« De Angelis ». Collegium Vocale de Hanovre, dir. Florian Lohmann. 1CD RONDEAU PRODUCTION (www.rondeau.de): ROP 6101. TT : 61’22.

L’Angélologie, affaire des poètes, penseurs et théologiens, donne lieu à des discussions ; affaire des peintres, elle propose une représentation picturale de ces médiateurs entre le monde visible et le monde invisible, mais la musique a le pouvoir de les rendre sensibles, de susciter l’émotion, avec une connotation religieuse, en temps de guerre comme en temps de paix. Les voix jeunes et très motivées du Collegium Vocale de Hanovre, alternées ou regroupées, confèrent relief et expressivité à ces dix œuvres, car chaque choriste revit intensément les textes bibliques, par exemple Der Engel sprach zu den Hirten (Heinrich Schütz). Ils expriment la louange : Laudatio Domini traduit musicalement par le Finlandais Joonas Kokkonen (1921-1996), invitant à louer le Seigneur, avec un Alleluia conclusif. Felix Mendelssohn traite le Psaume 91 (versets 11-12) : Denn er hat seinen Engeln befohlenconcernant les anges, il en est de même des deux Seraphim de Hans Leo Hassler (1564-1612). Trois œuvres sont à découvrir : The Angel de Tina Andersson (sur le texte de Michail Lermontov), le Noël Stetit angelus du compositeur letton Rihards Dubra (né en 1964), ainsi que le Sanctus : London du Norvégien Ola Gjeilo (né en 1978). L’apogée expressive est atteinte par deux œuvres : d’une part, Wie liegt die Stadt so wüst, motet funèbre très poignant composé par Rudolf Mauersberger (1889-1971) après la destruction de Dresde pendant la Seconde Guerre mondiale ; d’autre part, le vœu — encore plus prégnant à notre époque — : Friede auf Erden (Paix sur la terre) de l’Autrichien Arnold Schönberg (1874-1951). Ce programme très original, avec dix petits chefs-d’œuvres de tous les temps, a nécessité de la part des remarquables chanteurs excellemment dirigés par Florian Lohmann, une adaptation à tant d’esthétiques et atmosphères différentes, de l’époque baroque à nos jours. Intéressant panorama « angélologique » en musique : à retenir.

 

Édith Weber.

 

« Es naht ein Licht. A Light Is Coming ». Octavians. 1CD RONDEAU PRODUCTION (www.rondeau.de): ROP 6109. TT : 50'02.

L’Ensemble Octavians, octuor charismatique d’Iena en est à son troisième enregistrement. Il regroupe d’anciens chanteurs de la Philharmonie de cette ville et propose un choix de Noëls connus ou inconnus. Ce programme a cappella annonçant la venue de la Lumière comprend des Noëls allemands, anglais, occasionnellement latins, anciens et contemporains. Les mélomanes retrouveront avec plaisir Tu solus qui facis mirabilia de Josquin Desprez (v. 1452-1521) ; le noël français du XVe siècle : Veni, veni, Emmanuel ; le noël bilingue allemand /latin In dulci jubilo, Nun singet und seid froh respectant les assonances ; le Weihnachtslied bien connu : Es ist ein Ros entsprungen de Michael Praetorius (1571-1621) — dans la version de Jan Sandström (né en 1954) — ; Machet die Tore weit d’Andreas Hammerschmidt (v. 1611-1675) ou encore le choral Wie soll ich dich empfangen de Jean Sébastien Bach et l’inévitable Stille Nacht (Douce nuit, sainte nuit) de Franz Xaver Gruber. Les discophiles découvriront également quelques Christmas Carols : Coventry Carol (v. 1591), The Twelve Days of Christmas (1780). La nuit de Noël est évoquée avec les titres : Schöne Nacht de Wilhelm Nagel (1871-1955) et Sure On This Shining Night de Jay Giallombardo (né en 1964). Les cloches sont également présentes avec le Carol bien connu Jingle Bells de James Lord Pierpont (1822-1893), de même que les cadeaux : Simple Gifts de Joseph Bracket (1797-1882). Ces 16 pièces invitent à la découverte de la Lumière conformément à la première pièce : Es naht ein Licht de Lorenz Maierhofer (né en 1956) qui a donné son titre à cette réalisation dynamique de l’Ensemble Octavians dans une visée charismatique.

 

Édith Weber.

 

« La Maîtrise de Reims chante Noël ». Sandrine Lebec, direction. Quintette Vitrail. 1CD JADE (www.jade-music.net): 699 893-2. TT : 60’10.

La Maîtrise de la Cathédrale de Reims a été fondée en 1285. Encore de nos jours, ces enfants à la fois concentrés, convaincus et souriants, placés sous la direction et l’autorité de Sandrine Lebec — elle-même chanteuse et très soucieuse de la technique vocale —, respirent la joie de chanter Noël. Ils proposent un programme typique et varié, sans oublier le répertoire rémois traditionnel : Noël, Noël, Noël (plage 5), chant grégorien d’après le Propre de Reims. Ils interprètent également des Noëls de nos Provinces : Entre le bœuf et l’âne gris (remontant vraisemblablement au XVIe siècle) ; le Noël alsacien : Dors, ma colombe (arrangé par le Chanoine Roux) ; le Noël allemand : Stille Nacht de Fr. Gruber (toutefois en sa version française : Douce nuit). Leur répertoire passe aussi par les incontournables : Adeste fideles (dans la version de Théodore Dubois, avec soliste) ; Minuit, Chrétiens d’Adolphe Adam (avec deux solistes). À noter les arrangements d’Éliane Zurfluh : Jour de joie, L’Arbre magique et Les Cheminées ; les Christmas Carols de John Rutter (né en 1945) : Candlelight et Angel’s Carol. Parmi les compositeurs plus anciens, figurent Marc-Antoine Charpentier (Heureux bergers, Louis-Claude D’Aquin (la Cantate de Noël), G. Fr. Haendel (Canticorum jubilo ; Joy to The World). Ces quelque 180 enfants sont associés au Quintette Vitrail (cuivres) et occasionnellement aux instruments suivants : orgue, piano, flûtes à bec, flûte celtique, cornemuse, cor anglais, harpe. En dépositaires de la plus pure tradition maîtrisienne, ils ont signé un programme typique et cosmopolite apportant un peu de lumière à notre époque troublée qui en a tant besoin : un vrai Festival de Noël destiné aux grandes fêtes comme à l’intimité familiale.

 

Édith Weber.

 

Benjamin BRITTEN : Children’s Crusade / A Ceremony of Carols.  Birgit Bachhuber, harpe, Ulfert Schmidt, orgue, Andrea Jantzen et Nicolai Krügel, pianos. Ensemble S, Groupe de percussions, dir. Gudrun Schröfel. 1CD RONDEAU PRODUCTION (www.rondeau.de): ROP 6100. TT : 41’30.

Le Chœur de filles de Hanovre, l’Ensemble S et le Groupe de percussions, avec le concours de Birgit Bachhuber (harpe), Ulfert Schmidt (orgue) et, au piano : Andrea Jantzen et Nicolai Krügel, tous placés sous la direction de Gudrun Schröfel ayant à son actif de nombreuses réalisations discographiques, ont le mérite d’interpréter la Children’s Crusade (Croisade des enfants) pour voix et orchestre (op. 82) de Benjamin Britten (1913-1976), d’après le texte de Bertold Brecht (1898-1956) : Kinderkreuzzug (1942) — traduit en anglais par Hans Keller (1919-1985), chanté pour la première fois en allemand en 2015. Avec un réalisme poignant, cette longue croisade décrit la situation dramatique de la Pologne en janvier 1939, avec destructions, nombreux morts, la déambulation des enfants cherchant un pays en paix et d’un petit Juif, un enterrement, le froid, la neige… Benjamin Britten force sur les contrastes : brutalité de la guerre, réactions des enfants si perturbés, oppositions de nuances forte et piano, ainsi que chant à l’unisson et entrées successives. Ce long périple si poignant, durant presque 20 minutes, est rendu par de nombreuses solistes qui ressentent si bien tout le poids de cette guerre atroce qui a affecté la Pologne et provoqué la Deuxième Guerre mondiale. Cette œuvre, document historique, impressionnera très fortement les auditeurs. L’écoute de la seconde œuvre : A Ceremony of Carols (op. 28), composé en 1942, servira d’antidote. Elle fait appel au Chœur et à quelques solistes qui rendent à merveille ces pages descriptives. L’œuvre est encadrée aux parties extrêmes (nos 1 et 11), en guise d’entrée et de sortie, par l’Antienne Hodie Christus natus est. Les parties intermédiaires souhaitent la bienvenue au Roi du ciel, ainsi qu’à Marie, évoquent le chant des anges et leur berceuse pour endormir le petit enfant, entre autres, d’après des textes du XIVe siècle… mais aussi l’enfant dans la crèche pendant la nuit d’hiver et l’hommage qui lui est dû. Pour terminer, la louange et la reconnaissance sont de mise, avec l’avant-dernière pièce : Deo gratias (pl. 11), répété, bien enlevé, bien scandé et chanté avec un enthousiasme communicatif.

 

Édith Weber.

 

Martin LUTHER : Ein feste Burg ist unser Gott. Lieder in Choral, Motette und Geistlichem Konzert. Chœur, solistes et Ensemble Instrumenta musica de Dresde, dir. Matthias Grünert 1CD RONDEAU PRODUCTION (www.rondeau.de) : ROP6074. TT : 69’ 01.

Ce disque intitulé Martin Luther regroupe quelques unes de ses paraphrases allemandes de chorals symbolisant la Réforme, vaste mouvement qu’il a lancé après l’affichage de ses 95 Thèses à Wittenberg en 1517 et prônant la langue vernaculaire plus accessible aux fidèles (en remplacement du latin, langue universelle des érudits). Ces 7 Chorals correspondant aux temps liturgiques de l’Avent et Noël, de la Passion, puis de Pentecôte, sont suivis de l’Oraison dominicale, dont chaque invocation est commentée. Leurs adaptations musicales se rapprochent de la forme du Choral et Psaume fonctionnels destinés au chant d’assemblée ; du Prélude de choral pour orgue destiné aux services à l’Église ; du motet et du concert spirituel interprété par le chœur, destiné aux concerts. Ces 7 textes bien connus ont été mis en musique aux XVIe et XVIIe siècles par Samuel Scheidt, Michael Praetorius, Hans Leo Hassler, Erhard Bodenschatz, Johannes Eccard, Lucas Osiander. Les œuvres sont présentées dans une perspective comparative particulièrement intéressante, avec plusieurs versions. Pour conclure, l’incontournable Psaume 46 : Ein feste Burg ist unser Gott, (dit « choral de Luther »), apanage et identité musicale de la Réforme, est enlevé sur un ton affirmatif par le Chœur de chambre de la Frauenkirche. Le Chœur, les solistes et l’Ensemble Instrumenta musica (musique baroque) de Dresde sont tous placés sous la direction avisée du kantor Matthias Grünert. Ils célèbrent dignement en 2015 le Jubilé de la dédicace de cette Église luthérienne de Dresde, au riche passé historique, dont la reconstruction a été achevée en 2005.

 

Édith Weber

 

« The Galant Lute ». Vinicius Perez, luth. 1CD KLANGLOGO, RONDEAU PRODUCTION (www.rondeau.de): KL1515. TT : 62’ 14.

Pendant de très nombreuses décennies, le luth, instrument très populaire, a été en vogue, en particulier du XVIe au XVIIIe siècle, où il était joué par les mélomanes cultivés. Il servait aussi bien à soutenir le chant des Psaumes ès-maisons qu’au plaisir et au divertissement de la Cour et des familles. Sous le titre : Le luth galant, Vinicius Perez a regroupé quatre pièces remontant au XVIIIe siècle : la Sonata in C (Divertimento), Hob. XVI :10, en 3 mouvements, de Joseph Haydn (1732-1809) qu’il a adapté à son instrument à 13 cordes, tout comme le Divertimento, KV439b/II, plus développé, de Wolfgang Amadé Mozart, primitivement prévu pour 3 cors de basset. Il a le mérite de faire connaître, d’une part, Karl Kohaut (1726-1784), musicien contemporain de Josef Haydn, et de conférer un caractère puissant à l’Allegro de sa Sonate, mettant les modulations en valeur, selon l’usage, il improvise les cadences ; d’autre part, Christian Gottlieb Scheidler (v. 1752-1815), auteur de 12 Variations sur un célèbre thème de Mozart  (Don Juan) ; il en cisèle chaque Variation et les enrichit d’ornementations révélant leur caractère mystérieux, intériorisé et discret. Avec infiniment de musicalité, de distinction, de précision et avec un solide sens de la structure, Vicinius Perez réserve un sort royal à ce répertoire de salon, typiquement galant. Un modèle du genre.

 

 

Édith Weber.

 

«  Happy Go Lucky. Ohne Sorgen ». Giuletta Koch, piano, Burhan Öçal, percussions. Orchestre d’État du Brandebourg, Istanbul Oriental Ensemble, dir. Howard Griffiths 1CD KLANGLOGO, RONDEAU PRODUCTION (www.rondeau.de): KL1516. TT : 59’ 40.

L’Orchestre d’État du Brandebourg (à Francfort), l’Istanbul Oriental Ensemble placés sous la direction si dynamique de Howard Griffiths — avec le concours de Giuletta Koch (piano) et Burhan Öçal (percussions) — proposent presque une heure de détente irrésistible avec des pages à succès telles que la Polka Ohne Sorgen (Sans souci) de l’Autrichien Josef Strauss (1827-1870) ; la Valse si célèbre An der schönen blauen Donau (Le beau Danube bleu) de Johann Strauss (1804-1849) ; la Danse hongroise n°1 en sol mineur, de Johannes Brahms (1833-1897) ; la Marche nuptiale extraite du Songe d’une nuit d’été (op. 61) de Felix Mendelssohn-Bartholdy (1809-1847) ; Trepak, extrait du Casse-noisettes (op. 71) de Piotr Ilyich Tchaikovsky (1840-1893) ; la Rhapsody in Blue de George Gershwin (1898-1937). Jacques Offenbach (1819-1880) est représenté par la Barcarole extraite des Contes d’Hoffmann ; Georges Bizet (1838-1875), par Les Toreadors extrait de Carmen, pièce entraînante et bien enlevée. La peinture d’atmosphère et « l’humeur du matin » (Morning Mood) se dégagent de deux extraits de la Suite de Peer Gynt n°1, op. 46 d’Edvard Grieg (1843-1907). À découvrir : les langoureux Rêves orientaux du Turc Burhan Öçal, percussionniste et compositeur (né en 1953). Ces œuvres sont interprétées avec un élan contagieux : de quoi, à notre époque troublée, se détendre avec des musiques particulièrement populaires venant d’Autriche, des États-Unis, d’Allemagne, de Russie, de France, de Norvège et même de Turquie.

 

Édith Weber.

 

«  Dawning Together ». Claudia Tesorino, saxophone, Armin Thalheim, orgue. 1CD KLANGLOGO (www.rondeau.de) : KL1410. TT : 69’ 32.

Ce disque résulte d’une solide amitié et collaboration musicale entre la saxophoniste germano-canadienne Claudia Tesorino (deux saxos : soprano et alto) — fascinée dès sa prime jeunesse par l’orgue — et l’organiste berlinois Armin Thalheim. Fin 2010, venant de Montréal, elle s’est établie à Berlin où elle a cherché des organistes d’abord pour interpréter un répertoire prévu pour ces deux instruments. Armin Thalheim, tout en s’intéressant à la musique baroque, a aussi des affinités avec le jazz et la musique d’ambiance ; il était étonné de la puissance sonore du saxo et a dû adapter ses registrations en conséquence. Ayant commencé à jouer ensemble des pièces pour leurs instruments respectifs, ils ont terminé par improviser d’abord après préparation, puis se sont hasardés à l’improvisation directe : le résultat est éloquent. Ils ont enregistré cette coproduction en l’Église évangélique Saint-Jean (Berlin Spandau) avec un environnement et un paysage sonore absolument hors du commun. Sous le générique Dawning together (emprunté à l’intitulé de la plage 2), ils proposent donc de libres improvisations ce qui, à deux, représente une vraie prouesse et fait appel à une certaine liberté, toutefois sans occulter leurs goûts personnels. Leurs titres anglais et allemands sont lourds de signification : Dream Stream,  Onward Journey,  Movement in my Mind. Ils ont ainsi pour objectif de faire sentir la beauté de l’instant présent, à travers des descriptions (Jahrmarkt/Foire annuelle…), des évocations (A Good Walk through the Dark / promenade dans l’obscurité)… Les discophiles seront éclairés sur leur motivation grâce à leur interview (texte de présentation en allemand et anglais). En fait, ils n’improvisent « pas comme les autres », ont le feu sacré, exploitent à merveille leurs possibilités dynamiques respectives. Décidément, le Label KLANGLOGO a le chic pour trouver des programmes de musique d’ambiance et de détente, et procurer aux mélomanes des instants magiques, hauts en couleurs.

Édith Weber.

 

«  Elisabeth SCHWARZKOPF : 100e Anniversaire ». Lieder et arias de BACH, LEHAR, MOZART, SCHUBERT, SCHUMANN, Richard STRAUSS, MAHLER, WOLF, KORNGOLD. Elisabeth Schwarzkopf, soprano. Gerald Moore, Jacqueline Robin, Hans Rosbaud, piano. Wiener Philharmoniker, Ochestre du Teatro alla Scala, dir. Guido Cantelli, Paul Kletzki, Wilhelm Furtwängler, Herbert von Karajan. 2CDs FORLANE DISQUES DOM (www.domdisques.com) : FOR 17019. TT : 62’50 +67’43.

Le Label FORLANE a eu l’excellente idée de reprendre — à l’occasion du centenaire de sa naissance — une sélection d’œuvres inoubliables interprétées par la célèbre soprano Elisabeth Schwarzkopf (née en 1915 et décédée le 3 août 2006), sensibilisée très jeune à la musique et au chant. Elle possède à son actif un répertoire particulièrement diversifié ; le programme de ce coffret de deux disques s’étend de J. S. Bach à Erich Wolfgang Korngold (1897-1957) et Carl Orff (1895-1982). Elle est autant à l’aise pour chanter avec intériorité l’Air Bist du bei mir [généralement attribué à] de J. S. Bach (BWV 508) et le Lied si prenant de Gustav Mahler (1860-1911), Ich bin der Welt abhanden gekommen (d’après Friedrich Rückert) que des textes descriptifs (Der Nussbaum de Robert Schumann) ou les quatre dernières Mélodies (Lieder) de Richard Strauss (1864-1949) : Frühling, September, Beim Schlafengehen, Im Abendrot. Elle traduit aussi bien la nostalgie et la mélancolie (Lieder de Hugo Wolf, 1860-1903) que des extraits d’opéras de Mozart dans lesquels elle s’identifie avec bonheur à la Comtesse (Cavatine Porgi amor des Noces de Figaro), à Dona Elvira (Don Juan) ou à Marietta (Die Tote Stadt d’Erich Wolfgang Korngold). Dans ces enregistrements historiques (bénéficiant des techniques modernes de remastérisation), elle est accompagnée au piano par Gerald Moore, Jacqueline Robin, Hans Rosbaud ; par l’Orchestre du Théâtre de la Scala de Milan, l’Orchestre Philharmonique de Vienne, dirigés respectivement par des chefs remarquables dont les noms sont passés à la postérité : Guido Cantelli, Wilhelm Furtwängler, Herbert von Karajan, Paul Kletzki... Certaines œuvres proviennent d’enregistrements publics (1950, Festival de Salzbourg ; 1952, Hambourg ; 1956, Milan…) ; d’autres ont été réalisés en studio. Incontestablement, les mélomanes et amateurs de Lieder auront grand plaisir à retrouver l’inoubliable voix d’Elisabeth Schwarzkopf, et ils constateront son évolution artistique et stylistique entre 1939 et 1960. Les disques FORLANE rendent ainsi un émouvant hommage à l’occasion du centenaire de sa naissance.

 

 

Édith Weber.

 

Jean-Jacques WERNER : Intégrale de l’œuvre pour piano. Geneviève Ibanez et Daniel Spiegelberg, piano. 2CDs MARCAL CLASSICS. Diffusion :  UVM distribution (www.uvmdistribution.com) : MA 151001. TT : 58’26+75’39.

L’œuvre de Jean-Jacques Werner (né à Strasbourg en 1935) est plus largement diffusée à l’étranger qu’en France. Sa double culture rhénane (franco-germanique) se ressent dans sa musique — selon ses propres termes — avec une certaine sensibilité schumannienne (Jugendalbum, Kinderszenen, L’oiseau prophète) et avec une intuition debussyste (Boîte à joujoux). Cette Intégrale est réalisée sans concession et sans sectarisme, par ce compositeur français n’appartenant à aucune école. Il cultive la forme sonate (pour piano et pour deux pianos) ; ses titres si suggestifs traduisent sa vision très personnelle du monde, de la société, des individus, et projette un regard perçant sur certains compositeurs. Il rend un émouvant hommage à ses amis : au peintre franco-serbe Spiridon (cf. NL, novembre 2015), à Antoine Tisné (1932-1998) — lui aussi passionné par Schumann — ou encore à la pianiste Mireille Saunal (3 mouvements circulaires, 1970). Certaines des 16 pièces (24 plages) sont des œuvres de commande, émanant par exemple du CNSM de Paris : Thrène (1982) dédiée à la mémoire du flûtiste Marcel Pozzo di Borgo, ou des échos à l’œuvre du compositeur américain Charles Ives (1874-1954) : The Unanswered Question /Remember the question. À noter aussi Night Sky (1997), composé à la demande de la pianiste Geneviève Ibanez, suite inspirée par le poème éponyme du Professeur Roger Asselineau ; Madigan Square (1987) pour l’inauguration de ce restaurant musical. En 1975, Alter Ego, œuvre particulièrement introspective, a été créée à Nouméa. Le remarquable texte d’accompagnement si circonstancié de Pierrette Germain illustre, en connaissance de cause, cette réalisation exceptionnelle nécessitant une grande maîtrise de la technique pianistique qui n’est qu’un moyen au service de l’émotion, grâce aux deux interprètes : Geneviève Ibanez et Daniel Spiegelberg, en parfaite connivence avec la pensée du compositeur et si sensibles à son riche message exprimé dans un langage marqué par les esthétiques allant du XIXe siècle à nos jours.

L’impression d’ensemble est celle d’une confidence confiée au piano par Jean-Jacques Werner, au gré de son inspiration spontanée et de sa sensibilité du moment, ou encore celle d’un hommage de reconnaissance. Enregistrée au Conservatoire de Strasbourg par Marc Lipka (pour MARCAL Classics) en novembre 2014, cette Intégrale s’impose absolument par la remarquable qualité des œuvres et de leur interprétation. Elle contribuera heureusement à une meilleure diffusion de l’œuvre pianistique de Jean-Jacques Werner en France et à l’étranger.

 

Édith Weber.

 

Anthony GIRARD : Chemins, couleur du temps. Œuvres vocales et orchestrales.  Lionel Peintre,baryton, Geneviève Girard, piano. Orchestre Symphonique de Bretagne,  Pascal Cocheril, violon solo. Chœur de chambre Vibrations, dir. Gwennolé Rufet. Bédée, Éditions Folle Avoine (www.editionsfolleavoine.com ), 2015, 63 p. – 30 €.  (avec 2 CD encartés : EAN 3760061 184886 ; EAN 3760061 184893 . TT : 73’11+ 71’56).

Anthony Girard — présenté dans la Newsletter de juin 2015 à propos notamment du Cercle de Vie — est né en 1959 à New York, a fait ses études au CNSM de Paris et à l’UFR de Musicologie (Université Paris-Sorbonne). « Chemins couleur du temps » résulte de sa rencontre avec les Éditions Folle Avoine qui souhaitaient regrouper ses œuvres vocales et orchestrales. En 1998, le compositeur a eu une révélation en lisant les poésies d’Yves Prié dont il a tant apprécié « cette parole dénudée mais sensible, mystérieusement suggestive, lumineuse et intense ». C’est alors que, dans l’atelier de Folle Avoine, il rencontra le poète et l’éditeur, et, dès 1998, eut l’idée de « composer d’après un poème » pour suggérer des « paysages de l’âme » et en renforcer l’émotion. Cette collaboration entre un éditeur, ses poètes, les divers interprètes et le compositeur sera une éclatante réussite.

Le premier CD est interprété notamment par l’Orchestre Symphonique de Bretagne, le Chœur de chambre Vibrations, Pascal Cocheril (violon solo), dirigés par Gwennolé Rufet. La Symphonie d’Anthony Girard pour orchestre et chœur de chambre est sous-titrée : La nuit, la neige, le silence ; il en a réalisé l’orchestration en 2013 à partir de la version (1998) pour violon, piano et chœur de chambre. La publication reproduit les poèmes particulièrement évocateurs d’Yves Prié. Il privilégie la couleur, la transparence et l’atmosphère mystérieuse émanant de ces poèmes qui sont déjà musique. D’entrée de jeu, son esthétique semble intemporelle. La Symphonie baigne dans le mystère ; la voix déclamée plane au-dessus de l’orchestre dans un dynamisme contenu. Les paroles sous-tendant la composition sont confiées soit aux voix d’hommes, soit à un chœur de chambre ; l’orchestre assure une certaine assise rythmique et des envolées mélodiques. La plage 6 permet de découvrir Présences invisibles pour baryton et piano (2010) sur les paroles non rimées de Jean de Chauveron, avec le concours de Lionel Peintre (baryton) et Geneviève Girard (piano). Cette œuvre, dans le sillage de la mélodie française du XIXe siècle, contient des caractéristiques pianistiques impressionnistes, sans exclure des éléments du langage musical de notre temps. La pianiste crée l’atmosphère, assure de brèves transitions pour évoquer ces présences invisibles avec un grand pouvoir de suggestion. Le compositeur a traité Orphée de Jean-Paul Hameury pour Soprano, hautbois et orgue (2015) ; Éclaircie pour soprano et flûte (2008) d’après deux poèmes de Michel Dugué. Ce CD se termine par la Cantate pour double chœur (textes anglais et français en dialogue), harpe et quatuor à cordes (2010) : Chemins couleur du temps sur les Poèmes de Heather Dollohau tantôt juxtaposés, tantôt superposés. Il s’agit d’une musique subtile qui « joue avec le temps de l’instant, de l’éternité et de la mémoire ». Contemplation, énergie et joie s’y côtoient.

Le second disque réunit des œuvres vocales et instrumentales allant de la petite formation au grand orchestre, avec des titres évocateurs : Pour l’oiseau, Tout un monde ardent sur des textes de Heather Dollohau. La plage 12 : Une voix si lointaine fait appel à une association de timbres particulièrement originale : soprano, cor anglais et orgue (2014) du meilleur effet, d’après le poème de Jean-Paul Hameury, également représenté à la plage 20 avec son très bref poème Nous sommes en marche depuis si longtemps. Le texte de Didier Jourdren : Le Chemin (1999), prononcé par le récitant avec une remarquable diction, est associé aux accents de la guitare et du piano. En revanche, Le rêve est notre espoir pour baryton, violon, cor et piano (1999) (poème d’Yves Prié) est très développé (pl. 14-19). Cette réalisation exceptionnelle se termine par Les âmes perdues pour grand orchestre (2002), œuvre violente, énergique, incisive, percutante contrastant avec le caractère retenu et méditatif des autres œuvres. Initiative compositionnelle originale à retenir.

 

 

Édith Weber.

 

Johann ROSENMÜLLER : Marienvesper. Ensemble Johann Rosenmüller, Ensemble baroque L’Arco. Schola (voix d’hommes, dir. Nils Ole Peters). Knabenchor Hannover, dir. Jörg Breiding 2CDs RONDEAU PRODUCTION (www.rondeau.de): ROP 701920. TT : 105’09.

Dans le cadre de la piété mariale, Johann Rosenmüller a composé ses Vespro bella beata Maria Vergine entre 1670 et 1680. Nos lecteurs connaissent bien les nombreuses réalisations du Knabenchor Hannover (Chœur de Garçons) placé sous la direction si efficace de Jörg Breiding qui, pour ces deux disques, a fait appel à l’Ensemble Johann Rosenmüller et à l’Ensemble baroque L’Arco, à un quatuor de solistes et — pour les intonations grégoriennes — à une schola (voix d’hommes) dirigée par Nils Ole Peters. L’enregistrement a été réalisé en l’Église Saint-Étienne (St. Stephan Kirche) à Hanovre, présentant de remarquables conditions acoustiques.

Johann Rosenmüller, musicien allemand très productif dans la seconde moitié du XVIIe siècle — dont les œuvres sont souvent citées dans les publications bien connues autour de 1650 —, né à Oelsnitz vers 1617, a été inhumé à Wolfenbüttel le 12 septembre 1684. Son œuvre religieuse, particulièrement importante, est marquée par l’influence nord-italienne dans la mouvance de la polychoralité de Claudio Monteverdi. Lors de son séjour à Leipzig, il a composé des œuvres d’inspiration biblique (DialoguesKernsprüche — à la manière de Heinrich Schütz), mais aussi des textes liturgiques s’insérant dans la messe catholique chantés aux Vêpres (lors desquelles les Psaumes, Hymnes, Magnificat étaient précédés de leur intonation grégorienne). Ce coffret restitue une musique à la manière de l’usage vénitien, conformément au titre italien. Leur structure appelle l’alternance d’Antiennes (Antiphona), d’une Sonate (instrumentale) ou encore d’une Hymne et du Magnificat. L’ingressus, Deus in adiutorium invoquant l’aide de Dieu se termine par le traditionnel Gloria trinitaire.

Le premier CD contient 3 Antiennes pour les Psaume Dixit Dominus, Laudate pueri Dominum et Laetatus sum. Dès l’Ingressus (CD 1, pl. 1), l’intonation grégorienne, calme et bien déclamée, introduit l’antienne Dixit Dominus, précédée d’une introduction instrumentale confiée notamment aux cuivres et suivie d’un développement polyphonique avec alternance des voix et effets d’écho comme à Saint-Marc de Venise. Le compositeur privilégie d’une part le style homorythmique homosyllabique pour une meilleure intelligibilité du texte et, d’autre part, des passages mélismatiques pour renforcer le caractère solennel des Vêpres. L’impression d’ensemble baigne dans la sérénité, mais aussi l’affirmation, toute à l’imitation de l’esthétique monteverdienne. Les timbres des voix sont particulièrement prenants ; les parties instrumentales, scandées et les intentions dynamiques très soignées. Les chanteurs s’investissent pleinement, suscitant ainsi un enthousiasme contagieux. Le second CD comporte l’Antienne Nisit Dominus assez développée, suivie de la Sonata nona  a 5, très intériorisée, puis animée, faisant appel à la virtuosité des cordes, aux oppositions de nuances, et assurant la transition vers l’Antienne Lauda Ierusalem. Dans l’Hymne Ave maris stella, J. Rosenmüller exploite le principe de l’alternance entre chœur d’hommes à l’unisson et soliste. Ces Vêpres grandioses, avec leur puissance sonore exceptionnelle, se terminent, comme de juste, aux accents du Magnificat plein d’allant et de dynamisme : soit plus d’une heure et demi d’une musique qui, grâce à ces excellents interprètes de Hanovre, est enfin tirée de l’oubli. À coup sûr : une révélation pour les mélomanes français.

 

Édith Weber.

 

« Le Concert Royal de la Nuit » d'après le « Ballet Royal de la Nuit, Divisé en quatre parties, ou quatre veilles Et dansé par Sa Majesté le 23 février 1653 ». Textes de Isaac de Benserade. Musique de Jean de Cambefort, Antoine Boesset, Louis Constantin, Michel Lambert, Francesco Cavalli, Luigi Rossi. Reconstitution : Sébastien Daucé. Ensemble Correspondances, dir. Sébastien Daucé. 2CDs Harmonia Mundi : HMC 952223.24. TT.: 77'13+76'52.

 

Février 1653, Louis XIV a quinze ans. La Fronde a tout juste pris fin. Il est triomphalement accueilli à Paris. Une fastueuse manifestation artistique est organisée le 23 février : le « Ballet royal de la nuit », donné en l'hôtel du Petit-Bourbon, la salle la plus vaste de la capitale. Ce ballet appartient au genre dit du ballet de cour, sorte de spectacle total mêlant poésie, musique et arts visuels : costumes chamarrés et scénographie élaborée, avec ses toiles peintes et surtout ses machines, imaginées par le fameux italien Giacomo Torelli. Ce ballet à entrées, car se jouant en plusieurs tableaux, et que le monarque danse lui-même, a pour sujet les divers épisodes d'une nuit de divertissement protégeant les amours de son auguste protagoniste jusqu'à l'avènement du jour, triomphe du soleil, du Roi-soleil. Il déploie une vraie dramaturgie : plus qu'un divertissement, c'est un acte à portée politique, « le sacre profane » de Louis XIV, remarque Sébastien Daucé, qui le met en parallèle avec les cérémonies du sacre royal proprement dit qui aura lieu l'année suivante. Si le monarque artiste se met en scène pour affirmer son autorité naturelle, il le fait au milieu de figures dansées mais aussi chantées, et d'allégories célébrant ses vertus. Cela peut se traduire même par des passages de théâtre sur le théâtre, estime Daucé. Le matériau du ballet nous est parvenu lacunaire, grâce à une copie réalisée quelques décennies plus tard par le compositeur Philidor. Il a donc fallu procéder à une reconstruction. Sébastien Daucé s'est lancé dans l'aventure, y procédant de manière imaginative, piochant dans les nombreux actes du « Ballet de la Nuit » dus essentiellement à la plume du compositeur Jean de Cambefort (c.1605-1661), mais aussi en empruntant à d'autres musiciens de l'époque tels que Antoine Boesset (1587-1643), Louis Constantin (c.1585-1637), ou Michel Lambert (1610-1696). Sébastien Daucé explique dans un essai particulièrement documenté - comme l'est tout le livret de ce CD -  avoir juxtaposé ballet français et opéra italien pour mieux traduire le substrat théâtral qui enveloppe la pièce. Ainsi s'est-il tourné aussi vers deux compositeurs italiens, alors célébrés en France, leurs opéras, choisis ici, ayant été créés à Paris : Luigi Rossi et son Orfeo (1647), et Francesco Cavalli pour Ercole amante (1662). Les puristes tordront peut-être le nez question chronologie et sélection arbitraire. Le résultat est néanmoins là, patent et en situation.

 


Allégorie de la nuit
The Rothschild Collection©The National Trust, Waddesdon Manor

 

Après une courte Ouverture, la Première Veille, « La Nuit » - de 6 à 9 Heures du soir –  décrit les occupations ''ordinaires'' de tout un chacun en fin de journée. Durant la Deuxième Veille, « Vénus et les Grâces » - de 9 H à minuit -, on célèbre les plaisirs, bals et divertissements. Elle se distingue par la comédie muette Amphitryon, introduite par les coups de brigadier. La Troisième Veille, «  Hercule amoureux » - de minuit à 3 Heures -, au plus profond de la nuit, met en scène les amours du jeune roi. Le tableau est interrompu part « Le Sabbat », suite de morceaux hauts en couleurs, aux rythmes enragés (« Chœur des Sacrificateurs ou interventions de personnages fantastiques tels que « Quatre monstres nains » ou « Six Loups-garoux »!) Les choses se calmeront peu à peu. La Quatrième Veille « Orphée » - de 3 à 6 H -, empruntée à l'opéra Orfeo de Rossi, est une métaphore de l'amour transfiguré, à travers le dialogue du soleil et du silence. On y entend le ballet des « Songes » qui décrit les quatre tempéraments du caractère humain, le colérique, le sanguin, le flegmatique et le mélancolique. L'épilogue, «  Le Soleil » est un « Grand Ballet » qui de nouveau tresse la louange du roi : « Le soleil c'est le jeune Louis ». Le final glorieux, triomphe de la lumière sur la nuit, clôt les festivités. Outre la perspicacité de ses choix musicologiques, on ne peut que saluer le travail interprétatif de Sébastien Daucé qui confère à cette pièce un souffle certain. On ne sait qu'admirer : la spontanéité du jeu instrumental de son ensemble Correspondances, la sagacité de l'éventail des accents au fil des récits ou des danses, ressortissant à la fameuse écriture à la française, magnifiant les caractéristiques de ces musiques : les effets de tremblements aux cordes, les accents entraînants, les scansions tranchées, les contrastes de style et les ruptures de rythmes. Tout cela est ménagé avec un flair naturel pour insuffler une véritable théâtralité associant grand orchestre et passages chambristes. De surcroit restitué par une prise de son d'une extrême clarté. Côté vocal, on est séduit par une plastique pareillement brillante : pureté des voix de sopranos (dessus) comme des basses, et extrême lisibilité de la diction que ce soit en français ou en italien. Une indéniable réussite.

 

 

Jean-Pierre Robert.

 

Georges Friedrich HAENDEL : Partenope. Opéra en trois actes. Livret anonyme d'après Silvio Stampiglia. Karina Gauvin, Philippe Jaroussky, Emöke Baráth, John-Mark Ainsley, Teresa Iervolino, Luca Tittoto. Il Pomo d'Oro, dir. Riccardo Minasi. 3CDs Erato : 08256460900075. TT.: 74'31+61'48+66'07.

 

Créé en 1730 au King's Theater de Londres, Partenope est un drame anti héroïque,  bien différent de la veine seria essentiellement pratiquée jusqu'alors par Haendel. Une comédie de mœurs douce amère plutôt, de l'infernale tyrannie de l'amour, où finalement tout s'arrange dans un bref lieto fine, un peu comme il en ira plus tard dans le Cosí fan tutte de Mozart. Le sujet, emprunté au poète Silvio Stampiglia et qui avait déjà été mis en musique par Lugi Mancia (1699), puis par Antonio Caldara (1708) et Leonardo Vinci (1725), prend pour support le mythe de la fondation de la ville de Naples par la sirène Partenope. Celle-ci est courtisée par trois soupirants, Arsace, un prince inconstant (castrat), Armindo, autre prince plus avenant (rôle travesti) et le belliqueux Emilio, un souverain ennemi. Un personnage mystérieux, Eurimène, une femme déguisée en homme sous le nom de Rosmira, ex fiancée d'Arsace, est au centre de cette constellation instable. Car il ne faut pas chercher là d'action héroïque, mais les ravages causés par le tourment des sentiments intimes. De déguisement en conflit d'identité, Haendel peint quelques portraits savoureux qu'il a, bien sûr, confiés à des interprètes choisis pour la brillance de leur chant, comme la soprano Anna Maria Strada del , le castrat Antonio Bernacchi, puis lors d'une reprise, le célèbre Senesino. Musicalement, l'opéra renferme des arias fort variées qui souvent prennent leur distance avec le strict schéma da capo, et quelques morceaux symphoniques apportant une amusante note chevaleresque (sinfonias ouvrant les actes II et III, marche précédant la scène de bataille...). Surtout il est gratifié d'ensembles : s'ils se distinguent des duos d'amour conventionnels, les duos, généralement brefs, font avancer l'action (Partenope-Arsace au Ier acte ou Partenope-Emilio, au II ème acte). Plus rares chez le compositeur, des quintettes, dont celui placé à l'issue de la bataille, et un quatuor, au début de l'acte III, apportent une note vraiment originale. Peu représentée au disque cette œuvre bénéficie ici d'une distribution de choix. Voix de soprano corsée naturelle pour Haendel, Karina Gauvin donne de l'ensorceleuse et capricieuse Partenope un portrait aussi diversifié que l'autorisent des arias véhiculant un panel de sentiments variés, de l'ineffable « Qual farfalletta », sur un accompagnement délicat des violons, au sarcastique, à l'heure du choix de qui va s'emparer d'un cœur enamouré, « Oui, l'amour a double visage ». Les contre-ut dont Haendel parsème le rôle sont négociés avec tact, même si un peu à l'arraché. Du personnage d'Arsace, le plus gratifié vocalement, Philippe Jaroussky dessine une figure elle aussi à multiples facettes, un jeune homme tour à tour désinvolte, désemparé, anxieux, mais aussi astucieux. N'invente-t-il pas en effet un stratagème pour confondre Rosmira-Eurimène et la contraindre de révéler sa vraie identité : en exigeant qu'« il » combatte torse nu ! La ductilité du chant est encore une fois enthousiasmante, faisant son miel de la rythmique inexorable comme à l'aria finale du II, « Furibondo spira il vento », qu'il ponctue de notes graves, ou du lyrisme pétri d'émotion contenue de l'air de l'endormissement paré de pianissimos envoûtants. Cela montre le chanteur au sommet de son art, qui, comme remarqué à Aix dans Alcina, développe désormais une voix plus conséquente dans le medium. Des voix nouvelles apparaissent aussi, passionnantes : Emöke Baráth, Armindo, fin soprano lyrique et touchante aussi; et surtout Teresa Iervolino, Rosmina/Eurimène, dispensant un timbre grave avantageux, dans la lignée de Sonia Prina, en particulier dans les grandioses airs de fureur. John Mark Ainsley, qu'on a joie de voir distribué dans le domaine baroque, campe un fier Emilio, et Luca Tittoto, découvert lui aussi à Aix, dans Ariodante, offre un clair baryton basse. Autre découverte que la direction de Riccardo Minasi, d'un raffinement tout italien et d'une rigueur non heurtée, qui rejoint les grands interprètes haendeliens. Son ensemble Il Pomo d'Oro se révèle aussi à l'aise dans la musique fleurie de Haendel qu'en terres vivaldiennes.

 

 

Jean-Pierre Robert.

 

Antonio VIVALDI : Concertos per fagotto vol IV, RV 469, 491, 498, 492, 500, 473. Sergio Azzolini, basson. L'Onda Armonica. 1CD Naïve Vivaldi Edition : OP30551. TT : 68'46.

 

Sergio Azzolini poursuit son exploration des nombreux concertos pour basson de Vivaldi – on en dénombrerait 39 - avec six nouvelles pièces. Délaissant l'ensemble L'Aura Soave Cremona qu'il dirigeait pour ses trois précédents enregistrements, il est cette fois à la tête de celui qu'il a fondé en 2013, L'Onda Armonica, dont le but est de favoriser un jeu épuré, inspiré des recherches les plus récentes en matière de style italien d'interprétation, menées à partir des manuscrits conservés à Dresde. L'ensemble qui ne compte pas plus de quinze musiciens, dont huit violons, sonne en effet d'une élégance gracile. Azzolini privilégie une manière expressive très chantante mettant en valeur l'instrument soliste et n'abuse pas d'une battue à l'arraché comme bien de ses confrères. Écrites sur un schéma en trois mouvements, vif-lent-vif, ces pièces se distinguent par l'originalité de leur section centrale, largo, à la sonorité proprement envoûtante. Ainsi de celui du concerto RV 491, précédé d'une courte introduction à l'orgue positif, ou de celui du concerto RV 493, où sur une pédale des basses, le basson se détache mystérieusement pour égrener une mélodie d'apparence suave, qui cèle pourtant quelque tourment de l'âme ; ce qui est réaffirmé dans la reprise aux seules cordes. Loin de se ressembler, ces pièces témoignent de l'immense inventivité du Prete rosso et de sa souveraine maîtrise d'écriture pour la tessiture grave du basson dont on peut dire qu'il est, comme le violoncelle, bien proche de la voix humaine. Elles reçoivent ici une interprétation raffinée et sincère. Comme il en est encore du concerto RV 498, joué presque intégralement pianissimo, à l'image de son premier mouvement marqué « piano sempre », évoquant un paysage magique et mystérieux dont l'aura se poursuit au larghetto distillant une mélopée tout aussi entêtante. Ou également du concerto RV 492 qui fait penser à une mini trame d'opéra avec ses effets d'échos et ses climats changeants traduisant comme l'instabilité de quelques personnages fantasques.

 



Jean-Pierre Robert.

 

Wolfgang Amadé MOZART : « Les sœurs Weber ». Airs de concert et d'opéra & pièces instrumentales. Sabine Devieilhe, soprano. Pygmalion, dir. Raphaël Pichon. 1CD Erato : 0825646075843. TT : 72'26.

 

Une merveille de CD ! D'intelligence du programme et d'interprétation. La soprano Sabine Devieilhe a concocté avec la complicité du chef Raphaël Pichon une promenade musicale conçue autour des trois amours de Mozart, les sœurs Weber, Aloysia, Josepha et Constance, trois muses, trois voix. Fabuleux trait de génie de l'Histoire que celui de la rencontre par le jeune musicien de la famille Weber dont « l'histoire est désormais liée à son propre destin », souligne Pichon dans un essai passionnant. Un Prologue ouvre ce passionnant récital : l'Ouverture Les petits riens K 296b (dont certaine tournure annonce le « chœur des janissaires » de L'Enlèvement au sérail), puis quelques pièces amoureusement écrites à l'intention d'une jolie demoiselle, « Ah, vous dirais-je maman », dans un arrangement pour voix seule, puis accompagnée du pianoforte, et enfin de l'orchestre, et « Dans un bois solitaire » où fleure cet aveu « l'amour se réveille de rien ».  La I ère partie, c'est « Mia carissima amica » ou la passion avortée d'un amour qui ne fut finalement pas payé de retour (Aloysia Weber épousera Lange ). Néanmoins Mozart écrira pour elle, pour cette voix exceptionnelle au cantabile légendaire, l'aria « Alcandro lo confesso » K 294 ou encore « Vorrei spiegarvi, oh Dio » K 418, où le hautbois obligé suit la voix dans ses tirades extrêmement aiguës au fil d'un récitatif fluide. L'air, plus agité, annonce les périlleux octaves assignés à Konstanze dans L'Enlèvement au sérail. Avec l'aria « Popoli di Tessaglia » K 316, c'est le grand drame, et « Nehmt meinen Dank » K 383 traduit, de ses doux pizzicatos des cordes, un remerciement apaisé.

 

La Deuxième partie, consacrée à Josepha, la fille aînée également cantatrice, peut-être la plus secrète des sœurs Weber, se concentre sur « L'entrée dans la Lumière ». Car Josepha n'est pas étrangère dans la découverte par Mozart de la philosophie franc-maçonne. On y entend, entre autres, l'air de la Reine de la nuit du II ème acte de La Flûte enchantée, vivement brossé par Pichon au moment des fameux contre-fa, et se concluant par les attaques vengeresses rageuses sur les mots « Hört, Rachegötter » ; et un extrait symphonique de Thamos, König in Ägypten K 345, première œuvre de musique maçonnique de Mozart (1773). Enfin, le dernier volet, «Per mia cara Costanza », c'est l'amour tendresse envers Constance qu'il a épousée en 1782, Elle s'ouvre par la marche pacifiée qui débute le IIème acte de La Flûte enchantée, magnifiquement jouée par Pichon et ses musiciens, qui cèle de vraies sonorités maçonniques. Le « solfeggio » K 393, ou exercice pour la voix avec l'orgue pour seul  accompagnement, est une longue vocalise sinueuse et legato, dont certains traits paraissent une ébauche du « Kyrie » de la Messe en Ut mineur. Précisément, le récital de Sabine Devieilhe s'achève par le « Et incarnatus est » de cette messe dont les roucoulades paraissent le pendant ''régulier'' de celles des airs de concerts du domaine ''séculier''. Une preuve d'amour profond de la part de Mozart qui prodigue un quatuor de vents concertants comme il en a le secret et une cadence finale d'une beauté à couper le souffle.  Au fil de ces pages, connues ou à découvrir, on est bercé par le suprême raffinement du chant de Sabine Devieilhe, la simplicité avec laquelle elle aborde les morceaux les plus acrobatiques qui jamais ne donnent cette impression de technique pure, d'exercice pour épater. La douceur de l'émission encore qui rend plus d'une phrase poignante. Pareille sensibilité se retrouve dans la direction de Raphaël Pichon qui prodigue une ligne pacifiée, un phrasé délicat et imaginatif dans les inflexions et les transitions. La sonorité épurée des instrumentistes de l'ensemble Pygmalion ajoute à la magie sonore.

 

 

Jean-Pierre Robert.

 

Louis VIERNE : Douze Préludes pour piano op 36. Solitude op. 44. Etude N°3 op. 35. Mūza Rubackyté, piano. 1CD Brillant classic : 95 154. TT. 73'18.

 

Louis Vierne (1870-1937) est surtout connu pour ses pièces d'orgue. En effet, il fut formé à l'école de César Franck et eut pour ami Charles Widor. Il sera titulaire des grandes orgues de Notre-Dame de Paris, où il succomba à la tribune lors d'un concert le 2 juin 1937. Mais il composa pour d'autres genres musicaux, dont des pièces de musique de chambre, et pour le piano. La pianiste franco lituanienne Mūza Rubackyté qui en donna quelques exemples lors d'un concert à l'Amphithéâtre de l'Opéra Bastille en mars 2014, livre ici plusieurs morceaux significatifs de cette dernière production. Témoins du parcours atypique d'un musicien qui connut une vie traversée de soucis professionnels, de tragédies personnelles dont de sérieux soucis de vue et la perte de deux fils, le second lors de la Grande guerre. Les Douze Préludes op. 36, achevés en 1914 et publiés quatre ans après, ont une tonalité sombre et proposent un parcours escarpé. À l'image du « Prologue » tempétueux ou d'une page comme « Pressentiments» (prélude N°3) dont la complexité d'écriture communique toute l'agitation intérieure. Celle-ci on la ressent aussi dans la pièce suivante « Souvenir d'un jour de joie » dont le titre est presque une affirmation contraire. Ce pianisme tourmenté, très exigeant pour l'interprète comme pour l'auditeur, se nourrit de climats étranges mêlant des thématiques différenciées. On le mesure dans les volées d'arpèges de « Par gros temps » traversé d'accords plaqués, ou de cette opposition d'une basse obstinée et du discours plus clair de la main droite (« Évocation d'un jour d'angoisse ») ou encore pour « Dans la nuit », vision presque menaçante que traverse un passage haletant. Une rare pièce monothématique (« Sur une tombe ») offre un bref moment de poésie toute intériorisée. Les deux derniers préludes ont quelque chose de poignant : dans l'interruption brutale d'une ligne en apparence aisée (« Adieu ») ou à travers la force irrépressible de l'évocation d'une lutte intérieure vers l'apaisement (« Seul »). Le « Poème pour piano » Solitude op. 44, de 1918, est constitué de quatre parties, aux sous titres également évocateurs d'une grande tristesse, voire de désespérance. Ils présentent une écriture plus consonante. Mais l'angoissante déclamation de « Hantise », l'étrangeté de « Nuit blanche » où les brusques changements de rythmes introduisent une agitation effrayante, ce qui surenchérit dans « Vision hallucinante » pour finir sur une danse macabre (« La ronde fantastique des revenants ») aussi expansive qu'énigmatique, tout cela ne laisse pas de marbre. La Troisième Étude de l'op. 35 (1915) « La lumière rayonnait des astres de la nuit... » , apporte quelque réconfort après ces débordements de noirceur, car se situant dans une veine debussyste, plus avenante. Mūza Rubackyté s'empare de toutes ces pièces avec une force peu commune et une conviction de tous les instants, qui leur restituent leur vrai impact. Son instrument, un Fazioli, sonne précis et clair. Un regret : que la plaquette du CD ne comporte pas un mot en français, ce qui est un comble en l'occurrence.

 

 

Jean-Pierre Robert.

 

Robert SCHUMANN. Das Paradies und die Peri, op. 50. Oratorio en trois parties. Livret d'Emile Flechsig, d'après « Lalla Rookh » de Thomas Moore. Sally Matthews, Mark Padmore, Kate Royal, Bernarda Fink, Andrew Staples, Florian Boesch. London Symphony Chorus. London Symphony Orchestra, dir. Simon Rattle. 2CDs LSOlive : LSO0782. TT. :  51'26+36'37.

 

Créé en 1843 à Leipzig sous la direction du compositeur, Le Paradis et la Péri appartient au genre de l'oratorio profane, « plus exactement le Märchen oratorium (conte oratorio), correspondant à un nouveau genre voulu par Schumann qui le dénomme ''Dichtung'' (Poésie) et non oratorio » (Elisabeth Brisson, in NL de 5/2015, ''Paroles d'auteur''). Schumann a puisé dans un texte du philosophe, humaniste et théologien Thomas Moore (1478-1535), Lalla Rookh, un conte initiatique, lui-même emprunté à la mythologie arabo-perse, qui traite le thème de la rédemption. La Péri, chassée du Paradis, espère y retrouver sa place. Mais elle ne le pourra qu'en rapportant des contrées terrestres une offrande digne des dieux. Ce que ne seront pas le sang d'un héros hindou, non plus que l'amour sacrificiel d'une vierge égyptienne, mais bien les larmes d'un criminel syrien – l'Homme – se repentant à la vue d'un enfant en prière. De par sa portée symbolique, Le Paradis et la Péri se rattache à un courant né avec La Flûte enchantée de Mozart. Y fleure un délicat exotisme qui était alors en vogue. Ce qui se traduit par une orchestration irradiant la lumière, même si elle fait appel à une formation riche de trombones, cors, ophicléide, et de nombreuses percussions. Une vraie fluidité sonore parcourt ses trois parties. Si la trame n'est pas spécialement dramatique, du moins la pièce respire-t-elle une vraie unité. C'est que le langage offre une sorte de continuum de style arioso qui englobe récitatifs et arias, et unit solos et ensembles dont un quatuor vocal et une importante participation du chœur. L'un des protagonistes, le ténor, se voit offrir un rôle de récitant, une sorte d'Évangéliste séculier. Simon Rattle, à la tête de son futur orchestre, le LSO, dont on sent que ce concert live a saisi une sorte d'événement, cisèle le discours en contrastant les douces inflexions dans les passages de quasi contemplation, voire de recueillement, et les fières envolées, soit de joie presque populaire (chœur du début de la II ème partie) ou de fureur plus guerrière. Il ménage surtout le continuum entre les diverses séquences, faites souvent de ruptures dynamiques, procurant ce nécessaire sentiment d'unité là où on pourrait penser à une suite de Lieder orchestraux séparés. Et on admire l'art de révéler les traits d'orchestration originaux (petites flûtes, interventions des cors) qui parent le vocabulaire schumannien. S'agissant de la distribution, elle n'emporte que compliments. C'est le cas de la belle prestation de Sally Matthews, Peri radieuse, qui fait sienne la poésie fascinante de Schumann et ses inflexions si particulières. Le timbre immaculé confère à l'héroïne une aura de pureté. Mark Padmore distingue la partie du récitant de son habituel art du verbe qu'il tient de ses interprétations de l'Évangéliste des Passions de JS. Bach, et d'un goût inné de la déclamation. Bernarda Fink, de son timbre sombre, puise de l'intérieur les parties de l'Ange ou de Alt solo. Kate Royal, Andrew Staples et Florian Boesch complètent une distribution que l'on sent choisie au trébuchet. Les Chœurs du LSO sont brillants et l'orchestre, au mieux de sa forme, répond avec une évidente sollicitude : cordes pellucides, vents éloquents. Une version de choix.

 

 

Jean-Pierre Robert.

 

Alexandre SCRIABINE : Symphonies N° 3, « Le poème divin»,  & N° 4 «  Poème de l'extase ». London Symphony Orchestra, dir. Valery Gergiev. 1CD LSOlive : LSO0771. TT. : 64'58. 

 

La Troisième symphonie d'Alexandre Scriabine (1872-1915) achevée en 1904, sera créée à Paris l'année suivante par Arthur Nikitsch. Sous-titrée « Le poème  divin», requérant un vaste instrumentarium, elle est proche du poème symphonique, ses trois parties enchaînées développant un programme qui reprend les thématiques favorites de son auteur : une vision globale du monde, la transformation de l'homme par l'art, la dimension spirituelle voire mystique de l'œuvre d'art, musicale en particulier. La première, « Luttes », expose les conflits humains et spirituels, exposés par deux thèmes contrastés, dont l'un majestueux aux trombones, symbolise, selon le compositeur, l'affirmation de l'homme «  Je suis! ». Au fil d'un schéma de flux et reflux s'opposent de grands climax volontaristes cuivrés et un traitement apaisé des cordes, qui ne renie pas le modèle wagnérien. La partie suivante, « Voluptés », affirme un lyrisme presque langoureux et déploie un extrême raffinement orchestral qui semble s'attarder sur quelque jardin enchanté où l'on perçoit des chants d'oiseaux. Tandis que la troisième, « Jeu divin », revenant à la manière plus agitée du début, affirme par des effets d'écrasement sonore quelque jubilation de l'homme ayant transcendé ses peurs et ses angoisses. Le discours est tour à tour puissant et extatique pour finir sur un triple accord consonant. Valery Gergiev favorise un pâte consistante, renforcée par une prise de son compacte. Le Poème de l'extase, appelé ici Quatrième symphonie, de 1908, va encore plus loin dans le cheminement mystique et grandiose. Ce poème symphonique est constitué d'un seul mouvement, mais travaillé en diverses sous parties, basées sur la théorie des nombres, dont celui de 36, faisant référence à «  l'Àme du monde » du Timée de Platon. L'œuvre nous fait naviguer entre deux pôles : une énergie irrépressible (accords plaqués fff), une langueur voluptueuse (solos de clarinette, de violoncelle et de violon), traités par le prisme de petites cellules mélodiques, dont le motif péremptoire de la trompette qui semble tout rythmer et entraîner dans une course haletante. L'effectif orchestral imposant est utilisé pour forger des climats d'ivresse sonore, d'antagonisme, de luttes ou de rêveries enchanteresses, que Gergiev mène à la cravache, plus inspiré encore ici. Comme il en va à la faramineuse coda, vrai envoûtement sonore, brillamment restituée par un orchestre incandescent.

 

 

Jean-Pierre Robert.

 

Maurice RAVEL : Concerto pour piano et orchestre en sol majeur. Concerto en ré majeur pour la main gauche. Gabriel FAURE : Ballade pour piano op. 19. Yuja Wang, piano. Tonhalle-Orchester Zürich, dir. Lionel Bringuier. 1CD Deutsche Grammophon : 479 4954. TT.: 50'

 

Ce disque est l'occasion de plusieurs ''premières'' pour l'éditeur : premier enregistrement de musique française de la pianiste Yuja Wang, premier volet d'une nouvelle intégrale de l'œuvre orchestrale de Ravel par l'orchestre du Tonhalle de Zürich dirigé par son nouveau directeur musical Lionel Bringuier, dont c'est aussi le premier disque d'importance. Ladite intégrale ravélienne est quasiment bouclée, mais on a choisi de ''sortir'' en avant première ce morceau de choix que constituent les concertos. Bien joué et belle publicité pour le reste de l'entreprise ! En effet, les fameuses partitions concertantes de Ravel connaissent ici une interprétation pleine de feu : couleur et sensualité en sont les maîtres mots. Quoique menés de front, les deux concertos sont de facture et de climats bien différents, l'un enjoué, l'autre sombre. Du Concerto en sol, Lionel Bringuier entame l'allegramente à un train d'enfer. Le cheminement sera plus que résolu, sertissant le jeu virtuose en diable de Yuja Wang. Les passages andante apportent un bienfaisant répit, dévoilant les tunes jazzy chers à Ravel ou des pianissimos très lents eux-même transpercés de coups de boutoir. La sonorité de la pianiste est aussi cristalline qu'elle peut se révéler d'une poigne de fer, en accord avec la manière résolue du chef. La péroraison sera dévastatrice tant au piano, comme ferraillant dans le grave, qu'à l'orchestre transpercé de cris éperdus. L'introduction solo du piano à l'allegro assai est très – trop - nuancée, là où Ravel réclame une ligne dénuée de tout sentiment ; mais tout rentre dans l'ordre avec l'entrée de l'orchestre et ses magiques solos des bois. Le développement on ne peut plus expressif verra des crescendos fort bien dosés. Le presto final renoue avec l'agitation et l'extrême vitesse mais cela gambade fort bien. La petite marche façon soldats de plomb est fort attrayante. La dégringolade de notes, Yuja Wang l'assume avec brio et la course poursuite qui s'en suit se déroule dans une fièvre folle, jeu aérien du clavier, arabesques forcenées des violons. Le Concerto pour la main gauche se voit offrir des sonorités mystérieuses et pppp dans ses premières pages, comme une pâte qui lève peu à peu pour s'emparer de tout le spectre orchestral, une des plus étonnantes entrées en matière pour un soliste. Yuja Wang s'en empare avec une formidable autorité. Le chef lui tressera un accompagnement robuste dans la rythmique en même temps aéré. Le mouvement médian est joué ppp comme distancié. Le crescendo du troisième, pris de très loin, va s'amplifiant avec ses accords assénés, dévoilant la fastueuse orchestration ravélienne. La pianiste, très à l'aise, en livre une exécution magistrale de lyrisme contenu pour donner cette impression du jeu des deux mains voulue par le compositeur, laquelle trouve son apogée dans une cadence de grande allure. On se doit encore de souligner la plasticité de l'orchestre du Tonhalle de Zürich qui sous la houlette de son chef français, s'approprie le vrai ton gallique sans lequel ces pièces ne seraient pas. Au milieu des deux pièces, en guise de pause, Yuja Wang a choisi de donner la Ballade op. 19 de Fauré dans sa version originale pour piano seul. Une page de pur bonheur. Ses diverses séquences lent-rapide sont magistralement agencées et le jeu offre raffinement sans excès de joliesse et poids des passages plus charnus. On admire la transparence et là encore un vrai ton français.

 

 

Jean-Pierre Robert.

 

Jean SIBELIUS: Humoresques pour violon et orchestre op. 87 & op. 89. Deux Pièces pour violon et orchestre op. 77. Deux Sérénades pour violon et orchestre op.  69. Suite pour violon et orchestre op. 117. 5 Pièces pour violon et piano op. 81. Pièces pour violon et piano op. 2. Nicolas Dautricourt, violon. Juho Pohjonen, piano. Orquestra Vigo 430, dir. Alejandro Garrido Porras. 1CD La Dolce Volta : LDV 23. TT : 77'14.

 

Voilà un disque qui sort vraiment de l'ordinaire puisqu'il donne à entendre la presque totalité des pièces que Sibelius a écrit pour le violon, autres que son concerto op. 47! Le compositeur nourrissait une passion pour l'instrument. On découvre ici un Sibelius méconnu et des pièces « d'une grande singularité, d'une veine entièrement personnelle...et ne s'apparentant à aucun langage » relève Nicolas Dautricourt. Les Humoresques op. 87 et 89, créées en 1919, en même temps que la version révisée de la Cinquième symphonie, sont des miniatures magistralement conçues pour le violon dans une orchestration raffinée. Plusieurs d'entre elles affirment un ton ''populaire'', un peu dans la manière de Bartók. Elles sont tour à tour enjouée (op. 87 n°2), virtuose (op. 89, n° 1), mélancolique (n°2), insouciante (n° 3), ou lumineuse et décidée (n°4) ; confirmant que malgré leur brièveté, « ce sont des œuvres d'envergure », selon leur auteur. Les Deux Pièces op. 77 ou «  mélodies sérieuses » (créées en 1916 dans une version pour violoncelle) font se succéder chaud lyrisme (« Cantique ») et animation toute aussi intériorisée (« Dévotion »). Avec les Deux Sérénades op. 69 (1915), sorte de romances pour violon et orchestre, discrètes avec des bois délicats, on aborde des pièces d'atmosphère, comme sait en créer Sibelius, dans son Concerto op. 47 en particulier. Elles sont différentes l'une de l'autre : la première, élégiaque, traversée de passages contrastés dont celui où les cordes soudain bruissent ppp. La seconde offre un lyrisme diaphane mettant en valeur la mélodie sinueuse du soliste. Une brève section plus agitée rappelle quelque équivalent du finale du concerto. La Suite op. 117, créée en 1990 et éditée en 1994, livre un langage curieusement consonant pour cette dernière période compositionnelle, au fil de ses trois parties, « Scène champêtre », « Soirée de printemps » et « En été », cette dernière parée de pizzicatos des cordes. Nicolas Dautricourt a choisi de mettre ces pièces en regard avec deux œuvres pour violon et piano. Les Cinq Pièces op. 81 ( 1915-1918), triomphe de la danse, qu'une écoute aveugle n'attribuerait sans doute pas au compositeur, déploient une musique aisée, voire galante, un brin théâtrale (n° 4 : « Aubade »), mais fort agréable. On conclut par un retour en arrière : les Pièces op. 2, pour essais qu'elles soient (1890/91, révisées en 1911), très empreintes de romantisme, ne sont pas moins attrayantes, dont un perpetuum mobile ébouriffant de vitesse. Nicolas Dautricourt offre une sonorité solaire, intense, délicate. Ses accompagnateurs sont de choix : le pianiste Juho Pohjonen et l'Orquestra espagnol de la ville de Vigo, dirigé avec tact par Alejandro Garrido Porras, montrant une belle qualité instrumentale. Alors à quand la Sonatine pour violon et piano op. 80, et bien sûr le concerto ?

 

Jean-Pierre Robert.

 

Leoš JANÁČEK : « Říkadla ». Pièces vocales et instrumentales. Collegium Vocale Gent. Het Collectief, dir. Reinbert de Leeuw. 1CD Alpha : Alpha 219. TT.:  69'12. 

 

Ce disque prend pour prétexte le cycle de chants populaires « Říkadla » pour y associer d'autres chants et deux œuvres instrumentales, le Concertino pour piano et la Sonate pour piano. Leoš Janáček a beaucoup collecté les chants populaires moraves, convaincu de l'intérêt d'intégrer le folklore au sein de la musique savante et de faire référence dans le chant aux mélodies du langage parlé car « il a compris les fondements essentiels du chant qui réunit les dimensions psychologiques et physiologiques de la vie qu'il s'agit d'appréhender dans leur intégrité et le ''tissage'' complexe de leurs relations » (James Lyon, in « Leoš Janáček, Jean Sibelius, Ralph Vaughan Williams, Un cheminement commun vers les sources », Beauchesne). Grand observateur du cycle de la nature, tout au long de sa vie «  il préservera ce regard organique face aux mystères de la vie » (ibid.). Quoique finalement ce ne soient pas les paroles ou les mots en soi qui importent mais leur ''ton ''. Des petites pièces pour chœurs d'hommes, comme « La cane sauvage » (1885) ou « Notre bouleau » (1893), participent de cette interprétation de la nature, certes un peu naïve, mais combien attachante parce que vraie. « Élégie sur la mort de ma fille Olga », pour ténor, chœurs mixtes et piano (1905/06), est une confession poignante. « La trace du loup » (1916) est une pièce de théâtre miniature au débit saccadé, proche du langage des opéras contemporains du musicien. Le cycle « Comptines » (Říkadla), de 1926, marque sans doute le point d'aboutissement de ces recherches. Où, au fil de pièces très courtes - la plus brèves dure 22'', la plus expansive 1'26 - Janáček utilise tous les modes possibles d'expression, du pépiement au chant lyrique, et mêle ironie, petit drame ou tendresse appuyée, dans des textes surréalistes. L'écriture y est originale, en particulier pour les vents et on y croise des rythmes follement animés, dont un étonnant postlude instrumental. Les chœurs du Collegium Vocale de Gand leur apportent esprit, précision et aura. Le Concertino pour piano et ensemble de chambre (1925), trois cordes, trois vents, installe de savoureux dialogues que mène le piano, tel celui improbable avec le cor au moderato initial, dans un échange presque vindicatif, ou avec la clarinette au piu mosso suivant, laquelle caracole dans son registre le plus aigu et qui va jouer un rôle essentiel dans le reste de l'œuvre. Au con moto, le discours se fait plus ample avec de effets d'écrasement ou de ''scie'', tandis que l'allegro final complexifie le langage jusqu'à une péroraison haletante. L'ensemble Het Collectief que dirige Reinbert de Leeuw fait merveille. Le chef néerlandais a aussi arrangé pour formation chambriste et accordéon la Sonate pour piano « 1. X. 1905, De la rue » : là où elle est écrite de manière inconfortable pour le piano, estime de Leeuw, une telle formation et l'adjonction de ce dernier instrument en accroit la note nostalgique, traduisant sans doute plus fortement le drame qui la parcourt : la mort, ce jour là, d'un ouvrier lors d'une manifestation à Brno. Le résultat est intéressant, offrant nervosité et caractère implacable dans la seconde partie, titrée « Mort ».

 

 

Jean-Pierre Robert.

 

Érik SATIE : Trois Gymnopédies. Pièces froides. Douze petits chorals. Avant-dernières pensées. Nocturnes. Sept Gnossiennes. Sonatine bureaucratique. Bruno Fontaine, piano. 1CD Aparté : AP116. TT.: 76'.

 

Érik Satie a beaucoup mis de lui-même dans sa musique pour piano qui l'accompagnera tout au long de sa vie créatrice. Alfred Cortot la divise en trois parties : la période mystique (1886-1895), la phase rosicrucienne et excentrique (1897-1915), et la dernière que Satie baptise « musique d'ameublement ». Bruno Fontaine a réuni un florilège de pièces de chacune de ces périodes. Des constantes demeurent : un style minimaliste, voire abstrait, un art consommé de la répétition, un usage récurent des cadences modales et d'une rythmique qui semble invariable, une manière linéaire qui s'accompagne de fins généralement soudaines, pour ne pas dire abruptes. Les Gymnopédies (1888) ou trois variations sur un même thème, empruntées à la mythologie grecque, montrent cette linéarité de l'écriture qu'on associe à la manière du compositeur, la transparence aussi du discours. Les Gnossiennes, écrites entre 1890 et 1897, se réfèrent à la musique populaire roumaine entendue par Satie à l'exposition universelle de Paris en 1889 : elles voient, dans les trois premières, le triomphe de la modulation mystérieuse et envoûtante, prônant rythmique lancinante et usage de la répétition, et traduisant la mélancolie de la mélodie. La 4ème parait plus animée avec ses arpèges mouvants à la main gauche. La 5 ème brode dans le registre aigu avec quelques appogiatures bien sonnantes. Précédée d'une brève introduction, la 7 ème est brillante, reprenant le matériau de la première. Les Pièces froides (1897), réparties en deux jeux de trois, distillent un style coulant et limpide, fort mélodieux. Les Douze petits chorals, fort peu connus, composés de 1906 à 1908, sont le fruit de la formation suivie par leur auteur à la Schola Cantorum : de petits exercices énigmatiques, comme des improvisations, qui prennent du champ avec un langage rigoureusement tonal. Avant-dernières pensées (1915) se présente de nouveau tel un triptyque, en hommage à Debussy, Dukas et Roussel, un brin parodique au travers de leurs titres, comme cette « Méditation » qui n'a rien d'introspectif. La Sonatine bureaucratique (1917) appartient à ces morceaux aux appellations aussi extravagantes que peu en rapport avec leur contenu. Ses trois mouvements totalisent un peu plus de quatre minutes. Avec les Nocturnes, de 1919, Satie atteint l'épure de l'épure, une sorte de détachement au fil de pièces austères et finalement sérieuses. Sur les traces d'Aldo Ciccolini et de Gabriel Tacchino, Bruno Fontaine, délaissant pour un instant ses métiers d'arrangeur et de compositeur de musique de film, propose des lectures en parfaite empathie avec un idiome singulier, n'hésitant pas à souligner le trait dans le forte (dans les Gnossiennes par exemple). Bel hommage      à celui dont Cocteau disait qu'« il poussait la probité et l'antinarcissisme jusqu'à se moquer de son propre reflet et même jusqu'à lui tirer la langue ».

 

 

Jean-Pierre Robert.

 

Gabriel PIERNE : Sonate pour violon et piano op 36. Louis VIERNE : Sonate pour violon et piano op. 23. Gabriel FAURE : Romance pour violon et piano op. 28. Les Berceaux op. 23 N°1. Elsa Grether, violon, François Dumont, piano. 1CD Fuga Libera : FUG 728. TT: 67'42.

 

Ce CD présente deux œuvres de musique de chambre du tournant du XXe siècle à peu près inconnues, qui méritent de ne plus le rester. La Sonate de Gabriel Pierné (1863-1937) dédiée à Jacques Thibaud, a été écrite en 1900 et créée l'année suivante. Elle est, comme l'observe sa présente interprète, Elsa Grether, « nourrie de clairs obscurs, de fulgurances, de frémissements, de miroitements ». Y triomphe, au fil de ses trois mouvements plutôt vifs, l'art de l'arabesque. Dans l'allegretto, un chevauchement de rythmes forge un discours ondulant au piano et d'une belle sinuosité au violon. Le second allegretto, « avec un sentiment calme et rêveur », évoque un semblant de valse. Et le finale, andante puis allegro un poco agitato est plein d'élan post romantique que les deux interprètes dispensent avec brio. Louis Vierne (1870-1937) a écrit sa Sonate pour violon et piano op. 23 à la demande d'Eugène Ysaÿe et de Raoul Pugno qui en seront les créateurs en 1908. Se référant à la Sonate de Franck, Ysaÿe en louera «  la solidité de la forme... le charme et la force ». De fait, ses quatre mouvements fuient l'épanchement qu'une vie personnelle tragique aurait pu imprégner, pour une musique structurée, toujours suprêmement élégante. L'allegro risoluto combine deux thèmes, l'un résolu, insistant, volontaire, l'autre mélodieux, expansif presque, et dévoile une grande maîtrise. Introduit par le piano, l'andante sostenuto installe une mélodie d'un calme habité, se développant souvent dans le registre grave du violon. Surgit un passage poco agitato qui apporte un contraste saisissant. La suite conduit à des sommets d'expressivité et d'intériorité. Suit un Intermezzo, scherzo agréablement bondissant, troussé avec la même élégance. Le vaste finale déploie des paysages variés : débuté Largamente sur quelque interrogation du piano, il se poursuit dans un Allegro agitato étalant des climats fiévreux, modulant à l'envi, frôlant le dramatique. Là encore Elsa Grether et François Dumont en sont les interprètes émus. Deux pièces pour violon et piano de Fauré, elles aussi peu jouées, concluent ce programme original : la Romance op. 28 (1877), peut-être fruit d'une tendre passion nourrie envers Marianne Viardot, la fille de la chanteuse Pauline Viardot, d'une souveraine ligne mélodique, traversée d'un épisode plus sombre pour introduire l'indispensable contraste ; et Les berceaux, sous-titré « Sur un poème de Sully Prudhomme », première pièce d'un triptyque intitulé Trois mélodies op. 23, qui de son doux balancement, laisse déjà entrevoir les horizons modulants de la maturité.

 

 

Jean-Pierre Robert.

 

« Treasures of the German Baroque ». Ensemble Radio Antiqua. 1 CD Ambronay. Collection Jeunes Ensembles. AMY305. TT : 59’28.

 

Encore une très belle production du label Ambronay qui allie originalité du programme et promotion du jeune ensemble baroque, Radio Antiqua, dont c’est, ici, le premier enregistrement discographique. Originalité du programme car les œuvres proposées sont souvent peu connues, fruit de recherches musicologiques chères aux baroqueux. Constitué d’œuvres provenant des archives de la bibliothèque de l’Université de Dresde contenant les trésors du répertoire de la Hofkapelle, orchestre historique de la ville, ou de la collection musicale d’Anna Amalia, jeune sœur de Frédéric Le Grand, reconstituée récemment et conservée aujourd’hui à la Bibliothèque d'État de Berlin, ou encore appartenant au corpus bavarois du comte Rudolf Franz Erwein recensant nombre de pièces uniques des grands maitres ou de compositeurs moins connus, voilà un disque qui ravira tous les amateurs de musique baroque et même les plus curieux… Des œuvres de Telemann, de Schaffrath, de Reichenauer, de Pisendel, de Dieupart et de Brescianello, tous compositeurs du XVIIIe siècle dont nous pouvons entendre un florilège de Sonates, Sonates en trio, Concerto Grosso ou Suite pour différents instruments, violon, violoncelle, basson, flûte et continuo. L’interprétation lumineuse et pleine d’allant de l’Ensemble Radio Antiqua renforce encore tout l’intérêt et le charme de ce disque. Avec ces trésors cachés du baroque allemand, voilà une bien belle façon pour le label Ambronay de fêter son 10e anniversaire. Bon anniversaire donc, et bravo au jeune ensemble Radio Antiqua !

 

 

Patrice Imbaud.

 

« From Couperin to Schumann ». Pièces de François COUPERIN, Wolfgang Amadé MOZART, Joseph HAYDN, Robert SCHUMANN. Tatiana Zelikman, piano. 1 CD Fondamenta : FON-1401018. TT : 76’32.

 

Le label Fondamenta fait décidément les choses avec tact, soucieux de ne pas séparer ce couple de pianistes réputés, voila que parait en même temps que celui de l’époux (Vladimir Tropp) l’album de l’épouse Tatiana Zelikman, cet enregistrement constituant son premier opus discographique. Âgée de 75 ans, figue majeure de l’école russe de piano, comme son mari, elle enseigne depuis de nombreuses années à l’institut Gnessine de Moscou, une pépinière de renommée mondiale qui a vu sortir de ses rangs de fameux pianistes comme Svetlanov, Kissin ou Berezovsky. Tatiana Zelikman pouvant elle-même revendiquer la formation de plus jeunes talents comme Trifonov, Volodin ou encore Kobrin. Une exceptionnelle carrière de pédagogue sans doute favorisée par une maladie rhumatismale des mains qui l’handicapa dans sa carrière de pianiste. Pour ce premier disque elle nous donne à entendre un vaste programme s’étendant de Couperin à Schumann. Son Couperin (Les Lis naissans, Les Petits Moulins à vent, La Bandoline, Le Carillon de Cithère, tirés des Premier et Troisième Livres de pièces pour clavecin) irradie d’une poésie lumineuse. Son Mozart (Fantaisie K. 396), très appuyé, gronde dans un climat étonnamment dramatique, nous rappelant que cette œuvre dont le manuscrit autographe de 27 mesures fut laissé inachevé par Mozart en 1782, ne fut complétée et achevée, à la demande de Constance, par l’abbé Stadler qu’après la mort du compositeur et publiée en 1802. Les Variations Hob. XVII n° 6 de Joseph Haydn, délicates et insouciantes, dans la plus pure tradition classique, s’accordent avec le naturel plaisant et débonnaire du compositeur viennois, tendant un pont entre baroque et romantisme. Enfin les courtes pièces de Schumann (Arabesque, L’Oiseau prophète extrait des Scènes de la Forêt, et quatre scènes n° 7, 8, 12 et 13 extraites des Scènes d’enfant) concluent ce disque sur une note gracieuse, pastorale et intimiste d’un romantisme exacerbé. L’interprétation brillante de Tatiana Zelikman fait de  ce disque un enregistrement précieux qui trouvera aisément sa place aux cotés de celui de son époux, Vladimir Tropp, dans la discothèque idéale de tout mélomane. Attention ne retirez pas le CD immédiatement après la dernière piste…Une surprise vous attend…

 

 

Patrice Imbaud.

 

« SCHUMANN au piano. Une vie en musique ». Kreisleriana, op. 16, Bunte Blätter op. 99, Geister Variationen. Matteo Fossi, piano. 1 CD Hortus : HORTUS 120. TT : 78’24.

Figue emblématique du romantisme musical par ce mélange d’ombre et de lumière, par cette concordance entre vie et musique, par le contraste dramatique entre vécu et idéal, Robert Schumann trouve, ici,  en la personne du pianiste italien Matteo Fossi un de ses plus fervents et fougueux défenseurs. Trois œuvres au programme de ce disque comme une sorte de parcours, partant de la décennie pianistique, conduisant jusqu’au seuil de la décadence mentale. Les Kreisleriana de l’opus 16, dans leur version initiale de 1838, en référence à l’excentrique musicien Johannes Kreisler, crée par la fantaisie d’E.T.A Hoffmann, écrivain fétiche du jeune Schumann. Un cycle de 8 fantaisies basées sur l’improvisation, sortes de rêveries musicales contrastées. Les Bunte Blätter op. 99 sont une collection de feuilles éparses, composées entre 1836 et 1849. Enfin les Geister Variationen, alliant introspection et poésie, qui précèdent son internement à Endenich, et constituent le point extrême de ce parcours. Ensemble de  Variations dont le thème aurait été dicté à Schumann par les anges ou les esprits de Schubert et Mendelssohn et dont la date de composition chevauche la tentative de suicide du compositeur (1854). Un disque qui frappe dès la première écoute par son authenticité, par cette concordance parfaite entre partition et narration, par une lecture semblant véritablement habitée. Émotion

 

 

Patrice Imbaud.

 

Édouard LALO. Intégrale des mélodies. Tassis Christoyannis, baryton, Jeff Cohen, piano. 2 CDs APPARTE : AP110. TT : 70’ + 60’.

Les mélodies d'Édouard Lalo (1823-1892) ne sont sûrement pas les œuvres les plus connues du compositeur. Ses premières compositions, des chants accompagnés au piano datent de 1848. Une activité compositionnelle qui se trouva confortée par son mariage, en 1864, avec la mezzo-soprano Julie-Marie-Victoire Bernier de Maligny. La musique vocale qui constitue le présent enregistrement est intéressante par le pont qu’elle tend, de façon particulièrement démonstrative, entre la romance populaire française (XVIIIe siècle) et la mélodie française chantée dont Berlioz, Fauré, Debussy ou Duparc se feront les champions, sur des textes empruntés à des œuvres poétiques,  se rapprochant du lied allemand (XIXe siècle) et puisant son inspiration dans le romantisme poétique exaltant toute l’intimité et les douleurs de l’âme. Un magnifique coffret de 2 CDs où l’on voit la prosodie et la musique se complexifier, plus simples dans les romances populaires de Pierre-Jean de Béranger (CD1) magnifiant tout le potentiel émotionnel et dramatique des textes, plus élaborées et élégantes dans les mélodies sur des poèmes de Victor Hugo, Musset ou Lamartine (CD2). Une découverte sans doute, mais surtout un immense plaisir d’écoute tant on ne se lasse pas de la voix chaude, de la diction parfaite et de l’interprétation superlative du baryton Tassis Christoyannis, merveilleusement soutenu par l’accompagnement somptueux de Jeff Cohen, éminent spécialiste du genre. Un coffret absolument indispensable !

 

 

Patrice Imbaud.

 

Claude DEBUSSY. Children’s corner. Images (2e série). Préludes (2e livre). Michel Dalberto, piano. 1 CD Aparte : AP 111. TT : 70’34.

Un disque consacré à Debussy s’inscrivant dans un plus vaste projet, voué à la musique française, qui devrait comprendre, d’ici 2018, trois autres enregistrements dédiés à Franck, Fauré et Ravel, sous les doigts de Michel Dalberto. Chaque programme étant enregistré « live » sur un piano différent pour chaque compositeur. C’est donc au théâtre « Bibiena » de Mantoue, sur un piano Fazioli, dont la sonorité semble idéale pour cette musique faite d’ombre et de lumière, que fut réalisé cet enregistrement le 30 Mai 2015. Après ses précédents enregistrements jusque là plus particulièrement dédiés au classique viennois et au romantisme allemand, Michel Dalberto fait avec ce disque une incursion parfaitement réussie dans le répertoire français, y distillant charme, délicatesse, élégance et poésie. Une musique toute en suggestion et mystère, et une interprétation toute en scintillements et ruissellements, un jeu fluide et souple avec une flexibilité des rythmes pour en mieux effacer les contours, laissant à l’auditeur sa part de rêve et à la musique sa part de silence. Une interprétation en tous points remarquable dans l’esprit comme dans la note. On attend avec impatience la suite de cette tétralogie française….

 

 

Patrice Imbaud.

 

 

Max REGER. Intégrale de l’œuvre pour orgue (Vol. 4). Jean-Baptiste Dupont, orgue.  2CDs Editions HORTUS : HOR 125-126. TT : 83’28+83’00.

 

Voici un coffret de 2 CDs très attendu de tous les amateurs d’orgue puisqu’il s’agit du quatrième volume  (5e et 6e CD) d’une Intégrale de l’œuvre pour orgue de Max Reger (1873-1916), entreprise par l’organiste Jean-Baptiste Dupont. Un impressionnant et ambitieux projet qui devrait compter 15 CDs. Max Reger fut probablement le plus grand compositeur allemand pour cet instrument, à l’instar de Bach, puisque son catalogue ne compte pas moins de 146 opus totalisant un millier d’œuvres dont un grand nombre, environ une trentaine d’opus, de pièces pour orgue. Reger est un compositeur post romantique, à tendance expressionniste dont le langage souvent angoissé flirte avec la tonalité, sans atteindre toutefois au radicalisme de la Seconde école de Vienne. Le minutage copieux nous permet d’entendre les 52 Choralvorspiele Helft 1 & 2, op.67, stylistiquement simples, à visée cultuelle. Introduktion, Variationen und Fuge über ein originalthema, op. 73, composée en 1903, est dédiée à Karl Straube, organiste et ami du compositeur. Peu jouée, cette œuvre majeure de Reger porte les stigmates de l’expressionnisme par ses contrastes, son pessimisme, ses enchainements extrêmes au plan dynamique, contrapuntique et harmonique. Introduktion, Passacaglia und Fuge, op. 127 est une partition  monumentale composée  en 1913 pour l’inauguration du non moins monumental orgue de Breslau. Une interprétation qui sait faire fi de toute les difficultés techniques, pourtant nombreuses, pour ne garder que l’émotion. Un superbe coffret, une rareté discographique et  un projet colossal dont il faudra suivre les étapes ultérieures…

 

 

Patrice Imbaud.

 

« Presencias ». Quintettes avec guitare de Mario CASTELNUOVO-TEDESCO, Carlos GUASTAVINO, Pablo de  SARASATE, Manuel de FALLA. Ensemble Miró (Quatuor à cordes) & Nicolas Lestoquoy, guitare. 1CD HORTUS : 122. TT : 71’52.

Un disque original et de très belle facture présentant des quintettes avec guitare et des duos pour violon et guitare, sous les mains expertes de l’Ensemble Miro (Quatuor à cordes) et du guitariste français Nicolas Lestoquoy. Un guitariste-compositeur assez éclectique capable d’exprimer son talent au travers du jazz, de la musique contemporaine ou de la musique de chambre, soit en duo notamment avec Sébastien Linares (Duo Mélisande) ou en quintette avec l’Ensemble Miró, comme c’est le cas pour cet enregistrement. La guitare populaire et le si distingué quatuor à cordes, une alliance surprenante entre cordes pincées et cordes frottées, une ambigüité  d’où naît le fantasme de l’hispanisme, fait de rythmes et de rêves. Le Quintette de Mario Castelnuovo-Tedesco (1895-1968) fut dédié au grand maitre Andres Segovia, Las Presencias n° 6 de Carlos Guastavino (1912-2000) est un modèle d’équilibre, les Danses espagnoles de Pablo de Sarasate (1844-1908), la Suite populaire espagnole et la Vida breve de Manuel de Falla (1876-1946) nous font ressentir l’indicible « duende », ce souffle ineffable dégagé par cette musique merveilleusement mise en valeur par les sonorités chaudes, tantôt languissantes, tantôt bondissantes du violon de Li-Kung Kuo auxquelles répondent la virtuosité et le fier panache de la guitare. Un très beau disque.

 

 

Patrice Imbaud.

 

« Oscillations ». Silas Bassa, piano. 1 CD PARATY : 815135. TT : 62’11.

 

Pour un premier disque, voilà bien un coup de maître. Le jeune pianiste et compositeur  argentin Silas Bassa nous propose, avec cet enregistrement, un étonnant voyage, très poétique, au travers de la musique du XXe et XXIe siècle, à partir d’une sélection d’une vingtaine d’œuvres dues à Ligeti, Glass, Satie, Duckworth, Debussy, Rudhyar, Castro, Hill, Kirchner, Nyman et Bassa lui même… Des œuvres connues qui, sorties de leur environnement habituel, mises en miroir et réagencées dans un nouvel ordre voulu par le pianiste, nous ouvrent une nouvelle perspective, un nouveau regard, une nouvelle approche d’où naissent de nouvelles images et une nouvelle émotion. Une déconstruction et une reconstruction à l’origine d’une altérité musicale qui n’est pas sans charme mêlant surprise, élégance et pertinence. Un charme qu’il faut goûter par une écoute continue, sans interruption comme au concert, pour que naisse l’enchantement d’une musique qui naturellement s’enchaîne dans une sorte d’unité retrouvée, à la fois la même et l’autre, oscillant entre vibration et silence, délicatesse et colère, transe et danse, avec quelques clins d’œil et une large place laissée au tango ! Un disque conçu comme un récital, original et superbement interprété. Inclassable, un disque coup de cœur !

 

 

Patrice Imbaud.

 

« Troisième souffle ». Thierry Caens, trompette. Orchestre National de Lyon, dir. Michel Plasson. Caratini Jazz Ensemble. 1CD Indésens : INDE077. TT : 55’16.

Voilà un disque inclassable, éclectique, abordant tous les genres musicaux avec un même bonheur, pour le simple plaisir de l’écoute. Un album festif, tout en rythmes et en couleurs. Mais attention, disque d’un hédonisme simple, joyeux, émouvant qui n’exclut pas la qualité, qualité des œuvres et qualité de l’interprétation. Car Thierry Caens, personnalité éminente des cuivres français, s’est entouré pour cet enregistrement des plus grands, Michel Plasson à la tête de l’Orchestre National de Lyon, Richard Galliano à l’accordéon et le Caratini Jazz Ensemble. Une réédition d’un enregistrement datant de 2006 comprenant des œuvres spécialement écrites à son intention par William Sheller, Richard Galliano, Patrice Caratini  et Michel Colombier. Un disque qui s’adresse à un large public

 

Patrice Imbaud.

 

« Le geste augmenté ». Pièces pour cello solo & Elecronics. Marie Ythier, violoncelle. 1 CD Evidence classics : EVCD 016. TT : 48’42.

Un disque de musique contemporaine conçu comme un dialogue entre le violoncelle solo et  des sons spatialisés produits à partir de dispositifs électroniques, à la recherche d’une sorte de nouvelle quintessence musicale assez emblématique de la recherche musicale des XXe et XXIe siècle. Un enregistrement recensant dans ce tête à tête surprenant, sur six œuvres différentes, une partie des possibles, quasiment infinis, offerts par le développement des potentialités sonores électroniques ouvrant la voie à une nouvelle esthétique. Un dialogue mais également une complicité entre l’un et l’autre où chacun s’efface devant  l’apparition d’un nouveau monde sonore  fait de poésie et d’innovation. Des œuvres d’Alireza Fahrang, Antonio Juan-Marcos, Aurélien Maestracci, Vittorio Montalti, Nuria Gimenez-Comas et Jean-François Ducher, toutes composées entre 2012 et 2015, directement écrites pour la violoncelliste Marie Ythier dont on connait l’inclination pour la musique nouvelle. Un premier disque solo, surprenant, expérimental mais non dénué de charme…

 

 

Patrice Imbaud.