un appartement de fonction où je vivais d'une manière illégale, je pouvais m'adonner à la musique. J'avais accumulé pas mal d'instruments. Les Phoenix que j'avais rencontré à l'époque de l'orchestre Funk m'avaient prêté un enregistreur à bande. C'était une vraie période de jeunesse artistique. C'est là que j'ai composé mon premier album.
Qui l'a produit ?
C'est Source Virgin que j'avais connu par Phoenix. Le deal était de sortir des compil de jeunes musiciens. Ils appelaient ça les compil' Source Lab. Plusieurs groupes avaient ainsi été lancés. Là ils cherchaient la nouvelle génération. Phoenix, Sébastien Tellier étaient dedans. Pas beaucoup de noms ont perduré ; moi j'y étais aussi. C'est à ce moment que je me suis appelé Rob, mais je n'avais aucune conscience de ce que cela impliquait, car au bout d'un an j'étais produit ! A cette époque, c'était la pente descendante de la French Touch, les dernières belles années. Après un premier album avec un budget quasiment illimité, j'avais 22 ans, j'ai signé un contrat avec 500 000 francs d'enregistrement et autant pour la promo ! Pour le « crevard » que j'étais, c'était inespéré. Moi, passionné de musique de film, de musique expérimentale et de pop seventies, j'ai eu tous les moyens rêvés pour faire cette musique là ! J'avais décidé de tout faire sur bande et sans ordinateur, tout en direct !
Résultat ?
Magnifique, splendide ! Un album mythique parce qu'aucune concession commerciale, et très peu vendu, totalement incompris ! Trois ans après Source a coulé à cause de leurs prises de risques et de l'effondrement de l'industrie du disque. C'était un album dans la ligné de Hair, de la pop instrumentale. Mais là où eux étaient plus lounge, exotica, easy listening, ce qui plaisait aux anglais, moi j'étais plus rock. C'était une musique classée mauvais goût. Je n'avais aucune conscience de ce que j'avais fait, je n'avais pas de recul. On me parlait de Pink Floyd alors que je n'avais jamais entendu ce groupe ! J'avais quelques bons retours quand même et j'étais content de ce que j'avais composé.
Il s'appelait comment ?
L'album s'appelait « Don't Kill ». Il a été fait de manière artisanale : j'y joue de pratiquement tous les instruments. Le résultat est étonnant. J'ai enchaîné un deuxième album, « Satyred love », en même temps que mon deuxième pneumothorax ! J'étais bien cassé. J'avais décidé de ne faire que des chansons, des histoires d'amour un peu salaces. La boîte a coulé aussi sec, donc le disque est pour le compte ultra mythique, il n'est jamais sorti !
Suite à cet échec tout devait être compliqué je suppose ?
Oui, retour à la bohème ! Sauf que j'avais connu des moyens de production fabuleux. C'est à ce moment que j'ai pris du recul par rapport à ma musique et au milieu professionnel. J'ai tout connu au bon âge parce que c'était la jeunesse. C'était le moment avec ma femme, et le fric qu'on me donnait, de pouvoir partir où on voulait ! On en a beaucoup profité ! Suite à cet échec j'ai eu ma période RMI, appartement avec cuisine dans le placard. Mais la musique ne m'avait pas quitté. Je connaissais pas mal de gens dans le milieu et j'ai toujours pu continuer à composer. C'est à cette époque que j'ai rencontré Jack Lahana, mon ingénieur du son, mon partenaire depuis. C'est lui qui a mixé l'intégralité de mes disques. Ensemble on a expérimenté tous les studios qu'on nous prêtait. J'ai enregistré pendant trois ans des heures et des heures de musique. C'était une grande période de disette et d'expérimentation, d'intensification de la musique. Maintenant que je n'en vivais plus, j'en avais toujours envie, donc c'était une période heureuse en définitif ! J'ai fait plein de petits boulots, dont ouvreur dans un cinéma au Gaumont Grand Écran, place d'Italie. C'était une salle qui attirait des passionnés. J'ai vu un public spécial quand on a projeté « Le Seigneur des anneaux ». Travailler dans un cinéma c'était intéressant, vu la suite de ma carrière. J'ai aussi été pianiste pour Sébastien Tellier. Lui s'en était mieux sorti et on faisait des cabarets ensemble. On a fait l'ouverture du Baron, c'était assez marrant. Sébastien faisait des sortes de happenings et en même temps sa musique était très belle, c'était très émouvant. Mais parfois c'était dur de le soutenir artistiquement et humainement. On a fait pas mal de voyages, on a fait des concerts avec Tony Allen, un des meilleurs batteurs du monde. Phoenix m'ont proposé de les rejoindre sur scène. Une belle proposition pour une grosse tournée. C'était en 2006, je me suis marié et je n'ai pas arrêté de voyager. Çà m'a permis de me refaire financièrement.
C'est à ce moment là, pendant que ma femme faisait des études de réalisatrice à la FEMIS, que j'ai côtoyé la nouvelle génération du cinéma français, Rebecca Zlotowski, Teddy Modeste, mais aussi un label qui s'appelait Institubes. C'était un label de technorap expérimental, pas du tout mon genre, mais qui avait à l'époque un directeur, directeur artistique qui s'appelait Jean-René Etienne, curieux et intelligent, qui aimait ma musique. Il la connaissait lui ! Je lui ai donc dit que j'avais des heures et des heures de musique. Il a écouté et c'est ainsi qu'est née l'idée du dodécalogue, un projet hors format, donc pas de contrainte de durée, pas commercial. Le principe était de livrer un disque par mois, pendant un an, d'où le titre. On a greffé un contexte biblique pour se donner une ligne artistique, mystique, histoire de se marrer, d'où des pochettes magnifiques, de noms de morceaux. J'ai exploité tout ce que j'avais composé pendant quatre ans en le remaniant, en le remixant, en rajoutant des morceaux. Il s'est vite avéré que le rythme était intenable et que cela coûtait très cher, car ma vision artisanale de composer de la musique l'était. Sortir 12 disques d'un artiste qui n'avait jamais cartonné entraîna la fin du label !
Vous êtes un artiste dangereux !
Un label c'est fait pour prendre des risques de couler. Je suis fier de ne pas avoir le profil pour une major ! J'ai de la chance de ne pas avoir de succès discographique ! Dès qu'on a du succès, après on est foutu ! Si tu fais quelque chose qui plaît au public, tu es obligé de refaire la même chose ensuite et c'est la fin d'une carrière artistique. Moi je n'ai pas ce profil là, Dieu m'en préserve ! En revanche j'ai sorti énormément de disques qui plaisent à un public de connaisseurs, de gens qui aiment chercher la différence. Je pense que ce public est sensible à ma sincérité. C'est à cette époque que j'ai commencé à travailler pour les autres. J'ai produit l'album d'Alizée, mais j'ai fait pire, par exemple l'album de Melissa Mars, une des chanteuses de la comédie musicale « Mozart ». J'ai fait aussi des albums pour Zaza Fournier…
Revenons au cinéma...
Ma première musique de film a été pour le court-métrage de ma femme, Maria Larrea. C'est « Pink Cowboy Boots » où je joue dedans ainsi que Sébastien et Camille Lagache qui chantaient dans mon premier album. Puis Rebecca Zlotowski m'a demandé si je ne voulais pas faire la musique de son film. Toujours prêt à de nouvelles expériences, j'ai accepté. Lorsque je parle de musique mes références sont toujours des images. Si je parle de guitare classique c'est « L'Arme Fatale ». Ma musique est toujours synonyme d'émotions, je n'ai jamais fait de musique pour danser, pour faire la fête ; c'est toujours une musique qui parle de déceptions amoureuses, la perte d'un proche, l'ennui, et des choses abstraites. Pour les gens qui travaillent l'image, ma musique leur parle. Rebecca m'a donc proposé son film puis très vite un réalisateur de la même promo m'a demandé de composer la musique du sien. Je me suis trouvé à avoir à faire en même temps le « Décalogue », la tournée de Phoenix et deux longs métrages. C'était le début d'une période fantastique qui n'a pas cessé depuis.
Comment avez-vous travaillé avec ces deux jeunes réalisateurs ?
Comme c'était leur premier long-métrage, et moi ma première BO, on a beaucoup parlé de l'idée du film, après du scénario, après des rushes. J'ai participé à tout le processus. C'était passionnant parce que c'étaient des films d'auteur, et comme c'était le premier, il y a beaucoup d'eux-mêmes. J'ai travaillé sur les deux simultanément. « Belle Épine », le film de Rebecca, est très rock, fin seventies, alors que « Jimmy Rivière » est une musique plus planante, style Popol Vuh. Les deux réalisateurs ont des manières de travailler très différentes. Rebecca demande des musiques très spéciales, revient en arrière, puis change d'avis, le montage bouge beaucoup. Alors que Teddy avait une vision plus stable du film, il savait exactement ce qu'il voulait. C'était un rythme de travail assez fou.
Question budget ?
C'étaient des films de réalisateurs qui sortaient de La FEMIS. Grâce au CNC il y avait de l'argent que je ne gérais pas à l'époque, et je crois que c'étaient les plus petits budgets que j'ai jamais eu. Mais comme je travaillais sur plusieurs projets, dont ceux pour Institubes, tout passait chez Institubes, une petite magouille. J'aime travailler sur plusieurs projets en même temps. Les réalisateurs n'aiment pas ça, ils pensent qu'on ne se concentre pas si on travaille ainsi. Moi ça me permet de tenir financièrement et artistiquement.
Et au niveau instruments vous aviez ce que vous vouliez ?
Oui, j'ai eu de vrais instruments mais il n'y avait pas de cordes. L'orchestre est venu plus tard dans ma carrière.
Ces deux premiers films n'ont pas eu un grand succès. « Bel Épine » a été un succès critique. Par contre « Radiostars » a eu un joli succès, avec une musique totalement différente.
C'était un film plus commercial très réussi et j'ai appris à travailler ce coup-ci avec un producteur, Alain Attal. C'est lui qui va le vendre et gagner de l'argent, donc il met son nez partout. Contrairement aux films d'auteurs où on se permet une expérimentation, là il faut que tout soit calibré par rapport à un public. Et donc la musique doit être en parfait accord avec la situation, soit au niveau de la vanne qui est dite, soit au niveau de l'émotion qui est exprimée. Plus on nous ajoute de contraintes, plus ça nous force à nous dépasser et il n'y a rien d'avilissant dans cette méthode. Romain Levy avait une vision très américaine de son film, style Judd Apatow, les frères Farrelly. Travailler une comédie c'était difficile pour moi qui ne ris jamais !
Comment êtes-vous venu sur Maniac?
Aja était aux États-Unis et il m'a téléphoné. Il avait vu « Belle Épine », avait adoré, il voulait une musique dans ce style, des ambiances nocturnes, il aimait Tangerine Dream.
Je suppose que vous n'aviez pas écouté la musique de Chattaway du premier « Maniac » ?
Non, surtout pas. J'ai vu le film après, qui est totalement différent de celui d'Aja. Je connaissais de mon enfance la pochette terrible et culte de « Maniac » qu'avait mon frère. J'ai regardé les films d'Alexandre, comme « Piranhas », « La Colline a des Yeux ». J'ai aimé, été séduit par le côté dégueulasse des images et je me suis dit que ça devrait être formidable de faire de la musique pour de telles images !
Souvent dans ces films de genre la musique est « pléonasmique » ?
Oui, j'ai fait ce constat, et si Alexandre m'a appelé c'est pour que je fasse quelque chose de différent, comme souvent les autres réalisateurs. Son idée c'était d'avoir des musiques profondément sentimentales puisque c'est ma spécialité. Il m'a parlé tout de suite de caméra subjective et j'ai compris à la lecture du scénario qu'on allait être dans la peine, la tristesse du personnage. J'ai fait une musique comme si c'était l'histoire d'un enfant abandonné qui cherche sa maman dans la forêt, une musique hyper triste, sentimentale, nostalgique, avec aussi des passages violents. J'ai acheté des synthés que je rêvais d'avoir, je me suis enfermé pendant 15 jours avec le scénario et j'ai produit l'intégralité de la BO comme ça. Je la lui ai envoyée juste avant le tournage et il a apprécié. Ensuite il m'a envoyé les rushes, qui étaient souvent des plans séquences, vu le principe de la caméra subjective, et je plaçais la musique dessus et ça fonctionnait ! Il fallait beaucoup de musique ; A ce jour, c'est une des mes expériences musicales les plus passionnantes.
Avec « Horns » ça a été aussi passionnant ?
Deuxième travail avec Alex, mais là ambiance business américaine. Il y avait plus d'argent mais moins de liberté. « Horns » c'est un conte, c'est de l'aventure fantastique, pas un film d'horreur. C'est un film très romantique. Il voulait un score à l'américaine mais avec une couleur originale. Alex, c'est un infiltré, c'est le Français à Hollywood ! Donc j'ai composé une musique très romantique, avec des violons un peu partout, du piano. Je suis un piètre musicien, je suis autodidacte. Je me sers de l'orchestre comme d'un synthé, comme un instrument. J'avais 70 musiciens avec un orchestre de Macédoine. J'ai fait appel à un orchestrateur, car je ne sais pas écrire.
Et alors ces rapports avec le studio américain ?
Il y avait un vrai malentendu ! Au final la rencontre est sublime mais en fait on ne se comprend pas. Ils ont une vision d'un Français qui va leur faire une musique originale, romantique, et en même temps il faut que ça sonne blockbuster, il faut que ça passe les screen tests, il faut que ça soit efficace mais avec ta touche. Entre le producteur, le réalisateur et moi le musicien, il y avait une incompréhension totale. Le producteur avait engagé Radcliffe, Harry Potter ! et il voulait le positionner dans une nouvelle carrière ! Si je mettais de la musique romantique, lui il voulait que ça fasse peur ! On a eu 21 versions de montage, ce qui a été une expérience très pénible pour Alex et pour moi. Je devais couper dans les musiques ce qui ne rimait plus à rien. Le résultat en a souffert. Le film au final est un grand n'importe quoi. Quand j'écoute la musique de « Horns » j'ai l'impression que ce n'est pas moi qui l'ai écrite !
Populaire pourtant?
Il a bien marché, mais le film était trop cher, très réussi. J'étais en co-composition avec Emmanuel D'Orlando, orchestrateur, entre autres, d'Éric Neveux. La musique a été nommée au César en 2011 !
Et la même année il y a eu « Grand central »
Qui a bien marché, deuxième collaboration avec Rebecca.
La musique a été remarquée en tout cas
Parce que Rebecca sait bien l'utiliser et c'est un vrai atout pour ses films. Pas simplement pour le récit, mais un plus remarquable. Elle est très forte pour me pousser aussi. Elle m'a amené à faire une musique que jamais je n'aurai pensé pouvoir composer. L'idée était de faire vivre la centrale comme une vieille machine humaine. C'est tout simple, mais à mettre en musique c'était intéressant. Ensuite j'ai fait d'autres films, films mythiques car personne ne les a vus ! « Tristesse Club » de Vincent Mariette, film d'auteur, de La FEMIS, un peu ennuyeux, mais avec des aspects surréalistes. Les rapports entre les personnages sont inattendus et ma musique est très originale !
Et Aujourd'hui ?
Une série avec Éric Rochant pour Canal+ et le prochain film d'Alexandre Aja, « La Neuvième Vie de Louis Drax », un film transgenre avec une musique rappel à l'enfance, avec toujours des citations de « Mission », du « Bal des Vampires », des musiques de « Moroder ». le must quoi. Le principal il faut que ça me parle !
https://www.youtube.com/watch?v=iX5TFGDbnbc
Propos recueillis par Stéphane Loison.
DVD / Cinéma
Trois films et leur DVD ressortent en copie restaurée HD, dont la musique a marqué l'époque de leur sortie.
A HARD DAY'S NIGHT (Quatre Garçons dans le Vent) 1964. Un film de Richard Lester avec le Beatles et Wilfrid Brambell
Trois jours dans la vie des Beatles qui déclenchent partout où ils passent des phénomènes d'hystérie collective. Ils vont donner un concert à la télévision, et on les suit successivement dans le train, dans la rue, dans un club, en répétition, en concert, habituellement accompagnés du grand-père de Paul interprété par Wilfrid Brambell, qui sème la zizanie partout où il passe. Ce film est très important dans le domaine de la musique et de la culture. Ce n'est pas un documentaire, c'est une vraie fiction avec cinq acteurs principaux formidables et un scénario complètement délirant. Il a été tourné en 1963 et la première a lieu le 6 juillet 1964, soit quatre jours avant la sortie de l'album qui sera numéro un en Grande Bretagne et aux USA pendant plus de quinze semaines, un phénomène inégalé ! La reine Élisabeth II est présente à la projection. Piccadilly Circus est noir de monde. C'est le début de la Beatlemania ! Le titre du film vient d'un accident de langage de Ringo qui après une journée d'enregistrement en studio a dit « It was a hard day…night », night en s'apercevant qu'il faisait nuit en sortant du studio alors qu'ils y étaient entrés de jour. Le producteur a demandé à Lennon et McCartney d'écrire une chanson avec ce titre, ils l'ont composée le soir pour le lendemain. C'est la première fois que le tandem Lennon-McCartney a écrit la totalité des chansons et que sur l'album, leur troisième, il n'y a pas de reprises. On peut vraiment dire que c'est le premier album des Beatles. Le nom « Beatles » n'est pas prononcé dans le film. Seulement à la fin lorsqu'ils prennent l'hélicoptère de la compagnie BEA, lorsque la porte se ferme, apparaît TLES. On peut remarquer aussi leur nom sur un panneau lumineux derrière eux à la fin du concert au théâtre. C'est dans ce film que naît véritablement le clip style MTV. Richard Lester en est l'inventeur. Ce réalisateur surfe sur la vague du nouveau cinéma anglais et du swinging London, avec un style décontracté, irrévérencieux, qu'on retrouvera dans la plupart de ses films. Avec les Beatles c'est les Marx Brothers qui reviennent. Mais c'est aussi cet humour typiquement britannique tel que celui de Peter Sellers et Mike Milligan qui sévissent à la BBC. C'est le film – et la musique - de toute une génération, le baby boom. Les Fab Four deviennent à partir de ce moment un phénomène mondial dont l'influence se fait encore sentir dans la musique.
Dans le DVD bonus, est offert un très passionnant documentaire. Il est présenté par Phil Collins qui, tout jeune adolescent, faisait de la figuration dans la scène du concert. On y voit et entend une chanson supprimée dans le film, « I'll Cry Instead ». Les studios étaient très inquiets pour le succès du film. Ils demandèrent au producteur s'il pensait que le groupe existerait encore à la sortie du film ! Lorsque le tournage a commencé les Beatles étaient connus, et à la sortie du film ils étaient des superstars mondiales ! Georges Martin, leur célèbre arrangeur, a été nommé aux Oscars pour la musique. Richard Lester, l'année suivante, a reçu la Palme d'or avec un film aussi fou : « The Knack …ou comment l'avoir » puis il a dirigé de nouveau les Beatles dans « Help ! », tout aussi burlesque que le précédent. Le film est en noir et blanc pour lui donner un style indémodable. Richard Lester et Walter Shenson, le producteur, ont eu bien raison, « A Hard Day's Night » it's for ever !
On peut trouver sur internet et dans les bacs des disquaires le CD d'UK.
https://www.youtube.com/watch?v=GM0YOmPs8UU&list=PLD3C9605E265E69A3
SACCO E VANZETTI 1971. Un film de Giuliano Montaldo avec Ricardo Cucciolla, Gian Maria Volontè. DVD remastérisé en HD.
Un hold-up sanglant est commis le 15 avril 1920 dans le Massachusetts. Deux anarchistes d'origine italienne, Nicolas Sacco et Bartolomeo Vanzetti, sont arrêtés. Malgré le manque de preuves formelles, ils sont condamnés à mort et envoyés à la chaise électrique. Dans les années 70 le cinéma italien était très politisé, et un genre socialement et politiquement plus direct se développa. Il y avait une similitude entre l'Italie de ces années ultra tendues et la période anti-communiste américaine des années 1920. Les réalisateurs avaient pour nom Rosi, Pietri, Damiani, Montaldo, Pontecorvo. Ce cinéma ne se limitait pas seulement à la réalité italienne et s'intéressait à des événements plus internationaux comme la « Bataille d'Alger » de Pontecorvo et ce drame aux USA dont l'histoire a bouleversé le monde entier et a participé à l'antiaméricanisme en Europe. C'est avec justesse et classicisme que Montaldo retrace cette tragédie qui aujourd'hui reste encore dans toute les mémoires. Ricardo Cucciolla a reçu la Palme d'Or pour son interprétation de Nicola Sacco. La musique de la plupart de ses films « politiques » était écrite par le prolixe Ennio Morricone. Celle de « Sacco e Vanzetti » est devenue extrêmement connue. « La Ballade de Sacco e Vanzetti » et la chanson du film, « Here's to You » sont de véritables hymnes en hommage à ces deux martyrs de la société capitaliste américaine. Elles sont chantées par la subversive Joan Baez.
« Here's
to you Nicola and Bart
Le thème de la chanson est aussi le thème du film qu'arrangea selon les situations le compositeur. Cette musique reste dans la mémoire dès qu'on l'entend. Elle est souvent employée sur des images de conflits sociaux. Elle est le pendant de la musique des westerns écrite par ce génie de la musique de film qu'est Ennio Morricone. Cette BO culte se trouve facilement sur internet.
https://www.youtube.com/watch?v=1eBQBrDijrM
L'ENFANT LION 1993. Le film de Patrick Grandperret en DVD
L'Enfant lion est l'adaptation du roman de René Guillot intitulé "Sirga la lionne". Pour la première fois vient de sortir en coffret collector, remastérisé HD : 1 DVD avec le film et la bande annonce, 1 DVD des bonus avec 4h20 d'images inédites, la construction du village, le dressage des lions, les éléphants, Oulé et les abeilles, le serpent, une fausse tornade… 1 CD de la musique de Salif Keita et Steve Hillage, 1 livre de 52 pages contenant le story-board, les photos du tournage, des jeux, des dessins commentés par le réalisateur.
L'histoire raconte qu'au village de Pama, sur les terres de Baoulé, hommes et lions vivaient en paix, les premiers sous la protection des seconds. Le même jour, naquirent Oulé, fils du chef Moko Kaouro, et Sirga, fille de Ouara, la reine des lions. La brousse décida qu'ils seraient frère et sœur. Ils grandissent ensemble et deviennent inséparables, passant leurs journées à chasser, au grand dam de Léna, la douce amie d'Oulé. L'enfant apprend le langage des animaux, du vent et du feu. Ses connaissances vont d'ailleurs lui devenir précieuses, lorsqu'un jour surgirent des hommes armés. La tribu est décimée et les enfants sont emmenés en esclavage. Oulé tente de retrouver sa terre natale avec l'aide des félins. Le film est un joli conte africain avec des images superbes des paysages africains. Grandperret sait nous raconter cette belle histoire d'amitié. On serait tenter de faire un amalgame avec ce qui se passe aujourd'hui en Afrique. On est dans le conte et restons-y. La musique est signée Salif Keita et Steve Hillage. Salif Keita colle parfaitement avec ce conte, il joue même dans le film. Sa voix, ses mélodies sont un apport important aux magnifiques images et à l'ambiance du film. Steve Hillage avec son expérience de musicien donne une dimension intéressante à l'histoire. Ce chanteur, compositeur, producteur a travaillé avec de nombreux groupes des années 70 (Gong, Dave Stewart, System 7). La BO de « L'Enfant Lion » est toujours aussi agréable à écouter, dont le fameux tube « Chérie ».
https://www.youtube.com/watch?v=u1wNum5NEfo
BO en CDs
EXODUS : Gods and Kings. Réalisation : Ridley Scott. Compositeur : Alberto Iglesias. 1CD Sony n° 88875019082
« Exodus » est le remake des « Dix Commandements ». C'est l'histoire de Moïse qui après avoir été considéré comme un prince égyptien, retrouve ses racines d'hébreu et va emmener son peuple vers la terre promise. Avec la mise en scène de Ridley Scott on n'est plus dans la vision Saint-Sulpicienne de Cecil B. De Mille avec les deux stars qu'étaient Yul Brynner et Charlton Heston. On est dans un film où la forme prime sur le fond, où les trucages prennent le pas sur la narration. Ils sont ahurissants et remplacent la poésie naïve hollywoodienne qu'avaient « Les Dix Commandements ». Mais hélas, bien qu'aujourd'hui on se penche plus sur une soi-disant historicité, « Exodus » manque de ce souffle épique qu'avaient ces péplums des années cinquante. Alors la musique ? C'est vrai que lorsqu'on entendait les premières notes d'Elmer Bernstein, on savait dans quel univers on était emporté. Alberto Iglésias est un grand compositeur. Il s'est fait connaître en écrivant dès 1995 pour Pedro Almodovar puis pour Julio Medem. Il a reçu le Goya (équivalent des Césars) pour de nombreux films, la plupart ceux d'Almodovar. La musique de « La Taupe » a été récompensée pour les prix européens. C'est la première fois qu'il travaille sur un film de cette envergure. Pour faire plus authentique il nous propose de temps en temps une musique pseudo orientale, clichée, avec chœur et duduk, cet instrument arménien (?), et des instruments du Moyen Orient ! Il va même jusqu'à pasticher Carl Orff ! Vu les scènes « énhaurmes » qu'on nous montre à l'image, trompettes, chœurs et orchestre doivent remplir leurs rôles. Il faut du gros son et que la musique sonne vraie ! Mais on a du mal à reconnaître le style du compositeur. Tout n'est pas à jeter, loin de là. Iglésias a écrit quelques jolis thèmes, surtout les thèmes d'ambiance, plus « psychologiques ». « Climbing Mont Sinai », « I Need a general » qui flirte avec l'ouverture de L'Or du Rhin, « Ramsès Insomnia »… sont de belle facture. En lisant de plus près le booklet du CD, on s'aperçoit que les musiques dites « additionnelles » ont été écrites par Harry Gregson-Williams qui a été formé au studio Media Venture, la boîte à musique de Zimmer. On a plutôt l'impression qu'Iglésias s'est fait piéger et que la BO a été écrite par l'écurie Zimmer, c'est à dire une musique formatée pour grosse machine. Iglésias est certainement maintenant lancé à Hollywood. Attendons les Oscars qui devront choisir entre « Interstellar » et « Exodus ». La musique de film, elle, n'a rien à y gagner. Il y a belle lurette que Ridley Scott ne nous fait plus rêver ! Peut-être n'aura-t-il, comme le film de Cecil B. de Mille, que l'Oscar des effets spéciaux ! Revoyez « Les Dix Commandements » et réécoutez la musique de Elmer Bernstein rééditée par Milan!
https://www.youtube.com/watch?v=aPd-JpE8U3U
https://www.youtube.com/watch?v=BLREkfkiG7A&list=RDBLREkfkiG7A#t=142
LE HOBBIT : La Bataille des Cinq Armées. Réalisateur : Peter Jackson. Compositeur : Howard Shore. 1CD Decca
Voilà après 13 ans, Peter Jackson en a fini avec Tolkien et ses mythiques livres « Bilbo le Hobbit » et « Le Seigneur des Anneaux ». Comme « Le Seigneur », « Le Hobbit » aura eu trois volets. Si le précédent était longuet, même ennuyeux avec beaucoup de redites, ce dernier volet « La Bataille des Cinq Armées » est le plus abouti. Atteignant enfin la Montagne Solitaire, Thorin et les Nains, aidés par Bilbo le Hobbit, ont réussi à récupérer leur royaume et leur trésor. Mais ils ont également réveillé le dragon Smaug qui déchaîne désormais sa colère sur les habitants de Lac-ville. A présent, les Nains, les Elfes, les Humains mais aussi les Wrags et les Orques menés par le Nécromancien, convoitent les richesses de la Montagne Solitaire. La bataille des cinq armées est imminente et Bilbo est le seul à pouvoir unir ses amis contre les puissances obscures de Sauron. De par l'expérience de Peter Jackson, l'évolution des techniques, la concision du propos, on est pris de bout en bout par ce dernier épisode. C'est un film d'action qui ne nous laisse aucun répit. Il y a des bastons avec des méchants vraiment méchants, des revirements de situations, des combats corps à corps, des trucages surprenants, il y a des milliers de soldats qui s'étripent, des monstres abrutis qui cassent des fortifications à coup de tête et qui ne s'en relèvent pas, des batailles dantesques et gigantesques… Peter Jackson termine cette saga en apothéose. Si les scènes de batailles sont titanesques, les deux combats singuliers de Thorin et Legolas contre les Orques Azog et Bolg sont stupéfiants. Même si Jackson a le sens de l'épopée, il a su aussi mettre en scène quelques beaux moments « d'humanité ». Pendant toutes ces années Howard Shore a accompagné en musique Peter Jackson. Ce sont des heures de musique qu'il a composées pour ces deux cycles (21 heures ?).Pour ce dernier volet, il a trouvé encore le sens de l'épique, de la poésie, de la nostalgie, de la dramaturgie. La première séquence qui ouvre le film avec le thème « Fire and water » et la scène avec Smaug, le dragon, est magnifique tant sur le plan de la mise en scène que sur la composition orchestrale. L'ensemble London Voices est très présent dans les courtes séquences proposées. La musique n'est pas sans rappeler Dvořák ou même Wagner. Le style est assez contemplatif avec des changements brusques de tonalité et des influences celtiques. On retrouve de temps en temps des citations des deux premiers épisodes. Pour les scènes de batailles « Battle for the Mountain » ou « To the Death » par exemple, Shore sait donner de l'orchestre, apporter de l'épique ; on est dans l'épopée musicale ! La chanson du générique de fin « The Last Goodbye », interprétée par Billy Boyd, a toute la nostalgie nécessaire pour qu'on verse une larme en pensant que le cycle est fini. Reste à lire ou à relire les livres pour retrouver Bilbo, Gandalf, Thorin, Balin, Dwalin, Fili, Kili, Dori, Nori, Ori, Oin, Gloin, Bifur, Bofur, Bombur mais aussi Elrond, Legolas, Bard…tout en écoutant les compositions de Howard Shore pour que l'aventure continue !
https://www.youtube.com/watch?v=mXTAE1VSSD4
GOD HELP THE GIRL. Réalisateur, compositeur : Stuart Murdock. 1CD Milan n°399590-2
« God Help the Girl » est un projet de Stuart Murdoch, le leader de « Belle and Sebastian » créé en 2009. Le chanteur écossais ayant composé des titres qui, selon lui s'intégraient mal au style de son groupe, décide de les enregistrer et d'en faire un album concept qui raconte la dépression du personnage central Ève. Cet album deviendra un film. La jeune Ève écrit des chansons en rêvant de les entendre un jour à la radio. À l'issue d'un concert, elle rencontre James, musicien timide et romantique qui donne des cours de guitare à Cassie, une fille des quartiers chics. Dans un Glasgow pop et étudiant, ils entreprennent bientôt de monter leur propre groupe. C'est une charmante comédie musicale enthousiasmante, sympathique avec des adolescents adorables, un bonbon acidulé comme ceux d'Haribo. Le CD est très agréable à écouter pour ceux qui aime ce genre de pop anglaise, qui apprécient le groupe « Belle et Sebastian ». On est loin des blockbusters indigestes. Vive la légèreté de l'être avec une pointe de mélancolie!
https://www.youtube.com/watch?v=zPAD1T9oEsU
PENGUINS OF MADAGASCAR. Réalisateurs : Eric Darnell et Simon J. Smith. Compositeur : Lorne Balfe. 1CD Sony n°88875050652
Les pingouins Commandant, Kowalski, Rico et Soldat sont appelés pour travailler avec Le Vent du Nord, une organisation secrète des animaux de diverses espèces dans le but d'aider ceux d'entre eux qui ne peuvent pas s'aider eux-mêmes. Les pingouins doivent unir leurs forces avec le loup Classifié et son équipe pour arrêter le docteur Octavius Brine, qui veut contrôler le monde ! Avec un tel scénario, inutile de dire les situations abracadabrantesques qu'ont inventé les réalisateurs des studios DreanWorks ! La musique est signée par un tâcheron de Remote Control Productions, l'usine à soundtracks d'Hans Zimmer ! C'est eux qui travaillent le plus souvent avec DreanWorks – Madagascar avait été signé par Hans Zimmer - Lorne Balfe a fait des musiques dites additionnelles de blockbusters, style « Sherlock Holmes », « Inception », « Transformers ». Savoir quelles musiques il a commises pour apprécier son travail c'est plus compliqué ! Dans ce film on est dans la dérision et le savoir faire est important. On s'amuse à jouer en thème et variations sur une paraphrase musicale de Mission Impossible, de Mannix, de Lalo Schiffrin à la sauce comédie. On est dans la parodie du film d'espionnage et la musique fonctionne bien. Elle a un côté vintage, de ces séries des années 70. Lorne Balfe a fait du bon travail. Le CD est un double album où sur le disque bonus Sony offre des chants de Noël chantés par les Penguins of Madagascar !
https://www.youtube.com/watch?v=z62GwS_ywJQ
L'AFFAIRE SK1 Réalisateur : Frédéric Tellier. Compositeur : Christophe La Pinta et Frédéric Tellier. 1CD Cristal Records
Paris, 1991. Franck Magne, un jeune inspecteur fait ses premiers pas à la Police Judiciaire, 36 quai des Orfèvres, Brigade Criminelle. Sa première enquête porte sur l'assassinat d'une jeune fille. Son travail l'amène à étudier des dossiers similaires qu'il est le seul à connecter ensemble. Il est vite confronté à la réalité du travail d'enquêteur : le manque de moyens, les longs horaires, la bureaucratie… Pendant 8 ans, obsédé par cette enquête, il traquera ce tueur en série auquel personne ne croit. Au fil d'une décennie, les victimes se multiplient. Les pistes se brouillent. Les meurtres sauvages se rapprochent. Franck Magne traque le monstre qui se dessine pour le stopper. Le policier de la Brigade Criminelle devient l'architecte de l'enquête la plus complexe et la plus vaste qu'ait jamais connue la Police judiciaire française. Il va croiser la route de Frédérique Pons, une avocate passionnée, décidée à comprendre le destin de l'homme qui se cache derrière cet assassin sans pitié. Une plongée au cœur de 10 ans d'enquête, au milieu de policiers opiniâtres, de juges déterminés, de policiers scientifiques consciencieux, d'avocats ardents qui, tous, resteront marqués par cette affaire devenue retentissante : « l'affaire Guy Georges, le tueur de l'est parisien ». Avec cette affaire il fallait un super casting. Le film l'a avec Raphael Personnaz et Olivier Gourmet, et une musique en phase. C'est Christophe Pinta qui a composé le score. Il avait déjà travaillé avec le réalisateur pour une fiction TV « Les hommes de l'Ombre ». Sa musique a toute la noirceur et la gravité qui colle au propos. C'est une musique efficace, attendue, avec des arrangements classiques et qui s'écoute avec beaucoup de plaisir. Le violon solo est tenu par Stéphanie Gonley, et Chloé Stéfani est au piano. On peut la télécharger chez Cristal Records dès le 5 janvier.
TIMBUKTU. Réalisateur : Abderrahmane Sissako. Compositeur : Amine Bouhafa. 1CD Universal Musique
Non loin de Tombouctou, tombée sous le joug des
extrémistes religieux, Kidane mène une vie simple et paisible dans les
dunes, entouré de sa femme Satima, sa fille Toya et de Issan, son petit berger
âgé de 12 ans. En ville, les habitants subissent, impuissants, le régime de
terreur des djihadistes qui ont pris en otage leur foi. Fini la musique et les
rires, les cigarettes et même le football… Les femmes sont devenues des ombres
qui tentent de résister avec dignité. Des tribunaux improvisés rendent chaque
jour leurs sentences absurdes et tragiques.
https://www.youtube.com/watch?v=dGO5_qNnz1M
Stéphane Loison.
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