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Lettre d’Information – n°77 – Janvier
2014
À RESERVER SUR L'AGENDA
12/ 01
Les Dimanches d'Offenbach
DR
Paraphrasant les « Vendredis
d'Offenbach », animés par le maestro dans son appartement parisien de la
rue Lafitte, la Péniche Opéra lance, à compter du 12 janvier prochain, les Dimanches
d'Offenbach. L'occasion de présenter les pièces en un acte, pas très
connues, mais recélant un « génial répertoire, pure alchimie entre
tendresse et folie dont Offenbach a le secret », selon Jean-Christophe Keck, spécialiste du compositeur, et responsable du projet.
Lors de chaque concert, une de ces courtes opérettes sera lue « à la
table », dans son intégralité, dialogues et musique, par des artistes
rompus à ce répertoire, et accompagnée au piano. Chaque séance, parrainée par
un musicien renommé, sera l'occasion de replacer l'ouvrage choisi dans son
contexte historique et musical. En guise de mise en bouche, on donnera deux ou
trois extraits d'autres œuvres rares ou célèbres. De quoi encore pimenter la
chose ! On commencera, le 12 janvier, par Ba-Ta-Clan, parrainé par
Jean-Claude Pennetier, puis viendront Le 66 (2/2), Bagatelle (2/3), Le financier et le savetier (6/4), La
Bonne d'enfant (4/5) et Croquefer ou le
dernier de Paladins (1er/6). Une fort alléchante
initiative, annonciatrice de belles surprises !
Le
12 Janvier 2014, à 18H, puis les 2 février, 2 mars, 6 avril, 4 mai et 1er juin.
Renseignements et Location : Péniche Opéra,
46 Quai de la Loire 75019 Paris ; par tel. : 01 53 35 07 77 ; en ligne : penicheopera@hotmail.com ou www.penicheopera.com.
17 & 19 / 01
Rossini à l'honneur
DR
Les prochains concerts de la saison musicale du Chœur du campus
d’Orsay présenteront La Petite messe solennelle de Rossini, dans sa
version première (1864), pour solistes, chœurs, harmonium et piano. Figurant au
nombre des « Péchés de vieillesse », ce fut le testament musical de
son auteur, qui n'hésitera pas à écrire cette dédicace en forme de boutade : « Est-ce
bien de la musique sacrée ou de la sacrée musique ? ». Ses effectifs
restreints laissent peu présager de la grande puissance dramatique de ses 14
numéros. Elle sera interprétée par le chœur du campus d’Orsay, sous la
direction d’Adam Vidović, avec en solistes, Léa Sarfati, soprano, Johanna Giraud, mezzo-soprano, Pablo
Ramos Monroy , ténor, et Florian Hille, baryton. Vital Chauve sera à l'harmonium et Yu-Fei Sun au piano.
Campus
d'Orsay (91), Amphithéâtre Henri Cartan (bât 427), Rue de Chevreuse, (RER B /
« Le Guichet »; et Parking à proximité), le 17 janvier 2014, à 20H45
Oratoire
du Louvre, Paris 1er, le 19 janvier 2014, à 17H30.
Réservations
: au CESFO, campus d’Orsay bâtiment
304, à l’Office de Tourisme de la Vallée de Chevreuse, à Orsay (01 69 28 59
72), sur Billetreduc.com, et sur place avant le concert ; http://www.scm.espci.fr
1, 4, 7, 10, 13, 16, 19, 22, 25, 28 / 2
Un Western à l'opéra : La Fanciulla del West
©
Cl. & M. Baus/Nederlandse Opera
Commande du Met De New York, La Fanciulla del West décline
la lutte triangulaire entre une femme et deux hommes : une histoire d'amour
entre un bandit, Dick Johnson, et Minnie, la
tenancière d'un ranch californien au pays des chercheurs d'or, arbitrée par le
shérif Jack Rance dont la morgue n'est pas sans rappeler celle de son cousin Scarpia de Tosca. Mais il est question, ici, de code
d'honneur et de rédemption par les écritures. Et à la différence de cette autre
pièce, l'opéra se solde par un happy end, la liberté étant laissée au bandit
qui peut s'en aller avec sa belle. Puccini dessine trois personnages au
caractère entier, très théâtraux, évoluant au milieu d'une foule bigarrée,
celle des mineurs. Sa musique est très élaborée, audacieuse même, bardée de
leitmotive, et d'une modernité annonçant Turandot. Pour à la fois dépeindre l'exotisme, saisir les rebondissements
épiques de l'action, dont une mémorable chasse à l'homme, et brosser le cadre
spectaculaire ambiant. La Belle Minnie sera incarnée
par la grande soprano suédoise Nina Stemme, et la
régie confiée à Nikolaus Lehnhoff,
dans une production « modernisée » qui vient du Nederlandse Opera d'Amsterdam. Rarement donné, ce western puccinien vaut assurément le détour.
Opéra Bastille, les 1, 4, 7, 10, 13, 19, 22, 25, 28 février 2014,
à 19 H30, et le 16/2 à 14 H30.
Location : Billetterie, 130 rue
de Lyon, 75012 Paris ; par tel.: 08 92 89 90 90 ; en ligne : operadeparis.fr.
Jean-Pierre Robert.
La Folle Journée de Nantes 2014 : “le Nouveau
Monde ou l’Amérique”.
DR
La Folle journée nantaise a 20 ans ! Pour
cette édition 2014, Le thème choisi, « Des Canyons aux étoiles »,
présente un large panorama de la musique américaine de 1860 à nos jours,
décliné en quatre axes principaux. D'abord, Les racines du nouveau continent, l’histoire de la musique savante aux États-Unis
étant profondément liée à la culture populaire, particulièrement à la chanson
traditionnelle. Ainsi, au XIXe siècle, Louis Gottschalk et Stephen Foster ont-ils bâti les fondements de l’école
nationale américaine tout en conservant l’héritage européen. Au XXe siècle, Charles Ives, Virgil Thomson,
Henry Cowellet George
Gershwin réalisent la
synthèse entre tradition et modernité. La musique classique d’outre-Atlantique
s’impose ensuite avec des compositeurs
comme Aaron
Copland, Samuel Barber, Leonard Bernstein, Colon Nancarrow, John Cage, Steve
Reich, Philip Glass ou John Adams. Le 2ème axe
focalise sur Les États-Unis, terre d’accueil, qui ouvrent leurs portes à des compositeurs
comme Antonin Dvořák, ou deviennent terre d’exil pour beaucoup de ceux victimes des régimes
totalitaires. Serge
Rachmaninov, Serge Prokofiev, Paul Hindemith, Erich-Wolfgang Korngold, Igor Stravinsky, Béla Bartók, Edgard Varèse,
Arnold Schoenberg, ont composé
certaines de leurs plus belles œuvres sur le territoire américain. Le 3ème axe : Les institutions
américaines comme maître d’ouvrage, avec Les fondations, comme la Fondation Koussevitsky (Concerto pour
orchestre de Bartók, Ramifications de Ligeti) ou la Fondation Fromm (Circles de Berio, Les travaux et les jours de Tristan Murail). D’autres, comme la Fondation Guggenheim, ont soutenu des compositeurs, parmi
lesquels Samuel
Barber, Luciano Berio et John Cage. De grands orchestres américains ont aussi été commanditaires d'œuvres
majeures du XXe siècle : l’Orchestre Symphonique de Boston (Symphonie de Psaumes de Stravinsky, Turangalîla-Symphonied’Olivier Messiaen, The Shadows of Time d’Henri
Dutilleux). Le 4ème axe est Le cinéma : certains artistes ont travaillé pour
Hollywood, comme Kurt
Weill et Hanns Eisler, qui ont notamment collaboré avec Fritz Lang, ou
Jean Renoir et Erich-Wolfgang Korngold composant pour les studios Warner Bros.
Dans la lignée de ces premières associations entre compositeurs et
réalisateurs, Hans Zimmer (« Rain Man », « Gladiator »), John Williams (« Star Wars »,
« Les dents de la mer »), John Barry (« Danse avec les loups »,
« Out of Africa »), ou encore Bernard Herrmann (« Citizen
Kane » d’Orson Welles, « Psychose » d’Alfred Hitchcock) ont
perpétué la tradition des grandes partitions symphoniques écrites pour le
septième art. Pour amplifier ces quatre axes, une grande place sera également
accordée à la musique populaire américaine avec la présence du jazz, du blues, du negro-spiritual et des comédies
musicales de Broadway.
Tout cela se dégustera au fil d'innombrables concerts, formatés selon le
schéma, éprouvé à la Folle journée, d'une durée de 45 ', réunissant ensembles
et solistes prestigieux, dont un imposant bataillon de pianistes. L'embarras
des choix n'a d'égal, ici, que la qualité de la proposition. On pourra entendre
encore pas moins de 14 conférenciers traiter de quelques 34 thèmes. Le volet
actions de sensibilisation sera comme toujours aussi développé, grâce aux
divers partenariats noués avec l'Administration Pénitentiaire, l'Éducation Nationale,
le conservatoire de Nantes, et cette fois également, un cinéma d'art et
d'essai.
La Folle Journée de Nantes, du 29
janvier au 2 février 2014.
Programme détaillé et Location :
guichets de la Cité, le centre des congrès de Nantes à partir du 11 janvier, 8H. Le 12 janvier,
à 13H. Et à compter du 13 janvier, tous les jours, de 13 à 19H, sauf samedi et
dimanche, puis les 27 et 28 janvier, de 12 à 17 H, les 29 et 30 janvier, à
partir de 13 H, et les 31 janvier, 1er et 2 février, à partir de 8 H ; sur Internet : www.follejournee.fr, à partir du 12 janvier, 10 H ; par tél.: 0 892 23 09 07, du 13 au 26 janvier.
Pour les scolaires accompagnés, réservations uniquement par téléphone, à
partir du 14 janvier, au 02 51 88 21 38, de 10 à 17 H, du lundi au vendredi.
Jean-Pierre
Robert.
Le Festival de Salzbourg 2014
« L'art,
en particulier le théâtre, est parvenu non seulement à survivre aux tempêtes de
cette guerre, mais à s'affirmer comme une nécessité pour ainsi dire
vitale » (Max Reinhardt, 1917).
© Jens Rassmus
Lors de l'habituelle conférence de presse
de fin novembre à l'Ambassade d'Autriche, était présenté le programme du
prochain Festival de Salzbourg, à Pentecôte et en Été. Cecilia Bartoli, qui en
est la directrice artistique, a dévoilé le thème « Rossinissimo ! » qui forme l'ossature du festival de printemps (5 au 9 juin 2014). Deux
opéras seront à l'affiche, La Cenerentolaet Otello, ce dernier pour une première à Salzbourg.
Autrement dit le buffa et le seria,
ou les deux facettes du génial italien. Bartoli se produira dans l'un et
l'autre, aussi bien Angelina que Desdemona, sous la
baguette de Jean-Christophe Spinozzi conduisant son
Ensemble Matheus. Les mises en scène sont signées de Damiano Michieletto, et Patrice Caurier & Moshe Leiser. On
donnera aussi le Stabat Mater et la Petite Messe solennelle (Antonio Pappano), des pièces de chambre, tirées des « Péchés de
vieillesse », par le pianiste David Fray, et des
mélodies, chantées par Joyce di Donato, ou encore des extraits de l'opéra Aureliano in Palmira, par le contre-ténor
Franco Fagioli, en hommage au castrat Gianbattista Velluti. Un concert
de gala et de bienfaisance réunira le Gotha passé, présent et futur des voix
rossiniennes, de Berganza et Carreras à Camerana et Schrott, en passant
par Corbelli et Pertusi.
© SF / Kolarik
Si la voilure est quelque peu réduite par rapport aux deux précédents millésimes mis au
point par Alexander Pereira, le programme de festival d'été (18/7-31/8) reste
fastueux, comme il se doit céans. Deux fils conducteurs se le partagent : la
commémoration de la Grande guerre et le 150 ème anniversaire de la naissance de Richard Strauss, un des pères fondateurs du
festival. Si l'on en juge par le monologue quelque peu amer de La Maréchale, Der Rosenkavaliersigne peut-être le fin d'une époque. La nouvelle production de cette œuvre,
emblématique à Salzbourg, fêtera en tout cas son auteur. Elle sera dirigée par Zubin Metha, mise en scène par
Harry Kupfer, et affichera l'Octavian de la cantatrice française Sophie Koch. Un bouquet de grands poèmes
symphoniques émaillera les concerts, de même que de Lieder. Marc-André Dalbavie (*1961) dirigera la création, dans une régie de
Luc Bondy, de son nouvel opéra, Charlotte Salomon. Cette peintre
et poétesse, née à Berlin, qui émigra en France, fut déportée à Auschwitz où
elle trouvera la mort, comme son mari. La trilogie Da Ponte, amorcée en 2013
avec Cosi fan tutte, se poursuivra par un nouveau Don
Giovanni, confié au même team, Christoph Eschenbach à la direction et Sven-Eric Bechtolf à la régie.
Outre la reprise de La Cenerentoladu festival
de Pentecôte, la fête des grandes voix et stars, comme aime la concocter
l'intendant Pereira, distinguera un nouveau Il Trovatore,
avec pas moins que Anna Netrebko, Placido Domingo (en Comte de Luna), Francesco Meli et
Marie-Nicole Lemieux, dirigés par Daniele Gatti. La
mise en scène sera due à Alvis Hermanis,
un incontournable désormais des étés salzbourgeois depuis ses mémorables Die Soldaten, en 2012. Sera-ce le fameux carré d'As
vocal voulu par Verdi ? En tout cas, un « Hottest ticket » au Box Office. Mais l'originalité vient de la production de Fierrabras, un des rares opéras de Schubert, naguère
ressuscité par Claudio Abbado, et donné depuis à l'Opernhaus de Zürich. Il sera dévolu à la baguette de Ingo Metzmacher et à la régie, nul doute perspicace, de Peter Stein. La Favorite de
Donizetti, en langue française et en version de concert, réunira Juan Diego Flórez et Elina Garanča, comme le vétéran Nello Santi à la direction. Enfin Daniel Barenboim et son West-Eastern Divan Orchestra défendront un projet autour
d'extraits de Tristan et Isolde de Wagner, avec Waltraud Meier et René
Pape.
© Luigi Caputo
Sur la scène de concerts, on note une
intégrale des neuf symphonies d'Anton Bruckner par les grands chefs et
formations du moment : les Wiener Philharmoniker,
avec Barenboim, Muti, Chailly, Gatti et Philippe Jordan, le Philharmonia et von Dohnanyi, le Gustav Mahler Jugendorchester et Eschenbach. Les Berliner Philharmoniker et Sir Simon Rattle se produiront, pour une seule soirée, dans un programme Rachmaninov-Stravinsky,
tout comme le Concertgebouworkest et son chef Mariss Jansons, qui joueront
notamment Une vie de héros de Strauss. Côté musique de chambre,
plusieurs soirées thématiques sont proposées, sur le mode « un interprète
convie ses amis », tels Steven Isserlis, Lisa Batiashvili, Anne Sophie Mutter,
le Quatuor Hagen. Les récitals de piano auront pour solistes Pollini, Kissin, Aimard, Sokolov, et Buchbinder qui donnera l'intégrale des sonates de Beethoven en 7 séances. Les Liederabend verront se produire la crème du chant : Hampson, Harteros, Gerhaher, Beczala, Damrau (avec le harpiste Xavier de Maistre), Garanča, Prohaska ; outre
une Schubertiade d'envergure menée par Cecilia
Bartoli, sous la direction de Diego Fasolis.
L'« Ouverture spirituelle », en juillet, verra le retour de John
Eliott Gardiner et de Bernard Haitink, et sans doute
l'ultime concert, ici, de Nikolaus Harnoncourt avec
son Concentus Musicus Wein (les trois dernières symphonies de Mozart). Sans
compter les Mozart Matinées, les concerts de musique contemporaine, il faut,
bien sûr, évoquer aussi le volet théâtre, qui occupe une place de choix au
festival. On pourra écouter, outre l'indispensable Jedermann de Hugo von Hofmannsthal,
entre autres, Les derniers jours de l'humanité, de Karl Kraus, Don
Juan revient de la guerre de Ödön von Horváth. Comme toujours, ce sera l'embarras de
richesse, avec quelques 270 manifestations en 16 lieux différents !
Renseignements et Location : Salzburger Festspiele, Kartenbüro, Herbert-von-Karajan Platz 11, Postfach 140, 5010
Salzburg, Autriche ; Fax : 00 43 662 8045 555 ; par tel.: 00 43 662 8045 500 ; en ligne : info@salzburgfestival.at ou www.salzburgfestival.at
Jean-Pierre
Robert.
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L’ARTICLE DU MOIS
Haut
La Femme sans
ombre, dernier opéra romantique
Indifférent aux modes, mais
connaissant toute la musique de son temps, Richard Strauss apparaît comme
l’ultime héritier du grand génie lyrique allemand, au même titre que Puccini l’avait
été de son pendant italien. Ayant fait sensation en 1905 avec Salomé, d’après
la pièce d’Oscar Wilde, puis avec Elektra en
1908, le grand compositeur s’est tôt attaché à transposer sur scène les
désordres et les délires millénaires de l’homme et de la femme, sans craindre
de se tourner vers une esthétique apparemment anachronique avec Le Chevalier
à la rose de 1910, prélude à de nombreuses partitions lyriques (La Femme
sans ombre, Intermezzo, Hélène d'Égypte, Arabella,
la Femme silencieuse, Jour de paix, Daphné, L'Amour de
Danaé, Capriccio) où la mélodie affirme ses droits sans que
l’harmonie en soit affadie, la splendeur instrumentale restant à une hauteur
inégalée - il n’est pas indifférent que Strauss ait salué plus que tout autre
compositeur allemand le Traité d’instrumentation et d’orchestration de Berlioz
- et la prosodie d’un étincelant naturel.
Une
position ambiguë
Formellement et stylistiquement, La
Femme sans ombre, op. 65, se signale par une fausse ambiguïté. À mi-chemin
entre les fureurs de Salomé ou d’Elektra et des enchantements policés du Chevalier à la rose ou d’Ariane à Naxos, cet opéra de la maturité allie
curieusement force et délicatesse, emportement et réserve, fracas et
chuchotements. Les problèmes purement matériels posés par sa représentation
sont considérables, mais le plus difficile est encore de trouver une troupe
vocale à sa hauteur. Car le compositeur n’a pas épargné ses interprètes,
exigeant d’eux une telle somme de qualités et une telle quantité d’efforts
qu’il est rare de parvenir à réunir une distribution satisfaisante. Au temps de
Strauss, l’Opéra de Vienne (dont il assura la direction artistique de 1918 à
1924) ne manquait pas de chanteurs d’exception, la
première (10 octobre 1919) offrant un ensemble de rêve : Maria Jeritza (l’Impératrice), Lotte Lehmann (la Femme), Karl Aagard Oestvig (l’Empereur),
Lucie Weidt (la Nourrice) et Richard Mayr (Barak), tous interprètes aussi valeureux que
prestigieux, placés sous la direction d’un grand chef, Franz Schalk. Il s’en faut de beaucoup que les difficultés soient
réservées aux seuls protagonistes. Tous les chefs de chœur savent la difficulté
de mettre au point les ensembles de La Femme sans ombre, surtout lorsque
le compositeur cherche un effet de confusion sonore délibéré, à l’image de ce
qu’il avait déjà demandé dans Salomé ou dans Le Chevalier à la rose. Il suffit d’une seule audition de la dernière scène de l’acte II pour mesurer
l’ampleur de la tâche, l’Impératrice, la Nourrice et Barak y donnant la
réplique aux trois frères au prix d’une virtuosité d’écriture que le moindre
dérèglement peut ruiner. Et pourtant le public ne mesure jamais à quel point la
réussite musicale de l’opéra est directement liée à la réussite de son
exécution. C’est là une marque distinctive de l’art de Richard Strauss, mais
elle ne joue jamais avec autant de force que dans La Femme sans ombre.
Peut-être, d’ailleurs, cette particularité explique-t-elle la lente affirmation
d’un ouvrage dont le succès international exigea plus d’une décennie, ne se
vérifiant qu’à partir du Festival de Salzbourg en 1932. Encore le compositeur
ne connut-il jamais la triomphale reprise de l’œuvre, à l’occasion de la
réouverture du Nationaltheater de Munich, le 21
novembre 1963. Quant au public parisien, il dut patienter jusqu’à l’automne
1972 pour en découvrir, sous la baguette magistrale de Karl Böhm, le féerique
accomplissement à Garnier. Pénétrant pour la
première fois de sa vie dans ce temple ancien du génie lyrique, l’auteur de ces
lignes a quelques raisons de s’en rappeler les fastes ! C’est à l’opéra de
Strasbourg qu’avait eu lieu, en 1965, la première française.
Richard Strauss et Hugo von Hofmannsthal / DR
Pour comprendre la singularité de La
Femme sans ombre, il faut se souvenir qu’au moment même où le librettiste
attitré de Strauss, Hugo von Hofmannsthal, en
nourrissait l’idée, il livrait au compositeur la trame d’Ariane à Naxos. Dans cette partition qui ne se
reconnaissait pour modèle antérieur que La Flûte enchantée, le style
était avant tout fondé sur la fluidité, la simplicité et l’originalité
mélodique. Tous caractères qui ne pouvaient convenir pour La Femme sans
ombre, œuvre fondamentalement romantique et riche de symboles d’une
profonde humanité. Une œuvre, par ailleurs, difficile à définir, les catégories
lyriques étant à peu près impuissantes à offrir un cadre satisfaisant à cette
immense parabole teintée des nuances de la féerie, à cet hymne à l’amour, à la
fécondité, au mariage, au foyer familial. Très attaché à son nouveau projet,
Hofmannsthal ne songeait pas à cacher la portée universelle qu’il espérait lui
conférer, d’où une évidente mise en retrait des données temporelles et
spatiales. C’était là terra incognita pour Strauss,
si l’on excepte la curieuse partition d’Also sprach Zarathustra,
poème symphonique exigeant du compositeur quelques échappées d’ordre
métaphysique, fondamentalement étrangères à sa nature et à son caractère. Rien
n’éclaire mieux ce qui sépare alors les deux hommes que la lettre envoyée par
le librettiste au compositeur, le 15 mai 1911 : « Avec un sujet aussi
beau que La Femme sans ombre, qui est le riche présent d’une heure sans ombre,
avec un sujet si capable de soutenir une poésie et une musique sublimes, ce
serait un sacrilège de vouloir se hâter pour l’achever, de vouloir se forcer.
Chaque détail doit trouver la place qui lui demeurera, se présenter à
l’imagination dans toute sa justesse, sa précision, sa vérité ; c’est dans
le silence, sous le seuil de la conscience, que doivent se former les rapports
des personnages les uns envers les autres et que, sans contrainte aucune, ils
s’élèveront pour donner une action colorée d’une symbolique naturelle ; la
profondeur doit parvenir à la surface, rien ne doit rester vide, abstrait,
chaque intention doit être menée à terme : alors, la musique aura un cours
par avance si défini qu’il lui faudra simplement se déverser comme dans le lit
d’une rivière et réfléchir et la terre et le ciel. Mais tout dépend ici de la
richesse et de la densité de l’inspiration et là… le temps ne fait rien à l’affaire [en français dans le texte]. »
Entre
féerie exotique et conte initiatique
La trame dramatique de La Femme
sans ombre décourage souvent les commentateurs chargés de la résumer pour
leurs lecteurs ou auditeurs. Par souci de clarté, il est probablement utile de
rappeler que, des cinq protagonistes qui se disputent l’essentiel de l’action,
seul le teinturier Barak est nommé. Les quatre autres, l’Impératrice,
l’Empereur, la Femme et la Nourrice n’ont d’autre détermination nominale que
celles de leur fonction. Autant dire que, dans toutes les acceptions du terme,
Barak sera le seul personnage humain du drame, sa propre épouse (la Femme)
disparaissant elle-même en tant qu’être sensible derrière les subtils rouages
que lui imposent les didascalies de l’œuvre.
Un deuxième point capital pour la
compréhension du livret n’est autre que l’étagement des trois espaces qui
suppléent la carence spatiale d’un univers « trop humain ». Il faut
lire cet étagement comme un accord, de bas en haut. Tout en bas, donc, le monde
des hommes : le modeste héros n’en est autre que le teinturier Barak, qui
oppose aux cruautés et aux désordres le menaçant la force inaltérable de sa
bonté. Au-dessus, l’Empereur et l’Impératrice, flanquée par la Nourrice. Fille
du roi des esprits, Keikobad, la souveraine est
interdite de maternité, malédiction dont rend symboliquement compte
l’inexistence de l’ombre que devrait projeter sa silhouette. Tout en haut,
enfin, le Monde des Esprits, dont le maître suprême n’est autre que Keikobad lequel, circonstance significative, n’apparaîtra
jamais sur scène.
Une fois opérée la mise en place des
personnages et des espaces qui leur sont impartis, le jeu constant des allers
et retours entre ces inconciliables univers peut exercer ses effets. Ainsi de
la Nourrice qui, viscéralement hostile à tout ce qui relève de l’humain,
témoigne d’un réel attachement à l’endroit de l’Impératrice et d’un dévouement
sans limites tout en se réjouissant de ce qui accable sa maîtresse, la
stérilité lui interdisant d’être mère. Curieux personnage à l’inhumaine
humanité ! Quant à l’Impératrice, sa quête désespérée d’une maternité
impossible l’amènera à découvrir la
misère du monde d’en bas. Découverte qui éveillera en elle un sentiment aussi
imprévu qu’insolite, la compassion. La révélation en a pour cadre la rencontre
avec le couple formé par Barak et par sa femme. Obnubilée par la possibilité d’acquérir une ombre lui
offrant enfin la capacité de procréer, elle obtient certes la signature du
pacte lui livrant l’ombre de la femme de Barak. Mais, circonstance imprévue,
c’est au contact de ces créatures inférieures qu’elle mesure, bouleversée,
l’importance capitale de la chaleur familiale. Comment, dans ces conditions,
priver les deux malheureux des joies d’une descendance dont elle comprend enfin
la nécessité vitale ? Coupable de tromperie, elle en est d’autant plus
accablée que la bonté de l’innocent Barak, étranger au marché que sa femme a
passé secrètement, apparaît comme le miroir inversé de sa propre perversité.
D’où cet élan magnifique, et précisément tellement humain, qui la conduit à
refuser de s’emparer de l’ombre.
Richard Strauss à sa table de
travail / DR
Ce qui, alors, aurait versé dans la fable complaisante se transforme soudain en
tragédie domestique. Agité d’une colère homicide, bouleversé par l’aveu de sa
femme, Barak tente de la tuer à l’instant où la terre s’entrouvre,
engloutissant le couple déchiré. Cependant, le drame rebondit au troisième
acte, lorsqu’une voix céleste exige de l’Impératrice qu’elle boive le breuvage
d’or, « eau de la vie ». Toujours mue par ces sentiments d’humanité
auxquels le destin l’a confrontée, elle refuse à nouveau de s’emparer de
l’ombre de l’épouse de Barak (« Je ne veux pas ») et supplie son père Keikobad, roi des Esprits, de lui offrir la paix du
tombeau. Mais c’est sur son époux, l’Empereur, que tombe la punition
suprême ; pétrifié, transformé en statue inanimée, il aiguise les remords
de la malheureuse (« Ah ! Malheur à moi ! Mon bien-aimé,
pétrifié ! Enterré vivant dans son propre corps ! La malédiction est
accomplie ! De la faute innocente de mon être il subit la punition, pour
avoir trop aimé mon secret et pour m’avoir choisie, sans pitié, il a sacrifié à
mon secret son cœur aimant ! Il n’a pu être défait, le nœud de mon âme,
par une main humaine. Désormais elle est raidie, la main qui ne pouvait le
dénouer, son cœur, par ma propre dureté ! Ma destinée, sa faute ! Ma
faute, sa destinée ! »). C’est après cette explosion de douleur
qu’intervient enfin l’heureux dénouement que laissait prévoir de si belles dispositions : touché à son tour, Keikobad offre lui-même une ombre à sa fille tout en
redonnant vie à l’Empereur, lequel ne laisse à personne d’autre le soin de
chanter la gloire de sa bien-aimée (« Tu as réussi à surmonter l’épreuve.
Alors, les messagers célestes te donnent le père et les enfants ! Ceux qui
ne sont pas nés, libres ! Ils nous ont trouvés, ils se hâtent à notre
rencontre ! »). Heureux moment, encore rehaussé par la beauté céleste
des voix d’enfants venues du monde des Esprits. Nulle autre morale donc, à
cette féerie, que celle des contes exotiques si fort à
la mode au tournant des XIXe et XXe siècles : accepter les limites de sa
condition terrestre, telle est la vraie grandeur de l’homme précaire, qui ne
peut connaître d’autre rédemption que celle de l’amour.
Dans la
lointaine lignée de Wagner
Il peut sembler difficile d’inscrire La Femme sans ombre dans l’héritage direct des grands drames wagnériens.
Les passions y sont bien plus humaines, la psychologie bien plus fouillée, la
prééminence symphonique bien moins affirmée. Pourtant, deux traits au moins
rappellent la dévotion de Richard Strauss à l’endroit de son illustre
aîné : l’usage du leitmotiv et la symbolique des intervalles. C’est par
dizaines que se comptent les leitmotive dans La Femme sans ombre. S’ils
ajoutent beaucoup à la clarté dramatique de cette féerie initiatique, ils ont
également pour tâche de souligner les rapports multiples et complexes existant
entre les divers personnages et situations du drame. Qu’ils s’appliquent à un
personnage (Barak), à un état (l’infertilité) ou à un sentiment (la
culpabilité), qu’ils se réduisent à une brève cellule (Keikobad)
ou qu’ils se signalent par leur épanchement lyrique (l’Impératrice, le Bonheur
Familial, le Couple), les leitmotive participent de façon considérable à
l’unité organique d’une partition qui peut parfois dérouter par sa richesse.
C’est dans un esprit assez proche et mû par de semblables considérations que le
compositeur spécule aussi sur la couleur particulière des intervalles :
sans surprise, le triton sonnera pour le malheur (en l’occurrence, la
pétrification de l’Empereur), l’octave pour le surnaturel (le monde des
Esprits). Une heureuse mixtion harmonique a été relevée par Christian Goubault dans son excellent « Richard Strauss »
(Paris, Bleu Nuit, 2008, p. 118) : la quarte ayant été choisie pour
l’absence d’ombre et l’usage des tierces majeures pour le défaut d’incarnation
chez les humains, Goubault relève que, donné par les tubas de l’orchestre au tout début, le nom de Keikobad (la bémol, fa bémol, mi bémol) sollicite tout à la
fois la quarte juste descendante (la bémol, mi bémol) en rythme pointé pour
marquer sa qualité de roi des Esprits et la tierce majeure (la bémol, fa bémol)
pour évoquer son règne sans partage sur les humains.
DR
Symbolique
et symbolisme
La Femme sans ombre reste avant tout l’occurrence
théâtrale d’une rencontre impossible, celle du
monde spirituel et de l’univers matériel. D’un côté, le royaume des Esprits,
privés d’ombres, transparents. De l’autre, celui des humains, violent,
contingent, dynamique. En quelque sorte, l’histoire du mythe qui fonde
l’histoire de toutes les religions, de toutes les civilisations, celui du
passage de l’idéel au matériel, du Verbe à l’Être. Dans La Femme sans ombre,
aucun personnage n’est plus conscient de la douloureuse nécessité de ce passage
obligé que la Nourrice, la protagoniste qui en refuse le plus obstinément la
fatalité. Abhorrant le monde des humains (« La poussière soulevée par les
humains est pour nous air mortel. […] À nos narines leur pureté est métal
rouillé, sans figé, cadavres pourris depuis
longtemps ! »), elle sera pourtant la seule
à en subir, contre son gré, la malédiction. Condamnée à l’errance sans fin sur
la terre de ces hommes qu’elle abomine, elle symbolise la victoire négative de
la matière sur la transparence. En regard, l’Impératrice est en quête de
l’ombre qui, symbole de l’incarnation, se présente comme la visualisation d’une
fécondité idéale. Principe universel de la reproduction des espèces vivantes,
puissant symbole de création, l’ombre ne peut être acquise sans amour.
Le plus remarquable peut-être, dans La
Femme sans ombre, reste la mise à l’épreuve des principaux acteurs du
drame. D’un côté, le couple des hommes, Barak et sa femme, de l’autre, le
couple impérial. Mais, si loin qu’ils apparaissent dans leurs espaces
respectifs, les quatre héros sont profondément liés dans cette quête d’un
nouveau Graal. Car ici, l’accession à l’enfantement prend valeur de signal
démiurge. Pour le simple teinturier comme pour le souverain, pour la femme du
peuple comme pour l’Impératrice, aucune échappatoire : il revient à chacun
de prendre conscience d’une nécessité supérieure, la fusion du spirituel et du
charnel. Là réside d’ailleurs l’une des principales ambiguïtés de
l’action : où se situera l’Empereur, entre le royaume des hommes qu’il
domine et cette transparence à laquelle aspire tout son être ? De la même
façon, sous quel signe l’Impératrice place-t-elle la quête d’une ombre dont il
lui faut faire l’acquisition sans contrainte et sans artifices, c’est-à-dire
avec humanité (« Je ne veux pas de l’ombre, il y a du sang
dessus ») ? Il faudra qu’elle ait rencontré l’humanité souffrante,
qu’elle ait mesuré sa propre souffrance à l’aune de la détresse des autres,
pour enfin accepter la rédemption de l’amour charnel, au détriment de l’univers
fantasmatique dans les arcanes duquel elle avait jusque-là, et non sans une
certaine complaisance, déambulé.
Dans cet univers symboliste, miroir
de son siècle tourmenté, les symboles passent comme autant de signaux, parfois
indéchiffrables. À la frontière incertaine du réel et de l’irréel, le
teinturier Barak, expression animée de la matière terrienne, gagne sa liberté
de conscience en rêvant un destin qui n’est plus dicté par la seule fatalité.
Le jeu constant des interactions entre les deux mondes de la matière et de
l’idée lui ouvre d’insoupçonnés horizons et lui confère peu à peu cette
grandeur presque solennelle qui marque ses toutes dernières interventions. À
l’autre extrémité du spectre, Keikobad est resté
invisible, mais, actif à l’image du Verbe qui se passe de la perception
sensorielle, il a mené tout le drame. C’est d’en haut que viennent les sons
destinés à animer le monde des humains, mais une fois cette animation
provoquée, c’est aux rêves des hommes qu’il reviendra de « rimer au milieu
des ombres fantastiques » pour redonner vie au monde des esprits. Vêtir
l’idée d’une forme sensible, c’est tout ce à quoi s’est attaché le grand
compositeur, mettant au service de l’entreprise son incomparable science
orchestrale, son génie mélodique et son invention harmonique. Une entreprise
suffisamment hardie pour l’autoriser à rôder aux limites de la tonalité, à user
des formes les plus inattendues (du menuet à la chacone), à proposer des
combinaisons de timbres à proprement parler inouïes, en un mot à inventer le
style de son ouvrage au fur et à mesure de son écriture. Avec pour résultat
final l’une des plus belles partitions de toute l’histoire du théâtre lyrique.
Gérard Denizeau.
***
FOCUS SUR LA MUSIQUE NOUVELLE
Haut
Le compositeur Fabian
Müller
Le compositeur et
violoncelliste suisse alémanique Fabian Müller, né à Zurich en 1964, est une
personnalité très attachante que j’ai eu le plaisir de rencontrer très
récemment à Berne. Sa pensée et sa création en font l’une des figures
emblématiques de sa génération dans son pays. J’avais été très intéressé par
ses travaux en ethnomusicologie. Mes recherches le concernant ont abouti à son
œuvre de musique dite « savante » profondément marquée par
l’environnement qui a été le sien depuis son enfance. Le paysage mystérieux,
imposant, parfois menaçant, des Alpes bernoises féconde son imagination de
compositeur libéré de tout dogme esthétique en la matière.
Fabian Müller a
d’abord pratiqué le violoncelle au Conservatoire de Zurich auprès de l’éminent
professeur Claude Starck. Il s’est ensuite consacré à l’apprentissage
théorique, dans la même institution, chez le Saint-Gallois Josef Haselbach (1936-2002), un ancien élève de Klaus Huber
(*1924) très intéressé par la relation entre le langage musical, la philosophie
et la psychologie. Après cette période initiale, Fabian Müller a poursuivi son
parcours aux États-Unis avec les compositeurs George Tsontakis (*1951), Jacob Druckman (1928-1996) et Bernard Rands
(*1934).
Entre 1991 et 2002,
il s’est consacré à la publication, chez Mülirad à
Zurich, de la collection de la folkloriste et ethnomusicologue bâloise Hanny Christen (1899-1976), Schweizer Volksmusik Sammlung. Il s’agit d’un corpus de « musique populaire » contenant plus de dix
mille mélodies du XIXe siècle, témoignage émouvant d’une pratique
qui met en perspective la spécificité de chaque canton de la Confédération
helvétique. Par ses recherches, Hanny Christen s’est inscrite dans un mouvement auquel un Leoš Janáček (1854-1928), un
Jean Sibelius (1865-1957) ou encore un Ralph Vaughan Williams (1872-1958) ont
contribué dans leurs pays respectifs. Le travail éditorial de Fabian Müller se
situe aussi dans ce courant. C’est d’ailleurs dans cet esprit qu’il a fondé
puis dirigé (1990/2006) les Éditions Mülirad de même
qu’il a participé à la création de la Maison de la musique populaire à Altdorf
dans le Canton historique d’Uri.
Fabian
Müller/ © Marco Borggreve
Zurich n’est pas
seulement la capitale économique de la Suisse. Elle a derrière elle un passé
musical remarquable. Le Réformateur Huldrych Zwingli
(1484-1531), peu favorable à la musique destinée au culte, était néanmoins un
musicien fin et cultivé qui préconisait la pratique de cet art dans la sphère
séculière. Une riche tradition de compositeurs tels que Johannes Schmidlin (1722-1772), Johann Heinrich Egli (1742-1810), Hans Georg Nägeli (1773-1836), Friedrich Hegar (1841-1927), Volkmar Andreae (1879-1962), Othmar Schoeck (1886-1957) et Willy Burkhard (1900-1955) a évolué au cours des siècles dans cette étonnante cité.
Au cours de notre
entretien, Fabian Müller a évoqué son attachement à ses éminents prédécesseurs,
le grand symphoniste soleurois Hans Huber (1852-1921), le romantique Paul Juon (1872-1940) et le pianiste et compositeur d’origine
grisonne Raffaele d’Alessandro (1911-1959). Ce
faisant, il revendique sa complète appartenance à un langage suisse qui, malgré
les influences naturelles germaniques et latines, s’est lentement forgé tout au
long des siècles depuis la fondation historique du pays, en 1291, avec le
fameux pacte du Grütli. Fabian Müller remonte aux sources des formes les plus
primitives de l’Alpenmusik,
le Betruf (appel en forme de prière), l’Alpsegen (la bénédiction de l’Alpe). Ce répertoire
conséquent, issu de l’oralité, nous fait remonter à la nuit des temps. Il fait
désormais partie du folklore, au sens le plus noble du terme, tout en
conservant sa dimension originelle. C’est dans cet esprit, à partir de ce
patrimoine, que Fabian Müller m’a confié ces paroles : « Je crois que
ces éléments – les montagnes, le paysage – sont très intéressants. Un
compositeur de notre temps peut les utiliser. C’est ce que j’ai fait à de
nombreuses reprises. C’est une grande source d’inspiration. En ce qui me
concerne, depuis que j’ai commencé à composer, j’ai pris
l’habitude d’aller dans la montagne quand je commence une nouvelle œuvre,
très souvent à Grindelwald, dans une petite maison et je compose là-bas. Pour
moi, ces paysages de montagne sont très importants. Ils nourrissent mon
inspiration. » Il poursuivait en insistant particulièrement sur
l’importance de l’intuition : « Ma façon de composer est très
intuitive. Mon opinion est que, peut-être, est-ce encore la façon romantique de
composer. Je crois que l’intuition peut apporter quelque chose que l’intellect
ne peut atteindre. Pour moi, l’intellect est tout juste compétent pour
organiser des motifs que l’on reçoit. Je suis convaincu qu’une musique qui n’a
pas cette dimension relative au mystère est, en réalité, inutile. Je pense
aussi qu’en musique contemporaine, il est très important d’avoir cette
dimension de, je dirais, la transcendance. Ceci remet en cause certaines
règles ; ainsi, si vous analysez ultérieurement ce que vous avez écrit sans
conscience, vous concevez spontanément puis vous suivez les motifs et vous
essayez d’enrichir et compléter dans la direction où la musique vous conduit.
Ce n’est qu’à la fin de ce processus que vous discernez une organisation
mathématique à l’intérieur. En revanche, cela ne se produit pas dans l’autre
sens. Autrement dit, ce n’est pas premièrement les mathématiques puis la
musique. C’est immédiatement la musique et ensuite les mathématiques. C’est
ainsi que je pense et que je compose. Cela procède de l’intuition. »
J’ai, en effet, été
très touché par son approche mythologique et psychologique de la mélodie quand
il atteste que « lorsque chaque mère, dans le monde entier, que ce soit en
Afrique ou à Taïwan, par exemple, chante pour son bébé, c’est toujours la même
sorte de mélodie. Cette dernière n’a aucun lien avec la musique d’avant-garde,
mais avec des motifs simples, très simples. Elle procède, le plus souvent, par
tierces, et possède une sorte particulière d’expression, caractéristique. Dans
des milliers d’années, si les humains existent encore, ces mélodies seront
toujours les mêmes. Je pense qu’il y a des valeurs éternelles, nous sommes
humains, nous avons une certaine possibilité de voix, de chant, et nous avons
une façon particulière de nous exprimer en musique. C’est pourquoi je pense que
les jeunes compositeurs, aujourd’hui, mes cadets, dans la mesure où ils
souhaitent valoriser cette dimension de la transcendance et de la beauté en
musique, devront inéluctablement revenir vers la mélodie. Mais, évidemment, les
compositeurs dits d’avant-garde se
diront : “oh, ils veulent revenir à la mélodie, ils veulent raccommoder”.
Mais ce n’est pas la raison, ce n’est pas le cas. Nous voulons néanmoins aller
de l’avant. »
Ces propos aussi
remarquables que non conformistes remettent en cause nombre de lieux communs.
Ils m’ont conduit à lui demander s’il comptait, parmi les compositeurs de sa
génération, d’autres âmes sœurs : « Oui, j’ai quelques amis qui
pensent de façon très similaire. Par exemple, Martin Wettstein [né en 1970].
Son cheminement est très proche. Sa musique est très originale, mais toujours
nourrie par cette dimension inexplicable, sans objectif purement intellectuel.
Je pense que c’est un bon exemple. » Précisément, après avoir entendu sur
Internet quelques extraits de l’œuvre de Wettstein, je confirme la belle
qualité de sa musique.
Fabian Müller
& Pi-Chin Chien / DR
Dès la première
écoute, j’avais été très impressionné par l’œuvre orchestrale de Fabian Müller
intitulée Eiger, eine symphonische Skizze(« Eiger,
une esquisse symphonique »). Elle a été composée en 2004. L’Eiger,
« le grand épieu », imposante forteresse de calcaire, est un
sommet situé dans le massif des Alpes bernoises. Müller connaît cette montagne
dangereuse depuis sa prime enfance lorsqu’il séjournait dans le village de
Grindelwald. Elle l’a toujours fasciné. Il entretient avec elle une relation
imaginative mystique. Son langage orchestral est spécifiquement expansif. Bien
que la musique revête une dimension organique, il ne s’agit pas d’une
description pittoresque de ce paysage magistral mais d’une émotion mélodique
dont la source se trouve dans le pur mode de Fa, ancestral. Les tensions doivent se résoudre dans la tonalité d’Ut Majeur recouverte, en quelque sorte,
par de multiples énigmes sonores d’une grande puissance mélodique. Cette
partition entraîne l’auditeur dans une quête, un voyage symbolique parfois
menaçant mais dont les éclaircies sont singulièrement touchantes. L’ascension
se révèle le reflet d’une authentique introspection, vitale, émotive. Müller
s’occupe essentiellement de l’intériorité humaine. « À l’époque où j’ai
composé cette partition, je lisais ce livre célèbre de Heinrich Harrer [1912-2006 – alpiniste et géographe autrichien]
au sujet de ces tragédies à propos des alpinistes qui escaladaient puis
chutaient. Il y a une histoire, en particulier, réellement dramatique lors de
la première tentative pour l’ascension. Ces hommes ne purent pas atteindre le
sommet. Ce fut terrible pour cette équipe austro-allemande. En réalité, un tel
événement a constitué la référence inspirante pour cette œuvre. Le paysage
alpin est certes d’une très grande beauté, mais c’est aussi quelque chose que
l’on peut craindre par son énormité et sa puissance. » Un très bel
enregistrement de Eiger est
disponible chez Ars Produktion. Le Royal Philharmonic Orchestra, de Londres, est dirigé par le chef
suisse Claude Villaret. Deux autres œuvres,
conséquentes, de Fabian Müller figurent sur ce CD : son Konzert für Orchester (2007/2008) et ses Dialogues cellestes, un double concerto
pour deux violoncelles et orchestre (2009).
Fabian Müller
consacre l’essentiel de son temps à la composition. Il voyage aussi en
compagnie de son épouse la violoncelliste taïwanaise Pi-Chin Chien. Il a de
même noué de riches relations avec d’autres compositeurs étrangers parmi
lesquels le Britannique Oliver Knussen (*1952). Son
vif intérêt pour la Suède et ses paysages l’ont singulièrement inspiré. En
définitive, le Finlandais Einojuhani Rautavaara (*1928) est, de toute évidence, le compositeur
dont il se sent le plus proche. Il apprécie sa « liberté de penser, sa
capacité à réaliser uniquement ce qui est en lui, de ne pas faire quelque chose
dont d’autres pensent que c’est cela qu’il faut faire de nos jours, en matière
d’art dit contemporain. J’apprécie
qu’il recherche l’authenticité en toute simplicité. C’est la chose la plus
importante. Et je crois que, de cette manière, il a une grande influence sur
moi. Rautavaara est véritablement le successeur de
[Jean] Sibelius [1865-1957] ». Ce faisant, Fabian Müller insiste sur
l’importance de créer son « propre monde » pour ne pas sacrifier aux
idéologies esthétiques en cours. Autrement dit, être capable d’une
identification immédiate par l’auditeur.
Dans l’un de ses
essais, Die Suche nach „Schönheit“ (« La
recherche de la beauté »), Fabian Müller s’est exprimé sur le
concept de « beauté » relatif à un cheminement mystérieux. Je
rapprocherais sans hésiter sa conception de la beauté du sublime tel que le Dr
William Crotch (1775-1847), compositeur et peintre
anglais, l’a expliqué dans ses conférences à Oxford au tout début du XIXe siècle. Müller associe la beauté à la notion de transcendance. Il témoigne
ainsi de sa profonde confiance en de multiples possibilités du langage tonal conçu
naturellement et non point académiquement. Fabian Müller est également sensible
à la relation qui se tisse entre la musique et la peinture. À ce sujet, le chef
d’orchestre zurichois Armin Brunner a lui-même mis en perspective Taranis pour
orchestre (2006) avec la personnalité du grand peintre bernois Ferdinand Hodler
(1853-1918).
Le catalogue de
Fabian Müller est conséquent. On y découvre des œuvres pour orchestre
symphonique et de chambre, des concertos, des chœurs, deux opéras et de
nombreuses transcriptions du Norvégien Johan Severin Svendsen (1840-1911), de Mendelssohn (1809-1847), de Grieg (1843-1907) ou de son
compatriote déjà cité Schoeck, notamment. Les
interprètes les plus remarquables s’intéressent à sa musique
tels que les chefs d’orchestre David Zinman,
Christopher Hogwood à la tête de nombreux ensembles
aussi bien en Europe qu’aux États-Unis.
Très récemment, son
œuvre orchestrale Labyrinth (2005) a été exécutée au Théâtre des Arts de Rouen et à l’église de Gisay La Coudre par l’Orchestre de l’Opéra de Rouen
Haute-Normandie conduit par le chef d’orchestre bernois Kaspar Zehnder. La dense deuxième sonate pour violoncelle et piano
(2011), imprégnée par la musique des Alpes, est une commande du violoncelliste
brésilien Antonio Meneses. Le troisième mouvement
évoque, selon le compositeur lui-même, l’état d’esprit du répertoire populaire
autrichien tel qu’un Alban Berg (1885-1935) l’a cité dans son Concerto pour
violon et orchestre « À la mémoire d’un ange » (1935). Fabian Müller
travaille actuellement à la mise en musique d’un conte de l’écrivain allemand
établi à Zurich, Tim Krohn, intitulé Der Geist am Berg (« L’Esprit auprès de la montagne »),
un thème éminemment mythologique, cher à notre compositeur.
Fabian Müller
& Andris Nelsons lors
de la création de « Eiger » /
DR
En tant
qu’excellent violoncelliste, Fabian Müller a enregistré un répertoire qui sort
des sentiers battus. Je viens d’avoir l’occasion d’entendre un disque(1) consacré à la musique populaire
suisse, joué en duo violon/violoncelle avec Andreas Gabriel auquel s’adjoint,
parfois, le contrebassiste Andy Schaub (les Helvetic Fiddlers (« Les
violonistes helvétiques »). Il est
justement très intéressant et assez rare d’entendre à l’instrument un
compositeur de musique dite « savante » également folkloriste. Ces
interprètes sont conscients de leur responsabilité quant à un retour équilibré
aux sources qui retrouve un ton spécifique, fort éloigné d’un académisme
pseudo-classique. D’ailleurs, les émouvantes quatre dernières plages sont des
enregistrements d’archive réalisés en 1958 et 1960 dans la vallée de Conches
(Valais) et dans le Canton des Grisons. Dans l’excellent livret de
présentation, les musiciens précisent : « notre duo essaie de
retrouver la pratique originelle des enregistrements in situ, tandis que nos arrangements veulent donner une forme
moderne à cette musique populaire. En élaborant notre répertoire, travail qui
nous a pris à peu près un an, nous avons veillé particulièrement à trouver un accent suisse, autrement dit, à ne pas
copier servilement d’autres traditions violonistiques, mais à créer un ton
proprement helvétique et alpestre en nous basant sur les enregistrements de Hanny Christen ».
Incontestablement, ces musiciens sont touchés par l’intonation de la gamme naturelle,
une « merveille de la nature ». C’est précisément dans cet esprit que
devrait s’entendre l’art de Fabian Müller, chercheur, compositeur et
instrumentiste.
La consultation de
son site Internet (www.swisscomposer.ch)
est passionnante. Elle permet, notamment, de découvrir par l’écoute quelques
extraits caractéristiques de sa musique et de lire quelques-uns de ses textes
particulièrement pertinents et inspirés.
L'année 2013 a été
véritablement féconde pour le musicologue que je suis, particulièrement honoré
de connaître deux grandes figures européennes de la musique de notre temps,
David Owen Norris et Fabian Müller.
James Lyon.
(1)
Collection
« Musiques suisses » (Migros – MGB-NV 9).
***
SPECTACLES ET CONCERTS
Haut
L’orgue
en France au XVIe siècle
Arsène Bedois, organiste émérite de Saint-Thomas d’Aquin (Paris),
a convié ses fidèles auditeurs à un Récital historique exceptionnel, le
dimanche 24 novembre 2013.
Sur le plan
historique : son programme a résumé un siècle de transcriptions anonymes
de (13) Motets vocaux, publiés à
Paris en 1531 par Pierre Attaingnant ou encore des
pièces éditées à Paris en 1610 par Ballard. Sur le plan artistique :
l’excellent organiste a, une fois de plus, fait preuve de sa parfaite maîtrise
du jeu legato et de la technique du
cantus firmus, ainsi que de son sens de l’ornementation discrète à la manière
des luthistes, sans oublier la véritable prouesse consistant à changer
minutieusement de registration et d’atmosphère après chaque pièce si brève. Sur
le plan esthétique : ce Récital a illustré l’exploitation du contrepoint
(phrase contre phrase) devenant de plus en plus serré et complexe pendant plus
d’un siècle, et l’évolution de l’écriture, notamment à propos de l’accord
conclusif : octave, puis quinte à vide et, enfin, accord parfait à
l’époque de son intégration définitive au langage musical. Parmi les musiciens
les moins connus, les mélomanes ont pu découvrir Mathieu Gascongne,
Pierre Moulu, Loyset Compère… ; parmi les plus
célèbres : Eustache du Caurroy, Claudin de Sermisy et Claude Le Jeune qui, dans leurs Motets et Fantaisies, ont exploité des mélodies reposant sur des sources
grégoriennes : Salve Regina (antienne) ; Ave maris stella…, Conditor alme siderum… (hymnes) ; O vos omnes qui transitis per viam (répons) ; Ein Lämmlein geht…
(choral luthérien) ou encore des sources
populaires : C’est une dure departie, Fortuna desperata, Hors envyeux… (chansons profanes). Le programme, admirablement conçu, comprenait également des formes
liturgiques : Benedictus, Requiem-Introitus puis des formes plus développées : Fantaisies à l’imitation de mélodies connues ou une Fantaisie libre. À côté de ces miniatures si dépouillées et
intériorisées, Arsène Bedois a magistralement
interprété une sélection de Fantaisies (à l’imitation…) par exemple
d’Eustache du Caurroy. Il a brillamment terminé son Récital par la Fantaisie première (« libre » et non « à
l’imitation »), extraite du Second
Livre des Meslanges de Claude Le Jeune, cette œuvre, très bien enlevée, a posé un remarquable point
d’orgue sur cette magnifique leçon d’interprétation et d’histoire de l’orgue.
Édith Weber.
Hommage à Alexandre CELLIER
Dans le cadre de ses « Dimanches
musicaux », le Concert du 1er décembre 2013 -organisé par l’Association
des Amis des Grandes Orgues de l’Étoile- a rendu un vibrant hommage à Alexandre
Cellier (1883-1968), organiste, compositeur et hymnologue qui, comme l’a rappelé le Pasteur Louis Pernot, y a
laissé un souvenir marquant.
Ce fut un
témoignage de reconnaissance, en présence de membres du Groupe Protestant
des Artistes, dont Jacqueline Cellier fait partie, de paroissiens et d’amis
fidèles qui ont intensément vécu ce concert spirituel. Ce fut aussi un
témoignage de fidélité : quel privilège d’entendre tant d’œuvres
interprétées à l’Orgue pour lequel elles ont été pensées par la remarquable
organiste titulaire, Liesbeth Schlumberger qui a scrupuleusement tenu compte
des possibilités de registration précisées par le compositeur, donc marquées
d’un cachet d’authenticité. Elle a interprété son Prélude et Fugue (1957), un peu sombre, nostalgique, puis massif et
percutant, s’élevant des profondeurs pour privilégier l’aigu, avec quelques
vagues impressionnistes. Elle a illustré toute la diversité de l’inspiration du
maître dans Pèlerinages (1924) :
10 pièces hautes en couleurs, assez descriptives dans la mouvance de l’école
d’orgue française fin XIXe-début XXe siècles, avec des dissonances à bon
escient. Après l’Étude à Charles
Tournemire (1920), elle a posé un inoubliable point d’orgue sur le Choral-Paraphrase sur la mélodie du Psaume 138, page de virtuosité avec des accents
modernes et rappel du cantus firmus (mélodie de Loys Bourgeois) : belle affirmation de la mémoire de la Réforme, également
réalisée avec le Thème et Variations sur
le Psaume 149 « Chantez à Dieu
chanson nouvelle » (1964), jadis créé par Maurice André et
Marie-Louise Girod à Villefavard, qu’Alexandre
Cellier a traité pour trompette et orgue à partir de l’harmonisation de Claude
Goudimel (1565), donnant lieu à des Variations et à un Final époustouflant alla bravura. Toutefois, pour ce concert, les auditeurs ont
découvert une version pour flûte et orgue, conférant à l’œuvre moins d’éclat
que la trompette, mais un caractère plus pastoral et plus discret ;
Claudia Bonnet, accompagnée à l’orgue avec une grande précision, a triomphé de
tous les traquenards techniques notamment dans le redoutable Final.
Alexandre Cellier,
musicologue et hymnologue, a participé au Recueil Louange et Prière édité en 1939, et
c’est le mérite de l’Ensemble vocal de l’Étoile d’avoir, sous la direction de
Marie-Hélène Brunet-Lhoste, interprété avec
musicalité et sensibilité ses Cantiques n°241 : Tu parais, ô Jésus !, de caractère méditatif ; n°340 : Ô Dieu ! toi dont l’amour, particulièrement expressif, et n°408 : Apporte sur le Calvaire, empreint de
gravité. Beau témoignage de fidélité et d’émotion, tout à l’honneur de
l’engagement de plus d’un demi-siècle d’Alexandre Cellier à l’Église Réformée
de l’Étoile.
Édith Weber.
L'extrême brillance du Cleveland Orchestra
Franz Welser-Möst et l'Orchestre de Cleveland / DR
L'Orchestre de Cleveland figure au nombre
des grands orchestres nord américains, qui illustrent le top niveau outre Atlantique. La liste de ses chefs
titulaires en dit long sur sa réputation, Artur Rodzinski,
Georges Szell, Lorin Maazel, Christoph von Dohnányi, et depuis 2002,
Franz Welser-Möst. Sans oublier Pierre Boulez, qui
deux ans durant, en 1970/1972, fut conseiller musical, pour y revenir
régulièrement ensuite, et avec lequel il enregistrera son 3ème Sacre du
printemps, pour DG. Leur tournée européenne devait les conduire Salle
Pleyel pour deux concerts, unissant Beethoven et Chostakovitch, en une
thématique intitulée « Destin et Liberté », ainsi qu'indiqué dans la
programmation des concerts in loco précédant le voyage. A l'affiche du second
concert, la 4 ème symphonie de Beethoven offre une
lecture mêlant transparence viennoise et brillance américaine, alerte, un brin
abrupte à l'heure du Menuetto, mais parfaitement
dosée et dotée d'un esprit enjoué, voire détendu. On apprécie la plastique de
la formation et en particulier la clarinette solo, d'une douceur d'émission
éblouissante. Entre les mains de Welser-Möst, la
Huitième symphonie de Chostakovitch découvre une visage bien différent de celui buriné par un Valery Gergiev.
Là où le chef russe, dans son récent CD (cf. NL de 12/2013) nous plonge dans un
drame angoissant, son confrère autrichien et ses forces américaines immergent
l'auditeur dans un magma incandescent, d'une furia sonore assez irrésistible.
Les lames de fond qui enflamment la partie médiane du long mouvement initial,
sont amenées dans un crescendo fracassant, dont les formidables batteries de
percussions ajoutent à l'impact. A plus d'un endroit, on se sent comme grisé
par des fortissimos assourdissants, quoique à la limite du potentiel acoustique
de la Salle Pleyel, qui n'est pas Severance Hall à
Cleveland. Le chef n'hésite pas à bâtir des climats titanesques, et la
magnificence de son orchestre triomphe de cette démesure sonore. La mosaïque du
premier mouvement, qui débute comme la 4 ème de
Beethoven, par une séquence adagio, peut y trouver son compte. Le second
scherzo libère un caustique mordant. Le largo atteint une force tranquille que
le chef distille tel un morceau de musique de chambre. Mais est-ce là tout ?
L'allegretto final semble manquer son ultime accomplissement, et partant, son
message : cette troublante contradiction entre espoir et désespérance, qui vous
serre la gorge, ambivalence entre sérénité d'une réalité avec laquelle il faut
bien vivre et résignation devant l'horreur à tout jamais inscrite dans la
mémoire. Ce que le chef Kurt Sanderling, dans son analyse de la symphonie,
qualifie de « pénible descente dans l'éternité du néant ». Encore une
fois, on ne boude pas son plaisir devant l'admirable rutilance d'un orchestre
qui fonctionne telle une Rolls royce, la consistance
des cordes, d'une rare splendeur, la quasi
infaillibilité qui préside à l'exécution par bois et cuivres de leurs parties
respectives, ce qui n'est nullement synonyme de froideur, tel l'émouvant solo
de cor anglais et les fines arabesques de la clarinette ou de la flûte. Mais on
mesure combien l'interprétation peut modifier la vision de l'œuvre. Elle se
signale, ici, plus par sa performance que par sa charge émotionnelle.
Jean-Pierre Robert.
Le Quatuor Diotima crée le 3 ème Quatuor de Gérard Pesson
Gérard Pesson /DR
Gérard Pesson (*1958), est déjà l'auteur d'un corpus impressionnant, dans le domaine vocal
notamment, mais aussi dans le secteur chambriste. Tout juste créé à Munich,
début novembre, son Troisième quatuor à cordes « Farrago », vient
d'être donné en Première française, au Théâtre des Bouffes du Nord, par le
Quatuor Diotima, spécialiste reconnu des chemins
arides de la musique actuelle. S'il ne l'est pas en termes de longueur, dans ce
nouvel opus, du moins Pesson est-il avare des effets
de puissance. Ses sonorités sont on ne peut plus ténues, furtives a-t-on fait
remarquer, frottements imperceptibles des cordes, pianissimos à la limite du
silence, que seul un public averti peut apprécier, comme il en est de celui de
cette salle. Un « silence adhésif » tisse sa musique, aime-t-il à
dire. Le sous-titre de « Farrago » puise à des origines littéraires,
de Juvénal et de Proust. Structurellement, il s'agit, selon l'auteur,
d'« un ensemble de micro-ondes pris dans une incessante circulation,
chaque sonorité glissant vers la suivante ». De fait, l'impression est
d'une multitude de brèves séquences elliptiques - « trente trois éléments
qui forment comme un set... dont la musique est entièrement déduite d'harmonies
très serrées » - dans un continuum ininterrompu très assagi et un geste
presque détaché, que traversent quelques traits plus fébriles. L'exécution des Diotima est captivante, tant le challenge est techniquement
considérable. Reste qu'il faudra d'autres auditions pour se faire une idée plus
précise de la pièce et faire sien un langage à la frontière de l'ésotérique. Le
Quatuor op. 3 d'Alban Berg (1910), qui précédait, est tout le contraire de
cette ténuité sonore : une puissance presque élémentaire, non dépourvue
d'agressivité, une vision charpentée, que permet une architecture affirmée, à
travers une coupe en deux parties, qui, l'une comme l'autre, signent une
exacerbation de la forme, sonate dans le premier cas, rondo dans le second.
L'exécution de Diotima est intense, suite de pleins
et de déliés, de brusques impulsions et de plages de détente. En seconde
partie, retour en terre promise avec le Quintette à deux violoncelles de
Schubert, curieusement boudé par une partie des professionnels, venus sans
doute que pour se rassasier du nec plus ultra de la modernité vue par Pesson... Et pourtant, elle ne sera pas si
« romantique » qu'attendue, l'interprétation des Diotima et de la celliste Anne Gastinel ! Peut-être plus
encore que dans leur récent CD (cf. infra), ressent-on, dans l'acoustique
idéalement présente des Bouffes du Nord, une ampleur orchestrale et un spectre
tragique assumés. Le Schubert tardif des Diotima se
veut résolument clair et solidement architecturé, aux contours sûrement dessinés.
Plénitude sonore et contrastes dynamiques marqués distinguent les mouvements
extrêmes. La suprême respiration de l'adagio s'accommode d'une belle lumière,
parant ce chant de l'âme d'une poésie rassérénée où affleure l'angoisse. Et le
scherzo affirme un volontarisme conquérant, ardent dans l'accentuation,
audacieux dans sa rapidité frôlant la rudesse, alors que le trio installe une
méditation inquiète, menée par l'alto et le second violoncelle. On ne résiste
guère à pareille ivresse sonore souverainement dosée, à une telle exécution
techniquement hors pair et musicalement très aboutie.
Jean-Pierre
Robert.
Le monde symphonique de Chostakovitch révélé par Valery Gergiev
Valery Gergiev poursuit son cycle des symphonies et concertos de Dimitri Chostakovitch à la
Salle Pleyel, devant un public nombreux et enthousiaste. Le chef russe, à la
tête de sa phalange du Théâtre Mariinsky, qu'il a
désormais hissé au nombre des orchestres de premier plan, révèle sans doute
mieux que quiconque aujourd'hui, les vrais contours d'un univers tourmenté. Les
programmes, fort généreux, sont conçus de manière à rapprocher œuvres du début
et pièces tardives. La conviction qui habite Gergiev établit d'emblée l'adhésion de la salle, nonobstant l'austérité du propos et
une mouvance sonore fuyant toute logique cartésienne. Et on comprend vite que,
pour lui, il s'agit moins de rechercher la brillance d'une leçon d'orchestre
que d'élucider la pensée sous-jacente. Dirigeant sans baguette, Gergiev sculpte le matériau, dans une gestuelle souple, non
exempte de brusques accentuations, allant de pair avec un souci de tracer de
larges contrastes dynamiques, aux fins d'expressivité. Et à le suivre à fond,
s'aplanissent les difficultés de compréhension de la mosaïque thématique de
Chostakovitch : l'intuition de l'enchaînement des thèmes ou motifs, la
subtilité avec laquelle sont abordées les transitions forcent l'admiration. Ces
concerts étaient l'occasion aussi de mettre en avant de jeunes talents
concertistes, le pianiste Daniil Trifonov,
le celliste Gautier Capuçon.
Daniil Trifonov / DR
Le premier des trois concerts
proposait les symphonies N° 9 et N° 4, et le premier concerto pour piano. La
singularité de la Neuvième symphonie dérouta plus d'un commentateur.
Annoncée comme devant être un hymne à la victoire soviétique, celle-ci est en
fait tout sauf cela. Sa création en 1945 par Mavrinsky déchaîna l'ire de Staline qui pestait contre l'absence des voix et surtout d'un
grand chœur final. Au lieu de quoi, un premier mouvement d'une brièveté
incroyable, maniant légèreté et humour, dans la manière des classiques. Y font
suite un moderato subtil qui développe une mélodie de la clarinette sur des
pizzicatos des violoncelles, et un original dernier mouvement, en fait une
succession de trois séquences : un presto, sorte de scherzo empli de bravoure,
un largo inattendu avec son solo de basson, et un allegretto des plus
satiriques. Mavrinsky dira que Chostakovitch avait
écrit là une musique « contre les
philistins, avec leur complaisance et leur enflure, leur souci de se reposer
sur leurs lauriers ». Gergiev et ses forces petersbourgeoises y font montre d'esprit. Dans le droit fil
de cette partition étrange, suit l'énigmatique Concerto N° 1 pour piano,
trompette et orchestre à cordes op. 35 (1933), mêlant ironie hyper virtuose
et lyrisme élégiaque. Sans parler de sa conception, là encore révolutionnaire,
proche du double concerto. Le jeune prodige russe Daniil Trifonov, né en 1991, vainqueur à 20 ans du Concours
Tchaïkovski, l'aborde comme une digression fantasque. Une ébouriffante
technique lui fait tout aussi bien comme effleurer le clavier, d'un doigté
immatériel, que modeler le trait avec rondeur, en particulier au moderato
central, pris, ici, très lent et immensément élégiaque. Il se jouera avec une
rare intuition de effets de quasi pitrerie de l'allegretto con brio final,
qualifié par d'aucuns de musique Dada. Le trompettiste Timur Martynov, premier soliste de l'Orchestre du Mariinsky, lui donne une réplique acérée et, là aussi,
finement pensée. Le succès leur fera bisser le dernier mouvement.
Orchestre
du Théâtre Mariinsky / DR
La Quatrième symphonie concluait le concert. Complété en 1936, elle ne sera créée que bien plus tard,
en 1961, par Kyrill Kondrachine.
Son gigantisme n'a d'égal que son étrangeté. Cette dernière, Gergiev l'explicite, offrant même une interprétation plus
quintessenciée que celle donnée naguère au Châtelet. La manière est plus
affirmée dans les contrastes : un tranchant presque agressif, dans les sforzandos des percussions par exemple, un lyrisme vraiment
exacerbé. L'organisation labyrinthique des diverses épisodes de l'immense
premier mouvement est décryptée, rendant accessible l'étourdissante profusion
des séquences où désolation se conjugue avec humour. Le scherzo ne relâche pas
la tension, mais la déplace dans le domaine de l'excentrique. Le finale nous
immerge dans un pessimisme viscéral, à l'aune d'une marche funèbre digne de
Mahler, d'harmonies grotesques rappelant l'opéra Le Nez, et surtout
d'une coda proprement inouïe, conduisant peu à peu à la désintégration de la
matière sonore et au néant. Une bonne minute de silence suivra cet achèvement,
avant l'ovation de l'auditoire.
Le troisième concert offrait
les symphonies N° 6 et N° 10, entourant le Premier concerto pour violoncelle.
Là encore, les contrastes sont saisissants entre les œuvres, et quant à
l'interprétation. La Sixième symphonie (1939) n'échappe pas à la passion
irrépressible qu'éprouve Chostakovitch pour le tragique. Illustrée, ici, au fil
de trois mouvements, d'inégale durée, du plus lent au plus rapide. Du vaste
largo, Gergiev peaufine les incessantes modulations
et l'envoûtant solo de la flûte, sur une pédale des cordes graves ou un
bruissement des violons. Les deux séquences suivantes dévoilent des visions
fantastiques et une vivacité incisive, empreinte d'une légèreté presque
opératique. Première pièce écrite à l'intention de Mtislav Rostropovitch, qui en rêvait, le Concerto pour violoncelle op. 107, de
1959, devait se ressentir des talents hors nomes de son dédicataire, tout comme
de l'admiration que Chostakovitch portait à la Symphonie concertante pour
violoncelle de Serge Prokofiev. L'interprétation qu'en propose Gautier Capuçon est intéressante en ce qu'elle asservit la faconde
virtuose spectaculaire inhérente aux traits rapides et installe dans les
moments élégiaques un ton chambriste, de quasi confidence. C'est immédiatement
perceptible dans l'allegretto, en forme de scherzo, qui débute l'œuvre, sur la
signature musicale du compositeur, les quatre notes DSCH, avec ses traits
rapides sollicitant le registre aigu du violoncelle. Le soliste dialogue aussi
avec le cor, un des instruments favoris du musicien. La souveraine mélodie qui
orne le moderato, Gautier Capuçon l'installe dans un
fascinant climat assagi, que le dialogue avec le célesta rend peu à peu plus
dramatique. La cadence qui suit, parée de pianissimos envoûtants, conduit
directement au finale, aux nombreux rebondissements spectaculaires. Voilà sans
doute une autre manière, que celle de l'interprète créateur, d'aborder cette
pièce, mais totalement convaincante. L'accompagnement attentionné de Gergiev y est aussi pour beaucoup, qui enveloppe son
soliste des sonorités diaprées.
Gautier Capuçon / DR
Avec la Dixième symphonie (1953),
Chostakovitch rompait un silence de quelque huit années dans ce genre musical.
Peut-être attendue avec trop d'impatience, elle valut à son auteur autant de louanges
dithyrambiques que de critiques acerbes et devint objet de polémique. Et
pourtant, elle paraît l'une des plus directement abordables. Pour l'anecdote,
c'est la seule qu'ait jamais dirigée Herbert von Karajan. Gergiev la voit comme une longue coulée tragique,
n'éludant pas le sentiment d'accablement, voire d'oppression qui suinte partout
: climat de désolation du moderato initial, que les traits acérés de la petite
flûte rendent plus amers encore, allure motorique de
l'allegro suivant qui s'emballe telle une machine infernale, matériaux
glissants au troisième mouvement, vrai écrasement sonore, où le solo du cor
renchérit en pessimisme. Le finale, Gergiev en
accentue on ne peut plus les oppositions entre ses deux parties : un andante
déchirant qui, soudain, libère des forces énergiques très heurtées, mais
traversées de quelque lueur d'espoir. En effet, c'est le personnage de Staline
que le compositeur a voulu saisir. Mais la résolution des conflits que signe la
coda, est-elle si claire ? Gergiev nous laisse en
douter, tout comme le sphinx Chostakovitch.
Jean-Pierre
Robert.
Le Beethoven du Quatuor Hagen ou comment tutoyer la perfection
Hagen Quartett / DR
Peu de Quatuors peuvent
aujourd'hui s'honorer de la célébrité des Hagen. Depuis plus trente ans, ils
tissent avec le grand répertoire des liens indissociables. Avec Beethoven en
particulier dont ils auront, tout au long de l'année 2013, remis sur le métier
l'intégrale des quatuors, dans les grandes capitales musicales. A Pleyel, ils
donnaient, en décembre, le second volet de cette somme. A l'évocation de ces
moments privilégiés, les superlatifs se bousculent sous la plume : un fini
instrumental alliant une sonorité quasi immatérielle et un modelé exemplaire,
car chacun est un instrumentiste hors pair, une cohésion fervente, une absolue
rigueur teintée de souplesse, le sens infaillible des proportions, dans les
crescendos par exemple, des couleurs inouïes, notamment les pianissimos, d'une
douceur impalpable. Et par dessus tout, un jeu qui ne se satisfait pas d'une
froide perfection, mais respire la spontanéité qui guide par la main l'auditeur
à la redécouverte de ces chefs d'œuvre. Leur apparente impassibilité traduit à
peine l'agitation intérieure qui parcourt chaque exécutant confronté au vertigineux,
au génie effrayant qu'est Beethoven. Les Hagen sont parvenus à ce stade de leur
déjà longue carrière, cette trentaine où certains se posent la question de
s'arrêter, à un niveau d'épanouissement qui les place au rang de primus inter pares. Le « découpage » par concert,
aussi arbitraire soit-il, réserve parfois des surprises. Ainsi la première
séance de cette série présentait-elle le premier et l'ultime quatuor du maître
de Bonn.
Avec les six pièces de l'opus
18, Beethoven se satisfait encore des cadres anciens, mais on perçoit déjà ce
qui le différencie de ses illustres prédécesseurs : un élargissement de la
forme, une objectivité qui annonce par moment cet aspect elliptique qui
caractérisera les œuvres plus tardives, une formidable virtuosité d'écriture et
une suprême maîtrise du rythme. L'opus 18, N° 1 se distingue par son adagio,
douce plainte exhalée par le premier violon, et un énergique finale. Le N°3, en
fait le premier composé, brille par l'équilibre des parties et la prédominance
laissée au premier violon, ici l'archet souverain de Lukas Hagen enluminant la
poésie rêveuse de l'allegro initial. Le presto final sera empreint de furia.
C'est aussi, et plus qu'ailleurs, à l'auteur de Don Giovanni que
Beethoven rend hommage dans l'opus 18 N°5. La dette est ici le quatuor K 464,
l'un des quatuors « dédiés à Haydn ». La boucle est bouclée ! La belle mélodie
méditative du premier mouvement, la tendresse du menuetto et son adorable trio, le thème et variations de l'andante cantabile, le finale
nonchalant et pourtant rafraichissant, tout cela, avec les Hagen, coule de
source. Mais la perfection sait encore se hisser plus haut : l'un des sommets
de ces concerts restera, sans conteste, l'exécution de l'opus 59 N° 1, premier
des trois Quatuors dédiés au comte Razoumovski. On a parlé à son propos
d'ampleur quasi symphonique, mais aussi de longueur et de difficulté.
L'interprétation des Hagen en aura révélé l'absolue magnificence, au-delà de
toute espérance. Le vaste allegro initial introduit, selon Romain Rolland,
« d'étranges failles de la pensée », bousculant la logique, de par la
fragmentation du discours et ces mutations inattendues qui traversent une
réflexion se construisant peu à peu. Le violoncelle tient un rôle éminent,
inédit, et Clemens Hagen y est merveilleux. Ce même instrument est encore mis à
rude épreuve dans l'allegretto qui suit. L'adagio acquiert une densité inouïe
dans sa transparence, et ouvre la voie au chant à l'état pur. Le finale se vit
tourbillonnant, emportant dans son impressionnante faconde le fameux
« thème russe ». Une exécution proprement miraculeuse.
DR
Des cinq derniers quatuors,
l'op. 127, le 12 ème,
est peut-être le plus serein de la série qu'il inaugure. En tout cas le plus
aisé à pénétrer. Le « récitatif musical continu » dont parle Romain
Rolland, est là. Et cette modernité qui dérouta tant ses premiers auditeurs. On
les comprend, car elle a franchi les âges, et au-delà du romantisme, aura pour
lointains mais naturels successeurs les compositeurs de XX ème siècle. La présente
exécution, au-delà de sa perfection technique, démontre combien Beethoven s'est
affranchi des cadres anciens et inaugure une succession de moments
psychologiques et une vraie dramatisation du discours : pas tant l'abstraction,
dont on parle souvent, mais une vie intérieure que l'aspect visionnaire ne doit
pas masquer. Ainsi de l'adagio, vaste épanchement au fil de variations à partir
d'un thème ample. Le lyrisme est porté haut ici. Comme est distillée l'extrême
vivacité du scherzo, haletant, voire fougueux lors du trio presto. Dans le
finale, bardé d'imprévus, les quatre musiciens se lâchent, nous étourdissant
d'un geste comme cravaché. On ne les sent nullement atteints, en apparence, par
la fatigue et le choc émotionnel consistant à avoir enchaîné, en deux séances
consécutives, six compositions aussi exigeantes.
Jean-Pierre
Robert.
Les Puritains s'en reviennent sur la scène parisienne
Vincenzo BELLINI : I Puritani. Opéra en trois actes. Livret
de Carlo Pepoli, d'après la pièce Têtes rondes et
Cavaliers de François Ancelot et Xavier Boniface Saintine. Maria Agresta, Dmitri Korchak, Mariusz Kwiecien, Michele Pertusi, Luca Mombardo, Andrea Soare, Wojtek Smilek. Orchestre et Chœur de l'Opéra National de Paris, dir. Michele Mariotti.
Mise en scène : Laurent Pelly.
©
ONP / Andrea Messana
Dernier opéra de Bellini, Les
Puritains ont été écrits pour la scène parisienne et créés en 1835, au
Théâtre-Italien, avec un fameux quatuor vocal, la soprano Giulia Grisi, le ténor Rubuni, le baryton Tamburini et la basse Lablache,
le nec plus ultra du moment. S'il s'est maintenu au répertoire, c'est
assurément au rôle de la soprano qu'il le doit : ressuscité par Maria Callas en
1949, la postérité le verra défendu, entre autres, par Joan Sutherland,
Montserrat Caballé, June Anderson, Edita Gruberova, et plus récemment, Anna Netrebko,
en 2007, au MET. Pour cet ultime opus, et morceau de l'histoire anglaise du
XVII ème siècle, Bellini et son librettiste
s'inspirent directement d'une pièce française « Têtes rondes et Cavaliers »,
de la paire Ancelot et Saintine,
et indirectement du roman de Walter Scott, « Old Morality ». Où sur fond de guerre civile entre
républicains, les Puritains de Cromwell, et royalistes, les Cavaliers, fidèles
aux Stuart, Elvira, la fille d'un partisan des révoltés, va vivre le calvaire
d'un amour impossible pour Arturo, un Cavalier, lequel est favorisé par un
oncle bienveillant qui déjoue les plans paternels d'union avec le puritain
Riccardo. Mais la présence d'une autre femme, l'épouse et veuve du roi,
qu'Arturo veut loyalement protéger, contrecarre ces perspectives. Se croyant
trahie, elle en perd la raison, comme bien de ses consœurs bel cantistes, avant de reprendre ses esprits à l'annonce de
l'amnistie suite à la défaite de Stuarts. Contrairement à ce qu'on attendrait
d'une telle intrigue, l'opéra s'achève ainsi par un lieto fine, rien ne s'opposant à la réunion des deux amants. Reste que la vis dramatica n'est pas toujours aisée à suivre : plus d'une
situation ne brille pas par sa clarté, pour ne pas dire frôle
l'invraisemblance, à tout le moins le convenu. Laurent Pelly ne l'élude pas. Il prend même le parti du clin d'œil à la convention, croquant
des personnages qui volontairement ne sortent pas du cadre stéréotypé, telle
cette héroïne qui devient un peu vite folle lorsqu'elle voit ses désirs
amoureux ruinés. Il traite le chœur de façon fort originale : escouade de
hallebardiers galopant au pas cadencé, femmes tournant sur elles-même comme des toupies, bonshommes ne se départissant pas
d'un flegme tout britannique avec gestuelle comptée. Pelly les anime imperceptiblement, qui d'un geste minuscule, qui d'un tournoiement de
tête, qui d'une posture légèrement empruntée. Ce qui créé une agréable
impression de mouvance. Celle-ci est générée également par la décoration, fort
épurée, qui fait le choix de l'allusion : le château fort écossais ne sera pas
construit, mais stylisé telle une maquette géante toute de fer forgé, qui
tournant sur elle-même, dégage de multiples perspectives. Pelly osera même le plateau entièrement vide, lors du deuxième acte, qui voit les
deux amis Riccardo et Giorgio renchérir en matière d'honneur patriotique.
L'esthétisme est au premier plan : couleurs de camaïeux gris avec de discrètes
touches violines dans les costumes, d'une époque à peine suggérée, et
traitement de la lumière, pareillement très travaillée, avec basculement
d'intensité lors de certaines scènes intimistes. Une vision plus subtile qu'il
n'y paraît, même s'il lui manque cette ultime touche de vie qui émeut.
©
ONP / Andrea Messana
Le jeune chef Michele Mariotti, actuellement en
poste à Bologne, ne cherche ni l'éclat, ni le fracas sonore. Son souci est
plutôt et avant tout la mélodie, ce cantabile lent et doux, nimbé de
mélancolie, qui distingue la musique de Bellini. On le sent concerné moins par
le pathos que par la richesse des harmonies qui voit l'introduction de cors,
trompettes, et de tambours, en particulier dans les passages chorals. Une
richesse dans l'orchestration bellinienne qui va
encore plus loin que dans Norma ou La Sonnambula.
Et surtout, par l'originalité de l'instrumentation qui fait la part belle aux
bois, dans plus d'une page. Son orchestre fuit le grandiloquent et refoule
l'anguleux, au profit d'une coulée lyrique opalescente. Reste qu'un supplément
de chaleur, à l'occasion, eût sans doute renforcé le dynamisme du discours,
dans les ensembles notamment, et affirmé la crédibilité dramatique musicale
par-delà l'empreinte scénique. Mais le soutien aux chanteurs est indéniable.
Deux voix graves dominent une distribution homogène : Mariusz Kwiecien, Riccardo Forth, beau timbre de baryton doté d'une
quinte héroïque remarquable, et Michele Pertusi, Sir Giorgio, basse claire et ductile dans la ligne
de chant. Le long échange et la cabalette qui marquent
la fin du II ème acte, est un moment de vocalité
expressive revigorante. Confronté à la partie ingrate d'Arturo, déséquilibrée,
car le personnage est absent de la scène tout le deuxième acte, et terriblement
exigeant, puisque taxé au finale de contre Ut percutants, lors d'une romance
difficile, le ténor russe Dmitri Korchak assume. Reste que le style demeure effleuré et que le registre aigu est traité
plus en force qu'en grâce. Maria Agresta, si elle n'a
pas (encore) l'aura des grandes titulaires du rôle d'Elvira, n'en possède pas
moins la ressource vocale : après un début précautionneux, sa prestation
augmente en intensité et ne manquera pas de panache dans les acrobaties des
deux airs « de folie ». On admire le legato, l'ampleur du trait, et
un engagement certain. Reste à souhaiter que cette artiste, encore à l'orée de
la carrière, ne cède pas trop vite aux sirènes des engagements empilés en tous
sens.
Jean-Pierre
Robert.
Un inédit : Manfred en version scénique
Robert SCHUMANN : Manfred. Poème
dramatique en trois parties de Lord Byron, op. 115. Pascal Rénéric,
récitant. Astrid Bas. Anneke Luyten,
Sarah Jouffray, Olivier Dumait,
Norman Patzke, Luc Bertin-Hugault,
Geoffroy Buffière, Cyrille Gautreau.
Les Eléments. La Chambre Philharmonique, dir.
Emmanuel, Krivine. Mise en scène : Georges Lavaudant.
© Julien Etienne
Manfred est assurément une
œuvre singulière. Ni oratorio, ni musique de scène, encore moins opéra. A partir
du texte de Lord Byron, qui abhorrait l'idée même de théâtre, Schumann qui
n'aspirait qu'à l'opéra, imagine un « poème dramatique avec musique », en
forme de mélodrame, mêlant donc texte parlé et musique. Il sera créé à Weimar,
en 1852, grâce aux bons offices de l'ami Liszt. Tout comme Faust, Manfred
s'élève au niveau du mythe, quasi prométhéen, véhiculant le thème du remords,
de la volonté de se punir soi-même. Acteur de ses propres souffrances,
inconsolé de la disparition d'une bien aimée, Astarté,
Manfred ne songe qu'à la mort : « rien ne peut bannir d'un esprit libre
l'envie de se châtier soi-même », dit-il. Un théâtre intérieur donc, à
l'aune de la propre personnalité de Schumann, être angoissé et en proie au
sentiment de culpabilité. Astarté n'est-elle pas cette sœur aînée disparue par
suicide ? Schumann a pourvu le texte de Byron d'une atmosphère fertilisant
l'imagination : une Ouverture, fort développée, suivie de quinze numéros dont
la partie déclamée est nettement plus développée que celle dévolue à la
musique. Cette dernière intervient seule, en entracte symphonique, ou
accompagnant le mélodrame. Présenter scéniquement cette composition inclassable
semble tenir de l'impossible. Relevant le défi, Georges Lavaudant et Emmanuel Krivine se sont tournés vers la version
conçue par Carmelo Bene à La Scala en 1978, consistant à intriquer adroitement
texte et musique. L'Ouverture est ainsi habilement placée après une première
tirade de Manfred. L'acteur incarnant celui-ci se voit confier les autres rôles
masculins, dont celui de l'abbé de Saint-Maurice, venu exhorter, en vain, le
héros au pardon et à la pénitence et lui promettre l'absolution. Et qui se voit
répondre, crânement « j'ai moi-même causé ma perte et je veux être mon
propre bourreau ». Car Manfred entend rester libre et maître de son
destin. Il refusera de se soumettre : « Il n'est pas si difficile de
mourir » lâche-t-il dans un dernier sursaut. Un bref chant de requiem
viendra proposer une conclusion rédemptrice, ajoutée par Schumann au texte de
Byron.
©
Julien Etienne
La réalisation est sobre,
suggérant plus qu'elle ne souligne, telle cette évocation minimaliste du
tableau fameux du « Voyageur au-dessus des nuages » de Friedrich Caspar David. Le climat est sombre, à l'image du héros dont
le pessimisme lui laisse si peu entrevoir la lumière, celle des beautés de la
nature. L'espace scénique est abstrait, quelques projections offrant un essai
de visualisation tandis que des éclairages blafards tentent de réchauffer des
images magiques, comme celle fugace, en noir et blanc, de l'aimée. La régie
sévère s'autorise des effets de symétrie. De bout en bout est-on plongé dans
l'enfer irrémédiable que s'impose le héros. Celui-ci, Pascal Rénéric le vit intensément. Il tient à lui seul le
spectacle qu'il élève au rang de vraie tragédie, fier, orgueilleux, beau
solitaire. Sa collègue Astrid Bas paraît plus détachée. La contribution vocale
est des plus adéquates, dont il faut distinguer les brèves interventions du
chœur Les Éléments. Unissant des parties disparates, la musique, hélas
fragmentaire de Schumann trouve en Emmanuel Krivine un excellent avocat : truffée de motifs conducteurs et d'idées fixes, mais
aussi de trouvailles étonnantes, tel le solo de cor anglais, figurant un ranz
alpin. Les instruments anciens de La Chambre Philharmonique sonnent un peu fort
par endroit. Belle initiative en tout cas d'avoir exhumé cet improbable chef
d'œuvre.
Jean-Pierre
Robert.
Laurent Pelly revisite Les contes
d'Hoffmann à l'Opéra de Lyon
Jacques OFFENBACH : Les
Contes d'Hoffmann. Opéra-comique fantastique en cinq actes. Livret de Jules
Barbier. John Osborn, Patrizia Ciofi,
Laurent Alvaro, Angélique Noldus, Cyrille Dubois,
Peter Sidhom, Christophe Gay, Carl Ghazarossian, Marie Gautrot.
Orchestre et Chœurs de l'Opéra de Lyon, dir. Kazushi Ono. Mise
en scène : Laurent Pelly.
©Jean-Pierre Maurin
Les Contes d'Hoffmann sont
au nombre des pièces fétiches de l'Opéra de Lyon. C'est en effet avec l'ultime
opéra-comique d'Offenbach que sera inaugurée la nouvelle salle due à Jean
Nouvel en 1993, dans une mise en scène, et une version édulcorée, de Louis Erlo, De nouveau à l'affiche, quelque dix ans plus tard, la
régie en était confiée à Laurent Pelly. C'est cette
production qui est maintenant reprise. Dans le maquis des éditions existantes,
on a fait choix de la version en cinq actes, et avec les dialogues parlés.
Celle quasi complète - du moins en l'état actuel de la question, moult fois
remise sur le métier - élaborée par Jean-Christophe Keck,
et « crée » par Marc Minkowski, en 2003, donnée par celui-ci en
dernier lieu Salle Pleyel, l'année passée (cf. NL de janvier 2013). Ces contes
drolatiques fertilisent l'imagination. Laurent Pelly décline un monde de l'étrange, crépusculaire, à l'aune du cauchemar que vit le
héros, emporté par la passion de son récit, tout droit sortie de la plume du
poète Hoffmann, démiurge du drame qu'il écrit, acteur de sa propre histoire :
ses amours malheureuses pour la cantatrice Stella, dont les trois héroïnes,
Olympia, Antonia et Giulietta ne sont que les
métamorphoses. Il l'explicite par un savant jeu de construction, des panneaux
mobiles dessinant des lieux divers et improbables, la taverne du Prologue et du
finale, les recoins d'un palais vénitien pour l'acte de Giulietta.
La décoration se fait plus structurée aux deux autres actes. Celui d'Olympia
figure l'intérieur d'un cabinet tenant de l'antre de Jules Verne plus que de la
grotesque officine, souvent représentée, du physicien Spalanzani.
L'objet des recherches de celui-ci, une poupée automate, est visualisé de
manière spectaculaire : juchée sur une sorte de catapulte qui la propulse en
tous sens, elle va souffrir des sauts vertigineux durant le fameux air
« Les oiseaux dans la charmille ». Ingénieuse idée, suffisamment
extraordinaire pour capter l'attention des invités de la fête et retenir celle
des spectateurs, assurés d'assister là à un des clous de la soirée ! Mais on
frémit de crainte à l'endroit de la pauvre chanteuse, baladée de la sorte,
alors qu'occupée à d'autres périlleuses pyrotechnies vocales ! L'acte
d'Antonia, emprunté au récit « Le violon de Crémone », est sans doute
le plus élaboré : une chambre minuscule, claquemurée, puis un escalier
desservant les divers étages de la demeure du riche Conseiller Crespel. Les tribulations du Dr Miracle donnent lieu à un
étonnant effet de tourbillon. Les références abondent, notamment au romantisme
allemand, mais revisité à l'aune d'un certain réalisme germanique. Les
péripéties vénitiennes du héros sont adroitement décryptées, en particulier
celle de la perte du reflet, éprouvée sur un immense miroir. Le regard incisif
de Pelly ménage des effets de symétrie, d'allers et
retours d'un personnage à l'autre, ou de correspondance entre situations. Pour
résoudre magistralement ces équations originales qui font, du rôle titre un
personnage doté du don d'ubiquité sous une même apparence, de la soprano quatre
personnifications d'une même femme, et de la basse une figure maléfique au
quadruple visage.
©
Jean-Pierre Maurin
L'orchestre de Kazushi Ono sonne avantageusement, en particulier dans les
solos instrumentaux, mais pas toujours subtil, en première partie notamment,
menée tambour battant. L'acte d'Antonia est plus pacifié. Peu de ténors
aujourd'hui peuvent s'enorgueillir de la maestria avec laquelle John Osborn s'empare du rôle titre. Voix de tête agréable,
quinte héroïque puissante, nuances piano, diction impeccable, même dans les
passages déclamés, il n'est pas de domaine où le ténor américain ne triomphe
avec aise. Sa silhouette jeune et romantique apporte un relief sans pathos au
personnage poursuivant sans cesse la même chimère, la même âme féminine, de
l'étudiant naïf, au jeune homme sensible, puis à l'homme mûr et peu
scrupuleux. Patrizia Ciofi se tire avec adresse du tour de force consistant à interpréter les quatre rôles
féminins, qui requièrent plusieurs voix de couleur différente. Son Olympia est
amusante, quoique un peu maniérée, nul doute du fait
du parti adopté par Pelly, et sans déchaîner le clin
d'œil gourmand comme le font d'autres interprètes. Elle est plus à l'aise dans
le registre tragique d'Antonia et dresse de Giulietta une composition impressionnante. De sa voix de stentor, Laurent Alvaro se
déjoue de la tétralogique incarnation des
« vilains », autre challenge de la pièce. L'air dit du diamant, donné
dans sa version alternative, bien plus intéressante que le traditionnel
« Scintille, ô diamant », restera un des moments forts de la soirée.
Sous un apparent détachement, la peinture est on ne peut mieux sardonique.
Passé un début précautionneux, Angélique Noldus révèle un talent sûr et intense dans la double incarnation de La Muse et de Nicklausse, qui dans cette version, se voient attribuer un
rôle très développé. A noter aussi la performance de Cyrille Dubois dans les
quatre rôles comiques, qu'il ne charge pas, et des Chœurs de l'Opéra de Lyon,
fort mis en avant par Pelly.
Jean-Pierre
Robert.
Intégrale
Chostakovitch à Pleyel : A la manière russe !
Valery Gergiev / DR
Deuxième épisode de l’Intégrale
Chostakovitch menée par Valery Gergiev à la tête de
ses troupes du Mariinsky de Saint Pétersbourg,
avec pour cette soirée deux œuvres majeures, bien différentes dans la forme,
mais très semblables dans l’esprit, par leur pessimisme absolu et la désolation
qui les habitent. La Symphonie n° 5,
contemporaine des grandes purges staliniennes, composée en 1937 dans la hâte,
mais surtout dans la crainte causée par les mises en garde du pouvoir et l’accusation de formalisme parues
dans la Pravda. Après le scandale de Lady
Macbeth de Mtsensk, suivi du retrait par le compositeur lui-même de la quatrième symphonie (1936) car
« la peur était partout, j’ai repris ma partition », la création de la cinquième symphonie par Mvravinsky prenait des allures de renoncement ambigu où se mêlaient soumission et ironie sarcastique. Une
œuvre en quatre mouvements, pour grand
orchestre, tonale, classique dans sa forme dont la signification profonde de
défi et d’interrogation douloureuse est constamment masquée par un faux
optimisme. Bien différente, la Symphonie
n° 14, créée en 1969 par Rudolf Barchaï, est une
œuvre atypique dans sa forme en 11 mouvements, symphonie vocale pour soprano,
basse et orchestre de chambre, échappant souvent à la tonalité au profit du
dodécaphonisme, élaborée sur des textes de Garcia Lorca, Apollinaire, Küchelbecker et Rilke, tout un cycle poétique autour de
l’idée obsessionnelle de la mort. Deux compositions dissemblables utilisant
toutes les ressources de l’orchestre en terme de
sonorité, de cohésion, tout en fournissant au chef d’orchestre une grande
liberté d’interprétation. Valery Gergiev ne s’en
priva pas pour notre plus grand bonheur !
En matière d’interprétation des œuvres de
Chostakovitch, deux grandes visions semblent faire autorité : une lecture
plus policée, moins historique, moins engagée favorisant « le beau
son » sans référence aux circonstances de création, plus apollinienne qui
est celle des orchestres occidentaux et de chefs comme Haitink, Jansons et autres Welser-Möst…A
l’inverse, une lecture plus âpre, plus noire, plus désespérante et engagée,
plus ambiguë et sarcastique, plus dionysiaque, qui est celle des Russes, dans
la lignée de Kondrashin et Mvravinski,
et aujourd’hui de Gergiev. Ces deux monuments
symphoniques bénéficièrent de la part du chef ossète d’une interprétation
d’anthologie, digne des plus grands, tant par la sonorité orchestrale obtenue,
que par la lecture emplie de finesse et d’intelligence. La Quatorzième, en ouverture de concert, fut menée dans un climat de
désolation suffocante, parfaitement servie par Mikhail Petrenko et Veronika Djoeva. Petrenko, probablement la
basse la mieux en mesure, actuellement, de chanter cette œuvre difficile par
son émission aisée, sa diction claire, sa présence scénique donnant au De profundis inaugural une profondeur
d’outre tombe. Pour chacune de ses parties comme pour le duo de la Loreley, Veronika Djoeva fut également
totalement convaincante, associant un timbre d’une très belle rondeur, sans
aucun vibrato, une puissance adéquate et un engagement généreux, tour à tour
douloureux ou halluciné. Les cordes et les percussions du Mariinsky furent rarement à une pareille fête, qu’il s’agisse du violon solo grinçant à
souhait, du violoncelle solo merveilleusement lugubre ou du tutti développant
une danse macabre suivant une progression implacable, animée par un sentiment
d’urgence et rythmée par le glas des percussions. Après la pause, la Cinquième, dirigée par Gergiev sans partition (fait suffisamment rare pour être
signalé !) fut, là encore, l’occasion d’apprécier l’importance du travail
de mise en place, la précision de la direction utilisant une gestuelle très
réduite, dans une vision d’une réelle pertinente, où le chef préféra
l’expressivité à une vaine rugosité, choisissant des tempi relativement
soutenus, favorisant les contrastes, travaillant les timbres, contrôlant toutes
les entrées, pour un discours juste et d’une rare clarté. Du très beau travail,
un Chostakovitch parfaitement rendu dans la note comme dans l’esprit. Suite et
fin de cette intégrale les 16, 17 et 18 février 2014. Un rendez vous à ne pas
manquer !
Patrice Imbaud.
Musique sacrée à Notre-Dame de Paris : Les Vêpres de la Vierge Marie
de Philippe Hersant.
Philippe HERSANT : Les Vêpres de la Vierge Marie. Robert Getchell,
ténor, Alain Buet, basse. Olivier Latry,
grand orgue, Yves Castagnet, orgue de chœur. Ensemble
Les Sacqueboutiers. Maîtrise de Notre-Dame de Paris, dir.
Lionel Sow.
DR
Ce concert de clôture de la saison
2012-2013, célébrant le 850e anniversaire de Notre-Dame de Paris, était
consacré à la création, en première mondiale, de la dernière œuvre sacrée du
compositeur contemporain Philippe Hersant (*1948) dont l’œuvre chorale est déjà
connue et appréciée, ce dont témoigne son dernier disque Clair Obscur, pour viole de gambe et chœur a capella. Cette
création contemporaine répondant, en miroir, aux Vêpres de Claudio Monteverdi, qui avaient ouvert cette saison
anniversaire. Deux œuvres incontournables désormais, celle de Monteverdi,
indiscutable tournant de l’histoire de la musique, particulièrement indiquée en
cette année de jubilé, et celle de Philippe Hersant, comme un point d’orgue de
ces célébrations, ancrant la cathédrale parisienne dans le XXIe siècle. Une
œuvre sacrée contemporaine comprenant trois grandes parties, introduite chacune
par une toccata instrumentale. La première partie correspondant à l’Invitatoire, l’Ave Maris Stella et au Psaume 121, la seconde partie au Psaume 126 et au Cantique de
Saint Paul aux Éphésiens, la troisième au Magnificat. Une composition nécessitant un grand effectif vocal
avec chœur d’enfants, auquel s’associent cloches, cuivres anciens, deux
solistes et deux orgues, dans une architecture mouvante capable de spatialiser
le son, donnant par cela un rôle important à l’espace, et favorisant comme le
souhaitait Saint Bernardin de Sienne, « la venue de l'Éternité dans le
temps, l’Impalpable dans le tangible, l’Immensité dans la mesure… ». Une
belle œuvre en demi-teinte, correspondant à l’office du soir, d’où peut-être
cette coloration crépusculaire, en clair obscur, témoignant d’une ferveur toute
intériorisée, se concluant sur l’Amen du Magnificat où resplendit enfin
toute la lumière de la foi et du culte marial, auréolant l’image de la Vierge
Marie.
Patrice Imbaud.
Lionel Bringuier : Par la grande porte !
Lionel Bringuier / DR
Lionel Bringuier,
futur directeur musical du Tonhalle Orchester de Zürich, à la tête du « Philhar », voilà une habitude qui se perpétue,
toujours avec le même bonheur, tant est grande l’empathie existant depuis des
années entre le jeune chef français et l’orchestre parisien. Devant la promesse
d’une soirée musicale réussie, le public s’était déplacé nombreux pour ce
concert de musique française : Dukas, Saint-Saëns et Ravel. Trois œuvres
aux orchestrations très abouties, L’Apprenti
sorcier, le Concerto n° 3 pour violon et Les Tableaux d’une exposition, capables de faire briller le « Philhar » de tous ses feux, par le foisonnement des
timbres et la sollicitation importante des vents. L’Apprenti sorcier (1897), poème symphonique célébrissime de Paul
Dukas (1865-1935), tiré d’une ballade de Goethe et immortalisé par Fantasia de Walt Disney, dont Bringuier sut rendre tout le brillant orchestral, la rigueur de construction et la clarté par une direction précise et
pleine d’allant, entraînant l’orchestre dans un vertige musical n’ayant rien à
envier aux tourbillons d’eau cauchemardesques du dessin animé. Vint ensuite le
non moins célèbre Concerto n° 3 pour
violon (1880) de Saint-Saëns (1835-1921). Ce concerto, dédié à Pablo
de Sarasate, qui en assura la création, est une œuvre virtuose nécessitant une
grande pureté d’émission de la part de l’instrument soliste. Renaud Capuçon en donna une lecture un peu grossière, toute dans
l’apparence, peu dans le ressenti, favorisant avec une certaine complaisance le
beau son un peu ostentatoire aux dépens de la précision du toucher. Ces
réserves mises à part, le mouvement lent fut l’occasion d’un sublime dialogue
entre violon et bois. Après la pause, ce furent les Tableaux d’une exposition de Moussorgski (1839-1881), orchestrés en
1922 par Ravel, grande pièce orchestrale témoignant d’une science raffinée de
l’orchestration, utilisant tous les timbres de l’orchestre : trompette claironnante inaugurale, reprise par la
douceur du cor auquel répondent les aigus successifs des bois et le mystère du
saxophone, sans oublier cordes, harpes et percussions. Le « Philhar » répondit avec brio à chacune des
sollicitations du chef, avec un évident plaisir de jouer ! Un très beau
concert qui permit au jeune chef français se sortir triomphant par la grande
porte ! De Kiev, évidemment ! Qui fut « bissée ».
Patrice Imbaud.
Boris Berezovsky et Henri Demarquette : L’accord parfait !
DR
L’accord était parfait entre le jeu sobre
et solide du pianiste russe, Boris Berezovsky et le
toucher brillant, parfois même un peu maniéré, du violoncelliste français Henri Demarquette. Un programme copieux et varié pour ce
concert au Théâtre des Champs-Elysées, associant Mendelssohn, Britten,
Rachmaninov et Grieg, toutes occasions de faire montre de la qualité
superlative de ce duo, déjà habitué à se produire depuis plusieurs années. En
ouverture, la Sonate n° 2 pour
violoncelle et piano de Mendelssohn (1809-1847), romantique à souhait,
hardie et sensuelle, composée en 1842-1843, fut menée avec allant, de façon à
la fois claire, juste et inspirée. La Sonate
op. 65 de Britten (1913-1976), composée en 1961, dédiée à Mtislav Rostropovitch lui succéda. D’un climat bien
différent, il s’agit d'une œuvre follement virtuose, où les deux
instrumentistes purent s’installer tout au long des cinq mouvements qui la
composent, dans un véritable dialogue équilibré, explorant toutes les
possibilités techniques et acoustiques du violoncelle (Goffredo Cappa de 1697). Après la pause, la célèbre Vocalise de Rachmaninov (1873-1943), composée en 1912, dernière des 14 Romances écrites pour piano & soprano ou ténor, maintes fois
transcrite pour de nombreux instruments et notamment le violoncelle, qui trouva
là l’opportunité de réaffirmer toutes ses analogies avec la voix humaine. Enfin
pour terminer ce beau programme, magistralement interprété, la Sonate op. 36 de Grieg (1843-1907),
composée en 1883 et dédiée au frère du compositeur, chargée de tension et d’urgence
dans un difficile équilibre entre la sobriété du piano et la véhémence du
violoncelle dont la magnifique sonorité s’éleva dans une complainte passionnée
et élégiaque vers le public conquis ! Trois bis généreux :
Rachmaninov, Massenet et Piazzolla pour conclure cette belle soirée.
Patrice Imbaud.
Dialogues de Carmélites au
Théâtre des Champs-Elysées : Bouleversant !
Francis
POULENC : Dialogues des Carmélites. Opéra
en trois actes. Livret de Francis
Poulenc d’après la pièce éponyme de Georges Bernanos. Patricia Petibon, Sophie Koch, Véronique Gens, Sabine Devieilhe, Rosalind Plowright, Topi Lehtipuu, Philippe Rouillon,
François Piolino. Chœur du Théâtre des
Champs-Elysées. Philharmonia Orchestra, dir. Jérémie Rohrer. Mise en
scène : Olivier Py
© Vincent Pontet/Wikispectacle
Après les mises en scène contestées, sinon
contestables, d’Alceste de Gluck à
l’Opéra Garnier et d’Aïda de Verdi à
l’Opéra Bastille, il est absolument certain qu’Olivier Py fera l’unanimité avec cette nouvelle production, magistrale et bouleversante,
des Dialogues des Carmélites de
Francis Poulenc. Une mise en scène en effet impressionnante et intelligente,
loin de toute grandiloquence mystique ou de tout prosélytisme militant, pour
une œuvre d’exception, tant par sa qualité musicale, que par sa diversité
stylistique, ou par la parfaite adéquation entre prosodie et musique voulue par
Poulenc. Olivier Py a choisi pour ce douloureux
parcours de Sœur Blanche, une mise en scène dépouillée, sobre comme il convient
à ce long chemin de croix qui ne trouve pas sa voie. Ce long et difficile
cheminement, terriblement humain, qui passera par le renoncement et la peur,
avant de trouver sa route par l’acceptation du don et du martyr. Guidée par ce besoin de Dieu prégnant qui
caractérise la foi, Blanche de la Force franchira toutes les étapes de ce
parcours initiatique qui la conduira à la rédemption libératrice, liberté et
égalité en Dieu et par Dieu. Pour ce beau sujet, le Théâtre des Champs-Elysées
a mobilisé toutes ses forces : plateau vocal de haut niveau, orchestre
londonien comptant parmi les meilleures phalanges européennes, chef reconnu
dont la notoriété ne cesse de croître, et metteur en scène dont on ne compte
plus, depuis une quinzaine d’années, les triomphes opératiques. Le résultat
fut, on en conviendra, à la hauteur de nos plus hautes espérances pour cette
œuvre composée en 1953-1956, créée à la Scala en 1957 dans une version
italienne, reprise à l’Opéra de Paris en juin de la même année, avec une
distribution associant Denise Duval, Régine Crespin, Rita Gorr, Denise
Charley et Liliane Berton.
© Vincent Pontet / Wikispectacle
Une mise en scène convaincante de bout en
bout tant sur le plan esthétique que sur celui de la direction d’acteur. Une
scénographie qui évoluera avec le temps, depuis le jardin du carmel peuplé
d’arbres dépouillés comme autant d’axes du monde, vers une simple boîte de bois
figurant la clôture transpercée par une croix lumineuse du plus bel effet, sur
laquelle se détache la silhouette de Blanche ; une boîte qui deviendra par la
suite prison…De sublimes moments, de tension dramatique extrême, comme l’agonie
de la Première Prieure qui clôt le premier acte, qu’Olivier Py nous présente comme vue du dessus, mais surtout dans une position rappelant le
Christ en croix… Sans oublier ces mains tendues qui jamais ne se touchent dans
une impossible transmission de la grâce, ni les tableaux humains comme
l’Annonciation, la Nativité, la Cène ou la Crucifixion, qui ne sont pas sans
rappeler Fra Angelico, ou encore la scène finale toute occupée par une nuit
étoilée dans laquelle disparaîtront une à une les carmélites, au rythme du
couperet de la guillotine. Devant un tel spectacle, peu importe telle ou telle
imperfection du chant... Bien sûr que la voix de Rosalind Plowright (La Première Prieure) est en partie ruinée
avec des « passages » pour le moins houleux et difficiles, mais
quelle présence scénique, quel drame, quelle émotion à couper le souffle !
En matière de beau chant Véronique Gens (Madame Lidoine)
Sabine Devieilhe (Constance) Sophie Koch (Mère Marie)
et Patricia Petibon (Blanche) demeureront sans
reproches, parfaitement typées, vocalement et scéniquement, comme le souhaitait
Poulenc. Du côté des voix masculines, Philippe Rouillon (Le Marquis) et François Piolino (Le Père confesseur)
soutiendront largement la comparaison avec la distribution féminine. En
revanche, le Chevalier de Topi Lehtipuu fut un cran en dessous par son timbre vacillant et sa diction imparfaite
malgré, à l’évidence, de puissants efforts ! Jérémie Rohrer,
à la tête du Philharmonia Orchestra, donna sans
compter, comme le souhaitait Bernanos, rendant à la musique de Poulenc toutes
ses couleurs, alliant profondeur et légèreté. Le Salve Regina final chanté par le chœur des carmélites, se réduisant
peu à peu à la seule voix de Blanche montant sur l’échafaud, laissa la salle
sur une émotion palpable… avant que les applaudissements n’éclatent et se
prolongent. Une production qui restera dans les mémoires !
Patrice Imbaud.
© Vincent Pontet / Wikispectacle
Olivier Py a
brossé une épure. En homme de théâtre, c'est vers Bernanos que son regard nous porte. Sa régie joue la simplicité et
ne cherche pas à souligner ce qui dans le texte et la musique étreint
d'émotion. Une unité décorative la renforce, quelques éléments suggérant les
lieux, dont ce lustre grandiose pour la demeure du Marquis de la Force,
quelques chaises sobres pour les salles du carmel. Un continuum dramatique s'installe
qui l'amène à visualiser les interludes de manière évocatrice (la crèche, la
crucifixion, la Cène même), le personnage de Constance étant mis à chaque fois
en exergue. Le cheminement des sœurs vers le martyre, Py le détache de son environnement séculier : échos révolutionnaires lointains,
foule évacuée en dehors du plateau, quelque part côté salle ; là où, devant la fosse d'orchestre, Mère
Marie assistera à la montée de ses filles à l'échafaud. Le personnage de
Blanche est extrêmement travaillé, pétrie de force sous une apparente
fragilité, égarée dans la vie, mais mue par un désir intérieur sublime.
L'émotion vous empoigne dès les premières répliques entre une fille résolue et
un père qui ne voit pas, ou refuse de voir, la fin d'une époque. Combien pathétique
sera l'ultime rencontre avec un frère, tant désorienté par une si farouche
résolution qu'il quitte les lieux avant même que l'entretien ne soit terminé,
accentuant chez Blanche l'ébranlement intérieur. La scène où se retrouvant
servante, en proie aux avanies du monde, et du serviteur familial, qui prenant
sa revanche, ira jusqu'à la souffleter, frappe par son insondable douleur,
l'échange avec Mère Marie atteignant un paroxysme presque insoutenable. Par
contraste, du personnage de Constance émane la vulnérabilité d'une jeune âme,
pourtant en proie aux vraies certitudes. N'est-elle pas dégagée, plus que
Blanche, de cette peur qui fait peur ? La dernière scène parachèvera une
approche refusant tout pathos, la musique de Poulenc disant l'essentiel : les
sœurs, vêtues de bure blanche, s'en vont lentement vers la mort, seule
délivrance, défaisant peu à peu le demi cercle qui les
réunissait. Blanche apparaît soudain, furtivement, et rejoint Constance :
réalisation de cette phrase naguère lâchée par celle-ci en forme de prédiction
: « J'ai compris que Dieu me ferait la grâce de ne pas me laisser
vieillir, et que nous mourrions ensemble, le même jour ». Mise à part la
première Prieure, dont Rosalind Plowright laboure le texte lors de la scène de l'agonie, alors que la narration vocale
doit rester parfaitement audible, la distribution tient ses promesses. S'en
détache Patricia Petibon, Blanche, de la veine
inspirée d'une Denise Duval, sublimant les contraintes vocales et dramatiques
d'un rôle exigeant tout. Anne-Catherine Gillet est une Constance attachante
dans sa vraie-fausse ingénuité, et le soprano plus acidulé se différencie
agréablement de celui de sa collègue. Jérémie Rhorer mise sur une approche musicale vivement contrastée, âpre, voire tranchante
parfois. Mais la sincérité ne souffre pas question. Le Philharmonia est rien moins que somptueux, vérifiant ce constat que plus que tous autres,
les orchestres britanniques portent la fibre française au plus haut degré de
raffinement.
Jean-Pierre Robert.
« Les sanglots longs des
violons de l’automne blessent mon cœur d’une langueur monotone…. »
Andriss Poga / DR
Ces premier vers de Chanson d’automne de Paul Verlaine, parue dans Poèmes saturniens, résument, à eux seuls, cette malheureuse soirée
gagnée par une langueur croissante confinant rapidement à l’ennui. Une soirée
marquée tout d’abord par le malaise de
Mikko Franck, survenu quelques minutes avant son entrée en scène… remplacé au
pied levé, conjointement, par Andriss Poga, chef assistant de Paavo Järvi, et Philippe Aïche, premier
violon de l’Orchestre de Paris ! Après l’émoi faisant suite à la
défaillance subite du chef finlandais, les remplaçants trouvés, Phippe Aïche dirigeant le Concerto
pour piano n° 3 de Prokofiev et Andriss Poga la mythique Symphonie
n° 7 dite Leningrad de Chostakovitch, le concert pouvait alors commencer…
rapidement gagné par une langueur et un ennui grandissants dus, aux tempi d’une
incroyable lenteur menés par le chef letton, dans les deux mouvements centraux
de la symphonie, malgré la qualité incontestable de l’Orchestre de Paris (les
cordes superlatives et les bois excellents) réagissant a à la moindre
sollicitation d’Andriis Poga qui, quant à lui, dirigea de façon on ne peut plus claire et précise !
Seulement voilà… pas de tension, pas de drame ni de désolation dans cette
interprétation une fois de plus dans la note, mais non dans l’esprit !
Rien qui puisse faire penser à une symphonie de guerre composée en 1941, en
partie lors du siège de Leningrad, sous les bombes, dans l’angoisse et la
douleur. Chostakovitch, dans son entretien accordé à Volkov, jeune musicologue
passé à l’Ouest, insiste sur le caractère éminemment ambigu de cette œuvre
célébrée par le pouvoir stalinien, qui valut au compositeur de remporter le
prix Staline. Loin d’une œuvre de propagande, c’est au contraire une pièce
profondément subversive dénonçant l’idéologie gouvernementale, les enlèvements
policiers, les procès, le goulag, la mort ! On est à l’évidence à distance
de tout cela dans cette lecture au premier degré. « Je regrette que les gens ne comprennent pas
toujours de quoi il est question. Les symphonies n° 7 et n° 8 sont mon Requiem… », dira le compositeur. Le Troisième Concerto de
Prokofiev ne fut pas mieux loti, avec de nombreuses chutes de tension dans une
œuvre qui associe charme et brutalité, et malgré une interprétation
satisfaisante du pianiste Alexander Toradze,
spécialiste de Prokofiev. Bref, une soirée pour le moins perturbée ! Ne
tirons pas sur l’ambulance et remercions sincèrement Philippe Aïche et Andriss Poga, sans qui ce concert eut été annulé. Pour le reste,
c’est une autre affaire !
Patrice Imbaud.
Noël russe au Théâtre des Champs-Elysées.
Vladimir Jurowski / DR
Un très beau cadeau de Noël que nous a
offert le TCE pour ce dernier concert de l’année, à l’occasion du passage à
Paris du LPO dirigé par son actuel directeur musical, Vladimir Jurowski, accompagné pour cette tournée européenne par la
très atypique violoniste moldave, Patricia Kopatchinskaya.
Un programme exclusivement russe, associant Rimski-Korsakov, Prokofiev et
Rachmaninov. En ouverture de soirée, la très rare Suite d’orchestre extraite de l’opéra La Nuit de Noël de
Rimski-Korsakov. Une œuvre où se combinent féérie et tradition slave, composée
en 1895, reprenant cinq épisodes de l’œuvre lyrique initiale, toute en couleurs
et légèreté, mêlant lyrisme et fantasmagorie dans de superbes dialogues entre
bois et cordes (clarinette, violon solo et flûte). Lui fit suite le Concerto n° 2 pour violon et orchestre de Prokofiev, créé en 1935 à Madrid par Robert Soetens.
Occasion d’assister à une interprétation surprenante de la violoniste aux pieds
nus, Patricia Kopatchinskaya. Prestation pour le
moins originale, extravertie, un peu maniérée, mais d’un charme fou !
Virtuosité sans faille, parfois à la limite de la justesse : un jeu plein de
contrastes et de nuances, une complicité évidente avec l’orchestre, des tempi
hallucinants de langueur dans le mouvement lent, véritable moment d’éternité où
le temps suspend son cours, à l’inverse d’une ahurissante rapidité dans le
diabolique finale. Un triomphe mérité et deux « bis » très
originaux (cela n’étonnera pas !) empruntés à Prokofiev et Bartók, joués en duo avec le premier violon pour
le premier, et la clarinette solo pour le deuxième. Après la pause, les Danses symphoniques de Rachmaninov,
crées en 1941. Formidable fresque orchestrale en trois mouvements, à la fois
grotesque, lyrique et mélancolique, que Vladimir Jurowski,
de sa gestique raide et péremptoire, mena avec son talent habituel :
rigueur des tempi, justesse des attaques, contrastes, expressivité, émotion et
tension pour une lecture très aboutie et convaincante. En « bis », la
célébrissime vocalise du même Rachmaninov concluait une soirée mémorable.
Patrice Imbaud.
L'Ensemble Musica Nigella au Musée
d'Orsay
© Thierry Bertou
Le nom de Nigella fait penser
à une petite fleur dont la délicate couleur bleue apparait sur le logo de
l’Ensemble Musica Nigella.
Mais il exprime le lieu de naissance de l’ensemble : Tigny-Noyelle, un village de la Côte d’Opale. A une origine
lointaine, celui-ci se dénommait Nigella ! Le
festival Musica Nigella existe depuis 2006. Le corniste, Takénori Némoto, son directeur artistique, a eu la bonne idée de créer,
en 2010, le premier ensemble orchestral professionnel du Pas-de-Calais. Ses
membres sont issus de différents horizons, l’ONF, Les Musiciens du Louvre,
l’ONB, l’Orchestre Symphonique de Lucerne, l’Orchestre de Chambre d’Europe.
C’est une sorte d’ambassadeur de la région Nord/Pas-de-Calais. Le Musée d’Orsay
a eu la bonne idée de le programmer dans son cycle « Allegro
Barbaro », après l’avoir entendu dans son dernier concert-spectacle,
« Le Voyage d’Hiver » de Schubert, mis en scène par le grand acteur,
metteur en scène Yoshi Oïda,
au Théâtre de l’Athénée. Il y a peu d’œuvres contemporaines pour cor, et Takénori Nemoto aime faire des
transcriptions pour le sextuor. Ernö Donányi a écrit son Sextuor pour cor en 1935, empreint de
l’esprit de Brahms, romantique à souhait. Cette tendance existait encore dans
les années trente à Budapest. Malgré quelques longueurs, c’est une œuvre
agréable, et le cor de Takénori Nemoto a sonné brillamment. Le premier mouvement, allegro, a permis de découvrir la
belle sonorité de tous les musiciens de l’ensemble. L’intermezzo-adagio, une
sorte de marche funèbre, nous conforta dans la qualité d’interprétation de Musica Nigella. L’Intermezzo pour
trio à cordes, œuvre courte de Zoltán Kodály, permit aux cordes de montrer que nous étions face à
des musiciens hors pair. Pablo Schatzman, le violoniste, a un son d’une chaleur
exceptionnelle qui se confirma dans les œuvres de Bartók
qui suivirent. Le trio pour clarinette, piano et violon, intitulé « Contrastes »,
a été écrit en 1938 pour Benny Goodman, le célèbre clarinettiste de jazz.
Nicolas Ducloux au piano, François Miquel à la
clarinette et Pablo Schatzman au violon ont donné de cette célèbre rhapsodie
une interprétation très convaincante. Le sextuor, en fin de concert, s’est
reformé pour jouer les fameuses danses populaires roumaines écrites pour piano
et dont Nemoto a tiré un arrangement pour l’Ensemble.
Toutes les qualités d’interprétation de Musica Nigella se sont retrouvées dans cet arrangement : brillance
des timbres des cordes, (Laurent Camatte, alto,
Annabelle Brey, violoncelle), sûreté du jeu du
pianiste et du clarinettiste, précision dans les attaques. Takénori Némoto, plus en retrait, soulignait par moments les
harmonies délicates de cette œuvre si connue. L’énergie, la beauté du son que
dégagea cet ensemble a touché le public silencieux et attentif. Il faut
absolument aller écouter l’Ensemble Musica Nigella dans leur prochain concert, à la Folle journée de
Nantes, le 2 février 2014, dans des œuvres de Copland, Prokofiev et Bartók.
Le « voyages d’hiver » reviendra lui aussi en 2014.
Stéphane Loison.
Dutilleux et Bartók par le Quatuor Psophos
© Marie Julliard
Ils
sont jeunes, ils sont beaux, ils ont du talent ! C’est ce qu’on peut dire
à l’écoute de ce concert. Créé au sein du Conservatoire National Supérieur de
Musique et de danse de Lyon en 1997, le Quatuor Psophos a été nommé en 2005 « meilleur ensemble de l’année » aux Victoires de
la Musiques. Il a été le premier ensemble français sélectionné par la
prestigieuse « New Generation Artist » de la BBC, à Londres. Il s’est spécialisé
dans le répertoire contemporain. Il est le partenaire privilégié de
compositeurs tels que Nicolas Bacri ou Marc Monnet. A
l'amphithéâtre du Musée d’Orsay, dans le cadre de l’exposition « Allegro
Barbaro », ils ont interprété Henri Dutilleux et Béla Bartók. Cette
association n’est pas innocente : comme dans le 5 ème quatuor de Bartók, le discours de Dutilleux se déploie à partir d’un noyau
générateur et les mouvements, au nombre de sept, sont agencés à partir de cette
simple thématique. Composé entre 1971 et 1977, sur une commande de la Fondation
Koussevitzky, et destiné au Quatuor Julliard, « Ainsi la nuit » a été
créé à Paris par le Quatuor Parrenin le 6 janvier
1977, et donné en première audition américaine par le Quatuor Julliard le 13
avril 1978, à Washington. Dédié à la mémoire d’Ernest Sussman,
amateur d’art américain et ami du compositeur, le quatuor est écrit en hommage
à Olga Koussevitzky. Ainsi que l’a expliqué Dutilleux : « Je n’avais
jamais écrit jusque-là pour le quatuor. J’ai commencé par ébaucher des pièces
qui se présentaient un peu comme des études pour m’exercer à cette tâche
nouvelle pour moi. Il s’agissait de fragments isolés sans véritables liens
entre eux, mais que je fis parvenir au Quatuor Julliard pour qu’ils se
familiarisent avec mon écriture. » À partir de ces « études », Dutilleux a
tenté d’établir un lien entre les sept sections du quatuor en intercalant
irrégulièrement des Parenthèses : « Tout se transforme insensiblement en une
sorte de vision nocturne, d’où le titre 'Ainsi la nuit'. Cela se présente, en
somme, comme une suite d’états avec un côté quelque peu impressionniste ». Le
Quatuor constitue une illustration supplémentaire du concept de mémoire cher à
Dutilleux au travers des notions de variation et de préfiguration. L’écriture
instrumentale se situe de façon avouée dans le sillage des quatuors de
Beethoven et de ceux de l’École de Vienne. Guillaume Martigne,
exceptionnel violoncelliste de l’ensemble, n’a pas caché que jouer « Ainsi
la nuit » était aussi un hommage au compositeur qui vient de disparaître
cette année et auquel peu d’événements ont été dédiés. Martigne avait eu la chance de rencontrer Dutilleux lorsqu’il avait treize ans. Quel
plaisir d’entendre cette pièce et quelle belle interprétation en ont fait ces
jeunes. Ayant moi-même fait un film avec Henri Dutilleux sur sa musique de
chambre, j’étais encore plus ému d’entendre ce quatuor. Cette œuvre, pas simple
d’accès, difficile à interpréter, est devenu classique comme toute l’œuvre de
cet immense compositeur. Le 5 ème Quatuor de Bartók
était joué en seconde partie. L’association de ces deux œuvres, et dans cet
ordre, était intéressante car nous pouvions mieux comprendre l’influence de Bartók sur la conception du quatuor de Dutilleux. Se
dénommer « événement sonore » (Psophos en
grec) ne manque pas de panache. Les membres ont changé au cours du temps, ils
ont tous de fortes personnalités qui s’accordent parfaitement. Guillaume Martigne, le violoncelliste, a une très belle sonorité,
Cécile Grassi, l’alto, n’était pas mise en valeur du
fait de l’acoustique de la salle et malgré toute l’énergie qu’elle déployait.
Il faut dire que jouer ce genre de musique à midi est un exploit. Mais ces
jeunes gens prennent des risques et vu leur parcours et les artistes qui aiment
jouer avec eux, ils ne peuvent qu’être que gagnants. Oui, ce concert avait bien
l’air d’un événement sonore !
Stéphane Loison.
Floriliège hongrois par le Quatuor Keller
© Andreas Felgevi
Fondé en
1987 au Conservatoire Liszt à Budapest, le Quatuor Keller a su s'imposer sur la
scène internationale dès 1990 en remportant, la même année, tous les prix
réguliers et exceptionnels à la fois au Concours d'Evian et au Concours Borciani. Il a enregistré de nombreux quatuors dont
récemment ceux de Kurtàg et les derniers de
Chostakovitch. La formation d’origine a évolué mais il est toujours 100%
hongrois. Le programme offert l’était aussi. Zoltán Kodály (1882-1967) est originaire de Kecskemét, dans
l'Empire austro-hongrois. Il entrera à l'Université de Budapest tout en
étudiant la composition à l'Académie de musique de la ville, où il y rencontra
Béla Bartók qui restera son plus fidèle ami jusqu'à sa mort. Avec Bartók, il va
recueillir, mettre en forme et publier une quantité considérable de chants
traditionnels populaires. Pendant la seconde guerre mondiale, Kodály restera à Budapest, se retirant de l'enseignement.
En 1945, il fut nommé président de l'Académie Hongroise des Arts, et assurera
également la présidence de l'Académie Internationale de Musique Populaire ainsi
que la Présidence d'Honneur de la Société Internationale pour l'Éducation
Musicale. Il est l'un des artistes hongrois les plus connus et les plus respectés.
Les quatuors, au début du XX ème siècle, en Hongrie,
étaient affaire de musiciens amateurs. Le premier Quatuor Hongrois
professionnel s’intéressa plus à la musique contemporaine. Le coup d’envoi fut
avec celui de Kodály en 1909, puis ceux de Bartók. Ce
quatuor ouvrait une voix nouvelle en matière de composition, par ses couleurs
modales inusitées, ses mouvements construits autour de thèmes inspirés du
folklore. Inutile de dire que les Keller le possèdent parfaitement et
l'interprètent avec beaucoup de tenue. C’est dans la magnifique interprétation
du Premier Quatuor de Gyorgy Ligeti que les quatre
musiciens, grands solistes, ont fait la démonstration qu’ils jouaient d’une
seule voix. Rarement une telle connivence, un tel raffinement s’est fait
entendre dans ce quatuor si particulier. La partition ne comprend qu’un seul
mouvement, organisé en courtes sections contrastant par la conception du jeu à
quatre. Le début est une sorte de mise en abime, puis peu à peu le tissu
canonique mène à un point culminant, si reconnaissable du style de Ligeti.
C’est une œuvre qui demande une attention particulière et le public a été
totalement subjugué par cette œuvre. En deuxième partie, Andras Keller et Zsófia Kömyei ont
joué quelques duos pour violons de Bartók, avant que le quatuor interprète
le N°4 du musicien. Cette œuvre, Ligeti ne la connut que très tard car elle ne
passait pas à la radio dans les années cinquante. Seules les œuvres les plus
simples étaient retransmises, les autres étaient interdites d‘antenne. Ce quatuor
est d’une conception audacieuse, le mouvement lent constituant le noyau de
l’œuvre autour duquel les autres mouvements se stratifient. Les Keller étaient,
là aussi, dans leur élément. En bis, ils offrirent un extrait du quatuor N°16
op.135, le « Lento assai cantante e tranquillo » de Beethoven, de toute beauté.
Stéphane Loison.
***
L’EDITION MUSICALE
Haut
CHANT
Vicki TUCKER COURTNEY : 10 poetic settings for male voices. Présentés en deux clés et deux
tonalités. 1 vol. 1 CD. Alfred : 39852.
On peut aussi se procurer
ce volume sans CD. Il s’agit d’un recueil pour ténor ou baryton/basse, le
baryton étant écrit en clé de fa et le ténor en clé de sol. Ces mélodies ont
été écrites sur des poèmes de la fin du 19° siècle ou du début du 20° siècle.
On trouvera à la fin du volume une notice concernant ces poètes. On appréciera
la fraicheur de ces compositions. Le CD contient les accompagnements en
play-back dans les deux tonalités.
Sally K. ALBRECHT : A World of Christmas. Holiday songs,
Carols and customs from 15 countries. 1
vol. 1 CD. Alfred : 39964.
Voici un volume tout à
fait original. Loin d’être un simple recueil de Noëls du monde, il comporte
pour chacun des quinze pays visités un texte de liaison à faire dire par deux récitants. Les chants sont à une et deux voix. Les
arrangements sont très frais et très respectueux des styles divers, tout en
ayant également leur originalité. L’accompagnement est écrit pour le piano,
mais le CD donne une version intégrale (textes et musique) et une version
play-back orchestrées avec beaucoup de goût. Le CD contient également en PDF la
couverture, le « livret » (le texte intégral) et les parties séparées
des chansons, ce qui permet une mise en œuvre facile dans les écoles ou
conservatoires. Bien sûr, l’ensemble est en anglais, mais à l’heure du
bilinguisme, ce n’est pas forcément un obstacle !
Stephen
SCHWARTZ : Pippin. Extraits de la comédie musicale de
Broadway. Chant et piano. Edition révisée. Alfred : 41090.
Cette comédie musicale,
créée en 1972 à Broadway où elle a connu un immense succès, a été reprise à Los
Angeles et en 2013 de nouveau à Broadway. Théâtre dans le théâtre, la pièce
s’inspire très librement des aventures de Charlemagne et de Pépin dans un Moyen-Âge d’opérette. L’ensemble est très plaisant. Gageons
que si cette production était montée à Paris, elle y aurait beaucoup de succès.
On peut la voir intégralement sur un site bien connu.
Andy
BECK : Vocalize ! 45 échauffements vocaux
accompagnés pour la technique vocale. 1 vol. 1 CD. Alfred : 40024.
Que voilà une excellente
initiative que ce recueil qui sera certainement apprécié des chefs de chœurs
désireux de renouveler la « mise en voix » de leur chœur. Bien sûr,
c’est en anglais, mais on peut toujours adapter. Le CD comporte à la fois
l’accompagnement de chaque vocalise et leur PDF, ce qui permet d’imprimer le
recueil pour choriste. Bien sûr, l’accompagnement du volume est prévu pour
piano, mais l’orchestration du CD est bien agréable ! Bref, il s’agit
d’une manière originale et efficace de faire faire (ou de faire soi-même) de la
mise en voix.
Francesca
LICCIARDA : Airs d’opéras italiens. Soprano
et piano. Schott : ED 21421.
On trouvera dans ce
recueil pas moins de 18 airs de Pergolèse, Mozart, Donizetti, Bellini, Verdi, Catalani, Leoncavallo et Puccini. On appréciera tout
particulièrement la clarté de cette édition et la pertinence du choix des airs.
ORGUE
Alexandre
Pierre François BOËLY : Douze pièces
pour l’orgue avec pédale obligée op. 18. Fac-similé de l’édition originale. Chanteloup-Musique : CMP004.
Éric Lebrun, qui présente
ce recueil, pose d’emblée la question de savoir si ces pièces ont été écrites
pour orgue ou pour piano pédalier. Il semble que ce soit prioritairement pour
l’orgue. Mais pour bien les interpréter, il est indispensable de savoir de
quels instruments Boëly a disposé. C’est à quoi s’attache Éric Lebrun avec la
compétence qu’on lui connait. D’autre
part, la reproduction de l’édition originale, disponible nulle part ailleurs,
rend encore plus précieuse cette publication.
Eric
LEBRUN : Contes de la rue
Traversière pour orgue. Quinze poèmes musicaux pour les petites mains. Chanteloup musique : CMP001.
Ces quinze pièces de
difficultés diverses, mais dont la plupart sont très facilement abordables par
les « petites mains » (et petite jambes) auxquelles elles sont
destinées sont autant de petits portraits ou de petits tableaux associés à des
historiettes bien savoureuses. Au fil des pages, on trouvera des allusions qui
pourront être exploitées par le professeur… Citons entre autres la pièce
intitulée « Des pays lointains et mystérieux… » qui fait instinctivement penser à Schumann… et qui commence par le nom de Bach (sib la do si bécarre) ! En résumé,
voici des pièces à la fois pleines d’esprit, de charme et de musique. Et qui
prouvent si besoin en était, que les organistes ne sont pas forcément (malgré
l’un des titres) des dinosaures… Au fait, cette « rue Traversière »
est aussi l’adresse de l’église où Éric Lebrun est titulaire…
PIANO
Cindy BERRY : What Can I Play for Christmas ? 10 arrangements faciles pour piano.
Vol. 2. Alfred : 41469.
Ces dix Noëls traditionnels
plutôt anglo-saxons sont arrangés avec goût et sans « facilités ».
Ils égaieront volontiers une soirée familiale et peuvent aussi contribuer à
faire découvrir les originaux.
Isaac
ALBÉNIZ : Suite espagnole op. 47 pour
piano. Edité par Olga Llano Kuehl-White. Alfred : 40571.
Cette édition, très
claire, soigneusement revue et doigtée, vaut beaucoup par la copieuse
présentation de l’éditrice. Notice sur le compositeur et sur le genre musical,
conseils d’interprétation de chacune des pièces, considérations éditoriales,
glossaire des termes espagnols, rien ne manque pour aider les interprètes à
pénétrer ce répertoire si caractéristique.
Wolfgang Amadé MOZART : Sonatas K. 381, 358, 497, 521 pour piano à quatre mains. Editées par
Charles Timbrell. Alfred : 39487.
En plus d’une édition
claire et soignée, Charles Timbrell nous propose une
introduction très intéressante comprenant notamment l’analyse de chacune de ces
sonates ainsi, bien sûr, que de judicieux conseils d’interprétation.
Franz
LISZT : Sonate en si mineur pour
piano. Urtext. Editée par Michaël Kube. Bärenreiter : BA 9650.
Cette nouvelle édition de
ce monument de la littérature pianistique se veut être à la fois une édition
critique et une édition d’étude. Disons que le but est pleinement atteint. La
copieuse préface de Michaël Kube replace l’œuvre dans
son contexte et rappelle en particulier qu’il lui fallut du temps pour être
acceptée comme une œuvre profondément novatrice.
GUITARE
Serge
DI MOSOLE : Laurencia pour guitare. Assez facile. DLT2262.
Construite à la manière
d’un prélude de Bach, cette très jolie pièce est, nous dit l’auteur, « une
déclaration d’amour [à sa femme] qui s’est enrichie au fil des jours et des
années. » Voici une bien jolie preuve d’amour à
faire résonner sans modération !
VIOLON
Olivier
KASPAR : Sonate brève pour violon
seul. Chanteloup musique : CMP003.
Cette courte pièce
comporte trois mouvements de structure classique. Le troisième est un
scherzando molto vivace aux structures rythmiques changeantes avec les
alternances de mesures à 6/8, 7/8, 5/8, 3/8 etc. On en appréciera le langage
original en même temps qu’accessible. C’est de la bien belle musique.
Edward HUWS JONES : The Latin-American Fiddler. 1 vol. 1 CD. Boosey & Hawkes : BH12400.
Si le volume est écrit
pour un violon soliste, un violon d’accompagnement et piano, il peut être
également utilisé en solo, en duo, avec des petites percussions, avec une
guitare (les accords sont indiqués)… Quant au contenu, on y trouve douze des plus fameux standards
latino-américains. Citons entre autres La
cucaracha, El condor pasa, Quizas, quizas, quizas… Bref,
tout cela est de difficulté moyenne et permettra d’enrichir le répertoire d’une
classe de violon ou surtout d’un cours de musique d’ensemble, sans oublier
celui des amateurs… Le CD, fort bien réalisé, contient l’ensemble des morceaux
exécutés intégralement et la version play-back. On appréciera également les
indications précises (coups d’archet des violons) et la traduction en français
de la préface…
Rose-Marie
JOUGLA : Quatre notes s’amusent pour
violon et piano. Débutant. Delatour : DLT2228.
Cette jolie et poétique
pièce sur les cordes à vide est un véritable petit morceau et permettra au
jeune violoniste d’exprimer immédiatement son sens musical. C’était une
gageure, elle est magnifiquement tenue. Nous avons recensé la version pour
violoncelle dans notre lettre de décembre. On verra ci-dessous la version pour
alto. La pièce peut être écoutée sur le site de l’éditeur.
Rose-Marie
JOUGLA : Tourbillons pour violon
et piano. Niveau Moyen. Delatour : DLT2231.
Ces charmants tourbillons
sont une sorte de mouvement perpétuel ; on peut penser aussi au « Vol
du bourdon ». Ils sont en tout cas bien agréables à entendre même s’ils
risquent de donner du fil à retordre au violoniste. On peut entendre la pièce
sur le site de l’éditeur.
ALTO
Rose-Marie
JOUGLA : Quatre notes s’amusent pour
alto et piano. Débutant. Delatour : DLT2235.
On se reportera à la
version pour violon pour voir tout le bien qu’on peut penser de ce morceau.
CONTREBASSE
W.A.
MOZART : Air de Leporello,
extrait de Don Giovanni. Transcription pour la contrebasse d’Emilie
Postel-Vinay. Chanteloup musique : CMP006.
Il n’est pas évident de
faire des transcriptions pour contrebasse. Emilie Postel-Vinay, auteur d’une
méthode pour contrebasse et musicienne aux multiples facettes y parvient avec
beaucoup de classe. On appréciera donc cette transcription qui met à la portée
du contrebassiste un des grands airs du répertoire mozartien.
J. Peter CLOSE, Holger SASSMANNSHAUS : Konzetstücke für kontrabass ond klavier. Bärenreiter : BA 9696.
De Bach à Boguslaw Furtok (contebassiste polonais contemporain), les auteurs nous
proposent une série de pièces de concert arrangées pour la contrebasse. Au fil
des pages, on peut trouver le fameux largo du concerto en fa de Bach, la Marche
des prêtres de la Flûte enchantée, le
Cygne de Saint-Saëns, plusieurs Fauré, bref toute une série de
« tubes » très bien transcrits qui
enrichiront le répertoire de l’instrument et feront la joie des amateurs de
contrebasse.
FLÛTE
TRAVERSIERE
Francis
COITEUX : Au bord du ruisseau pour
flûte et piano. Niveau 2ème cycle. Sempre più : SP0073.
Cette œuvre se présente
comme une petite sonate en trois mouvements enchainés : un andantino plein
de charme, un cantabile en forme de romance à 6/8 et un allegretto brillant
pour terminer. Il y a là de quoi mettre en valeur toutes les qualités aussi
bien techniques que musicales de l’interprète. Ajoutons que le piano, loin d’être
un simple accompagnateur, dialogue à part entière avec le flûtiste.
Claude
DEBUSSY : L’Isle joyeuse pour
flûte et piano. Arrangement : Alexandre Gasparov.
3ème cycle. Sempre più : SP0066.
Voici un arrangement tout
à fait convaincant. Certes, il est toujours permis de préférer les originaux
aux arrangements, mais nous ne prendrons pas parti ! On connaît l’art
d’Alexandre Gasparov comme compositeur. L’arrangement
qu’il nous propose est à la hauteur de ses habituelles productions.
Alexandre
CARLIN : Armorique pour flûte en
ut et piano. Fin de 1er cycle. Lafitan :
P.L.2648.
Trois parties pour ce
voyage en Bretagne qui s’ouvre par une délicate mélodie en ré mineur, un
peu mélancolique, exposée puis ornée. Le piano assure la transition avec un più mosso à 12/8 résolument majeur puis une cadence
débouche sur une sorte de coda qui se termine, après hésitation, en majeur. Le
tout est bien agréable et devrait charmer les futurs interprètes.
André
GUIGOU : Bords de mer – Deux
impressions pour flûte et piano. Elémentaire. Lafitan : P.L.
2576.
Après une première
impression très chantée qui peut évoquer une flânerie sur la plage ou dans les
rochers, un allegretto subito évoque plutôt les jeux de plages, les courses
poursuites, ou un vent tempétueux. Bref, toutes les imaginations sont permises
pour mettre en œuvre et interpréter cette pièce délicate et fort musicale.
CLARINETTE
Olivier
DARTEVELLE : Silent moviepour
clarinette et piano. 3ème cycle. Sempre più : SP0064.
Le programme de ce film
muet est donné par l’auteur… Les séquences traditionnelles d’un
« standard » des années vingt se déroulent dans le style jazzy de
l’époque. Cette pièce très plaisante fera certainement le bonheur de ses jeunes
ou moins jeunes interprètes.
Alexandre
CARLIN : Au pied de la muraille pour
clarinette en sib et piano.
Préparatoire. Lafitan : P.L. 2642.
De quelle muraille
s’agit-il ? C’est certainement à la Grande Muraille de Chine que fait
d’abord penser l’allure pentatonique du thème. Mais on peut aussi trouver
d’autres murailles et laisser libre cours à son imagination. Quoi qu’il en
soit, cette pièce à l’allure extrême-orientale se déroule dans une atmosphère
un peu nostalgique mais bien agréable. L’accompagnement de piano peut être sans
difficulté confié à un élève, occasion ou jamais de sortir les pianistes de
leur superbe isolement…
Claude-Henry
JOUBERT : Concerto « Les
kangourous » pour clarinette en sib avec accompagnement de piano. Fin du 1er cycle. Lafitan : P.L. 2547.
L’auteur profite de ce
concerto pour nous raconter une très jolie histoire, avec son élément
perturbateur (les chasseurs) et sa fin romantique à souhait : les deux
jeunes héros de l’histoire, Adélaïde et Sydney, nos deux kangourous, valsent
pour sceller leurs retrouvailles. Comme le fait remarquer l’auteur, quand les
chasseurs arrivent, « C’est la panique (pour les kangourous, pas pour le
clarinettiste !) ». Pianiste et clarinettiste sautent cependant de
concert (mais symboliquement, cela va sans dire… Bref C.-H. Joubert nous propose
là une pièce qui mettra en valeur les talents divers des jeunes interprètes.
SAXOPHONE
Yves
BOUILLOT : Triptyque élégiaque pour
saxophone alto et piano. Fin du 1er cycle. Lafitan :
P.L.2632.
Légende,
Chanson et Danse forment
les trois volets de ce triptyque qui fait évidemment penser aux poètes grecs ou
latins. Si seulement ce pouvait être l’occasion de faire découvrir aux élèves
cette forme de littérature (en traduction, bien entendu… !). Il y a
beaucoup de charme et de poésie dans ces trois courtes pièces qui demanderont à
l’interprète de montrer sa sensibilité…
Claude-Henry
JOUBERT : Concerto « Les
papillons » pour saxophone alto avec accompagnement de piano. Fin du 1er cycle. Lafitan : P.L.2548.
C’est l’histoire de deux
papillons polonais (d’où le style de leur thème), d’une certaine Rose Dujardin
(allez savoir pourquoi…) et, bien sûr, d’un affreux chasseur de papillons. Ce
sera l’occasion pour les deux interprètes de montrer toutes les facettes de
leur talent : bonheur, angoisse, triomphe se succèdent en effet, demandant
autant d’expressivité que de souplesse technique… Mais toujours, comme avec
C.-H. Joubert, au service d’une bien plaisante
musique.
BASSON
Pascal
PROUST : Les souris dansent pour
basson et piano. Fin premier cycle. Sempre più :
SP0072.
Voici un plaisant bal où
des danses variées s’enchaînent pour le plus grand plaisir des jeunes
interprètes. La musique est gaie et très plaisante.
TROMPETTE
Peter WASTALL : Learn as you play. 1
vol. 1 CD. Boosey & Hawkes : BH12470.
Il s’agit d’une méthode
pour débuter trompette, cornet et bugle. Destinée en particulier aux fanfares,
harmonies et autres ensembles de vents, elle suit pas à pas l’apprentissage des
élèves par des exercices simples et de nombreuses mélodies qui donnent lieu à
des playbacks jazzy tout à fait séduisants.
COR
Pascal
PROUST : Pauvre Argos ! pour cor et piano. Fin 2ème cycle. Sempre più : SP0074.
Illustrant la poignante
histoire du chien d’Ulysse qui mourut lorsqu’il eut reconnu son maître après
vingt ans d’absence, cette pièce s’ouvre par un long récitatif de cor avant de
se déployer dans une belle mélodie aux tempos variés.
MUSIQUE
D’ENSEMBLE
John
O’REILLY et Mark WILLIAMS : Holiday
Collection. 22 arrangements pour grand orchestre à vent (et piano
conducteur). Alfred : 41312 et suivants.
Le numéro donné ici est
celui du conducteur, et les numéros suivants sont ceux des parties séparées.
Ces vingt-deux arrangement, publiés primitivement à l’intérieur d’une méthode
des mêmes auteurs sont donc ici disponibles séparément. Les thèmes sont des
« timbres » bien connus, y compris dans notre pays, de Noël ou de la
Fête des lumières. Les arrangements sont écrits pour orchestre à vent, piano et
percussions. Ils sont susceptibles d’être adaptés à des formations variables et
devraient être particulièrement appréciés par les orchestres d’écoles de
musique. Il ne serait d’ailleurs pas hérétique de leur adjoindre des cordes…
Bref, il s’agit d’un recueil qui devrait être beaucoup apprécié.
OPERA
Isabelle
ABOULKER : Petit opéra thérapeutique. Fantaisie Lyrique pour 3 chanteurs et piano. Delatour :
DLT2133.
Ce petit opéra de poche
pour trois chanteurs et un piano est vraiment plein d’humour et de charme, même
s’il traite de sujets graves tirés d’un traité médical du XVIII° siècle. Ce texte
de Monsieur Félix Vicq d’Azyr (1748-1794), fondateur en 1776 de la Société royale de médecine de Paris sert
donc de livret et a des aspects surréalistes qui donnent à cette œuvre un
aspect tragi-comique, ou d’humour noir, comme on voudra. Le tout est exprimé
dans un langage musical très « classique » et très léger en même
temps… On pourrait penser parfois à du Chabrier. Bref, il s’agit d’une pièce à
découvrir (on peut l’entendre intégralement sur le site de l’éditeur) et à
mettre en œuvre pour le plus grand plaisir des auditeurs comme des interprètes.
Antonio
SALIERI : Prima la musica e poi le parole. Divertimento teatrale in un atto. Operetta a quattro voci. Partition chant et piano. Bärenreiter :
BA 8811-90.
Ce très plaisant ouvrage
du trop méconnu et trop calomnié Antonio Saliéri est
un exemple parmi tant d’autres de « théâtre dans le théâtre » qui
permet à l’auteur de se livrer à la parodie d’un opéra de Giuseppe Sarti. C’est une œuvre qui mérite d’être découverte. On
lira comme toujours avec intérêt et profit la préface très documentée de Thomas Betzwieser.
G F. HÄNDEL : Arminio Opera in tre atti. HW 36. Chant et piano. Bärenreiter : 4100-90.
L’histoire d’Arminius, qui
apparait à un certain moment comme le « libérateur de la Germanie » a
été abondamment reprise au cours des âges et spécialement au 18ème siècle comme livret d’opéras. L’opéra d’Haendel s’inscrit dans cette abondante
production. Mais on lira tout cela dans la préface tout à fait intéressante de
Stephan Blaut. L’édition critique qui nous est
offerte ici nous donne le texte et les variantes, ainsi que des versions
ornementées des arias 10 et 18, ce qui est particulièrement intéressant.
Daniel
Blackstone.
***
Haut
Gilles
CANTAGREL : Carl Philipp Emanuel Bach et l’âge de la sensibilité,
Genève/Drize, Éditions Papillon (www.editionspapillon.ch ), 2013, Collection Mélophile,
224 p.
La dynastie Bach ne
présente guère de secrets pour Gilles Cantagrel,
l’éminent spécialiste français. Il situe le célèbre fils cadet de Jean
Sébastien Bach et de Maria Barbara, né à Weimar en 1714 et mort à Hambourg en
1788, dans l’histoire des sensibilités et des mentalités et, plus
particulièrement, dans la mouvance de l’Empfindsamkeit. L’auteur s’appuie sur des sources
authentique telles que l’autobiographie dans laquelle Carl Philipp Emanuel précise ses
origines, mentionne ses années d’études (École Saint-Thomas de Leipzig –où il
n’a « jamais eu d’autre maître que son père »-, Droit à Leipzig et
Francfort-sur-l’Oder). Il s’installe à Berlin au service de la Cour de Prusse,
puis, en 1767, succède à Telemann à Hambourg comme Directeur de la musique et
est ensuite nommé Capellmeister de la Princesse
Amalia de Prusse ; ses fonctions ne lui ont pas permis de voyager à
l’étranger. Il est d’ailleurs surnommé le « Bach de Berlin ». En 6
chapitres clairement structurés, l’auteur décrit d’abord la période allant de
Weimar à Berlin (1714-1740), placée sous le signe de « la grandeur
inimitable de mon père », et évoque les premières compositions. Deux
chapitres relatent son service à la Cour de Frédéric II de Prusse (à noter les
remarquables illustrations concernant cet environnement), flûtiste et élève de
J. J. Quantz, « qui n’aime que la flûte »…, puis ses activités de
Directeur à Hambourg, associées à « de lourdes fonctions du Cantor ».
Il y rencontrera Charles Burney et le Baron von Swieten, entre autres. Deux autres chapitres sont consacrés
à sa musique vocale : Odes (forme en vogue à cette époque), Lieder,
œuvres profanes et religieuses. Sa musique instrumentale pour clavier seul
comporte des Sonates, pièces variées
et portraits, seulement six Sonates pour
orgue (sans partie de pédalier obligé pouvant être interprétées au
pianoforte), cinq Préludes de choral et, selon des recherches récentes (2008), le Recueil Pedal Exercitium(BWV 598 -attribué par erreur
à J. S. Bach) ainsi que des œuvres de musique de chambre, des Concertos et Symphonies marqués par l’Empfindsamkeit. Il est aussi l’auteur du Traité Versuch über die wahre Art das Clavier zu spielen(publié à Berlin
en 1753, second volume plus important en 1762), avec des Sonates en trois mouvements. Le dernier chapitre, le plus
significatif, concerne l’homme et montre comment, à travers de nombreux états
d’âme, il est à l’origine d’une « musique nouvelle » ayant,
selon ses propres termes, pour finalité de « s’emparer des
cœurs. » Le remarquable Tableau synoptique (p. 208-213) permettrait à lui
seul de réaliser le rôle considérable de Carl Philipp Emanuel Bach. Gilles Cantagrel s’est fixé de
« proposer un portrait de cet homme si attachant, et d’inciter à découvrir
et à écouter la musique de cet immense musicien » : contrat rempli.
Édith Weber.
Danièle
PISTONE : Répertoire
des Thèses françaises relatives à la musique (1810-2011), Paris,
Librairie Honoré Champion, Collection « Musique et Musicologie »
n°44, 2013, 515 p.
Ce Répertoire des Thèses, déjà un
incontournable, rendra de multiples services aux musicologues, historiens,
esthéticiens, chercheurs, directeurs de recherche, bibliothécaires et
documentalistes. Il complète notamment le répertoire des Thèses françaises sur
le site du SUDOC (Système universitaire de documentation), dont le Catalogue
commence en 1972, alors que le présent volume englobe les Thèses françaises
relatives à la musique depuis plus de deux siècles. La recherche musicologique a pris un essor
considérable surtout à partir de la création des Écoles doctorales. Les
types de Thèses recensées sont : le Doctorat
d’État (1808-1984) avec deux Thèses, le Doctorat
d’Université (1897-1984), le Doctorat
de 3e Cycle (1958-1984) et, à partir de cette date, la Thèse unique, avec mention de l’établissement et de la spécialité (cf. p. 8-9). Ce volume signale la liste
des directeurs, des établissements de soutenance ainsi que la chronologie des
Thèses citées (y compris celles de l’École des Chartes et du Conservatoire
National Supérieur de Musique et de Danse de Paris). L’Index des Matières (p. 427-514) renvoyant aux auteurs,
particulièrement éloquent et instructif, souligne toute la diversité inattendue
et inouïe des matières traitées pendant quelque deux siècles de recherche
française relative à la musique et à la musicologie, à titre indicatif :
histoire musicale ; analyse et théories ; esthétique (formes et
genres) ; acoustique et organologie ; psychologie et psychopédagogie,
perception, neurosciences et musicothérapie ; ethnomusicologie et régionalisme ;
sociologie et politique, sans oublier les problèmes de réception et l’aspect
juridique… Cet imposant bilan -résultat d’une prospection de longue haleine-
est tout à l’honneur de la recherche menée dans les Universités françaises.
Édith Weber.
Nicolas Donin & Laurent Feneyrou (dir.)
: Théories de la composition musicale au XXe siècle. Éditions
Symétrie, collection Symétrie Recherche, série 20-21. 2013, 2 vol. 17x24 cm, 1840 p.
Les
Éditions Symétrie nous offrent deux volumes de haute érudition confiés, pour ce
qui concerne leur direction scientifique, à Nicolas Donin et Laurent Feneyrou, du C.N.R.S. Leur riche
introduction nous aide à aborder assez sereinement un sujet aussi vaste que
complexe, souvent nourri par de vaines polémiques. Il s’agit assurément d’une
première en matière d’édition musicale de langue française. Traitant du dernier
état de la question, cette publication ouvre, par conséquent, de passionnantes
perspectives à l’aube de ce XXIe siècle en matière de réflexion sur
le langage musical. Ce faisant, les cinquante-sept contributeurs posent des
problèmes essentiels qui ont rarement été résolus de façon complètement
satisfaisante. Ainsi, le concept de théorie, en tant que scientia ou expression des lois, ne saurait bien évidemment s’envisager sans son pôle complémentaire,
l’expérience. En effet, il n’y pas de théorie valable sans une expérimentation
qui la valide de même qu’il ne saurait y avoir d’expérience sans une théorie
qui la régisse. En l’occurrence, il est principalement question de ne pas
confondre une théorie sur la musique avec une théorie de la composition
musicale. De surcroît, elles ne se déclinent certainement pas au singulier.
Tous les compositeurs traités dans cet ouvrage ont, peu ou prou, créé des
concepts. La question est de savoir si ceux-ci constituent véritablement le
point de départ d’une théorie de la connaissance telle que, par exemple, le
scepticisme du philosophe écossais David Hume (1711-1776) l’a stimulée et
fécondée en son temps. Autrement dit, une pensée favorable à l’idéalisme perceptif
et non à l’empirisme perceptif uniquement préoccupé par la matière. Dans son
intéressante préface, le pianiste Pierre-Laurent Aimard a raison de préciser que, le plus souvent, les « créateurs explicitent peu
leur musique ». D’où une collaboration parfois périlleuse entre les
compositeurs et leurs interprètes. Depuis la révolution schoenbergienne,
les langages se sont multipliés à foison sans que la réflexion herméneutique
ait finalement progressé en conséquence. Ces Théories de la composition
musicale au XXe siècle ont donc le mérite de circonscrire,
temporairement, un large état des lieux en ce domaine.
Huit
grandes parties – Musiques de l’avenir et relectures du passé, Entre
pratique et théorie, Collectifs, Le nœud sériel, Trajectoires, Notions et
genres, Conquêtes du son, Nouveaux concepts – réparties sur près de deux
mille pages, introduisent à des problématiques caractéristiques de l’évolution
du langage musical. D’entrée de jeu, N. Donin et L. Feneyrou précisent que « dans ce contexte, [ils s’intéresseront]
essentiellement, sinon exclusivement, aux théories de la composition produites
par des compositeurs – soit qu’ils aient inventé des théories, soit qu’ils
en aient infléchies à travers un usage personnalisé » (p. 11). Il n’est
certes pas possible, dans cette recension, de rendre compte de chacune des
nombreuses contributions. Il y faudrait un ouvrage en soi. Certaines ont
néanmoins retenu plus particulièrement mon attention. Ludwig Holtmeier, professeur de théorie musicale à la Hochschule für Musik de Freiburg im Breisgau, signe l’article Arnold Schoenberg :
généalogie d’une théorie musicale (I, p. 23-66). En effet, il semble
difficile de ne pas évoquer la figure parfois énigmatique, sinon paradoxale, de
ce compositeur révolutionnaire dont la théorie apparaît comme
« conservatrice ». Son Traité d’harmonie (Harmonielehre) de 1910/11, « livre étonnamment
brouillon et déroutant », en témoigne grâce à une solide technique héritée
aussi bien du fameux professeur autrichien Simon Sechter (1788-1867) que du musicologue positiviste Hugo Riemann (1849-1919). Pourtant,
L. Holtmeier écrit que « Schoenberg a tout
trouvé par lui-même » (p. 27). Rémy Campos, professeur d’histoire de la
musique au Conservatoire national
supérieur de musique et de danse de Paris, a intitulé sa contribution : Le
Cours de composition de Vincent d’Indy (I, p. 67-92). Avec ce professeur
(1851-1931) de la Schola Cantorum parisienne, nous
voyageons à destination d’une autre planète. Mais il est vrai que d’Indy
appartient à une génération et à une culture foncièrement différentes. Ce
disciple de César Franck (1822-1890) a été, il est vrai, l’un des rares
compositeurs français à révéler une pensée théorique et pédagogique à l’égal de
ses confrères germaniques et anglo-saxons. R. Campos précise que, pour V.
d’Indy, « la création musicale est un acte de tradition » (p. 72).
C’est en ce sens, certainement, qu’il a forgé la synthèse entre une
« théorie ramiste et un fonctionnalisme inspiré
des thèses de Riemann » (p. 77). Mais, alors, peut-on, en cela, lui
attribuer fondamentalement « une compétence herméneutique » (p. 92)
au sens où l’entendait, par exemple un Wilhelm Dilthey (1833-1911) ? Giselher Schubert, musicologue allemand, traite de Système
et poétique chez Paul Hindemith (I, p. 255-268). L’auteur de l’opéra Mathis
der Maler (1932/34) s’est opposé au système de
Schoenberg tout en consacrant initialement son langage à l’expressionnisme
parfois le plus virulent. Contrairement à ce que croyait le musicologue
germano-américain Alfred Einstein (1880-1952), Hindemith était aussi un
intellectuel de grande valeur. Sa contribution à la théorie s’est incarnée dans
la surprenante Unterweisung im Tonsatz (« Initiation
à la composition musicale »). De plus, en véritable artisan, il s’est
intéressé de près à la pratique des musiciens amateurs. Mais peut-on pour
autant en faire un systématicien ? La question restera ouverte.
Le musicologue américain Michael Beckerman est l’auteur de Leoš Janáček, une pensée harmonique et rythmique,
premier article de la partie intitulée Entre pratique et théorie (I, p.
319-346). Naguère, il avait consacré un travail important à ce compositeur que
cette nouvelle recherche semble remettre plus ou moins en question. En ce qui
me concerne, j’avais compris que Janáček était certainement
l’un des compositeurs-théoriciens et collecteur de chants populaires les plus
avertis en matière de psychologie musicale. De fait, il a été l’un des rares à
évoquer « les mystères des enchaînements d’accords » (p. 321). Son
approche se révèle unique donc difficilement transmissible. Un tel
enseignement, souvent déstabilisant et en apparence contradictoire, ne pouvait
pas forcément féconder des esprits aussi intelligents que le sien. L’étonnant
compositeur français Charles Kœchlin (1867-1950) fait l’objet d’un
texte conçu par Michel Duchesnau, professeur à
la faculté de musique de l’université de Montréal. Il est titré : Raisonner
l’orchestration ? Introduction au Traité de Charles Kœchlin (I, p.
429-451). L’auteur estime que « le Traité de l’orchestration de
Kœchlin peut être considéré comme l’une des principales réalisations
didactiques de son auteur » (p. 430) outre, entre autres, un Traité de
l’harmonie (1927/30). L’auteur du poème symphonique Les Bandar-Log (1939/40), d’après Rudyard Kipling (1865-1936), était
très attaché à l’expérience, génératrice de la musicalité. Il ne concevait pas
ses ouvrages en pur théoricien mais en tant que compositeur inspiré. Le renouveau de l’intonation juste est traité de manière particulièrement
savante par le compositeur et théoricien canadien Robert Hasegawa (II, p. 1479-1510). C’est un sujet d’envergure dont l’angle d’approche apparaît
au fur et à mesure de la lecture comme, finalement, assez peu satisfaisant pour
la dimension émotive. Pourquoi donc opposer objectivité et subjectivité en
préférant délibérément l’objectivation plutôt réfrigérante si l’on se
réfère à l’intéressante définition du philosophe russe Nicolas Berdiaev
(1874-1948). Et qu’en est-il véritablement de l’héritage pythagoricien ?
Faut-il absolument ignorer sa qualité mystique, sa dimension philosophique,
pour n’y déceler, en définitive, que des ratios ? D’autres thèmes
développés se présentent comme fort intéressants, d’autres laissent perplexes
tant leur densité intellectuelle laisse peu de place, selon moi, à
l’imagination. Néanmoins, force est de constater qu’il est plus difficile
d’aborder des sujets relatifs aux compositeurs parmi les plus récents. Le recul
nous manque tant l’évolution diverse du langage musical peut poser des
difficultés herméneutiques assez compliquées à résoudre ici et maintenant.
L’impression générale que laisse la lecture de
cet immense corpus, nonobstant une haute érudition, apparaît comme
fondamentalement axée sur l’aspect acoustique du langage musical peut-être au
détriment de sa dimension psychologique. J’entends par là non point une
psychologie cognitive, quantitative, mais une psychologie des motifs,
qualitative, qui considère, en l’occurrence, que la musique est une production
de la psyché humaine et de son fonctionnement qu’il serait certainement
intéressant d’étudier pour encore mieux comprendre le processus créateur dans
le domaine musical. Ainsi, la terminologie pourrait-elle s’amplifier et
s’épanouir à partir de ce constat. Le ton-esprit et le son-matière deviendraient complémentaires en tenant compte de lois psychologiques qui
fécondent des concepts aussi stimulants
qu’« excitabilité-réactivité » ou encore
« intégration-différenciation ». Je pense ici au compositeur
américain Roger Reynolds (1934), auteur, en 1975, d’un article titré Thoughts on Sound Movement and Meaning (« Pensées sur la signification
et le mouvement du son ») dans lequel le concept de psychoacoustique prédomine probablement aux dépens, c’est à craindre, de valorisations
psychologiques (p. 1344). En l’occurrence, l’objectif premier du créateur
consiste à maîtriser le son qui ne saurait être un absolu. Il ne me semble pas
indécent de regretter, par ailleurs, qu’un index des concepts n’ait pas été
élaboré en relation à l’immense diversité qui est décrite à travers ces
soixante-sept articles. Non seulement fort utile, il aurait, de surcroît,
facilité singulièrement la consultation de l’ouvrage. Quoi qu’il en soit, tous
musiciens et autres chercheurs, toutes personnes curieuses pourraient trouver,
sans aucun doute, à s’enrichir à la lecture de cette étonnante Encyclopédie de
référence.
James Lyon.
Jean THIELLAY & Jean-Philippe THIELLAY : Bellini. Actes Sud/Classica,
2013, 201p, 18,80 €.
Une biographie courte qui va à l’essentiel,
claire, bien documentée, assortie d’une discographie et vidéographie
spécifiques, bien sûr subjectives, et d’une bibliographie sélective, voilà un
ouvrage qui ne manquera pas d’intéresser tous les amateurs de « bel
canto » et plus particulièrement ceux attirés par le chant et la
personnalité de Vincenzo Bellini (1801-1835). Né à Catane en Sicile où il fait
ses premières armes musicales auprès de son grand-père, puis un apprentissage
au Conservatoire de Naples et un premier succès au San Carlo, avec Bianca et Gernando,
il gagne Milan où il triomphe avec Il
Pirata à la Scala. A Venise, I
Capulet e i Montecchi sont un demi
succès à la Fenice. Il compose successivement La Sonnambula et Norma,
puis s’installe à Paris où la première d’I Puritani, avec le célèbre quatuor vocal associant
Grisi, Rubini, Lablache et Tamburini, obtient un succès sans précédent qui marque,
toutefois, le crépuscule de cette courte vie, s’achèvant à Puteaux à l’âge de 34 ans. Un physique attrayant, grand, blond, le cheveu
bouclé, les yeux d’un bleu perçant, une attitude de dandy, décrite par Heinrich
Heine, mais une personnalité énigmatique plus contestable qui saura profiter de nombreuses rencontres pour
faciliter sa carrière : Zingarelli, son premier maître, Florimo,
l’ami dévoué qui n’hésitera pas à quelques arrangements avec la réalité pour
donner l’image la plus valorisante possible du compositeur, Barbaja l’imprésario influent, Romani le célèbre librettiste, sans oublier les
chanteurs, poètes, écrivains fréquentés dans les salons, et les compositeurs
comme Chopin avec qui il partage une grande amitié…Tout cela alimente une
fulgurante carrière comprenant une dizaine d’opéras qui feront le lien entre le
bel canto rossinien finissant et l’aube du chant romantique. Un livre à
recommander comme une première approche de Bellini et des particularités de son
chant.
Patrice Imbaud.
***
CDs et DVDs
Haut
« Orgue et Hautbois ». 1CD JADE (www.jade-music.net ): 699 814-2. TT : 59’
25.
Ce disque rassemble
des œuvres presque contemporaines pour hautbois et orgue - dont l’association
sonore est très prenante - et des pièces pour orgue seul. Il accroche
immédiatement l’attention des mélomanes avec la Fantaisie en fa mineur très expressive et méditative de J. L. Krebs
(1713-1780), seule œuvre écrite pour ces deux instruments ; elle est
interprétée par Jérôme Simonpoli (hautbois), soutenu
avec précision par Daniel Matrone à l’Orgue de la Cathédrale d’Agde. Georg
Muffat (baptisé en 1653 à Megève et mort à Passau en 1704) est représenté par
sa Toccata undecima pour orgue et sa Passacaille à
découvrir ; G. Fr. Haendel, par sa Sonate
en Si b Majeur. Le Prélude et Fugue
en sol mineur pour orgue de Vincent Lübeck (1654-1740, organiste de
St-Nicolas à Hambourg) est particulièrement développé : après un bref
énoncé à l’unisson, la polyphonie se dégage ; le parcours mélodique
quelque peu grandiloquent est jalonné par quelques petites fusées. La Fugue commence sur un thème dans l’aigu
donnant lieu à des développements contrapuntiques. Suivent des arrangements
(pour ces deux instruments) de plusieurs Sinfoniae de Cantates, par exemple BWV 21 : Ich hatte viel Bekümmernis et BWV 12 : Weinen, Klagen, Sorgen, Zagende J. S. Bach ; elles bénéficient de
registrations bien diversifiées, ainsi que de la sonorité si chaude du
hautbois. Ces versions, de caractère plus discret, constituent une autre
manière de percevoir ces introductions aux Cantates bien connues. « 5
Diapasons » bien mérités.
Édith
Weber.
Antonio VIVALDI : Les
Quatre Saisons. Frédéric Pélassy, violon.
Orchestre de chambre du Marais, dir. Pascal Vigneron.
1CD QUANTUM /AEM C2 (62, rue Dulong, 75017 Paris) : QM7070.
TT : 37’10.
Frédéric Pélassy -violoniste français dont la réputation
internationale a été attestée aussi bien aux États-Unis, au Canada et en
Amérique Latine qu’en Inde et en Europe Centrale- n’est plus à présenter aux
mélomanes français. Il n’est donc point surprenant que Pascal Vigneron, à la
tête de l’Orchestre de Chambre du Marais, ait fait appel à lui pour cet
enregistrement (2013) des Quatre Saisons d’Antonio Vivaldi (1678-1741). Il s’agit en fait de quatre Concertos pour violon, instrument à l’apogée de sa facture en
Italie. Un texte italien (avec sa traduction française) joint au disque sert de
support à chaque Saison évoquée musicalement : La Primavera (le Printemps), avec allusion aux oiseaux, zéphyrs, chevrier, chien, musette,
nymphes, bergers faisant l’objet de traduction musicale figuraliste des images et des idées du texte. Il en est de même de L’Estate (l’Été) : soleil, oiseaux,
zéphyr, pâtre, tonnerre et grêle… ; de L’Autumno (l’Automne) : récoltes, air léger,
chasseur, fusil et chiens, et mort de la bête… et de L’Inverno (l’Hiver) : neige, froid,
glace, vents, mais aussi joie… Chaque Concerto est structuré en trois mouvements bien contrastés, avec un mouvement central
lent très méditatif (Largo, Adagio) encadré par deux mouvements
rapides bien enlevés (Allegro ou Presto). Cet enregistrement s’impose par
de nombreuses qualités : tempo judicieux, oppositions de nuances, grande
précision du continuo, équilibre entre orchestre et soliste. Frédéric Pélassy fait preuve d’une maîtrise technique dans les
traits de virtuosité et d’une rare musicalité dans l’évocation des atmosphères
(calme, agitation…). Quant à l’orchestre, il brille par sa transparence et sa
précision. Alors que l’œuvre est si souvent galvaudée, cette réalisation,
résultant d’une parfaite entente entre tous les interprètes, est agréable à
entendre. À réécouter avec plaisir.
Édith Weber.
« Christmas
with Johann Sebastian Bach ». Cantates BWV 61, 63 & 248 I. Chœur de garçons de Hanovre, dir. Jörg Breidling. 1DVD RONDEAU
PRODUCTION (www.rondeau.de ) : ROP
5003. TT : 74’ (+15’ de bonus).
Sous le
titre : Noël avec Jean Sébastien
Bach, Jörg Breiding, directeur du célèbre Chœur
de Garçons de Hanovre, a regroupé deux Cantates traditionnelles pour le temps
de l’Avent et de Noël : Nun komm, der Heiden Heiland(BWV 61), datant de 1714, et Christen, ätzet diesen Tag (BWV 63) composée entre 1713 et 1715 pour le
premier jour de Noël et, également pour cette circonstance, la Cantate : Jauchzet, frohlocket, auf, preiset die Tage (BWV
248 I), extraite de l’Oratorio de Noël,
avec le concours du Barock Orchester L’Arco. L’ensemble est placé sous le signe de l’exultation et de la solennité
émanant de ces voix de garçons à la fois naturelles et stylées. Ils s’en
donnent à cœur joie pour rendre la jubilation inhérente au message de la
Nativité. La Cantate Nun komm, der Heiden Heiland(BWV 61) fait
appel aux solos de Ténor (Markus Schäfer), Basse (Michael Jäckel)
et Soprano (Antonia Bourvé), et se présente comme une
fervente prière d’après le Veni Redemptor gentium. La Cantate Christen, ätzet diesen Tag (BWV 63) a pour objectif de graver dans les
mémoires ces jours si lourds de sens. Elle fait appel aux quatre solistes (avec,
en plus, l’Alto Claudia Erdmann). L’introduction
orchestrale triomphale, avec instruments à vent et timbales, prépare l’entrée
lumineuse du chœur très développé. Les numéros suivants célèbrent ce jour béni
et invitent à l’invocation du ciel et à la méditation ; le chœur conclusif
en style fugué sollicite la bénédiction divine, et l’orchestre renforce
l’atmosphère solennelle. La Cantate : Jauchzet, frohlocket, auf, preiset die Tage (BWV 248 I), extraite de l’Oratorio de Noël, -bien scandée et
ponctuée par les timbales-, par sa puissance et son élan, pose un point d’orgue
sur ce thème : Noël avec J. S. Bach.
Cet enregistrement en direct de la célèbre Église du Marché de Hanovre est
accompagné d’une vidéo permettant de visualiser le cadre somptueux. Une vraie
réussite tout à l’honneur du Label RONDEAU PRODUCTION, grâce à l’autorité de
Jörg Breiding qui, avec un enthousiasme communicatif,
a le don d’impulser l’élan et d’obtenir ce qu’il veut de ses choristes et
instrumentistes.
Édith
Weber.
« La muse et le
poète ». Camille SAINT-SAËNS : Concerto pour violon et orchestre N° 3, en si mineur, op. 61. Concerto
N° 1 pour violoncelle et orchestre, en la
mineur, op. 33. Duo pour violon, violoncelle et
orchestre, en mi mineur, op. 132. Renaud Capuçon,
violon, Gautier Capuçon, violoncelle. Orchestre
Philharmonique de Radio France, dir. Lionel Bringuier. 1CD Erato
Warner Classics : 50999 934134 2 8.
TT : 65’ 48.
Le violoniste
Renaud Capuçon -élève de Gérard Poulet au CNSM, ainsi
que de Thomas Brandis et Isaac Stern- a été sélectionné dès 1998 par Claudio
Abbado comme Konzertmeister ; il se produira
sous la direction de chefs prestigieux. Son frère, le violoncelliste Gautier Capuçon -élève de Philippe Muller et, à Vienne, de Heinrich Schiff, également titulaire de nombreux Premiers
Prix- est tout aussi connu du grand public. Sous le titre : La Muse et le Poète, sont regroupées
trois œuvres de Camille Saint-Saëns : le Duo pour violon, violoncelle
et orchestre en mi mineur, op. 132, et deux Concertos. Le compositeur a précisé la genèse de son Duo (fin 1909), en ces termes :
« Je travaille comme un nègre à mon Duo ;
je ne sais si cela ajoutera grand-chose à ma gloire, en tout cas il n’existe
rien d’analogue ». Dès les premières mesures, l’auditeur - subjugué par
les tendres effusions, par la riche sonorité des cordes, par la plénitude,
l’expressivité et l’excellente entente entre les deux interprètes- ressent une
constante émotion. D’ailleurs, ils réalisent parfaitement l’objectif du
compositeur : « au lieu d’un concours entre deux virtuoses, c’est une
conversation entre deux personnes. » Le Concerto pour violon n°3 en si mineur, op. 61, permet à Renaud Capuçon de donner toute sa mesure : ardeur musicale
dans l’Allegro non troppo,
où il dialogue avec l’orchestre ; caractère chantant avec une certaine
retenue dans l’Andantino ;
virtuosité dans le Molto moderato et
maestoso assez dramatique, avec le thème gravé dans toutes les mémoires. Le Concerto pour violoncelle n°1 en la mineur, op. 33, composé en 1872, créé le 19 janvier
1873, également structuré en trois mouvements, permet à Gautier Capuçon de s’imposer par la chaude sonorité de son
instrument et la précision des répliques. Il forme, lui aussi, une merveilleuse
équipe avec l’Orchestre philharmonique de Radio France dirigé par Lionel Bringuier avec infiniment de musicalité et d’équilibre.
Tous mettent en valeur toute la veine lyrique et la puissance expressive
voulues par Saint-Saëns. Ils ont signé « la » version de référence.
Édith
Weber.
« Fulgurances ». Yejin Gil joue
CHIN, BOULEZ, LIGETI, MESSIAEN. 1 CD DISQUE FY & DU
SOLSTICE (www.solstice-music.com ) : SOCD 300. TT : 71’ 14.
Depuis quelques
décennies, les musiciens coréens se sont imposés sur le plan international.
C’est le cas de Yejin Gil (née en 1980), pianiste de
réputation mondiale qui signe son premier CD avec un programme dense, complexe
et redoutable. Après ses études à l’Université Nationale de Séoul, elle s’est
installée en Allemagne où elle a notamment étudié auprès de B. Wambach, à la célèbre Folkwang Hochschule d’Essen. Elle s’est spécialisée dans la musique
moderne et contemporaine, et a déjà obtenu quatre Prix internationaux. Elle
diffuse les Six Études pour piano de
sa compatriote Unsuk Chin (née en 1961), fascinée par
la virtuosité, et dont elle est une
des toutes premières interprètes. Au fil des pièces, le caractère subtil et
délicat (petits traits, fusées, toujours en marche dans l’extrême aigu), mais
aussi la transparence, la précision dans les attaques mettant, tour à tour, en
valeur l’aspect énigmatique, discret ou encore furtif se dégagent ;
virtuosité et haute voltige n’ont point de secret pour l’incomparable pianiste.
Elle joue aussi quatre Études pour piano extraites
du Troisième Livre (1995-2001) de Györgi Ligeti (1923-2006) dont elle souligne la facture
mélodique et la clarté harmonique baignant dans un certain statisme. Elle rend
également hommage à la musique française avec Incises (version 2001) de Pierre Boulez (né en 1925) – dont
l’écriture et la technique sont plus pianistiques que celles des Études d’Unsuk Chin. Quatre Études de rythme (1949-50) d’Olivier Messiaen
(1908-1992) illustrent ses recherches et spéculations rythmiques dont les
« modes de valeur et d’intensité » ; ces Études austères et abruptes n’ont pas rebuté la jeune virtuose. Sa
pièce cosmologique, Par Lui tout a été
fait (extrait des Vingt Regards sur
l’Enfant-Jésus), clôt magnifiquement ce CD à raison sous-titré Fulgurances.
Édith Weber.
« Motets à
la Cour du Roy ». Les Chantres
de Saint-Hilaire, dr. François-Xavier Lacroux; 1CD TRITON
(www.disques-triton.com): TRI 331185. TT : 73’ 13.
À mi-chemin entre
le Petit et le Grand Motet versaillais, ce programme -à l’initiative de François-Xavier Lacroux- montre combien la musique est étroitement
associée à la vie quotidienne des Rois de France (événements royaux :
naissances, baptêmes, mariages, obsèques, couronnements, solennités et
divertissements). Il souligne le rôle des compositeurs français de la seconde
moitié du XVIe siècle jusqu’à la fin du XVIIe siècle. Eustache du Caurroy (né à Beauvais en 1549, mort à Paris en 1609) a,
entre autres, composé une cinquantaine de motets et de psaumes. Son successeur,
Nicolas Formé (né à Paris en 1567, mort dans cette ville en 1638), protégé de
Louis XIII, pratique le style concertant. Thomas Gobert (né au début du XVIIe siècle, mort en 1672), sous-maître de la Chapelle royale,
a mis en musique des Paraphrases de
Psaumes de David mis en vers français par Antoine Godeau, dans
l’optique de la Contre-Réforme en réaction contre le
succès grandissant du Psautier huguenot. Jehan Veillot (mort en 1662) allie style concertant et polyphonie
plus austère se rattachant déjà au Grand Motet versaillais. Pierre Robert (né vers 1620 et mort à Paris en 1699) a été
sous-maître à la Chapelle Royale ; son Recueil pour la Chapelle du Roi (Ballard,
1684) contient 24 Grands Motets à 5
et 6 voix pour grand chœur avec de nombreux instruments. À ces œuvres
religieuses : Psaumes, Hymnes, Motets, Messe (Musica simplex de N. Formé) se terminant par la prière pour le Roi : Domine salvum fac regem, est associée une Suite instrumentale de 8 pièces -dont des danses en
vogue : Pavane, Allemande, Courante, Sarabande, Gaillarde…- regroupées
par André Danican Philidor l’Aîné (v.1652-1730). Enregistrée au Diapason la 415 Hz, cette nouvelle réalisation
des Chantres de Saint-Hilaire s’impose par son authenticité sonore (copies
d’instruments d’époque) ; par sa spiritualité et son intériorité. Elle
confirme, si besoin était, leurs exceptionnelles qualités déjà signalées à
propos du disque Musique en la Chapelle
d’Henri IV (avec les Preces ecclesiasticae d’Eustache du Caurroy) paru aussi sous le Label
TRITON. Les discophiles bénéficiaient déjà d’une petite Anthologie
regroupant : « Un siècle de Motets allemands » (Les Tempermaens Variations, dir.
Thibault Lam Quang) et, grâce à François-Xavier Lacroux, le répertoire versaillais est désormais mis à leur
disposition.
Édith Weber.
Johann Georg REUTTER : Portus Felicitatis. Motets
& Arias for the Pantaleon. Monika Mauch, soprano, Stanislava Jirkü, alto, Margit Übellacher, dulcimer. La Gioia Armonica, dur. Jürgen Banholzer. 1CD RAMÉE (www.outhere-music.com) : RAM 1302.
TT : 69’ 36.
Johann Georg
Reutter le Jeune, né le 6 avril 1708 à Vienne et mort dans sa ville natale, le
11 mars 1772. Il a d’abord été formé par son père, Johann Georg Reutter et par
le vice-maître de chapelle Antonio Caldara. Il a été premier maître de chapelle
de la Cathédrale Saint-Étienne en 1738 et, en 1740, il assume les mêmes
fonctions à la Cour des Habsbourg. Il est à la fois compositeur d’opéras
viennois et de musique religieuse (Messe et Motets). Très reconnu de son temps
et très apprécié par Charles VI et Marie-Thérèse, il est ensuite tombé dans
l’oubli, et c’est le mérite de Jürgen Banholzer, avec
le concours de Monika Mauch (Soprano), Stanislava Jirkü (alto), Margit Übellacher (dulcimer) et La Gioia Armonica,
d’avoir restitué un choix de Motets et
d’Airs pour le Pantaléon (instrument vraisemblablement désigné ainsi par Louis XIV d’après le prénom
de son inventeur, Pantaleon Hebenstreit,
à la suite d’un concert). Le programme pour soprano, alto et dulcimer comprend
des pièces en latin, italien et allemand. Comme le précise J. Banholzer : ces Motets « furent donnés aux
services religieux de la Cour probablement au moment du Graduel ou de
l’Offertoire ». Le premier volet regroupe des motets religieux dans
lesquels la Gioia Armonica soutient les voix en
souplesse, par exemple : Justorum animae in manu Dei sunt (plage 2) agréable à entendre, ou encore Hodie in ecclesia sanctorum (pl. 6) glorifiant Sainte Madeleine. Le motet Wenceslaum sanctissimum (pl. 7), dans une atmosphère calme,
célèbre Saint Wenceslas, « modèle des princes », protecteur et
martyr. Le motet Surrexit pastor bonus (pl. 9), à propos de la Résurrection, affirme que la mort est vaincue. Le motet Deus Pater paraclytus (pl. 10) évoque la Trinité que les anges, les archanges et tous les saints
adorent. Le deuxième volet concerne les Arie italiennes sur des sujets profanes : âge vénérable, fleurs, rive de la
rivière, amour... Enfin, le dernier volet est instrumental : Pizzicato (pl. 3) pour dulcimer (aux
sonorités particulières), quelque peu rêveur et Allegro (pl. 5), enlevé avec virtuosité. Ce disque avec
essentiellement une finalité liturgique permettra aux discophiles avisés de
redécouvrir Johann Georg Reutter le Jeune.
Édith
Weber.
« Ombre et
Lumière ». Nathalie
Colas, soprano, Daniel Leininger, orgue. 1CD VOCATION RECORDS (www.vocation-records.com ). VOC 4570. TT : 69’ 40.
Cette réalisation a
la particularité de faire entendre les deux Orgues de l’Église Saint-Thomas à
Strasbourg : le Grand-Orgue historique de Jean-André Silbermann (1741)/Alfred Kern (1979) et l’Orgue de chœur Dalstein-Haerpfer (1905), ainsi
que les deux interprètes : Daniel Leininger (titulaire des Grandes Orgues et théologien) et Nathalie Colas (Soprano) dans
un répertoire franco-allemand « reflétant trois siècles de pratique
musicale strasbourgeoise », comme le rappelle l’organiste dans son texte
de présentation comprenant également la composition des deux instruments. Le
disque, entrecoupé de pièces vocales, s’ouvre magistralement et énergiquement
sur la Fantaisie et Fugue en Si b Majeur (op. 18 n°6) d’Alexandre Pierre François Boëly (1785-1858), en plein
classicisme, à mi-chemin entre le style de l’École française (pour le choix des
jeux) et le style allemand (pour son langage harmonique). Le volet à l’Orgue
historique se termine avec le Prélude et
Fugue en ré mineur de Felix Mendelssohn-Bartholdy
(1809-1847), page d’extrême virtuosité, bien structurée et parfaitement
maîtrisée par Daniel Leininger. Pour sa part,
Nathalie Colas interprète notamment le Benedictus de la Messe en Ut et le Psaume 84 : Quam dilecta tabernacula tua du compositeur morave Franz Xaver Richter (1709-1789)
et le Choral pour le temps de la Passion : Kommet her, ihr frechen Sünder(KV 146) de W.
A. Mozart ; elle fait preuve de lyrisme dans le grand Air de la Création de Fr. J. Haydn : Nun beugt die Flur das frische Grün, bénéficiant d’une registration tout à fait appropriée à l’atmosphère.
Les discophiles découvriront les Sanctus et Benedictus (Missa puerorum) de Josef Gabriel Rheinberger (né à Vaduz (Liechtenstein), en 1839, mort à
Munich, en 1901) chantés avec infiniment de sensibilité et de musicalité et
accompagnés à l’orgue de chœur se prêtant aussi à l’interprétation de l’Allegro cantabile extrait de la 5e Symphonie (op. 42 n°1) de
Charles-Marie Widor (1844-1937), de caractère méditatif. Le Scherzando de Concert (Trois Pièces, op. 29) de Gabriel Pierné
(1863-1937) est d’une autre veine associant élégance et divertissement,
bien rendu à l’orgue de chœur. À noter également le Pie Jesu d’André Caplet (1878-1925),
particulièrement expressif, et le Pater
Noster d’Ernest Chausson (1855-1899), avec quelques accents
impressionnistes ; il pose un point d’orgue calme, lumineux et bienfaisant
sur ce CD Ombre et Lumière. Nathalie
Colas, par sa voix magnifique, et Daniel Leininger,
le talentueux titulaire de ces Orgues, ont signé un disque
incontournable : une réussite Made
in Strasbourg.
Édith
Weber.
Lucien GUÉRINEL : Le
Quintette à vent de Marseille joue Lucien Guérinel… 1CD TRITON (www.disques-triton.com ) : TRI 331 197. TT : 45’ 15.
Voici un hommage
bien mérité à Lucien Guérinel (*1930) qui a tant
contribué au rayonnement culturel de Marseille où il s’est installé depuis
1962. À la fois scientifique, critique musical (dans les journaux Le Méridional et La Provence) et compositeur, il se
veut autodidacte, mais aussi poète privilégiant la relation poésie-musique. Il
a déjà composé plus de 70 opus. En introduction de ce CD : ses Six Bagatelles (1971) brèves avec des
annotations fugitives particulièrement vivaces, sont réalisées par les
instruments à vent faisant preuve de virtuosité entre autres dans la 5e. Le baiser de la mésange (2007) fait appel
à un récitant (Jean-François Héron) et à une pianiste (Clara Kastler). En voici
l’idée : « À la fourche d’un hêtre, la mésange avait posé son nid. Quatre
oiselets y étaient éclos et commençaient à pépier… » (d’après le Roman de Renard). Il s’agit d’un
dialogue mordant et malicieux entre la Mésange et le Renard dans lequel le
Récitant se taille la part du lion. Un des membres du Quintette à vent de
Marseille a suggéré au compositeur la poésie de Boris Vian : Autre chose que le jour (2002). La
voix de Jean Vendassi (baryton-basse), très prenante, est mise à rude épreuve pour la facture
mélodique, tout comme les instrumentistes. En conclusion, Médiatissées (2008) – œuvre de
commande de l’Institut Français des Instruments à Vent (pour le Concours
international de quintette à vent Henri Tomasi) –
comporte des intentions cachées, par exemple, selon Alain Goudard :
« (une) victoire nationale [qui] est un déhanchement de notre hymne
national, nullement par dédain de son corps musical, mais contre son emploi superlatif ».
D’une manière générale, le compositeur s’en prend aux problèmes actuels, les
présentateurs de radio, flashs publicitaires, messages indésirables... À
noter (plage 17) : (une) extase dodécaféinée « calembour à califourchon
sur le dodécaphonisme et les extases notoires de la caféine. » La dernière
pièce : « (une) petite litanie spécule sur la
« surcharge répétitive actuelle de tant d’expressions ». Inattendu et
pour le moins décoiffant.
Édith Weber.
Johann Adolf HASSE : Marc'Antonio e Cleopatra. Serenata à deux voix sur un livret de
Francesco Ricciardi. Vivica Genaux, Francesca Lombrdi Mazzulli. Le Musiche Nove, dir. Claudio Osele. 2CDs Deutsche
Harmonia Mundi : 88883721872. TT.: 45'21+43'35.
Johann Adolf Hasse (1699-1784), célèbre
maître de chapelle à la Cour de Dresde, a connu un début de carrière italienne,
et cette Serenata marquait ses débuts sur la scène
napolitaine (1725), avec le castrat Carlo Broschi,
dit Farinelli, lui-même à l'orée d'un parcours de succès. La serenata est un genre proche de l'opera seria, mais en plus réduit quant au nombre
d'interprètes vocaux. Ils sont dans le cas présent seulement deux, pour un face
à face intimiste, au fil d'une suite d'arias introduites par un récitatif, et
de deux duettos concluant chacune des deux demi-parties de la pièce. Ces arias,
relativement longues, empruntent une forme très libre, différente du strict da
capo. C'est aussi un opéra de chef, tant la partie instrumentale est
développée. Marc'Antonio e Cleopatra narre un épisode particulier de la vie de la
séduisante reine d'Égypte : ses amours malheureux avec le général Marc Antoine,
après la défaite de celui-ci par Octave, lors de la bataille navale d'Actium, en 31 avant JC, et leur perspective de suicide,
qu'ils parent, en un ultime duo, d'un chant de louanges. Les deux protagonistes
sont dépeints avec minutie comme des caractères affirmés : Marc Antoine,
anxieux, mélancolique, affecté par sa défaite, ayant renoncé à ses ambitions,
Cléopâtre, ambitieuse, véhémente, voire ironique et, bien sûr, toujours
séductrice. La musique qui lui est offerte est mouvante, souvent agitée, ornée
de colorature, là où celle dévolue au romain est plus sévère. Les harmonies
demeurent originales, alliant la rythmique italienne et la solidité de
construction germanique. L'interprétation est dominée par Vivica Genaux en Marc Antoine, timbre attrayant, voix
idéalement placée. Francesca Lombardi Mazzulli, dans
le rôle exposé de la reine, fait certes, montre d'engagement, mais ne se dégage
pas de quelque pression dans le registre aigu ; ce qui fait regretter, ici, un
contre-ténor, qui eût été sans doute plus à sa place dans une partie créée par Boschi. La direction de Claudio Osele,
à la tête d'un orchestre restreint d'une quinzaine de musiciens, dégage
expressivité et panache.
Jean-Pierre Robert.
Anniversaire Rameau
« Le grand
théâtre de l'amour ». Jean-Philippe RAMEAU : extraits de Pygmalion, Les Indes
Galantes, Les Paladins, Les Fêtes de l'Hymen et de l'Amour, Naïs, Les Boréades, Hippolyte et Aricie, Anacréon, Zoroastre, Zaïs, Dardanus, Castor
et Pollux, Les Fêtes d'Hébé, Platée.
Sabine Devieilhe, soprano. Avec Samuel Boden, ténor. Aimery Lefèvre, baryton. Le Jeune Chœur de Paris. Les
Ambassadeurs, dir. Alexis Kossenko.
1CD Erato : 509999341492. TT.: 80'06.
Ce disque, bâti autour de la soprano Sabine Devieilhe, est conçu comme un opéra imaginaire sorti
de la plume improbable de Rameau. On l'appellera « Le grand théâtre de
l'amour » et tous ses opéras, ou peu s'en faut, s'y trouvent réunis,
l'espace d'un air ou d'un morceau instrumental. Ingénieuse idée, d'autant que
le programme, bousculant allègrement la chronologie, compose une dramaturgie
pertinente. Les divers états amoureux sont passés en revue, vus du côté de la
dame : de l'innocente à la mutine, de la douce rêveuse à l'amoureuse éplorée,
de la timide à la conquérante. Les transitions sont fort habilement ménagées,
souvent sans solution de continuité, autre que le jeu de la complémentarité ou
des contrastes. Ainsi le tremblement des éléments du « Ballet figuré »,
emprunté à Zoroastre, annonce-t-il le cataclysme de la scène finale des
Incas des Indes Galantes. Cet opéra forme d'ailleurs l'alpha et l'oméga
du présent opus : les festivités débutent par le tube qu'est l'« Air pour
les Sauvages » et prennent fin en apothéose par « Régnez, plaisirs et
jeux ». Entre deux on se sera laissé charmer par de délicieux airs tirés
des Paladins, « Est-il beau ? », de Naïs, « Je ne
sais quel ennui me presse », d'Anacréon, « Tendre
amour », avant d'atteindre la langueur, à moins que ce ne soit la folie,
dans l'air fameux tiré de Platée. Sabine Devieilhe,
notre héroïne, conquiert par la fraîcheur de son timbre, la plénitude de son
chant, la perfection du style. La déclamation est juste, nullement affectée,
dans des parties réclamant aussi bien l'élégiaque (« Tristes
apprêts » de Castor et Pollux) que le
fantasque. Dans ce dernier registre, la « folie », de Platée, est menée avec aplomb dans ses changements d'humeur, dont les
« cocottes » imitatives. La souplesse de la trille aiguë parachève un
spectre vocal assurément peu ordinaire, comme l'esprit assure à ces
interprétations une vraie justesse de ton. Dans la lignée des Dessay et Petibon. On admire
aussi la direction alerte et racée d'Alexis Kossenko qui, avec ses musiciens des Ambassadeurs, achève un parcours sans faute, d'un
goût assuré, ôtant la froideur souvent accolée à la musique ramiste.
Il faut écouter, pour s'en convaincre, la délicate Contredanse des Fêtes de
l'Hymen et de l'Amour, les engageants Tambourins des Fêtes d'Hébé,
ou la magistrale Chaconne des Indes . On ne
pouvait imaginer meilleure introduction à l'année Rameau !
Jean-Pierre Robert.
Franz SCHUBERT : Quintette
à cordes en ut majeur « à deux violoncelles », D. 956. Anne Gastinel,
violoncelle. Quatuor Diotima. 1 CD Naïve : V 5331.
TT.: 56'53.
Avec le Quintette D 956, on pénètre les
ultimes pensées de Schubert comme les contrées le plus secrètes de la musique
de chambre. S'inspirant plus du modèle de Luigi Boccherini et de Georges Onslow que de celui de Mozart ou de Beethoven, Schubert
double, non pas l'alto, mais le violoncelle. S'il autorise une meilleure assise
grave, l'élargissement à un second cello rencontre au
plus près le registre du chant intime. Il participe encore de la volonté
d'enrichissement orchestral, comme en témoigne également la Grande symphonie en
Ut, contemporaine. L'interprétation des Diotima et
d'Anne Gastinel se signale par la clarté de la
texture, aidée par une prise de son d'une étonnante immédiateté. La somptuosité
instrumentale en ressort conquérante. La superposition des divers plans dans le
premier mouvement est éloquente. Voilà un Schubert loin d'être lénifiant, d'une
lumineuse sérénité, même dans les moments les plus poignants. Ainsi de
l'adagio, indication rare chez le musicien, et dont le premier thème n'est pas
paresseux, conservant au discours sa fermeté. Ce que le deuxième thème
confirme par sa tonalité tempétueuse,
offrant quelque chose de passionné. Le scherzo démarre en fanfare, assénant un
nouveau et formidable changement d'atmosphère. Les Diotima lui insufflent un entrain vivifiant. Le discours prend, ici comme ailleurs, une
ampleur orchestrale et les interprètes n'éludent pas la véhémence. Le trio
marque encore une rupture dans le registre de la gravité, sur le ton de la
déploration, avec ses phrases descendantes de l'alto et du second violoncelle.
L'allegretto final offre une danse hongroise bien rythmée. La troisième
séquence, mystérieuse, débouche sur une coda pleine de jubilation, et les
ultimes phrases sont jouées extrêmement vite, peut-être un soupçon trop
précipitées.
Jean-Pierre Robert.
Johannes BRAHMS : Sérénade
N° 1, en ré majeur, op. 11. Ludwig van BEETHOVEN : Romances pour violon et orchestre N° 1, en sol majeur, op. 40 & N° 2, en fa majeur,
op. 50. Kansai Philharmonic Orchestra.
Augustin Dumay, violon et direction. 1CD Onyx : 4101.
TT.: 67'28.
Bien avant de composer ses quatre
symphonies, Brahms s'est essayé à deux sérénades. Longtemps négligées, elles
reviennent sur le devant de la scène et des chefs comme Abbado ou Haitink ne dédaignent pas de les inscrire à leurs
programmes. La première sérénade, op. 11, est le fuit d'un long travail de maturation, puisqu'à l'origine conçue comme
une pièce de chambre, un nonette pour cinq vents et quatre cordes, que Clara
Schumann trouva si beau qu'elle convainquit le maître de l'orchestrer. Œuvre
d'agrément, elle ne prétend pas à la rigueur symphonique. Comme les
divertissements du XVIII ème, notamment de Mozart,
elle est constituée d'un assortiment de mouvements, six en l'occurrence,
partagés entre rapides et lents. Mais à la différence de ces modèles, Brahms
adopte une grande liberté de ton. Le premier mouvement, allegro molto, et plus
tard l'adagio, sont les plus développés, là enjoué et rustique, ici richement
mélodique, voire expansif avec la belle intervention du cor, un instrument
appelé à prendre une singulière importance dans la production subséquente du musicien.
Les deux scherzos évoquent quelque climat pastoral. Les deux menuettos combinés, dans le goût ancien, trahissent à peine
leur origine chambriste. Le preste rondo final conclut avec force rythme une
pièce assurément séduisante. La vision qu'en donne Augustin Dumay est assez retenue, voire quelque peu appliquée par endroit, feutrée dans le
premier scherzo, sévère à l'adagio, très sombre. Le second scherzo et le finale
sont plus animés. Dumay s'avère plus inspiré dans les
deux Romances pour violon de Beethoven, retrouvant son cher archet pour
des interprétations pensées et d'une sonorité épanouie. La seconde, en
particulier, adagio cantabile, progresse
comme un vrai mouvement de concerto. Dumay évite
toute virtuosité, même dans le passage le plus passionné, et la conclusion,
toute en douceur, est sereine.
Jean-Pierre Robert.
Robert SCHUMANN : Grande Humoresque en si bémol majeur, op. 20. Sonate pour piano N° 1 en
fa dièse mineur, op. 11. Adam Laloum, piano. 1CD Mirare : MIR194. TT.: 62'26.
Pour son second album sous label Mirare, Adam Laloum fait encore un coup de maître. Après
Brahms, voici donc Schumann et deux pièces importantes où se livrent les
réflexions d'un poète qu'on sait tourmenté. La
mélancolie appert de la Grande Humoresque op
20, de 1839, « pleine de douleurs », celles d'un amour éperdu pour
Clara Wieck, qui ne peut encore se réaliser. C'est
une immense fantaisie dont la structuration est parfois peu définie, en une
apparente improvisation, avec ses ruptures vers des passages tendres et
simples, de l'ordre du rêve éveillé, mais aussi, parfois, quelque chose de
tortueux jusqu'à l'angoisse, comme dans l'ultime section, « Zum Beschluss » (En guise de
conclusion). Schumann se plait à disserter en musique sur l'Humor (humeur) allemande, cet état d'âme associant la contemplation de la nature
et l'ironie de soi, qui peut aller jusqu'au jusqu'au burlesque. De ces cinq morceaux dont les secrets ne se livrent pas aisément,
Laloum déroule l'atmosphère indéfinissable, souvent ineffable, quintessence des
humeurs fantasques qui la traversent. La Sonate opus 11, de 1836, dans son
premier jet, « dédiée à Clara par Florestan et Eusebius », est sans doute si ancrée dans la démesure
que peu de pianistes se risquent à l'aborder. Maurizio Pollini,
naguère, en donna une exécution inouïe. Laloum maintenant s'y mesure et fait fi
de l'audace nécessaire pour bousculer l'élan de l'allegro vivace introductif,
vrai jaillissement créateur, parsemé de modulations heurtées, entremêlant
course haletante et phases réfléchies. Le souci de l'architecture est
impressionnant. Le chant d'amour de l'« Aria » s'épanche tel un
Lied, mais n'est nullement affecté. Et
le Scherzo, marqué « allegrissimo »,
sautille de joie, l'intermezzo, qui fait office de second trio, et que le
pianiste enchaîne, offrant un côté presque ironique. Lors de la reprise, Laloum
précipite l'allure, ajoutant à la charge émotionnelle. Quant à la mosaïque du finale,
où les thèmes se télescopent, tournoient sur eux-mêmes et s'enveloppent, Laloum
en offre une vision on ne peut plus cohérente, dont l'ultime achèvement sera
une coda flamboyante. Voilà un piano impérieux et poète, passionné et réfléchi,
d'un brio asservi à une intériorité habitée, et ne lésinant pas sur le poids
des contrastes. L'instrument, magnifiquement capté Salle Gaveau, est d'un
formidable impact. Une réussite !
Jean-Pierre Robert.
« The Verdi
album ». Giuseppe VERDI : Arias pour ténor, extraits de Rigoletto, Aïda, Un Ballo in maschera, Il trovatore, Luisa Miller, Simone Boccanegra, Don Carlo, La Forza del destino,
I masnadieri, Otello.
Jonas Kaufmann, ténor. Avec Franco Vassallo, baryton,
Erika Grimaldi, soprano. Coro del Teatro Municipale di Piacenza. Orchestra dell'Opera di Parma, dir. Pier Giorgio Morandi. 1 CD Sony Classical : 88765492042. TT.: 69'16.
Après un passionnant récital Wagner (cf. NL
de 5/2013), Jonas Kaufmann s'attaque à une florilège
d'arias verdiennes, et ce faisant, entame une collaboration avec un nouvel
éditeur discographique. Ainsi vont les choses par ces temps de marketing
endiablé. Plusieurs premières pour le ténor marquent ce projet. Le résultat,
somptueux, est pourtant moins enthousiasmant qu'espéré. Verdi a écrit pour le
ténor des pages sublimes, bien sûr ; mais pour plusieurs types de voix bien
distinctes. Si le ténor munichois a eu la sagesse de ne plus donner Alfredo de La traviata, par lequel il enflamma naguère l'Opernhaus de Zurich, il offre pourtant encore Rigoletto. Or, « la donna è mobile »,
apparaît, ici, plus comme un morceau de bravoure qu'une cavatine enjouée. De
même son Gabriele de Simone Boccanegra, quoique parfaitement jaugé,
doit-il être légèrement passé en force. C'est que la voix a gagné en puissance
et en expression, ses longues incursions chez Wagner n'y étant pas étrangères.
Et ce sont naturellement des rôles tels que Radames,
paré de fines nuances et d'une étonnante tenue finale « pianissimo e morando », comme écrit, ou Rodolfo de Luisa Miller qui conviennent désormais à son timbre mordoré, aux moirures barytonnantes. L'air du II ème acte, « Quando le sere al placido », un des plus ciselés de Verdi, est,
ici, d'une force peu commune, sur le ton de la déploration. Don Carlo occupe une place de choix dans sa programmation du moment, comme on le constata
à Salzbourg, l'été dernier. La scena du II ème acte est d'une belle envolée, malgré un partenaire,
Rodrigo, un peu neutre, Franco Vassallo, et une
direction d'orchestre bien peu engagée. Son Manrico du Trouvère, lui aussi abordé en juillet 2013, déploie un agilità et une vaillance à toute épreuve. Mais ce sont, nul
doute, Alvaro de La Forza del destino, et Otello qui
captent l'attention. Du premier, Kaufmann offre une scena de l'acte II d'une éblouissante beauté et d'une réelle gravité, se jouant de
l'ambitus exceptionnel requis, du ton de la confidence à l'éclat passionné. Du
Maure, il livre, l'espace de deux extraits, avec un total engagement, puissance
et intériorité, dont les quelques répliques bouleversantes de la scène finale.
Le ténor dit, sagement, ne pas vouloir approcher le rôle à la scène avant deux
ou trois ans. Mais on perçoit déjà la personnalité qu'il faut pour reprendre le
flambeau des Vickers et autre Domingo. Laissons donc du temps au temps et
gageons que plus d'un directeur d'Opéra peaufine déjà ses arguments pour s'en
assurer la primeur.
Jean-Pierre Robert.
Piotr Iliych TCHAIKOVSKY : Trio op. 50, en la mineur. Anton ARENSKY : Trio N° 1, op. 32, en ré
mineur. Trio Wanderer. 1CD Harmonia Mundi : HMC 902161. TT.: 71'42.
Réunir le trio de Tchaïkovski et l'opus 32
d'Arensky tombe presque sous le sens. Les deux pièces
ont, en effet, une même origine commémorative. Dans le cas de Tchaïkovski, il
s'agissait d'honorer un cher disparu, un ami très intime, Nicolaï Rubinstein,
le frère cadet du compositeur Anton Rubinstein, et pour Arensky,
de saluer la mémoire du celliste Karl Davidov. L'opus
50 du premier, de 1882, présente une dimension quasi symphonique dans son
premier mouvement, marqué « Pezzo elegiaco », introduit par les cordes, avant que le
piano ne prenne le contrôle des opérations et n'entraîne ses collègues dans sa
course. Vincent Coq s'y montre péremptoire, ajoutant une pointe de
dramatisation au discours, au fil de digressions agitées entrecoupées de plages
de répit, celui de la déploration enfouie. Deux thèmes se combinent, l'un
affirmatif, l'autre lyrique, presque affectueux. Le « Tema con variazioni » introduit au clavier une idée simple et
courte, suivie de douze variations dont la dernière tient lieu de finale. Le
thème subit d'incroyables métamorphoses, témoignant de l'extrême inventivité de
Tchaïkovski, en termes de climats, du plus simple à l'exubérant, du nonchalant
à l'héroïque, ou de forme, de la fugue au nocturne, de la valse à la mazurka.
L'ultime variation porte le discours à l'incandescence, dans une ardeur
dévastatrice avec cette emphase qu'on connaît au musicien dans ses dernières
symphonies. Ces morceaux sont terriblement exigeants en terme d'équilibre
piano-cordes, ce qui effrayait tant le musicien, qui se refusa longtemps à
composer pour cette formation. Mais les Wanderer, qui
n'en sont pas à leur première rencontre avec cette pièce, en offrent une
interprétation souveraine. Le premier trio qu'Anton Arensky (1861-1906) compose en 1894, n'a pas la même envergure, mais ne pâlit pas de la
comparaison. Sa facture classique, en quatre mouvements, n'empêche pas une sûre
maîtrise. Un allegro exalté et fervent, un scherzo sautillant mêlant traits
pirouettant du violon et cascades de notes du piano, avec un trio plus sage, et
surtout une « Elegia », proche du chant
funèbre, ornée dans sa partie médiane d'un chant mystérieux. Par effet de contraste, le
finale, sur un rythme de polonaise, libère le brio, quoique, là encore, portant
un regard rétrospectif sur le passé, dans le ton romantique. Les Wanderer le jouent avec tact et, comme toujours, une
immense musicalité.
Jean-Pierre Robert.
« Quintettes
pour Piano et Cordes ». Camille SAINT-SAËNS : quintette op 14. César FRANCK : quintette en fa mineur. Charles Marie WIDOR : quintettes op. 7 &
op 68. Louis VIERNE : quintette en ut mineur,
op. 42. Jean-Pierre Wallez, Yoé Miyazaki, violons, Bruno Pasquier, alto, Henri Demarquette, violoncelle, Bruno Rigutto (Franck, Vierne), François-Joël Thiollier (Widor,
Saint-Saëns), piano. 3 CDs P & Y
Productions : 2PYM 01.TT. : 67'01+ 54'57+ 28'59.
Excellente initiative que de réunir
quelques grands quintettes pour piano et cordes français. Elle est due à la
violoniste Yoé Miyazaki qui dit vouloir s'attacher à
faire revivre les pages méconnues de ce répertoire. Le genre du quintette pour
piano et quatuor à cordes a attiré plusieurs musiciens, et par coïncidence,
ici, trois organistes. A commencer par César Franck. Son Quintette en fa mineur
(1879) reste le plus connu et est justement célébré pour son architecture
grandiose que parcourt un thème cyclique. La présente interprétation en livre
la puissance presque orchestrale et l'élan passionné de ses mouvements
extrêmes, dont un finale nerveux et emporté, mais aussi la veine élégiaque et
les plages introspectives. Mais le plaisir de la découverte est ailleurs. Ce
qui tend à démontrer, s'il en était besoin, que la pièce de Franck n'est pas la
première à avoir vu le jour. Saint-Saëns, dans son opus 14, de 1855, s'y
confronte déjà, et l'audace n'y manque pas : ouvert par les accords graves du
piano, le premier mouvement combine deux thèmes, l'un bien rythmé, l'autre
lyrique, produisant une alchimie rare. L'andante est pure sérénité, d'une atmosphère
paisible. Le scherzo tranche par son allure presque affolée, course effrénée,
et le finale offre une construction serrée. Charles Marie Widor (1844-1937),
titulaire des orgues de Saint-Sulpice, a donné deux
quintettes. Son opus 7 (1867) est une pièce de jeunesse, tour à tour martiale,
sautillante et enjouée, tandis que l'opus 68, de 1894, distingue un style plus
affirmé, plus raffiné aussi, mais avec des traits originaux : digressions
coulantes du clavier enveloppé par la voilure des cordes à l'unisson
(moderato), mélancolie de l'andante, d'une fière audace formelle, modernité et
vigueur du scherzo con fuoco, et retour au calme au
finale, empli de visions toutes de plénitude et de transparence gallique. Avec
son opus 42, de 1920, Louis Vierne (1870-1937), organiste à Notre-Dame de
Paris, livre un cri de douleur devant la perte d'un fils, fusillé pour avoir
été objecteur de conscience. Une œuvre « menée à bout avec une énergie
aussi farouche et furieuse que ma douleur est terrible », écrira-t-il.
Composition déchirante, traversée de traits pathétiques d'une tendresse
indicible, comme de fureur à peine contenue et de traits rageurs. Toutes ces
pièces sont interprétées par un ensemble réunissant talents d'aujourd'hui, Yoé Miyazaki, Henri Demarquette,
et vétérans solides, Jean-Pierre Wallez, Bruno
Pasquier, comme les deux pianistes Bruno Rigutto et
François-Joël Thiollier. Leur musicalité est immense,
leur engagement de tous les instants. Aussi ne faut-il pas s'arrêter en si bon
chemin. Car il reste bien d'autres trésors à explorer : outre les deux opus de
Fauré, que dire de ceux de Charles Koechlin, de
Vincent d'Indy, d'Alberic Magnard, de Gabriel Pierné ou de Florent Schmitt !
Jean-Pierre
Robert.
Serge PROKOFIEV : Concerto pour piano et orchestre N° 3. Bela BARTÓK : Concerto pour piano N° 2. Lang Lang, piano. Berliner Philharmoniker, dir. Sir Simon Rattle. 1 CD Sony : G010002977549C. TT.: 60'35.
L'hyper virtuose et très médiatique Lang Lang attrait chez son éditeur, Sony, pas moins que les Berliner Philharmoniker et leur
chef Sir Simon Rattle, l'instant d'un projet autour
de deux concertos de piano on ne peut plus brillants du répertoire du XX ème siècle. Mais l'exécution pose question : la rutilance
digitale, poussée à un tel degré, ne frôle-t-elle pas la caricature ? Voilà un
piano, non plus virtuose, mais délibérément dominateur, agressif même. Un tel
parti peut, certes, en concert, procurer l'ivresse de l'excitation. Mais qu'en
est-il à l'audition domestique ? Le Troisième concerto de Serge Prokofiev (1921)
passe certainement pour brillant. Au prestissimo initial et motorique,
Lang Lang frappe fort, très fort, confondant forte et écrasement sonore, puis s'engouffre dans le maniérisme à la partie
centrale, plus calme, certes, mais frappée de ralentissements tout autant
excessifs. La coda, prise à une vitesse incroyable, confine au bruit percussif.
Si l'andantino con variazioni est abordé avec plus de
tact, la gimmick reprend vite ses droits et les écarts dynamiques redeviennent
exorbitants. Le dernier mouvement reçoit le même traitement, avec ses traits
lancés comme des fusées. L'impact est certain, mais lasse à force d'être autant
asséné. Reste un orchestre incandescent et incisif, même si Rattle frôle, lui aussi, l'hyperbole et même un sentimentalisme proche de Rachmaninov
dans les passages lyriques. Il faut écouter ce qu'en font Yuja Wang et Claudio Abbado pour retrouver la scintillance et la vraie dynamique d'une pièce dont Francis Poulenc louait les
« harmonies bariolées ». Les choses sont moins exacerbées dans le
Concerto N° 2 de Bartók (1931). Est-ce dû à la rigueur de Rattle qui retient, ou contient, son jeune collègue, dans ce concerto écrit «
pour le piano et l'orchestre, comme pour des parties égales en
importance » dira l'auteur ?
L'approche percussive, qui marque le premier mouvement, est mieux dosée et
l'équilibre est parfaitement ménagé entre piano et vents, les percussions étant
placées en position d'arbitre, souligne Claire Delamarche.
L'emballement digital sait laisser place au mystère. Dans le mouvement central,
le piano se fait interrogateur sur un orchestre frémissant, marqué par le pppp des cordes et le discours menaçant des percussions. Cela
débouche sur une étrange section presto, course poursuite effrénée entre le
clavier et un orchestre spectral, avec trilles évanescentes du piano ou traits
impérieux sur un aplat de cordes graves. Impressionnant ! Le finale est
brillant, alors que le piano ferraille avec la grosse caisse. L'impact est,
ici, puissant et la manière bien moins extravertie que dans le Prokofiev. Pour
les fans du pianiste chinois, cependant !
Jean-Pierre Robert.
Émile GOUÉ : Musique de chambre, volume 2. Quintette pour quatuor à cordes et piano, op. 42. Petite suite facile pour
quatuor à cordes, op. 28. Trio pour violon,
violoncelle et piano, op.6. Olivier Chauzu, piano, Quatuor Joachim. 1CD Azur Classical : AZC100. TT.: 62'16.
Issu d'une famille d'enseignants, lui-même
professeur de math, mais aussi philosophe, Émile Goué (1904-1946) vouait à la musique sa première passion. Sa production comprend
aussi bien des pièces symphoniques, que vocales ou chambristes. Dans ce dernier
domaine, le présent disque offre un panorama de ses diverses manières. Le Trio
pour piano, violon et violoncelle op.6, de 1933, procède du principe franckiste
et offre, à travers ses quatre mouvements, une sonorité pleine dans une
structure ferme, chevauchée animée, chant monotone marqué par une progression
exacerbée, course effrénée, évocatrice, dans la lignée des scherzos
romantiques, et finale animé, offrant une étonnante variété de climats. La Petite suite facile, op. 28 (1940), est la première œuvre que Goué écrira en captivité, ayant été fait prisonnier dans un
Stalag du nord de l'Allemagne, dont il ne sera libéré qu'en 1945. Si la manière
est plus avenante, le ton n'en est pas moins intense. « Ce n'est pas un
amuseur. Ce n'est pas, même, un adroit charmeur » dira de lui, Charles Koechlin (in Contrepoints, 1946) qui fut un de ses
maîtres. Enfin, le Quintette pour piano et cordes, complété en 1944, dans des
conditions plus que difficiles, signe une des plus fascinantes partitions de ce
musicien atypique. Plus que toute autre, il met en avant le monothématisme,
au cœur de la manière d'Émile Goué, qui s'attache à
construire l'œuvre à partir d'un seul thème dont procèdent tous ses dérivés, au
fil de multiples combinaisons : « soit horizontalement, par extrapolation
ou déformation du thème générateur, ou soit verticalement, les thèmes
secondaires étant obtenus en tant que contre-sujets », précise le musicologue
Damien Top. Il émane de cette pièce d'envergure un souffle quasi architectural
s'imposant dès le premier mouvement, « très modéré », lequel s'ouvre
par un thème d'allure atonale, curieusement chez un maitre épris de tonalité.
Le geste se fait ample et serré, progression haletante, sans cesse recommencée.
Le mouvement « lent » figure une grande et intense digression des
cordes, dans laquelle le piano inscrit sa cantilène affirmée. Les climax sont
rythmés par celui-ci. Le rondo final, directement enchaîné, propose un jeu de
rythmes, là encore arbitré par un piano quelque peu déjanté. L'interprétation
du Quatuor Joachim et du pianiste Olivier Chauzu est
empreinte d'une belle maîtrise étreignant la vie intérieure qui irise une pièce
d'une force rare.
Jean-Pierre Robert.
Frédéric
CHOPIN (Vol 2 : Ballades) : Ballades, 4 Mazurkas op.24, Barcarolle op. 60, Nocturne op.
9, N°3, Polonaise-Fantaisie op 61. Hélène Tysman, piano. 2CDs OEHMS Classics : OC 894. TT.: 41’44+41’55.
Deuxième opus de la jeune pianiste Hélène Tysman consacré à Frédéric Chopin, un double album en forme
de voyage intérieur : une errance intemporelle, occasion d’une réflexion
approfondie sur ce qui caractérise l’interprétation et les rapports que
celle-ci peut entretenir avec la composition, dans une perpétuelle re-création. Hélène Tysman s’est
d’ailleurs longuement entretenue à ce sujet avec Chopin lui-même, avant de nous
proposer cet enregistrement ! Après les 24 Préludes et la Sonate n° 2 en 2010 (cf. NL de 5/2010), ce sont aujourd’hui les quatre Ballades s’intégrant dans une flânerie harmonique plus large,
comprenant un choix de Mazurkas, Barcarolle, Nocturne et la Polonaise-Fantaisie, qui nous sont
proposés dans un déroulement continu, témoignant d’une familiarité déjà
ancienne et profonde avec ce compositeur. Une interprétation caractérisée par
sa sombre clarté, sa fougueuse délicatesse, sa douceur
mélancolique, entre exaltation et douleur, entre passion et abandon. Du bel
ouvrage, la confirmation d’un talent certain. Admirable disque.
Patrice Imbaud.
Charles
IVES : Sonates
pour piano N° 1 & N°2 « Concord ».Philippe Keler, piano. 1CD Label Soupir Editions : S220. TT : 79’25.
Les deux sonates pour piano de Charles Ives
(1874-1954), interprétées ici par le spécialiste du genre, Philippe Keler, voilà qui fait tout l’intérêt de cet enregistrement.
Rarement données, il s’agit d’œuvres atypiques, originales et déroutantes comme
leur auteur Charles Ives. Formé par son père, chef de fanfare, qui, dès son
plus jeune âge, l’initia au monde de la théorie musicale (tonalité, acoustique,
rythmique) et aux chansons populaires de Stephen Foster, il devint à 14 ans
organiste de sa paroisse, puis poursuivit des études musicales à Yale, composa
un volumineux corpus (symphonies, musique de chambre, œuvres vocales) en menant
parallèlement une carrière d’assureur ! Il arrêta de composer en 1927,
sans que l’on en connaisse véritablement la cause, et mourut à New York en
1954. La Sonate n° 1, composée entre
1901 et 1909, est une œuvre à programme : « la vie à la campagne dans le Connecticut, entre 1880 et 1890, les
impressions, souvenirs et reflets de la vie des fermiers ». Constituée
de cinq mouvements, avec un grand mouvement lent central comprenant lui-même
trois parties, encadré de deux ragtimes, cette sonate annonce la monumentale Sonate n° 2, dite « Concord Massachussets 1840-1860 », composée entre 1911 et 1915. Là encore une composition très
atypique comme un hommage rendu à Beethoven et aux écrivains américains de
l’école « transcendantaliste ». Chacun des quatre mouvements qui la compose porte le nom d’un des quatre plus importants membres
du groupe : Emerson, Hawthorne, Alcott et
Thoreau. De nouveau une musique à
programme : Emerson illustre « la force et la beauté de la bonté
innée dans l’homme, la nature et dieu », Hawthorne raconte le fantastique
et l’enfance, The Alcott narre la vie tranquille du
philosophe éponyme, enfin Thoreau conclut sur le charme de la nature, avec
accompagnement facultatif de flûte et alto. Une formidable musique, hypnotique
ou rageuse, pour une formidable interprétation où Philippe Keler fait preuve d’une maîtrise absolue du piano, sachant laisser place au silence
et à la méditation, avant d’enchaîner avec des déferlements torrentiels d’une
rare virtuosité. Un disque à ne manquer sous aucun prétexte !
Patrice Imbaud.
Charles IVES : The Side
Show. Songs of
Charles Ives. Rayanne Dupuis, soprano. Antoine Palloc, piano. 1CD Label Soupir Editions : S221. TT : 60’35.
Charles Ives (1874-1954) est décidément à
l’honneur chez Soupir Editions. Après un disque consacré aux deux sonates pour
piano, voici un nouvel enregistrement
dévolu, cette fois, aux mélodies du compositeur américain : 36 chansons
pour l’essentiel extraites du recueil de 114 songs qu’Ives publia en 1922. Un corpus
correspondant à environ 35 années d’activité créatrice, comprenant au total 151
mélodies. Des compositions à l’image de leur auteur, variées, déroutantes,
charmantes, réalisant un véritable patchwork haut en couleurs, mêlant les
différents influences subies par le compositeur, métaphysique, sentimentale,
populaire, dans le style allemand ou français… Une diversité stylistique
impressionnante, une grande richesse d’expression, un éclectisme caractérisé,
paradoxalement, par la recherche évidente d’une unité entre l’art et les
différentes facettes de la vie. Un superbe album, comme un très bel hommage à
cette belle musique, si rarement jouée. Ici, magnifiquement interprétée par la
soprano canadienne Rayanne Dupuis dont la vocalité
facile transcende textes et musique, servis par une diction sans faille et
soutenus par l’accompagnement sans reproches d’Antoine Palloc.
Un bémol cependant, l’absence dans le livret de traduction française des textes
allemands ou anglais, ce qui nuit grandement à l’adhésion de l’auditeur et à
l’appréciation fine de la performance vocale. Un très beau disque
toutefois !
Patrice Imbaud.
« Octuorissimo. Le Maître & l'Élève »: Osvaldo Golijov : Last Round pour deux quatuors et
contrebasse. Dimitri Chostakovitch : Elégie
et Polka, Deux pièces pour octuor à cordes op.11. Astor Piazzolla : Tango Ballet. Marc Mellits : Octet. Quatuor Debussy &
Quatuor Arranoa. 1CD Label 1001 Notes : 04.TT :
57’10.
Originalité, qualité d’interprétation,
prise de son d’une rare présence, telles sont les raisons qui font de ce disque
un véritable événement. Un disque étonnant, enthousiasmant et bouleversant qui
vous prend à la gorge dès la première note et maintient la tension de bout en
bout, jusqu’à l’accord final. Octuorissimo, cinquième
opus de la collection « Maître & Élève », associe les quatre
hommes du Quatuor Debussy et les quatre femmes du Quatuor Arranoa,
le premier confirmé, le deuxième en devenir… Parité stricte, mais surtout très
belle manière de transmettre le savoir du maître à l’élève dans une évidente
complicité où se mêlent virtuosité et plaisir de jouer. Un programme réunissant Osvaldo Golijov (*1960),
avec Last Round pour deux quatuors et
contrebasse, Chostakovitch, et Elégie
et Polka, Deux pièces pour octuor à cordes op.11, Astor Piazzolla, pour Tango Ballet, et Marc Mellits (*1966) et son Octuor.
Des compositions peu connues mêlant grâce, fougue et hardiesse. De la musique
magnifique rare, portée ici au plus haut, du plaisir pur, un charme fou, un
disque « coup de cœur » ! Indispensable à tous les amateurs
de musique de chambre et même aux autres !
Patrice Imbaud.
« Rhapsody in blue ». Alexander ARUTIUNIAN. George GERSHWIN. Nicolas
RIMSKY-KORSAKOV. Éric Aubier,
trompette. Orchestre d’harmonie de la Garde Républicaine, dir.
François Boulanger. 1CD Label Indésens :
INDE058. TT : 72’20.
Nouvel épisode de la collaboration,
désormais ancienne, entre le maître incontesté de la trompette actuelle, Éric
Aubier, et le très inventif label Indésens. Un disque
superbe par le choix des œuvres et par la qualité musicale de leur réalisation. Rhapsody in blue (1924) de Georges Gershwin (1898-1937), véritable kaléidoscope de l’Amérique,
mêlant avec bonheur jazz et musique classique, où la trompette remplace
avantageusement piano et clarinette par son chant langoureux et sensuel,
annoncé par son célèbre glissando inaugural. Le Concerto pour trompette & orchestre (1950) d’Alexander Arutiunian (1920-2012), pièce incontournable du répertoire
de la trompette, probablement le plus beau concerto jamais écrit pour cet
instrument, en quatre mouvements, au climat tantôt folklorique arménien,
légèrement orientalisant, tantôt méditatif ou à l’inverse enlevé, presque
sarcastique, rappelant Chostakovitch par certains accents de la cadence finale.
Enfin, Shéhérazade de Nicolas Rimsky-Korsakov (1844-1908) merveilleusement transcrite
pour orchestre d’harmonie par François Boulanger. Un programme aussi expressif
que virtuose, qui nous mène de Broadway aux steppes d’Asie centrale, où la
trompette apparaît dans tous ses états, sachant se faire caressante ou
véhémente, lyrique ou sarcastique, toujours juste et magnifiquement musicale
sous les doigts experts d'Éric Aubier.
Patrice Imbaud.
« Ave
Maria ». Vittorio Grigolo, ténor. Chœur de la Chapelle
Sixtine. Orchestra Roma Sinfonietta, dir. Fabio Cerroni. 1CD Sony Classical: 88725456832. TT : 60’47.
Voici un disque de musique sacrée comme le
souvenir poignant, mais déjà lointain, du temps où Vittorio Grigolo faisait partie du prestigieux Chœur de la Chapelle Sixtine de Rome (de 11 à 14
ans). Mais voila… Depuis les temps ont changé, la voix mua, murit avec les ans,
prit du poids et de la consistance, pour atteindre actuellement à une véritable
maturité reconnue sans discussion dans le domaine de l’opéra ou de la chanson populaire
napolitaine. Mais cette évolution, qu’on peut qualifier de physiologique,
autorise t-elle aujourd’hui à chanter le répertoire
d’hier ? Telle est la question posée, auquel cet enregistrement tente de
répondre. Aussi peut-on se demander, à juste droit, si la voix de Vittorio Grigolo convient encore à ce type de répertoire sacré, lui
dont la carrière s’est orientée, avec bonheur, vers le domaine profane. Force
est de constater que certains airs, à la spiritualité très marquée, enregistrés
sur ce disque manquent d’élévation, la voix y paraissant lourde, trop maniérée,
là où l’on aurait souhaité la sobre humilité de la prière. La ligne de chant
manque de legato, parasitée par un vibrato gênant. D’autres airs à l’inverse,
comme l’Ingemisco,
extrait du Requiem de Verdi semblent
mieux servis par le ténor italien. Un disque, on l’aura compris qui interroge
quant à l’adéquation entre voix et répertoire. Une voix probablement mieux
adaptée aux passions humaines qu’aux louanges de Dieu ! Dommage ! Un
disque à réserver aux inconditionnels de Vittorio Grigolo.
Patrice Imbaud.
« Bel canto from Monteverdi to Verdi ». Simone
Kermes, soprano. Concerto Köln, dir. Christoph-M. Mueller. 1CD
Sony Classical : 88765455042.TT : 63’27.
Riche de son expérience du chant baroque,
Simone Kermes, dans ce nouvel opus, hisse au plus
haut les limites de la vocalité : l’émission est juste et aisée, la
diction claire, le timbre limpide, le legato sublime, l’ornementation
parfaitement maîtrisée, le souffle tendu sans aucun vibrato, la ligne de chant
soignée, élégante et expressive. Telles sont les raisons de la réussite
indiscutable de ce nouvel album de la chanteuse allemande dont la tessiture se
prête aussi bien aux œuvres virtuoses baroques qu’aux arias de Mozart ou de
« bel canto ». Simone Kermes explore, ici,
le domaine du « beau chant » au sens large du terme :
Monteverdi (Si dolce è tormento), Mercadante (Virginia), Rossini (Maometto II, Semiramide), Donizetti (Betly, o campanna svizzera,
Linda di Chamounix), Bellini bien sûr (Norma, Adelson e Salvini), mais également Mozart (Die Zauberflöte) et Verdi (I masnadieri,
Attila)… Des œuvres très variées, depuis les deux airs de la Reine de la
Nuit, parfaitement maîtrisés, teintés d’un sentiment d’urgence et d’un
ressentiment palpable, jusqu’au non moins célèbre « Casta diva », chanté dans un tempo d’une étonnante lenteur, ainsi
que d’autres œuvres, peut-être moins
connues…Toutes compositions nécessitant quintessence mélodique, d’une part, et
virtuosité vocale, d’autre part, toujours au service de l’expressivité
dramatique, menées ici avec un indéniable talent. A écouter sans
modération !
Patrice Imbaud
***
MUSIQUE ET CINEMA
Haut
LE FILM
GOLTZIUS AND THE PELICAN COMPANY. Réalisateur Peter Greenaway. Compositeur
Marco Robino
Voyeurisme,
inceste, adultère, pédophilie, prostitution, nécrophilie sont les thèmes
explicitement abordés dans le dernier film de Peter Greenaway. C’est un voyage
imaginaire à travers les yeux du célèbre peintre baroque hollandais Hendrick Goltzius (1558-1617). Pour obtenir des sous pour
une presse à imprimer, le peintre se
présente devant le Margrave d’Alsace avec la troupe théâtrale la Compagnie du
Pélican. Pour séduire ce puissant monarque il va présenter six scènes extraites
de l’ancien et du nouveau testament dont il tirera des dessins qu’il offrira
par la suite au Margrave. C’est ainsi que Greenaway va mettre en scène Adam et
Ève (le voyeurisme), Loth et ses enfants (l’inceste), David et Bethsabée
(l’adultère), Joseph et la femme de Putifare (pédophilie), Samson et Dalila (prostitution) et Salomé et Saint Jean Baptiste
(nécrophilie). Petit à petit la fiction et la réalité vont interférer pour
terminer dans un bain de sang. Pour accompagner ces images et cette mise en
scène délirante, rococo, obscène, magnifique, comme sait le faire Greenaway, la
musique est du compositeur italien Marco Robino et
son quintette Architorti. Habillés de tenues du
XVIème siècle, les musiciens participent à l’action en jouant des compositions
minimalistes de Robino. Aux recherches picturales de
Greenaway, font écho les expériences musicales tentées par ce musicien
violoncelliste, qui travaille pour le réalisateur depuis 2004. Marco Robino est né à Turin et a été l'élève du célèbre Adriano Vendramelli. Après une intense activité comme chambriste
dans diverses formations, et comme premier violoncelle à l’orchestre de la RAI,
il fonde en 1994 le Quintette Architorti pour lequel
il fait de nombreuses adaptations et des compositions. Il collabore avec le
musée du cinéma de Turin sur plusieurs projets cinématographiques. Du punk à la
techno en passant par le répertoire de la musique ancienne, il fait des
transcriptions, des arrangements. En 2004, il rencontre Peter Greenaway pour
qui il composera « The Tulse Suitcases », « A Life in Suitcase », « La Ronde de Nuit », « Visions of Europe ». Architorti participera à la 61ème Mostra de Venise. La
musique de Robino est très expérimentale, mélange de
sources diverses classiques et pop music. Elle irradie le film comme l’image.
Comme le dit Peter Greenaway : « Je
désire une bande son très riche, aussi riche que l’image. Dans mes films la
musique est toujours répétitive, comme mes scénarios. Il est toujours question
de la récurrence des faits, des humeurs ou des sentiments. Mes goûts musicaux
sont liés à la musique minimaliste des années 60 : Michael Nyman,
avec qui j’ai travaillé de nombreuses fois, Philip Glass avec qui je monterai
un opéra l’an prochain. Le compositeur de Goltzius et la Compagnie du Pélican,
Marco Robino et le groupe turinois Architorti appartiennent à une nouvelle génération de
musiciens minimalistes ». A voir et à écouter. Il et elle ne peuvent laisser indifférents.
http://www.youtube.com/watch?v=32_oYNaM7xY
En
rappel, quelques musiques de Michael Nyman pour Peter
Greenaway et autres réalisateurs figurent sur ce CD :
Virgin records CDVE957
Stéphane Loison.
BO en CDs
LOVELACE : Réalisateur Rob Epstein, Jeffrey Friedman
Compositeur Stephen Task1 CD Sony 88883768522
C’est
la véridique et triste histoire de la célèbre actrice Linda Susan Boreman de « Deep Throat ». Ce fût le premier film pornographique
avec un scénario et projeté dans les circuits commerciaux. Il a rapporté une
fortune, mais pas à cette femme qui a été battue, prostituée par son mari. La
musique de Task est celle de l’époque, les années 70,
c’est à dire le funk, le Rhytm and Blues et le rock.
Stephen Task s’est surtout fait connaître en écrivant
la musique d’un musical off Broadway (1998) et d’un film « Hedwig and the Angry Inch » sur Hedwig, un
rockeur transsexuel allemand de l’Est. Angry Inch ayant un rapport à ses organes sexuels mutilés. La
pièce et le film sont devenus cultes. Le CD « Lovelace » ne comporte
qu’un morceau original de Task. Le reste, ce sont des
morceaux superbes de R&B où l’on retrouve Gladys Knight, Eddie Kendricks…KC & the Sunshine Band. Un film qui aurait dû sortir le 25 novembre 2013, la journée
internationale contre les violences faites aux femmes.
http://www.youtube.com/watch?v=cTqVV-Q1UyQ
http://www.youtube.com/watch?v=cuk39tu10tc&list
QUAI D’ORSAY. Réalisateur
Bertrand Tavernier. Compositeur Alain Sarde. 1CD Quartet Records
C’est
la neuvième collaboration de Sarde avec Tavernier. On se souvient du « Juge et l’Assassin », « Coup de Torchon » et plus
récemment, « La Princesse de
Montpensier ». Basée sur une BD de Abel Lanzac et Chistophe Blain, c’est une comédie satyrique qui
met en scène l’ex ministre des affaires étrangères Dominique de Villepin, joué
par Thierry Lhermitte, pendant la crise irakienne. Bertrand Tavernier a donc
réalisé sa première comédie et Philippe Sarde a écrit une musique empreinte
d’ironie et de rythme. C’est Dominique Spagnolo qui a
fait les arrangements et qui conduit l’orchestre. Philippe Sarde n’a jamais
écrit les arrangements de ses musiques et a toujours su employer des musiciens
de talents pour les écrire (Hubert Rostaing par
exemple). Parmi les musiciens qui ont participé à la BO, on trouve Ricardo Del
Fra à la basse, Jean Pierlot aux percussions, Frédéric Couderc au saxo et
Raphaël Didjaman au didgeridoo (instrument à vent de la famille des cuivres d’origine australienne). Les trois
chansons que Bertrand Burgalat a écrites pour le film
sont incluses sur le disque. Il y avait longtemps que Philippe Sarde nous avait
donné une aussi belle musique de film. Le sujet de Quai D’Orsay l’a peut être
inspiré.
http://www.youtube.com/watch?v=jmwE8aSojrs
THE BUTLER (LE MAJORDOME). Réalisateur Lee Daniels. Musique de Rodrigo Leão. 1CD
Decca 5345511
Le
jeune Cecil Gaines, en quête d'un avenir meilleur, fuit, en 1926, le Sud des
États-Unis, en proie à la tyrannie ségrégationniste. Tout en devenant un homme,
il acquiert les compétences inestimables qui lui permettent d’atteindre une
fonction très convoitée : majordome de la Maison-Blanche. C'est là que Cecil
devient, durant sept présidences, un témoin privilégié de son temps et des
tractations qui ont lieu au sein du Bureau Ovale. À travers le regard de Cecil
Gaines, le film retrace l'évolution de la vie politique américaine et des
relations entre communautés. De l'assassinat du président Kennedy et de Martin
Luther King au mouvement des "Black Panthers",
de la guerre du Vietnam au scandale du Watergate, Cecil vit ces événements de
l'intérieur, mais aussi en père de famille…Le film, qui nous fait revivre
l’histoire américaine, est fait pour que Forest Whitaker ait un nouvel Oscar. C’est long, long, long et terriblement américain. La
musique est signée de Rodrigo Leão, compositeur
portugais, qui n’a pas fait de musique de films. Il a composé et participé au
fameux groupe Madradeus qui a travaillé pour Wim
Wenders. Sur le CD on trouve de superbes morceaux de funk (Gladys Knight, Dinah Washington, James Brown….) et deux thèmes du film.
Tout cela est bien agréable mais pas nécessaire.
GEORGES LAUTNER /
EDOUARD MOLINARO
Deux
réalisateurs de films populaires des années 60/70 viennent d’écrire le mot Fin
sur l’écran noir. Georges Lautner a été associé dans ses
derniers films à Philippe Sarde qui était le compositeur à la mode du cinéma
français dans les années 70/80. Mais sa BO la plus célèbre, comme son film, est
celle des « Tontons Flingueurs »
qui date de 1963. Comme Georges Delerue, son premier compositeur, n’était pas
libre, on lui a suggéré Michel Magne. A l’époque c’était le compositeur le plus
fécond. Magne lui propose un concept : bâtir la partition sur les quatre
notes du bourdon de Notre Dame ! Comme le dit Lautner, : « j’avais trouvé plus cossard que moi » !
Le film fonctionnant au second degré, la musique de Magne ne dépareillait pas.
A l’époque, Lautner a eu l’impression de s’être fait
avoir. Un thème simple, mis à toutes les sauces, du Twist au Rock en passant
par le Baroque ??? « Une
musique de feignant ! ». Aujourd’hui, l’effet de répétition du
thème piano-banjo, lorsque Blier se prend un « bourre-pif » est
devenu un must. Le travail de Michel Magne sur les « Tontons Flingueurs » est un gros gag et ça marche. Lautner, quarante ans après, l’appréciait ! La
collection « Ecoutez le Cinéma » propose un CD avec la BO des « Tontons Flingueurs » et celle de
« Ne Nous fâchons pas »
écrite par Bernard Gérard. En bonus extraits de « Le Monocle Rit Jaune », « Galia », « Les Barbouzes » composées par Magne
et « La Grande Sauterelle »
de Gérard.
Le
premier CD de la collection « Ecoutez le Cinéma » est un album Lautner/Sarde avec « Flic et Voyou » et « Le Guignolo ». Edouard Molinaro,
lui, a été plus éclectique dans ses choix pour ses musiques : Georges Delerue,
Claude Bolling, Georges van Parys, Michel Legrand,
Vladimir Cosma, Jean-Claude Petit…Ses films les plus
célèbres sont « L’Emmerdeur »
et « La Cage aux Folles ».
Pour le premier, c’est Jacques Brel et François Raubert qui ont composé la musique, Brel était aussi acteur.
Pour le second, c’est une musique devenue célèbre d’Ennio Morricone. Pour ses
premiers films, fin des années cinquante, comme tous les jeunes réalisateurs de
l’époque, il a fait appel à des jazzmen. Ainsi Art Blakey a composé la musique de « Des femmes
Disparaissent » et Barney Wilen celle de
« Un Témoin dans la Ville ».
Polar rimait avec jazz. Ces musiques sont encore éditées, ce sont de belles
compositions de jazz à écouter. En bonus on trouve la musique de jazz de
« Les Tricheurs » de Marcel
Carné. Carné s’était mis lui aussi au goût du jour.
Universal 017182-2
Universal 159 899-2
Fontana
8347522
Stéphane Loison.
Séries françaises
Les
feuilletons, les séries, les unitaires emploient de nombreux compositeurs
souvent moins connus du grand public que leurs confrères des longs-métrages. Ce
qui ne veut pas dire qu’ils ont moins de talent. Dans ce genre d’exercice les américains sont
devenus plus célèbres aujourd’hui grâce au succès des séries : Ramin Djawadi pour « Game of Throne », Michael Giacchino pour « Alias »
et « Lost »,
Trevor Morris avec « Les Tudor »,
« Les Borgias » (la série anglaise), Danny Elfman pour « Desperate Wives », Bear McCreary avec « Battlestar Galactica »,
Murray Gold et « Dr Who », Daniel Licht et « Dexter », Joel Goldsmith et « Stargate », David Carbonara pour « Mad Men »… En France, certains
compositeurs sont surtout célèbres auprès des producteurs, des réalisateurs,
mais le public apprécie leur travail sans connaître leur nom. Ainsi on peut citer
Stéphane Moucha qui a écrit plus d’une cinquantaine de téléfilms et séries.
C’est avec « Nicolas Le Floch » qu’il a reçu le prix de la meilleure
musique au festival de La Rochelle en 2008. Il a écrit la musique du
documentaire « Tous au Larzac », qui
a reçu un César en 2012. On peut aussi citer son travail sur la série « La Cour des Grands » ou « Les Petits Meurtres d’Agatha Christie »,
qui ont été des succès pendant cinq ans. Sur Canal Plus « Braquo » est très apprécié. Le musicien est Erwann Kermovant qui fait les
musiques du réalisateur Olivier Marchal. On peut citer Cyril Morin qui écrit
pour la télévision et pour le cinéma « Samsara »,
« Zaina »
mais aussi « Mafiosa »
et la première saison de « Borgia ».
Un des plus prolixes est sûrement Frédéric Porte dont les créations approchent
plus de six cents. C’est Takis Candilis ancien patron de la fiction à TF1 qui
lui a fait faire un nombre incalculable de musiques pour le petit écran.
Milan 399 067-2
Stéphane Loison.
Entretien avec TAKIS
CANDILIS
DR
Réalisateur de cinéma, Takis Candilis devient en 1984
producteur dans différentes sociétés audiovisuelles (Prony, Tara Productions,
Caméras Continentales, Ellipse, Hamster Productions). En 1999 il entre à TF1
comme directeur de la fiction, devient directeur général adjoint chargé de la
fiction et des flux, puis président de TF1 production. En 2008 il rejoint le
groupe Lagardère. En 2010 il est nommé Président Directeur Général de Lagardère
Entertainment qui regroupe
les activités de productions et de distributions audiovisuelles de Lagardère
Active, soit plus de 18 sociétés. Lagardère Entertainment est la première
société de production audiovisuelle française par son chiffre d'affaires. La
musique classique ou celle pour la fiction a toujours accompagné ses diverses
activités
Dès le début de
votre carrière vous baignez dans la musique
« J’ai
fait effectivement beaucoup de productions autour de la musique. J’ai commencé
dans le documentaire puis dans la captation de spectacles vivants et notamment
d’opéras. C'était il y a longtemps et pour les premières expériences qui se
sont faites de captations et de recréations de spectacles en haute définition.
Je me souviens qu’on a tourné au Mariinsky à Saint
Saint-Pétersbourg, pour faire d’affilé deux opéras et deux ballets. On amenait
les caméras, tout le matériel technique et souvent on travaillait en
coproduction avec les compagnies de disques, Deutsche Gramophone, EMI, Sony Classical… J’avais fait toute la série des Mozart avec John
Eliot Gardiner. Pour Philips, on a tourné avec Valery Gergiev,
et fait des recréations avec Kent Nagano. A l’époque, on créait pour le laser
Disc, l’ancêtre du DVD, ainsi que pour la télévision. Grâce à des obligations
de productions, ces programmes se trouvaient être diffusés souvent à des heures
impossibles. Par exemple, j’avais produit la captation de Pélléas et Mélisande, mise en scène de Peter Stein, dirigé par Boulez et tourné à
Cardiff dans des conditions homériques. Le seul coproducteur que j’avais trouvé
à l’époque c’était TF1. Pour faire ses quotas de diffusion, elle avait passé
cet opéra en trois fois une heure, la nuit entre deux heures et trois heures du
matin ! On produisait aussi, bien sûr, pour le disque. Chaque artiste que
l’on filmait était affilié à une maison de disques. On côtoyait pour le son les
plus grands ingénieurs du son de ces compagnies. C’était une époque bénie où
l’on faisait des réunions à l’un ou l’autre bout de la terre avec les chefs d’orchestre
concernés par les projets, soit à New York soit à Tokyo. Les réunions
techniques se passaient ainsi selon l’emploi du temps de ces chefs. Il y avait
de l’argent à l’époque. Aujourd’hui, via une filiale du groupe qui s’appelle Telmondis, nous sommes le plus gros producteur de ce type
de spectacle. Nous avons un accord d’exclusivité avec Valery Gergiev. Je suis allé à l’inauguration du nouveau théâtre Mariinsky qui jouait la Khovantchina et j’ai rappelé à Valery qu’il y a vingt ans j’avais produit déjà sa Khovantchina au disque. 20 ans après je la
reproduisais. On s’est congratulé en souvenir de cette époque, et bien sûr la
vodka et le caviar ont été de la fête. C'était donc une de mes activités.
L’autre c’était de faire des films autour de la musique mais pas en captation,
en documentaire. Quand enfin j’ai commencé à produire de la fiction, j’ai
utilisé de la musique pour être un élément dramatique du récit.
Vous aviez des
relations avec des compositeurs ?
Je
connaissais évidemment quelques compositeurs de musique, mais en tant que
producteur je laissais plutôt le réalisateur choisir sa musique : ça tenait
souvent à des relations assez intimes qu’il entretenait avec un musicien.
J’écoutais, je donnais mon avis, je regardais, mais disons que j’étais plutôt
un go-between entre le point de vue de la chaîne et
le point de vue des talents. J’étais le liant. Le diffuseur ne me faisait pas
de remarque au sujet de la musique. En tant que producteur, face au diffuseur,
je n’avais pas ou peu de dialogue sur
les éléments techniques de la dramaturgie, que cela soit de la précision d’un
scénario, de telles ou telles directions artistiques prises ou de tel ou tel
découpage, et encore moins sur la musique. Le résultat pouvait être quelquefois
« Oh, il y a trop de musique » ou bien « y’en a pas
assez ».
Quand
vous vous êtes retrouvé à TF1 y a-t-il eu un changement d’attitude ?
Lorsque
je suis arrivé à TF1, j’ai convoqué tous mes collaborateurs et je leur ai dit :
j’ai été producteur, je sais qu’il y a une chose qu’on fait. Une fois qu’on a
signé un contrat avec la chaîne pour nous le travail est terminé, après on se
débrouille, tout le boulot a été fait en amont. Moi je leur ai dit que je
voulais qu’on fasse l’inverse. Le jour où ont a signé avec nous, c’est à ce
moment là que le boulot va commencer. Je veux que vous regardiez tous les
rushes, tous les castings, tous les costumes, qu’on parle de la lumière,
comment on va éclairer, quel va être le son, comment va-t-on utiliser la
musique. J’ai organisé mes équipes pour être plus présent. Cela était très
décrié. Je l’assume totalement, mais c’était un moyen de créer. Dans les
émissions de flux il y avait une couleur TF1, il y avait une lumière, une
brillance. Généralement il y avait du bleu. Si vous regardez la 2 c’est plutôt
du rouge, c’est chaud. La Une c’est plutôt du blanc, du bleu, c’est brillant,
un peu froid mais clinquant. Je voulais retrouver au niveau de la fiction cette
couleur TF1, des nuits qui n’en étaient pas, des sons qui étaient plutôt
claquants, des rires plutôt scintillants. Et au niveau de la musique c’était la
même chose. Je voulais un vrai accompagnement musical. Et quand on a commencé
le dialogue avec les producteurs qui étaient nos premiers interlocuteurs, on
s’est aperçu malheureusement que quelquefois ils démissionnaient ou qu’ils
n’avaient pas le temps. Alors on a été obligé d’entrer en direct. Plus vous
demandez, plus vous exigez. Donc on s’est retrouvé à faire les castings, je
voyais les costumes…. On m’accusait d’avoir dit à des gens qu’un sac de cette
couleur, ça ne marchait pas ! Certes, mais dans un film tous les éléments
concourent à donner des informations sur le caractère des personnages. A
l’époque, j’ai côtoyé un certains nombres de musiciens qui venaient me faire
écouter leur musique. Je leur demandais de me faire une maquette, de me donner
la couleur, la thématique, le thème. Là on rentrait dans une logique avec un
thème principal, des thèmes par rôle avec des tendances plus ou moins
dramatisées selon tel ou tel personnage.
Il y
a une différence de conception musicale entre un unitaire, une série, un
feuilleton ?
La
série ou l’unitaire c’est le même problème. La musique d’un unitaire peut
rester dans la tête toute la vie ou va ruiner tout le film. Morricone n’a pas
fait de séries et pourtant toutes ses musiques sont emblématiques de ses films.
On les écoute ad libitum sans jamais s'en lasser.
J’ai
rencontré des compositeurs très intelligents. Notamment un avec qui j’ai fait
faire 60% des musiques de TF1, c’était Frédéric Porte. Entre la série,
récurrente, et l’unitaire il y a le feuilleton, et c’est vraiment là le lieu où
on peut décliner intelligemment et sans overdose la musique. Le générique est
hyper important comme la couleur qu’on va donner aux épisodes, avec évidemment
là une capacité de développer une partition musicale sur cinq ou six fois 90
minutes. Au début, selon les moyens qu’on donnait au compositeur, c’était avec
un orchestre français, puis les coûts nous ont obligé à aller à Sofia ou à Prague. Puis, la technique évoluant, les compositeurs
travaillaient avec leur matériel, puis on a mélangé les cordes et les samplers.
Avec un unitaire on réduisait le coût de la musique, dans les séries il y avait
une réutilisation de la musique. Dans le feuilleton c’est là où il y avait les
budgets les plus intéressants qui permettaient de mélanger l’orchestre, la
création musicale. Un feuilleton c’est la compilation de six unitaires. Pour
tenir, il faut inventer des personnages et c’est tous ces personnages qui vont
permettre de créer les rebondissements, les croisements. Autour de tous ces
personnages il faut créer un univers musical. Il y a un côté épique dans le
feuilleton, qui permet d’exprimer des envolées lyriques, dramatiques, etc…C’est là où j’ai pris le plus grand plaisir : permettre
à des gens de s’exprimer sur ces durées là. Des durées qu’on n’a nulle part
ailleurs.
Exemple ?
Je me
souviens très bien de « Le Bleu de l’Océan », une mini série en 5 épisodes de 100
minutes, réalisée par Didier Albert il y a juste 10 ans. C’était un feuilleton
à cheval sur deux genres. On sortait des feuilletons classiques initiés par De Givray. Moi j’ai voulu renouveler le genre. Je faisais
référence au best seller de l’été où l’on voyait sur
la plage des gens qui lisaient Barbara Cartland ou du
polar. Je me suis dit mélangeons les genres, mélangeons la saga et le polar. On
a fait un essai qui était « L’Eté Rouge ». On a eu un énorme succès.
Sauf qu’un feuilleton ça se prépare un
an à l’avance. On avait donc lancé le deuxième feuilleton suivant. On m’avait dit
on tente le polar et si ça ne marche pas on revient au feuilleton plus
classique. Sauf que le succès du premier nous a fait changer d’idée, et qu’il
fallait remettre du polar. Comme on avait déjà tourné une partie, on a crée la
dimension polar par du montage en retriturant l’histoire et beaucoup par la musique. Je réécoute la musique des compositeurs
qui avaient fait Navarro, Serge Perathoner et Jannick
Top, et je leur demander de « repolariser »
la musique. Cela a fait un feuilleton hybride qui a été un assez gros succès.
La fois d’après on est parti dans « Zodiac », « Le Maître du
Zodiac »…et là on est entré dans la
grande musique lyrico-policière. Au fur et à mesure de rencontres avec des musiciens
je me suis aperçu qu’il y avait des compositeurs qui pigeaient plus que
d’autres. Moi je ne sais pas lire la moindre partition, mais ce que j’essayais
de faire c’était de renforcer les situations dramatiques et les sentiments des
personnages et comment ils les expriment. Je disais au compositeur : voilà, il
faut que tu me fasses pleurer, là je veux quelque chose de plus en longueur, là
quelque chose de plus rapide. J’ai trouvé des musiciens qui comprenaient ce que
je leur disais et rapidement, indépendamment de leur qualité, et d’autres qui
étaient plus lents. Les grands moments musicaux pour moi sont plus dans les
feuilletons que dans les unitaires ou dans les séries. Il y a plus la place de
développer de longues thématiques musicales.
Vous avez eu les
résultats que vous escomptiez ?
Je
suis assez fier de la musique de « Zodiac », de
« Mystère ». Claude Michel Rome, le réalisateur avec qui j’ai
beaucoup travaillé, a des rapports privilégiés avec les musiciens qui
réagissent aussi vite que lui, dont Frédéric Porte. En télévision il faut être
très réactif, on n'a pas le temps. La musique hélas arrive souvent au dernier
moment, elle est rarement utilisée au moment du tournage. Nous imposions dans
notre découpage une surutilisation des plans. Je vois
souvent sur le service public qu’il y a des plans larges avec toute une
situation qui se fait : c’est une chose qu’on n'aurait jamais faite. On aurait
demandé au metteur en scène de la découper pour pouvoir redonner du rythme à la
scène, probablement par peur d’un zappage éventuel.
Il y a eu des
chansons ?
Il y
avait toujours une chanson de générique final pour tous les feuilletons.
Quels sont les
feuilletons qui vous laissent de bons souvenirs ?
Beaucoup
: « Méditerranée », « L’Eté Rouge », les «
Zodiac », « Dolmen ». C’étaient des évènements que les gens
attendaient. On pouvait faire du marketing. Aujourd’hui à la place du feuilleton il y a la série en huit ou dix
épisodes. On voit bien que la transposition du feuilleton d’été est devenue la
série à l’américaine qui est reprise par Canal, par Arte et par d’autres.
Aujourd’hui
que vous êtes redevenu producteur, cette expérience vous permet de produire de
manière différente ?
Chez
Lagardère il y a une vingtaine de sociétés qui ont leur propre identité. Je laisse quand même tous les producteurs
s’exprimer. Il y a des moments où je m’investis plus, sur des séries
importantes comme « Borgia ». Pour le choix du musicien j’ai demandé
qu’on contacte Cyril Morin avec qui j’ai beaucoup travaillé sur TF1. Il a fait
la musique pour la première saison. J’aime beaucoup ce qu’il fait au cinéma.
Dans « Samasara »,
par exemple, il a une capacité à trouver des couleurs musicales assez
exceptionnelles. La difficulté de « Borgia » c’était de ne pas tomber
dans le cliché. L’autre difficulté c’est que la main est celle du show runner. Sur « Borgia » il y a quatre ou cinq
réalisateurs, les auteurs sont six ou sept, et le choix final est donné par le
show runner. C’est une organisation à l’américaine.
Il y a des patrons pour tous les services.
Je
suis désolé, mais à l’inverse des grandes séries, le générique dans
« Borgia » est pratiquement inexistant, on ne s’en souvient pas.
Oui,
il y a beaucoup de musique dans « Borgia » mais il n’y a pas de
thèmes, et moi j’ai un vrai problème. Le générique est important et il fallait
trouver cette couleur qui est aussi essentielle que les dialogues. La
thématique est importante, c’est un signal sonore. Or dans le cas présent il
n’est pas reconnaissable, mémorisable. Pour Cyril ça été compliqué. Pour la
saison deux ils ont fait un casting, ils ont changé de compositeur, et ont
demandé à Éric Neveux. Il a fait aussi un bon travail, mais je trouve de la
même manière qu’il n’y a pas de thématique qui prenne de l’importance. Ce n’est
pas dû au musicien, la musique d'Éric est très jolie, mais elle est noyée par l’image,
par la dramaturgie, et ça ce n’est pas normal parce qu’elle doit être un des
éléments dramatiques et non un accompagnement. La saison trois est en tournage.
Pour la saison deux on a changé de générique. Ce qui fait que pour certains la
musique n’est qu’un support, quelquefois un cache misère, et pour d’autres un
élément plus indispensable. C’est très compliqué de faire comprendre la musique
qu’on désire. Sur tous les autres aspects techniques on peut mieux se faire
comprendre. Avec la musique c’est compliqué. On peut dire j’aime, j’aime pas. C’est tout l’art du metteur en scène de pouvoir
être en phase avec son musicien. Peut-être est-ce un problème de culture.
Depuis
trente ans vous faites ce métier avec passion, vous êtes aussi un amateur de
musique dans le sens premier du terme : quelles réflexions avez-vous sur ce
métier ?
Lorsque
j’ai commencé comme producteur de fiction, je travaillais avec un monsieur à
TF1 qui s’appelait Claude de Givray. C’était l’école
Truffaut, une personne qui avait une énorme culture cinématographique. Quand
j’allais le voir, on parlait trois heures de cinéma avec des références qui
étaient assez simples, des films des années 50, 60,70. J’avais des
collaborateurs qui étaient de cette génération là. Aujourd’hui, il y a des gens qui ne sont pas
nés avec le cinéma comme média, mais avec la télévision. Allez leur parler de
la nouvelle vague, du cinéma américain, de la beat génération, même du cinéma
des années 70, Monty Hellman par exemple ! Ce sont des gens qui n’ont pas cette culture. Le cinéma tel qu’il
est produit aujourd'hui est dans sa très grande majorité un cinéma de
marketing. Ce n’est pas un jugement de valeur : il a simplement une autre fonction. Cette perte d’analyse et de culture fait que le
dialogue est encore plus difficile à obtenir et que souvent on a quelqu’un dans
une chaîne qui va vous dire j’aime ou j’aime pas, sans aucune analyse critique.
Et qui au sujet de la musique va vous regarder comme s’il n’avait pas entendu
celle qui était sur une scène qu’il venait de regarder, et vous dira oui, oui
c’était bien. Est-ce un bien, un mal je ne sais pas…mais il existe un manque
Citez-moi les
compositeurs de musique pour la télévision que vous aimez
Frédéric
Porte, Cyril Morin, Didier Vasseur, le compositeur de « Julie Lescaut », et
aussi les deux de « Navarro » Serge Perathoner et Jannick Top. Serge avait fait le superbe générique
d’Ushuaïa.
Propos recueillis
par Stéphane Loison.
Entretien avec
FREDERIC PORTE
Frédéric Porte, la quarantaine passée,
compositeur prolixe pour la télévision, s’est fait connaître à travers les
feuilletons de l’été de TF1, tels que « Zodiac », « Dolmen », « Mystère »,
et des séries comme « Le Juge est une Femme », « Avocat &
Associés », « Les Cordier », « Femme de Loi », et plus
récemment « Camping Paradis »…Il a à son actif plus de 700
partitions. Curieusement, ses musiques ne peuvent être écoutées indépendamment
de l’image. Il est donc impossible d’apprécier sa musique dans sa plénitude.
Quel est votre
parcours initial ?
Tout
simple, le bac puis le conservatoire de Versailles, en classe d’écriture, avec
la compositrice, ancienne élève de Messiaen, Solange Ancona.
Votre père vous
a-t-il influencé ?
Non.
Bien sûr, j’ai baigné dans la musique mais c’est le dessin, l’huile, le fusain
qui m’intéressaient. Après j’ai fait de la musique. Jeune, je voulais faire de
la musique de séries télé, je ne sais pas pourquoi, je devais être visionnaire.
Mon père était musicien mais pas dans la musique de films, bien qu’il en a fait quelques unes.
Que regardiez-vous
pour avoir eu cette envie ?
Je ne
pourrais répondre mais j’aimais bien cette idée de suivre pendant des années
les mêmes comédiens. Après j’ai eu la chance de le vivre.
Quelles séries regardiez-vous ?
Les
séries américaines style « Manix, »
« Les Mystères de l’Ouest », « Cosmos 1999 »,
Quelle fut votre
première musique ?
J’ai
fait quelques courts-métrages pour les gens de l’HIDEC, j’ai fait des musiques
pour les répondeurs. Mon premier truc important c’était un pilote pour un soap opéra, une série australienne qui s’appelait
« Un héritage », mais qui n’a jamais été acheté en France. Après,
j’ai composé la musique d’un film « Entraînement du champion avant la
course » de Bernard Fabre, qui a été présenté à Cannes en 91, et puis j’ai
rencontré une productrice qui a voulu renouveler ses équipes. J’ai fait des
maquettes et j’ai démarré avec elle. Contente de mon boulot elle m’a présenté à
des producteurs, des réalisateurs. J’ai ainsi débuté dans les années 93/94 et
par eux j’ai fait des coproductions internationales avec Warner Télévision, sur
deux séries américaines. Parallèlement, je suis entré dans la série télé
française avec les « Cordiers »…
On ne
sort pas les musiques des séries françaises en CD ou en téléchargement :
comment l'expliquez-vous ?
Je
pense qu’en France on n’écoute pas autant la musique que dans les autres pays. Le easy listening a débuté très tard en France alors qu’à l’étranger il était partout et même
avec des compositeurs français. Paul Mauriat par
exemple. Vladimir Cosma vend aussi beaucoup à
l’étranger. Je pense que c’est culturel. En France les gens ne chantent pas
dans les bars comme en Irlande par exemple. J’ai travaillé avec des producteurs
français qui me disaient que la musique ce n’était pas trop leur truc, ils
étaient plus littéraires. J’ai eu la chance de bosser avec des producteurs
américains pendant plusieurs années, ils savaient tous jouer d’un instrument.
La culture musicale, ça commence à l’école, à l’université. Les écoles, à
l’étranger, ont souvent leur orchestre. Donc si le public est limité, les
maisons de disques ne vont pas faire l’effort de sortir un CD, même si le
feuilleton a cartonné.
On ne trouve nulle
part vos musiques ?
Exact,
le seul truc qui était sorti c’est « Dolmen » parce que le producteur
de Marathon aime la musique.
http://www.dailymotion.com/video/x5i4q1_dolmen-generique_shortfilms
Vous avez beaucoup
travaillé pour Takis Candilis ?
J’ai
rencontré chez Dune production le réalisateur Claude Michel Rome pour une série
qui s’appelle « Le Grand Patron ». J’avais fait un thème irlandais
qui n’a rien à voir avec « Dolmen », un thème anodin qui a plu au
bras droit de Takis et c’est ainsi que j’ai fait sa connaissance. Takis
Candilis est assez famille, il est sensible à la musique, on s’est bien entendu
et on a pas mal travaillé ensemble. Il a une vraie culture musicale. Pascal
Breton chez Marathon lui aussi avait de l’oreille. C’est avec lui que j’ai fait
« Dolmen ». Ils sont assez rares les producteurs qui sont sensibles
ainsi à la musique.
Aujourd’hui sur
quelles séries travaillez-vous ?
Je
continue « Camping Paradis », « Commissaire Magellan » sur
F3, « Mes Amis Mes Amours Mes Emmerdes » sur TF1. J’aime retrouver
les séries où on a mis son empreinte, j’y reviens avec plaisir. Changer
d’univers ça me plaît. J’avoue que j’ai un grand faible pour les comédies. J’ai
fait beaucoup de polar mais la comédie c’est ce que je préfère. Quand j’étais
plus jeune j’étais un fan de Cosma.
Vous
écoutez ce que font les compositeurs des séries américaines aujourd’hui ?
J’écoute
beaucoup de musiques pour m’informer, mais ce n’est pas là que je vais trouver
des idées. J’écoute pour une approche professionnelle plus que pour le plaisir.
Pour le plaisir je préfère écouter de la musique classique comme Elgar, Brahms,
les post romantiques. Ce sont des compositeurs qui me nourrissent énormément.
Ce qu’on entend à l’heure actuelle par rapport à une trentaine d’année c’est
une musique totalement uniformisée. Ce n’est pas la faute des compositeurs,
c’est ce qu’on leur demande. Je vous mets au défi de reconnaître Desplat et un musicien américain sur un film concurrent.
Moi je ne le reconnais pas. Entre Cosma et Legrand,
oui je peux le faire. On pouvait faire la différence entre Delerue et Roubaix.
Même Sarde qui a été décrié, a fait dans les années soixante dix de très belles
musiques. J’espère que cette uniformisation va s’arrêter. On a besoin de
diversité. Dans les séries américaines ou françaises on a beaucoup de nappes,
une musique très discrète. Le problème des chaînes c’est qu’elles sont devenues
schizophrènes, elles croient connaître leur public. Or personne
connaît son public. Elles ont peur, c’est le symptôme des chaînes en
déclin. Je le vois dans l’élaboration de certaines comédies, c’est tellement
édulcoré que le scénario n’est plus drôle. Même moi je suis contraint de faire
de la musique un peu tiède. En ce moment je termine un épisode pour la série
« Meurtre A », pour FR3. Le concept est assez génial, crée par Anne
Holmes qui dirige la fiction sur FR3. Avec Claude Michel Rome on a démarré un
film de la collection de manière assez violente et FR3 nous a dit attention
c’est peut être trop violent pour notre public ; ce qui n’est pas critiquable
de leur part. Mais nous on tente des choses. Moi je me souviens d’avoir
travaillé avec un réalisateur très bien, Philippe Triboit,
qui m’a dit sur « Avocat et Associés » : « tentons de faire un peu de contrebande et allons plus loin que ce que
les chaînes nous demandent. On aura amené un peu quelque chose de plus, quitte
à reculer ensuite ». Moi je continue de faire ça toujours. Si on écoute
les conseillers de programmes, ils ont trop peur pour changer quoique ce soit.
Ils manquent de
culture ?
Quand
j’ai débuté chez TF1 j’étais jeune, j’ai commencé sur les
« Cordier ». J’allais aux réunions, c’était convivial avec des pots
quand un film faisait une bonne audience, tout le monde était invité, là on
avait de vraies discussions artistiques, les gens avaient une vraie culture du
métier. Celui qui a succédé à Takis, c’était un DRH de chez Bouygues, un
monsieur très bien. Mais on aurait aimé que la télévision soit produite par des
gens du métier. Je ne porte pas de jugement sur les personnes, ce sont des gens
très intelligents mais qui ne font pas le même métier. Un jour Takis me dit :
va voir Lombardini, un type superbement intelligent
qui est maintenant directeur général de Free. C’était assez surprenant de
discuter de la nature du générique, de savoir si on écrivait ou pas une chanson
avec un type qui sortait de Centrale ou de Polytechnique, c’était assez
étonnant quoi ! Cela change l’approche du métier
Maintenant
que vous approchez la cinquantaine, avez-vous de bons souvenirs ?
Je me
suis beaucoup amusé sur les séries d’été, beaucoup sur « Zodiac »,
« Dolmen », c’était avec un réalisateur avec qui je travaille depuis
plus de vingt ans, Claude Michel Rome. TF1 a essayé de lui faire changer de
compositeur. Il n’avait rien à me reprocher mais il voulait du changement.
Claude Michel ne voyait pas pourquoi il allait changer pour changer. On forme
un couple, on se comprend sans avoir besoin de se parler. Travailler ainsi
permet de ne pas faire d’erreur.
Après
750 œuvres déposées, trouve-t-on encore l’énergie pour se renouveler ?
Moins
de plaisir peut-être, mais quand vous avez la chance qu’on continue à vous
appeler, on ne va pas refuser. C’est une chance énorme, moi je suis boulimique
de boulot. Tant que j’ai plus de plaisir que de contrainte je continue. Mais
c’est vrai qu’il y a plus de contraintes que de plaisir aujourd’hui. Je ne me
voyais pas faire quand même le 250ème « Cordier ».
Propos recueillis
par Stéphane Loison.
LE DOCUMENTAIRE
Le
Chant des Ondes – sur la piste de Maurice Martenot
DR
L'automne a été té marqué par la projection
à deux reprises, à Paris, du remarquable film documentaire de Caroline Martel, Le chant des Ondes - sur la piste de Maurice
Martenot (Canada, 2012, 1H36), une
première fois au Forum des images, au Forum des Halles, le 28 novembre, dans le
cadre de la Semaine du Cinéma du Québec, et une deuxième fois le 13 décembre
2013 à l’Université Pierre et Marie Curie, Campus Jussieu, dans le cadre d’une
résidence à l’UPMC, de Michel Risse et de la compagnie Décor Sonore, où trois
journées étaient consacrées à la « Genèse du Son Électronique ».
Le Chant des Ondes - sur la piste de
Maurice Martenot (grand prix Golden Athena Music & Film – Athens International Music &
Film Festival) nous plonge dans l’univers musical et humain d’un instrument
électronique de musique aussi fragile que magique : les ondes Martenot.
Intrigue au présent sur fond d’histoire, ce long-métrage documentaire poursuit
le rêve inachevé de cet instrument qui nous mène au cœur-même du mystère de la
musique. Intégrant cinéma direct, archives inédites et répertoire musical
extrêmement varié, ce film retrace l’histoire et explore les mystères de cet
instrument dont le répertoire va de Messiaen et certains musiciens contemporains
à Radiohead mais qui a aussi été plébiscité par
Maurice Ravel pour l’interprétation de certaines de ses œuvres, sans oublier
son utilisation dans bon nombre des chansons de Jacques Brel...
Si ce film est de nouveau présenté en France, nous ne manquerons pas d’en faire
part à nos lecteurs.
Daniel Blackstone.
***
LA VIE DE L’EDUCATION MUSICALE
Haut
Le CASCA
Comité d'Aide et de Soutien aux Chœurs Amateurs
Qui sommes-nous ?
Le CASCA est un Fonds de Dotation créé,
en 2010, par une chef de chœur, Michèle Lhopiteau-Dorfeuille, elle-même à la tête de trois chœurs amateurs.
Il est géré par un Conseil d’Administration actuellement formé de quatre
membres, eux-mêmes choristes et chanteurs, auxquels d’autres chefs ou
présidents de chœurs sont conviés à se joindre. Jean-Claude Casadesus en est le
Président d’honneur. Le
CASCA souhaite apporter un soutien financier à des chœurs amateurs, en
privilégiant les chœurs de jeunes et d’enfants.
Qu’entendons-nous
par « chant choral amateur ? » : il s’agit d’une
pratique artistique de groupe exercée par des personnes qui ne sont pas
rémunérés et qui chantent donc pour leur plaisir. Les chœurs amateurs sont
tous régis par la loi de 1901, et les CA qui les dirigent toujours formés de
bénévoles.
Pourquoi
aider cette activité (qui semble autosuffisante) ? Parce que ces
chœurs sont aujourd’hui de plus en plus souvent encadrés (chef de chœur et
pianiste durant les répétitions) et accompagnés (instrumentistes et chanteurs
solistes pendant les concerts) par des professionnels compétents, eux-même rémunérés. Le chant choral amateur est devenu,
depuis quelques années, un véritable gisement d’emplois non délocalisables,
qui permet de vivre à de jeunes chefs, de jeunes instrumentistes et de jeunes
chanteurs professionnels, pour la plupart intermittents du spectacle. L'aspect
« humaniste » du chant choral amateur se double donc d’un intérêt
économique certain.
Le
CASCA est convaincu que le chant choral amateur fait partie du panorama musical de notre pays et qu’il est un vecteur
essentiel d’intégration et de citoyenneté. Il anime le territoire, en
proposant des concerts de qualité, et à des prix abordables, à une population
qui, sans cela, n’aurait jamais accès à la culture - particulièrement en milieu rural. C’est grâce au chant choral amateur,
et à lui seul, que le public peut, en effet, entendre un vaste et riche
répertoire chœur/orchestre, que les chœurs professionnels en activité ne
mettent que peu à leur programme, pour cause d’effectifs insuffisants. Le CASCA
agit donc dans une démarche culturelle d'intérêt général.
L'action du CASCA
participera au maintien sur le long terme de ce chant choral amateur à qui la
conjoncture économique actuelle n'est pas favorable et qui concerne pourtant
des centaines de milliers de personnes dans notre pays : des réductions
drastiques de subventions publiques sont, en effet, programmées, alors que
jamais le niveau musical de ces chœurs n’a jamais été aussi élevé.
De surcroit, la pratique régulière et sérieuse du
chant choral est, pour les jeunes, la meilleure école qui soit et la meilleure
formation à la citoyenneté : elle exige en effet un engagement réel sur le long
terme, la faculté d’écouter les autres et de suivre des consignes extrêmement
précises, le tout dans une atmosphère conviviale et chaleureuse dont toute
compétition est bannie, puisque ce sont les progrès de l’ensemble des participants
qui importent.
Modalités
de fonctionnement du CASCA
Montant
de l’aide apportée par le CASCA : l’aide ponctuelle pour chaque
dossier déposé ne pourra dépasser un montant plafond qui sera fixé chaque année
par le Conseil d’Administration, en fonction des rentrées d’argent dans le
Fonds de Dotation. L’aide ne sera attribuée qu’après délibération du Conseil
d’Administration et sera conditionnée à la transparence comptable des groupes
demandeurs.
Origine des fonds : Le CASCA ne peut
pas demander de subventions publiques car il ne pourrait pas,
légalement, les redistribuer. Les financements ne pourront donc provenir
que du mécénat privé - sachant que
les dons, qu'ils proviennent d'une société ou d'une personne, seront
partiellement déductibles des impôts, le CASCA étant un Fonds de Dotation
d’intérêt général et à visées culturelles.
Les actions du
CASCA seront menées avec discernement et les fonds attribués à la suite d’un
vote, après évaluation des chorales demanderesses selon une grille précise et suivant les
mêmes critères que les évaluations faites pour les demandes d'agrément
(défiscalisation). Tous les Fonds de Dotation sont par ailleurs sous la tutelle
du CNCC (Compagnie Nationale des Commissaires aux Comptes), organisme officiel,
national et indépendant.
Le CASCA accompagnera de son mieux les chœurs de jeunes
et d’enfants, seuls capables de faire vivre sur le
long terme le chant choral amateur : en leur permettant de louer
un local, de payer une assurance, d’acheter des partitions, d’affréter un autobus
pour se rendre à telle ou telle semaine chantante, voire d’offrir une formation vocale à ses
membres. Des jeunes qui, répétons-le, ne pourront que tirer le plus grand
profit du sérieux, de l’engagement et de la rigueur que requiert la pratique du
chant choral de qualité.
Les DONS sont reçus sous forme de chèques libellés à l’ordre du CASCA et envoyés à
l’adresse suivante :
CASCA,
S/C de Michèle Lhopiteau
Le Bourg
24140 Maurens
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votre activité, votre programme éditorial ou votre saison musicale dans L’éducation musicale, dans notre Lettre
d’information ou sur notre site Internet, n’hésitez pas à me contacter au 01 53
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Les projets d’articles sont à envoyer à redaction@leducation-musicale.com
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musicale : 7 cité du Cardinal Lemoine 75005 Paris
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musicale
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Publié l'année même de son ouverture, cet ouvrage raconte avec beaucoup de précisions la conception et la construction du célèbre bâtiment.
Le texte est remis en pages et les gravures mises en valeur grâce aux nouvelles technologies d'impression. |
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Pour la première fois, le Tchèque Leoš Janácek (1854-1928), le Finlandais Jean Sibelius (1865-1957) et l'Anglais Ralph Vaughan Williams (1872-1958) sont mis en perspective dans le même ouvrage. En effet, ces trois compositeurs - chacun avec sa personnalité bien affirmée - ont tissé des liens avec les sources orales du chant entonné par le peuple. L'étude commune et conjointe de leurs itinéraires s'est avérée stimulante tant les répertoires mélodiques de leurs mondes sonores est d'une richesse émouvante. Les trois hommes ont vécu pratiquement à la même époque.
Ils ont été confrontés aux tragédies de leur temps et y ont répondu en s'engageant personnellement dans la recherche de trésors dont ils pressentaient la proche disparition. (suite). |
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Ce guide s’adresse aux musicologues, hymnologues, organistes, chefs de chœur, discophiles, mélomanes ainsi qu’aux théologiens et aux prédicateurs, soucieux de retourner aux sources des textes poétiques et des mélodies de chorals, si largement exploités par Jean-Sébastien Bach, afin de les situer dans leurs divers contextes historique, psychologique, religieux, sociologique et surtout théologique.
Il prend la suite de La Recherche hymnologique (Guides Musicologiques N°5), approche méthodologique de l’hymnologie se rattachant à la musicologie historique et à la théologie pratique dans une perspective pluridisciplinaire. Nul n’était mieux qualifié que James Lyon : sa vaste expérience lui a permis de réaliser cet ambitieux projet. Selon l’auteur : « Ce livre est un USUEL. Il n’a pas été conçu pour être lu d’un bout à l’autre, de façon systématique, mais pour être utilisé au gré des écoutes, des exécutions, des travaux exégétiques ou des cours d’histoire de la musique et d’hymnologie. » (suite)
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Cet ouvrage regroupe pour la première fois les 43 chorals de Martin Luther accompagnés de leurs paraphrases françaises strophiques, vérifiées. Ces textes, enfin en accord avec les intentions de Luther, sont chantables sur les mélodies traditionnelles bien connues.
Aux hymnologues, musicologues, musiciens d'Eglise, chefs, chanteurs et organistes, ainsi qu'aux historiens de la musique, des mentalités, des sensibilités et des idées religieuses, il offrira, pour chaque choral ou cantique de Martin Luther, de solides commentaires et des renseignements précis sur les sources des textes et des mélodies : origine, poète, mélodiste, datation, ainsi que les emprunts, réemplois et créations au XVIè siècle... (suite)
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Mozart aurait-il été heureux de disposer d'un Steinway de 2010 ? L'aurait-il préféré à ses pianofortes ? Et Chopin, entre un piano ro- mantique et un piano moderne, qu'aurait-il choisi ?
Entre la puissance du piano d'aujourd'hui et les nuances perdues des pianos d'hier, où irait le cœur des uns et des autres ?
Personne ne le saura jamais. Mais une chose est sûre : ni Mozart, ni les autres compositeurs du passé n'auraient composé leurs œuvres de la même façon si leur instrument avait été différent, s'il avait été celui d'aujourd'hui.
Mais en quoi était-il si différent ? En quoi influence-t-il l'écriture du compositeur ? Le piano moderne standardisé, comporte-t-il les qualités de tous les pianos anciens ? Est-ce un bien ? Est-ce un mal ? Qui a raison, des tenants des uns et des tenants des autres ? Et est-ce que ces questions ont un sens ?
Un voyage à travers les âges du piano, à travers ses qualités gagnées et perdues, à travers ses métamorphoses, voilà à quoi convie ce livre polémique conçu par un des fervents amoureux de cet instrument magique.
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En préparation
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Analyses
musicales
XVIIIe siècle – Tome 1
L’imbroglio
baroque de Gérard Denizeau
BACH
Cantate
BWV 104 Actus tragicus Gérard Denizeau
Toccata
ré mineur Jean Maillard
Cantate
BWV 4 Isabelle Rouard
Passacaille
et fugue Jean-Jacques
Prévost
Passion
saint Matthieu Janine Delahaye
Phœbus et Pan Marianne Massin
Concerto
4 clavecins Jean-Marie Thil
La
Grand Messe Philippe
A. Autexier
Les
Magnificat Jean Sichler
Variations
Goldberg Laetitia
Trouvé
Plan
Offrande Musicale Jacques
Chailley
COUPERIN
Les
barricades mystérieuses Gérard Denizeau
Apothéose
Corelli Francine
Maillard
Apothéose
de Lully Francine
Maillard
HAENDEL
Dixit Dominus Sabine Bérard
Water
Music Pierrette
Mari
Israël
en Egypte Alice Gabeaud
Ode
à Sainte Cécile Jacques
Michon
L’alleluia du Messie René Kopff
Musique
feu d’artifice Jean-Marie
Thill |
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Paru en juillet
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Où trouver le numéro du Bac ?
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Les analyses musicales de L'Education Musicale
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