Le 23 novembre, le grand chef d’orchestre anglais Richard Sidney Hickox disparaissait à l’âge de 60 ans. Dans ces mêmes colonnes, j’avais rendu compte de la mémorable exécution londonienne qu’il avait conduite, en juin dernier, à Sadler’s Wells, de The Pilgrim’s Progress (1951), l’opus magnum de Ralph Vaughan Williams (1872-1958). Quelques mois après, vingt et un jours avant son décès, j’assistais - au Royal Festival Hall de Londres - à l’avant-dernier concert anniversaire qu’il consacrait à Vaughan Williams, à la tête du Philharmonia Orchestra. Ce concert de plus de trois heures, d’une rare densité, témoignait d’une belle reconnaissance envers l’un des compositeurs majeurs du XXe siècle. L’interprétation d’œuvres emblématiques - telles que la Fantasia on a Theme by Thomas Tallis (1910/19), la 9e Symphonie en mi mineur (1956/58), les Three Shakespeare Songs (1951), la 6e Symphonie en mi mineur (1944/50) et la 5e Symphonie en Ré (1938/51) - a en tous points été exemplaire. L’énergie et l’émotion de Richard Hickox ont profondément touché un public nombreux, enthousiaste et concentré. Il est vrai que tout au long de cette année commémorative du cinquantième anniversaire de la mort de Vaughan Williams, Richard Hickox a déployé une activité qui, sans doute, a eu raison de ses forces. Il était véritablement au service de cette musique, en toute humilité.
Né le 5 mars 19 48, à Stokenchurch, dans le Buckinghamshire, Richard Sidney Hickox dirige, dès l’âge de 16 ans, le chœur de l’église de son père. Il poursuit ses études à la Royal Grammar School, High Wycombe, et à la Royal Academy of Music pour une année avant de rejoindre Queens’ College, de Cambridge, en tant qu’organiste. En 1971, il fait ses débuts professionnels de chef d’orchestre tout en formant le City of London Sinfonia (CLS) et les Richard Hickox Singers avec lesquels il présente un vaste répertoire du XIVe au XXe siècle. Entre 1972 et 1982, Richard Hickox est organiste et Master of Music à St Margaret’s, Westminster Abbey. Puis, dès 1976, il est nommé directeur du London Symphony Chorus. Deux ans plus tard, il se trouve à la tête de la Bradford Festival Choral Society. Sa compétence le fait connaître à l’extérieur : entre 1980 et 1985, il est un invité privilégié de la radio néerlandaise. Ce, sans compter les nombreuses sollicitations internationales. En 1988, le City of London Sinfonia lance un programme éducatif à partir duquel les musiciens travaillent dans les écoles, auprès des élèves, enfants et adolescents. Ils se rendent également dans les établissements spécialisés, soutiennent les ensembles formés d’amateurs, donnent des concerts auprès des malades dans les hôpitaux et dans les hospices.
Richard Hickox a, de surcroît, été un inlassable défenseur de la musique anglaise, non seulement celle de Vaughan Williams mais aussi celles de nombreuses personnalités pour la plupart inconnues en France. Parmi elles, il convient de citer, plus spécialement, outre Gustav Theodore Holst (1874-1934) - proche de Vaughan Williams - l’impressionnante figure de Sir Charles Villiers Stanford (1852-1924), grand symphoniste et remarquable professeur au Royal College of Music de Londres où il a formé de nombreux compositeurs non moins remarquables, comme Vaughan Williams et Holst. Richard Hickox s’est encore intéressé à l’emblématique Sir Edward William Elgar (1857-1934) et à ses nobles oratorios The Dream of Gerontius, opus 38 (1900), The Kingdom, opus 51 (1901/06), ce dernier réalisé à la suite de l’enregistrement inoubliable de Sir Adrian Cedric Boult (1889-1983), en 1969. Richard Hickox a encore gravé la musique du nostalgique Frederick Theodore Albert Delius (1862-1934), l’ami du dramaturge suédois Johan August Strindberg (1849-1912), et celle des maîtres de Britten, Frank Bridge (1879-1941) et John Nicholson Ireland (1879-1962). Sa version de la cantate The Canterbury Pilgrims, d’après le Prologue des « Contes de Canterbury » du poète médiéval Geoffrey Chaucer (1340/45-1400), de Sir George Dyson (1883-1964), manifeste la juste reconnaissance d’un chef-d’œuvre oublié. Richard Hickox a également valorisé les musiques du Master of the Queen’s Music Sir Arthur Drummond Bliss (1891-1975), de Herbert Norman Howells (1892-1983), l’un des plus importants compositeurs de musique liturgique, et de Gerald Raphaël Finzi (1901-1956), inspiré notamment par les textes de Thomas Hardy (1840-1928). Comptent aussi ses interprétations du surprenant symphoniste Charles Edmund Rubbra (1901-1986), de l’opéra Troilus and Cressida (1947/76) de Sir William Walton (1902-1983), de l’opéra biblique Ruth de Sir Lennox Randall Francis Berkeley (1903-1989), des partitions du jungien Sir Michael Tippett (1905-1998), et du symphoniste William Alwyn (1905-1985). Richard Hickox s’est encore consacré aux ouvrages lyriques de Benjamin Britten (1913-1976), Peter Grimes (1944/45), Billy Budd (1950/51) et Death in Venice (1971/74), et à la musique du trompettiste Sir Malcolm Arnold (1921-2006). En 2002, une fois de plus pour la marque Chandos, Richard Hickox a redonné vie à la belle Norfolk Rhapsody N°2 de Vaughan Williams, restée inédite depuis sa création au Festival de Cardiff, le 27 septembre 19 07, sous la direction du compositeur. Enfin, il a consacré l’un de ses derniers enregistrements à Kenneth Leighthon (1929-1988), promoteur d’un style fondamentalement mélodique qui a profondément influencé l’un des compositeurs actuels les plus impressionnants, l’écossais James MacMillan (1959-). Cet étonnant corpus voué à la musique anglaise constitue une précieuse collection pour une connaissance presque exhaustive de ce répertoire d’une richesse généralement insoupçonnée.
La vie de Richard Hickox était très occupée en tant que directeur musical de l’Opera Australia à Sidney, et de l’Orchestre national de la BBC du Pays de Galles (BBC National Orchestra of Wales). C’est précisément en ce dernier lieu, à Cardiff, qu’il se trouvait en novembre 2008 pour l’enregistrement d’une anthologie de Holst. Quelques jours plus tard, le 27, il devait diriger la représentation, à l’English National Opera de Londres, du visionnaire Riders to the Sea (1925/32), Play du dramaturge irlandais Edmund John Millington Synge (1871-1909) mis en musique par Ralph Vaughan Williams. Au cours de l’année 2008, sa collaboration avec le Philharmonia Orchestra a été très étroite. Le lundi 24 novembre, dans un message diffusé sur son site Internet, le comité de l’orchestre faisait part de sa profonde tristesse. De toute évidence, Richard Hickox a occupé une position unique dans la vie musicale britannique. En ce sens, il est le véritable successeur spirituel d’un Sir Adrian Cedric Boult qui, lui aussi, s’était mis au service de la musique de Vaughan Williams avec un profond sens du pastoralisme musical.